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Uncorrected Translation
CR 2011/17 (traduction)
CR 2011/17 (translation)
Lundi 12 septembre 2011 à 10 heures
Monday 12 September 2011 at 10 a.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.
La Cour se réunit aujourd’hui afin d’entamer une semaine d’audiences en l’affaire relative
aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce intervenant).
Je rappellerai que, la Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité italienne,
l’Italie s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de procéder à
la désignation d’un juge ad hoc en l’affaire : elle a désigné M. Giorgio Gaja.
L’article 20 du Statut dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer en fonction,
en séance publique, prendre l’engagement solennel d’ exercer ses attributions en pleine impartialité
et en toute conscience». En vertu du paragra phe6 de l’article31 du Statut, cette disposition
s’applique également aux juges ad hoc. Bien que M.Gaja ait déjà exercé les fonctions de juge
ad hoc et qu’il ait fait une déclaration solennelle dans des affaires précédentes, le paragraphe 3 de
l’article 8 du Règlement requiert qu’il fasse une nouvelle déclaration en la présente espèce.
Avant d’inviter M.Gaja à faire sa déclara tion solennelle, je dirai, selon l’usage, quelques
mots de sa carrière et de ses qualifications.
M.GiorgioGaja, de nationalité italienne, est prof esseur à la faculté de droit de l’Université
de Florence, dont il a été le doyen. Il a occupé, en tant qu’enseignant, de nombreux autres postes
dans le monde entier, notamment à l’Institut universitaire européen et à l’Université de Paris I ; il a
également enseigné à l’Académie de droit internatio nal de LaHaye. M.Gaja est membre de la
Commission du droit international depuis1999 ainsi que de l’Institut de droit international. Il a
exercé les fonctions de conseil du Gouvernement italien devant la Cour en l’affaire de l’Elettronica
Sicula S.p.A. (ELSI) et a siégé en tant que juge ad hoc dans un certain nombre d’autres affaires:
l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force ayant opposé la Serbie-et-Monténégro à l’Italie,
l’affaire de la Délimitation maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes ,
l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la Colombie et l’affaire relative à
l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (exceptions préliminaires) entre la Géorgie et la Fédération de Russie.
J’invite maintenant M.Gaja à prendre l’ engagement solennel prescrit par le Statut et
demande à toutes les personnes présentes à l’audience de bien vouloir se lever. M. Gaja. - 3 -
11 M.GAJA: «Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes
attributions de juge en tout honneur et dévouement , en pleine et parfaite impartialité et en toute
conscience.»
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. Je prends acte de la déclaration
solennelle faite par M.GiorgioGaja et le déclare dûment installé en qualité de juge ad hoc en
l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne cI .tali; Grèce
(intervenant)).
*
Je rappellerai à présent les principales étapes de la procédure en l’espèce.
Le 23décembre2008, la République fédérale d’Allemagne a déposé au Greffe de la Cour
une requête introductive d’instance contre la République italienne au sujet d’un différend ayant son
origine dans des «violations d’obligations juridi ques internationales» qu’aurait commises l’Italie
«en ne respectant pas», dans sa pratique judi ciaire, «l’immunité de juridiction reconnue à
l’Allemagne par le droit international».
Pour fonder la compétence de la Cour, l’ Allemagne a invoqué dans sa requête l’article
premier de la convention européenne pour le règlement pacifique des différends du 29 avril 1957.
Par ordonnance du 29avril2009, la Cour a fixé au 23 juin 2009 et au 23 décembre 2009,
respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de l’Allemagne et du
contre-mémoire de l’Italie; ces pièces de procédure ont été dûment déposées dans les délais ainsi
prescrits. Le contre-mémoire de l’Italie co mprenait une demande rec onventionnelle «sur la
question des réparations dues aux victimes italienn es de graves violations du droit international
humanitaire commises par les forces du Reich allemand».
Par ordonnance du 6juillet2010, la Cour a d écidé que la demande reconventionnelle de
l’Italie était irrecevable comme telle au titre du para graphe 1 de l’article 80 de son Règlement. Par
la même ordonnance, elle a autorisé l’Allemagne à présenter une réplique et l’Italie, une duplique,
et a fixé au 14 octobre 2010 et au 14 janvier 201 1, respectivement, les dates d’expiration des délais - 4 -
pour le dépôt de ces pièces de procédure; celles- ci ont été dûment déposées dans les délais ainsi
prescrits.
Le 13janvier2011, la Grèce a, en vertu de l’article62 du Statut, déposé au Greffe une
requête à fin d’intervention en l’affaire. Dans sa requête, la Grèce déclare notamment qu’elle «ne
12 souhaite intervenir à l’instance qu’en ce qui concerne les décisions rendues par ses propres cours et
tribunaux (internes) sur des faits qui se sont produits durant la seconde guerre mondiale et
exécutées…par des juridictions italiennes». Elle indique en outre qu’elle «ne cherche pas à
intervenir en tant qu’Etat partie à l’instance».
Par ordonnance du 4juillet2011, considérant qu’il était suffisamment établi que la Grèce
«a[vait] un intérêt d’ordre juridique susceptible d’êt re affecté par l’arrêt qu ’elle rendra[it] dans la
procédure principale», la Cour a autorisé la Grèce à intervenir dans l’instance en tant que
non-partie. La Cour a en outre fixé comme suit les dates d’expiration des délais pour le dépôt de la
déclaration écrite et des observations écrites vis ées au paragraphe 1 de l’article 85 du Règlement :
pour la déclaration écrite de la Grèce, le 5août2011, et pour les observations écrites de
l’Allemagne et de l’Italie sur cette déclaration, le 5 septembre 2011.
La déclaration écrite de la Grèce ainsi que les observations écrites de l’Allemagne ont été
dûment communiquées dans les délais ainsi fixés. Par une lettre en date du 1 erseptembre 2011,
l’agent de l’Italie a indiqué que la République italienne ne présenterait pas d’observations sur la
déclaration écrite de la Grèce à ce stade de la pr océdure, mais qu’elle réservait «sa position et son
droit d’aborder, le cas échéant, certains points soulevés dans [cette] déclaration…au cours des
audiences».
*
Conformément au paragraphe2 de l’article 53 du Règlement, la Cour, après s’être
renseignée auprès des Parties, a décidé que d es exemplaires des pièces de procédure et des
documents annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale. Après
avoir consulté les Parties et la Grèce, la Cour a décidé qu’il en irait de même pour la déclaration
écrite de l’Etat intervenant et les observations écrites de l’Allemagne sur ladite déclaration. En - 5 -
outre, conformément à la pratique de la Cour, l’ensemble de ces documen ts, sans leurs annexes,
sera placé dès aujourd’hui sur le site Internet de la Cour.
*
13 Je constate la présence à l’audience des agents, c onseils et avocats des deux Parties et de la
Grèce. Conformément aux dispositions relatives à l’organisation de la pro cédure arrêtées par la
Cour, les audiences comprendront un premier et un second tour de plaidoiries pour chacune des
Parties et, pour la Grèce, un seul tour d’observations orales sur l’objet de son intervention.
L’Allemagne présentera son premier tour de plaidoi ries ce matin et l’Italie, demain matin, chacune
des Parties disposant d’un temps de parole de tr ois heures maximum. La Grèce interviendra après
le premier tour de plaidoiries des Parties, so it le mercredi 14septembre, entre 10heures et
12heures, afin de présenter ses observations orales sur l’objet de son intervention. Les Parties
présenteront ensuite leur second tour de plaidoiries, l’Allemagne plaidant le jeudi 15 septembre, de
10heures à 12h30, et l’Italie, le vendredi 16sep tembre, de 14h30 à 17heures. Les Parties se
sont vu octroyer un temps de parole supplémenta ire pour leur second tour de plaidoiries afin de
pouvoir présenter leurs observations relatives à l’objet de l’intervention.
*
Compte tenu du temps consacré au discours d’ouverture, l’Allemagne—qui interviendra
en premier—pourra si nécessaire, pour cette première audience du premier tour de plaidoiries,
déborder quelque peu au-delà de 13 heures. Je donne maintenant la parole à S. Exc. Mme Susanne
Wasum-Rainer.
Mme WASUM-RAINER :
1. Monsieur le président, mesdames et messie urs les juges, en tant que conseiller juridique
du ministère fédéral des affaires étrangères de l’ Allemagne, c’est un grand honneur pour moi de
prendre la parole devant vous au jourd’hui au cours de la procédure orale en l’affaire relative aux
Immunités juridictionnelles de l’Etat, qui vous a été soumise par mon pays. - 6 -
Nous sommes ici pour demander à la Cour de se prononcer sur des questions juridiques
d’une grande importance, non seulement pour les Parties immédiates au litige, mais pour l’ordre
juridique international dans son ensemble et pour son développement futur.
Nous demandons à la Cour de rendre une décisi on sur le principe de l’immunité de l’Etat,
l’une des assises du droit international positif actuel.
14 Cette assise repose sur le principe de l’égalité souveraine des Etats, consacré par l’article 2,
paragraphe1, de la Charte de l’Organisation des NationsUnies, et profondément enraciné depuis
des siècles dans le droit international coutumier.
Un élément essentiel du principe de l’imm unité de l’Etat est celui de l’immunité
juridictionnelle, selon lequel, on le sait, les pe rsonnes physiques ne peuvent engager de poursuites
devant les tribunaux d’un Etat contre un autre Etat à raison des actes jure imperii de ce dernier.
2. Le droit souverain à l’immunité juridi ctionnelle de l’Allemagne a été enfreint par
plusieurs décisions de tribunaux italiens.
Ces décisions ont été rendues à l’issue de procédures instituées à l’encontre de l’Allemagne
par des personnes ayant subi des préjudices par suite de la seconde guerre mondiale.
Contrairement au droit international, ces demandes n’ont pas été rejetées par les tribunaux
nationaux italiens au motif que ceux-ci étaient incompétents à l’égard d’ acta jure imperii
e
accomplis par les forces armées allemandes et d’autres autorités du III Reich.
La Cour de cassation italienne (Corte di Cassazione) , reconnaissant expressément qu’elle
souhaitait développer le droit et fonder sa décision sur une règle «en gestation» , n’a pas agi
conformément au droit international existant. La Cour a affirmé que l’Allemagne avait renoncé à
son immunité et elle a appliqué sa nouvelle doc trine à des événements datant de plus de
soixante ans.
Le Gouvernement italien a tenté de persuader la Corte di Cassazione de quitter cette voie
erronée, mais il n’a pu renverser ce courant de jurisprudence.
3. Nos deux gouvernements, celui de l’Italie et celui de l’Allemagne, sont donc d’avis que
seule une décision d’autorité de la Cour interna tionale de Justice nous aidera à sortir de cette
impasse et «contribuera à faire la lumière sur ce tte question complexe», pour reprendre les termes - 7 -
utilisés par nos deuxministres des affaires ét rangères dans leur décl aration conjointe du
18 novembre 2008.
En tant que membres fondateurs de l’Union eu ropéenne, l’Allemagne et l’Italie coopèrent
étroitement sur un grand nombre de questions eu ropéennes et internationales. Notre relation
bilatérale est excellente et bien établie. L’Allemagne et l’Italie sont unies dans leur engagement en
faveur des idéaux de la réconciliation, de la solidarité et de l’intégration.
4. C’est dans cet esprit de coopération que nous avons examiné les incidents horribles qui
sont survenus au cours de la seconde guerre mondiale. Par exempl e, nos ministères des affaires
15 étrangères ont créé une commission germano-it alienne indépendante d’historiens chargée
d’examiner de façon ouverte et déta illée le passé lié à la guerre entre l’Allemagne et l’Italie et le
sort des internés militaires italiens, en tant que «contribution à la création d’une culture commune
du souvenir». Cette commission a commencé ses travaux en mars 2009.
Monsieur le président, permettez-moi de ra ppeler les termes utilisés par nos ministres des
affaires étrangères dans leur d éclaration conjointe, termes qui méritent d’être soulignés à
l’ouverture de la présente audience.
«[C]onjointement avec l’Italie, l’ Allemagne reconnaît pleinement les
souffrances indicibles infligées aux hommes et femmes d’Italie, en particulier lors des
massacres, ainsi qu’aux anciens internés militaires italiens, et entretient le souvenir de
ces événements horribles.»
5. L’Allemagne démocratique apparue à la fi n de la dictature nazie a constamment exprimé
son plus profond regret face aux violations grossi ères du droit international humanitaire perpétrées
par les forces allemandes et reconnaît pleinement les souffrances infligées au peuple italien pendant
la période qui s’est écoulée entre septembre 1943 et la libération de l’Italie en mai 1945.
Dans ce cadre, le Gouvernem ent allemand, en coopération avec le Gouvernement italien, a
fait plusieurs gestes en faveur des victimes et de leurs familles.
Plus particulièrement, l’A llemagne a conclu les deux accords du 2juin1961, au titre
desquels des paiements considérables ont été versés à l’Italie, en dépit du fait que l’Italie avait
explicitement renoncé à toute réclamation contre l’Allemagne dans le traité de paix conclu avec les
puissances alliées victorieuses en 1947. - 8 -
Au nombre des gestes politiques, je citerai la visite conjointe des ministres des affaires
étrangères Steinmeier et Frattini au site commémora tif de l’ancien camp de concentration de la
Risiera di San Sabba , près de Trieste, en novembre2008, où la commission d’historiens
germano-italienne a été fondée.
Récemment, en octobre 2010, les membres de la commission d’historiens ont visité le camp
de travail forcé de Niederschöneweide (près de Berlin) où un grand nombr e d’internés militaires
italiens furent détenus.
Cette visite a été coordonnée par le ministère fédéral des affaires étrangères et l’ambassade
d’Italie à Berlin.
A. Les faits
6. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, permettez-moi de rappeler les
faits de l’affaire dont vous êtes saisis en gui se d’introduction à la présentation détaillée de nos
moyens de droit.
16 L’affaire tire son origine de la désormais fameuse décision Ferrini rendue par la Corte di
Cassazione en 2004. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que les tribunaux italiens avaient compétence
pour connaître d’une demande dirigée contre l’Allemagne à l’égard d’acta jure imperii.
Le plaignant était un citoyen italien qui ava it été déporté en Allemagne au cours de la
seconde guerre mondiale et y avait été astreint au travail forcé. L’Allemagne avait alors invoqué le
principe de l’immunité de l’Etat devant les tribunaux italiens, qui ont rejeté cet argument.
A cette époque, en 2004, l’on ne savait pas si cette affaire demeurerait un cas isolé ou si elle
était annonciatrice d’une nouvelle tendance. Aprè s cette décision, cependant, un grand nombre
d’autres demandes ont été introduites par des citoye ns italiens qui avaient aussi été astreints au
travail forcé en Allemagne.
7. En 2008, quatre ans plus tard, la Cour de cassation italienne a confirmé dans plusieurs
décisions le jugement rendu en l’affaire Ferrini, et déclaré que les tribunaux italiens pouvaient
exercer leur juridiction à l’égard de réclama tions introduites contre l’Allemagne à raison d’ acta
jure imperii. Les faits relatifs à ces affaires étaient analogues à ceux de l’affaire Ferrini. - 9 -
Pour résumer, dans ses ordonnances du 29 mai 2008 dans les affaires Maietta et Mantelli, la
Cour de cassation a déclaré que l’immunité des Etats étrangers à l’égard d’actes jure imperii
pouvait être considérée comme abrogée lorsqu’il s’agissait d’actes pouvant être considérés comme
des crimes contre l’humanité.
8. Les poursuites engagées par des Italiens qui avaient été déportés en Allemagne et astreints
au travail forcé ne représentent qu’une caté gorie des poursuites intentées contre l’Allemagne
devant des tribunaux italiens.
D’autres affaires concernent des massacres commis par la Wehrmacht, ou forces armées
allemandes, en Italie. Une affaire représentative de cette catégorie est l’affaire Milde, à l’occasion
de laquelle la Cour de cassation a déclaré à nouveau, dans son arrêt du 21octobre2008, que
l’Allemagne ne pouvait invoquer l’immunité.
9. Une troisième catégorie d’affaires concerne les tentatives faites en Italie pour obtenir
l’exécution d’une décision d’un tribunal grec.
En 1995, les parents des victimes d’un massacre perpétré par les forces armées allemandes à
Distomo, en Grèce, ont intenté une action en réparation contre l’Allemagne.
En 1997, un tribunal régional de Livadia a jugé que l’Allemagne était responsable, en dépit
du principe de l’immunité de l’Etat, et le 4 mai 2000, l’ Areios Pagos (la Cour suprême grecque) a
confirmé cette décision.
Le ministre grec de la justice ayant refusé d’ autoriser l’exécution de cette décision en Grèce
17
à l’encontre de biens allemands, les plaignants ont cherché à obtenir satisfaction par d’autres voies.
Après l’affaire Ferrini, en 2004, l’Italie semblait une option prom etteuse. De fait, la cour d’appel
de Florence a déclaré la décision de Distomo exécutoire en Italie le 2 mai 2005.
Telle est la situation aujourd’hui.
J’ajouterai que le déroulement de la présente procédure n’est pas p assé inaperçu. Bien au
contraire. Un grand nombre d’autres demandes on t été présentées devant les tribunaux italiens et
attendent d’être résolues. Au total, quelque quatre-vingtsinstances, représentant près de
cinq cents plaignants, sont pendantes. - 10 -
B. Conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation
10. La jurisprudence de la Cour de cassati on italienne et sa négation rétrospective de
l’immunité souveraine ⎯si elles étaient maintenues ⎯auraient des conséquences d’une portée
considérable.
Dès lors que l’on aura admis une exception au principe de l’immunité de l’Etat, il ne sera pas
possible de limiter ces exceptions aux violations du droit international humanitaire. Ce ne sera
qu’une question de temps pour que d’autres aspects de la conduite jure imperii ne soient jugés par
des tribunaux internes.
Pourtant, la base de l’immunité de l’Etat ne se trouve pas dans le caractère de la norme
juridique qui a été prétendument violée, mais dans le caractère de l’acte en tant qu’acte d’Etat qui
ne peut, de par sa nature même, être assujetti à la juridiction d’un autre Etat.
En conséquence, une fois qu’une brèche aura ét é effectuée dans l’immunité de l’Etat, rien
n’empêchera d’élargir les exceptions à tout un éventail d’autres domaines.
Les conséquences d’une telle situation seraient graves :
Premièrement, tout le système établi apr ès la seconde guerre mondiale pour réparer les
préjudices causés par la guerre, et qui a servi de base à des versements et à des réparations
importants, serait compromis et pourrait être remis en cause devant des tribunaux internes.
Cela toucherait non seulement les actes des responsables allemands, mais également les actes
de tous les autres participants de la guerre, qu’ils aient été alliés de l’Allemagne (comme l’Italie)
ou adversaires.
En deuxième lieu, tous les règlements de pa ix interétatiques conclus après un conflit armé
seraient mis en danger si l’on autorisait les tribunaux internes à réexaminer et à rouvrir ces accords.
18 Ces conséquences ne toucheraient pas seulement les accords de paix conclus à la suite de conflits
passés. Elles mettraient également en péril la c onclusion d’accords de paix futurs, dont la validité
et la fiabilité seraient des plus contestables.
En troisième lieu, l’ordre juridique international serait gravement affaibli.
Si les tribunaux internes pouvaient prononcer des jugements sur des Etats étrangers, cela
pourrait entraîner des décisions divergentes, voire contradictoires. Les plaignants chercheraient les
tribunaux internes les plus favorables. - 11 -
De fait, la présente affaire montre bien que ce scénario est d’ores et déjà réel. La
jurisprudence de la Cour de cassation italienne a attiré des plaignants grecs qui n’avaient pas
obtenu gain de cause en Grèce en raison de l’immunité de l’Etat ⎯ et la Cour de cassation italienne
a ordonné l’exécution en leur faveur d’un jugement à l’encontre de biens d’Etat allemands, même
si l’affaire n’avait aucun lien avec l’Italie.
Si le principe de l’immunité de l’Etat était ai nsi sapé, la procédure judiciaire, loin de servir à
régler des différends, aboutirait à leur multiplication et au désordre juridique.
Si les tribunaux internes de tous les Etats étaient libres de juger les actes d’Etats étrangers, le
droit international serait mis en miettes et, bien entendu, politisé. Il cesserait d’être la recherche
d’un équilibre impartial entre les intérêts et perdrait, de ce fait, son autorité.
11. Monsieur le président, c’est bien là le cŒur de la présente affaire. Cette affaire, en effet,
n’a pas pour objet la seconde guerre mondiale, les violations du droit in ternational humanitaire
commises pendant la guerre et la question des répara tions. Vous l’avez confirmé l’an dernier dans
votre ordonnance du 6juillet lorsque vous av ez écarté comme irrecevable la demande
reconventionnelle de l’Italie.
12. Monsieur le président, des crimes indicibles ont été commis par des Allemands au cours
de la seconde guerre mondiale.
L’Allemagne est tout à fait consciente de sa responsabilité à cet égard.
Ces crimes étaient uniques, comme l’ont été les instruments et les mécanismes
d’indemnisation et de réparation ⎯financiers, politiques et autres ⎯ créés et mis en Œuvre par
l’Allemagne depuis la fin de la guerre.
Nous ne pouvons refaire l’histoire. Si les victimes ou les descendants des victimes croient
que ces mécanismes n’étaient pas suffisants, nous le regrettons sincèrement.
19 Cependant, les mécanismes d’indemnisation et de réparation ne sont pas l’objet du présent
différend.
C. L’équipe allemande
13. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, nos arguments juridiques seront
présentés en détail par mes collègues juristes. - 12 -
Permettez-moi, Monsieur le président, de vous les présenter :
⎯ M. Christian Tomuschat, ancien membre et prési dent de la Commission du droit international,
professeur émérite de droit international public à l’Université Humboldt de Berlin ;
⎯ M. Andrea Gattini, professeur à l’Université de Padoue ; et,
⎯ M. Robert Kolb, professeur à l’Université de Genève.
D. Argumentation
14. Qu’il me soit maintenant permis de vous indiquer la structure de nos exposés.
D’abord, M.Tomuschat analysera les lacunes de la décision Ferrini rendue par la Cour de
cassation italienne en 2004. Il soulignera que la cour a outrepassé son rôle judiciaire en essayant de
récrire et de développer le droit international.
Il prouvera en outre que l’immunité de l’Etat à l’égard d’actes jure imperii ne souffre aucune
exception.
15. Ensuite, M.Gattini s’arrêtera sur l’exception en matière de responsabilité délictuelle
dans le droit relatif à l’immunité de l’Etat , étant donné que l’Italie tente de s’appuyer dans son
argumentation sur cette exception pour justifier l’approche «novatrice» de la Cour de cassation.
M.Gattini démontrera que cette exception en matière de responsabilité délictuelle ne
s’applique pas à la conduite des forces arm ées pendant un conflit armé et n’est donc d’aucun
secours ici.
Il portera ensuite son attention sur un deuxi ème moyen, invoqué par nos éminents collègues
italiens dans leurs écritures, moyen que l’on pourrait appeler l’«argument de nécessité». M. Gattini
montrera que cet argument, sel on lequel les tribunaux italiens devaient agir de cette manière par
nécessité, est erroné.
16. M. Kolb examinera pour sa part deux autres aspects de l’affaire :
Il traitera d’abord du caractère du jus cogens, concept abondamment invoqué par l’Italie, et
démontrera que l’Italie fait une utilisation fallacieuse de ce concept dans son argumentation.
20 Il exposera ensuite les conséquences de la décision de la Cour de cassation italienne.
Comme je l’ai déjà mentionné, votre arrêt en cette affaire est susceptible d’avoir des répercussions
bien au-delà de l’Allemagne et de l’Italie. M. Kolb indiquera ses effets possibles dans différents - 13 -
domaines, allant de la déstabilisation des accords de paix à l’incitation à la recherche d’un tribunal
favorable.
17. Enfin, je conclurai la plaidoirie de l’A llemagne par un très bref résumé des principaux
aspects de notre argumentation.
Monsieur le président, je vous prie respect ueusement de donner la parole à mon éminent
collègue, M. Christian Tomuschat.
Le PRESIDENT : Je remercie Mme l’ambassadeur Susanne Wasum-Rainer de sa
déclaration. Je donne maintenant la parole à M. Christian Tomuschat.
M. TOMUSCHAT :
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, l’Allemagne
comparaît aujourd’hui devant vous dans le cadre d’un différend que seule une décision de la plus
haute instance judiciaire du monde saurait résoudr e. Vous connaissez bien le contexte de la
présente affaire. Mme Wasum-Rainer vous en a, à l’instant, rappelé les grandes lignes. Certes, un
règlement négocié aurait peut-être été préférable. Mais le Gouvernement italien n’a pas été en
mesure de rappeler ses tribunaux à l’ordr e, notamment en ce qui concerne la Corte di Cassazione.
Dans un Etat de droit, les tribunaux sont indépendants et l’exécutif ne saurait les forcer à obéir à
ses ordres. Ils ne sont soumis qu’à la loi. En pratique, cela signifie qu’ils se conforment à la loi
telle qu’ils la perçoivent et l’inte rprètent. En Italie, les règles générales du droit international font
également partie du corps de règles juridiqu es applicables par les tribunaux nationaux. La
constitution prévoit expressément, au paragraphe1 de son article10, que «le système juridique
italien se conforme aux principes généralement r econnus du droit international». Ainsi, les
décisions rendues par les tribunaux italiens n’aura ient en principe jamais dû amener des Etats
étrangers à se plaindre d’empiètement sur leurs droi ts souverains. Cela a malheureusement été et
est toujours le cas, au détriment de l’Allemagne. - 14 -
21 B. Les vices entachant la jurisprudence Ferrini de la Corte di Cassazione italienne
I. En s’érigeant en législateur, la cour de cassation italienne s’est arrogé un rôle politique
1
2. Dans la célèbre affaire Ferrini qui a été évoquée tout à l’heure , la Corte di Cassazione
s’est délibérément écartée des règles bien établi es du droit international coutumier en refusant
d’admettre l’immunité juridictionnelle de l’Allemagne alors que des actes jure imperii étaient en
cause. Dans ce premier arrêt, la cour de cassa tion reconnaissait déjà ouvertement son intention de
créer une nouvelle règle, au motif que la règle traditionnelle était inopportune car contraire aux
2
valeurs fondamentales de la communauté internationale . En fait, la Corte di Cassazione n’a pas
pu citer la moindre décision judiciaire à l’appui de sa position, outre un arrêt de la cour de cassation
3
grecque (Areios Pagos) dans l’affaire Distomo , qui, deux ans après avoir été rendu, a été infirmé
par la Cour constitutionnell e grecque dans l’affaire Margellos 4, et quelques décisions prononcées
aux Etats-Unis sur le fondement de l’«An ti-Terrorism and Effective Death Penalty Act » de 1996,
qui est dépourvue de toute pertinence dans le présen t contexte. En fait, la cour de cassation a, à
plusieurs reprises dans des décisions ultérieur es, fait savoir encore plus ouvertement qu’elle
considérait que son mandat judiciaire lui co nférait notamment la mission de réformer
fondamentalement le régime de l’i mmunité juridictionnelle à la lumi ère de l’exigence de justice et
de bon ordre dans les relations internationales. Loin de cacher ses intentions, elle a déclaré avec le
zèle du missionnaire qu’elle avait «conscience de contribuer ainsi à l’émergence d’une règle
5
définissant l’immunité de l’Etat étranger» , qu’elle considérait déjà co mme «partie intégrante de
l’ordre juridique international». En d’autres termes, la Cour de ca ssation italienne souhaitait
modifier unilatéralement le droit international sans dûment tenir compte du fait que la pratique et la
jurisprudence internationales n’avaient pas accepté des raisonnements similaires.
3. En premier lieu, c’est un truisme de dire que le juge national n’est pas appelé à modifier le
droit international. Son véritable mandat consiste à appliquer le droit de façon consciencieuse et
objective. Les préférences et aspirations personnelles et subjectives ne devraient pas déterminer la
1 Arrêt du 11 mars 2004, International Law Reports (ILR), vol. 128, p. 658.
2 Ibid., p. 665, par. 7.
3
Arrêt du 4 mai 2000, ILR, vol. 129, p. 513.
4 Arrêt du 17 septembre 2002, ILR, vol. 129, p. 526.
5 Ordonnance du 29 mai 2008 ; mémoire de l’Allemagne, annexe 13, p. 7. - 15 -
substance d’une décision que le juge a été chargé de rendre. Assurément, le droit international
n’est pas un corps de règles statique. Les tribunaux nationaux ont bien souvent ouvert la voie à
22 l’évolution des règles de droit international, notamme nt dans le domaine de l’immunité de l’Etat.
Mais en règle générale, ils ont ainsi exprimé des courants et tendances profonds émanant des
6
acteurs légitimes des relations internationales. Ainsi, l’arrêt Trendtex , rendu au Royaume-Uni,
dans lequel pour la première fois , sous l’autorité de LordDenni ng, une action dirigée contre un
organisme public étranger a été déclarée recevable, était l’aboutissement d’une longue chaîne
d’évolutions jurisprudentielles caractérisées par le fo rt soutien politique qu’elles avaient reçu. Les
juges ne sauraient anticiper les tendances, leur mandat ne leur permet pas d’agir comme des
organes législatifs en vue de promouvoir des objec tifs politiques. Le droit international tire son
autorité du consensus existant au sein de la co mmunauté internationale. C’est fort justement que
l’article 38 du Statut de la Cour dispose que le s règles coutumières sont fondées sur «une pratique
générale acceptée comme étant le droit». Le dr oit international sombrerait dans l’anarchie si
n’importe quelle personne amenée à traiter des qu estions de droit international pouvait prétendre à
la légère que telle règle doit être écartée au motif qu’elle ne s’intègre pas dans un système dont les
valeurs essentielles sont la paix et la justice. Il es t vrai que c’est la pratique qui va de l’avant, sous
l’impulsion de ces notions-clés qui orientent tout es les actions et activités dans les relations
internationales. Mais encore faut-il que la pr atique se soit cristallisée. Au lieu de cela, la Corte di
Cassazione est partie comme un éclair, appelant toutes les nations à la suivre et à la soutenir. Or
rien de tel ne s’est produit. Plus de sept années après son révolutionnaire arrêt Ferrini ⎯ que nous
nous abstenons à dessein de qualifier de «précurseur» ⎯la Cour de cassation demeure isolée ou,
pour dire les choses plus crûment, elle est enfermée dans son splendide isolement.
4. Le grand avantage du droit jurisprudentiel est qu’il incite les juges à se concentrer sur
l’affaire qui leur est soumise. Ils font de leur mieux pour rendre justice aux parties à l’instance.
Les spécificités de l’affaire concernée sont méticuleusement étudiées. Il semble que telle ait été en
général l’approche adoptée par les juges de la plus haute instance italienne en matière civile dans
l’affaire Ferrini et dans les procédures ultérieures similair es. Tenant compte de la souffrance du
6
Cour d’appel, ILR, vol. 64, p. 111 ; ILM (1977), vol. 16, p. 471. - 16 -
demandeur, qui n’est pas contestée, ils n’ont pas pris la peine d’analyser les raisons sous-jacentes à
la règle de l’immunité de l’Etat, qu’ils ont c onsidérée comme un pur détail technique, et ne se sont
pas souciés des conséquences systémiques de leur jurisprudence.
23 II. L’absence de lien automatique entre le droit substantiel et le droit procédural
5. Premièrement, pas un seul mot n’a été dit sur le fait de savoir s’il est bien logique de
déduire de la gravité d’une violation du droit inte rnational, une violation du droit substantiel, que
les juges nationaux devraient être habilités à stat uer sur des demandes en indemnisation d’ordre
privé. Il convient de distinguer soigneusement en tre les règles de conduite primaires et les règles
de droit secondaires correspondantes qui en régissent les conséquences procédurales. La Cour a
invariablement affirmé que les arguments tirés de la violation alléguée d’obligations erga omnes ou
de règles de jus cogens n’entament en rien le principe du consentement, qui est fondamental pour le
règlement pacifique des différends internationaux. Se référant à l’arrêt qu’elle avait rendu en
l’affaire du Timor oriental, elle a de nouveau affirmé dans l’affaire des Activités armées sur le
territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) que «le fait qu’un différend porte sur le respect d’une
norme possédant un tel caractère … ne saurait en lu i-même fonder la compétence de la Cour pour
en connaître» ( arrêt, C.I.J. Recueil2006 , p. 32, par. 64 ; voir également p. 35, par. 78, p. 52,
par. 125).
6. Il s’agit-là d’une proposition fondamentale du droit international contemporain, qui est
généralement respectée de nos jours. Ainsi, très récemment, la Géorgie a pris soin de fonder sa
requête contre la Fédération de Russie sur la clau se juridictionnelle figurant à l’article22 de la
CIEDR, se réservant le droit d’invoquer à titre su bsidiaire l’articleIX de la convention sur le
7
génocide . Elle n’a pas tenté de fonder directement la compétence de la Cour sur les violations
massives des droits de l’homme qu’ elle accusait les forces militaires russes d’avoir commises.
Même lorsque des accusations graves sont portées contre un autre Etat, les modalités du règlement
pacifique du différend ne sont pas prédéterminées . Les Etats décident librement des modalités
qu’ils estiment appropriées et adéquates. Les deux parties, le demandeur et le défendeur, doivent
être d’accord. Même un Etat accusé d’avoir commis de graves violations du droit international des
7Affaire relative à l’ Application de la convention internatiosur l’élimination de toutes les formes de
er
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), arrêt du 1 avril 2011, par. 1. - 17 -
droits de l’homme et du dr oit international humanitaire ⎯ ou même qui a admis avoir commis de
telles violations ⎯demeure un Etat souverain qui ne sau rait être privé des prérogatives que lui
confère le droit international. Le paragraphe3 de l’article2 de la Charte des NationsUnies
n’impose aucune modalité spécifique pour régler les conséquences d’un fait internationalement
illicite. Seul le Conseil de sécurité a le pouvoir d’imposer des modalités particulières de réparation,
ce qu’il a fait de manière particulièrement notable lorsque, à propos de la responsabilité de l’Irak
pour l’invasion du Koweït, il a décidé que le pays agresseur était
24 «responsable, en vertu du droit interna tional, de toute perte, de tout
dommage ⎯ y compris les atteintes à l’environnement et la destruction des ressources
naturelles ⎯et de tous autres préjudices directs subis par des Etats étrangers et des
personnes physiques et sociétés étrangères du fait de son invasion et de son occupation
8
illicites du Koweït» .
7. Le même raisonnement, à savoir l’impossib ilité de déduire directement d’une violation du
droit substantiel les remèdes disponibles, s’appli que avec encore plus de force lorsqu’on tente de
faire admettre que des juges nationaux devraient être chargés de régler un différend international.
Bien entendu, la Cour internationale de Justice j ouit du plus haut degré de confiance et de fiabilité
dans l’arène internationale. Son impartialité et son objectivité ne sauraient être mises en doute. On
ne peut malheureusement pas en dire autant des juges nationaux même lorsqu’ils tentent très
sincèrement et en toute conviction d’agir sans le mo indre préjugé ou parti pris. D’un point de vue
institutionnel, ils sont par nécessité une composante de la structure étatique du pays au nom duquel
ils rendent leurs décisions. Durant toute leur vi e professionnelle, ils ont été baignés dans la culture
juridique propre à leur pays. Le droit international n’est pas leur principal domaine de compétence.
De surcroît, ils sont inévitablement exposés à l’opini on et aux pressions de l’électorat national. La
population dans son ensemble s’attend généralement à ce qu’un juge appelé à trancher un différend
opposant un demandeur à un Etat étranger défende résolument l’intérêt national tel qu’elle le
perçoit.
8. Je n’entends pas insinuer par ces développements que les juges nationaux ne seront jamais
capables de rendre de bonnes décisions dans des affaires ayant un aspect conflictuel opposant l’Etat
dont le juge est ressortissant à un Etat étranger. Mais il est tout à fait clair que le juge national
8
Résolution 687 (1991), par. 16. - 18 -
n’offre pas, d’un point de vue institutionnel, les mêmes garanties de neutralité et d’objectivité que
le juge international, surtout lorsque ce dernier siège à la Cour internationale de Justice. Par
conséquent, puisque la logique institutionnelle du droit international rejette même la compétence de
la Cour lorsque des allégations de violation d’obligations erga omnes ou de règles de jus cogens
sont en jeu, il est encore moins justifié de s outenir que les tribunaux nationaux sont compétents
dans des affaires où de telles accusations doivent êt re abordées. Ainsi, passer de l’affirmation
qu’un crime international a été commis à la conc lusion que, par dérogation au principe traditionnel
de l’immunité juridictionnelle de l’Etat à raison de ses actes jure imperii , les juges nationaux
peuvent se déclarer compétents, est un saut arbitraire dépourvu de tout fondement juridique. Mon
25 collègue Robert Kolb présentera d’autres arguments à ce sujet un peu plus tard.
III. La méconnaissance du contexte systémique
9. Il convient cependant de mettre en ex ergue dès ce stade préco ce des plaidoiries de
l’Allemagne un aspect spécifique de cette affaire. Pour trancher un différend entre deux individus
parties à un litige, il peut suffire au juge national d’examiner les faits particuliers de l’espèce et de
tenter de trouver un équilibre en tenant uniquement compte des intérêts des parties à l’instance tels
qu’ils se sont fait jour au cours de la procédure. Toutefois, la Corte di Cassazione plaide pour un
changement systémique du fonctionnement du droit in ternational. Je viens juste de montrer que la
proposition sur laquelle l’arrêt Ferrini est fondé sape le principe du consentement qui est au cŒur
du règlement des différends internationaux. Le dr oit international tel qu’il s’applique entre Etats
souverains ne permet pas de pr endre unilatéralement des initiatives individuelles. En pratique,
l’opinion de la Corte di Cassazione signifierait que, après un conf lit armé au cours duquel des
crimes internationaux ont été perpétrés, chaque ca mp ayant participé au conflit pourrait statuer de
façon autoritaire sur les délits qu’il estime attribua bles à l’adversaire. Cette conséquence est en
contradiction avec les principes fondamentaux du jus contra bellum et du jus in bello. Les parties
aux quatre conventions de Genève de 1949 ont pris soin d’éviter d’attribuer compétence à la Cour à
l’égard de tels différends. E lles sont convenues que les auteurs d’«infractions graves» aux
conventions devraient être punis, créant même à cette fin le principe de la compétence universelle.
Toutefois, en dehors de cela, la principale avan cée en termes procéduraux a été la création, en - 19 -
1977, de la commission internationale d’établi ssement des faits, en vertu de l’article90 du
o
protocole additionnel n 1 aux conventions de Genève. Bien qu’elle soit devenue opérationnelle en
1991, cette commission n’a jusqu’à présent jamais été chargée d’enquêter sur des accusations
d’infractions graves aux conventions qui auraient été commises pendant un conflit. Cela montre
très clairement que les Etats considèrent que la mise en Œuvre de mesures procédurales appropriées
après un conflit armé relève de leur seul pouvoir de décision. De fait, c’est une banalité de dire que
les dommages de guerre ne peuvent êt re réparés que par accord mutuel ⎯ou sur la base d’une
résolution appropriée du Conseil de sécurité, agissa nt en vertu du chapitreVII de la Charte des
NationsUnies. En résumé, la Corte di Cassazione veut révolutionner le mécanisme de
26 fonctionnement et d’exécution du droit internatio nal, en décrétant que, lorsque la gamme des
remèdes disponibles semble présenter une lacune, les juges nationaux devraient tout simplement
combler ce vide : elle a tort.
IV. L’assimilation erronée de l’immunité personnelle avec l’immunité de l’Etat
10. Un autre des vices fondamentaux de la jurisprudence Ferrini tient à l’argument, avancé
sans ambages par les juges de la Cour de cassation italienne, selon lequel l’immunité personnelle et
l’immunité de l’Etat devraient être traitées de la même manière. Ceux-ci ont déclaré que, dans les
cas où les agents de l’Etat ayant commis des crimes internationaux sont déchus de toute immunité,
«il n’exist[ait] aucune raison va lable de maintenir, dans les mêmes circonstances, l’immunité de
l’Etat et, ce faisant, d’empêcher la justice d’un autre Etat d’apprécier la responsabilité de celui-ci à
l’égard de ces crimes» 9 [traduction du Greffe].
11. C’est précisément ce raisonnement qui révèle que les juges n’avaient pas conscience des
particularités propres au régime juridique applicab le aux crimes internationaux. Depuis que les
puissances victorieuses de la seconde guerre mondiale ont pris la décision historique d’établir des
tribunaux pénaux internationaux chargés de poursu ivre les grands criminels de guerre des
puissances de l’Axe, la responsabilité pénale dir ecte en droit international constitue une notion
juridique unanimement acceptée. Si, pendant pl us de quarante ans, des doutes ont pu subsister
quant au point de savoir si la pratique viendrait consolider définitivement les précédents de
9
Voir supra, note 1, p. 674, par. 11. - 20 -
Nuremberg et de Tokyo, le Conseil de sécurité a balayé ces doutes une fois pour toutes en 1992 et
en1993 en créant les tribunaux pénaux internatio naux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda.
Le code des crimes contre la paix et la sécu rité de l’humanité, adopté par la Commission du droit
international en1996, a exposé la raison d’être et la justification de cette subordination de
l’individu au droit international pénal coutumier 10. Cette évolution s’inscrit dans le droit fil des
dispositions relatives à la compétence universelle qu i figurent dans les conventions de Genève sur
le droit international humanitaire. La communauté internationale estime nécessaire et utile que les
personnes accusées d’avoir commis des crimes interna tionaux soient traduites devant la justice,
quelle que soit leur fonction offi cielle dans le cadre du systèm e de gouvernement de leur pays
d’origine. Nous n’entendons pas ici entrer dans le détail. Chacun sait que les juridictions internes
27 sont tenues de respecter les immunités traditionnell es des chefs d’Etat et des ministres de haut
rang 11. En tout état de cause, toutefois, les personnes accusées de crimes internationaux doivent en
principe être traduites en justice. Elles ne peuve nt se prévaloir de leur immunité de fonction pour
empêcher les instances judiciaires compétentes de jouer leur rôle.
12. L’immunité d’un Etat est une notion juridi que tout à fait différente, pour de nombreuses
raisons. Lorsqu’on évoque la responsabilité d’un Et at, il s’agit en fait de la responsabilité d’une
population, dont de nombreux membres peuvent eux aussi avoir été victimes du régime qui a causé
le préjudice par ses manquements au droit internatio nal. Ce point n’est pas très important lorsque
la violation du droit international mise en cause est un cas isolé. Lorsqu’il s’agit d’apprécier la
responsabilité d’un Etat à raison d’un conflit ar mé, en revanche, d’infinies précautions sont
nécessaires. La situation doit être considérée dans sa globalité. D’une manière générale, les
instruments conventionnels sont tous basés sur une di stinction claire et nette entre la responsabilité
civile des Etats et la responsabilité pénale des pa rticuliers. Depuis la création des tribunaux de
Nuremberg et de Tokyo en 1945 et l’adoption des quatre conventions de Genève de 1949, le fait de
poursuivre les auteurs de graves crimes interna tionaux est devenu la norme pour la communauté
internationale. Par opposition, ces mêmes quatre conventions de Genève de1949 et les deux
10
Annuaire de la Commission du droit international, 1996, vol. II, deuxième partie, p. 17.
11Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique) , arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 3. - 21 -
protocoles additionnels de 1977 ne renferment aucu ne disposition conférant compétence à la Cour
internationale de Justice à l’égard des demandes de réparation. Les dispositions pertinentes, en
particulier l’article91 du premier protocole additionnel, prévoient simplement que toute violation
des règles du droit humanitaire donne lieu à une obliga tion de réparation. Mais cette règle de fond
n’a été assortie d’aucune clause attributive de compétence. En résumé, la distinction entre
l’immunité personnelle à raison d’actes criminels et l’immunité de l’Etat est cruciale. Quiconque
se fonde sur l’absence d’immunité personnelle ratione functionis pour écarter au même titre
l’immunité de l’Etat ne se place pas dans les c onfins de l’ordre juridique international actuel mais
tente d’en redessiner les contours, dont la raison d’être n’est pourtant nullement disparue.
13. Ainsi, nous touchons là encore au vice fondamental qui entache la jurisprudence Ferrini :
les juges se sont arrogé le rôle de législateurs, dans l’espoir de remédier à une lacune structurelle du
droit international, à savoir l’absence d’une panopl ie complète de remèdes. Peut-être serait-il
effectivement souhaitable de rendr e le droit international plus efficace en complétant ses
mécanismes de mise en Œuvre. Mais pour l’he ure, tel est l’état d’avancement du droit
28 international. La situation a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. En particulier, les
institutions de la communauté internationale organisée ont gagné de nouveaux pouvoirs ou des
moyens d’action plus efficaces. Depuis les années 1990, le Conseil de sécurité a eu la possibilité
de jouer véritablement le rôle de garant de la paix et de la sécurité internationales avec l’accord des
cinq puissances dotées du droit de veto. En outre , de nouveaux moyens ont été reconnus pour
permettre aux Etats de défendre les intérêts de la communauté internationale sur la base des notions
d’obligations erga omnes et de jus cogens (voir, en particulier, l’article48 du texte de la
Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat). Mais c’est tout autre chose que
de prendre soi-même les choses en main, purement et simplement. Une telle démarche n’a aucune
légitimité, pas même —et surtout— au regard du droit international tel qu’il se conçoit
aujourd’hui, sous les auspices de la Charte des Nations Unies.
V. La compétence utilisée comme une contre-mesure ?
14. Les contre-mesures constituent certes une notion reconnue. Elles ont été intégrées aux
articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat. Cela dit, elles ne - 22 -
peuvent pas être utilisées de manière aléatoire. Se lon l’article 49 du texte de la Commission, elles
ne sont autorisées que pour amener un Etat res ponsable d’un fait internationalement illicite «à
s’acquitter des obligations qui lui incombent en vert u de la deuxième partie». Certaines conditions
procédurales doivent également être remplies au préalable. Des contre-mesures basées sur les
agissements graves commis par les forces d’occupa tion allemandes en Italie de septembre1943 à
mai1945 doivent être catégoriqueme nt écartées. La page de la seconde guerre mondiale est
définitivement tournée, depuis 66 ans déjà, et l’Alle magne et l’Italie sont de solides partenaires au
sein de l’Union européenne. De même, il serai t parfaitement absurde de prétendre que la
juridiction des tribunaux italiens pourrait être ju stifiée comme une contre-mesure pour répondre au
manquement de l’Allemagne à son obligation de réparation. L’Allemagne n’a commis aucun
manquement à cet égard et, pendant plus de quara nte ans, depuis la conclusion des deux accords
d’indemnisation de 1961 jusqu’au point d’orgue de l’affaire Ferrini, l’Italie ne lui a jamais adressé
aucune déclaration en ce sens. Enfin, l’Italie n’a jamais soutenu que la compétence assumée par la
Cour de cassation italienne était justifiée en droit à titre de contre-mesure.
VI. La pratique confirme la règle traditionnelle
15. Revenons-en maintenant à l’arrêt Ferrini puisque c’est cette décision qui a entraîné tout
le système judiciaire italien sur un terrain glissant, au mépris des conseils de l’avocat général
12
29 (Avvocatura dello Stato) qui, dans son exposé du 28avril2008 , avait fait la lumière sur le
raisonnement de la Cour de cassation en l’expliq uant point par point avec une logique juridique
rigoureuse et persuasive. L’Allemagne pourra it se borner à renvoyer à cet exposé qui est
amplement convaincant. Pourtant, elle estime nécessaire de rappeler une fois encore les principaux
points, ne serait-ce que de manière sommaire puis qu’une présentation plus détaillée figure dans le
mémoire.
16. L’Allemagne invoque simple ment la règle selon laquelle les Etats bénéficient d’une
immunité de juridiction à l’égard des actions civ iles intentées à leur encontre devant les tribunaux
d’un autre Etat dès lors que le comporteme nt incriminé engageant (prétendument) leur
responsabilité internationale s’inscrivait dans le cadre de l’exercice de pouvoirs jure imperii. Il
12
MA, annexe 12. - 23 -
serait ennuyeux et fastidieux de revenir une énième fois ici sur la pléthore d’éléments de preuve qui
étaye cette conclusion juridique. Nous fer ons uniquement référen ce à la convention des
Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des Et ats et de leurs biens que l’Assemblée générale
a adoptée dans le cadre de sa résolution59/38 du 2 décembre2004. Aux termes de l’article5 de
cette convention —je cite: «Un Etat jouit, pour lui-même et pour ses biens, de l’immunité de
juridiction devant les tribunaux d’un autre Etat, sous réserve des dispositions de la présente
Convention».
17. Cette règle ne souffre aucune exception dans le cas des actes souverains, des actes
jure imperii. Mon collègue M. Andrea Gattini reviendra plus longuement par la suite sur la clause
territoriale contenue à l’article 12 qui, comme il le démontrera, est dépourvue de pertinence dans la
présente affaire. Il est vrai que la convention n’est pas encore entrée en vigueur ; à l’heure actuelle
(août2011), onzeEtats l’ont ratifiée. Toutefois, la convention reflète d’une manière générale le
droit coutumier —à quelques disparités géographi ques près. Voilà pourquoi les Etats n’estiment
pas urgent de la ratifier. Ils voient dans la c onvention l’expression des règles coutumières qui sont
applicables de toute façon.
18. L’argument consistant à réduire la portée ratione materiae de la règle de l’immunité
juridictionnelle dans le cas des violations grav es des droits de l’homme et du droit international
humanitaire ne repose sur aucun fondement valable. Il présuppose l’émergence d’une pratique en
sens contraire qui tendrait à refuser l’immunité en pareils cas. Il est assez intéressant de relever
qu’une telle pratique n’a pu êt re identifiée ni dans l’arrêt Ferrini, ni dans les ordonnances
ultérieures rendues le 29mai2008 dans les affaires Maietta et autres . La Cour de cassation
italienne évoque de manière relativement vague certaines «tendances» [traduction du Greffe], mais
le seul élément réellement probant qu’elle soit parvenue à identifier est l’arrêt Distomo de la Cour
de cassation grecque (Areios Pagos), abstraction faite des décisions américaines qui étaient licites
30
dans l’ordre juridique interne des Etats-Unis en vertu de l’ Effective Death Penalty Act de 1994 et
qui étaient subordonnées à des conditions particulières, à savoir une certification du Secrétaire
d’Etat américain attestant que l’Etat défendeur était un commanditaire du terrorisme. L’état du
droit n’a pas changé à l’heure actuelle. La Cour de cassation a eu beau chercher un appui en dehors
des frontières italiennes, la justice d’aucun autre Et at n’a positivement confirmé cette suggestion. - 24 -
En fait, c’est tout le contraire. La Cour de cassation a fait référence à plusieurs reprises à l’arrêt de
la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Al-Adsani, mais il lui a bien fallu
reconnaître que son propre point de vue n’était pa rtagé que par une minorité de juges qui avaient
voté contre cette décision. Faire valoir que la décision Al-Adsani n’a été adoptée qu’à une faible
majorité ne sert pas à grand-chose ⎯ tel est souvent le cas lors des procédures judiciaires. Ce qui
importe davantage, c’est que la Cour de Str asbourg n’a pas estimé nécessaire jusqu’ici de
réexaminer sa jurisprudence, même après de nombreuses années.
19. Une grande importance doit aussi être atta chée au fait indéniable que la Commission du
droit international, lorsque, dans le cadre d’un gr oupe de travail, elle a spécifiquement réexaminé
son projet de 1996 sous l’angle des violations grav es des droits de l’homme, n’a pas été en mesure
de parvenir à un consensus sur la création d’une nouvelle exception au principe de l’immunité
13
souveraine . Le défendeur a tenté d’exploiter ce fait en sa faveur. Mais celui-ci le dessert en
réalité. Tout ce discours sur les penchants et les tendances ne peut occulter une vérité fort simple, à
savoir que la Commission du droit internationa l n’a pas jugé opportun de créer une nouvelle
exception dont les conséquences étaient imprévisibl es. De toute évidence, un Etat a précisément
besoin de la règle de l’immunité dans les cas où un demandeur l’accuse d’avoir commis un fait
internationalement illicite. Si l’on suit la logi que du défendeur, il serait toujours nécessaire, au
stade initial de l’instance, de distinguer une vi olation «normale» —et qu’est-ce qu’une violation
«normale» ? — d’une violation partic ulièrement grave. Sans avoir une vue d’ensemble de tous les
éléments de preuve disponibles, le juge devr ait donc toujours apprécier l’affaire de manière
superficielle et anticipée, et se trouverait ainsi placé dans une position extrêmement inconfortable,
sinon intenable. Dans ces conditions, les rétic ences des membres du groupe de travail se
comprennent parfaitement et elles n’appuient en aucun cas la théorie d’un déclin avancé de
l’immunité juridictionnelle. Bien au contraire: la question a été soigneusement pesée. Sur cette
base, la Commission du droit international a décidé de ne pas modifier son projet. Nous sommes
31
13Rapport du groupe de travail sur les immunités juridicti onnelles des Etats et de le urs biens, annexe du rapport
de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante et unième session, Annuaire de la Commission du
droit international 1999 , vol.II, deuxième partie, p.157 de la on française, appendicep.180 de la version
française ; voir également MA, par. 108. - 25 -
donc face à une décision délibérée, de la part de l’organe législatif suprême du système des
Nations Unies, selon laquelle la portée de l’immunité juridictionnelle ne doit pas être réduite.
20. Il convient de donner toute son importance à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 38.
Les faits tangibles et concrets de la pratique judiciaire internati onale sont plus importants que les
modes et les tendances dépourvues de toute réa lité. Nous nous bornerons à faire état de
cinqdécisions de juridictions nationales, dont trois ont également dû examiner des demandes en
réparation à raison de violations graves du droit perpétrées par les autorités du III eReich allemand.
Le mémoire de l’Allemagne contient un exposé plus complet de cette question (par. 115-130).
21. Bien que la décision de la Cour de cassation française rendue en l’affaire Bucheron le
14
16 décembre 2003 ait déjà été mentionnée dans cette pièce de procédure, il convient de revenir
sur cet arrêt en raison de la similarité des faits en cause. A l’instar de Ferrini en Italie, Bucheron
avait été envoyé en Allemagne en juin1944 pour y être astreint au travail forcé. La Cour de
cassation a à juste titre jugé qu’aucun contrat n’ avait été conclu entre celui--ci et les forces
d’occupation allemandes. Le travail effectué pa r Bucheron en Allemagne était donc fondé sur un
acte de «puissance publique». Sans autre formalité et de manière très succincte, la Cour a conclu
que l’Allemagne jouissait donc de l’immunité judici aire. Il paraît significatif que la Cour de
cassation italienne n’ait pas mentionné le précédent Bucheron lorsqu’elle a, troismois plus tard,
rendu son arrêt en l’affaire Ferrini.
15
22. La Chambre des lords, dans sa décision en l’affaire Jones , a dû examiner un ensemble
de circonstances tout autres, où les prétendus actes de torture n’avaient pas été commis sur le sol du
Royaume-Uni, mais en ArabieSaoudite. En revanc he, la question principale était identique. Un
particulier peut-il intenter une action en justice contre une nation étrangère souveraine en-dehors du
cadre des transactions commerciales ? La Chambre des lords ne s’est pas arrêtée uniquement à la
loi britannique de 1978 intitulée State Immunity Act (loi sur l’immunité de l’Etat) mais a également
examiné la situation du point de vue du droit inte rnational général. Elle ne doutait nullement que
les règles internationales applicables en matière d’ immunité juridictionnelle des Etats n’avaient été
14
Revue générale de droit international public, vol. 108, 2004, p. 259.
15Jones v. Ministry of Interior Al-Mamlaka Al-Arabiya AS Sandiya (the Kingdom of Saudi-Arabia), 14 juin 2006,
ILR 129, p. 713. - 26 -
modifiées ni par l’arrêt Distomo grec ni par l’arrêt Ferrini de la Cour de cassation italienne. A cet
32 égard, lordBingham ofCornhill a fait une déclar ation qui jette une lumière décisive sur cette
question en décrivant l’essence de la genèse de la coutume en droit international :
«L’arrêt Ferrini ne peut, à mon sens, être considéré comme un exposé exact du
droit international tel qu’il est communément admis et, de même qu’une hirondelle ne
16
fait pas le printemps, un arrêt ne fait pas une règle de droit international.»
[Traduction du Greffe.]
D’aucuns pourraient prétendre que les juges britanniques n’ont pas bien saisi les tendances
modernes du droit international et qu’ils auraient dû trancher autrement. La doctrine est libre de
formuler de telles critiques. Toutefois, quand il s’agit de rechercher quelle est la pratique
internationale, on ne saurait ignorer le dictum de la Chambre des lords. Celui-ci doit être considéré
comme une confirmation supplémentaire de la règle traditionnelle existante. Les juges
britanniques n’ont vu aucune raison valable de s’éloigner de cette règle déjà ancienne.
23. Au Brésil, le tribunal fédéral de Ri o de Janeiro a rejeté, par une décision du
9juillet2008, une action en répa ration engagée à l’encontre de l’Allemagne à raison de la
destruction d’un bateau de pêche par un sous-marin allemand en juillet 1943, en violation du droit
international humanitaire. En quelques lignes, le tribunal brésilien a re jeté la demande, en
invoquant le principe de l’immunité de l’Etat 17.
24. La troisième décision est une décision rela tivement succincte de la cour de district
israélienne de TelAviv -Jaffa du 31décembre2008 18. Cette décision a elle aussi trait à des
victimes de la barbarie nazie qui avaient enga gé une action en réparation à l’encontre de
l’Allemagne au titre de préjudices subis durant la seconde guerre mondiale. La cour israélienne n’a
vu aucune raison de se lancer dans un examen a pprofondi du droit. En quelques phrases, elle a
établi qu’étant donné que l’action était dirigée contre un Etat étranger sur la base de l’exercice de la
puissance publique, celle-ci ne relevait pas de la comp étence israélienne; elle a, en conséquence,
recommandé aux demandeurs de retirer leur demande , ce qu’ils ont fait. Nul n’est besoin de
préciser que des millions de victimes directes ou indirectes des mesures de persécution prises par
16Ibid., p. 726, par. 22.
17
La traduction anglaise de l’arrêt sera déposée.
18Affaire Irit Tzemach et autres. - 27 -
les Nazis durant la seconde guerre mondiale vivent en Israël. Il n’en reste pas moins que la cour,
sans évoquer ces circonstances douloureuses, a caté goriquement refusé de reconnaître la
compétence des juridictions israéliennes à l’égard de la demande en réparation.
33 25. L’examen le plus minutieux de la situation juridique peut être trouvé dans l’arrêt que la
Cour suprême polonaise a rendu le 29octobre 2010 en l’affaire Natoniewski. En1944,
M.Natoniewski a été victime d’un raid armé opéré par des soldats allemands dans le village de
Szczeczyn, aujourd’hui situé dans le sud-est de la Pologne. Ce raid visait la population civile. Les
biens des civils ont été détruits et leurs mais ons réduites en cendres. Avec son grand-père,
M. Natoniewski s’est abrité dans une fosse à pommes de terre mais n’a pu échapper à l’incendie, au
cours duquel il a subi de graves brûlures qui lui on t laissé des cicatrices pe rmanentes au visage et
un handicap partiel des membres. Un codemande ur, M.Skrzypek, a demandé à être indemnisé
pour l’invalidité physique et les troubles menta ux appelés «syndrome de la deuxième génération»
dont il souffrait, deux handicaps découlant des expériences pseudomédicales dont son père avait
fait l’objet dans le camp de concentration de Dach au en Allemagne nazie. De toute évidence, la
Cour suprême polonaise avait pleinement connai ssance de la gravité des actes à l’origine des
préjudices. Toutefois, elle a scrupuleusement appli qué la règle de l’immunité. Elle a jugé qu’un
conflit armé entraînant des victimes, des dommages et des souffrances à grande échelle ne saurait
être réduit à un rapport entre l’Etat auteur des faits et les victimes prises individuellement. Un
conflit armé oppose avant tout des Etats et c’est à eux qu’il appartient de rechercher une solution
globale au règlement des réclamations mutuelles dans un traité après les hostilités. L’immunité
juridictionnelle est une garantie que la décision sera précisément prise de cette manière et qu’une
série de procédures engagées devant les juridictions nationales ne compromettra pas le
rétablissement de relations pacifiques entre les Etats.
26. Ce raisonnement s’applique parfaiteme nt aux spécificités du présent différend opposant
l’Allemagne et l’Italie. La question des répara tions a été réglée voici plusieurs décennies. Des
procédures judiciaires relatives à des réclamations individuelles viendraient rompre cet équilibre.
Quoi qu’il en soit, l’arrêt rendu par la Cour suprême polona ise en l’affaire Natoniewski montre
avant tout qu’en règle générale comme dans la présente espèce, c’est commettre une erreur - 28 -
élémentaire que de connaître d’ac tions de particuliers sans tenir compte du contexte général du
problème juridique.
27. En somme, il convient de réaffirmer que la pratique internationale constante n’étaye
aucunement la thèse de la Cour de cassation italie nne selon laquelle les crimes graves au regard du
droit international donnent automatiquement comp étence aux juridictions nationales. Quiconque
prend au sérieux les règles fondamentales de la cout ume internationale doit en tirer les conclusions
appropriées. L’immunité juridictionnelle des Etats pour des actes jure imperii demeure une règle
34 fermement établie du droit internati onal. Aucune règle contraire ne s’est fait jour concernant les
violations graves du droit international humanita ire et des instruments relatifs aux droits de
l’homme.
C. L’élément intertemporel du différend
28. Il convient en dernier lieu d’examiner un second point, à savoir l’élément intertemporel.
Le défendeur affirme que l’applicabilité d’une rè gle de nature «purement» procédurale doit être
appréciée au regard de la date d’ introduction de la procédure en question, et non conformément au
droit existant à l’époque des faits. L’Italie s outient donc que la compatibilité de sa pratique
judiciaire doit être appréciée par rapport aux norme s juridiques applicables à partir de 2004, non à
celles qui étaient en vigueur de 1943 à 1945.
29. Nous avons montré que les règles pertinen tes en matière d’immunité juridictionnelle
n’ont pas changé depuis soixante-dixans. L’ immunité juridictionnelle absolue pour les actes
souverains d’un gouvernement demeure, aujour d’hui comme hier, la règle coutumière
généralement reconnue. Il n’y a donc pas urge nce à examiner cette question. Toutefois,
l’Allemagne tient, par avance, à bien préciser que la position de l’Italie est dépourvue de
fondement.
30. Dans son mémoire, l’Allemagne a longueme nt démontré que l’immunité juridictionnelle
des Etats ne saurait être traitée comme n’importe quelle autre règle procédurale qui se modifie
19
continuellement . La commission d’un fait internationa lement illicite crée un rapport de droit
présentant des particularités et des caractéristique s propres. Le droit en vigueur détermine les
19
Par. 91-102. - 29 -
conséquences de fond qui sont définitives et exhaustives. L’évolution ultérieure du droit
international ne modifie pas ce rapport. La portée et le contenu de l’oblig ation de réparation ne
fluctuent pas comme les prix de la bourse. Le pr incipe de la sécurité du droit serait gravement
affaibli par une telle volatilité.
31. Il doit en être de même pour la règle de l’immunité juridictionnelle. D’une part, du point
de vue du droit procédural interne, l’immunité n’est en effet qu’une question de procédure : de fait,
elle vise à empêcher les particuliers de saisir la justice, établissant ainsi un obstacle procédural.
Devant la Cour internationale de Justice, la compétence doit également s’apprécier au moment du
dépôt de l’acte introductif d’instance 20. De l’autre, l’immunité juridictionnelle, qui interdit aux
35
particuliers de saisir la justice, est une règle f ondamentale des relations entre les Etats souverains.
Elle détermine profondément le rapport existant en tre l’auteur présumé d’un crime et ses victimes
en façonnant les attentes et les perspectives. C’ est parce que l’on sait que les réclamations privées
ne sont pas admissibles que la plupart des régimes de réparation sont conçus et mis en Œuvre.
D’ailleurs, après la seconde guerre mondiale, le s puissances alliées victorieuses, réunies à Potsdam
aux portes de Berlin, ont décidé que les répara tions de guerre seraient versées selon le régime
interétatique classique. Elles ont pris des décisions dénuées d’ambiguïté. Le chapitreIV des
accords de Potsdam prévoit que l’Allemagne ⎯en tant qu’Etat ⎯ devra verser des réparations à
l’URSS, à la Pologne, aux Etats-Unis, au Roya ume-Uni et aux «autres pays ayant droit aux
réparations». Il s’agissait d’une décision forme lle, conforme aux règles de droit international
applicables à l’époque. Aucune marge de manŒuvre n’a été laissée aux personnes lésées pour faire
des réclamations privées additionnelles.
32. Il va sans dire qu’il existe un lien étroit en tre la règle de l’immunité, d’une part, et la
règle substantielle désignant les bénéficiaires des réparations de l’autre. Selon le concept classique,
tel qu’énoncé à l’article3 de la conventionIV de LaHaye de1907, seuls les Etats étaient
considérés comme ayant droit à des réparations au tit re d’une violation des règles de La Haye. La
règle de l’immunité corrobore cette règle substantiell e sur le plan procédural. En affirmant que les
juridictions italiennes peuvent connaître de r éclamations individuelles, la Cour de cassation
20
Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du
Congo c. Ouganda), C.I.J. Recueil 2006, p. 29, par. 54 ; Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 437, par. 79. - 30 -
italienne cherche à présent à renverser les décisions fondamentales prises à Postdam. Elle tente de
créer un deuxième niveau de réparation, pour ch aque cas individuel, para llèlement aux modalités
collectives de règlement convenues en1945 par les puissances victorieuses qui agissaient en
qualité de représentants de l’ensemble des Etats ayan t déclaré la guerre à l’Allemagne, dont l’Italie
faisait elle aussi partie. Toute la procédure de réparation reposait sur l’idée que la restitution et
l’indemnisation seraient effectuées dans le cadre des relations entre Etats. En outre, l’Allemagne a,
de son chef, décidé d’indemniser certains groupes de victimes particulièrement touchés, notamment
les victimes de persécutions raciales. Tous ces éléments pris ensemble forment un système
cohérent. En revanche, l’application rétrospective de toute nouvelle règle limitant l’immunité
36 juridictionnelle détruirait le mécanisme tout en tier de règlement de paix, dont les caractéristiques
essentielles ont été définies pour la première fois à Potsdam et qui a été définitivement approuvé
par l’Allemagne quarante-cinqans plus tard, lors de sa réunification, dans le fameux traité deux
plus quatre du 12 septembre 1990 21. Partant, dans les circonstances précises de la présente affaire,
tout refus d’accorder l’immunité juridictionnelle à l’Allemagne revient à renverser une situation
juridique établie dans le cadre du droit international.
Monsieur le président, ces observations conclu ent la première partie des plaidoiries de
l’Allemagne. Je ne sais pas si vous souhaitez donne r la parole à mon collègue ou si vous préférez
faire la pause café maintenant. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Je remercie M. Tomuschat de son exposé. Le moment est approprié pour
prendre une courte pause café de 10 minutes. Je vous prie d’être de retour dans une vingtaine de
minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 45.
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. La Cour reprend son audience. L’intervenant
suivant est, d’après ma liste, M. Andrea Gattini. Monsieur, vous avez la parole.
M. GATTINI : Je vous remercie, Monsieur le Président.
21
Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne, ILM 29, 1990, p. 1186. - 31 -
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, c’est un grand
honneur pour moi et un grand privilège que de me présenter devant vous et ce, pour la première
fois, au nom de la République fédérale d’Allemagne. Je mesure la responsabilité qui est la mienne
en tant que conseil de l’Allemagne dans une affair e qui la renvoie à son passé et qui revêt une telle
importance pour son présent, son futur et l’avenir de l’ordre juridique international. Le fait que je
sois citoyen de l’Etat défendeur est un autre témo ignage, si modeste fût-il, de ce que les relations
traditionnelles d’amitié et de comp réhension entre nos deux pays n’ ont pas le moins du monde été
altérées par les ⎯ regrettables ⎯ décisions judiciaires italiennes qui sont à l’origine du présent
différend.
37 Au cours des quarante minutes à venir, je réfuterai deux des principaux arguments avancés
par le défendeur afin de justif ier le fait que les juges italiens se soient déclarés compétents:
l’exception «en matière de responsabilité délictuelle» et le «forum necessitatis».
A. L’ EXCEPTION EN MATIÈRE DE RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE
1. Après avoir navigué dans les hautes sphères du jus cogens et avoir proclamé que la
compétence universelle en matière civile en était inévitablement l’un des corollaires, la Cour de
cassation italienne est revenue, dans son arrêt Ferrini, à une approche plus terre-à-terre. Ayant
jugé opportun d’insister sur le fait que le co mportement criminel im putable à l’Allemagne ⎯ la
déportation de personnes afin de les astreindre au travail forcé ⎯ avait, en tout état de cause,
partiellement eu lieu en Italie, la juridiction suprême a estimé qu’elle pouvait déclarer les tribunaux
italiens ⎯ que les juges italiens pouvaient se déclarer ⎯ compétents en tant que forum loci delicti
commissi.
2. Dans la présente instance, outre ses nombreux arguments fondés sur la prééminence du
jus cogens ⎯ sujet auquel mon collègue Robert Kolb s’intéressera plus tard ⎯, le défendeur estime
également opportun d’insister su r «l’exception en matière de responsabilité délictuelle», ou
exception territoriale ainsi qu’il préfère la d ésigner, comme fondement légitime pour refuser
l’immunité de l’Etat à l’Allemagne. Selon lui, les juridictions pourraient exercer leur compétence
non au motif qu’elles connaîtraient d’un crime inte rnational, mais simplement au motif que, en
vertu de l’article 12 de la convention des Nations Unies de 2004 sur les immunités juridictionnelles - 32 -
des Etats et de leurs biens, un Etat ne peut jouir de l’immunité de juridiction dans le cadre d’une
procédure se rapportant à une action en réparation en cas d’atteinte à l’intégrité physique si le
dommage s’est produit sur le territoire de l’Etat du for et si l’organe dont le comportement est
attribué à l’Etat étranger était présent sur le territoire de l’Etat du for au moment où le dommage
s’est produit.
3. En se fondant sur le principe du forum delicti commissi , la Cour de cassation, et le
défendeur aujourd’hui, ont affaibli l’argument fondé sur le jus cogens en ce que le défendeur aurait
pu, dès le début, circonscrire la question à celle de savoir si le comportement des forces armées
étrangères relève ou non de l’exception en matière de responsabilité délictuelle. Quand bien même,
chercher à rejeter l’immunité d’un Etat sur cette b ase plus restreinte ne peut qu’échouer et ce, pour
trois raisons au moins, comme je l’expliquerai. La première raison est que l’article12 ne codifie
pas, en tant que tel, le droit international coutumier tel qu’il existe. La deuxième est que
l’article12 ne s’applique de toute façon pas aux actes des forces armées. La troisième raison est
que, outre le libellé de l’article 12 de la convention des Nations Uni es, la pratique étatique n’étaye
38 pas la thèse selon laquelle les ac tivités des forces armées entrent dans le champ d’une quelconque
exception en matière de responsabilité délictuelle, quelle que soit la manière dont elle est libellée.
I. Statut discutable de l’article 12 de la convention des Nations Unies en tant que codification
du droit international coutumier
4. Il est tout d’abord plus que discutable que l’article 12 de la convention des Nations Unies
sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens codifie le droit international
coutumier. Pour être plus précis, il est plus que discutable que l’exception, dans la mesure où elle
fait fi de la distinction traditionnelle entre actes jure gestionis et actes jure imperii , reflète la
véritable pratique des Etats et l’opinio juris.
5. Les travaux de codification de la commiss ion du droit international sur ce point sont très
clairs. En 1983, dans son cinquième rapport à la CDI, le rapporteur spécial Sucharitkul a reconnu
que même les juridictions nationales qui font une interprétation «restrictive» ⎯ c’est-à-dire celles
qui ne reconnaissent pas aux Etats étrangers une immunité de juridiction absolue ⎯ «reconnaissent
l’immunité lorsque les activités ayant entraîné un dommage corporel ou matériel relèvent
clairement des actes jure imperii» (Annuaire de la commission du droit international 1983, vol. II, - 33 -
première partie, p. 44, par. 77). Le rapporteur spécial a néanmoin s rédigé l’article sur l’exception
en matière de responsabilité délictuelle sans opére r de distinction formelle, se fondant uniquement
sur le précédent que constitue la célèbre affaire Letelier, en laquelle le tribunal de district du
District de Columbia avait, quelques années a uparavant, écarté l’immun ité de la République du
Chili en ce qui concerne un assassinat politique comm is aux Etats-Unis. Si la commission a suivi
le rapporteur spécial, certains de ses memb res, dont l’un siège aujourd’hui à la Cour,
M. le juge Koroma, ont exprimé des doutes quant à l’opportunité d’insérer pareille exception pour
des questions qui «seraient mieux résolues de façon extrajudiciaire» (Annuaire de la commission
du droit international 1984, vol. I, p. 330, par. 32).
6. Lors de la deuxième lecture de ce qui ét ait alors le projet d’article13, le nouveau
rapporteur spécial, M. Ogiso, a appe lé l’attention de la commission sur l’opportunité de «revoir la
portée de cet article, compte tenu du fait que les actions en réparation découlant d’infractions
pénales [étaient] jusqu’ici très peu nombreuses da ns la pratique» (Annuaire de la commission du
droit international1989, vol.II, première par tie, p.73, par.22). La proposition visant à limiter
l’application de cet article aux affaires tirées de la jurisprudence civile découlant d’accidents de la
circulation impliquant des moyens de transport ap partenant à l’Etat ou exploités par celui-ci et se
produisant sur le territoire de l’Etat du for a finalement été abandonnée. Cela étant, si l’on
considère l’évolution ultérieure de la jurisprudence ⎯à l’exception de la décision rendue aux
Etats-Unis relativement à l’assassinat, pour des mo tifs politiques, de personnes résidant sur le
39 territoire américain ⎯, il n’existe aucune autre affaire, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs, dans
laquelle l’exception en matière de responsabilité délictuelle a été retenue par des juridictions
lorsque l’acte de l’Etat étranger était clairement jure imperii, à l’exception bien sûr de
l’arrêt Distomo rendu par l’ Areios Pagos grec en2000 et de l’arrêt Ferrini rendu par la Cour de
cassation italienne.
II. Les activités des forces armées n’entrent pas dans le champ de l’article 12 de la convention
des Nations Unies
7. La deuxième raison ⎯ plus importante encore ⎯ pour laquelle l’article 12 ne saurait être
retenu dans le cadre de la présente affaire tient au fait qu’il ressort d’une interprétation correcte de
cette disposition qu’elle n’englobe pas, et ne peut englober, les activités des forces armées. - 34 -
8. Lorsqu’il a présenté son projet d’ar ticle à la CDI e1983, le rapporteur
spécial Sucharitkul a appelé l’attention de la commission sur le fait que
«la question de l’immunité juridictionnelle ne se pose pas non plus lorsque l’affaire ne
relève pas du pouvoir judiciaire ou lorsque la juridiction qui en est saisie est
incompétente à raison de la matière» ( Annuaire de la commission du droit
international 1983, vol. II, première partie, p. 42, par. 66).
La raison d’être de cette dispositi on, à savoir que l’individu doit en tout état de cause bénéficier
d’un intérêt pour agir, a trouvé son expression dans la version finale de l’article, selon lequel l’Etat
du for doit être «compétent en l’espèce». Bien que l’on puisse présumer que les individus
bénéficient d’un intérêt pour agir en ce qui concer ne des atteintes à leur intégrité physique ou des
dommages aux biens procédant de la responsabilité délictuelle d’un Etat étranger impliqué dans des
affaires d’accident de la route, de voies de faits et de coups et blessures, il n’en va pas de même des
dommages subis dans le cadre d’un conflit armé. S outenir le contraire reviendrait à répondre de
manière préalable et positive à la question de savoir si les individus peuvent, en droit international,
avoir un droit à réparation à raison des domma ges de guerre. Or, comme je l’exposerai
ultérieurement, tel n’est pas le cas.
9. Il semble donc légitime de conclure que la CDI considérait comme acquise l’exclusion du
champ de l’article 12 des activités menées par des forces armées, ainsi que cela ressort clairement
de la brève remarque formulée au sujet de cette disposition lors de la deuxième lecture en 1991:
«[c]et article … ne s’applique pas … à des situations liées à des conflits armés» (Annuaire du droit
international 1991, vol. II, deuxième partie, p. 46, par. 10). Ce point de vue était également celui
du comité spécial sur les immunités juridictionnelles des Etats ét
abli par la Sixième Commission de
l’Assemblée générale afin de déterminer si l’adoption d’une convention était envisageable ; il a été
résumé en 2004 par le président du comité spéci al, lequel a déclaré qu’«[i]l a toujours été entendu
que les activités militaires n’entreraient pas dans le champ» de l’article12 (NationsUnies,
40
doc.A/C.6/59/SR13, par.36). Pour sa part, l’Assemblée générale, lorsqu’elle a adopté en
décembre 2004 le texte de la convention, a tenu co mpte de cette déclaration dans le dernier alinéa
du préambule de sa résolution. Nous avons s outenu dans notre mémoire que ces différentes
sources pouvaient être considérées conjointement co mme un «instrument interprétatif», au sens du
paragraphe 2 b) de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Sans même aller - 35 -
jusque là, il existe suffisamment d’éléments de preuve de ce que, pas plus tard qu’en
décembre2004, aucun Etat n’avait jamais fait va loir que l’exception en matière de responsabilité
délictuelle devait inclure les activités des forces armées.
10. Le défendeur fait grand cas du fait que la convention des Nations Unies ne contienne pas
de règle semblable à celle énoncée à l’article 31 de la convention européenne de1972 sur
l’immunité des Etats, qui exclut expressément les actes des forces armées de son champ
d’application, et, partant, du champ d’applicati on de l’article11 sur l’exception en matière de
responsabilité délictuelle. On peut bien sûr déplorer que la CDI, puis l’Assemblée générale, n’aient
pas fait preuve de la même prudence et de la mê me précision que le Conseil de l’Europe, mais cela
ne prouve rien. Les Etats sont évidemment libres de joindre une déclaration ⎯et je dis bien de
joindre une déclaration et non pas d’éme ttre une réserve, ce qui serait superflu ⎯ à cet effet à leur
instrument de ratification, ainsi que l’ont déjà fa it la Suède et la Norvège ; permettez-moi, soit dit
en passant, de faire observer que ce n’est pas par hasard si cela a été fait par deux Etats bien connus
pour leurs généreuses contributions aux missions de maintien de la paix des Nations Unies.
III. Absence de toute pratique étatique
11. Outre l’interprétation correcte de l’artic le12 de la convention des NationsUnies
de2004, c’est avant tout de la pratique des Etats ainsi que de la jurisprudence internationale et
nationale qu’il ressort clairement que les activités des forces armées sont exclues du champ
d’application de toute exception en matière de responsabilité délictuelle, quelle que soit la manière
dont elle est libellée. Un cas d’espèce, qui mé rite une attention particulière, est l’affaire
McElhinney, jugée par la Cour européenne des droits de l’homme le 21 novembre 2001. Dans cette
affaire, la Cour suprême irlandaise avait rete nu, en 1995, l’immunité souveraine du Royaume-Uni
en ce qui concerne un acte délictuel commis sur le territoire irlandais par un soldat britannique. Ce
qui est révélateur dans cette affaire, c’est que la Cour suprême irlandaise s’est expressément référée
aux articles 11 et 31 de la convention européenne, al ors même que l’Irlande ne l’avait pas ratifiée.
Ce qui est plus important encore, c’est que la Cour européenne des droits de l’homme a
41
entièrement fait siens les conclusions et le raisonne ment de la cour suprême irlandaise et ce, par - 36 -
une majorité plus importante que dans l’affaire Al-Adsani ⎯que M.Tomuschat a évoquée tout à
l’heure ⎯ dans laquelle l’arrêt a été rendu le même jour.
12. Il est tout aussi important de relever que cette position est également celle de la chambre
criminelle de la Cour de cassati on italienne elle-même. En effet, en juillet 2008, deux mois après
les ordonnances rendues par les chambres civiles réunies précédemment citées dans les
affaires Majetta, Mantelli et autres, la première chambre criminelle de la Cour de cassation a
clairement indiqué, en l’affaire Lozano, que le comportement des forces armées était exclu du
champ de l’article 12 de la conve ntion des Nations Unies de 2004. Il est révélateur, et néanmoins
étonnant, que cette même première chambre criminelle ait, dans la décision qu’elle a par la suite
rendue, en octobre 2008, dans l’affaire Josef Milde ⎯qui a en réalité précipité la décision de
l’Allemagne de saisir la Cour du présent différend ⎯ estimé préférable d’éviter complètement la
question du fondement de sa compétence.
13. J’en viens maintenant au deuxième argument de l’Italie : le forum necessitatis.
B. FORUM NECESSITATIS
14. Conscient de ce que l’argument fondé su r une exception en matière de responsabilité
délictuelle ne résisterait pas à un examen minu tieux et, de fait, cet argument s’effondre, le
défendeur a tenté d’introduire dans la jurisprudence Ferrini une rationalité différente, que la Cour
de cassation n’a semble-t-il jamais eu l’intention de suivre. Le défendeur s’est donc efforcé de
tisser un argument complexe, lequel, une fois dépou illé de ses délicates subtilités rhétoriques, se
réduit à l’affirmation selon laquelle les juges italiens étaient tenus d’exercer une sorte de forum
necessitatis afin d’offrir un recours judiciaire a ux victimes italiennes d’un «déni de justice
flagrant», que leur aurait infligé le système judiciaire allemand.
15. Par cet argument, le défendeur a méla ngé habilement la question de l’immunité
juridictionnelle, la seule qu’il vo us est demandé de trancher en l’espèce, et celle, distincte, de
l’existence alléguée d’un fondement individuel de la demande en justice. Réservant notre position
sur la pertinence, en l’espèce, de cette dernière question jusqu’à une plaidoirie ultérieure, il nous
faut toutefois, par principe, dire quelques mots su r le sujet à ce stade, afin de démêler l’argument
italien. - 37 -
42 16. L’argument du défendeur peut être résumé co mme suit. Le droit international prévoit un
droit individuel à réparation ouvrant directement une voie de recours judiciaire. Dans un premier
temps, ce droit doit être exercé devant les juridictions de l’Etat responsable. Si les juridictions de
cet Etat ne reconnaissent pas le droit à réparation, le particulier peut alors porter sa cause devant les
juridictions de l’Etat dont il est ressortissant. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que je m’étende
longuement pour démontrer le caractère infondé et da ngereux de cette théorie. Je vais y procéder
en illustrant et en réfutant les trois étapes de l’argumentation du défendeur.
I. Absence de droit individuel à réparation en vertu du droit international général
17. Il peut bien évidemment être mis un point d’arrêt à tout le rais onnement dès la première
étape, en notant simplement que le droit intern ational général n’accorde pas de droit individuel à
réparation, et en tout cas pas en ce qui concerne l es dommages de guerre. En raison de la structure
même des conventions, l’article3 de la quatr ième convention de La Haye de1907 ainsi que
l’article 91 du premier protocole additionnel, de 1977, des quatre conventions de Genève ne portent
que sur la responsabilité interétatique et ne pe uvent donc avoir d’effet direct pour les personnes
physiques. Les travaux préparatoires de ces deux textes le montrent tout à fait clairement et la
jurisprudence des juridictions suprêmes nationales est unanime sur ce point.
18. Certes, le paragraphe2 de l’article33 des articles de 2001 de la Commission du droit
international sur la responsabilité de l’Etat, intégr é dans la deuxième partie portant sur le contenu
de la responsabilité internationale de l’Etat, pr écise bien ce qui suit: «La présente partie est sans
préjudice de tout droit que la responsabilité internati onale de l’Etat peut faire naître directement au
profit d’une personne ou d’une entité autre qu’un Etat.» Outre le fait qu’il s’agit simplement d’une
clause de sauvegarde, insérée dans le projet à la toute dernière minute et sans discussion
appropriée, il est révélateur que le commentaire de l’article ne con tienne aucune trace d’un
prétendu droit individuel à réparation pour crim es de guerre, ou même pour crimes en général,
sinon une référence générique aux traités relatifs aux droits de l’homme. Le seul exemple que
donne la CDI dans son commentaire est celui de l’ article36 de la convent ion de Vienne sur les
relations consulaires de 1963, à savoir un droit conventionnel dont nous connaissons les possibilités - 38 -
de même que les limites grâce aux décisions que vous avez rendues dans les affaires LaGrand et
Avena, ce qui rend inutile tout développement sur le sujet dans le présent contexte.
43 II. Absence de droit individuel d’agir en justice en vertu du droit international général
19. Nous allons cependant, pour les besoins de l’argumentation, admettre l’affirmation de
l’Italie sur l’existence d’un droit individuel à réparation et passer à la seconde étape de sa
démonstration.
20. Le défendeur fait valoir que d’un droit à réparation découle nécessairement un droit
d’agir en justice. Ici encore cette affirmati on est dénuée de tout fondement. Pour revenir aux
articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat , notamment la troisième partie qui porte sur
l’invocation de la responsabilité de l’Etat, il est encore une fois frappant que la CDI n’accorde
aucun rôle aux particuliers, ne ser ait-ce qu’aux fins d’une clause de sauvegarde. La raison en est
simplement que, en vertu du droit international général, les particuliers n’ont aucun rôle à jouer.
21. Malgré un extrême raffinement et une fo rmidable inventivité juridiques, nos estimés
collègues ont, très probablement à dessein, laissé dans l’ombre quelques aspects fondamentaux. Le
droit d’agir relève-t-il d’une règle secondaire ou pl utôt d’une règle primaire? La lecture du
contre-mémoire et de la duplique de l’Italie laisse une impression de confusion et j’imagine que
cette absence de netteté n’est pas un accident.
22. Bien évidemment, il existe une pratique établie qui accorde aux particuliers un droit à
réparation devant les juridictions internes de l’Etat responsable. Dans ce contexte, la Partie adverse
cite la décision de la Cour de cassation italienne de 1974 affirmant la compétence des juridictions
italiennes pour connaître d’actions en réparation pour dommages de guerre, introduites contre
l’Etat italien par des ressortissants des puissances alli ées. Il n’y a rien d’extraordinaire ni de
remarquable à cela. Le fondement juridique était, da ns cette affaire, le paragraphe 4 de l’article 78
du traité de paix italien de 1947. Dans d’autres affaires, le droit d’agir est celui que prévoit le droit
interne de l’Etat responsable. C’est exactement ce qui est arrivé en Allemagne où, comme le
montrent les éléments de preuve et comme le concède bien évidemment le Gouvernement italien
lui-même, la juridiction interne était ouverte san s aucune discrimination à tous les requérants
italiens, lesquels accédèrent même à la Cour constitutionnelle de l’Etat. - 39 -
23. Conscient du fait que le droit internationa l général ne confère pas de droit d’agir aux
particuliers à raison du fait in ternational illicite d’un Etat, le dé fendeur a jugé opportun de revêtir
ce prétendu droit d’agir d’un costume différent, en invoquant un droit à l’accès à la justice comme
règle primaire. Cette démarche est également vaine.
24. Le droit à l’accès à la justice, sous ses deux sens de droit à un recours efficace et de droit
à un procès juste, est un droit de l’homme bien établi consacré par les principales conventions
44 internationales. Or, le fait est que, dans chacun de ces textes et a fortiori en droit international
coutumier, si on lui accorde la nature de droit c outumier, le droit à l’accès à la justice, outre qu’il
est un droit accessoire, n’est pas un droit absolu, pui sque son exercice est soumis à diverses limites
et conditions qu’un Etat peut légitimement imposer. L’une de ces limites est la règle de l’immunité
des Etats étrangers. Loin d’y avoir «contradiction irréductible» entre le droit à l’accès à la justice
et le droit à l’immunité de l’Etat, comme le soutie nt la Partie italienne (contre-mémoire, par. 4.88),
ces deux droits doivent coexister au sens où, dans certains cas, comme ceux illustrés par la Cour
européenne des droits de l’homme dans les déci sions qu’elle a rendues en2001 dans les affaires
McElhinney et Al-Adsani, le second doit l’emporter sur le premier.
25. Le défendeur invoque une décision prise par la Cour interaméricaine des droits de
l’homme en septembre2006 ⎯ Goiburù and others v. Paraguay ⎯ dans laquelle l’accès à la
justice a été qualifié de norme impérative de dr oit international chaque fois que les droits
substantiels violés découlaient de normes du jus cogens. A cet égard, il convient de faire trois
observations. Premièrement, l’affaire mentionnée par le défendeur, de mê me que quelques autres
affaires ultérieures tranchées par la même juridiction, ne concernaient pas les dommages de guerre.
Deuxièmement, l’affaire portait sur l’accès à la jus tice dans l’Etat responsable du fait illicite et ne
concernait donc en aucune manière la règle de l’ immunité des Etats étrangers. Troisièmement, on
rappellera que le Comité des droits de l’homme de l’Organisation des NationsUnies a adopté, un
an plus tard, une approche similaire à celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dans
o
son observation générale n 32 sur l’article14 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (CCPR/C/GC/32(2007), par.6). Le Com ité s’est borné à dire que les garanties d’un
procès juste ne peuvent être «subject to measures of derogation» ou, dans le très précis texte
français, ne peuvent faire l’«objet de mesures qui détourneraient la prot ection», chaque fois que - 40 -
l’un des droits principaux garantis par le para graphe2 de l’article4 du Pacte est en cause.
Toutefois, en l’absence de toute discussion sur le sujet au sein du Comité, il serait totalement
injustifié d’en conclure que les «mesures qui dét ourneraient la protection» comprennent le respect
dû à l’immunité de l’Etat conformément aux règles applicables du droit international coutumier.
45 26. En conclusion, on imagine difficilement co mment l’alliage peu naturel de deux concepts
différents dont l’un, ⎯le droit à l’accès à la justice ⎯ est soumis à différentes limites et l’autre,
⎯le prétendu droit d’agir en conséquence d’un crime de guerre ⎯ n’existe simplement pas de
lege lata, peut constituer une super-règle du jus cogens.
III.INEXISTENCE DE TOUT FORUM NECESSITATIS
27. Mais, pour les besoins de la démonstra tion, partons une fois encore de l’hypothèse
italienne selon laquelle il existe un dr oit d’action individuel. Nous en arrivons donc à la troisième
étape de l’argumentation italienne. Si l’on admet qu’il existe un droit individuel à réparation et un
droit individuel d’action, lorsque les juges nationa ux de l’Etat responsable ne reconnaissent pas le
droit à réparation, les juges de l’Etat national peuvent —et en fait doivent— porter secours aux
victimes, c’est-à-dire qu’ils doivent exercer leur co mpétence en faisant fi de l’immunité de l’Etat
étranger. Cette troisième étape du raisonnement est, si faire se peut, encore moins fondée que les
deux précédentes.
28. D’abord, il est tout à fait injustifié de supposer que, dans une situation telle que la
présente, il y a eu déni de justice, pour ne pas parler de «flagrant» déni de justice.
29. Pour que l’on puisse parler de déni de ju stice, il faudrait que les citoyens italiens se
soient vu refuser toute possibilité de porter leur action devant les tribuna ux allemands ou qu’ils
aient fait l’objet d’une privation délibérée et ma lveillante de leurs dro its procéduraux, ou de
mesures discriminatoires fondées sur leur nationalité. Naturellement, rien de la sorte ne s’est
produit. Bien au contraire, l’ Associazione Nazionale Reduci dalla Prigionia et 942citoyens
italiens, dont M. Ferrini lui-même, ont pu former conjointement un recours constitutionnel devant
la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui, dans une ordonnance bien argumentée, a rejeté ce
recours le 28juin2004. Le bien-fondé de l’ ordonnance a été confirmé par un jugement rendu à
l’unanimité par la cinquième chambre de la Cour européenne des droits de l’homme le - 41 -
4 septembre 2007, qui réitérait également l’absence de tout droit individuel à réparation et qui était
libellé comme suit :
«Quelles que soient les souffrances inflig ées aux requérants par le travail forcé,
aucune des conventions qu’ils invoquent n’institue de droit individuel à réparation.»
(CEDH, 2007, 5556.) [Traduction du Greffe.]
30. Cela dit, le même principe s’a pplique aux demandeurs grecs dans l’affaire Distomo.
Parallèlement à l’action civile engagée en Grèce, les demandeurs avaient engagé une procédure
46 contre le Gouvernement allemand devant les tr ibunaux allemands et avaient accès à toutes les
instances judiciaires, jusqu’à la Cour constitutio nnelle fédérale allemande qui a rendu sa décision
en juin 2003. Dans cette affaire aussi, la cinquièm e chambre de la Cour européenne des droits de
l’homme, dans le jugement qu’elle a rendu récemment, le 31mai2011, dans l’affaire Argyris
Sfountouris et autres c. Allemagne (requête n o24120/06) a rejeté la demande et confirmé la validité
des procédures et conclusions judiciaires allemandes dans les termes suivants :
«La Cour estime que l’on ne saurait soutenir que l’application et l’interprétation
du droit international et interne auxquell es ont procédé les juridictions allemandes
aient été entachées de considérations dérais onnables ou arbitraires.» (p.16; original
français.)
31. J’attire votre attention sur la date du 28 juin2004, à laquelle la Cour constitutionnelle
allemande s’est prononcée sur la demande des citoye ns italiens, parce qu’à elle seule elle réduit à
néant toute la thèse italienne d’une compétence de nécessité que la Cour de cassation italienne
n’aurait exercé avec réticence qu’après le déni de ju stice subi devant les tribunaux allemands. La
décision rendue par la Cour de cassation italienne dans l’affaire Ferrini remonte en fait au mois de
décembre 2003 et a été déposée le 11 mars 2004, soit trois mois et demi avant que n’ait été rendue
l’ordonnance de la Cour constitutionnelle allemande.
32. En outre, le fondement juridique d’un pareil «for de substitution», pour ainsi dire, est loin
d’être clair. Si nous cherchons à extraire la s ubstance des arguments italiens, bien rodés mais au
demeurant faibles, nous nous retrouvons avec un amas de notions i nutilisables qui n’en deviennent
pas plus utilisables après avoir été mélangées les unes aux autres. Nous en avons identifié au
moins trois.
33. Tout d’abord, la notion sous-jacente est-elle celle des contre-mesures? Dans
l’affirmative, l’objection immédiate, déjà form ulée par M.Tomuschat, consisterait à dire que ce - 42 -
n’est pas aux juridictions intern es qu’il appartient de décider de contre-mesures et de leur
application contre un Etat étranger.
34. Ou alors s’agit-il de la notion de nécessité ? Le contre-mémoire (CMI) et la duplique de
l’Italie sont parsemés d’expressions présentant l’exercice de la compétence nationale comme «la
seule voie susceptible d’assurer le respect» (CMI ; pa r. 1.9), et la saisine des juridictions italiennes
comme «le seul moyen, la solution de dernier recours pour obtenir … réparation» (CMI, par. 2.41).
Si l’on est sensible à l’extrême délicatesse de la notion de nécessité et donc, que l’on ne prend pas à
la légère le libellé restrictif de l’article25 es articles de la CDI sur la responsabilité des Etats,
47
comme vous l’avez fait à juste titr e en l’affaire relative au Projet Gabcíkovo-Nagymaros, il est
alors impossible de déduire de la notion d’état de nécessité le pouvoir d’un juge national de se
poser de son propre chef en unique protecteur des in térêts essentiels de l’Etat, sans parler de ceux
de la communauté internationale.
35. Ou encore, en dernier lieu, est-ce la noti on de droit à réparation individuel qui sous-tend
la position du défendeur ? Mais, si tel est le cas, le défendeur tombe dans le piège de la circularité,
en déduisant chaque conséquence juri dique de la précédente sur la simple force d’un mantra. Fait
curieux, la troisième étape de l’argumentation du dé fendeur va à l’encontre de la notion même de
jus cogens, sur laquelle repose tout l’édifice. Je m’explique.
36. Si un individu était détenteur d’un dro it à réparation et d’un droit d’action en droit
international, comme le soutient le défendeur, il serait quant mê me raisonnable d’exiger qu’il
commence par exercer son droit devant les juridicti ons de l’Etat responsable. Toutefois, si sa
demande est rejetée, pourquoi devrait-il se trouver ensu ite limité dans son droit d’action à saisir les
juridictions de l’Etat dont il est ressortissant, enon celles de tout autre Etat de son choix? S’il
fallait trouver quelque fondement à la décision Ferrini, ce que je n’ai guère réussi à faire, ce serait
dans le parallèle entre la notion de jus cogens et celle de compétence civile universelle.
37. Je n’ai pas besoin de développer toute une argumentation pour réfuter la conformité au
droit international de ce type de compétence. Il me suffit de rappeler ce qu’ont dit à cet égard trois
anciens juges de la Cour, tous trois éminents avocats des droits de l’ homme particulièrement
attentifs, comme nous tous, au développement des instruments de protection internationale de ces
droits. Dans l’opinion individuelle comm une qu’ils ont rendue dans l’affaire du Mandat d’arrêt, - 43 -
les juges Higgins, Kooijmans et Buergenthal ont contesté la notion de compétence universelle
civile telle qu’appliquée aux Etats-Unis en vert u de la loi sur les dommages causés aux étrangers
(Alien Tort Claims Act) : «cet exercice unilatéral de la fonction de gardien des valeurs
internationalesn’a pas d’une manière générale suscité l’approbation des Etats»
(C.I.J. Recueil 2002, p. 77, par. 48).
38. Si l’on suit le raisonnement du défendeur jusqu’à sa conclusion logique, on peut se
demander pourquoi le détenteur individuel du droit de vrait se satisfaire de l’issue de la procédure
judiciaire engagée devant les juges d’un certain Etat plutôt que d’un autre ? Etant donné le manque
de coordination entre les systèmes judicaires civils internes, ni le principe electa una via ni celui de
res judicata ne mettraient fin au carrousel incessant de la quête de la juridiction la plus
avantageuse.
48 39. Par ailleurs, pourquoi quelqu’un devrait-il se satisfaire de l’accord conclu entre l’Etat
dont il est ressortissant et l’Etat responsable? Il suffit d’ébaucher ce sc énario, pour que toute
personne attachée à l’autorité du droit interna tional comme à la main qui guide les relations
internationales, ainsi que vous, Mesdames et Messi eurs de la Cour, et vos prédécesseurs l’avez
toujours été, puisse facilement et clairement pressentir comment le «meilleur des mondes»
envisagé par certains auteurs qui, tels de nouvea ux Candide, accueillent avec satisfaction une telle
évolution du droit international, se transformerait rapidement en un cauchemar fait d’abus et de
tergiversations.
40. Cependant, outre de telles observations év identes sur le caractère inapproprié de la
solution envisagée ⎯ même de lege ferenda ⎯ par nos confrères italie ns, leur argumentation
présente une autre faille majeure. Il s’agit, t out simplement, du manque total de cohérence entre
cette argumentation et la structure du droit international positif. En l’état actuel du droit
international général, si un individu subit un déni de justice à l’étranger, c’est en principe l’Etat
dont il a la nationalité qui peut faire sienne sa demande par l’exercice de la protection
diplomatique, rien de plus, mais rien de moins.
41. Il ne s’agit pas d’une bagatelle comme semble l’indiquer le défendeur. Si aucun
gouvernement au pouvoir en Italie depuis1945 et, en réalité, jusqu’à présent, n’a jamais pensé à
exercer la protection diplomatique en faveur de ses citoyens ayant pu subir des dommages à leurs - 44 -
biens ou à leur intégrité physique en raison de crimes de guerres commis par les forces allemandes
pendant la seconde guerre mondiale, c’est simple ment parce qu’on était profondément convaincu
en Italie, y compris au sein de la Cour suprême italienne jusqu’à l’arrêt Ferrini, que les citoyens
italiens, exception faite de ceux qui ont subi des dommages à la suite de mesures de persécution
prises sous le régime national-socialiste et au sujet desquels l’Italie a conclu un accord
d’indemnisation satisfaisant avec la République fédérale d’Allemagne en1961, n’avaient
absolument aucun droit à faire valoir.
42. Monsieur le président, voilà qui met un terme à mon exposé, puis-je vous demander de
bien vouloir donner la parole à mon collègue, M. Robert Kolb ?
Le PRESIDENT: Je remercie M.AndreaGa ttini pour son exposé. J’invite à présent
M. Robert Kolb à prendre la parole.
Mr. KOLB: Mr. President, Members of the Court, this is the first time that I have the
privilege to appear before this august body. Befo re starting my presentation, I wish to convey my
49 deepest respects to the Court and beg its full indulg ence. I also wish to extend cordial greetings to
the eminent colleagues who are our opponents in th is case. Not so long ago I was studying under
one of them.
1. The issue you are asked to adjudicate is, in my view, a relatively simple one. I shall
therefore try to be brief, as I believe that Germany has no reason to fear your sound judgment of its
case. I shall take up two points in this address, st arting with a technical and legal question before
turning to a more general matter which goes well beyond the bounds of positive law. First comes
the issue of jus cogens . I shall then highlight the foresee able consequences of a refusal to
recognize jurisdictional immunity and immunity fro m enforcement in situations of the kind that
concern us in this case.
A. The question of jus cogens
2. The question of jus cogens has occupied a prominent ⎯ too prominent ⎯ place in this
case. In fact, this concept is of little assi stance if one examines these matters closely,
dispassionately and with the discerning eye of a jurist. The position taken by the Italian Corte di - 45 -
Cassazione in the Ferrini case, followed by other proceedings before the same court, was the
following. International norms of higher standing in relation to the values they express must take
precedence over norms of international law that are said to be of lower standing, inasmuch as they
do not express such values or the values they e xpress are less lofty. This argument has been
skilfully set out before you by our honourable oppone nts. I would refer to paragraph 4.23 of their
Rejoinder and also to paragraphs 4.68 et seq. of their Counter-Memorial. Jus cogens has thus been
surreptitiously transformed into a more or l ess general hierarchical benchmark within the
international legal order. But is this really its significance and its scope? We do not think so. A
number of decisive arguments militate against this view, three of which I beg leave to place before
you.
1. Jus cogens has no bearing on secondary rules
3. First of all, jus cogens concerns primary rules, not secondary rules. Let me explain. The
peremptory status of a rule relates to its intrin sic nature as a non-derogable proposition, that is to
50 say, its status as a primary norm. It concerns the relationship between a more general norm and a
more specific norm, making the former non-derogabl e by the latter. This entire mechanism fits
into the organic scheme of the norms themselves. On the other hand, jus cogens has nothing to do
with secondary norms concerning the consequences of the violation of rules of a peremptory
nature. There are no general legal regulations governing the consequences of the violation of
peremptory norms. Such regulations cannot be invented on a case-by-case basis by individual
States to suit their inclinations and idiosync rasies. They can only derive from accepted
conventional or customary rules. There is a clear lack of such rules in the matter which concerns
us, that of immunity. Italy has been able to re ly on only a single precedent to support its argument,
that of its own Corte di Cassazione. Even the Greek courts, as is clear from the Margellos case,
ultimately abandoned any waiver of immunity, sensi ng that approach to be utterly iconoclastic,
dangerous and unfounded. Is it not telling that, in order to show what it calls “a far more complex
picture” (Rejoinder, para. 4.19), Italy is forced to pull out all the stops by invoking dissenting (and
hence minority!) opinions and highly diverse legislative tendencies? You yourselves have rightly
refused to be taken in by the magic spell of jus cogens, noting that the “violation” of a peremptory - 46 -
rule is one thing but that your jurisdiction is quite another. Indeed, were not very similar attempts
made to convince you that, when it com es to the essential values embodied in jus cogens, recourse
to the courts was a necessary obligation so as not to leave unpunished such a serious situation? But
what action did you take in the case of the Democratic Republic of the Congo v. Rwanda in 2006?
You applied the law of the Statute as the releva nt rule, which we may call the “secondary” rule.
Jus cogens did not prevail over that rule, precisely because this concept does not connote a
generalized normative hierarchy under which certain well-established rules of international law can
be set aside one by one, according to the needs of the moment.
4. Article41 of the Articles on State Respons ibility of 2001 is of course cited by way of
objection (Rejoinder, para.4.11). However, far fr om contradicting our position, this provision
provides grist for our mill. It specifies two consequences of the “violation” of a rule of jus cogens
having the required gravity: a duty to co-operate in order to bring to an end the situation created
(para.1) and a duty of non-recognition (para.2). In fact, these are primary norms. The first is
51
more or less new. The second has a long histor y independent of the “responsibility of States”.
Neither do these obligations concern the setting as ide of immunity, nor do they apply to all
peremptory norms. I would refer in this connecti on, for example, to the peremptory norms giving
rise to a duty of non-recognition, namely the unlawful use of force and the violation of the
self-determination of peoples. The other peremp tory norms are not included. Paragraph3 of
Article41 also refers to genera l international law which, as we have shown, does not at present
contain any rule enabling immunity to be set aside in the situations with which we are concerned.
Article41 therefore shows that the “violation” of a rule of jus cogens does not entitle a State to
react by any means proportional to the gravity of the violation, at its own discretion: lifting of
immunity, use of force, suspension of human rights, etc. On the contrary, the consequences of such
violation must be measured against the existing “secondary” (or primary) norms and be compatible
therewith. Jus cogens is not a sort of supernatural entity, subverting the entire body of international
law in the splendour of a legibus solutus power. How strange a way to promote the coherence of
the legal order in relation to its basic values,as favoured by our honourable opponents, by using
this concept literally to eliminate the carefully calibrated system of secondary rules. The latter
deserve your particular care and attention, as th ey are of decisive importance for combating the - 47 -
ever threatening and ugly hydra of unilateralism and denial of international law. No pretext should
be good enough for such an intention or such a result.
2. Jus cogens is not a general rule governing the hierarchy of norms
5. Allow me secondly to take up the idea that I have just outlined in more general terms,
namely with regard to primary rules. If jus cogens genuinely concerned a generalized legal
hierarchy of all the norms of international law, with norms incorporating higher values taking
precedence over those reflecting less lofty values, we would be faced with the veritable collapse of
international law. In vain does Italy seek feverishly to hide this fact, which it clearly perceives, by
52 skilfully juggling this hierarchy, by referring to a special case, an ultima ratio in case of denial of
justice, and other things of the same kind. But the fact remains, because it is a stubborn fact. Let
us consider the matter clear-sightedly and di spassionately. The suggestion by the Italian Corte di
Cassazione, which I assume to be shared by many observers, is that human dignity ⎯ a concept
which moreover comes from German constitutional law ⎯ represents the highest value in this
world. I find this equation a little spare and self-serving, defined by us humans as both judge and
jury, and no doubt useful for what it includes, but useless for what it excludes; but anyway, let us
concede that point. If we now apply the logic of a very simple, linear and primary hierarchy, as
used by the Corte di Cassazione , even allowing for more or less tortuous and baroque
embellishments, designed clumsily to distract our gaze from the essentials, we reach a frightening
conclusion: the entire international legal order, developed by the wisdom of history and the
beneficial impact of realities, may be swept away with the stroke of a pen, may be subverted with
no apparent limit other than that of unbridled subjectivism. Human rights, reflecting human
dignity, have primacy, in case of real need, over any other norm of intern ational law: woe to
diplomatic law; woe to the law of immunities; wo e to sovereignty and territorial integrity; woe to
the law of treaties and pacta sunt servanda; woe perhaps to the concept of non-recourse to force;
and a pox on anything that may be opposed to human ri ghts. As a court of justice that upholds the
law, you cannot sanction such anarchy, concealed be hind an ordered hierarchy! For there is worse
to come, which I have not yet mentioned. Indeed, who is to decide whether the need to enforce a
hierarchically higher rule exists in a given case? The general rule of international law would apply - 48 -
to such circumstances: each St ate makes its own assessment of the legal situations in which it is
involved. You rightly made this point in the 1951 Genocide case. We would thus be witnessing a
“softization” of international law as a whole, th e emaciated body of which could be used by each
State for pick-and-choose policies shielded by the permissive screen of jus cogens. We would be
faced with unbridled subjectivism in terms of repeated balancing acts undertaken on a case-by-case
basis by a diverse array of players, each acting at its own arbitrary discretion. In seeking to
advance the cause of international law, with an inopportune doctrine of hierarchy freely determined
by each subject, we risk ⎯ better said, we will be ⎯ bringing about its death. Faust, his soul and
53 the devil do not show the way to salvation. We cannot clean up a small patch of international law
by shaking its foundations, by undermining the very basis of its workings.
3. Jus cogens is not supposed to derogate from general international law
6. Thirdly, I very much doubt that jus cogens can be of use as a hierarchical norm in cases of
competition between two norms of general inte rnational law, one peremptory, the other
non-peremptory. In this instance: reparation for international crimes (jus cogens) against
immunity (granted that this is not jus cogens). Jus cogens deals with the relationship between a
general rule and a specific rule. It concerns the derogation of one norm by another in this precise
context. That is its rightful place. But what do we have here? Two general norms of customary
law. Either one or the other. Either th e higher peremptory norm exists, in which case a
contradictory non-peremptory norm cannot exist at the same time, since th e practice of States
cannot be self-contradicting; it must come down on one side or the other. Or the inferior
non-peremptory norm prevails, in which case the hi gher peremptory norm lapses in whole or in
part, despite its peremptory character. This is so because a customary norm must always be backed
by general practice and legal opinion. If a new effective practice and new legal opinion become
manifest, this necessarily means that the fo rmer practice and legal opinion supporting the
peremptory norm have been effaced. In this case, a customary norm ⎯ even a peremptory one ⎯
cannot be maintained. Despite being peremptory , such a norm remains none theless customary.
Without the backing of practice and legal opinion, it is extinguished like a fire deprived of oxygen.
Basically, a conflict between two general custom ary norms (including peremptory ones) cannot - 49 -
exist. In the area of customary law, the question is rather whether one norm has been modified (for
example, partially extinguished) in relation to another. The situation would be different if
jus cogens were envisaged as being based on a conventional source, but this question does not arise
in the present context. In this case, the norm re garding immunity has not been modified. State
practice has not thus far yielded exceptions in the matter that interests us here. Jus cogens is
therefore of no assistance.
54 4. Questions of intertemporal law
7. Lastly, let me add a word about ques tions of intertemporal law. Our honourable
opponents would have you believe that jus cogens was already well established at the time of the
Second World War and in its immediate aftermath. They are clearly right. But I would draw your
attention to the fact that, at the time⎯ and ever since natural law and the law of nations have
existed ⎯ this concept was purely doctrinal. Is it not telling that our opponents are obliged to cite
Grotius, De Vitoria, Wolff (they forget De Vattel), Judge Walter Schücking or Alfred Verdross (we
could have added many other names, such as the jurist/poet S. Séfériadès)? In the realm of positive
law, jus cogens indubitably came into being with the 1969 Vienna Convention on the Law of
Treaties. This may be regretted but it cannot be ignored. My rather extensive research on
jus cogens, with which you are perhaps familiar, enabl es me to make this claim in full knowledge
of the facts.
8. Could the jus cogens superveniens of Article64 of the 1969 Vienna Convention on the
Law of Treaties be invoked? Let us consider that possibility. However, the emergence of a new
peremptory norm (jus cogens superveniens) presupposes that a customary norm is subsequently
established. I believe that Germany has been able to show that such is not the case. One swallow
does not make a spring; the precedent of the Italian Corte di Cassazione , in its “splendid
isolation”, is not the first cuckoo of a practice, which⎯ the cuckoo ⎯ unfailingly announces the
spring, as it arrives in our climes only when it can hide behind leaves (a timid bird, the cuckoo).
5. Conclusions concerning jus cogens
9. One must be careful about how one handles the concept of jus cogens. Generous, flexible,
suggestive, it often tends to obstr uct our view and make the most elementary legal truths recede - 50 -
into the background. By way of example, I w ould take a phrase cited in the pleadings of both
Parties in this case. Professors Belsky, Roth-Arriaza and Merva identify jus cogens with a system
“of rules that States may not violate”. Could this be worded less pertinently? I do not think so.
Indeed, this phrase suggests very directly, almost irresistibly, that States may violate the ordinary
rules of international law, provided only that they do not violate the peremptory ones. Your Court
knows how far such an allegation is from the truth.
55 10. No matter how and from what angle one considers the issue, under positive law as it
stands at present, jus cogens cannot be used to justify any waiver of State immunity.
B. The consequences of setting aside immunity
11. I shall turn now to the consequences of setting aside immunity. The question of the
consequences of any given lega l choice is not an element of positive law. It is, however,
indissociable from it, since the law is there to serve certain purposes or achieve certain objectives.
The law does not exist in a vacuum. It is there to be applied to practical circumstances and human
situations. When it comes to international law, which has to do with the lives of States and nations,
it is even more necessary not to lose sight of those situations and objectives. Courts cannot
dissociate themselves from the endeavour to serve the common good and bring justice, or from
their responsibility for achieving them. Within th e boundaries created by positive law they must
assess the possible consequences of their choices and adjust those choices in order to ensure, as far
as possible, that society as a whole prospers. In any event, they must take pains to ensure that they
do not disrupt society or destroy its delicate balances.
12. What would be the probabl e consequences of a decision to set aside immunity? I do not
need to indulge in any wild speculation or make outlandish assumptions here. A Court of Justice
such as yours is too well aware of the importance of precedents and their implications for me to
need to labour the point. Let us consider, one by one, the most likely consequences if you decide to
set aside State immunity in the context we are dealing with here.
1. Destabilization of peace agreements
13. First of all, you would fatally destabilize peace agreements, which are made to last and
which enable countries to move on from war and dr aw a line under a very painful chapter. The - 51 -
hostilities of war and the agonies of being at war would thus drag on indefinitely in peacetime. In a
way, the war would never end. I do not need to remind this Court of the importance that peace
agreements have traditionally held in the settle ment of armed conflicts and the creation of a
post-war order. I do not need to remind you of the importance that has always been attached,
rightly or wrongly, to the purpose served by these agreements. In setting aside immunity
56
retroactively, the Court would be making it po ssible for all these settlements to be reopened,
particularly all those concluded to bring the Sec ond World War to an end. Anyone would be able
to use the Court’s decision as a basis for complaints and claims not yet satisfied, whether old or
newly thought up. If that applies for individual comp laints following violations of the laws of war,
why would it not also apply for other matters? An agreement constitutes a whole. Moreover, even
with complaints relating to compensation for violat ions of the laws of war, such as those we are
dealing with today, the domino effect is all too likely. What could be a more powerful
encouragement than the lure of obtaining “compen sation”, or, to put it more bluntly, money? And
why would it stop with Germany? Once the exam ple had been set, who would stop the avalanche
of actions in all the other post-war situations? Our opponents are well aware that even with their
conditioned rule, in which immunity is set aside in a very clever and carefully managed way, Italy
itself could be confronted with all sort s of complaints from many different sources ⎯ Ethiopia,
Libya, Albania, Greece, Yugoslavia, perhaps even Spain. And what about the other wars that the
world has witnessed since 1945, or even before? No peace settlement would be final. None would
withstand being undermined by individual complaints. The principle of pacta sunt servanda itself,
seen as so important by courts including your own, would also be subverted. There could be no
legal certainty created by peace agreements, hea ling the wounds inflicted by war. Individuals
would constantly be in a position to attack them, damage them, and could, in practice, force them
to be revised. They would be able to ruin th e efforts of governments to strike a lasting and
responsible balance in the overall post-war settlement. Is this fair? And is it practicable? This is a
question I would particularly address to those judges among you who come from a country that has
been ravaged by a war. - 52 -
2. Unlimited trials and “forum shopping”
14. Secondly, and alongside the situation I have just been describing, we would quickly see
a fairly unco-ordinated and unhealthy “race” to go to court, with every man for himself and
everyone out to get as much as possible. Ther e would be untold numbers of trials around the
57 world, proliferating and spreading out of contro l. In the “market” for these trials, “forum
shopping” would be standard practice. The fact th at Greek complaints have been transferred to
Italy is already eloquent proof of this, and is sure to be imitated. The domestic courts would thus
be trying to outdo each other in being the most ge nerous. I hardly need to spell out the sort of
unbridled unilateralism that this sort of devel opment would be sure to create. No one would
welcome the hugely negative impact that the “mos t generous court” would have. Germany, which
I have the honour to represent, feels that this would above all lead to an endless increase in
international anarchy and potentially unhealthy co mpetition entirely coloured by ulterior motives,
which are all too common in the rather discordant world of international relations. Should we not
be asking ourselves whether this is the right or b est way to proceed, given the likely outcome? I
hardly need mention the huge costs that all th ese proceedings would generate, since in any case
money is never discussed before a court such as yours.
3. Danger of political manipulation
15. Thirdly, there is a risk that setting aside immunity will be, as our American friends put it,
a “loaded gun”, in other words that it will trigge r all kinds of political manipulation. Who will
prevent scores from being settled? How many countri es have a truly independent judicial system?
Even in the most democratic count ries with the widest experience of the pre-eminence of law, the
executive always has at least some ties with the j udiciary and gives it instructions. Once immunity
has been weakened or even mortally wounded, on ce it has been reduced to dust, the way will be
open to use the courts to antagonize foreign States. The sovereign equality of States would thus be
jeopardized, since it would be a case of par in non parem imperium habet . Yet sovereign equality
is one of the founding principles of the United Nati ons Charter (Art.2, para.1) and of general
international law. You will say that we are a long way from that situation in the present case,
which deals with terrible crimes which Germany co mmitted years ago. My answer is that legal - 53 -
58 precedents tend to shed the personality of the parti es after the proceedings in which they have been
formulated. You have one such case before you today. Tomorrow you will have others.
4. Significant strengthening of unilateralism in international relations
16. Fourthly, opening the floodgates for proceedings within each State by eliminating the
obstacle of immunity would give free rein to unilate ralism. Each State, of which the judiciary is a
State organ according to Article4 of the Articles on Responsibility of States for Internationally
Wrongful Acts (2001), would act according to its own agendas. My question is this: what is the
fundamental purpose of international law? What is the core reason for its existence? It is
sometimes said that the function of international la w is to protect the weak against the strong. I
would say that on an even more fundamental level it is to bar the way to unilateralism, in other
words to self-evaluation and unfettered self-action. These are the very negation of a situation or a
society governed by law. Will this Court want to give its backing to a solution that would be
tantamount to handing victory to triumphant unilateralism?
5. Proliferation of conflicting relations between States
17. Fifthly, setting aside imm unity would risk triggering a vi rtually endless proliferation in
conflicting relations between States and between governments. Growing numbers of increasingly
unpredictable trials would irritate more and mo re governments, which would see their relations
becoming increasingly stormy. The present case is a fa irly benign example. Germany and Italy,
whose bonds of close and lasting friendship have b een strengthened and tempered by history, have
not allowed any sort of crisis or deterioration in th eir relations. The same will not be true in future
cases which will inevitably arise if immunity is ab andoned. Individuals w ould be in a position to
cause serious problems in relations between governme nts. Modern international law is based on
co-operation and growing trust between States. Without that, nothing permanent can be
constructed. The pitfalls I have described can be prevented if governments reach an overall
settlement on complaints resulting from a war. This ensures that the issues do not become grounds
for discord, but become part of the overall negotiations. Surely this is preferable? - 54 -
59 6. More difficult for States to own assets abroad
18. Sixthly, if immunity is set aside, States would be well advised not to own any property
outside their own borders. What an anachronism in our interdependent, globalized, early
twenty-first century world! But also, how impo ssible! The present case clearly highlights this,
though in a very muted way. An Italian-German cultural centre is under threat of being seized and
sold off, to the detriment of relations between the two States and the two nations, and of all those
who enjoy activities at the centre. Once immunity from enforcement has disappeared along with
jurisdictional immunity, crushed under the weight of so-called jus cogens, how could any other
item of property be protected from being seized and sold? Bank accounts, industrial holdings,
cultural exchange centres, government foundations , the property of heads of State, warships,
perhaps even embassy buildings. While human di gnity is the leading concern of international
legislation, all the different sorts of property I have just mentioned are seen as less important. Does
that mean that they could not be seized and sold? On the contrary. A State would therefore be well
advised not to own property abroad. It would no doubt find some sort of legal device to avoid
being named as the formal owner. Then the lega l challenge would be all about “unmasking” the
real owners. I ask you: do we really want to ge t to that point? Is not co-operation between States
itself something worth protecting? And if we set aside immunity, will we not be putting that
co-operation directly at risk?
7. Justice
19. Some people might say what about justice, wh ich is what we all want to see? But is it
just to produce an outcome like th e one I have just described? Is it just to take a nation “hostage”
for all eternity, as it were, by endlessly holding it collectively responsible for the wrongdoings of a
régime long ago? It should certainly pay reparations, but it should also be allowed to draw a line in
the sand too. Would people think me insensitive to the terrible suffering of the victims, whereas I
am actually anything but insensitive to them, if I dared to ask how many generations of
descendants should face potential demands for fina ncial compensation for wrongs suffered years
ago? If we agree to this for the Second World War, why not for earlier wars? Are there not those
60 still entitled by succession? Justice cannot be seen from one side only. Justice affects both sides, - 55 -
since on both sides there are today’s men and women, not yesterday’s. I hope you will give this
point serious consideration. It struck me very deeply.
20. Clearly, it is often impossible to achieve perfect justice because we have to distribute
assets. So a solution may seem just if injustice too is more or less equally distributed. The Court
was well aware of this when, before detailing the four existing exceptions in current positive law, it
reaffirmed the personal immunity of serving Minist ers for Foreign Affairs. It affirmed this
approach when an accusation of international crim es was made in criminal proceedings before the
courts of a different State ( Arrest Warrant of 11 April 2000 (Democratic Republic of the Congo v.
Belgium), Judgment, I.C.J. Reports 2002, para. 56 et seq.). The reasoning at the time was the same
as in the present case: preserving the equality of States, allowing international relations to continue
without major problems, combating unilateralism. Judgments by international criminal courts are
fine; carte blanche for judgments by domestic crim inal courts is not. Germany considers that the
Court should follow the same line of reasoning in the present case. It should confine itself to
applying the law in force. In the light of what I said earlier, it is clear that any attempt to create
new law for the issue we are dealing with here w ould not be welcome. In any event, it would not
be for this Court or any other court of justi ce to take on the task, which is a matter for the
legislature and the States.
21. I should like to conclude my statement with a little story. There was once a house where
a large family lived. When one of the sons left home and built his own house he asked his father if
he could take a big square stone from the wall of the family home, to use as the foundation stone
for his own wall. His affectionate father agreed. Later on the other sons and daughters all left one
by one, and each wanted to build their own house. One also asked for a square stone, another
asked for two. Their father didn’t feel he could re fuse since he had allowed the eldest to take one.
One day the family home started swaying, then collapsed. You will have realized the obvious
61 meaning of this simple little story. Let me put it this way: the individual good, however important
it may be, cannot always take precedence over the common good. Human rights have their place in
the overall structure, but they should not ignore it, attack it or jeopardize it.
Mr. President, Members of the Court, I have come to the end of my pleading. Thank you for
your attention so late in the morning. - 56 -
Mr.President, I would be grateful if you would allow MsWasum-Rainer to summarize the
main points of our argument. Thank you.
Le PRESIDENT: Je remercie M.RobertKolb pour son exposé. J’invite maintenant
S. Exc. l’Ambassadeur Suzanne Wasum-Rainer à présenter ses observations de clôture au nom de
la République fédérale d’Allemagne.
MmeWASUM-RAINER: Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges,
permettez-moi de résumer en deux minutes les aspects les plus importants de notre argumentation.
1. Ce matin, nous avons montré que la Cour de cassation, en refusant d’appliquer le principe de
l’immunité de l’Etat à l’Allemagne à l’égard d’actes effectués jure imperii , ne s’est pas
conformée au droit international existant.
2. La cour justifie sa jurisprudence par son intention de créer une nouvelle règle de droit
international, mais n’a pas donné de raison valable pour adopter une telle approche étrangère au
droit existant et a méconnu la dimension intertemporelle du droit international.
3. Il est erroné de déduire de la gravité d’une vi olation du droit international ou d’une violation du
droit positif, une base de juridiction ayant préséance sur le principe de l’immunité de l’Etat.
4. La Cour de cassation fait également erreur lorsqu’elle considère immunité personnelle et
responsabilité personnelle comme synonymes d’imm unité de l’Etat et de responsabilité de
l’Etat.
5. Nous avons montré que sept ans après sa décision Ferrini, la pratique des Etats prouve que la
Cour de cassation demeure toujours aussi isolée dans sa conviction erronée que l’immunité de
l’Etat à l’égard d’actes souverains peut souffrir une quelconque exception. Il n’en est rien.
L’immunité juridictionnelle à l’égard d’actes iure imperii continue d’être une règle ferme du
droit international.
62 6. L’Italie s’efforce en vain de s’appuyer sur une exception en matière de responsabilité délictuelle
à l’égard de l’immunité de l’Et at. Une interprétation exacte du droit coutumier, tel qu’il est
exprimé à l’article12 de la Convention des Nati onsUnies sur les immunités juridictionnelles
des Etats, mène cependant à l’inévitable conclusi on que cette exclusion ne s’applique pas à la
conduite des forces armées en période de conflit armé. - 57 -
7. En outre, l’Italie ne saurait s’appuyer sur l’ argument selon lequel elle aurait écarté l’immunité
de l’Etat par nécessité. Cet argument ne peut emporter la conviction car ni pendant les années
1940 ni aujourd’hui, le droit international humanita ire n’a jamais prévu de droit individuel à la
réparation.
8. Enfin, l’Italie fait également fausse route, pour un certain nombre de raisons, lorsqu’elle
invoque le concept de jus cogens dans ses moyens de défense.
Conformément au Statut de la Cour, l’Allema gne présentera ses conclusions officielles à la
fin du second tour de plaidoiries.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie au nom de toute
mon équipe.
Le PRESIDENT : Je remercie Mme l’AmbassadeuS r uzannWasum-Rainer de ses
observations de clôture pour le premier tour de plaidoiries. Voilà qui met fin à l’audience
d’aujourd’hui. Les audiences reprendront à 10 heures demain pour permettre à l’Italie de présenter
son premier tour d’observations orales. L’audience est levée.
L’audience est levée à 13 h 05.
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Translation