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Uncorrected Translation
GR
CR 2008/25 (traduction)
CR 2008/25 (translation)
Mardi 9 septembre 2008 à 16 h 30
Tuesday 9 September 2008 at 4.30 p.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audi ence est ouverte. Nous nous réunissons cet
après-midi pour le second tour des observations or ales de la Géorgie sur sa demande en indication
de mesures conservatoires, et j’appelle immédiatement M. Crawford.
M. CRAWFORD :
1.L A DEMANDE DE LA G ÉORGIE :COMPÉTENCE ET RECEVABILITÉ
Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, avant d’examiner diverses exceptions
touchant la compétence de la Cour et la recevabilité de la demande, quelques remarques
préliminaires s’imposent sur l’exposé présenté hier par la Fédération de Russie.
A. Remarques préliminaires
Les conclusions de la Fédération de Russie portent essentiellement sur le fond
2. La première remarque préliminaire concerne la relation entre la présente phase de
l’instance et celle du fond.
3. Madame le président, la Géorgie a prêt é attention aux précisions que vous avez données
hier quant à l’objet de ces audiences en vertu de l’instruction de procédureXI 1. Le fond du
différend n’est pertinent que pour autant qu’il se rapporte aux éléments factuels qui sous-tendent la
demande en indication de mesures conservatoires. La Géorgie a indiqué explicitement que la
montée de la violence contre les personnes de souche géorgienne en août de cette année constituait
cette base factuelle et expliquait l’urgence dela demande. En dépit des termes sans équivoque
employés par la Cour, le coagent de la Russie a consacré la plus grande partie de son exposé à faire
un récit du conflit ethnique depuis le XVIIIsiècle jusqu’aux événements d’août 2008 . Mais il n’a
pas dit grand-chose de ce qui s’est passé sur le terrain ces dernières semaines et n’a mentionné
aucun élément de preuve à cet effet.
11 4. M.Zimmermann a également empiété sur le fond en soulevant plusieurs questions
d’attribution et de violation. En ce qui concerne l’attribution, il a dit «même à ce stade, la Géorgie
1
CR 2008/22, p. 16.
2CR 2008/23, p. 17-22, par. 2-31 (Gevorgian). - 3 -
doit prouver ce qu’elle avance et non se borner à l’affirmer» 3. Sur la question de la violation, il a
affirmé :
«Si elle devait adopter ces mesures, la Cour devrait adhérer au postulat qui les
sous-tend, à savoir que la Russie se livre effectivement à de tels actes, sans avoir eu au
préalable la moindre chance de vérifier les faits sous-jacents allégués dans le cadre
d’une procédure en bonne et due forme et sans avoir entendu l’exposé de tous les
4
moyens de preuve.»
Permettez-moi de dire que ces remarques témoigne nt de quelque confusion sur la fonction des
mesures conservatoires. La Cour ne saurait dire, au stade des mesures conservatoires, si des actes
violent ou non telles ou telles obligations et s’ils s ont imputables à l’Etat défendeur et l’instruction
de procédure XI le confirme. Lorsque la Cour indique des mesures conservatoires, M. Zimmerman
affirme maintenant qu’elle agit d’une manière non-autorisée.
5. Je n’entends pas, par conséquent, croiser le fer avec M.Zimmermann sur des questions
telles que l’attribution. Je ne peux cependant résister à l’envie de répondre à ses propos selon
lesquels :
«En fait, il est évident que, aussi bien à l’époque où elles étaient reconnues en
tant que régions autonomes au sein de la Géorgie que depuis leur déclaration
d’indépendance, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie n’ont jamais été ni l’une ni l’autre un
5
simple instrument du défendeur sans aucune autonomie réelle.»
6. «En fait» ⎯tels sont les termes de M.Zimmerma nn. Eh bien, Madame le président,
Messieurs de la Cour, vous êtes juges des faits, mais le moment n’est pas venu. La seule question à
ce stade consiste à savoir s’il existe des faits allégués crédibles qui, s’ils étaient avérés,
soulèveraient des questions aux termes de la convention.
7. Vous noterez que l’exposé qu’a fait M. Wordsworth des éléments de preuve tend à
contredire les affirmations de M. Zimmermann. Vous vous souven ez de la manière dont il a tenté
d’atténuer les conséquences déplorables des d éclarations publiques du dirigeant sud-ossète,
M. Kokoïty. Evoquant la déclaration de M. Kokoï ty selon laquelle «[n]ous n’avons pas l’intention
de laisser rentrer qui que ce soit», il poursuit :
3CR 2008/23, p. 45, par. 20 (Zimmermann).
4
Ibid., p. 49, par. 36.
5Ibid., p. 45, par. 22. - 4 -
«Le ministre russe des affaires étrangères a aussitôt qualifié ces propos de
M. Kokoïty de «déclaration faite sous le c oup de l’émotion, consécutive à la situation
qu’a engendrée l’agression armée massive de l’Ossétie du Sud menée par les
dirigeants géorgiens». Le … ministre russe ⎯ a ajouté :
«Il existe des règles de droit in ternational généralement reconnues
en vertu desquelles les personnes ont le droit de retourner sur leurs lieux
12 de résidence habituelle, lorsque les circonstances qui les ont conduites à
6
les quitter n’existent plus.»»
8. L’interview de M.Kokoïty a été réalisée le 15août. Le ministre russe des affaires
étrangères, informé de l’instance introduite contre la Russie devant cette Cour, a immédiatement
décidé d’infirmer la décision prise par M.Kokoï ty de ne pas autoriser les personnes de souche
géorgienne à rentrer en Ossétie du Sud. Après avoir essuyé les reproches publics de la Russie qui a
qualifié ses propos de déclaration faite sous le coup de l’émotion, M.Kokoïty est rentré dans les
rangs ⎯ en témoignent les propos de M. Wordsworth :
«Nous faisons également observer que, le 22août, M.Kokoïty a rencontré le
Haut Commissaire des NationsUnies pour les réfugiés et déclaré qu’il n’y aurait pas
de discrimination fondée sur les origines ethniques dans la politique de retour
volontaire des refugiés et des autres personnes déplacées.»
9. Madame le président, Messieurs de la Cour, la Géorgie fait valoir qu’il existe en fait, et
depuis longtemps, une «discrimination fondée sur les origines ethniques dans la politique de retour
volontaire des refugiés et des autres personnes déplacées», que cette politique est associée au
nettoyage ethnique pratiqué dans les zones pertinentes de la Géorgie, que le processus de nettoyage
ethnique se poursuit et que celui-ci est imputable à la Fédération de Russie, au moins dans une
mesure appréciable. La Cour n’attend pas ⎯vous ne nous le permettrez certainement pas,
Madame le président ⎯ que nous prouvions le bienfondé de notre demande à ce stade. Ainsi, la
question de savoir si M. Kokoïty a exprimé son vérita ble avis dans l’interview à la presse ou bien
(après avoir reçu des instructions) dans ses déclar ations au Haut Commissaire des NationsUnies
pour les réfugiés ne peut être réglée dès maintenant. Ce que nous devons montrer ⎯ et tout ce que
nous devons montrer ⎯, c’est que cette politique soulève des questions recevables aux termes de la
convention et qu’il existe un risque réel qu’elle se poursuive en attendant le stade suivant de la
procédure en l’espèce, causant ainsi un préjudice irréparable.
6
CR 2008/23, p. 58, par. 23 (Wordsworth). - 5 -
10. Je tiens également à dire que le fait que M. Kokoïty se soit vu contraint de corriger ses
affirmations précédentes tend à indiquer qu’il n’ignorait pas la convention de 1965 et sa pertinence
à l’égard du nettoyage ethnique et du droit au retour . La garderait-il longtemps à l’esprit si cette
affaire venait à être radiée du rôle général ? On peut se le demander. Cela nous amène à un autre
élément important de l’argumentation présentée hier par la Russie. Proclamant sa ferme adhésion à
la convention de1965, elle n’en présente pas moins pour s’exonérer une série d’arguments
juridiques qui ne résisteraient pas longtemps à l’examen si nous étions à un stade ultérieur de la
procédure ⎯et qui ne méritent pas de retenir votre attention à ce stade. «La Cour est un dernier
recours» (nous a dit M. Pellet, lequel, de fait, recourt beaucoup à votre prétoire et qui a convaincu
13 la Cour entière dans Nicaragua qu’un traité bilatéral qui n’est même pas mentionné dans la requête
7
⎯et moins encore dans les échanges diplomatiques ⎯ pouvait être invoqué sur le fond) . «La
Géorgie n’a jamais parlé d’une complicité russe dans le nettoyage ethnique et le refus du droit au
8
retour» (toujours M.Pellet) . «La convention de1965 ne s’appl ique pas à l’étranger» (propos de
M. Zimmermann, qui semble penser que l’article 29 de la convention de Vienne n’est pas dépourvu
de pertinence en l’espèce) 9. «Il n’y a pas d’obligation de prévention» (dit encore M. Zimmermann,
10
qui semble ignorer des expressions telles que «éliminer» et «mettre fin» de l’article2) . Avec
toutes mes excuses à StAugustin, c’est comme si la Fédération de Russie disait: «Mon Dieu,
déclarez-moi responsable ⎯mais pas trop et certainement pas maintenant, et certainement pas
pour ça !» Si les faits sont tels qu’ils les décrivent, ils n’ont rien à craindre de la Cour.
11. Je note également en passant que les té moignages de membres clés du gouvernement
de facto d’Ossétie du Sud ⎯ lesquels émargent concurremment auprès de l’armée et des services
de renseignement russes ⎯, présentés hier par M.Akhavan 11, n’ont pas été contredits.
M. Zimmermann semble penser qu’il est admis que ces autorités ne sont pas des organes de facto
de l’Etat défendeur 12: mais ce n’est pas admis du tout. Bien entendu, les mesures conservatoires
7 CR 2008/23, p. 35, par. 25 (Pellet).
8 Ibid., p. 32-33, par. 18 (Pellet).
9
Ibid., p. 42, par. 9 (Zimmermann).
10
Ibid., p. 48, par. 31 (Zimmermann).
11CR 2008/22, p. 43-44, par. 18-20 (Abkhavan).
12CR 2008/23, p. 44, par. 22 (Zimmermann). - 6 -
que vous indiquerez s’adresseront exclusivement à la Fédération de Russie et concerneront
uniquement des actes contraires à la convention attribuables à la Fédération de Russie.
La Russie n’a produit aucun élément de preuve concernant les événements survenus sur le
terrain en Abkhazie et en Ossétie du Sud
12. Ma seconde remarque préliminaire concerne, Madame le président, la seconde remarque
que vous avez faite à l’ouverture de l’audience d’hier, lorsque vous avez dit que la Cour demandait
13
«l’aide des Parties … pour identifier la situation telle qu’elle se présente» .
13. Comme je l’ai dit, dans ses exposés d’hi er, la Russie s’est longuement attardée sur
l’histoire du conflit ethnique, et la question de l’attribution a été largement évoquée ; pourtant, ces
sujets sont entièrement sans objet au stade actue l. Ce qui nous occupe, c’est la situation qui
prévaut actuellement sur le terrain dans ces régi ons. C’était là le point essentiel de l’exposé de
14
M. Akhavan. Dans ses exposés d’hier, la Russie s’ est tout de même distinguée en ceci qu’elle n’a
pas seulement tenté d’étayer par ses propres éléments de preuve sa présentation de la situation sur
le terrain. On ne peut douter de celle des deux Parties présentes devant la Cour qui est la plus apte
à mener actuellement une investigation sur le terrain. La Géorgie se borne à interroger des
personnes déplacées, à se fonder sur les rapports d’organisations non gouvernementales et à étudier
des images satellite: les forces russes sont phys iquement présentes dans ces régions en nombre
substantiel. La Russie a la possibilité de répliquer aux preuves géorgiennes d’incendies de
maisons, de pillages et autres manifestations à gr ande échelle de la violence ethnique qui a frappé
ces régions au cours des dernières semaines, depuis le cessez-le-feu. Mais elle ne l’a pas fait.
14. J’ajouterai que les faits que l’Etat défe ndeur a fait valoir, par l’intermédiaire de son
conseil, n’ont aucun rapport avec les faits te ls que nous les appréh endons. Mes collègues
examineront ces questions d’ici peu, dans la mesure appropriée.
Les mesures conservatoires ordonnées par la Cour européenne des droits de l’homme
15. Ma troisième remarque préliminaire concerne les mesures conservatoires ordonnées par
la Cour européenne des droits de l’homme le 12 août et réaffirmées depuis. M. Wordsworth a paru
13
CR 2008/22, p. 16. - 7 -
suggérer que la procédure devant la Cour était devenue sans objet en vertu de l’ordonnance de la
Cour européenne. Nous ne pouvons accepter une telle proposition.
16. Il existe bien un chevauchement entre les droits garantis selon l’article 5 de la convention
de1965 et les droits protégés par la CEDH. Quatre plaintes individuelles ont été reçues par la
CEDH relativement à des violations des droits de l’homme dans ces régions, outre la procédure
14
entre Etats opposant les deux Parties . L’ordonnance de la Cour européenne figure sous
l’onglet 29.
17. La question posée à la Cour est de savoir si cette ordonnance rend irrecevable la
demande qui lui a été présentée.
18. Comme je l’ai indiqué, le véritable but de la convention de 1965 est d’offrir une dernière
ligne de défense contre les pratiques discriminatoi res impliquant la création et la composition de
15
15 communautés territoriales . Aucun principe de recevabilité servant l’administration de la justice
ne saurait, à l’évidence, empêcher un Etat confro nté à la crise la plus grave de son histoire
d’invoquer des droits spécifiques devant la Cour. M.Wordsworth n’a cité aucune autorité en ce
sens. La Géorgie est incontestablement autori sée à épuiser les voies de recours qui lui sont
ouvertes dans toutes les juridictions, notamment lorsque les droits en cause dans les deux instances
diffèrent en substance.
B. Compétence et recevabilité
19. Madame le président, Messieurs de la Cour , je vais brièvement passer aux questions de
compétence et de recevabilité.
Qualification aux fins de la compétence ratione materiae de la Cour
20. C’est M. Pellet qui s’est exprim é sur la question de la qualification ⎯ c’est-à-dire sur la
question de savoir si le différend qu ’a soumis la Géorgie à la Cour entre dans les prévisions de la
convention de 1965. Premièrement, il cite un paragraphe, isolé de son contexte, de la demande en
indication de mesures conservatoires initiale de la Géorgie, lequel, dit-il, «annonce la couleur» du
14
Mamasakhlisi c. Fédération de Russie et Géorgie (requête 29999/04) ; Mekhuzla, Sania, Duali, Gogia et autres
c. Fédération de Russie et Géorgie (requête 5148/05) ; Nanava c. Fédération de Russie et Géorgie (requête 41424/04) ;
Parastaevi c. Fédération de Russie et Géorgie (requête 50514/06).
15CR 2008/22, p. 38, par. 67. - 8 -
16
différend . Il soutient alors que le présent différend se rapporte uniquement aux usages illicites de
la force en août 2008 17.
21. Cependant, il faut le répéter, les allégations de la Géorgie énoncées dans sa requête et les
droits invoqués dans les demandes initiale et modifiée sont fondés sur la convention de 1965, et sur
elle seule. En l’occurrence, la Géorgie n’élèv e aucune prétention fondée sur le droit humanitaire
international ou sur le jus ad bellum. Il suffit, pour le constater, de lire les demandes de la Géorgie.
22. M. Pellet dit que la demande modifiée de la Géorgie comporte la même faille parce que,
18
de toute manière, «il s’agit bien de la même demande, fondée sur les mêmes faits» . Le deuxième
point que fait valoir M. Pellet est donc que les faits invoqués par la Géorgie afin d’établir que ses
prétentions sont fondées prima facie ne font pas jouer les obligations imposées par la convention
de 1965.
16 23. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’ai entamé mon propre exposé hier en ces
19
termes : «En la présente espèce, il s’ agit du nettoyage ethnique des Géorgiens...» . M. Akhavan,
qui m’a suivi, a consacré la ma jeure partie de son exposé aux preuves de nettoyage ethnique. Le
nettoyage ethnique constitue une forme de discrimination prohibée par la convention de 1965. Ce
principe n’a pas été contesté hier. Je reviens donc sur le point de M.Pellet quant aux faits. La
Russie peut nier qu’a eu lieu un nettoyage ethnique en Abkhazie et en Ossétie du Sud et dans les
régions adjacentes, ou elle peut soutenir qu’elle n’en est pas responsable: en dépit de tous les
efforts de la Russie, ce sont tout simplement des choses qui arrivent, même dans les meilleures
familles. Il s’agit là de questions qui relèvent du fond. Mais que dit la Russie au sujet du rapport
entre les faits invoqués par la Géorgie et les obligations imposées par la convention ? C’est cette
16
CR 2008/23, p. 29, par. 10 (Pellet).
17Ibid., p. 29, par. 11 (Pellet):
«On ne saurait dire plus crûment que l’objet du différend que la Géorgie voudrait voir examiné
par la Cour ne consiste nullement en de prétendues vi olations par la Russie de ses obligations en vertu de
la convention de 1965, mais qu’il repose (et repose seul ement) sur des allégations d’interventions illicites
et contraires au droit international humanitaire en Ossétie du Sud et en Abkhazie.»
[«It could not be put any more bluntly: the obect of the dispute which Georgia seeks to have
adjudicated by the Court is not at all alleged violations by Russia of its obligations under the1965
Convention, but it is based (and based solely) on a llegations of unlawful ac tions in violation of
international humanitarian law in South Ossetia and Abkhazia.»]
18Ibid., p. 30, par. 12 (Pellet).
19CR 2008/22, p. 20, par. 2 (Crawford). - 9 -
question, qui relève de la compétence, qui intéresse la Cour aujourd’hui. Et à cet égard,
l’intervention de M. Pellet était complètement détachée des faits.
24. M.Pellet dit que nos documents montre nt que nous n’avons jamais mentionné la
convention de 1965, et que :
«pour sa part le mot «discrimination» (et cela vaut aussi pour ses déclinaisons)
apparaît une fois, une seule, dans la décl aration d’un témoin, qui impute d’ailleurs
l’acte 20scriminatoire en question non pas à la Russie mais aux «autorités abkhazes de
fait»» .
25. Le français de M.Pellet est parfait sur le plan de la forme–– je ne peux pas en dire
autant en ce qui concerne ma prononciation. Mais il s’en est servi pour se livrer à une
argumentation vraiment très formaliste. Il s outient essentiellement que, dans les 248pages que
consacre la Géorgie aux éléments de preuve, on ne trouve le terme «discrimination» qu’une seule
fois ; il ne peut donc y avoir de «différend» relatif à la convention de 1965.
26. Mais si vous vous penchez sur la prem ière de ces 248pages, vous verrez des renvois à
des rapports intitulés ««Géorgie: les images sate llite montrent les destructions, les attaques
ethniques», «Statut des personnes déplacées et des réfugiés d’Abkhazie, Géorgie», «Rapports sur
l’anarchie régnant en Ossétie du Sud provoquant de nouveaux déplacements forcés en Géorgie»
⎯ et ensuite, à la page 2 ⎯ «La police sud-ossète demande aux Géorgiens de prendre un passeport
russe ou de quitter leurs maisons», «La France accuse la Russie de nettoyage ethnique», «Russie :
Kouchner prétend que l’on se livre à des activités de nettoyage ethnique en Géorgie», «L’Ossétie
du Sud vidée de ses géorgiens», «Attiser les flammes ethniques en Géorgie» et «Pillages et
nettoyages ethniques dans les enclaves géorgiennes».
17 27. Cela dit, il est exact que l’on ne trouve pas le terme «discrimination» dans ces deux
premières pages. Mais l’argument de M.Pellet ne peut valoir que si la Cour est disposée à
convenir que le nettoyage ethnique et les autres actes de violence visan t les groupes ethniques ne
sont pas constitutifs de discrimination aux fins de l’article premier de la convention. Cela
reviendrait à dire que la torture ne répond pas à la définition de lésion corporelle grave.
28. L’élément fondamental est le suivant. En matière de relations internationales, l’on n’est
pas soumis au carcan de voies de recours formalis tes, encore moins lorsqu’il s’agit de normes de
20
CR 2008/23, p. 31-32, par. 15 (Pellet). - 10 -
droit internationales impératives. Comme je l’ai montré hier ––et comme semble en convenir le
défendeur ––, l’application de la convention de 1965 relève de l’ordre public international ; il n’est
pas nécessaire qu’elle ait été invoquée spécifiquement par une partie. La question est ⎯ comme
vous l’avez dit dans l’arrêt Nicaragua ⎯ de savoir si les faits, tels qu’exposés et s’ils sont
plausibles, mettent en jeu une question visée par la convention. M.Koko ïty semble maintenant
dire que tel est le cas, si l’on en juge par ses plus récentes déclarations. Il est étonnant de constater
que M. Pellet se trouve maintenant en retrait par rapport au dirigeant sud-ossète sur cette question.
29. Bien entendu, la question de la recevabilité se pose, mais l’approche ne saurait être
formaliste. Dans les affaires relatives à l’OTAN, au stade des mesures conservatoires, vous avez
correctement jugé que les actions de celle-ci ne pouvaient, dans les circonstances, faire jouer la
convention sur le génocide (Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c.Belgique), mesures
conservatoires, ordonnance du 2juin1999) . Si vous êtes d’avis que le nettoyage ethnique et le
déni du droit au retour ne sont p as visés par la convention de 1965 ⎯ au sens de la jurisprudence
relative à l’OTAN ⎯ alors, c’est à vous qu’il incombe de le dire. Mais nous soutenons que cette
thèse ne saurait être retenue.
L’obligation de négocier
30. Je passe à une autre question concernant la recevabilité de la présente demande; elle a
trait à l’expression «qui n’aura pas été réglé par voie de négociation» dans l’article 22.
31. Hier, M.Pellet a qualifié la soumission à la Cour d’un différend relatif à la convention
d’«ultime recours lorsque toutes les autres possibilités se sont révélées inopérantes» 21.
32. Mais dans le commentaire sur la conve ntion qui fait le plus autorité, celui de
Natan Lerner qui date de1970 22, rien ne justifie une interprétation aussi restrictive de l’article 22.
18 Ce commentaire note simplement que le différend re latif à la convention peut être renvoyé à la
Cour, à la demande de l’une ou l’autre des parties, «lorsque qu’il n’est pas réglé par la négociation
23
ou par les procédures expressément prévues par la convention» [Traduction du Greffe] . Il n’est
21
CR 2008/23, p. 35, par. 24 (Pellet).
22
N Lerner, The U.N. Convention on the Elimination of AlForms of Racial Discri mination: A Commentary ,
(A W Sijthoff, Leyden, 1970).
23Ibid., p. 104. - 11 -
indiqué nulle part dans le commentaire que la soumission de l’affaire à la Cour constitue un
«ultime recours». Cela n’a pas non plus été la position convenue au cours des négociations.
33. Une approche souple est conforme à l’inte rprétation large prônée par Lerner en ce qui a
trait à l’article 16 de la convention. Cette dis position vise les voies de recours autres que celles de
la convention. Elle ne va pas dans le sen s de l’idée voulant que la convention impose une
hiérarchie des recours, et que la Cour constitue (p our ainsi dire) le terminus d’un long trajet.
Comme l’observe Lerner :
«Manifestement, à ce stade, il n’est pas possible de créer un mécanisme unique
de mise en Œuvre des différents instruments relatifs aux droits de l’homme. Différents
mécanismes existent bien, dont l’intervention dépend des champs de compétence qui
leur sont attribués ; en outre, sur le plan territorial, leur compétence peut être régionale
ou universelle. Aucun de ces mécanismes ne suffit à la tâche et il n’était certainement
pas de l’intention des membres des Nati ons Unies … d’imposer une interprétation
restrictive de l’article 16.»24 [Traduction du Greffe.]
Nous soutenons qu’il en va de même pour l’article 22.
34. J’ai cité hier votre arrêt en l’affaire du Nicaragua, et l’opinion séparée de
sirRobertJennings, qui n’était pas exacteme nt un extrémiste en matière de compétence 25. Tout
cela est fidèle à l’approche cohérente de la C our lorsqu’elle s’est prononcée sur des dispositions
comme l’article 22.
26
35. Je me suis aussi exprimé au sujet de l’arrêt Congo c. Rwanda . L’article29 de la
Convention sur 1’é1imination de toutes les fo rmes de discrimination à 1’égard des femmes
comporte des similitudes avec l’article 22 qui nous occupe, mais il y a une importante différence.
Selon cette disposition, l’intervention de la Cour constitue effectivement une solution de repli. La
voie de recours juridictionnel normale prévue pa r cette convention est l’arbitrage, mais cela
requiert un compromis ⎯ ce n’est que lorsque les parties au différend ne se sont pas entendues
dans les sixmois sur un compromis que la Cour peut être saisie. C’est à l’arbitrage qu’il faut
d’abord avoir recours.
36. Par contre, seule la Cour est compétente pour connaître des différends relatifs à la
convention de1965. Vous seuls pouvez rendre une décision opposable. Si l’on veut que le droit
24Ibid., p.99.
25
CR 2008/22, p. 33, par. 51 (Crawford).
26Ibid., p. 34-35, par. 55-56 (Crawford). - 12 -
19 international soit respecté en temps de crise, le principe doit être que l’intervention d’une
juridiction ne constitue pas un ultime recours, mais un recours possible, et que si des conditions
préalables à l’intervention de la juridiction doivent être imposées, elles doivent l’être en termes
clairs.
37. De toute manière, je note que même si ex iste l’obligation de négocier préalablement à la
saisine de la Cour, il est évident que les parties ne sont pas tenues de poursuivre des négociations
dont tout indique qu’elles seront vaines (voir, par exemple, Concessions Mavrommatis en
o o
Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 13-15 ; affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie
c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 ,
p. 346 ; Applicabilité de l’ob ligation d’arbitrage en vertu de la section21 de l’accord du
26jui1947 relatif au siège de l’Organisati on des Nations Unies, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1988, p.33-34, par.55). Les discussions et les négociations avec la Fédération de
27
Russie au sujet du retour des personnes déplacées durent depuis 2003, comme il a été relevé hier .
Pourtant, au cours de cette période, la situati on s’est aggravée, aucun progrès n’a été constaté ⎯ et
maintenant, quoi que puisse dire M. Wordsworth, la situation est pire encore.
38. Lors des séances publiques des organisations internationales dont est membre la Russie,
la Géorgie n’a cessé de soulever le problème des violences ethniques à l’encontre de Géorgiens. Il
s’agit notamment du Comité des droits de l’homme de l’ONU, du Comité contre la torture et la
Commission européenne contre le racisme et l’intolérance. Par exemple ⎯ un exemple parmi tant
d’autres ⎯ le président géorgien a fait la déclaration suivante lors de la soixante-sixième session de
l’Assemblée générale des Nations Unies du 22 septembre 2006, que vous trouverez à l’onglet 30 du
dossier de plaidoiries :
«Depuis le déploiement en Abkhazie, en Géorgie, des soldats de la paix russes,
plus de 2000citoyens géorgiens ont pe rdu leur vie et plus de 8000maisons
géorgiennes ont été détruites. Depuis plus de 12 ans, les soldats de la paix russes ont
été dans l’incapacité de faciliter le retour de plus de 250 000 personnes déplacées alors
que cela faisait partie explicitement de leur mandat.» 28
27Voir CR 2008/22, p. 35-36, par. 57-59 (Crawford).
28Déclaration de S.Exc.M. MikheilSaakashvili, président de la Géorgie, lors de la soixante et unième
session de l’Assemblée générale de s Nations Unies, 22se. 006, que l’on peut obtenir à www.un.org/
webcast/ga/61/gastatement22.shtml. - 13 -
Le président géorgien a confirmé la teneur de ce tte déclaration à l’Assemblée générale un an plus
tard en septembre 2007 29. Il a fait une référence explicite au «nettoyage ethnique» . 30
20 Madame le président, nous avons donné à la Cour, en réponse au défi qui nous avait été
lancé hier, un échange de lettres entre les pr ésidents des deux Gouvernements des 23juin et
er
du 1 juillet. Je ne m’y réfèrerai pas, sauf volonté contraire de la Cour. Je pense que M. Pellet dit
qu’il est satisfait, mais…
Le PRESIDENT : Je vous en prie, poursuivez.
M. CRAWFORD :
39. La Russie a admonesté la Géorgie hier parce que celle-ci n’avait pas mentionné ces
formes de discrimination au cours des négociations bilatérales entre les deux Etats. Je vous renvoie
à la lettre adressée par le président géorgien au président russe en date du 23juin2008 et à la
er
réponse de celui-ci en date du 1 juillet2008. Nous avons remis à la Cour les originaux et les
traductions. Le président géorgien a réclamé un «dialogue sérieux» concernant une liste de
problèmes auxquels fait face l’Abkhazie. Le premier sur la liste était celui du retour, en toute
sécurité, des personnes déplacées vers Gali et Ochamchirski, lesquelles sont des régions
d’Abkhazie. Dans sa réponse, comme vous pouv ez le lire et le constater par vous-mêmes, le
président russe a dit clairement que, pour trouver une solution à ces problèmes, «le principal
interlocuteur doit être l’Abkhazie».
Compétence ratione loci
40. Madame le président, Messieurs de la Cour, je ne m’étendrai pas sur la compétence sur le
plan territorial. Je note que la jurisprudence la plus instructive aux fins de la présente espèce est
31
l’arrêt rendu en l’affaire Ilaşcu c. Moldova et Russie ⎯ je l’ai citée hier mais M. Zimmermann en
a fait abstraction. La Cour européenne a c onclu que, vu le «soutien militaire, économique,
29
Déclaration de S.Exc.M. MikheilSaakashvili, prés ident de la Géorgie, lors du Débat général de la
soixante-deuxième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, 26 sept. 2007.
30Déclaration de S.Exc.M. MikheilSaakashvili, président de la Géorgie, lors de la soixante et unième
session de l’Assemblée générale des Nations Unies, 2ept2.006, disponible au http://www.un.org/
webcast/ga/62/2007/pdfs/georgia-en.pdf.
31CR 2008/22, p. 28, par. 35 (Crawford). - 14 -
financier et politique» 32 apporté par la Russie au régime sépa ratiste, la région était tombée sous le
contrôle de la Russie et donc sous la juridiction de celle-ci aux fins de l’articlepremier de la
convention européenne. Si l’on a conclu que la Russie contrôlait la région portant le nom de
«République moldave de Transnistrie» sans l’o ccuper militairement, peut-on sérieusement douter
de la réalité du contrôle russe sur l’Abkhazie et l’Ossetie du Sud, qui sont, elles, sous occupation
militaire?
21 Obligation de prévention : articles 2 et 5 de la convention sur la discrimination raciale
41. Enfin, je passe à la portée des obligations imposées par les articles2 et5.
M. Zimmermann est arrivé à une étonnante conc lusion : ces dispositions n’imposent pas aux Etats
signataires une obligation de prévention des violations de la convention. Tout d’abord, nous
soutenons que la Russie a été complice dans ces violations ; d’ailleurs, un bon nombre d’entre elles
ont été commises par des personnes dont la conduite est selon nous attribuable à l’Etat défendeur.
Nous n’invoquons donc pas à l’appui de nos prétentions la seule obligation de prévention.
42. Pour s’en tenir au sens ordinaire de ces dispositions, les Etats parties s’engagent, aux
termes du paragraphe1 de l’article2, «à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard
une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale». Plus précisément,
l’alinéa d) du paragraphe1) de l’article2(1)dispose que «[c]haque Etat partie doit, par tous les
moyens appropriés, y compris, si les circonstances l’exigent, des mesures lé gislatives, interdire la
discrimination raciale pratiquée par des personn es, des groupes ou des organisations et y mettre
fin.». Y mettre fin.
43. Par quelle logique peut-on soutenir que l’ob ligation de «mettre fin, par tous les moyens
appropriés» à la discrimination raciale ne se tradui t pas par l’obligation de la prévenir? Selon
l’article 5, c’est «conformément aux obligations fondamentales énoncées à l’article 2» que les Etats
parties doivent s’acquitter des obligations que leur impose cette disposition. Dans les cas
appropriés, ces deux dispositions imposent une obligation de prévention.
32 o
Ilaşcu c. Moldova et Russie, (déc.) [GC], n 48787/99, par. 392. - 15 -
Conclusions
44. Madame le président, Messieurs de la Cour, pour ces motifs, qui complètent mes
observations d’hier, la Cour est prima facie compétente, au regard de la convention, pour connaître
de la présente demande de la Géorgie ; celle-ci est donc recevable. Madame le président, je vous
demanderai de bien vouloir appeler M. Akhavan.
Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur Crawford. Nous appelons maintenant
Monsieur Akhavan.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Crawford. Je donne maintenant la parole à
M. Akhavan.
M. AKHAVAN :
2. La Russie n’a pas réfuté les assertions factuelles de la Géorgie
1. Madame le président, Messieurs de la Cour , je reviendrai brièvement sur les observations
orales de la Fédération de Russie quant aux assertions factuelles de la Géorgie. A cet égard, je ferai
observer que le plus significatif, dans la plaidoirie de la Russie, est ce qu’elle a omis. Je noterai en
particulier que la Russie n’a pas contesté les éléments de preuve que la Géorgie a soumis à la Cour.
22 En premier lieu, elle n’a pas démenti que les milices ossètes s’employaient à perpétuer le nettoyage
ethnique pratiqué à l’encontre des Géorgiens dans les zones sous contrôle russe. En deuxième lieu,
si elle a nié toute implication de ses forces dans des actes de cette nature, la Russie n’a produit
aucun élément venant réfuter les preuves pléthor iques apportées par la Géorgie établissant au
contraire qu’elles y ont bien pris part. En troisième lieu , la Russie n’a pas contesté que certains
hauts responsables de l’armée et des services de renseignements des deux gouvernements de facto
(séparatistes) étaient en réalité de hauts responsables de la Fédération de Russie.
2. Il est révélateur que M.Wordsworth so it le seul à avoir ne serait-ce qu’essayé de réfuter
les éléments de preuve produits par la Géorgie. Toutefois, affirmons-nous, cette tentative de
réfutation des assertions factuelles de la Géorgie a fait long feu.
3. M. Wordsworth a beaucoup glosé sur le déséquilibre entre les preuves produites par la
Géorgie attestant un nettoyage ethnique en Abkhazie, d’une part, et en Ossétie du Sud, d’autre part. - 16 -
Je ferai à ce propos quatre remarques. Premièrement, la Russie ne conteste pas que la population
de Gali ait été complètement isolée et coupée du reste du pays par les forces russes. Si la Cour en
veut des preuves supplémentaires, je l’inviterai respectueusement à se reporter à un article publié
hier, le 8septembre, par l’agence Itar-Tass : le dirigeant séparatiste abkhaze SergeïBagapsh y
confirme que les forces russes «resteront présentes dans la République et seront en outre nos gardes
frontières dans le district de Gali»33. Pour autant que d’autres preuves puissent permettre de faire
la lumière sur le sort de la communauté géorgienne de souche dans ce district, c’est la Russie qui
est la mieux placée pour obtenir les éléments voulus et tirer au clair les faits. Elle n’a pas cherché à
le faire. Deuxièmement, la population de souche géorgienne, autrefois majoritaire, a été expulsée
de la totalité du territoire abkhaze, à la seule excep tion du district de Gali. En d’autres termes
⎯nous l’avons exposé dans notre requête, et l es agents ou conseil de la Russie ne l’ont pas
contesté dans l’exposé qu’ils ont consacré à la chronologie du présent différend ⎯, le nettoyage
ethnique dont sont victimes les Géorgiens dans ce tte région est en grande partie un fait accompli
qui remonte au conflit de1992-1994. Troisièmement, la Russie ne conteste pas qu’un nettoyage
ethnique ait été pratiqué, au milieu du mois d’août 2008, à l’encontre de 3000 Géorgiens des gorges
de Kodori. Quatrièmement , la Russie ne nie pas que les Géorgiens de Gali risquent l’expulsion
s’ils refusent d’adopter la nationalité russe.
4. M.Wordsworth s’est par ailleurs élevé contre l’utilisation qu’a faite la Géorgie de
nombreuses informations faisant état de nettoya ge ethnique fournies par des médias réputés. A
l’appui de la thèse selon laquelle les sources de ce type seraient, par nature, sujettes à caution, il a
23 invoqué la jurisprudence de la Cour ⎯ en particulier les paragraphes 62 et 63 de l’arrêt Nicaragua.
Mais cet argument ne vaut pas en l’espèce. Premièrement, au paragraphe 63 de l’arrêt Nicaragua,
la Cour rappelle que dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c.Iran) , elle s’est fondée sur des articles et des émissions qui
étaient «d’une cohérence et d’une concordance tota les en ce qui concerne les principaux faits et
circonstances de l’affaire» ; ainsi a-t-elle pu se dire convaincue que les allégations de fait formulées
dans le cadre de cette affaire étaient fondées. Or, tel est exactement le cas de nos sources en
33
«Abkhazia will be able to host brigade of RF troops — Bagapsh», Itar-Tass, 8 septembre 2008. - 17 -
l’espèce. En outre, M. Wordsworth ne tient pas compte du fait que les observations de la Géorgie
reposent sur nombre de sources parfaitement fiables, notamment le Haut Commissariat des
NationsUnies pour les réfugiés, le Comité intern ational de la Croix-Rouge, des organisations de
défense des droits de l’homme réputées ainsi que de nombreuses déclarations de témoins et des
images satellite de l’UNOSAT. Toutes, et y compri s les médias cités par la Géorgie, apportent des
informations cohérentes, qui viennent corroborer le caractère systématique du nettoyage ethnique
faisant l’objet du présent différend devant la Cour.
5. Deuxièmement, au paragraphe64 de l’arrêt Nicaragua, que le conseil de la Russie s’est
gardé de citer, la Cour note que les «déclara tions de représentants d’Etats», y compris celles
«prononcées lors de conférences de presse ou d’interviews [et] rapportées par la presse écrite locale
ou internationale … possèdent une valeur probante particulière lorsqu’elles reconnaissent des faits
ou des comportements défavorables à l’Etat que représente celui qui les a formulées». Parmi les
informations puisées dans les médias invoquées par la Géorgie figurent plusieurs déclarations des
autorités de facto (séparatistes) d’Ossétie du Sud allant à l’encontre de leurs propres intérêts,
puisqu’elles confirment leur intention de pro céder au nettoyage ethnique et au déplacement
permanent de la population géorgienne. Ces décl arations sont étayées et corroborées par, entre
autres sources, des déclarations de témoins.
6. Troisièmement, la Russie essaie d’imposer à la Géorgie le respect d’un critère de preuve
applicable seulement au stade du fond. La question soumise à la Cour porte sur des mesures
conservatoires, et nous soutenons respectueusement que la Géorgie a apporté des preuves plus que
suffisantes des faits qu’il lui incombait d’établir à cet effet.
7. Je note également que M.Wordsworth, quoique sans jamais récuser directement l’un
quelconque des articles invoqués par la Géorgie, a laissé entendre que la Russie avait puisé dans les
médias un volume tout aussi impressionnant d’informations qui viendraient étayer sa propre thèse.
M.Wordsworth n’a cité qu’un exemple de cette parité supposée entre éléments de preuve fournis
par la Géorgie, d’une part, et par la Russie, de l’ autre ; si vous me le permettez, je m’arrêterai un
instant sur cet exemple. M. Wordsworth a relevé que la Géorgie et la Fédération de Russie citaient
toutes deux des articles du journal anglais The Guardian. Il s’est toutefois abstenu de préciser le
contenu de l’article produit par la Géorgie, qui figure à l’annexe 13 de ses observations. Cet article - 18 -
est intitulé «Russia’s cruel intention: in South Ossetia, I witnessed the worst ethnic cleansing since
24 the war in the Balkans» [«L’intention cruelle de la Russie : en Ossétie du Sud, j’ai été témoin [des]
pires actes de nettoyage ethnique depuis la guerre des Balkans»]. Le journaliste qui en est l’auteur
a sillonné pendant trois semaines l’Ossétie du Sud, où il a interrogé des soldats russes sur une
campagne, ainsi qu’il la qualifiée, de meurtres, d’incendies, de pillage et d’enlèvements menée à
l’encontre des personnes de souche géorgienne. Il relate que, inte rrogé sur ces actes de nettoyage
ethnique, un responsable russe a d’abord affirmé que c’étaient «[l]es commandos spéciaux
géorgiens [qui avaient] incendié les maisons», av ant de proposer une autre explication: «ce sont
des fuites de gaz ou des courts-circuits qui ont détruit ces maisons». Le journaliste rapporte avoir
vu des personnes de souche géorgienne fuyant la ville d’Akhalgori, contrôlée par les Russes, et
avoir recueilli cet aveu d’un certain «capitaine Elru s», chef de milice ossète, qu’il interrogeait sur
la destruction des villages géorgiens entre Tskhinvali et Gori : «Oui, nous avons en effet procédé à
des opérations de nettoyage.»
8. M.Wordsworth prête, pour une raison ou pour une autre, à un éditorial du Guardian,
intitulé «This is a tale of US expansion not Russian aggression» [«Une illustration de
l’expansionnisme américain, et non une agression ru sse»], la même valeur probante que l’article
également tiré de ce quotidien cité par la Géorgie, que viennent corroborer de nombreuses autres
sources également reproduites dans ses observations. Madame le président, point n’est besoin pour
moi de démontrer qu’un commentaire politique de cette nature n’a pas sa place dans une procédure
judiciaire. Il n’y a là qu’une illustration de l’in capacité totale de la Fédération de Russie à réfuter
les preuves crédibles, et accablantes, produites par la Géorgie.
9. Je saisis également cette occasion, Madame le président, pour apporter quelques éléments
de réponse supplémentaires à la question que vous avez posée hier à propos des sources du croquis
de la Géorgie reflétant la composition ethnique de l’Ossétie du Sud et du district de Gori avant et
après l’invasion russe du 8août. L’agent de la Géorgie m’a autorisé à informer la Cour que les
cercles blancs représentant des villages désertés av aient été tracés à partir d’informations émanant
du bureau de l’état civil du ministère de la justice du Gouvernement géorgien. Il s’agit notamment
de données fournies par les personnes déplacées, qui sont tenues de s’enregistrer et de préciser leur
village d’origine. Un village est marqué d’un cercle blanc lorsqu’un nombre suffisant de personnes - 19 -
déplacées ont déclaré en être originaires et en être parties dans certaines circonstances. J’espère
que cette explication satisfera la Cour; la Gé orgie lui fournira volontiers tout supplément
d’information qu’elle pourrait souhaiter obtenir.
10. Je voudrais également ajouter, Madame le président, que les faits représentés par ce
croquis sont corroborés par des déclarations de témoins, des informations émanant de Human
25 Rights Watch ou de médias, des images satellite de l’UNOSAT ainsi que d’autres sources. J’ai cité
Kekhvi comme exemple d’un village géorgien dont toutes ces sources ont confirmé la destruction.
Je pourrais en faire autant pour bien d’autres villa ges représentés sur ce croquis, n’étaient certaines
contraintes de temps.
11. Madame le président, je souhaiterais ma intenant examiner certains des éléments de
preuve présentés par le conseil de la Russie à l’a ppui de ses allégations. Comme je le démontrerai,
ceux-ci confirment en réalité les faits tels que les a exposés la Géorgie. Hier, M.Wordsworth a
dressé un tableau extrêmement optimiste de la situation, affirmant que «les actions armées [ayant]
aujourd’hui cessé, et [que] des civils de toutes origines ethniques ⎯quoiqu’il ne s’agisse pas
encore de la totalité ⎯ [avaient] commencé à retourner dans les anciennes zones de conflit». A
l’appui de cette affirmation, il s’est référé à une carte établie par le bureau des Nations Unies pour
la coordination des affaires humanitaires (OCHA), «sur laquelle est représentée la situation en
Géorgie au 25 août 2008». Le conseil de la Russi e n’ayant pas produit cette carte, nous avons pris
la liberté de le faire afin que la Cour puisse l’examiner. Elle figure sous l’onglet 23 du dossier de
plaidoiries et apparaît actuellement à l’écran.
12. Cette carte représente les mouvements de ré fugiés et de personnes déplacées, que ce soit
depuis les zones de conflit ou en direction de celles-ci. Il est précisé dans la légende que les
déplacements sont représentés par des flèches noires et que les retours le sont par des flèches
rouges. Vous remarquerez que, globalement, seules deuxpopulations reviennent: les Ossètes se
trouvant en Ossétie du Nord ⎯en Fédération de Russie ⎯ regagnent l’Ossétie du Sud; et les
Géorgiens regagnent la ville de Gori et les villages environnants, à l’exception de la «zone tampon»
de la Russie. Cette zone d’occupation russe est schématiquement représentée par un ovale rouge
portant, dans un encadré noir, la légende «pas d’accè s à l’aide humanitaire». Cela correspond à la
carte présentée hier, sous l’onglet 17 du dossier de plaidoiries, sur laquelle figure la même zone. Si - 20 -
vous souhaitez effectuer une comparaison, vous pouvez utiliser le gros plan que nous avons montré
de l’Ossétie du Sud, sur lequel cette même zone est délimitée par une ligne gris foncé.
13. Madame le président, lorsque M. Wordsworth a évoqué cette carte, il a, à juste titre, fait
remarquer qu’il était indiqué que 67% des pe rsonnes déplacées d’Ossétie du Sud devraient y
retourner dans les troismois. L’encadré contenant ce chiffre figure en haut à droite de la carte.
Comme je viens toutefois de le faire remarquer, la flèche rouge qui part de l’Ossétie du Nord en
direction de l’Ossétie du Sud indique que seuls les Ossètes se trouvant en Fédération de Russie
regagnent cette région. Je souhaite rais également appeler l’attention de la Cour sur le fait que le
26 chiffre de67% correspond approximativement à la proportion d’Ossètes de souche vivant en
Ossétie du Sud. Autrement dit, cette carte confirme que les Géorgiens de souche qui ont été
déplacés ⎯ soit quelque 40 % de la population d’avant-guerre ⎯ ne devraient pas revenir de sitôt.
14. Il ressort également de la carte que, dans certaines régions du district de Gori contrôlées
par le Gouvernement géorgien, 87 % des personnes déplacées devraient revenir dans les trois mois.
Il n’en va pas de même de la «zone tampon» c ontrôlée par la Russie où, comme il ressort de la
carte, il n’y a pas d’«accès à l’aide humanitaire». En tout état de cause, les forces russes ne laissent
pas les Géorgiens déplacés regagner cette région. La carte indique même que les quelques
personnes qui s’y trouvent encore sont contraintes de quitter leurs villages. Comme vous pouvez le
voir, des flèches noires partent de l’ovale rouge re présentant la «zone tampon» russe du district de
Gori. Les déplacements de population de la région d’Akhalgori vers le nord-est de Gori sont
également représentés sur la carte. Comme vous vous en souviendrez, Madame le président, il
s’agit là des deux zones situées en Ossétie du Sud et dans ses environs à l’égard desquelles la
Géorgie a hier précisé qu’il était nécessaire que la Cour indique d’urgence des mesures
conservatoires.
15. La carte fournit également de précieuses informations quant à la situation des Géorgiens
de souche en Abkhazie. M.Wordsworth s’étant plaint du fait que la Géorgie n’avait pas fourni
suffisamment d’éléments de preuve à cet égard, il convient d’indiquer que la carte corrobore tout à
fait les affirmations de la Géorgie quant au fait que s’y déroule un nettoyage ethnique dont est
victime la population géorgienne du district de Gali. Vous remar querez que, sur la gauche de la
carte, figurent des flèches noires partant des gorges de Kodori ⎯ en haut ⎯ et du district de Gali - 21 -
⎯juste en dessous ⎯, flèches qui indiquent les déplacements depuis ces territoires peuplés de
Géorgiens de souche. Vous remarquerez également, juste en dessous de Gali, en bas à gauche, à la
frontière entre l’Abkhazie et le district de Z ugdidi, le village de Ganmukhuri; une flèche noire
symbolisant le déplacement de Géorgiens part également de ce village. Comme la Cour s’en
souviendra, la déclaration de M.JoniMishve lia, qui figure sous l’onglet15 du dossier de
plaidoiries ⎯et que j’ai citée hier lors de mon intervention ⎯, se rapporte à ce même village.
Cette déclaration témoigne de ce que des pressions ont été exercées sur les habitants géorgiens de
ce village afin qu’ils adoptent la nationalité russe, sous menace d’expulsion, et que de nombreux
habitants se sont sentis obligés de partir. M. Wo rdsworth a dénigré ce témoignage, estimant, pour
27 reprendre ses termes, qu’il s’agissait de simples «allégations fondées sur des ouï-dires» 34. Madame
le président, la carte des Nations Unies sur laquelle M. Wordsworth s’est lui-même fondé corrobore
le témoignage de M.Mishvelia. Cette carte confirme d’ailleurs pl einement que la situation dans
son ensemble est tout à fait celle qu’a décrite hier la Géorgie lors de ses plaidoiries, non seulement
en Abkhazie, mais également dans les districts d’ Akhalgori et de Gori, en OssétieduSud et dans
ses environs.
16. Il convient également de noter que, lors de son intervention, M. Wordsworth a évoqué le
cas de 89 civils géorgiens détenus à Tskhinvali. Il a dit, hier, à la Cour, citant une source ossète,
que «les autorités détenaient 89 civils géorgiens sous bonne garde, ces derniers risquant de se faire
lyncher après la première attaque géorgienne de la ville au début du mois» 35. Autrement dit,
M.Wordsworth cherche à nous faire accroire que les civils géorgiens étaient à l’abri de tout
préjudice. Les témoignages de ces détenus révèlent cependant une réalité bien différente.
17. Voici le récit qu’a fait un habitant de Kvemo Achabeti, âgé de soixante-deux ans, de son
arrestation : «un soldat russe m’a soudain donné un coup violent dans le dos avec la pointe de son
fusil avant de me frapper avec sa crosse». Son témoignage figure à l’annexe25 des observations
de la Géorgie. EnverBabutsidze raconte ensu ite qu’il s’est rendu à pied jusqu’à Tskhinvali,
escorté par un lieutenant de l’arm ée russe, avant de monter dans une voiture où se trouvaient deux
miliciens ossètes, lesquels l’ont conduit au ministère de l’intérieu r à Tskhinvali. Il a ensuite été
34
CR 2008/23, p.56, par. 14 (Wordsworth).
35
Ibid., p. 57, par. 19. - 22 -
placé «dans une cellule sans fenêtre, dotée seulement d’un petit trou pour l’aération» où les gardes
lui ont dit «qu[il était] otage[] et … ser[ait] détenu[] jusqu’à ce qu’un échange ait lieu».
18. Les conditions de détention de M. Ba butsidze et des autres prisonniers étaient
inhumaines.
«Les gardes frappent souvent les otages. Une fois, ils ont pris quatre hommes et
j’ai entendu qu’on les battait. Une autre fois, un garde a brandi un couteau en
s’écriant: «Ah, si seulement je pouvais boire votre sang et ne plus jamais voir de
Géorgiens !» Je me souviens également d’avoir vu un vieil homme de 94 ans qui avait
été sauvagement frappé être jeté dans la ce llule. Cet homme a déclaré avoir été battu
par des soldats russes.»
19. Il est surprenant que M. Wordsworth présente cet incident comme un exemple de bon
comportement des forces ossètes. Le témoignage de ces otages indiquerait plutôt l’entière
complicité des forces russes dans les abus commis à l’encontre des Géorgiens de souche. Dans son
témoignage, M.Babutsidze indique que, alors qu’il effectuait des travaux forcés, il a vu
Mikhail Mindzaev ⎯ qui, comme je l’ai indiqué hier, est le ministre de l’intérieur de l’autorité
28
ossète de facto et un colonel des forces de police russe ⎯ s’entretenir avec le commandant de la
force de maintien de la paix russe ⎯ le généralKulakhmetov ⎯ et ce, à quelques mètres de
M. Babutsidze et d’autres otages, sans d’aucune manière chercher à se dissimuler.
20. L’absence de réaction du généralKulakhmet ov face ces otages n’a peut-être rien de
surprenant, dans la mesure où des officiers russ es menaient les interrogatoires de ces prisonniers.
M.Babutsidze relate ainsi son interrogatoire: «[ u]une pièce de la prison servait à l’interrogatoire
des otages par les Russes et les Ossètes. Mon inte rrogatoire a été effectué presque entièrement par
des officiers russes. Je me souviens qu’ils avaient des étoiles sur leurs uniformes, mais je ne me
souviens pas de leurs grades. On pouvait lire «Russie» sur leurs badges.»
21. M. Babutsidze raconte que les otages ⎯parmi lesquels des femmes âgées ⎯ étaient
devenus tellement nombreux que certains d’entre e ux étaient détenus dans des cages. Madame le
président, apparaît à présent à l’écran une photogr aphie jointe en annexe au témoignage de
M.Babutsidze. Elle a été prise par JonathanL ittel, un journaliste indépendant, et remise à la
Géorgie par Amnesty International. Ce cliché a été pris le 22 août et l’on peut voir, en arrière-plan,
une zone éclairée où flottent des drapeaux russe et géorgien. Il s’agit d’un concert sponsorisé par le
Kremlin dont les médias se sont largement fait l’éc ho et qui a eu lieu devant le parlement de - 23 -
Tskhinvali sous la direction du chef de l’orchest re symphonique de Londres, ValeryGergiev.
M.Babutsidze a reconnu sur cette photographie la cage dans laquelle il était lui-même détenu.
Permettez-moi d’appeler votre attention sur le gros objet vert situé à quelques mètres derrière cette
cage. M.Babutsidze a indiqué dans sa déposition qu’il s’agissait de «logements provisoires pour
les soldats russes» et a ajouté avoir «souvent vu des soldats russes à cet endroit».
22. Je souhaiterais également appeler votre attention sur certaines déclarations de
M.Wordsworth relativement à la nécessité de pr otéger les civils d’âge mûr de l’«indignation
générale» 36. Le conseil de la Russie a laissé entendre que la Géorgie, par ses opérations militaires
visant à faire cesser les attaques des séparatiste s ossètes contre les villages géorgiens, avait
provoqué le nettoyage ethnique qui s’en est suivi. Il ressort toutefois d’un examen plus attentif des
éléments de preuve que le fait que les Russes prés entent les Géorgiens comme des agresseurs fait
en soi partie intégrante de la campagne de nettoyage ethnique qui a commencé immédiatement
après l’invasion russe du 8 août et qui se poursuit aujourd’hui. Je n’ai pas l’intention d’examiner
29 maintenant les circonstances et les événements qui ont conduit à l’invasion russe du 8août en
faveur des séparatistes. Il s’agit d’une question qui relève du fond. Je souhaiterais toutefois
expliquer que ce que M.Wordsworth appelle l’ «indignation générale», consécutive à la brève
opération de défense géorgienne c ontre les forces séparatistes ossè tes le 7août, s’inscrit dans une
stratégie délibérée et continue de la part de la Russie visant à justifier l’actuelle campagne de
nettoyage ethnique. Dans les heures qui ont suivi le déclenchement des hostilités, l’ancien
président russe VladimirPoutine accusait déjà la Géorgie de «génocide» en raison du prétendu
massacre de 2000civils ossètes 37. L’annexe1 au document3 des observations de la Russie
contient la lettre en date du 11 août adressée au président du Conseil de sécurité des Nations Unies
par le représentant permanent de la Russie, lequel indique que «1500 civils pacifiques » ont été tués
par les forces géorgiennes. Alors même que ces accusations de génocide étaient formulées à
l’encontre de la Géorgie, la Russie s’est mise à bombarder massivement les forces géorgiennes de
Tskhinvali, bombardement qu’elle de vait par la suite comparer à la bataille de Stalingrad et dont
36
Par. 19.
37«Poutine accuse la Géorgie de génocide», Russia Today, 10 août 2008, disponible à l’adresse
http://www.russiatoday.com/news/news/28744. - 24 -
elle impute la faute aux Géorgiens. A ce j our, il n’existe aucune preuve d’un quelconque
événement ayant fait, parmi les civils ossètes, un nombre de victimes approchant, même de loin, les
2000, chiffre avancé par la Fédération de Russie. Un rapport de Human Rights Watch confirme
qu’il n’y a eu que 44morts à l’hôpital de Tskhinv ali et que la majorité des victimes étaient des
militaires38. Ce rapport confirme en outre que, parm i les Ossètes interrogés dans les villages
alentours, «[a]ucun ne s’est plaint de traitements cruels ou dégradants infligés par les militaires
géorgiens qui fouillaient les habitations à la recher che de miliciens et d’ar mes». Dans ses propres
observations, la Russie indique, dans le document 2, à la page20, que la commission d’enquête
russe avait depuis ramené ce nombre de 2000 à 133.
23. La violente propagande russe a été utilisée pour déclencher et justifier la vague de
nettoyage ethnique qui s’en est suivie. Comme l’indique un enquêteur de Human Rights Watch
dans une interview du 14août: «le fait que les habitations [géorgiennes] de ces villages aient été
incendiées est en quelque sorte l’Œuvre de la machine de propagande russe qui n’a cessé de parler
de génocide et d’exagérer le nombre de victimes… Cela a ensuite servi à justifier les
représailles.»39 Cette campagne de désinformation, à laquelle ont fait écho dans leurs plaidoiries
les conseils de la Russie, ne fait que souligne r les raisons pour lesquelles existe une «indignation
30 générale» à l’encontre des Géorgiens de souche qui sont présentés comme des agresseurs alors
qu’ils sont, en réalité, les victimes du nettoyage ethnique.
24. Madame le président, Messieurs de la Cour, je souhaiterais, pour conclure, dire, avec tout
le respect que je dois à mes contradicteurs, que la Fédération de Russie n’est aucunement parvenue
à réfuter les faits que la Géorgie a exposés, et que les éléments de preuve qui vous ont été présentés
sont plus que suffisants aux fins d’établir qu’un ne ttoyage ethnique est en co urs, ce qui justifie la
tenue d’audiences relativement à notre demande en indication de mesures conservatoires. Ainsi
s’achève mon intervention. Ce fut un honneur et un privilège que de me présenter devant vous. Je
prierai maintenant la Cour de bien vouloir appeler à la barre M. Reichler.
38
Human Rights Watch, «Russi e/Géorgie: Enquête sur les pertes civi les», 14août 2008, disponible à l’adresse
http://hrw.org/english/docs/2008/08/13/russia19620.htm.
39Tom Partift, «Human Rights Watch : la Russie exagère le nombre des victimes», The Guardian, 14 août 2008,
disponible à l’adresse http://www.guardian.co.uk/world/2008/aug/14/georgia.russia1. - 25 -
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Akhavan. Nous appelons maintenant M. Reichler.
M. REICHLER :
3. LES MESURES CONSERVATOIRES SOLLICITÉES PAR LA G ÉORGIE SONT URGENTES
1. Madame le président, Messieurs de la C our, il me revient aujourd’hui de répondre à mes
distingués confrères représentant la Fédération de Russie, MM. Wordsworth et Zimmerman, qui se
sont exprimés sur les critères applicables en matiè re d’indication de mesures conservatoires, et sur
les mesures spécifiques sollicitées par la Géorgie.
2. Les Parties s’entendent sur les critères applicables en matière d’indication de mesures
conservatoires. Mon distingué confrère, M.Wo rdsworth, a convenu hier qu’il doit exister un
risque qu’il soit porté un préjudice irréparable aux droit en cause, et qu’il doit y avoir urgence. Les
Parties divergent, comme l’a clairement dit M.Wo rdsworth, sur les questions de savoir si ressort
des faits qui ont été exposés devant la Cour au c ours de ces audiences l’existence d’un risque réel
de préjudice irréparable, et s’il y a urgence.
3. M.Wordsworth a soutenu que l’existence d’un tel risque ne ressortait pas des faits en
l’occurrence; M.Akhavan a déjà répondu à cette thèse. Comme vient de le démontrer celui-ci
lorsqu’il s’est exprimé sur les arguments de M.Wordsworth à cet égard, le risque qu’il soit porté
un préjudice irréparable aux Géorgiens de souche demeurés dans le district d’Akhalgori en Ossétie
du Sud, le district de Gali en Abkhazia, et la partie du district de Gori que les forces militaires
russes occupent toujours à titre de «zone tam pon» est on ne peut plus réel et grave ⎯ce que la
31 Géorgie a déjà démontré hier matin. Je n’ai p as besoin d’ajouter quoi que ce soit aux observations
de M. Akhavan.
4. Cependant, je vais répondre à l’argument de M.Wordsworth selon lequel il n’y a pas
urgence. Son raisonnement comporte plusieurs points, et je les aborderai un par un. Premièrement,
soutient-il, et je le cite, la Géorgie n’a pas dém ontré l’urgence de la situation parce que «le dernier
document qui figure dans le dossier des plaidoiries qu’elle a préparé pour les juges date du 29 août,
et à l’heure de l’internet, à la quelle nous devons tous malheureus ement nous adapter, l’absence de - 26 -
documents plus récents en dit long» . Il ne croit pas si bien dire et voici justement ce qu’elle nous
dit. La Géorgie a envoyé tous ses éléments de preuve à l’imprimeur le 2septembre, afin qu’ils
parviennent à la Cour avant la tenue des audiences et soient remis à l’Etat défendeur assez tôt pour
que celui-ci puisse les examiner et n’encourt aucun préjudice. M.Wordsworth serait malvenu de
critiquer cette démarche. Mais puisqu’il veut des documents plus récents, nous sommes heureux de
lui en remettre aujourd’hui, en sus de ceux qui figurent dans notre dossier de plaidoiries. Je dois
signaler que tous ces documents supplémentair es sont accessibles au public. A l’onglet25 du
dossier de plaidoiries des juges, vous trouver ez un rapport de l’UNHCR en date du 2septembre,
qui dit :
«Le HCR reste préoccupé par la situation humanitaire à l’intérieur et dans les
environs de la ville géorgi enne de Gori, qui se trouve juste au sud de la ligne de
démarcation avec la région séparatiste d’Ossétie du Sud. Toutes [les 4200personnes
inscrites comme personnes déplacées] viennent de villages situés dans la zone dite
tampon entre Gori et la frontière sud-ossétienne… D’après nos premières évaluations,
environ 450personnes sont arrivées de leur village la semaine dernière en raison
d’actes d’intimidation massifs par des milices en maraude... Les personnes qui étaient
restées sur place partent désormais en rai41n des passages à tabac, du harcèlement, des
pillages et de l’incendie des maisons.»
Le HCR dit en outre :
«Les 3750 autres déplacés étaient en fait sur le chemin du retour depuis Tbilissi
et d’autres parties de la Géorgie où ils avaient trouvé refuge pendant le conflit, mais ils
ont été bloq42s à Gori lorsqu’il ne leur a pas été possible de poursuivre dans la «zone
tampon».»
5. Rappelons que, hier après-midi, M. Wordswor th a dit à la Cour que plus aucun risque de
préjudice ne pesait sur les Géorgiens de souche viva nt dans la partie du district de Gori que la
Russie considère comme une «zone tampon», que la situation était si calme que les Géorgiens
étaient en train d’y réintégrer leurs foyers, et qu’ils étaient chaleureusement accueillis par les forces
russes. Le HCR, non pas la Géorgie, le HCR, dis- je, réfute les allégations de M.Wordsworth à
32 deux égards. Premièrement, il établit que le risque couru par les Géorgiens de souche dans la zone
contrôlée par les Russes est toujours réel ; «les personnes qui étaient restées sur
place…[s’exposaient notamment] à des passages à tab ac, [au] harcèlement, [aux] pillages et [à]
40
CR 2008/23, p. 60, par. 32 (Wordsworth).
41
UNHCR, Points de presse , «Géorgie: les derniers arrivés de Gori évoquent les fortes mesures d’intimidation
des milices» (2 septembre 2008).
42Ibid. - 27 -
43
l’incendie des maisons» . Deuxièmement, il montre que, cont rairement à ce que nous a dit hier
M. Wordsworth, les Géorgiens de souche ne sont pas autorisés par les Russes à rentrer dans leurs
foyers en territoire contrôlé par ceux-ci; en fa it, lorsqu’ils arrivent, on les arrête aux postes de
contrôle russes et on leur dit qu’ils ne leur es t «pas…possible de poursuivre dans la «zone
tampon»» 44.
6. Les Géorgiens de souche dont le retour est refusé par la Russie vivent une tragédie; par
contre, selon le HCR, «la vaste majorité des personnes ayant fui en Fédération de Russie ont
45
maintenant regagné leurs lieux d’origine en Ossétie du Sud» .
7. Telle était la situation le 2septemb re, il y a une bonne semaine; peut-être que
M.Wordsworth reviendra demain et vous dira que cela n’est pas suffisamment récent non plus.
Nous portons donc aussi à l’attention de la Cour aujourd’hui la déclaration encore plus récente, en
date du 5 septembre, des ambassadeurs de Suède, d’Estonie et de Lettonie, à qui les forces russes
ont interdit l’accès à la «zone tampon» ; ceux-ci voulaient vérifier la réalité du «nettoyage ethnique
rapporté par les agences humanitaires (visant la population géorgienne dans la région) et apporter
une aide humanitaire» 46 [traduction du Greffe] . Selon ces trois ambassadeurs: «Le véhicule
d’aide humanitaire a été arrêté à Karaleti et n’a pas été autorisé à poursuivre sa route ; on a prétexté
la réglementation instituée par les autorités russes concernant les prestataires d’aide humanitaire.» 47
[Traduction du Greffe.] Cette déclaration ⎯laquelle, incidemment, confirme aussi qui contrôle
concrètement cette partie de la Géorgie ⎯ figure dans le dossier de plaidoiries des juges sous
l’onglet 26.
8. Et puis il y a un rapport daté d’hier qui dit que, le 8septembre ⎯ et il serait difficile de
satisfaire M. Wordsworth s’il voulait quelque chose de plus récent que cela ⎯, les forces militaires
russes ont empêché les convois d’aide humanitaire internationale de dispenser aux Géorgiens
demeurés dans les territoires occupés par la Russie l’aide dont ils ont cruellement besoin. Ce
43
Ibid.
44
Ibid.
45 Ibid.
46 Déclaration des ambassadeurs d’Estonie, de Lettonie et de Suède auprès de la Géorgie et du vice-ministre des
affaires étrangères de la Lituanie (5 septembre 2008).
47 Ibid. - 28 -
rapport citait M.DavidCarden, dirigeant d’une mi ssion inter-organisations représentant le HCR,
l’UNICEF et le Programme alimentaire mondial: «Nous avons essayé de remplir une mission
48
33 humanitaire préliminaire. Aujourd’hui, nous n’avons pas atteint les résultats escomptés…»
[Traduction du Greffe.] Dans ce rapport, qui figure dans le dossier de plaidoiries des juges sous
l’onglet27, il y a notamment une photographie en couleur de M.Carden parlant avec un général
russe au poste de contrôle de Karaleti, où sa mission humanitaire a été bloquée.
9. Enfin, je voudrais attirer l’attention de la Cour sur le rapport du 8 septembre –– là encore,
d’hier –– émanant du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui figure dans
le dossier de plaidoiries des juges sous l’onglet 28. Voici quelques-unes de ses constatations : «La
situation est devenue anarchique dans la «zone tampon» contrôlée par la Russie entre Tskhinvali et
Karaleti et cela a forcé beaucoup de personnes à la quitter.» 49 [Traduction du Greffe.] «Certaines
personnes regagnent leur foyer à Gori [c’est-à-dire la ville de Gori] et d’autres villages avoisinants
sûrs. Parallèlement, il y a de nouveaux déplaceme nts à partir de zones où ont été signalées des
50
violences intercommunautaires.» [Traduction du Greffe.] «Les villages d’Ossétie du Sud dont la
population géorgienne est majoritaire ont subi de très graves dommages. Selon les informations
disponibles, ces villages entre Tskhinvali et Java ont été détruits par des milices et des bandes
51
criminelles sud-ossètes.» [Traduction du Greffe.]
10. M. Wordsworth a ensuite fait l’observation suivante au sujet de l’urgence : si elle fut une
réalité, elle ne le fut que pendant la période d’hostilités militaires, qui a pris fin lorsque le
cessez-le-feu est entré en vigueur le 10août. Je me suis exprimé sur cette question dans mes
observations hier, lorsque j’ai évoqué l’arrêt rendu en l’affaire Cameroun c. Nigeria ; la Cour avait
alors indiqué des mesures conservatoires parce que, en dépit du cessez-le-feu entre les deux pays, il
existait un risque que soient commis à nouveau des actes susceptibles de causer un préjudice
irréparable. Là encore, comme je l’ai signalé hier, en l’occurrence, les actes posant aux Géorgiens
48
Fox News, Associate Press, «Russian Troops Turn Away U.N. Convoy in Georgia» [«Les troupes russes
repoussent un convoi des Nations Unies en Géorgie»](8 septembre 2008).
49 Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Ha mmarberg, Human Rights in Areas
Affected by the South Ossetia Conflict, Special Mission to Georgia and Russian Federation [Les droits de l’homme dans
les zones touchées par le conflit en Ossétie du Sud, mission spéciale en Géorgie et en Fédération de Russie]
(8 septembre 2008), par. 2.
50 Ibid., par. 63.
51 Ibid., par. 78. - 29 -
de souche un risque de préjudice irréparable ne se sont pas seulement poursuivis, ils se sont
intensifiés depuis le cessez-le-feu. Mais puisque M.Wordsworth a soutenu cet argument, je
renvoie la Cour à l’onglet9 de notre dossier de plaidoiries, où l’on trouvera le rapport de Human
Rights Watch concernant les photos de l’UNOSAT montrant les villages géorgiens évoquées et
montrées hier à la Cour par M.Akhavan. Ce rapport dit ceci: «La carte montre des incendies
faisant rage dans les villages peuplés par des Géorgiens de souche les 10, 12 , 13, 17, 19 et 22 août,
bien après la cessation des hostilité le 10 août.» 52 [Traduction du Greffe.] En outre, les rapports
34 émanant du HCR, du CICR, et d’Amnesty International, qui figurent aux onglets 5 à 8 du dossier
de plaidoiries des juges ⎯et qui témoignent tous de l’actualité des attaques violentes et des
expulsions que subissent les Géorgiens de souche demeurés dans les territoires contrôlés par les
Russes ⎯ sont aussi postérieurs à la cessation des hostilités militaires.
11. J’en viens au dernier moyen par lequel M. Wordsworth a nié l’urgence de la situation
dans la présente procédure: il a récité les engagements professés par le ministère des affaires
étrangères russe en faveur du droit au retour de toutes les personnes déplacées. Dans un récent
rapport, le Commissaire européen aux droits de l’homme a aussi dit qu’il avait «soulevé la question
du droit au retour auprès de ha uts fonctionnaires, à Tbilissi et à Moscou, et noté que tous
reconnaissaient l’importance du respect inconditionnel du droit au retour de toutes les victimes,
sans réserve» 53 [traduction du Greffe] . Mais les paroles de Mosc ou ne correspondent pas à ses
actes. Et ses actes vont en sens contraire. Se lon le rapport du HCR du 2 septembre, dont j’ai cité
un passage il y a quelques instants, seules les personnes déplacées ossètes ont été autorisées à
réintégrer leurs foyers en Ossétie du Sud. Les personnes déplacées géorgiennes n’ont pas été
autorisées à rentrer en Ossétie du Sud, en Abkhazie ou dans la partie du district de Gori que la
Russie qualifie de «zone tampon». Il est exact , comme l’a dit M.Wordsworth, qu’il y a des
Géorgiens qui rentrent à Gori. Mais ce qu’il a omis de dire à la Cour est qu’ils rentrent dans la ville
de Gori et dans les villages des alentours, précisément parce qu’il n’y a plus de forces russes, et que
52Human Rights Watch, Human Rights News, «Georgia: Satellite Images Show Destruction, Ethnic Attacks.
Russia Should Investigate, Prosecute Crimes » [«Géorgie: Des images prises par sa tellite montrent les destructions, les
attaques ethniques commises. La Russie doit enquêter et poursuivre les criminels»] (29 août 2008).
53Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Ha mmarberg, «Human Rights in Areas
Affected by the South Ossetia Conflict, Special Mission to Georgia and Russian Federation» [Les droits de l’homme dans
les zones touchées par le conflit enOssétie du Sud, mission spéciale en Géorgie et en Fédération de Russie]
(8 septembre 2008), par. 34. - 30 -
ces zones sont à nouveau administrées par le Gouvern ement géorgien, lequel a facilité leur retour.
Ils ne sont toujours pas autorisés à rentrer dans la partie du district de Gori sous contrôle russe.
Comme nous l’avons vu, les organismes d’aide hum anitaire internationaux ou les diplomates ne
sont pas non plus autorisés à franchir les lignes russes délimitées par d es barbelés, comme on le
voit sur la photographie qui figure sous l’onglet 27.
12. Sauf le respect que je lui porte, rien dans les observations faites par mon distingué
confrère hier au nom de l’Etat défendeur ne remet en cause la validité des conclusions tirées par les
organisations non-gouvernementales et inte rnationales réputées auxquelles nous nous sommes
référés hier, c’est-à-dire que «[l]es habitants demeurés dans ces villages ethniques géorgiens
détruits sont confrontés à des conditions désespér ées. Ils n’ont pas de moyens de survie, ne
reçoivent pas d’aide, ne bénéficient d’aucune protection, et n’ont nulle part où aller...» (onglet 7 ; et
«[l]es agences humanitaires ne pouvant accéder [à ces régions rurales reculées] en raison du
manque de sécurité, la situation de ces civils de vient chaque jour plus précaire» (onglet5).
Madame le président, Messieurs de la Cour, on ne saurait trouver une meilleure définition de
l’urgence.
35 13. J’examinerai maintenant l’argument de M.Wordsworth selon lequel la Cour devrait
exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser d’indiquer des mesures conservatoires à l’encontre du
défendeur. Il s’agit là manifestement d’un argument désespéré, et M. Wordsworth l’a pratiquement
reconnu. Il a en effet indiqué que, même si la Cour venait à estimer
«que les critères énoncés à l’article41 sont remplis…un élément essentiel est à
prendre en compte pour ce qui est du pouvoir discrétionnaire: les événements
d’août2008 ont été déclenchés à la suite de l’emploi de la force par la Géorgie en
Ossétie du Sud. Il est indéniable que la Géorgie a employé la force avant la Russie.» 54
Cet argument appelle plusieurs observations rapid es. Premièrement, il convient de relever que
M. Wordsworth se fonde sur de prétendus faits qui se rapportent exclusivement au fond et sont sans
lien avec les mesures conservatoires. La réponse de M.Wordsworth aux éléments de preuve
attestant l’existence d’un préjudice irréparable présentés par la Géorgie consiste à se récrier «Mais
c’est la Géorgie qui a commencé!» Et il nous invite à débattre avec lui pour savoir qui a tiré en
premier. Nous nous y refusons. En effet, nous gardons présent à l’esprit ce que le président nous a
54
CR 2008/23, p. 62, par. 43 (Wordsworth). - 31 -
rappelé hier matin en citant l’instruction de pr océdureXI, laquelle prévoit que les parties doivent
«se limiter aux questions touchant aux conditions à remplir aux fins de l’indication de mesures
conservatoires… Les parties ne devraient pas aborder le fond de l’affaire au-delà de ce qui est
55
strictement nécessaire aux fins de la demande.» La question sur laquelle la Cour est appelée à se
prononcer est de savoir s’il existe un risque actuel ou imminent que soit causé un préjudice
irréparable aux droits que les Géorgiens de souche qui se trouvent encore en Ossétie de Sud, en
Abkhazie et dans la «zone tampon» russe tiennent de la convention de1965. Chercher à savoir
quelle armée a tiré en premier le 7 août ⎯ ou pourquoi elle l’a fait ⎯ est totalement dépourvu de
pertinence. Cela ne saurait justifier que la Cour , si elle venait à «estime[r] que les critères énoncés
56
à l’article41 sont remplis» ⎯pour reprendre les termes de M.Wordsworth ⎯, exerce son
pourvoir discrétionnaire en refusant d’indiquer des mesures conservatoires. Or, M.Wordsworth
n’a fourni aucune autre raison qui pourrait conduire la Cour à le faire.
14. J’en viens maintenant aux arguments fo rmulés par mon ami, M. Zimmermann, afin que
ne soient pas indiquées de mesures conservatoires. M. Crawford en a déjà traité la plupart, mais il
m’en a laissé trois. Premièrement, M.Zimmer mann nous dit que la Cour ne peut indiquer de
57
mesures conservatoires en la présente espèce sans préjuger le fond . Avec tout le respect que je
lui dois, il se trompe. Sa thèse est en contradiction avec la jurisprudence de la Cour en matière de
mesures conservatoires. Je renvoie en particulier la Cour au paragraphe 44 de l’ordonnance qu’elle
36
a rendue le 8avril1993 en l’affaire de la Bosnie, ordonnance à laquelle je me suis déjà
expressément référé hier.
15. M. Zimmermann nous dit que, si la Cour d écide d’indiquer des mesures conservatoires,
c’est qu’elle estime que les circonstances qui le s justifient, y compris la responsabilité du
défendeur, existent bien. Mais cela est faux. En effet, ainsi qu’elle l’a indiqué en l’affaire de la
Bosnie, la Cour «doit, conformément à l’article 41 du Statut, examiner si les circonstances portées à
son attention exigent l’indication de mesuresconservatoires» (voir l’affaire relative à lA ’ pplication de
la convention pour la prévention et la répres sion du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
55CR 2008/22, p. 16 (le président).
56
CR 2008/23, p. 62, par. 43 (Wordsworth).
57Ibid., p. 48-51, par. 32-45. - 32 -
c.Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 8avril1993, C.I.J.Recueil1993 , p.22,
par.44). Il n’y a là rien d’exceptionnel. Si la Cour n’examine pas les circonstances en question,
comment peut-elle déterminer s’il a été satisfait aux critères régissant l’indication de mesures
conservatoires ? Mais cela n’implique pas, contrairement à ce que M. Zimmermann avance, que la
Cour, en examinant ces circonstances, les préjuge. En réalité, c’est tout le contraire. La Cour l’a
indiqué clairement enl’affaire de la Bosnie, en laquelle elle a précisé qu’elle «n’[était] pas habilitée à
conclure définitivement sur les faits ou leur imputabilité et que sa décision d[evait] laisser intact le
droit de chacune des Parties de contester les faits allégués contre elle, ainsi que la responsabilité qui
lui [était] imputée quant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le fond(ibid.).
16. M. Zimmermann soutient également que, même si des mesuresconservatoires devaient être
indiquées en l’espèce, la Cour ne devrait pas indiquer celles que la Géorgie a demandées, dès lors
qu’elles imputeraient au défe ndeur la responsabilité du compor tement de personnes et la
responsabilité à raison d’actions su r lesquels il n’exerce aucun c ontrôle. Telle n’est nullement
l’intention de la Géorgie. M. Zimmermann se référait sans doute à l’alinéab) du paragraphe 23 de la
demande en indication de mesures conservatoires modifiée de la Géorgie, dans lequel celle-ci prie la
Cour de dire que le défendeur devra «prendr[e] toutes les mesures nécessaires pour empêcher que
des groupes ou des individus ne se livrent à l’enc ontre de personnes de s ouche géorgienne à des
actes de discrimination raciale, sous forme d’actes de contrainte». Cependant, comme je l’ai
précisé hier, cette demande a pour objet de protéger les droits des Géorgiens de souche qui sont
menacés «par des organisations ou des individus lesquels, qu’ils soient des organes de l’Etat
58
défendeur, ou non, sont de t oute manière sous [son pouvoir, son autorité] ou son influence» . Ce
37 sont là les mêmes termes que ce ux que la Cour a employés dans son ordonnance en indication de
mesures conservatoires rendue en l’affaire de la Bosnie. La Géorgie ne voit d’ailleurs aucune
objection à ce que ces termes soient ajoutés à sa demande en indication de mesures conservatoires
en la présente espèce, de sorte qu’il serait demandé au défendeur de «prendr[e] toutes les mesures
nécessaires pour empêcher que des groupes ou des individus qui se trouvent sous son pouvoir, son
58
CR 2008/22, p. 65, par. 35. - 33 -
autorité, ou son influence ne se livrent à l’encontre de personn es de souche géorgienne à des actes
de discrimination raciale, sous forme d’actes de contrainte».
17. Cela ne saurait conduire la Cour à hé siter à indiquer les mesures conservatoires
demandées. Que ces termes soient ajoutés ou non, la Géorgie convient que la Russie ne saurait être
tenue pour responsable d’une violation de l’ordonnance de la Cour à raison d’actes commis par des
tiers qui ne se trouveraient pas sous son autorité ou son influence. Il est également tout à fait
inconcevable que la Cour tienne la Russie pour responsable de te ls actes. Dans l’hypothèse où la
Géorgie serait amenée à invoquer la violation d’ une quelconque mesure conservatoire indiquée par
la Cour, il lui faudrait prouver, lors de la phase du fond, l’imputation des actes de la même manière
que tout autre fait. Aussi la Russie ne risque -t-elle aucunement d’être tenue pour responsable à
raison d’actes commis par des tiers sur lesquels elle n’exerce aucune autorité ni influence.
18. M. Zimmerman avance que, pour se confor mer aux mesures conservatoires que la Cour
pourrait indiquer, la Russie devrait envoyer de nouvelles troupes en Géorgie. Cet argument est
fallacieux. En réalité, c’est tout le contraire. Le meilleur moyen pour la Russie d’éviter de violer
une éventuelle ordonnance de la Cour est de retir er l’ensemble de ses forces de Géorgie. A cet
égard, la ville de Gori et ses villages environna nts font figure d’exemple. Après le retrait des
forces russes, la paix et l’ordre y ont été rapidement rétablis, et les personnes déplacées ont regagné
leurs domiciles. Aucun conflit interethnique n’a ét é signalé. Il n’y a que derrière les lignes russes
que les violentes attaques se poursuivent, que les maisons continuent d’être incendiées et que les
Géorgiens de souche continuent de fuir. Si la Russie souhaite éviter d’être tenue pour responsable
de ces actes, elle peut restituer à la Géorgi e la «zone tampon» qui, après tout, relève
incontestablement de la souveraineté de cette dern ière. Si la Russie souhaite éviter d’être tenue
pour responsable de violations de la conventi on de1965 survenues en Ossétie de Sud et en
Abkhazie, elle peut également se retirer de ces régions, et céder la place aux forces neutres de
maintien de la paix européennes, dont l’arri vée est promise depuis longtemps mais a été
constamment repoussée. La Russie ne saurait être tenue pour responsable d’actes ayant eu lieu
dans des zones sur lesquelles elle n’exerce aucune autorité. En conséquence, le meilleur moyen
pour elle de se prémunir contre toute accusation de violation d’obligations lui incombant aux
termes de mesures conservatoires indiquées par la Cour serait de céder le contrôle sur ces zones à - 34 -
38 la Géorgie et aux forces européennes de maintien de la paix. En attendant, il est nécessaire
d’imposer au défendeur des mesures conservatoires.
19. Le dernier argument de M. Zimmermann que j’examinerai est que toute ordonnance en
indication de mesures conservatoires rendue par la Cour devait porter sur les droits des deux
parties. M.Wordsworth a d’ailleurs formulé une observation similaire en se référant, à plusieurs
reprises, au rapport d’Amnesty International qui figure dans le dossier de plaidoiries, sous
l’onglet6. M.Wordsworth a souligné que, pour reprendre ses termes, «Amnesty a[vait] invité
toutes les parties au conflit «à assurer la protection des civils susceptibles d’être victimes de
représailles interethniques».»59 Aussi bien M.Zimmermann que M.Wordsworth semblent donc
suggérer que toute mesure conservatoire indiquée par la Cour doit viser les deux Parties de la
même manière.
20. Mais quelles circonstances pourraient néces siter que des mesures conservatoires soient
indiquées contre la Géorgie? Ni M.Zimmermann ni M.Wordsworth ne l’ont dit. Ils n’ont
présenté aucun élément pertinent à cet égard. M.Zimmermann s’est contenté d’affirmer que les
ordonnances en indication de mesures conservatoires devaient protéger les droits en litige des deux
parties. Certes. Mais il n’a pas précisé quels seraient les droits de la Russie qu’il conviendrait de
sauvegarder. Comme je l’ai indiqué hier, aux te rmes des mesures conservatoires demandées par la
Géorgie, la Russie serait tenue d’agir conformé ment à ce que la convention de 1965 lui impose
déjà. Si elle n’est aucunement en dro it de se livrer à l’une quelconque des activités
discriminatoires que pourrait interdire une ordonnance de la Cour, la Russie est toutefois ⎯ bien
évidemment ⎯ en droit de ne pas s’estimer liée par une ordonnance en indication de mesures
conservatoires, si les conditions à remplir pour leur indication ne sont pas réunies. Mais nous
continuons d’affirmer, comme nous l’avons fait hier , qu’elles le sont. Les faits présentés par la
Géorgie l’attestent.
21. Comme la Géorgie l’a démontré, les droits risquant de subir un préjudice irréparable et
justifiant l’indication de mesures conservatoires sont ceux des Géorgiens de souche qui se trouvent
encore dans les territoires contrôles par l’armée russ e, à savoir le district d’Akhalgori, en Ossétie
59
CR 2008/23, p. 57, par. 17. - 35 -
du sud, le district de Gali, en Abkhazie, et les zones du district de Gori où la Russie conserve une
«zone tampon» autoproclamée. Il n’a pas été démontré qu’un risque de préjudice irréparable pesait
sur un quelconque autre droit collectif ou individuel.De toute évidence, il n’a pas été démontré
qu’un risque de préjudice irréparable pesait sur le s droits de quiconque se trouvant sur le territoire
administré par la Géorgie. Il va de soi que, en vertu de la convention de1965, les Ossètes et
39
Abkhazes de souche, et d’autres encore, jouissent des mêmes protections que les Géorgiens de
souche. Le défendeur n’a cependant présenté aucun élément de fait indiquant, même de manière
très indirecte, que les droits de ces autres groupes ethniques et d’autres encore présents sur le
territoire contrôlé par le Gouvernement de la Géorgie étaient exposés à un risque ⎯ et encore
moins à un préjudice irréparable. Les seuls droits dont il a été démontré qu’ils risquaient de subir
un préjudice irréparable sont ceux des Géorgiens de souche se trouvant encore sur le territoire
contrôlé par la Russie. Dès lors, si des mesures conservatoires doivent être indiquées, c’est à son
intention, et non à celle de la Géorgie.
22. Madame le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé. Je remercie de
nouveau la Cour pour son aimable et courtoise atte ntion, et vous prie respectueusement d’appeler à
la barre l’agent de la Géorgie afin qu’il présentles observations finales et les conclusions de la
Géorgie.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Reichler. La Cour appelle maintenant à la barre l’agent
de la Géorgie.
Mme BURJALIANI :
4. EXPOSÉ FINAL ET CONCLUSIONS DE LA G ÉORGIE
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, je répondrai aujourd’hui à certains des
arguments soulevés par l’honorable conseil de la Fédération de Russie et reviendrai sur les
considérations qui motivent la demande en indication de mesures conservatoires de la Géorgie.
2. Si mon gouvernement comparaît aujourd’hui devant votre éminente Cour, c’est parce qu’il
a l’intime conviction que ce différend doit être réglé conformément au droit international. Et je
voudrais saisir cette occasion pour vous remercier du temps et de l’attention que vous avez
consacrés à cette question. - 36 -
3. Madame le président, Messieurs de la C our, tandis que nous parl ons, la discrimination se
poursuit à l’encontre des personnes de souche géorgienne, toujours plus nombreuses à devoir
quitter leurs foyers et à venir rejoindre les centai nes de milliers de personn es déjà réduites à l’exil
dans leur propre pays. L’affirmation de l’éminent conseil de la Fédération de Russie selon laquelle
les personnes déplacées ont pris le chemin du retour ne correspond tout simplement pas à la réalité.
Seules quelque 30 000 personnes déplacées qui vivaient dans la ville de Gori, mais pas dans le reste
du district de Gori, dans les districts de Kaspi, Kareli, Khashuri ou Igoeti, ont entrepris de regagner
des zones repassées sous contrôle du Gouvernemen t géorgien. Aucun Géorgien n’est autorisé à
40 revenir dans les villages du district de Gori pr oches de la région de Tskhinvali, contrôlée par les
forces militaires de l’Etat défendeur. Au contraire, les rares Géorgiens demeurés dans ce district en
sont expulsés.
4. Ainsi que M. Akhavan l’a montré sur la carte , le poste de contrôle le plus méridional des
forces militaires de l’Etat défendeur est situé dans le village de Karaleti ⎯à quelques kilomètres
au nord de la ville de Gori. Voici à peine quinze jours, des dizaines de personnes déplacées de
souche géorgienne étaient parv enues à gagner ce village. En mo ins d’une semaine, victimes de
harcèlement et de persécution, toutes avaient été contraintes d’abandonner leurs foyers. Pas plus
tard qu’hier, nous avons recueilli le témoignage d’une survivante du villa ge de Mekhvrekisi, Tea
Kakhiashvili : le 28 août, a-t-elle rapporté, des Co saques et des Russes ont pénétré dans le village,
mis le feu à ce qui en restait et contraint les Géor giens au départ. Ils ont, a-t-elle poursuivi, torturé
une villageoise de 70ans, OliaKhaladze, et l’ont tuée devant les autres habitants, laissant ensuite
son corps exposé.
5. Le 5 septembre 2008, les ambassadeurs d’Es tonie, de Lettonie et de Suède, accompagnés
du vice-ministre lituanien des affaires étrangères, ont relaté qu’ils s’étaient vu refuser l’accès aux
villages géorgiens du district de Gori par les fo rces militaires russes déployées dans les villages de
Karaleti et de Variani. Ils ont exprimé leur inquiétude quant à un «possible nettoyage ethnique en
60
cours» .
60
Déclarations des ambassadeurs sur les postes de contrôle militaires russes, 7 septembre 2007. - 37 -
6. Ainsi, tout argument avancé par l’éminent conseil de la Fédération de Russie à l’effet de
faire accroire que les Géorgiens ne sont pas à l’heure actuelle victimes de violences à caractère
discriminatoire appelant des mesures d’urgence est tout simplement faux.
7. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’affirmation de M.Zimmermann selon
laquelle il ne resterait qu’une présence militaire russe limitée sur le territoire de Géorgie, appelée à
diminuer encore, est contredite par les faits. Sauf le respect que je lui dois, je rappellerai au conseil
de la Fédération de Russie que la Géorgie est un petit pays. La superficie de l’Ossétie du Sud,
même avec les villages du district de Gori sous contrôle russe, ne dépasse pas4500km². Les
postes de contrôle russes sont établis sur des routes stratégiques, afin d’assurer le contrôle absolu et
effectif de tout le périmètre. Le conseil de la Fédération de Russie ignorait sans doute qu’hier,
tandis que nous plaidions devant la Cour, l es forces militaires russes avaient établi un nouveau
poste de contrôle dans le village de Nazadi, à l’ouest de la Géorgie, faisant passer sous leur
contrôle une énième communauté géorgienne.
41 8. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est l’Etat défendeur qui est à l’origine de la
violence ethnique sur le territoire géorgien. Il ne fait plus aucun doute, aux yeux de la communauté
internationale, que la Russie, en dépit du rôle qu’elle s’est arrogé et de la couverture sur mesure
derrière laquelle elle s’abrite, est une partie poursuivant ses propres intérêts dans la région et non le
médiateur neutre qu’elle se targue d’être.
Madame le président, je vois qu’il est 18 heures. Si vous me le permettez, je conclurai dans
trois minutes. Je vous remercie.
9. La thèse du défendeur selon laquelle la Gé orgie serait à l’origine des violences ethniques
en Ossétie du Sud est dépourvue de fondement ; la Géorgie n’est pas en conflit avec les Ossètes :
ceux-ci sont des milliers à vivre sur son territoire, où aucun organe international n’a jamais constaté
le moindre acte de discrimination à leur encont re. Nombreux sont les Ossètes prenant une part
active à la vie politique, économique et culturelle de la Géorgie. Certains occupent des fonctions
élevées au sein du gouvernement, y compris en tant que membres du conseil des ministres ou que
hauts conseillers d’Etat.
10. Madame le président, Messieurs de la Cour , mon pays cherche à obtenir de la Cour une
aide urgente non pas dans le dessein de résoudre nombre de questions politiques ou autres restées - 38 -
pendantes entre lui et l’Etat défendeur, mais pour sauver la vie et l’intégrité de milliers de
personnes de souche géorgienne qui sont à la merci de la Russie et des milice séparatistes opérant
sous son contrôle.
11. La Géorgie prie donc respectueusement la Cour, dans l’attente de sa décision sur le fond
de l’affaire, d’indiquer d’urgence les mesures conservatoires suivantes, aux fins d’éviter qu’un
préjudice irréparable ne soit porté aux droits que les personnes de souche géorgienne tiennent des
articles2 et5 de la convention internationa le sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale :
a) la Fédération de Russie prendra toutes les mesu res nécessaires pour faire en sorte qu’aucune
personne de souche gé orgienne ni aucune autre personne ne soit soumise à des actes de
discrimination raciale, sous forme d’actes de vi olence ou de contrainte , à savoir, notamment:
meurtre ou menace de meurtre, atteinte ou menace d’atteinte à l’intégrité physique, détention
42 illicite et prise d’otages, destruction ou pillage de biens et tout autre acte accompli dans le
dessein d’obtenir le départ des personnes visées de leurs foyers ou de leurs villages en Ossétie
du Sud, en Abkhazie ou dans les régions géorgiennes adjacentes ;
b) la Fédération de Russie prendra toutes les mesu res nécessaires pour empêcher que des groupes
ou des individus ne se livrent à l’encontre de personnes de souche géorgienne à des actes de
discrimination raciale, sous forme d’actes de contrainte, à savoir, notamment: meurtre ou
menace de meurtre, atteinte ou menace d’attein te à l’intégrité physique, détention illicite et
prise d’otages, destruction ou pillage de bi ens et autres actes accomplis dans le dessein
d’obtenir le départ des personnes visées de leurs foyers ou de leurs villages en Ossétie du Sud,
en Abkhazie ou dans les régions géorgiennes adjacentes ;
c) la Fédération de Russie s’abstiendra de prendre toute mesure pouvant compromettre le droit des
personnes de souche géorgienne de participer pleinement et sans discrimination aux affaires
publiques de l’Ossétie du Sud, de l’Abkhazie ou des régions géorgiennes adjacentes.
La Géorgie prie en outre la Cour d’indiquer d’urgence les mesures conservatoires suivantes,
dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, aux fins d’empêcher qu’un préjudice
irréparable ne soit porté au droit au retour que les personnes de souche géorgienne tiennent de - 39 -
l’article5 de la convention intern ationale sur l’élimination de t outes les formes de discrimination
raciale :
d) la Fédération de Russie s’abstiendra de prendre ou de soutenir toute mesure qui aurait pour effet
de priver les personnes de souche géorgienne ou toutes autres personnes expulsées d’Ossétie du
Sud, d’Abkhazie et de régions adjacentes en rais on de leur appartenance ethnique ou de leur
nationalité de l’exercice de leur droit de retourner dans leurs foyers d’origine ;
e) la Fédération de Russie s’abstiendra de prendre toute mesure, ou de soutenir toute mesure prise
par quelque groupe ou individu que ce soit, qui entraverait ou empêcherait l’exercice du droit
des personnes de souche géorgienne ou de toutes autres personnes expulsées d’Ossétie du Sud,
d’Abkhazie et de régions adjacentes en rais on de leur appartenance ethnique ou de leur
nationalité de retourner dans ces régions ;
f) la Fédération de Russie s’abstiendra d’adopter toute mesure qui porterait préjudice au droit des
personnes de souche géorgienne de participer pleinement et sans discrimination aux affaires
publiques après leur retour en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions adjacentes.
12. Madame le président, à ces conclusions , telles que présentées dans sa demande en
indication de mesures conservatoires modifiée, en date du 25 août, la Géorgie en ajoutera une autre,
ainsi qu’annoncé hier par M. Reichler. Cette conc lusion est la suivante : «la Fédération de Russie
s’abstiendra de paralyser, et elle permettra et facilitera, la distribution de l’aide humanitaire à toutes
les personnes se trouvant dans les territoires qu ’elle contrôle, indépe ndamment de leur
appartenance ethnique».
Madame le président, Messieurs de la Cour , au nom du Gouvernement et du peuple de la
Géorgie, je voudrais vous remercier de l’attention que vous avez bien voulu prêter à cette question
urgente.
43 Le PRESIDENT: Je vous remercie, Madame Burjaliani. Voilà qui met fin au second tour
d’observations orales de la Géorgie. La Cour se réunira de nouveau demain, à 16h30, pour
entendre le second tour des observations orales de la Fédération de Russie.
L’audience est levée.
L’audience est levée à 18 h 5.
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