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CR 2012/9 (traduction)

CR 2012/9 (translation)

Mardi 24 avril 2012 à 10 heures

Tuesday 24 April 2012 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’a udience est ouverte. Je donne la parole à

M. Robin Cleverly pour qu’il nous fasse son exposé. Vous avez la parole, Monsieur.

M. CLEVERLY :

G ÉOMORPHOLOGIE ET NATURE DU PLATEAU CONTINENTAL

A. Introduction

1. Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs

de la Cour, je considère comme un grand honneur et un grand privilège que de plaider devant vous

au nom du Gouvernement nicaraguayen.

2. M.OudeElferink vous a exposé hier le cadre géographique généra l de l’affaire, en

présentant les côtes, îles et cayes pertinentes. J’aimerais pour suivre cet exposé des éléments

factuels en vous décrivant plus en détail les aspects géologiques et géomorphologiques, du plateau

continental en particulier. Je m’attacherai, en ma qualité de géologue et de scientifique, et non de

juriste, aux aspects techniques ; M. Lowe abordera ensuite les aspects juridiques.

B. Cadre géologique

3. J’aimerais commencer mon exposé par un br ef aperçu de l’histoire géologique. La

géomorphologie et la bathymétrie actuelles portent les traces du passé géologique, ce qui nous aide

à comprendre la configuration régionale du plateau continental et à expliquer les différences entre

les diverses parties des marges continentales.

[RC-1 : Carte géologique des Caraïbes (R3-1).]

4. La croûte terrestre se compose de plusieur s plaques tectoniques rigides, qui se déplacent,

entrent en collision et glissent les unes sous les autres pour former un ensemble complexe

constituant la surface de la terre. La carte géol ogique qui apparaît à présent à l’écran montre les

principaux éléments des Caraïbes. Cette carte est complexe mais j’aimerais en dégager les

éléments essentiels. La quasi-totalité des Caraïbes et de l’Amérique centrale se situe sur la plaque

caraïbe, de forme plus ou moins rectangulaire et d’une superficie de 3000km sur 1000km (ou

1500 milles marins sur 500 milles marins). Cette pl aque s’étend du Pacifique, à l’ouest, jusqu’à la - 3 -

Barbade, à l’est, et comprend la masse terrestre du Nicaragua et de l’Amérique centrale à l’ouest.

Au nord, s’étend la plaque nord-américaine, séparée pa r la fosse des Caïmans, et au sud, la plaque

11 sud-américaine sur laquelle se trouve la Colombie. La plaque caraïbe est essentiellement d’origine

volcanique et comprend de vastes zones de croûte océanique. En se déplaçant à partir de l’ouest,

elle est venue se loger de force, comme un coin, entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud.

5. La bordure méridionale de la plaque caraïbe est formée par une importante zone de

subduction ; c’est là que la plaque caraïbe plonge sous la masse continentale de l’Amérique du Sud

et au-delà, et où se séparent la croûte terrestre de la Colombie et de l’Amérique du Sud et la croûte

océanique des grands fonds. Vous pouvez voir dans la coupe transversale qui apparaît maintenant

à l’écran comment se présente cette limite de plaque. Les plaques caraïbe et sud-américaine se

déplacent l’une par rapport à l’autre à raison de 20millimètres par an environ. Il s’agit à la fois

d’un mouvement de subduction et d’un déplacemen t transversal, qui ont déformé la plaque

sud-américaine, à son extrémité, en créant un ensemble complexe de plis et de failles, en particulier

dans le nord-ouest de la masse terrestre de la Colombie.

[RC-2 : Coupe transversale de la zone de subduction.]

6. Cette limite de plaque est l’une des prin cipales discontinuités géologiques. Les éléments

géologiques qui constituent la Colombie et la par tie septentrionale de l’Amérique du Sud ont une

origine commune, distincte de celle de la plaque caraïbe. Cette limite de plaque marque la fin de la

continuité géologique. Tel était également le cas dans les affaires Libye/Malte et Tunisie/Libye, où

une limite de plaque avait été mise en avant en tant que limite potentielle du plateau continental et

où les Parties étaient en désaccord sur l’existence de cette limite de plaque. Heureusement, en la

présente espèce, il n’existe pas de tel désaccord entre les Parties, pas plus qu’au sein de la

communauté scientifique. La distinction est nette entre la plaque caraïbe et la plaque sud-

1
américaine ; et elle est essentielle pour comprend re les différences entre les deux marges

continentales.

1
Voir, par exemple James, K. H., Lorente, M. A. et Pindell, J. L. (dir. publ.) 2009. The Origin and Evolution of
the Caribbean Plate, Geological Society, Londres. Publication spéciale 328. - 4 -

C. Géomorphologie

[RC-3 : Animation montrant l’abaissement du niveau de la mer]

7. Ces phénomènes régionaux et ces limites de plaque ont laissé des traces dans la

géomorphologie de la région, comparables aux em preintes digitales et a ux traces d’ADN que l’on

retrouve sur le lieu du crime, traces que le géologue peut interpréter à la manière d’un détective. Et

que nous révèle cette géomorphologie? Observons tout d’abord les fonds marins et le sous-sol

océanique. La carte que vous voyez à l’écran montre ce qui se passe lorsqu’on abaisse le niveau de

la mer.

12 8. Dans un premier temps, nous abaissons le niveau de la mer de 50 mètres et nous voyons

que, à l’est du Nicaragua, les fonds marins sont extrêmement peu profonds. Continuons d’abaisser

le niveau de la mer de 100mètres, de 150mètres et, enfin, de 200mètres. Cette dernière carte

révèle les fonds marins à une profondeur de 200 mètres — ce qui correspond au plateau continental

physique —, une zone située à une faible profondeur, qui ceinture tous les continents de la planète

et dont la formation s’explique par la baisse du nive au de la mer au cours de la dernière période

glaciaire il y a environ 15000 ans. Nous avons sous les yeux la configuration du littoral tel qu’il

existait alors. Cette vaste éte ndue peu profonde est connue sous le nom de seuil nicaraguayen.

Pour ce qui est du Nicaragua, ce plateau continenta l physique s’étend en triangle sur une distance

180milles marins en direction de la Jamaïque. Le long du littoral sud-américain, le plateau

continental physique est étroit, ne dépassant géné ralement pas 25milles marins, voire beaucoup

moins par endroits.

[RC-4 : Bathymétrie du sud-ouest des Caraïbes (R3-2).]

9. Après cette analyse assez simple des mers peu profondes qui bordent le Nicaragua,

j’aimerais à présent en venir aux données bathymétriques, qui sont très abondantes. Si nous

enlevons toute la mer, nous découvrons l’ossatur e géologique des fonds marins. Les eaux peu

profondes allant jusqu’à 1000 mètres apparaissent en vert, les eaux plus profondes, en bleu, et les

grands fonds, situés à une profonde ur de 4000mètres, en violet plus ou moins foncé. Cette carte

bathymétrique illustre très clairement la structure géologique de la région. - 5 -

10. Au nord se trouve une zone très étendue, connue sous le nom de seuil nicaraguayen, dont

je viens de vous parler. La mer y est très pe u profonde, n’excédant pas 50mètres de profondeur

sur de vastes étendues. Au sud s’étend la plaine abyssale, connue sous le nom de bassin

colombien, qui est traversée par une très longue formation linéaire, l’escarpement de Hess. Cette

zone compte parmi une série de zones de fra cture géologique parallèles, suivant une même

direction nord-est, qui se sont formées au sein de la plaque caraïbe à mesure qu’elle glissait vers le

nord-est à partir de l’extrémité nord de l’Amérique du Sud. Ces zones de fracture sont de larges

failles dans la plaque caraïbe, où un bloc de croût e glisse par delà un autre. Tout cela apparaît de

manière encore plus claire dans une vue en perspective des mêmes données.

[RC-5 : Vue en perspective du sud-ouest des Caraïbes (R3-2).]

11. Le seuil nicaraguayen peut être divisé en deux: au nord, le seuil nicaraguayen

proprement dit et, au sud, séparé par la zone de fracture du banc de Pedro, le seul nicaraguayen

inférieur. Dans la partie septentrionale, les eaux ne dépassent généralement pas 1000mètres de

13 profondeur et couvrent de vastes zones de plateau peu profondes. Dans la partie méridionale,

connue sous le nom de seuil nicaraguayen inféri eur, les eaux atteignent généralement 2000à

2500mètres de profondeur. Le terrain est ass ez irrégulier et compte un certain nombre de

formations volcaniques qui créent de petites élévations bathymétriques. Dans la partie occidentale

et peu profonde du seuil nicaraguayen, ces élévati ons émergent pour former des îles et des cayes,

dont San Andrés, Providencia et les autres cayes de moindre importance. Au sud-ouest se trouvent

deux formations volcaniques immergé es plus importantes, le mont sous-marin Zipa et la ride de

Mono.

[RC-6 : Coupe transversale du seuil nicaraguayen (R 3-3).]

12. La coupe transversale qui apparaît à présent à l’écran permet de voir ces marches géantes

dans le seuil nicaraguayen. Au nord, sur la ga uche du graphique, se trouve le seuil nicaraguayen

supérieur, limité au nord par la fosse des Caïm ans. Cette zone atteint 1000à 1500mètres de

profondeur. La zone de fracture du banc de Pedro est la première grande formation et constitue la

première marche descendant vers le seuil nicaragua yen inférieur; cette zone atteint en général

2000à 2500mètres de profondeur, mais est irréguliè re si on la regarde en détail. Les îlots

dessinent de petites crêtes. L’escarpement de Hess forme le rebord méridional du seuil - 6 -

nicaraguayen et marque la limite avec la pl aine abyssale, qui atteint quelque 4000mètres de

profondeur. Cette jonction est nette et bien définie ; les sédiments sont fort rares dans cette zone.

Sur la droite du graphique se trouve la marge con tinentale de la Colombie, qui descend en pente

vers les grands fonds océaniques et qui est relativ ement étroite comparée à la largeur de la marge

du Nicaragua. C’est ici que se situe la limite entre les plaques caraïbe et sud-américaine dont j’ai

déjà parlé ; il s’agit d’une discontinuité géologique majeure. Le dépôt sédimentaire qui tapisse la

marge continentale de la Colombie a pour effet d’en adoucir la pente.

D. Définition du plateau continental

13. Après cette analyse technique, j’aimerais en venir à l’application de l’article76 de la

convention des Nations Unies sur le droit de la mer et à la définition des limites juridiques du

plateau continental.

[RC-7a : Article 76, par. 1 et 3.]

14. Le plateau continental est défini à l’article 76 de la convention :

«1. Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds marins et leur
sous-sol au-delà de sa mer territoriale, su r toute l’étendue du prolongement naturel du

territoire terrestre de cet Etat jusqu’au re bord externe de la marge continentale, ou
jusqu’à 200milles marins…lorsque le rebor d externe de la marge continentale se
trouve à une distance inférieure.»

15. La définition de la marge continentale est clarifiée au paragraphe 3 et définie avec plus

de précision au paragraphe 4. Le paragraphe 3 est ainsi libellé :

14 «3. La marge continentale est le prolongement immergé de la masse terrestre de

l’Etat côtier; elle est constituée par les f onds marins correspondant au plateau, au
talus et au glacis ainsi que leur sous-sol. Elle ne comprend ni les grands fonds des
océans, avec leurs dorsales océaniques, ni leur sous-sol.»

16. Le paragraphe4 renvoie à deux formules pe rmettant de définir le rebord de la marge

continentale. J’y reviendrai dans quelques inst ants car elles sont plus faciles à comprendre

lorsqu’elles sont accompagnées d’une illustration.

17. Le «prolongement naturel» ou immerg é d’un territoire terrestre ou d’une masse

continentale est un aspect essentiel de l’article , mais cette expression n’a aucune définition

technique précise. Le droit exige toutefois que la nature et les limites de ce phénomène physique - 7 -

soient définies avec précision. Comme l’a décl aré le Tribunal du droit de la mer en l’affaire

Bangladesh/Myanmar :

[RC-7b : décision du Tribunal du droit de la mer.]

«434. [L]es notions de prolongement na turel et de marge continentale aux
termes de l’article 76, paragraphes 1 et 4, sont étroitement liées. Ces deux notions se
réfèrent à la même zone.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

437. [L]a référence au prolongement naturel qui figure à l’article76,
paragraphe1, de la Convention, doit être comprise en tenant compte des dispositions

ultérieures dudit article définissant le plateau continental et la marge continentale. Le
titre sur le plateau continental au-delà de 200milles marins doit donc être déterminé
par référence au rebord externe de la marg e continentale, laquelle doit être établie
2
conformément à l’article 76, paragraphe 4.»

[RC-8 : Coupe transversale simple.]

18. Ainsi, pour définir la limite de la marg e continentale et du prolongement naturel, il nous

faut examiner le paragraphe4 de l’article76, que je commenterai à l’aide du présent graphique.

J’ai reproduit le texte de référence à l’onglet35 . Ce schéma représente une marge continentale

idéale. Sur la gauche est représentée la masse te rrestre avec la surface plane du plateau situé à une

faible profondeur (environ 200 mètres) : c’est le plateau continental physique. Entre ce plateau et

les grands fonds océaniques se trouve le talus con tinental, une pente relativement abrupte. Elle

représente la limite de la masse te rrestre continentale. Au pied du talus, se trouve souvent, mais

pas toujours, un dépôt de roches sédimentaires venu du continent, connu sous le nom de glacis

continental. Le glacis entre également dans la définition juridique de la marge continentale

(article 76.3).

19. Le glacis continental étant une surface lé gèrement inclinée descendant vers les grands

fonds, il est très difficile de définir la fin de la ma rge continentale et le début des grands fonds. Le

paragraphe4 de l’article76 utilise deux formules pour définir le rebord de la marge continentale.

15 Avec ces deux formules sont effectuées des mesures à partir du pied du talus, lequel coïncide avec

la rupture de pente la plus marquée à la base du talus et est en général assez facile à définir. Sur ce

graphique, le pied du talus correspond à la rupture de pente à la base du talus. La formule la plus

2
Bangladesh/Myanmar, par. 434, 437. - 8 -

simple, la formule de Hedberg (fondée sur la distance) 3 situe le rebord de la marge à 60milles

marins du pied du talus. Ici, à l’écran, nous traç ons une ligne ou, dans la pratique, un arc, qui part

du pied du talus et s’étend sur une distance de 60milles marins. L’autre formule 4, la formule de

Gardiner (fondée sur l’épai sseur sédimentaire) est plus complexe et définit le rebord de la marge

comme étant le point où l’épaisseur des roches sédim entaires est égale au centième de la distance

entre ce point et le pied du talus continental. C’est ainsi que, en partant du pied du talus, nous

pouvons mesurer l’épaisseur sédimentaire, qui tend à diminuer à mesure que l’on s’éloigne. Sur ce

graphique, nous parvenons à un point où l’épaisseur est égale au ce ntième de la distance. Dans cet

exemple, un point situé à une distance de 100 km du pied du talus suppose une épaisseur de 1 km.

On peut utiliser l’une ou l’autre formule et, dans la pratique, nombre de plateaux continentaux sont

définis au moyen de l’une et de l’autre. La combinaison de ces deux formules, pour aboutir au

point le plus éloigné en mer, définit le rebord de la marge continentale.

20. Deux contraintes, stipulées au paragraphe 5 de l’article76, doivent également être

appliquées pour définir la limite extérieure du plateau continental : celle-ci doit se situer soit à une

distance n’excédant pas 350milles ma rins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la

largeur de la mer territoriale, soit à une distan ce n’excédant pas 100 milles ma rins de l’isobathe de

2500mètres, de manière à retenir le point le plus éloigné. Ces limites sont représentées sur le

graphique. La distance de 350milles marins à par tir des lignes de base est facile à calculer.

L’isobathe de 2500 mètres exige des données bathym étriques pour tracer les courbes de niveau, et

la limite peut être fixée à 100 milles marins en dir ection de la mer. La limite extérieure du plateau

continental se définit donc, dans un premier temps, par la combinaison de ces deux formules et,

ensuite, par l’application de ces deux contraintes.

[RC-9 : Carte bathymétrique indiquant la limite des 200 milles marins du Nicaragua.]

21. J’en viens maintenant à l’application de ces formules à la délimitation du plateau

continental du Nicaragua. La carte qui apparaît à l’écran représente une bathymétrie simplifiée, les

zones peu profondes étant représentées en rouge, le s profondeurs intermédiaires, en vert, et les

eaux profondes, en bleu. Cette carte me servira de référence pour plusieurs figures que j’utiliserai

3
Art. 76.4 a) ii).
4Art. 76.4 a) i). - 9 -

dans la suite de mon exposé. Elle fait apparaître une étendue d’ eaux peu profondes au nord-est de

16 la masse terrestre du Nicaragua et, représentée par une ligne bleue, la limite des 200 milles marins

mesurée à partir du territoire nicaraguayen. Comme le montre clairement cette carte, le

prolongement naturel de la masse terrestre nicara guayenne s’étend en direction de l’est au-delà de

la limite de 200milles marins. D’importants seg ments de cette ligne se situent dans des zones

d’une profondeur inférieure à 2000mètres, le poi nt le moins profond se trouvant sur le banc de

Bajo Nuevo.

[RC-10 : Coupe transversale.]

22. L’illustration suivante montre une coupe transversale correspondant à cette ligne. Nous

l’avons déjà vue. Elle se situe à environ 200 mill es marins des côtes du Nicaragua et représente le

rebord de la marge continentale. J’ai, cette fois , utilisé les termes de l’ article 76 pour en désigner

les différents éléments géomorphologiques. Les zones les moins profondes du seuil nicaraguayen

et du seuil nicaraguayen inférieur font partie du talus continental et forment le prolongement

naturel de la masse terrestre du Nicaragua, sépar ée des grands fonds océaniques par l’escarpement

de Hess. C’est là que se trouve la base du talus continental, qui se poursuit sur toute la longueur du

seuil nicaraguayen. Sur la droite du graphique, on peut voir le talus continental de la Colombie

ainsi que son glacis, qui descend graduellement vers les grands fonds océaniques.

[Figure RC-11 : Profil du pied du talus.]

23. Les données bathymétriques régionales dont je me suis servi jusqu’à présent font partie

d’un ensemble de données mondiales relevant du domaine public 5(dont les références figurent

également dans la réplique) et ne sont utilisées qu’à des fins d’illustration. Pour une analyse plus

détaillée du pied du talus, il convient de se reporter à des profils bathymétriques plus spécifiques,

issus de levés bathymétriques effectués à cet effet, ou à des ensembles de données relevant du

domaine public 6. Il existe, pour cette zone des Caraïbes, une vaste base de données bathymétriques

52-minute Gridded Global Relief Data (ETOPO2v2), juin 2006, disponible auprès du centre de données mondial
pour la géologie marine et la géophysique, Boulder, Colorado (NGDC ) (http://www.ngdc.noaa.gov/

mgg/global/etopo2.html).
6Marine Geophysical Trackline Data (base de données GEODAS), également disponible auprès du NGDC
(http://www.ngdc.noaa.gov/mgg/geodas/trackline.html). - 10 -

relevant du domaine public, dont je me suis servi pour cette analyse. Chaque profil bathymétrique

correspond à des mesures précises de profondeur réalisées à bord d’un navire.

24. Cette figure représente un profil régi onal du rebord de la marge continentale du

Nicaragua. Elle fait apparaître la transition entre, sur la gauche (c’est-à-dire au nord), le talus

continental ⎯en l’occurrence, le seuil nicaraguayen inférieur ⎯, et à droite, les grands fonds

océaniques ⎯ étendues plates situées à 4000 mètres de profondeur environ. Elle montre également

17 l’escarpement de Hess, une formation spectac ulaire d’environ 400mètres de haut.

L’agrandissement montre des données bathymétriques détaillées, issues d’un relevé réalisé à bord

d’un navire tout au long de la base du talus contin ental. Le pied du talus coïncide avec la rupture

o
de pente la plus marquée. Il s’agit du point n 3 par rapport au pied du talus nicaraguayen, comme

l’indiquent les informations préliminaires déposées par le Nicaragua.

[RC-12 : Carte faisant apparaître les points retenus le long de la marge, situés à moins de 60 milles

marins du pied du talus.]

25. Le croquis que nous venons de voir est un ex emple de coupe transversale. Il est bien

entendu possible de réaliser d’autr es coupes transversales tout le long de la marge et de définir

toute une série de points par rapport au pied du talu s (représentés en bleu sur cette carte). A partir

de ces points, il suffit d’appliquer, très simple ment, la formule basée sur la distance (visée au

paragraphe 4 a) de l’article76) pour tracer une ligne à 60milles marins de distance ⎯ ce qui

définit le rebord de la marge continentale.

26. Pour fixer la limite extérieure défin itive du plateau continental, il est également

nécessaire d’appliquer les contraintes stipulées au paragraphe5 de l’article76 qui sont, comme je

l’ai déjà indiqué, au nombre de deux, à savoir la limite de 350 milles marins mesurée à partir des

lignes de base (représentée en pointillés noirs sur la carte) et la ligne de 100 milles marins à partir

de l’isobathe de 2500mètres. Ce t isobathe (ou courbe de niveau) de 2500mètres est également

tracé à partir des mesures prises à bord d’un navire (en noir sur la carte), la ligne située à 100 milles

marins étant représentée par un trait continu. A l’ouest, le rebord de la marge se situe dans la limite

des 350 milles à partir des lignes de base et, à l’est, dans la limite des 100 milles marins à partir de

l’isobathe de 2500mètres. L’application de ces deux contraintes permet de calculer la limite

extérieure du plateau continental du Nicaragua (repr ésentée par un trait bleu) dans le respect des - 11 -

prescriptions de l’article76. Conformément au paragraphe7 de ce même article, la limite

extérieure est simplifiée en traçant des lignes dro ites entre des points fixes distants de 60milles

marins au maximum.

[RC-13 : Profil bathymétrique le long de la marge continentale de la Colombie.]

27. Si l’on applique les mêmes règles à la Colo mbie, le résultat obtenu est très différent. La

figure qui apparaît à l’écran présente le profil de profondeur de la marg e continentale de la

Colombie. Ce profil part de la côte colombienne à l’ouest, traverse le bassin colombien sur toute la

longueur de la plaine abyssale et se poursuit ju squ’à l’escarpement de Hess. Il fait également

apparaître le pied du talus. La marge continentale de la Colombie étant étroite, les points situés à

distance du pied du talus sont relativement proches du littoral (dans cet exemple, à 60milles

marins). A la base du talus continental se trouvent d’importantes quantités de sédiments : il s’agit

du glacis, caractérisé par une pente plus douce, qui descend lentement vers les grands fonds

océaniques. Les quantités de sédiments étant plus importantes le long de cette marge que le long

de la marge continentale du Nicaragua, les formul es de la distance et de l’épaisseur sédimentaire

peuvent être appliquées l’une comme l’autre.

18 [RC-13 : Profil d’épaisseur sédimentaire.]

28. Cette coupe montre l’épaisseur des roch es sédimentaires sur un profil qui commence au

pied du talus et s’étend tout le long du bassin colo mbien. Elle est issue d’un recueil régional de

données sédimentaires accessible au public 7. Le schéma en vert montre l’épaisseur sédimentaire,

qui varie de quelque 4000 mètres au pied du talus (à gauche) à 1000 mètres (à droite) lorsque l’on

atteint les grands fonds. La ligne verte relie les points où cette épaisseur est égale au centième de la

distance du pied du talus. Elle correspond au rebord de la marge continentale. Dans le cas présent,

cette limite correspond à une épaisseur de 2200 mètres (soit 2,2 km) de sédiments et à une distance

de 220 km du pied du talus.

[RC-14 : Schéma de la marge continentale de la Colombie calculée conformément à l’article 76.]

29. Cette carte illustre l’application des formules de l’article 76 à la délimitation de la marge

continentale de la Colombie. Les points mesurés à partir du pied du talus sont tous relativement

7Les données d’épaisseur sédime ntaire sont disponibles su r http://www.ngdc.noaa.gov/mgg/
sedthick/sedthick.html. Référence: Divins, D.Total Sediment Thickness of the World’s Oceans & Marginal Seas,

NOAA National Geophysical Data Center, Boulder, CO, 2003. - 12 -

proches du littoral, à l’exception d’une petite z one à l’ouest, où le delta sous-marin de la

Magdalena s’étend sur toute la superficie de la zone de subduction entre les plaques caraïbe et

sud-américaine. Les points bleus sont mesurés à l’aide de la formule de Hedberg (distance

maximale de 60milles marins), les points vert s, grâce à la formule de l’épaisseur sédimentaire

(centième de la distance). En associant ces deux formules, on obtient le rebord de la marge

continentale de la Colombie, la quelle se trouve, en tous points, dans la limite des 200milles

marins, à l’exception d’une petite zone située à proximité du Panama, à l’ouest.

30. Tous ces aspects géologiques et géomorphologiques sont synthétisés et illustrés dans une

animation panoramique réalisée à partir de la vue en perspective que je vous ai présentée tout à

l’heure.

[RC-4 : Panorama aérien animé.]

31. Nous commençons par survoler la masse terrestre du Nicaragua en direction de l’est, puis

le plateau continental situé à une faible profon deur, avant de commencer à descendre les marches

géantes qui conduisent aux grands fonds. Nous tr aversons, tout d’abord, la zone de fracture du

banc dePedro jusqu’au seuil nicaraguayen infé rieur, puis nous survolons l’escarpement de Hess,

qui est, comme vous le voyez, une falaise sous-mar ine abrupte, haute de 2000 mètres par endroits.

Les points calculés par rapport au pied du talus sont représentés en orange et la limite du plateau

19 continental du Nicaragua, par une ligne, orange également. Nous nous dirigeons maintenant vers le

sud et survolons la plaine abyssale en direction de la marge continentale de la Colombie. La plaine

abyssale est extrêmement plane et lisse par rappor t aux blocs continentaux qui forment le seuil

nicaraguayen. Comme je l’ai indiqué, cette marg e, relativement étroite et escarpée, est constituée

d’une zone de subduction où la plaque caraïbe glisse sous la plaque sud-américaine. A

l’embouchure de la Magdalena, à l’ouest, s’est form é un delta sédimentaire qui s’étend tout le long

de cette zone de subduction. Sont également représentés les points situés à distance du pied du

talus et le rebord de la marge, mesurés à l’aide des deux formules. Nous repartons vers le nord,

retraversons la plaine abyssale et survolons l’escarpement de Hess en direction de SanAndrés et

Providencia. Nous nous tournons vers la masse terrestre du Nicaragua, et la vue d’ensemble

s’élargit vers l’est pour montrer l’intégralité du prolongement naturel du Nicaragua, le long du seuil

nicaraguayen. - 13 -

E. Obligations imposées par la Commission des limites du plateau continental

et informations préliminaires

32. J’aborderai à présent la procédure de dépôt d’une demande auprès de la Commission des

limites du plateau continental (ci-après, la «C ommission»). Chaque Etat côtier est tenu de

communiquer à la Commission des informations sur la largeur de son plateau continental, lorsque

celui-ci s’étend au-delà de la limite de 200m illes marins; la Commission examine ensuite ces

données et formule des recommandations sur la base d esquelles l’Etat côtier peut fixer la limite

8
extérieure de son plateau continental .

33. Les dispositions de l’article76 sur la dé finition du plateau continental ne préjugent en

9
rien des questions de délimitation . En outre, le règlement intérieur de la Commission contient des

dispositions qui lui interdisent d’examiner les informations qui lui sont soumises si l’existence d’un

différend lui a été notifiée.

[SPLOS/183 - onglet 44.]

34. Les Etats disposent, pour présenter ces info rmations, d’un délai de dix ans à compter de

l’entrée en vigueur de la convention à leur égard. S’agissant des Etats l’ayant ratifiée avant 1999,

ce délai a été prorogé jusqu’en mai 2009. Toutefois, il est apparu au fil du temps que de nombreux

Etats, en particulier les moins avancés, auraie nt des difficultés à mettre en Œuvre les lourdes

procédures de recueil et d’analyse des données dans les délais fixés. En juin 2008, à l’occasion de

leur 18 esession, les Etats parties à la convention so nt donc convenus qu’ils pourraient s’acquitter

de leurs obligations en présentant au Secrétaire général des informations préliminaires indicatives

20 sur les limites extérieures de leur plateau continental au-delà de la zone des 200 milles marins, ainsi

qu’une description de l’état de préparation d es documents, qui mentionne rait la date de dépôt

prévue, conformément aux exigences de l’article 76 de la convention et des orientations

10
scientifiques et techniques de la Commission . Le document pertinent, SPLOS/183, est affiché à

l’écran. Il convient de préciser que la communica tion de ces informations préliminaires n’affecte

en rien l’obligation de procéder à la communicat ion ultérieure de l’ensemble des informations

requises, la Commission n’examinant pas les informations préliminaires.

8
Art. 76, par. 8.
9
Ibid., par. 10.
10SPLOS183, disponible sur le site Internet des Nations Unies : http://daccess-dds-ny.un.org/UNDOC
/GEN/N08/398/76/PDF/N0839876.pdf?OpenElement. - 14 -

35. Le Nicaragua a ratifié la convention en mai2000 et a présenté des informations

préliminaires indicatives sur les limites de son pl ateau continental en avril2010, dans le délai
11
prescrit. Les informations préliminaires sont disponibles sur le site Internet de la Commission et

les annexes techniques figurent aux annexes 16 à 18 de la réplique du Nicaragua.

Les travaux préparatoires, notamment les études techniques, nécessaires à la communication

par le Nicaragua de l’ensemble des données requises sont déjà bien avancés. En effet, sur la base

des données relevant du domaine public, présentées pr écédemment, le Nicaragua a établi la limite

extérieure de son plateau continental au-delà de la zone des 200milles marins, et il envisage

d’acquérir d’autres données topographiques afin de co mpléter les informations qu’il est tenu de

soumettre à la Commission conformément à l’artic le76 de la convention et aux orientations

scientifiques et techniques de la Commission. Lorsqu’il a communiqué ces informations

préliminaires, il a indiqué qu’il y donnerait suite en tenant dûment compte de l’arrêt rendu par la

Cour en l’espèce.

F. Synthèse

36. Monsieur le président, voilà qui m’amène à la fin de mon intervention. Bien que la

notion de plateau continental soit, en théorie, une notion simple, dans la pratique, sa définition

scientifique et juridique est beaucoup plus complexe , et l’article76 de la convention est l’un des

plus difficiles à appliquer.

[RC 19/20 : Carte bathymétrique.]

37. Le dernier schéma que je souhaiterais vous commenter est une présentation simplifiée du

plateau continental, réduit à ses éléments essentiels (actuellement à l’écran). Cette bathymétrie très

simplifiée est divisée en quatre composantes, celles visées au paragraphe 3 de l’article 76, à savoir :

le plateau physique proprement dit, le talus, le glacis et les grands fonds océaniques. Le plateau est

21 indiqué en rouge, le talus et le seuil, en vert, et les grands fonds marins, en bleu. La limite des

200 milles marins de la Colombie, indiquée par une ligne rose foncé, se situe presque intégralement

dans les grands fonds marins, à une profon deur approximative de 4000mètres. La marge

continentale de la Colombie et son prolongement naturel se situent à moins de 200milles de la

11
http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/preliminary/nic_…. - 15 -

côte. En revanche, la limite des 200 milles mari ns du Nicaragua, indiquée par une ligne bleue, se

situe, sur toute sa longueur, dans des eaux d’une pr ofondeur inférieure à 2500 mètres, dans la zone

correspondant au talus continental. La marge continentale du Nicaragua et son prolongement

naturel dépassent largement les 200milles marins, atteignant environ 500 milles. La différence

entre ces marges est flagrante.

38. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui conclut mon exposé.

Je vous remercie de votre attention. Je vous prie de bien vouloir donner la parole à M. Lowe, qui

poursuivra les plaidoiries au nom du Nicaragua.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, je donne la parole à M. Vaughn Lowe. Monsieur Lowe,

vous avez la parole.

M. LOWE :

D ROITS SUR LE PLATEAU CONTINENTAL ET DÉLIMITATION

Je vous remercie, Monsieur le président. Mons ieur le président, Mesdames et Messieurs de

la Cour, c’est un honneur pour moi de me présente r devant vous et d’être chargé d’exposer cette

partie des conclusions de la République du Nicaragua.

Portée de la question

1. La portée de la question qu’il vous appartie nt à présent de trancher a été définie par la

Cour au paragraphe 42 de son arrêt de 2007 :

«les questions qui constituent l’objet du différend opposant les Parties au fond, sont,

premièrement, la souveraineté territoriale (c ’est-à-dire la souvera ineté sur les îles et
autres formations maritimes qu’elles revendiquent) et, deuxièmement, le tracé de la
frontière maritime entre elles».

2. La première question fait l’objet de l’e xposé de mes collègues, MM.RemiroBrotóns et

Oude Elferink, qui expliquent que les formations maritimes en permanence émergées (en dehors de

San Andrés, Providencia et Santa Catalina et des au tres îles, îlots et cayes qui constituent l’archipel

de SanAndrés) appartiennent au Nicaraguaet que, par ailleurs, Quitasueño, immergé en

permanence, n’en fait pas partie. - 16 -

22 3. Il me revient d’examiner la seconde question : les principes de base concernant les droits

du Nicaragua sur le plateau continental et la fixati on de la frontière maritime. Il est nécessaire de

rappeler ces principes car, même si la géographie de cette affaire est quelque peu inhabituelle ⎯ la

nature a doté le Nicaragua d’une marge continentale bien plus large que celle de la Colombie ⎯ les

principes juridiques de base sont tout autant ob ligatoires en l’espèce qu’ils le seraient dans toute

autre affaire.

Principes de base de la fixation d’une frontière maritime

[Onglet 46 : Cinq principes de base de la délimitation du plateau continental.]

4. La délimitation maritime doit respecter certains principes de base. Selon nous,

cinq principes de base, qui ne sont pas en eux-mê mes sujets à controverse, encadrent la question à

présent soumise à la Cour. Ces principes sont exposés sous l’onglet 46 de votre dossier :

a) Le plateau continental est le prolonge ment naturel du territoire terrestre ⎯et, comme l’a

récemment fait remarquer le Tribunal interna tional du droit de la mer, il n’existe qu’ un seul

plateau continental en droit international, «san s qu’aucune distinction ne soit établie entre le

plateau en deçà de 200 milles marins et le plateau au-delà de cette limite» 12.

b) Les droits dont un Etat côtier peut se prévaloir sur le prolongement naturel de son territoire sous

la mer (que ce soit en deçà ou au-delà de 200 milles marins à partir des lignes de base) existent

ipso facto et ab initio, et lui sont dévolus automatiquement et de plein droit.

c) Le plateau continental se superpose à la z one économique exclusive (ZEE), mais n’est ni

anéanti ni remplacé par elle.

d) Indépendamment des caractéristiques géologiques ou géomorphologiques des fonds marins, des

droits sont à présent dévolus de plein droit à l’ Etat côtier sur le plateau continental, sur une

largeur maximale de 200 milles marins depuis les lignes de base côtières.

e) La délimitation des frontières maritimes doit parvenir à une solution équitable.

5. Permettez-moi d’insister sur deux points. Premièrement, le droit international coutumier

reconnaît à l’Etat côtier des droits sur le plateau continental aussi bien au-delà qu’en deçà de la

limite de 200milles marins depuis les lignes de base. Il s’agit là du principe du prolongement

12
Bangladesh/Myanmar, par. 361. - 17 -

naturel, que la Cour a clairement énoncé dans les affaires du Plateau continental de la mer du

Nord.

23 6. Deuxièmement, l’article76 de la CNUDM vient restreindre ce droit tiré du droit

international coutumier ; il n’en est pas à l’origine et n’en étend pas la portée.

7. Le texte intégral des articles 76 et 77 de la convention se trouve sous l’onglet 47 de votre

dossier.

8. Le paragraphe1 de l’article76 définit le plateau continental. Puis, les paragraphes1, 2

et 3 de l’article 77 stipulent que les droits de l’Etat côtier sur le plateau continental existent de plein

droit et, pour reprendre les term es du paragraphe3 de l’artic le77, sont indépendants de

l’occupation effective ou fictive, aussi bien que de toute proclamation expr esse. Le paragraphe2

de l’article 76 fixe la limite extérieure de la portion du plateau continental assujettie aux droits de

l’Etat côtier au-delà des 200 milles marins à partir de la côte.

9. Le plateau continental auquel a droit le Ni caragua est limité par l’article76, ce qui n’est

pas le cas, en l’occurrence, de la Colombie, dont le prolongement naturel s’arrête, pour l’essentiel,

bien avant 200millesmarins depuis la côte et qui bénéficie du critère de distance plus généreux

introduit en droit international par la troisième conf érence des Nations Unies sur le droit de la mer,

ce que j’expliquerai dans un moment.

10. En l’espèce, le Nicaragua soutient que la possibilité de parvenir à une solution équitable

doit respecter le fondement du titre. C’est ce que nous avons fait valoir aux paragraphes3.12

et 3.14 de notre réplique, auxquels nous vous invitons à vous reporter. On ne peut procéder à une

délimitation qu’après avoir déterminé sur quelle zone elle doit porter. Autrement dit :

⎯ il faut tout d’abord examiner à quels types de droits sur le plateau continental, au sens juridique

du terme, donne lieu le territoire de l’Etat partie, indépendamment des revendications réelles ou

éventuelles de l’autre Etat ;

⎯ il faut examiner ensuite dans quelle mesure les droits des Parties se chev auchent et procéder à

une délimitation équitable de la zone où il y a chevauchement.

11. Les cinqprincipes que vous trouverez sous l’onglet47 de votre dossier ne sont pas en

eux-mêmes sujets à controverse. - 18 -

[Onglet48: Cinqprincipes de base de la délimitation du plateau continental; uniquement les

principes a) et b).]

12. Je vais tout d’abord examiner les principes énoncés en a) et en b), tous deux se

rapportant aux droits souve rains qui sont dévolus de plein droit à chaque Etat côtier sur les

ressources des fonds marins qui constituent le prol ongement naturel de son territoire terrestre, sur

l’ensemble de la marge continentale. Ces principes sont énoncés sous l’onglet 48.

24 13. Ces deuxprincipes sont consacrés dans la première partie de la définition énoncée au

paragraphe1 de l’article76 de la CNUDM. Nul ne conteste que cette disposition reflète le droit

international coutumier, ce qui ressort clairement du contre-mémoire (page306) et du

paragraphe3.2 de notre réplique. Et le fait que la Colombie ne soit pas partie à la convention

de1982 ne saurait priver le Nicaragua des droits qu’il tire de celle-ci et du droit international

général, lesquels, sur ce point, correspondent parfaitement.

14. M.Cleverly vous a déjà présenté le pa ragraphe1 de l’article76 de la CNUDM, lequel

stipule que «[l]e plateau continental d’un Etat cô tier comprend les fonds marins et leur sous-sol

au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de

cet Etat jusqu’au rebord externe de la marge con tinentale…», et le paragr aphe 3 de l’article 76,

suivant lequel «[l]a marge continentale est le prolongement immergé de la masse terrestre de l’Etat

côtier ; elle est constituée par les fonds marins corre spondant au plateau, au talus et au glacis ainsi

que leur sous-sol.»

15. Il est bien établi, depuis les affaires du Plateau continental de la mer du Nord de 1969,

que les droits qui s’exercent sur ces zones ⎯ou, plus précisément, les droits souverains qui

constituent le régime juridique du plateau continental ⎯ sont dévolus de plein droit à l’Etat côtier,

c’est-à-dire ipso facto et ab initio.

16. Le régime juridique du plateau continenta l est né de la proclamationTruman de1945.

Dans l’affaire d’arbitrage Abu Dhabi de1952, sa valeur en droit était encore considérée comme

incertaine. Mais, dès1956, la Commission du droit international en posait clairement et en toute

confiance les principes fondamentaux, qui furent intégrés à l’article2 de la convention sur le

plateau continental de1958, dont la Cour a dit, en l’affaire du Plateau continental de la mer du - 19 -

Nord ⎯au paragraphe63 de son arrêt ⎯, qu’il «consacra[i]t» ou «cri stallisa[i]t» des règles de

droit international coutumier établies ou du moins en voie de formation.

17. Ce principe apparaît à présent au paragr aphe3 de l’article77 de la CNUDM, lequel

stipule que «[l]es droits de l’Etat côtier sur le plateau continental sont indépendants de l’occupation

effective ou fictive, aussi bien que de toute proclamation expresse.»

18. Ces dispositions expriment donc des principes bien établis qui sont les suivants: a) le

plateau continental est fonction du territoire terrestre de l’Etat côtier et de son prolongement naturel

sous la mer et b) les droits que détient l’Etat côtier sur le plateau continental existent ipso facto et

ab initio, et lui son dévolus de plein droit.

25 [Onglet 46 à nouveau : Cinq principes de base de la délimitation du plateau continental.]

19. Le principe du point c), selon lequel «le plateau continental se superpose à la zone

économique exclusive mais n’est ni anéanti ni remplacé par elle», constitue selon nous un aspect ou

une conséquence des autres principes.

20. La gestation de la CNUDM a duré quinze ans. La structure de la convention apparaissait

déjà dans les «textes de négociation» au moins se pt ans avant son adoption en 1982. Tout au long

du processus, les dispositions afférentes au platea u continental, qui figurent à présent dans la

sixième partie de la convention, et celles rela tives à la zone économique exclusive, énoncées dans

la cinquième partie, ont toujours été maintenues sépar ées. Ces parties de la convention coexistent,

de même que coexistent la zone économique exclusive et le plateau continental.

21. La convention ne contient pas la moindr e allusion au fait que l’un doit prévaloir ou

l’emporter sur l’autre. En particulier, rien dans la convention ne laisse entrevoir la possibilité que

les droits ipso facto et ab initio de l’Etat côtier sur le plateau continental ⎯ droits expressément

reconnus dans la c onvention elle-même ⎯ doivent d’une quelconque manière céder le pas aux

dispositions relatives à la zone économique exclusive. En réa lité, nos amis colombiens ne

prétendent pas le contraire et il n’est donc pas nécessaire d’en dire plus sur le sujet.

22. De la même façon, les Parties s’entendent sur le fait que le principe énoncé au point d), à

savoir la dévolution de plein droit à l’Etat côtie r de droits sur le plateau continental jusqu’à

200 milles marins ⎯sauf délimitation, bien évidemment ⎯, fait à présent partie du droit

international coutumier, comme en atteste le para graphe 1 de l’article 76 de la CNUDM. C’est ce - 20 -

qu’on peut lire à la page306 du contre-mémoire et, encore une fois , au paragraphe3.12 de notre

réplique.

23. Il n’existe enfin aucun désaccord sur le principe énoncé au point e) : à savoir que la

délimitation des frontières maritimes doit parvenir à une solution équitable.

Application des principes de base

Prolongement naturel

24. J’en viens maintenant, Monsieur le prési dent, à l’application de ces principes à la

présente affaire.

[Onglet n o49 : Vue en perspective de la portion sud-ouest de la mer des Caraïbes.]

25. Pour commencer, à quoi correspond le pr olongement naturel du territoire du Nicaragua ?
26

La Colombie soutient que le Nicaragua a «inventé sa prétention concernant un plateau continental

étendu» 13. Or l’état du plateau continental est tout efois une question qui relève principalement des

faits, le droit venant préciser la manière dont sont déterminées les limites géographiques de ce qui

est un phénomène physique réel. Ainsi que le TIDM l’a dit aux paragraphes 434 et 437 de l’arrêt

qu’il a rendu en l’affaire Bangladesh/Myanmar :

«les notions de prolongement naturel et de marge continentale aux termes de

l’article 76, paragraphes 1 et 4, sont étro itement liées. Ces deux notions se réfèrent à
la même zone.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[l]a référence au prolongement naturel qui figure à l’article 76, paragraphe1, de la
Convention, doit être comprise en tenant compte des dispositions ultérieures dudit
article définissant le plateau continental et la marge continentale. Le titre sur le

plateau continental au-delà de 200milles marins doit donc être déterminé par
référence au rebord externe de la marge continentale, laquelle doit être établie
conformément à l’article76, paragraphe4. Une autre interprétation n’est justifiée ni
par le texte de l’article 76, ni par son but et son objet.»

26. Tout Etat côtier jouit de droits sur ce qui correspond à la définition juridique du plateau

continental, à savoir la marge continentale existante. Je reviendrai tout à l’heure brièvement sur le

critère des 200milles marins figurant dans la définition du plateau continental énoncée à

l’article 76.

13
DC, par. 4.39. - 21 -

27. Il est en outre bien établi que les droits de l’Etat côtier sur le plateau lui sont dévolus de

plein droit : ils existent ipso facto et ab initio.

28. Donc, à quoi correspond le «prolongement naturel» de la masse terrestre du Nicaragua

sous la mer? Les caractéristiques géologiques, que M.Cleverly vous a présentées, parlent

d’elles-mêmes. L’élément le plus notable est que la masse terrestre du Nicaragua se prolonge sous

la mer en direction nord-est sur quelque 500m illes marins, empiétant ainsi sur la zone de

200 milles marins de la Colombie. D’où le besoin de procéder à une délimitation.

29. A quoi correspond le prolongement naturel du territoire de la Colombie ? Ce point vous

a également été présenté par M. Cleverly. Il est un fait que le prolongement naturel du territoire de

la Colombie ne va pas au-delà de la ligne marqua nt la limite extérieure de sa zone de 200milles

marins.

27 Les fonds marins situés à moins de 200 milles

30. Bien sûr, la Colombie est en principe fondée à revendiquer, en vertu du critère de

distance énoncé au paragraphe 1 de l’article 76, des droits sur le plateau continental c’est-à-dire les

fonds marins situés à moins de 200 milles de sa cô te continentale. Le Nicaragua reconnaît que les

droits sur le plateau continental sur une largeur de 200milles marins sont prima facie dévolus de

plein droit, de la même manière que les droits sur le plateau continental correspondant à la marge

continentale physique le sont aussi. Bien sûr, il ne s’ensuit toutefois pas ⎯que ce soit en la

présente affaire ou dans une autre ⎯ que chaque Etat côtier jouira effectivement d’un espace

s’étendant sur l’intégralité de ces 200milles mari ns. De fait, la nécessité de procéder à une

délimitation découle précisément de ce qu’il n’est pas possible d’accorder à chaque Etat

l’intégralité des droits qui lui reviennent prima facie.
o
[Onglet n 50 : Les îles.]

Les îles

31. Les îles que la Colombie revendique ⎯par opposition aux «rochers» visés au

paragraphe3 de l’article121 et aux hauts-fonds découvrants qu’elle revendique également ⎯

génèrent elles aussi des droits sur le plateau c ontinental. La notion de droit est cependant une

question fort différente de celle de la délimitation. Ainsi que M.Pellet l’ expliquera, la Cour et - 22 -

d’autres tribunaux n’ont pas l’habitude de poser en principe que les îles emportent nécessairement

dévolution de droits sur l’intégralité de l’espace les entourant dans un rayon de 200 milles marins :

il peut être nécessaire ⎯ comme en l’espèce, selon nous ⎯ de circonscrire les zones se rattachant à

ces formations.

32. Nous estimons que toutes les formations maritimes de la zone qui sont émergées en

permanence (à l’exception de SanAndrés, Provide ncia, Santa Catalina ainsi que des autres îles,

îlots et récifs qui font partie de l’archipel de SanAndrés) appartiennent au Nicaragua.

M. Oude Elferink vous a parlé de ces formations maritimes mineures et a expliqué que Quitasueño

ne comportait aucune île, puisqu’elle est immergée en permanence. Les autres formations, telles

que les petites cayes situées sur les bancs de Serrana et Roncador, les cayes de l’Est-Sud-Est, et

celles situées sur les bancs de Serranilla et Ba joNuevo, bien qu’elles constituent des îles à

strictement parler, ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre et n’ont

dès lors ni zone économique exclusive ni plateau continental. Dans le cadre de la CNUDM, elles

relèvent donc du paragraphe 3 de l’article121. Seules SanA ndrés, Providencia et SantaCatalina

génèrent des droits sur le plateau continental.

28 33. Il ressort de la carte que toutes ces formations maritimes mineures sont situées dans la

zone correspondant au prolongement nature l de la masse terrestre du Nicaragua. Aucune d’entre

elles —pas une seule— ne se trouve dans celle correspondant au prolongement naturel de la

masse terrestre de la Colombie : il s’agit là d’un fait, non d’un argument.

34. En revanche, le titre sur ces formations ne relève pas des faits, mais du droit. Seules

deux possibilités existent: ces formations appar tiennent soit au Nicaragua, soit à la Colombie.

Aucun autre Etat n’y a droit. Mais qu’elles lui appartiennent ou pas, le Nicaragua estime que ces

formations maritimes mineures doivent être enclavées et non trait ées comme des côtes

continentales ou des formations importantes situées au large.

35. Ce point sera examiné de manière plus approfondie cet après-midi par M.Pellet.

Permettez-moi toutefois de rappeler à ce stade que, sur le plan géométrique, des formations

minuscules peuvent avoir des effets spectaculaires.

o
[Onglet n 51 ⎯ 12 milles calculés depuis un rocher.] - 23 -

36. Un rocher de la taille de ce pupitre ⎯ à supposer qu’il soit émergé à marée haute et donc

considéré comme une «île» au sens du paragra phe1 de l’article121 de la CNUDM et du

paragraphe1 de l’article 10 de la convention de1958 sur la mer territoriale ⎯ donnerait, si une

mer territoriale de 12milles lui était reconnue, d es droits sur une zone maritime de plus de

452milles carrés. Cette configuration est représ entée sur la figureIV, à la fin du volume1 du

mémoire du Nicaragua. Il s’agit de la même superficie de mer territoriale que celle générée par une

côte longue de 37,7milles marins. Un rocher de la taille de ce pupitre ouvrirait donc droit à une

mer territoriale plus importante que l’intégralité de la côte belge.

37. Ce serait une chose si ce rocher était situé en plein océan et que la zone l’entourant soit

située par ailleurs en haute mer. Mais c’est tout autre chose si le rocher en question se trouve sur le

plateau continental d’un autre Etat et que la zone de mer l’entourant soit prélevée sur ce qui

appartiendrait autrement audit Etat. Voilà pourquoi le Nicaragua estime qu’une enclave de 3 milles

marins serait une solution équitable.

L’argument de la Colombie selon lequel les droits du Nicaragua
sur le plateau continental sont éteints

38. La Colombie ne conteste pas sérieusement les droits du Nicaragua sur le plateau

continental. L’une des sections de la duplique ⎯ le paragraphe 4.37 ⎯ est intitulée (en lettres

capitales) : «Il n’existe pas de zones de plateau continental étendu dans les Caraïbes occidentales.»

L’idée exposée dans cette section, qui compte une centaine de mots, est qu’il n’est pas un seul

point des Caraïbes occidentales qui se trouve à plus de 200 milles marins d’un Etat ou d’un autre.

29 39. Peut-être bien … mais l’idée qu’il faille en conclure qu’un Etat ne peut prétendre à aucun

droit sur la portion du plateau continental s ituée à moins de 200milles marins d’un autre

⎯c’est-à-dire que les droits sur le plateau con tinental fondés sur le critère des 200milles marins

énoncé à l’article76 de la CNUDM devraient, d’une manière ou d’une autre, l’emporter ou

prévaloir sur ceux qui reposent sur le critère gé ographique du prolongement naturel, lui aussi

énoncé à l’article 76 ⎯ est dépourvue de fondement et manifestement erronée.

40. Rien dans la CNUDM ou le droit international coutumier ne permet pareille conclusion.

o
[Onglet n 52 : paragraphe 1 de l’article 76.]

41. Permettez-moi de rappeler l’article 76 de la CNUDM : - 24 -

«Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds marins et leur
sous-sol au-delà de sa mer territoriale, su r toute l’étendue du prolongement naturel du

territoire terrestre de cet Etat jusqu’au re bord externe de la marge continentale, ou
jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur
de la mer territoriale, lorsque le rebord ex terne de la marge con tinentale se trouve à

une distance inférieure.»

42. L’article 76 énonce deux critères formant une alternative afin de déterminer l’étendue du

plateau continental: celui du prolongement naturel et celui de la distance. Tout Etat côtier peut

prétendre à des droits sur le plateau continental su r toute l’étendue de sa marge continentale. Mais

il peut également prétendre à des droits sur le plateau continental correspondant à toutes les zones

situées à moins de 200milles marins de ses lignes de base. Ces critères sont simplement deux

fondements alternatifs du titre sur le plateau continen tal. Pour citer de nouveau le TIDM, il existe

un plateau continental unique : il n’y a pas de différence, du point de vue juridique, entre la marge

continentale proprement dite et les fonds marins se trouvant à moins de 200milles de la côte,

lesquels sont réputés, quelles que soient leurs ca ractéristiques géologiques, faire partie du plateau

14
continental de l’Etat côtier .

43. La Colombie se réfère, au paragraphe4.58 de sa duplique , à une conclusion de la Cour

en l’affaire Libye/Malte, à savoir que les caractéristiques gé ologiques ou géophysiques de la côte

d’un Etat ne jouent pas le moindre rôle en ce qui c oncerne les questions de titres et de délimitation.

Elle déforme toutefois les propos de la Cour en l’affaire.

44. Je vous invite à relire les paragraphes39 et 40 de l’arrêt du 3juin1985, lesquels sont

trop longs pour que je les reprenne ici.

30 45. Il ne fait cependant aucun do ute que, dans ce passage de l’arrêt Libye/Malte, la Cour se

prononçait sur un cas de figure où les deux Etats revendiquaient des droits sur le plateau continental

en deçà de 200 milles marins de leurs côtes.

46. La distance entre la Libye et Malte est en effet, au total, inférieure à 200 milles marins.

Chaque Etat ayant des droits sur les fonds marins situés à moins de 200 milles de sa côte ⎯ ce qui

était le cas de l’intégralité de la zone en question ⎯, l’existence de discontinuités

géomorphologiques était de fait dépourvue de pertinen ce dans cette affaire, en ce qui concerne les

questions tant de titres que de délimitation.

14
Bangladesh/Myanmar, par. 361. - 25 -

47. Cela est toutefois sans intérêt pour ce qui est du cas de figure où les Etats sont situés à

plus 400 milles marins l’un de l’autre et où les droits de l’un, fondés sur le prolongement naturel de

son territoire terrestre ⎯sa marge continentale aux termes du paragraphe1 de l’ article76 de la

CNUDM ⎯ et ceux de l’autre, fondés sur la distance à partir de sa côte ⎯ le critère alternatif des

200 milles marins énoncé au paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM ⎯, se chevauchent.

48. Dans cette hypothèse, les droits du premie r Etat ne peuvent être simplement écartés ou

considérés comme éteints. Deux revendications se chevauchent; il doit donc être procédé à une

délimitation.

49. La Colombie tente de troubler ces eaux lim pides en se réclamant des experts en matière

de géologie, de géophysique ou d’hydrographie qui composent la Commission des limites du

plateau continental constituée en vertu de l’a nnexeII de la CNUDM. Elle affirme, au

paragraphe4.42 de sa duplique, que, tant qu’i l n’aura pas communiqué les coordonnées de son

plateau continental à la Commission suivant les étapes prévues à l’article76 de la CNUDM et à

l’annexe II de celle-ci, le Nicaragua ne pourra prétendre à un plateau continental étendu.

50. La Colombie soutient par ailleurs que «la Commission n’examinera même pas une telle

demande sans le consentement des parties concernées», ce qui laisse à entendre que, en s’abstenant

de donner son consentement, une «parti[ e] concerné[e]» pourrait empêcher ⎯ indéfiniment,

semble-t-il ⎯ l’«établissement» de droits sur le «pl ateau continental étendu», pour reprendre

l’expression de la Colombie.

51. La Colombie n’explique cependant pas co mment elle peut se prévaloir d’une procédure

énoncée dans un traité auquel elle n’est pas par tie. Ce nonobstant, ce qu’elle cherche à démontrer

ne tient pas pour d’autres raisons encore.

52. Premièrement, comme je l’ai expliqué, les droits sur le plateau continental, tels que

définis par le droit international, sont dévolus de plein droit à l’Etat côtier. Cela ressort clairement

de la jurisprudence constante et incontestée de la Cour de ces quarante de rnières années et trouve

31 son expression à l’article77 de la CNUDM. Ni le Nicaragua ni aucun autre Etat côtier n’a à

«établir» ses droits. Il les possède aujourd’hui, à cet instant précis.

53. Deuxièmement, le fait que la Colombie utilise l’expression «plateau continental étendu»

ne rend pas son argument plus convaincant. Cette expression n’apparaît nulle part dans la - 26 -

convention sur le droit de la mer. Les fonds ma rins se trouvant à moins de 200milles de la côte

⎯qui sont réputés, quelles que soient leurs car actéristiques géomorphologiques, faire partie du

plateau continental juridique ⎯, d’une part, et les fonds marins constituant la marge continentale,

soit le prolongement naturel du territoire terrestre de l’Etat cause, d’autre part, font partie, sur un

pied d’égalité, du concept juridique de plateau con tinental [voir paragraphe 1 de l’article76 de la

CNUDM]. Le tribunal saisi de l’affaire Barbade/Trinidad l’a reconnu au paragraphe213 de sa

sentence, et le TIDM, au paragraphe 361 de l’arrêt qu’il a rendu en l’affaire Bangladesh/Myanmar.

Le Nicaragua n’«étend» donc rien: il se réfère, à raison, au plateau continental que lui reconnaît

déjà le droit international, ni plus ni moins.

54. J’aimerais dire un mot en passant au suje t de l’inquiétante proposition voulant que, tant

que la Commission des limites du plateau continenta l n’aura pas examiné et approuvé les limites

extérieures de la marge continentale qu’il lui aura communiquées conformément aux paragraphes 7

et8 de l’article76 de la CNUDM, l’Etat côtie r ne saurait prétendre à un plateau continental

«étendu». Si tel était le cas, il est permis de se demander dans quelle s ituation se trouveraient les

Etats qui, comme les Etats-Unis d’Amérique, ne sont pas partie à cette convention ; faut-il conclure

qu’ils ne pourraient jamais acquérir de tels droits ?

55. On peut par ailleurs se demander quelle ser ait la situation des Etats parties dont les

limites ne sont pas visées par l’un des cinquante- neuf dossiers qui, au mois de janvier2012 1,

avaient été communiqués à la Commission, encore que ce nombre soit trompeur puisqu’il est en

réalité supérieur au nombre d’Etats en cause, certa ins d’entre eux ayant soumis plusieurs dossiers ;

c’est le cas du Royaume-Uni, qui est à l’origine de demandes distinctes pour la mer Celte et le

golfe de Gascogne, l’île de l’Ascension, le secteur de Hatton-Rockall et les îles Malouines. Bon

nombre d’Etats, telle la Chine, n’ont pas encore présenté de demande, bien que certains, dont la

Chine elle-même ainsi que le Chili, Fidji, la Fr ance, la République de Ma urice, le Mexique, la

Nouvelle-Zélande, l’Espagne et le Nicaragua, aient déjà fait parven ir au Secrétaire général de

l’Organisation des Nations Unies des informations pr éliminaires concernant tout ou partie de leurs

limites.

15
http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/commission_submissions.htm. - 27 -

32 56. L’on peut également s’interroger sur la situation de l’Etat côtier qui souhaiterait exploiter

le plateau continental au-delà de la limite de 200 milles marins si un autre Etat contestait les limites

extérieures communiquées ⎯même dans une région éloigné e de l’emplacement du projet

16
d’exploitation —, ce qui aurait pour effet de reporter l’examen de la demande par la Commission .

57. On se demande enfin ce que peuvent faire les Etats en général en attendant que la

17
Commission traite toutes les demandes dont elle est saisie. Lors d’une présentation faite en 2010 ,

les représentants de celle-ci reconnaissaient que , selon sa cadence actuelle, elle ne serait pas en

mesure d’achever son travail avant 2035.

58. Mais cette hypothèse de la Colombie est bien entendu dépourvue de fondement. Rien ne

vient étayer l’argument voulant que les droits de l’Etat côtier sur le plateau continental sont

subordonnés à l’obtention d’une «recommandation», car c’est bien là le nom que porte la décision

de la Commission: voir le paragraphe8 de l’ar ticle76 de la CNUDM ainsi que son annexeII,

articles6 et suivants, dont vous trouverez le texte à l’onglet47 de votre dossier. Il s’agit de la

18
recommandation donnée par la Commission .

59. Les droits sur le plateau continental existent ipso facto et ab initio, et sont dévolus de

plein droit. Leur existence en droit n’est pas subordonnée à la présentation d’une demande à la

Commission ou à la fixation de limites extérieu res précises, pas plus que mon assujettissement à

l’impôt n’est conditionné par la présentation d’une déclaration de revenus ou la fixation du montant

dû, de concert avec les autorités fiscales.

60. Ce que font la présentation d’une demande et l’accord de la Commission, du moins entre

les Etats parties à la CNUDM, c’est mettre à l’abri de toute contestation la légalité des limites

établies en conformité avec les recommandations de la Commission. Comme la Cour l’a dit à bon

droit dans l’affaire des Pêcheries ((Royaume-Uni c.Norvège), arrêt, C.I.J.Recueil1951 , p.132),

«[l]a délimitation des espaces maritimes a toujours un aspect international ; elle ne saurait dépendre

de la seule volonté de l’Etat riverain telle qu’e lle s’exprime dans son droit interne». C’est la

Commission qui est chargée de veiller à l’«aspect inte rnational» des limites extérieures. Son rôle

16http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/commission_submissions.htm, par. 43.
17
http://www.un.org/depts/los/clcs_new/workload/2010_04_14_workload_prese…, p. 4.
18http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/commission_recommendations.htm. - 28 -

est d’aider à confirmer les limites extérieures de l’espace où l’Etat peut exercer ses droits. Son rôle

n’est pas de conférer quelque titre ou droit.

33 61. La Commission ne fait ainsi qu’«aider à c onfirmer» l’emplacement en question. Aux

termes du paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, ce n’est p as elle qui établit les limites : «Les

limites fixées par un Etat côtier sur la base de ces recommandations sont définitives et de caractère

obligatoire.» [Les italiques sont de nous.]

62. L’approbation de la Commission n’a pas pour effet de créer des droits sur le plateau

continental, pas plus que son absence ne remet en question leur existence. Et si certains Etats,

comme le signale la Colombie ⎯au paragraphe4.61 de sa duplique— se sont contentés de

communiquer à la Commission leurs demandes concernant les espaces qui se trouvent à plus de

200 milles marins de l’Etat côtier le plus rapproché , cela ne signifie pas que les droits sur les fonds

marins situés endeçà de cette limite peuvent faire échec aux droits découlant du critère du

prolongement naturel du territoire terrestre prévu au paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM ou

doivent l’emporter en cas de chevauchement.

63. Il existe une troisième raison de rejeter l’argument de la Colombie. Le paragraphe 10 de

l’article 76 de la CNUDM est ainsi libellé : «Le prés ent article ne préjuge pas de la question de la

délimitation du plateau continental entre des Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face.»

On peut lire ce qui suit dans le commentaire sur la CNUDM publié sous les auspices de

l’Université de Virginie :

«Cette disposition confirme que l’articl e76 ne fait que prescrire la façon de

déterminer les limites extérieures du plateau continental ; il est complètement étranger
à la question de la délimitation du plateau continental entre les Etats dont les côtes
sont adjacentes ou se font face, question régie exclusivement par l’article83.» 19

[Traduction du Greffe.]

Ce document se trouve sous l’onglet 53 de votre dossier.

64. Quatrièmement, cet argument a été analy sé de manière approfondie avant d’être rejeté

définitivement par le TIDM aux paragraphes368 -384 de l’arrêt qu’il a rendu dans l’affaire

Bangladesh/Myanmar et dans lequel il s’est dit d’avis que l’attente d’une recommandation de la

19
J. N. Moore et al., United Nations Convention the Law of the Sea 1982: A Commentary, vol.II, 1993,
p. 883, par. 76.18 m). - 29 -

Commission des limites du plateau continental ne l’empêchait pas de procéder à la délimitation ni

ne rendait son action inopportune.

65. Quant à l’argument voulant que les droits du Nicaragua sur le plateau continental au-delà

de la limite de 200milles marin soient, parce qu’ils découlent d’un traité, inopposables à la

20
Colombie , la réponse est que ces droits résultent au tomatiquement du prolongement naturel de

son territoire. Or ce fondement des droits sur le plateau continental a été reconnu en tant que règle

du droit international coutumier par la Cour en 1969 dans les affaires du Plateau continental de la

34 mer du Nord , et il suffit à étayer la demande du Nicaragua en l’espèce. En réalité, s’il est un

élément de la définition du plateau continental énoncée à l’article76 qui puisse être considéré

comme une innovation conventionnelle dépassant le cadre du droit international coutumier, c’est

bien l’idée que tout Etat peut, de plein droit et indépendamment des caractéristiques géologiques ou

géomorphologiques de son prolongement naturel, prét endre à des droits sur le plateau continental

jusqu’à la limite de 200 milles marins.

L’argument fondé sur la ZEE de la Colombie

66. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, je crois avoir démontré qu’il

peut y avoir chevauchement des droits sur le plateau continental découlant, d’une part, du

prolongement naturel et, d’autre part, du critère de la distance. Les uns sont opposables aux autres

et la zone de chevauchement doit être départagée. Tel est le cas en la présente espèce.

67. Il est inexact de dire que les droits sur le plateau continental découlant de l’application du

critère des 200milles marins l’emportent sur ceux qui résultent du prolongement naturel du

territoire. Bien entendu, il peut arriver que, en vue d’un résultat équitable, il soit nécessaire de faire

correspondre à la limite de 200 milles marins tout ou partie de la frontière, l’Etat côtier ayant dès

lors droit à toute l’étendue du plateau continen tal se trouvant en deçà de cette limite. Mais

l’application de cette méthode de délimitation du plateau continental n’emporte pas extinction des

droits de l’autre Etat sur la marge continenta le. Elle ne se justifie que par la nécessité, dans les

circonstances de l’affaire, d’arriver à un résultat équitable.

20
DC, par. 4.38. - 30 -

68. Je me permets de rappeler que la première partie de la dé finition du plateau continental

figurant au paragraphe 1 de l’artic le 76 confirme que le prolongeme nt naturel du territoire terrestre

de l’Etat côtier fait partie du plateau continenta l de ce dernier sur toute son étendue «jusqu’au

rebord externe de la marge continentale». Cette di sposition visait à protéger les droits et intérêts

des Etats dont le prolongement naturel est très étendu.

69. C’est la seconde partie de la définition é noncée au paragraphe 1 de l’article 76 ainsi que

l’existence de la ZEE qui, dans le cadre de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de

la mer, sont venues protéger les intérêts des Et ats dont le plateau continental est limité, par la

fixation de la limite de 200 milles marins.

35 [Onglet 54 : Droits souverains sur la ZEE/le plateau continental.]

70. Les critères du «prolongement naturel» et des «200milles marins» sont deux façons

différentes de déterminer l’étendue du plateau contin ental relevant de l’Etat côtier et chacun peut,

selon le cas, fonder les droits de celui-ci. Le para graphe1 de l’article56 et le paragraphe1 de

l’article77 sont ainsi en concurrence en tant que sources de droits sur les fonds marins et leur

sous-sol.

71. Mais à quoi cela nous mène-t-il? Rien n’indique —ne sera it-ce qu’implicitement—

que, en cas de chevauchement, la revendication de droits sur le plateau continental fondée sur les

200 milles marins doit l’emporter sur celle qui est fondée sur le prolongement naturel.

72. Comme je l’ai expliqué, ni les dispositions de la CNUDM ni les règles du droit

international coutumier ne permettent de distinguer entre un plateau continental de «premier ordre»

qui se trouverait en deçà des 200milles marin et un plateau continental de «second ordre»

s’étendant au-delà de cette limite; le TIDM a d’a illeurs explicitement rejeté toute distinction de

cette nature21. L’argument de la Colombie est tout simp lement dénué de fondement. Ce n’est que

pure conjecture, comme si la Colombie prenait ses désirs pour des réalités.

[Onglet 55 : chevauchement de droits sur le plateau continental.]

73. En l’occurrence, le chev auchement des droits sur le plateau continental exige une

délimitation permettant d’aboutir à un résultat équitable. C’est ce que montre l’onglet 55.

21
Bangladesh/Myanmar, par. 361. - 31 -

[Onglet 56 : chevauchement de droits sur le plateau continental.]

74. Dans notre réplique, nous avons indiqué une façon de parvenir à une solution que nous

considérons comme équitable : la fixation d’une ligne de délimitation opérant une division par parts

égales des zones de chevauchemen t des marges continentales réelles du Nicaragua et de la

Colombie. C’est ce que montre l’onglet 56.

[Onglet 57 : chevauchement de droits sur le plateau continental.]

75. Il serait aussi possible de tracer, pour dé partager le plateau continental, une ligne

médiane entre la limite extérieure de la marg e continentale du Nicaragua et celle du plateau

continental et de la ZEE auxquels la Colombie a droit par application du critère des 200milles

marins. Mais, comme le montre le croquis se tro uvant à l’onglet57, la ligne de délimitation en

résultant reste essentiellement la même.

36 76. Mais quelle que soit la méthode adoptée, l’essentiel est qu’il soit procédé à la

délimitation de manière équitable, de façon à ne pas laisser les droits fondés sur l’une des deux

branches de l’article76 avoir pour effet d’anéan tir automatiquement ceux qui découleraient de

l’autre, ce qui serait à la fois inéquitable et insoutenable en droit.

La Colombie n’a pas contesté les moyens du Nicaragua

77. Monsieur le président, j’en arrive au terme de mon exposé et soulignerai deux

conclusions. En premier lieu, la Colombie serait ma lvenue de contester le principe fondamental de

dévolution de plein droit du plateau continental à l’Etat côtier et, du reste, elle n’en a rien fait. Les

arguments qu’elle a tenté de tirer de la structure de la convention de 1982 et des procédures qu’elle

établit —d’une part, les droits que détient la Colomb ie sur la zone située en deçà de la limite de

200milles marins emporteraient en quelque sorte extinction de ceux du Nicaragua sur le plateau

continental et, d’autre part, l’ex istence de droits sur le platea u continental serait subordonnée à

l’obtention d’une recommandation de la Commis sion des limites du plateau continental— sont

tout simplement dépourvus de fondement (et ce, indépendamment du fait que la convention est,

pour les Etats qui, comme elle, n’y sont pas parties, res inter alios acta). - 32 -

78. Le principe fondamental de dévolution de plein droit du plateau continental à l’Etat

côtier reste incontesté depuis que la Cour l’a énoncé il y a quarante ans dans les affaires du Plateau

continental de la mer du Nord.

79. En second lieu, il y a lieu de souligner que , en dépit des critiques qu’elle a formulées a

propos de la valeur technique des informations que le Nicaragua a soumises à titre préliminaire au

Secrétaire général de l’Organisation des Nations Un ies, la Colombie n’a jamais véritablement mis

en doute sa délimitation du plateau continental ou même laissé entendre qu’elle était inexacte. Aux

paragraphes 4.48 à 4.59 —sous la rubrique «Le Ni caragua n’a pas prouvé les limites de la marge

de son propre plateau continental, et la limite extéri eure de la marge de la Colombie depuis sa côte

continentale est dénuée de pertinence»—, el le s’en prend aux méthodes employées par le

Nicaragua, mais se garde bien de critiquer ses c onclusions, force lui étant de reconnaître que la

marge continentale du Nicaragua se trouve bien là où le dit ce dernier, et comme le montrent toutes

les cartes océanographiques publiées.

37 80. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé.

Sauf si je puis vous être utile de quelque autre faç on, je vous invite maintenant à appeler à la barre

mon collègue, M. Oude Elferink, à moins que vous n’estimiez que l’heure est venue de prendre une

pause-café.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur. Vous avez raison : le moment est bien choisi pour une

pause-café. L’audience est suspendue pour quinze minutes.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 35.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audien ce est reprise. J’invite M. Oude Elferink

à s’adresser à la Cour. Vous avez la parole, Monsieur.

M. OUDE ELFERINK :

LES ÎLES ,CAYES ET BANCS SITUÉS DANS LA ZONE MARITIME PERTINENTE

1. Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs

de la Cour, mon exposé d’aujourd’hui portera pr incipalement sur deux questions. Je commencerai - 33 -

par vous décrire les îles et cayes se trouvant dans la zone maritime pertinente avant de vous parler

du banc de Quitasueño. Je montrerai que, contrair ement à ce que la Colombie prétend, il n’y a pas

d’îles sur ce banc qui est totalement immergé. Entre ces deux grandes questions, je formulerai de

brèves observations sur les chiffres parfois trompe urs qui apparaissent dans les écritures de la

Colombie.

Les îles et cayes situées dans la zone maritime pertinente

2. Monsieur le président, je voudrais examiner plus en détail les arguments formulés par la

Colombie au sujet des îles et cayes qu’elle revendiqu e et de celles qui longent la côte continentale

du Nicaragua.

3. Je commencerai par ce dernier cas. Dans sa duplique, la Colombie soutient que le

Nicaragua a adopté une position incohérente au sujet des ses propres îles dans sa revendication

d’un plateau continental 22. Il n’en est rien. Comme MM.Cleverly et Lowe l’ont déjà démontré

38 lors de ce premier tour de plaidoiries, le droit du Nicaragua à un plateau continental ne repose pas

sur la distance à partir de la côte, mais sur l’emplacement du rebord externe de sa marge

continentale. Cette marge s’étend à partir de sa cô te continentale et des îles frangeantes. Dans ce

sens, tant la côte continentale que les îles frangeantes sont prises en considération.

4. Comme je l’ai dit lundi, deux groupes d’îl es bordent la côte continentale du Nicaragua,

comme on peut le voir à présent à l’écran 23. Au nord, ce sont les cayes des Miskitos, qui entourent

la principale île du groupe, la caye de Miskito. Pl us au sud, un chapelet similaire de petites îles

bordant la côte continentale du Nicaragua se trouve da ns la zone s’étendant entre le Rio Grande et

PuntadePerlas. Il s’agit des cayes Perlas et des cayes ManofWar. Celles-ci sont situées entre

3et 25kilomètres de la côte continentale du Nicara gua. Plus au large, on trouve la grande et la

petite île du Maïs.

5. Dans sa réplique, le Nica ragua explique pourquoi les îles qui longent sa côte sont des îles

frangeantes et affirme que celles-ci font partie in tégrante de sa côte continentale. Il cite la

jurisprudence pertinente à cet égard 2. Dans sa duplique, la Colombie ne tient pas compte de cette

22DC, p. 189-190, par. 5.52-5.53.
23
Figure AOE2-1, onglet 58 du dossier des juges.
24RN, p. 110-114, par. 4.15-4.24. - 34 -

jurisprudence et se borne à indiquer que les îles du Maïs se trouvent à 26 milles marins de la côte

continentale et que la mer territoriale des îles et la côte continentale du Nicaragua ne se

25
chevauchent pas . Elle omet de mentionner qu’il existe de nombreuses cayes de petite taille entre

le continent et les îles du Maïs et qu’en conséquence, la mer territoriale du premier et celle des

secondes la rejoignent et se chevauchent, comme l’indique la figure qui apparaît à l’écran 26. Ce fait

27
a également été mentionné dans la réplique .

6. Pour des raisons évidentes, la duplique ne mentionne pas la distance entre les cayes des

Miskitos et la côte continentale du Nicaragua. Ce groupe compact se trouve à moins de dix milles

marins de la côte continentale du Nicaragua. Ce qui est bien précisé dans la duplique, c’est

qu’aucune statistique n’est fournie quant à la population des cayes des Miskitos et que la

28
population des îles du Maïs est infime co mparée avec celle des îles colombiennes . Comme le

39 Nicaragua l’a expliqué dans sa réplique, les cayes des Miskitos constituent une réserve naturelle et

29
selon une estimation de 2009, les îles du Maïs comptent quelque 7400 habitants . Bien entendu, la

Colombie omet de dire que le nombre d’habitants d’ une île ne joue aucun rôle dans la question de

savoir si celle-ci est une île frangeante, comme le montre clairement la jurisprudence invoquée

dans la réplique.

7. La Colombie n’a même pas l’ombre d’une preuve que les îles nicaraguayennes ne sont pas

des îles frangeantes. Ces îles doivent donc être considérées comme faisant partie de la côte

continentale du Nicaragua qui reste pertinente aux fins de la délimitation, soit avec les îles

frangeantes, soit isolément, si la Cour devait conclure que les îles ne sont pas frangeantes.

8. Monsieur le président, je voudrais à présen t évoquer brièvement les îles revendiquées par

la Colombie qui se trouvent dans la zone de délimitation pertinente. Dans sa réplique, le Nicaragua

s’élève contre le fait que la Colombie cherche par divers moyens à exagérer artificiellement

l’importance de l’archipel de San Andrés et Providencia 30. Si elle insiste moins sur ce point dans

25DC, p. 190-191, par. 5.55.

26Figure AOE2-2, onglet 59 du dossier des juges.
27
RN, p. 112, par. 4.17.
28
DC, p. 191, par. 5.56.
29RN, p. 111, par. 4.17.

30Ibid., p. 105-110, par. 4.6-4.16. - 35 -

sa duplique, elle essaie encore de faire croire que l’ archipel est un groupe compact d’îles et parle,

par exemple, de «chapelet d’îles» 31. La Colombie consacre encore toute une section à chacune des

formations qu’elle estime appartenir à l’archipel de San Andrés 32.

9. A première vue, la duplique peut donner l’impression de fournir un aperçu détaillé et

richement illustré de l’archipel de SanAndrés et des autres îles revendiquées par la Colombie.

Mais à y regarder de plus près, elle présente clairement un caractère superficiel qui ne peut

qu’inquiéter. Tout d’abord, le Nicaragua relève dans sa réplique que le contre-mémoire de la

Colombie ne fournit pas de chiffre sur la taille de chacune des cayes. Il y donne des indications

quant à la taille des cayes sur la base de données relevant du domaine public. La Colombie ayant

malheureusement pour politique d’exclure le Nicara gua de la zone en litige, comme notre agent

vous l’a expliqué lundi, le Nicaragua n’a pas été en mesure de confirmer la taille de ces cayes par

33
un examen sur place . Dans sa duplique, la Colombie reproche également au Nicaragua de ne pas

40 prendre en considération toutes les formations maritimes concernées 34. Ce qui est inexact. Le

Nicaragua conclut dans sa réplique, en se fonda nt sur les données disponibles, que toutes les cayes

35
sont de taille insignifiante , en particulier, que la caye de Ba joNuevo ne dépasse pas 100mètres

de long et que la côte de la caye Serranilla, la pl us grande caye du banc de Serranilla, qui fait face

36
au Nicaragua, mesure quelque 400mètres . Il conclut également que les données relatives à ces

cayes et à d‘autres qui proviennent de cartes marines indiquent que celles faisant face à la côte

continentale du Nicaragua ne mesurent pas plus de 0,9kilomètre de long 37. La Colombie ayant

critiqué les informations données par le Nicaragua dans sa réplique, comment ne pas s’étonner

qu’elle n’ait pas fourni de chiffres exacts sur la taille des cayes dans la duplique ?

10. La Colombie est tout aussi superficie lle dans sa duplique lors qu’elle reproche au

Nicaragua de ne pas avoir apporté la preuve que les cayes situées sur les bancs d’Albuquerque, de

31DC, p. 164, par. 5.12.

32Ibid., p. 168-184, chap. 5 A) 2).
33
RN, p. 108-110, par. 4.12-4.14.
34
DC, p. 171, par. 5.26.
35RN, p. 108-110, par. 4.12-4.14, particulièrement p. 110, par. 4.14.

36Ibid., p. 108-109, par. 4.12-4.13.

37Ibid., p. 110, par. 4.14. - 36 -

l’Est-Sud-Est, de Roncador, de Serrana, de Serranilla et de Bajo Nuevo sont des rochers au sens du

paragraphe3 de l’article121 de la convention des NationsUnies sur le droit de la mer. Elle se

borne à énumérer certaines des activités qui y ont été menées sans vraiment se demander si l’on

peut en conclure que ces cayes n’entrent pas dans le champ de la définition d’un rocher en vertu du

paragraphe3 de l’article121 de la convention de1982. Ainsi, pour ce qui est de la caye de

Serrana, on peut lire dans la réplique qu’«il su ffit de regarder la photographie [reproduite] pour

38
comprendre que Serrana ne saura it être qualifiée de «rocher»» . Regardons donc cette photo de

39
plus prés . Elle est en réalité assez floue et ne permet pas de déterminer la taille de la caye ou tout

autre élément. De toute évidence, cette photo ne permet pas non plus d’établir si cette caye peut

être habitée par l’homme ou se prête à une vie éc onomique propre. En vertu du paragraphe3 de

l’article 121 de la convention sur le droit de la mer, une île qui ne satisfait pas à au moins un de ces

critères n’a pas de zone économique exclusive ou de plateau continental.

41 11. D’autres photos des différentes cayes sont t out aussi dénuées d’intérêt. Par exemple,

40 41
nous avons à l’écran une photo de la caye de BajoNuevo qui est reproduite dans la duplique .

La partie visible de la caye mesure probablem ent quelques dizaines de mètres de longueur, et

peut-être moins de 10 mètres en largeur. Cela ne prouve certainement pas que Bajo Nuevo puisse

être habitée par l’homme ou se prête à une vie économique propre.

12. Alors, que dire en réalité de la capacité de ces cayes d’être habitées ou de se prêter à une

vie économique propre ? Tout d’abord, les données fi gurant dans la duplique ne permettent pas de

conclure que les cayes se prêtent à l’implantation humaine. Elles indiquent que certaines de ces

formations sont visitées par des touristes, ser vent d’abri à des pêcheurs ou accueillent des

42
détachements de la marine colombienne . Rien ne permet d’en conclure que les cayes peuvent

être habitées par l’homme. Il y a fort à parier que les touristes et les pêcheurs apportent de quoi se

nourrir et que les détachements de la marine co lombienne viennent à tour de rôle et sont

approvisionnés par les bases colombiennes implantées plus loin.

38DC, p. 173, par. 5.29.

39Figure AOE2-3, onglet 60 du dossier des juges.
40
Figure AOE2-4, onglet 61 du dossier des juges.
41DC, p. 176, figure R-5. 1c.

42Ibid., p. 171-177, par. 5.27-5.34. - 37 -

13. La duplique ne démontre pas non plus que les cayes se prêtent à une vie économique

propre. Dans le seul cas de Serrana, la Colombie indique que les cayes situées sur ce banc ont une

importance économique historique parce qu’on y trouvait du guano 43. Cela ne prouve toutefois pas

que ces formations avaient leur propre vie économi que. Nous ne savons rien sur les quantités de

guano exportées des cayes deSerrana, non plus que sur la cessation de cette activité il y a

longtemps. Il est fort possible qu’elle n’ait ja mais été économiquement viable, autrement dit que

les cayes de Serrana n’aient pu se prêter à une activité économique propre. Les autres activités

mentionnées dans la duplique ⎯la visite de touristes, le fa it que les cayes servent d’abri aux

pêcheurs, et la présence de détachements de la marine ⎯, ne prouvent pas non plus qu’elle puissent

avoir une vie économique propre. A l’évidence, les activités militaires ne sont pas des activités

économiques. Les pêcheurs se liv rent à des activités économiques en mer et non sur les cayes, et

42 les visites occasionnelles de touristes sur certaines des cayes ne prouvent pas non plus qu’elles

peuvent avoir une vie économique propre.

14. Sur la base des éléments de preuve disponibles, il est clair que les cayes considérées ne

se prêtent ni à l’implantation humaine, ni à une vie économique propre. Elles n’ont donc pas de

plateau continental ou de zone économique exclus ive. Une conclusion différente de la Cour

n’aiderait pas pour autant la Colombie. Comme va le montrer mon éminent collègue, Alain Pellet,

dans ce cas, les cayes devraient également être enclavées dans une mer territoriale limitée pour que

la délimitation entre le Nicaragua et la Colombie soit équitable.

Les cartes marines de la Colombie et les figures présentées dans ses pièces de procédure

15. Monsieur le président, j’en viens maintenant au deuxième volet de ma plaidoirie

d’aujourd’hui, qui porte sur les figures utilisées dans les pièces de la Colombie. Dans la réplique,

le Nicaragua a examiné plusieurs de celles qui ont été présentées dans le contre-mémoire, et les a

44
confrontées aux cartes marines de la Colombie elle-même . Comme les paragraphes pertinents

l’indiquent, le Nicaragua a fait valoir que les figures utilisées par la Colombie dans son

contre-mémoire pour décrire les cayes qu’elle re vendique ne cadrent pas avec les informations

43
DC, p. 173, par. 5.29.
44
RN, p. 105-109, par. 4.6-4.13. - 38 -

contenues sur ses propres cartes marines. Dans la duplique, la Colombie présente le problème à

l’envers et déclare que le Nicaragua «tente de critiquer [s]es cartes marines concernant certaines de

45
ces îles» .

16. Monsieur le président, on chercherait en vain la moindre critique des cartes marines

colombiennes dans la réplique nicaraguayenne. Pourtant, dans la duplique, un appendice de

46
troispages est consacré à ce faux problème . Ledit appendice est une nouvelle illustration de la

manière dont la Colombie manipule les faits et les figures. A la première page, il est question des

cartes marines colombiennes représentant le banc de Quitasueño. Comme le Nicaragua l’a signalé

dans sa réplique, aucune des cartes marines pertinentes de la Colombie ne fait état d’îles sur ce

banc 47. Le Nicaragua ajoutait que, «[n]onobstant l’existence de ces preuves concluantes du

48
43 contraire, le contre-mémoire soutient qu’il a toujours existé une caye sur le banc de Quitasueño» .

Or, cet argument de la réplique est complètement déformé à l’appendice2, où il est reproché au

Nicaragua de laisser entendre que «les form ations insulaires non encore cartographiées

n’existeraient pas» 49. Comme on le verra, le Nicaragua n’a rien dit de tel dans sa réplique. Ce

qu’il a dit —et que nous maintenons—, c’est que le banc de Quitasueño a régulièrement fait

l’objet de levés par le passé et que, selon les cart es marines établies à partir de ces levés, ce banc

est entièrement submergé.

17. A l’appendice2 de la duplique, le Ni caragua est également critiqué pour ce qu’il a

déclaré au sujet de deux récifs du banc de Bajo Nuevo qui sont présentés comme découvrants sur la

figure2.10 du contre-mémoire. Dans sa réplique, il avait là encore signalé que la carte marine

colombienne de Bajo Nuevo ne montrait pas de réci f découvrant ; en clair, elle ne montrait aucun

haut-fond découvrant 50. A l’appendice2, la Colombie tente d’expliquer la contradiction entre la

figure2.10 et sa carte marine en indiquant qu’à la place du symbole des «brisants» utilisé sur la

carte, elle aurait aussi bien pu utiliser la couleur verte qui sert à désigner les récifs ou hauts-fonds

45DC, p. 177, par. 5.34.

46Ibid., vol. II, appendice 2.
47
RN, p. 119, par. 4.32.
48
Ibid., par. 4.33.
49DC, vol. II, appendice 2, p. 67.

50RN, p. 107, par. 4.10. - 39 -

51
découvrants . Comme je l’expliquerai dans un instant, les cartographes n’ont pas pour usage

d’utiliser ces symboles de manière interchangeab le. L’appendice2 brouille les pistes encore

davantage en indiquant que l’analyse d’une image satellite Landsat démontre que les récifs peuvent

être décrits comme des hauts-f onds découvrants. Voici à l’écran 52la comparaison qui est faite à

l’appendice2 entre la partie pe rtinente de la carte marine co lombienne —à gauche, l’image

satellite — au centre — et la figure 2.10 du contre-mémoire 53. La carte indique que toute la zone

54
récifale est immergée en perm anence. L’image sat ellite, dont vous voyez un agrandissement ,

pourrait donner l’impression que cette zone est émergée puisqu’elle se distingue des eaux

environnantes. Mais il n’en est rien. Cette imag e a été traitée de façon à faire apparaître les

55
44 hauts-fonds sous-marins en bleu clair. Or, comme vous pouvez le voir maintenant à l’écran , si la

même image est traitée en utilisant les bandes ro uges et infrarouges, qui ne pénètrent pas dans

l’eau, on ne discerne plus rien si ce n’est quelques nuages épars et une ligne à peine visible

indiquant la présence de brisants. En d’autres termes, contrairement à ce que la Colombie affirme,

l’image satellite ne révèle pas la présence de deux vastes formations découvrantes sur Bajo Nuevo,

tant s’en faut: elle confirme que la carte ma rine colombienne est correcte et la figure2.10 du

contre-mémoire, erronée.

18. Pour conclure sur ce point, permettez-mo i de souligner une nouvelle fois que, selon le

Nicaragua, les cartes marines colombiennes qui ont été établies avant l’introduction de la présente

instance donnent des indications importantes sur les cayes en question et sur le banc de Quitasueño.

Elles montrent que les figures spécialement préparées par la Colombie aux fins de la présente

affaire peuvent se révéler trompeuses, voire tout simplement inexactes.

Le banc de Quitasueño

19. Monsieur le président, je voudrais enfi n m’arrêter sur l’argument selon lequel la

Colombie aurait souveraineté sur plusieurs format ions situées sur le banc de Quitasueño. La

51 DC, vol. II, appendice 2, p. 68.

52 Figure AOE2-5, onglet 62 du dossier des juges.
53
DC, vol. II, appendice 2, p. 69.
54 Figure AOE2-6, onglet 63 du dossier des juges.

55 Figure AOE2-7, onglet 64 du dossier des juges. - 40 -

Colombie affirme que ce banc compte au moins cinquante-quatre formations qui sont susceptibles

d’engendrer toute une série de zones maritimes 56. Comme je l’exposerai dans la suite de ma

présentation, le rapport de 2009 de M. Robert Smith, sur lequel la Colombie s’appuie pour parvenir

57 58
à cette conclusion , ainsi qu’un précédent rapport de2008 —tous deux établis aux fins de la

présente instance— sont foncièrement viciés pour plusieurs raisons et, de ce fait, ne peuvent

fonder les prétentions colombiennes. Toutefois, même si la Cour estimait nécessaire de les prendre

en considération, ils ne prouveraient pas que la Colombie détient un titre sur une quelconque

formation située sur Quitasueño. La Colombie n’a nullement prouvé que les formations en

question étaient émergées avant qu’elle procède à ses levés en 2008 et en 2009, soit près de dix ans

après que le Nicaragua eut déposé sa requête introd uisant la présente instance. Au contraire, les

cartes marines de la Colombie elle-même et un rapport colombien de1937 relatif à un levé sur

45 Quitasueño attestent qu’il n’a jamais existé d’île sur ce banc. Du reste, comme je vais également

l’exposer, à supposer que l’une des formations de Quitasueño émerge maintenant en permanence,

elle ne constituerait pas une île pour autant au sen s juridique. Mais avant d’en venir aux rapports

colombiens de 2008 et de 2009, je tiens à m’arrê ter sur un certain nombre d’autres arguments qui

ont été formulés dans la duplique à propos de Quit asueño. La Colombie prétend tout d’abord que,

par le passé, le Nicaragua a reconnu la présence d’îles sur Quitasueño 59. C’est faux. Elle affirme

ensuite que le Nicaragua et d’autres Etats ont cons enti à ce qu’elle réglemente les activités dans le

secteur de ce banc 60, ce qui revient à revendiquer des eaux historiques. Je vais démontrer que la

Colombie n’a pas apporté la preuve que les ea ux du banc de Quitasueño ont le statut d’eaux

historiques.

56
Voir, par exemple, DC, p. 168, par. 5.24, p. 177, par. 5.35 et p. 219, par. 6.44.
57
Rapport d’expertise de M.RobertSmith, «Car tographie des îles de Quitasueño (Colombie) ⎯leurs lignes de
base, mer territoriale et zone contiguë», février 2010 (dénommé ci-après le «rapport Smith») ; DC, vol. II, appendice 1.
58 Etude sur Quitasueño et Alburquerque réalisée par la marine colombienne en septembre 2008 (CMC, vol. II-A,

annexe 171).
59 DC, p. 84-85, par. 3.3-3.4.

60 Ibid., p. 83-84, par. 3.1. - 41 -

L’argument de la Colombie selon lequel le Nicaragua a reconnu la présence d’îles sur le banc
de Quitasueño est dépourvu de fondement

20. Posons-nous tout d’abord la question de sa voir si, dans le passé, le Nicaragua a reconnu

qu’il existait des îles sur le banc de Quitasueño. D’ après la duplique, le traité conclu en 1928 entre

61
le Nicaragua et la Colombie constitue le pr emier témoignage d’une telle reconnaissance .

Pourtant, ce traité de1928 se borne à stipuler qu ’il «ne s’applique pas aux récifs de Roncador,

Quitasueño et Serrana, dont la possession fait actuelle ment l’objet d’un litige entre la Colombie et

les Etats-Unis d’Amérique». Rien n’y est dit au sujet des vues du Nicaragua quant au statut de ces

formations. La Colombie omet en outre de pr éciser que, lors d’un échange de notes entre les

Etats-Unis et elle au sujet de la conclusion du tr aité de1928, les Etats-Unis se sont référés aux

62
«bancs de Serrana, de Quitasueño et à la caye de Roncador» . Partant, le «litige» mentionné dans

le traité de 1928 concernait également la question de savoir s’il existait en fait la moindre caye sur

Quitasueño et Serrana. Ce traité ne constitue pas, de la part du Nicaragua, une reconnaissance de

l’existence d’une île sur le banc de Quitasueño.

46 21. La Colombie ajoute dans sa duplique que, à en juger par une déclaration solennelle faite

par son Congrès en1972, le Nicaragua estimait comme elle qu’il existait sur Quitasueño des

formations dont la souveraineté pouva it être revendiquée. La Colombie a-t-elle seulement pris la

peine de lire le texte de cette déclaration so lennelle? Celle-ci fait référence aux «bancs de

63
Quitasueño, Roncador et Serrana» . Il n’est pas fait mention d’îles sur ces bancs. D’ailleurs, le

titre et le texte l’indiquent clairement, cette décl aration de souveraineté a été faite parce que les

bancs sont situés sur le plateau continental du Nicaragua. Faire valoir sa souveraineté en se

référant au plateau continental et aux zones de 200milles marins est conforme à la législation

nicaraguayenne 64et à la pratique d’autres Etats latino-américains . 65

61DC, p. 18, par. 1.20.

62Note du secrétaire d’Etat des Etats-Unis en date du 10 avril 1928 (CMC, annexe 2).

63Le texte de cette déclaration solennelle est reproduit à l’annexe 81 du mémoire du Nicaragua.
64 o
Voir, par exemple, loi n °205 du 20novembre1979 relative au plateau continental et à la mer adjacente,
article premier (MN, annexe 66).
65 o er
Voir, par exemple, décret présidentiel n781 du 1 août1947 concernant le plateau continental ou insulaire
submergé (dont le texte anglais est disponible à l’adresse suivan te : http://www.un.org/Depts/los/
LEGISLATIONANDTREATIES/PDFFILES/PER_1947_Decree.pdf). - 42 -

22. La Colombie n’est guère plus conscienci euse dans sa duplique lorsqu’elle renvoie à la

pratique diplomatique nicaraguayenne. Un mémorandum nicaraguayen au département d’Etat qui

66
est évoqué dans la duplique traduit exactement la même approche que la déclaration solennelle du

Congrès nicaraguayen dont je viens de faire mention. Il y est dit que «[l]e Nicaragua considère que

les bancs situés dans cette région font partie de s on plateau continental, et de ce fait sont soumis à

sa souveraineté» 67. Quitasueño fait partie des bancs visés.

23. En conclusion, la pratique du Nicara gua montre exactement l’inverse de ce que la

Colombie soutient dans la duplique. Le Nicaragua a fait savoir de manière parfaitement claire que,

pour lui, Quitasueño est un banc submergé en permanence qui fait partie de ses zones maritimes.

La Colombie ne possède pas de titre historique sur les eaux de Quitasueño

24. Dans la duplique, la Colombie affirme que Quitasueño «n’a[] pas été traitée comme

faisant tout simplement partie de la haute mer» 68, sous-entendant ainsi que le banc serait soumis à

47 un régime d’eaux historiques. En fait, la Colomb ie prétend dans ce contex te qu’elle a règlementé

la pêche à Quitasueño avec la reconnaissance expr esse, ou du moins avec le consentement d’autres

69
Etats .

25. Pour qu’un titre historique existe, il faut, d’une part, que l’Etat qui le revendique ait

exercé de façon continue sa souveraineté sur le te rritoire considéré et, d’au tre part, que d’autres

Etats y aient acquiescé. Au paragraphe 3.1 de la duplique, la Colombie soutient qu’elle règlemente

la pêche aux alentours de Quitasueño depuis le milieu du XIX e siècle et que d’autres Etats y ont

consenti. Ce n’est pourtant pas ce qui ressort des faits dont nous avons connaissance. Une note

diplomatique en date du 7juillet1926 adressée au représentant de la Colombie à Londres par le

70
ministre britannique des affaires étrangères évoquait plusieurs incidents de pêche ayant eu lieu à

Quitasueño et impliquant des pêcheurs des îl es Caïmanes. Nous pouvons en tirer un certain

nombre de conclusions. D’abord que, en1926, so it 75ans après que la Colombie eut, selon ses

66DC, p. 85, par. 3.4.
67
MN, annexe 31 ; pour d’autres exemples illustrant la pratique diplomatique du Nicaragua, voir MN, annexes 34
et 35.
68
DC, p. 40, par. 3.1.
69Ibid.

70CMC, annexe 47. - 43 -

dires, commencé de réglementer la pêche à Quit asueño, des habitants des îles Caïmanes exerçaient

toujours cette activité dans la zone, sans son auto risation. Ensuite, que le Royaume-Uni a contesté

à la Colombie le droit de réglementer la pêche puisque, dans sa note, il a nié l’existence d’îles à

Quitasueño ouvrant droit à une mer territoriale. Rien ne laisse penser que la Colombie ait fait

valoir un droit de réglementer les activités de pêche en s’appuyant sur la revendication d’un régime

d’eaux historiques. Il n’est pas non plus fait mention d’une telle revendication dans la

correspondance diplomatique que le Nicaragua et la Colombie ont entretenue dans les années 1960,

après que le Nicaragua eut, en 1966, octroyé une concession pour l’exploration pétrolière et gazière

sur son plateau continental dans la région de Quitasueño 71.

26. Dans sa duplique, la Colombie prétend également qu’elle assure depuis longtemps la

72
gestion et le fonctionnement de deux phares, sans que le Nicaragua ait jamais protesté . Tout

d’abord, il convient bien entendu de préciser que le s installations et structures artificielles, telles

que les phares qui sont mentionnés dans la dupliq ue, ne constituent pas un territoire et qu’ils

n’emportent donc aucun droit à une mer territori ale ou à une quelconque autre zone maritime pour

l’Etat côtier. De surcroît, l’exposé des faits prés enté dans la duplique est totalement erroné. A

l’époque où a été conclu le traité de1972 entre la Colombie et les Etats- Unis d’Amérique relatif

aux statuts de Quitasueño, de Roncador et de Serrana 73, il y avait un phare à l’extrémité

74
48 septentrionale du banc de Quitasueño, qui avait été construit et était géré par les Etats-Unis . Ces

derniers n’ont jamais prétendu qu e le phare ouvrait droit à une zone maritime. Ce phare a été

transféré à la Colombie dans le cadre du tra ité de1972, qui n’est entré en vigueur que le

17septembre1981. Un différend relatif au plat eau continental dans la zone de Quitasueño

opposait le Nicaragua et la Colombie depuis la seconde moitié des années1960 75. Dans son

mémoire, le Nicaragua a expliqué de façon détaillée qu’il avait, à plusieurs reprises, protesté contre

71
Voir MN, vol. II, annexes 28-30.
72
DC, p. 41, par. 3.5.
73Traité entre la Colombie et les Etats-Unis d’Amérique relatif aux statuts de Quitasueño, de Roncador et de
Serrana (avec échange de notes), signé à Bogotá le 8 septembre 1972 (CMC, vol. II-A, annexe 3).

74Voir note n 693, en date du 8septembre1972, adressée au ministre colombien des affaires étrangères par
l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique (CMC, vol. II-A, annexe 3, p. 8-9).

75Voir MN, vol. I, par. 2.203-2.205 et vol. II, annexes 28 et 29. - 44 -

76
la négociation, la conclusion et la ratification du traité de1972 . Il est inutile d’y revenir, mais

j’aimerais juste évoquer un épisode dont il est fait me ntion dans ce mémoire. Lorsque le ministère

nicaraguayen des affaires étrangères a eu connais sance des négociations relatives au traité, il a

adressé au département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique un mémorandum en date du 23 juin 1971

dans lequel il réservait les droits du Nicaragua sur le plateau continental 77. En d’autres termes, le

Nicaragua a réaffirmé ses droits avant même le transfert du phare à la Colombie. L’autre phare de

Quitasueño n’a été construit par cette dernière qu’en2006 78, soit cinq ans après que le Nicaragua

eut déposé sa requête dans la présente affaire.

Des levés plus anciens ne montrent aucune île sur le banc de Quitasueño

27. Dans sa réplique, le Nicaragua a évoqué deux levés du banc de Quitasueño, effectués

respectivement par le Royaume-Uni dans les années 1830 et par la Colombie en 1937. Tous deux

79
indiquent qu’il n’y avait pas d’île sur le banc de Quitasueño . Rien n’est dit à ce sujet dans la

duplique. Il y est seulement question d’une lettre adressée en 1926 au représentant de la Colombie

à Londres par le ministre britannique des affaires étrangères, laquelle prouverait qu’«il n’est pas

exact que les levés effectués par le passé ne montraient pas la présence de formations découvertes à

80
marée haute» , après quoi la Colombie laisse entendre qu’il est effectivement fait référence à de

telles formations dans cette lettre. Or l’exam en du document permet de constater qu’il n’en est

49 rien. C’est une invention de la Colombie. Cette lettre, qu’aucune autre information ne corrobore,

n’apporte pas la preuve que les deux levés détaill és mentionnés par le Nicaragua dans sa réplique

seraient inexacts. Les rapports établis à l’issue de ces levés indiquent qu’aucune île n’a été trouvée

sur le banc de Quitasueño. Etant donné que la Colombie n’a pas évoqué ces rapports dans sa

duplique, j’aimerais vous rappeler la teneur de celui qui a été établi à l’issue du levé qu
’elle a

effectué en 1937. Il y est tout d’abord précisé que, je cite : «[l]a caye de Quitasueño n’existe pas.

Il s’agit tout au plus d’un haut-fond, qui est très dangereux pour la navigation», puis, à propos du

76 MN, par. 2.157-2.178.
77
Ibid., par. 2.158.
78
CMC, par. 2.29.
79 Voir RN, vol. I, par. 4.27-4.33.

80 DC, vol. I, p. 95, par. 3.19. - 45 -

phare construit par les Etats-Unis, et je cite de nouveau: «[à] l’extrémité nord du récif de ce

haut-fond de grande dimension, au-dessus du ro cher, se trouvent les fondations artificielles en

béton armé [du phare construit par les Etats-Unis], qui est la seule chose, la seule chose, émergeant

des eaux sur toute l’étendue du banc de Quitasueño» , et enfin «[o]n ne trouve ni guano ni Œufs sur

Quitasueño, car il n’y existe pas de terre ferme» 81.

28. Tel est ce que démontrent les éléments de preuve au moment où est né le différend relatif

à Quitasueño. En un mot comme en cent, rien n’émergeait. Les preuves sont formelles à cet égard.

Les rapports établis par la Colombie en 2008 et 2009 démontrent l’absence d’île à Quitasueño

29. La Colombie a récemment effectué deux levés sur le banc de Quitasueño. Dans sa

duplique, elle affirme que le rapport sur le plus récent de ces deux levés, élaboré par son expert,

M. Smith, prouve l’existence de 34 formations découvertes à marée haute à Quitasueño qui, selon

M.Smith, seraient «des îles en vertu du droit international» 8. Le Nicaragua estime que les

rapports établis en2008 par la marine colombienne et en2009 par M.Smith sont foncièrement

erronés et que, en tant que tels, ils ne devraient pas être pris en compte pour déterminer l’éventuelle

présence d’îles sur le banc de Quitasueño. De surcroît, comme je vais le montrer, si l’on s’en tient

à une lecture de surface, ces rapports prouvent en fait qu’il n’existe pas d’île à Quitasueño.

83
30. La Colombie prétend que le ra pport Smith présente un avis indépendant , alors qu’il ne

s’agit de rien d’autre que d’un plaidoyer en sa fa veur, élaboré par un expert rémunéré. Afin de

servir ses intérêts, le rapport donne une représentation erronée et trompeuse des faits et du droit sur

un certain nombre de points cruciaux. A cet égard, le Nicaragua garde à l’esprit ce que la Cour a
50

déclaré, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, à propos de

la valeur des preuves produites par les experts :

«Quant à l’indépendance de ces expert s, la Cour n’estime pas nécessaire, pour

statuer en l’espèce, de s’engager dans un dé bat général sur la valeur, la fiabilité et
l’autorité relatives des documents et études élaborés par les experts et les consultants
des Parties. Elle doit seulement garder à l’esprit que, aussi volumineuses et

complexes que soient les informations f actuelles qui lui ont été soumises, il lui

81
Ces extraits du rapport ne figuraient pas dans la traduction anglaise du rapport original fournie par la Colombie
(CMC, annexe 120). Une traduction anglaise du rapport figure en annexe 14 de la réplique du Nicaragua.
82
DC, par. 3.24 ; rapport Smith, par. 3.2.
83Ibid., par. 3.21. - 46 -

incombe, au terme d’un examen attentif de l’ensemble des éléments soumis par les

Parties, de déterminer quels faits sont à pr endre en considération, d’en apprécier la
force probante et d’en tirer les conclusions appropriées.» 84

Nous espérons que notre examen attentif du rapport Smith aidera la Cour dans cette tâche.

31. Monsieur le président, avant de me penche r sur le contenu du rapportSmith, j’aimerais

rappeler ce qu’a dit l’agent du Nicaragua ce lundi. Comme S. Exc. M. l’ambassadeur Argüello l’a

fait observer, la Colombie continue de refuser au Nicaragua l’accès à la zone maritime faisant

l’objet d’un litige entre les deux Etats. Le Nicaragua a donc été dans l’impossibilité d’effectuer un

levé sur le banc de Quitasueño afin de juger de la véracité du rapportSmith et de celui qui a été

élaboré par la marine colombienne en 2008. Etant donné la teneur de ces rapports, dont les auteurs

affirment avoir découvert des îles qui n’ont jamais été mentionnées dans le s documents antérieurs

relatifs à Quitasueño, et les conséquences qui pourra ient en découler pour les droits du Nicaragua,

celui-ci estime que son exclusion de la zone en litig e est une mesure grave dont il convient de tenir

dûment compte dans l’évaluation de la force probante du rapport Smith et de celui de 2008.

32. Je commencerai mon examen du rapport de M. Smith en prenant un exemple. Vous avez

à l’écran une photographie de la formation «QS4» extraite du rapportSmith 85. Selon ce rapport,

86
cette formation constitue une île au sens du droit international . J’y reviendrai dans un instant.

Pour le moment, concentrons-nous sur la photograp hie. Adroite, il est noté que ce morceau de

corail dépasse le niveau moyen de la mer de 0, 277mètre. La précision du chiffre au millimètre

près est stupéfiante. Il en est de même des mesures de toutes les formations qui figurent dans le

51 rapport Smith. Mais en même temps, la méthode su ivie pour déterminer la hauteur de QS4 n’est

pas vraiment précise. On voit mal comment il a été possible d’obtenir des mesures au millimètre

près. De plus, M.Smith indique qu’il a utilisé le critère de la marée astronomique la plus haute

pour déterminer si les formati ons émergeaient en permanence. Selon le rapport, la marée

astronomique la plus haute dépasse de 0,273 mètre le niveau moyen de la mer. Comme je viens de

le dire, la formation émerge de 0,270 mètre par rapport au niveau moyen de la mer, ce qui signifie

que 4millimètres seulement en sont visibles lors de la marée astronomique la plus haute, soit la

84
Affaire relative à desUsines de pâte à papier sur le feuve Uruguay (Argentine c.Uruguay) , arrêt du
20 avril 2010, par. 168.
85
Figure AOE2-8, onglet 65 du dossier des juges.
86Rapport Smith, p. 10, par. 3.2. - 47 -

moitié de la longueur d’un ongle. La surface émer gée de QS 4 est alors probablement de quelques

centimètres carrés. Etant donné les méthodes utilisées par M. Smith pour mesurer la hauteur et la

marge d’erreur possible, le rapport ne fournit pas d’éléments crédibles permettant de conclure que

la formation QS 4 émerge au moment de la marée astronomique la plus haute.

33. Je pourrais évidemment continuer à vous parler des différentes formations mesurées dans

le rapport Smith. Celui-ci pose toutefois un problème encore plus fondamental. Pour déterminer la

hauteur et la profondeur des formations, les hydr ographes utilisent un modèle de marées. Celui-ci

est généralement établi à l’aide de capteurs à ja uge placés dans la zone de levés ou à proximité.

Mais les études colombiennes et le rapport Smith reposent sur le modèle de marée FES95.2

87
élaboré à Grenoble . Ce modèle est utilisé pour la recherche, aux fins de modéliser les marées

océaniques. Comme la NASA l’a fait observer dans le recueil de modèles de marées à l’échelle

mondiale qu’elle a publié : «Ces modèles de marées sont exacts à 2 ou 3 centimètres près dans des

eaux de plus de 200mètres de profondeur. En eau peu profonde, ils ne sont guère fiables, et ne

88
sont donc pas adaptés à la navigation ou autres applications pratiques.»

34. Le Nicaragua a choisi un modèle de marées plus adapté aux calculs de hauteur dans la

zone de Quitasueño. Il s’agit de l’«Admiralty Total Tide Model» mis au point par les services

hydrographiques du Royaume-Uni. Ce modèle donne un marnage différent (pour

OldProvidencia), puisque la marée astronomique la plus haute dépasse de 0,8mètre le niveau

moyen de la mer. Autrement dit, elle dépasse de 50 centimètres le niveau de cette marée calculé au

moyen du modèle de Grenoble qui n’est pas adapté aux eaux peu profondes.

52 35. A des fins d’information, nous avons ét abli un tableau indiquant toutes les formations

énumérées dans le rapport Smith, lequel figure sous l’onglet n o 66 du dossier des juges. Ce tableau

compare la hauteur des formations au moment de la marée astronomique la plus haute donnée dans

le rapport Smith et celle obtenue en utilisant l’«A dmiralty Total Tide Model». Cette comparaison

montre que toutes les formations, à une exception près, sont immergées au moment de la marée

astronomique la plus haute. Elles constituent donc au mieux des hauts-fonds découvrants. Le

87
CMC, vol. II, p. 609 ; rapport Smith, annexe 4, p. 52.
88Recueil de modèles de marées océaniques à l’échelle mondiale sur CD-ROM (Université du Texas, JPL et al.)
publié par le Goddard Space Flight Cent er, NASA. Peut être consulté à l’ adresse suivante:http://gcmd.nasa.
gov/records/04-Global-TideModels-00.html. - 48 -

tableau indique aussi d’où la hauteur de chaque fo rmation énumérée dans le rapport a été mesurée.

Dans la grande majorité des cas, cette mesure a été prise à une distance considérable de la

formation en question, et il n’y a pas d’indicati on quant à la hauteur, ou quant à l’endroit d’où la

mesure a été prise.

36. L’«Admiralty Total Tide Model» montre qu’une seule formation émerge peut-être, celle

dénommée QS 32. Examinons-la de plus près. Vous voyez maintenant à l’écran une photographie

et une description de cette formation extraites du rapportSmith 8. Quelques observations

s’imposent. Il s’agit de nouveau d’un morceau de corail. En outre, au moment de la marée

astronomique la plus haute, QS32 est encore pl us petit que sur la photo. Selon le rapportSmith,

cette formation émerge de 1232millimètres, soit environ 1,2mètre au moment de la marée

astronomique la plus haute 9. Mais si l’on applique l’«Admiralty Total Tide Model», cette hauteur

n’est plus que de 0,7 mètre, soit 50 centimètres de moins que ne l’indique le rapport Smith.

37. Troisièmement, le texte qui accompagne la photo de QS 32 précise ce qui suit : «Notez la

couche blanche de guano sur le rocher qui indique qu’il émerge en permanence.» Est-ce vraiment

du guano sur ce rocher, impossible de le dire. Peut-être voyons-nous seulement le soleil se

réfléchir sur le corail blanchi ? L’affirmation c ontenue dans le rapport Smith n’est cependant pas

dénuée d’intérêt. Tout d’abord, s’il y a réelle ment du guano sur cette formation, celui-ci n’en

recouvre que le haut qui semble mesurer de 10 à 20 cm. Selon le «test du guano», le reste de la

formation est tour à tour immergé et émergé. La présence de guano sur QS32 et le test de

M.Smith sont également intéressants pour une autre raison. Aucune des autres formations

énumérées dans le rapport Smith n’est recouverte de guano, ce qui indique que l’eau les couvre et

les découvre régulièrement. Autrement dit, ell es n’émergent pas en permanence, ce qui est

conforme au résultat donné par l’«Admiralty To tal Tide Model» utilisé par le Nicaragua, qui

montre que toutes ces formations sont immergées en période de marée astronomique la plus haute.

53 38. La formation QS32 appelle une autre ob servation. Nous voyons à l’écran une partie

d’une carte marine colombie nne, COL631, Banco Quitasueño ⎯ sector norte 91, ou, en français,

89Figure AOE2-9, onglet 67 du dossier des juges.
90
Rapport Smith, annexe 5.
91Figure AOE2-10, onglet 68 du dossier des juges. - 49 -

banc de Quitasueño ⎯ secteur nord. L’emplacement de QS 32 est indiqué par un cercle rouge. On

notera que QS 32 se trouve dans un secteur qui a fait l’objet de levés, bien au-delà de la zone où il

n’y en a pas eu, à l’est du banc. Les chiffres figur ant sur la carte indiquent la profondeur de l’eau,

et les signes plus, les récifs immergés en permanence. L’un de ces chiffres qui indique une

profondeur de plus de cinq mètres, se trouve à l’in térieur du cercle rouge et donc à proximité de la

formation QS32. Les informations figurant su r la carte COL631 montrent que de nombreuses

mesures ont été prises dans la zone et que celle-c i ne comprenait aucune formation émergée. Elles

ne proviennent pas d’une étude ancienne. La carteCOL631 en donne la source: des études

hydrographiques menées en 1999 en vue de son établissement par le centre colombien de recherche

océanographique et hydrographique, qui est aussi l’auteur de cette carte. Curieusement, la

formation QS 32 ne fait son apparition qu’en 2008.

39. Je voudrais maintenant en venir à la ma nière dont M. Smith utilise dans son rapport les

cartes marines de la zone de Quitasueño établies par la Colombie. Dans sa réplique, le Nicaragua a

indiqué que les quatre cartes à grande échelle publiées par la direction générale des affaires

maritimes de la marine colombienne «n’indiquent pas la présence d’îles sur le banc de

Quitasueño» 92. Que dit M.Smith au sujet de ces cartes? Je voudrais d’abord appeler votre

attention sur l’annexe8 au rapport, établie pa r le bureau des services hydrographiques de la

direction maritime générale de la Colombie. Cette annexe a été préparée à la demande de

93
M. Smith . Il y est dit à la page61, au sujet de la carte colombienne COL416, que celle-ci

contient des symboles qui indiquent clairement, entre autres, les «cayes» sur le banc de Quitasueño,

puis que le lieu dénommé «Cay» au nord se réfère à la «caye ou à l’îlot dans la partie septentrionale

du banc». Selon l’annexe, cette caye ou cet îlot s’appelle Quitasueño. Vous voyez à l’écran la

94
54 partie correspondante de la carte COL416 . Si l’inscription «Quitasueño Cay» apparaît

clairement, rien n’indique la présence d’une fo rmation émergée à marée haute identifiée par les

symboles cartographiques correspondants.

92RN, p. 119, par. 4.32.
93
Rapport Smith, p. 34, par. 5.2.
94Figure AOE2-11, onglet 69 du dossier des juges. - 50 -

40. La symbolique des cartes étant assez complexe, la légende des symboles courants figure

dans une publication séparée, «Symboles et abrévi ations utilisés dans les cartes marines». La

version anglaise qui apparaît à l’écran 95 provient du bureau hydrographique du Royaume-Uni

(carte5011 ou INT1) et est l’équivalent de celle établie par la Colombie en espagnol dont des

extraits figurent dans la duplique 96. A droite de l’écran, nous voyons maintenant la reproduction

d’un texte contenu dans la carte 5011/INT 1.

41. Le carton dans lequel figure un agrandisse ment d’une partie de ce texte montre le

symbole utilisé pour identifier les formations émergées à marée haute, c’est-à-dire un territoire

terrestre de couleur beige entouré d’une ligne noire qui figure la laisse de pleine mer. Il contient

les symboles utilisés dans le monde entier pour figurer les récifs. Vous voyez aussi que la hauteur

des formations émergées y est indiquée par un chiffre transcrit normalement alors que les chiffres

correspondants à la profondeur sous l’eau sont en it aliques. La partie de la carte de Quitasueño

COL 416 que nous voyons à nouveau à l’écran ne contient que des chiffres en italiques 9. D’autres

sections de cette carte et les autres cartes colombiennes n’indiquent pas non plus de laisse de pleine

mer où que ce soit à Quitasueño ou de hauteur au-d essus du niveau de la mer ; n’y figurent que la

profondeur.

42. M. Smith se penche également sur un au tre aspect des cartes colombiennes qui couvrent

la zone de Quitasueño, à savoir l’utilisation du sym bole indiquant la présence de «brisants». Dans

son dictionnaire hydrographique international, l’ Organisation hydrographique internationale (OHI)

définit les brisants comme des vagues déferlant sur un haut-fond, un récif ou d’autres formations

maritimes 98. Cette définition n’implique pas nécessairem ent qu’il y ait des formations émergées.

Les brisants peuvent également déferler sur des récifs immergés en permanence. Que dit donc

M.Smith au sujet des brisants figurés sur les cartes colombiennes? Il donne l’impression que le

symbole des brisants est utilisé pour indi quer la présence de récifs découvrants 99. En d’autres

95
Figure AOE2-12, onglet 70 du dossier des juges.
96
Voir rapport Smith, annexe 9, p. 64.
97Figure AOE2-13, onglet 71 du dossier des juges.

98Dictionnaire hydrographique, première partie , vol.2, français, publication spécia32, cinquième édition,
Organisation hydrographique internationale, Monaco, 1998, numéro 540.

99Rapport Smith, p. 36. - 51 -

termes, il donne à penser que les cartes ont toujours montré l’existence de formations découvrantes

sur Quitasueño. Ce qui est totalement faux et je vais vous montrer pourquoi. L’image que vous
55

avez à l’écran représente la sectionJ de la carte5011/INT1; on y voit, sous le n o22, le symbole

100
qui indique la présence de récifs coralliens que l’eau recouvre et découvre régulièrement .

Autrement dit, le rebord du récif est la laisse de basse mer. L’image suivante représente la

o
section K de la même carte ; on y voit, sous le n 17, le symbole international utilisé pour indiquer

101
la présence de brisants . Du point de vue du droit international, il est à noter que les brisants ne

jouent aucun rôle dans l’établissement des lignes de base car ils ne font pas partie de la laisse de

basse mer. En revanche, les récifs coralliens déc ouvrants peuvent entrer en ligne de compte s’ils

sont associés à une île. La ligne noire qui suit le périmètre de la zone de récifs est la laisse de basse

mer. La pratique cartographique de la Colombie elle-même montre bien que les deux symboles qui

représentent les récifs et les brisants ne sont p as interchangebles. Nous avons à l’écran une partie

de la carte COL 218 où la présence de récifs découvrants est signalée 102. Avant d’examiner la carte

suivante, je dois vous présenter un autre symbole utilisé en cartographie. Le symbole représenté

o
sous le n 16, dans la sectionK de la carte5011/INT1 maintenant à l’écran, sert à identifier les

récifs coralliens immergés en permanence 103: «Co» représente le corail et le signe + signale les

rochers immergés en permanence qui constituent un danger pour la navigation de surface. Il s’agit

ici aussi d’un extrait d’une carte colombienne de Quitasueño 104. Outre que le symbole des brisants

y figure, on voit aussi que ceux-ci délimitent un r écif immergé grâce à la ligne en pointillé, aux

lettres «Co» et au signe + qui indique des rochers immergés. La carte ne signale aucun récif

découvrant.

43. A ce stade, permettez-moi d’appeler votre attention sur l’image satellite de Quitasueño

105
contenue dans la duplique de la Colombie . La technique utilisée pour traiter cette image fait

apparaître en bleu clair les zones sous-marines de haut-fond. La bande blanche longeant la partie

100Figure AOE2-14, onglet 72 du dossier des juges.
101
Figure AOE2-15, onglet 73 du dossier des juges.
102
Figure AOE2-16, onglet 74 du dossier des juges.
103Figure AOE2-17, onglet 75 du dossier des juges.

104Figure AOE2-18, onglet 76 du dossier des juges.

105Figure AOE2-19, onglet 77 du dossier des juges. - 52 -

orientale de Quitasueño représente la ligne des brisants . Mais, si l’on traite cette image à l’aide de

bandes rouges et infrarouges qui ne pénètrent pas l’eau, rien ne sera visible à l’exception de la ligne

106
56 des brisants et des nuages . Autrement dit, contrairement à ce que laisse entendre la Colombie,

l’image satellite ne fait apparaître aucune formation émergée sur Quitasueño.

44. Une autre question mérite d’être posée, celle de savoir si les formations dont la Colombie

dit qu’elles sont émergées durant la marée astronomique la plus haute, sont, pour cette seule raison,

des îles au sens du droit international. Dans le rapport Smith et dans la duplique, ce point ne fait

aucun doute: toute formation émergée à marée ha ute est une île au sens du droit international 10.

108
Donc, selon M. Smith et la Colombie, une formation comme QS4, projetée de nouveau à l’écran ,

qui émerge de 4millimètres durant la marée astronomique la plus haute ⎯du moins suivant le

modèle de marées inexact utilisé par M.Smith ⎯, engendre le droit à une mer territoriale d’au

moins 12milles marins. Pour reprendre les term es employés à l’article32 de la convention de

Vienne sur le droit des traités, ce résulta t est à mon sens «manifestement absurde ou

déraisonnable». En fait, la thèse exposée par M. Smith et par la Colombie dans sa duplique est à

cet égard tout à fait inexacte et voici pourquoi : les formations maritimes que M. Smith a identifiées

dans son rapport comme étant émergées durant la ma rée astronomique la plus haute ont toutes une

caractéristique commune. Selon ce rapport, elles sont toutes coralliennes 10.

45. Les coraux sont des organismes vivants qui sont attachés aux fonds marins et forment

parfois de vastes zones de récifs pouvant affleurer la surface de l’eau. Cependant, le corail meurt

s’il est émergé en permanence. Un morceau de cora il qui se détache d’un récif peut être rejeté sur

le rivage. Les parties molles du corail se décomposent alors et il ne reste que le squelette. Les

formations que la Colombie qualifie d’îles sont toutes des débris coralliens que les vagues ont

rejetés sur le banc de Quitasueño.

46. Que dit donc le droit sur la question de la définition des îles? Le Nicaragua et la

Colombie s’accordent à reconnaître que l’article 121 de la convention des NationsUnies sur le

106Figure AOE2-20, onglet 78 du dossier des juges.
107
Rapport Smith, p. 10, par. 3.2 ; DC, p. 88-92, par. 3.10-3.13.
108
Figure AOE2-21, onglet 79 du dossier des juges.
109Rapport Smith, p. 11-30. - 53 -

droit de la mer représente le droit applicable. Cet article dispose que, pour être qualifiée d’île, une

formation doit non seulement rester découverte à ma rée haute, mais également être «une étendue

naturelle de terre». Cette conditio n fait apparaître une lacune fondam entale dans l’argument de la

Colombie selon lequel il y a des îles sur Quitasueño. Un débris corallien, autrement dit une partie

57 du squelette d’un animal mort, n’est pas une éte ndue naturelle de terre. Je ne pense pas que

quiconque irait jusqu’à dire que la carcasse d’une baleine échouée ou un tronc d’arbre en

permanence émergé constitue une ét endue naturelle de terre et, part ant, une île ouvrant droit à des

zones maritimes. C’est pourtant exactement ce que fait la Colombie lorsqu’elle prétend que les

débris coralliens sur Quitasueño sont des îles ; de même lorsqu’ elle donne à entendre que certains

de ces débris coralliens constituent des hauts-f onds découvrants. L’artic le13 de la convention

de1982 dispose qu’un haut-fond découvrant est une élévation naturelle de terrain. Les débris

coralliens ne satisfont pas à ce critère.

Le traitement de Qit’atJaradah dans l’affaire Qatar/Bahreïn ne constitue pas un précédent
pour Quitasueño

47. La duplique invoque le traitement réser vé à l’île de Qit’atJaradah dans l’affaire

110
Qatar/Bahreïn en tant que précédent pour le cas de Quitasueño . La Colombie feint d’ignorer les

différences entre les deux affaires et voit des similitudes là où il n’y en a aucune. Le cas de

Qit’atJaradah montre au contraire que la démarche adoptée par la Colombie concernant

Quitasueño est effectivement sans précédent.

48. La Cour, en l’affaire Qatar/Bahreïn, a fait observer que Qit’at Jaradah est une très petite

île située dans la mer territoriale de Qatar et Bahreïn ( Délimitation maritime et questions

territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p.99,

par.197). Selon le rapport de l’e xpert retenu par Bahreïn, elle fait environ 12mètres de long sur

4 mètres de large à marée haute et 600 mètres de long sur 75 mètres de large à marée basse (ibid.).

Il s’agit de toute éviden ce d’une très petite formation, mais qui est beaucoup plus grande et bien

différente des morceaux de débris coralliens que l’on trouve sur Qu itasueño. Le rapport Smith ne

présente pas de chiffres relatifs à la taille des débris coralliens de Quitasueño, mais on peut

110
DC, p. 92-96, par. 3.13-3.19. - 54 -

supposer qu’ils sont beaucoup plus petits qu’1 mètre² . On peut donc en conclure que la superficie

de Qit’at Jaradah qui est immergée à marée haute est de cinquante à cent fois plus grande que les

débris coralliens sur le banc de Quitasueño.

49. Dans sa duplique, la Colombie tire un cer tain nombre de conclusions du traitement

réservé par la Cour à Qit’at Jaradah. Premièrement, elle fait valoir que le traitement réservé à cette

affaire par la Cour montre que la question de sa voir si une formation constitue une île ou non est

une question de fait à la lumière des conceptions actuelles. Le fait qu’un autre gouvernement n’a

pas reconnu cette formation comme une île à un moment antérieur n’est pas déterminant 111. Il

s’agit peut-être d’une interprétation exacte de l’arrê t de la Cour, mais le fait que la Colombie

58 l’évoque est contestable. En l’espèce, c’est l’ét ude détaillée de Quitasueño à laquelle la Colombie

a procédé en 1937 et ses propres cartes marines réce ntes qui indiquent qu’il n’y avait pas d’îles sur

Quitasueño avant que le Nicaragua n’introduise s on instance en 2001. Cet élément est hautement

pertinent pour déterminer s’il existe des effec tivités concernant ces îles. La Colombie n’a

découvert les débris coralliens sur Quitasueño qu’en 2008-2009.

50. Deuxièmement, selon ce qui est avancé dans la duplique, la Cour a souscris en l’affaire
112
Qatar/Bahreïn à la distinction catégorique entr e une île et un haut-fond découvrant . Ce qui est

passé sous silence c’est qu’en l’affaire Qatar/Bahreïn, les parties s’opposaien t seulement sur la

question de savoir si Qit’atJarad ah était effectivement émergée ou non. La décision que devra

prendre la Cour en l’espèce, si elle devait conclu re qu’il a été prouvé qu’il existe des formations

émergées à marée haute, elle celle de savoir si ces formations doivent être considérées comme

constituant naturellement des parties de territoire terrestre. Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas le

cas.

51. Enfin, la Colombie ne tient aucun compte dans sa duplique de la base sur laquelle la

Cour a fondé sa décision concernant le titre de Qit’ at Jaradah. La Cour a conclu que «compte tenu

de la taille de Qit’atJaradah, les activités exercées par Bahreïn sur cette île peuvent être

considérées comme suffisantes pour étayer sa revendication selon laquelle celle-ci se trouve sous sa

souveraineté» ( Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahre
ïn (Qatar

111
DC, p. 93, par. 3.14.
112
Ibid. - 55 -

c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 100, par. 197). La Colombie ne cite aucun exemple

d’acte accompli à titre de souverain à l’égard des formations mentionnées dans le rapportSmith,

qui a été établi près de dix ans après le dépôt par le Nicaragua de sa requête introductive d’instance.

59 Incidences de l’absence d’effectivités

52. En l’absence d’effectivités liées aux fo rmations identifiées dans le rapportSmith,

comment la Cour devrait-elle les traiter si elle devait conclure que les form ations en question sont

des îles ?

53. Ces formations sont situées en un endroit où les droits maritimes du Nicaragua et de la

Colombie se chevauchent. Cette situation existait avant 2008 et a précédé de plusieurs décennies le

rapport Smith soumis par la Colombie. Un différend relatif à la délimitation du plateau continental

a surgi dans la seconde moitié des années1960, ap rès que le Nicaragua a accordé, en1966, une

concession d’exploration pétrolière et gazi ère qui s’étendait au banc de Quitasueño 11. Le

Nicaragua a introduit la requête instituant la présen te instance le 6 décembre 2001, plus de six ans

avant que la Colombie ne découvre qu’il y avait d es «îles» sur le banc de Quitasueño. Dans sa

requête, le Nicaragua a notamment demandé à la C our de dire et juger que «le Nicaragua a la

souveraineté sur…et la caye de Quitasueño ( pour autant qu’elle[s] soi[en]t susceptible[s]

d’appropriation)».

54. Le Nicaragua fait valoir que si la Cour devait conclure qu’il y a à présent des îles sur le

banc de Quitasueño, il serait impossible d’en attr ibuer le titre conformément aux règles de droit

international applicables à l’acquisition de territo ires. Le levé détaillé de Quitasueño auquel la

Colombie a procédé en1937 et ses cartes mari nes montrent qu’il n’y avait pas d’îles sur

Quitasueño avant que le Nicaragua n’introduise la présente instance en 2001. Comme je l’ai déjà

mentionné, la Colombie n’a pas apporté la preuve de l’existence d’effectivités concernant les îles

dont elle allègue l’existence sur le banc de Qu itasueño, à l’exception des levés réalisés en2008

et2009. Ces levés sont bien trop tardifs pour être pertinents en l’espèce, puisque la date critique

est celle à laquelle le Nicaragua a introduit sa requête en décembre2001, mais, de l’avis du

Nicaragua, cette date critique remonte à la deuxième moitié des années 1960. La Colombie n’a pas

113
Voir MN, vol. II, annexes 28-30. - 56 -

non plus rapporté de preuve que les activités qu’elle mène dans la zone lui donnent le droit de

revendiquer la souveraineté sur Quitasueño ni d’ailleurs sur les zones maritimes concernées. Avant

la mise en place du régime des pl ateaux continentaux, cette zone fais ait partie de la haute mer.

Depuis, elle fait l’objet d’un litige entre le Nicaragua et la Colombie.

60 55. Compte tenu de l’impossibilité de détermin er un titre territorial, le Nicaragua estime que

l’attribution des formations s ituées sur Quitasueño devrait résulte r d’une délimitation maritime à

laquelle procèderait la Cour. Comme l’expliquero nt MM.Lowe et Reichler, en vertu du droit

applicable, le banc immergé de Quitasueño se situ e du côté nicaraguayen de la frontière maritime

entre le Nicaragua et la Colombie.

Conclusions

56. Monsieur le président, permettez-moi de résumer les principales conclusions de ma

plaidoirie. Premièrement, les îles nicaraguaye nnes non contestées sont des îles frangeantes, qui

doivent donc être considérées comme faisant partie intégrante de la côte continentale du Nicaragua.

Au contraire, les îles de l’archipel de San Andr és et les autres cayes revendiquées par la Colombie

ne sont pas proches les unes des autres. Deuxièm ement, abstraction faite des îles de SanAndrés,

Providencia et Santa Catalina, les cayes qui sont revendiquées par la Colombie sont des rochers au

sens de l’article1213) de la convention de1982. Les éléments de preuve que la Colombie a

soumis font apparaître que ces cayes ne peuvent être habitées par l’homme ni avoir une vie

économique propre. Par conséquent, elles n’ont p as de plateau continental ni de zone économique

exclusive. Leur taille est négligeable. La longueur côtière totale des cayes qui font face à la côte

continentale du Nicaragua est inférieure à 0,9 kilomètre.

57. En ce qui concerne le banc de Quitasueño, il convient de noter ce qui suit:

premièrement, contrairement à ce qu’affirme la Co lombie, le Nicaragua n’a jamais reconnu qu’il y

a des îles sur le banc de Quitasueño. Il ressort de la pratique nicaraguayenne que le Nicaragua

considère le banc de Quitasueño comme faisant pa rtie de ses zones maritimes. Deuxièmement, la

prétention colombienne selon laquelle elle a un titr e historique sur le banc de Quitasueño est sans

fondement. Troisièmement, la pratique colombie nne jusqu’en 2008 considérait qu’il n’y avait pas

d’îles sur le banc de Quitasueño. Quatrièmemen t, le rapport de la Colombie de2008 et le - 57 -

rapportSmith peuvent tout au plus servir à établir qu’il existe des débris coralliens émergés en

permanence sur Quitasueño. Les débris coralliens ne pourraient en aucun cas être définis comme

des étendues naturelles de terre au sens des articl es 13 et 121 de la convention de 1982, consacrés

respectivement à la définition des hauts-fonds découvrants et des îl es. Ces rapports viennent donc

confirmer des informations antérieures selon lesque lles il n’y avait pas d’îles sur Quitasueño. Le

Nicaragua considère en outre que ces rapports manque nt d’objectivité et ne sont pas dignes de foi

parce qu’ils sont entachés d’un certain nombre d’erre urs fondamentales. Enfin, comme je viens de

l’indiquer, les faits et le droit montrent que l’ attribution de ces formati ons sur Quitasueño devrait
61

résulter d’une délimitation maritime à laquelle procèderait la Cour.

58. Monsieur le président, ici s’achève ma pl aidoirie. Je vous remercie de votre aimable

attention, ainsi que les autres membres de la C our. Je vous demande de bien vouloir appeler mon

collègue, Alain Pellet, qui poursuivra la plaidoirie au nom du Nicaragua.

Le PRESIDENT: Je vous remercie M. Oude Elferink. Quinze minutes vous suffiront-elles

M.Pellet pour nous faire votre présentation ou préf érez-vous plaider cet après-midi? Monsieur,

vous avez la parole.

M. PELLET : [Inaudible.]

Le PRESIDENT: Je crois comprendre que l es documents auxquels M.Pellet souhaite se

référer pour sa plaidoirie ne sont pas accessibles pour le moment aux membres de la Cour. Sans

doute est-il donc préférable de reporter l’interventio n de M.Pellet à cet après-midi. La Cour se

réunira de nouveau cet après-midi de 15heures à 18heures pour entendre la fin du premier tour

d’observations orales du Nicaragua. L’audience est suspendue.

L’audience est levée à 12 h 45.

___________

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