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Uncorrected Translation
CR 2012/35 (traduction)
CR 2012/35 (translation)
Vendredi 14 décembre 2012 à 10 heures
Friday 14 December 2012 at 10 a.m. - 2 -
12 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Bonjour. L’audience est ouverte. La Cour se
réunit ce matin pour entendre le début du second tour de plaidoiries du Chili. J’appelle à la barre
M. James Crawford. M. Crawford, vous avez la parole.
M. CRAWFORD : Merci, Monsieur le président.
L’ ACCORD DE DÉLIMITATION MARITIME : RÉPONSE À L ’ARGUMENTATION DU PÉROU
1. Introduction
1.1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’histoire va de l’avant. Elle
se produit jour après jour. Comme le demandait le poète anglais Phillip Larkin,
«Où vivrait-on hors les jours ?
Ah ! Résoudre cette question
Fait venir le prêtre et le docteur
Dans leurs longs manteaux
1
A toute allure à travers champs.»
1.2. En la présente espèce, le Pérou, lui, prend l’histoire complètement à rebours. Ainsi
considère-t-il qu’une ligne d’équidistance ⎯notion qui n’a été introduite en droit international
qu’en1954 par le commandantKennedy ⎯ pouvait déjà être tracée de manière «intuitive»
en 1952 ; de fait, l’exposé que M. Lowe nous a pr ésenté mardi reposait entièrement sur le postulat
tout à fait anachronique de droits à des espaces maritimes fondés sur l’équi distance. La méthode
de délimitation en trois étapes ⎯ qui est désormais la règle ⎯ est ainsi appliquée
rétrospectivement, alors que la Cour ne s’est e ngagée dans le long processus d’élaboration de cette
méthode qu’en1969. Quant à l’accord de1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, il
serait un «arrangement provisoire de caractère pratique», au sens du paragraphe 4 de l’article 74 de
la CNUDM 2; là encore, cette convention est appliquée a posteriori. Toute l’argumentation du
Pérou est ainsi émaillée d’anachronismes.
1
Phillip Larkin, «Days» [«Jours»],Collected Poems (1988), p. 67, cité dans J.Crawford & T.Viles,
«International Law on a Given Day» in J. Crawford, International Law as an Open System. Selected Essays, 2002, p. 69.
2Voir, par exemple, CR 2012/28, p. 29, par. 11 (Wood) ; CR 2012/29, p. 20, par. 17 (Lowe) ; CR 2012/33, p. 27,
par. 109 (Lowe), et p. 28, par. 112 (Lowe). - 3 -
2. Les proclamations de 1947
2.1. Je commencerai par examiner les instruments de1947-1954 et, tout d’abord, les
proclamations de 1947. Ces procla mations, qui ont donné lieu à la c onclusion de la déclaration de
Santiago, constituent, pour l’essentiel, le contexte de celle-ci. La déclaration de Santiago avait
3
pour objet de les «légaliser» .
13 2.2. La proclamation chilienne n’était pas aussi claire que la proclamation péruvienne en ce
qui concerne la méthode utilisée pour mesurer la proj ection à 200 milles marins vers le large. Il y
était fait référence au «parallèle mathématique». Ce même terme figurait dans le projet chilien
d’article IV, mais il a été remplacé par une référence au parallèle géographique.
2.3. Ensuite, il y a eu le décret présidentiel du Pérou de 1947 . La méthode qui y était
employée pour mesurer la projection maritime étai t parfaitement claire. Le Pérou ne s’est pas
étendu sur ce point, mais il en a dit suffisamment po ur que la Cour sache ce qu’il en était et que, à
cet égard, les Parties sont d’accord. Ce qui est important dans cette méthode de projection ⎯ un
tracé parallèle effectué en recourant aux parallèles de latitude ⎯, c’est que le Pérou ne revendiquait
aucun espace maritime au sud du parallèle passant par le point où sa frontière terrestre avec le Chili
aboutit en mer, la zone revendiquée par le Chili s’ét endant vers le nord jusqu’à ce même parallèle.
Il n’y avait donc aucune solutio n de continuité, ni aucun chevauchement entre ces revendications
respectives, et le Pérou ne prétend pas le contrair e. Ainsi que M. Colson vous le démontrera, la loi
péruvienne sur le pétrole adoptée en 1952 n’a d’aille urs pas modifié cet état de fait du point de vue
des limites latérales.
2.4. Le Pérou tente d’appliquer l’approche adoptée d’un commun accord par le Chili et le
Pérou à la configuration géographique fort différent e qui est celle de la frontière entre l’Argentine
et le Chili. [Projection.] Personne n’a évoqué cette question lors des négociations de1952;
l’attention portait sur les parties à la déclaration.
2.5. Quoi qu’il en soit, les observations du Pé rou relatives à l’application de la déclaration
de 1947 à la côte méridionale du Chili proche de l’Argentine ne tiennent pas compte de la présence
d’îles dans la zone en question. Or, dans sa déclaration, le Chili revendiquait expressément une
3
CMC, vol. II, annexe 59, p. 487.
4
MP, vol. II, annexe 6, p. 26. - 4 -
o
zone maritime d’un rayon de 200milles marins pour l’ensemble de ses îles. Sous l’ongletn 122
[projection], vous pouvez voir l’incidence qu’ont eue les îles sur la projection maritime vers le sud,
telle que délimitée par voie d’accord en 1984 [projection], le Chili étant privé d’une grande partie
de la haute mer. [Fin de projection.]
2.6. Ce qui importe aux fins de la présente espèce, c’est que le Pérou et le Chili sont partis de
l’hypothèse commune que leurs proc lamations de1947 leur conférai ent des projections maritimes
contiguës de 200 milles marins, sans que celles-ci ne se chevauchent.
2.7. [Projection suivante.] M.Lowe a ensu ite examiné le paragraphe3 de la déclaration
o
(onglet n 123). Selon lui, celui-ci établit une zone « pour la chasse à la baleine et la pêche en eaux
profondes» 5. Certes, ce paragraphe commence par indiquer que «des zones de protection de la
chasse et de la pêche maritimes» seront établies. Mais il ajoute «en vertu de la présente déclaration
de souveraineté» .
2.8. La phrase suivante ne concerne, elle non plus, pas seulement la chasse à la baleine ou la
pêche. Dans son intégralité, elle se lit comme suit :
«Sont d’ores et déjà placées sous ledit contrôle et ladite protection toutes les
14 eaux maritimes situées à l’intérieur du périmètre délimité par la côte et par un parallèle
mathématique projeté sur la mer à une distance de deux cents milles marins des côtes
continentales chiliennes.» 7
[Fin de projection.]
3. Les accords de 1952 et de 1954
a) 1952
3.1. J’en viens maintenant aux accords interv enus en1952 et1954. Je les considérerai
d’abord séparément, puis examinerai la relation qui existe entre eux. Selon le Pérou, les limites
latérales des droits maritimes de chaque Etat n’ ont pas même été discutées à Santiago. Le Pérou
soutient en effet que les parties avaient des zon es de souveraineté exclusiv es, mais que celles-ci
étaient dépourvues de frontières latérales et, partan t, de périmètre. Le terme «périmètre» est un
5
CR 2012/33, p. 23, par. 83 (Lowe).
6
MP, vol. II, annexe 27, p. 131, par. 3.
7 MP, vol. II, annexe 27, p. 131, par. 3 ; les italiques sont de moi. - 5 -
autre terme que le Pérou a omis d’examiner examiné mardi: il ne l’a employé qu’une seule fois,
sans commentaire, et en citant un document chilien . 8
3.2. Selon le Pérou, aux termes de l’article IV de la déclaration de Santiago, la projection
maritime des îles était limitée au parallèle passan t par le point où la fron tière terrestre des Etats
concernés aboutit en mer. Le Pérou lui-même considère donc que cette «conférence sur la chasse à
la baleine» a abouti à un accord sur des lign es limitant latéralement des espaces maritimes, au
moins dans une certaine mesure . Le problème, c’est que cette expression «dans une certaine
mesure» fait s’écrouler le magnifique château de cartes rhétorique de M. Lowe.
3.3. Ne se posent donc plus que deux ques tions. Premièrement, ces lignes ont-elles été
adoptées afin de protéger la projection insulaire des îles Galapagos de la ligne d’équidistance tracée
9
de manière «intuitive», comme le Pérou l’ a affirmé pour la première fois mardi , c’est-à-dire à la
toute dernière occasion, dans une affaire qui aura duré cinq années? Ou bien ces lignes
étaient-elles des frontières maritimes, comme le Chili n’a jamais cessé de le dire ? Telle est donc la
première question.
3.4. La seconde est de savoir si l’articleIV était, ainsi que le Pérou le soutient, une
déclaration de nature politique portant sur la manière dont les délimitations devaient être effectuées
à l’avenir, ou si cette disposition a en réalité effectué lesdites délimitations, comme nous le
prétendons, nous.
3.5. Cela nous amène au sens ordinaire de l’ articleIV. A cet égard, M.Lowe a annoncé
10
15 mardi sa conversion à l’approche textuelle . Certes, il a soutenu que l’objet et le but de la
conférence de Santiago était la chasse à la baleine ; selon lui, il s’agissait d’une «conférence sur la
11
chasse à la baleine» . M.Condorelli examinera ce point plus en détail tout à l’heure. Pour
l’essentiel, M.Lowe a cependant privilégié une in terprétation textuelle, même si, lorsqu’il a été
question de 1954, nous avons eu droit à une interprétation textuelle sans texte !
8 CR 2012/33, p. 16, par. 32 (Lowe, citant le projet d’article III du Chili).
9
Ibid., par. 27 (Lowe).
10
Ibid., p. 21, par. 69 (Lowe).
11CR 2012/33, p. 14, par. 14 (Lowe) ; voir également ibid., p. 17, par. 42 (Lowe). - 6 -
3.6. Le Chili a souligné à maintes reprises que, pour savoir si une île est située à moins de
200milles marins de la zone mar itime générale d’un Etat voisin, il est nécessaire de connaître
l’emplacement de ladite zone. M.Lowe n’a pas même tenté de nous répondre sur ce point.
12
M.Pellet, en revanche, l’a fait. Il a invoqué Descartes , en affirmant qu’il allait discréditer ma
logique simpliste. Mais Descartes aurait été fort d éçu de ce qui a suivi, puisque la question est, là
encore, restée sans réponse. C’est qu’en effet, il est impossible d’y répondre : il est impossible de
dire si un pointA est situé à moins de 200milles marins d’un pointB si l’on ne sait pas où se
trouvent les deux points en question. Mais peut-être suis-je insuffisamment Descartésien...
3.7. [Projection: procès-verbal de 1952.] Il ressort du procès-verbal de1952 que ce qui
allait devenir l’articleIV a commencé par être cons titué de trois paragraphes, qui formaient alors
l’article III (onglet n 124) . Le premier paragraphe se lis ait comme suit: «La zone indiquée
comprend l’ensemble des eaux se trouvant à l’intéri eur du périmètre formé par la côte de chacun
des pays et une parallèle mathématique projetée en mer à 200 milles marins du continent, le long de
la frange côtière». Cela correspondait au syst ème de mesure utilisé par le Chili dans sa
proclamation de 1947. Avec cette méthode, les «périmètres» des zones maritimes ont été délimités
par des parallèles de latitude.
3.8. Le deuxième paragraphe du projet d’articleIII accordait aux îles une projection d’un
rayon de 200 milles marins.
3.9. Le troisième paragraphe, quant à lui, ava it pour effet que, si une île était située à moins
de 200milles de la zone mar itime générale, telle que mesu rée dans la première phrase
⎯c’est-à-dire par un «parallèle mathématique» ⎯, alors la zone insulaire devait prendre fin à
l’endroit où elle atteignait la zone maritime générale de l’Etat adjacent.
3.10. J’en viens maintenant à l’intervention de M. Fernández, à laquelle M. Lowe s’est référé
16 mardi. M.Fernández souhaitait «clarifier l’article 3, afin d’éviter toute erreur d’interprétation
concernant la zone de chevauchement en présence d’îles». Il avait une solution précise à proposer
à cette fin, à savoir que «la déclaration pose en principe que la ligne frontière délimitant le domaine
12
CR 2012/34, p. 32, par. 29 (Pellet).
13MP, vol. II, annexe 56, p. 317. - 7 -
maritime de chacun des pays corresponde au para llèle passant par le point où aboutit en mer la
frontière terrestre le séparant des autres».
3.11. Les délégués considéraient qu’il n’y avait pas d’ambiguïté quant à leurs zones
maritimes générales. Celles-ci devaient être situées à l’intérieur du «périmètre» formé par le
parallèle mathématique et la côte, reliés par d es lignes de référence qui n’étaient autres que des
parallèles de latitude.
3.12. Les délégués ne voyaient pas non plus d’am biguïté en ce qui concerne les îles situées à
plus de 200milles marins de la zone générale de l’Etat adjacent ; elles devaient bénéficier d’une
projection à part entière, d’un rayon de 200 milles marins.
3.13. Le seul cas devant être clarifié ét ait celui du chevauchement engendré par les
projections d’îles situées à l’intérieur de la limite de 200 milles de la zone générale adjacente. Pour
résoudre cette difficulté, M.Fernández préc onisait qu’il soit recouru à la même ligne ⎯ la même
ligne ⎯ que celle délimitant la zone maritime gé nérale des Etats adjacents, c’est-à-dire le
«parallèle passant par le point où aboutit en mer la frontière terrestre le séparant des autres». Dans
le procès-verbal, il est consigné que «[t]ous les délégués se sont dits d’accord avec cette
proposition». Le président péruvien et le délégué du Chili ont alors reformulé l’article.
[Fin de projection.]
3.14. Comme nous le savons tous ⎯nous ne le savons que trop bien, vous direz-vous
peut-être ⎯, cela a donné lieu à l’articleIV [ongletn o125]. [Projection: texte.] Le premier
paragraphe de l’ancien articleIII ⎯qui établissait que les zones maritimes générales étaient
mesurées, et qu’il leur était conféré un péri mètre, à l’aide du parallèle mathématique ⎯ a été
supprimé, ce qui n’en a cependant nullement modi fié l’intention juridique ni l’effet: l’élément
important de ce premier paragraphe du projet d’article en a été extrait et a été ajouté à la dernière
phrase du texte définitif de ce qui est devenu l’articleIV. Cet élément n’est autre que la
composante latérale du périmètre des zones mar itimes, qu’elles soient insulaires ou générales,
c’est-à-dire «le parallèle passant par le point où a boutit en mer la frontière terrestre des Etats en
cause». Il s’agissait en effet de la frontière ma ritime, et c’est pour cela l’articleIV a été ainsi
rédigé. - 8 -
3.15. Lorsque la question de l’interprétation de l’articleIV a été soulevée à Lima deuxans
plus tard, le délégué péruvien s’est d’ailleurs spécifiquement référé à ce procès-verbal pour préciser
que, sur la base de l’articleIV de Santiago, «les trois pays consid[érai]ent que la question de la
17 ligne de délimitation des eaux juridictionnelles [était] réglée et que cette ligne [était] constituée par
le parallèle passant par le point où aboutit en mer la frontière terrestre des deux pays concernés» . 14
15
L’accord sur ce point est consigné dans le procès-verbal de 1954 .
3.16. Le Pérou a beaucoup insisté sur le fait que, selon l’articleII de la déclaration de
Santiago, les zones de 200milles fondent «[la ] politique internationale maritime» des Etats
concernés, affirmant que le terme «politique» laissait supposer une certaine ambiguïté ou l’absence
de toute règle en la matière 16. Ma réponse comprend trois volets :
a) Premièrement, la déclaration était bel et bien l’expression d’une «politique», tout à fait
délibérée et fort importante. Une politique d’action. De ce point de vue, elle s’apparentait à la
proclamation Truman, par laquelle avait été affirmée la «[p]olitique des Etats-Unis relative aux
ressources naturelles des sous-sols et fonds marins du plateau continental» 17. Il s’agissait d’une
revendication internationale à effet immédiat.
b) Deuxièmement, la déclaration de Santiago indiquait quel était le «fondement» de cette
politique, autrement dit la règle à suivre.
c) Troisièmement, la politique et le droit ne s’ excluent pas l’un l’autre, comme le montre cet
épisode.
18
3.17. Le Pérou affirme que la déclaration s’entendait de lege ferenda . Cela vaut
incontestablement pour les Etats tiers, certains d’entre eux ayant protesté activement, d’autres ayant
émis des réserves sur ces questions. Mais il convient, là encore, de souligner trois aspects
essentiels :
a) Premièrement, les zones proclamées en1952 sont celles qui existent aujourd’hui. Elles n’ont
jamais fait l’objet d’un retrait ou d’un renoncement. Les Parties les ont confirmées, ainsi que
14CMC, vol. II, annexe 38, p. 3-4 (voir l’onglet n 6 du dossier de plaidoiries du Chili, jour 1).
15 o
Ibid., annexe 39, p. 10 (voir l’onglet n 7 du dossier de plaidoiries du Chili, jour 1).
16
CR 2012/33,p ; 14, par. 14 (Lowe).
17MP, vol. III, annexe 88, p. 407 ; les italiques sont de moi.
18CR 2012/33, p. 53, par. 11 (Treves). - 9 -
leurs limites, pendant les «longues années» qui, co mme la Cour l’a fait observer dans l’affaire
Roumanie c. Ukraine , allaient être nécessaires pour qu’elles soient généralement acceptées. Il
n’y a pas eu de solution de continuité.
b) Deuxièmement, aussitôt signée, la déclaration a fait droit pour les Parties, leur imposant des
obligations inter se ; nos collègues de la Partie adverse n’en contestent d’ailleurs pas la validité.
c) Troisièmement, c’est le Pérou qui a plus partic ulièrement donné activement effet aux limites de
18
la zone en tant qu’entité établie. Ainsi, le Diez Canseco a tiré 16 coups de canon en direction
20
de bateaux de pêche non armés . Par ailleurs, la flotte bale inière d’Onassis a été interceptée
⎯à l’intérieur de cette zone, soit dit en passant—, arraisonnée et condamnée à payer une
21
amende de 3millions de dollars . Enfin, un appareil de l’armée de l’air des Etats-Unis, qui
n’avait pas annoncé son survol de la zone, a essuyé des tirs et un membre d’équipage a été tué 22.
Ces attaques auraient toutes été de lege ferenda ? Le Pérou a fait usage de la force, et ce, pour
appuyer sa revendication de souveraineté.
3.18. [Projection : art. III.] Le Pérou n’a cessé de marteler que la déclaration de Santiago ne
concernait que les baleines, et peut-être quelques poissons. C’est comme s’il pensait qu’à force de
le dire et de le répéter, il parv iendrait à convaincre la Cour de ne pas se pencher sur l’article III de
o
la déclaration de Santiago (onglet n 126). Celui-ci se lit comme suit: «La juridiction et la
souveraineté exclusives sur la zone maritime indiquée entraînent également souveraineté et
juridiction exclusives sur le sol et le sous-sol de ladite zone». Sans oublier, dans le cas du Pérou,
l’espace aérien. Nulle trace de chasse à la balein e, à moins qu’il ne s’agisse de l’insaisissable
baleine foreuse australe, balaena cunicularia australis, ou, en ce qui concerne la revendication de
souveraineté du Pérou sur l’espace aérien, de la rarissime baleine volante, balaena citivolus. [Fin
de projection.]
3.19. En fait, il s’agit d’une prétention sur le plateau continental f ondée sur la distance, ce
que le Pérou a simplement décidé d’ignorer.
19Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 87, par. 70.
20
CMC, vol. III, annexe 122, p. 785 ; voir aussi annexe 75, p. 557, et CMC, vol. V, annexe 315, p. 1864-1865.
21CMC, vol. IV, annexe 163, p. 986.
22Ibid., vol. V, annexe 309, p. 374-375 ; voir aussi ibid. vol. IV, annexe 221, p. 1321-1322. - 10 -
3.20. L’argument du Pérou selon lequel l’ensemb le de la déclaration de Santiago n’est que
pure spéculation au sujet de ce qui pourrait ou non se produire à l’avenir néglige deux autres points
essentiels. Premièrement, la déclaration a conf éré un statut conventionnel aux proclamations
de 1947, qui visaient toutes deux clairement le plat eau continental, sur une distance de 200milles
marins, ainsi que les eaux surjacentes. Deuxièmement, la loi péruvienne sur le pétrole de
23
mars1952 s’appliquait au plateau c ontinental de 200milles du Pérou . Il s’agissait déjà de
revendications internationales en 1947. La déclara tion de Santiago les a légalisées, et ne les a pas
transformées en simple expression d’une volonté politique.
3.21. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous n’avons entendu,
mardi, aucune réponse sensée à mon analyse d es accords proprement dits. En revanche, nous
24
19 avons, et ce, pour la première fois, entendu des idées fort créatives . Vous vous souviendrez
certainement de ce diagramme tout à fait remarquable.
[Projection.]
3.22. Il y a trois jours à peine, au cours de son second tour de plaidoiries, le Pérou nous a
proposé une nouvelle interprétation de la disposition conventionnelle qui est au cŒur de la présente
espèce. D’une certaine manière, cela en dit suffisamment long.
3.23. Les prémisses sur lesquelles repose le nouvel argument du Pérou ne tiennent pas. La
première de ces prémisses est que, en 1952, l’utili sation de lignes d’équidistance pour délimiter les
25
zones maritimes était «intuitive» . Cela est faux. La seconde prémisse est que, en1952, les
Parties à la déclaration de Santiago auraient appliqué la méthode des arcs de cercle pour mesurer la
projection de leurs prétentions maritimes. C’est également faux, et M.Colson vous en fera la
démonstration.
3.24. Pour les besoins de l’argumentation, pe rmettez-moi cependant de retenir ces prémisses
dans mon raisonnement. La nouvelle interprétation du Pérou vide de sa substance l’article IV, qui
indique clairement que chaque Etat dispose d’un e «zone maritime générale » et que chaque «île
ou … groupe d’îles» possède sa propre «zone maritime ». Jusqu’à mardi, cela était entendu. A cet
23MP, vol. II, annexe 8, p. 35, art. 14 (4).
24
Voir CR 2012/33, p. 15, par. 26, à p. 21, par. 68 et 71 (Lowe).
25Ibid., p. 16, par. 27 (Lowe). - 11 -
égard, vous vous souviendrez de l’explication donn ée par le Pérou dans ses écritures au sujet des
domaines maritime générés par les îles équatorie nnes du golfe de Guayaquil, dont la projection
était limitée par le parallèle de latitude passant par le point où aboutit en mer la frontière terrestre .
3.25. Mardi, le Pérou a cependant renoncé à ce tte idée et retenu à la place, dans le golfe de
Guayaquil, une ligne d’équidistance donnant «plein effet aux îles». [Projec tion.] Plein effet en
vertu des principes de délimitation modernes, c’est-à-d ire en plaçant des points de base sur les îles
et en créant une zone maritime unifiée, mais en privant les îles du golfe de l’effet qui leur avait été
attribué d’un commun accord en application de la déclaration de Santiago.
3.26. Monsieur Lowe vous a certes montré, brièvement, ce que donnerait la projection de
SantaClara en application de l’articleIV [proj ection], mais pour la faire disparaître aussitôt,
laissant planer l’incertitude sur cet espace coloré en jaune. [Projection.] L’explication était,
semble-t-il, que SantaClara ne générait aucune projection maritime distincte de la côte
continentale. Seules, nous a-t-on déclaré, les Galapagos produisaient cet effet. Elles seraient donc,
dirait-t-on, les seules à bénéficier de la protection 27de l’articleIV. Voilà qui est nouveau et qui
n’est pas étayé par cette disposition.
20 3.27. C’est là méconnaître complètement la pr emière phrase de l’articleIV. SantaClara,
comme toute autre île du golfe de Guayaquil ou toute autre île chilienne, péruvienne et
équatorienne, s’est vu attribuer sa propre projec tion d’un rayon de 200 milles par la déclaration de
Santiago. Par l’effet de l’articleIV, la projec tion de SantaClara est amputée à l’endroit où elle
atteint le parallèle passant par le point où la frontière terrestre aboutit en mer. La nouvelle
interprétation du Pérou va donc à l’encontre des termes sans équivoque de la déclaration de
Santiago.
3.28. [Projection.] Toujours mardi, le Pé rou a ensuite posé que la ligne d’équidistance
intuitive se poursuivrait, intuitivem ent, là encore, à travers la projection de 200milles des
Galapagos. Le représentant équatorien, qui, en19 52, semblait considérer le parallèle comme un
moyen de protéger la zone maritime des Galapagos contre les ravages de la ligne d’équidistance
intuitive, avait insisté sur le résultat que vous voyez apparaître sur vos écrans [projection].
26
MP, par. 2.6 et figure 2.2 ; RP, par. 4.77 et 4.103 à 4.105.
27
CR 2012/33, p. 18, par. 44 (Lowe). - 12 -
ML. owe s’est montré très élogieux à son égard, déclarant que cela avait été «fort
28
judicieusement» relevé. Judicieusement, certes, si le délégué équatorien avait prévu
l’équidistance et les arcs de cercle, et si, sans aucun moyen de calculer une ligne d’équidistance, il
en avait évalué le tracé à travers la zone des Galapagos et s’était prononcé en faveur du parallèle.
3.29. Mais il y a un autre problème. Sur le di agramme qu’il nous a montré mardi, le Pérou a
construit la ligne d’équidistance à l’aide de points de base situés sur Santa Clara, alors que, pour les
Galapagos, il n’en utilise aucun. Il est étrange que ces îles ⎯ que l’Equateur voulait, aux dires du
Pérou, protéger ⎯ n’aient pas été prises en compte dans le tracé de la ligne d’équidistance. Ce que
nous avons appris mardi, c’est que le Pérou ava it simplement prolongé, sur 800milles marins, la
ligne d’équidistance générée par SantaClara et la partie continentale du Pé rou, ne tenant aucun
compte de la zone maritime de l’archipel qu’elle traversait.
3.30. Monsieur Fernández, qui était si perspi cace, n’aurait pas commis pareille erreur. S’il
avait utilisé des points de base situés sur les Ga lapagos pour construire sa ligne d’équidistance
intuitive, il aurait constaté que ces îles étaient parfait ement capables de se protéger. [Projection.]
Voici la ligne d’équidistance du Pérou, incluant les Galapagos : elle leur donne plein effet, certes,
mais c’est bien ce que dit l’article IV.
3.31. Mais il y a encore un autre problème. La déclaration de Santiago n’a pas rayé de la
carte toutes les îles du sud-est du Pacifique. [Proj ection.] Prenons les îlesDesventuras, qui sont
21 chiliennes. Si, en1952, les délégués avaient projeté des lignes d’équidistance au-delà de
200milles marins, comme ils se sont réservés le dr oit de le faire, ce sur quoi repose la nouvelle
hypothèse du Pérou, alors ils auraient atteint ces îles chiliennes peu après les Galapagos. Au bout
du compte, la ligne d’équidistance aurait placé ce «groupe d’îles» à l’intérieur de 200 milles de la
«zone maritime générale» de l’Etat adjacent.
3.32. Il aurait inéluctablement découlé du libellé de l’article IV que leur zone maritime aurait
été délimitée non par la ligne d’équidistance, mais «par le parallèle passant par le point où aboutit
en mer la frontière terrestre des Etats en cause». [Projection.] Vous pouvez le voir à l’écran.
28
CR 2012/33, p. 18, par. 49 (Lowe). - 13 -
Voilà ce à quoi leur zone «protégée» aurait ressemblé: à une sorte de «hernie». Toute
interprétation de l’article IV aboutissant à ce résultat est simplement ridicule.
3.33. La seule interprétation sensée de l’article IV, c’est de considérer que la frontière
maritime est le parallèle de latitude et que celui -ci délimite la projection frontale de chaque Etat
ainsi que les projections insulaires ; autrement, cela ne fonctionnerait pas.
3.34. Nous sommes désormais d’accord sur le fait que les représentants qui se sont réunis à
Santiago en 1952 sont convenus de quelque chose au sujet des espaces sur lesquels portaient leurs
revendications de souveraineté et de juridicti on maritimes. Nous sommes également d’accord sur
le fait que, quel que soit l’usage qu’ils aient fait du parallèle, ils en ont fait usage bien au-delà de
200millesmarins de la côte. Voilà qui, soit di t en passant, sonne le glas des prétentions
péruviennes sur l’Alta Mar.
3.35. Trois hypothèses ont été présentées à la C our en ce qui concerne le terrain d’entente
auquel les Etats sont parvenus en1952. La pr emière est celle qui a été formulée par le Pérou
mardi, et qui se présente ainsi [projection]. La deuxième est celle qui, sur cette même base, confère
à SantaClara l’effet qui lui revient, en applica tion de l’article IV; c’est ce que disait le Pérou
jusqu’à mardi, et cela ressemblerait à ceci [projection]. Mais je ne sais pas si cette option est plus
intuitive ou si elle l’est moins. La troisième hypothèse n’est autr e que la ligne dont le Chili et
l’Equateur ont, depuis 1952, toujours déclaré qu’elle était celle qui avait été établie par l’article IV :
là voici [projection].
3.36. La question est donc de savoir laquelle de ces trois hypothèses a été retenue par les
représentants qui se sont réunis à Santiago en 1952 et ont établi leurs frontières maritimes à l’aide
29
de «lignes qu’il est aisé et simple de reconnaître» , lignes qui leur permettaient de coopérer en vue
de défendre les limites de leurs espaces maritimes co ntre les protestations d’Etats tiers ! Avec tout
le respect dû à mes contradicteurs, la réponse à cette question est évidente.
22 b) 1954
3.37. J’en viens aux accords de1954, que le Pérou n’a que très brièvement évoqués mardi
dernier. L’approche suivie par le Pérou en mati ère d’interprétation des traités est particulièrement
29
DC, vol. II, annexe 22, p. 115. - 14 -
éloquente pour ce qui concerne l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale. En
effet, le Pérou voudrait que la Cour fasse abstr action du sens clair des termes «frontière maritime»
qui figurent à l’article premier. Une approche textuelle plus conventionnelle consisterait pourtant à
commencer par s’interroger sur le sens ordinaire des termes «frontière maritime».
3.38. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, le sens ordinaire des termes
«frontière maritime» n’est autre que frontière maritime…
3.39. [Projection.] Comme vous pouvez le constater à l’écran, le Pérou s’est écarté de ce sens
o
ordinaire (ongletn 129). Voici la zone frontière mariti me spéciale. Et voici la frontière
revendiquée par le Pérou. Les deux sont radicalemen t différentes : elles ne se chevauchent pas, car
la zone frontière commence à 12 milles au large. Une zone frontière maritime ne contenant aucune
frontière maritime serait effectivement spéciale.
3.40. Le Pérou espère réduire le tort manifest e que cet accord cause à sa thèse en affirmant
que ce dernier ne s’applique que près de la côte. Or, il ne s’appliquait précisément pas près de la
côte ; il ne s’appliquait qu’au-delà des 12 premiers milles marins de la frontière. Rien, absolument
rien, pour reprendre les termes de M.Lowe, n’indi que que la frontière mar itime aussi clairement
reconnue dans l’accord ait été autre chose qu’une fr ontière intégrale valant pour la totalité de
l’espace maritime revendiqué par chaque Partie. [Fin de la projection.]
3.41. Le Pérou tente ensuite de qualifier de provisoire l’accord de 1954 en se fondant sur le
paragraphe4 de l’article74 de la CNUDM. Bien évidemment, la Cour s’est déjà trouvée en
présence d’un «arrangemen[t] provisoir[e] de caractère pratique», et ce, dans l’affaire des
Pêcheries islandaises. Dans cette affaire, il était expressément indiqué dans l’instrument en
question qu’il s’agissait d’un «accord provisoire sur les pêcheries … , en attendant un règlement du
différend au fond et sans préjudice de la position juridique ni des droits de l'un ou l'autre
gouvernement à cet égard» 3. Les exemples de pareils accords provisoires sont nombreux.
L’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale ne s’y apparente en rien.
30Accord du 13 novembre 1973, cité dans Compétence en matière de p êcheries (République fédérale
d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 17-18, par. 36. - 15 -
23 3.42. Ce à quoi il s’apparente, en revanche, c’ est à l’accord entre la Colombie et l’Equateur
de 1975, qui établit lui aussi une zone tampon. Le texte espagnol est d’ailleurs quasiment identique
31
à l’article premier de l’accord de 1954 .
3.43. Mardi matin 32, M.Lowe a accusé le Chili de prétendre que les références au
«parallèle» étaient autant de références à la «frontière maritime» : «Tel est le vice qui entache toute
l’argumentation du Chili; telle est la faille qui fait s’effondrer sa thèse.» 33 Ce sont là des termes
sévères. M. Lowe n’a pu en trouver qu’un seul exempl e, mais un «bon», a-t-il précisé. Il s’agissait
de l’annexe120 à la duplique du Chili, une résolution de la CPPS contenant le projet de l’accord
relatif à une zone frontière maritime spéciale. Vous la trouverez sous l’onglet n o 128 du dossier de
plaidoiries. M. Lowe a estimé que la traduction ét ait imprécise et, au nom du Chili, je vous prie de
nous en excuser. Vous voyez ici l’original espagnol de la résolution ainsi qu’une traduction exacte,
34
extraite de notre duplique .
3.44. [Projection.] Sur ce même document, comme vous pouvez le constater, figure la
mention «frontière maritime internationale». Il y est question de «violations…de la frontière
maritime». M. Lowe a cependant raison de dire qu e, lorsque le projet de résolution de la CPPS a
été communiqué aux délégués à Lima, l’articlepr emier ne faisait menti on que du parallèle, pas
d’une quelconque frontière maritime . Jusque-là, tout va bien. Mais la Cour sera certainement
intéressée de savoir ce qu’il est advenu de ce projet lors de la conférence de Lima.
3.45. Eh bien voici, et je cite le procès-verbal :
«Sur proposition de M.SalvadorLara, le principe adopté à Santiago, selon
lequel le parallèle passant par le point où a boutit en mer la frontière terrestre de deux
pays signataires constitue la limite entre la zone de juridiction des deux pays, a été
intégré à cet article.»
L’article premier a donc été modifié comme suit :
«Une zone spéciale est créée par le présent Accord à une distance de 12 milles
marins de la côte et avec une largeur de 10 milles marins de part et d’autre du parallèle
qui constitue la frontière maritime entre les deux pays.»
31
Accord entre la Colombie et l’Equateur, 23août 1975 (entré en vigueur le 22décembre 1975), RTNU,
vol. 996, p. 239.
32
Voir CR 2012/33, p. 29, par. 114-116 (Lowe).
33Ibid.
34DC, par. 5.11. - 16 -
M.Lowe a bien fait référence à certains ex traits de ce procès-verbal, mais il a passé sous
silence ce passage. Or, le texte final de l’artic le premier de l’accord de 1954 reproduit fidèlement
ce texte. [Fin de projection.]
24 3.46. Un autre argument, auquel le Pér ou a désormais renoncé, est que cet accord
s’appliquait seulement entre l’Equateur et le Pé rou. L’intervention du délégué de l’Equateur,
M.Lara, n’avait rien à voir avec les îles. Le mot «îles» n’apparaît pas dans l’accord. Les trois
Etats sont, dans cet accord, convenus d’une form ulation précisant explicitement à quel «parallèle»
ils faisaient référence : il s’agissait du «parallèle qui constitu[ait] la frontière maritime».
3.47. M.Lowe a demandé comment les cartographes auraient pu établir une carte
représentant la frontière maritime sur la base de l’article IV 35. Eh bien, la réponse est la suivante :
ils l’auraient fait exactement de la façon énoncée par le Pérou dans son décret présidentiel de 1955,
lequel faisait expressément référence à l’article IV de la déclaration de Santiago et précisait
comment le domaine maritime du Pérou devait être représenté sur les cartes.
3.48. M.Lowe a également demandé si les né gociateurs présents à Santiago auraient pu
36
penser qu’ils venaient de délimiter des frontières maritimes . Nous avons déjà vu ce qu’ils avaient
déclaré dans le procès-verbal. M. Lowe vous a montré un rapport du parlement péruvien indiquant
ce qui, selon le gouvernement, s’était passé à San tiago et Lima. Mardi dernier, le Pérou a fait
figurer trois des onze pages de ce document dans le dossier de plaidoiries de la session 2, omettant
toutefois la page où il est expressément fait mention de ses «frontières maritimes» 37. Il vous a
38
montré la signature de M.Peña Prado , mais il n’a rien dit du discours prononcé par celui-ci
devant le parlement, dans le quel il expliquait que les conféren ces interétatiques de 1952 et 1954
39
avaient établi des frontières maritimes .
35
CR 2012/33, p. 21, par. 70 (Lowe).
36
Ibid., p. 14, par. 16 (Lowe).
37Dossier de plaidoiries du Pérou, session2, 4décembre 2012, ongletn o31 ; cf. RP, vol. II, annexe 6 ; DC,
vol. III, annexe 78 et DC, par. 2.80.
38Dossier de plaidoiries du Pérou, second tour, 11 décembre 2012, onglet n 99.
39CMC, vol. IV, annexe 246, p. 1467. - 17 -
c) 1952 et 1954
3.49. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, M. Lowe a dit mardi dernier
que n’importe quel «juriste un tant soit peu compét ent» verrait que la déclaration de Santiago n’a
40
pas établi de frontière . [Projection.] Eh bien, voici ce qu’ en pensait le présidentJiménez de
Aréchaga, qui n’était pas qu’un juriste un tant soit peu compétent, et je cite l’onglet n o130 :
25 «Le fait que la frontière maritime es t effectivement constituée par un parallèle
de latitude partant du continent a été confirmé par les parties dans un accord signé le
4décembre1954. Dans le premier article de cet accord, il est fait référence au
41
parallèle qui constitue la frontière maritime entre les deux pays.»
Et c’est là l’avis d’un juriste plus que compétent.
3.50. Le Pérou soutient que, si la déclarati on de Santiago n’a pas satisfait aux stricts critères
qui sont les siens en matière d’accords de délimitat ion, alors les accords ultérieurs ne le peuvent
pas non plus. En cherchant à dissocier les événements survenus de 1952 à 1954, il ignore la clause
d’intégration des accords de1954, et, pour ce qui concerne les accords de 1968 et1969,
l’article 31 3) a) de la convention de Vienne sur le droit des traités.
3.51. Quant au lien entre 1952 et 1954, les Parties sont convenues que l’accord de1954
relatif à une zone frontière maritime spéciale faisait partie intégrante de la déclaration de Santiago.
Les accords de1952 et 1954, pris séparément ou conjointement, établissent l’existence d’une
frontière maritime convenue pour l’intégralité de la zone maritime de chaque Etat. Ils doivent être
lus conjointement, et, de cette manière, indiquent expressément que «le parallèle qui constitue la
frontière maritime entre les deux pays» est «le para llèle passant par le point où aboutit en mer la
frontière terrestre des Etats en cause».
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, C.Q.F.D.
Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre M. Colson.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford. Je donne la parole à M. Colson. J’en profite
pour lui demander s’il veut bien déplacer le micr ophone vers sa gauche, plus au centre. Non,
comme ça. Voilà, merci. Monsieur Colson, vous avez la parole.
40
CR 2012/33, p. 30, par. 122 (Lowe).
41CMC, vol. V, annexe 279, p. 1647. - 18 -
M. COLSON :
L E DÉCRET PRÉSIDENTIEL PÉRUVIEN DE 1955 ET
LA LIMITE EXTÉRIEURE DE LA ZONE DU P ÉROU
1.1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de me prêter
attention. M.Crawford ayant de nouveau anal ysé minutieusement la déclaration de Santiago et
l’accord de1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, j’en reviens au décret présidentiel
de1955 et vais répondre aux arguments avancés par M.Lowe et sirMichaelWood au sujet de la
méthode des arcs de cercle et de celle du tracé parallèle.
26 1. Introduction
1.2. Je dirai d’abord quelques mots de mon désa ccord avec les conseils de la Partie adverse
au sujet de la définition de la limite extérieure de la zone maritime du Pérou qui figure dans la loi
péruvienne de 1952 sur le pétrole, et quant à l’ar gument de M. Lowe selon lequel seul l’emploi de
la méthode des arcs de cercle permet d’obtenir une distance minimum.
1.3. D’abord, la définition de la limite extérieure de la zone du Pérou qui figure dans la loi
de1952 sur le pétrole: cette loi définit cette li mite extérieure comme étant «une ligne imaginaire
tracée en mer à une distance constante de 200 milles marins depuis la laisse de basse mer le long de
42
la côte continentale» .
1.4. Cette loi ne dit pas comment cette distan ce constante est mesurée. Il pourrait s’agir
d’une distance constante de 200milles mesurée le long de parallèles où d’une distance constante
entre chaque point de la limite ex térieure et le point de la côte le plus proche. Pour répondre aux
préoccupations exprimées par M. Lowe au su jet de l’obtention d’une distance minimum , on peut
dire qu’une ligne peut être tracée à une distan ce minimum de 200 milles soit selon la méthode du
tracé parallèle, qui consiste à mesurer la distance le long d’une série de lignes parallèles, soit selon
la méthode des arcs de cercle. Le terme «au mo ins» employé à l’articleII de la déclaration de
42
MP, vol. II, annexe 8.
4CR 2012/33, p. 16, par. 34 (Lowe). - 19 -
Santiago ne renvoie pas à la méthode des arcs de cercle, malgré ce que M.Lowe voudrait nous
faire croire44.
1.5. [Affichage du graphique n 1.] La définition classique de la méthode des arcs de cercle
figure à l’article 6 de la convention sur la mer territo riale et la zone contiguë de 1958, dont le texte
o
se trouve sous l’onglet n 132 de votre dossier et s’affiche main tenant à l’écran. Elle est reprise
dans les mêmes termes, exactement le s mêmes, à l’article 4 de la c onvention sur le droit de la mer
de 1982. Je cite : «La limite extérieure de la me r territoriale est constituée par la ligne dont chaque
point est à une distance égale à la largeur de la mer territoriale du point le plus proche de la ligne de
45
base» .
1.6. Comme vous pouvez le constater, cette définition comprend deux éléments absents de
celle qui figure dans la lo i péruvienne sur le pétrole 46, à savoir la mention de chaque point de la
ligne extérieure, et la mention des points de la côte les plus proches. Or, la définition correcte de la
27 méthode des arcs de cercle associe obligatoirement ces deux éléments. Ceux-ci sont absents de la
loi sur le pétrole, aussi bien d’ailleurs que du d écret présidentiel de1955. En conséquence nous
maintenons que la loi péruvienne de 1952 sur le pétrole et le décret présidentiel de 1955 n’ont pas
introduit la méthode des arcs de cercle dans la pratique du Pérou. [Désaffichage du
o
graphique n 1.]
2. Le décret présidentiel péruvien de 1955
1.7. Pour défendre sa thèse selon laquelle le dé cret présidentiel de1955 ne traite que de la
limite extérieure de la zone du Pérou, sirMich aelWood a considérablement insisté sur ce qu’il
présente comme le motif de la promulgation du décret, à savoir la saisie par la marine péruvienne
44
Cr2012 /28, p. 13. Par.6 (Lowe).
45
Convention sur la mer territorial et la zone contig, faite à Genève le 29 avril 1958, entrée en vigueur le
10 septembre 1964 ; Nations Unies, Recueil des traités, vol. 516, p. 205 ; voir également la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer, signée à Monte go Bay le 10 décembre 1982, NationsUnies, Recueil des Traités, vol. 1833, p. 3,
art. 4.
46
MP, vol. II, annexe 8, art. 14 (4) («Plateau continental. Il s’agit de la zone située entre la limite occidentale de
la zone côtière et une ligne imaginaire tracée en mer à udistance constante de 200milles marins depuis la laisse de
basse mer le long de la tecontinentale»). - 20 -
47
des baleiniers Onassis , affirmation dont je relève qu’elle n’est en rien corroborée par les éléments
de preuve versés au dossier. Dans les deux interventions où il a abordé ce point, sir Michael Wood
n’a d’ailleurs fait aucune citation. Pour notre part, nous avons, ces jours derniers, passé en revue la
documentation disponible pour le cas où une référen ce à ce point aurait échappé à notre attention,
mais nous n’avons rien trouvé. García Sayán, dans sa monographie, fait bien mention de l’incident
Onassis, mais il n’établit aucun rapport entre celui-ci et le décret présidentiel de 1955 . Nous nous
demandons pourquoi le Pérou, s’il est si sûr de ce qu’ il avance, n’en fournit aucune preuve. Si la
question est traitée dans des documents péruviens internes, nous ne les avons pas vus, la Cour ne
les a pas vu, et nous ne pouvons que spéculer sur ce qu’ils disent.
1.8. Sir MichaelWood a affirmé également que les navires Onassis avaient été interceptés
alors qu’ils chassaient la baleine à une distance de la côte péruvienne les situant au-delà de la ligne
49
du tracé parallèle, mais en-deçà de la ligne des arcs de cercle . Il n’a pas non plus cité à l’appui de
cette affirmation un quelconque élément de preuve figurant au dossier. [Affichage du
graphique n 2.] En fait, les éléments de preuve qu’a fournis le Pérou semblent la réfuter. Le
rapport du ministère péruvien des relations extéri eures annexé au mémoire relate la saisie des
naviresOnassis opérée le 15novembre1954; il y est dit que les navires ont été interceptés à
50
126milles de PuntaAguja mais sans aucune autre précision sur les coordonnés du lieu . Le
graphique maintenant affiché, que vo us trouverez aussi sous l’ongletn o134 de votre dossier,
représente la zone maritime située dans un rayon de 126 milles marins de Punta Aguja (distance qui
est évidemment plus grande que 126milles terrest res; nous avons en effet retenu l’hypothèse la
plus prudente). Vous pouvez voir que la zone se trouve tout entière en deçà de la ligne des
200 milles marins mesurés à partir des côtes péruviennes selon la méthode du tracé parallèle. Il y a
donc lieu de s’interroger sérieusement sur la validité des explications fournies par
sirMichaelWood quant aux événements qui ont motivé la promulgation du décret présidentiel
de 1955. [Désaffichage du graphique n 2 ⎯ Affichage du graphique n 3.] o
47
CR 2012/33, p. 39, par. 29 (Wood) ; voir également CR 2012/28, p. 28, par. 38 (Wood).
48MP, par. 4.86, citation de E.García Sayán, Notas sobre la Soberanía Marítima del Perú, 1955, p. 35-37.
49CR 2012/33, p. 39, par. 29 (Wood). - 21 -
28 1.9. En tout cas, nous avons connaissance d’un fait certain: le Chili a joint à son
contre-mémoire le texte d’une lettre datée du 21 novembre 2000, adressée au ministre péruvien des
relations extérieures par le ministre péruvien de la défense, ainsi que l’annexe de cette lettre. Le
o
texte de la lettre figure sous l’onglet n 133 de votre dossier et est main tenant affiché à l’écran. Je
ne vais pas vous en donner lecture, mais je vous invite à en prendre soigneusement connaissance.
Il en ressort clairement qu’il y a seulement douze ans, le ministre péruvien des relations extérieures
n’interprétait pas la loi sur le pétrole de 1952, ni d’ailleurs le décret présidentiel de 1955, comme le
fait aujourd’hui le conseil du Pérou. Il est question de cette lettre au paragraphe2.121 du
contre-mémoire du Chili, et son texte et celui de son annexe figuren t à l’annexe189 du
contre-mémoire. Je vous présente mes excuses pour avoir la semaine dernière, à propos de cette
lettre, fait référence par erreur à la duplique pl utôt qu’au contre-mémoire , mais la citation qui
figurait dans le texte préparé pour mon intervention était la bonne. J’avais alors relevé que le Pérou
n’avait rien dit de cette lettre, ni dans sa réplique, ni lors de son premier tour de plaidoiries, et je
constate qu’il n’en a pas non plus été question lors de son second tour de plaidoiries. [Désaffichage
o
du graphique n 3.]
1.10. Le Chili s’en tient à sa position, qui est que le décret présidentiel de 1955 avait pour
objet de définir les limites de toutes la zone du Pérou, et que c’est bien à cela qu’il a servi Le
décret présidentiel de1955 est expressément ment ionné, et même cité intégralement, dans le
message officiel que le ministre péruvien des relations extérieures a adressé au Parlement à
l’occasion de la ratification des accords de 1952 et de ceux de 1954 . 51
Et nous savons que dans l’accord relative à une zone frontière maritime spéciale de 1954, il
est manifestement question des limites latérales de la zone du Pérou, vu qu’il y est fait mention du
«parallèle [de latitude] qui constitue la frontière maritime» . 52
50
MP, vol. III, annexe 98.
51 MP, vol, III, annexe 95. Dans cette annexe du mémoirela page3 de ce document est omise; elle se trouve
toutefois dans la version complète dudocument déposée auprès du Greffe en même temps que le mémoire du Pérou
(doc. 78).
52Ibid., vol. II, annexe 50, article 1. - 22 -
1.11. Le Pérou a relevé que j’avais dit que le Cour n’avait pas à trancher la question de
savoir quand le Pérou avait commencé à employer la mé thode des arcs de cercle. C’était là, de ma
part, une observation quant à la nature des arguments avancés par le Pérou. Le Pérou est tellement
obnubilé par la méthode des arcs de cercle et l’ affichage d’images de z ones chevauchantes de
200 milles marins qu’il n’a pas encore compris que son argumentation desservait sa cause et venait
étayer solidement celle du Chili.
1.12. Si la Cour veut bien m’en donner licence, je voudrais maintenant me livrer à une brève
démonstration de ce que je viens d’avancer.
29 3. Démonstration comparant l’application de la méthode des arcs de cercle
à celle de la méthode du tracé parallèle
1.13. Nous l’avons dit la semaine dernière, le fait que les deux Etats ont employé la méthode
du tracé parallèle, et retenu comme lignes de constr uction géométrique des parallèles de latitude,
signifie que les deux zones maritimes sont adossées l’une à l’autre le long du parallèle de la latitude
du point terminal de la frontière terrestre, et ce fait entraine également d’autre conséquences
importantes. Le passage pertinent se trouve à la page37 du compte rendu de l’audience de jeudi
après-midi. Il est intéressant de noter que le Pérou n’a pas vraiment contesté cette position du
Chili. Sir Michael Wood a évoqué au passage l’importance que le chili attache à ce point de vue,
mais il ne l’a pas contesté 5. Il est bien vrai que nous y attac hons de l’importance. Le graphique
maintenant affiché sur votre écran montre la situation telle qu’elle devait se présenter en 1947 et au
moins jusqu’à la promulgation en 1952 de la loi sur le pétrole.
1.14. Si le Pérou a raison de considérer que sa loi sur le pétrole implique que sa zone
maritime soit définie selon la méthode des arcs de cercle, la limite extérieure de celle-ci étant
constituée par une ligne dont chaque point serait à une distance de 200milles marins du point le
plus proche de la ligne de base, comme le veut la définition correcte de la méthode des arcs de
cercle, qui n’est pas celle formulée dans la lo i sur le pétrole où il est question de «distance
constante» ⎯ la situation se présenterait comme le montre le graphique affiché maintenant. Le
Chili, ayant choisi la méthode de tracé parallèle , la zone revendiquée par lui ne se serait pas
53
CR 2012/33, p. 39, par. 33 (Wood). - 23 -
étendue au nord du parallèle passant par le point terminal de la fron tière terrestre. Toutefois, la
zone de 200milles marins que le Pérou aurait dé finie selon la méthode des arcs de cercle aurait
empiété sur la zone maritime de 200 milles du Chili.
1.15. Un chevauchement très fâcheux se serait ains i produit. Pareille situation, si elle s’était
effectivement présentée, aurait bien évidemment suscité un différend entre le Pérou et le Chili. Si
le Pérou avait adopté à l’époque une attitude aussi agressive à son égard, le Chili n’aurait jamais
convoqué une conférence à Santiago en1952. L’én ergie dont il avait besoin pour défendre sa
revendication d’une zone de 200 milles vis-à-vis des grandes puissances maritimes se serait trouvée
détournée vers le règlement d’un différend frontalier b ilatéral. Rien de tel ne s’est produit. Le
Chili et le Pérou ont coopéré. Cela indique nettement que la loi péruvienne sur le pétrole n’était
entendue ni par le Pérou ni par le Chili comme néces sitant l’application de la méthode des arcs de
cercle.
1.16. Ensuite, la déclaration de Santiago a été adoptée. Comme nous le savons, son article II
permet à chaque Etat d’étendre sa zone de 200mill es. Le Pérou admet que l’articleII s’applique
au Chili. Toutefois, si le Chili en était venu à étendre le champ de ses prétentions en exerçant le
droit que lui confère l’article II, tandis que de s on côté le Pérou aurait revendiqué une zone définie
30 selon la méthode des arcs de cercle, la zone fais ant l’objet d’une contestation entre les deux Etats
n’aurait fait que grandir. En fait, la ligne qu’a urait définie le Pérou selon la méthode des arcs de
cercle aurait enveloppée la zone du Chili de te lle sorte que celui-ci se serait trouvé dans
l’impossibilité d’étendre le champ de ses prétentions comme lui en donne le droit l’article II. Il ne
fait aucun doute que pareil scénario est une impossi bilité. Il est impossible, en effet, que les
signataires de la déclaration de Santiago aien t voulu que ses articlesII et IV puissent produire un
tel effet.
1.17. Je vais passer maintenant à l’article IV. Le Pérou n’admet pas que cet article ait établi
une frontière entre lui-même et le Chili, alors pourtant qu’il admet que le Chili a le droit d’étendre
sa zone en vertu de l’articleII. Ainsi, la «version» ⎯pour reprendre le terme aimablement
employé la semaine dernière par M. Treves 54, la version que propose le Pérou n’est pas celle d’une
54
CR 2012/33, p. 54, par. 15 et p. 55, par. 19 et 20 (Treves). - 24 -
zone de chevauchement symétrique pouvant être heureusement divisée par une ligne d’équidistance
55
comme l’a suggéré M. Lowe . Au lieu de cela, la logique de la version de la réalité défendue par
le Pérou est qu’en dépit de la si gnature de la déclaration de Sant iago, il n’existe pas de frontière
entre sa zone maritime et celle du Chili, que la zone du Pérou chevauche celle du Chili et que le
Pérou bloque toute extension de la zone du Chili, l’empêchant ai nsi d’exercer le droit que lui
confère l’article II. Pareille scénario est bien peu vraisemblable.
1.18. Je reviens maintenant à l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime
56
spéciale . Le Pérou lui-même admet que le pa rallèle dont il est convenu qu’il constitue la
frontière fonctionne comme tel, du moins dans une certaine mesure. Donc, d’une manière ou d’une
autre, ce parallèle doit avoir sa place dans le scénario du Pérou. Dans l’accord de 1954 relatif à une
zone frontière maritime spéciale, la référence au parallèle signifiait que le Pérou cesserait d’être en
position de contester la zone de 200 milles du Chili en invoquant la méthode des arcs de cercle, et
ne ferait pas obstacle à l’exercice par le Chili de son droit d’extension en bloquant sa zone du fait
de l’effet d’enveloppement de la limite de sa propre zone. Le Pérou prétend bien entendu que
l’accord relatif à une zone frontière maritime spéci ale n’était que préliminaire ou provisoire. Ces
assertions ne sont que le produit de raisonnement a posteriori des conseils du Pérou. A l’époque,
le Pérou n’a émis aucune réserve de la sorte.
1.19. Vient ensuite le décret présidentiel de 1955 57. Que dit ce texte? Il dispose que la
limite extérieure de la zone du Pé rou s’arrête aux parallèles constituant les frontières. Si le Pérou
en venait à employer la méthode des arcs de cercle alors que le décret prévoit que la limite
extérieure de sa zone s’arrête au parallèle passant par le point terminal de la frontière terrestre, ledit
point serait déplacé comme l’indique le graphique qui s’affiche maintenant à l’écran, où il est
repéré comme étant le point X.
31 1.20. Selon l’interprétation du Chili, il était entendu et convenu que par l’effet des articles II
et IV de la déclaration de Santiago, le para llèle constituant la frontière servirait à délimiter
l’étendue de toutes les revendications présentes et à venir. Peu importait alors que le Chili, le
55Ibid., p. 15-16, par. 26-27 (Lowe).
56
MP, vol. II, annexe 50.
57CMC, vol. IV, annexe 170, p. 1025. - 25 -
Pérou ou l’un et l’autre optent pour la méthode du tracé parallèle ou celle des arcs de cercle, ou
qu’ils étendent leurs zones au-delà de 200 milles marins. Il était entendu entre eux que jamais leurs
zones respectives ne déborderaient le parallèle constituant leur fron tière, parce que celui-ci était la
limite commune, convenue et à vocation générale.
1.21. Voilà pourquoi nous avons dit que l’in vocation de la méthode des arcs de cercle ne
servait pas la cause du Pérou. En fait, considéré à la lumière du décret présidentiel péruvien
de 1955, l’argument des arcs de cercle ne fait que confirmer le bien-fondé de la position du Chili.
Le Pérou comme le Chili ont agi en tant qu’Etats ouverts sur le Pacifique. Aussi ont-ils choisi,
comme l’a dit le président de Aréchega «la project ion directe et linéaire de leurs territoires et
58
frontières terrestres dans les mers adjacentes ». Ou peut-être s’agi ssait-il, comme l’a dit le
président Bustamante Y Rivero dans son opinion individuelle dans les affaires du Plateau
continental de la mer du Nord , «d’obtenir des plateaux de forme rectangulaire» ( République
fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt,
C.I.J. Recueil 1969, opinion individuelle du président Bust amante y Rivero, p.61, par.6 b)).
Contrairement à ce que le Pérou prétend aujourd’hui , il n’était pas question que, par le jeu de la
méthode des arcs de cercle, les zones des deux Etats se chevauchent ou que la zone du Pérou
enveloppe la limite extérieure de celle du Chili.
Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie les Membres de la Cour pour leur
patiente attention.
Monsieur le président je vous prie de bien vouloir donner la parole à M. Condorelli.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Colson. I give the floor to
Professor Condorelli.
58
CMC, vol. V, annexe 280, p. 1655. - 26 -
Mr. CONDORELLI: Thank you, Mr. President.
REMARKS ON THE OBJECT AND PURPOSE OF THE 1952 AND 1954 TREATIES
1. Introduction
1. Peru’s (belated) recognition that the San tiago Declaration is a treaty entails the (again
belated, but most welcome) recognition that the cr iteria and principles of interpretation relating to
treaties are fully applicable to that Declaration. One can only rejoice at seeing counsel for Peru
finally discover this elementary truth, at seeing th em being forced to try to overcome their fear on
32 the subject and thus obliged to begin talking about applying those criteria and principles. This has
at long last (and thankfully) made it possible for a comprehensive debate to take place before the
Court, which will therefore be able to rule in full knowledge of the relevant arguments of both
sides.
2. Just a moment ago, Professor Crawfo rd re-stated Chile’s position concerning the
interpretation to be given to the treaties in ques tion, and he gave a fitting response to the latest
objections made by our opponents. It falls to me to supplement his presentation with a few remarks
on the object and purpose of the 1952 and 1954 Agreemen ts. Peru, in fact, tries to bolster its
argument by a process which consists essentially in misrepresenting and minimizing the object and
purpose of those treaties: indeed, they are portrayed as having an object and purpose which
immediately preclude the possibility that the contracting parties intended to delimit their respective
maritime zones or to confirm and apply such a delimitation. This presentation aims to highlight
and thwart that attempt at misrepresentation.
3. As the International Law Commission points ou t in its commentary to point[3.1.5.1] of
the Guide to Practice on Reservations to Treaties , the act of interpretation aimed at identifying the
object and purpose of a treaty (which, according to Alain Pellet, requires “ esprit de finesse”) must
be carried out in good faith, “taking account of the terms of the treaty in their context” 59. As
attested by the Commission, the Court deduces the object and purpose of a treaty, either in isolation
5Guide to Practice on Reservations to Treaties, comment ary to point[3.1.5.1] (Det ermination of the object and
purpose of the treaty, Reporof the International Law Commission toe General Assembly, Sixty-third session ,
26 April-3 June and 4 July-12 August 2011 (doc. A/66/10/Add. 1) pp. 359-360. - 27 -
60 61
or in conjunction, from various elemen ts, such as the title of the treaty , the preamble , an article
placed at the beginning of the treaty which “must be regarded as fixing an objective, in the light of
which the other Treaty provisions are to be interpreted and applied” ( Oil Platforms (Islamic
Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports
1996 (II), p. 814, para. 28), or even an article of the treaty which demonstrates “[t]he major concern
33 of each contracting party” during the conclusion of the treaty 6, or again the travaux
63 64
préparatoires , or the general tenor of the treaty . I would note in passing that, among the
evidence to be taken into consideration, th e Commission does not include the terms of the
invitations to participate in the diplomatic conference, from which the treaty to be interpreted arose,
or the wording of the agenda of that conference: one so-called argument desperately maintained by
our friends on the other side of the Bar. In fact, as Professor Crawford observed on Thursday
6 December, the invitations and agenda are far from conclusive: “[w]hat matters is what the States
65
agreed when they met” and, I would add, what counts is the object and purpose that they decided
to assign to the agreement they concluded.
2. The object and purpose of the Santiago Declaration
4. Mr. President, what are the object and purpo se of the Santiago Declaration? In its written
pleadings and oral arguments, Peru adopts two main lines of approach in this respect.
5. The first approach gives prominence to the argument that, by means of the Declaration,
the contracting parties intended to react “in the face of predatory whaling and fishing by foreign
66
fleets”— those were the words of Ambassador Wagner . With this in mind— we were told—
6Certain Norwegian Loans (France v. Norway), Judgment, I.C.J. Reports 1957, p. 24.
61
Rights of Nationals of the United Stat es of America in Morocco (France v. United States of America),
Judgment, I.C.J. Reports 1952 , p.196; Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.
United States of America), Merits , Judgment, I.C.J. Reports 1986 , p.138, para.27Territorial Dispute (Libyan Arab
Jamahiriya/Chad), Judgment, I.C.J. Reports 1994 , pp.25-26, para.52; and Sovereignty over Pulau Ligitan and Pulau
Sipadan (Indonesia/Malaysia), Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 652, para. 51.
6Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibia), Judgment, I.C.J. Reports 1999 (II), pp. 1072-1073, para. 43.
6Territorial Dispute (Libyan Arab Jamahi riya/Chad), Judgment, I.C.J. Reports 1994 , pp. 27-28, paras. 55-56;
Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibia), Judgment, I.C.J. Reports 1999 (II), p. 1074, para. 46.
6Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Prel iminary Objection, Judgment,
I.C.J. Reports 1996 (II), pp. 813-814, para. 27; Sovereignty over Pulau Ligitan and Pulau Sipadan (Indonesia/Malaysia),
Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 652, para. 51.
6CR 2012/30, p. 53, para. 3.47 (Crawford).
66
CR 2012/27, p. 19, para. 10 (Wagner). - 28 -
the Parties decided to extend to 200nautical m iles their exclusive jurisdiction over the natural
resources of the sea. Following the Agent of Peru, who set the tone in his introduction of
67
3 December, each of the opposing counsel, and especially Professors Lowe and Wood , referred in
turn to the limited aim pursued by the Declaration, which, they said, was thus concerned mainly
with curbing predatory whaling and the unauthorized exploitation of fisheries. Such being the
purpose of the Declaration, there was no point —they suggested— in worrying about the
boundaries between the maritime zones of the three countries.
34 6. The second approach emphasizes instead (although not necessarily as an alternative) the
assertion that the focus of the Santiago Declar ation “was more on maintaining a common front
against third States than on creating national maritime zones” — as was stated by Professor Lowe
on Tuesday 6. And ProfessorPellet made much the same claim: “we are not here faced with a
delimitation agreement, but in fact with a mani festo describing the policy that the signatories
intended to follow vis-à-vis the rest of the world” 69; it is, in short— according to
Professor Pellet — a sort of “collective unilateral instrument” whereby the three signatories set out
“their joint policy on the conservation and exploitatio n of their natural resources vis-à-vis all other
States of the world” 70. Under those circumstances— Professor Pellet assures you— one can
understand why the States “did not concern themselves with the details of the delimitation of zones
over which they proclaimed their exclusive sovereignty and jurisdiction” 71.
7. Those two approaches have in common the fact that they are shaped in such a way as to
appear to justify the unjustifiable: namely disregard for, or even outright failure to take account of,
the provisions of the Santiago Declaration concer ning the delimitation of the maritime zones to
which claims are made: that is precisely what Peru intended to do.
8. Let me clarify one point immediately. Ch ile does not at all claim what Peru would have
you believe it does, namely that the 1952 Declar ation is nothing but a maritime delimitation
6CR2012/28, p.17, para.28 (Lowe); ibid., p.18, para.32, an d p.23, para.54ibid., p.28, para.9 (Wood);
CR 2012/33, p. 14, para. 16 (Lowe).
6CR 2012/33, p. 26, para. 97 (Lowe).
69
CR 2012/34, p. 33, para. 30 (Pellet).
7Ibid., p. 34, para. 31 (Pellet).
7Ibid., p. 34, para. 30 (Pellet). - 29 -
agreement, a treaty whose sole object and purpose is delimitation 72. The Declaration’s object and
purpose are undeniably much broader. However, they are mutilated by Peru’s descriptions of
them. The purpose of the Santiago Declaration is far from being confined exclusively to what is
claimed under the first approach, namely to put an end to the plundering of fish stocks, and
predatory whaling in particular, in the waters o ff the coasts of the signatory States; rather, its
purpose (as the Preamble makes abundantly clear) 73 is to safeguard for their respective peoples all
35 of the natural resources of the maritime zones in question by placing them under their exclusive
sovereignty and jurisdiction; that includes the seabed and subsoil although, as far as I know, there
are no subterranean whales! The second approa ch rightly lays stress on that aspect of the
Declaration that is concerned w ith the joint international maritim e policy of the three parties in
relation to the rest of the world, but it completely fails to take any account of the inter partes
section on the proclamation of exclusive sovereignt y and jurisdiction. However, the Declaration
explicitly states in the clearest of terms: to each his own maritime zone! In other words, although
all three States proclaim their sovereignty in con cert, they each claim sovereignty over a maritime
zone which, they agree, is distinct from the zones of the other two.
9. If due account is taken of the object a nd purpose of the Santiago Declaration, it is
perfectly reasonable and logical that one should be able to find contained therein criteria for
identifying the limits of the maritime zone of each of the three parties in relation to that of the
adjacent State: to find anything else would ha ve been surprising! ArticleIV meets that
requirement in full.
3. The object and purpose of the 1954 Lima Agreements
10. Mr. President, I shall now turn to the object and purpose of the 1954 Lima Agreements;
as you are well aware, all six contain a common clause which establishes their provisions as
constituting an integral and supplementary part of the 1952 Agreements, and thus of the Santiago
Declaration in particular. This integrated relati onship with the 1952 Declaration is made plain in
the recitals of the Complementary Convention to the Declaration of Sovereignty on the
72
CR 2012/33, p. 19, para. 56 (Lowe).
73
MP, Vol. II, Ann. 47, p. 259. - 30 -
Two-Hundred-Mile Maritime Zone. What is more, the precise reasons for the drafting of the
1954instruments could not be indicated more cl early in that title: those agreements were
concluded with the aim of fulfilling the intenti on expressed in 1952, to “subscribe agreements or
74
conventions related to the application of the principles governing that sovereignty” . The
reference to Article VI of the Santiago Declaration — which contains similar wording 75— is clear,
36 and that helps to explain why the 1954 Agreemen ts, agreements relating to the application of
principles agreed in 1952, are designed to impl ement those principles and to supplement them
where necessary, while immediately precluding any m odification or alteration. There is nothing,
and I mean nothing, to justify Peru’s allega tion that these are provisional or transitional
instruments. Moreover, it should be noted th at the principles established by the Santiago
Declaration, which are to be enforced by the 1954 Agreements, are designed to be future-proof.
11. The object and purpose of the 1954 Agreem ents could not have been more clearly
specified. The multiple references therein to th e lateral boundaries between the maritime zones of
the three States demonstrate and confirm that t hose boundaries were established by the Santiago
Declaration and that, in 1954, it was a matter of adopting implementing measures in relation to
those boundaries also. This is further evidenced by the fact that each of the six agreements opens
with the statement that, by its adoption, the cont racting States are acting “in accordance with what
was agreed” in resolution No. X adopted on 8 October 1954 by the Permanent Commission of the
Conference on the Exploitation and Conservation of the Marine Resources of the South Pacific: it
was that resolution, I would recall, which record ed that, by means of the 1952 Agreements, the
three countries “determined the maritime zones ove r which they have exclusive jurisdiction and
sovereignty” 7: over which they each have exclusive jurisdiction and sovereignty!
12. Peru has said a thousand times in a variety of ways that the repeated references to the
maritime boundaries between the signatories as contained in the Agreement on the Special
Maritime Frontier Zone are dependent on the “lim ited purpose” of that instrument, which “was to
7MP, Vol. II, Ann. 51, p. 280 (second recital of the Complementary Convention).
75
Ibid., Ann. 47, p. 259.
7CMC, Vol. II, Ann. 40, p. 358. - 31 -
avert disputes involving artisanal fishermen on small vessels fishing near to the coast” 77. In
accordance with that limited purpose— it is alleged— a sort of special mini-boundary was
temporarily established for near-shore fishing activ ities, which had absolutely no effect on the
overall maritime boundary. That explanation does not hold water, nor is any support for it to be
found in the texts of the 1954 Agreements, as Prof essor Crawford has just reiterated. What is
more, it refers to only one of the six 1954 Lima Ag reements; the other five also contain express
37 references to the lateral boundaries between the ma ritime zones of the three countries or overtly
presuppose their existence, and they do so without any reference to near-shore fishing activities, as
I demonstrated in my presentation last Friday7. The Court will be able to take account of the fact
that our friends on the other side of the Bar prefer red to maintain an impenetrable silence on that
important issue.
13. That concludes my presentation, Mr. President. I should like to offer my heartfelt thanks
to the Members of the Court for listening to me patiently, and I should be grateful, Mr. President, if
you would give the floor to Professor Dupuy — now, or after the break should you so prefer.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Condorelli. In view of the time, I shall give the
floor to Professor Dupuy to speak on behalf of Chile.
DMUr.UY:
THE INITIATIVE TAKEN IN SANTIAGO AND THE CONSTRUCTION OF A SYSTEM
OF REGIONAL EQUITY WITH A UNIVERSAL VOCATION
1. Mr.President, Members of the Court, the question which Judge Bennouna put to the
Parties has the great merit of allowing us to set the Santiago Declaration in its historical context; it
also enables us to identify the role played by the Declaration in affirming regional solidarity for the
purpose of promoting the quest for equity, as part of a new vision of the objectives of international
law. That equity needed to be built both be tween the Parties and between them and others,
including between countries which had reached different stages of economic development.
77
CR 2012/28, p. 28, para. 9 (Wood). See also ibid., p. 31, para. 21; CR 2012/33, pp. 27-28, para. 109 (Lowe).
78CR 2012/32, p. 54 et seq., para. 33 et seq. - 32 -
2. There is no doubt that the three States parties to the Santiago Declaration were fully aware
of the audacity and novelty of their initiative jointly to proclaim “exclusive sovereignty and
jurisdiction over the sea” to a distance of 200 nautical miles from their coasts, according to
Article II of the Declaration.
3. In this brief pleading I shall address three points: first, the historical context in which this
38 initiative needs to be understood (I); secondly, the legal scope which its proponents expected it to
have (II); finally, and above all, the fundamental aim of the Declaration, which was to promote a
renewal of international law based on a new concept of equity between States, at both regional and
universal level.
I. Historical context of the Declaration
4. To cut a long story short, I would be te mpted to say that the Santiago Declaration lies
somewhere between HarryTruman, AlejandroAl varez and the subsequent search for a new
international order, both in the economic field and in the political and environmental field.
Truman, because it was he who paved the way for the unilateral assertion of sovereign rights over
new maritime spaces; Alvarez, because that great Chilean internationalist, being already aware of
the disparities in levels of development and the danger of a stranglehold being exerted over the
international law of the sea by the major powers re sponsible for its development, called tirelessly,
to the end of his days, for the assertion of a “new international law”, to cite the title of the small
tome which he published in 1960. That testamen tal work, which he appears to have written in
haste in order to sum up the ideas which he had consistently advocated, deals with both the regional
specificity of the international legal tradition inLatin America and the universal aspiration for a
review of the objectives of a new international law, a law which was henceforth to treat sovereignty
no longer solely as a strictly political matter but also as an economic matter. The ideas expressed
by Alvarez were not his alone; they were shar ed with varying degrees of intensity by all the
peoples of the American subcontinent, which remain ed so close to Europe culturally but at the
same time was so exposed to the long-standing predatory attentions of the major western powers.
5. Seen in that light, in particular, the San tiago Declaration represents the first manifestation
of a claim which was political, economic and, at the same time ⎯ to use a term not yet in vogue in - 33 -
those days ⎯ environmental. The desire to safeguard the natural resources adjacent to their coasts
appeared to the States to be an economic necessity in order to protect the rights of their “peoples”,
a notion which is explicitly set forth in Article II of the Declaration.
39 6. All of this constituted an embryonic a ffirmation of a new “international development
79
law”, a field which has been studied in particul ar depth by one of the members of this Court and
which derives support from Resolution1803 of th e United Nations General Assembly. As we
know, barely ten years after the Santiago Declaration and with peoples’ rights at its core, its central
principle would be permanent sovereignty over na tural resources. I shall now examine the scope
which the three States parties to the Declaration intended to attribute to their audacious initiative.
II. Scope of the Declaration
7. Chile, Peru and Ecuador knew that they were going to incur the wrath of the great
maritime powers. And sure enough, as we have se en, a salvo of vehement protests was fired, first
by the United Kingdom, then by the Unite d States, Norway, Sweden, Denmark and
80
the Netherlands . A good many flags of States in possession of ocean-going vessels thus seemed
to converge on these distant shores in order to st op the coastal States claiming rights over the sea,
rights which the law of the time, under the total dom ination of an extensive interpretation of the
freedom of the high seas, was so obviously denying them.
8. Furthermore, it is possible to obtain a preci se idea of the state of the law of the sea at the
time exactly contemporaneous with the Declaration: to do so it is sufficient to consult the very first
documents which the new International Law Commission devoted to the régime and the
81
delimitation of the territorial sea and the high seas , as well as the continental shelf. In this regard,
one is struck by the fact that, in the area of maritime delimitation, a lthough the idea of using a
median line was emerging, it was greeted with ev ident scepticism by such eminent members of the
Commission as ManleyHudson and GeorgesScelle, both of whom expressed their doubts at that
79
M. Bennouna, Droit international du développement, Paris, Berger-Levraut, 1983, see in particular
pp. 101 et seq.
80CMC, vol.III, Ann.60, p.489; ibid., Ann.68, p.527; ibid., Ann.62, p.501; ibid., Ann.63, p.505; ibid.,
Ann. 64, p. 509; ibid., Ann. 65, p. 513; ibid., Ann. 66, p. 517.
81See, in particular, the Memorandum presented by th e Secretariat, United Nations, document A/CN.4/32 (1950),
Yearbook of the International Law Commission 1950, Vol. II, p. 67. - 34 -
time about the possibility of establishing any general principle in this regard, due to the diversity of
82
the individual situations .
40 9. What did attract obvious support, however, was the necessity of achieving the delimitation
by means of an agreement. An agreement negotiated between States bordering a common sea was
still the preferred approach, albeit not the only one, while recourse to the courts or the international
arbitrator was reserved for those cases in which th e parties had definitely failed to find a mutually
satisfactory solution.
10. Being aware that this was the state of the law, the three States therefore had recourse to
an agreement, the one constituted by the Decl aration but also by the agreements which
accompanied it, in 1952, and followed it, in 19 54. The Declaration solemnly proclaimed the
objective of protecting natural resources and assigned each party its own area of jurisdiction, on the
basis of the preliminary delimitations already asser ted by Chile and Peru in 1947, and in keeping
with the regional tradition of relying on geographic parallels.
11. Given the constraints on the internati onal positive law of the time, which stood in
opposition to the protective and forward-looking aims of the three States concerned, it is necessary
to draw a distinction between two aspects of the effect of the treaties which were concluded in
Santiago in 1952 and then in Lima in 1954.
12. Inter se, inter partes , as Professor Condorelli said, that is to say between the parties,
these treaties, beginning with the Declaration, are quite clearly a source of mutual obligations,
whose régime is governed by the pacta sunt servanda principle.
13. With regard to third parties , however, the question arises as to whether they are
enforceable, despite the fact that they ca n in principle be categorized as so-called objective treaties
since they fix territorial ⎯ albeit maritime ⎯ boundaries.
14. Even if the intention was for the treaties to be enforceable against third parties, that
objective was clearly not achieved, at least not in itially, as we have just seen from the salvo of
protests with which they were greeted. However, if we consider the fate which history had in store
for them, if only in the medium term, we note th e extent to which that series of agreements from
82
Yearbook of the International Law Commission1951, Vol.I, Summary records of the third session, p.287,
para. 120; Yearbook of the International Law Commission 1952, Vol.I, Summary records of the fourth session, p.184,
para. 46. - 35 -
1952 to 1954 shows that the States concerned had r ealized before many others that there was a
need to review the international law of the sea to take into account the requirements of peoples’
right to development.
15. The twentieth century, more than any ot her before it, was a period when the pace of
history accelerated and as early as 1969, when your Court issued its landmark Judgment, we know
the extent to which the parties to the dispute, but also the majority of the Court’s judges, regarded
41 this trilateral delimitation by means of geographic parallels as a legally relevant fact which could
be taken into consideration. It is therefore hardly surprising that Mr. Bákula ⎯ a name, Members
of the Court, which will no doubt be familiar to you ⎯ expressed satisfaction when he declared on
behalf of Peru, this time on 2May 1975, at the 48 thmeeting of the Third United Nations
Conference on the Law of the Sea:
“Peru had decided in 1947 to exercise full sovereignty and jurisdiction over the
seas adjacent to its coast up to a distance of 200 miles. It was not the first or the only
State to do so: the right has been recogni zed as legitimate by the International Court
of Justice. Such acts of sovereignty obviously had an influence on the development of
the law of the sea. Some 30 developing countries were already exercising their right
to safeguard their natural resources, ec onomic independence and sovereignty by
83
similar measures.”
16. That intervention by Mr.Bákula was all the more remarkable given that the Court
judgment to which he referred was the one rendered in the Norwegian Fisheries case, which
includes an individual opinion of Judge Alejandr o Alvarez, in which he comments on the maritime
84
boundaries situation in Latin America .
17. To conclude on the destiny of the Santia go Declaration, Mr.President, Members of the
Court, it could be regarded as one of the first blows ⎯ but a severe blow ⎯ to be dealt to the so-
called “persistent objector” doctrine, given that, as we know, the contemporary law of the sea now
accords States sovereign rights on a customary basis over an area up to a distance of 200 nautical
83Intervention by Mr.Bákula, 48thmeeting of the Third United Nations Conference on the Law of the Sea,
2 May 1975, document A/CONF.62/C.2/SR.48, extract from the Official Records of the Third United Nations Conference
on the Law of the Sea, VolumeIV (Summary Records, Plenary, General Committee, First, Second and Third
Committees, as well as Documents of the Conference, Third Session, p. 77, para. 23,
<http://untreaty.un.org/cod/diplomaticconferences/lawofthesea-1982/docs/…;.
84Fisheries (United Kingdom v. Norway), Judgment, I.C.J.Reports1951, individual opinion of Mr.Alvarez,
pp. 147 and 150. - 36 -
miles from their coasts. What is the Santiago Decl aration? It is, therefore, a normative strategy
which succeeded.
18. Mr. President, I now turn to my final point ⎯ still following on from Judge Bennouna’s
felicitous question ⎯ which is the equitable dimension of the solution favoured by the Santiago
Declaration.
42 III. The quest for a new solution, based on equity
19. As Professor Condorelli recalled a moment ago, the object and purpose of a treaty is vital
for discerning its implications. I shall not return to that point. However, what remains to be
pointed out is the fact that this joint enterprise was based on solidarity. An initiative which was so
novel, and which the States concerned knew would unleash a terrific storm of protest, could not be
taken by any one of them alone, however long its coasts were.
20. It was necessary, by common agreement, to forget once and for all the effects of a now
bygone war, to which they had long ago given th e name of the adjacent ocean, and thus assert the
solidarity of the western coastal States of the Latin American subcontinent in the face of the
maritime cupidity of foreign flags. The three signatories to the Santiago Declaration shared not
only their culture, their history and the Bolivarian heritage, but also the same level of development.
Above all, they were equally exposed to the danger of predatory actions by third parties. It was
vital to establish a common front, with each State acting within its own maritime domain in order
to achieve an identical objective.
21. Moreover, the aforementioned success of th eir joint initiative was due precisely to the
fact that it was based on that conjunction of shar ed claims, and we know the terms in which they
again reaffirmed their effective and forward- looking solidarity at the beginning of the Third
Conference on the Law of the Sea 85.
22. In order to ensure the success of this join t effort to drive foreign fishing vessels further
out to sea, Chile, Peru and Ecuador therefore had recourse to the simplest and best known system at
86
regional level, under a tradition that was recalled in particular by President Jiménez de Aréchaga .
85
MP, Vol. III, Ann. 108, p. 631 and see tab 138 of Chile’s judges’ folder, day 3.
86
CMC, Vol. V, Ann. 279, p. 1647. - 37 -
That system was, as you know, the system of ge ographic parallels which is again being shown on
the screen .7
43 23. As you can see, the series of parallels be tween the three States, which were soon to be
joined by Colombia and Panama 8, was the means chosen almost s pontaneously by them in order
jointly and severally to proclaim how far thei r “sovereignty and jurisd iction” extended over the
seas, each State thus immediately knowing the area within which it would have to ensure respect
for common resources, common at least as far as the fisheries resources, in particular, were
concerned, since whales and fish are blissfully unaware of maritime boundaries!
24. As Ecuador would say in a note addressed to Argentina, the thr ee States parties to the
agreements of 1952 and 1954, which would soon form the Permanent Commission of the South
Pacific in order to strengthen their co-operati on, employed delimitation lines “of easy and simple
89
recognition” . Faced with the growing danger of depleti on of natural resources, it was essential to
act quickly and with all requisite efficiency.
25. The acknowledged imperative of cooperati on is also mentioned in the minutes of the
1954Complementary Convention, which was inte nded precisely to organize the co-operation
between the member States 90.
26. We thus see strikingly str ong affirmation of the fact that, far from being contrary to
equity, the choice of parallels of latitude was the vehicle and guarantee of that equity. It
established, on a basis which was regarded as e quitable, the foundations for and the means of
exercising active solidarity against a danger which threatened each of the States individually and all
of them simultaneously.
27. This is, furthermore, what is illustrate d by the conduct of a man whom Peru was very
careful not to mention during its second round of or al argument: PresidentBustamenteyRivero,
who as President of the Republic masterminded Peru’s delimitation before becoming President of
the International Court of Justice. I shall not return to the Court’s Judgment on the North Sea
87
See tab 139 of Chile’s judges’ folder, day 3.
88CMC, Vol.IV, Ann.214, pp.1273 and 1277 and Treaty on the Delimitation of Marine and Submarine Areas
and Related Matters between Colombia and Panama, 20November 1976, United Nations, Treaty Series, Vol. 1074,
p. 221 (tab 64 of Chile’s judges’ folder, day 2).
89RC, Vol. II, Ann. 22, p. 115.
90CMC, Vol. II, Ann. 38, p. 339. - 38 -
Continental Shelf. Is it necessary to recall here that it is the landmark ruling on the precise issue of
equity in the law of maritime delimitation?
44 28. If the Court now considers what the effect would be of challenging the equitable
division, based on solidarity, which since 1952 has b een constituted by parallels of latitude, and
replacing it, for example, with delimitations based on equidistance between all the countries
concerned, it will note that the only country to benefit would be none other than Peru 91. In
maintaining today that it is necessary to subs titute equidistance for the boundaries which were
established by means of agreement in 1952 and 1954, Peru is adopting an individualistic stance and
expressing its desire to break with the very spir it which presided over that regional alliance against
the depletion of natural resources.
29. However, that position is untenable, as is shown, moreover, by the concession which
Peru had to make to Ecuador when it agreed in th at case to revert to the line of the parallel, which
had of course never ceased to exist.
30. There is no doubt, Mr.President, Members of the Court, that equity cannot be built on
the ruins of solidarity! Thank you.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Dupuy.
Le PRESIDENT : Thank you, Professor Dupuy. L’audience est suspendue pour 20 minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 35 à 11 h 55.
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est rouverte, et j’invite à la barre
M. Paulsson. Monsieur Paulsson, vous avez la parole.
M. PAULSSON :
L A COMMISSION MIXTE DE 1968-1969
1. Tentatives, par le Pérou, de déconsidérer la commission mixte de 1968-1969
1. Les travaux de la commission de 1968-1969 re vêtent une réelle impor tance, mais je ne
m’y arrêterai pas plus de cinq ou six minutes, parce que l’essentiel, à ce sujet, a déjà été dit. Le
91
See tab 140 of Chile’s judges’ folder, day 3. - 39 -
Pérou a tenté de minorer ce qui s’était passé en 1968-1969. De même qu’au premier tour,
sirMichael Wood a apparemment consacré moins de cinq minutes à ce que, non sans dédain, il a
appelé les «phares côtiers de 1968-1969». Voilà ce à quoi il voudrait vous faire croire que cette
question se résume : des phares côtiers.
2. Sir Michael ne s’est en réalité penché que sur une série de documents ⎯un échange de
45
notes, constitué, d’une part, par une note anonyme datée du 6févr ier1968 et adressée au chargé
d’affaires chilien par le ministère péruvien des relations extérieures 92et, d’autre part, par la réponse
93
dudit chargé d’affaires .
3. Pour sirMichael, les «textes importants » concernant les phares ne seraient pas «ceux
94
qu’invoque le Chili» , mais les notes en question. Et voilà qui suffirait, dans son esprit, à le
dispenser ne serait-ce que de mentionner ⎯et donc, afortiori, d’analyser ⎯ les nombreux
documents officiels émanant de hauts responsabl es que je vous ai moi-même présentés de manière
relativement détaillée au cours du premier tour.
4. Voici la note péruvienne dont vous a parlé sirMichael ⎯elle apparaît à l’ongletn o142.
Elle tient en une page, et n’a rien de bien rema rquable. Voyez vous-mêmes : la version originale,
en espagnol, vous est donnée à gauche. Nous ignor ons de quel département e lle émane, elle n’est
pas signée et elle nous a simplement été présentée comme une note «du ministère».
5. SirMichael s’est empressé de relever que cette note ne contenait aucune référence à la
matérialisation de la frontière maritime. Peut-ê tre bien. Mais lorsque lui-même a paraphrasé le
texte, et parlé de marques d’alignement destinées «aux pêcheurs», force est de constater que ces
mots n’apparaissent pas davantage dans la note ⎯ vous aurez beau la lire et la relire, vous ne les y
trouverez pas, ils sont le fait de sir Michael.
6. Or c’est tout ce que nous a dit Sir Mich ael. Il n’a fait aucun cas des nombreux accords
conclus, ou correspondances s’y rapportant échang ées en 1968-1969 entre hauts responsables des
deux Etats. Ce qu’il vous a présenté, ce sont d es notes dénuées de tout intérêt échangées entre
fonctionnaires de moindre rang avant que les choses sérieuses ne commencent.
92MP, vol. III, annexe 71.
93
Ibid., annexe 72.
94CR 2012/33, p. 43, par. 42 (Wood). - 40 -
7. Vendredi dernier, j’avais pourtant passé en revue les instruments conclus par de hauts
95
représentants des deux gouvernements . Aujourd’hui je n’en rappe llerai que quelques-uns: à la
suite des communications de février et mars, les délégués des Parties se rencontrèrent en
avril 1968. Comme vous pouvez le voir à présent sur vos écrans, ainsi qu’à l’onglet 143, ils étaient
chargés de «matérialiser le para llèle [vous vous souviendrez de ces mots] constituant la frontière
maritime à partir de la borne frontière n o 1» . Ils procédèrent à des travaux de reconnaissance sur
97
le terrain et en mer , au terme desquels ils proposèrent d’in staller deux marques d’alignement le
o
long du parallèle passant par la borne n 1. Dans un échange de notes daté d’août 1968, les Parties
46 confirmèrent qu’elles acceptaient cette proposition dans son intégralité 9. Il s’agissait là d’un
accord international, Monsieur le président, créant de s obligations qui devaient, de part et d’autre,
être respectées de bonne foi. L’expression «matér ialiser le parallèle constituant la frontière
maritime» était reprise dans ces notes. Celle du Pérou, en date du 5 août, est à présent projetée sur
vos écrans, et vous pouvez également la c onsulter à l’onglet144; comme vous vous en
souviendrez, elle portait la signature de M. Pérez de Cuéllar 99.
8. Dans le même échange de notes, les Parties convinrent de charger la commission mixte de
o
«vérifier la position de la borne n 1 et d’indiquer l’emplacement définitif des tours ou des marques
d’alignement 100». La commission mixte réalisa ensuite des travaux approfondis sur le terrain en
o
août 1969 : en particulier, elle détermina topographiquement le pa rallèle passant par la borne n 1,
et fixa l’emplacement des marques d’alignement. Comme vous pouvez à présent le voir à l’écran,
ainsi qu’à l’onglet145, le 22août1969, les chef s des délégations établirent conjointement, et
soumirent à leurs gouvernements respectifs, un rappor t officiel rendant compte des travaux de la
commission et consignant la «décision de la commission mixte Chili-Pérou chargée de vérifier
l’emplacement de la borne frontière n o 1 et de signaler la frontière maritime» 101.
95CR 2012/31, p. 22, par. 16 ; p. 24, par. 25 ; p. 26, par. 24 et p. 28, par. 28 (Paulsson).
96
MP, vol. II, annexe 59, par. 1.
97
Ibid., par. 2.
98MP, vol. III, annexe 74, par. 1 ; ibid., annexe 75, par. 2.
99Ibid.
100Ibid., par. 2. Voir aussi MP, vol. II, annexe 75, par. 3.
101
CMC, vol. II, annexe 6. - 41 -
9. Comme, donc, vous l’aurez constaté, les réfé rences à la matérialisation de la frontière
maritime faites par les hauts responsables des deuxEtats sont nombreuses. Elles sont légion. Se
gardant bien de prendre acte de ces affirmations répétées de l’objectif de la commission mixte,
sirMichael vous a cependant soutenu, non sans aplo mb, que celui-ci était d’«éviter les incidents
102
entre les petits bateaux de pêche comme ceux qui s’étaient produits au début des années 1960 ».
Où est-il allé chercher cela? Pas une seule ligne d’une seule page d’un seul document
de 1968-1969 ne lui permet de l’affirmer ! C’est une pure invention. Qu’il ait jugé nécessaire d’y
recourir en dit long sur le bien-fondé de sa thèse.
10. Au vu des documents que nous venons d’anal yser, il n’est guère surprenant que le Pérou
n’ait guère trouvé moyen de minorer les accords de 1968-1969. Il a néanmoins mis en avant deux
arguments à cet effet. Je commencerai par le premier ⎯ la thèse selon laquelle ces accords
n’avaient d’effet qu’à proximité du rivage et, partan t, ne sauraient entrer en ligne de compte aux
fins du tracé de la frontière plus loin au large.
47
2. Matérialisation de la frontière dans son intégralité
103
11. Il avait été convenu que les phares sera ient visibles sur une quinzaine de milles et, en
conséquence, qu’ils mesureraie nt plus de 20mètres de haut 10. La matérialisation du parallèle
constituant la frontière maritime allait néanmoins au -delà du faisceau lumineux qu’ils projetaient.
Nous le savons, parce que les deux Etats décidère nt également de doter chacune des tours d’un
«réflecteur» 105destiné aux bâtiments plus importants équipés de radars ⎯les pêcheurs, dans les
années1960, n’en étaient généralement pas pourvu s. Le Pérou s’obstine à parler de «phares
côtiers», mais ce terme ne fut jamais utilisé par les Etats en 1 968-1969. Ceux-ci parlaient de
106
«marques d’alignement» , incluant des réflecteurs radar.
102CR 2012/34, p. 15, par. 37.
103MP, vol. II, annexe 59, par. 2 c).
104
CMC, vol. II, annexe 6, p. 41 ; MP, vol. II, annexe 59, par. 2 a) et 2 b).
105MP, vol. II, annexe 59, par. 2 a) et 2 b).
106Ibid. ; MP, vol. III, annexe 74 ; ibid., annexe 75. - 42 -
12. D’autres Etats se servent de telles mar ques pour permettre aux ma rins de repérer avec
précision leur frontière maritime. Ainsi, le pr otocole conclu en 1980 par la commission mixte
107
soviéto-turque prévoyait l’utilisation de marques d’alignement signalant la frontière maritime .
13. En tout état de cause ⎯et c’est là le point important ⎯, il va de soi que la longueur
d’une frontière n’est pas déterminée par la portée des faisceaux lumineux utilisés pour la signaler.
3. C’est une division préexistante des zones maritimes des Parties
qui a été matérialisée
14. Cela nous mène au second moyen par le quel le Pérou a tenté de diminuer l’importance
manifeste que revêtent les accords conclus entre les Parties en 1968-1969. Le Pérou nie que
ceux-ci attestent l’existence d’une frontière maritime à vocation générale, persistant à affirmer qu’il
ne s’agissait que d’un arrangement pratique intér essant uniquement la pêche artisanale. Mais les
représentants des Parties ont bien indiqué, en 1969, que ces phares signalaient la «ligne de
délimitation maritime» ⎯«límite marítimo», ce qui a été rendu en anglais par «maritime
108
boundary» . Et ils n’ignoraient pas le sens de ces mots . Le chef de la délégation péruvienne,
Monsieur le président, était un ambassadeur. La délégation elle-même incluait des représentants de
la marine. Le chef de la délégation chilienne était le secrétaire général de la direction des frontières
48 internationales. M. Pérez de Cuéllar connaissait assurémentla signification du mot «frontière»
lorsqu’il a écrit au Chili à propos «de l’installation de marques d’a lignement pour matérialiser le
parallèle constituant la frontière maritime» 109.
15. Voilà pour les mots, mais qu’en est-il des faits? Vous vous rappellerez l’incident du
Diez Canseco. Sir Michael a dit à ce propos que le Pérou avait «referred to «the frontier line» not
110
to any international maritime boundary» . Nous voyons ici que les deux Parties utilisent
indifféremment les notions de «boundary» et de «fron tier». Si le Pérou entendait nous faire croire
qu’ils ne sont pas synonymes, je ne pense que nous ayons grand-chose à ajouter. Ou peut-être un
mot, à propos du Diez Canseco. D’après le propre compterendu de l’incident donné par le
107CMC, vol. V, annexe 310, p. 1840.
108
Ibid., vol. II, annexe 6, p. 35.
109
MP, vol. II, annexe 74, p. 435.
110CR 2012/28, p. 39, par. 51 (Wood). - 43 -
Pérou ⎯ de l’aveu même, donc, de celui-ci ⎯, le Diez Canseco tira, le 22 mars 1966, seize coups
de canon «à titre de semonce» cont re deux bateaux de pêche chiliens qui avaient franchi la «ligne
111
frontière» ⎯ la línea fronteriza («frontier line», en anglais). L’on ne peut recourir à la force
pour protéger sa frontière et tenter ensuite de s’en défendre au moyen de subtils distinguos
linguistiques établis 45années après les faits ! C’est bien une frontière maritime ⎯ une frontière
tout à fait réelle ⎯ que les deux Etats ont matérialisée et signalée, ainsi qu’il ressort on ne peut plus
112
clairement de la décision de la commission mixte datée du 22 août 1969 .
A BSENCE DE PERTINENCE DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE
1. J’en viens maintenant à mon second exposé, dans lequel je montrerai que la frontière
terrestre est sans pertinence aucune pour votre Cour. Mon propos, ici, se résume en moins de mots
qu’il n’en faut pour rédiger un tweet ⎯douze, très exactement: la Cour ne doit ni ne peut
connaître de la frontière terrestre.
2. Cette conclusion découle de deux prémisses que j’exposerai successivement.
1. La Cour n’a pas compétence pour déterminer l’emplacement du point terminal
de la frontière terrestre
3. Premièrement, la Cour n’a pas compét ence pour déterminer l’emplacement du point
terminal de la frontière terrestre. D’après M. B undy, le «Pérou demande simplement à la Cour de
dire et juger que la frontière maritime entre les Parties commence au point Concordia tel que défini
113
49 dans les instruments juridiques de1929-1930» . Ce n’est toutefois pas en ces termes qu’est
formulée la demande du Pérou, qui définit le poin t Concordia «comme l’intersection avec la laisse
114
de basse mer d’un arc de cercle de dixkilomètres de rayon» . Or la laisse de basse mer n’est
mentionnée nulle part dans les «instruments» de 1929 et 1930. Le Pérou interprète ces instruments
comme témoignant d’un accord pour retenir un point sur cette laisse de basse mer, mais s’il y a
bien une chose que nous sachions tous, c’est qu’il n’y a jamais eu d’accord entre elles à ce propos.
Cela n’a pas empêché M.Pellet, à la fin de sa de rnière présentation, de faire référence au «point
111CMC, vol. III, annexe 75.
112
Ibid., vol. II, annexe 6.
113
CR 2012/34, p. 18, par. 48 (Bundy).
114Ibid., p. 44, par. 12 (Wagner). - 44 -
Concordia tel qu’il a été défini conventionnellement en 1929 et 1930 [the Point Concordia as it had
been defined by agreement in 1929 and 1930]» 115.
4. Puisque la question de l’existence d’un tel point et, le cas échéant, celle de son
emplacement relèvent toutes deux de l’interprétation du traité de Lima de1929, la Cour n’est
compétente pour connaître ni de l’une ni de l’autre. Et, de fait, c’est là un point que le Pérou ne
semble pas contester.
5. Disons les choses autrement. Le Pérou insist e pour que soit appliqué le traité de 1929, et
persiste notamment à affirmer que, pour être comp lète, la frontière terrestre doit s’achever à un
«Punto Concordia» situé sur la laisse de basse mer. Le Chili n’admet pas que tel soit l’effet du
traité de 1929. Celui-ci a réglé de manière définitive la question de la frontière terrestre, et contient
ses propres dispositions expresses en matière d’aborne ment. Le Pérou, en réalité, cherche à saisir
la Cour d’un différend qui ne la concerne pas. Cette affaire ⎯ et ce n’est pas un hasard ⎯ a pour
titre officiel Différend maritime (Pérou c. Chili). Le traité de 1929 prévoit quant à lui le mode de
règlement des différends qui se rapportent à ses pr opres dispositions. Et le pacte de Bogotá ne
permet pas la remise en cause de questions déjà réglées ⎯je ne reviendrai pas sur l’analyse
116
détaillée que je vous ai présentée à cet égard lors du premier tour de procédure .
6. Quoi qu’il en soit, le Pérou persiste à affi rmer que la frontière terrestre s’achève au point
situé par 18°21'08"de latitude sud, tel que re présenté sur la carte que vous voyez maintenant à
l’écran (onglet n o147), cette carte que le Pérou affecti onne tant, et que M. Bundy n’a pas manqué
de vous projeter à chacune de ses plaidoiries.
7. Mais comment cette unique carte infirmerait-e lle que la frontière terrestre suit le parallèle
o
passant par la borne n 1, ce qu’attestent les nombreuses sources péruviennes auxquelles je vous ai
50 renvoyés la semaine dernière 117? Contentons-nous d’un exemple. Voici la loi péruvienne de
janvier 2001, qui définit les limites administratives de la province la plus méridionale du pays, celle
de Tacna ⎯ vous en retrouverez également le texte sous l’onglet n o148. Cette loi disposait que la
o
limite terrestre de la province suivrait la fr ontière internationale jusqu’à la borne n 1. Or à partir
115
Ibid., p. 38, par. 40 (Pellet).
116
CR 2012/31, p. 39, par 24-27 (Paulsson).
11Ibid., p. 34, par. 14 (Paulsson). - 45 -
de cette dernière, pour atteindre vers l’ouest, l’océan Pacifique, la ligne devait nécessairement
suivre le parallèle pour la simple raison que l’article3 de ce tte loi définissait l’étendue de la
118
province, et qu’il en ressortait que le Pérou ne possédait aucun territoire au sud dudit parallèle .
8. Le Pérou a modifié cette loi le 17janvier2008 11. Monsieur le président, dois-je vous
rappeler quand le Pérou a introduit sa requête en la présente instance ? Le 16 janvier 2008 !
9. D’après les calculs que nous avons pu réa liser à partir des cartes à grande échelle
produites par le Pérou, la distance qui sépare les deux points terminaux est de 46mètres
(onglet n o 149). 46 mètres de plage. Le Pérou n’a certainement pas saisi la Cour pour ergoter sur
46 mètres de plage.
10. Le Pérou voudrait vous convaincre de cons idérer comme juridiquement impossible que
o
la frontière maritime longe dans sa tota lité le parallèle passant par la bornen 1 au motif que le
point de départ de la frontière terrestre devrait se trouver 46 mètres plus au sud.
11. Mardi dernier, le Pérou a affirmé que l es Parties «conv[enaient] … que l’intersection de
la frontière terrestre avec la laisse de basse me r [était] une question qui a[vait] été pleinement
réglée» 120. Il serait plus juste de dire que les Parti es convenaient que la frontière terrestre était
entièrement réglée. Ce n’est que récemment que le Pérou a commencé à soutenir que la frontière
terrestre prenait fin sur la laisse de basse mer, au point266. Que les choses soient bien claires,
c’est là une prétention que le Chili ne saurait adme ttre même si, vendredi dernier, j’ai expliqué,
comme nous l’avions fait dans nos écritures, que la Cour n’était pas compétente pour connaître de
cette question, qui relève du traité de Lima.
12. En tout état de cause, la commission mixte, après avoir déterminé et aborné une frontière
longue de 196 kilomètres, s’est délibérément arrêté e au niveau d’un point stable sur le rivage ⎯ la
borne n o1. Le Pérou prétend aujourd’hui que dès lors que ses représentants n’ont pas fait quelques
pas de plus, s’enfonçant dans du sable plus ou moins détrempé selon le moment du jour et du mois,
il est devenu impossible de fixer le point de départ de la frontière maritime ailleurs qu’à l’endroit
118
CMC, vol. IV, annexe 191, art. 3.
119
RP, vol. II, annexe 16.
120CR 2012/34, p. 12, par. 27 (Bundy). - 46 -
51 précis sur la laisse de basse mer qu’ils auraient dû atteindre alors, et ce, même si en 1952-1954 ou
encore en 1968-1969, cet endroit se trouvait en mer, ou plus à l’intérieur des terres. Inepties que
tout cela! Revenons, pour nous en convaincre, su r quelques moments phares de l’histoire de la
frontière terrestre.
13. En 1928, Mesdames et Messieurs de la Cour , le Pérou et le Chili ont mis fin à près d’un
demi-siècle de mésentente en rétablissant leurs relations diplomatiques. L’année suivante, ils
concluaient le traité de Lima, document historique dont la Société des Nations a dûment pris acte,
en s’en félicitant. L’un des aspects les plus im portants en était bien sûr l’accord frontalier.
Rappelons ce que dispose l’artic le2 de ce traité (ongletn o150): «la frontière entre les territoires
121
du Chili et du Pérou partira d’un point de la côte qui sera appelé «Concordia»» .
De «la côte», entendez-bien ⎯ la costa ⎯, pas «de la laisse de basse mer». Au
o
paragraphe2.1 de sa réplique, le Pérou conteste catégoriquement que la bornen 1 soit située sur
«la côte». Sa réaction est quelque peu surprena nte. Nous sommes quelques-uns à posséder des
maisons dont nous disons qu’elles sont «sur la côte», sans entendre nécessairement par là qu’une de
leurs façades est à tout moment du jour ou de la nuit mouillée par les embruns !
14. Les ministères des relations extérieures des deux pays chargèrent alors leurs délégués,
dans les mêmes termes, de détermin er et marquer la frontière sur la côte. Voici les instructions
données par le ministère péruvien 122(onglet n 151).
15. Notez bien le titre. J’espère que vous le voyez mieux que moi : «Hito Concordia». Pas
«Punto Concordia», comme le souhaiterait M. Bundy. Et il est décrit comme le «[p]oint de départ,
sur la côte, de la ligne frontière». Tels sont l es termes de l’instruction officielle du Gouvernement
du Pérou. Le Hito Concordia est qualifié de point de départ. Notez encore que la ligne est ensuite
tracée vers l’ouest «jusqu’à la côte».
«Point de départ, sur la côte» … ligne tracée «jusqu’à la côte».
16. Ces termes sont si limpides qu’on se sera it attendu à ce qu’ils soient cités tels quels,
comme je viens de le faire. Mais non, la prem ière fois que le Pérou me ntionne ce document, dans
121
MP, vol. II, annexe 45, art. 2.
122Ibid., vol. III, annexe 87. - 47 -
123
son mémoire , il préfère les paraphraser, et voici ce qu’il écrit : «[L]e point Concordia devait être
le point d’intersection entre l’océan Pacifique et un arc d’un rayon de dix kilomètres…». Ainsi le
Pérou, sans citer le texte lui-même, introduit la notion d’intersection avec «un océan» et non avec
52 «la côte». Et il parle du point Concordia, au lieu du Hito Concordia, qui était la bornen o 1.
o
LePérou a même le front d’écrire, au para graphe2.7 de sa réplique, que la bornen 1 ⎯ je le
cite ⎯ était «simplement…une borne parmi d’autr es érigées en différents lieux pour marquer la
frontière». Mais l’on ne convainc pas en prenant ainsi des libertés avec le texte! Nous sommes
tous en mesure de lire les instructions officielles : le Hito Concordia est le «punto inicial de la línea
fronteriza».
17. Ces instructions officielles étaient du rest e en parfait accord avec le traité de1929, qui
n’emploie à aucun moment l’expression «laisse de basse mer».
18. Le troisième document qu’il nous faille examin er dans le cadre de cet historique est le
rapport final de la commission mixte de 1930, dans lequel celle-ci précisait avoir mené à bien ses
o
travaux conformément aux instructions reçues des deux Etats (ongletn 152). Le rapport final
indiquait que «[l]a ligne frontière abornée» partait d’«un punto en la orilla del mar» ⎯ «un point
du littoral» ⎯, et confirmait que des bornes avaient été «placées ou établies» afin de «fixer de
124
manière définitive sur le terrain [la] ligne frontière entre le Pérou et le Chili» . Selon cette
description, la borne n o 1 était donc située sur le littoral ⎯ la orilla del mar ⎯, à un point situé par
125
18° 21' 03" de latitude sud .
19. Monsieur le président, j’appelle tout pa rticulièrement votre attention sur l’adverbe
definitivamente, qui s’applique à l’intégralité de la frontière, et sur l’emplacement ⎯ la orilla del
o
mar ⎯ de la borne n 1.
20. Ainsi, ce rapport final de la commission mixte de1930 était lui aussi en parfait accord
avec le traité de 1929, qui ne mentionne nulle part la «laisse de basse mer».
21. On cherchera en vain, Mesdames et Messieurs de la Cour, un «Punto Concordia» à
o
l’ouest de la borne n 1. D’ailleurs, s’il avait été décidé de donner à l’une des bornes ⎯ d’abord la
123
MP, par. 1.36.
124MP, vol. II, annexe 54, p. 308, par. 2 et 3.
125Ibid., p. 309. - 48 -
o o
borne n 1 ⎯ ce nom symbolique de «Concordia», ce fut en définitive à la bornen 9 que cette
dénomination allait échoir.
22. J’en veux pour preuve cet autre document ⎯je ne le projettera i pas ici, mais vous
o
renvoie à l’ongletn 153 ⎯, signé deux semaines plus tard par le ministre péruvien des relations
extérieures et l’ambassadeur du Chili au Pérou en qualité de plénipotentiaire 126(onglet n 153). La
o
borne n 9 ⎯ dont vous entendez peut-être ici parler pour la première fois ⎯ y est dépeinte comme
53 totalement différente de toutes les autres bornes ⎯ «un monument en béton armé de sept mètres de
127
haut» . Il n’y a là aucun mystère. Les habitants du coin n’ont pas pour habitude de déambuler le
long des dunes sablonneuses qui bordent la côte. L’ on peut même dire que, en temps normal, le
nombre de visiteurs qu’attire la bornen o1 est de l’ordre de zéro ⎯le fait est qu’il n’y a pas
o
grand-chose à voir. En revanche, la bornen 9, que, depuis1930, on désigne sous le nom de
Hito Concordia, s’élève le long de la voie de chem in de fer menant d’Arica à Tacna, et jour après
jour, des centaines de Péruviens et de Chiliens em pruntant le train peuvent, depuis leur fenêtre,
apercevoir ce monument imposant ⎯ le Hito Concordia ⎯, agrémenté des portraits gravés des
deux présidents de l’époque.
o
23. C’est l’objectif de stabilité qui a présidé au choix de la borne n 1 pour marquer, à
l’extrémité d’une frontière terrestre longue de 196 kilomètres, et jalonnée au total de 80 bornes, le
point le plus proche de la mer. Nous avons vu que l’abornement réalisé en 1930 visait à fixer un tel
point sur le littoral aussi près que possible de la mer, sans toutefois compromettre cet objectif de
stabilité. Comme l’a indiqué l’Equateur à l’Argentine en 1969 ⎯ vous vous en souviendrez ⎯, les
parties à la déclaration de Santiago avaient a dopté pour marquer leurs frontières maritimes des
parallèles de latitude qu’il était «aisé et simple de reconnaître» 128. C’est dans la même optique
qu’il fut décidé de matérialiser ce parallèle en construisant, pour le signaler, deux marques
d’alignement, et en utili sant à cet effet la bornen o1 comme point de référence. Personne, ni de
part ni d’autre, n’avait jamais évoqué la nécess ité d’adopter un point sur la laisse de basse mer
avant que le Pérou ne décide de saisir la Cour.
126
MP, vol. II, annexe 55.
127MP, vol. II, annexe 55, p. 315.
128DC, vol. II, annexe 22, p. 199. - 49 -
24. Et pour voir apparaître le point266, ce point fantôme qu’invoque à présent le Pérou
⎯ où qu’il puisse se cacher ⎯, il nous a fallu attendre l’année 2005.
25. Mardi dernier, M.Bundy nous a reproché d’avoir utilisé une carte marine péruvienne
actualisée montrant que l’emplacement du point266 tel qu’il apparaissait sur la carte qu’il nous
avait présentée avait changé ⎯que, donc, la carte était obsolète, et que ce point se trouvait en
réalité à 180 mètres de l’endroit indiqué. A vrai dire, si les cartes marines à grande échelle utilisées
par le Pérou sont obsolètes, ce n’est pas tant notre problème que le sien: il incombe au Pérou de
respecter les prescriptions de l’article 5 de la conve ntion des Nations Unies sur le droit de la mer.
Quoi qu’il en soit, M.Bundy a assurément desser vi sa propre cause en vous montrant cette autre
carte, qu’il vous a présentée comme actuelle 12. La voici ⎯vous pouvez aussi vous reporter à
o
l’onglet n 154. Sur cette carte, le point266 ⎯le point Concordia ⎯ semble effectivement très
proche du rivage. Mais ce que M. Bundy s’est ab stenu de préciser, c’est qu’il s’agit d’une carte
au 1/500 000 ⎯ une échelle dix fois plus petite que celle de la carte qu’il qualifie d’«obsolète», et
certainement pas conforme aux prescriptions de l’ article5 de la convention. A cette échelle
54 minuscule, le point fictif que le Pérou a ppelle point266 se trouve doté d’un diamètre de
500mètres! En d’autres termes, outre qu’il ne serait pas sur la laisse de ba sse mer, le point266
aurait son centre en mer, à 250 mètres de la côte. Le Pérou espère s’en sortir par un simple tour de
passe-passe ⎯ un juego de manos . Mais cela ne porte pas à conséquence: personne ne s’y
trompera !
Le6. Punto Concordia que convoque ici le Pérou est une pure fiction. Nous comprenons
bien évidemment quel est réellement le propos du Pérou ⎯ on pourrait, je pense, le résumer ainsi :
«La commission mixte de 1930 aurait dû suivre le tracé de l’arc jusqu’à la laisse
de basse mer. Elle aurait dû baptiser Punto Concordia le point ainsi atteint. Si elle
l’avait fait, ce (pseudo-) Punto Concordia aurait été situé sur le parallèle de
18° 21' 08" de latitude sud. C’est donc là que devrait se trouver le Punto Concordia.»
27. Mais ce n’est pas ce qu’ ont fait le Chili et le Pérou. Ceux-ci n’ont jamais désigné un
o
Punto Concordia : ils ont adopté la borne n 1 ⎯ point stable marquant le punto inicial de la línea
fronteriza. Et ce faisant, ils se sont pleinement conformés aux dispositions du traité de 1929.
129
CR 2012/34, p. 18, par. 46. - 50 -
28. M.Bundy se plaint que le Chili n’ait p as donné suite lorsque, en2005, le Pérou a
proposé que les deux pays conviennent entre eux de l’emplacement d’un point fantôme dont la
commission mixte s’était manifestement passée en 1930. Mais le Chili n’av ait aucune raison de
réagir favorablement en2005 ⎯il avait au contraire toutes les raisons de reje ter une proposition
qui reposait ⎯comme vous pouvez le voir à la lecture de la lettre qui se trouve à présent
o
reproduite à l’écran, et qui figure aussi à l’ongletn 155 de vos dossiers de plaidoiries ⎯ sur le
postulat qu’il n’existait pas de frontière maritime. Or de cela, M. Bundy n’a fait aucune mention.
29. Je conclurai maintenant sur ce premier poi nt. Mon propos n’était pas ici d’ouvrir le
débat sur le point terminal de la frontière terrest re, mais simplement de montrer que la question de
savoir comment il convenait d’interpréter le règl ement supposément défini tif de la frontière
terrestre entre les deux Etats n’était pas sans prêter à controverse. Néanmoins, une telle question
relèverait du régime juridictionnel prévu par le traité en vertu duquel les Parties sont parvenues à ce
règlement «définitif»: le traité de Lima de1929. Elle est donc sans incidence sur la tâche qui
incombe à la Cour.
J’en viens maintenant à mon second point, qui sera plus bref.
55 2. En tout état de cause, la validité d’une frontière maritime n’est pas tributaire
de sa rencontre avec une frontière terrestre sur la laisse de basse mer
30. Pour le Pérou, les destins d’une frontiè re maritime et d’une frontière terrestre sont
fatalement liés: à l’endroit précis où la prem ière atteint la laisse de basse mer, elle doit
inéluctablement retrouver une frontière terrestre. Mais si tel était le cas, la frontière maritime serait
toujours instable. Car si la rive avançait ou reculait de quelques mètres, ce serait la position d’une
frontière maritime s’étendant sur 200milles marins qui devrait être revue (ongletn o156). Voilà
une théorie qui n’a rien de bien séduisant.
31. Est-il vrai que le littoral évolue? Pour répondre à cette question, rien de plus
convaincant que la démonstration que nous a livrée ⎯ peut-être à son insu ⎯ M. Bundy lui-même.
Comme je vous l’ai dit, celui-ci vous a présenté une carte (la carte à l’échelle de 1/500 000) qu’il a
qualifiée ⎯ et je le cite ⎯ d’«actuelle» et «exacte». Voilà qui est intéressant. Pourquoi faut-il que
de telles cartes soient actuelles? M.Bundy a répondu à cette question: par opposition à celles - 51 -
utilisant ⎯ et je le cite derechef ⎯ «des données géographiques côtières obsolètes» 130. Et le souci
de M. Bundy d’être à jour en matière de «géographie» (ou voulait-il parler de «géomorphologie» ?)
est tout à fait légitime dans le présent contexte . Nous sommes en présence de plages extrêmement
longues et plates. Le milieu est désertique : peu de végétation, jamais, ou pr esque, de pluie, et de
larges étendues sur lesquelles le sable sec peut se dé placer au gré de forts vents. Sans parler des
tremblements de terre.
32. C’est donc un non-sens que d’affirmer que la frontière maritime n’aurait pu partir que de
la laisse de basse mer, à l’extrémité de la frontiè re terrestre fixée en 1930 . Dans cette hypothèse,
l’on aboutirait à cette bizarrerie que, selon les évolutions que connaîtrait le littoral, le point terminal
de la frontière terrestre pourrait se retrouver en pl eine mer, ou encore le point terminal de la
frontière maritime à l’intérieur des terres.
33. «La terre domine la mer», nous dit le Pérou. C’est là le genre de maxime générale qui,
en soi, peut difficilement résoudre un différe nd d’ordre juridique. Dans les affaires du Plateau
continental de la mer du Nord , cette maxime avait pour effet gé néral, et incontesté, d’étayer
l’importance qu’il y avait à regarder de près ⎯et je cite ici les mots de la Cour ⎯ la
«configuration géographique des côtes des pays do nt on doit délimiter le plateau continental»
(Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République
fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969 , p. 51, par. 96). Voilà qui n’aide guère
le Pérou. Lorsque M.Bundy a tenté de résumer la jurisprudence sur le principe voulant que «la
131
56 terre domine la mer», il a affirmé ceci : «C’est donc la côte qui génère les droits maritimes.» Qui
en disconviendra ? Mais de là à affirmer quelque singulière obligation relevant du jus cogens de se
rencontrer sur la laisse de basse mer, il y a un pas qu’on ne saurait franchir.
34. A vrai dire, le principe selon lequel la terre domine la mer a été parfaitement respecté
tant par le Pérou que par le Chili. La commission de 1930 avait choisi la pr emière d’une frontière
qui compte 80bornes ⎯ le hito n o 1 ⎯, pour marquer le point le pl us proche de la mer.
L’emplacement retenu était, conformé ment aux instructions qu’elle av ait reçues, et que je vous ai
rappelées, «sur le littoral» ⎯«a la orilla del mar», «on the s hore». Par conséquent, lorsque les
130
CR 2012/34, p. 18, par. 46 (Bundy).
131
CR 2012/29, p. 42, par. 32. - 52 -
deux Etats ont donné effet à leur frontière maritime une vingtaine d’années plus tard, ils ont pris
pour marquer le point de départ de la frontiè re maritime la première des bornes utilisées pour
matérialiser la frontière terrestre sur le littoral ⎯ la orilla del mar 132. Ainsi, comme vous pourrez
le constater, ils ont bien appliqué le principe voulant que la terre domine la mer.
35. Soit dit en passant, le Pérou a aujourd’hui bien du mal à justifier le fait qu’il a ⎯ sans
o
équivoque possible ⎯ lui-même reconnu le parallèle passant par la bornen 1, non seulement au
moment de l’incident du Diez Canseco mais encore dans le cadre des travaux de 1968-1969, ainsi
que dans chacun des nombreux cas que vous a passés en revue M. Petrochilos au premier tour. Si
la frontière devait effectivement partir du point 266, pourquoi le Pérou n’a-t-il pas dit et répété
qu’il y avait là une erreur ⎯ pourquoi n’y a-t-il pas même l’ombr e d’un début d’indication qu’il le
pensait? Ou qu’il était nécessaire de se mettre d’accord sur le point266, ou sur quelque autre
o
point situé au sud-ouest de la borne n 1 ?
36. Le fait est que, pendant un demi-siècle, le Pérou n’a rien trouvé à redire à la borne n o 1.
La fiction d’une nécessaire rencontre sur la laisse de basse mer n’a été formulée que lorsqu’il a
décidé de saisir la Cour ⎯ de même que nul n’avait entendu parler du point 266 avant 2005.
37. Les laisses de basse mer sont, pour le Pérou, devenues une idée fixe. Le Pérou ne semble
pas saisir l’utilité d’un point déterm iné situé au-delà de la laisse de basse mer et capable de servir
de point de référence stable aux fins de la délimitation maritime. Quant à nous, les tentatives faites
par M.Bundy pour écarter l’abondante jurisprude nce internationale, rappelée par le Chili, qui
confirme que les accords de délimitation maritime ne sont pas soumis à quelque obscure obligation,
relevant du jus cogens, de se rencontrer sur la plage nous ont laissés perplexes. Ainsi, en analysant
l’affaire Guyana-Suriname, en particulier son paragraphe 41, le Pérou nous a donné l’impression
d’évoquer un cas de figure totalement inconnu.
57 38. Or rappelons que dans cette affaire, il y avait, sur la terre ferme, deux points de référence
o
dont l’alignement matérialisait une ligne suivant un azimut de10 , qui constituait la frontière
historique. Ces deux points de référence étai ent situés sur le territoire guyanien. Grâce aux
132MP, vol. II, annexe 59 ; CMC, vol. II, annexe 6. - 53 -
méthodes modernes, l’un des piliers ⎯ le pilier n 61 ⎯ a pu être utilisé comme point de référence
pour tracer la ligne s’étendant en mer suivant un azimut de 10°.
39. Tel est précisément le cas de figure ici. Nous sommes aussi en présence d’un point de
o
référence ⎯ la borne n 1 ⎯, et d’une ligne bien précise ⎯ le parallèle de latitude ⎯, exactement
comme dans l’affaire Guyana-Suriname.
40. Le tribunal, dans cette dernière, rédi gea sa sentence en des termes empreints d’une
grande prudence: la frontière maritime, écrivit-il, commence sur la laisse de basse mer, à son
intersection avec la ligne suivant un azimut de 10° tracée à partir du pilier 61 placé à l’intérieur des
terres.
41. Tel est également le cas de figure dans tous les autres exemples que M.Bundy a, sans
plus de façon, écartés d’un revers de la main 13.
42. Accessoirement, je rappellerai que la question de la compétence s’était également posée
en l’affaire Guyana-Suriname, et que le tribunal y a répondu avec une circonspection dont la Cour
voudra sans doute s’inspirer. Au paragraphe 308 de sa sentence, le tribunal a en effet
«rappe[lé] que le Suriname [avait] sout enu qu’il n’avait pas compétence pour se
prononcer sur toute question relative à la frontière terrestre entre les Parties. Les
conclusions du tribunal étant sans incidence sur toute frontière terrestre pouvant
exister entre celles-ci, [il a jugé que] cette exception d’incompétence n’a[vait] pas lieu
d’être.» [Traduction du Greffe.]
43. Un précédent parfaitement approprié, Monsieur le président !
44. Quant à nos exemples de «côtes sèches», ils n’ont pas été réfutés. Les côtes sèches
n’offensent pas le droit international, et leur acceptation est attestée par une importante pratique
étatique. Elles ne vont à l’encontre d’aucune règle de jus cogens. La seule question qui se pose est
celle de savoir si les Parties sont convenues que le ur frontière maritime suivrait le parallèle passant
par la borne n o 1. Et, au vu des documents datant de 1968-1969, c’est sans l’ombre d’un doute par
l’affirmative qu’il convient d’y répondre.
Mesdames et Messieurs de la Cour, Monsieur le président, je vous remercie infiniment.
M. Petrochilos est prêt à prendre la relève.
133CR 2012/34, p. 16, par. 42 (Bundy). - 54 -
Le PRESIDENT: Je vous remercie, M.Paulsson. J’invite à présent à la barre
M. Petrochilos. Monsieur Petrochilos, vous avez la parole.
58 M. PETROCHILOS: Monsieur le président, M esdames et Messieursles juges, je vous
remercie.
*
A UTRES EXEMPLES DE LA PRATIQUE PERTINENTE DES P ARTIES
A. Le Pérou a du mal à s’accommoder des éléments de preuve
1. La Cour dispose de très nombreux éléments de preuve relatifs à la pratique des Parties.
Celles-ci conviennent que cette pratique prouve l’ existence d’un accord entre elles; elles sont
simplement en désaccord sur la nature de cet accord.
2. Selon le Pérou, une pratique informelle , ne reposant sur aucun texte et consistant à
respecter une limite pour les besoin s de la pêche, s’était instaur ée, pratique qui s’étendait à un
certain nombre de domaines autres que la pêche.
3. Cette thèse se heurte à deux écueils. Le pr emier est que la frontière que les Parties ont
respectée ne pouvait pas avoir été définie pour les besoins de la pêche, puisque le Pérou n’a jamais
eu de zone de pêche nécessitant d’être délimitée pa r une ligne spéciale. Dans son premier tour de
plaidoiries, le Pérou n’a d’ailleurs soulevé aucune obj ection à cette simple constatation. En fait, le
«domaine maritime» indifférencié de 200mille s marins du Pérou comprend les eaux, les fonds
marins, leur sous-sol et l’espace aérien surjacent. Tel est son domaine, qu’il a fait respecter par le
Chili et par le monde entier. Ce domaine ne saura it être délimité par une ligne définie pour les
besoins de la pêche.
4. Deuxièmement, l’argument avancé par le Pé rou se heurte aux éléments de preuve versés
au dossier. La semaine dernière , j’ai entamé mon exposé en évoqua nt 15documents officiels.
La première des trois diapositives que j’ai utilisées est à présent affichée sur votre écran, et vous la
trouverez également sous l’ongletn o158 de votre dossier. Ces 15documents sont soit des textes
officiels péruviens qui ont été communiqués au Chil i, soit des documents que le Chili et le Pérou
ont élaborés ensemble, essentiellement dans les années 1960. Or, vous vous souviendrez peut-être
*Abréviations: MP = mémoire du Pérou; CMC = contr-mémoire du Chili; RP = réplique du Pérou; DC =
duplique du Chili. - 55 -
de ce que le Pérou avait à dire à leur sujet. Pour reprendre l’expression de mon collègue : «Rien,
absolument rien.»
5. Les écrits restent, et leurs termes sans é quivoque viennent, mieux qu’un avocat ne saurait
le faire, étayer les arguments du Chili. Comme vous pouvez le constater, il est question, dans ces
documents, de «la frontière maritime du Pérou», de la «frontière maritime» entre les Parties, et on y
trouve d’autres désignations de portée générale qui ne sont assorties d’aucune restriction ou
réserve.
6. Je le répète une fois encore, Monsieur le président : le sens ordinaire des mots «frontière
maritime» est frontière maritime. Pourtant, le Pérou soutient à présent ⎯et je cite les termes
59 employés par son conseil dans son discours introductif ⎯ que cette expression désigne des
«dispositions pratiques concernant les espaces mari times baignant les côtes des Parties, prises par
134
celles-ci à titre provisoire et à des fins bien précises» .
7. M. Lowe avait certes quelque chose à dire à propos des documents versés au dossier, mais
il s’est prudemment tenu à distance de ceux-ci. Il a soutenu que le Chili s’accrochait à la moindre
135
référence à un «parallèle» . Eh bien, ce n’est pas ce que disen t ces documents : il y est question
d’une frontière maritime.
8. Le conseil du Pérou a également soutenu que les références à une frontière maritime
étaient «sans préjudice» d’une délimitation future 13. Avec tout le respect que je lui dois, les
o
documents ⎯ qui émanent des autorités péruviennes, et que vous trouverez sous l’onglet n 158 de
votre dossier ⎯ sont manifestement tout sauf «sans préjudice». Le Pérou a affirmé sa juridiction à
l’égard de ressortissants chiliens, il en a arrêté un certain nombre, il leur a infligé des amendes, il a
tiré des coups de semonce contre leurs navir es: tous ces actes relèvent de la responsabilité
internationale de l’Etat, et celui-ci est tenu de dire quel en est le fondement juridique. Et c’est bien
ce qu’a fait le Pérou : il a invoqué la frontière maritime.
134CR 2012/27, p. 19, par. 12 (Wagner).
135
CR 2012/33, p. 28, par. 112 et p. 29, par. 115 (Lowe).
136CR 2012/28, p. 29, par. 11 (Wood). - 56 -
B. Il ressort des éléments versés au dossier qu’un accord existe entre les Parties
sur leur frontière maritime
9. J’en viens maintenant aux éléments de pr euve. A titre de rappel, nous avons reporté sur
une carte les informations versées au dossier se prêtant à une représentation graphique. Pour ne pas
abuser de votre patience, je ne vous présenterai qu’un échantillon de la pratique du Pérou, mais
o
vous trouverez sous l’ongletn 159 de votre dossier un schéma simila ire, illustrant cette fois la
pratique du Chili.
10. Sur votre écran, notre tableau se présente ainsi :
⎯ Vous voyez ici où, par rapport à la frontière, la corvette de la marine péruvienne Diez Canseco a
poursuivi des navires chiliens, en 1966; cette poursuite est illustrée par une série de petits
points ;
⎯ et voici maintenant où, par rapport à la frontière , le Pérou a arrêté d es navires chiliens, puis a
infligé des amendes à leurs propriétaires, en 1989 et 2000 ;
⎯ ici, vous pouvez voir l’exemple de point d’entrée da ns le domaine maritime péruvien qui figure
dans ses modèles de rapports officiels ⎯ le petit triangle ;
⎯ et maintenant, le point d’entrée autorisé dans l’espace aérien péruvien ;
⎯ voici à présent le point jusqu’où le Pérou a autorisé la pose d’un câble sous-marin ;
⎯ et enfin, voici les points d’entrée dans le domaine maritime péruvien et de sortie de ce domaine,
tels qu’ils ont été signalés au Pérou en application de sa réglementation.
60 Si, à présent, vous reliez tous ces points ⎯ exercice fort simple ⎯ vous verrez apparaître le tracé
de la frontière maritime.
11. Le Pérou n’a fait que peu d’observations sur les différents éléments de preuve versés au
dossier. La Cour trouvera peut-être utile de dis poser d’une liste répertor iant ceux que les Parties
o
invoquent toutes deux dans les présentes audiences. Cette liste figure sous l’ongletn 160.
Comme vous pouvez le constater, la plupart des entrées de la liste sont inscrites en caractères
normaux, sur fond blanc. Ce sont les éléments de la pratique des Parties sur lesquels le Pérou n’a
pas exprimé de désaccord au cours des audiences : ils ne sont pas contestés. Les entrées surlignées
signalent les éléments de preuve soumis par le Chili dont le sens est contesté par le Pérou, ou ceux
qui ont été invoqués par lui. Ce sont les élémen ts contestés, les entrées surlignées, que je vais - 57 -
passer en revue, et vous souhaiterez peut-être même ex traire la liste de votre dossier et l’utiliser
comme guide pour suivre point par point mon exposé.
1. La frontière maritime entre le Chili et le Pérou aurait constitué la limite du couloir
maritime proposé à la Bolivie
12. Je commencerai par le couloir terrestre et maritime proposé à la Bolivie: c’est
o
l’élément n 1 sur la liste.
13. Ce que le Chili a proposé en 1975 est actue llement affiché sur votre écran, et ce texte se
trouve également sous l’onglet n o161. Le Chili a déclaré :
«[L]a cession portera sur le territoire terrestre décrit précédemment ainsi que sur
le territoire maritime compris entre les parallèles passant par les extrémités de la côte
ainsi cédée (mer territoriale, zone économique et plateau continental).» (Les italiques
sont de nous.)
Manifestement, la proposition du Chili visait le pa rallèle constituant la frontière préexistante entre
le Chili et le Pérou.
14. Passons maintenant à la position adoptée par le Pérou sur la question, qui est également
affichée sur votre écran. Le Pérou a accepté «[l]a souveraineté exclusive de la Bolivie sur la mer
adjacente à la côte de la zone placée sous souveraineté partagée». Comme l’a fait observer
137
sir Michael, l’accord du Pérou était nécessaire en ce qui concerne les cessions territoriales , mais
le fait est que le Pérou a également pris position sur les zones maritimes qu’il était proposé
d’attribuer à la Bolivie.
⎯ A-t-il déclaré que c’était à lui, et non au Chili, qu ’il appartenait d’accorder à la Bolivie la zone
maritime proposée ? Non.
⎯ A-t-il déclaré que le parallèle qui sépare sa zone maritime de celle du Chili ne pouvait pas servir
à délimiter la zone maritime bolivienne ? Non.
61 ⎯ Mais le Pérou aurait-il exprimé, ou aurait-il dû ex primer de telles préoccupations s’il s’était
estimé fondé à revendiquer des droits au sud du parallèle ? Sans aucun doute.
15. Le conseil de la Partie adverse a évoqué les procès-verbaux des pourparlers qui avaient
eu lieu entre le Chili et le Pérou. La semaine de rnière, j’ai déclaré à la Cour que ces documents
confirmaient ce qui suit :
137
CR 2012/33, p. 45, par. 50 (Wood). - 58 -
«Lorsque des représentants du Chili et du Pérou se sont rencontrés en
juillet 1976, il était entendu de part et d’au tre que la frontière maritime entre les deux
Etats avait été établie et que l’accord 138 1954 relatif à une zone frontière maritime
spéciale était applicable entre eux.»
Tels ont été mes propos, et mon collègue ne m’a p as contredit. Il a toutefois déclaré que «les
139
procès-verbaux dressés unilatéralement ne sont intrinsèquement pas fiables» . Avec tout le
respect que je lui dois, ils le sont. En 1976, il n’existait aucun problème entre le Chili et le Pérou
au sujet de leur frontière maritime. On voit mal comment le Chili aurait pu, à l’époque, rédiger un
procès-verbal conçu dans la perspective d’un différe nd que le Pérou n’avait pas encore imaginé, et
qui vous a seulement été soumis des décennies plus tard . Enfin, il était loisible au Pérou de joindre
ses propres procès-verbaux aux documents supplém entaires qu’il a communiqués à la Cour avant
les présentes audiences.
16. Le conseil du Pérou a également soutenu que les procès-verbaux communiqués par le
140
Chili étaient incomplets . Eh bien, il en trouvera une version complète dans les documents que le
141
Chili a déposés au Greffe en juillet 2011 .
2. L’exercice de l’autorité souvera ine par la marine : le district maritime n° 31 établi par le
Pérou respecte la frontière maritime
17. J’en viens à présent au point 3.1 de la lis te. La semaine dernière, j’ai utilisé un schéma
pour démontrer que, pour définir, en 1987 et 1988, les zones d’autorité souveraine de leurs marines
respectives, les deux Parties ont respecté leur frontière maritime. Le schéma est à présent projeté
sur vos écrans, ainsi que sous l’onglet n o 162.
18. Le Pérou a contesté cet argument. Il a déclaré que son district maritime n o31 ⎯ que je
mets actuellement en évidence à l’écran ⎯ n’avait, @«par nécessité»@, pas été défini, faute de
frontière maritime 142. Or il a bien été défini. Sa limite s upérieure est le parallèle de 16°25'de
62 latitude sud; sa limite inférieure es t définie par «la limite frontalière [límite fronterizo] entre le
138
CR 2012/31, p. 44, par. 16 (Petrochilos).
139
CR 2012/33, p. 46, par. 51 (Wood).
140Ibid.
141Procès-verbal de la quatrième session du second tour de discussions entre le Chili et le Pérou, 8juillet1976,
déposé au Greffe le 11 juillet 2011, sous la référence «document n
142CR 2012/33, p. 41, par. 36 (Wood). - 59 -
143
Pérou et le Chili» . Si le Pérou avait souhaité ne pas défi nir la limite inférieure du district, il
aurait dit que celui-ci s’étendait «jusqu’à l’éte ndue maximale des eaux pé ruviennes» ou «jusqu’à
une zone demeurant à définir par accord internationa l», ou quelque expression de la sorte. Mais la
loi est bien précise: il y est fait mention de la «lim ite frontalière». Il était également loisible au
Pérou d’assortir sa loi de réserve, comme l’avait fait le Nicaragua dans des circonstances similaires
144
dans l’affaire Nicaragua c. Honduras . Mais il ne l’a pas fait.
19. La semaine dernière, j’ai relevé que la lecture que le Pérou fait aujourd’hui de la
situation aurait rendu impossible à sa marine l’exécu tion de sa mission, et que, de surcroît, elle
contredit le fait que cette même marine fait en réalité ⎯ comme en attestent les procès-verbaux ⎯
respecter le parallèle qui constitue la frontière. Or, cette observation est restée sans réponse.
20. Les explications que le Pérou fournit à pr opos de cette loi ont été spécifiquement forgées
o
pour la présente instance et on ne saurait leur accorder crédit. Le district maritime n 11, qui se
situe au nord ⎯et que je mets actuellement en évidence à l’écran ⎯ a été défini dans la loi de
145
1987 comme s’étendant jusqu’à «la frontière maritime avec l’Equateur» . Le Pérou a reconnu ce
146
point mardi dernier , mais, dans le même souffle, il a déclaré à la Cour que, jusqu’à l’année
dernière, il n’existait pas de frontière avec l’Equateur 147. Je n’en dirai pas plus.
3. La coopération entre les marines chilienne et péruvienne pour faire respecter la frontière
maritime
21. J’en viens à présent au point 5.4, qui figur e sur la page 2 de votre liste: la coopération
entre les marines chilienne et péruvienne pour fair e respecter la frontière. En vertu d’un accord
conclu entre ces deux institutions en 1995, celles-ci sont tenues d’amener «à la frontière politique
internationale» tout navire intercepté et de le remettre à la marine de l’autre Etat. La semaine
148
dernière, j’ai également évoqué les procès-verbaux attestant de l’exécution de cet accord .
143DC, vol. III, annexe 90, p. 558, paragraphe f) de l’article A-020301.
144
Différend territorial et maritime entre le Nicaragua ele Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 735, par. 254.
145
DC, vol. III, annexe 90, p. 557, paragraphe a) de l’article A-020301.
146CR 2012/33, p. 41, par. 36 (Wood).
147CR 2012/28, p. 64, par. 38 (Bundy).
148CR 2012/31, p. 57-58, par. 63 (Petrochilos). - 60 -
149
22. Le Pérou déclare à présent que l’accord de 1995 «était resté à l’état de projet» . Ce
document est reproduit sous l’onglet n o163 de vos dossiers, et peut être consulté à un moment
63
opportun. Il est intitulé «protocole d’accord final» [traduction du Greffe] et est signé par deux
amiraux ⎯ l’un chilien, l’autre péruvien. Il s’agit bien d’un accord. D’ailleurs, lorsque le Pérou a
demandé, en 2003, une «suspension d’exécution» [traduction du Greffe] de l’accord ⎯ le Pérou a
bien dit «suspension d’exécution» ⎯ il a lui-même décrit cet instrument comme un «accord en
150
vigueur» [traduction du Greffe].
4. Les interceptions effectuées par le Chili au s ud du parallèle constituant la frontière, telles
qu’en attestent les procès-verbaux
23. J’en viens à présent au point 5.6 de la lis te, sur la page 2: quelques mots au sujet de
l’interception de pêcheurs péruviens par le Chili, telle qu’en attestent les procès-verbaux. Le
conseil a déclaré que «toutes [les] interceptions [effectuées en 1984] ont eu lieu non loin de la côte,
et toutes, à l’exception d’une seule, ont eu lieu au sud de la ligne d’équidistance» 15.
24. Mon collègue a, une fois encore, choisi de ne pas tenir compte des protestations
officielles formulées par le Chili auprès du Pérou en 1965 à propos de navires péruviens qui avaient
été trouvés à 15milles marins au sud de la frontiè re et à 45milles marins à l’ouest de la ville
d’Arica 15. Cet emplacement se trouve loin de la cô te, mais il se trouve qu’il est également à
10 milles marins au nord de la ligne d’équidistance. Or tout porte à croire que, entre 1965 et 1984,
le Chili a continué de faire respecter de la même ma nière, loin de la côte, le parallèle qui constitue
la frontière.
5. Le Pérou n’a jamais autorisé d’opérations de recherche scientifique au sud du parallèle
qui constitue la frontière
25. J’en viens maintenant au point 7 de la lis te : la recherche scientifique marine. Voilà un
sujet qui, d’ordinaire, suscite peu d’intérêt chez les juristes. Eh bien, tel n’a pas été le cas de
sirMichael. Il est venu armé d’un extrait de s ite Internet, qui véhicule un flot de nouvelles
149CR 2012/33, p. 42, par. 37 (Wood).
150
CMC, vol. II, annexe 29, par. C.1.
151
CR 2012/33, p. 42, par. 38 (Wood).
152MP, vol. III, annexe 68, p. 407, par. 1 et 2 ; CR 2012/31, p. 54, par. 52 b) (Petrochilos). - 61 -
informations. Mardi dernier, il vous a présenté ces extraits tirés du site Internet d’une agence
nationale de recherche des Etats-Unis, le CN DO, et a soutenu que ceux-ci prouvaient que
«entre1961 et1975, [des] navires péruviens [avaie nt] conduit des recherches scientifiques sur les
153
activités de pêche, entre autres, au sud du parallèle» . En réalité, sur le site Internet, il est dit qu’il
s’agissait de recherche océanographique ⎯ rien à voir avec les activités de pêche ⎯ mais ce n’est
pas le problème.
26. Le Chili a évoqué la recherche marine dans son contre-mémoire en mars 2010, ce à quoi
le Pérou a répondu que ces activités n’étaient pas pertinentes pour prouver l’existence d’un accord
154
frontalier . Il semblerait que le Pérou soit à présent d’avis que, finalement, la recherche marine
est importante, et le discours de sir Michael mardi dernier était la première réponse sur le fond du
Pérou en ce qui concerne cette question.
64 27. Mais le caractère tardif des arguments avancés par le Pérou n’est pas le seul problème
qu’ils posent.
⎯ Premièrement, le Pérou n’a fourni aucun élément écrit tendant à prouver qu’il a, à un
quelconque moment, autorisé la mise en Œuvre d’ activités de recherche au sud du parallèle qui
constitue la frontière. Dans ces extraits ne figure aucune autorisation.
⎯ Deuxièmement, il ressort des rapports péruvien s officiels que nous avons pu nous procurer
dans le très bref laps de temps qui s’est écoulé depuis ma rdi que, en 1964 et 1965, les deux
navires péruviens mentionnés par mon collègue participaient à des activités de recherche
multinationales organisées conjointement par la Colo mbie, l’Equateur, le Pérou et le Chili. En
fait, nous avons également trouvé un communiqué de presse établi à Arica en avril 1965, dans
lequel il est précisé que l’un des deux navires péruviens participait à «des études que les deux
pays [menaient] au large de leurs côtes respectives» [traduction du Greffe]. Le Chili mettra
ces rapports, qui sont rédigés en espagnol, à la disposition du Greffe.
⎯ Troisièmement, les informations publiées sur le s ite Internet de l’agence des Etats-Unis ont été
communiquées par le Pérou en 2003, mais elles on t été actualisées ou revisées il y a environ
153
CR 2012/33, p. 47, par. 57 (Wood).
154
Voir RP, par. 4.26. - 62 -
un an ⎯bien que, évidemment, elles concernent des recherches qui ont été effectuées il y a
quarante ans.
Dans ces conditions, on ne saurait admettre ces informations.
28. Monsieur le président, le Chili maintient son allégation. Il n’ existe aucun élément
tendant à prouver que le Pérou a, à un quelconque moment, prétendu autoriser le moindre projet de
recherche au sud du parallèle qui constitue la frontière.
6. Les textes officiels qui ne nécessitaient pa s qu’il soit fait expressément mention de la
frontière maritime
29. Je passe maintenant au point 9.2 de la liste , à la page 4. M.Colson a déjà traité le
point9.1 de la liste, qui concerne la résoluti on suprême adoptée par le Pérou en 1955. Mardi,
sirMichael vous a montré une diapositive intitul ée «absence de mention d’ une frontière maritime
155
latérale avec le Pérou da ns la législation chilienne» . Il a évoqué cinq textes chiliens, et son
argument consistait à dire, non pas que les lois et règlements chiliens ne font pas mention de la
frontière ⎯ nous savons qu’en fait, de nombreuses lois chiliennes en font mention ⎯ mais que ces
cinq textes ne le faisaient pas, et que, pour une raison ou pour une autre, cela était important.
30. Parmi les textes qu’il a évoqués figure le message sur l’approbation des accords conclus
156
à Santiago en 1952 adressé au Parlement par le Gouvernement chilien . Il a également mentionné
le décret portant ratification de ces accords après leur approbation par le Parlement 157. Le rôle d’un
65 tel décret est simplement de reproduire le text e du traité et de confir mer son approbation.
Demême, il n’était pas déclaré, dans le décret por tant ratification du traité conclu en1984 avec
l’Argentine 158, qu’il s’agissait là d’un accord de délimitation, alors que, bien évidemment, c’en était
un. Cet argument ne vient donc en rien étayer la thèse du Pérou.
31. Quant aux trois autres textes évoqués par le Pérou 159, je leur apporterai une réponse
commune. La zone de souveraineté et de juridic tion exclusive de 200 milles marins établie par la
15CR 2012/28, p. 41-42, par. 61 et 64 (Wood).
156
Message adressé en juillet 1954 au parlement par lepouvoir exécutif chilien aux fins de l’approbation des
accords de 1952, MP, vol. III, annexe 92.
157
Décret suprême n° 432 du 23 septembre 1954, MP, vol. II, annexe 30.
15RP, vol. II, annexe 22.
15Décret n°292 du 25juillet1953, MP, vol.II, annexe 29; décret n°130 du 11février1959, MP, vol.IV,
annexe 117 ; décret n° 432 du 4 juin 1963, MP, vol. II, annexe 31. - 63 -
déclaration de Santiago est devenue partie intégrante du droit chilien au moment de la
ratification 160. Il n’est pas nécessaire que les lois et règlements adoptés ultérieurement à propos de
cette zone en définissent à chaque fois toutes les car actéristiques. En fait, les deux derniers textes
évoqués par le Pérou renvoient, soit expresséme nt, soit par référence à d’autres instruments
juridiques, à la zone chilienne de 200milles marins telle qu’elle est établie par la déclaration de
161
Santiago .
32. Voilà, à mon sens, le point qui est ici essentiel ⎯ et qui échappe totalement au Pérou ⎯
ces lois et règlements concernaie nt la zone chilienne de 200 milles marins, établie et définie par la
déclaration de Santiago. Ils ont été élaborés en partant du principe que le Chili disposait d’une
zone, et que celle-ci était séparée et distincte des zones péruvienne et équatorienne.
7. Le Chili a bien confirmé l’existence d’une frontière maritime avec le Pérou lors de sa
ratification de la CNUDM
33. Je vais aborder à présent le point 10 inscrit en page 4 de la liste des éléments soumis. Le
Pérou a indiqué que, lorsque le Chili a ratifié la CNUDM ⎯cela s’est passé en 1997 ⎯, il a
mentionné dans sa déclaration le traité de1984 avec l’Argentine, mais pas la déclaration de
Santiago. Le Pérou vous invite à conclure que le Chili estimait avoir délimité sa frontière maritime
avec l’Argentine, mais pas avec le Pérou 162. Ce dernier ne vous ayant pas présenté le document
o
pertinent, nous l’avons inséré dans notre dossier de plaidoiries, sous l’onglet n 164. Il s’agit d’une
longue déclaration qui, en temps utile, pourra mériter d’être lue attentivement.
34. Je vais vous exposer le contexte dans lequel elle a été faite. En1982, durant la
Troisième conférence sur le droit de la mer, un d ésaccord est né entre le Chili et l’Argentine quant
66 au statut juridique du détroit de Magellan et d’au tres voies maritimes et au régime de la navigation
163
dans le détroit et ces voies . L’Argentine a exposé sa position dans une déclaration qu’elle a faite
164
lorsqu’elle a ratifié la CNUDM, en1995 . Il s’en est suivi des objections et des réponses qui
160
MP, vol. II, annexe 30.
161
CMC, vol. III, annexe 117 ; MP, vol. II, annexe 31.
162CR 2012/33, p. 14, par. 13 (Lowe).
163Déclaration de la délégation argentine, 1avril 1982, A/CONF.62/WS/17 et déclaration de la délégation
chilienne, 7 avril 1982, A/CONF.62/WS/19.
164Circulaire d’information sur le droit de la mer n 5, mars 1997, p. 32. - 64 -
n’ont pas réglé la question 165et le Chili a jugé nécessaire de consigner sa propre position dans une
déclaration qu’il a faite lorsque, à son tour, il a ra tifié la CNUDM deux ans plus tard, soit en 1997.
Il y est question du traité de1984 au paragraphe 2. Les paragraphes suivants concernent le
désaccord né entre le Chili et l’Ar gentine eu égard à l’application des partiesII et III de la
CNUDM.
35. Donc, la déclaration du Chili «tait une réponse à celle de l’Argentine et non pas un
catalogue des accords de délimitation conclus par le Chili.
36. Il faut cependant ajouter ceci : en 1994, le président du Chili avait informé le Parlement
que les dispositions de la CNUDM sur la délimitation étaient «totalement compatibles avec les
accords en vigueur conclus entre le Chili et ses pays voisins, à savoir le Pérou et l’Argentine» 16. Il
s’agissait, là encore, d’une déclaration publique, déclaration faite trois ans avant celle à l’occasion
de la ratification de la CNUDM. Le Pérou a tout efois choisi de la passer sous silence. Cet
important document figure également sous l’onglet n o164.
8. Les limites des zones fonctionnelles ont été convenues de telle sorte qu’elles coïncident avec
la frontière maritime
37. Le dernier point de la liste est le pointn o11 qui se trouve également en page4. Il
concerne les zones fonctionnelles, telles que les zones de recherche et de sauvetage (les SAR) et les
régions d’information de vol (les FIR).
38. Sur la figure que vous voyez à l’écran et qui se trouve également sous l’onglet n o165 du
dossier de plaidoiries, vous voyez que la frontière maritime entre les Parties constitue également la
167
limite entre i) les zones SAR du Chili et du Pérou , ii) leurs zones d’avertissements de navigation,
également appelées zones NAVAREA 16, et iii)la FIR péruvienne, (Lima), et la FIR chilienne,
(Antofagasta) 169.
165Note verbale n 107/96 adressée le 9 septembre 1996 à l’Organisa tion des Nations Unies par le Chili, bulletin
du droit de la mer no33, 1997, p.83; note verbale adressée le 14 mai 1997 à l’Organisation des NationsUnies par
o
l’Argentine, bulletin du droit de la mer n 35, 1997, p. 101.
166DC, vol. II, annexe 68.
167Ibid., vol. III, annexe 133 ; et annexe 134.
168DC, vol. V, figure 77.
169
CMC, vol. IV, annexe 243. - 65 -
67 39. Le dossier montre que les limites de ces zones fonctionnelles ont été fixées, non pas sous
réserve des frontières, ce qui est généralement le cas, mais de telle sorte qu’elles coïncideraient
avec la frontière maritime.
a) Voyons d’abord les zonesNAVAREAS. Le Chili et le Pérou sont convenus en1975, dans le
cadre de la procédure de l’OMI, que ces zones devaient être séparées par une ligne suivant la
«latitude de la frontière entre le Chili et le Pérou» 17. Or, ce dernier n’a pas contesté que la
171
latitude de la frontière entre le Chili et le Pérou signifie la latitude la de frontière maritime .
b) Quant aux FIR des Parties, comme vous pouvez le voir à présent à l’écran, elles ont été
modifiées en1962 ⎯la FIR du Pérou a été rétrécie en1962 ⎯ afin que sa limite suive le
172
parallèle constituant la frontière maritime . Cela a été consigné dans le décret chilien y
afférent, qui a bien évidemment été publiéet qui n’a pas soulevé d’objection de la part du
Pérou.
c) Enfin, lorsque la SAR chilienne a été définie par décret, en1976, sa limite a été fixée au
parallèle passant par la borne fr ontière no1, lequel était désigné par l’expression «le parallèle
173 174
frontalier septentrional» ; là encore, le Pérou n’a émis aucune protestation .
C. La pratique pertinente couvre la période allant jusqu’en août 2007
40. J’en arrive à présent, Monsieur le président, à ma troisième et dernière série
d’observations, qui sera brève. Elle concerne la longévité des éléments de preuve ou la durée de
leur période de pertinence. La noteBákula de 1986 a déjà été évoquée comme étant un exemple
important à cet égard. Le Pérou a discrètemen t renoncé à invoquer cette note dans ses plaidoiries
finales. Il a bien fait et ce, pour trois raisons.
41. La première est que, comme je l’ai montré à la Cour la semaine dernière, la note Bákula
étaitun «fait isolé» ⎯et était considérée comme tel par le Pérou. Les deux Parties ⎯ pas
seulement le Chili mais également le Pérou ⎯ont continué de se comporter sensiblement de la
17DC, vol. III, annexe 125, par. 6.
17CR 2012/28, p. 60, par. 24 (Bundy).
172
DC, vol. II, annexe 48.
17CMC, vol. III, annexe 132, titre II, par. 1.
17DC, vol. III, annexe 126. - 66 -
175
même façon après1986 . J’ai exposé précédemment que le Pérou avait multiplié les actes
confirmant l’existence d’une frontière. J’ai ég alement montré qu’il ne s’était pas élevé contre
68 l’affirmation répétée, par le Chili, de l’existe nce d’une frontière, manifeste notamment par la
publication de trois cartes marines en 1992, 1994 et 1998, à l’égard desquelles le Pérou n’a émis
176
aucune réserve avant 2000 .
42. La seconde raison concerne le fait que, i mmédiatement après l’envoi de la note Bákula,
le ministre péruvien des relations extérieures a confirmé l’existence de la frontière maritime avec le
Chili; il a également confirmé qu’il s’agissait d’une frontière établie selon la déclaration de
Santiago, d’une frontière existante que le Pérou av ait tenté de renégocier. Autrement dit, en 1986,
le Pérou ne contestait nullement l’existence d’ une frontière entre les Parties ou son fondement
juridique.
43. Les déclarations du ministre figurent dans les annexes 141 et 142 de la duplique du Chili.
Le Pérou ne les conteste pas. Et, comme les déclar ations ministérielles sur lesquelles la Cour s’est
appuyée en la très récente affaire relative à l’ Application de l’accord intérimaire du
13septembre1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c.Grèce) 177, ce sont là des éléments
de preuve fondamentaux de la position du Pérou. En fait, nous avons entendu
S. Exc. l’ambassadeur Wagner indiquer que, après 1986, le Pérou avait d’autres priorités que de
178
renégocier la frontière avec le Chili , ce à quoi nous n’avons rien à dire, sinon qu’il en découle
des conséquences juridiques.
44. La troisième raison pour laquelle la période d’admissibilité des éléments de preuve ne
s’arrête pas en 1986 ⎯et s’étend en fait jusqu’à aujourd’hui ⎯est d’ordre juridique. Il ressort
clairement de la jurisprudence, ycompris de ce lle de la Cour, qu’une invitation à négocier une
frontière, ce que constituait la noteBákula, ne crée p as de date limite de validité des éléments de
preuve. Pour cela, il faut qu’ une partie revendique de manière positive un espace maritime et que
la partie adverse conteste ensuite cette revendicat ion. Avant, le différend n’a pas d’existence
175CR 2012/31, p. 67, par. 98 (Petrochilos).
176
Ibid., p. 68, par. 99 (Petrochilos).
177 Application de l’accord intérimaire du 13sept embre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine
c. Grèce), arrêt du 5 décembre 2011, par. 81.
178CR 2012/34, p. 41-42, par. 6 (Wagner). - 67 -
juridique. Aucun différend juridique n’est alors cristallisé et la période d’admissibilité des
179
éléments de preuve continue de courir .
45. Comme je l’ai expliqué la semaine dernière, le Pérou n’a avancé aucune revendication de
180
ce type sur les eaux situées au sud du para llèle constituant lafrontière avant août 2007 . Et même
après cette date, la suite de la pratique des Parti es, dans la mesure où elle révèle une continuité,
reste pertinente.
46. Monsieur le président, Mesdames et M essieurs de la Cour, voilà qui conclut ma
69
plaidoirie. Je vous remercie de l’attention que vous m’avez portée. M.Wordsworth poursuivra
l’exposé du Chili après la pause-déjeuner.
Le PRESIDENT: Merci, Monsieur Petroch ilos. La Cour se réunira de nouveau cet
après-midi de 15 heures à 17 heures pour entendr e la fin du second tour de plaidoiries du Chili et
ses conclusions finales. Je vous remercie. L’audience est levée.
L’audience est levée à 13 heures.
___________
179Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c.
Honduras), C.I.J. Recueil 2007 (II), p.659, par.48-53, 121-122, 130-131; Délimitation maritime entre la Guinée et la
Guinée Bissau, RSA, vol. XIX, p. 162, par. 31-32.
180Voir MP, vol. II, annexe 24 et vol. IV, figure 2.4.
Translation