Non corrigé Traduction
Uncorrected Translation
CR 2013/8 (traduction)
CR 2013/8 (translation)
Mercredi 26 juin 2013 à 15 heures
Wednesday 26 June 2013 at 3 p.m. - 2 -
14 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte. Cet après-midi, la Cour
entendra la suite du premier tour de plaidoiries de l’Australie, et j’invite M. Henry Burmester à
prendre la parole. Vous avez la parole, Monsieur.
M. BURMESTER :
APERÇU DES TRAVAUX DE LA CBI
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un privilège de
paraître devant vous encore une fois en tant que représentant de l’Australie, d’autant plus que
j’éprouve une certaine nostalgie au souvenir des autres occasions où je l’ai fait. Je pense
notamment à la première fois où je me suis assis dans cette salle, il y a quelque quarante ans, soit la
dernière fois où l’Australie s’est portée en demande devant la Cour.
2. Au cours de mon exposé, j’entends faire deux choses. En premier lieu, faisant fond sur
l’exposé que vient de présenter Mme Boisson de Chazournes, je souhaite donner quelques
indications sur la façon dont la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la
baleine (la convention de 1946) sous-tend l’activité d’une organisation internationale dynamique, la
commission baleinière internationale (CBI). Le Solicitor-General a déjà donné un aperçu des
principales caractéristiques du régime. Mon objectif est de présenter à la Cour les caractéristiques
principales du régime institutionnel établi par la convention, en montrant comment s’accomplissent
les travaux de la commission et des organes qui lui sont affiliés, en particulier le comité
scientifique. Malgré les efforts déployés par le Japon pour mettre en doute la pertinence de ces
travaux, ceux-ci présentent un intérêt direct pour l’interprétation de la convention de 1946 et pour
l’analyse non seulement des but et objet de celle-ci, mais aussi des obligations qu’elle impose au
Japon, comme cela apparaîtra de façon plus claire et plus détaillée dans les jours qui viennent,
notamment au cours de l’exposé de M. Crawford à propos de l’interprétation de l’article VIII de la
convention. - 3 -
3. En second lieu, j’aimerais expliquer à la Cour certains acronymes et abréviations qui
seront utilisés couramment au cours des prochains jours et qui figurent déjà dans les documents.
Dans cette optique, on trouvera sous l’onglet 15 du dossier de plaidoiries un glossaire des
principaux termes et abréviations qui permettront à la Cour de mieux comprendre la terminologie
qui pourrait être utilisée. Les juristes ont leur propre terminologie et il en va de même des
15 scientifiques. J’expliquerai certains des termes essentiels, notamment ceux qui sont susceptibles de
servir à l’administration des éléments de preuve de nature scientifique. Le plus simple est sans
doute de le faire dans le cadre de mon exposé sur l’activité de la CBI et de ses différents organes.
1. Le cadre de la convention de 1946
4. Comme vous le savez déjà, la convention de 1946 établit la CBI en son article III. Le
texte de la convention se trouve sous l’onglet 1 du dossier de plaidoiries. La CBI est l’organe
principal et est formée de tous les gouvernements contractants. Elle est chargée des tâches
importantes que lui confèrent les articles IV, V et VI de la convention, notamment organiser des
études et des enquêtes sur les baleines, modifier les dispositions de l’annexe de la convention en
adoptant des règlements et formuler des recommandations se rapportant aux objectif et but de la
convention. Il me faut apporter ici certaines précisions au sujet de ces fonctions.
5. Auparavant, toutefois, je mentionnerai les principaux organes affiliés établis par la
commission, qui ont un rôle important à jouer dans la mise en œuvre des objet et but de la
convention. [Projection à l’écran.] Sur les écrans et sous l’onglet 13 du dossier de plaidoiries
figure un diagramme exposant de manière simplifiée les principaux organes de la CBI.
6. Les principaux organes affiliés sont les suivants :
i) le comité scientifique ;
ii) le comité de conservation ;
iii) le comité «Finance & Administration». - 4 -
7. Le comité scientifique présente une importance particulière en l’espèce. Il se réunit une
fois l’an, organise des ateliers et forme des groupes de travail. Il se compose au premier chef de
représentants des gouvernements contractants, mais compte aussi des conseillers issus
d’organisations internationales intéressées et d’autres participants invités. Ainsi, prenaient part à la
récente réunion de 2013 une centaine de scientifiques représentant les gouvernements contractants,
ainsi qu’une cinquantaine d’observateurs scientifiques invités.
1
8. Le comité de conservation a été constitué en 2003, dans le cadre de l’initiative de Berlin ,
sur laquelle je reviendrai un peu plus tard. Il est chargé de préparer et de recommander un
programme de conservation à la commission et d’examiner les moyens de collaborer avec d’autres
organisations à cette fin. Le comité «Finance & Administration» conseille la commission au sujet
des dépenses, budgets et règlements en matière financière. [Fin de la projection.]
16 L’Australie, dans son mémoire , et le Japon, dans son contre-mémoire , ont décrit ces
organes et leurs fonctions. A l’évidence, le Japon est d’accord avec l’Australie pour dire que la
compréhension de l’activité des organes établis par la commission est pertinente pour le jugement
de la présente affaire, puisque le long chapitre 3 du contre-mémoire y est consacré. Cela dit, il
décrit cette activité comme étant limitée à l’adoption de mesures de gestion évolutives en vue
d’assurer une exploitation durable des ressources baleinières. Il soutient qu’il existe une
corrélation directe entre ses propres programmes qu’il qualifie de «scientifiques» et ces mesures de
gestion . Il tient par ailleurs pour dénué de pertinence, au regard de ses activités de chasse
soi-disant scientifiques, le surplus des travaux accomplis au sein de l’organisation.
1
MA, par. 2.94-2.97.
2 MA, par. 2.22-2.29, 2.96.
3
CMJ, par. 2.44-2.57, 3.1-3.107.
4
Ibid., par. 3.3. - 5 -
9. Le portrait faussé que dresse le Japon ne tient aucun compte de l’importance attachée à la
conservation dans les travaux des différents organes créés en exécution de la convention, pas plus
que des réactions critiques formulées par eux à l’endroit des activités japonaises de chasse à la
baleine au titre de permis spéciaux. Contrairement au Japon, l’Australie n’estime pas que les objet
et but de la convention de 1946 ont évolué avec le temps . Comme l’a montré l’exposé de
Mme Boisson de Chazournes, c’est plutôt la manière dont il est donné effet à ces objet et but qui a
évolué.
10. Monsieur le président, des explications détaillées seront données à la Cour, au cours des
exposés à venir, au sujet des différentes résolutions et des travaux de la commission et du comité
scientifique qui présentent un intérêt pour la présente affaire. Mon rôle consiste à décrire ces
travaux importants et approfondis, afin de montrer la prépondérance croissante de la conservation
et d’indiquer l’examen critique dont a fait l’objet la chasse à la baleine soi-disant scientifique, et ce,
afin d’aider la Cour à comprendre le contexte dans lequel s’inscrivent les différentes résolutions et
mesures qui ont été prises par les organes créés par la convention et qui seront ultérieurement
examinées de manière approfondie.
17 2. La commission (CBI)
11. Je parlerai tout d’abord de la commission en tant qu’organe constitué par la convention.
Elle s’est réunie annuellement jusqu’en 2012, lorsqu’il a été décidé que les séances ne se
tiendraient plus que tous les deux ans. Il s’agit de l’organe qui réunit les représentants de tous les
gouvernements contractants. Comme je l’ai mentionné, elle a notamment pour fonctions
principales la modification du règlement annexé à la convention de 1946 et l’adoption de
recommandations au titre de l’article VI, généralement appelées résolutions.
5Ibid., par. 6.4. - 6 -
a) Le règlement annexé à la convention de 1946
12. J’aborderai donc plus en détail le règlement. La commission a le pouvoir de le modifier
6
par une majorité des trois-quarts des membres votants ; les conditions de sa modification sont
énoncées au paragraphe 2 de l’article V. Depuis 1946, la commission exerce sa fonction collégiale
en modifiant régulièrement le règlement, les amendements reflétant l’évolution de sa position
concernant la meilleure manière, selon elle, de donner effet aux objet et but de la convention.
13. Le règlement, dans sa forme actuelle, figure sous l’onglet 2 du dossier de plaidoiries,
juste après la convention dont il fait partie intégrante . Comme vous pouvez le constater, il est très
détaillé et contient, entre autres, des définitions, des interdictions visant certaines opérations, des
restrictions en matière de captures, ainsi que des conditions de supervision et d’information.
14. Le Solicitor-General a déjà mentionné les dispositions fondamentales dont l’Australie
allègue la violation par le Japon. Je les répète ici de manière à signaler certains des termes
essentiels auxquels il est fait référence en l’espèce. J’appellerai en particulier l’attention de la Cour
sur les dispositions suivantes :
[Projection à l’écran] (onglet 35). Au paragraphe b) de l’article 7 du règlement, projeté à
l’écran, qui porte sur le sanctuaire de l’océan Antarctique, on remarquera les références aux
opérations pélagiques, aux stations terrestres, aux baleines à fanons et aux baleines à dents.
[Projection suivante] (onglet 36). Au paragraphe d) de l’article 10, qui concerne le moratoire
sur les usines flottantes, vous pouvez voir les références aux usines flottantes, aux navires
baleiniers, aux cachalots, aux orques, aux baleines à fanons et aux petits rorquals.
[Projection suivante] (onglet 37). Enfin, le paragraphe e) de l’article 10, qui se rapporte au
moratoire sur la chasse à la baleine à des fins commerciales, fait référence à l’ensemble des
populations de baleines. Le terme «population» est défini dans le glossaire.
[Fin de la projection.]
6Convention de 1946, art. III 2).
7Ibid., art. I 1). - 7 -
18 15. Comme vous avez pu le constater en lisant ces paragraphes du règlement, il est fait
référence à diverses espèces, telles que les baleines à fanons et les petits rorquals, dont j’entends
faire une brève description. Les baleines sont des mammifères marins classés dans l’ordre des
cétacés, lequel se compose de deux sous-ordres : les baleines à fanons et les baleines à dents, en
8
fonction de leur mécanisme d’alimentation . Le glossaire contient des définitions utiles à cet égard.
Le paragraphe A de l’article 1 du règlement annexé à la convention de 1946 énumère plusieurs
espèces de baleines classées dans ces deux catégories. Les cachalots et les orques sont des baleines
à dents. Les espèces importantes pour le présent différend, le petit rorqual de l’Antarctique, la
baleine à bosse et le rorqual commun, sont des baleines à fanons.
16. Vous entendrez peut-être parfois faire référence aux «baleines bleues» ou à l’«unité de
baleine bleue». La baleine bleue est le plus gros animal de la planète et a frôlé l’extinction.
L’unité de baleine bleue, ou UBB, a été utilisée dans les débuts de la CBI pour fixer des limites de
capture une baleine bleue était alors considérée comme l’équivalent de deux rorquals communs,
2,5 baleines à bosse ou six rorquals boréals 9 , mais a été abandonnée depuis. En revanche, la
baleine bleue fait aujourd’hui l’objet d’une étude scientifique dans le cadre du partenariat pour la
10
recherche non létale dans l’océan Austral (SORP), dont je reparlerai plus amplement .
17. Comme vous pouvez le voir, le règlement contient des références aux «usines flottantes»,
aux «stations terrestres», aux «navires baleiniers» et aux «opérations pélagiques». (Onglet 38.)
[Projection à l’écran.] Les trois premiers termes sont définis à l’article II de la convention ainsi que
dans le glossaire. Le terme «opérations pélagiques» s’entend simplement des opérations réalisées
en haute mer par opposition aux opérations côtières ou à celles qui sont effectuées sur la terre
ferme.
8MA, par. 2.113.
9 Mangel, rapport d’évaluation des programmes japonais de recherche scientifique sur les baleines dans
l’Antarctique au titre d’un permis spécial (JARPA, JARPA II) en tant que programmes menés à des fins de recherche
scientifique dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines («opinion d’expert initiale»), par. 3.2
(MA, appendice 2).
10
Exposé de M. Nick Gales en date du 15 avril 2013 («exposé d’expert»), par. 6.8-6.13. - 8 -
18. [Projection suivante.] Vous pouvez voir à l’écran, et sous l’onglet 39 du dossier de
plaidoiries, un schéma montrant les différentes tailles de plusieurs espèces de baleines, y compris
celles qui nous intéressent en l’espèce, sachant que le petit rorqual se trouve au centre et
légèrement en haut du schéma. Vous trouverez, à l’appendice 1 du mémoire de l’Australie, un
historique de la chasse à la baleine en Antarctique en ce qui concerne les principales espèces de
baleines de cette région et une estimation de l’état actuel des populations.
19. [Projection suivante.] Je vous montre à présent à l’écran, et vous pouvez également le
consulter sous l’onglet 40 , un diagramme représentant l’évolution des captures pour différentes
espèces de baleines. Diverses espèces ayant été chassées jusqu’à ce que leurs stocks soient
largement réduits, l’industrie s’est donc tournée vers d’autres. Ce n’est que depuis relativement
19 peu de temps que les petits rorquals représentés en marron clair , sur lesquels porte
principalement le programme JARPA II, font l’objet d’exploitations.
20. [Projection suivante.] (Onglet 41.) L’autre disposition essentielle du règlement est le
paragraphe 30, qui porte sur les propositions de permis spéciaux. Un rôle spécifique y a été
attribué au comité scientifique, qui examine les propositions ; ce rôle est également mentionné dans
le règlement intérieur du comité. Comme vous pouvez le voir, plusieurs points, énoncés aux
alinéas a) à d), doivent être précisés dans les permis.
[Fin de la projection.]
b) Résolutions de la CBI
21. J’aborderai à présent les résolutions de la CBI et, manifestement, la commission est à cet
égard l’organe principal de la convention. L’importance de son rôle dans l’adoption des
résolutions est mise en évidence par le fait que plusieurs de ses résolutions et procès-verbaux de
séances sont joints en tant qu’annexes du mémoire de l’Australie et du contre-mémoire du Japon . 11
11Voir MA, annexes 7-47 ; CMJ, annexes 27-72. - 9 -
Les résolutions, en tant que recommandations de l’organe principal de la convention, sont
assurément essentielles et doivent être considérées sérieusement par les membres. M. Crawford et
le Solicitor-General s’exprimeront plus en détail sur leur valeur juridique lors de plaidoiries
ultérieures.
22. Monsieur le président, vous serez heureux d’apprendre que je n’envisage pas de
présenter à la Cour les innombrables résolutions qui émanent de la commission. Je souhaite plutôt
attirer son attention sur quelques exemples éloquents pour montrer plus précisément combien la
commission est étroitement associée à l’examen des permis spéciaux en matière de chasse à la
baleine et aux observations formulées à l’égard de ces permis, de manière tant générale que
spécifique à l’endroit du Japon.
23. Dans nombre de ses résolutions concernant le Japon, la commission, se faisant l’écho de
l’opinion largement répandue parmi les gouvernements contractants de la convention, a formulé de
vives critiques. Elle a, au fil des ans, adopté des résolutions énonçant notamment : que la chasse à
la baleine au titre de permis spéciaux ne devait être autorisée que lorsqu’elle étaient exigée ou
essentielle pour la gestion des stocks de baleines ; qu’elle devait être exercée conformément à la
politique de la CBI en matière de conservation ; qu’elle ne devait être autorisée que dans des
circonstances exceptionnelles ; qu’elle devait être remplacée par des méthodes de recherche faisant
20 appel à des techniques non létales ; et qu’elle ne devait pas compromettre la conservation des
cétacés dans les sanctuaires ni les autres mesures de conservation adoptées par la CBI . Ces points
figurent dans les résolutions jointes en tant qu’annexes 7 à 36 du mémoire de l’Australie.
24. Ces proscriptions générales concernant la chasse à la baleine au titre de permis spéciaux
se sont accompagnées de critiques spécifiques contre les programmes JARPA et JARPA II. Par
exemple, dès les années 1990, la commission, prenant en compte les vues du comité scientifique,
12MA, annexes 7-36. - 10 -
invitait le Japon à restructurer son programme de recherche de manière à répondre aux intérêts en
13
la matière de façon satisfaisante, sans recourir à des méthodes létales .
25. La commission a adopté nombre de résolutions exhortant le Japon à s’abstenir de délivrer
14
des permis pour la capture de baleines dans l’océan Austral . Je mentionnerai en particulier, à titre
d’exemple, la résolution 1997-5 , projetée à l’écran (onglet 42), dont les termes, comme vous
pouvez le voir, sont très critiques s’agissant de la délivrance de permis spéciaux par le Japon.
Entre autres questions abordées, la commission y «réitère sa profonde inquiétude» concernant la
capture de baleines par le Japon dans l’océan Austral et «prie instamment» celui-ci de «s’abstenir
de délivrer de nouveaux permis spéciaux pour la capture de baleines, quelles qu’elles soient».
En 1998 et en 1999, la commission signalait, dans les résolutions s’y rapportant, les vives
16
préoccupations de membres éminents de la communauté scientifique internationale . Or, dans ces
résolutions et elles sont nombreuses , la commission n’a jamais loué ou soutenu les
programmes JARPA et JARPA II, ni confirmé leur conformité à l’article VIII. [Fin de la
projection.]
26. Dans sa présentation d’ensemble, le Solicitor-General a déjà résumé les trois
préoccupations fréquemment exprimées dans les prises de position collégiales de la commission.
Comme je l’ai déjà dit, la Cour entendra parler plus amplement de ces résolutions dans les
plaidoiries d’autres conseils. Ce que montre clairement l’examen des résolutions portant sur la
chasse à la baleine pratiquée par le Japon dans l’océan Austral, c’est que, pendant longtemps, la
commission :
a) premièrement, a rappelé régulièrement les objet et but de la convention en matière de
conservation, lesquels ont été mis en évidence dans de nombreuses résolutions, y compris, mais
17
pas uniquement, dans l’initiative de Berlin de 2003 ;
13
MA, annexes 18-19, 21, 25, 28-29.
14MA, annexes 27-29, 31-33.
15MA, annexe 29.
16
MA, annexes 28-29, 31-33.
17MA, annexe 37. - 11 -
21 b) deuxièmement, s’est préoccupée des captures de baleines effectuées à l’aide de méthodes
létales, y compris dans les sanctuaires, sous le couvert de permis spéciaux ;
c) troisièmement, n’a pas cessé de critiquer le programme de recherche du Japon, affirmant qu’il
ne répond pas à des besoins pressants en matière de recherche pour la gestion de la chasse à la
baleine dans l’océan Austral, et ne nécessite pas de prises létales.
27. La résolution de 2003, l’initiative de Berlin, figure sous l’onglet n 43 du dossier de
plaidoiries. Dans cette résolution, la commission a décidé d’établir un comité de conservation
ayant pour mission de définir un programme d’action en matière de conservation. (Onglet 44.)
[Projection à l’écran.] Au troisième alinéa du préambule qui apparaît à l’écran , il est
souligné que la commission est devenue une organisation reconnue pour sa contribution importante
à la conservation des grands cétacés, et que, en adoptant des résolutions et des amendements au
règlement, elle a développé un vaste programme d’action en matière de conservation. [Fin de la
projection.] L’annexe I présente l’historique détaillé de l’adoption d’une centaine de résolutions en
faveur de la conservation . 18 L’annexe II contient une compilation annotée des activités de
conservation de la CBI entre 1976 et 2001, dont la dixième partie, traite, entre autres questions, de
la gestion de la recherche scientifique létale, l’annexe recensant les réponses de la commission
jusqu’en 2001 .19
c) Les lignes directrices
28. Une part importante des travaux de la commission en matière normative et relativement
aux permis spéciaux a concerné l’adoption de résolutions chargeant le comité scientifique
d’adopter et de tenir à jour des lignes directrices régissant la délivrance desdits permis. Ces lignes
directrices ont été conçues pour aider le comité scientifique et la commission à évaluer les
propositions de capture de baleines au titre d’un permis spécial qui, comme vous l’avez entendu,
18Voir MA, vol. II, p. 114-117.
19Initiative de Berlin, annexe II, activités de conservation de la CBI (compilation annotée, 1976-2001),
par. 10 n) bis, («Initiative de Berlin») ; MA, annexe 37. - 12 -
aux termes du paragraphe 30 du règlement annexé, doivent être soumises au comité scientifique à
l’avance. Les premières lignes directrices ont été adoptées en 1985 en tant qu’annexe L, et les plus
récentes, connues sous le nom d’annexe P, ont été adoptées par consensus au sein du comité
scientifique puis avalisées par la commission en 2008 .0
22 29. Les principaux documents regroupant les lignes directrices ont été reproduits par ordre
chronologique dans vos dossiers sous les onglets 5 à 12. La première résolution adoptée par la
commission sur ce point en 1986, à l’onglet 5, contient des recommandations détaillées à
l’intention des gouvernements envisageant de délivrer des permis spéciaux, qui doivent prendre en
compte la question de savoir si les objectifs de la recherche sont réalisables par des moyens non
létaux, si les recherches sont destinées à fournir des informations essentielles à la gestion
rationnelle des populations et ont été conçues en conséquence, et si le nombre, l’âge et le sexe des
baleines à capturer faciliteront l’évaluation exhaustive des populations à laquelle il est prévu de
procéder suite à l’adoption du moratoire sur la chasse à la baleine à des fins commerciales. On
notera la présence de recommandations similaires dans les résolutions adoptées par la commission
en 1988 et en 1999.
30. Les lignes directrices les plus récentes, adoptées en 2009 par le comité scientifique en
tant qu’annexe P, ont fait l’objet d’un examen approfondi de la part de la commission. Très
récemment, au cours de sa dernière réunion de l’année 2012, cette dernière a avalisé la revision des
lignes directrices, en particulier en ce qui concerne la disponibilité des données et le calendrier
adopté la même année par le comité scientifique et désormais appelé annexe P3. L’onglet 45 du
dossier de plaidoiries contient l’extrait correspondant du rapport annuel 2012 de la CBI.
L’annexe P regroupe un ensemble précis d’exigences relatives à la présentation des propositions de
permis spéciaux. Toute proposition de permis spécial doit ainsi préciser les objectifs, les méthodes
permettant d’atteindre ceux-ci et une évaluation des répercussions potentielles des captures sur la
20MA, annexe 49, par. 4.25-4.29. - 13 -
population concernée. Les lignes directrices exposent également de façon détaillée le processus
d’examen, qui comporte un examen initial, un examen de mi-parcours et un examen final par des
groupes de travail spécialisés. Il n’est pas surprenant que l’exposé d’expert du professeur Mangel,
qui porte sur les caractéristiques essentielles de tout programme scientifique, renvoie à des
éléments semblables à ceux qui sont énumérés dans les lignes directrices comme devant étayer la
notification prévue au paragraphe 30.
31. Pour résumer la teneur des lignes directrices, je m’appuierai sur les termes employés par
la délégation australienne en 1988, qui restent pourtant d’actualité :
«[I]l ressort clairement des lignes directrices qu’il incombe à l’auteur d’une
proposition [de recherche au titre de l’article VIII] de veiller à ce que les justifications
scientifiques de la recherche soient pleinement exposées. La proposition doit
expliquer comment cette recherche doit permettre d’apporter des réponses fiables aux
questions abordées et si la recherche a pour objectif de [répondre] à des besoins de
recherche d’une importance capitale : il est donc également capital que la proposition
explique pourquoi tel est le cas. S’il est établi que cette recherche est d’une
importance capitale, il faut ensuite démontrer que la proposition de mise à mort de
23 baleines apporte une contribution suffisante aux objectifs de la recherche et qu’il n’est
pas possible, en pratique, de résoudre le problème par des moyens non létaux.» 21
Cet énoncé vaut également pour les lignes directrices actuelles.
32. Le professeur Sands vous en dira davantage sur les caractéristiques essentielles d’un
véritable programme de recherche scientifique. Il sera également fait référence à ces lignes
directrices lors de l’intervention du professeur Crawford concernant l’interprétation de
l’article VIII.
3. Le comité scientifique
33. Monsieur le président, j’aborderai maintenant l’autre organe d’importance, le comité
scientifique, dont le rôle premier et essentiel consiste à passer en revue les recherches scientifiques
effectuées par les gouvernements contractants et à faire des recommandations concernant les
21 40 réunion annuelle de la CBI, compte rendu de la quatrième session plénière, 3 juin 1998, IWC/40/VR,
p. 71-72. - 14 -
recherches nécessaires à l’avenir. L’exposé de M. Gales, en particulier l’annexe 2, décrit en détail
la façon dont le comité scientifique s’acquitte de ses fonctions. Le comité joue un rôle particulier
dans l’examen des permis spéciaux délivrés sous le régime de l’article VIII, conformément au
paragraphe 30 du règlement annexé à la convention et des lignes directrices dont je viens de
parler .2
34. Parmi les autres travaux d’importance qu’a accomplis le comité, il y a lieu de mentionner
ceux qui ont abouti à l’adoption par la CBI de la nouvelle procédure de gestion (NMP), utilisée de
23
1975 à 1982, puis à l’approbation de la procédure de gestion révisée (RMP) en 1994 . Comme il
est probable que la Cour entendra souvent ces abréviations «NMP» et «RMP», un complément
d’information s’impose à leur égard.
35. La NMP a été adoptée par la commission en 1975 et incorporée aux paragraphes 10 a)
à 10 c) du règlement annexé à la convention. Elle a été conçue pour calculer les limites de capture
pour les diverses populations de baleines au moyen de modèles mathématiques axés sur l’évolution
24
de la population d’une année à l’autre . Elle reposait sur les notions de rendement maximum de
renouvellement (RMR), de niveau de rendement maximum de renouvellement (NRMR) et de taux
de rendement maximum de renouvellement (TRMR). Ces termes sont définis dans le glossaire se
trouvant dans le dossier de plaidoiries.
36. La NMP supposait une connaissance précise des divers paramètres biologiques afférents
24
à la population de baleines. Or, en tentant de la mettre en œuvre, le comité scientifique s’est rendu
compte qu’il n’était pas possible de connaître ces paramètres avec la précision nécessaire au
25
fonctionnement de la NMP .
22MA, par. 2.25-2.29. Le règlement intérieur du comité scientifique se trouve à l’annexe 121 du contre-mémoire
du Japon.
23
MA, par. 2.47-2.54 ; 2.71-2.78.
24
Ibid., par. 2.48-2.49
25 Gales, exposé d’expert, par. 3.4, 5.4, 5.8 et annexe 2, par. 8 ; Mangel, complément au rapport d’évaluation des
programmes japonais de recherche scientifique sur les baleines dans l’Antarctique au titre d’un permis spécial (JARPA,
JARPA II) en tant que programmes menés à des fins de recherche scientifique dans le cadre de la conservation et de la
gestion des baleines («exposé complémentaire»), par. 4.1. - 15 -
37. Dès 1976-1977, il était devenu évident que le comité scientifique n’était pas en mesure
de fournir de RMR pour nombre de populations. Une nouvelle méthode était devenue nécessaire.
38. L’adoption, en 1982, du moratoire interdisant la chasse à la baleine à des fins
commerciales a servi de catalyseur et permis au comité scientifique de mettre au point de nouvelles
procédures de gestion. Ce sont les travaux effectués par le comité de 1986 à 1993 qui ont abouti à
l’adoption de la RMP par la commission en 1994 . Dans son contre-mémoire, le Japon décrit la
RMP comme «un nouveau système de prévention prudent, conçu pour calculer le nombre maximal
de captures [et] comportant nombre de facteurs de sécurité intégrés» . La RMP est un outil de
gestion très prudent conçu de façon à éliminer la nécessité de données obtenues au moyen
d’activités létales de chasse à la baleine . 28 Elle n’exige pas une connaissance précise des
paramètres biologiques tels que la productivité de telle ou telle population, car il est tout
simplement impossible de connaître ces paramètres avec assez de précision. Au lieu de cela, la
RMP élimine le recours aux paramètres biologiques et fait appel à des modèles informatiques
29
permettant d’élaborer divers scénarios plausibles pour l’établissement des limites de capture .
39. La RMP a été reconnue par la commission comme étant la méthode à privilégier pour
30
déterminer les limites de capture à l’avenir . De ce point de vue, elle constitue la composante
scientifique d’un ensemble de mesures formant le plan de gestion révisé («RMS»), plan plus vaste
qui exigerait un certain travail avant que puisse être rétablie la chasse à la baleine à des fins
commerciales. Quoi qu’il en soit, il est clair que la RMP constitue la procédure approuvée par la
commission pour établir les limites de capture futures.
26MA, par. 2.50-2.54.
27CMJ, par. 3.71.
28
MA, par. 2.72-2.75 ; Mangel, opinion d’expert initiale, par. 3.21-3.27 (MA, appendice 2).
29Gales, exposé d’expert, annexe 2, par. 13-18.
30 MA, par. 2.76-2.78 ; Mangel, opinion d’expert initiale, par. 3.21-3.31 (MA, appendice 2) ; Gales, exposé
d’expert, annexe 2, par. 7-21. - 16 -
25 40. La RMP repose sur l’«algorithme des limites de capture» (ALC), terme défini dans le
glossaire. Cet algorithme sert à calculer les limites de capture, tout en prenant en compte les
incertitudes que présentent les paramètres biologiques mentionnés précédemment. La RMP
comporte également des essais de simulation de mise en œuvre (IST), terme également défini dans
le glossaire, afin de tenir compte des incertitudes afférentes à la composition et au mouvement des
populations.
41. Il importe de mentionner que la RMP n’exige rien d’autre que les estimations et données
d’abondance, et ne dépend pas de données supposant l’utilisation de méthodes létales. Comme il
sera expliqué incessamment, les prises létales réalisées dans le cadre de JARPA II ne sont d’aucune
pertinence ou assistance dans l’utilisation de cet outil de gestion, que M. Gales a décrit comme «un
nouveau paradigme en matière de pêcheries», qui «fait désormais partie des approches régionales
modernes de gestion des pêcheries» .31
42. La recherche non létale est devenue la principale méthode préconisée par la CBI. Dans
ce contexte, deux abréviations sont utilisées dans le discours concernant les travaux antérieurs du
comité scientifique en matière d’estimation de l’abondance des stocks : IDCR et SOWER. Le
premier désigne la décennie internationale de la recherche sur les cétacés (International Decade of
Cetacean Research) et le second, la recherche sur les baleines et l’écosystème de l’océan Austral
(Southern Ocean Whales and Ecosystem Research). Il s’agit de programmes de recherche menés
sous la supervision du comité scientifique et comportant des campagnes d’observation non létale,
qui sont devenus les sources les plus importantes des estimations actuelles concernant les
32
populations de baleines à fanons de l’Antarctique . A l’heure actuelle, il y a lieu de mentionner le
Partenariat pour la recherche dans l’océan Austral (SORP), programme de recherche non létale sur
31Gales, exposé d’expert, annexe 2, par. 12.
32 W. de la Mare et autres, Populations de baleines à fanons de l’Antarctique, (MA, appendicVoir.
également Gales, exposé d’expert, par. 5.1-5.7. - 17 -
les baleines. Dans son exposé, M. Gales a fait état des projets entrepris par le SORP , projets qui
sont examinés et approuvés par le comité scientifique et qui font suite à des questions d’ordre
scientifique définies par ce dernier comme prioritaires.
43. Parmi les autres tâches importantes du comité scientifique, c’est-à-dire autres que la mise
au point de techniques de gestion basées sur l’abondance des populations, il convient de
mentionner le contrôle des activités de chasse à la baleine au titre de permis spéciaux,
conformément aux lignes directrices que j’ai mentionnées.
44. L’examen des permis spéciaux a amené le comité scientifique à formuler, à l’endroit des
programmes JARPA et JARPA II, des critiques acerbes qui ont été reprises dans les résolutions de
la commission auxquelles j’ai déjà fait référence. Des détails supplémentaires à ce sujet seront
26
fournis à la Cour dans les jours qui viennent. Par exemple, dans son examen final du programme
JARPA en 2006, le comité scientifique s’est dit incapable de conclure que l’un ou l’autre des
34
objectifs fixés avait été atteint . J’ai déjà mentionné les nombreuses résolutions dans lesquelles la
commission a exhorté formellement le Japon à renoncer au programme JARPA . En 2005, le 35
Japon a présenté le nouveau programme JARPA II, destiné à remplacer le programme JARPA,
dont l’application avait duré dix-huit ans. Comme vous l’avez entendu, le programme JARPA II
ne comporte pas de date d’expiration.
45. Il a été reproché au Japon d’avoir présenté le programme JARPA II avant que le comité
36
scientifique n’ait eu l’occasion d’examiner le programme JARPA lui-même , ce qui ressort des
commentaires critiques formulés par 63 scientifiques . 37 Le comité scientifique a procédé, en
33Gales, exposé d’expert, par. 6.3.
34MA, par. 5.11, note 536.
35
Ibid., par. 5.16.
36
Ibid., par. 5.24.
37 «Report of the Standing Working Group on Scientific Committee», annexe O1, appendice 2, J. Cetacean Res.
Manage. n° 8 (suppl.), 2006, p. 260 (MA, par. 5.86, annexe 52). - 18 -
l’absence de ces scientifiques, à un examen très bref de la proposition concernant le programme
JARPA II, mais n’a pu parvenir à un consensus sur aucun des objectifs et méthodes prévus par
celui-ci. Et le Japon, comme il sera montré à la Cour, n’a fourni aucune réponse concrète aux
commentaires du comité scientifique au sujet de JARPA II, faisant la sourde oreille à cet égard, ce
dont M. Crawford reparlera.
46. Le comité scientifique a également établi un certain nombre de groupes de travail pour
l’assister dans ses travaux. L’un d’eux est consacré au taux de rendement maximum de
renouvellement et a, entre autres, examiné la fourchette plausible du TRMR, afin de voir si les
données actuelles exigent la modification de cette fourchette. En 2009, le groupe de travail a
rejeté, en raison de leur manque de fiabilité, les estimations de TRMR tirées de données recueillies
38
par le Japon par des méthodes létales . Lors de sa plus récente réunion, en 2013, le comité
scientifique, sur la foi du plus récent rapport du groupe de travail, a accepté de relever légèrement
le seuil de cette fourchette. Mais il importe surtout de noter que le comité scientifique est parvenu
à cette conclusion sur la seule base de données obtenues par des méthodes non létales et a
complètement écarté de son examen les données obtenues par des moyens létaux dans le cadre des
programmes JARPA ou JARPA II. Autrement dit, les données produites par les programmes
JARPA et JARPA II se sont révélées absolument inutiles en vue de modifier les hypothèses
formulées dans le cadre de la RMP au sujet du TRMR et de la productivité.
27 Conclusion
47. Monsieur le président, je me suis efforcé, dans le cadre de mon exposé, non seulement de
présenter les termes clés, mais aussi de donner brosser un tableau ou un portrait de l’évolution
qu’ont connue les méthodes de gestion adoptées par la CBI relativement à l’information
scientifique concernant les baleines, ainsi que la compréhension des exigences de la conservation.
38MA, par. 5.91. - 19 -
Tant la commission que le comité scientifique se sont montrés très critiques envers les programmes
JARPA du Japon, et ce, dans un nombre considérable de résolutions et de rapports, ce dont il sera
question dans les jours qui viennent.
48. L’organisation, la CBI, de même que les opinions qu’elle a exprimées, ne sauraient être
écartées pour manque de pertinence en droit. La Cour ne saurait non plus fermer les yeux sur ces
éléments, comme le Japon l’invite à le faire. C’est ce qui ressortira des exposés qui suivent,
notamment celui que fera, au sujet de l’article VIII, M. Crawford, à qui je vous invite, Monsieur le
président, à donner la parole. Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Burmester, et cède la parole à M. Crawford. Vous
avez la parole, Monsieur. Voici le moment venu de plaider au nom de votre pays d’origine.
M. CRAWFORD :
L’ARTICLE VIII (INTERPRÉTATION ET APPLICATION )
Introduction
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de
plaider devant vous au nom de l’Australie en la présente instance.
1. Pour mener son programme de chasse à la baleine dans l’océan Austral, le Japon invoque
l’article VIII, qui permet aux Etats contractants de délivrer des permis spéciaux autorisant la chasse
«en vue de recherches scientifiques». Vous voilà donc face à une question qui n’a que deux
réponses possibles : soit l’article VIII couvre JARPA II, soit l’article VIII ne le couvre pas. Il
m’incombe aujourd’hui de traiter de la question de l’interprétation à donner à l’article VIII. Si
vous m’y autorisez, Monsieur le président, je reviendrai demain, à la lumière des éléments de
preuve présentés à la Cour et des pièces versées au dossier, sur l’application appropriée de
l’article VIII en la présente instance. - 20 -
28 2. Mon exposé d’aujourd’hui se déroulera en trois temps. Premièrement, j’expliquerai la
39
genèse de l’article VIII, dont l’origine remonte à l’accord de 1937 .
3. Deuxièmement, je traiterai de ce qui constitue la caractéristique essentielle de
l’article VIII, à savoir qu’il prévoit une exception limitée au régime de réglementation établi par la
convention de 1946 aux fins de la conservation et de la reconstitution des peuplements baleiniers et
non, comme le prétend le Japon, une exception générale autonome et d’application discrétionnaire.
4. Troisièmement, j’évoquerai les conditions qui doivent être réunies pour qu’un Etat
contractant puisse invoquer l’article VIII.
1. La genèse de l’article VIII
5. Je commencerai donc par retracer les origines de l’article VIII. Trois points essentiels
méritent d’être soulignés.
Premièrement, la genèse de l’article VIII révèle la nature tout à fait exceptionnelle du pouvoir
conféré aux Etats de délivrer des permis spéciaux. Comme leur nom l’indique, ces permis sont
«spéciaux», adaptés à une proposition particulière et ayant une justification particulière. Il ne
s’agit pas de permis accordés pour la forme, dont la délivrance serait une simple formalité
administrative.
Deuxièmement, dans l’esprit des rédacteurs de la convention, l’article VIII ne devait être
invoqué que pour autoriser la mise à mort d’un nombre relativement limité de baleines, et non
pour autoriser des recherches continues, à long terme, sans date d’achèvement, illimitées et
indéfinies sur un nombre toujours plus grand de baleines.
39Accord international pour la réglementation de la chasse à la baleine, signé à Londres, le 8 juin 1937, Société
des Nations, Recueil des traités, vol. 190, p. 79 (entré en vigueur le 7 mai 1938), (ci-après l’accord de 1937) [MA,
annexe 3]. - 21 -
Troisièmement, depuis sa création, en 1946, il était entendu que la CBI aurait un droit de
regard collégial sur les permis spéciaux délivrés au titre de l’article VIII. Si cette fonction de
contrôle a été précisée ultérieurement, le principe était néanmoins acquis dès le départ.
a) Les antécédents de l’article VIII
6. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le précurseur de l’article VIII
est l’article 10 de l’accord de 1937 (vous en trouverez le texte sous l’onglet n 4), qui prévoyait
pour la première fois de soumettre la chasse à la baleine aux fins de la recherche scientifique à un
permis spécial dans le cadre d’un accord international. C’est le Royaume-Uni qui avait proposé le
texte de l’article 10, en s’inspirant de sa propre législation : la loi de 1934 sur la réglementation de
o 40
29 l’industrie baleinière, que vous trouverez sous l’onglet n 46 de votre dossier de plaidoiries . Le
libellé de l’article 10 est presque identique à celui de l’exception relative aux permis spéciaux
prévue à la section 7 de la loi britannique de 1934 . 41
7. La législation relative à la chasse à la baleine adoptée par les Etats-Unis en 1936 prévoyait
également une exception au titre de permis spéciaux (le texte de la loi figure sous l’onglet n 47 et o
o 42
la réglementation y afférente sous l’onglet n 48 de votre dossier) . Si l’on parcourt les comptes
o 43
rendus des séances parlementaires concernant le projet de loi (qui se trouvent sous l’onglet n 49 ),
on constate que l’origine de cette disposition réglementaire remonte à la convention bilatérale sur la
protection des oiseaux migrateurs conclue en 1916 entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui, elle
4024 et 25 Geo 5, c. 49.
41
«Agreement for the Regulation of Whaling, Additional Article», ICW/1937/31 (3 juin 1937) [CMJ, annexe 10].
42
Joint Regulations of the Secretary of the Treasury and the Secretary of Commerce Concerning Whaling,
9 October 1936, Article 5 (a) made under the authority of section 2 of The Whaling Treaty Act 1936 Pub. No. 535, 74th
Cong. [49 Stat. 1247].
43
Hearings before the Committee on Foreign Affairs House of Representatives, Seventy-Fourth Congress, First
Session on S. 3413 : The Whaling Treaty Act (11, 18, 25 February and 3, 7 and 10 March 1936), U.S. Government
Printing Office 1936, 76. - 22 -
aussi, en son article 2, contenait une exception relative à la chasse pratiquée à des fins scientifiques
au titre d’un permis .4
8. Mais ce qui distingue l’article 10 de l’accord de 1937 de l’article 2 de la convention sur les
oiseaux migrateurs est l’ajout de l’adjectif «spéciaux» pour qualifier les permis. Cette qualification
montre bien que, dans l’esprit des Etats contractants, ces permis devaient être délivrés à titre
exceptionnel.
9. En outre, la pratique suivie par les parties à l’accord de 1937 vient confirmer le caractère
«spécial» de ces permis. D’après ce que nous avons découvert, les permis octroyés en vertu de
l’article 10 autorisaient uniquement la mise à mort d’un nombre limité de cétacés.
45
10. Ce sont les Etats-Unis qui ont proposé l’article VIII à la conférence de 1946, en
s’inspirant de l’article 10 de l’accord de 1937. Les participants à la conférence avaient forcément à
l’esprit les captures limitées de cétacés prévues par cet article 10.
11. En résumé, l’article VIII de la convention de 1946 était censé constituer une exception
limitée aux réglementations sur la chasse commerciale prévues par la convention. Les permis
30 spéciaux n’avaient pas vocation à autoriser des opérations d’une ampleur équivalente à celle des
opérations commerciales, ni à autoriser des opérations de chasse à long terme, illimitées dans le
temps.
12. Il est vrai que le paragraphe 4 de l’article VIII exige des Etats contractants qu’ils
prennent toutes les mesures en leur pouvoir pour rassembler des renseignements biologiques dans
le cadre de leur chasse commerciale, lors des opérations des usines flottantes ou des stations
44Convention between the United Kingdom and the United States of America for the Protection of Migratory
Birds in Canada and the United States, ouverte à la signature le 16 août 1916, TS 007/1917: Cd 8476 (entrée en vigueur
le 7 décembre 1916).
45«United States Proposals for a Whaling Convention», International Whaling Conference, 29 octobre 1946,
1946/IWC/3, 11 [CMJ, annexe 14]. - 23 -
terrestres. Mais cette disposition ne fonde en rien le Japon à prétendre, comme il le fait, qu’il lui
faut réaliser «des activités de recherche à long terme et continues» , impliquant la mise à mort
d’un grand nombre de baleines alors que la chasse commerciale n’a plus cours.
13. Le Japon soutient que le paragraphe 4 de l’article VIII n’a pas d’équivalent dans l’accord
47
de 1937 . Ce paragraphe s’inspire en réalité de l’article 16 de l’accord, aux termes duquel il était
demandé aux parties d’obtenir «de toutes les usines flottantes et stations terrestres soumises à leur
juridiction» des données biologiques bien précises dans le cadre de leurs opérations de chasse
commerciale. Le paragraphe 4 de l’article VIII vise, lui aussi, «les usines flottantes et les stations
48
terrestres» .
14. Le Japon renvoie aux travaux préparatoires de la convention de 1946 qui, selon lui,
49
accordent une grande importance à la collecte constante de données biologiques . Or, les
discussions, citées en long et en large dans le contre-mémoire, portaient sur la nécessité de fixer un
nombre maximal de captures pour la chasse commerciale et de les maintenir à un niveau stable
«pendant quelques années» de manière à disposer de données solides aux fins de la détermination
de l’état des populations . Les négociateurs n’envisageaient pas des programmes de recherche
continus, à long terme et sans date d’achèvement, impliquant la mise à mort d’un grand nombre de
baleines.
b) Le texte de l’article VIII lu dans le contexte de la convention de 1946 dans son ensemble
15. Je me pencherai à présent, comme il convient de le faire lorsqu’il est question
d’interprétation, sur le texte de l’article VIII. Je tiens à préciser que toute mention de l’article VIII
dans mon exposé renvoie, sauf mention contraire, au paragraphe 1 de cet article. L’essentiel du
46CMJ, par. 5.42 et 7.19-7.21.
47
Ibid., par. 7.18.
48
Ibid.
49CMJ, par. 7.34-7.36.
50 «Procès-verbal de la quatrième séance», IWC/22 (21 novembre 1946), p. 9 [CMJ, annexe 19] ; «Procès-verbal
de la septième séance», IWC/32 (25 novembre 1946), p. 30-31 [CMJ, annexe 20]. - 24 -
paragraphe 1 de l’article VIII est libellé comme suit (vous le trouverez sous l’onglet n° 52) : [Le
texte s’affiche à l’écran]
«chaque Gouvernement contractant pourra accorder à ses ressortissants un permis
spécial autorisant l’intéressé à tuer, capturer et traiter des baleines en vue de
recherches scientifiques, ladite autorisation pouvant être subordonnée aux restrictions,
31
en ce qui concerne le nombre, et à telles autres conditions que le Gouvernement
contractant jugera opportunes…»
Lu dans son sens ordinaire, ce libellé envisage deux fonctions distinctes.
[Fin de l’affichage.]
16. La première est la délivrance du permis proprement dit. Un Etat contractant pourra
délivrer à un ressortissant un permis spécial qui, tel que l’article est rédigé, autorise une activité
consistant à tuer, capturer et traiter des baleines «en vue de recherches scientifiques».
17. Cette fonction se limite au pouvoir de délivrer ou non un permis spécial. Il n’appartient
pas au seul Etat contractant de décider si la recherche proposée est nécessaire ou si l’activité
envisagée relève de la recherche scientifique. Le paragraphe 1 de l’article VIII ne lui confère pas le
pouvoir discrétionnaire de décider unilatéralement et subjectivement de délivrer ou non des permis
spéciaux. D’ailleurs le Japon, finalement, en convient : l’article VIII n’établit pas un droit
«d’application discrétionnaire» .1
18. La seconde fonction attribuée aux Etats contractants découle du deuxième membre de
phrase — «ladite autorisation pouvant être subordonnée aux restrictions, en ce qui concerne le
nombre, et à telles autres conditions que le gouvernement contractant jugera opportunes». Il
convient de souligner que l’expression «que le gouvernement contractant jugera opportunes» se
rapporte uniquement aux restrictions concernant le «nombre» de baleines à capturer et aux «autres
conditions» dont peuvent être assortis les permis spéciaux. Elle ne s’étend pas à la description du
permis spécial lui-même, en particulier à ce que recouvre l’objectif «en vue de recherches
scientifiques».
51Observations écrites du Japon sur les observations écrites de la Nouvelle-Zélande (OEJ), par. 9. - 25 -
19. Selon la décision que la Cour a rendue en l’affaire Gabčikovo-Nagymaros, le principe de
bonne foi oblige les Etats contractants à exercer cette seconde fonction de façon raisonnable et de
telle sorte que le but de la convention puisse être atteint . Tout manquement à cette obligation —
la capture d’un nombre de cétacés bien supérieur à celui nécessaire à la réalisation des objectifs de
la recherche, par exemple — tendrait à démontrer que cette prétendue recherche n’est en réalité
qu’une chasse commerciale déguisée.
c) L’évolution de l’article VIII dans la pratique
20. J’en viens maintenant au rôle majeur joué par la CBI à l’égard de l’exercice par les Etats
contractants de leur faculté limitée d’autoriser des opérations de chasse à la baleine «en vue de
recherches scientifiques».
32 21. La CBI a été créée en tant qu’organe investi de la responsabilité collégiale de veiller à la
conservation et à la reconstitution des peuplements baleiniers, nécessité absolue à l’époque. C’est
dans cette optique que les rédacteurs de la convention ont voulu donner à la CBI le rôle de
gendarme chargé, à titre collégial, de veiller à l’application correcte de l’article VIII et qu’ils ont à
cette fin imposé aux Etats contractants l’obligation de tenir la commission dûment informée :
premièrement, en application du paragraphe 1 de l’article VIII, l’obligation de porter à la
connaissance de la commission chaque permis autorisant la mise à mort de baleines à des fins
scientifiques ; et, deuxièmement, en application du paragraphe 3 de l’article VIII, l’obligation de
transmettre les résultats de la recherche.
22. Comme l’a indiqué le président de la conférence de 1946 :
«[l]a commission sera chargée de planifier et de recommander des études sur les
baleines et la chasse à la baleine… L’idée est de coordonner ainsi les programmes de 53
recherche et les études dans des domaines qui ne sont pas suffisamment couverts...»
52Affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 78-79,
par. 142.
53«Procès-verbal de la deuxième séance», IWC//14 (20 novembre 1946), p. 25 [CMJ, annexe 17]. - 26 -
23. Ce rôle de contrôle collégial expressément assigné à la commission, notamment
concernant l’application de l’article VIII, comblait une lacune manifeste de l’accord de 1937. La
commission fournit l’exemple précoce et important d’un organe de mise en œuvre — une
commission internationale établie par un traité multilatéral portant sur l’environnement. De fait,
54
comme l’a fait observer la regrettée Patricia Birnie , la CBI est la première instance de ce type à
avoir été créée à l’échelle internationale et elle s’est vu attribuer des pouvoirs généraux. La CBI a
joué un rôle majeur à cet égard et, dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle, a pris des mesures
importantes pour définir la portée exacte de l’article VIII.
24. Tout d’abord, en 1979, la CBI a adopté une procédure d’examen préalable des permis
spéciaux en instance de délivrance, laquelle figure au paragraphe 30 du règlement dont
M. Burmester vous a parlé.
25. Ensuite, face à la croissance exponentielle du nombre de permis spéciaux constatée à la
suite de l’entrée en vigueur du moratoire, la CBI a approuvé une série d’instruments, que je
désignerai collectivement par les termes «lignes directrices». Ces lignes directrices définissent les
critères à l’aune desquels les permis spéciaux en instance de délivrance doivent être évalués. Elles
guident également le comité scientifique lorsqu’il donne un avis sur une demande de permis en
instance. Le but des lignes directrices était d’empêcher ce que le Royaume-Uni et d’autres Etats
33 contractants ont qualifié d’«abus potentiel des procédures d’octroi de permis spéciaux délivrés aux
fins de la recherche scientifique pour [autoriser] la poursuite d’activités qui ne sauraient être
considérées comme autre chose que des activités de chasse commerciale» (onglet n 54). o
54P. Birnie, International Regulation of Whaling: From Conservation of Whaling to Conservation of Whales and
Regulation of Whale_Watching, Vol. I, (Oceana Publications Inc., 1985), p. 143.
55
Intervention du Royaume-Uni, IWC/39, Second Plenary Session, mercredi 24 juin 1987, p. 31. Voir aussi
Intervention de l’Australie, IWC/39, Opening Plenary Session, lundi 22 juin 1987, p. 18 ; Intervention des Etats-Unis,
IWC/39, Second Plenary Session, mercredi 24 juin 1987, p. 38. - 27 -
i) Le paragraphe 30 du règlement annexé à la convention
26. Je me pencherai tout d’abord sur le paragraphe 30 du règlement. Selon les stipulations
expresses du paragraphe 1 de l’article premier de la convention, il est clair que ce paragraphe 30
fait partie intégrante de la convention et a donc force obligatoire.
27. La procédure d’examen préalable répondait aux préoccupations exprimées à partir de
1963 par des membres du comité scientifique, qui s’inquiétaient de la taille «relativement
importante» des échantillons prélevés au titre de permis spéciaux, y compris, je le reconnais
volontiers, par l’Australie. Cette année-là, le nombre de cétacés capturés avait été nettement plus
élevé que les années précédentes . Dans son rapport, le comité scientifique avait expliqué quel
devait être l’objet de cet examen préalable : «établir et garantir la validité et l’utilité du projet de
recherche et s’assurer que les propositions de permis ne porteraient pas préjudice à la conservation
des stocks de baleines» . La validité et l’utilité.
Comme vous le voyez sur vos écrans [début de l’affichage], le paragraphe 30 demande
expressément aux Etats contractants de communiquer au secrétaire de la commission baleinière
internationale leurs propositions de permis scientifiques dans un délai suffisant pour permettre au
comité scientifique de les examiner et de donner son avis.
28. Le paragraphe 30 définit également un certain nombre de critères à respecter : les permis
en instance doivent fournir toutes les informations nécessaires sur les objectifs et les méthodes
prévus, ainsi que sur les effets potentiels de la chasse sur la conservation des peuplements
baleiniers, afin que le comité scientifique puisse être à même de les évaluer. Cette procédure
d’examen préalable confirme que la délivrance de permis spéciaux n’est pas laissée à la seule
appréciation, unilatérale et subjective, de l’Etat contractant. [Fin de l’affichage.]
56
Report of the Scientific Committee, Appendix IV, Fourteenth Report of the Commission, 1964, p. 25-26,
par. 15. Voir aussi Chairman’s Report, Appendix III, Sixteenth Report of the Commission, 1966, p. 20, par. 18.
57
Report of the Scientific Committee, Rep. int. Whal. Commn, 1978, vol. 28, p. 41, par. 9.3.2. - 28 -
29. Le Japon soutient que le paragraphe 30 ne confère aucunement au comité scientifique le
58
pouvoir d’autoriser ou de ne pas autoriser la délivrance d’un permis . Mais là n’est pas la
question. Les dispositions du paragraphe 30 sont obligatoires et doivent être respectées.
34 30. En outre, dans ses lignes directrices, la CBI recommande aux Etats contractants soit de
s’abstenir de délivrer de nouveaux permis, soit de révoquer les permis déjà délivrés, si elle
considère qu’ils sont contraires à sa politique en matière de conservation . Si la faculté de délivrer
ou de révoquer des permis spéciaux appartient, certes, à l’Etat contractant, ce pouvoir n’est pas
illimité. A cet égard, les vues de la CBI quant à la portée exacte des opérations de chasse à la
baleine relevant d’un permis spécial sont de la plus haute importance.
ii) Les lignes directrices
31. Comme M. Burmester l’a brièvement rappelé, les lignes directrices comprennent
six instruments, classés dans vos dossiers par ordre chronologique, de l’onglet n 5, qui porte sur
60 o
l’annexe L de 1985 à l’onglet n 12, consacré à l’annexe P, intitulée «Procédure d’examen des
permis scientifiques et des résultats des recherches effectuées dans le cadre des permis existants»,
qui a été adoptée en 2008 . 61
58CMJ, par. 8.30.
59 Résolution sur les programmes en vue de recherches scientifiques, appendice 1, rapport du président sur les
travaux de la 39 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la Commission baleinière internationale, 1988, vol. 38,
p. 27-28 (résolution 1987-1) [MA, annexe 44] ; résolutioe sur la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial,
appendice 10, rapport du président sur les travaux de la 47 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission
baleinière internationale, 1996, vol. 46, p. 46-47 (résolution 1995-9) [MA, annexe 46].
60
Projet de lignes directrices pour l’examen des permis spéciaux, annexe L, rapport du comité scientifique,
Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1986, vol. 36, p. 133 (annexe L) ; MA, annexe 42.
61
Procédure d’examen des permis scientifiques et des résultats des recherchesoeffectuées dans le cadre des permis
existants, rapport du comité scientifique, annexe P, J. Cetacean Res. Manage. n 11 (Suppl.), 2009, p. 398-401
(annexe P) ; MA, annexe 49. - 29 -
32. Comme l’ont souligné les Etats-Unis lors de la réunion annuelle de la CBI en 1987
(onglet n 55), ces instruments exposent des positions collectives sur «les critères minimaux devant
être respectés avant de mettre à mort des baleines à des fins de recherche» . Si un projet de
recherche ne satisfait pas à chacun de ces critères, il est contraire à la politique de conservation de
la CBI .3
33. Entre 1985 et 2008, les critères ont été modifiés afin «d’actualiser l’approche [de la CBI]
concernant la recherche menée au titre de l’article VIII», pour reprendre les termes employés par le
représentant du Royaume-Uni en 1995 (onglet n 56) . o 64 En particulier, la CBI accorde une
importance grandissante aux moyens de recherche non létaux, eu égard aux progrès des techniques
de recherche qui, de plus en plus, permettent d’obtenir les informations recherchées sans mettre à
mort les objets de la recherche.
34. Depuis 1985, la CBI a adopté en tout 40 résolutions exprimant ses vues sur la chasse à la
baleine au titre de permis spéciaux : elles sont récapitulées dans un tableau que vous trouverez sous
o
35 l’onglet n 57 de vos dossiers. Pas moins de 21 de ces résolutions, soit plus de la moitié, prient
instamment le Japon de reconsidérer ses programmes de recherche employant des méthodes létales,
6239 réunion annuelle de la CBI, compte rendu de la séance plénière d’ouverture, 22 juin 1987, IWC/39/VR,
p. 16-17.
63Résolution 1987-1, MA, annexe 44 ; résolution 1995-9, MA, annexe 46.
64 e
Intervention du Royaume-Uni, 47 réunion annuelle de la CBI, compte rendu de la quatrième séance plénière,
1 juin 1995, p. 146-147. - 30 -
de s’abstenir de délivrer de nouveaux permis spéciaux et de cesser d’employer des méthodes létales
pour l’exécution de ses programmes . 65
iii) Le statut de la pratique ultérieure
35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les résolutions de la CBI
concernant la chasse à la baleine au titre de permis spéciaux, en particulier celles énonçant les
65 Résolution sur la proposition de permis spéciaux du Japon, appendice 4, rapport du président sur les travaux de
e
la 39 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1988, vol. 38, p. 29
(résolution 1987-4) (MA, annexe 10) ; résolution sur la proposition du Japon de capturer des baleines dans l’hémisphère
Sud au titre d’un permis spécial, appendice 3, rapport du président sur les travaux de la 41 réunion annuelle de la CBI,
rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1990, vol. 40, p. 36 (résolution 1989-3) (MA, annexe 16) ;
résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère Sud au titre d’un permis spécial, appendice 2,
e
rapport du président sur les travaux de la 42 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière
internationale, 1991, vol. 41, p. 47-48 (résolution 1990-2) (MA, annexe 18) ; résolution sur les captures effectuées par le
Japon dans l’hémisphère Sud au titre d’un permis spécial, appendice 2, rapport du président sur les travaux de la
43 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1992, vol. 42, p. 46
(résolution 1991-2) (MA, annexe 19) ; résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère Sud au titre
d’un permis spécial, appendice 5, rapport du président sur les travaux de la 44 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel
de la commission baleinière internationale, 1993, vol. 43, p. 71 (résolution 1992-5) ; résolution sur les captures effectuées
par le Japon dans l’hémisphère Sud au titre d’un permis spécial, appendice 7, rapport du président sur les travaux de la
45e réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1994, vol. 44, p. 33
(résolution 1993-7) (MA, annexe 21) ; «Resolution on Special Permit Catches by Japan in the North Pacific,
Resolution 1994-9, Appendix 15», Chairman’s Report of the Forty-Sixth Annual Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1995,
vol. 45, p. 47 (résolution 1994-9) (MA, annexe 24) ; résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère
Sud au titre d’un permis spécial, résolution 1994-10, appendice 15, rapport du président sur les travaux de la 46 réunion
annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1995, vol. 45, p. 47(résolution 1994-10)
(MA, annexe 25) ; résolution sur les captures effectuées par ee Japon au titre d’un permis spécial, résolution 1996-7,
appendice 7, rapport du président sur les travaux de la 48 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission
baleinière internationale, 1997, vol. 47, p. 51-52 (résolution 1997-7) (MA, annexe 28) ; résolution sur les captures
effectuées par le Japon dans l’océan Austral au titre d’un permis spécial, résolution 1997-5, appendice 5, rapport du
e
président sur les travaux de la 49 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale,
1998, vol. 48, p. 47 (résolution 1997-5) (MA, annexe 29) ; «Resolution on Special Permit Catches in the North Pacific by
Japan», résolution 1997-6, appendice 6, Chairman’s Report of the Forty-Ninth Annual Meeting, Rep. int. Whal. Commn,
1998, vol. 48, p. 48 (résolution 1997-6) (MA, annexe 30) ; résolution sur la chasse à la baleine au titre d’un permis
spécial, résolution 1998-4, appendice 4, rapport du président sur les travaux de la 50 réunion annuelle de la CBI, rapport
annuel de la commission baleinière internationale, 1998, p. 43 (résolution 1998-4) (MA, annexe 31) ; résolution sur la
chasse à la baleine au titre d’un permis spécial, résolution 1999-3, appendice 4, rapport du président sur les travaux de la
51 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1999, p. 52-53
(résolution 1999-3) (MA, annexe 32) ; résolution sur la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial dans le sanctuaire
e
de l’océan Austral, résolution 2000-4, appendice 1, rapport du président sur les travaux de la 52 réunion annuelle de la
CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 2000, p. 56 (résolution 2000-4) (MA, annexe 33) ;
Resolution on Whaling under Special Permit in the North Pacific Ocean, Resolution 2000-5, Appendix 1, Chairman’s
Report of the Fifty-Second Annual Meeting, Annual Report of the International Whaling Commission, 2000, p. 56
(résolution 2000-5) (MA, annexe 34) ; résolution sur la chasse au petit rorqual de l’hémisphère Sud et la chasse à la
e
baleine au titre d’un permis spécial, résolution 2001-7, annexe c, rapport du président sur les travaux de la 53 réunion
annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 2001, p. 57 (résolution 2001-7) (MA,
annexe 35) ; Resolution on Expansion of JARPN II Whaling in North Pacific, Resolution 2001-8, Annex C, Chair’s
Report of the Fifty-Third Annual Meeting, Annual Report of the International Whaling commission, 2001, p. 57
(résolution 2001-8) (MA, annexe 36) ; Résolution sur la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial,
e
résolution 2003-2, annexe F, rapport du président sur les travaux de la 55 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de
la commission baleinière internationale, 2003, p. 102 (résolution 2003-2) (MA, annexe 38) ; résolution sur la chasse au
petit rorqual de l’hémisphère Sud et la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial, résolution 2003-3, annexe G,
rapport du président sur les travaux de la 55 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière
internationale, 2003, p. 103 (résolution 2003-3) [MA, annexe 39] ; résoeution sur le programme JARPA II, résolution
2005-1, annexe C, rapport du président sur les travaux de la 57 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la
Commission baleinière internationale, 2005, p. 1 (résolution 2005-1) (MA, annexe 40) ; résolution sur le programme
JARPA, résolution 2007-1, annexe E, rapport du président sur les travaux de la 59 réunion annuelle de la CBI, rapport
annuel de la commission baleinière internationale, 2007, p. 90 (résolution 2007-1) (MA, annexe 41). - 31 -
lignes directrices, procèdent de la pratique ultérieure des parties, par laquelle, selon l’alinéa b) du
paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne, est établie leur conception commune à
l’égard de l’interprétation de l’article VIII. Comme la CDI l’a souligné dans son commentaire de
ce paragraphe, «la pratique ultérieurement suivie dans l’application d’un traité fait autorité pour
36 l’interprétation du traité lorsque cette pratique est constante et qu’elle établit l’accord des parties
66
quant à la signification des dispositions du traité» (les italiques sont de nous).
36. Dans les cours qu’il a donnés à l’Académie de La Haye, sir Elihu Lauterpacht a dit ceci à
propos de la pertinence de la pratique des organisations internationales :
«la référence à ces usages et pratiques a constitué un élément important de
l’interprétation judiciaire de l’interprétation des textes constitutionnels internationaux ;
… [vous noterez que le mot «constitutionnel» n’est pas employé uniquement par les
jeunes] l’adaptabilité et le potentiel de développement que le recours à ce mode
d’interprétation apporte à la vie des organisations sont extrêmement précieux» . 67
[Traduction du Greffe]
Sir Elihu poursuit en disant que la pertinence des références à la pratique institutionnelle
pour l’interprétation des traités est «abondamment attestée par les décisions d’interprétation des
organes judiciaires» . 68 Il cite un certain nombre d’affaires dans lesquelles la pratique
institutionnelle a été jugée pertinente pour l’interprétation de dispositions de fond reconnaissant des
droits et imposant des obligations aux Etats . Par exemple, dans son avis consultatif en l’affaire
66 «Projets d’articles sur le droit des traités et commentaires», commentaire de l’article 38, Annuaire de la
Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 257.
67 E. Lauterpacht, «The Development of the Law of International Organization by the Decisions of International
Tribunals», 152 Recueil des Cours (1976-IV), p. 377, 447.
68Compétence de l’OIT pour la réglementation internationale des conditions du travail des personnes employées
dans l’agriculture, avis consultatif, 1922, C.P.J.I. série B n 2, p. 39-41 ; Compétence de l’OIT pour réglementer
accessoirement le travail personnel du patron, avis consultatif, 1926, C.P.J.I. série B n 13, p. 19-20 ; Compétence de la
Commission européenne du Danube, avis consultatif, 1927, C.P.J.I. série B n 14, p. 57-58 ; Admission d’un Etat aux
Nations Unies (Charte, art. 4), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1948, p. 63 ; Réparation des dommages subis au service
des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1949, p. 179 ; The UNESCO Constitution case, Annual Digest and
Reports of Public International Law Cases (1949), p. 335 ; Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un
Etat aux Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 9 ; Procédure de vote applicable aux questions touchant
les rapports et pétitions relatifs au Territoire du Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1955, p. 67, opinion
individuelle de M. le juge Lauterpacht, p. 105-106 ; Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre
l’Unesco, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1956, p. 77, p. 91 ; Admissibilité de l’audition de pétitionnaires par le Comité du
Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1956, opinion individuelle de M. le juge Lauterpacht, p. 43 ;
Composition du Comité de la sécurité maritime de l’Organisation intergouvernementale consultative de la navigation
maritime, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1960, p. 168 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2,
de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 160-178 ; Conséquences juridiques pour les Etats de la présence
continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de
sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 22 et 36, in E. Lauterpacht, «The Developement of the Law of
International Organization by the Decisions of International Tribunal», 152 Recueil des Cours (1976-IV), p. 377,
448-452.
69 Par exemple, Conditions de l’admission, C.I.J. Recueil 1948, p. 63 ; Tribunal administratif de l’OIT, C.I.J.
Recueil 1956, p. 91 ; Certaines dépenses, C.I.J. Recueil 1962, p. 159-177. - 32 -
des Conditions de l’admission, la Cour a fait référence à la pratique du Conseil de sécurité pour
interpréter l’étendue du pouvoir discrétionnaire des Etats membres en matière de vote dans le cas
visé au paragraphe 1 de l’article 4 de la Charte . 70
37 37. L’importance accordée à la pratique par les organes judiciaires est attestée également par
l’opinion individuelle de sir Hersch Lauterpacht (Lauterpacht encore !) au sujet de l’avis rendu par
la Cour en l’affaire de la Procédure de vote ; je cite :
«Une interprétation correcte d’un instrument constitutionnel doit tenir compte
non seulement de la lettre formelle de l’instrument original, mais encore de son
fonctionnement dans la pratique effective et à la lumière des tendances qui se sont
révélées dans la vie de l’Organisation» (les italiques sont de nous) [expression très
«lauterpachtienne»].
38. Les lignes directrices sont la parfaite illustration de ce type de pratique institutionnelle.
L’un des objectifs explicites des Etats contractants lorsqu’ils ont adopté les lignes directrices était
72
d’exprimer leur conception commune de la portée à attribuer à l’article VIII .
39. Bien qu’ils aient changé dans leur détail entre 1985 et 2008, les critères énoncés dans les
instruments successifs sont restés essentiellement les mêmes, tout comme les préoccupations
auxquelles ils ont vocation à répondre.
40. Les autres résolutions de la CBI sur la chasse à la baleine au titre de permis spéciaux,
y compris celles critiquant les programmes japonais, sont également restées très constantes sur le
fond. Elles ont notamment réitéré trois préoccupations récurrentes : premièrement, éviter que la
chasse à la baleine au titre d’un permis spécial n’aille à l’encontre des mesures de conservation, en
70Conditions de l’admission, C.I.J. Recueil 1948, p. 63
71Procédure de vote applicable aux questions touchant les rapports et pétitions relatifs au Territoire du
Sud-Ouest africain, opinion individuelle du juge Lauterpacht, C.I.J. Recueil 1955, p. 106. Sur la question des résolutions
des organes des organisations internationales adoptées en tant que pratique ultérieure, voir également P. Sands et
P. Klein, Bowett’s Law of International Institutions, (London, Sett & Maxwell, 2001), 11-047, p. 290 ; M. Virally,
«Sources of International Law: Unilateral Acts of International Organisations in Bedjaoui (dir. publ.), Droit
international : bilan et perspectives (UNESCO, Paris ; Nijhoff, Dordrecht, 1991), p. 241, 259 ; J A Frowein, « he Internal
and External Effects of Resolutions by International Organizations», Max Planck Institut für ausländisches öffentliches
Recht und Völkerrecht, 1989, p. 790.
72Intervention de la délégation des Etats-Unis, 39 réunion annuelle de la CBI, compte rendu de la deuxième
séance plénière, 24 juin 1987, IWC/39/VR, p. 40. - 33 -
particulier l’imposition du moratoire et la désignation de sanctuaires ; deuxièmement, éviter que
la chasse pratiquée au titre d’un permis spécial ne présente les mêmes caractéristiques que la chasse
74
commerciale ; et, troisièmement, faire en sorte que les recherches soient menées, dans toute la
mesure du possible, à l’aide de techniques non létales . 75
38 41. La reconnaissance de la nécessité de ne pas faire échec aux mesures de conservation
prises par la CBI contredit l’affirmation du Japon selon laquelle l’article VIII «se suffit à
lui-même» ou est «autonome» . 76 Les Etats contractants considèrent collectivement que
l’article VIII peut être invoqué uniquement en conformité avec l’objet et le but de la convention
dans son ensemble et de sorte à ne pas porter atteinte au moratoire ou au sanctuaire de l’océan
77
Austral , que j’appellerai plus simplement «le sanctuaire». Voilà qui anéantit toute prétention
selon laquelle d’autres parties contractantes considéreraient, comme le Japon, que l’article VIII se
o
suffit à lui-même. Comme le montre le tableau figurant sous l’onglet n 57, la plupart des
résolutions portant sur les activités de chasse à la baleine au titre de permis spéciaux, y compris
celles énonçant les lignes directrices, ont été adoptées par consensus ou à des majorités
confortables .78
73 Initiative de Berlin sur le renforcement du programme d’action de la CBI en faveur de la conservation,
résolution 2003-1, annexe C, rapport du président sur les travaux de la 55 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de
la commission baleinière internationale, 2003, p. 58 (MA, annexe 37) ; résolution sur la chasse à le baleine dans les
sanctuaires au titre d’un permis spécial, résolution 1995-8, rapport du président sur les travaux de la 47 réunion annuelle
de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1996, vol. 46, p. 46 (résolution 1995-8) (MA,
annexe 27) ; résolution 1996-7 (MA, annexe 28) ; résolution 1997-5 (MA, annexe 29) ; résolution 1998-4 (MA,
annexe 31) ; résolution 1999-3 (MA, annexe 32) ; résolution 2000-4 (MA, annexe 33) ; résolution 2001-7 (MA,
annexe 35) ; résolution 2007-1 (MA, annexe 41).
74 Résolution sur les permis scientifiques, appendice 2, rapport du président sur les travaux de la 37 réunion
annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1986, vol. 36, p. 26 (résolution 1985-2)
(MA, annexe 7) ; résolueion sur les permis spéciaux en vue de recherches scientifiques, appendice 2, rapport du président
sur les travaux de la 38 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1987,
vol. 37, p. 25 (résolution 1986-2) (MA, annexe 43) ; résolution 2003-2 (MA, annexe 38).
75
Résolution 1992-5 ; résolution 1993-7 (MA, annexe 21) ; résolution 1994-9 (MA, annexe 24) ;
résolution 1994-10 (MA, annexe 25) ; résolution 1994-11 (MA, annexe 26) ; résolution 1995-9 (MA, annexe 46) ;
résolution 1996-7 (MA, annexe 28) ; résolution 1997-5 (MA, annexe 29) ; résolution 1997-6 (MA, annexe 30) ;
résolution 1998-4 (MA, annexe 31) ; résolution 2000-5 (MA, annexe 34) ; résolution 2001-8 (MM, annexe 36) ;
résolution 2003-2 (MA, annexe 38) ; résolution 2003-3 (MA, annexe 39) ; résolution 2005-1 (MA, annexe 40) ;
résolution 2007-1 (MA, annexe 41).
76 CMJ, par. III, p. 6, 7.8.
77 Voir par exemple résolution 1986-2 (MA, annexe 43) ; résolution 1995-9 (MA, annexe 46) ; Initiative de Berlin
(MA, annexe 37).
78Par exemple, résolution 1995-8, adoptée par 23 voix contre 7, et 1 abstention (MA, annexe 27) ;
résolution 1995-9, adoptée par 21 voix contre 7, et 1 abstention (MA, annexe 46) ; résolution 1996-7, adoptée par 21 voix
contre 7, et 1 abstention (MA, annexe 28) ; résolution 2007-1, adoptée par 40 voix contre 2, et 1 abstention (MA,
annexe 41). - 34 -
42. La résolution 1986-2 a par exemple été adoptée par consensus. La commission y
formulait pour la première fois les critères minimaux devant être respectés par un projet de
79
recherche prévoyant la mise à mort de baleines . Tous les Etats contractants, y compris le Japon,
ont accepté les principes énoncés dans cette résolution, ainsi que le rôle de la CBI dans la fixation
des critères de délivrance des permis spéciaux. Le Japon consacre plusieurs pages de son contre-
mémoire à son prétendu respect de ces critères . 80
43. L’adjonction la plus récente aux lignes directrices (l’annexe P de 2008) a également été
adoptée par consensus. Au cours des débats qui ont précédé son adoption, le Japon a souligné
o
(onglet n 58) qu’il «avait activement contribué à cette réussite et souhait[ait] exprimer son
engagement de respecter ce processus dans le cadre de l’examen des activités de recherche
81
scientifique» .
44. Le Japon avance à présent que l’invocation par l’Australie de la pratique ultérieure
82
revient à «reviser [l’article VIII] de manière inacceptable sous le couvert d’une interprétation» .
Or, nous n’invoquons pas la pratique ultérieure de la CBI aux fins de modifier les termes de
39 l’article VIII. Au contraire, les résolutions permettent de clarifier les vues de la CBI quant à la
façon dont il convient de mener la chasse à la baleine au titre de permis spéciaux et, partant, sa
conception de l’interprétation et de l’application de l’article VIII.
45. Cette position est partagée par les Etats contractants qui sont à l’origine des lignes
directrices. Par exemple, les Etats-Unis, qui avaient proposé la résolution 1987-1, ont déclaré
o
(onglet n 59) :
«[L]a présente résolution ne restreint pas les droits qui sont ceux des
gouvernements contractants d’autoriser leurs ressortissants à mener des recherches
scientifiques en vertu de l’article VIII. Elle vise simplement à garantir que ces droits
soient exercés en cohérence avec les objectifs et les buts de la convention, dont
l’article VIII fait partie, et d’aboutir à une conception commune de la portée de
l’article VIII parmi les parties à la convention» . 83
79Résolution 1986-2 (MA, annexe 43).
80
CMJ, par. 8.68.
81 e
Intervention du Japon, 60 réunion annuelle de la CBI, compte rendu du point 9 de l’ordre du jourpermis
scientifiques [0:07:42].
82CMJ, par. III, p. 13-14, 8.1.
83Intervention des Etats-Unis, 39 réunion annuelle de la CBI, compte rendu de la deuxième séance plénière,
24 juin 1987, IWC/39/VR, p. 40. - 35 -
46. Dans son commentaire de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de
Vienne, la CDI a dit explicitement qu’il n’était pas nécessaire de démontrer que toutes les parties à
un traité s’étaient engagées dans une pratique pour que celle-ci puisse être considérée comme
84
constituant une pratique ultérieure ; il suffisait qu’ils l’aient acceptée . Le Japon ayant accepté
l’application du paragraphe 30 du règlement et la résolution de 1986 comme étant conformes à
l’article VIII, on voit mal comment il peut à présent élever des objections contre d’autres
résolutions de la CBI qui concrétisent de même les obligations imposées par l’article VIII.
47. Comme le souligne un avis juridique rédigé par M. Birnie, une décision de la CBI «prise
conformément aux procédures de vote ordinaires visées à l’article V, est décisive, et il y a lieu de
considérer que la CBI a pris en compte tous les facteurs pertinents, ses lignes directrices et sa
propre pratique en la matière» . 85
48. Selon l’avis consultatif rendu par la Cour sur Certaines dépenses, il est présumé que ces
actes institutionnels ne dépassent pas les pouvoirs de l’institution . Les résolutions adoptées aux
termes de l’article VI «à propos de questions ayant trait soit aux baleines et à la chasse à la baleine,
soit aux objectifs et aux buts de la […] convention» sont présumées valides. Le Japon a
singulièrement échoué à réfuter cette présomption.
40 iv) Le rôle de la CBI dans l’application de l’article VIII
49. Selon le Japon, la CBI est un organe politique dépourvu de légitimité pour juger des
attributs scientifiques de permis spéciaux en instance . Or la CBI est l’organe chargé d’assurer
d’une manière appropriée et efficace la conservation des peuplements baleiniers et, à ce titre, est
tout à fait en droit d’exprimer ses vues comme le prévoit l’article VI.
50. Comme l’a déclaré la délégation du Royaume-Uni en 1988, s’exprimant au nom de neuf
autres Etats contractants (onglet n 60) :
84 «Projets d’articles sur le droit des traités et commentaires», commentaire de l’article 27, Annuaire de la
Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 242.
85 e
Rapport du président sur les travaux de la 47 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission
baleinière internationale, 1996, p. 28 ; P. Birnie, «Avis sur la licéité du sanctuaire de l’océan Austral créé par la CBI»
(MA, annexe 155).
86
Certaines dépenses des Nations-Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du
20 juillet 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 168.
87 Voir par exemple CMJ, par. 4.31, 4.60, 8.24 et 8.87. - 36 -
«Nous sommes convaincus que la CBI est l’organe chargé de mettre en place
les actions appropriées et efficaces portant sur l’ensemble des aspects de gestion et de
conservation de tous les peuplements baleiniers. Il … incombe donc à la CBI, dans
l’exercice de cette importante responsabilité, de veiller à ce que toutes les propositions
de recherche, indépendamment de ceux qui les mettent en œuvre, soient conçues de
façon appropriée, qu’elles répondent à des critères définis et admis fixés par la CBI,
qu’il y ait une probabilité acceptable que la proposition de recherche produise des
résultats utiles, et en particulier, s’il est nécessaire d’avoir recours à des méthodes
létales, que les résultats de la recherche soient considérés comme essentiels et la mise
à mort comme inévitable» . 88
51. Dans l’exercice de cette fonction, la CBI a adopté depuis 1987 plus de 25 résolutions qui,
s’appuyant sur les avis formulés par le comité scientifique, confirment que certains programmes
proposés et mis en œuvre par des Etats contractants au titre de permis scientifiques ne satisfont pas
41 aux critères spécifiés dans les lignes directrices . Au moins 15 de ces résolutions visent les
90
programmes japonais .
52. Le Japon tente d’écarter la pratique de la CBI au motif qu’elle ne serait pas pertinente
91
aux fins de l’interprétation de l’article VIII . Toutefois, la pratique d’une organisation procède des
8840 réunion annuelle de la CBI, compte rendu de la quatrième session plénière, 3 juin 1988, IWC/39/VR, p. 81.
89 MA, annexe 8, Resolution on Republic of Korea’s Proposal for Special Permits, Appendix 2, Chairman’s
Report of the Thirty-Ninth Annual Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1988, vol. 38, p. 28 ; MA, annexe 9, Resolution on
Icelandic Proposal for Scientific Catches, Appendix 3, Chairman’s Report of the Thirty-Ninth Annual Meeting, Rep. int.
Whal. Commn, 1988, vol. 38, p. 28 ; MA, annexe 10, résolution 1987e4, résolution sur la proposition de permis spéciaux
du Japon, appendice 4, rapport du président sur les travaux de la 39 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la
commission baleinière internationale, 1988, vol. 38, p. 28 ; MA, annexe 11, Resolution on Norwegian Proposal for
Special Permits, Appendix 1, Chairman’s Report of the Fortieth Annual Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1989, vol. 39,
p. 30 (resolution 1988-1) ; MA, annexe 12, Resolution on the Icelandic Proposal for Scientific Catches, Appendix 2,
Chairman’s Report of the Fortieth Annual Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1989, vol. 39, p. 30-31 ; MA, annexe 14,
Resolution on the Icelandic Proposal for Scientific Catches, Appendix 1, Chairman’s Report of the Forty-First Annual
Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1990, vol. 40, p. 35 ; MA, annexe 15, Resolution on Norwegian Proposal for Special
Permits, Appendix 2, Chairman’s Report of the Forty-First Annual Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1990, vol. 40, p. 36
(résolution 1989-2) ; MA, annexe 16, resolution 1989-3 ; MA, annexe 17, Resolution on Norwegian Proposal for Special
Permits, Appendix 1, Chairman’s Report of the Forty-Second Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1991, vol. 41, p. 47
(resolution 1990-1) ; MA, annexe 18, resolution 1990-2 ; MA, annexe 19, resolution 1991-2 ; MA, annexe 20, Resolution
on USSR Proposal for Special Permit Catches in the North Pacific, Appendix 3, Chairman’s Report of the Forty-Third
Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1992, vol. 42, p. 47 (resolution 1991-3) ; MA, annexe 21, résolution 1992-5 ;
Resolution on Norwegian Proposal for Special Permits, Appendix 6, Chairman’s Report of the Forty-Fourth Meeting,
Report of the International Whaling Commission, vol. 43, 1993, p. 49 (resolution 1992-6) ; MA, annexe 22, Resolution
on Norwegian Proposal for Special Permits, Appendix 8, Chairman’s Report of the Forty-Fifth Annual Meeting, Rep. int.
Whal. Commn, 1994, vol. 44, p. 33 ; MA, annexe 24, resolution 1994-9 ; MA, annexe 25, resolution 1994-10 ; MA,
annexe 26, Resolution on Special Permit Catches by Norway, Résolution 1994-11, Appendix 15, Chairman’s Report of
the Forty-Sixth Annual Meeting, Rep. int. Whal. Commn, 1995, vol. 45, p. 48 ; MA, annexe 28, Résolution 1996-7 ; MA,
annexe 29, résolution 1997-5 ; MA, annexe 30, résolution 1997-6 ; MA, annexe 31, résolution 1998-4 ; MA, annexe 34,
résolution 2000-5 ; MA, annexe 36, résolution 2001-8 ; MA, annexe 41, résolution 2007-1
90
MA, annexe 10, résolution 1987-4 ; MA, annexe 16, résolution 1989-3 ; MA, annexe 18, résolution 1990-2 ;
MA, annexe 19, résolution 1991-2 ; résolution 1992-5 ; MA, annexe 21, résolution 1993-7 ; MA, annexe 24,
résolution 1994-9 ; MA, annexe 25, résolution 1994-10 ; MA, annexe 28, résolution 1996-7 ; MA, annexe 29,
résolution 1997-5 ; MA, annexe 30, résolution 1997-6 ; MA, annexe 31, résolution 1998-4 ; MA, annexe 34,
résolution 2000-5 ; MA, annexe 36, résolution 2001-8 ; MA, annexe 41, résolution 2007-1.
91OEJ, par. 14. - 37 -
92
actes accomplis collectivement par ses membres . Les lignes directrices et les autres résolutions
pertinentes sont le fruit d’actes collectifs des Etats contractants et établissent leur conception
commune de la portée de l’article VIII au sens de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 31 de la
93
convention de Vienne ; elles font autorité quant à l’interprétation qu’il convient d’en donner .
Conclusion
53. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’ai retracé la genèse de
l’article VIII, depuis ses origines remontant à l’accord de 1937, et son évolution dans la pratique. Il
ressort du paragraphe 30 du règlement et des résolutions adoptées par la CBI, par consensus ou à
42 une large majorité, en particulier de celles énonçant les lignes directrices et les critères minimaux
auxquels doit satisfaire un permis spécial délivré en vertu de l’article VIII. Ces critères procèdent
de la pratique scientifique généralement admise. Ils ne sont pas facultatifs et ne relèvent pas de
quelque code de conduite que seuls observeraient les plus vertueux. Ils constituent des obligations
aux termes de la convention.
Le PRESIDENT : Monsieur Crawford, si vous en êtes d’accord, je pense que le moment est
venu de suspendre brièvement votre exposé pour une pause café.
M. CRAWFORD : J’allais justement suggérer que les mots «obligation» et «caféine»
semblaient étroitement liés.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. L’audience est donc suspendue pour 15 minutes.
L’audience est suspendue de 16 h 10 à 16 h 35.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend. Vous avez la parole,
Monsieur Crawford.
M. CRAWFORD : Je vous remercie, Monsieur le président.
92E. Lauterpacht, «The Development of the Law of International Organization by the Decisions of International
Tribunals», 152 Recueil des Cours (1976-IV), p. 459.
93 «Projets d’articles sur le droit des traités et commentaires», commentaire de l’article 38, Annuaire de la
Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 257. - 38 -
2. L’article VIII, exception limitée à la réglementation
prévue par la convention de 1946
a) La convention de 1946 en tant qu’instituant un régime
54. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’aborde la deuxième partie de
mon exposé. Tel qu’il est libellé, l’article VIII prévoit une exception limitée au régime
réglementaire général établi par la convention, et loin d’être une «disposition autonome» , il fait
partie d’un régime de réglementation cohérent.
55. Dans leur sens ordinaire, les premiers mots de l’article VIII («Nonobstant toute
disposition contraire de la présente convention … ») désignent une exception aux règles et
règlements généraux régissant la chasse à des fins commerciales. L’article VIII n’en fait pas moins
partie de la convention, et il convient de l’interpréter à la lumière de l’objet et du but de celle-ci.
43 56. Les arguments du Japon sur ce membre de phrase introductif sont contradictoires. D’une
part, il soutient que la clause signifie ceci : «[l]a chasse à la baleine au titre d’un permis spécial
prévue à l’article VIII est totalement exclue du champ d’application de la convention de 1946. En
dehors de l’article VIII lui-même, elle n’est pas réglementée par cet instrument et ne relève pas de
95
ses dispositions.» D’autre part, il reconnaît que les Etats contractants, lorsqu’ils réalisent un
programme au titre d’un permis spécial, doivent mettre en œuvre l’objet et le but de la
96
convention . Ces propositions s’excluent mutuellement. Puisqu’il admet que l’objet et le but de la
convention sont pertinents pour la mise en œuvre d’un programme de chasse à la baleine réalisé au
titre d’un permis spécial, le Japon ne peut persister à dire que ce type de chasse ne relève en rien du
reste de la convention, ce qui revient à faire de l’article VIII un monde flottant qui se suffit à
lui-même, tel une estampe d’Utamaro ou Hiroshige.
57. Qualifier l’article VIII d’exception au régime établi par la convention a des incidences
évidentes sur son interprétation. Une exception doit être interprétée de manière restrictive et sans
94
CMJ, par. 7.8.
95Ibid.
96
Ibid., par. 8.13. - 39 -
97
s’écarter de ses termes . La possibilité d’invoquer l’article VIII doit être restreinte, pour ne pas
affaiblir les obligations fondamentales qui reflètent l’objet et le but de la convention. En l’espèce,
les principales mesures de conservation que la CBI a prises pour mener à bien sa
mission notamment l’imposition du moratoire et la désignation du sanctuaire sont d’une
pertinence évidente.
58. Pour préserver l’effet utile de la convention et des obligations fondamentales qu’elle
énonce et ne pas compromettre son objet et son but, il importe d’interpréter restrictivement
l’article VIII. Ainsi que la Cour l’a dit dans l’affaire Libye/Tchad, «[t]oute autre lecture […] serait
contraire à l’un des principes fondamentaux d’interprétation des traités, constamment admis dans la
98
jurisprudence internationale, celui de l’effet utile» .
59. Admettre l’argument du Japon selon lequel les dispositions de l’article VIII sont
«autonomes» équivaudrait à un retour à l’unilatéralisme en matière de chasse à la baleine. Une
interprétation trop large et imprécise de l’exception applicable aux «recherches scientifiques», telle
qu’un Etat partie à la convention, voire chacun des 89 Etats contractants pourrait définir cette
44
exception et s’en prévaloir à sa guise, ferait s’écrouler le régime établi par la convention.
b) La thèse originaliste du Japon
60. Le Japon soutient que certaines des principales mesures de conservation qui font partie
intégrante du régime de la convention dans sa forme actuelle ne sont pas des éléments pertinents du
100
contexte à la lumière duquel doit être interprété l’article VIII . Selon le Japon, le paragraphe 4 de
l’article VIII est le seul contexte pertinent pour déterminer la portée dudit article . 101 Or, les
97Voir, par exemple, GATT : Report of the Panel on «Canada - Import Restrictions on Ice Cream and Yoghurt»,
L/6568-36S/68, par. 59 ; Report of the Panel on «US - Countervailing Duties on Fresh, Chilled and Frozen Pork from
Canada», DS7/R - 38S/30, par. 4.4 ; Report of the Panel on «Norway - Procurement of Toll Collection Equipment»,
GPR.DS2/R, par. 4.5. OMC : Rapport du Groupe spécial, «Indonésie Certaines mesures affectant l’industrie
automobile», WT/DS54/R, par. 5.238 ; Rapport de l’Organe d’appel, «Etats-Unis Prohibition à l’importation de
certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes», WT/DS58/AB/R, par. 156-157. CEDH : Guzzardi c. Italie
(requête n 7367/76), CEDH (1990) série A, n 39, 36, par. 98, citant Winterwerp c. Pays-Bas (requête n 6301/73),
CEDH (1979) série A n 33, 16, par. 37. Voir aussi Vogt c. Allemagne (requête n 17851/91), arrêt du
o o
26 septembre 1995, par. 52 ; Observer et Guardian c. Royaume-Uni (requête n 13585/88), CEDH (1991) série A, n 216,
par. 59.
98
Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 25, par. 51.
99CMJ, par. 7.8.
100CMJ, par. 8.54-8.56.
101CMJ, par. 7.17-7.22. - 40 -
dispositions imposant le moratoire et instituant le sanctuaire font partie intégrante de la
convention . Le «contexte» d’interprétation visé au paragraphe 1 de l’article 31 de la convention
103
de Vienne comprend l’ensemble du traité . L’article VIII doit être interprété en fonction du
régime établi par la convention tel qu’il a évolué jusqu’à ce jour, principales mesures de
conservation comprises. Il n’y a pas d’un côté une vieille convention moderne comprenant
l’article VIII, et de l’autre une convention l’excluant.
c) L’invocation par le Japon d’une «marge d’appréciation»
61. Le Japon invoque volontiers la notion de «marge d’appréciation» pour élargir encore la
latitude déjà considérable qu’il s’octroie au titre de l’article VIII. Il admet qu’un permis spécial de
chasse à la baleine puisse être contesté s’il a été accordé par une décision «arbitraire ou
inconsidérée», sans toutefois préciser ce qu’il faut entendre par là . Il doute, en revanche que, la
Cour ait le pouvoir de décider si «le programme JARPA II a été conçu de façon tout à fait
conforme à l’article VIII de la convention de 1946…» . Selon lui, l’article VIII laisse aux Etats
contractants une importante marge d’appréciation et leur confère un pouvoir discrétionnaire étendu
45 lorsqu’il s’agit de déterminer les besoins de recherche et les conditions dont sont assortis les
permis, notamment le nombre maximal de baleines pouvant être capturées . 106
62. Je répondrai en formulant deux observations. Tout d’abord, ce que l’Australie attend de
la Cour, c’est qu’elle statue sur l’interprétation et l’application de la convention notamment de
son article VIII. La Cour a confirmé à de nombreuses reprises qu’il lui incombe de se prononcer
sur l’interprétation et l’application des dispositions d’un traité pour déterminer si un Etat s’est ou
102Convention de 1946, article I 1).
103«Projet d’articles sur le droit des traités, avec commentaires», commentaire de l’article 27, Annuaire de la
commission du droit international, 1966, vol. II, p. 221. Voir aussi R. Jennings & A. Watts (éd.), Oppenheim’s
International Law (9th Edn), Volume 1: Peace (The Bath Press, Avon 1992), p. 1273 ; I. Sinclair, The Vienna Convention
on the Law of Treaties (2nd Edn) (Manchester University Press, 1984), p. 127 ; A. Aust, Modern Treaty Law and
Practice (2nd Edn) (CUP, 2007), p. 235. Compétence de l'OIT pour la réglementation internationale dos conditions du
travail des personnes employées dans l’agriculture, avis consultatio du 12 août 1922, C.P.J.I., série B, n 2, 23 ; Zones
franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, C.P.J.I., série A/B, n 46, p. 140 ; Air Transport Services Agreement
Arbitration (USA v. France) (1963) 38 ILR 182, p. 228-9.
104
CMJ, par. 9.7.
105Ibid.
106Ibid., par. 61, 9.7 et 9.21 ; OEJ, par. 37. - 41 -
107
non acquitté de ses obligations . En définitive, c’est à la Cour qu’il appartient de décider si un
programme de chasse à la baleine relève ou non de l’article VIII . 108
63. Ensuite, la marge d’appréciation n’est pas, contrairement à ce que soutient le Japon, un
109
«axiome du droit international et des relations internationales» . Son assertion selon laquelle
ladite marge constitue «une garantie raisonnable contre toute accusation injustifiée de mauvaise
110
foi» est totalement infondée . Jamais la Cour n’a ni expressément accepté, ni appliqué un
précepte général qui voudrait que soit ménagée une «marge d’appréciation». Dans l’affaire des
111
Plates-formes pétrolières, elle a en fait expressément rejeté cette proposition latitudinaire .
64. La vaste «marge d’appréciation» que revendique le Japon compromettrait l’application
des règlements adoptés par la CBI pour garantir la conservation et la gestion efficaces des
populations baleinières.
65. Pour conclure sur ce point, ce n’est ni au Japon ni à aucun autre Etat contractant qu’il
revient de décider du sens de l’expression «en vue de recherches scientifiques» ou de déterminer si
une opération de chasse menée au titre d’un permis spécial est effectivement autorisée et conduite à
cette fin. Il n’est pas, à cet égard, de «marge d’appréciation» qui tienne.
d) Les règles pertinentes du droit international
66. J’ai brièvement mentionné les règles pertinentes du droit international. Conformément à
l’article 31, paragraphe 3), alinéa c) de la Convention de Vienne, un certain nombre de règles du
46 droit international sont pertinentes pour l’interprétation de l’article VIII. La pertinence de ces
règles pour l’interprétation des traités, compte tenu de leur évolution depuis la conclusion de
112
ceux-ci, est bien établie . Par exemple, en l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour a
107
Voir, par exemple, Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica
c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 213 ; LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 466 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2003, p. 161.
108
Pour des arguments contraires, voir, par exemple, CMJ, par. 9.7 ; OEJ, par. 54, 66 et 70.
109CMJ, par. 9.16.
110Ibid.
111Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 196, par. 73.
112
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, 31, par. 53 ;
Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 67-68, par. 112. - 42 -
confirmé que «[l]’application des règles pertinentes du droit international relatif à cette question
fai[sait] […] partie intégrante de la tâche d’interprétation», et elle a donc tenu compte des «règles
pertinentes du droit international relatif à l’emploi de la force» pour interpréter le traité bilatéral
d’amitié conclu entre l’Iran et les Etats-Unis . Mme Boisson de Chazournes a déjà passé en revue
les règles et principes pertinents du droit international, il est donc inutile que j’y revienne.
e) Conclusion
67. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en résumé, l’article VIII n’est
pas une disposition «autonome», «se suffisant à elle-même», dont l’application serait laissée à la
discrétion des Etats contractants. Ce n’est pas à un Etat contractant qu’il appartient de décider qu’il
peut délivrer des permis spéciaux parce qu’il considère que la chasse à la baleine ainsi autorisée est
effectuée «en vue de recherches scientifiques». C’est en définitive à la Cour qu’il revient d’établir
si un programme de chasse à la baleine satisfait aux conditions que pose l’article VIII, eu égard aux
principes pertinents du droit international et aux caractéristiques essentielles de la recherche
scientifique.
3. Les trois conditions requises par l’article VIII
68. J’en viens à présent à la troisième partie de mon exposé. Il est expressément précisé au
paragraphe 1 de l’article VIII qu’un permis spécial de chasse à la baleine ne peut être délivré
qu’«en vue de recherches scientifiques». Il ressort d’une lecture simple de cette expression que
deux conditions distinctes mais liées entre elles sont ainsi posées. La condition du caractère
scientifique des recherches a pour conséquence que les activités autorisées par le permis doivent
mériter d’être qualifiées de «recherches scientifiques». La condition de l’exclusivité du but impose
qu’un permis spécial autorise la chasse à la baleine «en vue de recherches scientifiques» à
l’exclusion de tout autre but. Je traiterai ces deux points tour à tour.
113Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 182, par. 41. - 43 -
47 a) La condition du caractère scientifique des travaux de recherche
69. Les lignes directrices établissent les critères minimaux auxquels doit satisfaire un permis
spécial. Conformément à ces critères ainsi qu’à la pratique scientifique généralement admise, un
programme établi «en vue de recherches scientifiques» au sens de la convention de 1946 doit réunir
114,115
quatre caractéristiques essentielles .
70. Premièrement, il doit répondre à des objectifs précis et réalisables qui, s’ils sont atteints,
pourront contribuer à l’acquisition de nouvelles connaissances importantes pour la conservation et
la gestion des peuplements baleiniers. Les auteurs du projet de recherche devraient énoncer des
hypothèses vérifiables et définies avec suffisamment de précision pour que leur validité puisse être
116
éprouvée par les méthodes disponibles . Quelle que soit la quantité de données que permet de
recueillir un programme, celui-ci ne peut pas être considéré comme conçu «en vue de recherches
scientifiques» s’il ne repose pas sur des hypothèses susceptibles d’être éprouvées . 117
71. Dans ses lignes directrices, la CBI souligne la nécessité que les permis spéciaux délivrés
en application de l’article VIII contribuent à l’acquisition de connaissances importantes pour la
118
conservation et la gestion des peuplements baleiniers . Il ne suffit pas que les données recueillies
grâce à ces permis soient potentiellement utiles en général. Nous avons tous le désir de mieux
connaître l’univers, mais pour autant, nous ne nous comportons pas nécessairement comme des
chercheurs. Les lignes directrices confirment que la recherche doit être «nécessaire» à la gestion
des peuplements baleiniers concernés . Dans son rapport d’expertise, M. Walløe soutient qu’il
est «fondamentalement erroné» d’affirmer que le recours aux méthodes létales pour des recherches
114M. Mangel, Evaluation des programmes japonais de recherche scientifique sur les baleines dans l’Antarctique
au titre d’un permis spécial (JARPA, JARPA II) en tant que programmes menés à des fins de recherche scientifique dans
le cadre de la conservation et de la gestion des baleines (Opinion d’expert initiale), par. 1.3, 4.38-4.39 (MA,
appendice 2) ; M. Mangel, Complément au rapport d’évaluation des programmes japonais de recherche scientifique sur
les baleines dans l’Antarctique au titre d’un permis spécial (JARPA, JARPA II) en tant que programmes menés à des fins
de recherche scientifique dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines (Opinion d’expert
complémentaire), par. 1.2-1.4.
115Mangel, Opinion d’expert complémentaire, par. 1.3.
116 Mangel, Opinion d’expert initiale, par. 4.9-4.13 (MA, appendice 2). Mangel, Opinion d’expert
complémentaire, par. 3.1-3.10 ; Mangel, Réponse au document intitulé «Examen scientifique des questions soulevées par
le mémoire de l’Australie et par ses deux appendices» rédigé par le professeur Lars Walløe, par. 2.1-2.7.
117Mangel, Opinion d’expert complémentaire, par. 3.10.
118MA, annexe 43, résolution 1986-2 ; MA, annexe 46, résolution 1995-9 ; MA, annexe 47, résolution sur les
permis spéciaux en vue de recherches scientifiques, résolution 1999-2, appendice 3, rapport du président sur les travaux
de la 51 réunion annuelle de la CBI, rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1999, p. 52
(résolution 1999-2) ; MA, annexe 49, annexe P.
119MA, annexe 43, résolution 1986-2 ; MA, annexe 47, résolution 1999-2. - 44 -
entreprises au titre de l’article VIII doit être motivé par l’importance de ces recherches pour la
conservation et la gestion des peuplements baleiniers . Il affirme que la résolution de 1986 a
établi le critère suivant pour l’évaluation d’un projet de recherche : «la recherche porte sur une ou
plusieurs questions auxquelles il doit être répondu pour procéder à une évaluation complète ou pour
121
48 répondre à d’autres besoins de recherche d’une importance essentielle» . Toutefois, selon la
résolution de 1986, adoptée par consensus, le critère pertinent impose en réalité que l’on examine si
«le projet de recherche est destiné à contribuer à l’acquisition d’informations essentielles à la
gestion rationnelle des peuplements, et structuré en conséquence de cet objectif» 122(les italiques
sont de nous).
72. Cette résolution a été complétée par la résolution 1987-1, d’où est en fait extrait le critère
évoqué par M. Walløe. Ce qu’il se garde de vous dire, c’est que dans les critères établis par la
résolution de 1987 la résolution 1987-1 , qui complètent ceux établis en 1986, il est
expressément précisé que les permis spéciaux doivent toujours satisfaire aux critères énoncés dans
la résolution de 1986. Cela est confirmé par ce que dit la CBI dans ses résolutions relatives à des
programmes de chasse à la baleine au titre d’un permis spécial où elle relève expressément que les
recherches ne satisfont pas à l’ensemble des critères énoncés dans la résolution de 1986 et dans
celle de 1987 .123
73. Le texte pertinent figure désormais dans la résolution 1995-9, telle que complétée par la
résolution 1999-2 . 124 Dans ce dernier document, la CBI demande au comité scientifique
d’examiner si les informations qu’il est prévu de recueillir sont «nécessaires à la gestion de
l’espèce ou des populations faisant l’objet de la recherche» . 125
120Walløe, Examen scientifique des questions soulevées par le mémoire de l’Australie et par ses deux
appendices, 9 avril 2013 (Walløe, rapport d’expertise), p. 13.
12Walløe, rapport d’expertise, p. 13.
122
MA, annexe 43, résolution 1986-2.
123Voir, par exemple, MA, annexe 11, résolution 1988-1 ; MA, annexe 12, résolution 1988-2 ; MA, annexe 15,
résolution 1989-2 ; MA, annexe 16, résolution 1989-3 ; MA, annexe 17, résolution 1990-1 ; MA, annexe 18,
résolution 1990-2 ; MA, annexe 19, résolution 1991-2 ; MA, annexe 20, résolution 1991-3 ; MA, annexe 21,
résolutions 1992-5, 1992-6 et 1993-7 ; MA, annexe 22, résolution 1993-8 ; MA, annexe 24, résolution 1994-9 ; MA,
annexe 25, résolution 1994-10 ; MA, annexe 26, résolution 1994-11.
124
MA, annexe 46, résolution 1995-9.
12MA, annexe 47, résolution 1999-2. - 45 -
74. Les documents de la CBI confirment que celle-ci a délibérément opté pour des exigences
rigoureuses la recherche menée dans le cadre de l’article VIII doit être «nécessaire» ou
126
«essentielle» à la gestion des espèces ou populations considérées .
75. Les résolutions de la CBI sur des programmes spécifiques confirment ce niveau
d’exigence élevé. En particulier, dans ses résolutions de 1990 , 1991 , 1992 , 199328 129 130
131
49 et 1994 relatives au programme JARPA, elle a expressément relevé que même si les recherches
prévues étaient censées répondre à des besoins de recherche «généraux» ou à «certains» besoins, le
programme JARPA ne satisfaisait pas aux critères énoncés dans les lignes directrices du fait que
lesdites recherches n’étaient pas structurées de manière à contribuer à l’acquisition de
connaissances «essentielles» ou «nécessaires» à la gestion des peuplements baleiniers considérés.
Dans sa résolution de 1997, elle a fait valoir que «le programme JARPA ne répond[ait] pas à des
besoins d’une importance cruciale pour la recherche aux fins de la gestion des baleines dans
132
l’océan Austral» (les italiques sont de nous).
76. La deuxième caractéristique essentielle est que, dans le cadre du programme, il doit être
fait usage de méthodes appropriées, dont la mise en œuvre rend possible et probable la réalisation
des objectifs annoncés.
77. Le principe fondamental qu’il convient ici de mettre en avant est que, dans le cadre
d’activités de recherche scientifique, tuer des animaux n’est permis que s’il n’y a pas moyen de
126
Voir, par exemple, Intervention by the United-States, IWC 49, Plenary Day 4, 23 octobre 1997, p. 133.
12MA, annexe 18, résolution 1990-2.
12MA, annexe 19, résolution 1991-2.
129
Résolution 1992-5.
130
MA, annexe 21, résolution 1993-7.
13MA, annexe 25, résolution 1994-10.
13MA, annexe 29, résolution 1997-5. - 46 -
procéder autrement . Un programme scientifique devrait faire appel à de nouvelles techniques
134
non létales plutôt que de les écarter sommairement au profit des vieilles méthodes létales .
Lorsque l’emploi de méthodes létales est inévitable, le nombre d’animaux tués devrait être limité à
ce qui est strictement nécessaire pour les besoins de la recherche . 135
78. Les lignes directrices confirment ce principe, à savoir que les moyens létaux ne peuvent
être employés que lorsqu’il est impossible d’obtenir les informations recherchées à partir de
sources existantes ou par des moyens non létaux . Les tentatives faites par le Japon pour amener
la CBI à adopter un seuil inférieur de recours aux méthodes létales ont été expressément rejetées
par celle-ci. En particulier, le Japon a suggéré qu’il serait plus approprié de se demander s’il était
«en pratique» possible ou non de répondre en employant des moyens non létaux à une question de
recherche. Je cite le Japon (onglet 61) :
50 «Aux fins de déterminer si des techniques de recherche non létales permettent
ou non d’atteindre les objectifs de la recherche, il convient également de prendre en
considération la faisabilité économique de ces techniques ainsi que le caractère
raisonnable du 137ai nécessaire à la collecte des données pertinentes grâce à ces
techniques.»
Cette proposition a été catégoriquement rejetée par la CBI . 138
133MA, appendice 2, Mangel, Opinion d’expert initiale, par. 4.35 ; exposé de Nick Gales, par. 3.11. Voir
également, par exemple, Guidelines for the treatment of marine mammals in field research, Society for Marine
Mammalogy, Marine Mammal Science, vol. 25 (3) (juillet 2009), p. 736 ; annexe II du protocole au traité sur
l’Antarctique, relatif à la protection de l’environnement : conservation de la faune et de la flore de l’Antarctique,
Madrid, 4 octobre 1991, ILM, vol. 30, p. 1476 (entré en vigueur le 14 janvier 1998), art. 3 ; accord sur la conservation
des phoques dans la mer Wadden, 16 octobre 1990, Nations-Unies, Recueil des traités, n° 48123 (entré en vigueur le
1 octobre 1991), art. VI 2) ; convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe,
19 septembre 1979, STCE n° 104 (entrée en vigueur le 1 juin 1982), art. 9 ; ACCOBAMS, art. 2 2) ; convention pour la
protection des phoques de l’Antarctique, 1 juin 1972, Nations-Unies, Recueil des traités, vol. 45, p. 7209 (1978) (entrée
en vigueur le 11 mars 1978), telle que précisée par les parties à la convention en 1988, Report of the 1988 Meeting to
Review the Operation of the Convention for the Conservation of Antarctic Seals, Londres, 12-16 Septembre 1988,
par. 17.
134
Mangel, Opinion d’expert complémentaire, par. 5.14.
135
En ce qui concerne le principe internationalement accepté qui régit la recherche sur les animaux, généralement
connu dans les cercles scientifiques comme la doctrine des «trois R» (replacement, reduction and refinement)
(remplacement, réduction et perfectionnement), voir W. Russell et R. Burch, The Principles of Humane Experimental
Technique (Allen & Unwin, 1959) ; Organisation mondiale de la santé animale (OIE), Code sanitaire pour les animaux
terrestres, 19 édition, mai 2010, chapitre 7.8, Utilisation d’animaux pour la recherche et l’enseignement, notamment
art. 7.8.3.
136MA, annexe 43, résolution 1986-2 ; MA, annexe 44, résolution 1987-1 ; MA, annexe 46, Résolution 1995-9 ;
MA, annexe 47, résolution 1999-2.
137Commentaire du Gouvernement japonais adressé au groupe de travail sur les permis spéciaux à des fins de
recherche scientifique, TC/38/SP1 C, p. 3.
138Propositions japonaises de modification de la résolution de 1987 : modification demandée par le Japon de la
proposition de résolution portant sur les programmes de recherche scientifique, dans le document IWC/39/24 Rev.2. La
e
modification considérée a été rejetée par la commission par 21 voix contre 6, avec 5 abstentions : 39 réunion annuelle de
la CBI, compte rendu de la deuxième séance plénière, 24 juin 1987, IWC/39/VR, p. 59 et 72. - 47 -
139
79. La très grande majorité des Etats contractants, dont l’Australie , la
140 141 142 143
Nouvelle-Zélande , l’Afrique du Sud , les membres de l’Union européenne , les Etats-Unis
et les membres du groupe de Buenos Aires , sont d’avis qu’il n’est pas nécessaire de mener des
recherches létales, parce que les informations dont on a actuellement besoin pour améliorer la
conservation et la gestion des peuplements baleiniers peuvent être obtenues par des moyens
non létaux.
80. La troisième caractéristique essentielle d’un programme entrepris en vue de recherches
scientifiques est que les paramètres et résultats du programme doivent être soumis périodiquement
à un examen collégial indépendant et que le programme doit être ajusté en conséquence . 145
81. La nécessité d’un processus indépendant et impartial d’examen collégial semblerait ne
pas prêter à controverse. Pour reprendre les termes employés par la Cour suprême des Etats-Unis
d’Amérique, «le fait de s’en remettre à l’examen de la communauté scientifique est constitutif
146
d’une «science positive»» . La participation à un tel processus sous-entend également que les
promoteurs de la recherche acceptent de tenir dûment compte du résultat de l’examen collégial et
des critiques ou inquiétudes éventuellement exprimées.
51 82. La CBI a reconnu l’importance de l’examen collégial et de l’évaluation périodique des
résultats de recherche, ce qui l’a conduite en particulier à adopter l’annexe P, qui établit un
processus d’examen indépendant dans le cadre duquel des scientifiques n’appartenant pas au
comité scientifique procèdent à un premier examen des propositions de délivrance de permis de
139Voir par exemple, 51 réunion annuelle de la CBI, compte rendu de la séance plénière du 26 mai 1999, 153.
140Voir par exemple, 52 réunion annuelle de la CBI, séance plénière du 5 juillet 2000, 146-7.
141 64 réunion annuelle de la CBI, compte rendu du point 14 de l’ordre du jour permis scientifiques,
mercredi 4 juillet 2012, séance du matin (02 :47 :56).
142 e
Intervention de la Slovénie (au nom de l’Union européenne), 60 réunion annuelle de la CBI, Compte rendu du
point 9 de l’ordre du jour – permis scientifiques [0 :15 :38].
143 e
Intervention des Etats-Unis, 61 réunion annuelle de la CBI, compte rendu du point 9. 2b de l’ordre du
jour permis scientifiques débats de la commission et décisions en découlant, Etats-Unis (0 :11 :38).
144
«Les membres du «Groupe de Buenos Aires» manifestent leur opposition à la nouvelle campagne de chasse à
la baleine menée par le Japon dans le sanctuaire de l’océan Austral et prient instamment le Gouvernement japonais de
mettre fin à cette prétendue «chasse scientifique», communiqué de presse n 022/13, 4 février 2013.
145Mangel, Rapport d’expert remis à titre initial, par. 4.17-4.26 (MA, appendice 2) ; Mangel, Exposé d’expert
remis à titre complémentaire, par. 3.29-3.32.
146Daubert v. Merrell Dow Pharmaceuticals, Inc. 509 US 579 (1992), p. 593. - 48 -
chasse à des fins scientifiques, ce qui exclut les promoteurs de la recherche, tels le Japon, des
147
débats initiaux .
83. Les lignes directrices confirment que les Etats contractants doivent tenir compte des
commentaires et des critiques formulés par le comité scientifique . 148
84. J’en viens maintenant à la quatrième caractéristique essentielle, à savoir que la recherche
doit être conçue de façon à éviter qu’elle ne nuise aux populations étudiées . 149
85. Conformément au principe de précaution, cette caractéristique impose aux promoteurs de
la recherche de démontrer que celle-ci ne nuira pas aux peuplements baleiniers considérés. Cette
150
exigence a, elle aussi, été admise de façon constante par le comité scientifique et la CBI .
86. Dans son contre-mémoire, le Japon ne se donne même pas la peine d’aborder ces
caractéristiques ou de proposer autre chose. Il se borne à manifester son dédain. Après avoir eu
tout loisir, en 10 mois, d’étudier le rapport de M. Mangel, tout ce qu’il trouve à en dire est que
l’Australie, alors qu’elle n’a cité qu’un seul expert, ose présenter son rapport comme attestant
151
d’une «vérité scientifique» générale .
87. Or, les caractéristiques que j’ai mentionnées sont spécifiées dans les normes
internationales qui régissent actuellement la conduite de recherches scientifiques . Elles ne sont2
pas singulières et ne sont pas une invention de M. Mangel. Le Japon admet que ces textes
expriment des «positions qui ne prêtent pas à controverse» quant à la conduite de la recherche
scientifique . Il a reconnu qu’il importait d’adopter des normes communes régissant la conduite
de la recherche scientifique, «afin d’éviter que les parties contractantes n’établissent
147Annexe P (MA, annexe 49).
148
Résolution 1985-2 (MA, annexe 7) ; résolution 1986-2 (MA, annexe 43).
149
Mangel, Exposé d’expert remis à titre initial, par. 4.27-4.29 (MA, appendice 2).
150 Règlement, par. 30 ; annexe L (MA, Annexe 42) ; résolution 1987-1 (MA, annexe 44) ; annexe P
(MA, annexe 49).
151CMJ, par. 9.9-9.12.
152Voir par exemple, «Cadre d’évaluation de la recherche scientifique ayant recours à la fertilisation des océans»,
adopté lors de la 32 réunion consultative des parties contractantes à la convention de Londres et de la 5 réunion des
parties contractantes au protocole de Londres par la résolution LC-LP.2(2010), le 14 octobre 2010 ; Résolution 4.18
«Lignes directrices sur l’octroi de dérogations à l’article I, paragraphe 1, aux fins de recherches in situ non létales dans la
zone concernée par l’Accord», adoptée lors de la quatrième réunion des parties contractantes à l’ACCOBAMS, Monaco,
9-12 novembre 2010, ACCOBAMS-MOP4/2010/Res4.18.
153
CMJ, par. 9.12. - 49 -
52 individuellement les seuils considérés, ce qui nuirait à l’efficacité de [ces normes]» . 154 Par
exemple, le Japon a participé activement aux travaux du groupe de rédaction du cadre d’évaluation
de la recherche scientifique ayant recours à la fertilisation des océans, adopté par les parties
contractantes à la convention et au protocole de Londres en octobre 2010. Il est étonnant
d’observer les ramifications du droit international de nos jours. Le cadre d’évaluation définit
quatre critères auxquels un projet doit au minimum satisfaire pour être considéré comme présentant
155
de «véritables attributs scientifiques» .
88. Le Japon nie que ces «caractéristiques essentielles» s’imposent juridiquement . 156
Pourtant, comme toute autre expression employée dans un traité qui n’est pas définie, l’expression
de «recherches scientifiques» doit être interprétée suivant son sens ordinaire. Puisqu’elles
procèdent de principes «ne prêtant pas à controverse» ou «généralement admis» régissant la
pratique scientifique, les caractéristiques essentielles que doit présenter un programme entrepris en
vue de recherches scientifiques donnent corps au sens ordinaire de l’expression telle qu’elle est
employée à l’article VIII.
b) La condition de l’exclusivité du but scientifique
89. J’en viens maintenant à la seconde condition, celle du but des recherches, qui peut être
énoncée simplement de la manière suivante : interpréter et appliquer de bonne foi l’article VIII
implique que tout permis spécial autorisant des activités de chasse à la baleine «en vue de
recherches scientifiques» soit délivré dans ce but à l’exclusion de tout autre. Autrement dit,
pareilles activités doivent être réellement motivées par la volonté de procéder à des recherches
scientifiques, lesquelles ne doivent pas servir simplement de façade.
90. Il ne suffit pas que la conduite de recherches scientifiques constitue un objectif
secondaire ou accessoire. Selon le raisonnement suivi par la Cour dans l’affaire
Costa Rica c. Nicaragua, l’énoncé exprès du but en vue duquel un permis est délivré en application
154Rapport de la trente-deuxième réunion consultative des parties contractantes à la convention de Londres et
cinquième réunion des parties contractantes au protocole de Londres, LC/32/15, par. 4.2.2.
155
«Cadre d’évaluation de la recherche scientifique ayant recours à la fertilisation des océans», adopté lors de la
32 réunion consultative des parties contractantes à la convention de Londres et de la 5 réunion des parties contractantes
au protocole de Londres par la résolution LC-LP.2(2010), le 14 octobre 2010, par. 2.2.
156
CMJ, par. 9.12. - 50 -
de l’article VIII, la conduite de «recherches scientifiques», implique l’exclusion de tout autre but .57
J’admets volontiers que la Cour, dans cette affaire, a eu raison de rejeter mon argumentation à
l’effet du contraire.
53 91. La condition du caractère scientifique et celle du but exclusivement scientifique sont
cumulatives. Un permis, même s’il remplit la première de ces conditions, n’est conforme à
l’article VIII que si la raison d’être des activités prévues est réellement la conduite de «recherches
scientifiques».
92. Ces conditions sont, de surcroît, intrinsèquement liées. Pour apprécier le but réellement
poursuivi par un Etat contractant lorsqu’il délivre un permis spécial, il est fort utile d’examiner la
manière dont le programme de chasse considéré est conçu et les modalités de son exécution, ainsi
que les résultats qu’il est censé produire.
93. Si le programme a peu de chances, vu sa structure, de fournir les nouvelles informations
recherchées pour les besoins de la conservation et de la gestion des peuplements baleiniers, il ne
peut être considéré comme étant motivé par la conduite de «recherches scientifiques».
94. Il est également pertinent de prendre en considération les résultats déjà obtenus. Si un
programme de recherche qui s’étale sur une période de plusieurs années, et implique la mise à mort
de milliers de baleines, produit des résultats peu concluants, peu fiables ou de peu d’intérêt pour la
conservation et la gestion des peuplements baleiniers, il est fort probable qu’il ait été en fait
autorisé non pas en vue de «recherches scientifiques», mais à d’autres fins.
c) La condition du respect du principe de bonne foi
95. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la troisième condition est que
soit observé le principe de bonne foi. Ce principe impose aux Etats contractants que dans
l’application de l’article VIII, ils tiennent dûment compte des vues de la CBI quant aux conditions
de conduite des activités de chasse à la baleine autorisées par un permis spécial. Cette obligation
relève du devoir qu’ont les Etats contractants de coopérer de bonne foi pour promouvoir l’objet et
le but de la convention, en particulier dans le cadre des travaux de la CBI.
157Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 241, par. 61. - 51 -
96. Dans son avis consultatif sur l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, la Cour
a reconnu que l’obligation de coopérer de bonne foi constituait «le fondement même des relations
juridiques» entre une organisation internationale et ses Etats membres , soulignant que cette
159
obligation devrait être «la considération primordiale» pour la première comme pour les seconds .
54 97. Les Etats contractants, y compris le Japon, doivent avoir pour considération primordiale
de coopérer de bonne foi afin de favoriser la réalisation de l’objet et du but essentiels des travaux
de la CBI, à savoir assurer la conservation et la reconstitution des peuplements baleiniers. Je n’en
dirai pas plus sur ce sujet, vous invitant à patienter jusqu’à l’intervention de M. Gleeson qui
reviendra, vendredi, sur la considération primordiale qui doit guider l’action des Etats contractants.
4. Conclusion
98. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à la conclusion de
mon exposé. S’il est vrai que le texte de l’article VIII est aujourd’hui tel qu’il était en 1946, son
sens ordinaire n’est pas, pour autant, resté figé depuis 60 ans. Pour l’interpréter convenablement
selon les articles 31 et 32 de la convention de Vienne, il importe de se fonder sur son contenu et
son contexte actuels.
99. Cinq propositions fondamentales doivent en particulier être prises en considération pour
l’interprétation et l’application de l’article VIII :
premièrement, les permis délivrés au titre de l’article VIII en vue de recherches prévoyant
l’emploi de méthodes létales sont des permis «spéciaux». Ils ne peuvent être accordés que
dans certaines circonstances et de sorte à ne pas compromettre l’effet utile de la convention ;
deuxièmement, l’article VIII n’est pas «d’application discrétionnaire» et il appartient à la Cour
d’en déterminer la portée et de se prononcer sur son application ;
troisièmement, toute opération de chasse à la baleine autorisée par un permis spécial délivré au
titre du paragraphe 1 de l’article VIII doit réunir les quatre caractéristiques essentielles
découlant de la «condition du caractère scientifique» des travaux de recherche ;
158Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980,
p. 95, par. 48.
159Ibid., par. 49. - 52 -
quatrièmement, la réalisation d’un programme «en vue de recherches scientifiques» doit avoir
pour but réel la recherche scientifique et rien d’autre ;
cinquièmement, les Etats contractants doivent appliquer l’article VIII de bonne foi, en tenant
dûment compte des vues de la CBI.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je suis parvenu au terme de mon
exposé concernant l’article VIII. Je vous remercie de votre patiente attention.
LE PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Crawford. Je donne à présent la parole à
M. Sands. Vous avez la parole, Monsieur.
55 M. SANDS :
LA CHASSE À LA BALEINE «SCIENTIFIQUE » DANS L OCÉAN AUSTRAL
(PREMIÈRE PARTIE )
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur que de me
présenter devant vous au nom de l’Australie dans une affaire qui soulève des questions d’une telle
importance et d’un tel intérêt. Après tout, toutes les affaires n’offrent pas à une juridiction, et aux
conseils qui plaident devant elle, le privilège de traiter une question aussi importante que celle de la
signification des «recherches scientifiques» — surtout lorsqu’il s’agit de la baleine, espèce
emblématique s’il en est.
2. Mes confrères vous ont exposé les règles internationales qui sont établies dans la
convention de 1946. Mon rôle est de vous éclairer en examinant de plus près avec vous les
activités que le Japon mène réellement sous couleur de «recherches scientifiques». Cela impose
selon nous d’examiner attentivement les faits et les éléments de preuve. Je vous présente par
avance mes excuses car je vais vous inviter à disséquer la baleine pour vous faire découvrir
différentes parties de son anatomie, comme les bouchons de cérumen, le contenu de l’estomac et
l’épaisseur de la couche de graisse.
3. La présentation que je vais faire cet après-midi et poursuivre demain matin comprendra
six parties. Elle constitue, de fait, une introduction aux exposés de MM. Mangel et Gales, deux
experts que vous entendrez demain et auxquels vous pourrez poser des questions si vous le
souhaitez. Mon but cet après-midi et demain matin est d’exposer le contexte : de donner à la Cour - 53 -
un cadre qui lui permettra d’apprécier les véritables divergences qui existent entre les Parties sur
ces questions de fait et éléments de preuve.
4. Je commencerai aujourd’hui, dans le cadre de ma première partie, par exposer de manière
succincte en quoi consiste réellement le programme JARPA II, pour que vous sachiez où ce
programme a lieu et quelle est son ampleur, quelles espèces sont capturées, comment les baleines
sont tuées et certaines parties de leur corps, stockées pour être utilisées ensuite à des fins que le
Japon vous invite à considérer comme «scientifiques». J’en viendrai ensuite, dans ma deuxième
partie, à la question de savoir comment les activités japonaises sont perçues par des tierces parties,
ce qui démontre bien que la thèse japonaise manque manifestement de soutiens, comme il ressort
de la position adoptée par la commission baleinière internationale et son comité scientifique. Je
m’interromprai ensuite, si vous le voulez bien, et reprendrai demain matin avec la troisième partie
de ma présentation, dans laquelle j’exposerai les caractéristiques essentielles qu’une activité doit
selon nous présenter pour pouvoir être considérée comme relevant de «recherches scientifiques».
56 Ma quatrième partie portera sur les objectifs allégués du programme JARPA II : je vous présenterai
ces objectifs et vous montrerai qu’ils sont trop vagues et généraux pour être réalisables. Je vous
montrerai également qu’ils ne sont fondés sur aucune hypothèse vérifiable et qu’ils ne permettent
aucune évaluation sur la base de résultats mesurables. Ne serait-ce que pour ces raisons-là, il nous
semble évident que ces objectifs ne peuvent relever de «recherches scientifiques». La cinquième
partie sera axée sur trois éléments clés du programme JARPA II, entre autres, qui démontrent que
l’activité dont je vais vous entretenir aujourd’hui ne constitue pas de la «recherche scientifique» : je
vous exposerai tout d’abord la manière arbitraire et peu scrupuleuse dont le Japon fixe la taille des
échantillons, c’est-à-dire le nombre de baleines qu’il veut tuer et tue effectivement chaque année ;
ensuite, la volonté de tuer qui sous-tend l’action du Japon, indépendamment de toute nécessité
scientifique ; et, troisièmement, l’absence totale d’examen par les pairs du programme JARPA II.
Je vous livrerai enfin quelques brèves conclusions. - 54 -
Première partie : le programme JARPA II
5. Commençons par le programme JARPA II. Monsieur le président, Mesdames et
Messieurs de la Cour, comme le programme antérieur, le programme JARPA II a lieu dans une
zone entièrement située dans le sanctuaire de l’océan Austral, qui a déjà été mentionné. Ce
sanctuaire a été créé en 1994, le Japon ayant immédiatement élevé une objection concernant les
160
petits rorquals. Toute activité de chasse à des fins commerciales est interdite dans le sanctuaire .
[Onglet n° 62 ; projection.] Voici à l’écran la zone du sanctuaire, en bleu légèrement plus foncé.
[Onglet n° 63 ; projection de la zone visée par le programme.] Voici, en rouge au bas de l’écran,
les secteurs A, B, C où le Japon mène son programme JARPA II. Ces secteurs A, B et C couvrent
en tout quelque 4560 milles marins d’océan à une latitude d’environ 65° sud, ce qui représente une
161
zone très vaste . Cette zone n’a pas été choisie par hasard : elle coïncide presque exactement avec
celle dans laquelle le Japon pratiquait la chasse commerciale à la baleine avant 1988 — que voici
maintenant à l’écran [onglet n° 64 ; montrer cette zone sur la même carte], les points désignant les
prises commerciales. Cela illustre assez bien la situation, me semble-t-il. Je précise, pour être
clair, que le moratoire mondial sur la chasse à la baleine à des fins commerciales (adopté en 1982)
s’applique également aux activités de chasse dans cette zone. [Fin de la projection.]
57 6. Le programme JARPA II vise à tuer trois espèces de baleines à fanons : le petit rorqual de
l’Antarctique [onglet n° 65 ; image à l’écran] — que vous pouvez voir à l’écran, le croquis vous
permettant d’apprécier la taille de l’animal par rapport au nageur situé à côté —, la baleine à bosse
(qui fait l’objet de permis mais dont aucune n’a été prise) [image suivante] et le rorqual commun,
qui est le plus grand des trois [image suivante]. Ce sont trois espèces de grands migrateurs, qui
passent une partie de l’année dans les eaux tempérées et subtropicales pour s’accoupler et mettre
bas, puis parcourent des milliers de kilomètres pour aller passer l’été austral dans l’océan Austral,
où elles se nourrissent presque exclusivement de crustacés appelés «krill de l’Antarctique». Le
Japon se livre à ses activités létales lorsque les baleines se trouvent dans ces aires polaires
d’alimentation, généralement entre décembre et avril . [Fin de la projection.]
160
MA, par. 2.81-2.88.
16MA, par. 3.53 et fig. 5.
162
Voir MA, chap. 3, par. 3.52. - 55 -
7. Le programme JARPA II, comme le programme JARPA avant lui, frappe
incontestablement par son envergure. Avec ses pendants menés dans le Pacifique Nord (les
programmes JARPN et JARPN II), le programme JARPA II est sans commune mesure avec tous
les autres programmes de chasse à la baleine au titre d’un permis spécial qui aient jamais été
conçus : ces programmes japonais ont coûté la vie à un plus grand nombre de baleines «en vue de
recherches scientifiques» que l’ensemble des autres activités de chasse menées au titre d’un permis
spécial depuis l’adoption de la convention en 1946. En résumé, les programmes japonais sont
responsables d’environ 95 % de toutes les activités létales «scientifiques» depuis l’instauration du
moratoire en 1985 ; je dis bien : 95 %. Pour les programmes JARPA et JARPA II, cela représente
163
la mort de quelque 10 400 baleines . Qu’un seul pays, dans le cadre de ce qui ne constitue de fait
qu’un seul et même programme, ait tué un si grand nombre de baleines au nom de la science serait
normalement considéré comme inquiétant . Il est vrai que le Japon mène également quelques
activités de recherche non létales, au moyen d’études d’observation et de biopsies. J’y reviendrai
plus longuement demain. Mais le fait est, simplement, que l’objectif central du programme
JARPA II est de procéder à ce que l’on appelle par euphémisme un «échantillonnage létal» :
Monsieur le président, il s’agit de tuer, et le programme JARPA II consiste à tuer, comme le
programme antérieur.
8. Le programme précédent, JARPA, avait été lancé en 1988. Il a duré dix-huit ans. Il visait
initialement une «taille des échantillons» — c’est-à-dire le nombre de baleines à tuer chaque
saison — de 300 petits rorquals, un nombre ensuite porté à 400, avec une marge de plus ou moins
58 10 %. En moyenne, entre la saison 1987-1988 et la saison 2004-2005, 377 baleines furent tuées
chaque année, ce qui représente 6777 baleines en dix-huit ans.
Le programme JARPA II a été lancé en 2005. La «taille des échantillons» fixée pour les
petits rorquals avait plus que doublé, pour atteindre un maximum de 935 petits rorquals — soit 850
avec une marge de plus ou moins 10 %. Le Japon n’a jamais donné la moindre raison impérieuse,
sur le plan scientifique, pour expliquer cette hausse soudaine et considérable : en fait, il semble que
ce nombre ait été déterminé sur la base de facteurs complètement étrangers à la science, à savoir la
163
Soit 6777 pour le programme JARPA et 3651 pour le programme JARPA II.
16MA, par. 2.69. - 56 -
capacité de mise à mort et de transformation des navires, les forces du marché et d’autres facteurs
d’ordre politique. Il va sans dire que ces facteurs n’ont absolument aucun lien avec le moindre
aspect d’un programme scientifique, mais j’y reviendrai plus tard. Le programme JARPA II n’est
pas limité aux petits rorquals : il vise aussi à tuer 50 rorquals communs et 50 baleines à bosse
chaque année. Ces «tailles des échantillons» n’ont pas été atteintes : 18 rorquals communs en tout
ont été tués depuis le début du programme JARPA II, mais aucune baleine à bosse n’a été prise en
raison de la vague de protestations qui s’est élevée dans le monde entier, y compris au sein de la
CBI . Nous avons donc affaire, en réalité, à un programme prétendument «scientifique» qui vise
à tuer un nombre déterminé de baleines. Or ce nombre n’a pas été atteint, ce qui constitue une
raison supplémentaire de s’inquiéter des véritables objectifs du programme.
9. Le programme JARPA II présente un certain nombre de problèmes. Le premier, comme
vous l’avez déjà entendu, est qu’il n’est absolument pas limité dans le temps : quiconque a un jour
pris part à un projet de recherche (et je m’adresse notamment à ceux d’entre vous, Mesdames et
Messieurs de la Cour, qui ont eu l’occasion d’être liés à un programme de recherche universitaire
ou autre) sait que tout programme de recherche spécifique est limité dans le temps — il s’agit là
d’une règle élémentaire. C’est en effet ce qui permet d’apprécier les progrès accomplis vers la
réalisation des objectifs fixés. Or, le programme du Japon dure pour ainsi dire ad vitam aeternam,
166
quels qu’en soient les résultats concrets . Le deuxième problème du programme JARPA II tient à
ce qu’il est complètement indépendant : il vise à répondre à des préoccupations écosystémiques
générales concernant cette partie de l’Antarctique mais, étonnamment, il n’a pas été associé à
d’autres recherches en cours sur l’écosystème de l’océan Austral, qu’elles soient menées par le
Japon lui-même, à travers son institut national de recherche polaire, ou dans le cadre de certains des
programmes internationaux qui vous ont déjà été présentés. Je songe par exemple ici au
programme multinational pour la recherche dans l’océan Austral (SORP) que M. Gales décrit dans
167
59 sa déclaration . Si le programme JARPA II était réellement un programme de recherche
scientifique, traitant les questions qu’il est censé étudier, l’on pourrait s’attendre à ce qu’il soit
165
MA, par. 3.57 ; le Japon invoque des «raisons diplomatiques».
16Exposé de M. Nick Gales en date du 15 avril 2013 (ci-après, «Gales, exposé d’expert»), par. 3.25-26.
16Gales, exposé d’expert, par. 6.1-17. - 57 -
associé d’une façon ou d’une autre à des programmes de recherche scientifique menés dans
l’Antarctique, comme le SORP, ou aux propres programmes nationaux du Japon, or il n’est associé
à aucun. Le programme JARPA II présente un troisième problème. Il n’a fait l’objet d’aucun
véritable examen par les pairs lorsqu’il a été proposé et mis au point, avant d’être lancé. J’y
reviendrai car cette question est extrêmement importante. Ces trois aspects du programme
JARPA II suscitent immédiatement certaines inquiétudes quant à son véritable objectif et à son
caractère scientifique. Ils feraient notamment tiquer n’importe quel observateur avisé et nombre de
personnes raisonnables au sein de la population.
10. J’en viens maintenant à un autre aspect, si vous le voulez bien, à savoir la manière dont
le programme JARPA II fonctionne. Comment est-il mis en œuvre dans la pratique ? Il est mené
par une flotte qui compte actuellement quatre navires et, pendant la saison 2012-2013, un équipage
de 156 personnes. Le plus grand des quatre navires est le Nisshin-Maru, une usine flottante où sont
stockées et transformées les parties prélevées sur les cadavres de baleines. Nous croyons savoir
168
que le conteneur réfrigéré du Nisshin-Maru a une capacité de 3200 mètres cubes , ce qui permet
de transporter environ 3200 tonnes de «produit comestible» prélevé sur les baleines. Un petit
rorqual de l’Antarctique donnant un peu plus de 4,25 tonnes de viande comestible , point n’est
besoin d’être un génie des mathématiques pour comprendre que la viande de 850 baleines
correspond approximativement à la capacité du Nisshin-Maru. Il peut évidemment s’agir d’une
pure coïncidence — mais nous en doutons. Le Nisshin-Maru est accompagné par trois navires de
taille plus modeste, qui sont chargés de poursuivre et de harponner les baleines (ce sont ce que l’on
170
appelle des «harponneurs»), et de conduire des études d’observation .
11. Lorsque la flotte arrive dans la prétendue zone de «recherche» — que vous avez vue sur
vos écrans —, les harponneurs entament l’«échantillonnage», un euphémisme qui désigne le fait de
171
60 trouver puis tuer une ou deux baleines dans chaque banc repéré . Pour tuer une baleine visée à fin
d’«échantillonnage», le harponneur se lance à sa poursuite et tire un harpon auquel est fixée une
168
Nippon Kaiji Kyoku [classe NK — société de classification des navires japonais]. Nisshin-Maru :
classification n° 871811. http://www.classnk.or.jp./register/regships, consulté le 29 avril 2013.
169S. Wards, Biological Samples and Balance Sheets (1990), Institute of Cetacean Research, Tokyo, 36 p.
170MA, par. 3.58.
171
MA, par. 3.59. - 58 -
grenade explosive — en voici un modèle à l’écran [onglet n° 66 ; projeter la photographie n° 1 à
l’écran]. Si le harpon atteint son but, la grenade explose à l’intérieur de la baleine, à moins qu’il ne
la traverse [onglet n° 67 ; projeter la photographie n° 2 à l’écran]. Le plus souvent, la baleine ne
meurt pas instantanément, son agonie pouvant durer une demi-heure si ce n’est davantage. Dans
certains cas, la baleine, bien que touchée par le harpon, finit par échapper au harponneur .172
12. [Onglet n° 68 ; projeter la photographie n° 3 à l’écran.] Les baleines toujours vivantes
sont soit tuées par un second tir de harpon, soit achevées à coups de fusil dans la tête — sur la
photographie à l’écran, vous pouvez voir l’homme armé d’un fusil, en haut, qui se penche par-
dessus bord [onglet n° 69 ; projeter la photographie n° 6 à l’écran]. Les baleines prises sont ensuite
encordées sur le flanc du harponneur. Certaines se noient alors qu’elles sont hissées vers la proue
du navire, étant attachées la queue en l’air et les évents sous l’eau [onglet n° 70 ; projeter la
photographie n° 7 à l’écran]. Les baleines mortes sont ensuite hissées à bord de l’usine flottante
sur une cale située à l’arrière du navire [onglet n° 71 ; projeter la photographie n° 8 à l’écran]. Le
Nisshin-Maru ne pouvant traiter les baleines mesurant plus de 18 mètres de long, le Japon est
contraint de cibler uniquement les rorquals communs de taille plus modeste. L’échantillonnage des
rorquals communs est donc manifestement biaisé d’emblée, ce qui permet là encore de douter du
caractère prétendument «scientifique» du programme. [Fin de la projection.]
13. Une fois la baleine morte hissée sur le pont du Nisshin-Maru, les baleiniers relèvent des
données élémentaires (sexe, longueur, poids, épaisseur de la couche de graisse et lieu de capture).
Après avoir retiré la couche de graisse — cette opération s’appelle le «dépeçage» —, certains
organes internes et autres parties du corps de l’animal sont prélevés. Les fœtus sont enlevés. Des
échantillons d’autres tissus sont prélevés, de même que les bouchons de cérumen et le contenu de
l’estomac. C’est cet acte — le prélèvement de différentes parties du corps de l’animal — que le
Japon prétend si fondamental pour son programme de recherche scientifique. Il s’agit donc de
savoir si le prélèvement de ces parties contribue à faire progresser la connaissance et la
compréhension scientifiques. Contribue-t-il à la conservation et à la gestion des baleines ? Telles
17MA, par. 3.59. - 59 -
sont les questions centrales en l’espèce, et la réponse réside en partie dans les éléments de preuve
produits devant vous.
61 14. Il ne vous aura pas échappé, lors de mon récit, que ce prétendu programme de recherche
«scientifique» n’utilise qu’une infime partie de chaque baleine. Il est donc permis de se demander
ce que devient le reste de l’animal. La carcasse est transformée : les parties destinées à la
consommation humaine sont congelées. Cela dit, la carcasse n’est pas entièrement transformée :
des membres de l’équipage du Kyodo Senpaku ont indiqué que, depuis que le Japon a doublé le
nombre annuel de prises de petits rorquals aux fins du programme JARPA II, à compter de la
saison 2005-2006, de grandes quantités de viande de baleine étaient souvent rejetées — autrement
dit, jetées par-dessus bord —, la capacité de stockage des conteneurs réfrigérés étant limitée. Ce
qui reste est stocké à bord du Nisshin-Maru puis transporté au Japon. Plusieurs milliers de tonnes
173
de viande de baleine sont ainsi produites chaque année . M. Crawford vous exposera en temps
voulu la manière dont la viande est ensuite commercialisée au Japon.
15. Voilà donc en quoi consiste l’activité «scientifique» du Japon. Elle consiste
essentiellement à prélever différentes parties du corps de la baleine, et à recueillir des données.
Elle a lieu dans les eaux mêmes où le Japon avait coutume de chasser le petit rorqual à des fins
174
commerciales . Elle ne fait suite à aucun programme spécifique antérieur de recherche
scientifique qui aurait revêtu une telle ampleur et une telle portée, aucun n’ayant été mené avant le
milieu des années 1980 . Là encore, comme M. Crawford et d’autres l’ont relevé, ces recherches
«scientifiques» supposées ont vu le jour par un heureux hasard lorsque le moratoire était sur le
point d’entrer en vigueur, en 1985. La question est donc : s’agit-il de science ?
Deuxième partie : le programme JARPA II ne relève pas de la «science» :
le point de vue de tierces parties
16. J’en viens à la deuxième partie de ma présentation et appelle tout d’abord votre attention
sur le point de vue de tierces parties. Pour déterminer si le programme en cause relève de la
173
MA, fig. 7.
17MA, par. 3.53.
175
Avant le moratoire, le Japon avait réalisé ses prises les plus importantes dans le cadre du programme de chasse
à la baleine de Bryde de l’hémisphère Sud, qu’il avait mené au titre d’un permis spécial pendant trois ans
entre 1976-1977 et 1978-1979 — il avait alors capturé 459 baleines au total. - 60 -
science, la Cour est tenue d’examiner les questions de fait ainsi que les questions de droit. Je laisse
le droit à mes confrères. En ce qui concerne les faits, la Cour a précisé récemment, dans l’affaire
des Usines de pâte à papier, qu’elle «se prononcera[it] sur les faits, en se fondant sur les éléments
176
de preuve qui lui [avaient] été présentés» . La Cour s’est, à l’occasion, fondée sur des
conclusions de fait formulées par des tierces parties, des tierces parties indépendantes, des tierces
parties qui n’avaient aucun lien direct avec l’affaire.
62 17. Ainsi, dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda) (2005), la Cour s’est appuyée sur le rapport de la commission
Porter — une commission d’enquête judiciaire indépendante — pour parvenir à régler certaines
questions factuelles . Dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, en 2007, la
Cour a fait fond sur certaines conclusions factuelles du Tribunal pénal international pour l’Ex-
Yougoslavie, et a jugé «extrêmement utile» un rapport établi à la demande de l’Assemblée
178
générale . Dans l’affaire des Usines de pâte à papier, en 2010, la Cour a trouvé quelque
assistance dans des rapports préparés à la demande de la Société financière internationale, la SFI . 179
La présente affaire est différente. A la différence des parties aux affaires susvisées, le Japon ne
peut se réclamer d’aucun organe indépendant pour étayer son argument selon lequel l’activité qu’il
mène prétendument «en vue de recherches scientifiques» relève effectivement de la recherche
scientifique. Plus simplement, les prétendues activités scientifiques du Japon n’ont le soutien
d’aucun organe indépendant.
18. Les deux organes les mieux placés sont bien entendu la commission baleinière
internationale et son comité scientifique, et ceux-ci ont exprimé un point de vue — que
M. Crawford vient de vous exposer — et des critiques qui desservent très nettement la cause du
Japon et étayent au contraire celle de l’Australie. Le comité scientifique a refusé de considérer
176Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 72-73,
par. 68.
177 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 201, par. 61.
178
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 137, par. Ce rapport était intitulé «La chute de
Srebrenica».
179Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt ; voir, en part., par. 167, 210 et
252. - 61 -
l’activité japonaise comme étant menée «en vue de recherches scientifiques». Il est remarquable
que le seul expert cité par le Japon, M. Walløe, n’ait fait état d’aucun soutien de la part du comité
scientifique à cet égard, alors qu’il est évidemment bien informé puisqu’il est membre de ce comité
depuis de nombreuses années. Ce silence tranche radicalement avec les cas dans lesquels le comité
scientifique a effectivement approuvé des programmes de recherche «scientifique», en particulier
ceux qui revêtaient une dimension multilatérale et prévoyaient le recours à des méthodes non
létales : M. Henry Burmester a mentionné la décennie internationale de la recherche sur les cétacés
(l’IDCR) ainsi que les programmes de recherche SOWER (programme de recherche sur les
baleines et l’écosystème de l’océan Austral) et SORP. Au début du mois, lors de la réunion
de 2013 du comité scientifique, le sous-comité sur l’évaluation approfondie a accueilli très
favorablement les recherches non létales de M. Gales, consistant à marquer des petits rorquals de
l’Antarctique et à les soumettre à des biopsies, et a conclu que la poursuite de ces recherches ferait
grandement progresser ses propres travaux. Il est vain de chercher une telle approbation du comité
63 scientifique à l’égard des activités accomplies dans le cadre du programme JARPA, ou
JARPA II — il n’en existe pas.
19. Au contraire, le comité scientifique a exprimé de vives inquiétudes concernant les
programmes JARPA et JARPA II. Il n’a jamais — je dis bien jamais — formulé le moindre avis
positif sur la contribution de l’un ou l’autre de ces programmes à la conservation et la gestion des
baleines, ou à la procédure de gestion revisée de la CBI. Le Japon affirme que les données
obtenues grâce à ses prélèvements ont «avant tout été communiquées au comité scientifique pour
180
que celui-ci les évalue et les utilise» ; pourtant celui-ci ne les avait pas demandées et n’a
aucunement confirmé les visées ou la valeur scientifiques alléguées des programmes JARPA ou
JARPA II. En fait, en 2006, le groupe qui, au sein du comité scientifique, était chargé de
l’évaluation finale du programme JARPA a conclu que celui-ci n’avait pas fourni les données
requises aux fins de la procédure de gestion revisée (confirmant en cela le point de vue adopté neuf
ans plus tôt par le comité scientifique lorsqu’il avait procédé à l’évaluation intermédiaire dudit
18CMJ, par. 4.15. - 62 -
181
programme) ; vous trouverez le texte de cette conclusion sous l’onglet n° 72 de votre dossier .
M. Gales vous en dira davantage à ce sujet demain . 182
20. Dans son rapport, M. Gales fait état des critiques que le comité scientifique a formulées
de longue date et de manière répétée à l’égard du programme JARPA II et, en particulier, de
l’acharnement à utiliser des méthodes létales, à tuer. Le Japon n’a soumis aucune preuve par
expertise infirmant ce point de vue, qui n’a pas été réfuté. Comme indiqué par M. Gales, des vues
du comité scientifique, il faudrait surtout retenir — selon le Japon — une référence occasionnelle à
l’utilité scientifique «potentielle» du programme. Je mets le terme «potentielle» entre guillemets et
j’insiste sur ce mot. Il existe une différence considérable entre la valeur scientifique «potentielle»
d’un programme et sa valeur scientifique «réelle». Sur plus d’une décennie plus d’un quart de
siècle si vous prenez également en compte le programme JARPA le comité scientifique n’a
attaché aucune valeur scientifique réelle aux prélèvements que le Japon a effectués sur les baleines
après les avoir tuées : sur un quart de siècle, ce «potentiel» ne s’est jamais réalisé .3
21. Le Japon n’obtient pas davantage d’assistance de la part de la commission baleinière
internationale elle-même. La commission a adopté de nombreuses résolutions sur la chasse à la
64 baleine au titre d’un permis spécial ainsi que sur les programmes JARPA et JARPA II. Ces
résolutions n’étayent d’absolument aucune façon l’argument du Japon selon lequel il convient de
qualifier ses opérations de chasse à la baleine d’activités menées «en vue de recherches
scientifiques». En réalité, le Japon n’a pas prétendu le contraire dans son contre-mémoire. Comme
M. Crawford l’a déjà expliqué, la commission a adopté quarante résolutions sur la chasse à la
baleine au titre d’un permis spécial depuis 1985 ; dans vingt et une d’entre elles, elle exhorte le
Japon à reconsidérer son programme de recherche qui fait appel à des méthodes létales et à
s’abstenir de délivrer de nouveaux permis ou à supprimer le volet létal de ses programmes au titre
de permis spéciaux. Au moins quinze résolutions indiquent que les programmes du Japon ne
181
Voir le rapport d’évaluation finale du programme JARPA établi par la CBI, Report of the Intersessional
Workshop to Review Data and Results from Special Permit Research on Minke Whales in the Antarctic, Tokyo, 4-8
décembre 2006, Journal of Cetacean Research and Management n° 10 (Suppl.), 2008, p. 433.
18Gales, exposé d’expert, par. 4.1-4.7.
183
Gales, exposé d’expert, par. 4.4-4.5. - 63 -
184
remplissent pas les conditions imposées dans les lignes directrices adoptées par la CBI . Aucune
résolution pas une seule ne qualifie les opérations de chasse à la baleine que je vous ai
décrites d’activités menées «en vue de recherches scientifiques». Il y a presque vingt ans, dans la
o
résolution n 1995-9 que vous pouvez voir à l’écran , la commission recommandait que les
Etats contractants [projection à l’écran],
«dans l’exercice de leurs droits souverains, s’abstiennent de délivrer … à leurs
ressortissants des permis que la commission, tenant compte des observations de son
comité scientifique, considère comme ne satisfaisant pas aux critères précisés [dans les
lignes directrices] et donc comme étant non conformes à sa politique en matière de
conservation» [traduction du Greffe].
(Onglet n° 73.) Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, MM. Burmester
et Crawford vous ont présenté ces lignes directrices, qui comprennent les annexes L et P que vous
trouverez dans votre dossier de plaidoiries et que, sans nul doute, vous serez amenés à examiner
très attentivement.
22. Ce paragraphe projeté à l’écran figure en termes presque identiques dans la deuxième
résolution de la CBI qui comprend les lignes directrices la résolution 1987-1. [Fin de la
projection.] Depuis 1995, la CBI n’a appuyé d’aucune façon la prétention du Japon de mener des
activités «en vue de recherches scientifiques». Le Japon prie à présent la Cour de s’engouffrer
dans ce vide. Or, selon nous, la Cour ne peut ni ne doit accéder à cette demande.
23. Auprès de qui d’autre le Japon peut-il chercher un soutien ? [Projection à l’écran.] Il y a
plus d’une décennie, en mai 2002, vingt et un éminents scientifiques, y compris trois lauréats du
prix Nobel, totalement étrangers au monde de la chasse à la baleine, ont écrit une lettre ouverte au
o
Gouvernement du Japon ; vous pouvez la voir à l’écran et elle figure également sous l’onglet n 74
de votre dossier de plaidoiries. Cette lettre a été publiée dans le New York Times. Ces éminents
scientifiques y exposaient que le programme japonais de recherche sur les baleines ne remplissait
65 pas les conditions les plus élémentaires pour constituer une activité scientifique crédible.
(Onglet n 75.) [Projection suivante.] Ils se déclaraient préoccupés par le fait que «le programme
184 MA, annexe 10, résolution n 1987-4 ; MA, annexe 16, résolution n 1989-3 ; MA, annexe 18,
o o o
résolution o 1990-2 ; MA, anoexe 19, résolution n 1991-2 ; résolutionon 1992-5 ; MA, annexe 21,
résolution o 1993-7 ; résolution n 1994-9 ; MA, aonexe 25, résolution n 1994-10 ; MA, aonexe 28,
résolution o 1996-7 ; MA, annexe 29, résolution n 1997-5 ; MA, annexe 3o, résolution n 1997-6 ;
résolution n 1998-4 ; MA, annexe 34, résolution n 2000-5 ; MA, annexe 36, résolution n 2001-8 ; MA, annexe 41,
résolution n 2007-1. - 64 -
japonais de chasse à la baleine n’[était] pas conçu pour répondre aux questions scientifiques
soulevées par la gestion des baleines» [traduction du Greffe]. Les vingt et un scientifiques
faisaient valoir que le Japon avait «refusé de mettre à disposition les informations qu’il a[vait]
réunies pour permettre un examen indépendant» et que «son programme de recherche n’[était]
fondé sur aucune hypothèse vérifiable ni sur d’autres indicateurs de résultats conformes aux
normes scientifiques reconnues» 185[traduction du Greffe].
24. Le Japon peut mettre en doute les lignes directrices de la CBI et les arguments de
M. Mangel, mais il s’agit ici d’un groupe totalement indépendant, éminemment respecté. De fait,
face à une telle prise de position publique, le Japon aurait dû prendre conscience du très grave
problème auquel il s’exposait, non seulement auprès de l’opinion publique mais aussi auprès des
experts de la communauté scientifique. Ce groupe comprend en effet des scientifiques
particulièrement éminents, comme sir Aron Klug, ancien président de la Royal Society du
Royaume-Uni ; Mme Sylvia Earle, ancienne directrice scientifique de la National Oceanic and
Atmospheric Administration des Etats-Unis d’Amérique (agence américaine chargée des questions
liées aux océans et à l’atmosphère) ; M. Masakazu Konishi, lauréat du prix international de
biologie attribué par la Société japonaise pour la promotion de la science ; et M. Frédéric Briand,
directeur général de la commission internationale pour l’exploration scientifique de la
Méditerranée. Ceux-ci peuvent difficilement être taxés d’extrémisme écologique. Ils n’expriment
pas une opinion politique ou culturelle ; ce sont des scientifiques sérieux qui formulent un avis
scientifique. [Nouvel extrait.] Lorsqu’un tel groupe conclut que «le programme japonais de
recherche sur les baleines tue des centaines de baleines chaque année sans nécessité scientifique
absolue» 186 [traduction du Greffe], une réponse sérieuse provenant d’acteurs indépendants
s’impose, et l’on pouvait en attendre une. Une réponse a-t-elle été apportée ? Non ! Le Japon n’a
présenté aucun élément scientifique indépendant pour réfuter cette opinion. [Fin de la projection.]
Il est vrai qu’une réponse est effectivement parvenue du Japon, à travers son propre institut de
recherche sur les cétacés, ainsi que de trois personnes : MM. Aron, Burke et Freeman — vous
18«An Open Letter to the Government of Japan on Scientific Whaling » [«Lettre ouverte au Gouvernement du
Japon concernant la chasse à la baleine en vue de recherches scientifiques»], The New York Times, 20 mai 2002.
18Ibid. - 65 -
os
pourrez lire ces échanges sous les onglets n 76 et suivants. Dans une revue intitulée BioScience,
ces trois personnes ont contesté les vues des vingt et un signataires et ont fait état d’erreurs sur les
plans scientifique et juridique . Cette lettre de contestation a été très vivement réfutée par les
188 o
signataires de la lettre initiale , dont vous pouvez lire la réponse sous l’onglet n 77 de votre
66 dossier de plaidoiries, ainsi que par vingt membres du comité scientifique de la commission
baleinière internationale, dont la réaction figure sous l’onglet n 78 . Mais surtout, cette lettre a
donné lieu à une autre communication dans laquelle il était signalé que MM. Aron, Burke et
Freeman avaient manqué de révéler leur lien avec le programme japonais de chasse à la baleine ;
copies de cette lettre et d’une autre réaction de ces trois personnes figurent sous l’onglet n 79 . o 190
En résumé, le Japon n’a aucun soutien indépendant — véritablement indépendant — à faire valoir à
l’appui de son argument selon lequel ses activités relèvent de la science. Tels sont les éléments de
preuve dont la Cour dispose.
25. Ces dix dernières années, le Japon n’a pas, en réponse à ces prises de position, recueilli
de soutien véritablement indépendant corroborant sa prétention de tuer des baleines «en vue de
recherches scientifiques». Dans la présente instance, il ne s’appuie que sur une seule opinion
d’expert, celle de M. Walløe — que vous entendrez en temps voulu —, auquel s’opposent
MM. Mangel et Gales. Ce sont là les trois experts en l’espèce. La Cour, dans les décisions qu’elle
a prises avant les audiences et qui ont été communiquées aux Parties, a établi une distinction claire
entre les preuves par expertise et certains autres éléments, dont un courrier électronique reçu à titre
d’observations. Bien évidemment, ces éléments ne doivent pas être soumis aux experts ni être
examinés par leur entremise.
187
W. Aron, W. Burke et M. Freeman, «Scientists versus Whaling: Science, Advocacy and Errors of Judgment»
[«Les sciontifiques contre la chasse à la baleine : science, plaidoyer et erreurs de jugement»], BioScience, décembre 2002,
vol. 52, n 12, p. 1138 et suiv.
188
«Scientists versus Whaling: Whose Errors of Judgment?» [«oes scientifiques contre la chasse à la baleine : qui
commet des erreurs de jugement ?»], BioScience, mars 2003, vol. 53, n 3, p. 200-203.
189
P. J. Clapoam et autres, «Whaling as science» [«La chasse à la baleine en tant que science»], BioScience,
mars 2003, vol. 53, n 3, p. 210-212.
190
Voir la lettre de Richard N. Mott, vice-président chargé de la politique internationale pour le WWF
International, «Neutral Judges in the Debate onoScientific Merits» [«Des juges neutres dans le débat sur la valeur
scientifique»], BioScience, mars 2003, vol. 53, n 3 ; et voir la réponse adressée à M. Mott par MM. Aron, Burke et
Freeman dans une lettre publiée dans la même revue. - 66 -
26. Monsieur le président, voilà qui conclut cette partie de mon exposé et il serait peut-être
approprié que je m’arrête ici, si vous le voulez bien, car je suis sur le point d’entamer une nouvelle
section de notre argumentation. Dans la plaidoirie que je présenterai demain matin, à l’ouverture
de l’audience, j’examinerai en particulier et en détail les critères permettant de déterminer si une
activité donnée le prélèvement de parties du corps de l’animal et d’informations peut être
dûment considérée comme étant menée «en vue de recherches scientifiques». Je vous remercie
infiniment pour votre attention.
67 Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Sands. La Cour se réunira à nouveau demain,
de 10 heures à 13 heures, pour entendre tout d’abord la suite de votre plaidoirie puis
l’interrogatoire du premier expert cité par l’Australie. Je vous remercie ; l’audience est levée.
L’audience est levée à 17 h 40.
___________
Translation