Non-Corrigé Traduction
Uncorrected Translation
CR 2010/17 (traduction)
CR 2010/17 (translation)
Vendredi 15 octobre 2010 à 16 heures
Friday 15 October 2010 at 4 p.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT: J’en viens à présent au second tour de plaidoiries de la Colombie. Je
donne la parole au premier orateur, M. Rodman Bundy.
M. BUNDY :
L’ INTÉRÊT D ORDRE JURIDIQUE QUE REPRÉSENTE LE TRAITÉ DE 1977 ET LE FAIT QUE LE
N ICARAGUA N EN AIT PAS TENU COMPTE
1. Je vous remercie, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Les trois
Etats ayant plaidé cette semaine ont consacré une part très importante de leurs exposés aux accords
de délimitation qui ont été conclus dans cette partiede la mer des Caraïbes, notamment le traité
de 1977 entre la Colombie et le Costa Rica. Et cela est tout à fait normal. Eléments importants des
relations traditionnelles entre les Etats concernés, ce s traités sont pertinents en ce qui concerne la
requête à fin d’intervention présentée par le Costa Rica.
2. D’après ce que nous avons entendu cet ap rès-midi, le Nicaragua semble estimer qu’il
aurait été plus approprié d’examiner ces questi ons lors de la phase du fond. Permettez-moi
toutefois de suggérer à mes collègues qui plaident en son nom de relire tout simplement leurs
propres exposés de mercredi, dans lesquels ils ont longuement parlé des trois accords de
délimitation conclus dans cette partie de la mer des Caraïbes, y compris du tripoint. Si ces accords
sont pertinents quant au fond, ils le sont aussi tout particulièrement aux fins du présent stade de
l’instance en ce qui concerne la requête du Costa Rica.
Ayant écouté avec attention le premier tour de plaidoiries du Nicaragua, mercredi, et les
plaidoiries en réponse du CostaRica, hier, je souha iterais tout d’abord me pencher sur un certain
nombre de points de détail concernant le traité de 1977 afin de rétablir la vérité. J’aborderai ensuite
la question de principe fondamentale en ce qui concerne la requête du Costa Rica, à savoir la raison
pour laquelle le traité de 1977 constitue, en soi, un intérêt d’ordre juridique justifiant cette requête à
fin d’intervention. Enfin, j’évoquerai brièveme nt en quoi le Nicaragua ne tient, dans ses
revendications, aucunement compte de cet intérêt.
3. M.Crawford prendra ensuite la parole, pui s ce sera au tour de l’agent d’intervenir pour
présenter les conclusions de la Colombie. - 3 -
4. Il est un fait établi qu’il a été décidé que la portion occidentale de la ligne définie dans le
traité de 1977 se poursuivrait plein nord, le long du méridien de 82° 14' de longitude ouest, jusqu’à
atteindre la frontière avec un Etat tiers, en l’ occurrence le Nicaragua. Selon la Colombie, cet
11 accord atteste que le Costa Rica estimait que le trip oint avec le Nicaragua serait un point situé dans
le prolongement de cette ligne, au sud-ouest de l’archipel de San Andrés. Je constate que, hier,
M. Lathrop a placé ce «tripoint hypothétique» très au nord. En réalité, il est vraisemblable que ce
point se situe bien plus au sud, comme la Colomb ie l’a expliqué mercredi. De fait, comme le
CostaRica l’a lui-même indiqué en début de semaine —lundi—, la ligne définie en1977 serait
prolongée jusqu’à ce qu’elle rejoigne la frontière du Costa Rica avec un Etat tiers, qu’il a lui-même
désigné, lundi, comme étant le «Nicaragua» (CR 2010/12, p.34, par. 11). Il n’en reste pas moins
que, aussi méridional que soit l’emplacement de ce tripoint, la Colombie reconnaît que le
Costa Rica a bien un intérêt d’ordre juridique là où il sera situé.
5. Dans les exposés oraux qu’ils ont présentés cette semaine, la Colombie et le Nicaragua ont
tous deux indiqué que la ligne du traité de 1977 n’était pas définie par rapport au82 eméridien,
auquel le traité de 1928/1930 se réfè re effectivement, mais pas le traité de 1977 entre la Colombie
et le Costa Rica.
6. Le Nicaragua est cependant allé plus loin dans sa plaidoirie de mercredi. D’après son
éminent agent, en1977, le CostaRica n’ignora it pas que le Nicaragua ne reconnaissait pas le
82eméridien comme ligne de délimitation (bien qu e celui-ci constitue la limite occidentale de
l’archipel) et qu’il contestait que la Colombie a it souveraineté sur toutes les îles, bancs et cayes
situés dans la portion sud-ouest de la mer des Ca raïbes. A l’appui de cette thèse, l’agent s’est
référé, mercredi, à une note diplomatique adress ée le 18 octobre1972 au Nicaragua par M. Facio,
alors ministre des affaires étrangères du CostaRica, dans laquelle celui-ci ⎯ M. Facio,
donc ⎯indiquait que son gouvernement «considér[ait] que les cayes et îlots dénommés
Quitasueño, Roncador et Serrana se situ[ai]ent sur le plateau continental de la République du
Nicaragua» (CR2010/13, p.14, par.16 (ArgüelloGómez)). Cesformations ne sont pas
véritablement pertinentes aux fins de la présente in stance, qui a trait à la portion méridionale de la
région, mais c’est le document auquel l’agent s’est référé. - 4 -
7. Ce document ne replace malheureusement pas la question dans son contexte. Pour
commencer, la déclaration du ministre des affaires étrangères costaricien a été faite à une époque
où le Nicaragua tentait de rallier, dans la région, des opposants à l’accord auquel les Etats-Unis et
la Colombie étaient parvenus, à savoir l’acco rd de1972 aux termes duquel les Etats-Unis
renonçaient officiellement à faire valoir toute prétention de souveraineté sur Quitasueño, Roncador
et Serrana. Ainsi que cela ressortait claireme nt du traité de1928/1930 lui-même, le différend
relatif à ces trois îles opposait les Etats-Unis à la Colombie. A l’époque, le Nicaragua manqua de
laisser entendre qu’il avait un intérêt relativem ent à ces îles. Ce nonobstant, un mois seulement
12
après que les Etats-Unis et la Colombie eurent si gné le traité de 1972 qui ré glait cette question, le
Nicaragua adressa des notes à tous les Etats de la région afin qu’ils s’opposent, avec lui, à cet
accord. Deux de ces notes furent adressées au Costa Rica, et c’est ce à quoi M. Facio a répondu en
octobre 1972.
8. C’est ce même M.Facio qui, cinqans plus tard, devait signer, au nom du CostaRica, le
traité de1977 avec la Colombie. Comme nous l’a vons vu, ce traité attestait que le CostaRica
reconnaissait que les îles méridionales de l’archipel de SanAndres, y compris les cayes
d’Alburquerque et autres, appartenaient à la Colombie et devaient se voir reconnaître un plein effet
à des fins de délimitation. Ce traité attestait également que le Costa Rica acceptait l’accord conclu
à cette même fin par la Colombie et le Panama, les deux instruments se rejoignant à l’est.
9. Mercredi, le Nicaragua a pris le parti d’omettre une autre déclaration importante de
M.Facio, à savoir un discours qu’il a prononcé au CostaRica, le 22août1998, devant le corps
diplomatique (CMC, annexe 217), et dans lequel il évoquait à la fois la position du Nicaragua par
rapport au traité de 1928/1930 avec la Colombie, ainsi que la position du Costa Rica par rapport au
traité de 1977 et à la question de la souveraineté sur l’archipel de San Andrés. Plusieurs passages
du discours prononcé par M.Facio en1998 devant le corps diplomatique méritent, selon moi,
d’être rappelés.
10. Après avoir indiqué qu’il estimait que la thèse du Nicaragua selon laquelle le traité
de1928/1930 était nul et non avenu n’était pas défendable, M.Facio a exposé la position du
Costa Rica relativement au traité de 1977 conclu avec la Colombie. Je le cite : - 5 -
«Compte tenu de ce qui précède [c’est-à-dire, de la nullité de la thèse de la
nullité du traité], [i]l n’y a pas de raison pour que l’assemblée législative n’approuve
pas le traité «Fernandez-Facio» qui a dûmen t délimité les frontières maritimes dans
l’océan atlantique entre les Républiques de Colombie et d[u] Costa Rica, en partant du
principe que l’archipel de San Andrés appartenait à la Colombie.»
Et M. Facio de poursuivre, en ce qui concerne la Colombie :
«La République [de Colombie] n’a aucune raison de respecter la déclaration du
Gouvernement du Nicaragua, selon laquelle le traité est nul et non avenu et, que cet
accord existe ou non, la Colombie continue ra d’exercer la souveraineté qu’elle a
toujours exercée sur l’archipel de San Andr és, un siècle avant la reconnaissance de ce
fait juridique par le Gouvernement du Nicaragua en vertu du traité
«Bárcenas-Esguerra».
En conséquence, le Gouvernement du Nicaragua ne peut rien nous reprocher [au
CostaRica] puisque, en signant le traité «Fernandez-Facio» de1977, nous avons agi
conformément à la situation juridique existante, selon laquelle l’archipel de
San Andrés fait partie intégrante du territoire colombien.»
13 11. Il ressort des exposés présentés cette semain e par le Nicaragua que celui-ci ne reproche
en réalité pas au Costa Rica d’avoir conclu le tra ité de 1977, et qu’il ne le reproche pas non plus à
la Colombie. Ainsi que M. Sergio Ugalde l’a conf irmé hier, le Nicaragua ne s’est pas élevé contre
cet accord (CR2010/15, p.22, par.14). Il n’a pas non plus formulé d’objection à l’égard de
l’accord conclu entre le Panama et la Colombie ou de l’accord conclu entre le CostaRica et le
Panama. Dès lors —le Nicaragua n’ayant formulé d’objection à l’encontre d’aucun de ces trois
accords—, ce n’est pas sans surprise que nous l’av ons entendu, en début d’après-midi, tirer grief
de ce qu’il prétend être une pratique qui viserait, d’une manière ou d’une autre, à l’empêcher de
jouir de ses droits maritimes. Au cours de la présente instance, le Nicaragua a, tout au contraire,
fait fond sur l’accord de1977 afin d’étayer sa th èse selon laquelle le CostaRica n’a pas d’intérêt
d’ordre juridique susceptible d’être affecté par une décision en l’affaire.
12. Le Nicaragua ne saurait tout à la fois in voquer le traité de1977 et le récuser. Etant
donné qu’il fait non seulement fond sur celui-ci, mais souligne qu’il est, dans la pratique, respecté
depuis plus de trenteans, le Nicaragua doit également admettre que ce traité a reconnu la
souveraineté de la Colombie sur les îles concernées et conféré à celles-ci plein effet. Il est
intéressant de relever que, au cours de la semaine écoulée, les trois Etats ⎯ à savoir la Colombie,
le CostaRica et le Nicaragua ⎯ ont pour la première fois conve nu que le traité de1977 avait été
appliqué et respecté par tous les Etats concernés durant plus d’un quart de siècle. - 6 -
13. Cela m’amène à un deuxième point de déta il relativement au traité de1977, à savoir la
raison pour laquelle le Costa Rica ne l’a pas ratifié.
14. Ainsi que la Colombie l’a indiqué merc redi, de nombreuses déclarations de hauts
représentants du Costa Rica attestent que celui-ci avait l’intention de le ratifier, la déclaration de
M. Facio que j’ai citée tout à l’heure n’étant qu’un exemple parmi d’autres.
15. La Cour se souviendra que, lundi, le con seil du CostaRica a indiqué que ce dernier
s’était abstenu de ratifier le traité parce que le Nicaragua lui avait demandé de ne pas le faire tant
que le différend l’opposant à la Colombie ne ser ait pas résolu. Or, mercredi, le conseil du
Nicaragua a indiqué que cela était «nouveau pour le Nicaragua» (CR2010/13, p.41, par.41
(Reichler)).
16. En feignant d’être surpris par l’explication du CostaRica, le Nicaragua semble une
nouvelle fois souffrir d’amnésie. Je rappellerai si mplement que c’est le Nicaragua lui-même qui,
dans ses observations écrites de janvier 2004 sur les exceptions préliminaires en l’affaire, a indiqué
14 que le CostaRica ne ratifierait pas le traité de délimitation avec la Colo mbie tant que celle-ci
n’aurait pas réglé les questions l’opposant au Nicar agua (OEN, 26 janvier 2004, p. 64, par. 2.33).
Et cela serait aujourd’hui «nouveau» pour lui ?
17. L’agent du Nicaragua a également laissé entendre que le fait que le CostaRica avait
accepté de donner plein effet aux îles co lombiennes dans le traité de1977 était dû à un certain
marchandage, à une intention en quelque sorte ma lveillante, si je puis reprendre les termes
employés par M.SergioUgalde hier (CR2010/15, p. 22, par.14). Le Nicaragua entendait par là
que dans la délimitation effectuée avec la Colombie, le Costa Rica s’était vu attribuer un plein effet
pour une petite île située dans l’océan pacifique en échange du plein effet accordé aux cayes
colombiennes d’Albuquerque dans la mer des Caraïbes (CR2010/13, p.15, par.20 (Argüello
Gómez)). Le conseil du Nicaragua a présenté le s choses d’une manière quelque peu différente.
Selon lui, c’est parce que la Colombie av ait reconnu ses revendications maritimes que le
Costa Rica avait conclu avec la Colombie un accord reconnaissant la juridiction de celle-ci sur les
espaces maritimes également revendiqués par le Nicaragua (ibid., p. 11, par. 42).
18. Aucun de ces arguments n’est fondé en fait. Le traité de délimitation dans l’océan
pacifique entre la Colombie et le CostaRica a été signé en1984, septans après le traité de1977. - 7 -
Manifestement, ces deux accords n’ont pas été négoc iés en même temps comme s’ils formaient un
tout. Chacun avait ses mérites propres. En outre, la délimitation opérée dans l’océan Pacifique
impliquait l’adoption d’une ligne médiane ou d’une ligne d’équidistance entre deux îles, l’île
costa-ricienne del Coco et l’île colombienne de Malpelo. Le recours à la méthode de l’équidistance
dans ces circonstances a de toute évidence produit un résultat équitable. En outre, en 1977, année
de la signature du traité de 1977, le Nicaragua n’a fait valoir aucune prétention maritime à l’égard
de cette partie de la mer des Caraïbes.
19. Comme la Cour l’a entendu, c’est à par tir de la méthode de l’équidistance qu’a été
opérée la délimitation dans la mer des Caraïbes dans le trai té de1977, mais aussi dans celui
de1976 entre la Colombie et le Panama, et dans celui de1980 entre le CostaRica et le Panama.
Dans chaque cas, les Etats concernés ont estimé que cette méthode produisait un résultat équitable,
et le Nicaragua n’a pas formulé d’objection.
20. Voilà qui m’amène véritablement au cŒur de la question qui nous intéresse: la raison
pour laquelle le traité de 1977 est pertinent aux fi ns de la présente espèce, dans la mesure où il met
en jeu, tant pour le Costa Rica que pour la Colo mbie, un intérêt d’ordre juridique qui pourrait être
affecté par une décision en l’espèce.
15 21. Lundi, l’agent du Costa Rica a répondu aux allégations formulées par le Nicaragua dans
ses observations écrites selon lesquelles une décision de la Cour dans la procédure principale
pourrait le conduire à ne pas respecter les traités auxquels il est partie (CR 2010/12, p. 19, par. 18
(UgaldeAlvarez)). L’agent du CostaRica a affi rmé que son Gouvernement était fort loin de
nourrir une telle intention. Il a l’a répété hier , quand il a confirmé que le Costa Rica n’avait donné
aucune raison d’interpréter ses arguments comme un moyen de ne pas respecter ses obligations
internationales, en particulier le traité de 1977 avec la Colombie (CR2010/15, p.28, par.9
(Ugalde Alvarez)). Au contraire, comme il l’a indiqué cette semaine, le Costa Rica redoute qu’une
décision de la Cour contribue à mettre un terme à sa relation de bon voisinage avec la Colombie et
donc à «vider de son sens» le traité de1977, ce qui, sans aucun doute ⎯je dis bien sans aucun
doute ⎯ aurait une incidence sur les intérêts d’ordre juridique que le Costa Rica possède dans cette
partie de la mer des Caraïbes (CR2010/12, p.19, par.18 (UgaldeAlvarez); ibid., p. 36, par. 15
(Lathrop)). - 8 -
22. Dans son exposé d’hier, M.Lathrop a approfondi ce point. Il a fait observer que si les
revendications du Nicaragua en l’espèce devaient, d’une manière ou d’une autre, prévaloir, cela
aurait une incidence sur les relations bilatérales et trilatérales existant dans la zone en cause. La
Colombie ne pourrait plus entretenir de tell es relations avec le CostaRica et le Panama,
puisqu’elles disparaîtraient en raison de la présence du Nicaragua (CR 2010/15, p. 13, par. 9). Pour
le Costa Rica, cela aurait pour effet «de supprimer purement et simplement une relation frontalière
maritime ancienne avec la Colombie» (CR 2010/15, p. 15, par. 12 (Lathrop)). Comme l’a souligné
le conseil du CostaRica, cette situation n’est pas le résultat recherché ou souhaité par celui-ci
(ibid.).
23. Les préoccupations exprimées par l’agent et le conseil du CostaRica me semblent
parfaitement compréhensibles si l’on tient compte des revendications extrêmes du Nicaragua visant
à enclaver les îles colombiennes. Si, dans ses observations écrites, le Nicaragua pose la question
rhétorique de savoir «pourquoi la décision que rendra la Cour pourrait…«vider de son sens»
l’accord conclu en1977?», (OEN, par.24), la réponse est très simple, à supposer fondée la
position du Nicaragua quant à la délimitation. En fait, les revendications du Nicaragua en l’espèce
ont pour effet d’éliminer la relation côtière entre l’archipel de San Andrés et la côte du Costa Rica,
relation qui constitue le fondement même du traité de1977. Cela ne peut de toute évidence
qu’affecter l’intérêt d’ordre juridique du CostaRi ca. Cet intérêt ne concerne pas uniquement une
ligne, comme on a pu l’entendre plus tôt cet après-midi, il concerne une relation juridique globale
16
entre deux Etat côtiers dans un contexte plus large, celui d’une relation côtière. Voilà la principale
raison pour laquelle la Colombie estime que le Co sta Rica possède un intérêt d’ordre juridique qui
pourrait être affecté par une décision en l’espèce, et pour laquelle elle cons idère, par conséquent,
que le Costa Rica a respecté les critères de l’article 62 du Statut.
24. En1977, le CostaRica et la Colombie sont partis de l’idée qu’ils étaient des voisins
maritimes et que les titres générés par l’archipel de SanAndrés et la côte du CostaRica devaient
être délimités. C’est ce qui a été fait dans le tra ité qu’ils ont conclu, tra ité à l’égard duquel le
Nicaragua n’a émis aucune protestation.
25. Il convient également de rappeler que le traité de 1977 fait bien davantage qu’opérer une
simple délimitation maritime. Ce traité, si on l’ex amine, contient plusieurs dispositions distinctes - 9 -
relatives à la coopération entre les deux Etats, qui s’engagent notamment à protéger les ressources
biologiques marines, à sauvegarder l’environne ment marin et à encourager la navigation
internationale dans la région et la recherche scientifique marine.
26. Depuis plus de trente ans, les relations ma ritimes entre la Colombie et le Costa Rica sont
guidées et régies par les engagements formulés da ns le traité de1977. Ce rapport a eu des
avantages non seulement pour les deux Etats signat aires, mais aussi pour l’ensemble de la
communauté internationale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales dans
la région. On peut en dire autant de l’accord frontalier entre le CostaRica et le Panama et des
accords entre la Colombie et le Panama. Ces acco rds ont également été conclus dans le respect du
droit international, toujours en recourant au principe de l’équidistance, et ont sans conteste
contribué à la stabilité dans la région.
27. Ce sont, je le répète, les revendications du Nicaragua en l’espèce qui visent à perturber
cette situation. La position de celui-ci est représentée sur la carte projetée à l’écran, qui correspond
à la figure1, la toute première, du mémoire du Nicaragua. Le conseil du Nicaragua n’a cessé de
dire que les revendications de celui-ci n’empiétaient pas sur des zones appartenant à des Etats tiers,
dont le Costa Rica (CR 2010/13, p. 31, par. 11 ; p. 32-33, par. 16 ; p. 32, par. 19 (Reichler)) ; or la
carte montre tout autre chose. Cette carte a ét é produite par le Nicaragua pour montrer ce qu’il
considère comme la zone à délimiter entre lui-même et la Colombie sur la base d’une division par
parts égales.
17 28. La Cour se souviendra que, au stade du mé moire, et même à celui de la requête, le
Nicaragua plaidait en faveur d’une frontière ma ritime unique à délimiter au moyen d’une ligne
médiane de masse terrestre à masse terrestre. Dans sa réplique, le Nicaragua a été contraint
d’abandonner cette position parce que, comme la Colombie l’avait souligné, et c’est une évidence,
il ne peut exister de frontière maritime unique entre des côtes situées à plus de 400milles marins
l’une de l’autre.
29. L’on aurait pu croire que, comme conséquence de cette démonstration et de l’abandon de
cette revendication formulée par le Nicaragua dans sa requête et dans son mémoire, la zone de
délimitation que vous voyez à l’écran connaîtrait le même sort que la ligne médiane de masse
terrestre à masse terrestre ⎯ en d’autres termes, qu’elle serait également abandonnée. Mais cela ne - 10 -
s’est pas produit. Chose surprenante, le Nicaragua a présenté presque la même aire de délimitation
dans sa réplique (figure 3.1).
30. Il est impossible de comprendre comment la figure projetée à l’écran peut étayer
l’affirmation confiante du Nicaragua selon laquelle ses revendications n’empiètent pas sur les
droits effectifs ou potentiels d’Etats tiers. «L’aire de délimitation» proposée par le Nicaragua passe
en plein milieu des espaces maritimes du Costa Rica et du Panama situés le long de leurs façades
côtières et s’étend latéralement jusqu’à la côte pa naméenne. Cette aire empiète sur la ligne établie
dans le traité de 1977 entre la Colombie et le Costa Rica, ainsi que sur celle établie en 1976 entre la
Colombie et le Panama et sur celle établie en 1980 entre le Costa Rica et le Panama. Elle empiète
également sur le tripoint auquel le conseil du Ni caragua a consacré autant de temps mercredi.
L’aire de délimitation proposée par le Nicaragua bouleverse les relations côtières des trois Etats qui
relèvent d’instruments juridiques en vigueur, l’une de ces relations côtières étant celle existant
entre le Costa Rica et la Colombie, telle que consacr ée par le traité de 1977. Il est manifeste qu’il
existe des intérêts d’Etats qui sont non seule ment affectés, mais aussi considérablement
compromis, par cette description de ce que le Nicaragua estime être l’aire de délimitation en
l’espèce.
31. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, c’est pour cette raison que la
Colombie a laissé entendre que si le Nicaragua n’avait pas formulé les revendications qui font
l’objet de la procédure principale, nous ne se rions probablement pas ici aujourd’hui. Comme
M.Crawford va à présent le démontrer, il existe dans les circonstances présentes des raisons
décisives, qui ont trait notamment à la politique j udiciaire, d’estimer que la requête du Costa Rica
remplit les critères de l’article 62 du Statut.
32. Etant donné que c’est M. Crawford qui va à présent examiner ces questions, je vous prie,
Monsieur le président, de bien vouloir lui donner la parole. Je vous remercie.
18 Le PRESIDENT: Je remercie MonsieurR odmanBundy de son exposé, et j’appelle
maintenant à la barre le professeur James Crawford. - 11 -
M. CRAWFORD :
L A PLACE DES TRAITÉS EN MATIÈRE DE DÉLIMITATION MARITIME ET LE RÔLE DE
L’INTERVENTION
Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans cette plaidoirie, qui sera
brève, je développerai quatre arguments d’ordre général : premièrement, les effets relatifs des
traités ; deuxièmement, le rôle des accords en matière de délimitation maritime ; troisièmement, la
question des prétentions excessives, en tant qu’elle a une incidence sur l’intervention;
quatrièmement, enfin, la politique judiciaire que doit suivre la Cour face à une demande
d’intervention dans une affa ire de délimitation maritime ⎯tout cela, en réponse aux plaidoiries
présentées par le Nicaragua au cours de cette semaine.
Le Nicaragua ne peut invoquer des renonciat ions à des prétentions maritimes formulées à
l’égard de la Colombie
2. Monsieur le président, l’un des souvenirs les plus vivaces que je conserverai de la présente
affaire sera celui de M. Reichler, conseil du Nicar agua, plaidant contre le Costa Rica la validité du
traité de1977 conclu par celui-ci avec la Colombie 1 . Car après tout, les termes «traité valide» et
«Nicaragua» ne sont généralement pas étroitement associés dans l’esprit du public. La Cour se
rappellera que le Nicaragua a contest é devant le président Cleveland la validité du traité de limites
conclu avec le Costa Rica 2. Elle se rappellera qu’il a soutenu la thèse de la nullité de la sentence
3
arbitrale rendue par le roi d’Espagne . Elle se rappellera encore qu’il a, dans la présente espèce,
contesté la validité du traité de1928-1930, avançan t des motifs qui ont jeté le doute sur celle de
4
l’ensemble des traités conclus par le Nicaragua sur une période de plus de dix ans . L’espace d’un
instant, il fut donc plaisant de voir le conseil du Nicaragua se faire l’apôtre de la validité d’un traité.
1CR 2010/13, p. 38-39, par. 31-33 (Reichler).
2 Différend relatif à des droits de navigation et dedroits connexes (CostaRica c.Nicaragua), arrêt du
13 juillet 2009, par. 20.
3 Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23décembre1906 (Honduras c.Nicaragua), arrêt ,
C.I.J. Recueil 1960, p. 192.
4 Différend territorial et maritime (NicaraC.olombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 857, par. 74-75. - 12 -
3. Mais l’espace d’un instant seulement. Car l’argument pose un certain nombre de
problèmes. Le premier réside en ceci que le traité de1977 n’est pas un traité conclu avec le
Nicaragua. Le deuxième tient à ce que le Nicaragua a longtemps et énergiquement milité contre sa
19
ratification par le CostaRica ⎯à nous maintenant de comprendre, apparemment, que c’est parce
qu’il était valide sans ratification. Le troisième est que le Nicaragua veut en réalité que le traité soit
nul, ou tout au moins inopérant, en tant que traité entre la Colombie et le CostaRica. Il en
recherche simplement le bénéfice ⎯à savoir la renonciation du CostaRica à des prétentions
maritimes au nord et à l’est des lignes fixées par ce traité ⎯, sans l’inconvénient de devoir
lui-même s’y conformer lorsqu’il s’agit de reconnaître la souveraineté de la Colombie sur les îles et
cayes de l’archipel de San Andrés et le plein effet en mer de celles-ci.
4. Mercredi dernier, le Nicaragua a avancé trois arguments en faveur de ce que nous pouvons
appeler l’effet erga omnes du traité de 1977. Le premier a ét é formulé par son agent, qui a affirmé
ceci :
«Il est très simple de traiter cette question sans infliger à la Cour une longue
démonstration érudite [Chose qui, bien sûr, doit être évitée à tout prix!]: un accord
entre Etats tiers [poursuivait-il] est res inter alios actapour un Etat qui n’y est pas
partie dans le sens où cet accord ne peut être opposé à ce dernier. Mais la bonne foi et
la conduite découlant de ce traité peuvent en tout état de cause avoir des effets erga
omnes.» (CR 2010/13, p. 15-16, par. 22 (Argüello Gómez).)
La bonne foi était manifestement celle du Costa Ri ca ; quant à la conduite découlant du traité, les
choses sont en revanche moins claires, mais s’il faut entendre par là celle du Costa Rica, alors elle
joue pleinement en faveur de la Colombie. Et s’il faut entendre par là celle du Nicaragua, eh bien,
curieusement, elle n’en joue pas moins en faveur de la Colombie : le traité de 1977 n’a fait l’objet
d’aucune protestation, et le Nicaragua a brillé par sa totale absence des zones concernées par cet
instrument.
5. Mais si un traité doit certes être appliqué de bonne foi, cela ne transforme pas pour autant
des engagements bilatéraux en attentes multilatéral es légitimes. Monsieur le président, vous
êtes ⎯j’en suis convaincu ⎯ un homme de parole, et vous honorerez à n’en pas douter la
promesse que vous avez faite hier au vice-président. Mais cela ne fait pas de moi le bénéficiaire de
votre promesse, ni ne me donne le moindre dr oit à l’exécution de celle-ci. Il n’y a pas
d’engagement erga omnes. - 13 -
6. De même, l’exécution d’un traité de délimit ation maritime est en principe une exécution
bilatérale: ce sont les parties au traité qui sont réputées exécuter celui-ci. Bien sûr, si, en vertu
d’un traité, j’affirme ma juridiction à l’égard de tiers ⎯de navires de pêche étrangers, par
exemple ⎯, l’effet ainsi tiré de ce traité pourra en engendrer d’autres, puisque cela viendra
renforcer ma juridiction sur la ZEE qui m’est reconnue aux termes de ce traité en tant qu’Etat côtier
concerné. Mais le Nicaragua n’a jamais exercé la moindre juridiction sur les zones qu’il
revendique à présent en invoquant des traités conclus avec des Etats tiers, et il n’est pas non plus
disposé à reconnaître les effets erga omnes qu’aura eus l’exercice, par la Colombie, de sa
20
juridiction. Il invoque ces traités de manière purement artificielle et opportuniste.
7. Et que dire de M.Reichler, qui a admis le principe pacta tertiis, mais en cherchant à en
restreindre la portée en ces termes :
«La question n’est pas là. L’important est que le traité et le comportement
systématique adopté en conséquence par le Costa Rica montrent comment cet Etat
percevait réellement ses propres intérêts ju ridiques. Le Costa Rica ne peut tout
simplement…s’inventer de nouveaux inté rêts juridiques pour servir ses besoins du
moment, et en particulier pour intervenir dans cette procédure au titre de l’article62.
Le Costa Rica s’en étant publiquement tenu pendant trente-trois ans à la même
position quant à ses intérêts juridiques, et ayant toujours agi en se conformant
strictement à cette position dans tous les domaines, la Cour devrait éprouver certaines
réticences face à sa volonté subite de faire table rase de toutes les données historiques
et géographiques pour faire valoir des inté rêts nouveaux et élargis à l’encontre du
Nicaragua, et de lui seul.» (CR 2010/13, p. 40, par. 38.)
8. Mais un Etat qui exécute un traité bilatéral n’en rend pas bénéficiaire le monde entier, ni,
a fortiori, des Etats tiers qui ont conçu le dessein d’utili ser ce traité à des fins détournées. Et il
mérite d’être souligné que, à l’époque de la c onclusion du traité de1977, le Nicaragua n’avait
formulé aucune prétention au sud, ne revendiquant que Quitasueño, Roncador et Serrana. L’idée
qu’il était, ou pourrait devenir, le bénéficiaire non désigné d’un traité frontalier conclu entre deux
autres Etats et concernant des zones à l’égard desquelles il n’avait à l’époque formulé aucune
revendication est totalement fantasque.
9. Enfin, dans un effort quelque peu désespéré, M. Reichler s’est plaint d’un comportement
discriminatoire du CostaRica (CR2010/13, p.40-41, par.40), comme si les dispositions de la
CNUDM régissant la délimitation comprenaient une clause de la nation la plus favorisée. - 14 -
10. Les conséquences de ces conclusions pour la requête du Costa Rica sont claires. Celui-ci
admet ⎯ expressément, désormais ⎯ qu’il est lié par le traité de 1977 vis-à-vis de la Colombie, et
que, partant, ses prétentions concernent exclusiv ement les zones définies par celui-ci. Je vous
renvoie aux plaidoiries d’hier (voir CR2010/15, p.14, par.11 (Lathrop); ibid., p.28, par.9
(Ugalde)). Mais cette position ne vaut qu’entre les parties au tra ité de1977, ce que le Nicaragua
n’est pas. Les prétentions du Costa Rica ne sont pas limitées, vis-à-vis du Nicaragua, par les lignes
fixées par le traité de 1977, bien qu’elles le soient vis-à-vis de la Colombie.
Le rôle de l’accord en matière de délimitation maritime
11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à mon
deuxième argument, qui concerne la règle essentielle de l’accord dans le cadre de la délimitation
maritime. La règle essentielle en matière de délimitation maritime ⎯ soixante-cinq ans après la
proclamation Truman ⎯ n’a pas changé. Et je cite : «Dans le cas où le plateau continental s’étend
21
jusqu’aux rivages d’un autre Etat ou est commun aux Etats-Unis et à un Etat adjacent, la ligne de
délimitation sera déterminée par les Etats-Unis et l’Etat intéressé conformément à des principes
5
équitables.» Selon le libellé commun des articles74 et83 de la convention de1982, la
«délimitation…entre Etats dont les côtes sont ad jacentes ou se font face est effectuée par voie
d’accord conformément au droit international … afin d’aboutir à une solution équitable».
12. Mercredi dernier, l’agent de la Colomb ie nous a dressé un historique des traités conclus
dans les Caraïbes occidentales. Un nombre cons idérable d’accords ont été conclus entre1976
(Panama) et1993 (Jamaïque) 6. Comme nous l’avons vu, le Ni caragua a réagi par le silence
⎯même si, à partir de1990, il a fait valoir une prétention sur l’ensemble de l’archipel, toutes
formations comprises. Ces traités ont été diligemment et largement mis en Œuvre entre les parties.
Pour la plupart d’entre eux, ils n’ont donné lieu à aucune protestation du Nicaragua.
13. Or, celui-ci prétend aujourd’hui non seulement que la Colombie devrait se voir refuser
tous les droits et bénéfices qu’elle tient de cet ensemble de traités ⎯une question qui, bien sûr,
relève du fond ⎯, mais encore que les autres Etats parties à ce traité ⎯en l’occurence le
5
Voir, pour le texte anglais, 1946 40 AJIL supplément 45.
6
Voir CR 2010/14, p. 11, par. 7-9 (Londoño). - 15 -
Costa Rica ⎯ n’ont aucun intérêt juridique ⎯aucun intérêt d’ordre juridique, pour reprendre les
termes de l’article62 ⎯ à les voir maintenus. Les articles 74 et83 de la convention de1982
mettent l’accent sur les accords conclus publiquement en tant que l’une des modalités de
détermination de la frontière maritime mais, à en croire le Nicaragua, tous ces accords seraient
fragiles et provisoires en présence de la revendication dissonante d’un Etat côtier. Dans ces
circonstances, c’est au Nicaragua ⎯et non au CostaRica ⎯ que l’on doit attribuer ce que le
conseil du Nicaragua a présenté comme une «volont é subite de faire table rase de toutes les
données historiques et géographiques pour faire valoir des intérêts nouveaux et élargis»
(CR 2010/13, p. 40, par. 38 (Reichler)).
Les revendications fluctuantes du Nicaragua
14. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, j’ai montré mercredi les
changements radicaux que le Nicaragua avait ap portés à sa revendication maritime au fur et à
mesure que sa ligne itinérante se déplaçait vers l’est, ce qui lui a permis de déclarer à la Cour,
22 comme M. Reichler l’a d’ailleurs répété aujourd’hui , que la ligne qu’il préconisait était si éloignée
du Costa Rica qu’elle excluait que celui-ci puisse avoir un quelconque intérêt juridique à intervenir.
Mais le Nicaragua joue également à cache-cache avec la Cour: il revendique une ligne éloignée,
tout en dissimulant la prétention qui est associée à celle-ci. M. Bundy vous a montré cet après-midi
les deux représentations graphiques de la zone pe rtinente du Nicaragua, l’une étant aussi extrême
7
que l’autre . J’observe que le Nicaragua lui-même ne vous en a montré aucune et que, lorsqu’il lui
a été reproché que ses prétentions avaient une in cidence sur des Etats tiers, il s’est défaussé en
invoquant des éléments définitionnels, un peu comme un enfant qui a été découvert au cours d’une
partie de cache-cache et qui se réfugie dans un arbre: naturellement, a-t-il déclaré, nous ne
formulons aucune revendication détournée contre le Costa Rica, promis juré ! 8
15. La réponse du Nicaragua à l’argument du CostaRica selon lequel il existe un
chevauchement de titres maritimes potentiels consiste à dire que les cartes nicaraguayennes, dont le
CostaRica déduit la «ZEE sur laquelle le Nicaragua a un titre potentiel», «n’impliquent
7
MN, fig. 1 ; RN, fig. 3.1.
8
CR 2010/13, p. 31, par. 11 (Reichler). - 16 -
aucunement, quelle qu’en soit la lecture qu’on puisse en faire, une revendication sur la totalité des
9
zones ainsi ébauchées» .
16. A cet égard, plusieurs observations s’imposent. La première est une simple réfutation :
une «lecture qu’on p[eut] faire» des cartes nicaraguayennes en question, qui figurent dans une
pièce de procédure qui a été vérifiée par l’agent du Nicaragua, est que les zones représentées
comme pouvant être nicaraguayennes sont en réalité revendiquées par le Nicaragua. Si celui-ci ne
les revendique pas, alors :
a) pourquoi ne le dit-il pas maintenant et ne nous indique-t-il pas ce qu’il revendique
effectivement, plutôt que de faire des déclarations négatives et ambigües («n’impliquent
aucunement…une revendication sur la totalité de s zones»)? Près de neufannées se sont
écoulées depuis que le Nicaragua a déposé sa requête et, pourtant, celui-ci continue de se
montrer évasif sur l’étendue exacte de ses revendications maritimes.
b) et, deuxièmement, pourquoi qualifie -t-il de pertinentes, dans ses éc ritures, des zones situées de
son côté de la ligne qu’il préconise, zones qu’il ne semble pourtant pas revendiquer, d’autant
que sa demande initiale était en fait que les zones en question soient divisées en parties égales ?
17. On peut en outre rétorquer au Nicaragua que le fait de dire qu’une zone est «ébauchée»
n’est pas une excuse. Une zone «éba uchée», dans une réplique? Un mémoire a pour objet
23 d’exposer avec précision l’étendue d’une revendication et le raisonneme nt qui la sous-tend. Or, le
Nicaragua ne l’a pas même fait dans sa réplique. En fait, au fur et à mesure de la procédure, la
prétention du Nicaragua semble devenir de plus en plus ébauchée.
Questions de politique judiciaire relativement à l’intervention au titre de l’article 62
18. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens, pour terminer ⎯ et
avec tout le respect que je dois à la Cour ⎯, à la question cruciale de politique judiciaire qui se
pose en la présente espèce : quel est le rôle de l’intervention en matière de délimitation maritime ?
19. Ma première observation est que l’article62 coexiste dans le Statut avec les articles59
et 63, et que chacun de ces articles a son propre rôle à jouer. La Colombie est la première à mettre
l’accent sur l’importance que revêt l’article 59. Ce nonobstant, le fait que la Cour, en application
9
OEN, par. 31. - 17 -
de l’article59, protégera un Etat tiers n’intervenant pas dans une instance ⎯ comme
SaoTomé-et-Principe en l’affaire Cameroun/Nigéria ⎯ n’est pas une raison pour décourager les
Etats qui satisfont effectivement aux prescriptions de l’article 62 du Statut.
20. A cet égard, j’observe que le Nicaragua a tendance à définir les conditions régissant
l’intervention d’une manière qui fait qu’il est impossible d’y satisfaire. Ainsi,
a) si un demandeur ne donne pas suffisamment de dé tails, il n’aura pas démontré l’existence d’un
intérêt juridique justifiant son intervention; s’il en donne beaucoup, il s’entendra dire qu’il a
10
atteint son but et que son intervention est sans objet .
b) il a été indiqué que la Cour ne saurait, par la nature des choses, prendre une décision ayant une
11
incidence sur un Etat tiers dans le cadre d’une délimitation maritime . Cela revient en réalité à
interpréter l’article59 comme l’emportant sur l’arti cle62; or, rien dans le Statut ne justifie
pareille interprétation. L’agent du Nicaragua s’élève contre ce qu’il appelle un système
d’interventions généralisées 12; le Nicaragua, quant à lui, commet l’erreur inverse, qui est
d’écarter par définition toute intervention. La vérité se situe à mi-chemin: elle consiste à
autoriser un Etat à intervenir lorsque cela est approprié.
21. Dans l’affaire El Salvador/Honduras, le Nicaragua a commis l’erreur de se montrer
imprécis dans la définition de son intérêt. L’agent de l’époque ⎯et qui l’est resté depuis ⎯,
M.ArgüelloGómez, a indiqué que le Nicaragua «n’av[ait] pas jugé nécessaire d’alléguer ou de
revendiquer un droit particulier à l’intérieur du Golf e»; la Chambre a repris cet extrait dans son
intégralité au paragraphe60 de son arrêt 1, et poursuivi en indiquant qu’«il ne suffis[ait] pas de
24
s’en faire une idée générale» ( C.I.J. Recueil 1990, p.118, par.62). Il convient néanmoins de
relever que le courant d’opinion prédominant sur cette question est conforme à l’opinion
individuelle que M. le juge Oda a jointe à cet arrêt 14. Ce courant va également plutôt dans le sens
des opinions dissidentes qui ont été exposées au sujet de l’intervention de l’Italie en l’affaire
10CR 2010/13, p 31, par. 10 (Reichler).
11Ibid., p. 30, par. 8 (Reichler).
12
Ibid., p. 12, par. 9 (Arguello).
13C.I.J. Recueil 1990, p. 117, par. 60.
14Ibid., p. 140. - 18 -
15
Lybie/Malte , cet Etat ayant alors bénéficié de ce que l’on est tenté de qualifier de «billet de
faveur». Quoi qu’il en soit, tout cela a eu lieu il y a bien longtemps.
22. Parmi les affaires plus récentes, M. Remiro a indiqué que, si la Guinée équatoriale avait
été autorisée à intervenir en l’affaire Cameroun/Nigéria, c’était parce que les Parties y
16
consentaient, et que cette autorisation n’ avait donné lieu qu’à une simple ordonnance . Il est
néanmoins permis de penser ⎯ et je n’irai pas plus loin ⎯ que les Parties étaient informées de ce
qu’il avait été satisfait, en cette affaire, a ux prescriptions énoncées à l’article62; la Cour
considérait certainement que tel était le cas, et c’ est à elle de décider. Qu’elle le fasse par voie
d’arrêt ou d’ordonnance n’a pas d’importance.
23. Le fait que les Philippines n’aient pas été autorisées à intervenir dans l’affaire Ligitan et
Sipadan est, comme vous vous en souviendrez, dû à un malencontreux surcroît d’information. Les
conseils des Philippines s’étaient en effet hasar dés à indiquer clairement que celles-ci ne
revendiquaient pas les deux îles en litige ; elles re vendiquaient plus ou moins le reste du littoral de
17
Sipadan, mais pas ces deux formations. Cette attaque collatérale a donc échoué .
24. Bien évidemment, chaque affaire dépend de son propre contexte factuel; ainsi que le
regretté Shabtai Rosenne l’a précisé, la Cour ne dispose pas, en matière d’intervention, d’un
18
pouvoir discrétionnaire général ou illimité . Aussi est-il permis d’avancer respectueusement
qu’un Etat qui a bel et bien démontré que l’obj et du différend présentait pour lui un intérêt d’ordre
juridique, qui poursuit un but légitime et qui décide effectivement d’intervenir doit être autorisé à le
faire, le cas échéant aux fins limitées de l’intérêt en question.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé.
Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre l’agent, M.Londo ňo, qui
conclura les exposés de la Colombie.
15
Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984,
opinions dissidentes de M. le vice-président Sette Camara, p. 71, de M. le juge Oda, p. 90, de M. le juge Ago, p. 115, de
M. le juge Schwebel, p. 131, et de M. le juge Jennings, p. 148.
16
CR 2010/13, p. 25, par. 22 (Remiro Brotons).
17 Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonési e/Malaisie), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 603, par. 81-83 ; voir également la déclaration de M. le juge Kooijmans, p. 626.
18 Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005, vol. III, 2006, p. 1452. - 19 -
25 LE PRESIDENT: Je remercie M.JamesCrawford pour son exposé. J’invite maintenant
S. Exc. M. l’ambassadeur Julio Londoño Paredes, agent de la Colombie, à prendre la parole.
M. LONDOÑO :
1. Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs
de la Cour, dans sa requête du 26février2010, de même qu’au cours des présentes audiences, le
CostaRica, en application de l’article62 du St atut de la Cour, a sollicité de cette dernière
l’autorisation d’intervenir en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie)
afin de l’informer des intérêts et droits qui sont pour lui en cause ici.
2. La Colombie a fait connaître sa position à cet égard dans les observations écrites qu’elle a
communiquées à la Cour le 26 mai 2010 et a développé le point de vue ainsi exprimé au cours des
présentes audiences.
3. Les traités internationaux, en particu lier ceux qui ont pour objet des délimitations
maritimes ou terrestres, ont pour fonction essentielle de préserver la paix et la coexistence entre les
Etats qui y sont parties, ainsi que de promouvoir la coopération et les rela tions de bon voisinage.
C’est probablement ce que font le Costa Rica et la Colombie depuis 33 ans, avec le traité de 1977.
4. La Colombie estime que le CostaRica a un intérêt d’ordre juridique en cause dans la
présente affaire et son conseil en a exposé les raisons. J’aimerais simplement évoquer brièvement
quelques points d’ordre général.
5. Le traité de 1977 entre la Colombie et le Costa Rica, outre qu’il établit la frontière
maritime entre ces deux Etats, évoque également leur coopération en matière de protection des
ressources ; la préservation des espèces hautement migratoires, compte tenu des recommandations
des organisations internationales idoines; la pr omotion de l’exploitation et de l’utilisation des
ressources vivantes via l’échange d’informations scientifiques et techniques et la création de
sociétés d’économie mixte; la mise en Œuvre de mesures visant à empêcher ou à réduire toute
pollution du milieu marin ainsi qu’à lutter cont re une telle pollution; et la promotion du
développement de la navigation internationale dans leurs zones respectives.
6. Les traités de délimitation maritime conclus par la Colombie ainsi que les autres accords
conclus par d’autres Etats des Caraïbes sont le résultat de processus de négociation minutieux dans - 20 -
le cadre desquels la méthode de l’équidistance a été appliquée et les îles se sont vu reconnaître
plein effet.
26 7. Le respect scrupuleux des traités internati onaux conclus par la Colombie et d’autres Etats
dans les Caraïbes est un gage de paix et de stabilité dans la région. Il fa vorise les relations de bon
voisinage et la coopération entre Etats.
Conclusions
8. Monsieur le président, pour les raisons exposées au cours de cette procédure, mon
gouvernement souhaite réitérer ce qu’il a exposé dans ses observations écrites, à savoir que, de
l’avis de la Colombie, le Cost aRica remplit les conditions établies à l’article62 du Statut et que,
par conséquent, la Colombie ne s’oppose pas à la requête du Costa Rica à fin d’intervention comme
non-partie dans la présente affaire.
Monsieur le président, je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance, ainsi que celle de la
délégation colombienne dans son ensemble, à vous-même et à chacun des membres de la Cour pour
l’attention que vous avez bien voulu porter à nos exposés.
Permettez-moi également d’adresser nos remerciements au greffier de la Cour, à ses
collaborateurs ainsi qu’aux interprètes.
Merci, Monsieur le président.
Le PRESIDENT: Je remercie M.Julio Londoño Paredes, agent de la Colombie, pour ses
conclusions. Ainsi s’achève le second tour de plaidoiries de la Colombie. Je donne à présent la
parole à M. le juge Bennouna et à Mme le juge Donoghue, qui ont des questions à poser aux Parties
et au Costa Rica. Je prierai Monsieur le juge Bennouna de bien vouloir commencer.
M.le juge BENNOUNA: Je vous remercie, Monsieur le président. Ma question s’adresse
au Costa Rica.
Le CostaRica a indiqué à la Cour qu’il n’a to ujours pas ratifié le traité de délimitation
maritime dans la mer des Caraïbes, qu’il a signé av ec la Colombie, le 17 mars 1977, «dans le souci
de conserver de bonnes relations avec le Nicaragua , lequel n’a pas cessé de lui demander de n’en - 21 -
rien faire tant que le différend n’a pas été ré glé avec la Colombie» (traduction du CR2010/12,
p. 22, par. 8, M. Brenes).
27 Est-ce que le CostaRica a différé la ratifi cation du traité du 17mars1977, en attente du
jugement de la Cour au fond, dans l’affaire pendante devant elle, opposant le Nicaragua à la
Colombie ?
En d’autres termes, est-ce que le CostaRica attend le jugement de la Cour au fond pour
clarifier certaines hypothèses, mentionnées dans le même compte rendu (traduction du CR 2010/12,
p.35, par.13, M.Lathrop), hypothèses à partir desquelles le traité de1977 aurait été négocié et
signé ?
Je vais maintenant poser ma question au Costa Rica dans l’autre langue officielle de la Cour.
Costa Rica has indicated to the Court that it has still not ratified the maritime delimitation
treaty in the Caribbean Sea, which it signed with Colombia on 17 March 1977, “in consideration of
Nicaragua’s continuous requests that Costa Rica not ratify the treaty until the dispute with
Colombia has been resolved... [and] ac ting out of good neighbourliness” [CR2010/12, p.22,
para. 8 (Brenes)].
Has Costa Rica postponed ratification of the Treaty of 17March1977 pending the Court’s
judgment on the merits, in the case before it, between Nicaragua and Colombia?
In other words, is Costa Rica waiting for the Court’s judgment on the merits for clarification
of certain notions mentioned in the same verbat im record [CR 2010/12, p. 35, para. 13 (Lathrop)],
on the basis of which the 1977 Treaty was supposedly negotiated and signed?
Je vous remercie, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Bennouna. J’invite maintenant Mme le juge Donoghue à
poser sa question. Madame Donoghue, vous avez la parole.
Mme DONOGHUE : Merci, Monsieur le président. Ma question s’adresse au Nicaragua, et
elle est la suivante :
Le Nicaragua a présenté à la Cour des conclusions écrites et orales concernant la requête à
fin d’intervention du Costa Rica. Il a soulevé des objections à cette requête mais n’a pas, dans ses
conclusions, et relativement à ce tte même requête, indiqué expre ssément qu’il s’opposait à ce que - 22 -
le CostaRica soit autorisé à intervenir. Ma question est donc la suivante: le Nicaragua
s’oppose-t-il à l’intervention du Costa Rica ? Je vous remercie, Monsieur le président.
28 Le PRESIDENT: Merci, Madame Donoghue. Le texte de ces questions sera communiqué
aux Parties et au Costa Rica par écrit dès que possibl e. Il est demandé aux Parties et au Costa Rica
de soumettre leurs réponses à la Cour, par écrit, d’ic i au vendredi 22 octobre 2010. J’ajouterai que
toute observation que chaque Partie ou le Cost aRica pourrait vouloir faire, conformément à
l’article72 du Règlement de la Cour, sur les ré ponses de l’autre Partie ou du Costa Rica doivent
être communiquées le vendredi 29 octobre 2010 au plus tard.
Cela nous amène à la fin des audiences de cette semaine consacrées aux plaidoiries du
Costa Rica et des Parties, à savoir le Nicaragua et la Colombie. La Cour a pris acte des conclusions
présentées par le CostaRica et les Parties. Je remercie les agents , conseils et avocats pour leurs
exposés. Conformément à la pratique, je prierai les agents des Parties et l’agent du Costa Rica de
rester à la disposition de la Cour pour tout renseignement complémentaire dont elle pourrait avoir
besoin. Sous cette réserve, je déclare maintenant close la procédure orale relative à la requête à fin
d’intervention du CostaRica en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua
c. Colombie). La Cour va maintenant se retirer pour dé libérer. Les agents des Parties et l’agent du
CostaRica seront informés le moment venu de la date à laquelle la Cour rendra sa décision. La
Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, l’audience est levée.
L’audience est levée à 17 heures.
___________
Translation