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CR 2008/16 (traduction)

CR 2008/16 (translation)

Vendredi 20 juin 2008 à 10 heures

Friday 20 June 2008 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est à présent ouverte. La Cour est

réunie aujourd’hui pour entendre le Mexique en son second tour d’observations

orales sur sa demande en indication de mesures conservatoires. Je donne à présent la parole à

M. l’ambassadeur Hernández García.

M. HERNÁNDEZ : Madame le président, Messieurs de la Cour.

Le différend entre le Mexique et les Etats-Unis

1. Dans ses plaidoiries d’hier, le Gouvernemen t du Mexique a pris soin de se conformer à

l’instruction expresse de la Cour de confiner ses observations au contenu de sa demande en

indication de mesures conservatoires. Après tout, la Cour n’a pas organisé ces audiences pour

entendre plaider sur le fond de la demande en interprétation du Mexique. L’intention du Mexique

était donc de réserver ses arguments au fond pour la phase correspondante de la présente instance.

Néanmoins, les Etats-Unis ayant consacré l’essentiel de leurs exposés à des questions de cet ordre,

le Mexique se voit aujourd’hui dans l’obligation d’y répondre. Inutile de di re qu’il souhaite ne pas

compromettre, ce faisant, son droit de soumettre en temps utile de nouveaux arguments sur le fond.

2. Hier après-midi, les Etats-Unis ont à plusieurs reprises réaffirmé leur détermination à voir

1
pleinement exécuté l’arrêt Avena . M.Bellinger a indiqué qu’ils continuaient de s’employer à

2
«persuader» l’Etat du Texas de pourvoir au réexamen et à la revision des cas des intéressés , et a

mis en garde la Cour contre les effets néfastes que l’indication de mesures conservatoires pourrait

avoir sur les efforts déployés par les Etats-Unis da ns la poursuite de leur objectif : assurer le plein

respect de l’arrêt 3. M.Bellinger et d’autres membres de sa délégation ont fa it valoir que les

Etats-Unis étaient d’accord avec le Mexique pour affirmer que l’arrêt Avena impose une obligation

de résultat, et non une obligation de moyens 4. Le Mexique salue bien évidemment tout effort

consenti de bonne foi et conforme aux instructions de la Cour en vue d’assurer à ses ressortissants

1
CR 2008/15, p. 9, par. 6 (Bellinger) ; ibid., p. 60, par. 4 (Bellinger) ; ibid., p. 36, par. 22 (Thessin) ; ibid., par. 27
(Lowe).
2
CR 2008/15, p. 36, par. 22 (Bellinger).
3 Ibid., p. 38, par. 27.

4 Ibid., p. 31, par. 3 ; p. 23, par. 15, p. 25, par. 23 (Mathias) ; p. 41, par. 36 (Thessin). - 3 -

un réexamen et une revision effectifs. Toutes les entités constitutives des Etats-Unis ne semblent

pas, cependant, partager le point de vue déclaré du gouvernement fédéral quant à l’interprétation et

à la portée de l’arrêt Avena.

5
9 3. Ainsi que l’indiquait hier ma collègue Catherine Amirfar , le fait que les actes du Texas

engagent la responsabilité interna tionale des Etats-Unis relève de l’un des principes de base du

droit international. Le paragraphe 1 de l’article 4 des articles sur la responsabilité de l’Etat dispose,

la Cour ne l’ignore pas, que

«[l]e comportement de tout organe de l’Etat est considéré comme un fait de l’Etat
d’après le droit international, que cet organe exerce des fonctions législative,

exécutive, judiciaire ou autres, quelle que soit la position qu’il occupe dans
l’organisation de l’Etat, et quelle que soit sa nature en tant qu’organe du
gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’Etat» . 6

La Cour a d’ailleurs reconnu dans son arrêt en l’affaire relative à l’ Application de la convention

pour la prévention et la répression du crime de génocide que le paragraphe1 de l’article4 avait

valeur de codification du dr oit international coutumier ( Application de la convention pour la

prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) ,

arrêt du 26 février 2007, par. 385).

4. Or, le Texas fait bien partie des Etats-Unis, et, en prévoyant d’exécuter M. Medellín avant

qu’il n’ait pu bénéficier de la répara tion prescrite par la Cour dans l’arrêt Avena, il a de toute

évidence exprimé son désaccord avec l’interprétation que fait le Mexique de cet arrêt. Il est donc

clair que le Texas ne s’estime pas astreint à une obligation de résultat —et rien de ce que les

Etats-Unis ont soutenu hier deva nt vous n’infirme l’existence de cet objet de contestation entre le

Mexique et les autorités et organes compétents de l’ Etat du Texas. Par ailleurs, si la Cour suprême

des Etats-Unis, le pouvoir exécutif des Etats-Unis et l’Etat du Texas ont pu proclamer que les

Etats-Unis étaient tenus, en vertu du droit international, de se conformer à l’arrêt Avena , il ne

s’ensuit pas pour autant que chacun de ces protagonistes voie dans cette obligation internationale

une obligation de résultat et non une obligation de moyens. Il va sans dire que les entités

constitutives des Etats-Unis, dès lors qu’elles ne considèrent pas l’obligation énoncée dans l’arrêt

5
CR 2008/14, p. 30, par. 12 (Amirfar).
6Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait inte rnationalement illicite, adoptés par la Commission du droit
international à sa cinquante-troisième session (2001), Documents officiels de l’Assemblée générale,
cinquante-sixième session, supplément n 10, doc. A/56/10, art. 4. - 4 -

Avena comme une obligation de résultat, sont en d ésaccord avec le Mexique quant au sens et à la

portée de l’arrêt. Telle est précisément la ra ison pour laquelle le Mexique , dans ses conclusions,

prie la Cour de rendre une ordonnance en indication de mesures conservatoires indiquant que tous

les organes compétents et toutes les entités constitutives des Etats-Unis, y compris toutes les

branches du gouvernement et tout détenteur de l’autorité publique, à l’échelon des Etats comme à

l’échelon fédéral, doivent, dans l’attente de l’issu e de la présente instance, prendre toute mesure
10

pour éviter qu’il ne soit procédé à l’exécution de ses ressortissants.

5. Madame le président, Messieurs de la Cour, les Etats-Unis vous ont communiqué une

série de courriers diplomatiques et d’autres documen ts qui, aux dires de M. Mathias, montreraient

que la contestation les opposant au Mexique a trait non pas à l’interprétation, mais à l’exécution de

7
l’arrêt. Les Etats-Unis ayant accordé un tel poids à ces documents, dont, pour certains, je suis par

ailleurs moi-même l’auteur, je voudrais m’arrêter un instant sur le contenu de cette correspondance

diplomatique.

6. Le Mexique affirme sans h ésitation avoir tout mis en Œuvre en vue de favoriser le plein

respect de l’arrêt Avena. Mais les efforts qu’il a pu déployer ne doivent pas être confondus avec la

contestation qui justifie notre présence dans ce prét oire. Le Mexique est résolu à garantir à ses

ressortissants la possibilité de faire valoir leurs dr oits, et il continuera de chercher à obtenir le

respect de l’arrêt Avena en toute nouvelle circonstance. Ai nsi, depuis que la Cour suprême des

Etats-Unis a rendu sa décision en l’affaire Medellín v. Texas 8, le Mexique a, de façon répétée,

demandé au Gouvernement des Etats-Unis d’app uyer l’adoption par le Congrès d’un texte de loi

qui donnerait pleinement effet au droit à réexamen et à revision énoncé dans l’arrêt Avena. Mais

dans l’intervalle de troismois qui s’est écoulé depuis le prononcé de la décision de la Cour

suprême, le pouvoir exécutif n’a ni présenté de projet de loi en ce sens ni engagé le dialogue avec

des membres du Congrès pour étudier les différentes solutions de nature législative envisageables.

7. Voici plusieurs semaines, pa r courtoisie à l’égard des Etats-Unis, le Mexique a fait savoir

au pouvoir exécutif qu’il envisageait de saisir la Cour d’une demande en interprétation. Cette

nouvelle a entraîné une série de rencontres, d’en tretiens et d’échanges diplomatiques. Les

7
CR 2008/15, p. 26, par. 28 (Mathias).
8
Medellin v. Texas, 128 S. Ct. 1346 (2008). - 5 -

Etats-Unis ont exhorté le Mexique à ne pas dépos er sa demande. Ils ont affirmé avoir établi un

dialogue avec les représentants de l’Etat du Texas sur les moyens de mettre en Œuvre l’arrêt Avena

et renvoyé, en particulier, à une suggestion qu’ava it déjà mentionnée l’Etat du Texas, à savoir que

le pouvoir exécutif de cet Etat pourrait envisager de constituer un panel de juges en retraite chargé

de réexaminer les cas des ressortissants mexicains ci tés dans l’arrêt. Ce panel pourrait trancher la

question de savoir si la violation des droits que tenaient les ressor tissants concernés de l’article 36

leur a porté préjudice et adresser à cet égard des recommandations à la commission des grâces du

Texas.

11 8. Le Mexique a répondu qu’une telle démarche ne permettrait pas d’obtenir le résultat

prescrit par l’arrêt Avena : à savoir, la revision et le réexamen judiciaires (Avena et autres

ressortissants mexicains (Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.65-66,

par.140). Un panel administratif, indépendamment du profil de ses membres, n’est pas une

instance judiciaire. Il ne peut rendre une décision qui s’impose aux tribunaux, sa décision n’est pas

susceptible d’appel et, en définitive, ses recomma ndations ne lieraient pas la commission des

grâces du Texas. Au bout du compte, la proposition d es Etats-Unis mènerait à une situation que la

Cour a exclue aux termes de l’arrêt Avena, en conférant à la commission des grâces du Texas le

pouvoir, en dernier ressort, de retenir ou d’écarter les éléments de preuve relatifs aux violations des

droits garantis au titre de l’article36 à chacun des ressortissants, en l’absence de tout contrôle

judiciaire (ibid., p. 66, par. 143).

9. Les Etats-Unis ont ensuite proposé d’adresser à M. Perry, gouverneur de l’Etat du Texas,

une lettre visant à obtenir de celui-ci qu’il appuie la mise en Œuvre de l’arrêt Avena. Le Mexique a

fait savoir aux Etats-Unis qu’il jugeait cette proposition insuffisante. Premièrement, le pouvoir

exécutif du Texas n’est pas en mesure de constitu er une instance capable de pourvoir au réexamen

et à la revision judiciaires des verdicts de cu lpabilité rendus et des peines prononcées à l’encontre

des ressortissants mexicains visés par l’arrêt. Seule la législature du Texas a ce pouvoir, et la

législature du Texas ne se réunira plus avant janvier 2009.

10. Deuxièmement, le Mexique a représenté auprès des Etats-Unis que, conformément aux

conclusions de la Cour suprême dans l’affaire Medellín, le Congrès devrait voter une loi en vue de

donner effet à l’arrêt Avena à l’échelle nationale. Aussi les a-t-il priés de chercher à obtenir un - 6 -

sursis pour M.Medellín, qui donnerait au Congr ès le temps nécessaire pour promulguer une telle

loi. Pensant que le gouverneur et la commissi on des grâces du Texas pourraient admettre cette

demande de sursis, le Mexique a ajouté qu’il s’abstiendrait de déposer sa demande en interprétation

si les Etats-Unis consentaient à soumettre une demande en ce sens. Cette proposition a été

formulée dans le cadre d’un échange diplomatique, dont l’objet n’était pas d’exposer la position

juridique du Mexique relativement à sa demande en interprétation. La lettre a été envoyée à

M. Bellinger le 3 juin 2008.

11. Devant la Cour, les Etats-Unis ont fait valoir que les ouvertures diplomatiques du

Mexique traduisaient l’ unique souci d’assurer le respect de l’arrêt, et non l’existence d’une

contestation quant au sens ou à la portée de l’arrêt Avena. Mais ces deux éléments ne s’excluent

pas l’un l’autre. Le Mexique a effectivement à cŒur de voir respecter l’arrêt, il est fermement

résolu à permettre à ses ressortissants de bénéfici er d’un réexamen et d’une revision dignes de ce

12 nom et il est aussi convaincu que les Etats-Unis et leurs entités constitutives ne partagent pas son

point de vue quant au sens ou à la portée de l’arrêt.

12. De fait, la correspondance que les Etats-Un is ont soumise hier à la Cour fournit une

illustration frappante des divergences de vues entre le Mexique et les Etats-Unis. Les Etats-Unis

vous ont affirmé qu’ils avaient fait le maximum et pris des mesures tout à fait exceptionnelles en

9
vue d’assurer le respect de l’arrêt Avena . Ils ont ajouté que, selon eux, l’arrêt Avena imposait une

obligation de résultat 10. A cet égard, je vous invite à vous pencher sur la lettre adressée au

gouverneur Perry par la secrétaire d’Etat Rice et l’ Attorney General Mukasey, mardi dernier. Ces

hauts responsables n’y demandent nullement au Te xas de s’abstenir d’ex écuter M.Medellín tant

qu’il n’aura pas bénéficié d’un réexamen et d’ une revision de son cas. Ils ne demandent pas

davantage au gouverneur de lui accorder un sursis . Ils n’y précisent nullement que le Texas doit

voter un texte aux fins de donner effet à l’arrêt Avena. J’appelle votre attention sur ces omissions

parce que, si les Etats-Unis avaient réellement considéré, comme le Mexique, que l’arrêt imposait

une obligation de résultat, ils au raient assurément pris la peine ⎯démarche qui n’aurait rien

9
CR 2008/15, p. 11, par. 9 (Bellinger).
10
Ibid., p. 9, par. 3. - 7 -

d’exceptionnel ⎯ de demander aux responsables du Texas de différer l’exécution de M. Medellín.

La communication par laquelle le Mexique priait le Gouvernement des Etats-Unis de demander au

procureur du Texas de s’abstenir de fixer la date de l’exécution de M. Medellín est elle aussi restée

lettre morte.

13. Madame le président, Messieurs de la Cour , M. Lowe a dit hier, dans ce prétoire, que la

11
«procédure judiciaire n’[était] pas un jeu» . Le Mexique ne peut que souscrire pleinement à cette

affirmation. L’un de ses ressortissants est actue llement détenu dans une ce llule de la prison de

Livingston, au Texas, que les autorités pénitentiaires appellent la «death watch cell» (cellule

d’attente de la mort), où il fait l’objet d’une fo rme de ségrégation administrative. Le compte à

rebours menant à son exécution a commencé, littérale ment. Et néanmoins, les Etats-Unis ont

l’audace de donner à entendre que la demande en interprétation du Mexique constitue un abus de

procédure qui nuirait «à l’intégrité et à la réputa tion du tribunal que l’on tente d’entraîner dans des

12
activités inopportunes» . Il est éminemment injurieux de laisser entendre que mon gouvernement

joue avec la Cour, qu’il aurait «fabriqué» de toutes pièces une contestation en vue de faire pression

13
sur les Etats-Unis . Le Mexique n’a pas «fabriqué» l’ordre d’exécution qui se trouve dans vos

13 dossiers. Le Mexique n’a pas inventé la contestation qui existe quant à la portée et au sens de

l’arrêt Avena. Et le Mexique n’a nullement besoin de justifier sa décision d’invoquer la

compétence de la Cour.

14. Madame le président, je vous prierais d’appeler maintenant à la barre mon collègue,

M.Donald Donovan, qui traite ra des conditions devant être remplies pour que puissent être

indiquées des mesures conservatoires. Je vous remercie de votre attention.

Le PRESIDENT : Merci, Excellence. Je donne à présent la parole à M. Donovan.

11CR 2008/15, p. 51, par. 24 (Lowe).
12
Ibid., p. 51, par. 24.
13Ibid., p. 46-47, par. 5-6. - 8 -

M. DONOVAN :

Conditions à remplir en vue de l’indication de mesures conservatoires

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, il est toujours utile, à ce stade, de déterminer

exactement quels sont les points en litige et ceux qui ne le sont pas. En la présente espèce, cet

exercice revêt une utilité toute particulière.

2. Premièrement, les Etats-Unis ne contestent pas que, à ce stade de l’instance, la Cour doit

uniquement s’assurer que le demandeur a établi l’existence d’une base de compétence prima facie.

3. Deuxièmement, les Etats-Unis ne contestent pas que, pour être fondé à demander que

soient indiquées des mesures conservatoires, le demandeur ne doit satisfa ire qu’à trois conditions

bien précises: il lui faut démontrer que les mesu res sollicitées ont pour objet de sauvegarder les

droits respectifs des Parties; il lui faut démontrer qu’un préjudice irréparable risque d’être causé,

condition qui a nécessairementpour corollaire l’ existence d’une urgence ; enfin, il lui faut

démontrer que les mesures conservatoires qu’il demande ne préjugent pas du fond.

4. Troisièmement, les Etats-Unis ne contestent pas que l’exécution de M.Medellín ou de

l’un quelconque des quatre autres ressortisssants me xicains visés dans la demande en indication de

mesures conservatoires, sans que les intéressés aient bénéficié du réexamen et de la revision

prescrits par la Cour dans l’arrêt Avena, causerait ⎯tant au Mexique qu’aux ressortissants à

l’égard desquels celui-ci entend exercer son droit à la protection diplomatique ⎯ le plus grave des

préjudices irréparables.

5. Quatrièmement, les Etats-Unis ne contestent pas qu’il est désormais prévu que

M. Medellín soit exécuté le 5 août, et que la juridi ction du Texas qui a fixé cette date a purement et

simplement rejeté la demande de l’intéressé ainsi que celle du Mexique tendant à ce qu’aucune date

ne soit fixée, de manière à permettre aux autorités fédérales ou à celles du Texas de prendre les

14 mesures appropriées aux fins d’assurer le réexamen et la revision prescrits dans le cas de

M. Medellín.

6. Cinquièmement, les Etats-Unis ne contestent pas que, compte tenu des circonstances que

le Mexique a rappelées, sa demande satisfait bien au critère d’urgence tel qu’établi par la Cour dans

sa jurisprudence. - 9 -

7. Sixièmement, les Etats-Unis ne contestent pas que, si elle devait indiquer les mesures

conservatoires demandées par le Mexique, la Cour ne préjugerait en rien le fond de la demande en

interprétation. D’ailleurs, les Etats-Unis ne c ontestent pas que la Cour ne préjugerait le fond que

dans l’hypothèse où elle permettrait qu’il soit procédé à l’exécution, attendu que cela la priverait de

la possibilité d’accorder au Mexique une satisfacti on effective si elle devait faire droit à sa

demande au fond.

8. Enfin, les Etats-Unis ne contestent pas que, d’un point de vue juridique, la Cour peut

indiquer des mesures conservatoires dans le cadr e d’une demande en interprétation. Pour les

raisons exposées hier par Mme Amirfar, cela découle clairement du libellé de l’article 41 ainsi que

de son objet et de son but.

9. Il me reste à examiner la position des Etats-Unis sur l’existence, dans le cas présent, d’une

compétence prima facie, et leur thèse selon laquelle, dans les circonstances de l’espèce, les mesures

conservatoires doivent avoir pour objet de sauvegarder des droits en litige dans l’instance

principale. S’agissant du premier point ⎯ la compétence prima facie ⎯, les Etats-Unis

soutiennent que, «[e]n l’absence d’un différend portant sur les questions soulevées dans la demande

en interprétation du Mexique, [sa] demande ne sau rait entrer dans les prévisions de l’article 60» 14,

article sur lequel le Mexique s’est fondé pour établir la compétence de la Cour. Selon les

Etats-Unis, la Cour devrait dès lors juger qu’il n’existe pas de contestation 15.

10. S’agissant du second point, c’est-à-dir e du lien entre les mesures conservatoires

sollicitées et la demande principale, les Etats-Unis semblent affirmer que le Mexique n’a pas établi

16
le lien de connexité requis . Là encore, leur analyse est que le Mexique n’a pas véritablement

démontré qu’existait une contestation quant au sens ou à la portée de l’arrêt Avena.

11. Quelle que soit la manière dont ces deux arguments ont été présentés au cours des

différents exposés oraux, ils se résument à l’affirmation selon laquelle, même à ce stade de

l’instance, la Cour peut rejeter au fond la demande en interprétation du Mexique, au motif qu’il

15 n’existe pas entre les Parties de véritable contestation quant à l’interprétation de l’arrêt Avena.

14CR 2008/15, p. 36, par. 23 (Thessin).
15
Voir, par exemple, CR 2008/15, p. 9, par. 3 (Bellinger).
16CR 2008/15, p. 33, par. 12 ; p. 36, par. 23 (Thessin). - 10 -

Ainsi qu’ils l’ont reconnu hier pendant leurs pl aidoiries, les Etats-Unis tirent de cet unique

argument quantité de conséquences. De toute évidence, cela signifie que, si l’argument en question

tombe, aucune de ces conséquences ne saurait être retenue. J’en viens donc à l’argument en

question.

12. Avant cela, j’aimerais toutefois m’interrompre un instant. Ainsi que je viens de

l’indiquer, le point commun aux deux élém ents de l’argumentation des Etats-Unis ⎯ laquelle

porte, premièrement, sur la compétence prima facie et, deuxièmement, sur le lien entre la

satisfaction recherchée par le biais des mesures conservatoires et celle recherchée par celui-ci de la

demande principale ⎯ est qu’ils reposent tous deux sur l’idée que le Mexique a tort sur le fond .

Avec tout le respect que je leur dois, les Etats-Unis ont tout simplement fait fi de l’aspect le plus

fondamental de la jurisprudence de la présente Cour en matière de mesures conservatoires, à savoir

que l’examen d’une demande en indication de mesu res conservatoires ne saurait préjuger le fond.

Cette règle est à ce point fondamentale que vous avez vous-même, Madame le président, appelé sur

elle l’attention des Parties hier au tout début des audiences. Le fait que le défendeur demande que

ne soient pas indiquées de mesures conservatoires parce qu’il s’attend à obtenir gain de cause au

fond est tout à fait contraire aux conditions régissan t l’indication de mesures conservatoires par la

présente Cour.

13. Cela est d’autant plus le cas lorsque le défendeur recourt à cet argument pour tenter de

faire échec à la compétence. Le fait que la Cour ait compétence en vertu de l’article60 dans le

cadre d’une contestation quant au sens ou à la port ée d’un arrêt ne saurait modifier le caractère

prima facie de la compétence qui doit être établie au stade des mesures conservatoires. Comme les

Etats-Unis l’ont effectivement reconnu hier , il y aurait lieu de démontrer l’absence manifeste de

tout fondement permettant de conclure à l’exis tence d’un objet de contestation entre les Parties

quant au sens et la portée de l’arrêt Avena avant qu’une demande en indication de mesures

conservatoires ne soit rejetée pour défaut de compét ence. D’ailleurs, dans les deux affaires citées

hier par les Etats-Unis, à savoir l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force et celle des

Activités armées sur le territoire du Congo, les instruments sur lesquels les demandeurs entendaient

fonder la compétence ne permettaient pas prima facie à la Cour de connaître du type de demandes

ainsi formulées. - 11 -

14. Plus précisément, dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force , la Cour a

jugé que la Yougoslavie n’était pas fondée à formuler des demandes contre la Belgique en vertu de

la convention sur le génocide car la menace ou l’emploi de la force contre un Etat ⎯ laquelle

formait l’objet du différend ⎯ ne saurait en elle-même constituer un acte de génocide au sens de la

convention ( Licéité de l’emploi de la force (Yougosla vie c.Belgique), mesures conservatoires,

16 ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p.138, par.40-41). Dès lors, selon la Cour,

quand bien même celle-ci aurait établi que les actes imputés à la Belgique par la Yougoslavie

avaient effectivement été commis, la conduite dont il était tiré grief n’entrait tout simplement pas

dans les prévisions de l’instrument invoqué pour asseoir sa compétence. De même, en l’affaire des

Activités armées sur le territoire du Congo , la Cour a jugé que l’une des bases de compétence

invoquées par le Congo, à savoir la convention port ant création de l’Unesco, ne lui permettait pas

prima facie de connaître du type de demandes à elle soumises ( Activités armées sur le territoire du

Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c.Rwanda), mesures

conservatoires, ordonnance du 10ju illet 2002, C.I.J. Recueil 2002, p.235-236, par.42 et p.248,

par. 83).

15. Aucune de ces affaires n’étaye la thèse présentée en l’espèce par les Etats-Unis.

L’article 60 offre une base de compétence claire sur le fondement de laquelle il peut être fait droit à

des demandes relatives à une contestation sur le sens et la portée d’un arrêt de la présente Cour,

dans l’hypothèse où celles-ci seraient étayées lors de la phase au fond. Aux fins d’établir la

compétence prima facie, cela devrait suffire.

16. En tout état de cause, la Cour n’a pas à s’appesantir sur ces points, dans la mesure où,

même si elle examinait l’affaire au fond, les fa its incontestés qui lui sont présentés démontrent

clairement que la contestation requise existe bien.

17. A titre liminaire, S.Exc.HernándezGarcía a souligné, il y a quelques instants à peine

⎯ tout comme l’ont fait hier LL. Exc. Gómez-Robledo, Hernández García et Lomónaco ⎯, que le

Mexique se félicitait des assurances données par M. Bellinger et ses collègues que les Etats-Unis

s’engageaient à se conformer à l’arrêt Avena et que le pouvoir exécutif fédéral souscrivait à

l’interprétation du Mexique, à savoir que l’arrêt im pose une obligation de résultat. A l’évidence, - 12 -

les Etats-Unis ne se sont pas présentés devant la Cour pour lui annoncer qu’ils avaient l’intention

de violer leur obligation.

18. Ces assurances ne sauraient toutefois changer la réalité des faits. Les Etats-Unis ont, au

cours de leurs plaidoiries d’hier, insisté su r le fait qu’un demandeur ne pouvait créer une

contestation en prétendant simplement qu’il en existait une. Soit. Mais alors, de la même manière,

un défendeur ne saurait faire échec à une demande en interprétation en préte ndant devant la Cour

que cette contestation n’existe pas. La Cour l’a d’ ailleurs établi aussi clairement que faire se peut.

Ainsi, dans son arrêt de 1962 rendu en les affaires du Sud-Ouest africain , elle a indiqué que «[l]a

simple affirmation ne suffit pas pour prouver l’exis tence d’un différend, tout comme le simple fait

que l’existence d’un différend est contestée ne prouve pas que ce différend n’existe pas»

(Sud-Ouest africain (Ethiopie c.Afrique du Sud; Libéria c.Afrique du Sud), exceptions

préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328). De plus, comme les Etats-Unis l’ont fait observer

hier et comme la Cour l’a indiqué dans l’avis consultatif qu’elle a donné en l’affaire des Traités de
17

paix, l’existence d’un «différend…demande à être établie objectivement» ( Interprétation des

traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis

consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74). Les circonstances objectives de la présente espèce révèlent

clairement l’existence d’un différend.

19. Comme vient de le souligner S.Exc.HernándezGarcía, l’élément de preuve le plus

manifeste de l’existence de ce différend figure so us l’onglet1 de votre dossier: il s’agit de

l’ordonnance du tribunal de district du comté de Harris, laquelle a fixé la date d’exécution de

M.Medellín au 5août. Le Texas est une autorité compétente des Etats-Unis d’Amérique. Il est,

selon le Mexique, pleinement lié par l’arrêt Avena. Pourtant, ainsi que Mme Babcock l’a indiqué

hier ⎯et les Etats-Unis ne le contestent pas ⎯, cette juridiction a expressément rejeté les

demandes présentées par M.Medellín et le Me xique tendant à ce qu’elle fasse usage de son

pouvoir discrétionnaire pour surseoir à la fixation de la date d’exécution jusqu’à ce que soient

prises ⎯par le Texas ou le Congrès des Etats-Unis ⎯ des mesures législatives susceptibles de

fournir un moyen d’assurer le réexamen et la revision. Certes, ainsi que l’a indiqué Mme Babcock,

le tribunal de district n’a même pas eu la courtoisie d’entendre M. Hernández. Il ne s’agit pas là du

comportement d’une juridiction dont les compétences seraient limitées par le droit interne, mais de - 13 -

celui d’une juridiction décidée à violer une règle de droit international, en l’occurrence l’arrêt

Avena. Ce comportement reflète une interp rétation des prescriptions de l’arrêt Avena différente de

celle exposée par le pouvoir exécutif fédéral, et il établit l’existence d’un différend.

20. Cette divergence de vues ne se limite pas, d’ailleurs, aux autorités locales du Texas.

Rien n’indique que le gouverneur du Texas considère son Etat comme lié. Autant qu’on le sache, il

n’a pris aucune mesure, quelle qu ’elle soit, de contrainte ou de persuasion, pour empêcher

l’exécution, ce qui montre bien que le Texas ne se considère pas comme lié.

21. Ainsi que M.Hernández l’a également sou ligné, rien ne permet non plus à la Cour de

conclure à ce stade qu’il n’existe pas de divergen ce de vues au niveau fédéral. Par exemple, les

Etats-Unis d’Amérique n’ont fait état d’aucune mesure prise à ce jour par le Congrès qui

indiquerait que la législature fédérale s’estime liée par l’arrêtAvena et entend veiller à ce que les

ressortissants cités dans celui-ci bénéficient du réexamen et de la revision prescrits.

22. Enfin, M.Hernández a relaté les discussions qui se sont déroulées entre les ministères

des affaires étrangères du Mexique et des Etats-Un is d’Amérique, lesquelles, pour les raisons qu’il

a expliquées, confirment également l’existence d’une contestation. Entre autres choses, les

18 Etats-Unis d’Amérique n’ont fait état d’aucune mesure prise par le pouvoir exécutif en vue de

l’adoption de dispositions législatives par le Congr ès, et n’ont pas indiqué qu’ils interviendraient

dans la procédure pendante au Texas aux fins de tenter d’empêcher l’exécution de M. Medellín.

23. A la lumière de ces circonstances objectives, il est tout simplement impossible d’affirmer

qu’il n’existe pas de contestation entre le Mexique et les Etats-Unis d’Amérique quant au sens et à

la portée de l’arrêt Avena, et encore moins que l’absence d’une telle contestation serait si manifeste

qu’elle inciterait la Cour à ignorer sa propre jurispru dence et à trancher le fond de l’affaire dès le

stade des mesures conservatoires.

24. Enfin, si vous me le permettez, je s ouhaiterais examiner l’argument des Etats-Unis

d’Amérique selon lequel en déposant une demande en interprétation de l’arrêt Avena, et en

recherchant dans le cadre de celle-ci l’indication de mesures conservatoires, le Mexique demande à

la Cour de transgresser les limites mêmes de la fonction judiciaire. Cet argument revêt deux

aspects. Il est extrême en ce que la demande en interprétation du Mexique devrait être d’emblée

rejetée, sans autre forme de procès, en tant qu’abus de procédure ; mais il comporte également un - 14 -

aspect sous-jacent, en ce que les conclusions des Etats-Unis d’Amérique reprennent sans cesse

l’idée que le Mexique demanderait ainsi à la Cour d’outrepasser sa fonction consistant à déterminer

des droits d’ordre juridique, en l’espèce sous la forme d’une interprétation de l’arrêt Avena.

25. Le premier aspect, tout d’abord. Voic i ce qu’il en est. M. Medellín se trouve dans le

couloir de la mort au Texas, et un tribunal du Texas vient de fixer une date d’exécution en violation

flagrante des vues du Mexique sur les obligations imposées par l’arrêt Avena. Ni le pouvoir

exécutif du Texas, ni la législature du Texas, ni le pouvoir exécutif fédéral, ni la législature fédérale

n’ont, à ce stade, pris de mesures de nature juridique qui empêcheraient l’exécution de

M. Medellín. Selon le Mexique, ce tte inaction reflète l’existence d’une contestation quant au sens

et à la portée de l’arrêt Avena. C’est la raison pour laquelle il a déposé devant votre Cour une

demande en interprétation ainsi que, en anne xe, une demande en indication de mesures

conservatoires enjoignant aux Etats-Unis d’Amér ique de prendre toute mesure pour empêcher

l’exécution tant qu’il n’aura pas été statué sur la demande principale.

26. Les Etats-Unis d’Amérique considèrent que le fait d’avoir, dans ces conditions, introduit

une instance devant la Cour constitue un abus de pr océdure. Ils prient donc la Cour de procéder

comme suit. Selon les Etats-Unis d’Amérique, la Cour, sans indiquer si elle est compétente (en

d’autres termes, même si la Cour est peut-être co mpétente et même si le Mexique est donc fondé à

faire valoir ses droits), et sans indiquer si le Mexique est réellement en droit, au fond, d’obtenir la

réparation demandée aux termes de l’article60 (en d’autres termes, même si le Mexique est

peut-être en droit d’obtenir cette réparation), devr ait simplement rejeter la demande maintenant, au

19 motif qu’elle n’est pas dûment motivée. De quoi s’agit-il ? D’après les Etats-Unis d’Amérique, la

seule raison pour laquelle le Mexi que peut avoir saisi la Cour consiste à «faire pression» sur eux

pour qu’ils se conforment à l’arrêt Avena – formule que les Etats-Unis ont répétée au moins

17
cinq fois . Et comment est-on supposé savoir que tels sont les (mauvais) motifs à l’origine de la

demande ? Il suffit apparemment de se fier tout simplement au bon sens, qui est le meilleur ami du

juriste ⎯ nul besoin de preuves, donc.

17
CR 2008/15, p. 9, par. 5 (Bellinger) ; ibid., p. 46-47, par. 6 ; p. 56, par. 39, p. 56, par. 41, p. 58, par. 50 (Lowe). - 15 -

27. En bref, les Etats-Unis d’Amérique laissent entendre que la Cour pourrait invoquer

l’abus de procédure pour rejeter une demande de réparation motivée et fondée sur le plan de la

compétence uniquement parce que le motif vérita ble supposé du demandeur serait d’obtenir un

avantage indu en demandant la mise en Œuvre d’un arrêt de la Cour ayant force obligatoire. Dans

le même temps, les Etats-Unis d’Amérique insisten t sur le fait que la Cour, en faisant ainsi appel à

la notion d’abus de procédure, contribuerait à préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et à

empêcher tout abus de la fonction judiciaire. Fran chement, si tels sont les buts recherchés, il serait

difficile de concevoir une procédure ou un résultat susceptible de les bafouer davantage.

28. Il n’est pas étonnant que les Etats-Unis ne citent aucune décision internationale rejetant

une demande pour abus de procédur e. La Cour a sommairement reje té la théorie de l’abus de

procédure à l’occasion des trois affaires dans lesquelles celle-ci avait été invoquée, notamment

dans l’arrêt rendu en l’affaire des Activités armées sur le Territoire du Congo , cité hier par les

Etats-Unis. ( Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République

démocratique du Congo c.Rwanda), mesures c onservatoires, ordonnance du 10juillet2002,

C.I.J. Recueil 2002, p.219, par.45, 49, 94; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru

c.Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1992, p. 240, par. 37-38 ; Sentence

arbitrale du 3juillet989 (Guinée-Bissau c.énégal), arrêt, C.I.J. ecuel991 , .3,

par.26-27). Les Etats-Unis ne peuvent même pas présenter une définition reconnue de cette

théorie ou une norme qui pourrait régir son application.

29. Mais avant d’en finir avec la théorie de l’ abus de procédure, je souhaiterais faire deux

autres commentaires sur la place accordée par les Etats-Unis à l’arrêt rendu en l’affaire des

Activités armées. Premièrement ⎯et le Mexique n’a pas cru comprendre que les Etats-Unis

laissaient entendre le contraire ⎯ une chose est claire: les passages de l’arrêt cités par les

Etats-Unis ne renvoient pas à la théorie de l’abus de procédure. Deuxièmement, dans l’affaire que

20 nous venons de citer, la Cour n’ avait nullement laissé entendre qu’elle pouvait ne pas tenir compte

des termes mêmes de la demande d’une partie re quérante pour en redéfinir la substance, et, sur

cette base, rejeter sa demande. Comme il ressort très clairement de l’ensemble de l’arrêt

susmentionné, et plus particulièrement du passage cité par les Etats-Unis, lorsque la Cour a

examiné «l’objet de la requête du Congo», elle l’a fait sur la base des arguments invoqués dans les - 16 -

pièces de procédure présentées par celui-ci (Activités armées sur le territoire du Congo

(République démocratique du Congo c.Rw anda), mesures conservatoires, ordonnance du

10 juillet 2002, C.I.J. Recueil 2002, p. 248, par. 85). Rien dans cet arrêt n’étaye d’une manière ou

d’une autre les arguments extravagants avancés par les Etats-Unis en l’espèce.

30. Venons-en à présent aux aspects sous-jacents de l’argument. A en croire les Etats-Unis,

sous prétexte de demander une interprétation de l’arrêt de la Cour en vertu de l’article 60 du Statut,

le Mexique essaierait en fait de pousser cette dernière à franchir la limite qui sépare une décision de

son exécution. Les Etats-Unis n’ont pas hésité non plus à demander à la Cour d’envisager les effets

politiques que pourrait avoir aux Etats-Unis sa déci sion relative à la demande du Mexique. Et en

laissant entendre que l’interprétation demandée n’aurait pas de «conséquences pratiques», les

Etats-Unis ont effectivement suggéré à la Cour de considérer les effets éventuels de l’exécution de

18
toute décision de sa part avant de décider si elle doit rendre une telle décision .

31. Par le passé, quand la Cour a été amenée à examiner la question qui nous intéresse

aujourd’hui, elle a entendu des arguments similair es lui reprochant de s’aventurer dans des eaux

interdites. Dès 1998, dans le cadre de la procédure orale consacrée à la demande en indication de

mesures conservatoires présentée par le Paraguay, puis lors de l’examen au fond de l’affaire

LaGrand, les Etats-Unis avaient mis en garde la Cour contre le fait qu’en faisant droit aux

demandes qui lui étaient soumises elle agirait, à tort, comme une juridiction d’appel pénale

19
nationale ; ils lui avaient alors demandé avec insistance de rejeter cette demande.

32. Dans ces affaires, comme dans Avena, ces arguments ne sont pas parvenus à dissuader la

Cour. Au contraire, celle-ci a soigneusement e xpliqué qu’elle avait pour mandat d’appliquer le

droit international aux faits qui lui étaient soumis, notamment aux faits d écoulant d’une procédure

engagée devant une juridiction d’Etat, et a rendu une décision fondée sur les droits d’ordre

juridique qu’elle avait définis. La Cour a conclu dans ces affaires que le moyen le plus efficace

21 pour éviter qu’elle outrepasse sa compétence ou qu’ elle faillisse à sa mission consisterait à se

18
CR 2008/15, p. 60, par. 5 (Bellinger).
19 Convention de Vienne sur les relations consulaire s (Paraguay c.Etats-Unis d’Amérique), mesures
conservatoires, procédure orale, 7 avril 1998, 10 heures, par. 4.7 ; Lagrand (Allemagne c. Etats- Unis d’Amérique), fond,
procédure orale, 14 novembre 2000, 10 heures, par. 2.27. - 17 -

conformer fidèlement aux instruments juridiques ap plicables et aux orientations établies par sa

propre jurisprudence.

33. Il en est de même en l’espèce. Les instruments qui nous intéressent ici sont les

articles 41 et 60 du Statut de la Cour et l’orienta tion définie par la jurisprudence bien établie de la

Cour sur les critères à remplir pour obtenir des mesures conservatoires. Le Mexique fait valoir que

sur la base de cette jurisprudence, il est clairement en mesure d’obtenir la réparation qu’il demande

et prie la Cour d’exercer son incontestable autorité pour accorder cette réparation.

34. Madame le président, puis-je vous demander d’appeler M.l’ambassadeur Lomónaco

Tonda à la barre ?

Le PRESIDENT: Merci, MonsieurDonovan. La Cour donne à présent M.l’ambassadeur

Lomónaco Tonda.

M. LOMÓNACO : Madame le président, Messieurs de la Cour.

Observations finales et conclusions

1. J’aurai à présent le privilège de formuler en conclusion quelques brèves observations et de

présenter les conclusions finales du Mexique sur sa demande en indication de mesures

conservatoires. Je serai bref, ne mettant en exergue que quelques points.

2. Premièrement, comme nous l’avons déclaré à plusieurs reprises, le Mexique accueille

avec satisfaction tout effort déployé de bonne foi en vue d’assurer que ses ressortissants bénéficient

d’un réexamen et d’une revision effectifs pleineme nt conformes aux prescriptions de la Cour dans

l’arrêt Avena. Il est clair toutefois que les entités cons titutives des Etats-Unis ne partagent pas le

point de vue du Mexique selon lequel l’arrêt Avena impose une obligation de résultat. Il est donc

clairement établi qu’il existe une contestation entre les Etats-Unis et le Mexique sur le sens et la

portée du point 9 du paragraphe 153 dudit arrêt, tel qu’exposé dans notre requête et tout au long de

ces plaidoiries.

3. Deuxièmement, il a été largement démontré que la Cour avait compétence, et bien

compétence prima facie, pour connaître de la demande en interprétation du Mexique. - 18 -

4. Troisièmement, le Mexique a démontré qu’existaient des raisons solides à l’indication de

mesures conservatoires. A la lumière de la menace imminente posée par la fixation de dates

d’exécution pour des ressortissants mexicains détenus dans l’Etat du Texas, il ne saurait être

contesté que la présente demande du Mexique relève clairement de l’article 41 du Statut de la Cour.

22 5. Madame le président, Messieurs de la Cour, tenant compte de l’affirmation des Etats-Unis

selon laquelle les conclusions du Mexique n’étaient pas assez précises, le Mexique formule les

conclusions revisées suivantes, demandant :

a) que les Etats-Unis d’Amérique, par l’intermédia ire de tous leurs organes compétents et de

toutes leurs entités constitutives, y compris t outes les branches du gouvernement et tout

détenteur de l’autorité publique, à l’échelon des Etats comme à l’échelon fédéral, doivent, dans

l’attente de l’issue de l’instance introduite par le Mexique le 5 juin 2008, prendre toute mesure

pour éviter qu’il ne soit procédé à l’exécution de José Ernesto Medellín, César Roberto Fierro

Reyna, Ruben Ramirez Cárdenas, Humberto Leal García et Roberto Moreno Ramos, à moins et

jusqu’à ce que ces cinq ressortissants mexicains aient fait l’objet du réexamen et de la revision

prévus aux paragraphes 138 à 141 de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Avena ; et

b) que le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique doit porter à la connaissance de la Cour toute

mesure qu’il aura prise en application de l’alinéa a) ci-dessus.

6. Ainsi s’achèvent les plaidoiries du Mexique. Madame le président, Messieurs de la Cour,

je vous remercie de votre attention.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Lo mónaco. Ainsi prend effectivement fin le

second tour de plaidoiries du Mexique. La Cour se réunira de nouveau cet après-midi à 16h30

pour entendre le second tour de plaidoiries des Etats-Unis d’Amérique. L’audience est levée.

L’audience est levée à 10 h 45.

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