Non-Corrigé Traduction
Uncorrected Translation
CR 2011/11 (traduction)
CR 2011/11 (translation)
Lundi 28 mars 2011 à 10 heures
Monday 28 March 2011 at 10 a.m. - 2 -
12 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La C our se réunit pour entendr e le second tour de
plaidoiries de l’ex-République yougoslave de Ma cédoine. Je donne maintenant la parole au
premier intervenant, M. Philippe Sands.
M. SANDS :
Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, à l’issue du premier tour de
procédure orale, il apparaît clairement que cette affaire est bien une affaire simple, et nous n’aurons
donc pas à retenir la Cour pendant toute la durée qui nous a été impartie. Les faits sont au cŒur de
cette affaire, et M. Murphy reviendra sur les deux faits principaux : 1) le défendeur a bien objecté à
l’adhésion du demandeur à l’OTAN, et 2)il ne l’a pas fait au motif que le demandeur devait être
doté à l’OTAN d’une appellation différente de celle prévue au paragraphe 2 de la résolution 817 du
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. De ces faits, M.Murphy tirera alors les
conséquences juridiques: le paragraphe1 de l’ar ticle11 de l’accord intérimaire a clairement été
violé. Les faits sont également au cŒur de la démonstration tendant à établir que la Cour a
compétence et que l’exercice de cette compétence ne se heurte à aucun obstacle, points
qu’examinera ensuite M. Klein. Enfin, je revie ndrai sur les moyens avancés par le défendeur pour
justifier ses actes, et notre agent conclura alors notre second tour de plaidoiries.
2. En guise d’introduction, pour bien cerner la problématique, il convient de replacer dans
leur contexte ces questions clairement délimit ées, et de formuler un petit nombre d’observations
liminaires, concernant notamment la façon dont le défendeur a choisi de plaider l’affaire. A
l’évidence, la cause qu’a embrassée le défendeur ne se défend pas facilement. Tout au long de la
procédure écrite, et de nouveau la semaine p assée, la stratégie du défendeur a consisté à
complexifier les choses; ses arguments sont donc en constante évolution. Cette démarche, du
reste, se comprend aisément : à la place du défendeur, nous n’aurions pas procédé autrement. Mais
ce que vous avez entendu, la semaine dernière, c’est un conte de fées ⎯ un conte de fées reposant
sur une série d’artifices et de mythes improbables quant à ce qui s’est passé, ou non, en 1993, 1995,
2007 et2008. Pour agrémenter ce conte de fées, le défendeur a employé un certain nombre de - 3 -
techniques bien éprouvées. Il a méconnu les faits qui ne servaient pas sa cause. Il en a échafaudé
de nouveaux. Il a relaté de manière partiale et fallacieuse ce qui s’était passé. Il a cité et reproduit,
e
en les déformant, les sources de tierces parties. Il est remonté très loin ⎯ jusqu’au IV siècle avant
13
Jésus-Christ 1 ⎯ jusqu’à des époques dépourvues de toute pertinence aux fins de la présente espèce.
Il a agité le spectre de l’implication de la Cour dans des questions politiques. Telles ont été, entre
autres, les techniques qu’il a convoquées pour obtenir que, bientôt, on puisse lire en gros titres dans
les journaux: «La Cour mondiale conclut que la Grèce ne s’est pas opposée à l’adhésion de la
Macédoine à l’OTAN.» Monsieur le président, il est évident qu’un tel titre est inenvisageable. A
l’appui de cet argument, le défendeur se voit contraint d’adopter une démarche qui passe outre à un
certain nombre d’évidences aussi grosses que des éléphants ⎯un véritable troupeau d’éléphants
avançant à pas lourds dans cette grande salle de justice.
3. Le premier de ces éléphants est l’avis Badinter. Il a été mis en avant face à l’allégation
répétée du défendeur selon laquelle son opposition se justifiait en raison de l’«irrédentisme» du
demandeur ⎯son prétendu désir d’annexer une partie du territoire du défendeur; le mot a été
employé pas moins de 27fois par celui-ci, la semaine dernière. Cet irrédentisme serait ce qui
motiverait ses actes, et il saperait en outre la stabilité de la région ⎯ autre affirmation à l’appui de
laquelle pas une once de preuve n’a été produite devant la Cour. Quelle preuve, en effet, nous
livre-t-on de cet irrédentisme? Quelle preuve que le nom constitutionnel du demandeur
constituerait une menace à la stabilité régionale? Il n’en a été produit aucune. C’est une pure
affirmation ⎯ une simple assertion, dépourvue de tout fondement dans les faits, et qui n’est étayée
par aucune source émanant de tierces parties. Au contraire, appliquant les critères énoncés par les
ministres des affaires étrangères de la Communaut é européenne, la commission Badinter a conclu,
le 14 janvier 1992 ⎯il y a donc près de vingtans ⎯, que «la République de Macédoine a[vait]
renoncé à toute revendication territoriale quelle qu’ell e [fût], dans des déclarations sans ambiguïté
et ayant force obligatoire en droit internationa l» et que «l’utilisation du nom de «Macédoine» ne
1
CR 2011/8, p. 18, par. 21 (Telalian). - 4 -
2
saurait impliquer aucune revendication territoriale à l’égard d’un autre Etat» . Bien que nous
ayons soulevé ce point mardi dernier, le défendeur n’a rien trouvé à répondre 3. Or, cet avis, vous
le savez, a été l’un des fondements des négociations qui ont conduit à la conclusion de l’accord
intérimaire, comme l’a indiqué le Secrétaire géné ral des Nations Unies M. Boutros Boutros-Ghali,
dans sa lettre en date du 28 mai 1993 au président du Conseil de sécurité de l’Organisation. Certes,
la Cour n’est bien évidement nullement liée par l’avisBadinter, mais nous ne voyons pas ce qui
o
vous permettrait de conclure que sa conclusion, autorisée, aurait été infirmée. [Projectionn 1.]
14
Rien ne vient prouver l’affirmation du défendeur tendant à soutenir le contraire. Bien au contraire,
comme l’a clairement indiqué le département d’Etat des Etats-Unis en 2004, lorsqu’il a affirmé :
«Ces dirigeants, ce gouvernement, ont dit et redit qu’ils n’avaient pas
d’aspiration territoriale ; le fait qu’ils utilisent, pour se désigner eux-mêmes, le nom de
Macédoine n’a aucune incidence pour leurs voisins ou pour les territoires ou peuples
voisins. Telle est en tout cas l’orientati on générale qu’ont maintenue les Etats-Unis,
qu’eux-mêmes ont maintenue, et nous ne voyons pas en quoi ces aspects, qui ont été
discutés voici soixanteans, interviendra ient dans la décision qui nous occupe
aujourd’hui.» [Fin de la projection n 1.] o
Tel est le point de vue qui semble prévaloir dans les capitales du monde entier, de Moscou à Pékin,
de Mexico à Freetown, et même à Athènes ⎯comme l’atteste un entretien accordé la semaine
dernière à un journal athénien par l’actuel vice-pr emier ministre, M. Theodoros Pangalos. L’avis
de la commissionBadinter n’a nullement été remis en question. C’est là la première vérité
d’évidence ⎯ le premier éléphant dans cette salle.
4. Le deuxième éléphant dans la pièce est M. Nimetz, et je n’entends nullement lui manquer
de respect en utilisant cette image, bien au contraire. Le défendeur a brillé par sa discrétion à
l’égard de l’envoyé personnel du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Il n’avait
pratiquement rien à dire à son sujet, mais pas tout à fait rien. Vous vous souviendrez que, lundi
dernier, j’ai attiré votre attention sur ce qu’avait déclaré M. Nimetz le 18 septembre 1995, soit juste
cinq jours après la signature de l’accord intérimaire, et que M.Murphy est revenu sur ce point
2 Commission d’arbitrage de la conférence sur la Yougoslavie, Avis n 6 sur la reconnaissance de la République
socialiste de Macédoine par la Comm unauté européenne et ses Etats membres (14 janvier 1992), Nations Unies,
doc. S/25855, annexe III (28 mai 1993) ; mémoire du demandeur, annexe33; voir également, mémoire du demandeur,
par. 2.13-2.14 ; réplique du demandeur, par. 4.81.
3 CR 2011/6, p. 46-47, par. 79 (Murphy).
4 US Department of State, Daily Press Briefing, 4novembre 2004, disponible, en anglai s, à l’adresse suivante:
http://2001-2009.state.gov/r/pa/prs/dpb/2004/37819.htm. - 5 -
5 o
mardi . [Projection n 2.] En réponse à cela, le conseil du défendeur nous a reproché de nous être
focalisés sur «[le] souvenir d’une observation de M. Nimetz, qui ne se trouvait pas au Conseil de
sécurité et dont la remarque, de surcroît, ne portait pas sur la question de savoir comment le
6
demandeur se désignerait lui-même» . Et bien cette réponse est erronée. Elle constitue encore un
malencontreux exemple de la désinvolture avec laquelle le défendeur traite les éléments de preuve.
M. Nimetz a bien abordé la question de savoir comment le demandeur se désignerait lui-même:
[projection n o 2.2] il a déclaré ⎯ comme vous pouvez vous-mêmes le lire à l’écran ⎯ que
«les gens de [l’Etat demandeur] emploien t, en parlant d’eux-mêmes, leur nom
constitutionnel, à savoir République de Macédoine. Et nous avons effectivement
constaté qu’il n’existait pas de prescrip tion les obligeant à utiliser un nom qu’ils
n’acceptent pas. Cela ne signifie pas pour autant que l’organisation accepte ce
7
nom.»
15 On ne saurait trouver déclaration faisant plus autori té que celle de M.Nimetz, en premier lieu en
raison de son rôle d’envoyé spécial de la MaisonBlanche, sur la négociation de l’accord
intérimaire à laquelle il a été directement et personnellement associé de très près. Il savait
pertinemment ce que le Conseil de sécurité avait ou non décidé en 1993, il connaissait la pratique
ultérieure quant à l’utilisation du nom constitutio nnel et, bien entendu, il savait comment l’accord
intérimaire avait repris cette pratique, puisqu’il avait contribué à la négociation de cet instrument et
o
notamment de ses articles 5 et 11. [Projection n 2.3.] Le 15 septembre 1995, soit deux jours après
la signature de l’accord intérimaire, le président du Conseil de sécurité déclarait ⎯ comme vous
pouvez maintenant le voir à l’écran ⎯ que le Conseil
«félicit[ait] les Parties, le Secrétaire général, son envoyé spécial, M.CyrusVance, et
l’émissaire des Etats-Unis, M.MatthewNimetz, des efforts qu’ils [avaient] déployés
pour parvenir à cet important résultat, conf ormément à ses résolutions 817(1993) et
8 o
845 (1993)» . [Fin de la projection n 2.]
5. Mais, Monsieur le président, lorsque M. Nimetz déclare qu’«il n’exist[e] pas de
prescription…obligeant [le demandeur] à utiliser un nom qu’il[] n’accepte[] pas», il s’exprime
5 CR 2011/6, p. 41-42, par. 66.
6 CR 2011/8, p. 54-55, par. 31 (Reisman) ; les italiques sont de nous.
7 Réplique du demandeur, par.4.57; «Point de presse du centre de la presse étrangère avec l’ambassadeur
Matthew Nimetz, envoyé spécial de la Maison Blanche, concernant les accords entre la Macédoine et la Grèce», Point de
presse de la Maison Blanche, 18 septembre 1995 : réplique du demandeur, annexe 87.
8 Déclaration du président du Cons eil de sécurité, 15septembre1995,Nations Unies, doc. S/PRST/1995/46 :
dossier de plaidoiries, onglet n 9. - 6 -
avec une autorité toute particulière et unique. Comme cela était le cas avec l’opinion Badinter, la
Cour n’est pas liée par les déclarations de M. Nimetz, mais en l’absence de tout élément de preuve
allant à l’encontre de ces déclarations ⎯et il n’y en a absolument aucun ⎯ et compte tenu du
comportement des Parties, des Etatstiers, de l’Organisation des NationsUnies et d’autres
organisations internationales, il n’existe tout simplement aucune base probante pour conclure que
le demandeur n’avait pas le droit d’utiliser son nom constitutionnel à l’Organisation des
NationsUnies, dans toutes les institutions spécialisées et dans toutes les autres organisations
internationales dont les deux Parties sont membres.
6. De fait, on pourrait dire que la pratique c onstante qui a été adoptée en application de la
résolution817 et de l’accord intérimaire ⎯à savoir l’utilisation par le demandeur de son nom
constitutionnel dans toutes les organisations que je viens de mentionner, invariablement pendant
plus de quinze ans et sans que cela n’entraîne la moindre objection de la part du moindre secrétariat
ou du moindre Etat tiers ⎯ cette pratique constante est le troisième éléphant dans la pièce.
M. Murphy reviendra sur ce sujet dans un instant.
16 7. Le quatrième éléphant est la convention de Vienne sur le droit des traités, l’instrument qui
énonce les règles de droit international qui, selon no us, régissent la présente affaire. Le défendeur
n’a jamais cherché à invoquer un droit de suspension, partiel ou total, en vertu de la convention de
Vienne, pas plus qu’il ne nous a avertis, avant d’élever des objections en2007 et2008, d’une
quelconque violation substantielle que nous aurions commise. En l’espèce, la disposition clé de
cette convention est l’article60, que la Cour a, bien entendu, eu à examiner à de nombreuses
reprises et notamment de manière très exhaustive dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative au
9
Projet Gabčíkovo-Nagymaros . Je suis sûr qu’un rappel est inutile. Mais le paragraphe100 de
l’arrêt nous semble particulièrement pertinent, et nous espérons que vous nous excuserez d’avoir
pris la liberté de partir du texte de cet arrêt pour l’appliquer à l’instrument et aux faits de la
présente affaire. [Projectionn o3.] Si l’on remplace les références au traité de1977 par des
références à l’accord intérimaire de1995, et si l’ on substitue aux mots terminaison, dénoncer et
9
Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 62-63, par. 100. - 7 -
[se] retirer les mots suspension et suspendre sans apporter d’autres changements, le texte se lit alors
ainsi :
«[L’accord intérimaire de1995] ne con tient pas de disposition concernant sa
[suspension]. Rien n’indique non plus que les Parties entendaient admettre la
possibilité de [suspendre] le traité…Pa r conséquent, les Parties n’en ayant pas
convenu autrement, le traité ne pouvait [ê tre suspendu] que pour les motifs énumérés
limitativement dans la convention de Vienne.» [Fin de la projection n 3.] o
Nous estimons qu’il s’agit-là d’une conclusion parfaite ment juste et qu’elle le serait en l’espèce.
Le défendeur n’a jamais cherché à justifier son opposition en se référant à des droits ou procédures
prévus par la convention de Vienne de 1969, si bien que le paragr aphe 100 de votre arrêt de 1997
constitue pour lui un obstacle insurmontable. Les motifs énumérés limitativement dans la
convention de Vienne n’ayant pas été invoqués, et les conditions de leur invocation n’ayant pas été
remplies, l’opposition du défendeur ne reposait sur aucun fondement juridique : il a manifestement
violé les dispositions claires de l’article11. Pour le défendeur, il n’existe aucun moyen de
contourner cette difficulté. C’est pourquoi nous soutenons que cette affaire est simple.
8. Monsieur le président, dans l’exercice de sa fonction judiciaire, la Cour va nécessairement
procéder à l’examen des faits tels qu’ils ressortent effectivement des pièces versées au dossier et,
17 afin de se frayer un chemin à travers des arguments contradictoires, elle devra mettre de côté ce qui
relève de la pure alléga tion pour s’en tenir aux éléments de preuve produits. Le défendeur a
peut-être le droit de faire sembla nt de ne pas voir les éléphants, mais pas la Cour, et nous sommes
sûrs qu’elle ne le fera pas. Elle exercera sa fonction judiciaire comme elle l’a toujours fait, et elle
ne se laissera pas dissuader par les allégations du conseil du défendeur sel on lesquelles elle se
10
laisserait «instrumentaliser par le demandeur» . Cette accusation est injuste. Le demandeur fait
précisément ce que le défendeur aurait dû faire, à savoir saisir la Cour lorsqu’il pense que l’autre
Partie ne respecte pas ses obligations juridiqu es. C’est ce que les deux Parties envisageaient
lorsqu’elles sont convenues des termes de l’article 21 en1995. Le demandeur aurait lui aussi pu
prendre les choses en main. Lui aussi aurait pu ch ercher à suspendre l’application des parties de
l’accord intérimaire qui étaient devenues gênantes. Mais il n’a pas voulu le faire. Il a choisi de
respecter le droit: c’est ainsi que nous avons écr it au défendeur pour lui faire part des violations
10
CR 2011/9, p. 19, par. 29 (Pellet). - 8 -
substantielles de l’accord qu’il avait commises, pui s que nous avons engagé la présente procédure,
exactement comme l’avaient prévu les Parties dans le texte dont elles sont convenues à l’article 21,
qui confère à la Cour un rôle central. Nous criti quer pour avoir agi de la sorte est, à notre sens,
totalement inapproprié.
9. Pour être clair, la seule question que l es Parties ne souhaitaient pas voir abordée par la
Cour était celle de la divergence relative au no m: la résolution817 du Conseil de sécurité de
l’Organisation des Nations Unies exprime très clai rement que les Parties étaient convenues que «la
divergence…au sujet du nom» ⎯celle-ci et aucune autre ⎯ devait faire l’objet d’un règlement
politique. Il n’a jamais appartenu à la Cour de déterminer le nom du demandeur ou de statuer sur
celui-ci, mais c’est la seule question exclue de son champ de compétence. Je remercie M. Burdeau,
qui a eu l’amabilité de vérifier le libellé de ce texte dans toutes les autres langues de l’Organisation
des NationsUnies, et partout c’est le singulier qui est utilisé. C’est l’unique question exclue du
champ de compétence de la Cour. Et il ressort clairement de ce libellé que la divergence relative
au nom est totalement distincte des autres divergences susceptibles d’apparaître, qui elles relèvent
de la compétence de la Cour. Comme M.Klein le précisera ⎯une fois encore ⎯ le défendeur
aurait été parfaitement fondé à saisir cette Cour au motif que le demandeur ne respectait pas l’une
des obligations que lui impose l’article5, par exemple celle de négocier. Il aurait pu le faire s’il
l’avait souhaité. L’obligation de négocier est une question distincte de la divergence relative au
nom. Ou encore, il aurait pu présenter une demande reconventionnelle, mais, là encore, il s’en est
abstenu. Il semble que cela ait été une décision parfaitement sensée, étant donné que le demandeur
18
n’a manifestement pas violé l’article5 et qu’ il a constamment négocié de bonne foi avec le
défendeur. Je le répète, le défendeur est demeuré silencieux. Nous avons attiré son attention sur la
déclaration de M. Nimetz, qui, il n’y a de cela pas plus de six semaines, a félicité les deux Parties
11
pour ce qu’il a appelé leur «attitude positive sur la voie du règlement de la question [du nom]» , et
il est franchement le mieux placé pour exprimer un point de vue sur l’allégation selon laquelle
l’une des Parties n’aurait pas pris part de bonne foi aux négociations. Le défendeur avait toutes ces
démarches à sa disposition pour nous faire pa rt des préoccupations dont il vous a à présent
11
«Nimetz: pas de nouvelle proposition», VOA News , 9février2011, disponible à l’adresse suivante:
http://www.voanews.com/macedonian/news/Macedonian-VOA-Macedonia-Greece-…-
115695309.html. - 9 -
accablés. Il ne fallait pas se faire justice soi-même. De plus, pour être très clairs sur l’exercice de
la fonction judiciaire, nous ne voyons pas co mment votre arrêt devrait en quoi que ce soit
concerner les décisions ou les actes de l’OTAN, ou encore les négociations qui se poursuivent au
titre de l’article 5, un point sur lequel nous reviendrons.
10. Monsieur le président, cela m’amène à c onclure cette introduction. En écoutant les
conseils du défendeur, nous a vons été frappés par leurs contradictions incessantes, cinquième
éléphant dans la pièce. Ils ne parviennent tout simplement pas à faire un récit cohérent. Un instant
ils prétendent ne pas vouloir invoquer des contre-mesu res, mais l’instant d’après ils le font. Un
conseil soutient que l’article 11 dit une chose, puis son adjoint soutient qu’il en dit une autre. Dans
ses écritures, le défendeur soutient qu’il n’a jama is cherché à suspendre l’accord intérimaire, puis
son conseil affirme qu’en fait, c’est exactement ce qu’il a fait: il l’a partiellement suspendu.
L’ancien premier ministre du défendeur affirme que celui-ci s’est opposé à l’admission du
demandeur à l’OTAN en exerçant son veto, mais l’ un des conseils du défendeur prétend que ces
propos sont inexacts. L’ancien ministre des affaires étrangères du défendeur soutient que celui-ci a
tenté de se soustraire aux prescriptions de l’accord intérimaire pour ne pas être taxé de «lâcheté
politique», mais le conseil soutient que l’accord a toujours été respecté à la lettre. Ils conviennent
que nous avons le droit d’utiliser notre nom constitutionnel dans nos relations bilatérales avec le
défendeur, en vertu des mémorandums de 1995 dont ils n’ont pas soufflé mot, mais ils prétendent
que nous ne pouvons pas le faire si ces relations bilatérales se déroulent dans le cadre de
l’Organisation des NationsUnies. Voilà une positi on bien absurde. Ils soutiennent encore que
nous devons nous désigner nous-mêmes «ex-République youg oslave de Macédoine» à
l’Organisation des Nations Unies et devant tous ses organes, y compris la Cour, mais, vous l’avez
entendu vous-mêmes, ils s’autorisent à maint es reprises à utiliser l’acronyme «ERYM» ou
19
«ARYM», qui ne correspond pas à l’appellation provis oire indiquée dans la résolution 817 et qui a
fait l’objet de protestations officielles. Il nous est difficile d’entendre cet acronyme constamment
utilisé de cette manière, mais comme vous le savez également, nous avons cherché un arrangement
et nous nous en sommes tenus aux termes «demandeur» et «défendeur», précisément pour éviter de
12
Réplique du demandeur, annexe 42. - 10 -
placer la Cour dans une situation délicate. Mais voici où je veux en venir, Monsieur le président :
la pratique du défendeur va clairement à l’encontre de l’allégation selon laquelle la seule
dénomination acceptable que le demandeur ou qui que ce soit d’autre pourrait utiliser serait
«ex-République yougoslave de Macé doine», et que nous ne serions pas en droit de nous désigner
nous-mêmes «République de Macédoine», que ce so it à l’Organisation des NationsUnies, dans
n’importe quelle autre organisation internationale ou devant cette C our ; c’est un enchaînement de
contradictions.
11. Monsieur le président, cela conclut cette introduction. Je vous invite maintenant à
appeler M. Murphy à la barre. Merci pour votre attention.
Le PRESIDENT : Je remercie M. Philippe Sands pour son intervention et j’invite maintenant
M. Sean Murphy à prendre la parole.
M. MURPHY :
LA VIOLATION PAR LE DÉFENDEUR DU PARAGRAPHE 1 DE L ARTICLE 11
DE L ’ACCORD INTÉRIMAIRE
Introduction
1. Merci, Monsieur le président. Nous avons écouté attentivement les arguments factuels et
juridiques que le défendeur a présentés la semaine dernière en réponse à notre thèse selon laquelle
il a violé le paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire. Ces arguments ne faisaient, pour la
plupart, que répéter les éléments exposés dans le s écritures du défendeur, ce qui signifie qu’ils
étaient souvent lacunaires, incohérents, peu vraisemblables et, je suis au regret de le dire, parfois
erronés.
2. En particulier, le défende ur n’est toujours pas en mesure d’opposer le moindre argument
digne de ce nom aux éléments de preuve incontest ables qui ont été versés au dossier et attestent
qu’il s’est systématiquement et inlassablement opposé à l’adhésion du demandeur à l’OTAN. Au
lieu de cela, il persiste à prétendre qunotre grief vise en réalité l’OTAN elle-même, ce qui lui
permet de contester ensuite une thèse qu’il a fabriquée de toutes pièces et qui n’est pas celle dont la - 11 -
20 Cour a à connaître. Chose étonnante, il continue de soutenir que le demandeur n’a pas le droit
d’utiliser son nom constitutionnel dans ses rapports avec les organisations internationales, puis sort
de son chapeau un changement qui se serait produit au milieu des années2000 ⎯ou plutôt un
complot sournois qui aurait été ourdi à cette époque ⎯ et qui justifierait le comportement qu’il a
adopté à l’égard de l’OTAN en2007 et2008. Cela est pour le moins étonnant, puisqu’il ressort
tout à fait clairement des éléments de preuve que le demandeur a, depuis 1991, toujours fait usage
de son nom constitutionnel da ns l’ensemble de ses relations exté rieures, la résolution817 n’ayant
nullement modifié cette pratique, qui a d’ailleurs été acceptée par la planète entière à l’exception du
défendeur.
3. Tous les arguments du défendeur ont d’or es et déjà été réfutés en détail dans nos
écritures 13ainsi qu’au premier tour de plaidoiries 14. Nous maintenons entièrement nos positions.
Cependant, plutôt que de nous contenter de répéter les raisons pour lesquelles les arguments du
défendeur sont erronés, nous estimons qu’il est plus utile pour la C our que nous le fassions tout en
présentant les dix points principaux sur lesquels est fondée notre demande.
Dix assertions relatives à la violation par le défendeur du paragraphe 1 de l’article 11 qui
reposent sur les éléments de preuve et les arguments juridiques présentés à la Cour
A. Le demandeur avait atteint la dernière étape du processus d’adhésion à l’OTAN
4. Notre premier point. Entre1995 et2007, le demandeur a franchi les différentes étapes
nécessaires pour que sa candidature à l’OTAN puisse être examinée ; au début de l’année 2008, il
15
s’apprêtait ainsi à entamer la dernière étape de ce processus d’adhésion . A l’été2007, les
Etats membres de l’OTAN étaient sur le point de l’inviter à adhérer à l’organisation. Cela ressort
de plusieurs déclarations faites par des membr es de l’OTAN à cette époque , aucune d’entre elles
16
n’ayant été contestée par le défendeur .
13Mémoire du demandeur, chap. II V), IV et V ; réplique du demandeur, chap. II et IV.
14
CR 2011/5, p. 39-56, par. 1-64 (Murphy) ; CR 2011/6, p. 21-49, par. 1-88 (Murphy).
15CR 2011/5, p. 40-43, par. 8-17 (Murphy).
16Voir, par exemple, mémoire du demandeur, par. 2.53. - 12 -
B. Tout Etat membre de l’OTAN pouvait s’opposer à l’adhésion du demandeur
5. Notre deuxième point. La décision d’inviter le demandeur à rejoindre l’OTAN nécessitait
le consensus de tous les Etats membres de l’ organisation au sommet d’avril2008; l’opposition
d’un seul Etat membre aurait empêché cette décision. Les Parties conviennent que le processus de
décision de l’OTAN exige le consensus. Elles conviennent également qu’aucun vote formel n’a
21
jamais lieu et n’est jamais consigné au sein de l’OTAN; l’opposition du défendeur n’aurait donc
pas pu se manifester de cette manière. D’un autre côté, rien dans le processus d’adhésion à
l’organisation n’empêche un Etat membre de s’opposer à une candidature. Ce processus repose sur
l’idée que tout Etat membre peut, en exprimant son oppos ition, élever des objections à l’adhésion
d’un nouveau membre et empêcher cette adhési on. La règle du consensus garantit que les
décisions, y compris celles qui sont prises en matière d’élargissement, demeurent, «en dernière
analyse, la prérogative des Etats membres souverains» 17. Ainsi qu’il est souligné dans le manuel
de l’OTAN, «[c]haque pays membre représenté au Conseil … conserve son entière souveraineté et
la pleine responsabilité de ses décisions» 18.
6. Le paragraphe 1 de l’article 11 a trait à la question de savoir si le défendeur s’est «opposé»
à l’adhésion du demandeur ; aux fins de la présente espèce, la question n’est pas de savoir si cette
opposition a pris la forme d’un «veto», que ce terme soit employé au sens littéral ou non. Pour ce
qui concerne l’emploi de ce terme au sein de l’organisation, si l’on entend par «veto» un vote
négatif formel par un Etat memb re permettant de faire obstacle à une décision qui, sans cela, a
recueilli la majorité requise, alors il n’existe pas de «veto» à l’OTAN. Dans ses déclarations sur ce
point, que le défendeur a rappelées la semaine dernière, le secrétaire général de l’organisation
emploie le mot dans ce sens. En revanche, si le terme «veto» est utilisé comme il l’est en langage
courant, c’est-à-dire pour désigner l’opposition d’un Etat membre qui empêche une décision d’être
prise par consensus, alors le «veto» existe bel et bien à l’OTAN, ainsi que l’organisation elle-même
l’a d’ailleurs fréquemment reconnu 19.
17
Contre-mémoire du défendeur, annexe 145.
18Ibid., annexe 22, p. 33.
19Voir, par exemple, contre-mémoire du défendeur, annexe15; voir égalem ent «Le ministre canadien de la
défense souhaite une modification de la règle du consensus de l’OTAN en matière d’admission de nouveaux membres» :
réplique du demandeur, annexe153; «Il est temps de suppr imer le veto national en matière d’admission de nouveaux
membres à l’OTAN et à l’UE» : réplique du demandeur, annexe 78. - 13 -
7. Je ne répèterai pas nos arguments sur ce point 20. Il me semble néanmoins indispensable
de répondre aux propos de l’agent de la Partie ad verse, puisque ces propos risquent d’être mal
interprétés. L’agent du défendeur a indiqué je udi dernier qu’«[i]l n’[était] pas question de
21
«bloquer» une décision de l’OTAN ou d’y opposer son «veto»» . Pour étayer sa position, il s’est
référé à une étude de 1995 sur l’élargissement de l’OTAN, dont il a fait figurer un extrait dans le
o
dossier de plaidoiries. [Projection n 1.] Cet extrait se lit comme suit :
22 «Il appartiendra à l’OTAN de décider elle-même de son élargissement… Au
bout du compte, les alliés décideront par consensus, pour chaque nouveau membre
potentiel, s’il convient de l’inviter à adhé rer à l’Alliance, selon qu’ils jugeront que
cela contribuera à la sécurité et à la stabilité dans la région de l’Atlantique Nord au
moment où une telle décision devra être prise…Aucun pays non membre de
l’Alliance ne doit se voir conférer un dro it de veto ou un droit de regard sur le
22
processus et les décisions.»
8. Trois éléments de cet extrait méritent d’être relevés. Premièrement, alors que le défendeur
laisse entendre que les termes employés s’appliquent, d’une manière ou d’une autre, au demandeur,
la lecture de l’intégralité du rapport démontre que le pays dont il est question dans la dernière
phrase n’est pas le demandeur, mais un pays bien pl us grand et bien plus puissant situé nettement
plus au nord-est. Deuxièmement, s’il est précisé que cette importante puissance qui n’appartient
pas à l’Alliance ne doit pas dispo ser d’un droit de «veto», cela signifie clairement que les Etats
membres existants ont, quant à eux , la faculté de s’opposer à l’adhésion de nouveaux membres.
Troisièmement, en tout état de cause, l’inquiét ude qui est exprimée ici est qu’un Etat non membre
puisse bloquer l’adhésion, hypothèse qui n’est, de t oute évidence, pas à l’examen en la présente
espèce. [Fin de projection.]
9. L’agent du défendeur, tout en se montrant fort éloquent au sujet de sa participation
personnelle à l’OTAN, a malheureusement omis d’ appeler votre attention sur d’autres parties,
pourtant bien plus pertinentes, de l’étude de 1995. [Projection n o2.] Examinons, par exemple, le
paragraphe 30 de ce document, dans lequel figure le passage suivant :
«Des pays pourraient être invités à adhérer successivement à l’Alliance ou
plusieurs pays pourraient être invités simultanément à devenir membres, étant entendu
que tous les Alliés devront prendre une déci sion par consensus sur chaque invitation,
20CR 2011/5, p. 52-53, par. 51-54 (Murphy).
21
CR 2011/8, p. 23, par. 8 (Savvaides).
22CR 2011/8, p. 25, par. 16 (Savvaides). - 14 -
c’est-à-dire que les nouveaux Alliés devront se joindre au consensus pour les
invitations ultérieures.… Dans le cas d’adhésions simultanées, les nouveaux membres
n’auraient pas la possibilité d’imposer leur veto à l’adhésion concomitante d’autres
pays…» 23
10. Ce passage confirme que, même dans le cas d’une décision prise par consensus, les Etats
membres de l’OTAN peuvent s’opposer individuellement à l’adhésion d’un nouveau membre. Que
l’on appelle cela «veto» ou, comme c’est le cas plus loin dans le même pa ragraphe de cette étude,
«fermer la porte» à un nouveau membre, le résultat est le même. Le fait est qu’il est tout à fait
possible qu’un Etat membre de l’OTAN s’oppose à lui seul à l’adhésion d’un Etat candidat. Par
conséquent, l’idée selon laquelle «l’OTAN ignore le droit de veto», que le défendeur a largement
défendue la semaine dernière, n’est pas tout à fait exacte. [Fin de projection.]
23 C. Le défendeur s’est vigoureusement opposé à l’adhésion du demandeur
11. Notre troisième point. En2007 et2008, le défendeur s’est lancé dans une campagne
24
diplomatique et publique vigoureuse et systéma tique contre l’adhésion du demandeur à l’OTAN .
Cela n’est pas contesté. Le défendeur reconnaît en outre que sa position à l’égard de l’adhésion du
25
demandeur a changé au milieu des années2000 . A l’été2007, il a ainsi mis en Œuvre une
stratégie visant à s’opposer à cette adhésion, et il l’a fait uniquement parce que la divergence sur la
question du nom n’avait pas encore été réglée d’ une manière pour lui satisfaisante. Nous vous
avons présenté à titre d’exemples plusieurs des très nombreux éléments de preuve attestant cette
opposition. Or, jeudi et vendredi, alors que nous écoutions attentivement ses plaidoiries, nous
n’avons pas manqué de relever l’étonnant silence que le défendeur a observé sur ce point essentiel.
Pas une seule fois il n’a contesté qu’il s’était opposé à l’adhésion du demandeur à l’OTAN. Ces
mots ne sont pas sortis de la bouche de l’agent. Ni de celle des conseils.
12. Si tel est le cas, c’est sans doute qu’il est indubitable que le défendeur s’est bel et bien
opposé à cette adhésion. Les éléments de preuve parlent d’eux-mêmes et ils revêtent bien des
formesdifférentes : déclarations faites par le dé fendeur lors de réunions formelles de l’OTAN;
déclarations faites par le défendeur auprès de certains membres de l’OTAN avant des réunions de
23
Etude sur l’élargissement de l’OTAN présentée par les chefs d’Etat et de gouvernement participant à la réunion
du Conseil de l’Atlantique Nord, Bruxelles, 3 septembre 1995 (publiée dans Manuel de l’OTAN, bureau de l’information
et de la presse de l’OTAN, 1999 (version française)).
24
CR 2011/5, p. 43-50, par. 18-44 (Murphy).
25CR 2011/9, p. 54-55, par. 23-24 (Crawford). - 15 -
l’organisation; déclarations du défendeur devant son parlement ou devant des groupes
parlementaires confirmant la position adoptée au sein de l’OTAN et auprès des membres de
l’organisation ; déclarations faites par le défende ur aux médias ou publiées dans les médias. Ainsi
que le conseil du défendeur l’a fort opportunément concédé la semaine dernière, «[i]l est
incontestable que ces déclarations ont été faites » et «[n]ous ne nous en écartons en aucune
manière» 26.
13. Je vous invite en particulier à vous re porter aux propos du ministre des affaires
étrangères du défendeur qui, à l’automne2007, à la question de savoir si le défendeur était
«dispos[é] à aller au bout de sa logique, pour mettre à profit les perspectives d’adhésion de Skopje
à l’OTAN, et recourir à tous les moyens et opti ons à sa disposition», s’était contenté de répondre :
«Oui. La réponse est positive.» 27 Deux jours plus tard, le ministre des affaires étrangères a indiqué
dans une interview que le fait de se conformer à l’ accord intérimaire et, dès lors, de permettre au
demandeur d’adhérer à l’OTAN était certes la so lution de facilité, mais que cela révélerait un
24 28
«manque de courage politique» . N’est-il pas pour le moins surpre nant d’entendre le ministre des
affaires étrangères d’un pays déclarer que le fait de respecter ses obligations internationales revient
à «manquer de courage»? Les c onseils du défendeur semblent pe nser que ces déclarations du
ministre des affaires étrangères ne constituent p as des éléments de preuve attestant l’opposition du
défendeur ; avec tout le respect que je leur dois, ces termes parlent d’eux-mêmes.
14. Je vous invite également à vous reporter à l’aide-mémoire du défendeur, qui figure en
annexe129 du mémoire. Le défendeur rec onnaît avoir communiqué ce long document aux Etats
29
membres de l’OTAN, document qui était «destiné» à leur faire connaître ses vues . Il y déclarait
que, « outre les critères d’adhésion…[l]a conclusion satisfaisante desdites négociations [sur la
question du nom était] une condition impérative pour que la Grèce continue de soutenir les
30
aspirations euro-atlantiques de Skopje» , et poursuivait en ajoutant qu’il s’agirait du «critère
26Ibid., p. 48, par. 5 (Crawford).
27Mémoire du demandeur, annexe 73.
28
Réplique du demandeur, annexe 167.
29CR 2011/9, p. 50, par. 11 (Crawford).
30Mémoire du demandeur, annexe 129 ; les italiques sont de nous. - 16 -
décisif» ; cela signifiait clairement que, si la quest ion du nom n’était pas réglée, le défendeur
s’opposerait à l’adhésion. Là encore, la ferm e opposition du défendeur à l’adhésion du demandeur
à l’OTAN, faute de règlement de la question du nom, apparaît clairement.
15. Je rappellerai enfin les nombreuses déclara tions du premier ministre du défendeur, dans
lesquelles il exposait de manière tout à fait clai re «le but stratégique» du défendeur; selon les
propres termes du premier ministre, «[n]otre position est claire: «pas de solution ⎯ pas
d’invitation». A défaut de solution, les aspira tions du pays voisin à rejoindre l’OTAN resteront
32
non réalisées» .
16. Voyons maintenant ce que les conseils du défendeur ont à dire sur ces déclarations. Des
gesticulations politiques, disent-ils, dont la Cour ne doit pas tenir compte. Vraiment ? Est-ce ainsi
que la Cour doit traiter les déclarations d’un prem ier ministre? Si tel est le cas, il lui faudra
modifier en profondeur la manière dont elle examine les faits et les éléments de preuve ; à ce jour,
elle a en effet eu abondamment recours à de telles déclarations aux fins d’établir l’illicéité d’un acte
de l’Etat. A cet égard, un exemple ⎯ parmi bien d’autres ⎯ vient immédiatement à l’esprit : celui
de l’arrêt rendu au fond en l’affaire Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique, que nous avons
mentionné lundi dernier et que M. Crawford s’est bien gardé d’aborder dans son exposé. La Cour
25
n’a-t-elle pas, dans cette affaire, estimé que les déclarations faites par la personne «qui est
constitutionnellement responsable de la politique étrangère» d’un Etat ( Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicar agua c.Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 92, par. 170), même lorsqu’elles sont faites sur le plan national, revêtent une
importance particulière? Non seulement elle ne les a pas rabaissés au rang de simples
«rodomontades», mais elle a largement recouru au x éléments de preuve émanant d’un «organe
33
politique national» (pour reprendre les termes du défendeur) ⎯ y compris des déclarations faites
devant le congrès par le président des Etats-Unis d’Amérique et d’autres hauts responsables des
Etats-Unis ⎯ aux fins d’établir l’illicéité d’un acte de l’Etat . Et si elle l’a fait, c’était pour établir
31Ibid.
32
Réplique du demandeur, annexe 97.
33CR 2011/9, p. 49-50, par. 10 (Crawford). - 17 -
la réalité d’une politique qui violait les obligati ons incombant aux Etats-Unis en vertu du droit
international 34.
17. A titre subsidiaire, le défendeur affirme que toutes ces déclarations sont sans pertinence
au motif qu’il ne s’agit pas «de documents de l’ OTAN». Voilà un curieux moyen de défense : le
paragraphe 1 de l’article 11 traite de l’«opposition» du défendeur, et non de celle de l’OTAN. De
plus, la Cour n’a jamais exigé, pour pouvoir conclu re à la violation d’une règle internationale, que
les éléments attestant les agi ssements coupables d’un Etat soient consignés dans des documents
revêtant une forme particulière.
18. Cela étant, si le défendeur veut des doc uments de l’OTAN, il lui suffit de se reporter à
l’annexe30 de son propre cont re-mémoire. Il y trouvera un document de l’OTAN, diffusé le
3 avril 2008, dans lequel il est clairement indiqué : «comme la délégation grecque l’a fait savoir en
des termes très clairs, tant que la question du nom ne sera pas réglée ⎯ et celle-ci ne l’a pas encore
35
été —, cela ne sera pas possible» ou encore : «Le Gouvernement gr ec a été très clair, y compris
au cours des discussions qui se sont déroulées ce soir. Tant que la question du nom ne sera pas
réglée et à moins qu’elle ne le soit, on ne saurait s’attendre à ce qu’il y ait un consensus quant à la
décision d’adresser à l’ex-République yougoslave de Macédoine une invitation à entamer des
pourparlers d’adhésion» 36.
26 19. Comme le dit toujours mon fils après m’avoir battu à plates coutures à la Nintendo:
«on arrête de jouer».
20. Le fait que le défendeur soit nommément d ésigné par l’OTAN en dit long. La Partie
adverse vous demande de conclure que ce sont les Etats membres de l’OTAN, dans leur ensemble,
qui se sont prononcés contre la candidature du de mandeur et ce, indépendamment du défendeur et
en l’absence de toute opposition de sa part. Et pourtant, le défendeur a été maintes fois directement
34Voir, par exemple, Activités militaires et paamilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 21, par. 20 («il devint patent, non seulement dans la presse
des Etats-Unis, mais aussi au Congrès et dans des déclarations officielles du Pr ésident et de hauts responsables de ce
pays, que le Gouvernement des Etat s-Unis appuyait les contras»); ibid., p.70, par.125 («Aux termes du message du
Président au Congrès, la situation d’urgence résultaitdes «activités agressives du Gouvernement du Nicaragua en
Amérique centrale».») ; ibid., p. 90, par. 169 («Les vues des Etats-Unis sur l’effet juridique des événements qui viennent
d’être rappelés sont exprimées par exemple dans un rapport présenté au Congrès par le président Reagan le 10 avril 1985,
au sujet du financement des contras.») ; ibid., p. 124, par. 241 («Il paraît clairement établi selon la Cour, tout d’abord que
le Gouvernement des Etats-Unis, par son soutien aux contras, entendait exercer une pression sur le Nicaragua…»).
35
Contre-mémoire du défendeur, annexe 30, p. 1-2.
36Ibid., p. 3. - 18 -
37
désigné par l’OTAN et par les autres Etats membres comme s’étant opposé à cette candidature .
Cela ressort de centaines, je dis bien de centaines, d’articles de presse de l’époque. Et le fait que
tout désigne le défendeur n’a vraiment rien de surprenant, étant donné qu’ il a lui-même déclaré à
maintes reprises qu’il s’était opposé à l’adhésion du demandeur à l’OTAN, c’est-à-dire qu’il avait,
à lui seul, empêché cette adhésion. Le ministre des affaires étrangères du défendeur l’a dit à
38
Bruxelles . Le premier ministre du défendeur l’a d it à Bucarest; il l’a dit simplement et de
manière tout à fait claire: «en raison du veto de la Grèce, l’ex-République yougoslave de
39
Macédoine ne rejoindra pas l’OTAN» .
D. L’opposition du défendeur en tant qu’«objection» au sens du paragraphe 1 de l’article 11
21. J’en viens à notre quatrième point. Le pa ragraphe 1 de l’article 11 impose au défendeur
une obligation claire et non équivoque de ne pas s’opposer. Cette disposition est libellée en termes
simples et directs et est dépourvue de toute ambiguïté. Par son comportement, le défendeur a
délibérément et clairement violé cette obligation 4.
E. Une objection au sens du paragraphe 1 de l’article 11 n’est possible que dans un cas bien
précis
22. Je passe à présent à notre cinquième point. Le paragraphe1 de l’article11 prévoit une
⎯et une seule ⎯ circonstance dans laquelle le défendeur peut élever des objections: si le
demandeur «doit être dot[é] dans ces organisations ou institutions d’une a ppellation différente que
celle prévue au paragraphe 2 de la r ésolution 817(1993) du Conseil de sécurité des
Nations Unies».
27 23. L’admission du demandeur à l’OTAN se sera it faite dans les mêmes conditions que son
41
admission à l’Organisation des NationsUnies en vertu de la résolution817 . De fait, le
demandeur participait déjà à des programmes de l’OTAN sous cette appellation provisoire 42. Les
37Mémoire du demandeur, par. 2.61 ; réplique du demandeur, par. 2.22.
38Ibid., annexe 83 ; voir également mémoire du demandeur, annexe 89.
39
Ibid., annexe 99.
40
CR 2011/6, p. 22-30, par. 6-32 (Murphy).
41Mémoire du demandeur, annexe 69, p. 2.
42CR 2011/6, p. 31, par. 33-36 (Murphy). - 19 -
Parties ne s’opposent pas sur ce point. Par consé quent, le défendeur n’avait pas de raison de
s’opposer et n’aurait pas dû le faire, de la mê me manière, qu’il n’en avait pas pour de nombreuses
autres organisations internationales depuis 1995.
E. Sur la base des faits présentés, le défendeur n’a pas soulevé d’objections pour les raisons
prévues au paragraphe 1 de l’article 11
24. Pour en venir à notre sixièmement point, tous les éléments de preuve montrent que
l’opposition manifestée par le défendeur durant cette période s’expliquait par sa préoccupation de
voir non réglée la divergence relative au nom du demandeur 43. Il n’est pas établi que cette
opposition était fondée sur la préoccupation de voir l’OTAN désigner le demandeur sous un nom
autre que l’appellation provisoire. Aucun élém ent, parmi les nombreuses déclarations du
défendeur, ne montre que celui-ci a manifesté son opposition parce qu’il craignait que, dans les
communications avec l’OTAN, le demandeur ou des Etats tiers utilisent le nom constitutionnel de
celui-ci 4. En effet, il n’existe pas de preuve de l’existence d’une quelconque note verbale adressée
au demandeur, dans laquelle le dé fendeur se plaint d’une telle pratique au sein de l’OTAN avant
avril 2008.
G. L’utilisation par le demandeur de son nom constitutionnel ne peut justifier une objection
au sens du paragraphe 1 de l’article 11
25. J’en viens à présent à notre septième point. Même si les éléments de preuve montraient
que l’opposition du défendeur s’expliquait par la crainte de voir le demandeur utiliser son nom
constitutionnel dans ses communications avec l’OTAN, cette crainte ne constituerait pas une raison
juridiquement valable pour élever des objections en vertu de la seconde clause du paragraphe 1 de
l’article 1145. Par son sens ordinaire, cette clause ne vise pas l’utilisation du nom constitutionnel
46
28 du demandeur devant les orga nisations internationales . Le défendeur a une toute autre analyse,
fondée sur une interprétation singulière de la résolution 817, à laquelle renvoie la seconde clause du
paragraphe 1 de l’article 11, mais rien n’étaye son point de vue.
43CR 2011/5, p. 51-52, par. 45-49 (Murphy).
44
CR 2011/6, p. 32-34, par. 40-43 (Murphy).
45
Ibid., p. 31-32, par. 33-39 (Murphy).
46Ibid., p. 34-37, par. 44-51 (Murphy). - 20 -
26. Comment la Cour devrait-elle interpréter la résolution817? ( Conséquences juridiques
pour les Etats de la présence continue de l’Af rique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)
nonobstant la résolution276(1970) du Conseil de sé curité, avis consultatif, C.I.J.Recueil1971 ,
p.53, par.114). Rien dans la résolution817 ne dit que le de mandeur ne peut utiliser son nom
constitutionnel dans ses relations av ec l’Organisation des NationsUnies, et qu’il doit utiliser son
appellation provisoire. En effet, aucune dispositio n de cette résolution817 ne vise le demandeur.
Dans son avis consultatif sur le Kosovo, la C our a examiné avec soin certaines résolutions du
Conseil de sécurité, établissant une distinction nette entre celles qui étaient expressément destinées,
et donc imposaient des restrictions, aux acteurs non étatiques, et celles qui ne l’étaient pas
(Conformité au droit international de la Déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, avis
o
consultatif du 22 juillet 2010, rôle généraln 141, par.114-118). En l’espèce, rien dans la
résolution817 ne concerne le comportement du demandeur et aucune di sposition de ce type ne
devrait en être déduite.
27. Au contraire, il est clairement dit dans la résolution que le Conseil a «examiné» le
documentS/25147 des NationsUnies, auquel est jo inte la demande d’admission à l’Organisation
des Nations Unies déposée par le demandeur, dans laquelle celui-ci utilise son nom constitutionnel
o
[début de la projectionn 3]. Cette demande d’admission cont enait en appendice la déclaration
suivante :
«En ce qui concerne la demande d’admission de la République de Macédoine à
l’Organisation des NationsUnies, j’ai l’honneur, au nom de la République de
Macédoine et en ma qualité de président, de déclarer que la République de Macédoine
accepte les obligations énoncées dans la Ch arte des NationsUnies et s’engage
solennellement à s’y conformer.» 47 (Les italiques sont de nous.)
28. En d’autres termes, dans la résolution8 17, le Conseil de sécurité dit avoir reçu et
«examiné» la demande d’admission du demandeur, qui contenait la déclaration, que nous venons
de citer, dans laquelle le nom constitutionnel du demandeur appara ît trois fois. Le Conseil de
48
sécurité a donc examiné cette demande et y a donné une suite favorable , comme l’a fait
l’Assemblée générale. [Fin de la projection n o3.]
47
Document A/47/876-S/25147 (1993), cité dans l’annexe 25 du mémoire du demandeur.
48Voir aussi la note du président du Conseil de sécu rité, S/25545 (1993), citée dans l’annexe 32 du mémoire du
demandeur. - 21 -
29 29. En examinant la position du défendeur, selon laquelle le Conseil de sécurité a prié le
demandeur d’adopter un comportement particulier da ns ses relations extérieures, la Cour devra
garder à l’esprit que cette résolution revêtait la forme d’une recommandation adressée à
l’Assemblée générale. Ce n’est qu’après que ce de rnier organe a pris sa «déci[sion]», un jour plus
tard, que le demandeur a été admis à l’Organisati on des Nations Unies ; ce n’est qu’à partir de ce
moment, après que l’Assemblée générale eut pris sa décision, que l’utilisation de l’appellation
provisoire est entrée en vigueur à l’Organisation des Nations Unies 49.
30. Qu’en est-il des débats qui ont conduit à l’ adoption de la résolution 817 ? Si la thèse du
défendeur était fondée, on aurait pu penser qu’au mo ment de distribuer le projet de résolution 817,
qui contenait l’appellation provisoire, le président du Conseil de sécurité dirait : «le pays qui a fait
sa demande d’admission à l’Organisation des Nati onsUnies est tenu de se doter d’un nouveau
nom, du moins au sein de l’Organisation», ou qu’il fe rait une déclaration dans ce sens. Mais il n’a
été soumis à la Cour aucun élément de preuve indiquant que cela a effectivement eu lieu, comme le
o
montre clairement la déclaration suivante, fa ite par le Maroc [début de la projection n 4] qui
présidait le Conseil à l’époque. Cette déclaration a été distribuée avec le projet de résolution 817.
Que dit-elle ?
«[L]e projet de résolution prévoit que l’Etat sera doté à l’ONU d’une
appellation provisoire («ex-Ré publique yougoslave de Macédoine»). Il ne s’agit pas
là d’imposer au nouvel Etat un nom ou d es conditions en vue de son admission à
l’ONU, mais seulement de la manière dont il sera désigné à titre provisoire dans le
cadre de 50s activités au sein de l’Organi sation (plaque, documents officiels, «livre
bleu»).»
31. Cette déclaration, qui a été adoptée au même moment que la résolution, confirme le sens
o
et l’effet de celle-ci. [Fin de la projection n 4.] D’autres parties qui ont participé aux négociations
ont confirmé la même chose. Alors que le conseil du défendeur cherche à minimiser le rôle du
souvenir que sirJeremyGreenstock a de ce qui étai t en jeu dans la résolution817, le compromis
autour de cette résolution est le résultat d’une initiative prise par une troïka de membres européens
du Conseil de sécurité à l’époque, parmi lesque ls figure le Royaume-Uni. En sa qualité de
sous-secrétaire adjoint au ministère des affaires étrangères du Royaume-Uni, et bien que basé à
49
A/RES/47/225 (1993).
50Réplique du demandeur, par. 4.42, et annexe 12. - 22 -
30 Londres, M.Greenstock, donnait des instructions aux diplomates du Royaume-Uni à NewYork.
Ce n’était guère une question qui n’intéressait pas les capitales. La déclaration de M. Greenstock
est claire et n’est contredite par aucun élément de preuve 51.
32. La pratique suivie au sein de l’Orga nisation des NationsUnies en vertu de la
résolution817 entre1993 et1995, année de la signature de l’accord intérimaire, confirme
également que le défendeur était parfaitement en droit d’utiliser son nom constitutionnel dans ses
52
communications avec cette Organisation . Il existe littéralement des centaines d’exemples de
lettres et documents soumis à l’Organisation des NationsUnies, ou de discours prononcés devant
cette Organisation, dans lesquels le demandeur se désigne lui-mê me par son nom constitutionnel.
Le premier exemple remonte au tout premier j our de l’admission du de mandeur à l’Organisation
des NationsUnies: il s’agit du discours prononcé par le président du demandeur devant
53
l’Assemblée générale . Aucune de ces déclarations n’a suscité d’objection de la part du
Secrétariat des Nations Unies ou d’un quelconque Etats tiers. Plusieurs de ces communications ont
été versées au dossier de l’affaire. Pour donner un exemple, trois semaines après son admission à
l’Organisation des NationsUnies, le demande ur a adressé des lettres portant son nom
constitutionnel au Secrétaire général, qui les a ensuite transmises au Conseil de sécurité 54. Le
Secrétaire général n’a pas retourné de lettres non ouvertes au demandeur. Le Conseil de sécurité
n’a pas renvoyé les lettres au Secrétaire général, le réprimandant de les lui avoir transmises. En
effet, lorsque, plus tard, le Con seil de sécurité a adopté la résolution 845 (1993), il n’a rien dit au
sujet de ce que le défendeur considère aujourd’hui comme une pratique illicite et non-conforme à la
résolution 817. Et même après cette date, le Conseil de sécurité n’a rien dit de tel 55.
33. L’histoire des négociations de l’accord intérimaire ne confirme pas la thèse du défendeur
56
quant au sens de la seconde clause . Je ne reviendrai pas sur ce que nous avons déjà dit à ce
51
Ibid., annexe 58.
52CR 2011/10, p 37-41, par. 53-64 (Murphy).
53Voir la déclaration du président Kiro Gligorov à l’Asse mblée générale, Nations Unies, doc. A/.47/PV.98, p. 22
(1993) («En cet instant solennel, c’est avec joie et émotion que j’exprime, au nom du peuple et du Gouvernement de la
République de Macédoine, notre reconnaissance pour l’appui manifesté en faveurde l’admission de la République de
Macédoine à l’Organisation des Nations Unies en tant que membre à part entière.»)
54Voir réplique du demandeur, annexes 33-34.
55Ibid., par. 4.46-4.50.
56CR 2011/6, p. 41-42, par. 65-66 (Murphy). - 23 -
sujet . Au début de nos plaidoiries, M.Sands a cité la déclaration faite par M.Nimetz en1995,
qui confirme la pratique qui avait émergé après l’ adoption de la résolution 817, et donne à penser
qu’en principe, cette pratique ne devait pas ch anger au moment de la conclusion de l’accord
31 intérimaire. Je souhaiterais attirer l’attention de la Cour sur un po int se rapportant à l’histoire des
négociations. Le défendeur essaye de tirer argument du libellé qu’il a proposé à la fin des
négociations sur l’accord intérimaire. Si la proposition du demandeur avait été adoptée, la seconde
clause du paragraphe1 de l’article11 aurait été formulée un peu différemment, de manière à
prévoir la possibilité d’élever des objections «si l’appellation provisoire sous laquelle [le
demandeur] de[va]it être admis dans ces organi sations» différait de celle prévue dans la
résolution817. La raison pour laquelle ce texte n’a pas été retenu, au profit de ce qui est
effectivement devenu la seconde clause du paragra phe1 de l’article11 n’est pas celle avancée à
58
présent par le défendeur. En réalité, comme nous l’avons dit dans notre réplique , le libellé actuel
a été préféré à la version proposée par le défendeur parce que cette version ne reflétait pas la
réalité. Le demandeur n’est pas «admis» à une organisation internationale sous son «appellation
provisoire» : il l’est sur la base d’une demande faite sous son nom constitutionnel. Par la suite, il
est y désigné sous son appellation provisoire. Il n’est pas prévu qu’à l’avenir, lorsque la divergence
relative au nom aura été réglée, le demande ur présente une nouvelle demande d’admission à
l’organisation sous une appellation convenue: il en est déjà membre. Le seul changement qui
surviendra sera l’abandon de l’appellation provisoire au sein de cette organisation.
34. Dernière observation relative au septième point, la pratique suivie par les Parties après la
signature de l’accord intérimaire — de 1995 à 2008 — n’étaye pas non plus la thèse du défendeur
quant au sens de la seconde clause du paragraphe 1 de l’article 11 59. Que l’on se réfère au Conseil
de l’Europe, à l’OSCE ou à l’Unesco, ou à l’une quelconque des nombreuses autres organisations à
laquelle le demandeur a été admis à partir de199 5, jusqu’à aujourd’hui, celui-ci a constamment
utilisé son nom constitutionnel dans ses communica tions avec ces organisations sans que cela ne
pose de problème ou que des Etats tiers ne se déclarent préoccupés à cet égard. Même dans les
57Voir spécialement, réplique du demandeur, par. 4.51-4.61.
58
Réplique du demandeur, par. 4.66-4.67.
59CR 2011/6, p. 42-43, par. 67-68 (Murphy). - 24 -
relations bilatérales entre le demandeur et le défendeur, celui -ci reconnaît que le demandeur est en
60
droit d’utiliser son nom constitutionnel . Le défendeur tente, par une argumentation relativement
faible, de rejeter cette pratique «bilatérale» en faisant valoir que comme son nom l’indique, elle
n’est qu’une pratique «bilatérale», et donc, quelque peu dépourvue de pertinence, même si tout de
suite après le défendeur déclare que la pratique suivie dans le cadre des relations bilatérales du
32 demandeur avec 100Etats, et qui consiste à u tiliser le nom constitutionnel, est quelque peu
pertinente. Il semble donc que les pratiques bila térales aient effectivemen t de l’importance, tant
qu’il ne s’agit pas de celles du défendeur.
H. Les autres raisons avancées par le défendeur ne sauraient justifier une objection soulevée
en vertu du paragraphe 1 de l’article 11
35. Notre huitième point. Le défendeur contin ue d’avancer d’autres raisons pour lesquelles
il était en droit de faire objection en vertu du paragraphe1 de l’article11, se fondant sur de
prétendues allégations «d’absence de relations de bon voisinage» ou d’«irrédentisme» dont il fait
grief au demandeur. Ces raisons ne sont étayées pa r aucun élément de preuve et, en tout état de
61
cause, elles ne sauraient servir à fonder une objection en vertu du paragraphe 1 de l’article 11 .
I. La conduite de l’OTAN est sans rapport avec l’illicéité de l’objection du défendeur
36. Notre neuvième point. La décision adoptée par l’OTAN à Bucarest n’est simplement pas
en cause devant la Cour. La présente affaire concerne exclusivement la licéité de la conduite
adoptée par le défendeur de 2007 à 2008 au regard de l’accord intérimaire ; cette conduite n’est ni
licite ni illicite, indépendamment des positions adoptées par d’autres Etats.
37. Et pourtant, le défendeur persiste dans sa qualification erronée de ce que fut la position
de l’OTAN à l’égard du demandeur avant le somme t de Bucarest. Contrairement aux nombreuses
assertions du défendeur, il n’y a absolument rien dans le dossier ⎯pas la moindre preuve ⎯
indiquant que l’OTAN aurait posé comme critère d’adhésion le règlement préalable de la
divergence au sujet du nom ou que la condition re lative à l’entretien de «relations de bon
voisinage» signifiait que la divergence au sujet du nom devait d’abord être réglée ; aucun élément
60
Ibid., p. 43-45, par. 69-74 (Murphy).
61
CR 2011/6, p. 45-47, par. 75-82 (Murphy). - 25 -
versé au dossier ne vient à l’appui de cette affirmation 6. Vendredi dernier, le conseil nous a
d’abord reproché «une pr ofonde méconnaissance de la gravité de la prise de décision au sein des
conseils de l’alliance militaire» 6, pour ensuite se méprendre pr ofondément au sujet de ce que
l’OTAN avait effectivement dit en ce qui concerne l’importance que revêt, au regard de l’adhésion
du demandeur à l’OTAN, la divergence au sujet du nom. Or, il n’est pas indiqué , dans la
déclaration de l’OTAN au sommet de Riga de 2006, que le règlement de la divergence au sujet du
nom est une condition à satisfaire pour que le demandeur puisse devenir membre de l’Alliance.
Cela n’est pas indiqué dans le communiqué de l’OTAN de dé cembre 2007. Le secrétaire général
de l’OTAN ne l’a pas indiqué , ne considérant pas non plus que le règlement de la divergence soit
33 une «obligation de résultat». Oui, l’OTAN a reconnu l’existence de la divergence au sujet du nom.
Oui, l’OTAN attendait de la part de tous les Etats candidats que ceux-ci cherchent à entretenir de
«bonnes relations de voisinage». Et pourtant, pour pouvoir tirer leur conclusion suprême, les
conseils du défendeur doivent se livrer à une analyse extraordinairement compliquée, découvrant
toutes sortes de sens cachés et d’insinuations inopi nées dans les déclarations de l’OTAN, ce qui ne
constitue guère une marque de respect au regard de «la gravité de la prise de décision au sein des
conseils de l’alliance militaire». En fait, au lieu d’ériger en critère d’adh ésion le règlement de la
divergence sur le nom, les membres de l’OTAN ont à l’époque plaidé pour que le défendeur s’en
tienne aux obligations qui lui incombent en vertu de l’accord intérimaire.
J. Le demandeur est en droit de demander une d éclaration attestant la violation et tendant à
ce que le défendeur s’acquitte de son obligation
38. Enfin, notre dixième point. A la lumière de la violation délibérée et consciente du
paragraphe1 de l’article11 par le défendeur, la Cour devrait faire droit au remède que nous
demandons. Nous vous prions de déclarer que le défendeur a bel et bien violé l’obligation qui lui
incombe en vertu du paragraphe 1 de l’article 11 ; cette violation est clairement établie, aussi bien
en fait qu’en droit. Nous vous demandons au ssi d’ordonner au défendeur de prendre
immédiatement toutes les mesures nécessaires pour s’acquitter de cette obligation, et aussi de
mettre fin et de renoncer à toute forme d’oppositio n à l’admission du demandeur à l’OTAN. Cela
62
CR 2011/5, p. 53-55, par. 55-58 (Murphy) ; réplique du demandeur, par. 2.58.
63
CR 2011/9, p. 45, par. 17 (Reisman). - 26 -
dit, notre demande ne se limite pas à l’OTAN ; par sa conduite, le défendeur a démontré la validité
d’une conviction au sujet du para graphe 1 de l’article 11 concer nant la position du demandeur par
rapport à d’autres organisations internationales, et surtout par rapport à l’Union européenne. Nous
vous prions donc d’ordonner au défendeur de resp ecter son obligation, et ce de manière à englober
toute organisation internationale couverte par le champ d’application du paragraphe1 de
l’article 11.
Conclusion
39. Monsieur le président, avant de conclu re, permettez-moi de relever ce que de hauts
dirigeants du défendeur ont récemment ⎯ et une fois encore ⎯ confirmé, à savoir que le défendeur
s’est effectivement livré à ce qui constitue une objec tion, avant et pendant le sommet de Bucarest.
Ils continuent d’ailleurs de qualifier cette conduite de «veto».
40. Le 24janvier de cette année ⎯il y a tout juste deux mois ⎯ M.AntonisSamaras, le
chef du principal parti d’opposition du défendeur, la Nouvelle Démocra tie, a pris la parole devant
le Parlement du défendeur. La Nouvelle Démocratie était le parti du gouvernement du défendeur à
34 l’époque du sommet de Bucarest, et M. Samaras défendait l’une des mesures de politique étrangère
prises par les membres de son go uvernement lorsque celui-ci était au pouvoir. Voici ce qu’il a
o
déclaré devant le Parlement : [projection n 5]
«Les «lignes rouges» de la question macédonienne ont été définies à
Bucarest… La Grèce a clarifié sa position. Elle a déclaré qu’elle accepterait un seul
nom à toutes fins utiles, erga omnes. Elle a refusé que le qualificatif ethnologique
fasse partie d’un nom reposant sur des demandes irrédentistes. Elle a écarté toutes les
propositions de nom à composante double ou triple. Elle a exercé un veto contre
l’entrée de l’ERYM à l’OTAN et à l’UE …Et aujourd’hui nous nous en tenons
strictement à ces «lignes».» 64 (Les italiques sont de nous.)
Ces propos ont été tenus le 24 janvier de cette année.
41. L’opposition du défendeur ⎯ en fait, son «veto» — est pleinement confirmée à Athènes
aujourd’hui, exactement comme elle le fut au printemps 2008, de même que la raison de son
opposition, une raison qui n’a pas le moindre ra pport avec la manière dont l’OTAN désignera le
64Déclaration de M.AntonisSamaras, chef du parti de la Nouvelle Démocratie (principal parti d’opposition du
défendeur), session du Parlement grec, 24janvi er2011. La vidéo et la transcription officielle (dont l’extrait figure à la
3p9.) sont disponibles à l’adress e ht/www.hellenicpa rliament.gr/Praktika/Synedriaseis-Olomeleias?
search=on&DateFrom=24%2F01%2F2011&DateTo=24%2F01%2F2011. - 27 -
demandeur. Pour le reste, revenons sur cette de rnière phrase confirmant que les «lignes rouges»
ont été définies; elles seront resp ectées à l’avenir, ce qui aura de s conséquences pour l’entrée du
o
demandeur à l’OTAN et également à l’Union européenne. [Fin de la projection n 5.]
42. C’est là une confirmation extrêmement gênante et inopportune, de sorte qu’il n’est pas
surprenant que le ministre des affaires étrangè res du défendeur, M.DimitriosDroutsas, s’est senti
obligé de répondre d’emblée à la déclaration de M.Samaras, insistant sur ses préoccupations au
sujet de l’utilisation du terme «veto». Ce qui est peut-être surprenant, c’est que la Cour soit
mentionnée dans ses propos. Voici ce que M.Drou tsas a déclaré le même jour au Parlement:
o
[projection n 6]
«Puisque nous parlons de veto, permettez-moi de demander à tout le monde de
ne pas utiliser ce terme par rapport à la ques tion de Skopje. Même si ce terme peut
sembler patriotique à vos oreilles, il heurte nos intérêts nationaux en l’affaire de
Skopje dont a été saisie la Cour internationale de Justice de LaHaye. En tant que
ministre du gouvernement précédent, vous auriez dû le savoir, M. Samaras. Et je vous
demande effectivement de ne pas tout sacrif ier sur l’autel de la facilité et de la
politiqu65politicienne sans manifester le mo indre respect pour les intérêts de votre
pays.»
43. Je demande à la Cour de noter que le ministre des affaires étrangères ne nie pas que le
défendeur s’est opposé à l’admission du demandeur à l’OTAN. Il ne rectifie pas l’argument avancé
35 à l’appui de cette opposition. Il se contente de de mander instamment que le terme «veto» ne soit
pas utilisé parce que cette présentation particulière des faits porte atteinte à la position du défendeur
devant la Cour. Comme pourrait le dire l’un de nos éminents contradicteurs dans ses envolées
66
oratoires au sujet du jeune Hamlet, «[a]insi la conscience fait de nous tous des lâches» . [Fin de la
o
projection n 6.]
44. Mais ce n’est pas tout. M. Samaras s’est senti obligé de répondre. Sachant ce qui s’est
passé à Bucarest, il a été stupéfait d’entendre que, dans les arguments qu’il a fait valoir devant la
Cour, le ministre des affaires étrangères fuyait de vant la vérité. [Début de la projection n o7.]
M.Samaras a, entre autres initiatives, pris une no uvelle fois la parole devant le Parlement et
déclaré ce qui suit :
65Déclaration de M. Dimitrios Drout sas, ministre des affaires étrangè res du défendeur, session du Parlement
grec, 24janvier2011. La vidéo et la transcription officelle (dont l’extrait figure aux p.94-95) sont disponibles à
l’adresse http://www.hellenicparliament.gr/Praktika/Synedriaseis-Olomeleias?searc…
&DateTo=24%2F01%2F2011 .
66Shakespeare, Hamlet, acte 3, scène 1. - 28 -
«J’ai aussi entendu que nous n’avons jama is exercé de veto en ce qui concerne
la question macédonienne. Il me semble que c’est votre ministre qui l’a dit. Le nom
«Bucarest» lui est peut-être inconnu. C’est son problème. Il ne veut pas se souvenir
de ce qui s’est passé à ce moment-là, de qui a fait opposition, de qui a exercé le
véritable veto.»67
45. Monsieur le président, ces débats montrent que M.Samaras a tout à fait raison. Le
défendeur veut effectivement oublier le comportement qui a été le sien à Bucarest, du moins devant
la Cour. Le défendeur veut effectivement oublier qui s’est opposé à l’admission du demandeur à
l’OTAN. Et il veut oublier qui a exercé «le véritable veto». [Fin de la projection n o 7.]
46. Le demandeur peut vouloir oublier, mais nous demandons à la Cour de ne pas oublier ce
que les faits ⎯ indiscutables, abondants et sans ambiguïté ⎯ démontrent en ce qui concerne de la
conduite du défendeur en2007-200 8 et que ces faits prouvent qu’il y a incontestablement eu
violation du paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire.
47. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, je vous remercie de votre
patience. La Cour souhaite peut-être prendre une pause à présent. C’est M.Klein qui prendra la
parole ensuite.
Le PRESIDENT: Je vous remercie de votre exposé, M.Murphy. Le moment me semble
venu de prendre une courte pause café. Je rappelle simplement à l’assistance qu’il a été prévu de
tenir le second tour de plaidoiries du demande ur de 10heures à 13heures; j’espère que nous
36 serons en mesure de respecter cet horaire. La Cour prendra donc une courte pause café de
dix minutes. Nous reprendrons l’audience à midi moins le quart.
L’audience est suspendue de 11 h 35 à 11 h 50.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend. J’invite à présent M. Klein à
faire son exposé.
Mr. KLEIN: Thank you, Mr. President.
67Déclaration de M.AntonisSamaras, chef du parti de la Nouvelle Démocratie (principal parti d’opposition du
défendeur), session du Parlement grec, 24janvi er2011. La vidéo et la transcription officielle (dont l’extrait figure à la
1p2.6) sont disponibles à l’adresse http://www.hell enicparliament.gr/Praktika/Synedriaseis-Olomeleias?
search=on&DateFrom=24%2F01%2F2011&DateTo=24%2F01%2F2011. - 29 -
The dispute does not fall within the compass of the exception in Article 21, paragraph 2, is
fully within the jurisdiction of the Court and the Application is fully admissible
1. Mr. President, Members of the Court, the saying “one is never as well served as by
oneself” is well known. It was probably this id ea that our honourable opponents had in mind in
developing their arguments relating to the prelimin ary objections in this case. In one of his oral
arguments last week, Professor Pellet said on this subject that the Court was confronted by what he
68
termed a “Gordian knot”, which it did not have the power to cut . However, Mr.President,
Members of the Court, the only knots in this case are those which the opposing Party itself has
endeavoured to tie ⎯ gradually adding a few extra loops ⎯ in an attempt to persuade the Court
that it lacked jurisdiction as regards the dispute before it, or that it did not fall within its judicial
functions to rule on the dispute. These suppo sedly inextricable knots are actually not all that
difficult to untie. And since they do not exist, the Court will have no need to wonder whether it
can ⎯ or not ⎯ untie them. I propose to show you that this is so as regards, in turn, the questions
of jurisdiction and admissibility.
2. In his oral argument last Thursday, Professor Reisman sought to convince the Court that it
had no jurisdiction regarding the present dispute, fo r it would inevitably lead the Court to rule on
37 the dispute over the name of the Applicant’s Stat e. As you now know, however, that is a question
which clearly falls outside the compass of the compromissory clause of Article 21, paragraph 2, of
the Interim Accord, by virtue of the first phrase in that provision 69. As I had occasion to explain
70
last week , the Respondent uses a particularly broad criterion for interpreting this clause. [Slide] I
would point out that, according to this criterion ⎯ and even if our opponents seem to have doubts
on the subject 71, it is the one they themselves have identified ⎯ the difference over the name,
excluded from the jurisdiction of the Court, shoul d include “any dispute the settlement of which
would prejudge, directly or by implication, the difference over the name” 72. [End of slide]
6See CR 2011/9, p. 18, para. 22 (Pellet).
6See CR 2011/8, p. 48, paras. 7 et seq. (Reisman).
70
See CR 2011/5, p. 58, para. 5 (Klein).
7See CR 2011/8, p. 48, para. 7 (Reisman).
7Rejoinder by the Respondent, para. 3.13. - 30 -
3. Our opponents believe they can derive an advantage from the fact that the Applicant’s
argument on this point has allegedly evolved. Whereas the Application instituting proceedings
stated that “the subject of this dispute does not concern ⎯ either directly or indirectly ⎯ the
difference referred to in Article 5, paragraph 1, of the Interim Accord” 73, these terms (“directly or
indirectly”) are no longer found in the Reply, which would appear to maintain an “embarrassed
silence” 74, on this point. Mr. President, there is no silence and no embarrassment in the Reply.
Today just as it did yesterday, the Applicant mainta ins that the Court has no jurisdiction to resolve
the dispute over the name ⎯ and this dispute only. All the other potential disputes relating to some
other aspect of the Interim Accord on the other hand fall fully within the jurisdiction of the
Court ⎯ including, for instance, a dispute over the manner in which the Parties discharge their
obligation to negotiate over the name.
4. What matters here is not whether the Applicant’s position on the existence of a more or
less direct link between the present dispute and the difference over the name may have evolved but,
more fundamentally, whether the criterion used by the Respondent for interpreting the exception in
38 the compromissory clause is the right one. In othe r words, is it enough for there to be a link, even
an indirect one, even “by implication”, between the dispute brought before the Court and the
difference over the name of the Applicant for such a dispute to be automatically excluded from the
jurisdiction of the Court? The Applicant clearly contends ⎯ and has always contended ⎯ that this
is not so and that only the difference over the name itself ⎯ in other words, the determination of
the name ⎯ is excluded from the compass of the compromissory clause.
5. Last week, Professor Reisman and I invite d you to follow the reasoning which leads from
Article21, paragraph2, of the Interim Accord to Security Council resolution817(1993), via
Article5 of the Accord 75. A rather lengthy process perhaps, but one which in no way makes the
dispute brought before the Court a horribly complex case, as our opponents do their best to
suggest 76 ⎯ in accordance, moreover, with the scenario we had envisaged . 77
73Application, p. 8, para. 10.
74See CR 2011/8, pp. 49-50, paras. 11 and 12 (Reisman).
75
See CR 2011/5, pp. 57-58, para. 3 (Klein); CR 2011/8, pp. 47-48, paras. 4-6 (Reisman).
76See CR 2011/8, p. 47, para. 3 (Reisman).
77See CR 2011/5, p. 21, para. 14 (Miloshoski). - 31 -
6. Let me remind you in this connection that Article21, paragraph2, provides for disputes
concerning the interpretation or implementation of the Interim Accord to be submitted to the Court,
“[e]xcept for the difference referred to in Article5, paragraph1”. It is immediately clear that the
compromissory clause excludes “the difference referred to in Article5, paragraph1” and not, for
example, “differences relating to the applicati on of Article5, paragraph1”, which would be a
completely different matter. Under Article 5,
“[t]he Parties agree to continue ne gotiations under the auspices of the
Secretary-General of the United Nations pursuant to Security Council resolution845
(1993) with a view to reaching an agreem ent on the difference described in that
resolution and in Security Council resolution 817 (1993)”.
7. Professor Reisman suggested a highly creative reading of the Interim Accord on this point.
According to him, not only is it in Article5, para graph1, that reference is made to the difference
over the name, but also “centrally”, to borrow his term, in Article 11, paragraph 1, of the Accord 78.
Mr. President, I have carefully reread the text of Article 11. I have read it in French. I have read it
in English. And I have found no reference whatever in it to the difference over the name. And I
39 am not alone. When he analysed the In terim Accord before you a few days ago,
Professor Abi-Saab identified three categories of provis ions in this treaty. The first was that of the
provisions concerning the obligation to settle th e difference over the name, and the modalities of
that settlement. ProfessorAbi-Saab included two provisions ⎯ and only two ⎯ in this first
category of clauses: Article5, paragraph1, of the Accord and the part of the Article21,
79
paragraph2, which refers to it . On the other hand, there is no mention ⎯ and with good
reason ⎯ of Article 11. It is thus a, to say the least , fanciful reading of the text which is suggested
to you by some of our opponents, who would appear not to be singing from the same hymn sheet
on this question. It seems to me far preferable to stick to what the Accord actually lays down on
this point, which is a reference, in its Article 5, to Security Council resolution817 (1993).
Nowhere else ⎯ nowhere ⎯ does one find in the text of the Accord the slightest mention of a
difference regarding which the Court could not ex ercise its jurisdiction. Resolution817(1993)
meanwhile mentions the “difference [which] has aris en over the name of the State, which needs to
78
See CR 2011/8, p. 52, para. 24 (Reisman).
79
See CR 2011/8, p. 35, para. 14-15 (Abi-Saab). - 32 -
be resolved in the interest of the maintenance of peaceful and good-neighbourly relations in the
80
region” .
8. So there is no doubt that the difference excluded from the jurisdiction of the Court is
indeed the one which, to borrow the terms of th e resolution, “has arisen over the name of the
[Applicant] State”. Nothing more, nothing less. It is the difference over the name, and it alone,
which the interplay of Articles21, paragraphs2 and 5, paragraph1, of the Accord removes from
the jurisdiction of the Court, because it is a purely political difference. Last week, I showed that
the actual text of resolution817 (1993) made it po ssible to draw a clear distinction between this
difference, which the Parties have been asked by the Security Council to settle, and the use of the
provisional name by the former Yugoslav Republic of Macedonia, adopted as a temporary solution
81
“pending settlement of the difference that has arisen over the name of the State” . The resolution
thus, on the one hand, identifies a problem: the divergence or difference over the name.
ProfessorSands showed you a few moments ago that the versions of resolution817 in the six
official United Nations languages are completely consistent in their terminology on this point. The
40 resolution also proposes a temporary solution to perm it the admission of the applicant State to the
United Nations, despite the existence of this probl em. This solution is the use of a provisional
name. And the present difference does indeed conc ern the question of the obligations which this
resolution does ⎯ or does not ⎯ lay upon the applicant State regarding the use of the provisional
name (in other words, the solution chosen by th e resolution), but does not concern the question of
the name as such (in other words, the problem identified in the resolution). Moreover, the
representatives and counsel of the Respondent very clearly admitted this several times before you
last week. In this connection, I shall confine myself to the opening statement by the Respondent’s
Agent, in which she expressly recognized that “the Court is not being overtly called upon to rule on
the issue of the Applicant’s name” 82.
80Para. 3 of the preamble to the resolution.
81
Resolution 817 (1993), para. 2.
82See CR 2011/8, p. 17, para. 19 (Telalian). - 33 -
9. The Respondent’s argument completely igno res this fundamental distinction between the
two components of resolution817 (1993). Moreover, it is particularly revealing that, in his oral
argument last week, ProfessorReisman did not say a word ⎯ not a single word ⎯ on the
interpretation of resolution 817 (1993) from the angle of jurisdiction. True, he spoke at length from
the angle of the merits ⎯ what the resolution requires, or not, of the Applicant as regards the use of
83
the provisional name . He also presented you with a great many versions ⎯ with a great deal of
crossing out and editing ⎯ of the clauses in the Interim Accord, supposedly reflecting the
Applicant’s various readings of it. But as regards the implications of the structure and content of
resolution817 (1993) for determining the jurisdictio n of the Court, when this is the fundamental
text to which the Interim Accord refers, nothing, a total blank.
10. You were told last week that the Res pondent’s argument essentially deprived the Court
of any jurisdiction as regards large portions of th e Accord, if not dispensing with its jurisdiction
altogether. Were one to use the interpretation of the compromissory clause suggested by our
opponents ⎯ to repeat this yet again ⎯ the differences relating to no less than 11 clauses in the
Accord would automatically be excluded from th e jurisdiction of the Court, according to the
41 Respondent’s own tally 8. Almost half the Accord would thus automatically escape the scope of
application of the compromissory clause. On this , yet again, not a word from our opponents. In
the face of the most elementary evidence, our est eemed opponents prefer to c ontinue to claim that
their argument in no way contradicts the fact that Article 21, paragraph 2, gives what they continue
to call a “central role” to the Court in monitoring the application of the Accord 85. And for this
purpose they reiterate the list of provisions ⎯ provisionally, very provisionally, rescued from
oblivion, asserting that a dispute regarding them would not necessarily affect the question of the
name.
11. But the problem is not whether a disput e relating to these provisions would necessarily
affect the question of the name. To follow the Respondent’s argument, any dispute would only
have to display some link, even incidental or remo te, with this question for it to be automatically
8See ibid., pp. 54-57, paras. 29-44 (Reisman).
84
Reply, para. 3.21 and CR 2011/5, p. 60, para. 9 (Klein).
8See CR 2011/8, p. 50, para. 15 (Reisman). - 34 -
“contaminated”, so to speak, by the exception laid down in Article 21, para graph 2. Bear in mind
the criterion chosen by the opposing Party directly or by implication. One of the examples chosen
by our esteemed opponents seems especially unfortunate in this respect. ProfessorReisman
referred to Article8 of the Accord, which ob liges the Parties to refrain from impeding the
86
movement of people or goods between their territories . He asserted that a dispute arising under
this provision would not necessarily relate to the name issue 87. Perhaps not necessarily, but
potentially in any event, by implication, as soon as a connection with the difference over the name
was established. Mr. Reisman seems to have forgotten ⎯ probably because it concerns an episode
which the Respondent is not very inclin ed to see discussed before this Court ⎯ that it is precisely
in order to put pressure on the applicant State in the context of the difference over the name that
88
the Respondent imposed an economic embar go on it with disastrous consequences in 1994 ?
However, were one to follow the Respondent, th e dispute which would arise from the adoption of
such measures would indeed be excluded from the jurisdiction of the Court if it had any
42 connection, by implication, with the differenc e over the name. And the same might obviously
apply to all the other provisions in the Accord which could be linked one way or another, by
implication, to this difference. The interpretati on of the first phrase of Article21, paragraph2,
asserted by the Respondent therefore proves even more untenable than ever. And it is certainly not
by chance that a particularly pre-eminent Greek author who has written a commentary on the
Interim Accord ⎯ with great authority as my colleague ProfessorPhilippe Sands will show in a
few moments ⎯ has not accepted this approach to the co mpromissory clause at all, and, on the
contrary, has recognized that it has very broad scope 89.
12. I will not dwell, Mr. President, Members of the Court, on the other argument of lack of
jurisdiction raised by the Respondent, according to which the Court could not settle the present
dispute, as this would oblige it to rule on the rights and obligations of States and entities not parties
to these proceedings, without their consent. Th e argument constructed by our esteemed opponents
86See ibid., p. 52, para. 23 (Reisman).
87
See ibid.
88AM, para. 2.27.
89Christon Rozakis, Political and Legal Dimensions of the Transitional Agreement signed in New York between
Greece and FYROM, Athens, Sideris, 1996 (in Greek), para. 3.5. - 35 -
on this point is entirely based on a vision of the facts of the case which ⎯ one is not too sure ⎯
may be pure surrealism ⎯ which at least would have the merit of giving it some artistic value ⎯ or
a pure and simple denial of reality. The premise of the argument is, in fact, that the Respondent did
no more than “join in the consensus post poning the [Applicant’s] admission to NATO” 90. No
specific conduct by the Respondent prior to the Buch arest Summit can be identified. No such act
distinct from NATO’s decision exists, as Professo rsPellet and Crawford have dinned into us 91.
92
And the Court would therefore inevitably have to rule on an act by NATO, which it cannot do .
13. My colleague ProfessorSean Murphy explained to you a few moments ago what one
should think of such a scenario and its utter im probability. Professor Sands, meanwhile, has given
you the detail of this fairytale with which the opposing Party is deluding itself, as though for
43 reassurance, but the time for fairytales is over; it is time to return to reality, to harsh reality. This
act of objection undeniably exists, and it is cl early attributable to the Respondent, which has
claimed it time and time again through its highest authorities. The fact that it is conduct which can
be clearly individualized and is clearly attri butable to the Respondent has, moreover, been
confirmed to us beyond any doubt by Professor Crawford, who has stressed this point in connection
with the various positions adopted by the Respondent’s authorities: “governmental institutions of
Greece are not the same as NATO”, he told us 93. We could not put it better. And it is for precisely
this reason that the Court is fully empowered to rule on the compatibility of this conduct with
Article 11, paragraph 1, of the 1995 Interim Accord, without this prompting it to adopt a position in
any way whatever on the subsequent decisions in NATO. We are therefore here facing a situation
similar to those which the Court had to deal with in the cases concerning Nauru and Armed
Activities on the Territory of the Congo . The Court is in no way obliged to rule on the conduct of
third parties not parties to the proceedings as a prerequisite of determining the responsibility of one
of the parties to the proceedings. The case law in Monetary Gold is therefore of no help to the
90See CR 2011/10, p. 30, para. 36 (Pellet).
91
See CR 2011/9, p. 15, para. (Pellet); ibid., p. 53, para. 19 (Crawford).
92
See ibid., p. 15, para. 19 (Pellet).
93See CR 2011/9, p. 48, para. 6 (Crawford). - 36 -
Respondent. And it is indeed for this reason, whereas they upbraided us for our silence on the
94
subject of that case law, that our esteemed opponents have said very little on this point .
14. The objection to admissibility made by the Respondent ⎯ according to which the Court
should refrain from delivering a judgment since the latter would have no practical effect ⎯ is based
on the same scenario. Here too, our esteemed opponent s have declined to engage in a legal debate
worthy of the name on the relevance of the Northern Cameroons case to the dispute currently
before the Court. And there is nothing surprising in this, since such a debate, were it to have the
slightest point, can hardly be engaged on such incorrect factual premises. I can therefore but
reiterate the Applicant’s conclusion on this point: once the claim and its precise subject-matter are
placed side by side, the Respondent’s elaborately constructed arguments for disputing admissibility
95
44 crumble to dust . As has been amply demonstrated at this stage, the specific practical issues in the
present case are very real indeed. This is the case both in relation to NATO and other
organizations to which the Applicant might request admission in future, such as the European
Union.
15. This leaves us with the allegation of interference in a political process ⎯ the negotiations
over the name of the applicant State ⎯ which should also lead the Court to abdicate its powers in
this case. It should first be noted that the appli cant State has expressed clear reservations about the
extremely belated introduction of this last objection, contrary to the rules governing the filing of
preliminary objections. The opposing Party has cl early chosen to completely ignore this minor
obstacle, since its counsel did not breathe a word about it last week. The Applicant can therefore
but reiterate its reservations on this point, inviting the Court to set aside this last objection on
account of its belated filing.
16. Were the Court nevertheless to agree to consider, and in the alternative, may I just briefly
point out why a judgment delivered by the Court in this case would in no way have the effect of
interfering in the negotiation process over the name. The analysis of Security Council
resolution 817 (1993) which we have just made has clearly shown that the negotiation process over
the name, on the one hand, and question of the obligations which might be placed by
94
See ibid., p. 15, para. 19 (Pellet).
95
CR 2011/5, p. 64, para. 14 (Klein). - 37 -
resolution 817 (1993) on the applicant State as regards the use of the provisional name, on the other
96
hand, are two quite distinct matters . Once again, the opposing Party deliberately blurs the issue
in this respect. Determining the scope of r esolution817(1993) and of the Interim Accord
regarding the question of the use of the provisi onal name would in no way have the effect of
settling the dispute over the name, or of imposing a conclusion on the still ongoing negotiation
process between the Parties on this subject. Our esteemed opponents have argued in this
connection that “it is not for the ‘principal judicial organ’ o
f the United Nations to release” the
applicant State from its obligation to negotiate with a view to finding a solution to the difference
over the name 97. The applicant State has never claimed this, which is not at all what it expects of
the Court, directly or indirectly . This obligation to negotiate was there before the present dispute
45 arose, and will continue to be there after it has been settled. Nothing will induce the Court to
“interfere” in a political process and thereby to prejudice the “integrity of the judicial function” if it
agrees to consider the merits of the case now before it.
17. In conclusion, it is for all these reasons wh ich have been set out before you this morning
that the applicant State respectfully requests the Court to reject the objections to jurisdiction and
admissibility raised by the Respondent.
Mr.President, Members of the Court, thank you for your attention. May I ask you,
Mr. President, to give the floor now to my colleague Professor Philippe Sands.
Le PRESIDENT: Je remercie M.PierreKlein pour sa présentation. J’invite à présent
M. Philippe Sands à prendre la parole.
96
See also CR 2011/6, pp. 18-19, para. 14 (Klein).
9See CR 2011/9, p. 19, para. 28 (Pellet). - 38 -
M. SANDS :
L A VIOLATION DU PARAGRAPHE 1 DE L ’ARTICLE 11 PAR LE DÉFENDEUR
NE SAURAIT ÊTRE EXCUSÉE
Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il me reste à examiner les
excuses avancées par le défendeur pour justifier sa violation. Comme vous le savez, elles sont au
nombre de trois : l’excuse de l’article 22, celle de l’exceptio et celle des contre-mesures. A l’heure
qu’il est, elles ont été amplement plaidées et rien de ce que nous avons ente ndu la semaine dernière
ne nous a poussé à nous écarter des vues très claire s que nous avons déjà exprimées, à savoir que
ces arguments juridiques inventifs ne sauraient tirer d’affaire le défendeur, et j’examinerai donc ces
questions assez brièvement.
98
2. En ce qui concerne l’argument de l’article 22, seul M. Reisman en a parlé . On aurait pu
s’attendre à ce que l’une des personnes présentes de l’autre côté de la barre aborde l’application
pratique de l’article 22, son rappor t avec les faits de l’espèce, M. Crawford peut-être, mais cela ne
s’est tout simplement pas produit. Ainsi, la pr ésentation de M.Reisman a tout simplement été
99
laissée en suspend, judicieusement décrite comme un «entracte» , un peu comme celui dans lequel
46 les merveilleux Rodgers et Hammerstein jouaient Cendrillon; un spectacle présenté à chaque
numéro en public, comme une sorte de divertimento, mais qui ne figure jamais dans la version
finale enregistrée ⎯ en l’espèce, votre arrêt.
3. Le conseil du défendeur a regr etté que l’article 22, et je le cite, «apparai[sse] quelque peu
tardivement en l’espèce» 100. Eh bien, si j’étais l’hôte, j’aurais été tout simplement surpris que cet
invité ne vienne. Le fait que nous n’ayons fait aucune mention de l’article 22 dans notre mémoire,
hormis une référence simple, tient à une raison très simple, à savoir qu’il est dénué de pertinence.
En préparant cette affaire, nous avons fouillé la littérature universitaire relative à l’accord
intérimaire dans son intégralité. Ce qu’a dit le Conseil la semaine dernière nous a conduit à
98CR 2011/9, p. 39-46 (Reisman).
99
Ibid., p. 8, par. 52 (Crawford).
100CR 2011/9, p. 39, par. 2 (Reisman). - 39 -
consulter à nouveau tous ces articles ⎯avions-nous manqué quelque chose? Encore une fois,
nous n’avons cependant pas pu trouver un seul co mmentateur qui considère l’article22 comme
ayant la moindre pertinence pour les fonctions essentielles de l’accord. Si un seul article avait pu
être considéré comme d’une aide quelconque, c’est celui que le professeur ⎯à présent juge ⎯
ChristosRozakis, a publié en1996, intitulé, en anglais, «Political and Le gal Dimensions of the
Transitional Agreement» [Dimensions politiques et juridiques de l’accord provisoire] signé à
NewYork entre la Grèce et l’ERYM. Il semble n’être disponible qu’en grec ⎯ nous disposons
d’une traduction non officielle en anglais et n’avons aucune objection à la communiquer à la Partie
adverse ou à la Cour si besoin. L’article a été publié à peu près à l’époque où M.Rozakis
remplissait les fonctions de ministre ad joint des affaires étrangères du défendeur 101. Compte tenu
du poste qu’il occupait alors, nous supposons qu ’il était bien placé pour livrer un commentaire
faisant autorité sur l’accord intérimaire. Donc, si quelqu’un pouvait s’être intéressé à l’article 22,
on aurait pu s’attendre à ce que ce soit lui. Il convient par conséquent de noter qu’il ne fait à aucun
moment mention de l’article22 dans son ouvrage de soixante-dix-septpages, ni d’un quelconque
droit y afférant qui permettrait à l’une ou l’au tre Partie de suspendre ou de modifier toute
obligation comme le prétend le défendeur. Au cun autre article juridique parmi ceux que nous
avons été en mesure de découvrir ne contient de ré férence concrète à l’article 22 qui puisse aider le
102
47 défendeur . Il existe des dispositions similaires à cel les de l’article 22 dans de nombreux autres
accords internationaux, mais nous n’ avons trouvé nulle part de quoi étayer les vues du défendeur
qui n’a cité, pour sa part, aucun autre point de vue.
4. M.Pellet s’est plaint que leurs «amis de l’autre côté de la barre f[asse]nt une lecture
103
partielle et partiale, en voulant disso cier l’article11 de son article22» . En vérité, il devrait
adresser sa critique à l’ancien collègue de MmeTe lalian au ministère des affaires étrangères. De
101Christos Rozakis, Political and Legal Dimensions of the Transiti onal Agreement signed in New York between
Greece and FYROM, Athènes, Sideris, 1996 [en grec].
102Voir, par exemple, MichaelWood, «Participation of Former Yugoslav St ates in the UnitedNations and in
Multilateral Treaties», Max Planck Yearbook of United Nations Law, (1:1997), p. 231, qui peut êt re consulté à l’adresse
suivante : http://www.mpil.de/shared/data/pdf/pdfmpunyb/wood_1.pdf ; Nikos Zaikos, The Interim Accord: Prospects
and Developments in Accordance with International Law, peut être consulté à l’adresse suivant:e
http://www.macedonian-heritage.gr/InterimAgreement/Downloads/Interim_Za… ; Aristotle Tzia-mpiris, The Name
Dispute in the former Yugoslav Republic of Ma cedonia after the Signing of the Interim Accpeut être consulté à
l’adresse suivante : http://www.macedonian-heritage.gr/InterimAgreement/Downloads/Interim_Tz….
103CR 2011/8, p. 63, par. 12 (Pellet). - 40 -
fait, la semaine dernière, lorsqu’il se trouvait dans la salle, il n’aurait même pas eu besoin d’aller si
loin, il aurait pu faire part de ses préoccupations à M. Evangelos Kofos, conseil du défendeur, qui
était alors assis tout près de lui, et qui trav aillait par hasard dans le même ministère que
M.Rozakis, dont il a mentionné l’ouvrage avec a pprobation, qualifiant M.Rozakis d’«éminent
jurisprudent» 104[traduction du Greffe] [projection n 1]. Ce qui présente un intérêt particulier aux
fins de la présente instance est le fait que M. Kofos note la déclaration de M. Rozakis aux termes
de laquelle «toute déception et impasse qui pourra it apparaître sur la voie d’un accord sur le nom
ne devrait pas empêcher la mise en Œuvre simultanée de l’accord provisoire» [traduction du
Greffe] et ensuite, ⎯encore plus important ⎯ il cite, avec approbation, M.Rozakis indiquant
«[c]e qui a déjà fait l’objet d’un accord ne do it pas être utilisé comme un moyen d’action au cours
105
des négociations pour obtenir des avantages sur la question du nom» [traduction du Greffe] .
Donc, soyons clair: M.Rozakis avait exactem ent prévu ce qui s’est passé en l’espèce, à savoir
qu’une partie ⎯ le défendeur ⎯ pourrait prendre ce qui a déjà fait l’objet d’un accord
⎯l’obligation de ne pas soulever d’objection qui figure au paragraphe1 de l’article11 ⎯ et
l’utiliser «comme [] moyen d’action au cours d es négociations pour obtenir des avantages sur la
question du nom». M.Rozakis a-t-il dit que l’article22 pourrait être utilisé pour contourner,
modifier ou soumettre à certaines conditions «ce qui a déjà fait l’objet d’un accord»? Non.
M. Kofos l’a-t-il critiqué pour cette lacune ? Il n’en a rien fait. Mme Telalian, ou l’un quelconque
de ses prédécesseurs, ont-t-ils pris la moindre m esure pour avertir M. Rozakis ou M. Kofos qu’ils
s’étaient trompés? Aucune preuve n’a été soumise à la Cour que tel a été le cas. En bref, nous
n’avons pu trouver aucun soutien à l’opinion adoptée par M. Reisman selon laquelle l’article 22 est
un élément central de l’accord intérimaire. Et c’est pour cela que nous n’avons rien dit à ce sujet
o
dans notre mémoire. [Fin de la projection n 1.]
48 5. Il y a par conséquent une bonne raison à l’ apparence tardive de l’article22. Aucun des
négociateurs de l’accord intérimaire n’a semblé lui avoir accordé d’importance. Je peux par
104Evangelos Kofos, «The Unresolved «Difference over the Name» : A Greek Perspective», dans Athens-Skopje :
An Uneasy Symbiosis , 1995-2002, publié en grec par Papazisis Publishers, Athènes, décembre2003, Hellenic
Foundation for European and Foreign Policy (ELIAMEP), ISBN 960-835605-9, p. 127-144 ; peut être consulté en anglais
à l’adresse suivante: http:// www.macedonian-heritage.gr/InterimAgreement/Downloads/Interim_Kofos.pdf; dossier de
plaidoiries, onglet 14.
105Ibid., p. 146, extrait du livre du professeur Rozakis, op. cit., note de bas de page n 102, p. 37-38. - 41 -
conséquent répondre très clairement aux points soulevés par le Conseil dans son exposé qui visait à
répondre aux arguments que nous avons présentés la se maine dernière ou dans nos écritures, et qui
s’est avéré ⎯ vous l’aurez tous noté ⎯ à la fois bref et incomplet. Il n’a pas abordé, comme vous
l’aurez observé, le raccourci que nous avons défini et qui permet à la Cour de traiter directement de
l’article 22 : à moins que le défendeur ne puisse démontrer qu’en avril 2008 il avait un droit ou un
devoir, vis-à-vis de l’OTAN, l’obligeant à s’opp oser à notre admission à cause du non-règlement
de la divergence sur le nom, l’article 22, sur la base de ses propres arguments, ne lui est d’aucune
utilité. Cependant, même sur cette base, le défe ndeur n’est pas en mesure de montrer que son
opposition à notre adhésion à l’OTAN était fondée su r un critère quelconque du statut de membre
de l’OTAN. Comme vous le savez, j’ai attiré votre attention sur l’élément de preuve, qui montre
que la position du défendeur était fondée sur un critère qui «vena[i]t s’ajouter» à ceux que prévoit
tout document de l’OTAN 106. Le défendeur est également resté silencieux sur ce point et nous en
avons pris acte.
6. Donc, quels étaient les arguments de M. Reisman ? Il a fait quatre remarques essentielles.
Premièrement, il a affirmé que nous n’avions pas expliqué l’effet de l’article22 107. C’est tout
simplement faux. S’il prend soin de lire le para graphe 5.13 de notre réplique, nous avons expliqué
que les clauses de ce genre n’étaient pas inhabituelles dans les accords internationaux. Nous avons
ensuite donné un exemple pratique, dans le domaine de l’acquisition d’équipements de défense, de
la manière dont peut fonctionner en pratique une disposition qui vise à prévoir qu’un accord ne
portera pas atteinte aux droits et devoirs d’une tierce partie. Or, il prétend que nous n’avons pas
expliqué comment les «devoirs» des tierces parties pourraient être altérés 108. Nous pensions, en
réalité, que cela ressortait assez clairement de ce para graphe de notre réplique: si l’Etat A fournit
du matériel à l’EtatB avec des restrictions sur le transfert à d’autres Etats et qu’ensuite l’EtatB
approvisionne le défendeur, l’Etat B a un devoir ⎯ une obligation ⎯ à l’égard de l’Etat A qui est
couvert par l’article22. Les obligations intern ationales de l’Union européenne à l’égard d’une
106
Contre-mémoire du demandeur, par.7.35; réplique du demandeur, par.2.11; CR2011/6, p.61, par.28
(Sands).
107
CR 2011/9, p. 40, par. 9 (Reisman).
108Ibid. - 42 -
tierce partie fonctionnent de la même manière, compte tenu du fait que le défendeur est membre de
l’Union européenne.
7. Deuxièmement, M.Reisman a tenté de répondre à notre argument selon lequel
l’interprétation qu’il donne de l’article 22 n’a aucun sens lorsqu’elle est examinée à la lumière des
49 conditions des articles14 et19 de l’accord intéri maire qui concernent expressément les droits du
défendeur. Il a expliqué que ces dispositions porta ient sur des questions qui étaient autant de
«domaines», pour employer ses termes, «où les Et ats membres de l’Union européenne [avaient]
délégué leurs compétences à la Commission européenne » et qu’il était par conséquent, et je le cite
encore une fois, «logique, au moins pour les rédact eurs grecs de l’accord intérimaire, de prévoir
expressément de telles dispositions, de manière à ne pas empiéter sur les compétences exclusives
109
attribuées à la Commission européenne dans ces domaines» . Et il a généreusement suggéré que,
puisque le demandeur n’était pas partie à l’ Union européenne, nous n’avions peut-être pas
connaissance de ces questions. Avec tout le respect que je lui dois, c’est le défendeur qui a
quelques lacunes. Si l’on écarte l’élément mineur selon lequel c’est la Communauté, et non la
Commission, qui est investie de compétences excl usives, l’argument s’effondre simplement en
examinant d’autres dispositions de l’accord intérimaire. L’article15, par exemple, porte sur les
«relations économiques»; il est difficile de penser à un domaine où la Communauté économique
européenne disposait de compétences plus exclus ives que celui-ci, or, il ne contient pourtant
aucune réserve. On peut faire la même remarque s’agissant de l’article16, qui traite de la
coopération technique, et de l’artic le 17, qui porte sur l’environnem ent, un domaine dans lequel la
Communauté a également une grande compétence ex clusive. Donc, cette explication ne peut
qu’être fausse, aussi astucieuse soit-elle, puisque quiconque connaît le droit de l’Union européenne
la reconnaîtra instantanément.
8. M.Reisman a ensuite décidé de réunir encore une fois les articles11 et22. Juste après
nous avoir critiqués parce que nous avions ajouté des termes à l’accord intérimaire 110, il a fait
exactement la même chose. Il a utilisé plusieurs diapositives pour nous montrer comment le
défendeur avait inséré la conjonction «mais» pour ré unir les articles 11 et 22 dans un bel ensemble
109
CR 2011/9, p. 41, par. 10 (Reisman).
110
Ibid., par. 9. - 43 -
homogène et utile. Cet exercice avait effectivement le grand mérite de la transparence, ainsi qu’il
l’a prétendu, mais le conseil n’a jamais expliqué de manière satis faisante pourquoi il avait le droit
d’insérer, dans un traité, un terme qui en altérait le sens en ayant pour effet manifeste de
subordonner l’article11 à l’artic le22 d’une manière que les auteurs eux-mêmes n’avaient pas
utilisée, contrairement à ce qu’ils avaient fait aux articles14 et19. Il n’a pas non plus expliqué
pourquoi il a jugé être en mesure de retirer neuf termes essentiels du texte de l’article 22, ceux qui
précisent que l’accord «n’est dirigé contre aucun autre Etat ou entité». Quoi qu’il en soit, cet ajout
et ces retraits ne sont d’aucune aide si nous ⎯le jugeRozakis et M.Kofos, tout autre
commentateur et observateur ⎯ sommes dans le vrai lorsque nous considérons que l’article 22 n’a
pas la moindre pertinence pour l’article 11 et pour la présente instance.
50 9. M.Reisman est ensuite revenu sur les distinctions entre les diverses catégories
d’organisations internationales dites «ouvertes» et «fermées». Nous avons déjà expliqué sur quoi
se basait notre opinion selon laquelle ce tte distinction est sans fondement 11. La complexité même
de l’argument ne le rend pas plus attrayant; je dois avouer que, pendant la plaidoirie, j’ai eu
quelque mal à suivre son raisonnement lorsqu’il s’est mis à parler de télécopieurs, de téléphones et
de la pertinence du concept de rareté. Bien évidemment, j’en suis venu à me demander à quelle
catégorie pourraient appartenir certaines organisations. Qu’en est-il de l’Organisation mondiale du
commerce, qui semble être à la fois une «organisation à vocation universelle» et une «organisation
fermée» ? Nous avons lu, relu, et lu encore sans que cet argument nous apparaisse renforcé, lequel
argument est remarquable en ce qu’il ne renvoie à absolument aucune référence à l’appui de la
prétention. Et nous attendons encore une expli cation quand à l’absurdité du résultat : le défendeur
a le droit d’élever des objections dans toutes les organisations internationales où celles-ci
pourraient être suivies d’effets ⎯ les organisations fermées ⎯, et n’aurait pas de droit de s’opposer
dans les cas où son objection n’aurait aucune incidence ⎯ les organisations ouvertes.
10. Bien évidemment, l’effet de son argument est dévastateur pour l’accord intérimaire et la
stabilité que ce dernier visait à créer. Le défendeur le dit lui-même et nous sommes heureux de
l’entendre affirmer que «chaque obligation [étant] potentielleme nt subordonnée à l’article22»,
111
Réplique du demandeur, par. 5.25-5.28 ; CR 2011/6, p. 57-58, par. 20-21 (Sands). - 44 -
l’application énoncée à l’article 11 passe donc au second plan 112. Suivant cette thèse, l’article 11 et
toute autre disposition sont tout simplement vidés de leur sens: chaque partie peut simplement
affirmer qu’un droit ou un devoir qu’elle tire d’une obligation internationale en vigueur lui permet
de passer outre à une obligation de l’accord inté rimaire. Ni M.Rozakis ou M.Kofos, ni
apparemment quiconque sur cette planète n’est parve nu à cette conclusion. L’idée que l’article 22
est une disposition en veilleuse qu’il est possi ble d’invoquer en janvier2010, dans le
contre-mémoire ⎯quinze ans après l’adoption de l’accord intérimaire et deux ans après la
naissance du différend ⎯, n’a pas un attrait immédiat compte tenu de l’effet destructeur qu’elle a
sur l’accord. M.Reisman a simplement choisi d’ ignorer treizeannées de pratique inopportune;
d’une part, le défendeur fait valoir que nous avons violé de mani ère systématique depuis 1995 les
obligations qui nous incombaient en vertu de l’accord et, d’autre part, il dit que ce n’est qu’en 2008
qu’il a enfin trouvé un motif pour agir, avec une déclaration publique du président du demandeur
faite…un an après que le défendeur a commencé à s’opposer à notre adhésion à l’OTAN et
113
51 six mois après Bucarest ! Toujours inventif, le conseil a proposé le droit de préemption
préemptive, le droit d’agir des mois avant que l es informations qui ouvrent le droit ne vous soient
connues. On peut rapidement imaginer à que lle situation une telle théorie pourrait bientôt
s’appliquer.
11. En conclusion, l’article22 ne saurait être la «carte sortie de prison» qu’il est prétendu
être. Au paragraphe7.7 de s on contre-mémoire, le défendeur a concédé que le paragraphe1 de
l’article11 «limite un droit dont la Grèce pourrait user librement dans d’autres circonstance».
M.Crawford a reconnu que l’article11 était, pour reprendre ses termes, une «concession majeure
faite par la Grèce» 11. L’article22 ne visait pas à rétablir la situation qui existait avant cette
concession. L’article11 limite ou ne limite pas ce droit; il s’agissait ou non d’une concession
majeure. Il ne peut certainement pas s’agir d’une concession ou d’une limit ation que le défendeur
est libre d’abroger unilatéralement sur la base de conditions qui ne sont énoncées nulle part, en
alléguant une disposition que ses propres hauts co nseillers du ministère des affaires étrangères
112CR 2011/9, p. 43, par. 13 (Reisman).
113
CR 2011/9, p. 46, par. 18 (Reisman).
114Ibid., p. 23, par. 8 (Crawford). - 45 -
considéraient comme dénuée de pertinence. L’ar ticle22 ne vient aucunement étayer la thèse du
défendeur.
12. J’en viens donc à l’ exceptio. Comme toujours, c’est avec grand plaisir que nous avons
écouté M. Pellet, qui ne semblait pas trop fatigué pa r la joute l’ayant opposée à M. Crawford sur la
question de savoir à qui revenait le droit d’invoquer cet argument. Il s’est battu avec énergie et
vigueur, un véritable héros grec. Mais si son in tervention témoigne d’un véritable talent, elle
semble également témoigner de la force de l’auto-persuasion.
13. Etais-je le seul, dans la grande salle de justice, vendredi en fin d’après-midi, alors que le
cocktail des juges approchait, à être trans porté dans le passé, vers 1938 peut-être ⎯ et en un autre
lieu, là où se trouvait le bâtiment de l’Académie -, et à imaginer le juge Anzilotti assis au fond de
l’amphithéâtre, opinant de la tête avec co mponction alors qu’il écoutait le brillant et ⎯ il faut bien
115
le dire ⎯ très jeune professeurPellet parler de l’avenir radieux de l ’exceptio ? Mais soudain,
comme sorti d’un rêve, j’étais de retour en2011, à la réalité des prétoires, des bibliothèques de
droit et à nos préoccupations ; je revenais à la réa lité, et n’étais plus dans le monde des mythes, des
dieux et des héros. En vue de la présente audience, nous avons repris chacune des éditions du très
intéressant traité de droit international de M.Pelle t, afin de voir ce qu’il pensait véritablement de
l’exceptio, de la première édition —publiée en1977— à la huitième —récemment publiée,
52 en2009. Dans chacune de ces éditions, le traitement de l’ exceptio est rapide et, comme je l’ai
indiqué la semaine dernière, ne por te que sur la manière dont celle-c i a été reprise à l’article 60 de
la convention de Vienne de1969. Pour être franc, la plaidoirie de vendredi m’a semblé sans
rapport aucun avec ce que M.Pellet a écrit dans chacune des huit éditions de son ouvrage.
Peut-être avons nous eu, ce qui serait un privilège , un aperçu de ce qui pourrait figurer dans la
prochaine édition —la 9 eédition de l’ouvrage de M.Pellet —, mais ce que nous avons entendu
témoigne aussi des dangers qu’il y a à navigue r simultanément dans deux mondes, le monde
universitaire et le monde professionnel.
14. Nous nous attendions à une intervention de trenteminutes sur l’ exceptio et les
contre-mesures, et nous avons eu une heure entière de plaidoirie. Parfois, Monsieur le président,
115
CR 2011/10, p. 24-34 (Pellet). - 46 -
mieux vaut faire preuve de concis ion. Nous pensions que nous n’ aurions rien à ajouter à ce que
nous avons dit dans nos écritures et à l’audience. Or, nous avons assisté à quelque chose d’assez
intéressant. La Cour se souviendra qu’au paragraphe8.2 de son contre-mémoire, le défendeur a
affirmé, en ce qui concerne l’ exceptio —et sa thèse tout entière—, qu’il n’avait «jamais déclaré
avoir l’intention d’obtenir la suspension … en tout ou en partie». Il l’a répété au paragraphe 8.40
de sa duplique 116. [Début de la projection n 2.] La Cour peut donc imaginer notre surprise quand
M.Pellet a déclaré vendredi après-midi —en fin de journée— que le défendeur avait en fait
117
procédé à une «suspension partielle» , comme vous pouvez le voir maintenant à l’écran. Mais
quelques minutes plus tard, juste après être passé de la troisième à la quatrième, M.Pellet a
directement passé la marche arrière, ce qui est toujours très dangereux. Peut-être s’est-il aperçu
qu’il avait commis une erreur. Voilà ce qu’il a alors dit : [début de la projection 2.2] «il n’entrait
nullement dans ses intentions de mettre fin à l’ accord intérimaire ou d’en suspendre l’exécution»
—c’est ce qu’il a dit, en revenant à ce qui est dit au paragraphe8.2 du contre-mémoire et au
118
paragraphe8.40 de la duplique . Monsieur le président, vous comprendrez que nous soyons
aujourd’hui quelque peu confus et que nous ne comprenions pas bien quelle thèse nos
contradicteurs défendent. Ont-ils suspendu ou non l’application de l’accord intérimaire? L’une
des interprétations que l’on peut faire de l’exposé de M.Pellet est que le défendeur a désormais
abandonné l’argument de l’ exceptio, et qu’il invoque simplement une violation substantielle d’un
traité en vertu de l’article60, mais il ne l’a bien sûr jamais vraiment dit et il serait tout à fait
extraordinaire que le défendeur présente un nouvel argument juridique aussi important aussi
tardivement, alors même qu’il l’a rejeté jusqu’ à vendredi après-midi. Mais peut-être est-ce la
raison pour laquelle il a invoqué le paragraphe5 de l’article65, pr étendant pouvoir en exciper en
53 tant que moyen de défense perm ettant la suspension en l’absence de notification préalable 119. Le
problème est que le paragraphe5 de l’article65 s’ouvre ainsi: «[s]ans préjudice de l’article45»,
par une invitation à se reporter à l’article45, lequel interdit aux Etats d’invoquer un motif de
116Contre-mémoire du défendeur, par. 8.2 ; duplique du défendeur, par. 8.40.
117
CR 2011/10, p. 28, par. 12 (Pellet).
118Ibid., p. 33, par. 26 (Pellet).
119CR 2011/10, p. 29, par. 14 (Pellet). - 47 -
suspendre l’application d’un traité en vertu de l’ article 60 si, après avoir eu connaissance des faits,
cet Etat a «explicitement accepté de considérer que…le traité est valide, reste en vigueur ou
continue d’être applicable». Nous avons donc été plus surpris encore par la nouvelle contradiction
de M. Pellet quand, dix minutes après avoir invoqué le paragraphe 5 de l’article 65, il a justement
expressément reconnu que le traité était valable, rest ait en vigueur et continuait d’être applicable :
«il n’entrait nullement dans ses intentions de me ttre fin à l’accord intérimaire ou d’en suspendre
l’exécution», a-t-il déclaré. Ainsi, après avoir inv oqué le paragraphe 5 de l’article 65, il lui coupe
la tête.
15. Une autre interprétation que l’on pourrait faire de l’étonnant exposé de M. Pellet est que
le défendeur inviterait la Cour à fondre l’ exceptio et l’article 60 en un concept nouveau, qui serait
un argument tout à fait original.
16. Mais il y a également une troisième interpré tation possible, et elle nous semble être la
plus vraisemblable, à savoir que le défendeur nage en pleine confusion ; qu’il n’est plus en mesure
d’avoir une vue d’ensemble de tous de ses arguments ⎯ ce qui n’est pas surprenant ⎯ du fait de
leur caractère invraisemblable et de leur complexité. Voilà pourquoi les contradictions sont légion.
En tout état de cause, nous écouterons avec beaucoup d’attention ce que nos contradicteurs auront à
dire mercredi, tout en reconnaissant, Monsieur le président, que s’ils devaient de nouveau présenter
un nouvel argument ou de nouveaux arguments nous espérerions bien bénéficier d’un droit de
réponse. [Fin de la projection n o2.]
17. Quoi qu’il arrive mercredi, l’exceptio a été sous les feux de la rampe, bien plus qu’elle ne
le méritait. Maintenant qu’elle a été montrée, nous espérons que la Cour la remettra au placard et
fermera délicatement la porte, à moins que M.Pe llet ne l’ait déjà fait ve ndredi dernier; et nous
espérons qu’elle y restera, sagement, jusqu’à sa prochaine sortie qui devrait, selon nos calculs,
avoir lieu dans 73 ans.
18. J’en viens enfin aux contre-mesures, qui ont été traitées un peu comme un épilogue 120et
sur lesquelles nous pouvons nous-mêmes être plus brefs encore. Pour les raisons évoquées lors du
premier tour de plaidoiries, cet argument ne décolle pas, et le conseil du défendeur ne lui a pas
120
Ibid., p. 34-39 (Pellet). - 48 -
donné d’ailes la semaine dernière. Il ne remplit tout simplement pas les conditions nécessaires:
54 aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour attestant que le défende ur serait un Etat lésé
⎯ il serait absolument remarquable que la Cour retie nne que le simple fait d’ériger une statue, de
baptiser un aéroport ou une portion d’autoroute po urrait, dans ces conditions, causer un préjudice
international. Le conseil du dé fendeur nous a rappelé les propos de son agent, à savoir «que la
proportionnalité … doit également être mesurée à l’aune des manquements du demandeur à ses
121
obligations relatives au nom et aux négociations sur ce nom» . Cette remarque nous a amenés à
nous interroger sur la question de savoir à quel point le conseil du dé fendeur connaissait les
éléments de preuve présentés à la Cour. Il semble évident que dans des affaires comme celle-ci, il
nous faut connaître l’entier dossier, il nous faut tout lire —chaque document— afin précisément
d’éviter de faire des déclarations qui nous mettent en difficulté. Les annexes ne laissent cependant
aucun doute : le défendeur n’a joint à son contre-mémoire que neuf notes verbales qu’il a adressées
au demandeur avant le 4 avril 2008 ; il s’agit-là de l’intégralité des éléments de preuve sur lesquels
il se fonde. Pas une seule de ces notes verbales ne c ontient d’allégation de violation substantielle
de l’accord intérimaire; aucune de ces notes verbales ne contient d’allégation selon laquelle
l’emploi du nom constitutionnel devant les Nations Unies constituerait une violation de l’accord
intérimaire; aucune d’entre-elles ne contient d’a llégation d’irrédentisme; aucune d’entre-elles ne
contient d’allégations de violation du paragraphe1 de l’article5 de l’accord intérimaire. Un
o
tableau reprenant ces éléments figure sous l’ongletn 13 du dossier de plaidoiries. Dans sa
duplique, le défendeur n’a communiqué aucune autr e note verbale, datant de cette époque, qu’il
aurait adressée au demandeur. C’est donc tout. Ce sont là les éléments de preuve sur lesquels nos
contradicteurs se fondent: neuf notes verbales, voilà à quoi se résume leur dossier. Et quels
problèmes soulèvent-ils dans ces notes verbales ? Eh bien — et je le dis avec respect, en particulier
à l’égard de la propriétaire du véhicule — on ne peut que les qualifier de totalement triviaux : ainsi,
quatre de ces notes ont trait à des actes de va ndalisme ou de vol concernant les plaques
minéralogiques d’un véhicule appartenant à l’a ttaché du bureau de liaison du défendeur à Skopje,
une cinquième ayant trait à la plaque minéralogique arrière du véhicule de l’épouse de
121
CR 2011/10, p. 35, par. 31 (Pellet). - 49 -
l’intéressé122. Monsieur le président, on ne peut pas se présenter devant la Cour internationale de
Justice à La Haye et soutenir, sans rire, que cette juridiction devrait connaître des dommages causés
à la plaque minéralogique d’un véhicule, aussi re grettables soit-il. On ne peut pas se présenter
devant la Cour et prétendre que le fait que le demandeur ait utilisé son nom constitutionnel dans le
cadre de ses communications avec chacune des orga nisations internationales dont il est membre
depuis1993 constitue une violation substantielle ou une violation de l’accord intérimaire, alors
même que dans le dossier du défendeur ne figure pas une seule note verbale qu’il aurait adressée au
55
demandeur avant avril2008 et dans laquelle il en tirerait grief ou indiquerait avoir le droit de
recourir à des contre-mesures. Cette allégation est d’autant moins vraisemblable qu’aucune des
organisations concernées ni aucun de leur s membres n’a élevé d’objection. Considéré
conjointement avec l’article de M. Evangelos Kofos qui, alors même qu’il traite de l’application de
123
l’accord intérimaire à cette époque ne mentionne pas pareil acte , cet argument ne tient tout
simplement pas.
19. Monsieur le président, les conditions de fond permettant le recours aux contre-mesures
ne sont manifestement pas remplies; les condi tions de forme de leur invocation ne sont
manifestement pas remplies non plus. Le conseil adverse n’a pas véritablement fait d’effort pour
prétendre le contraire, et l’argumentation présentée n’aide en rien ni la Cour ni le défendeur.
20. Monsieur le président, cette affaire est simple, et les faits conduisent inévitablement à
une conclusion fort simple. Le défendeur a bi en élevé des objections et ce, pour un motif qui
n’était pas prévu à l’article 11. Cette objection est , d’un point de vue factuel et juridique, distincte
de tout acte de l’OTAN. Les objections élevées pa r le défendeur ne sauraient être excusées au titre
de l’un quelconque des trois fondements qu’il avance : ni par l’article 22, ni par l’ exceptio, ni par
des contre-mesures. Si l’une des parties était préoccupée par la manière dont l’accord intérimaire
était mis en Œuvre, la convention de Vienne de 1969 offrait les règles et mécanismes permettant
d’apporter une réponse, que ce soit par voie de su spension, de retrait ou d’extinction. Ce
qu’aucune des parties n’est autorisée à faire, c’est de se rendre justice à elle-même, ou de tourner la
122
Voir, contre-mémoire du défendeur, annexes 41, 43, 44, 45 et 50.
123EvangelosKofos «The Unresolved Difference over the Name: A Greek Perspective», in Athens-Skopj : An
Uneasy Symbiosis, 1995-2002, publié en grec par Papazisis, éditeur, Athènes, décembre2003, p.142; disponible en
anglais à l’adresse : http://www.macedonian-heritage.gr/InterimAgreement/Downloads/Interim_Ko…. - 50 -
convention de Vienne; certains membres de la délégation assise à ma gauche le reconnaissent
o
d’ailleurs. [Début de la projection n 3.] Monsieur le président, en 2003, M. Kofos présentait de la
manière suivante la situation dans l’avant-propos de la publication à laquelle je me suis déjà référé :
«Le 13octobr2e002, l’accord intérimaire conclu par la Grèce et
l’ex-République yougoslave de Macédoine (ERYM) expirait. Cet accord avait
normalisé les relations entre les deux Etats voi sins tout au long des septannées pour
lesquelles il avait été signé. Les deux pays étant apparemment satisfaits du cadre
offert par l’accord et des progrès réalisés dans sa mise en Œuvre, aucun n’a fait valoir
une quelconque intention de le laisser expirer. Il restera, dès lors, en vigueur jusqu’à
ce qu’il soit remplacé p124un nouvel accord «final» ou jusqu’à ce que l’une des
parties le déclare nul.» (Les italiques sont de nous.)
56 Le défendeur n’a pas déclaré l’accord intérimaire nul et il ressort de ses écritures qu’il n’avait pas
l’intention de le suspendre; non obstant le petit virage à 180degrés et le revirement qui s’en est
suivi, l’accord semble ne pas avoir été suspendu et demeurer pleinement en vigueur aujourd’hui.
Nous vous prions d’en décider ainsi et d’imposer au défendeur de respecter, tant aujourd’hui qu’à
l’avenir, les obligations qu’il a souscrites.
Je vous remercie de nouveau, Monsieur le pr ésident, Mesdames et Messieurs de la Cour,
pour votre patience et votre bienveillante attention. Je vous prierais de bien vouloir appeler à la
barre notre coagent, M. l’ambassadeur Nikola Di mitrov, qui mènera à son terme notre second tour
o
de plaidoiries. [Fin de la projection n 3.]
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Ph ilippeSands, pour votre exposé. J’invite
maintenant S. Exc. M. l’ambassadeur Nikola Dimitrov à présenter les observations et conclusions
finales de l’ex-République yougoslave de Macé doine. Monsieur l’ambassadeur, vous avez la
parole.
M. DIMITROV :
Observations finales
1. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, c’est un honneur pour moi de
me présenter devant la Cour au nom de mon pays, la République de Macédoine.
12EvangelosKofos et VlasisVlasidis, «Avant-propos» dans Athens-Skopje: An Uneasy Symbiosis, 1995-2002 ,
publié en grec parPapazisis Publishers , Athènes, décembre2003, p.11; peuêtre consulté en anglais à l’adresse
suivante : http://www.macedonian-heritage.gr/InterimAgreement/Downloads/Interim_Fo…; dossier des juges,
onglet 15. - 51 -
2. M.Milošoski a exposé en détail la voie choisie par mon pays depuis son indépendance
en 1991. C’est la voie d’un petit pays situé au cŒur des Balkans, qui tâche de bien faire dans des
conditions et dans un environnement assez difficiles, s’efforçant de trouver sa place dans le concert
des nations. Cette voie n’était pas exempte d’ épreuves car il nous fallait notamment bâtir une
démocratie fonctionnelle dans notre société multiethni que, fondée sur l’état de droit, le respect des
droits de l’homme et l’économie de marché.
3. L’une des principales difficultés rencontrées par notre pays depuis sa naissance en tant
qu’Etat indépendant était sa relation avec la Républi que hellénique, notre voisin et le défendeur en
l’espèce. Bien que ce ne soit pas là une question que la Cour ait à régler, la principale divergence
entre nous concerne le nom de mon pays, avec toutes les conséquences que cela comporte pour
notre nationalité, notre langue et notre identité. A cause de l’oppo sition du défendeur, nous avons
subi des retards et des revers dans notre quête pour la reconnaissance et la légitimité
internationales, souvent au détriment des aspiratio ns à la stabilité dans la région. Plusieurs
57 éminents conseils, s’exprimant au nom du défendeur, ont incriminé le prétendu «choix» de notre
125
nom . Cela n’était cependant pas un choix de not re part. Notre nom est le résultat d’un long
processus historique; en effet, nous sommes né s Macédoniens, nous parlons le macédonien et ce
n’est donc pas comme si nous avions à choisir entr e plusieurs identités. Nous n’avons de surcroît
jamais tenté de monopoliser ce nom, car nous savons bien qu’il peut être compris différemment par
différentes nations, et nous ne sommes nullement opposés à ce que le défendeur l’utilise pour
désigner l’une de ses provinces.
4. Notre nom ne préoccupe aucun autre pays au monde. En conséquence ⎯ et, puis-je
ajouter, sans surprise ⎯ une majorité de Membres de l’ Organisation des NationsUnies nous
reconnaissent sous le nom de «République de Macédoine» dans les relations diplomatiques qu’ils
ont établies avec nous. Ils l’ont fait, notamment , parce qu’ils sont conva incus qu’un tel geste
favorise la stabilité de notre pays et celle de la région. Selon le défendeur, c’est là le résultat d’une
stratégie ambitieuse que nous avons tenue secrète 126. Mais nous n’avons rien dissimulé; nous
125
CR 2011/8, p. 33, par. 5 (Abi-Saab) ; CR 2011/9, p. 29, par. 26 (Crawford).
126
CR 2011/9, p. 45, par. 18 (Reisman) ; ibid., p. 54-58, par. 24-30 (Crawford). - 52 -
avons toujours utilisé notre nom constitutionnel, et ce seul nom, dans le cadre de nos relations
bilatérales et multilatérales depuis que notre pays a accédé à l’indépendance en 1991.
5. En1995, le défendeur et nous-mêmes sommes convenus, dans l’accord intérimaire, de
poursuivre de bonne foi les négocia tions concernant le différend qui nous oppose au sujet du nom,
et avons accepté de nous conformer à une série d’obligations pendant que ces négociations seraient
en cours. Nos relations n’ont pas été parfait es; les Parties se sont jusqu’à présent révélées
incapables de régler le différend comme le prévoit l’article5 de l’accord. Néanmoins, l’une et
l’autre ont tenté de bonne foi d’y parvenir, co mme l’a récemment conf irmé le médiateur,
M. Nimetz ⎯qui est le mieux autorisé à porter cette évaluation. J’espère que vous aurez
remarqué, Monsieur le président, que nous nous sommes abstenus de critiquer le comportement du
défendeur à ces négociations. J’espère aussi que vous comprendrez que cela ne veut pas dire qu’à
nos yeux, le comportement du défendeur est au-des sus de toute critique. Nous estimons cependant
que l’invective n’a pas sa place ici, surtout lorsqu’il s’agit d’une question dont la Cour n’est pas
saisie.
6. Voici un autre article de l’accord intérimaire, que le défendeur a malheureusement violé.
Nos conseils vous ont exposé les faits concernant l’objection illicite du défendeur au regard de
l’article 11, ainsi que les raisons pour lesquelles ses moyens de défense sont sans fondement. Je ne
répèterai pas ces arguments.
7. Je tiens cependant à souligner deux points. Premièrement, lorsque le défendeur, dans les
58
mois qui ont précédé le sommet de Bucarest et pe ndant ce dernier, s’est opposé à notre adhésion à
l’OTAN, il a contrarié un objectif que nous poursuivions depuis1993 ⎯ 15 années de réformes
difficiles et éprouvantes ⎯ un objectif dont l’importance pour notre propre stabilité et pour celle de
la région des Balkans est immense. A preuve de l’étendue de notre e ngagement envers cette
organisation, les hommes et les femmes de nos for ces armées risquent chaque jour leur vie en
Afghanistan. Ils y exercent leur action sans aucun problème sous la bannière de l’OTAN ⎯ et sans
perturber aucunement la stabilité et la fonctionnalité de l’Alliance. Pour mon pays, comme pour de
nombreux autres de la région, adhérer à l’Alliance, c’est franchir la ligne de la certitude et de la
stabilité, sans retour possible vers les années de peur et d’insécurité. - 53 -
8. Deuxièmement, je tiens aussi à souligner le rô le central qui revient à la Cour dans la mise
en Œuvre de l’accord intérimaire. Les deux Etats qui comparaissent devant vous ont reconnu qu’ils
ne pouvaient résoudre immédiatement tous les problèmes qui les divisent mais ils ont décidé de
régler ce qui pouvait l’être. En ce sens, en tant que cadre juridique, l’accord intérimaire a dans une
large mesure normalisé nos relations. En parvenan t à cet accord, les deux Etats ont jugé qu’il était
extrêmement important que la Cour en soit le gard ien, qu’elle soit le recours possible si l’une ou
l’autre des parties manquait à respecter ses dispositio ns. Car sans la Cour pour servir de guide aux
parties à l’accord conclu en 1995, il n’y a personne d’autre à qui s’adresser et l’accord, alors qu’il
annonce le progrès et la stabilité dans les Balkans, devient lettre morte. A sa conclusion, le Conseil
de sécurité de l’Organisation des NationsUnies a déclaré: «l’accord favorisera une plus grande
127
stabilité dans la région» . Le Conseil de sécurité avait raison. C’est précisément ce qu’a fait
l’accord. Notre souhait est qu’avec l’aide de la Cour, il continue de le faire.
9. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le défendeur affirme sans cesse
que notre vision de l’accord intérimaire est partia le. Cela n’est pas vrai. Nous reconnaissons
pleinement que les dispositions de l’accord ont fait l’objet de négociations approfondies entre les
Parties, pour créer un régime bien équilibré aux fins de nos relations bilatérales. En acceptant les
conditions de l’accord, mon pays s’est engagé à faire bien des concessions qui sont sa part du
marché conclu. Nombre des dispositions de l’accord en sont la preuve. En acceptant celles de
l’article11, nous avons consenti à une situation dans laquelle nous serions désignés sous
l’appellation provisoire dans les organisations internationales ⎯et pas seulement à l’ONU ⎯,
59 c’est-à-dire une situation embarrassante et sans précédent. Croyez-moi lorsque je vous assure qu’il
est loin d’être normal ou confortable d’être désigné dans de tels cadres sous un nom de substitution,
d’être essentiellement désigné comme un Etat fantôme. En effet, il est humiliant d’être désigné sur
la base d’un statut antérieur, qu’il soit fédéral, colonial ou autre. C’est pourtant ce que nous avons
accepté d’appliquer en 1995, jusqu’à ce que la divergence sur le nom soit réglée. Il n’y a donc rien
de partial au sujet de l’accord intérimaire, et encore moins au sujet de son article 11.
12Déclaration du président du Cons eil de sécurité, 15septembre19Nations Unies, doc. S/PRST/1995/46 ;
o
onglet n 9 du dossier de plaidoirie. - 54 -
10. Etant donné que l’accord intérimaire n’avan tage aucune des deux Parties, notre demande
tendant à ce que la Cour dise que chacune d’entre elles doit rester sur la voie qu’elle a fixée pour
elle-même ne peut avoir d’incide nce sur la poursuite des négociations concernant la divergence au
sujet du nom. Celles-ci se poursuivront et nous c ontinuerons de négocier de bonne foi. Nous ne
demandons rien de plus qu’un retour à la situa tion qui existait avant que le défendeur ne viole
l’accord intérimaire en 2008. Ce que nous souhait ons, c’est un arrêt clair qui rétablisse la stabilité
juridique et qui confirme, comme l’a formulé un éminent commentateur juridique, que «ce dont il a
déjà été convenu ne doit pas être utilisé dans des négociations comme un levier permettant
d’obtenir des avantages en ce qui concerne la question du nom» 128[traduction du Greffe] . Si la
Cour rend un arrêt en notre faveur, les charges seront partagées entre les deux Parties, de même que
le contexte et les incitations à continuer de négoc ier en vue de régler la divergence sur le nom de
mon pays. L’arrêt de la Cour aurait alors simplement pour effet de réta blir le régime adopté
en 1995 et appliqué par l’une et l’autre des Parties pendant 13 ans.
11. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, les deux Parties ont signé
en 1995 l’accord intérimaire pour tirer un trait sur des années de méfiance et de tensions bilatérales.
Les questions juridiques qui vous sont posées dans ce tte affaire sont peut-être abstraites, mais les
enjeux pour mon pays sont considérables. Cette affaire n’est pas théorique. Elle nous a pour
l’instant fait du tort en ce qui concerne l’OTAN, mais la question de l’accession à l’Union
européenne se pose déjà: ce que décidera la C our aura des conséquences importantes pour la
stabilité et le bien-être économiques de mon pays.
12. En vertu de l’article21, la Cour interna tionale de Justice est le gardien des droits et
obligations des parties découlant de l’accord. Conf ormément à l’article 11, la Grèce a accepté de
60 ne pas s’opposer à notre admission dans des organi sations internationales. Elle n’a pas tenu sa
promesse. Nous demandons par conséquent à la Cour de lui faire respecter ses obligations et de
défendre nos droits. Au nom du demandeur, je tiens à préciser dans cette salle de justice, pour
128EvangelosKofos, «The Unresolved «Difference over the Name»: A Greek Perspective», inAthens-Skopje:
An Uneasy Symbiosis, 1995-2002 , publié en grec par Papazisis Publishers, Athènes (décembre2003), Hellenic
Foundation for European and Foreign Policy (ELIAMEP), ISBN960-8356-05-9, p.127-146, [reprenant Christos
Rozakis, Political and Legal Dimensions of the TransitionaAgreement signed in NewYork between Greece and
FYROM, Athens, Sideris, 1996 at .7-38], disponible en anglais sur le site: http://www.macedonian-
heritage.gr/InterimAgreement/
Downloads/Interim_Kofos.pdf ; onglet 14 du dossier de plaidoiries. - 55 -
dissiper le moindre doute, que nous respecterons et appliquerons pleinement l’arrêt de la Cour, quel
qu’il soit. J’espère que mercredi après-midi, nous entendrons la même déclaration de la part du
défendeur.
13. Monsieur le président, sur la base des éléments de preuve et des arguments juridiques
exposés dans ses écritures et plaidoiries, le demandeur prie la Cour :
i) de rejeter les exceptions soulevées par le défendeur quant à la compétence de la Cour et à
la recevabilité des prétentions du demandeur ;
ii) de dire et juger que le défendeur, par l’intermédiaire de ses organes d’Etat et de ses agents,
a violé les obligations que lui impose le paragraphe1 de l’article11 de l’accord
intérimaire ; et
iii) d’ordonner au défendeur de prendre immé diatement toutes les mesures nécessaires afin
que celui ci respecte les obligations que lui impose le paragraphe1 de l’article11 de
l’accord intérimaire et de mettre fin et de renoncer à toute forme d’opposition, directe ou
indirecte, à l’admission du demandeur à l’Organi sation du traité de l’Atlantique Nord ou à
l’une quelconque des autres «organisations ou institutions internationales, multilatérales et
régionales» dont le défendeur est membre, lo rsque le demandeur do it être désigné, dans
ces organisations ou institutions, sous l’ap pellation prévue au pa ragraphe2 de la
résolution 817 (1993) du Conseil de sécurité des Nations Unies.
14. Il me reste à remercier le Greffe d’avoi r assuré le bon déroulement de ces audiences, les
interprètes de leur travail difficile et de leur assistance et les éminents membres de notre délégation
de l’obligeance qu’ils n’ont cessé de déploye;r je tiens enfin à vous remercier,
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, de votre aimable attention.
61 Le PRESIDENT : Je remercie S. Exc. M. l’ambassadeur Nikola Dimitrov, de ses
observations finales. La Cour prend note des c onclusions finales que Son Excellence vient de lire
au nom de l’ex-République de Macédoine. Mercredi 30 mars, de 15 heures à 18 heures ⎯ la Grèce
présentera ses exposés du second tour de plaidoi ries; l’audience est donc suspendue jusqu’à
mercredi après-midi.
L’audience est levée à 13 h 5.
___________
Translation