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CR 2013/9 (traduction)

CR 2013/9 (translation)

Mercredi 27 juin 2013 à 10 heures

Wednesday 27 June 2013 at 10 a.m. Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Monsieur Sands, vous
14

pouvez reprendre l’exposé que vous avez entamé hier.

M. SANDS :

LA CHASSE À LA BALEINE «SCIENTIFIQUE » DANS L ’OCÉAN AUSTRAL SUITE )

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans le premier volet de mon

exposé, j’ai présenté en guise d’introduction quelques éléments que la Cour, selon nous, devrait

garder à l’esprit pour évaluer les activités entreprises par le Japon ; je poursuivrai aujourd’hui en

vous entretenant des caractéristiques que doit présenter une activité d’ordre proprement

scientifique. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais corriger une erreur que j’ai commise

hier : j’ai mentionné le nom de Kioto Santakou à propos de l’utilisation de la chair de baleine, en

l’attribuant, je crois, à un navire, alors qu’il s’agit bien évidemment du nom de l’entreprise

baleinière qui pratiquait précédemment la chasse à des fins commerciales.

Troisième partie : Les caractéristiques de la démarche scientifique

2. J’aborde maintenant la troisième partie de mon propos, à savoir les caractéristiques de la

démarche scientifique. Comment la Cour doit-elle s’y prendre pour déterminer si le but de telle ou

telle activité présente véritablement un caractère «scientifique» ? Elle pourrait bien sûr considérer

qu’un Etat est parfaitement libre de considérer si une activité mérite d’être qualifiée de scientifique.

Autrement dit, admettre que ce que le Japon dit relever de la science en relève effectivement. C’est

là, de fait, la démarche que le Japon voudrait vous voir adopter. Or, à notre avis, suivre pareille

démarche aurait les pires conséquences, non seulement pour la conservation des peuplements

baleiniers mais à de multiples autres égards : procéder de la sorte aurait des répercussions sur la

gestion des pêcheries et sur tous les domaines où la science joue un rôle important dans la

détermination des droits et obligations d’ordre international. Retenir cette démarche serait en

contradiction flagrante avec la pratique internationale, la pratique des fondations et organismes

nationaux de recherche scientifique et ce que nous dit la philosophie des sciences depuis des

décennies, voire des siècles. - 2 -

3. Sur cette question, l’Australie a produit l’opinion d’expert de M. Mangel. S’appuyant sur

ses travaux universitaires et son expérience professionnelle, il a retenu quatre caractéristiques

essentielles que les activités impliquant la mise à mort de baleines entreprises par le Japon dans le

cadre de JARPA II devraient présenter pour être considérées comme ayant pour but la recherche

scientifique. Il s’est référé, ce faisant, à deux sources principales : premièrement, les principes
15
1
généralement admis auxquels obéit la pratique scientifique et, deuxièmement, les critères établis

par la commission baleinière internationale et son comité scientifique . 2

o
4. (Onglet n 80.) [Affichage première caractéristique.] La première caractéristique

retenue par M. Mangel s’affiche maintenant sur vos écrans : un programme doit avoir des objectifs

bien définis et atteignables, conçus pour apporter des connaissances utiles à la conservation et à la

gestion des peuplements baleiniers. Selon M. Mangel, satisfaire à ce critère implique que les

travaux de recherche tendent à valider des hypothèses et à répondre à des questions en vue de

combler les lacunes des connaissances sur lesquelles reposent la conservation et la gestion des

peuplements baleiniers. C’est là, selon nous, la démarche adoptée par la CBI elle-même . 3

5. [Affichage de la deuxième caractéristique.] La deuxième caractéristique est que des

méthodes adaptées doivent être employées en vue d’atteindre les objectifs fixés. De l’avis de

M. Mangel qui, comme je l’ai dit, est parfaitement conforme à la démarche suivie par la CBI, les

méthodes létales ne doivent être employées que si les objectifs de recherche ne peuvent pas être

atteints par d’autres moyens.

1
M. Mangel, «Evaluation des programmes japonais de recherches scientifiques sur les baleines dans
l’Antarctique au titre d’un permis spécial (JARPA, JARPA II) en tant que programmes menés à des fins de recherche
scientifique dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines», avril 2011, MA, appendice 2 (Mangel,
(rapport d’expert initial)), par. 4.8.
2
Ibid., par. 4.30-4.37.
3
Résolution sur les permis spéciaux en vue de recherches scientifiques, appendice 2, Rapport du président sur les
travaux de la trente-huitième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale,
1987, vol. 37, p. 25 (résolution adoptée en 1986) (MA, annexe 43) ; résolution sur les programmes en vue de recherches
scientifiques, appendice 1, Rapport du président sur les travaux de la trente-neuvième réunion annuelle de la CBI,
Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1988, vol. 38, p. 27-28 (résolution de 1987) (MA,
annexe 44) ; résolution 1995-9, (MA, annexe 46) ; résolution sur les permis spéciaux en vue de recherches scientifiques,
résolution 1999-2, appendice 3, Rapport du président sur les travaux de la cinquante-et-unième réunion annuelle de la
CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1999, p. 52 (résolution 1999-2) (MA, annexe 47) ;
procédure d’examen des propositions de permis spéciaux et des résultats des recherches effectuées dans le cadre des
permis en vigueur ou échus, annexe P, rapport du comité scientifique, J. Cetacean Res. Manage (Suppl.), 2009, n 11,
p. 398-401 (MA, annexe 49). - 3 -

6. [Affichage de la troisième caractéristique.] La troisième caractéristique est qu’un

programme scientifique doit prévoir l’examen périodique, par une instance indépendante, des

propositions et résultats de recherche, et l’ajustement éventuel du programme en fonction des

conclusions de cet examen. Il s’agit là, bien entendu, de ce qu’il est convenu d’appeler un

«examen par les pairs» ou un «examen collégial».

7. [Affichage de la quatrième caractéristique.] La quatrième caractéristique d’un programme

scientifique est que les travaux de recherche doivent être conçus de manière à éviter d’éventuelles

répercussions négatives sur les populations étudiées.

8. Comme l’a dit hier M. Gleeson, l’Australie n’a pas une position bien arrêtée sur la

formulation de ces caractéristiques. Ce qui lui importe, c’est ce qu’elles signifient quant au fond.

16 9. Nous avons relevé que pour réfuter les positions de M. Mangel, le Japon s’était abstenu,

dans son contre-mémoire, d’invoquer l’opinion d’experts indépendants, et qu’à vrai dire, il s’était

même totalement passé d’avis d’experts. Il s’est borné à dire que les critères retenus par

M. Mangel étaient dénués de pertinence à l’égard des questions essentielles que doit trancher la

Cour et qu’il contestait qu’ils puissent être appliqués pour l’appréciation des éléments factuels de la

présente affaire. Il est à noter que le Japon s’est abstenu aussi de proposer d’autres critères à la

Cour. Il ne vous a donc rien offert qui puisse vous aider à déterminer si le programme JARPA II a
4
bien été entrepris «en vue de recherches scientifiques» . La position du Japon peut se résumer

ainsi : notre programme relève de la science par la vertu de notre affirmation.

10. Le Japon a cependant indiqué divers paramètres opérationnels : les zones où se déroulent

les opérations, les espèces ciblées, le nombre des captures, les prélèvements d’échantillons de

tissus, etc. etc. Tout en s’étendant longuement sur ces paramètres opérationnels, le Japon, dans ses

écritures, s’est refusé à traiter des questions soulevées par M. Mangel . Selon lui, les opinions de

M. Mangel ne sont que celles d’un expert parmi d’autres et ne sauraient s’imposer aux Parties.

Toujours dans son contre-mémoire, le Japon rejette sans explication l’opinion de M. Mangel, se

4 Voir par exemple, CMJ, par. 8.13, 9.10, 9.12 ; voir également M, Mangel, «Complément au rapport
d’évaluation des programmes japonais de recherches scientifiques sur les baleines dans l’Antarctique au titre d’un permis
spécial (JARPA, JARPA II) en tant que programmes menés à des fins de recherche scientifique dans le cadre de la
conservation et de la gestion des baleines», 15 avril 2013 (Mangel, rapport d’expert complémentaire), par. 2.2.

5Voir par exemple CMJ, par. 5.127-5.139. - 4 -

bornant à relever que son propre expert n’est pas d’accord avec lui. Je le répète, le Japon, dans son

contre-mémoire, ne s’est pas expliqué et n’a invoqué aucune contre-expertise à l’appui de sa

réfutation .

11. Selon la démarche adoptée par le Japon, point n’est besoin d’une hypothèse vérifiable,

d’un examen collégial ni d’une évaluation des méthodes non létales qui pourraient être employées.

Le prélèvement de parties du corps de baleines et la collecte de données relèvent de la «science»

tout simplement parce que le Japon dit qu’il en est ainsi.

12. Voilà où en étaient les choses à la clôture de la procédure écrite. Par la suite, comme

vous le savez, l’Australie a présenté un complément au rapport de M. Mangel, dans lequel celui-ci,

après avoir examiné le contre-mémoire du Japon, confirme ses conclusions initiales, à savoir que

JARPA II n’est pas un programme entrepris «en vue de recherches scientifiques», que les données

recueillies par le Japon durant 26 ans n’ont pas contribué à la mise en œuvre de la procédure de

gestion revisée (RMP), et que tout ce que le Japon affirme être des résultats utiles obtenus grâce à

la mise à mort de baleines aurait tout aussi bien pu l’être par des moyens non létaux.

13. Plus tard, après la présentation par l’Australie d’un rapport d’expert complémentaire, le

Japon a lui-même remis un exposé d’expert rédigé par M. Lars Walløe. M. Walløe y critique la

17 démarche suivie par M. Mangel pour appliquer des critères correspondant aux caractéristiques

essentielles d’un programme scientifique, mais il est intéressant de noter qu’il s’abstient de les

rejeter a priori, et même de les rejeter tout court. Autrement dit, les critères retenus par M. Mangel

n’ont toujours pas été réfutés par le Japon sur la foi de preuves par expertise. M. Walløe consteste

ensuite, et il ne faut pas s’en étonner, la possibilité d’application pratique des méthodes non létales

préconisées par l’Australie.

14. M. Mangel a répondu à l’exposé d’expert de M. Walløe . 7 La Cour doit entendre

M. Mangel aujourd’hui, et il lui sera loisible de lui poser des questions. Selon nous, la validité des

critères qu’il a retenus est une évidence, et elle n’a pas été contestée sur le fond par le seul expert

cité par le Japon.

6CMJ, par. 9.10 et 9.12.

7M. Mangel, «réponse au document intitulé «Examen scientifique des questions soulevées par le mémoire de
l’Australie et par ses deux appendices» rédigé par le professeur Lars Walløe» 31 mai 2013 (Mangel, réponse à l’exposé
du professeur Walløe). - 5 -

15. L’Australie a également soumis un exposé de M. Nick Gales, directeur scientifique du

programme antarctique de l’Australie. Dans son exposé, M. Gales décrit les travaux du comité

scientifique, répond à plusieurs questions soulevées dans le contre-mémoire, examine si JARPA et

JARPA II ont permis d’acquérir des connaissances importantes sur les petits rorquals, et traite du

programme SORP, qui emploie des méthodes non létales. Il répond aussi à des assertions de
8
M. Walløe .

16. Il semble que le Japon ait adopté pour position que les opinions d’experts ne comptent

pas. Pourquoi ? Parce que, comme il le dit au paragraphe 7.16 de son contre-mémoire, «[l]e

pouvoir d’imposer des restrictions ou des conditions à l’exercice par un Etat contractant de son

droit d’autoriser la chasse à la baleine en vertu d’un permis spécial n’est conféré à aucun autre Etat
9
[ni à aucun] organisme» . Tel est le maître argument du Japon, et voilà pourquoi il n’a pas jugé

utile, du moins initialement lorsqu’il a présenté son contre-mémoire, de produire une opinion

d’expert. Cet argument est essentiellement d’ordre juridique, mais il semble qu’à mesure que la

procédure avançait, le Japon ait été pris d’un doute. Il s’est dit que son argument juridique

passablement péremptoire risquait peut-être d’être rejeté, et il a du coup décidé de produire

l’opinion d’expert de M. Walløe.

17. Le contexte étant ainsi posé, j’aborde maintenant les objectifs de JARPA II et les critères

scientifiques sur lesquels les Parties ont l’une et l’autre consulté des experts.

18 Quatrième partie : Les objectifs du programme JARPA II et les critères de la science

18. A propos, à présent, de la question de savoir si le programme JARPA II a été conçu «en

vue de recherches scientifiques», je commencerai par ses objectifs qui, comme nous l’avons exposé

10
hier, ont été fixés sans avoir au préalable été examinés par des pairs .
11
19. Le programme JARPA II est censé viser quatre objectifs , étroitement liés à ceux de

JARPA. Ce programme n’est pas limité dans le temps et, comme je l’ai précisé hier, il postule la

nécessité de tuer des baleines pour recueillir des renseignements.

8 N. Gales, déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du professeur Lars Walløe»,
31 mai 2013 (Gales, réponse au professeur Walløe).

9CMJ, par. 7.06
10
Pour plus de détails, voir par. 66-67 ci-dessous. - 6 -

Premier objectif

o
20. Le premier objectif, que vous trouverez sous l’onglet n 81 de vos dossiers, est le suivi de

l’écosystème de l’Antarctique portant notamment sur les tendances de l’évolution des peuplements

12
baleiniers, les paramètres biologiques, l’abondance du krill et l’écologie alimentaire des baleines .

Dans son rapport d’expert, M. Mangel qualifie cet objectif de «vaste et général» et relève

13
qu’«aucune hypothèse précise et vérifiable n’est formulée» . De fait, il estime que cet objectif est
14
si vaste qu’il peut couvrir «quasiment n’importe quelle activité» . Le Japon n’a pas expliqué

comment les recherches effectuées à partir de prélèvements de parties du corps d’animaux d’une

seule espèce prélèvements opérés sur une longue période, sans limite de durée pouvaient en

quoi que ce soit contribuer à une meilleure compréhension de l’écosystème de l’Antarctique dans

son ensemble. Or hier, vous avez pu voir d’après les cartes combien cet écosystème est étendu.

21. En réalité, cet objectif n’est rien d’autre que du «suivi», un «suivi» qui implique le

prélèvement de parties du corps des baleines. M. Mangel affirme qu’un suivi n’est pas de la

«recherche scientifique» . La collecte des données ne saurait être automatiquement considérée

16
comme étant menée «en vue de recherches scientifiques» . En affirmant cela, je ne dis rien de

neuf. Dès 1902, l’éminent savant français Jules Henri Poincaré cousin d’un président de la

République française évoquait cette question dans un ouvrage dense et concis intitulé La science

19 et l’hypothèse qui, après plus d’un siècle, est toujours publié en tant que classique et que l’on peut

se procurer chez Amazon et, de façon plus générale, sur Internet. Il contient en effet une très

longue et excellente introduction rédigée par M. Larmor, disciple de Lucas et titulaire de la chaire

de mathématiques de l’université de Cambridge, qui recommandait ce texte français qu’il a

lui-même traduit à un lectorat anglophone en tant qu’exemple de ce qu’il appelle «l’instinct

français de la précision et la démonstration lucide» [traduction du Greffe]. Et que nous enseigne

11
CMJ, par. 5.20.
12
Ibid., par. 5.22-5.27.
13Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 6.3.

14Mangel, rapport d’expert initial, par. 5.10.
15
Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 3.6. Les objectifs du programme JARPA et le fait qu’ils n’ont
pas été atteints sont évoqués au chapitre 5 du mémoire de l’Australie, ainsi que dans le rapport d’expert initial de
M. Mangel.
16Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 6.3. - 7 -

M. Poincaré ? «On fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une

accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison.» 17

22. Pour sa défense, le Japon soutient qu’il collecte des faits en vue, selon lui, d’établir un

modèle de l’écosystème. Monsieur le président, un quart de siècle s’est écoulé, des milliers de

baleines ont été tuées, et le Japon est incapable d’apporter le moindre élément de preuve d’un

progrès tangible . Lors de la réunion annuelle du comité scientifique qui s’est tenue juste la

semaine dernière, le Japon a apparemment affirmé que les résultats seraient visibles au début de

l’année prochaine . Qu’a répondu le groupe de travail compétent du comité scientifique à cette

promesse ? Il a simplement relevé que les objectifs du travail de modélisation de l’écosystème

auquel se livrait le Japon manquaient de clarté.

23. Nous relevons également l’absence manifeste d’explications de la part du Japon quant à

la raison pour laquelle l’emploi de méthodes létales serait en quoi que ce soit nécessaire. Prenons

un exemple : le Japon soutient que, pour atteindre son premier objectif, il doit prélever des

échantillons du contenu stomacal de petits rorquals morts et mesurer, en outre, l’épaisseur de leur

couche de graisse. Il prétend que les données ainsi recueillies sont nécessaires pour déterminer les

habitudes alimentaires de l’animal et qu’elles ne peuvent être obtenues qu’en tuant les baleines.

Cette assertion n’est absolument pas fondée. M. Gales a apporté des éléments de preuve

incontestables pour réfuter la seule opinion d’expert sur laquelle s’appuie le Japon, celle de

M. Walløe , et il ne vous aura pas échappé que, dans l’exposé de celui-ci, il n’y a pas une seule

référence, pas la moindre note de bas de page. M. Gales a expliqué comment des renseignements

plus précis sur les stratégies alimentaires des baleines peuvent être obtenus par des méthodes non

21 22
20 létales : c’est exactement ce qui est fait dans le cadre du programme SORP . Vous pourrez

17Jules Henri Poincaré, «La science et l’hypothèse», Paris, Flammarion (1902).

18MA, par. 5.64 ; N. Gales, déclaration de Nick Gales, 15 avril 2013 (Gales, exposé d’expert), par. 4.11.
19
Kitakado et al., «Plan for ecosystem modelling for species in Area IV in the Antarctic Ocean using JARPA and
JARPA II data», présenté à la réunion tenue en 2013 par le comité scientifique comme document SC/65a/EM02. Peut
être consulté à l’adresse suivante : http://iwc.int/sc65adocs.
20
L. Walløe, «Examen scientifique des questions soulevées par le mémoire de l’Australie et par ses
deux appendices», 9 avril 2013 (Walløe, exposé d’expert), p. 14, par. 3.
21Gales, exposé d’expert, par. 5.9, huitième point ; Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 3.28. Gales,

réponse à M. Walløe, par. 4.8-4.9.
22Gales, exposé d’expert, par. 6.14-6.16. - 8 -

l’interroger à ce sujet cet après-midi. Le Japon n’a apporté aucun élément de preuve quel qu’il soit

absolument rien pour montrer que l’analyse du contenu stomacal des petits rorquals morts

avait en quoi que ce soit permis de mieux comprendre l’écosystème de l’Antarctique. En

dix-huit ans, le programme JARPA ne nous a rien appris, sinon ce que nous savions déjà : les petits

rorquals de l’Antarctique consomment de grandes quantités de krill . Si je me souviens bien, je

l’ai appris en 1972, lorsque mon professeur de biologie, M. Robin Jenks, m’a enseigné que les

baleines se nourrissaient de krill. Le programme n’a rien apporté j’insiste bien, rien à la

compréhension de l’écosystème de l’Antarctique.

Deuxième objectif

24. J’en viens au deuxième objectif, que vous trouverez sous l’onglet n 82 de vos dossiers,

24
et qui comporte deux éléments . Le premier est d’élaborer un modèle de concurrence entre les

différentes espèces de baleines : c’est dans ce cadre qu’est évoquée l’hypothèse dite de l’excédent

de krill ; et le second est d’établir de nouveaux objectifs de gestion, y compris la restauration de

l’écosystème des cétacés . 25

25. Cet objectif est, selon nous, totalement aberrant. Le Japon se concentre sur seulement un

petit nombre d’espèces, juste trois, et il cherche à atteindre cet objectif de façon unilatérale, sans

26
nullement s’intéresser aux activités de recherche multilatérales entreprises par ailleurs . Sur le

premier point, M. Mangel a clairement montré qu’en se concentrant sur une petite composante de

l’écosystème juste le petit rorqual le programme JARPA II ne peut produire les données

nécessaires que «sur cette espèce particulière dans son modèle d’écosystème», alors qu’aucun «des

autres éléments du modèle (par exemple, les autres baleines à fanons, les oiseaux, les

mammifères)» ne sera étudié . C’est un peu comme étudier uniquement l’écureuil roux d’Europe

23MA, par. 5.13.
24
Ibid., annexe 105, p. 161 ; Gouvernement japonais, «Planification de la deuxième phase du programme
japonais de recherche scientifique sur les baleines dans l’Antarctique au titre d’un permis spécial (JASuivi de
l’écosystème de l’Antarctique et élaboration de nouveaux objectifs de gestion des ressources baleinières, SC/57/O1
(2005) (programme JARPA II) ; et CMJ, par. 5.30.
25
Programme JARPA II, p. 161-162 ; CMJ, par. 5.28-5.31.
26
Mangel, rapport d’expert initial, par. 5.15, 5.36-5.37. Voir également, Mangel, rapport d’expert
complémentaire, par. 3.26-3.27.
27Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 5.15 et 5.36-5.37. - 9 -

pour comprendre ce qui se produit dans l’écosystème européen : pareille étude ne sert à rien si elle

n’est pas associée à celle d’autres espèces.

21 26. Qu’en est-il de «l’hypothèse de l’excédent de krill» ? M. Mangel estime qu’il s’agit de

28
«la seule hypothèse clairement identifiable dans les programmes JARPA et JARPA II» , mais que

la démarche du Japon était très contestable . De fait, le Japon a indiqué qu’il ne se proposait

même pas de vérifier cette hypothèse : il cherche simplement à élaborer ce qu’il appelle un

«modèle de concurrence entre les espèces de baleines», et, à cette fin, il envisage plusieurs

hypothèses qui pourraient expliquer l’évolution de l’abondance des différentes espèces de baleines

à fanons . 30 Le Japon n’a cependant pas conçu le programme JARPA II pour vérifier une

quelconque hypothèse, de sorte que nous ne savons tout simplement pas quel est le véritable

objectif de la recherche. Or, il est impossible d’évaluer les résultats d’une recherche sans en

connaître l’objectif. Ainsi, des parties du corps des baleines sont prélevées et analysées sans qu’un

objectif rationnel ait été préalablement fixé. Nous ne savons tout simplement pas ce que, grâce à

son programme, le Japon tente d’établir, de rechercher ou de vérifier . 31

27. La CBI et son comité scientifique ont vivement critiqué le but affiché par le Japon qui est

32
le suivi de l’écosystème de l’Antarctique, et la manière dont il s’y prend pour l’atteindre . Le

comité scientifique s’est ostensiblement abstenu de déclarer que la démarche adoptée par le Japon

était en quoi que ce soit utile à la gestion des peuplements baleiniers. Il est certes vrai, comme

l’ont relevé le Japon et M. Walløe , que le comité scientifique s’intéresse lui-même au devenir de

l’écosystème. Mais la modélisation de l’écosystème que le Japon prétend avoir entreprise

conformément à cet objectif de JARPA II diffère des travaux qui ont la caution du comité

scientifique. Les méthodes létales de collecte des données ne sont ni jugées nécessaires, ni

35
employées pour la modélisation de l’écosystème telle que la conçoit le comité scientifique .

28
Mangel, rapport d’expert initial, par. 5.12.
29
Ibid., par. 5.11-5.15, 5.36-5.37.
30CMJ, par. 5.31.

31Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 2.2.
32
MA, par. 5.20.
33
CMJ, par. 3.101.
34Walløe, exposé d’expert, p. 15.

35Gales, exposé d’expert, par. 4.11. - 10 -

Comme l’a dit M. Mangel, le modèle construit dans le cadre de JARPA II «ne saurait fournir de[s]

résultats utiles à l’étude de l’écosystème» . Autant pour le deuxième objectif.

22 Troisième objectif

28. Le troisième objectif, que vous trouverez sous l’onglet n 83, consiste à étudier

l’évolution spatio-temporelle de la structure des stocks de rorquals communs, de baleines à bosse et

de petits rorquals . Une remarque très simple s’impose à propos de cet objectif, en dehors du fait

qu’il n’implique manifestement la vérification d’aucune hypothèse : les renseignements relatifs à la

structure des peuplements baleiniers et au degré de mélange entre ceux-ci peuvent être utiles à la

mise en œuvre de la RMP, mais ils ne sont pas nécessaires. Plus important encore, toutes ces

données j’ai bien dit toutes peuvent être obtenues par des méthodes non létales, telles que le

prélèvement d’échantillons biopsiques ou le marquage et le suivi par satellite . Si bien que vous,

Mesdames et Messieurs les juges, êtes en droit de poser la question suivante : pourquoi donc tuer

des petits rorquals en vue d’un objectif qui, s’il est atteint, ne vérifiera aucune hypothèse, alors

qu’il existe des méthodes non létales ? M. Gales abordera ce point le moment venu . 39

Quatrième objectif
o
29. Le quatrième objectif du programme JARPA II, qui figure à l’onglet n 84, serait

40
d’améliorer la procédure de gestion des stocks de petits rorquals de l’Antarctique . Cet objectif a

pour origine les réserves du Japon à l’égard de la RMP, qu’il juge trop conservatrice. Il voudrait

41 42
qu’elle soit modifiée , car elle prévoit la collecte de données sans mise à mort de baleines . Bref,

le Japon voudrait un régime de gestion qui permette aujourd’hui de tuer des baleines pour fixer

demain des limites de capture plus élevées.

36Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 3.27.

37CMJ, par. 5.32-5.33.
38
MA, par. 5.69.
39
Gales, exposé d’expert, par. 4.8.
40CMJ, par. 5.34-5.37.

41Ibid., par. 5.37.

42Ibid., par. 5.20, 5.34-5.35. - 11 -

30. Nous estimons que le Japon a tort de vouloir que la RMP soit modifiée. La RMP est

gérée dans le cadre de la CBI, et c’est une procédure de gestion solide, qui bénéficie d’un large

soutien . Elle comporte en outre un dispositif de révision, qui couvre des travaux entrepris il y a

25 ans. A cet égard, «les données issues des programmes JARPA et JARPA II n’ont été d’aucune

utilité» , nous dit M. Gales. Ce à quoi M. Mangel ajoute dans son rapport qu’il n’a connaissance

23 d’«aucun article publié dans une revue à comité de lecture démontrant l’existence de failles

fondamentales dans la RMP qui pourraient être corrigées uniquement grâce à des programmes [en

45
milieu naturel] impliquant des prises létales» .

31. En résumé, les données nécessaires à la mise en œuvre de la RMP peuvent toutes être

obtenues sans tuer de baleines, un point sur lequel M. Gales reviendra.

Le programme JARPA II ne pose pas d’hypothèses vérifiables

32. Je peux regrouper sous un seul thème toutes les préoccupations que les objectifs du

programme JARPA II, ses quatre objectifs, inspirent à l’Australie et c’est un thème important :

ce programme ne pose aucune hypothèse vérifiable. Il ne consiste en rien d’autre qu’à collecter des

données, à rassembler un tas de pierres, et non à bâtir une maison. La «recherche scientifique» a

fondamentalement pour objet l’étude de questions qui appellent une réponse ou d’hypothèses

vérifiables. C’est là son essence même. Comme l’affirme M. Mangel, «la simple collecte de

données empiriques, sans hypothèse vérifiable, ne peut tout simplement pas être considérée comme

46
de la «recherche scientifique»» . Les activités du Japon ne visent pas à vérifier des hypothèses

définies, et cette seule raison suffit à les exclure de la science. Comme le soutient M. Mangel, des

47
objectifs qui ne reposent pas sur des hypothèses vérifiables «ne sont pas scientifiques» . Les

21 éminents savants que j’ai évoqués hier ont dit exactement la même chose, à savoir que le

programme de recherche du Japon «ne posait aucune hypothèse vérifiable et ne prévoyait aucun

autre indicateur de performance répondant aux normes scientifiques admises» 48 [traduction du

43
Gales, exposé d’expert, annexe 2, par. 14.
44
Gales, exposé d’expert, par. 3.5.
45Mangel, rapport d’expert initial, par. 3.29.

46Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 3.7.
47
Mangel, rapport d’expert initial, par. 4.12.
48«An Open Letter to the Government of Japan on Scientific Whaling», The New York Times, 20 mai 2002. - 12 -

Greffe], et qu’il ne relevait donc pas de la science. Les objectifs du programme JARPA II ne sont

pas fixés en fonction de dates butoirs, ce qui exclut toute possibilité d’évaluer les progrès de leur

réalisation .

33. Pour contester ce point de vue, le Japon s’appuie exclusivement sur l’opinion de

M. Walløe, selon lequel le Japon s’est engagé dans la collecte de ce qu’il appelle des «données

exploratoires», lesquelles constitueraient de la science . M. Mangel a réfuté catégoriquement cette

allégation, disant qu’il n’avait «connaissance d’aucun organisme scientifique qui serait prêt à

soutenir une approche reposant sur une activité d’exploration menée pendant plusieurs décennies

en l’absence de tout cadre conceptuel» . De surcroît, M. Walløe n’a apporté aucun élément de

preuve à l’appui de son allégation. Il affirme, un point c’est tout.

24 Conclusion sur les objectifs

34. Mes conclusions sur les objectifs du Japon seront brèves. Ces objectifs ont tout

simplement été définis pour permettre de tuer des baleines, non pour établir un véritable

programme scientifique. Dans un tel programme, des objectifs de conservation et de gestion

seraient définis sur la base d’objectifs de recherche largement admis et reposant sur des hypothèses

vérifiables.

35. Trois des quatre objectifs du programme JARPA II sont tout bonnement impossibles à

atteindre. Le seul qui pourrait peut-être l’être le troisième objectif, qui a trait à l’évolution de la

structure des stocks pourrait tout aussi bien être réalisé par des moyens non létaux. Aucun de

ces quatre objectifs ne bénéficie du soutien de la communauté scientifique internationale. Ils ne

sont pas exigés par la RMP. Nous soutenons donc que les objectifs de JARPA II ne relèvent pas de

la science.

Cinquième partie : Le programme JARPA II n’a rien à voir avec la science :
trois autres points qui le démontrent

36. J’en viens à la cinquième partie de mon exposé, dans laquelle je traiterai de trois autres

questions. M. Mangel a dit que les programmes menés en vue de recherches scientifiques se

49
Gales, exposé d’expert, par. 3.25-3.26.
50Walløe, exposé d’expert, p. 7, par. 1.

51Mangel, réponse à M. Walløe, section 4. - 13 -

caractérisaient par un lien étroit entre les méthodes de recherches et les objectifs visés. Tel n’est

pas le cas du programme JARPA II.

i) La taille des échantillons prélevés dans le cadre de JARPA II ne répond pas à des critères

scientifiques.

37. Permettez-moi de m’arrêter un instant à ce premier exemple : la taille des échantillons,

c’est-à-dire le nombre de baleines que le Japon met à mort pour atteindre ses objectifs déclarés.

38. Le Japon n’explique pas pourquoi il estime nécessaire de tuer 850 petits rorquals plus

ou moins 10 %, et pourquoi pas 85, 8500 ou 85 000 ? Cette lacune discrédite ses allégations de

«recherches scientifiques». M. Mangel vous a montré qu’il était difficile d’appréhender la base

statistique utilisée par le Japon pour calculer la taille des échantillons . Le Japon ne l’a pas

contesté : encore un point qu’il s’est abstenu de réfuter. (Onglet n 85.) [Affichage.] D’ailleurs, il

semble comme vous le voyez à l’écran que M. Walløe l’ait admis ; je le cite : «il convient

d’admettre que les scientifiques japonais n’ont pas toujours fourni des explications complétement

53
claires et transparentes sur la manière dont la taille des échantillons a été calculée ou déterminée»

25 [fin d’affichage]. Selon moi, il s’agit là d’un euphémisme typiquement norvégien. Les carences de

la démarche adoptée par le Japon sont aggravées par le défaut de toute hypothèse vérifiable.

Comme M. Mangel l’a dit au sujet du programme JARPA II, «il est impossible de définir

correctement la taille des échantillons, car il faut pour cela se référer à ce qui permet de répondre à

54
la problématique centrale» .

39. Le Japon donne de vagues explications sur la façon dont il a calculé la taille des

échantillons. Il affirme avoir employé des formules statistiques faisant intervenir une marge

d’erreur et un intervalle de confiance . Fort bien. En revanche, ce qu’il ne fait pas, c’est présenter

des éléments de preuve ou des explications pour justifier la marge d’erreur et l’intervalle de

confiance retenus. Ainsi que l’a dit M. Mangel, selon la démarche adoptée par le Japon, «on peut

fixer à peu près n’importe quelle taille d’échantillon et la justifier en se référant rétrospectivement à

52
Mangel, rapport d’expert initial, par. 5.38.
53Rapport d’expert de Walløe, p. 10.

54Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 3.11.
55
CMJ, par. 5.58-5.60. - 14 -

56
des paramètres dont le choix n’a pas été explicité» . Aucune démarche véritablement scientifique

ici ; il existe en revanche, fort opportunément, un rapport direct entre l’échantillon de

850 spécimens et la capacité de réfrigération de l’usine flottante japonaise, le Nisshin-Maru.

40. Modifier la marge d’erreur revient à modifier le nombre de baleines à mettre à mort : une

marge d’erreur plus large réduit le nombre de baleines à prélever, tandis qu’une marge d’erreur

plus faible l’augmente. Comme l’a dit M. Mangel, «pour savoir quelle marge d’erreur appliquer, il

faut connaître la problématique à laquelle on souhaite répondre» . La question à laquelle la Cour

doit répondre est donc celle-ci : sur quelles bases le Japon a-t-il établi la marge d’erreur qu’il

applique ? Je ne saurais y répondre, nous ne le savons tout simplement pas. Dans son

contre-mémoire, le Japon ne fournit à cet égard ni élément d’information ni preuve . 58

41. Le manque de transparence et l’inconstance dont le Japon a fait preuve pour le choix de

la taille des échantillons remontent en réalité à l’époque du programme JARPA, comme le montre

o
le tableau que vous voyez à l’écran (onglet n 86) [affichage tableau des tailles d’échantillons

pour les différentes phases des programmes JARPA et JARPA II]. Tout en haut du tableau, on lit

qu’en mars 1987, les quotas de captures fixés par le Japon pour le futur programme JARPA étaient

59
de 825 petits rorquals et 50 cachalots . Six mois plus tard, avant que le programme ne démarre,

26 ces chiffres avaient été considérablement réduits, tombant à 300 pour les petits rorquals et zéro

60
pour les cachalots, en vue d’une étude de faisabilité de deux ans . Ce sont ces chiffres (plus ou

moins 10 %) qui ont été retenus lorsque le programme a été pleinement lancé, en 1989. Le Japon

soutient avoir procédé à cet ajustement en réponse aux observations formulées par le comité

61 62
scientifique en 1987 , et aussi en fonction de considérations d’ordre logistique .

56
Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 3.20.
57
Ibid., par. 3.14.
58CMJ, par. 5.57-5.71.

59 Gouvernement japonais, «Programme de recherche sur le petit rorqual de l’hémisphère Sud et étude
préliminaire sur l’écosystème marin de l’Antarctique», 1987, SC/39/04 (projet de programme JARPA, 1987) (MA,
annexe 156).

60Gouvernement japonais, «Plan de recherche relatif à l’étude de faisabilité concernant le «Programme de
recherche sur les petits rorquals de l’hémisphère Sud et de recherche préliminaire sur l’écosystème marin dans
l’Antarctique»», octobre 1987, SC/D87/1 (Proposition d’étude de faisabilité JARPA, 1987), p. 10.

61CMJ, par. 4.85.
62
Gouvernement japonais, «The Research Plan in 1989/90 Season», à rapprocher de la note intitulée «The
Program for the Research on the Southern Hemisphere Minke Whale and for the Preliminary Research on the Marine
Ecosystem in the Antarctic (SC/39/O4)», mai 1989, SC/41/SHMi13 (Plan de recherche JARPA 1989/90), p. 5. - 15 -

42. Or, ce n’est pas ce que montrent les éléments à la disposition de la Cour. La véritable

raison de cette modification était politique, et n’avait rien à voir avec la science. L’agence

japonaise des pêcheries a réduit le nombre maximal prévu de captures sur ordre direct, semble-t-il,

du premier ministre japonais, en avril 1987. Celui-ci a fait savoir au directeur général de l’agence

qu’il avait «l’intime conviction» qu’un objectif de captures de 875 spécimens (825 petits rorquals

et 50 cachalots) était trop élevé, et que le Japon ne devait pas donner l’impression d’être

«injuste» . Le Japon a donc réduit ce chiffre de 60 % environ. Chose intéressante, il n’a apporté

aucun changement notable à ses objectifs de recherche après que le programme eut été pleinement

64
mis en œuvre, en 1989 .

43. De deux choses l’une, Monsieur le président : ou bien la capture de 825 petits rorquals

était justifiée par les exigences scientifiques du programme de recherche du Japon, ou bien elle ne

l’était pas. Les ajustements opérés entre 1987 et 1989 n’étaient pas motivés par des considérations

scientifiques : une intime conviction n’a rien à voir avec la science. Cela remet en question le

fondement même du programme. A quoi s’ajoute le fait que la Cour ne dispose d’aucun élément

tangible établissant que la taille des échantillons était réellement fonction des objectifs annoncés du

programme.

44. Mais la taille des échantillons pose d’autres problèmes. Vous remarquerez que les

cachalots ont complètement disparu du plan de recherche du programme JARPA, alors pourtant

que les objectifs déclarés n’ont en rien changé . D’un point de vue scientifique, on peut supposer

que si la mise à mort d’un certain nombre de cachalots avait initialement été jugée nécessaire, les

27 objectifs de recherche auraient dû être revus après l’élimination de ces cétacés du plan de

recherche, sous peine de devenir irréalisables. Cette incohérence donne à penser que le

programme JARPA ne relevait pas de la science, et qu’il procédait de considérations politiques et

commerciales.

63
MA, annexe 127, «Le premier ministre a demandé au directeur général de l’agence des pêcheries de pratiquer
une chasse à la baleine à des fins scientifiques qui ne suscitera pas de critiques», Asahi Shimbun, 26 avril 1987 (édition
du matin), p. 2.
64Proposition d’étude de faisabilité JARPA, 1987, p. 10 ; plan de recherche JARPA 1989/90, p. 5.
65
Ibid., p. 3 ; plan de recherche JARPA 1989/90, p. 5. - 16 -

45. Passons maintenant directement à l’année 2005, tout en bas de l’écran, et à JARPA II.

Le Japon décide alors d’augmenter la taille de l’échantillon de petits rorquals, pour la porter

à 850 spécimens (plus ou moins 10 %), soit plus du double de la taille de l’échantillon antérieur, et

fixe à 50 l’échantillon de rorquals communs et 50 également celui de baleines à bosse. Les

objectifs de recherche déclarés du Japon reposent sur la collecte de parties du corps de baleines de

trois espèces différentes, le nombre de baleines à capturer étant prédéfini. Comment ce nombre

a-t-il été arrêté ? Comme je vous l’ai déjà dit, nous n’en savons rien, car la Cour ne dispose

d’aucune preuve par expertise à cet égard. On aurait pu s’attendre à ce que le Japon cite un

scientifique indépendant qui aurait expliqué, en qualité de témoin-expert, comment le Japon avait

procédé pour prendre ces décisions, mais il a choisi de ne pas le faire. Les éléments de preuve par

expertise fournis par MM. Mangel et Gales restent donc incontestés. On ne peut que conclure que

le changement intervenu en 2005 était politiquement motivé, et n’avait rien à voir avec des

considérations scientifiques. Au chapitre 3 de notre mémoire, nous avons mentionné la déclaration

qu’a faite un ministre japonais en 2010 : «nous n’avons à vrai dire pas besoin de 800 baleines», à

66
quoi il a obligeamment ajouté : «c’est plus que ce dont nous avons besoin.» Qu’a dit le Japon
67
dans son contre-mémoire ? Rien qui se rapporte en quoi que ce soit à ce constat . Qu’a dit

M. Walløe à cet égard ? Rien. Il n’y a pas l’ombre d’un élément de preuve qui explique le choix

du Japon sur ce point crucial qu’est le nombre de petits rorquals et de baleines d’autres espèces à

capturer. [Fin d’affichage.]

46. Jusqu’à présent, je ne me suis intéressé qu’aux objectifs de captures. Mais qu’en est-il

68
des volumes de capture réels ? Eh bien, comme vous l’avez lu dans les pièces de procédure , les

captures réellement effectuées par le Japon dans le cadre de JARPA II ont été, pour la plupart des

o
saisons, bien en deçà des objectifs (onglet n 87) [affichage graphique comparant les volumes de

capture réels à ceux prévus]. Comme vous le voyez, au cours des huit dernières années, 454 petits

rorquals ont été capturés en moyenne par saison, ce qui correspond à moins de la moitié de

l’objectif maximal, qui était de 935 spécimens. Et le Japon, comme vous le savez, avait fixé à 50 le

66MA, annexe 107, Gouvernement japonais, ministre de l’agriculture, des forêts et de la pêche (H. Akamatsu),
transcription d’une conférence de presse donnée le 9 mars 2010.

67Voir CMJ, par. 5.81.
68
MA, par. 5.78. - 17 -

nombre de baleines à bosse à capturer dans le cadre de JARPA II, mais il n’en a pris aucune. Nulle

raison scientifique à cela ; il s’agit d’une décision politique prise en réaction à un mouvement de

28 protestation massif, à la CBI et ailleurs. Et qu’en est-il des rorquals communs ? Le Japon aurait dû

en capturer 400 au cours des huit dernières années ; il n’en a en réalité pris que 18. [Fin

d’affichage.]

47. Au vu de ce déficit de captures, quels changements ont-ils été apportés au programme de

recherche ? Pour autant que l’on puisse en juger, aucun. Les objectifs déclarés sont demeurés les

mêmes. Cela confirme une fois encore qu’il ne s’agit pas de science. Imaginons un instant un

programme de recherche national qui porterait sur l’effet de certains vaccins sur des enfants de

trois groupes sanguins différents. On fixe à 850 le nombre d’enfants devant composer le premier

groupe, et à 50 le nombre d’enfants devant composer chacun des deux autres. On ne trouve que

425 volontaires pour le premier groupe, deux volontaires pour le deuxième et aucun pour le

troisième. Le programme de recherche se poursuivra-t-il sans que les objectifs soient modifiés ?

Bien sûr que non : le projet sera probablement abandonné. Or, le Japon a poursuivi son programme

de recherche, sans en modifier les objectifs.

48. Je tiens à être parfaitement clair : l’Australie se réjouit que le nombre de baleines

capturées ait été moins élevé que prévu. Mais le nombre de baleines réellement tuées soulève une

question fondamentale à laquelle le Japon n’a à ce jour pas su répondre : comment peut-il atteindre

les objectifs du programme JARPA II, qui nécessite prétendument la mise à mort d’un nombre

déterminé de spécimens de trois espèces différentes, alors qu’il en tue en réalité bien moins et de

deux espèces seulement ? Pourquoi le Japon élude-t-il cette question ? Que dit son unique expert à

ce sujet ? Rien. N’importe quel scientifique n’importe lequel des 21 scientifiques que j’ai

mentionnés hier vous dirait que la taille d’un échantillon doit être définie en fonction de

l’hypothèse à vérifier, et que si cette taille change, tous les objectifs de recherche doivent être

modifiés, voire abandonnés. Si le programme JARPA II était un authentique programme de

recherche scientifique, le Japon aurait ajusté ses objectifs. C’est ça qui se serait produit s’il - 18 -

s’agissait vraiment de science. Or, que fait le Japon ? Il continue d’exécuter son programme et

69
affirme que la question est «en cours d’évaluation» .

49. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’argument selon lequel le

Japon effectue des «recherches scientifiques» est totalement invalidé par l’écart constaté entre les

objectifs de captures et les volumes réels de capture. Il s’agit là de politique et de commerce, non

de science.

29 ii) Les méthodes létales privilégiées par JARPA II ne répondent pas à une nécessité
scientifique

50. J’en viens à une seconde question d’importance : le parti pris inflexible du Japon en

o
faveur des méthodes létales (onglet n 88) [affichage résolution 2003-2]. Dans sa

résolution 2003-2, que vous voyez maintenant s’afficher à l’écran, la CBI a préconisé, sans

70
équivoque, l’emploi «exclusi[f] [de] méthodes non létales» aux fins des recherches scientifiques .

Tout en reconnaissant que l’article VIII de la convention avait été rédigé à une époque où il existait

peu de méthodes autres que létales, elle y a souligné que la situation était désormais «radicalement

différente». La CBI a, depuis, adopté nombre de résolutions dans lesquelles elle recommande au

Japon de suspendre ses programmes de chasse à la baleine au titre d’un permis spécial, et de les

restructurer sur la base de techniques non létales, comme l’a relevé M. Crawford . M. Walløe 71

reste muet sur ces résolutions, de même que sur la nécessité d’éviter la mise à mort de baleines et

sur les travaux du comité scientifique [fin de l’affichage].

51. Dans son mémoire, l’Australie mentionne les solutions de substitution qui permettent

d’éviter de tuer des baleines 72 solutions sur lesquelles M. Gales a donné plus de détails dans ses

73
exposés d’expert . Rien n’indique que le Japon les ait envisagées, que ce soit dans le cadre
74
de JARPA ou de son successeur JARPA II , et il n’y a pas une once de preuve montrant qu’il se

69
CMJ, par. 5.73 et 5.80.
70
MA, annexe 38, résolution 2003-2.
71MA, annexe 25, résolution 1994-10 ; ibid., annexe 28, résolution 1996-7 ; ibid., annexe 30, résolution 1997-6 ;
ibid., annexe 39, résolution 2003-3 ; ibid., annexe 40, résolution 2005-1.

72MA, par. 5.65-71.
73
Gales, exposé d’expert, section 6 ; déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du
professeur Lars Walløe, par. 2.6-2.11, 4.4.
74Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 2.2. - 19 -

serait livré à un quelconque examen des différentes options. Le Japon s’est contenté d’affirmer

qu’il n’y a pas d’autre choix en se fondant sur les assertions de M. Walløe, qui elles-mêmes ne

s’appuient sur rien.

52. Le Japon soutient que l’emploi de méthodes létales est nécessaire, indispensable même,

parce que certaines recherches ne peuvent être réalisées qu’en prélevant des parties du corps des

baleines. Examinons cette affirmation de plus près.

53. Les rapports établis sur JARPA et JARPA II indiquent qu’une centaine de prélèvements

sont opérés sur chaque baleine mise à mort. Ils ne précisent toutefois pas en quoi l’accumulation

de ces prélèvements et des données recueillies contribue à la réalisation d’objectifs précis

de JARPA II. Nous affirmons que ces prélèvements ne sont pas nécessaires, parce que les

recherches en vue desquelles ils sont effectués ne sont pas fiables et ne présentent aucune utilité

pour la conservation et la gestion des peuplements baleiniers de l’océan Austral. Et quand bien

30 même ces données seraient nécessaires ce que nous contestons , elles peuvent, toutes, être

obtenues sans tuer des baleines, essentiellement par des prélèvements biopsiques et par un suivi

75
satellitaire .

54. Pour éviter, là encore, tout malentendu sur la position de l’Australie, je tiens à préciser

un point important : l’Australie est tout à fait favorable aux recherches scientifiques légitimes

consacrées aux baleines de l’océan Austral, et elle participe d’ailleurs à différents projets
76
multilatéraux dans ce domaine, comme il ressort de son mémoire et des exposés d’expert de

M. Gales . Elle est associée à de nombreux programmes, dont le partenariat pour la recherche

non létale dans l’océan Austral (SORP), lancé à l’initiative du comité scientifique de la CBI, auquel
78
M. Gales a consacré un exposé détaillé . Le Japon, quant à lui, a choisi de ne pas y participer. Je

citerai également le programme de suivi de l’écosystème (CEMP) établi par la

commission CCAMLR, auquel l’Australie et le Japon participent activement. Or, ce programme ne

comporte aucune activité de «recherche» prévoyant l’emploi de méthodes létales. De même, le

75MA, par. 5.65-5.71.
76
Ibid., par. 5.60-62.
77Gales, exposé d’expert, section 6 ; déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du
professeur Lars Walløe, par. 2.6-2.11, 4.4.

78Gales, exposé d’expert, par. 6.1-6.17. - 20 -

programme de la décennie internationale de la recherche sur les cétacés (IDCR) et le programme de

recherche sur les baleines et l’écosystème de l’océan Austral (SOWER), tous deux pilotés par le

comité, ne prévoyaient ni ne nécessitaient l’emploi de méthodes létales de «recherche». Le Japon

aurait pu associer JARPA II à ces programmes, mais il ne l’a pas fait. Comme je l’ai dit hier, il a

même totalement isolé ce programme des travaux réalisés par son propre institut national pour la

79
recherche polaire (NIPR) , et ce pour la simple raison que JARPA II, qui postule la nécessité de

mettre à mort des baleines, n’a rien à voir avec la science.

55. Le Japon a par ailleurs décrit ses programmes JARPA et JARPA II comme étant des

activités distinctes de la RMP, qui, rappelons-le, est la procédure de gestion revisée adoptée par la

CBI. C’est ce que nous a expliqué M. Burmester hier. Permettez-moi de relever que le Japon ne

tient pas la RMP en très haute estime . 80

56. Les Parties sont en total désaccord sur la question de savoir s’il est possible d’obtenir,

par des moyens non létaux, des informations fiables sur des sujets tels que la structure des

peuplements baleiniers et les taux de mélange. Des éléments de preuve vous ont été soumis par les

deux experts de l’Australie et par l’expert du Japon. Les premiers affirment que ces informations

81
peuvent être obtenues par des techniques non létales (biopsie et suivi satellitaire) , ce que nie le

31 second. Ils seront tous trois à la disposition de la Cour pour répondre aux questions que celle-ci

souhaitera leur poser pour déterminer laquelle de ces deux positions est, selon elle, la plus

convaincante.

57. Le Japon affirme par ailleurs que les techniques non létales de prélèvement

82
d’échantillons biopsiques et de suivi satellitaire ne sont pas, dans la pratique, utilisables . Or,

M. Walløe reconnaît que «les analyses ADN des échantillons biopsiques obtenus sans mise à mort

de petits rorquals peuvent fournir des informations génétiques suffisantes pour déterminer la

structure du stock». Tout en concédant que cette démarche «est correct[e]», au moins en théorie , 83

79
Voir ibid., par. 3.21-3.24.
80Walløe, exposé d’expert, p. 11.

81 Gales, exposé d’expert, par. 4.8, troisième alinéa du paragraphe 5.9, par. 6.15-6.16 ; Mangel, rapport d’expert
complémentaire, par. 5.4-5.13.
82
CMJ, par. 5.49 et note de bas de page 696.
83Walløe, exposé d’expert, p. 11. - 21 -

il affirme qu’elle «serait impossible à mettre en œuvre en pratique» en raison de ses «coûts

prohibitifs» et du fait que «le nombre de prélèvements biopsiques qui pourraient être réalisés en

déployant un effort similaire à celui prévu dans le cadre du programme [japonais] actuel de chasse

aux fins de la recherche scientifique serait nettement inférieur» 84 au nombre de prélèvements

opérés actuellement. Toutefois, il n’avance, là encore, aucun élément de preuve à l’appui de cette

allégation. Si même il avait raison ce qui n’est pas le cas, comme le prouvent les éléments

concrets produits par M. Gales , il admet, et c’est là le point essentiel, la possibilité d’une telle

démarche. Cette possibilité devrait, en tout état de cause, être explorée. Cette concession

importante faite par le Japon par la voix de son expert indique à la Cour dans quel sens elle devrait

poursuivre l’examen de la présente affaire.

58. Au cours des 25 dernières années, des progrès considérables ont été faits en matière de

prélèvements biopsiques et de suivi satellitaire. Les éléments versés au dossier témoignent de la

faisabilité et de l’efficacité de ces techniques, et de l’usage qui en est effectivement fait. Elles sont

d’ailleurs actuellement utilisées sur les petits rorquals. M. Gales vous en dira plus à ce sujet cet

après-midi .85

59. Les éléments produits dans la présente affaire démontrent également qu’il est possible

86
d’obtenir des informations relatives à la structure des peuplements grâce à des analyses

génétiques réalisées à partir d’échantillons biopsiques, et que le suivi par satellite offre un moyen

très efficace de recueillir des renseignements sur les mouvements des peuplements et leurs taux de

mélange .87

60. Que dit le Japon de ces techniques de substitution ? Il affirme que certaines informations

ne peuvent être obtenues que par la mise à mort des animaux et le prélèvement de certaines parties

de leur corps. Il insiste beaucoup, à cet égard, sur l’importance du bouchon de cérumen des

baleines, caractéristique dont je vous avouerai que je n’avais pas connaissance avant de

m’intéresser à la présente affaire. Il importe, semble-t-il, que la Cour se penche elle aussi sur ce

84
Ibid.
85Déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du professeur Lars Walløe, par. 2.1-2.18.

86CMJ, par. 4.83.
87
Gales, exposé d’expert, troisième alinéa du paragraphe 5.9. - 22 -

32 bouchon de cérumen, dont on nous dit qu’il est à peine plus gros que mon pouce. Cet élément, qui

ne pourrait être recueilli que par la mise à mort de l’animal, offre, selon le Japon «un moyen

valable et utile pour déterminer l’âge des baleines» 88 et faciliter l’établissement des taux de

89
mortalité naturelle .

61. En réponse, l’Australie a avancé deux arguments simples : en premier lieu, il n’est pas

établi que le bouchon de cérumen reflète l’âge réel d’une baleine, et en second lieu, même si c’était

90
le cas, ces données ne seraient d’aucune utilité . Le Japon a prélevé près de 7000 bouchons de

cérumen sur des baleines tuées dans le cadre du programme JARPA. Quelles informations ces

prélèvements ont-ils apportées ? Pour autant que nous sachions, absolument aucune : les éléments

versés au dossier montrent que l’état des connaissances concernant les taux de mortalité des

petits rorquals de l’Antarctique est resté exactement ce qu’il était en 1988, avant la mise en œuvre

du programme. Rien dans le dossier n’indique que les données sur l’âge des baleines recueillies

par le Japon aient été d’une quelconque utilité scientifique. Les choses n’ont pas changé avec

JARPA II : le Japon prélève des bouchons qui ne nous apprennent rien et dont l’analyse ne répond

à aucun des objectifs affichés de JARPA II, mais s’obstine à poursuivre ces prélèvements.

62. Les éléments de preuve sont tout simplement insuffisants pour permettre au Japon de

faire admettre l’argument du bouchon de cérumen. Se tournant vers d’autres parties du corps de la

baleine, il invoque l’utilisation qu’il fait du contenu de l’estomac analysé sur les dépouilles et de

l’épaisseur de la couche de graisse. Ces éléments sont, selon lui, indispensables pour établir le

91
régime alimentaire et l’état nutritionnel des baleines . Avec tout le respect dû au Japon, nous

sommes fondamentalement en désaccord avec lui sur l’utilité de ces données. Les analyses

92
réalisées ne sont pas nécessaires pour les besoins de la RMP, comme l’a admis M. Walløe . A

supposer même que le Japon entende utiliser les données aux fins de la RMP, sa démarche est

manifestement viciée, étant donné qu’il est censé étudier l’intégralité de l’écosystème de

l’Antarctique.

88
CMJ, par. 4.66.
89
Ibid., par. 4.118-4.124.
90Ibid., par. 4.66 et note de bas de page 436. Pour les sources faisant autorité, voir MA, en particulier par. 5.70.
91
CMJ, par. 4.72.
92
Walløe, exposé d’expert, p. 11. - 23 -

63. D’autres problèmes viennent affaiblir l’argument du Japon concernant les données sur le

contenu stomacal et l’épaisseur de la couche de graisse. Il est établi que les données recueillies

manquent de fiabilité faute d’avoir été obtenues à partir d’un échantillon véritablement aléatoire.

Lorsque la question du contenu stomacal et de l’épaisseur de graisse a été abordée lors de la

93
réunion de 2012 du comité scientifique, la fiabilité des données a été sérieusement mise en doute .

Le Japon a, depuis, tenté de remédier à cette insuffisance, au moins pour les données sur

33 l’épaisseur de la couche de graisse, et il en a informé le comité à sa réunion de 2013. Celui-ci,

néanmoins, a conclu que les problèmes de fiabilité demeuraient entiers. Quant aux données sur le

contenu stomacal, le Japon n’a, lors de cette réunion, même pas tenté de montrer qu’il avait

entrepris d’en améliorer la fiabilité. Je rappelle enfin que, selon M. Walløe, il n’est pas possible

94
d’employer des moyens non létaux l’étude directe du krill et la modélisation à partir de la taille

des animaux vivants 95 qui permettent d’établir précisément l’écologie nutritionnelle et les

habitudes alimentaires des baleines. Or, M. Gales a présenté des éléments qui contredisent

96
radicalement cette affirmation .

64. Quelles connaissances nouvelles les analyses du contenu stomacal réalisées par le Japon

ont-elles apportées ? Les 7000 baleines mises à mort n’ont révélé que deux choses : 1) elles se

nourrissent de krill et 2) les estimations de prises alimentaires quotidiennes ne sont pas plus

précises que les précédentes, obtenues à partir de calculs métaboliques. Comme l’a écrit M. Gales,

nous n’avons rien appris que nous ne savions déjà . Des questions plus importantes concernant le

régime alimentaire des baleines demeurent sans réponse, et l’étude des animaux tués ne permettra

pas de les élucider .98

93Report of the Scientific Committee (2012), J. Cetacean Res. Manage. 14 (Suppl.) 2013, p. 51.

94Gales, exposé d’expert, par. 6.15.
95
Gales, exposé d’expert, quatrième alinéa du paragraphe 5.8, huitième alinéa du par. 5.9 ; Mangel, rapport
d’expert complémentaire, par. 3.28.
96
Déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du professeur Lars Walløe, par. 4.5-4.14.
97Gales, exposé d’expert, par. 3.48, 4.10, quatrième alinéa du paragraphe 5.8, huitième alinéa du paragraphe 5.9 ;

voir également : déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du professeur Lars Walløe, par. 4.7-4.8.
98Déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du professeur Lars Walløe, par. 4.7-4.8. - 24 -

65. Le Japon prétend recueillir une grande quantité de données biologiques à partir de

99
prélèvements sur le corps des baleines. Or, ces données sont sans intérêt pour la RMP ; celles qui

sont utiles ne peuvent être obtenues par des moyens létaux.

iii) Le défaut d’examen collégial confirme que JARPA II ne relève pas de la science

66. J’en viens au troisième point qui illustre la faiblesse manifeste de l’argument du Japon :

le défaut total d’examen collégial. M. Mangel a clairement montré qu’un programme mené «en

vue de recherches scientifiques» doit faire l’objet d’évaluations indépendantes, dont les conclusions
100
sont prises en compte, aux stades de sa conception comme de son exécution . Ni l’une ni l’autre

des Parties ne conteste que le programme JARPA II n’a pas bénéficié d’une évaluation externe au

stade de sa conception : le Japon n’a pas daigné attendre les résultats de l’évaluation du programme

JARPA par le comité scientifique, publiés en 2006, pour lancer JARPA II. Il s’est contenté d’un

examen non indépendant confié à ses propres scientifiques, qui ne risquaient guère de s’écarter de

l’orthodoxie.

34 67. Le plan de recherche prévu pour JARPA II a été soumis au comité scientifique en 2005,

soit un an avant la date prévue pour l’examen du programme JARPA par la CBI. Soixante-trois

membres du comité (nombre sans précédent) ont présenté collectivement le document que vous

trouverez sous l’onglet n 89, dans lequel ils se déclaraient «dans l’incapacité d’engager un

processus d’évaluation de la proposition pour JARPA II qui soit scientifiquement défendable», le

programme JARPA n’ayant pas encore fait l’objet d’un examen indépendant 10. L’examen du plan

de recherche pour JARPA II qui a suivi, sans la contribution des 63 scientifiques qui s’y étaient

opposés, s’est limité à une «brève discussion qui a eu lieu au sein d’une petite partie non

102
représentative du comité scientifique» . La conception du programme n’a donc pas fait l’objet

d’un examen collégial.

99 MA, par. 2.75, 5.10, 5.47 ; Mangel, rapport d’expert initial, par. 3.25-6, 5.16-18 ; Gales, exposé d’expert,
par. 3.4.
100
Mangel, rapport d’expert initial, par. 4.26.
101
Childerhouse, S. et al. (62 autres auteurs), 2006. «Commentaires sur la proposition du Gouvernement japonais
d’une deuxième phase du programme de chasse à la baleine dans l’Antarctique au titre d’un permis spécial (JARPA II)».
Appendice 2 de l’annexe 01. «Rapport du comité scientifique». Journal of Cetacean Research and Management
8:260-261 ; voir également, Gales, exposé d’expert, par. 3.38.
102Gales, exposé d’expert, par. 3.39. - 25 -

103
68. Il n’y a pas eu non plus d’évaluation collégiale de l’exécution de JARPA II . Le Japon

prétend que JARPA et JARPA II ont tous deux été abondamment évalués par des pairs 104. Il fait

état d’un total de 107 études publiées dans des revues à comité de lecture entre 1988 et 2009, et

indique que d’autres l’ont été ultérieurement. Je vous invite à étudier très attentivement ces

articles, comme nous l’avons fait. De toutes ces études, 51 sont parues dans des revues à comité de

lecture et sont potentiellement pertinentes pour évaluer la réalisation des vagues objectifs des

105
programmes JARPA et JARPA II . Environ 40 pour cent des articles publiés dans ces revues (39

sur 107) n’ont aucun rapport avec les objectifs annoncés de JARPA et JARPA II . 106 Seuls

environ 15 pour cent des études se rapportant à ces programmes sont pertinentes pour l’évaluation

de la réalisation des objectifs annoncés . 107

69. Combien de ces études publiées dans des revues à comité de lecture font-elles état de

données essentielles à la conservation et à la gestion des peuplements baleiniers qui pouvaient

n’être obtenues que par des méthodes létales ? Aucune. Pas une seule.

70. Combien d’études validées par un comité de lecture ont-elles été publiées dans le cadre

108
de JARPA II depuis son lancement en 2005 ? Le Japon fait état de deux études et indique, de

35 façon peut-être quelque peu optimiste, qu’un «nombre plus important … est à prévoir» après

109 o
l’examen du programme en 2013-2014 . (Onglet n 90.) [Affichage note de bas de page 774.]

Nous vous invitons à étudier attentivement ces deux articles, comme l’ont fait M. Mangel et

M. Gales. Vous voyez à l’écran les références à ces articles, dans la note de bas de page 774 du

contre-mémoire. Ils portent sur la biochimie et l’anatomie cardiaque, deux sujets qui sont sans

103Mangel, rapport d’expert initial, par. 4.2.
104
CMJ, par. 4.112-114 et 5.99.
105
Mangel, rapport d’expert initial, par. 5.58.
106Ibid., par. 5.59.

107Ibid., par. 5.62.

108CMJ, par. 5.99, note de bas de page 774 ; institut de recherche sur les cétacés, «Données disponibles pour le
séminaire d’évaluation du programme JARPA II» (présenté comme document n SC/65a/O08 à la réunion du comité
scientifique de 2013 et disponible à l’adresse http://iwc.int/sc65adocs, p. 6.

109CMJ, par. 5.99. - 26 -

intérêt pour la conservation et la gestion des populations baleinières, et tout aussi peu pertinents au

110
regard des objectifs annoncés de JARPA II . [Fin d’affichage.]

71. M. Mangel a également examiné quelques études plus récentes fondées sur des données

recueillies dans le cadre du programme JARPA, j’ai bien dit JARPA et non JARPA II, 15 études

publiées dans des revues à comité de lecture entre 2010 et 2012. Douze d’entre elles ne semblent

pas avoir été destinées à une large diffusion et ne sont pas accessibles à la majeure partie de la

communauté scientifique pour de simples raisons linguistiques : l’une est en norvégien et les

11 autres sont en japonais. Nous nous sommes donné la peine de les faire traduire en anglais et les

avons soumises à M. Mangel : il est d’avis qu’un grand nombre de ces études ne contiennent

aucune analyse de fond. Sur les 11 études en japonais, sept ne font pas plus de deux pages, et l’une

111
ne fait que trois pages. Il vous en dira davantage, en temps utile, sur ces points .

72. Le Japon est nettement sur la défensive en ce qui concerne l’examen collégial. Il

soutient, sans apporter aucune preuve, que les documents soumis au comité scientifique ont plus

d’importance que les études réalisées par des pairs 11. Cet argument n’est pas fondé : le rôle du

comité scientifique n’est pas de procéder à un examen collégial du programme JARPA II, pour les

raisons qu’a exposées M. Gales . 113 Le Japon n’a fourni aucune preuve à l’appui de son

argumentation concernant l’examen collégial. M. Walløe n’a absolument rien trouvé à dire sur la

question. Ce qu’il a dit par ailleurs, en revanche, vient corroborer la critique largement répandue

selon laquelle le processus de prise de décision du Japon manque de clarté et de transparence.

73. Quoi qu’il en soit, la soumission de documents au comité scientifique ne présente pas les

caractéristiques essentielles d’un examen par des pairs et ne saurait le remplacer. Pareil examen

36 consiste à déterminer si les objectifs scientifiques sont pertinents, importants et atteignables eu

114
égard aux méthodes prévues et si leur réalisation aidera à résoudre les problèmes considérés . Le

110 Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 3.35 ; Gales, exposé d’expert, par. 5.9. Voir
Yunoki, K., Ishikawa, H., Fukui, Y. et Ohnishi, M. 2008. «Chemical properties of epidermal lipids, especially
sphingolipids, of the Antarctic minke whale». Lipids (2008) 43 : 151-159 (sur la biochimie) ; Ono, N., Yamaguchi, T.,
Ishikawa, H., Arakawa, M., Takahashi, N. Saikawa, T. et Shimada, T. 2009, «Morphological varieties of the Purkinje
fiber network in mammalian hearts, as revealed by light and electronmicroscopy». Arch Histol Cytol. 72(3), 139-149 (sur

l’anatomie cardiaque).
111Mangel, rapport d’expert complémentaire, par. 3.39.

112CMJ, par. 4.90.
113
Gales, exposé d’expert, section 3.
114Mangel, rapport d’expert initial, par. 5.52. - 27 -

défaut total d’examen collégial de JARPA II porte un coup fatal à l’argument du Japon selon lequel

115
ce programme aurait des fins scientifiques .

74. Le Japon affirme avoir tenu compte des recommandations du comité scientifique

116
concernant JARPA et JARPA II . Cette affirmation est tout simplement inexacte, comme cela

ressort clairement de l’exposé de M. Gales.

75. Les éléments de preuve dont dispose la Cour ne confirment aucunement les affirmations

du Japon sur l’examen collégial. Pour JARPA II, le Japon déclare avoir tenu compte des

recommandations formulées dans le rapport du séminaire d’évaluation finale du programme

117
JARPA par la CBI, qui a eu lieu en 2006 . Si vous parcourez ce texte, qui se trouve dans vos

dossiers, vous constaterez que les annotations indiquent simplement que la plupart des

recommandations sont «à étudier». Ce rapport a été adopté il y a six ans : quelles sont les preuves

montrant que le Japon y a donné suite ? Encore une fois, vous n’en avez aucune.

76. En ce qui concerne l’examen collégial, la conclusion est simple. Ni la conception, ni les

objectifs de JARPA II n’ont fait l’objet d’un tel examen avant le démarrage du programme. Les

travaux de recherche s’appuyant prétendument sur des données collectées dans le cadre de

JARPA II et qui seraient pertinents au regard des objectifs annoncés n’a fait l’objet d’aucun

examen collégial.

Sixième partie : Conclusions

77. Monsieur le président, j’en arrive à mes conclusions. Le Japon, prétendument au nom de

la recherche scientifique, a collecté durant 26 ans des données, principalement après avoir prélevé

des parties du corps d’un nombre important de petits rorquals. Il affirme, sans guère en avancer

des preuves, que ces données apportent des connaissances nouvelles utiles à la conservation et à la

gestion des peuplements baleiniers . Quels sont les résultats qu’il a obtenus au cours de ces

115Ibid.

116CMJ, par. 4.110.
117
Ibid., par. 5.18 ; appendice 3 de l’annexe O du rapport du comité scientifique (2007), J. Cetacean Res.
Manage. n° 10 (Suppl.), 2008, p. 349.
118
Voir CMJ, par. 5.28, 6.22, 9.21, 9.27, 9.30. - 28 -

26 années de programmes soi-disant scientifiques ? Fort minces, à en juger par les preuves

avancées par lui.

37 78. Le Japon ne peut invoquer aucune appréciation favorable de la CBI ou du comité

scientifique qui montrerait que ses recherches ont contribué, si peu que ce soit, au progrès des

connaissances scientifiques.

79. Il s’appuie sur les preuves par expertise avancées par une seule personne, étroitement

associée au programme de chasse à la baleine d’un autre Etat. Le rapport d’expert de M. Walløe ne

vient que partiellement étayer les arguments du Japon, les contredisant sur certains points et restant

totalement muet sur d’autres. Sur la question cruciale de la taille des échantillons et sur celle de

savoir si JARPA II a fait l’objet d’un examen collégial digne de ce nom, son rapport n’est

manifestement d’aucun secours pour le Japon.

80. Le Japon n’est en mesure ni de faire état d’une évaluation collégiale de la conception de

JARPA II, ni de citer la moindre étude scientifique publiée dans des revues à comité de lecture

dans le cadre de ce programme et portant sur la réalisation de ses objectifs.

81. Le Japon n’avance rien qui tende à montrer que JARPA II a contribué à répondre aux

exigences de la RMP. Il n’a produit aucun élément prouvant que ce programme a été intégré à

d’autres programmes de recherche de nature à contribuer aux progrès des connaissances

scientifiques sur l’écosystème de l’Antarctique.

82. Il ne fournit aucun élément prouvant que JARPA II repose sur des hypothèses

vérifiables, condition sine qua non pour qu’un programme puisse être considéré comme relevant

véritablement de la recherche scientifique.

83. Le Japon a produit des données sur les parties du corps de plus de 10 000 baleines tuées

sur une période de 26 ans. Ces données n’ont aucune utilité pour les évaluations prévues par la

RMP et ne serviront en rien à améliorer la gestion des peuplements baleiniers. Aucune des

recommandations de recherche formulées dans les rapports annuels du comité scientifique ne

renvoie aux résultats de JARPA II, ou n’indique la nécessité de collecter des données par des

méthodes létales. Le programme JARPA II ne répond pas à des besoins de recherche établis par le

comité scientifique et ne repose pas sur des objectifs ou une méthodologie de recherche satisfaisant - 29 -

aux normes minimales de rigueur scientifique, telles qu’elles ressortent de la pratique scientifique

généralement admise.

84. En dépit de tout cela, Monsieur le président, le Japon affirme devant la Cour que ses

activités dans le cadre de JARPA II sont menées «en vue de recherches scientifiques». Les

éléments de preuves dont vous disposez sont loin de confirmer cette assertion. Vingt-et-un

scientifiques éminents se sont très clairement prononcés sur ce point, voici plus de dix ans. Ce

programme n’est pas conçu pour répondre à des questions scientifiques, il ne répond à aucune
119
nécessité scientifique, et ne reposent sur aucune hypothèse vérifiable, ont-ils dit . Rien n’a

38 changé depuis dix ans. Ce qui vous est présenté n’est pas un programme de recherche scientifique,

c’est un tas de parties du corps d’un très grand nombre de baleines mortes. C’est un tas de pierres,

ce n’est pas une maison [en français dans l’intervention].

85. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention et je vous invite à entendre les exposés qui constituent la phase suivante de nos

plaidoiries.

Le PRESIDENT : Je vous remercie M. Sands. La Cour va à présent appeler à la barre les

experts présentés par l’Australie.

Je vais tout d’abord expliquer la procédure à suivre pour l’audition des experts.

A mon invitation, l’agent de la Partie qui fait entendre l’expert présentera celui-ci. L’expert

prendra alors place au pupitre et je lui demanderai de faire la déclaration énoncée à l’alinéa b) de

l’article 64 du Règlement.

Ensuite, l’agent ou le conseil de la Partie concernée procédera à l’interrogatoire principal,

qui ne pourra excéder 30 minutes. L’expert pourra faire sa déposition sous forme d’exposé ou de

réponse aux questions qui lui seront posées par la Partie pour laquelle il comparaît, selon ce que

celle-ci décidera. L’autre Partie aura alors la possibilité de procéder au contre-interrogatoire de

l’expert, qui ne pourra excéder 60 minutes. Ce contre-interrogatoire devra se limiter aux exposés

écrits et oraux déjà présentés par l’un ou l’autre des trois experts.

119CR 2013/8, p. 64-65, par. 23-24 (Sands). - 30 -

Le président demandera ensuite à la Partie qui a présenté l’expert si elle souhaite l’interroger

de nouveau. Il convient d’attirer l’attention des Parties sur le fait que tout interrogatoire

complémentaire ne pourra excéder 30 minutes et devra se limiter aux questions déjà traitées lors du

contre-interrogatoire. Puis, s’ils le souhaitent, les membres de la Cour pourront poser des questions

aux experts.

Je donne à présent la parole à l’agent de l’Australie afin qu’il présente le premier expert, qui

devrait être M. Mangel. Vous avez la parole Monsieur Campbell.

M. CAMPBELL: Monsieur le président, l’Australie souhaite faire entendre en premier

M. Marc Mangel, de l’Université de Californie. Il sera interrogé par M. Philippe Sands. Je vous

remercie Monsieur le président.

39 Le PRESIDENT: Je vous remercie M. Campbell. J’invite Monsieur Marc Mangel à prendre

place au pupitre. Monsieur Mangel, je vous invite à prononcer la déclaration solennelle telle

qu’elle est énoncée à l’alinéa b) de l’article 64 du Règlement. Vous avez la parole Monsieur.

M. MANGEL : Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je

dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma conviction

sincère.

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je donne à présent la parole à Monsieur Sands, qui peut

commencer l’interrogatoire de M. Mangel. Monsieur Sands, vous avez la parole.

M. SANDS : Monsieur Mangel, soyez le bienvenu à La Haye. Je vous demanderai de bien

vouloir décliner votre identité et nous indiquer votre profession.

M. MANGEL : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand

honneur et un grand privilège que de comparaître aujourd’hui devant vous. Je m’appelle

Marc Mangel et je suis professeur à l’Université de Californie, campus de Santa Cruz. - 31 -

M. SANDS : Je vous demanderai d’ouvrir le dossier de plaidoiries devant vous et de
o
regarder le document figurant sous l’onglet n 1. Il s’agit d’un exemplaire de votre rapport

d’expert en date d’avril 2011. Pouvez-vous nous confirmer que vous en êtes l’auteur ?

M. MANGEL : Oui, je confirme qu’il s’agit bien de mon travail de recherche et qu’il reflète

mes idées. Je suis bien l’auteur de ce rapport.

M. SANDS : Je vous demanderai de passer à l’onglet suivant, l’onglet n 2, sous lequel

figure un exemplaire de votre rapport d’expert supplémentaire, en date du 15 avril 2013.

Pouvez-vous confirmer que vous en êtes l’auteur ?

M. MANGEL : Oui, je confirme que j’en suis également l’auteur.

o
M. SANDS : Si vous voulez bien passer à l’onglet suivant, l’onglet n 3, vous trouverez un

exemplaire de la «Réponse au document intitulé «Examen scientifique des questions soulevées par

le mémoire de l’Australie et par ses deux appendices, rédigé par M. Lars Walløe»», en date du

31 mai 2013. Pouvez-vous confirmer que vous êtes l’auteur de cet exposé ?

M. MANGEL : Oui je confirme en être l’auteur.

40 M. SANDS : Enfin, je vous demanderai de vous reporter à l’onglet n 6, sous lequel figure

l’exposé de M. Walløe. Pouvez-vous confirmer que vous avez lu ce document et que vous en

connaissez la teneur ?

M. MANGEL : Oui, je confirme que j’ai lu ce document très attentivement.

M. SANDS : Pouvez-vous, en quelques mots, expliquer à la Cour comment vous vous êtes

attelé à la rédaction de ces trois exposés écrits et en quoi ont consisté vos échanges avec les

représentants du Gouvernement australien ?

M. MANGEL : Certainement. J’ai traité ce dossier comme un projet de recherche très

important et j’ai donc lu une quantité considérable de documents sur le sujet, aussi bien des

ouvrages traitant du processus scientifique que des documents de la CBI expliquant son - 32 -

fonctionnement. Cela fait des années que je suis les travaux de la CBI, mais je suis en quelque

sorte remonté aux origines pour maîtriser parfaitement mon sujet. Ce projet de recherche était si

vaste que j’ai dû mettre de côté un certain nombre de travaux pour pouvoir m’y consacrer. Je

rédige des articles scientifiques très différents, me suis-je aperçu, des documents juridiques, et les

contacts que j’ai eus avec les avocats travaillant sur cette affaire se sont résumés à des conseils

rédactionnels afin que le meilleur parti puisse être tiré de mon travail.

M. SANDS : Pouvez-vous nous parler de votre formation et de votre expérience

professionnelles ?

M. MANGEL : Vous avez déjà ma notice biographique. Je n’y reviendrai donc pas. Et

d’ailleurs, comme je m’adresse à vous sans notes, je ne répéterai pas ce que j’ai écrit, car je n’ai pas

cherché à mémoriser quoi que ce soit. En substance, cela fait 36 ans que je me consacre à des

travaux scientifiques qui aident les décideurs à définir des orientations générales. Mes tâches

comprennent la modélisation, la recherche en milieu naturel et la recherche expérimentale. Et la

recherche en milieu naturel et la recherche expérimentale entraînent parfois des captures létales.

J’ai travaillé pendant toutes ces années sur les dauphins, les phoques et les otaries et, plus

récemment, sur les baleines bleues. Et j’ai conduit des évaluations pour le compte des principaux

organismes de financement d’Amérique du Nord et pour de nombreux autres en Europe et au

Royaume-Uni. J’ai également fait partie du comité de lecture de revues scientifiques de renom.

M. SANDS : Monsieur Mangel, quel est votre lien avec les travaux de la CBI et de son

comité scientifique eu égard aux questions soulevées dans la présente affaire ?

41 M. MANGEL : Mes travaux, en particulier sur le krill de l’océan Austral et, à certains

égards, sur le dauphin, m’ont conduit à suivre à distance les travaux de la CBI pendant de longues

années, aussi loin qu’il m’en souvienne, alors que j’étais encore étudiant dans les années 1970.

M. SANDS : En quoi vous diriez-vous qualifié pour émettre des avis sur des questions

spécifiques ayant trait à ce programme de chasse à la baleine en vue de recherches scientifiques au

titre de la convention ? - 33 -

M. MANGEL : Comme je vous l’ai dit, j’ai suivi de loin les travaux de la CBI pendant des

années. J’ai beaucoup réfléchi à ces questions. J’ai été membre du comité des conseillers

scientifiques de la commission des Etats-Unis sur les mammifères marins pendant six ans et, à ce

titre, j’ai suivi de près l’élaboration de la RMP, un sujet que je connais fort bien. Mais je me suis

toujours tenu à distance et, bien entendu, mon approche de la science est celle d’un praticien.

M. SANDS : Vont à présent s’afficher à l’écran, je l’espère, quelques critères. Je vous

demanderai de les examiner un instant. S’agit-il des critères que vous avez définis dans votre

rapport d’expert ?

M. MANGEL : En effet, ce sont bien mes critères.

M. SANDS : Pourriez-vous nous dire en quelques mots sur quelle base reposent les quatre

critères que vous avez définis dans votre rapport d’expert initial ?

M. MANGEL : Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, ce projet est devenu pour moi un

important projet de recherche. Par conséquent, la première chose que j’ai faite a été de me

renseigner sur la pratique scientifique telle qu’on la conçoit généralement aujourd’hui. Dans le

même temps, je lisais les documents de la CBI. En fait, si vous regardez bien mon rapport initial,

vous verrez que je commence par énumérer un ensemble de critères généraux, qui définissent la

science en tant que pratique, puis un deuxième ensemble de critères plus spécifiques, qui

s’appliquent à la conservation et à la gestion des cétacés, et pour lesquels je me suis inspiré de ma

lecture des documents de la CBI.

42 M. SANDS : Compte tenu de votre parcours et de votre expérience professionnelle,

considérez-vous que ces critères sont ceux généralement acceptés par les membres indépendants de

la communauté scientifique pour déterminer si un programme est mené à des fins de recherche

scientifique ?

M. MANGEL : Oui, je pense que ces critères généraux sont généralement acceptés par la

communauté scientifique et que ces critères spécifiques sont généralement acceptés par la

communauté spécialisée dans les mammifères marins. - 34 -

M. SANDS : Je vous invite à vous reporter à l’onglet n 6, sous lequel figure l’exposé de

M. Walløe en réponse à vos deux rapports d’expert et aux critères que vous avez identifiés.

Pourriez-vous dire à la Cour quelle a été votre réaction lorsque vous avez lu l’avis exprimé par

M. Walløe à propos de ces quatre critères ?

M. MANGEL : Beaucoup de choses ont été dites sur l’examen par les pairs, et les

observations de M. Walløe constituent en fait les premières formulées par un confrère sur mes

propres travaux. J’ai constaté ce que l’on constate habituellement dans ce genre d’exercice :

M. Walløe était d’accord avec moi sur tel ou tel point, en désaccord sur tel ou tel autre, et, parfois,

s’abstenait de tout commentaire.

M. SANDS : A propos des commentaires qu’il a formulés sur ces critères, pourriez-vous

nous en dire un peu plus sur votre réaction à sa lecture critique, telle qu’elle ressort de son exposé ?

M. MANGEL : J’ai constaté que M. Walløe ne rejetait pas mes critères, ou plus exactement

les critères énoncés dans mon rapport d’expert initial. C’est ainsi que je le formulerais le mieux je

pense. Il n’a pas rejeté ces critères, pas plus qu’il n’en a proposé d’autres.

M. SANDS : Les vues qu’il a exprimées dans son exposé, et que vous avez lues, vous ont-

elles incité à revoir les critères qui sont les vôtres pour déterminer si le programme JARPA II est un

programme mené pour les besoins de la science ?

M. MANGEL : Après avoir lu l’exposé de M. Walløe et y avoir réfléchi de manière

approfondie, je n’y ai trouvé aucune raison de modifier mon analyse.

43 M. SANDS : Je souhaiterais à présent en venir à un autre sujet : l’importance que revêtent

des objectifs bien définis et atteignables, conçus pour apporter des connaissances utiles à la

conservation et à la gestion des baleines. Je serais tenté de commencer par vous demander :

pourquoi est-il nécessaire pour un programme mené en vue de recherches scientifiques d’avoir des

objectifs bien définis et atteignables ? - 35 -

M. MANGEL : On peut presque y voir une définition de la science : nous devons

commencer par nous poser une question qui mérite d’être posée puis nous donner les moyens d’y

répondre. Très souvent, ce concept est désigné dans le jargon scientifique par les termes

«hypothèse vérifiable». Dans mon rapport, j’ai parlé d’«objectifs bien définis et atteignables» pour

me rapprocher de la terminologie utilisée dans les documents de la CBI.

M. SANDS : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le point que vous venez d’évoquer.

Quel est le rapport entre des objectifs bien définis et atteignables et une «hypothèse vérifiable» ?

M. MANGEL : L’«hypothèse vérifiable» constitue un sous-ensemble de ces objectifs. On

peut imaginer un grand nombre d’objectifs, et l’objectif en tant que cadre général conduit à des

hypothèses spécifiques qui sont ensuite évaluées et vérifiées.

M. SANDS : M. Walløe considère que le programme JARPA II prévoit la collecte de

données destinées à vérifier ce qu’il appelle «des hypothèses spécifiques ». Etes-vous d’accord

avec lui ?

M. MANGEL : Non.

M. SANDS : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous n’êtes pas d’accord ?

M. MANGEL : Tout d’abord, je ferai observer que M. Walløe ne mentionne pas la moindre

hypothèse spécifique dans son exposé, même si j’ai clairement indiqué que l’hypothèse de

l’excédent de krill était la seule que j’avais pu identifier. Et je tiens cette hypothèse pour

invérifiable.

M. SANDS : Selon vous, le programme JARPA II est-il conçu pour vérifier quelque

hypothèse que ce soit, de nature générale ou spécifique ?

M. MANGEL : Non. - 36 -

44 M. SANDS : Dans son exposé, M. Walløe donne deux exemples de projets de recherche

scientifique qui, dit-il, ne cherchent pas à vérifier la moindre hypothèse spécifique. Vous êtes

d’accord avec les deux exemples qu’il fournit ?

M. MANGEL : Non, je ne suis pas d’accord avec ces deux exemples.

M. SANDS : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. MANGEL : Le premier exemple que donne M. Walløe est celui de Gregor Mendel, le

fondateur de la génétique. M. Walløe et moi-même avons une interprétation assez différente de

l’histoire de la science en l’espèce. Selon moi, Mendel a commencé par poser des hypothèses, a

réalisé des expériences afin de les vérifier, puis a utilisé les résultats de ses expériences pour

formuler de nouvelles hypothèses, et ainsi de suite. Le second exemple fourni par M. Walløe est le

«programme d’étude de l’acidification des eaux de surface», conduit à la fin des années 1980.

C’était une initiative conjointe du Royaume-Uni et de la Norvège en vue d’étudier les pluies acides.

Ce programme a commencé par formuler des hypothèses très spécifiques et poser des questions

spécifiques et a ensuite tenté d’y apporter des réponses.

M. SANDS : Je m’intéresserai à présent à un sujet légèrement différent : les méthodes à

utiliser pour atteindre les objectifs déclarés, plus particulièrement le choix des méthodes

appropriées. Puis-je vous demander comment l’on choisit des méthodes appropriées dans le cas

d’un programme mené en vue de recherches scientifiques ?

M. MANGEL : On ne peut opter pour une méthode sans avoir de question au préalable. Il

faut donc commencer par le début et poser une question qui mérite d’être posée. Ce n’est

qu’ensuite que l’on peut commencer à réfléchir aux outils dont on dispose pour y apporter une

réponse, et sélectionner l’outil en fonction d’une série de critères associés à la réponse.

M. SANDS : L’une des méthodes en cause a trait à la taille de l’échantillon. Pouvez-vous

dire à la Cour comment vous comprenez l’expression «taille de l’échantillon» dans le cadre du

programme JARPA II ? - 37 -

M. MANGEL : Je comprends que, dans le cadre de JARPA II, la taille de l’échantillon

correspond au nombre de baleines à capturer.

45 M. SANDS : Dans un programme mené à des fins de recherche scientifique, comment

doit-on définir la taille de l’échantillon ?

M. MANGEL : Etant donné que nous vivons dans un monde sujet à des variations naturelles,

lorsque nous tentons de répondre à une question, nous devons calculer le nombre d’échantillons à

prélever pour trouver la réponse, en tenant compte de cette variabilité naturelle.

M. SANDS : Pensez-vous que la méthode utilisée pour établir la taille des échantillons dans

le cadre du programme JARPA II est scientifiquement valide ?

M. MANGEL : Je ne suis pas parvenu à comprendre comment la taille des échantillons avait

été déterminée dans le cadre de JARPA II.

M. SANDS : En quoi pèchent les informations qui vous ont été fournies sur la question ?

M. MANGEL : Bien qu’on nous donne certains détails techniques sur la manière de calculer

plusieurs tailles d’échantillons possibles, ce qui ne va pas, c’est que l’on nous présente différents

ordres de grandeur possibles et qu’une valeur est retenue sans la moindre explication.

M. SANDS : M. Walløe a fait la déclaration suivante dans son rapport : «les scientifiques

japonais n’ont pas toujours fourni des explications complètement claires et transparentes sur la

manière dont la taille des échantillons a été calculée ou déterminée» dans le cadre de JARPA II.

Etes-vous d’accord avec ce constat ?

M. MANGEL : Oui, c’est l’une des choses que j’ai notées lorsque j’ai cherché les points de

convergence entre son exposé et le mien.

M. SANDS : La décision du Japon de fixer à 850 le nombre de petits rorquals à capturer

dans le cadre de JARPA II peut-elle se justifier sur le plan scientifique ?

M. MANGEL : Absolument pas. - 38 -

46 M. SANDS : Passons maintenant à la question du choix de la méthode et intéressons-nous à

la capture létale. Selon vous, la capture létale est-elle jamais une méthode appropriée dans le cadre

d’un programme mené à des fins de recherche scientifique ?

M. MANGEL : Bien sûr, la capture létale peut être appropriée dans un programme mené à

des fins de recherche scientifique ; comme je l’ai mentionné, dans le cadre de mes propres travaux,

mon équipe et moi-même y avons déjà eu recours.

M. SANDS : Dans quelles circonstances ? Quels sont les éléments qui vous permettent de

déterminer si la capture létale est une méthode appropriée ?

M. MANGEL : La prise létale ne peut avoir de sens que si la question à laquelle on doit

répondre est une question qui mérite d’être posée, et que la capture létale est le moyen le plus

adapté pour y répondre.

M. SANDS : Je vais projeter une diapositive et vous demander de vous reporter au

paragraphe 6.2 de votre exposé. Vous y indiquez que les deux programmes JARPA et JARPA II

ont débuté en partant du postulat que la capture létale était nécessaire, et sans vision claire de la

façon dont les données devaient être, ou seraient, analysées ou exploitées. Pourriez-vous aller un

peu plus loin sur ce point et nous dire ce que vous entendez par là ?

M. MANGEL : En lisant les documents consacrés à JARPA et JARPA II, il m’est apparu

que, dès le départ, il avait été décidé que les captures létales étaient nécessaires et qu’il fallait

capturer un nombre précis d’animaux. Comme l’a indiqué M. Sands, le nombre de prises annuelles

est passé de 400 baleines pendant le programme JARPA à 800 baleines pendant JARPA II. Les

deux programmes partaient du principe qu’il était nécessaire de procéder à un certain nombre de

captures létales et cherchaient rétroactivement à identifier des moyens de justifier celles-ci.

M. SANDS : En d’autres termes, êtes-vous en train de dire que le Japon a procédé à rebours,

en inversant le processus normal de décision scientifique ?

M. MANGEL : C’est une autre façon de le formuler, effectivement. - 39 -

M. SANDS : La prise létale pourrait-elle être justifiée dans le cadre d’un programme qui ne

chercherait pas à vérifier d’hypothèses ?

47 M. MANGEL : Sans hypothèse vérifiable, je vois mal comment la taille des échantillons

pourrait être déterminée convenablement, que l’on ait recours ou non à des méthodes létales.

M. SANDS : Passons maintenant aux méthodes non létales. Existe-t-il des méthodes autres

que la capture létale qui soient pertinentes en matière de conservation et de gestion des baleines ?

M. MANGEL : Comme je l’ai expliqué dans mon rapport initial et dans mon rapport

complémentaire, nous disposons maintenant de technologies extraordinaires, que sont le marquage

et le suivi par satellite, l’échantillonnage génétique par biopsie de très petits échantillons de peau,

et la photographie numérique.

M. SANDS : A votre avis, ces techniques peuvent-elles être employées, d’un point de vue

purement pratique, dans le cadre d’un programme scientifique portant sur les petits rorquals ?

M. MANGEL : Absolument, je considère que ces techniques sont appropriées et applicables

en pratique, et je le répète, M. Walløe et moi-même sommes d’accord sur le fait que les méthodes

de biopsie, par exemple, peuvent effectivement être mises en œuvre.

M. SANDS : Dans votre rapport d’expert complémentaire, aux paragraphes 5.1 à 5.3, vous

indiquez que le Japon n’a pas véritablement étudié les méthodes non létales existantes et que

certaines des méthodes que vous venez de décrire sont envisageables. Pourriez-vous nous en dire

davantage sur ce que vous pensez, ayant lu les documents que vous avez lus pour préparer

l’audition d’aujourd’hui, de l’intérêt porté par le Japon aux autres méthodes non létales ?

M. MANGEL : A ma connaissance, les promoteurs des programmes JARPA et JARPA II

sont simplement partis du principe, ou ont affirmé, que les méthodes létales étaient nécessaires et

les méthodes non létales, inopérantes, et ne se sont donc guère mis en peine pour développer ces

dernières. - 40 -

M. SANDS : Passons à un autre sujet que vous abordez dans vos rapports, celui de l’examen

par les pairs. Pourriez-vous dire à la Cour ce que vous entendez par «examen par les pairs» ?

M. MANGEL : Par examen par les pairs, j’entends le processus global au cours duquel la

découverte — l’objectif poursuivi par tous les scientifiques — se transforme en connaissance

crédible, en connaissance consensuelle, ce qui correspond à notre idée de la science. Cette

démarche prévoit l’évaluation des projets de recherche ou des résultats de recherche, généralement

de façon anonyme, par des experts qui ne sont pas directement impliqués dans les travaux en

question et qui peuvent exiger des modifications avant le début de la recherche ou avant la

publication.

48 M. SANDS : Pourquoi l’examen par les pairs est-il nécessaire pour qu’une activité soit

considérée comme relevant de la recherche scientifique ?

M. MANGEL : Richard Feynman, lauréat du prix Nobel de physique, a déclaré que «la

personne la plus facile à berner, c’est soi-même». Lorsqu’on travaille sur une problématique, et

notamment lorsqu’on pense avoir fait une découverte, et cela peut arriver aussi bien dans le

domaine du droit que de la science, lorsqu’on pense avoir fait une découverte, on en éprouve une

joie très vive, car on y voit la consécration intellectuelle de son travail. L’examen par les pairs

permet que des confrères moins impliqués évaluent la qualité des travaux, les conclusions qui en

sont tirées et la façon dont les travaux sont rendus publics.

M. SANDS : A votre avis, la proposition de permis pour le programme JARPA II a-t-elle fait

l’objet d’un quelconque examen par les pairs ?

M. MANGEL : Je n’étais bien évidemment pas au comité scientifique lorsque la proposition

de permis pour le programme JARPA II a été examinée, mais tout ce que j’ai lu à ce sujet indique

que cette proposition n’a pas fait l’objet du type d’examen par les pairs que je viens de décrire ou

auquel je m’attendrais, par exemple, dans le cadre d’un projet important mené en collaboration

avec la National Science Foundation des Etats-Unis. - 41 -

M. SANDS : A votre connaissance, d’après les éléments que vous avez pu établir à la lecture

des publications et des rapports, le programme JARPA II a-t-il fait l’objet d’un examen approfondi

par le comité scientifique ?

M. MANGEL : D’après ce que j’ai compris, et M. Gales pourra vous donner davantage

d’informations à ce sujet cet après-midi, non.

M. SANDS : A votre connaissance, le Japon a-t-il effectivement tenu compte des critiques

formulées à l’égard de la proposition de permis pour le programme JARPA II ?

M. MANGEL : Là aussi, d’après ce que j’ai compris, Monsieur le président, non.

M. SANDS : Quelles sont les conséquences d’un examen par les pairs sur les résultats ou le

produit d’un programme mené aux fins de la recherche scientifique ?

49 M. MANGEL : Lorsqu’un chercheur pense avoir fait une découverte, il rédige un article,

bien souvent en ayant à l’esprit la revue dans laquelle il compte le publier. Cet article décrit la

question posée, les méthodes, les résultats, ainsi que les déductions qu’il est possible de faire sur le

monde qui nous entoure, et l’examen par les pairs évalue chaque étape de ce raisonnement. La

question est-elle une question qui mérite d’être posée ? Les résultats sont-ils appropriés ? Les

méthodes sont-elles appropriées ? Les résultats sont-ils cohérents, compte tenu de la méthode et de

la question, et les déductions que formule l’auteur, ou le groupe d’auteurs, sur le monde

environnant cadrent-elles avec les résultats obtenus ?

M. SANDS : Combien d’articles publiés dans des revues à comité de lecture ont été rédigés

d’après les résultats ou le produit de la recherche menée dans le cadre du programme JARPA II ?

M. MANGEL : A ce jour, il existe deux articles publiés dans des revues à comité de lecture à

partir du programme JARPA II.

M. SANDS : Ces articles ont-ils trait à la conservation et à la gestion des baleines ? - 42 -

M. MANGEL : Aucun de ces articles ne porte sur les objectifs annoncés du programme

JARPA II ; l’un porte sur la morphologie cardiaque et l’autre sur des tissus reproducteurs prélevés

sur des baleines.

M. SANDS : Je comprends, d’après les deux dernières réponses que vous venez de donner,

qu’à votre avis, aucun article publié dans une revue à comité de lecture rédigé d’après les résultats

du programme JARPA II ne porte sur la conservation et la gestion des baleines.

M. MANGEL : C’est mon opinion, effectivement.

M. SANDS : A votre avis, cela représente-t-il un nombre de publications adéquat pour un

programme mené à des fins de recherche scientifique depuis plus de sept ans ?

M. MANGEL : Il s’agit là d’un nombre extrêmement faible d’articles publiés dans des

revues à comité de lecture sur une période aussi prolongée.

50 M. SANDS : Quelques questions, maintenant, en guise de conclusion. Pensez-vous, compte

tenu de l’ensemble des documents que vous avez passés en revue, que JARPA II soit un

programme mené à des fins de recherche scientifique ?

M. MANGEL : Selon moi, et je l’ai dit dans mon rapport, JARPA II permet de recueillir une

grande quantité de données, mais il ne s’agit pas d’un programme mené à des fins de recherche

scientifique.

M. SANDS : Pensez-vous que l’opinion que vous venez d’exprimer serait globalement

partagée par les scientifiques indépendants de l’industrie baleinière ?

M. MANGEL : Je pense que tout autre scientifique qui posséderait l’expérience qui est la

mienne et qui aurait évalué JARPA II aussi scrupuleusement que je l’ai fait aboutirait à la même

conclusion.

M. SANDS : Vous avez fait état de votre expérience de conseil auprès d’organismes

finançant des programmes de recherche scientifique en Amérique du Nord, en Europe et ailleurs. - 43 -

A la lumière de cette expérience, vous attendriez-vous à voir de tels organismes disposés à apporter

un quelconque soutien financier à JARPA II en tant que programme mené à des fins de recherche

scientifique ?

M. MANGEL : Non, je ne conçois pas que l’un quelconque des organismes de financement

que je connais accepte de financer JARPA II, tel qu’initialement formulé, ou en tout cas une fois

revu.

M. SANDS : Je vous remercie, Monsieur Mangel. Monsieur le président, je n’ai plus de

questions.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Sands. Je crois comprendre que c’est

Monsieur Lowe qui procédera au contre-interrogatoire, mais nous marquerons d’abord une brève

pause. La séance sera suspendue pendant une dizaine de minutes, et j’invite Monsieur Mangel à

profiter de ce temps pour se détendre et, surtout, à éviter de se mêler aux discussions qui pourraient

avoir lieu.

M. MANGEL : Merci de ce répit, Monsieur le président.

Le PRESIDENT : Je vous remercie. L’audience est suspendue.

L’audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 45.

51 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir, pour la suite de l’audience. J’invite

Monsieur Mangel à prendre place au pupitre, et le professeur Lowe à entamer son

contre-interrogatoire.

M. LOWE : [Microphone éteint.]

Le PRESIDENT : Je crois que nous avons un problème technique, le microphone ne marche

pas. - 44 -

M. LOWE : Pour que les interprètes n’aillent pas penser que je manque de savoir-vivre, je

répéterai donc que c’est un privilège pour moi que de me présenter devant vous, et un honneur que

de m’être vu confier cette partie de la plaidoirie du Japon.

Monsieur le président, il était entendu qu’une séance serait allouée à l’audition de chaque

témoin ; or, si nous nous en tenons au programme que vous avez mentionné avant la suspension

d’audience, nous ne finirons pas en temps voulu.

Le PRESIDENT : Puis-je vous interrompre, Monsieur Lowe ? J’avais songé que nous

poursuivrions la présente audience jusqu’à 13 h 10 ; ainsi, vous disposerez des 60 minutes qui vous

ont été imparties et l’Australie, d’une demi-heure pour procéder, au besoin, à un interrogatoire

complémentaire. Nous terminerons la séance à 13 h 10, et les juges qui souhaiteraient poser des

questions le feront en début d’après-midi.

M. LOWE : Je vous en suis reconnaissant, Monsieur le président. Merci beaucoup.

Le PRESIDENT : Vous disposez donc de 60 minutes. Je vous en prie.

M. LOWE : Je vous remercie. Monsieur Mangel, je m’appelle Vaughn Lowe, et je suis l’un

des conseils du Japon en la présente espèce. Je voudrais commencer par vous remercier des

rapports que vous avez soumis, et de votre présence à la barre ce matin. Je voudrais aussi préciser

que l’objectif de ce contre-interrogatoire est de clarifier votre déposition, et non de nous livrer à un

débat. La présentation des arguments du Japon interviendra ultérieurement.

Nous avons fourni à l’Australie un exemplaire de la critique que Mme Zeh a faite de votre

rapport, pour que vous soyez en mesure de vous préparer aux observations qui pourraient vous être

soumises. Vous a-t-il été transmis ?

52 M. MANGEL : Monsieur le président, on me l’a transmis, mais en me précisant que je

devais le considérer comme un simple commentaire. J’en ai donc pris connaissance, mais je n’en

ai pas fait une lecture aussi détaillée que celle que j’ai consacrée à l’exposé de M. Walløe.

M. LOWE : En effet, il s’agissait simplement de vous donner une idée des questions que

nous pourrions soulever. - 45 -

La première que je voudrais vous poser est la suivante et elle renvoie à une question à

laquelle vous avez déjà répondu. L’Australie, vous vous en souviendrez, vous a prié d’exposer les

caractéristiques essentielles d’un programme mené à des fins de recherche scientifique. Mais, dans

vos rapports, dans chacun d’entre eux, vous faites référence à des «programmes menés à des fins de

recherche scientifique dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines». Pourquoi

avez-vous ajouté cette précision à la question qui vous était posée ?

M. MANGEL : Monsieur le président, puis-je vous prier de vous reporter à un document qui

figure dans vos dossiers de plaidoiries ? Sous l’onglet n °1, tout à la fin, page 387

l’avant-dernière page , vous voyez le numéro de page tout en bas, vous trouverez le mandat

qui m’a été confié. Vous pourrez constater qu’il m’a été demandé de traiter deux questions, la

première consistant à «identifier et présenter de façon générale les caractéristiques essentielles d’un

programme mené à des fins de recherche scientifique». Telle était donc ma première tâche, la

seconde consistant essentiellement à évaluer JARPA II, au besoin en me référant à JARPA, en tant

que programmes menés à des fins de recherche scientifique, compte tenu des conclusions

auxquelles je serais parvenu dans la première partie. Puisqu’il était question de JARPA et de

JARPA II, j’ai utilisé la formulation «dans le cadre de la conservation et de la gestion des

baleines», en référence à la littérature de la CBI.

M. LOWE : Pensez-vous qu’il y ait une différence de sens entre l’expression «à des fins de

recherche scientifique», d’une part, et la formule «à des fins de recherche scientifique dans le cadre

de la conservation et de la gestion des baleines» ?

M. MANGEL : Il y a assurément une différence de sens. Toutefois, si l’on s’intéresse aux

critères actuels, ou plus exactement, aux plus récents critères datant de 2009 définis par le

comité scientifique de la CBI en ce qui concerne les permis spéciaux, il est expressément question

du cadre de la conservation et de la gestion des baleines.

M. LOWE : L’Australie utilise maintenant une autre formule, faisant référence à la
53

conservation et à la reconstitution des peuplements baleiniers ou des populations de baleines. Là - 46 -

encore, voyez-vous là une différence par rapport à la conservation et la gestion des baleines ou aux

fins de recherche scientifique tout court, dans la formulation, ou dans l’idée ?

M. MANGEL : Je pense que cette phraséologie a été employée hier matin dans certaines des

plaidoiries. Certaines populations de baleines sont encore loin, très loin de s’être «reconstituées»,

quoi qu’on entende par là. D’autres en sont moins loin et, en conséquence, selon le type de

recherche que l’on fait, l’on pourrait envisager ce type de formulation.

M. LOWE : Lorsque vous avez rédigé votre rapport, vous êtes-vous demandé si la différence

entre l’expression «à des fins de recherche scientifique» et la formule «à des fins de recherche

scientifique dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines» pouvait avoir des

répercussions sur la manière dont vous formuleriez votre point de vue ?

M. MANGEL : Comme je l’ai déjà dit, ce que j’ai tenté de faire dans mon rapport, c’est,

d’abord, de livrer une analyse générale de ce que l’on entend par un programme mené à des fins de

recherche scientifique et, ensuite, en faisant référence à la littérature de la CBI, aux activités de la

commission et aux travaux du comité scientifique, de tenter de rendre en quelque sorte cette

analyse plus exploitable dans le contexte de la conservation et de la gestion des baleines. Il

s’agissait, essentiellement, de vous aider à mieux cerner ce que j’essayais de dire.

M. LOWE : La préparation de votre rapport a-t-elle été influencée par le fait que la référence

à l’objectif de recherche scientifique qui nous occupe ici apparaît dans un texte juridique ?

M. MANGEL : Non. Je suis parti du mandat qui m’avait été confié.

M. LOWE : Donc, si je comprends bien, on ne vous a pas demandé de traiter et vous

n’avez pas traité la question de savoir si l’expression revêtait une signification particulière

compte tenu du fait qu’elle apparaît dans un texte juridique et dans ce contexte particulier vous

avez abordé la question telle que formulée dans votre mandat. Est-ce exact ?

54 M. MANGEL : Je dois vous avouer que, il y a trois ans et demi, j’étais un parfait béotien en

matière de droit international et, quoique j’aie acquis certaines connaissances à cet égard au cours - 47 -

de la préparation de mes documents, je n’avais certainement pas à l’esprit l’interprétation juridique

de ce que je m’efforçais de vous soumettre en ma qualité de scientifique.

M. LOWE : Je vous remercie. Le préambule de la convention de 1946 précise que celle-ci a

été conclue pour «assurer la conservation appropriée des peuplements baleiniers et … ainsi donner

à l’industrie baleinière la possibilité de se développer d’une manière méthodique». Pensez-vous

qu’il s’agit là encore d’une nouvelle formule différente de celle relative aux fins de conservation

et de reconstitution, aux fins de conservation et de gestion, ou pensez-vous que ces différentes

manières d’exprimer les choses reviennent strictement au même ?

M. MANGEL : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ce n’est pas que

je cherche à esquiver la question, mais je ne suis ni historien ni juriste. Un historien de Princeton a

récemment écrit un excellent ouvrage sur l’histoire de la CBI. Quant à moi, il ne m’a pas été

demandé de me pencher sur l’histoire de cette institution ou de son comité scientifique, et je préfère

donc dire que la question ne relève pas de mon domaine de compétence.

M. LOWE : Et vous êtes parfaitement en droit de le faire. Je vous remercie. J’aimerais

maintenant passer à ce que l’on pourrait appeler les bases factuelles de votre rapport d’expert.

Avez-vous jamais été membre d’une délégation nationale auprès de la CBI ou de l’un quelconque

de ses organes subsidiaires ?

M. MANGEL : Je n’ai pas été membre de la délégation des Etats-Unis auprès de la CBI ou

de l’un quelconque de ses organes subsidiaires, mais j’ai été membre de la délégation américaine

auprès du comité scientifique pour la conservation de la faune et de la flore marines de

l’Antarctique.

M. LOWE : Pour en rester à la commission baleinière internationale, avez-vous déjà assisté à

des réunions de son comité scientifique ?

M. MANGEL : Je n’ai jamais assisté à une réunion de la CBI, bien que, comme je l’ai déjà

mentionné, j’aie été membre du comité des conseillers scientifiques de la commission des - 48 -

Etats-Unis sur les mammifères marins. J’ai, pour cette raison, été amené à me familiariser avec les

activités scientifiques relatives aux baleines dans les eaux territoriales des Etats-Unis.

55 M. LOWE : Avez-vous collaboré avec les scientifiques japonais qui mènent plus

spécifiquement des recherches dans le domaine de la gestion et de l’évaluation des peuplements

baleiniers ?

M. MANGEL : Non.

M. LOWE : Vous faites référence, à l’annexe C de votre premier rapport, à des documents

de référence fournis par le Gouvernement australien, notamment à une série de documents de la

CBI dont «des extraits pertinents des rapports annuels de la commission et du comité scientifique

entre 1985 et 2009, parmi lesquels les débats sur la chasse au titre d’un permis spécial et sur la

RMP». Pouvez-vous me dire qui a sélectionné ces extraits ?

M. MANGEL : Ces extraits ont été choisis d’abord par plusieurs collègues australiens qui

ont j’imagine consulté des scientifiques de leur pays pour savoir quels seraient les documents

qui me seraient le plus utiles, puis par moi-même : à mesure que je prenais connaissance de ces

documents, je demandais à ce que m’en soient envoyés d’autres, dont je pensais qu’ils pourraient

se révéler instructifs.

M. LOWE : Je vous remercie. Dans votre premier rapport, Monsieur Mangel, vous avez

écrit que «[l]e personnel des programmes JARPA et JARPA II n’a[vait] pas démontré sa capacité à

répondre aux critiques ou à reconnaître ses erreurs». Et vous avez encore affirmé que «[l]es

scientifiques participant aux programmes JARPA et JARPA II a[vaient] montré qu’ils n’étaient pas

du tout disposés à changer d’avis, en particulier pour ce qui [était] de la nécessité affirmée d’avoir

recours à la prise létale». Indépendamment de la prise létale, sur laquelle je reviendrai dans

quelques minutes, à quoi songiez-vous en écrivant cela ?

M. MANGEL : De manière générale, c’est aux prises létales que je songeais. - 49 -

M. LOWE : Et qui sont les scientifiques japonais qui se sont montrés si peu disposés à

changer d’avis ?

M. MANGEL : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je n’ai pas ces

informations sous la main. Je pourrais vous les communiquer d’ici demain matin, si vous le

souhaitez. Le premier nom qui me vienne à l’esprit est celui de M. Ohsumi qui, à de nombreuses

reprises et sauf erreur de ma part, s’est contenté d’affirmer que les prises létales étaient nécessaires.

56 Mais même de cela, je ne suis pas tout à fait certain. Toutefois, si vous m’accordez un jour, je

pourrais vous répondre.

M. LOWE : Considérez-vous que tout scientifique japonais est réticent à changer d’avis ?

M. MANGEL : Non, bien sûr que non.

M. LOWE : Vous écrivez, toujours dans votre premier rapport, que le personnel du

programme JARPA II est déconnecté de la communauté scientifique, prompte à s’auto-corriger, et

n’a pas démontré sa capacité à réviser ou à corriger ses travaux ou ses méthodes. Là encore,

avez-vous à l’esprit des exemples spécifiques ?

M. MANGEL : Je pense que la meilleure illustration en est le fait que le

programme JARPA II a été mis en œuvre avant que JARPA n’ait fait l’objet d’une évaluation

scientifique en bonne et due forme. Or, si JARPA avait posé des problèmes, une telle évaluation

aurait permis de revenir sur certains aspects avant de lancer JARPA II, chose impossible dès lors

que le deuxième programme prenait directement le relais, sans solution de continuité.

M. LOWE : Je vous remercie. Permettez-moi de passer maintenant aux thématiques que

vous développez dans vos rapports. Au paragraphe 1.2. de votre deuxième rapport, vous écrivez

que le comité scientifique n’a jamais donné de définition de la «recherche scientifique». D’autres

organes internationaux spécialisés dans la recherche marine ont-ils défini la «recherche

scientifique» ou la «recherche scientifique dans le cadre de la conservation et de la gestion des

baleines» ? - 50 -

M. MANGEL : Encore une fois, je ne veux pas donner l’impression de tenter de me

soustraire à une question, mais il ne m’a pas été demandé de m’intéresser à l’ensemble des

organismes internationaux à vocation scientifique, ni de chercher à savoir s’ils ont on non défini la

notion de «science». Je suis donc dans l’incapacité de vous répondre.

M. LOWE : J’espère que vous ne trouverez pas le procédé déloyal, mais je vais vous donner

lecture de deux ou trois définitions de la «recherche scientifique», et même, plus précisément, de la

recherche scientifique marine, avancées par des Etats lors de la conférence des Nations Unies sur le

57 droit de la mer, et je ne vous demanderai pas de les commenter, simplement d’écouter. La Trinité,

par exemple, a affirmé que «la recherche scientifique marine recouvr[ait] toutes études ou

recherches sur le milieu marin et expériences s’y rapportant» [traduction du Greffe]. Et le

Canada : «la recherche scientifique marine désigne toute recherche, qu’elle soit fondamentale ou

appliquée, destinée à accroître la connaissance du milieu marin, y compris l’ensemble de ses

ressources et organismes vivants, et englobe toute activité scientifique connexe» [traduction du

Greffe]. Ma question est la suivante : ces définitions m’apparaissent, à moi, différentes, en

substance, de celle que vous avez formulée sur la base de vos quatre principes. Me le

concéderiez-vous ?

M. MANGEL : Puis-je demander une précision ? Mais je ne sais vers qui me tourner, je

m’adresserai à M. Lowe pour lui poser ma question.

Pouvez-vous répéter la source de ces définitions : une conférence des Nations Unies ?

M. LOWE : Il s’agit de propositions de définition de la «recherche scientifique marine»

avancées par les Etats dans le cadre de la conférence des Nations Unies sur le droit de la mer

de 1982. Mon propos n’a rien à voir avec le fait qu’il s’agissait de propositions soumises dans ce

cadre, je m’intéresse simplement à la manière dont cette question de définition était abordée.

M. MANGEL : Je pense qu’il y a ici deux différences. La première est qu’il s’agissait d’une

conférence des Nations Unies sur le droit de la mer qui, là encore, n’est pas une conférence

scientifique, et la seconde est qu’aucune de ces définitions ne précise les modalités effectives de - 51 -

conduite d’un programme à des fins de recherche scientifique. Elles se situent à un niveau bien

plus élevé, plus général et conceptuel.

M. LOWE : Je vous remercie. Pouvons-nous nous pencher maintenant plus précisément sur

les critères que vous avez énoncés et, en premier lieu, sur la nécessité, que vous affirmez, de fonder

une recherche scientifique sur une hypothèse initiale il s’agit pour moi de m’assurer que je vous

comprends bien. Pour vous, une hypothèse initiale pourrait-elle être une question ?

M. MANGEL : Oui.

58 M. LOWE : On peut donc se trouver en présence d’un ensemble de phénomènes à analyser

sans hypothèse claire sur leur origine, mais avec une intuition scientifique sur le type de données

qui pourraient être collectées et les éclairer. Est-ce exact ?

M. MANGEL : Pour qu’une telle recherche ne se résume pas, pour celui qui la mène, à aller

sur place et voir ce qui s’y trouve, elle doit être axée sur une problématique et s’inscrire dans un

cadre permettant effectivement d’utiliser cette problématique pour apporter des réponses.

M. LOWE : Eh bien, prenons la problématique suivante : «comment la biodiversité de

l’Antarctique a-t-elle évolué en réponse aux modifications de l’environnement et quels

enseignements peut-on en tirer sur la capacité de répondre à des modifications futures» ? Cela

vous semble-t-il être un objectif acceptable ?

M. MANGEL : C’est ce que j’ai appelé, dans mon rapport, un cadre conceptuel général. Le

cadre conceptuel consiste à comprendre de quelle manière les modifications de l’environnement

ont affecté différentes composantes de l’Antarctique. L’on utiliserait ensuite ce cadre conceptuel

pour définir des hypothèses spécifiques vérifiables.

M. LOWE : C’est ce que vous qualifieriez de projet de recherche scientifique dûment

défini ? - 52 -

M. MANGEL : C’est ce que je qualifierais, comme je l’ai dit, de cadre conceptuel général

dûment défini. Dans un certain sens, nous nous situons là à un niveau trop élevé pour pouvoir

l’utiliser en vue d’obtenir des résultats spécifiques.

M. LOWE : Je ne vous tairai rien, il s’agit là du titre d’un projet de recherche approuvé par

le comité scientifique pour les recherches en Antarctique. C’est là que je l’ai trouvé, et je m’en sers

pour en venir à la question précise que vous soulevez celle de savoir quel type de formulation

permet de satisfaire à votre condition sur la nécessaire existence d’un cadre conceptuel devant

guider la recherche.

M. MANGEL : Est-ce là une question ?

M. LOWE : Non, c’est une affirmation. Si vous souhaitez la traiter comme une question,

vous le pouvez. Sinon, je vais la reformuler sous une forme interrogative votre réponse

59 m’intéresse beaucoup : diriez-vous que cette formulation satisfait au critère relatif à l’objectif je

sais que vous avez formulé d’autres critères, mais en termes d’objectif, est-ce que cette formulation

serait suffisante ?

M. MANGEL : Je crois qu’il est très difficile de répondre à cette question à partir du simple

titre d’une proposition. Le fait est que je pourrais retenir et que j’ai moi-même rédigé des

propositions écrites dotées de titres aussi généraux, mais ce que l’on cherche alors à faire, c’est à

dégager des questions spécifiques de ce cadre général, et c’est ce que je juge nécessaire aux fins de

satisfaire au critère.

M. LOWE : Je vous remercie. Donc il s’agit là d’un de ces cas où les points de vue

pourraient diverger quant à la validité de la formulation, mais, vous, vous vous demanderiez ce que

cherche par ailleurs à réaliser le projet ?

M. MANGEL : Je crois que si quelqu’un soumettait une telle proposition aux organes de

financement que je connais, à ce niveau de généralité sans entrer davantage dans le détail dans

le reste de la proposition il aurait peu de chances d’obtenir un financement, par exemple. - 53 -

M. LOWE : Puis-je poser ma question en termes plus généraux ? S’agissant des quatre

critères définissant selon vous un projet de recherche scientifique, y a-t-il des cas limites, à propos

desquels certains scientifiques pourraient considérer qu’un projet donné remplit ces critères, et

d’autres qu’il ne les remplit pas ?

M. MANGEL : Une fois de plus, je ne connais pas bien le domaine du droit, mais comme

vous le savez, les universités comptent plusieurs départements scientifiques. Donc j’aurais

tendance à vous répondre : oui, sans aucun doute. Les physiciens examineront les travaux de

biologie et d’écologie, et diront qu’il ne s’agit pas là de travaux scientifiques. Les biologistes

moléculaires, souvent, examineront des travaux relevant de l’écologie, et leur dénieront tout

caractère scientifique. Au sein même de cette dernière discipline, il pourra y avoir des dissensions

sur la question de savoir si une proposition est dûment formulée, et c’est précisément là où

interviennent les évaluations, par des experts indépendants, non impliqués dans les travaux en

question.

M. LOWE : A ce propos, justement, puis-je vous demander quelle est la particularité du

comité scientifique qui le rend, de même que les scientifiques qui y siègent, incapable d’assumer

cette fonction d’examen par les pairs ?

60 M. MANGEL : Le comité scientifique n’est pas un organisme censé procéder à des

évaluations par les pairs de la nature de celles que je vous ai décrites. Au sein du comité

scientifique, et sauf erreur de ma part M. Gales pourra vous apporter les précisions nécessaires

cet après-midi , l’évaluation n’est pas anonyme condition qui me semble essentielle à un

examen par les pairs et il n’est pas requis d’y réagir. L’on peut présenter un projet à un

organisme et se voir, au terme d’un tel examen, indiquer qu’il ne sera retenu qu’à la condition d’y

apporter tels ou tels changements, ou l’on peut soumettre un article à une revue qui le rejettera ou

dont le comité de lecture indiquera qu’il ne pourra être publié que sous réserve de certaines

modifications ; dans ce type d’examen par les pairs, il ne s’agit pas simplement de prendre la parole

pour dire : «je pense que vous devriez faire ceci ou cela» ni, pour les auteurs du projet ou de

l’article, simplement d’en prendre acte. - 54 -

M. LOWE : Je vous remercie. Cessons à présent, si vous le voulez bien, de nous intéresser à

ce que recouvre la science en général pour nous focaliser sur le programme JARPA II. Selon vous,

les agents japonais de JARPA II travaillent-ils en l’absence de cadre conceptuel ?

M. MANGEL : C’est ce que je pense, oui. C’est exact.

M. LOWE : Et sur quoi vous fondez-vous pour l’affirmer ?

M. MANGEL : J’ai examiné à maintes reprises la proposition JARPA II. Je l’ai lue, j’ai

recherché des questions suffisamment larges qui puissent, disons, correspondre au type de cadre

conceptuel que le professeur Lowe et moi-même venons d’évoquer, ainsi que des hypothèses

spécifiques. Je n’ai trouvé aucun des deux.

M. LOWE : Loin de moi l’idée et d’ailleurs il ne me serait pas permis de vous prêter

tel ou tel propos, mais il me semble que vous soutenez que les documents ne révèlent l’existence

d’aucun cadre conceptuel général et que vous en déduisez que les scientifiques n’en ont pas établi.

Est-ce exact ?

M. MANGEL : Puisque mes conclusions sont fondées sur mes lectures, oui, c’est exact. Une

fois de plus, M. Gales a eu affaire aux intéressés pendant de nombreuses années, et il pourra vous

en rendre compte cet après-midi.

61 M. LOWE : Je vous remercie. Vous dites dans votre premier rapport, et vous l’avez répété

ce matin, que la seule hypothèse clairement identifiable de JARPA II est l’hypothèse de l’excédent

de krill. Mais en réalité, et je crois que Mme Zeh l’a relevé, la proposition JARPA II énonce

expressément huit autres hypothèses, et compte neuf propositions, chacune intitulée «Hypothèse X

ou Y». Pourquoi ne les considérez-vous pas comme des hypothèses ?

M. MANGEL : Je considère qu’il s’agit essentiellement de sous-hypothèses, ou

d’hypothèses découlant de la théorie de l’excédent de krill ; de fait, elles figurent toutes dans un

appendice dont le titre renvoie aux prédateurs du krill, et elles sont toutes associées à telle ou telle

version de cette théorie. - 55 -

M. LOWE : Pouvons-nous aborder brièvement la question des prises létales, sur lesquelles

nous reviendrons cet après-midi ? Là encore, Mme Zeh affirme ne pas avoir connaissance d’une

condition générale, dans la pratique scientifique établie, qui voudrait que les méthodes létales ne se

justifient que lorsque les objectifs de recherche ne peuvent être atteints par des méthodes non

létales et, ce matin, je vous ai entendu dire que l’élément déterminant était la question de savoir si

la recherche létale constituait la meilleure manière de répondre à une question donnée. Est-ce bien

votre avis ?

M. MANGEL : Si une méthode non létale peut être employée, je pense qu’il faut la

privilégier ; en revanche, s’il n’en existe pas, et s’il n’y a pas moyen de répondre à une question qui

se pose véritablement sans recours à de telles prises, je considérerai celles-ci justifiées.

Le PRESIDENT : Je veux juste vous rappeler la position de la Cour, à savoir que les

déclarations de Mme Zeh sont acceptées comme exprimant les vues du Gouvernement du Japon, et

non comme exposé d’expert.

M. LOWE : J’accepte ce rappel à l’ordre avec humilité, et je vous prie de m’excuser d’avoir

soulevé ce point. J’en viens maintenant à la question des limites de capture, si vous me le

permettez. Dans votre bibliographie, vous indiquez que plusieurs documents de la CBI vous ont

été fournis, mais le plus récent dans cette bibliographie date de 2009. Avez-vous étudié des

documents publiés après 2009 ?

62 M. MANGEL : Oui, j’ai lu des documents publiés après 2009, dans le cadre de la

préparation de mon rapport complémentaire et de ma réponse au rapport de M. Walløe ainsi que,

dans leur version provisoire, certains des travaux les plus récents du comité scientifique.

M. LOWE : Avez-vous examiné en particulier l’analyse des données de capture par âge

effectuée par M. Punt et ses collègues, telle qu’elle a été publiée cette année, ou du moins telle

qu’elle a été présentée au comité scientifique de la CBI cette année ?

M. MANGEL : Monsieur le président, M. Lowe, je me trouve dans une situation quelque

peu délicate. Ces travaux sont en cours depuis 2005 et je les ai suivis depuis le début, mais il est - 56 -

expressément précisé sur chacun des documents rédigés par M. Punt et ses collègues que son

contenu «ne peut être cité hors du cadre des réunions de la CBI». Je demande donc votre avis sur

la mesure dans laquelle je peux me permettre de commenter ce document.

M. LOWE : Monsieur le président, vous répondrez à cette question, mais il peut être utile

d’indiquer que nous nous sommes entretenus hier avec les personnes qui, d’après nos informations,

détiennent les droits sur ce document et elles ne voient aucune objection à ce que ce sujet soit

abordé au cours des présentes audiences. L’information m’a été confirmée.

Le PRESIDENT : Je me permets de demander au conseil de l’Australie de nous dire ce

qu’en pense l’Australie.

M. CAMPBELL : Monsieur le président, nous ne nous y attendions pas du tout. Nous ne

sommes pas au courant de ces travaux, nous n’en avons pas été informés au préalable et nous

soulevons la question de savoir s’il est approprié ou non, dans ces circonstances, de poursuivre.

M. LOWE : Laissez-moi préciser, Monsieur le président, que je n’ai posé aucune question

sur le contenu de ce document, ni même effleuré la teneur de ces travaux. Je vous ai simplement

demandé, Monsieur Mangel, si vous étiez au courant de l’existence de ce rapport, qui est un

exemple de document non répertorié dans la liste que vous avez dressée. Cela dit, je suis tout

disposé à renoncer à cette question et à passer à une autre.

Laissez-moi poser encore une ou deux questions pour terminer. Le rapport du comité

scientifique de juin 2012 fait état d’un accord sur des estimations révisées de l’abondance des petits

rorquals. Dans la zone couverte par le programme JARPA II, les nouvelles estimations les plus

63 basses se situent autour de 330 000 petits rorquals. L’objectif de 850 captures annuelles représente

donc 0,3 pour cent de l’estimation basse de cette population de baleines. Affirmez-vous que le

niveau de capture de petits rorquals prévu par le programme JARPA II risque de mettre

sérieusement en péril la population des petits rorquals de l’Antarctique ?

M. MANGEL : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en l’occurrence,

il ne m’a pas été demandé de procéder à une évaluation des stocks, qui est le terme scientifique - 57 -

pour désigner l’évaluation de la répartition et de la santé d’une population par rapport à ses niveaux

de capture. Autant que je puisse en déduire de la lecture des publications, ces captures très limitées

de baleines ne mettront pas du tout en danger cette population. Toutefois, je considère que là n’est

pas la question.

M. LOWE : Monsieur Mangel, je ne souhaite en aucun cas vous faire sortir du cadre de votre

rapport. Merci beaucoup pour vos réponses. Je n’ai pas d’autres questions.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Lowe. Monsieur Sands, souhaitez-vous

procéder à un interrogatoire complémentaire ?

M. SANDS : Je vous remercie, Monsieur le président. Cela signifie donc que nous allons

déjeuner plus tôt ou que Mesdames et Messieurs de la Cour vont pouvoir poser leurs questions.

Pour notre part, nous n’avons plus de questions.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup. Il me semble que le juge Bennouna souhaiterait poser

une question. Judge Bennouna, you have the floor. Veuillez donner un casque à M. Mangel, car je

pense que la question va être posée en français.

Juge BENNOUNA : Je vous remercie. Monsieur Mangel, je vais poser ma question en

anglais. Je vous prie de m’excuser si jamais je commets quelques impropriétés. Vous nous avez

décrit ce matin le processus de recherche scientifique comme un processus débutant par l’adoption

de ce que vous appelez l’hypothèse spécifique, suivie par la formulation de questions spécifiques

auxquelles il convient de répondre. Pouvez-vous dire à la Cour, en votre qualité qu’expert,

comment l’on établit cette hypothèse spécifique pour commencer la recherche scientifique ? Plus

particulièrement, ce qui m’intéresse à titre personnel est de savoir si le chercheur a besoin de

matériaux, de données, même préliminaires, pour formuler cette hypothèse. Merci beaucoup.

Le PRESIDENT : Vous avez la parole, Monsieur Mangel.
64

M. MANGEL : La formulation d’hypothèses, et je vais en revenir à Richard Feynman que

j’ai cité précédemment, est l’une des meilleures parts de la science, car c’est là que nous mobilisons - 58 -

notre intellect et faisons travailler nos cerveaux de la façon la plus formidable qui soit. On doit

bien évidemment commencer par quelques observations du monde environnant afin de poser, de

commencer à formuler, la question. La source de ces observations et la façon dont nous les

exploitons dépendent des systèmes naturels et de la question que nous cherchons à formuler. Je

suppose que vous vous intéressez à cette question dans le contexte du programme JARPA II, et du

programme JARPA bien sûr, et l’on pourrait dire que, à un moment ou à un autre, il est

éventuellement nécessaire de recourir à la capture létale. Mais cela dure depuis 25 ans sans aboutir

à la formulation de la moindre hypothèse clairement identifiée. Et je pourrais ajouter un point, qui

concerne l’exposé de M. Walløe : nous sommes lui et moi en désaccord sur ce que l’on appelle

«l’analyse exploratoire de données» qui permettrait, d’après lui, d’aboutir à des hypothèses à partir

de données collectées de façon plus ou moins aléatoire. Il soutient qu’une pause entre les

programmes JARPA et JARPA II aurait pu être le moment idéal pour avoir recours et procéder à

une analyse exploratoire de données afin d’observer quelles hypothèses en émergeraient. Donc

oui, occasionnellement, il peut être nécessaire d’avoir recours à des données létales pour établir une

telle hypothèse.

Juge BENNOUNA : Merci beaucoup.

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Le prochain juge qui souhaite poser une question est le

juge Cançado Trindade. Vous avez la parole.

Juge CANÇADO TRINDADE : Merci beaucoup, Monsieur le président. Monsieur Mangel,

dans votre rapport d’expert initial, il est dit qu’il ne faut recourir aux méthodes létales que lorsque

les objectifs de la recherche scientifique ne peuvent être atteints par aucun autre moyen. A ce sujet,

j’ai cinq questions, qui sont intimement liées. Je vais commencer par les énoncer toutes et, si vous

le souhaitez, j’y reviendrai une à une.

Premièrement, les méthodes létales sont-elles absolument nécessaires à ce type de

recherche ?

Deuxièmement, les techniques de recherche non létales dans le cadre de la conservation et de

la gestion des baleines sont-elles à la disposition de l’ensemble des Etats concernés, c’est-à-dire des - 59 -

Etats parties à la convention internationale pour la règlementation de la chasse à la baleine

de 1946 ?

Troisièmement, ces techniques non létales peuvent-elles remplacer intégralement les

méthodes létales ?

65 Quatrièmement, qui définit, ou doit définir, les objectifs de la recherche scientifique ?

Et cinquièmement, pourriez-vous citer des exemples d’outils non létaux (vous avez déjà

mentionné le marquage et le suivi par satellite) qui ont déjà été utilisés de fait dans le cadre de

l’étude des peuplements baleiniers. Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Peut-être pouvons-nous procéder question par question.

Juge CANÇADO TRINDADE : Avec plaisir. Donc, premièrement : les méthodes létales

sont-elles absolument nécessaires à la recherche scientifique ?

M. MANGEL : Comme je l’ai dit précédemment, dans certains cas, les méthodes létales sont

nécessaires à la recherche scientifique. Je n’y suis donc pas opposé, si telle est votre question.

Juge CANÇADO TRINDADE : Oui. Et, à ce propos, les techniques de recherche non

létales dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines sont-elles à la disposition de

l’ensemble des Etats parties à la convention de 1946 ?

M. MANGEL : A ma connaissance, oui.

Juge CANÇADO TRINDADE : Elles sont à leur disposition ?

M. MANGEL : Oui.

Juge CANÇADO TRINDADE : Je vous remercie. Troisièmement, est-il possible qu’avec le

temps, ces techniques non létales remplacent intégralement les méthodes létales ?

M. MANGEL : Nous en revenons à la question qui est au centre de la recherche : si, par

exemple, je veux estimer l’âge des baleines, actuellement, la méthode qui permet de calculer l’âge

des baleines nécessite de prélever des bouchons de cérumen, il n’existe donc pas de méthode - 60 -

non létale. Si, par exemple, je veux suivre l’évolution de la taille du foie de différentes baleines

dans le temps, il n’y a pas d’autre solution pour mesurer la taille du foie que de procéder à son

ablation. On en revient donc à la question pertinente posée dès le départ.

Juge CANÇADO TRINDADE : Oui, on en revient à la question de départ. Bien.

Quatrièmement, qui définit, ou doit définir, les objectifs de la recherche scientifique ?

66 M. MANGEL : Comme je l’explique de façon détaillée dans mon rapport d’expert

complémentaire, la science œuvre au développement des connaissances de manière consensuelle.

Il y a une interaction et une tension permanente au sein de la communauté scientifique sur cette

question précise. Comme je l’ai dit tout à l’heure, j’ai reçu des conseils rédactionnels de la part de

l’Australie et, alors que j’avais rédigé des pages et des pages sur la philosophie de la science dans

mon rapport complémentaire, elles ont été réduites à un seul paragraphe. C’est une question

e
importante au XX siècle, et c’est la communauté scientifique, dans son acception la plus large, qui

y répond.

Juge CANÇADO TRINDADE : Oui, les experts indépendants.

M. MANGEL : Oui.

Le PRESIDENT : Et la dernière question.

Juge CANÇADO TRINDADE : Et la cinquième question : pourriez-vous citer des exemples

d’outils non létaux, tels que le marquage et le suivi par satellite que vous avez mentionnés, qui ont

déjà été utilisés de fait dans le cadre de l’étude des peuplements baleiniers ?

M. MANGEL : Si la Cour m’y autorise, je souhaiterais mentionner deux exemples. Un

programme a été mené au début des années 1990. Laissez-moi faire un rapide retour en arrière. Le

marquage, qui est la méthode dont je parlerai avant la biopsie, a commencé à la fin des

années 1800, mais ce n’est qu’à partir du début des années 1990, grâce à la révolution

technologique dont nous profitons tous aujourd’hui avec nos iPhone et nos iPad, etc., qu’il est

devenu possible de poser des balises satellite sur des animaux pour obtenir de nombreuses - 61 -

informations. Au début des années 1990, un programme biennal intitulé «Année de la baleine à

bosse de l’Atlantique Nord» il me semble que le professeur Sands nous a montré hier une photo

d’une baleine à bosse de l’Antarctique a été lancé pour une période de deux ans ; en fait, il s’agit

de biopsie, je vous prie de m’excuser. Ce programme a eu recours à la biopsie pour étudier les

baleines. Il a fait l’objet de 26 articles publiés dans des revues à comité de lecture dans les

cinq premières années et de 71 articles en tout. Après une pause de dix ans, en 2003, un autre

programme a débuté, utilisant le même type de méthodes. Dans la région dans laquelle je vis, sur

la côte ouest de la Californie, il existe un programme appelé «Marquage par balise des prédateurs

du Pacifique» (TOPP en anglais). Lancé en 2000, ce programme prévoit de poser des balises sur

de nombreux types de prédateurs importants : près de 2000 balises ont été posées à ce jour. J’ai

67 indiqué dans ma notice biographique que j’ai été membre du comité spécial sur les phoques pour le

Gouvernement britannique et de l’unité de recherche sur les mammifères marins au Royaume-Uni,

qui procède au marquage par balise satellite des phoques afin de suivre leurs déplacements.

Juge CANÇADO TRINDADE : Je vous remercie, Monsieur Mangel. Je vous remercie,

Monsieur le président.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup. Le prochain juge qui souhaite poser une question est le

juge Greenwood. Vous avez la parole.

Juge GREENWOOD : Je vous remercie. Monsieur Mangel, je voudrais aborder un point

que vous avez soulevé dans votre premier rapport. Au paragraphe 4.30 et aux paragraphes

suivants, vous dites je vais lire le passage en question :

«Le comité scientifique de la CBI a réfléchi pendant plusieurs années au moyen
d’appliquer les concepts généraux présentés dans les paragraphes qui précèdent

[c’est-à-dire, les paragraphes qui précèdent dans votre rapport] à la recherche
scientifique menée dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines. Ses
réflexions les plus récentes sont synthétisées dans le document CBI (2009).»

Votre rapport énumère ensuite les caractéristiques que doivent présenter les projets de recherche au

titre d’un permis spécial. Je voulais simplement vous demander s’il y avait eu des changements,

une évolution dans l’approche de la CBI parce que, évidemment, le document CBI (2009) est - 62 -

postérieur au lancement du programme JARPA II. Cette approche a-t-elle évolué au fil du temps

ou est-elle demeurée relativement constante ?

M. MANGEL : De nouveau, je ne suis pas un expert de l’historique de la CBI, mais je crois

que cette position a effectivement évolué au fil du temps. Je pense donc que votre suggestion selon

laquelle ces critères spécifiques n’existaient pas à l’époque où a été présenté le

programme JARPA II est certainement juste. M. Gales pourra y répondre de façon plus précise,

car il était présent à cette époque. Mais de nouveau, si la réflexion de la communauté scientifique

sur une problématique évolue, on pourrait s’attendre à ce que les scientifiques apportent de

nouvelles réponses.

M. GREENWOOD : Merci beaucoup. Il faudra peut-être que je pose cette question à

M. Gales ; il est possible que je le fasse.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup. Le prochain juge qui souhaite poser des questions est la

juge Donoghue. Vous avez la parole.

Juge DONOGHUE : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur Mangel, je

souhaiterais vous interroger sur deux points, et ma première question concerne une affirmation du

68 professeur Walløe et, si vous avez son exposé sous les yeux, il serait utile que vous vous reportiez à

la page 10. Comme vous le voyez, vers le milieu de cette page, M. Walløe cite un passage du

mémoire de l’Australie dans lequel celle-ci déclare que «l’activité doit être exclusivement motivée

par la volonté de conduire des recherches scientifiques». Dans le paragraphe suivant, M. Walløe

conteste cette affirmation et indique qu’au contraire, il est courant pour un programme de répondre

à plusieurs motivations, en particulier pour les programmes de recherche coûteux. Je voulais vous

demander si vous considériez que le fait qu’un programme réponde à plusieurs motivations revient

à ne définir aucune activité spécifique propre à constituer un objectif scientifique. Je pense, par

exemple, à une situation dans laquelle un scientifique aurait formulé une hypothèse et défini une

taille d’échantillon appropriée, s’inscrirait dans une recherche faisant l’objet d’un examen par les

pairs, n’aurait pas recours à des méthodes létales et ne causerait aucun préjudice aux animaux

sujets de l’étude, mais serait employé par un laboratoire pharmaceutique qui voudrait mener à bien - 63 -

cette recherche pour pouvoir tirer profit de la vente d’un vaccin contre le sida ou d’un produit

équivalent. J’aimerais beaucoup connaître votre réponse à cette question. Je vous remercie.

M. MANGEL : Puis-je donner une réponse courte suivie d’une réponse plus longue ?

Le PRESIDENT : Je vous en prie.

M. MANGEL : La réponse courte est que, bien sûr, il arrive qu’un programme réponde à

plusieurs motivations. La réponse plus longue est que chaque scientifique, chaque universitaire en

fait, a de nombreuses motivations, et je pense que nous devons faire preuve d’honnêteté à cet

égard. Dans certains de mes travaux, mon équipe et moi-même avons dû procéder à un

échantillonnage létal de saumons dans une région de la côte californienne proche d’une zone de

pêche. Nous nous sommes retrouvés avec des carcasses de saumon, et nous avons dû décider de ce

que nous allions en faire. Il était impossible de les vendre, car cela aurait créé une polémique, et

nous avons donc fini par en faire cadeau aux organisateurs d’un barbecue donné au profit de veuves

et d’orphelins. Mais ce genre de problèmes arrive tout le temps, assurément.

Juge DONOGHUE : Je vous remercie. Ma seconde question concerne votre affirmation sur

la nécessité d’une hypothèse. Si je comprends bien, vous affirmez que la simple collecte de

données ne relève pas de la science et que, au contraire, l’existence d’une hypothèse est un élément

essentiel parmi les quatre critères que vous avancez. Je sais par ailleurs qu’au cours des échanges

entre experts, certains points spécifiques ont été remis en question, auxquels vous avez répondu.

69 J’ai néanmoins toujours du mal avec votre affirmation. Il y a une autre question à laquelle je

souhaiterais que vous répondiez et qui concerne le projet de génome humain. Je suppose que vous

n’êtes pas généticien, mais tout comme vous, je suis de nationalité américaine. Vous avez peut-être

entendu parler de ce projet dont l’objectif, si je comprends bien, est d’identifier tous les gènes de

l’ADN humain, puis de stocker ces informations dans des bases de données qui seront finalement

exploitées dans le cadre d’autres projets scientifiques, reposant vraisemblablement sur des

hypothèses. Pour autant que je puisse le dire, dans ce cas, il n’y a pas d’hypothèse, et pourtant j’ai

du mal à voir ce projet autrement que comme un projet scientifique. Je souhaiterais que vous me

disiez comment cette activité s’intègre dans votre analyse. Je vous remercie. - 64 -

M. MANGEL : Je ne suis pas généticien, mais je travaille pour l’université qui a procédé à la

mise à disposition de la partie publique du génome sur Internet, et j’en entends donc beaucoup

parler. Il est vrai que le projet de génome humain collecte de grandes quantités de données et

qu’une part importante d’entre elles feront l’objet d’une analyse exploratoire de données telle que

l’a décrite M. Walløe, mais il est également vrai qu’il existe des hypothèses, même si je n’en ai

aucune sous la main à l’heure qu’il est. Là encore, si la Cour le souhaite, je peux peut-être me les

faire communiquer d’ici deux jours, ce qui permettrait de répondre à cette question ; je pense par

exemple à des hypothèses sur la localisation de gènes qui sont responsables d’une plus grande

vulnérabilité au cancer. Donc je pense qu’il existe bien des hypothèses dans ce cas.

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Le prochain juge qui souhaite vous poser une question

est le juge Keith. Vous avez la parole.

Juge KEITH : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur Mangel, j’ai été fort

intéressé, lorsque j’en suis arrivé à la deuxième ou troisième page de votre rapport initial, par la

référence à l’ouvrage d’Adam Gopnik Angels and Ages et ça n’a absolument aucun rapport avec

tout cela, je pense le livre traite d’un fait intéressant, à savoir que Darwin et Lincoln sont nés le

même jour. Ma question porte en fait sur le sujet très vaste de la formulation des hypothèses, et je

pensais à ce jeune homme qui est monté à bord du Beagle et qui a commencé à amasser des

pierres ; il s’agit d’une variation sur la citation de Poincaré, peut-être. Que sait-on exactement de

ce que Darwin avait en tête lorsqu’il a commencé à collecter tous ces échantillons ? Visiblement, il

a élaboré son hypothèse sur une très longue période et s’inquiétait vers la fin d’avoir un concurrent,

Russell, c’est cela ? Je vois pourtant qu’il s’agit d’un cas complétement différent de celui dont

nous traitons, où l’on peut avoir une idée beaucoup plus précise de ce que l’on essaie de découvrir.

70 Avoir une certitude absolue quant à la question précise à laquelle on cherche à répondre suppose un

esprit libre de toute idée préconçue. Je pose cette question en partie parce je suis un universitaire

de longue date dans un domaine totalement différent, et il m’arrive encore, lorsque je m’emploie à

cette tâche, de ne pas savoir précisément quelle question je me pose. Il s’agit d’un vaste sujet, mais

je serais intéressé d’entendre vos réflexions sur ce point. Je vous remercie. - 65 -

M. MANGEL : Monsieur le président, Monsieur le juge Keith, je vous remercie d’avoir posé

cette question, en particulier la première partie, car dans l’une des versions initiales de mon rapport,

je soulignais que Lincoln et Darwin étaient nés le même jour, mention biffée par mes éminents

correcteurs ; je suis donc ravi que tout le monde soit désormais au courant. Lorsqu’il a pris la mer,

Darwin avait déjà lu l’ouvrage de Lyell et je crois qu’à l’époque, au XIX siècle, on parlait déjà de

transmutation et d’évolution, sans savoir exactement comment cela se déroulait, et Darwin

connaissait bien sûr très bien la sélection artificielle. Au cours de son périple sur le Beagle, il me

semble qu’il a affiné l’hypothèse ou l’ensemble des hypothèses qu’il avait formulées. Lorsqu’il est

rentré au Royaume-Uni, il a commencé à collecter de très nombreuses données à l’appui de sa

thèse et il l’a véritablement consolidée en partant de la sélection artificielle pratiquée sur les

animaux et les plantes pour évoluer vers la sélection naturelle. Je crois donc que la réponse est la

suivante : il avait déjà un cadre de réflexion lorsqu’il a pris la mer.

Juge KEITH : Un cadre qu’il a lentement fait évoluer. Ce n’était pas un cadre rigide mais un

cadre vivant. Oui, merci beaucoup.

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Il me semble que le juge Owada a une question. Je

vous en prie, vous avez la parole.

Juge OWADA : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur Mangel, je souhaiterais

poser une question portant sur le même sujet que celle posée par notre confrère le

juge Cançado Trindade, à savoir la question de la capture létale. Vous avez indiqué, en réponse à

la question du juge Cançado Trindade, qu’il ne fallait recourir à la capture létale qu’en cas

d’absolue nécessité afin d’élucider une question concrète. Ma question est donc la suivante : en

71 laissant de côté pour le moment les considérations éthiques ou sociales, en termes de science pure,

du point de vue d’un scientifique spécialisé sur cette question particulière, qu’est-ce qui vous porte

à penser, quelle est la raison pour laquelle on ne doit pas avoir recours à la capture létale, d’un

point de vue purement scientifique, et ce, afin de mieux comprendre la question qui est en jeu.

Pourriez-vous expliquer pourquoi tel est le cas, du point de vue d’un scientifique, sans tenir compte - 66 -

des facteurs éthiques ou sociaux ou autres qui seraient à prendre en compte dans un cadre plus

général, mais uniquement dans le cadre de votre déposition en tant qu’expert scientifique?

M. MANGEL : Je crois pouvoir répondre à cette question en disant que, lorsque l’on procède

à une capture létale parce que c’est le seul moyen d’obtenir des informations permettant de

répondre à une question pertinente, il faut savoir, et je l’ai mentionné dans mon rapport initial, que

l’on fait le choix de perdre toutes les autres informations qu’aurait pu fournir l’animal par la suite.

Ainsi, dans le cadre de mes propres travaux, lorsque nous effectuons une capture létale, nous

employons le terme de sacrifice : nous sacrifions cet organisme, pas uniquement sa vie, mais

également toutes les informations qu’il aurait pu nous apporter par la suite. Il me semble que c’est

un argument décisif.

Juge OWADA : Je vous remercie.

Le PRESIDENT : S’il n’y a pas d’autres questions, ainsi s’achève l’audience de ce matin. Je

tiens à vous remercier, Monsieur Mangel, d’avoir déposé devant la Cour et d’avoir fourni des

réponses et des explications aux questions qui vous ont été posées.

La Cour se réunira de nouveau cet après-midi à 15 heures pour entendre la suite de la

présentation des arguments de l’Australie. L’audience est levée.

L’audience est levée à 12 h 40.

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