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Uncorrected Translation
CR 2009/32 (traduction)
CR 2009/32 (translation)
Jeudi 10 décembre 2009 à 10 heures
Thursday 10 December 2009 at 10 a.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit ce matin
pour entendre les Pays-Bas, la Roumanie et le Royaume–Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du
Nord s’exprimer sur la question qui lui est posée. Je donne donc à présent la parole au premier
intervenant, Mme Liesbeth Lijnzaad, au nom des Pays-Bas.
Mme LIJNZAAD :
1. Introduction
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi de m’adresser à la
Cour et de préciser les vues de mon gouvernement sur la question qui vous est soumise. Je
m’estime particulièrement privilégiée de m’adresser à vous en ce jour des droits de l’homme : une
réponse affirmative à la question dont est saisie la Cour apportera aux Etats un message clair, à
savoir qu’il est possible de recourir à des remèdes efficaces, dissuasifs et proportionnés s’ils violent
les droits fondamentaux des peuples vivant à l’intérieur de leurs frontières.
2. Le droit devrait être à notre service, au service du peuple du monde. Le droit s’est
développé pour faciliter et réglem enter l’interaction entre les individus et les groupes d’individus,
comme les peuples ou les Etats. Pour atteindre son objectif, le droit doit apporter la stabilité.
Cependant, il doit aussi faire preuve de souplesse pour tenir compte d’ajustements sociétaux
lorsque l’évolution de la société l’exige, et il do it aussi prévoir des remèdes efficaces, dissuasifs et
proportionnés lorsque ses règles sont violées. Dans la présente affaire, le droit autorisait la
proclamation de l’indépendance par le peuple du Kosovo.
3. Dans mon exposé, j’aborderai les points suivants :
⎯ l’existence et l’exercice du droit à l’autodétermination dans un contexte postcolonial, et en
particulier les conditions qui doivent être remplies pour qu’un peuple exerce le droit à
l’autodétermination externe ;
⎯ l’exercice licite du droit à l’autodétermination externe par le peuple du Kosovo.
2. Le droit à l’autodétermination dans un contexte postcolonial
4. Dans l’avis consultatif qu’elle a rendu sur les Conséquences juridiques de l’édification
d’un mur dans le territoire palestinien occupé , la Cour a reconnu pour la première fois un droit à - 3 -
l’autodétermination en dehors du c ontexte de la décolonisation. Le droit à l’autodétermination
9 inclut le droit des peuples à déterminer libreme nt leur statut politique. La proclamation de
l’indépendance par un peuple n’est qu’un moyen parmi d’autres d’exercer de droit à
l’autodétermination politique.
5. L’exercice par un peuple de son droit à l’autodétermination politique doit être en
conformité avec le droit international. Le principe de l’intégrité territoriale fait partie du droit
international. Il faut donc établir si le dro it à l’autodétermination a été exercé d’une manière qui
préserve les frontières internationales, auquel cas il s’agit d’autodétermination interne, ou d’une
manière qui donne lieu à une modification de ces frontières, ce qui correspond à
l’autodétermination externe. La proclamation d’indépendance pa r le peuple du Kosovo visait une
modification des frontières internationales et, par conséquent, elle est un exemple de l’exercice du
droit à l’autodétermination externe.
6. Dans un contexte postcolonial, un peuple doit commencer par chercher à exercer son droit
à l’autodétermination politique en accordant tout le respect qui est dû au principe de l’intégrité
territoriale, c’est-à-dire sans remettre en cause les frontières internationales existantes. Dans des
circonstances exceptionnelles, le droit à l’autodé termination politique peut toutefois évoluer pour
faire place à un droit à l’autodétermination externe. Il s’agit là d’une exception à la règle, qui doit
par conséquent faire l’objet d’une interprétation st ricte. Le recours à l’autodétermination externe
est un dernier recours et il est soumis à des conditions.
7. Il est soumis en premier lieu à des conditio ns de fond. Un droit à l’autodétermination
externe ne prend naissance qu’en cas de violations graves :
⎯ soit de l’obligation de respecter et promouvoir le droit à l’autodétermination, ces violations se
manifestant par l’absence d’un gouvernement représ entant l’ensemble du peuple vivant sur le
territoire ou par le déni des droits fondamentaux d’un peuple ;
⎯ soit de l’obligation de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait le peuple
de ce droit.
8. Il y a aussi une condition procédurale. Tous les remèdes efficaces doivent avoir été
épuisés dans le cadre de la recherche d’un règlement avant qu’un peuple puisse recourir à
l’exercice du droit à l’autodétermination externe. En conséquence, il faut avoir exploré toutes les - 4 -
voies permettant d’assurer, par les moyens exista nts, le respect et la promotion du droit à
l’autodétermination, notamment les négociations bila térales, l’assistance de tiers et, sous réserve
d’un accord ou de conditions d’accessibilité, le r ecours aux juridictions internes ou même
internationales, ainsi qu’aux tribunaux arbitraux.
9. Monsieur le président, Messieurs de la C our, au cours de ces audiences, on a entendu dire
que l’existence du droit postcolonial à l’autodéte rmination externe n’a pas été démontrée par les
10 Etats qui invoquent ce droit. Les études consacrées au droit de l’autodétermination abondent.
Elles apportent un grand nombre d’éléments, notamment sur l’exercice du droit à
l’autodétermination externe. Elles sont instru ctives mais ne font sans doute pas autorité. Les
divergences d’opinions exprimées dans la doctrin e empêchent à notre avis que celle-ci soit utilisée
comme une source de droit international comme le pr évoit l’article 38 du Statut de la Cour. Pour
répondre à la question qui lui est soumise, la Cour devra interpréter les dispositions
conventionnelles relatives à l’au todétermination et évaluer les opinions juridiques ainsi que la
pratique des Etats dans ce domaine. De fait, c’est précisément ce que la Cour pourra faire sur la
base des exposés écrits, des observations écrites et des déclarations orales en l’instance.
10. Il n’est guère surprenant que les exemples d’exercice licite du droit à l’autodétermination
externe soient peu nombreux en dehors du contexte des territoires non autonomes ou de
l’occupation étrangère. Premièreme nt, le droit à l’autodétermination externe dans un contexte
postcolonial ne s’est fait jour que dans la seconde moitié du siècle dernier. Deuxièmement, comme
on l’a mentionné plus haut, des conditions de fond et de procédure doivent être remplies avant
qu’un peuple puisse recourir à l’autodétermination externe. Au cours de cette instance, on a cité de
nombreux cas dans lesquels le peuple considéré n’avait effectivement pas réuni ces conditions et ne
pouvait donc pas exercer licitement le droit à l’au todétermination externe. Il existe pourtant
plusieurs cas dans lesquels la communauté internat ionale a accepté l’exercice de ce droit. Nous
citerons à titre d’exemples la création du Bangladesh et celle de la Croatie.
11. Les cas dans lesquels des Etats se sont d ésintégrés sur la base d’un accord consensuel
diffèrent du cas présent, mais ils ne sont pas nécessairement dénués de pertinence au regard de
celui-ci. Dans certains de ces cas, les peuples intéressés ont reconnu que la violation passée du - 5 -
droit à l’autodétermination avait rendu impossible la poursuite de leur coexistence dans un seul
Etat. Nous citerons à titre d’exemples la création de l’Erythrée et celle de la Slovénie.
3. L’exercice du droit à l’autodétermination par le peuple du Kosovo
12. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la violation des droits de l’homme au
Kosovo à la fin du siècle dernier a été dument attest ée, en particulier par le rapporteur spécial de
l’ONU sur l’ex-Yougoslavie et elle a été reconnue par plusieurs organes de l’Organisation, y
compris l’Assemblée générale, le Conseil de Sécurité et le Tribunal pénal international pour
11 l’ex-Yougoslavie. Même la Yougoslavie a reconnu au cours de cette audience que des violations
des droits de l’homme avaient eu lieu au Kosovo.
13. Ces violations sont la raison profonde pour laquelle nous estim ons que le peuple du
Kosovo peut prétendre, en tant que peuple, à l’au todétermination externe. Dans nos observations
écrites, nous avons soutenu qu’il existe un pe uple au Kosovo. Nous ferons observer que
contrairement à ce qu’a indiqué la Serbie pendant la présente instance, le Gouvernement suisse a
adopté la même position au cours de ces débats et à l’occasion de débats parlementaires intérieurs.
Aujourd’hui, je ferai en outre valoir que le dr oit à l’autodétermination externe en l’espèce trouve
son origine dans les graves violations par la Serbie du droit à l’autodétermination du peuple du
Kosovo et de ses obligations connexes, à savoir celle de respecter et promouvoir ce droit et celle de
s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait dudit droit le peuple du Kosovo.
3.1. La violation de l’obligation de respecter et de promouvoir le droit à l’autodétermination
14. Il y a ainsi eu une violation grave de l’obligation de respecter et de promouvoir le droit
du peuple du Kosovo à l’autodétermination, parce que :
⎯ aucun gouvernement ne représentait l’ensemble de la population en Ré publique fédérale de
Yougoslavie ;
et
⎯ il y a eu déni des droits fondamentaux de l’homme au Kosovo. - 6 -
3.1.1. L’absence d’un gouvernement représentant l’ensemble de la population
15. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi d’aborder le premier point.
Il n’y avait pas de gouvernement représentant l’ ensemble de la population dans la République
fédérale de Yougoslavie. Dans la République fédérative socialiste de Yougoslavie, le Kosovo avait
le statut d’une province autonome. Les autorités yougoslaves et serbes ont peu à peu mis fin à
l’autonomie du Kosovo et cherché à prendre le cont rôle de celui-ci. Leur réussite à cet égard a
abouti à une marginalisation totale, au Kosovo, des Albanais de souche. La façon dont les choses
se sont déroulées est relatée dans le jugement Milutinović, rendu en février dernier par le Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie 1.
12 16. Au début des années1980, après la mort du présidentTito, les Albanais du Kosovo
cherchèrent à obtenir que le Kosovo soit reconnu comme une république à part entière. Cela donna
lieu à des manifestations, parfois violentes, et les forces de police ainsi que l’armée yougoslave
furent déployées. Dans le même temps, les Serbes demandaient de plus en plus instamment une
restriction de l’autonomie du Kosovo. Les mesures qui furent prises, dans le contexte général de
l’éclatement de la Yougoslavie, prirent la forme d’une usurpation par les autorités fédérales des
responsabilités concernant la sécurité à l’intérieur du Kosovo. Le Tribunal a conclu comme suit :
«à partir de1989 environ, les divergences entre d’une part les aspirations de la
majorité de la population albanaise du Kosovo et, d’autre part, les visées de la
[République fédérale de Yougos lavie] et des autorités de l’Etat serbe créèrent un
climat tendu et instable. Les mesures que prirent les autorités pour exercer un contrôle
plus strict sur la province et pour réduire le rôle des Albanais du Kosovo dans la
gestion des affaires locales, les services publics et la vie économique polarisèrent la
communauté. En effet, les lois, les politiques et les pratiques qui furent mises en place
étaient discriminatoires pour les Albanais, al imentant la rancŒur et le sentiment de
persécution de la population locale.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un système dit «parallèle» se développa donc, avec un «gouvernement» non
officiel et la prestation de services à la population albanaise du Kosovo, financés par
les contributions d’une forte communauté émigrée et par un «impôt de solidarité»
volontaire.» [Traduction du Greffe.]
17. Ces constatations démontrent l’absence d’un gouvernement représentant l’ensemble de la
population de la République fédé rale de Yougoslavie, ce qui équivaut à une violation de
l’obligation de respecter et de promouvoir le dr oit à l’autodétermination au Kosovo. Cette
1
On pourra noter que des appels, qui restent à trancher, ont été formés après le 17av ril2009, date à laquelle le
Royaume des Pays-Bas a déposé son exposé écrit. - 7 -
violation était grave parce que systématique: l’abrogation des pouvoirs autonomes, conjuguée au
caractère discriminatoire des lois, politiques et pr atiques mises en place, prouvent que la violation
était organisée et délibérée. La gravité de la violation tenait aussi à son énormité : la nécessité pour
les Albanais du Kosovo de mettre en place un système de gouvernement parallèle prouve le
caractère flagrant de la violation, qui constitua it une atteinte directe et caractérisée portée aux
valeurs protégées par le principe de la représentativité du gouvernement.
3.2. Le déni des droits de l’homme fondamentaux
18. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant au deuxième point. Il
y a aussi eu déni des droits fondamentaux du peuple du Kosovo. A partir du milieu de
l’année1998, la crise politique au Kosovo a conduit à un conflit armé entre les forces de la
République fédérale de Yougoslavie et de Serbie et celles de l’armée de libération du Kosovo. Le
13 conflit armé s’est poursuivi tout au long de la campagne de bombardements aériens de l’OTAN
menée entre le 24mars et le 10juin1999. Pe ndant toute la durée du conflit armé, des incidents
eurent lieu, au cours desquels l’armée yougoslave et les forces du ministère serbe de l’intérieur
firent un usage excessif et indiscriminé de la fo rce. Ces incidents occasionnèrent des dommages
subis par des biens à caractère civil, un déplacement de la population ainsi que la mort de civils.
Le tribunal a conclu que :
«l’objectif de l’entreprise criminelle commune était de placer le Kosovo sous contrôle
permanen t des autorités de la [République fédé rale de Yougoslavie] et des autorités
serbes, et il devait être réalisé par des moyens criminels. Par le moyen d’une
campagne de terreur et de violence gé néralisée et systématique, la population
albanaise du Kosovo devait être déplacée par la force à l’intérieur et à l’extérieur du
Kosovo; les membres de l’entreprise criminelle commune avaient conscience qu’on
ne pouvait espérer, de manière réaliste, pou voir déplacer chaque Albanais du Kosovo
et l’en chasser, et l’objectif commun était donc de les déplacer en nombre suffisant
afin de réaliser un rééquilibrage démogra phique en direction d’une répartition plus
égale des groupes ethniques, et d’intimider les Albanais du Kosovo jusqu’à ce qu’ils
se soumettent.» (traduction du greffe)
19. Les forces de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie chassèrent
délibérément au moins 700000Albanais du Kosovo, soit en leur ordonnant de partir, soit en
instaurant un climat de terreur qui les a amenés à partir. Dans tout le Kosovo, les forces de la
République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie menèrent une vaste campagne de violence à - 8 -
l’encontre de la population albanaise du Kosovo, marquée par des meurtres, des violences sexuelles
et la destruction délibérée de mosquées.
20. Ces constatations du Tribunal pénal international pour l’ ex-Yougoslavie démontrent que
la campagne de terreur et de violence s’est caractérisée par des crimes de guerre et des crimes
contre l’humanité, aboutissant à un déni des droits de l’homme fondamentaux au Kosovo. Partant,
il y a eu violation de l’obligation de respecter et de défendre le droit à l’autodétermination au
Kosovo, violation grave de par son caractère systém atique; l’existence d’une entreprise criminelle
commune prouve notamment que la violation était organisée et délibérée. La gravité de la violation
tenait aussi à son énormité: le nombre d’Alba nais du Kosovo chassés ainsi que la nature et
l’étendue de la violence dirigée contre eux témoi gnent du caractère flagrant de la violation, qui
constituait une atteinte directe et absolue aux droits de l’homme fondamentaux.
3.2. La violation de l’obligation de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition
21. Au Kosovo, il y a en outre eu violation grav e de l’obligation de s’abstenir de recourir à
des mesures de coercition privant les peuples de leur droit à l’autodétermination. Cela ressort aussi
des constatations du Tribunal, notamment en ce qui concerne le déplacement forcé des Albanais du
Kosovo.
3.3. L’épuisement de tous les recours efficaces
14
22. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la condition de fond aussi bien que la
condition de procédure applicables à l’ex ercice par le peuple du Kosovo du droit à
l’autodétermination ont été remplies. Après tout , tous les recours efficaces qui pouvaient être
exercés pour régler le statut du Kosovo avai ent été épuisés. Un processus politique avait été
engagé à cette fin sous les auspices du Conseil de sécurité. Ce n’est qu’après l’échec de toutes les
tentatives visant à parvenir à un règlement que l’e nvoyé spécial du Secrétaire général conclut, le
26mars2007, que les négociations n’avaient pl us aucune chance d’aboutir à un résultat
mutuellement acceptable sur le statut du Kosovo, et que la seule option viable pour le Kosovo était
l’indépendance. Ces conclusions furent pleine ment appuyées par le Secrétaire général des
Nations Unies. - 9 -
23. Par la suite, lorsqu’il apparut que le Conseil de sécurité ne pouvait souscrire à une
résolution qui aurait approuvé les propositions de l’envoyé spécial, une troïka fut constituée,
composée de représentants de l’Union européenne, de la Fédération de Russie et des Etats-Unis, en
vue de tenter de trouver une solution. Après quatre mois de travail intensif sur la question du statut
futur du Kosovo, la troïka remit son rapport le 4 décembre 2007. Son objectif était de faciliter un
accord entre les parties. En dépit des discussions in tensives et substantielles de haut niveau que la
troïka avait facilitées entre Belgrade et Pristina, un accord sur le statut final du Kosovo ne put être
trouvé. Ainsi que la troïka l’a rapporté, aucune des parties n’était prête à céder sur
la question
fondamentale de la souveraineté sur le Kosovo.
24. De nouveaux débats approfondis eurent lieu au sein du Conseil de sécurité, sans toutefois
déboucher sur une solution. Ce n’est par consé quent qu’après l’épuisement du processus politique
et en l’absence de nouvelle indication du Conseil de sécurité que l’indépendance du Kosovo fut
proclamée le 17 février 2008.
25. L’affirmation faite dans les observations écrites de la Serbie, selon laquelle la condition
procédurale d’épuisement de tous les recours effectifs n’a pas été remplie, du fait même de la tenue
de cette procédure consultative, est hors de propos . La demande d’avis c onsultatif ne constituait
certainement pas un recours effectif pour le peuple du Kosovo, puisque ce peuple n’aurait pas pu
soumettre une proposition à cet effet à l’Assemblée générale, n’aurait pas pu négocier les modalités
de la demande avec les membres de l’Organisati on des NationsUnies à l’Assemblée générale et
15 obtenir un vote en faveur d’une telle demande. Ç’aurait été à la Serbie de proposer, lors des
négociations sur le statut, de demander à la C our de donner un avis consultatif, ou bien de
soumettre la question de l’exercice du droit à l’ autodétermination par le peuple du Kosovo à un
tribunal arbitral. Elle ne l’a toutefois pas fait à ce moment-là.
26. On a dit également que le peuple du Kosovo ne pouvait exercer son droit à
l’autodétermination externe en 2008, car la situ ation au Kosovo ne s’était pas aggravée depuis
1999. Nous avons déjà indiqué dans notre exposé écrit que, dans ce cas-là, le droit à
l’autodétermination n’était pas remis en cause par l’écoulement du temps compte tenu des
violations graves de ce droit. Ce temps a servi, premièrement, à établir des présences civiles et de
sécurité internationales au Kosovo et, deuxièmem ent, à faciliter un processus politique permettant - 10 -
de parvenir à un règlement politique de la situation au Kosovo. Ainsi le temps a-t-il été employé
pour satisfaire la condition procédurale de l’exercice du droit à l’autodétermination, à savoir
l’épuisement de tous les recours efficaces visant à régler le statut du Kosovo.
4. Réflexions
27. Monsieur le président, Messieurs de la C our, l’émergence du droit à l’autodétermination
externe n’a pas été sans susciter de controverses. D’une part, l’exercice de ce droit entraîne une
reconfiguration de la communaut é internationale et peut influer sur la condition essentielle de
stabilité mentionnée par la Cour dans l’affaire du Différend frontalier. D’autre part, compte tenu
des événements passés, il peut arriver que la stabilité passe forcément par le changement. Le droit,
en particulier le droit relatif à l’autodétermination, donne des indications quant à ce difficile
processus de changement.
28. Dans l’affaire qui nous occupe, le droit s outient le peuple du Kosovo. Dès lors que la
Serbie avait gravement manqué à ses obligations touchant l’autodétermination du peuple du
Kosovo, il ne fallait plus s’attendre à que ce dernie r vive avec le peuple de Serbie dans un seul et
même Etat. Dans le cas présent, le peuple du Kosovo a fait un usage légitime du recours qu’offre
le droit international en cas de violations très graves des droits de l’homme.
29. Y a-t-il une raison de craindre, comme il a été allégué à l’occasion de cette procédure,
que la reconnaissance par la Cour du droit à l’ autodétermination externe du peuple du Kosovo crée
un précédent dangereux ⎯ précédent dont pourraient aisément s’inspirer d’autres groupes de
personnes déclarant constituer un peuple pouvant pr étendre à l’autodétermination? Selon nous,
cette crainte n’est pas justifiée. Au contraire, ce serait l’absence de recours efficace, dissuasif et
16
proportionné en cas de violation du droit à l’autodétermination qui menacerait la paix et la stabilité.
La reconnaissance par la Cour de ce dernier recours, y compris des conditions devant être
satisfaites pour l’exercer, contribuera à la paix et la stabilité. Elle empêchera les Etats de violer les
droits de l’homme, et les peuples de chercher trop facilement à faire usage de ce recours. Ces
conditions placent la barre haut. Elles la placent vraiment très haut. - 11 -
5. Conclusions
30. Monsieur le président, Messieurs de la C our, l’avis juridique du Royaume des Pays-Bas
est que le droit à l’autodétermination politique incl ut le droit à l’autodétermination externe en cas
de violation grave de l’obligation de respecter et de promouvoir le droit à l’autodétermination, ou
de l’obligation de s’abstenir de toute mesure de coercition qui prive les peuples de ce droit après
l’épuisement de tous les recours efficaces. La reconnaissance du Kosovo par le Royaume des
Pays-Bas est fondée sur cette idée et constitue un exemple de la pratique des Etats où,
exceptionnellement, les conditions de l’exercice du droit à l’autodétermination externe ont été
satisfaites.
31. Nous maintenons les arguments présen tés dans notre exposé écrit et dans nos
observations écrites. En particulier, dans notre exposé, nous avons invoqué et réaffirmé :
⎯ l’existence et l’exercice du droit à l’autodétermination dans un contexte postcolonial, en
particulier les conditions qui doivent êt re satisfaites pour un recours au droit à
l’autodétermination externe ; et
⎯ l’exercice licite du droit à l’autodétermination externe par le peuple du Kosovo.
32. En outre, nous avons réaffirmé et démontré que le peuple du Kosovo a fait un usage licite
du droit à l’autodétermination externe, parce que :
⎯ il y a eu violation grave de l’obligation de respecter et de défendre le droit à
l’autodétermination au Kosovo ;
⎯ il y a eu également violation grave de l’obligatio n de s’abstenir de toute mesure de coercition
qui prive les peuples de leur droit à l’autodétermination au Kosovo ; et
⎯ tous les recours efficaces visant à régler le statut du Kosovo étaient épuisés.
17 33. Par conséquent, mon gouvernement estime que la réponse à la question posée est que la
proclamation d’indépendance du Kosovo le 17 février 2008 est conforme au droit international.
Je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT : Je remercie Mme Liesbeth Lijnzaad de son exposé. Je donne maintenant
la parole à S. Exc. M. Bogdan Aurescu, pour qu’il présente l’exposé oral de la Roumanie. - 12 -
M. AURESCU :
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est pour moi un grand honneur et un grand
privilège que de me présenter de nouveau devant la Cour.
2. En septembre 2008, j’ai eu l’honneur de plaider pour mon pays en tant qu’agent, conseil et
avocat dans la première affair e contentieuse de la Roumanie por tée devant la Cour, l’affaire
relative à la Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine) . L’arrêt, qui a été rendu à
l’unanimité le 3février2009, a démontré que, pour un pays tel que le mien, dont la politique
étrangère tout entière repose sur le respect des principes du droit international, le recours à la voie
judiciaire constituait le meilleur instrument de règlement des différends internationaux. La
décision de la Cour a été accueillie avec la plus grande satisfaction par le peuple roumain.
3. Monsieur le président, la Roumanie maintient tous les arguments qu’elle a présentés
pendant la phase écrite de la présente instance. Aujourd’hui, nous n’examinerons toutefois que
certains points essentiels : premièrement, la question de l’opportunité judiciaire de l’avis consultatif
et le sens de la question posée; deuxièmement, l’applicabilité du droit international à la présente
affaire; et, troisièmement, la pertinence des résolutions du Conseil de sécurité. Mon collègue
CosminDinescu examinera ensuite l’applicabilité en l’espèce du droit international relatif à
l’autodétermination.
La question de l’opportunité judiciaire de l’avis consultatif
4. Monsieur le président, Messieurs de la C our, il a été soutenu que des raisons décisives 2
⎯telles que l’absence d’effet juridique de l’avis sur le statut du Kosovo ou l’impossibilité pour
l’Assemblée générale d’en tirer quelque consé quence que ce soit — pouvaient empêcher la Cour
d’exercer sa compétence. Sans remettre nullement en cause le pouvoir discrétionnaire de la Cour
18
de décider de rendre ou non un avis consultatif, nous considérons qu’elle de vrait rester cohérente
avec sa pratique, telle qu’elle a été exposée dans l’avis consultatif sur le Mur : «la Cour actuelle n’a
jamais, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionna ire, refusé de répondre à une demande d’avis
consultatif» ( Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
2
CR 2009/25, p. 31, par. 5 (auteurs de la déclaration unilatérale d’indépendance). - 13 -
occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 156, par. 44). De plus, ainsi qu’elle l’a précisé
dans l’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, «l’effet
qu’aurait [un] avis est une question d’appréciation» pour l’organe des NationsUnies qui le
demande, l’Assemblée générale étant habilitée à décider elle-même de l’utilité d’un avis (Licéité de
la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J.Recueil1996 (I) , p.237,
par.16-17). Par conséquent, la Cour ne devr ait pas refuser de répondre à la question posée au
3
motif que son avis n’aurait aucun effet juridique ou aucune utilité .
Le sens de la question posée
5. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , j’en viens maintenant au sens de la question
posée. Il a été soutenu qu’en soi, une déclaration d’indépendance était un simple fait et que, en tant
que tel, elle n’était ni autorisée ni interdite par le droit international 4. Cependant, si nous devions
souscrire à une interprétation aussi restrictive de la question ⎯ ce qui n’est pas le cas ⎯, alors la
Cour devrait confirmer la conclusion formulée par la délégation de l’Autriche à l’audience:
«Comme [cela a] déjà [été] indiqué, une déclaration d’indépendance n’entraîne pas en tant que telle
la sécession ou la création d’un Etat.» 5
6. Quoi qu’il en soit, la Cour ne devra it pas se contenter d’analyser la déclaration
d’indépendance, elle devrait également s’in téresser aux conséquences juridiques directes
susceptibles d’en découler Je formulerai trois observations sur ce point.
7. Premièrement, la Cour ne saurait faire abstr action du libellé de la déclaration, puisque son
aspect le plus important est la proclamation d’un «Etat indépendant et souverain». La déclaration
est intrinsèquement liée à la prétendue création d’un Etat, et c’est cette prétendue création d’un Etat
19 qui, selon les auteurs, est censée en être la consé quence juridique directe et immédiate. Cette
question devrait donc être examinée par la Cour. En effet, ainsi que M. Crawford l’a précisé dans
son précieux ouvrage The Creation of States in International Law, la création d’Etats ne saurait
3Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 163, par. 62.
4CR2009/25, p.38, par.18 (auteurs de la déclaration unilatérale d’indépendance)CR 2009/26, p. 12, par. 12,
13 (Albanie); CR2009/27, p.7, par.5 (Autriche); CR2009/ 28, p.23, par.22 (Bulgarie); CR2009/30, p.29, par.18
(Etats-Unis d’Amérique).
5CR 2009/27, p. 8, par. 10 (Autriche) ; voir également CR 2009/30, p. 29, par. 18 (Etats-Unis d’Amérique) : «La
déclaration d’indépendance du Kosovo exprimait une aspiration politique». - 14 -
aujourd’hui être considérée comme une simple question de fait, mais comme étant soumise à
certaines règles et principes internationaux 6. La question n’est donc pas seulement de savoir si la
simple proclamation de l’indépendance est autorisée ou interdite par le droit international, mais si
ce dernier autorise ou interdit la sécession unilatérale dans les circonstances de l’espèce 7.
8. Deuxièmement, tout en gardant à l’esprit la nécessité d’examiner la question qui est au
cŒur de l’affaire, c’est-à-dire celle de la licéité de la sécession unilatérale, la Cour ne devrait pas
interpréter la question qui lui est posée de manière re strictive. Par le passé, la Cour a souvent été
8
amenée à élargir, à interpréter, voire à reformuler la question qui lui était posée . Ainsi qu’elle l’a
précisé dans son avis consultatif sur l’ Interprétation de l’accord du 25mars1951 entre l’OMS et
l’Egypte (avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p.87-89, par.34-36), il lui est loisible de définir la
«véritable question juridique» qui lui est soumise. En la présente espèce, la «véritable question
juridique» est de savoir si la création d’un Etat pa r voie de sécession unilatérale est, compte tenu
des circonstances, licite. A cet égard, rien ne saurait empêcher la Cour de faire usage de ses
pouvoirs bien établis.
9. Troisièmement, l’avis devrait fournir un éclairage utile à l’Assemblée générale et aux
autres organes compétents des Nations Unies. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence constante de
la Cour, comme par exemple de l’affaire du Sahara occidental , l’objet d’une demande d’avis
consultatif est «d’éclairer les NationsUnies da ns leur action propre» et d’aider l’Assemblée
générale à «exercer comme il convient ses fonctions» ( Sahara occidental, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1975, p.27, par.39, 41, 42). Comme je l’ai précisé ci-dessus 9, les organes des
Nations Unies décident eux-mêmes et pour eux-mêmes de l’utilité d’un avis consultatif ainsi que de
la possibilité d’agir sur cette base. La réponse de la Cour pourrait être réellement utile à l’exercice
20 des fonctions de l’Assemblée générale, telles que celles fondées sur les articles 4 ou 10 de la Charte
des Nations Unies, à la condition toutefois que l’av is porte sur la «véritable question juridique» —
6
Voir James Crawford, The Creation of States in International Law, Clarendon Press, Oxford, 2006, p. 6.
7Voir également l’exposé écrit du Royaume-uni, p. 24, par. 1.14.
8 Jaworzina, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. sérieB 8 ; Admissibilité de l’audition de pétitionnaires par le
Comité du Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J.Recueil1956 , p. 25 ; Certaines dépenses des NationsUnies
(article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J.Recueil1962 , p. 157-162 ; Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 38.
9Voir ci-dessus, par. 7, notes de bas de page 6 et 7. - 15 -
celle qui est au cŒur de la présente instance —, c’est-à-dire la question de la licéité de la création
d’un Etat par voie de sécession unilatérale, dans les circonstances de l’espèce.
Le droit international applicable
10. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je tiens à souligner un point important
concernant le droit applicable. Il a été soutenu que le droit international n’interdisait pas la
sécession, que le principe de l’intégrité territorial e ne s’appliquait qu’entre Etats et ne protégeait
pas les Etats contre les mouvements sécessionnistes, et que les acteurs non étatiques n’étaient pas
10
liés par ce principe . Souscrire à cette thèse aurait des conséquences extrêmement graves pour
l’ordre juridique international. Cela signifierait que la moindre province, le moindre district ou le
moindre comté, voire le plus petit hameau du coin le plus reculé d’un Etat est, du point de vue du
droit international, autorisé à déclarer son indépendance et à faire sécession.
11. Le principe de l’intégrité territoriale ob lige les Etats à ne prendre aucune mesure qui
risquerait de compromettre l’intégrité territoriale d’ autres Etats. Cela comprend l’obligation de ne
11
pas reconnaître un changement territorial qui serait contraire au droit international . Le principe
de l’intégrité territoriale renferme donc de ux éléments juridique:s premièrement, la
reconnaissance, et, deuxièmement, la licéité du changement territorial. Or, un raisonnement erroné
a été présenté dans cette grande salle de justice. Il s’articule en trois étapes. Premièrement, il a été
soutenu que la reconnaissance n’entrait pas dans le champ de la question posée à la Cour et que
celle-ci ne pouvait donc pas l’examiner. Deuxièmem ent — et par conséquent —, la Cour ne
pourrait pas non plus examiner le changement terr itorial susceptible de faire l’objet de cette
reconnaissance. Troisièmement, on a fait valoir que ce changement territorial n’était pas régi par le
droit international mais, tout au plus, par le droit in terne de certains Etats. Monsieur le président,
Messieurs de la Cour, par le biais de ce raisonnement, plusieurs participants invoquent la prétendue
portée limitée de la question afin de démontrer que la sécession n’est pas régie par le droit
international. Cette thèse ne saurait être acceptée; l’interdiction de la sécession unilatérale est l’un
des deux éléments de l’intégrité territoriale.
10
CR2009/25, p.30, par.2 ; p.43, par.26 (auteurs de la déclaration unilatérd’indépendance) ; CR 2009/26,
p. 13, par. 19 (Albanie) ; CR 2009/30, p. 30, par. 20 (Etats-Unis d’Amérique).
11Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies, principe 1, par. 9 ; principe 5, par. 7. - 16 -
21 12. Même certains Etats qui soutiennent la déclaration d’indépendance reconnaissent
l’existence d’une règle générale interdisant la sécession, et je cite l’exposé de l’Albanie :
«il ne fait aucun doute que l’autodétermination ne donne pas lieu à un droit général de
faire sécession. Néanmoins, lorsque ces cond itions ne sont systématiquement, et de
manière flagrante, pas respectées, et qu’un peuple se voit refuser une participation
complète à la vie politique [rien] n’interdi[t] de faire sécession.»12
Monsieur le président, cela revient clairement à admettre que la sécession est bien régie par le droit
international. L’interdiction de la sécession est la règle ; la sécession à titre de remède peut, dans
des circonstances exceptionnelles, y déroger . Mon collègue CosminDinescu reviendra sur ce
point dans un moment.
Les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies
13. Monsieur le président, Messieurs de la C our, j’en arrive à la partie suivante de mon
exposé, qui a trait à la pertinence des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
14. Je ne me livrerai pas à un examen approfondi des dispositions de la résolution 1244. Je
me contenterai simplement d’examiner quatre point s essentiels : premièrement, l’effet conjugué de
la résolution1244 et des résolutions antérieures ; deuxièmement, la prétendue distinction entre le
«règlement intérimaire» et le «règlement définitif»; troisièmement, le prétendu «épuisement des
voies de négociation»; et, quatrièmement, la per tinence de l’absence de réaction de la part des
organes des Nations Unies.
Effet conjugué des résolutions ⎯ le statut du Kosovo doit respecter la souveraineté
de la Serbie
15. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la résolution1244 devrait être lue
conjointement avec les résolutions1160, 1199, 1203 et 1239, dont elle fait mention au deuxième
alinéa de son préambule. Comme la Cour l’a indiqué dans son avis consulta tif sur l’affaire de la
Namibie (Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 51, par. 108), avant de procéder à l’analyse d’une résolution, la
12
CR 2009/26, p. 20, par. 8 (Albanie). - 17 -
Cour doit se référer aux résolutions antérieures dont l’effet se conjugue et s’ajoute à celui du texte
considéré.
16. Ainsi, c’est au paragraphe 5 de la résolu tion 1160 que le Conseil, pour la première fois,
«souscrit [à la proposition selon laquelle] le règl ement du problème du Kosovo doit reposer sur le
principe de l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie». Ce paragraphe n’est
22 assorti d’aucune condition. Le Conseil va encore plus loin dans la résolution 1199, dans laquelle il
réaffirme, aux douzième et treizième alinéas du préambule, «l’attachement de tous les Etats
Membres à la souveraineté et à l’in tégrité territoriale de la RFY», attachement qui est réitéré dans
les résolutions 1203 et 1239.
17. Cet attachement à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la RFY, le Conseil le
réaffirma encore au dixième alinéa du préambule de la résolution 1244. On a fait valoir que cette
référence, qui figure dans le préambule de la résolution, ne créait aucun effet juridique 13. Pareil
argument est indéfendable. Premièrement, il ressort de la jurisprudence internationale qu’un effet
juridique a toujours été donné aux préambules des résolutions et des traités ⎯ voir, par exemple,
l’avis consultatif en l’affaire de la Namibie 14ou la sentence arbitrale en l’affaire du Canal de
15
Beagle ⎯ et, deuxièmement, le préambule de la résolution1244 doit être lu conjointement avec
le paragraphe 5 de la résolution 1160 16.
18. De plus, d’aucuns ont fait valoir que la confirmation de l’intégrité territoriale ne valait
que pour la période intérimaire, en raison de la référence à «l’annexe 2» 17. Je ferai deux remarques
à ce propos. Premièrement, avant de renvoyer à «l ’annexe2», le paragra phe10 se réfère à l’acte
final d’Helsinki, qui a énoncé, entre autres, deux principes clés: l’intégrité territoriale et
l’inviolabilité des frontières. Deuxièmement, l’effet conjugué des résolutions 1160, 1199 et 1244 a
nécessairement pour conséquence juridique que le statut du Kosovo doit respecter la souveraineté
13
Contribution écrite des auteurs de la déclaration unilatérale d’indépendance concernant les exposés écrits, p. 71
de la traduction française, par. 4.15.
14Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consul tatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 24, par. 32 ;
p. 46, par. 92 ; p. 51, par. 107 ; p. 52, par. 109 ; p. 53, par. 115.
15Affaire concernant un litige entre la République argentine et la République du Chili relatif au canal de Beagle,
18 février 1977, RSA, vol. XXI, p. 89.
16Supra, par. 17.
17CR 2009/30, p. 32, par. 26. - 18 -
de la Serbie, ce qui, comme je l’ai dit précédemme nt, vaut interdiction de l’indépendance sans le
consentement des deux parties concernées.
Distinction entre «règlement provisoire» et «règlement définitif»
19. On a également fait valoir 18 qu’une distinction devrait être établie entre le «règlement
définitif» ⎯ alinéas e) et f) du paragraphe11 de la résolution 1244, et le «règlement
provisoire» ⎯ alinéa a) du paragraphe11, au sens où seul ce de rnier doit s’inscrire dans le cadre
23 juridique d’«une autonomie et [d’]une auto-administr ation substantielles» au sein de la Serbie. On
a de plus affirmé 19que le processus final ne devait tenir compte que des principes énoncés dans les
accords de Rambouillet, qui se réfèrent à «la volont é du peuple». Je ferai quatre observations sur
ce point.
20. Premièrement, comme l’énonce le premier a linéa du préambule de la résolution 1244, le
Conseil de sécurité réaffirme l’ appel qu’il a lancé dans des résolutions antérieures en vue d’une
«autonomie substantielle et d’une véritable auto-administrat ion» au Kosovo sans faire de
distinction entre une solution provisoire et une solution définitive. En même temps, tant l’alinéa a)
que l’alinéa e) du paragraphe11 du dispositif renvoien t aux accords de Rambouillet. Cette
distinction ne s’impose donc pas.
21. Deuxièmement, les accords de Rambouillet eux-mêmes, dont il faut «tenir compte» aux
termes de la résolution1244, réaffirment dans un certain nom bre de leurs dispositions la
20
souveraineté et l’intégrité territoriale de la RFY . Ainsi, aux termes de l’articlepremier du
«cadre», «les communautés nationales ne doivent pas utiliser leurs droits complémentaires pour
porter préjudice à … l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie».
22. Le fait que le chapitre final de l’accord de Rambouillet se réfère en son article1.3 à la
«volonté du peuple» ne saurait être interprété comme signifiant que «seule» la volonté du peuple
doit être prise en considération. Ce n’est qu’un critère. N’oublions pas que pendant les
négociations de Rambouillet, la délégation de Pristina a indiqué qu’«une référence à la
18
Exposé écrit de la France, p.47, par.2.33; CR2009/25, p51, par.24 (auteurs de la déclaration unilatérale
d’indépendance).
19
CR 2009/25, p. 52, par. 27 (auteurs de la déclaration unilatérale d’indépendance) ; CR 2009/30, p. 61, par. 22.
20Le préambule de «l’accord de Rambouillet», l’articlepremier du cadre, le préambule du chapitre1 du cadre,
l’article premier de son chapitre 7. - 19 -
souveraineté obligerait la délé gation du Kosovo à exiger que l’obligation d’organiser un
référendum» soit formulée plus clairement, et elle a proposé l’ajout de la disposition suivante dans
le préambule : «Le peuple du Kosovo a le droit de disposer de lui-même.» Mais ces propositions
n’ont pas été acceptées. La référenc e à la souveraineté a été conservée 21. En outre, le même
paragraphe1.3 renvoie également à l’acte final d’ Helsinki dont on sait parfaitement que deux des
principes fondamentaux sont l’intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières.
24 23. Quatrièmement, le Conseil de sécurité n’aurait pu en aucune façon obliger un Etat à
accepter la sécession d’une partie de son territoire, en l’absence de l’accord des parties concernées
ou dans des situations autres que celles auxquelles le droit à l’autodétermination s’appliquait, dans
le contexte colonial. Comme l’a rappelé le j ugeFitzmaurice dans son opinion dissidente en
l’affaire de la Namibie, le Conseil de sécurité n’a le pouvoir «ni d’abroger ni de modifier des droits
territoriaux, qu’il s’agisse de droits de s ouveraineté ou de droits d’administration» ( Conséquences
juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1971, p. 294, par. 115, opinion dissidente du juge Fitzmaurice).
L’obligation de négocier
24. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , certains participants à la présente instance
22
ont affirmé que le fait que «toutes les possibilités de négociation ont été épuisées» rendait
inapplicable le principe d’une solution négociée d’un commun accord.
25. Dans l’affaire qui nous occupe, l’obligation faite en droit inte rnational général de
négocier de bonne foi exclut cette hypothèse. Co mme la Cour l’a rappelé dans les affaires du
23
Plateau continental de la Mer du Nord et en l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries
(Royaume-Uni c. Islande) 2, les parties sont tenues d’engager une négociation «en vue de réaliser
21 Déclaration de la délégation du Kosova sur la nouvelle proposition de règlement, 18février1999, in
Mark Weller, The Crisis in Kosovo 1989-1999, Documents and Analysis Publishing Ltd., Cambridge, p.444-445 («la
proposition n’a pas été acceptée»).
22Par exemple, exposé écrit du Royaume-Uni, p. 43,47,78,79 de la traduction française.
23 Affaire du Plateau continental de la mer du Nord (Républi que fédérale d’Allemagne/Danemark) (République
fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47.
24 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c.Islande), fond, arrêt, C.I.J.Recueil197, p. 31 ;
Délimitation de la frontière maritime dans la région du go lfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), nomination
d’expert, ordonnance du 30 mars 1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 299. - 20 -
un accord et non pas simplement de procéder à une négociation formelle». Il est manifeste que
cette obligation n’a pas été pleinement respectée en l’espèce. Permettez-moi de citer la
contribution écrite des auteurs de la déclaration : «la position du Kosovo était claire elle aussi.
Pristina a insisté sur le fait que le règlemen t devrait aboutir à l’indépendance du Kosovo.» 25 La
position du Kosovo n’était donc pas seulement «claire», elle était aussi prédéterminée et immuable,
dès le tout début des négociations. Il est vrai bien sûr que l’obligation de négocier n’emporte pas
celle de parvenir à un accord, comme la Cour perm anente de Justice internationale l’a relevé en
l’affaire du Trafic ferroviaire entre la Lituanie et la Pologne 26. Elle implique néanmoins le devoir
25 d’accepter la possibilité d’un accord, au lieu de se c ontenter de la refuser en s’en tenant à un
comportement unilatéral systématiquement inflexible.
Absence de réaction des organes des Nations Unies
après la déclaration d’indépendance
26. Monsieur le président,Messieurs de la Cour, on a fait observer 27que l’absence de
réaction du Conseil de sécurité après la déclaration d’indépendance pouvait être interprétée comme
une reconnaissance de sa part ⎯ou de la communauté internationale en général ⎯ que la
sécession n’était pas contraire aux règles du droit international.
27. Le compte rendu des débats de la réuni on du Conseil de sécurité du 18février2008
donne une idée claire de la situation : il n’y avait pas accord parmi ses membres sur la licéité de la
tentative de créer un nouvel Etat.
28. Certains Etats ont alors dénoncé l’illicéité de la déclaration d’indépendance, estimant que
les organes des Nations Unies devaient agir. Aucune décision n’a cependant été prise. A ce
propos, je rappelle la jurisprudence de la Cour, plus précisément s on avis consultatif en l’affaire
Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux NationsUnies (avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p.9) , selon lequel «la Cour ne saurait admettre la suggestion
25
Contribution écrite des auteurs de la déclaration unilatérale d’indépendanc e, p.76 de la tr aduction française,
par. 5.12.
26Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, avis consultatif, 1931, C.P.J.I. série A/B n 42, p. 116.
27Par exemple, contribution écrite des auteurs de la déclaration unilatérale d’indépendance, p.129 de la
traduction française, par.9.27. Egalement déclarations orales : CR2009/25, p.60-61, par.56-61 (auteurs de la
déclaration unilatérale d’indépendance) ; CR 2009/26, p. 13, par. 16 (Albanie). - 21 -
d’après laquelle…l’absence d’une recommanda tion [pourrait être considérée comme une]
«recommandation défavorable». L’absence d’une recommandation ne représente donc rien d’autre
que l’absence d’une recommandation.
29. D’ailleurs, la position des Nations Unies au sujet du statut du Kosovo est celle de la
«neutralité» 28. Le fait que le représentant spécial du Secrétaire général n’a pas déclaré la
déclaration d’indépendance nulle et non avenue, comme la Serbie le demandait, ne doit en aucune
façon être interprété comme une confirmation de la déclaration, mais comme une affirmation de
cette «neutralité». Comme dans le cas du Conse il de sécurité, cette absence d’action ne signifie
rien de plus qu’une absence d’action sans effets juridiques.
26 30. Que doit-on entendre par la position de «neutr alité quant au statut» des Nations Unies ?
Premièrement, il y a désaccord entre les Etats Membres quant à la situation de fait et sur le plan
juridique, comme l’Assemblée géné rale l’a rappelé dans le préa mbule de la résolution 63/3;
deuxièmement, le fait que les NationsUnies n’ap puient pas la position de l’une ou l’autre des
parties tant qu’il n’y a pas de solution négociée entre Belgrade et Pristina, ce qui confirme la
conclusion de mon argument précédent, à savoir que la solution dans l’affaire du Kosovo doit être
négociée d’un commun accord.
31. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi de résumer mon
argumentation : i) premièrement, aucune raison décisi ve ne devrait empêcher la Cour d’exercer sa
compétence; ii)deuxièmement, la Cour devrait user de ses pouvoirs pour interpréter la question,
afin de répondre à la «véritable question juridique»; iii)troisièmement, le droit international
général interdit la sécession; iv)quatrièmement, les résolutions du Conseil de sécurité sur la
question prévoient le respect de l’intégrité territori ale de la Serbie; v)cinquièmement, la solution
au processus de détermination du statut du Kosovo ne peut être trouvée que par la négociation et
d’un commun accord entre les parties.
32. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi de vous remercier pour votre
aimable attention. Mon collègue, M. Dinescu, va poursuivre la présentation de la Roumanie .
28S/2009/300; S/2009/149; S/2008/692; voir, par exemple, ladéclaration du représentant spécial devant le
Conseil de sécurité le 17juin2009: « notre neutralité quant au statut nous donne la possibilité de mettre nos efforts au
service de l’enrichissement et de la promotion de lacoopération régionale», doc.SC/9683, Conseil de sécurité,
6144 séance, 17 juin 2009. - 22 -
Mr. DINESCU:
1. Mr. President, Members of the Court, it is a great honour for me to appear before you once
again to present the second oral statement of Romania. I shall be referring in my statement to the
applicability in this case of the right of peoples to self-determination, a question dealt with by a
good many delegations, who have clearly arrived at different, not to say opposite conclusions.
Before examining that question, I shall refer briefly to a number of related issues.
The existence or otherwise of a right of secession in international law
2. The first point is the question of secession. Some of the participants in these proceedings
have asserted that, like declarations of independence, which are neither regulated nor prohibited by
international law, secession too is neither re gulated nor prohibited by international law 29. Of
27 course, secession is very frequently prohibited by internal constitutional law, but it has been
questioned whether such prohibitions are relevant, given that it is international law which is being
30
applied by the Court, and not municipal law .
3. Romania does not share that approach. My friend and colleague Bogdan Aurescu has
already dealt with some aspects of this issue, to which I shall add a number of important points. In
terms of the relationship between secession and international law, we regard as entirely valid the
principles set forth by the Supreme Court of Canada in its opinion on the secession of Quebec:
“international law places great importance on the territorial integrity of nation States
and, by and large, leaves the creation of a new State to be determined by the domestic
law of the existing State of which the seceding entity presently forms a part...
Where, as here, unilateral secession woul d be incompatible with the domestic
Constitution, international law is likely to accept that conclusion subject to the right of
peoples to self-determination.” 31
4. Therefore, in situations where States’ internal law does not permit secession, the latter
would only be compatible with international law if it were a manifestation of the right of peoples to
self-determination. In other words: the presumption is not that secession is in accordance with
international law and that cases where it is not so occur only where the breaching of that law is
29
See, for example, Written Statement of the United Kingdom, pp. 87-93, paras. 5.12-5.33.
30
See, for example, ibid., p. 87, para. 5.13.
31Reference re Secession of Quebec , Supreme Court of Canada, 199 8, para. 112, available at
http://csc.lexum.umontreal.ca/en/1998/1998scr2-217/1998scr2-217.pdf. - 23 -
established; on the contrary, the presumption is that secession is not in accordance with
international law, and cases where it is so may be established onl y if they are based either on the
internal law of the State in question, or on the right of peoples to self-determination.
5. In this context, it is relevant to quote the writings of Rosalyn Higgins, who, referring to
the words of Judge Dillard in the Western Sahara case, cited two days ago in the oral statement of
Finland 32, pointed out that “it still has to be said that the territorial issue does come first. Until it is
determined where territorial sovereignty lies, it is impossible to see if the inhabitants have a right of
self-determination.” 33
28 The critical date
6. The second point I shall discuss concerns the question of the critical date. This question is
a relevant one when it comes to analysing the applicability in the present case of the right of
peoples to self-determination. Romania notes that some of the participants in the oral proceedings
have attached relevance to numerous elements of f act or of law which were either obsolete before
the date on which the Declaration of Independence was adopted, or appeared afterwards. In our
opinion, an analysis based solely on facts which o ccurred almost a decade before the critical date,
in fundamentally different circumstances, represents a completely artificial construction which is
not acceptable. Such a construction would co ntravene the general legal principle of tempus regit
actum.
7. Consequently, the date to be taken into consideration in analysing the applicability or
otherwise of the right of peoples to selfdeterm ination is the date on wh ich the Declaration of
Independence was adopted by the Provisional Institutions of Self-Government of Kosovo. One can
only agree with the conclusion of Denmark in th is respect: “17February2008 is the crucial
34
date” .
32
“It is for the people to determine the destiny of rritory and not the territory the destiny of the people”,
Western Sahara, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1975, p. 122, in CR 2009/30, p. 54, para. 7 (Finland).
33Rosalyn Higgins, “International Law and the Avoidance, Containment and Resolution of Disputes. General
Course on Public International Law”, RCADI, 1991, Vol. 230, p. 174.
34CR 2009/29, p. 68 (Denmark). - 24 -
The status of Kosovo in the former Socialist Federal Republic of Yugoslavia
8. Mr.President, Members of the Court, sever al delegations have referred in their oral
argument to the status of Kosovo within the former Socialist Federal Republic of Yugoslavia
(SFRY), and to the events which led to the ending of that status 35. Romania gives no opinion on
these aspects of Yugoslav constitutional law, and makes no claim to have better knowledge of them
than certain delegations representing countries which are former members of the Yugoslav
Federation.
9. However, Romania cannot agree with the c onclusion that Kosovo’s specific status within
the former SFRY might justify the unilateral secess ion of the province or the applicability of the
right of self-determination on the critical date. Whether Kosovo’s status in the former SFRY
would have allowed it to invoke such a right succ essfully at the time of the former SFRY lies
outside the debate: on the date when the Decl aration of Independence was adopted, Kosovo was
no longer part of the Socialist Federal Republic of Yugoslavia; by then, the former Yugoslav
29
Federation had long since disappeared, the Badint er Commission having confirmed its “death” in
its eighth opinion 16years previously. In this context, I should also like to express Romania’s
disagreement with certain arguments according to which the process of the dissolution of the
former Yugoslav Federa tion continued after 1992 36, including also the independence of
Montenegro or the secession of Kosovo. The process of the dissolution of the Socialist Federal
Republic of Yugoslavia, in a particular set of circumstances, ended in 1992, as was established by
the Badinter Commission, and the events of the years following 2000 took place in completely
different circumstances.
10. In conclusion, on the critical date, Kosovo w as an integral part of Serbia, the continuator
State of the former Federal Republic of Yugosla via, but not of the former Socialist Federal
Republic of Yugoslavia. As the Court has alread y ruled, the former FRY was not the continuator
of the former SFRY, but one of the five successor States. Therefore, even if Kosovo may have had
a particular status within the former SFRY, th at status was no longer applicable within the
framework of the new State. And it is from that new State that Kosovo is attempting to secede by
35
For example, the oral statement of Croatia, CR 2009/29, pp. 54-60, paras. 13-45 (Croatia).
36
See, for example, the oral statement of the United States, CR 2009/30, p. 25, para. 7. - 25 -
means of the Declaration of Independence. Conse quently, the previous status of Kosovo in the
former Yugoslav Federation cannot be invoked to justify a righ t of unilateral secession or the
applicability of rights to self-determination. At the same time, I should like to mention in passing
that the assertion that, after the dissolution of the former Socialist Federal Republic of Yugoslavia,
Kosovo did not remain, de jure, part of the new Federal Republic of Yugoslavia 37seems strange to
us, to say the least.
The capacity of the authors of the Declaration of Independence
11. Another aspect that must be clarified con cerns the capacity in which the authors of the
Declaration of Independence were acting when they adopted the instrument in question. A good
38
many participants in the hearings have drawn a distinction between the Provisional Institutions of
Self-Government of Kosovo and the authors of the Declaration, who are said not to represent those
30
institutions, but a constituent authority representing Kosovo.
12. For the sake of argument, let us say that we accept such an interpretation. But does that
alter the facts of the matter? In our opinion, the answer is no. Regardless of the capacity of the
authors of the Declaration of Independence, that Declaration, together with the secession which it
proclaims, has to satisfy the same criteria that are required by the international law applicable in the
case; independence, as a solution for the status of Kosovo, even though proclaimed by the
Provisional Institutions of Self-Government or by the constituent authority of Kosovo, cannot be
unilateral. At the same time, the capacity of Kosovo as the possessor or otherwise of the right to
self-determination does not depend on the capacity of the authors of the Declaration; there are
other criteria to be applied.
Right of peoples to self-determination ⎯ the rule
13. Mr. President, Members of the Court, I shall now examine the applicability in the present
case of the right of peoples to self-determination. Our position is based on two premises:
37
CR 2009/31, pp. 34 and 41, paras. 27-28 and 53 (Jordan).
3See, for example, the oral statement by the authors of the Declaration of Independence, CR 2009/25, pp. 34-37,
paras. 11-17 (Müller); and the oral statement of Norway, CR 2009/31, pp. 45-46, paras. 13-15. - 26 -
(a) first, outside the colonial context, the right of peoples to self-determination is exercised, as a
rule, within the existing States;
(b) and, second, a possible exception to that rule is “remedial secession”, whereby the right of
peoples to self-determination could apply to certain parts of existing States, as a last resort, in
strictly defined circumstances.
I shall deal with these two issues in the remainder of the time available to me.
14. The doctrine and case law are in agreement that, outside the colonial context and cases of
occupation, the rule established by the principle of self-determination is that peoples exercise this
right within the existing States. The dictum of the Supreme Court of Canada that “the right to
self-determination of a people is normally fulfilled through internal self-determination ⎯ a
31 people's pursuit of its political, economic, social and cultural development within the framework of
an existing State” 39 remains entirely valid and has not been c ontested by any of the participants in
these proceedings.
15. Furthermore, the same conclusion was cl early stated by the eminent jurist James
Crawford, in his monumental work The Creation of States in International Law . I am sure
Mr.Crawford will tell us more on this subject late r today, but in the meantime I would take the
liberty of quoting him:
“[the principle of self-determination] applies to existing States... In this case the
principle of self-determination normally takes the well-known form of the rule
preventing intervention in the internal affairs of a State, a central element of which is
the right of the people of the State to choose for themselves their own form of
government.” 40
16. Under this rule, there is no conflict betw een the right to self-determination and the right
of States to territorial integrity; on the contrary , the two reinforce one another. As the Supreme
Court of Canada put it, “international law exp ects that the right to self-determination will be
exercised by peoples within the framework of exis ting sovereign States and consistently with the
41
maintenance of the territorial integrity of those States” .
39
Reference re Secession of Quebec , Supreme Court of Canada, 199 8, para.26, available at
http://csc.lexum.umontreal.ca/en/1998/1998scr2-217/1998scr2-217.pdf.
4James Crawford, The Creation of States in International Law, 2ndedition, Clarendon Press, Oxford, 2006,
p. 126.
4Reference re Secession of Quebec , Supreme Court of Canada, 199 8, para.22, available at
http://csc.lexum.umontreal.ca/en/1998/1998scr2-217/1998scr2-217.pdf. - 27 -
17. This approach was confirmed quite recently by the Independent International
Fact-Finding Mission on the Conflict in Georgi a, in its report published in September2009:
“outside the colonial context, self-determination is basically limited to internal self-determination.
A right to external self-determination in form of a secession is not accepted in State practice.” 42
18. Applying the principle of self-determination to the present case, therefore, the outcome is
that Kosovo is not and has not been, on the critical date or at any time in the past, an entity with the
right to self-determination implying unilateral secession from Serbia. The right of peoples to
self-determination is enjoyed by all the inhabitants of the Serbian State, including those of Kosovo,
32
within the framework of the State of Serbia.
19. In this context, Mr.President, Members of the Court, I should like to refer to another
argument put forward at these hearings: the re ference to “the will of the people” in the
Rambouillet Accords has been said to constitute a basis for Kosovo to possess the right to
self-determination implying secession. I quote the representative of Norway, who stated yesterday
that:
“There is, therefore, incidentally no need in this case to undertake any further
analysis of the principle of self-determination in international law. Resolution1244
establishes, in the confined context of Ko sovo, the unequivocal relevance of the will
of the people of Kosovo in the determination of Kosovo’s future status.” 43
20. However, the reference to “the will of the people” does not mean the same thing as a
reference to the right to self-determination. Firstly, “the will of the people” is not the only criterion
to be taken into account in the process of establis hing a final settlement for Kosovo. Several other
criteria are mentioned, including “opinions of relevant authorities” a nd “the Helsinki Final Act”.
There is nothing even to suggest the existence of any hierarchy among these criteria which might
have put “the will of the people” at its head as the principal criterion to be considered. Secondly, it
must not be forgotten that, during the negotiations on the Rambouillet Accords, the representatives
from Pristina specifically proposed the inclusion of the fact that “the people of Kosovo” has the
44
right to self-determination; that proposal was rejected .
42
Report of the Independent International Fact-Finding Mission on the Conflict in Georgia, available at
http://www.ceiig.ch/Report.html, p. 141.
43CR 2009/31, p. 51, para. 30 (Norway).
44Kosovo Delegation Statement on a New Proposal for a Settlement, 18February 1999, in Mark Weller, The
Crisis in Kosovo 1989-1999, Documents and Analysis Publishing Ltd., Cambridge, pp. 444-445. - 28 -
21. Consequently, the notion of “the will of the people” is not synonymous with “the right of
peoples to self-determination”, and the reference in the text of the Rambouillet Accords cannot be
read as establishing that Kosovo po ssesses the external facet of that right. However, it remains to
be determined whether the specific circumstanc es of Kosovo on the critical date justified the
application of a possible exception to the rule regarding self-determination.
33 Right of peoples to self-determination ⎯ a possible exception
22. “Scholarship has remained divided on the question of whether international law allows
secession outside the colonial context in extreme circumstances.” 45 This text from the Report of
the Independent International Fact -Finding Mission on the Conflict in Georgia reflects the
continuing uncertainty in doctrine and case law as to the existence and scope of an exception to the
rule concerning application of the principle of self-determination in the case of existing States.
23. This exception ⎯ “remedial secession” ⎯ if one accepts its existence, is applied only as
a last resort in situations where there is an absence of sovereignty. “[ A]s a matter of international
law as it stands... the savings clause does not imply that whenever the principles of
non-discrimination and adequate representation are violated a ‘people’ can lawfully claim a right to
secession.” 46 That extract from the Report of the Fact-Finding Mission on the Conflict in Georgia
concludes as follows:
“A limited, conditional extraordinary a llowance to secede as a last resort in
extreme cases is debated in international legal scholarship. However, most authors
opine that such a remedial ‘right’ or allowance does not form part of international law
47
as it stands.”
24. Whatever the status of “remedial secession” in contemporary international law, it is clear
that, for it to be possible to apply this exception in a particular situation, two conditions have to be
fulfilled:
45
Report of the Independent International Fac-Finding Mission on the Conflict in Georgia, available at
http://www.ceiig.ch/Report.html, p. 136.
46
Ibid., p. 138.
47Ibid., p. 141. - 29 -
⎯ firstly, the population of a particular part of the State in question must be subject to serious
violations of human rights or other forms of oppression which, internally, prevent it from
exercising its right to self-determination together with the rest of the population of that State;
34 ⎯ secondly, in such a situation, there is no other valid option available to remedy these
deficiencies within the framework of the State concerned.
These two conditions are cumulative. However, the second need only be considered if the first is
fulfilled: only if the population of a particular pa rt of a State is abusively denied the meaningful
exercise of its right to internal self-determina tion does the assessment of remedial options come
into play, with secession as the last resort.
25. Applying this theory to the case of Ko sovo, it must first be answered whether, on the
critical date, the population of Kosovo was subject to a flagrant violation of human rights or to any
other form of oppression which denied it the exerci se of its right to internal self-determination
within the framework of the State of Serbia.
26. That answer can only be in the negative: when the Declaration of Independence was
adopted, the population of Kosovo was not subject to any such violation. Although Kosovo was
under interim international administration, in accordance with resolution1244, Serbia, as
sovereign, ensured respect for the right to self-determination of its people (including the population
of Kosovo) by complying fully with the legal arrangements in force ⎯ in particular, in the case of
Kosovo, resolution 1244. By complying with reso lution 1244, the Serbian State was in fact doing
what was within its power at the time to ensure respect for the fundamental rights of the population
of Kosovo, including the right to self-determination.
27. Furthermore, there is nothing to suggest that, even if Kosovo had been under the
effective control of the Serbian State on the critical date, its population might have been subject to
serious violations of its rights such as to justify remedial secession: although the references to the
positive reports on the human rights situation in Serbia produced by impartial institutions, as
included in Romania’s Written Statement 48, have been described as “selective” by some of the
49
participants in these proceedings , it cannot be denied that, in terms of respect for the rule of law,
48
See Written Statement of Romania, pp. 43-44, paras. 151-156.
49
See Further Written Contribution of the authors of the Unilateral Declaration of Independence, footnote 293. - 30 -
democracy and human rights, the Serbia of February 2008 and of today bears no resemblance to the
Serbia of 1999. That fact is borne out by th e progress of the dialogue between Serbia and the
35 European Union, leading to the signature, only two months after the critical date 50, of the
Stabilisation and Association Agreement, provisio nal implementation of which was agreed this
very week 5, confirming the respect for the rule of law in Serbia, not least in terms of co-operation
with the International Criminal Tribunal for the fo rmer Yugoslavia, the body which has the task of
investigating and prosecuting, amongst other things, the crimes against the population of Kosovo.
28. For it is well known that, in the 1990s, very serious human rights violations, indeed
atrocities, took place in Kosovo. However, the response of the international community, in the
light of those violations, was not a decision to apply remedial secession; the response was
resolution1244, and to place those acts within the jurisdiction of the International Criminal
Tribunal for the former Yugoslavia. Remedial secession cannot be based on acts which took place
52
a decade ago ⎯ and nor on future acts, as suggested by some participants in these hearings ,
including the Netherlands, in the presentation we have just heard.
29. On the critical date, the population of Kosovo was not the object of ill-treatment by the
Serbian authorities such as to justify remedial se cession. On its side, by complying with and
implementing resolution 1244, the Serbian State was fulfilling its obligations to ensure the right of
the population of Kosovo to self-determination (i.e., the internal facet). The resolution was the
framework for providing substantial autonomy a nd self-government for Kosovo within Serbia, and
the framework for respecting internal self-determinati on. Having come to this conclusion, there is
no need to examine the second condition for allowing remedial secession, namely, whether there
were other options for ensuring the exercise of th e right to internal self-determination, within
Serbia, of the population of Kosovo. Since no right was being violated, no remedy was required.
30. In summary, on the critical date, the criteria which might have justified the application of
“remedial secession” to Kosovo, as a means for th e population of Kosovo to exercise its right to
external self-determination, were not satisfied. Kosovo was not an entity entitled to the right to
50On 29 April 2008.
51
Conclusions of the General Affairs Council of the European Union, 7 Dec. 2009.
52For example, the oral statement of Germany, CR 2009/26, p. 31, paras. 35-36. - 31 -
36 self-determination implying unilateral secession from Serbia, and therefore the desired secession,
together with the Declaration of Independence which proclaimed it, are not in accordance with
international law.
Conclusions
31. Mr. President, Members of the Court, I sh ould now like to present our conclusions, with
the observation that these also take account of argumen ts not dealt with in this oral statement, but
which are included in Romania’s Written Statement:
(a) the Court has jurisdiction to deal with the re quest for an advisory opinion, and there are no
“compelling reasons” for it to decline to give such an opinion;
(b) the Court must establish the “true legal ques tion” posed, by examining that question in its
context and in connection with its immediate and intrinsic consequences, in such a way that the
reply is useful for the General Assembly and the principal organs of the United Nations;
(c) the Unilateral Declaration of Independence is not in accordance with the terms of Security
Council resolution1244 or of the other relevant re solutions or documents; it also disregards
the legal régime put in place by the relevant United Nations resolutions, in particular
resolution 1244, which is fully applicable;
(d) the Unilateral Declaration of Independence by the Provisional Institutions of Self-Government
disregards Serbia’s right to territorial integrity and the principle of the inviolability of its
borders;
(e) Kosovo is not an entity entitled to the right to self-determination implying unilateral secession
from Serbia, and therefore the Declaration of Independence and the secession of Kosovo are
not in accordance with international law.
In conclusion, the Unilateral Declaration of Independence by the Provisional Institutions of
Self-Government of Kosovo is not in accordance with international law.
Thank you for your attention. - 32 -
37 Le PRESIDENT: Je remercie M.CosminDinescu de son exposé. Une délégation doit
encore prendre la parole. Le moment me semble bien choisi pour faire une pause de 15 minutes.
La séance reprendra à 11 h 30.
L’audience est suspendue de 11 h 15 à 11 h 30.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. J’appelle maintenant à la barre
M. Daniel Bethlehem pour présenter l’exposé du Royaume–Uni.
M. BETHLEHEM :
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de me
présenter devant vous aujourd’hui dans le cadre de la présente instance en ma qualité de conseiller
juridique du ministère des affaires étrangères du Royaume–Uni et du Commonwealth. Depuis le
début des audiences il y a huit jours, nous suivons chacun des exposés avec beaucoup d’attention.
Tout, ou presque tout, ce qui pouvait être dit sur le fond l’a été, et avec éloquence. Nous nous
efforcerons donc maintenant de prendre du recul par rapport à ces questions pour nous concentrer
sur ce que nous estimons être les éléments essentiels aux fins de la délibération de la Cour et nous
intéresser à un certain nombre de points soulevés au cours de la procédure orale. Nous renvoyons
respectueusement la Cour à nos exposés et ob servations écrits pour une argumentation plus
détaillée.
Questions essentielles aux fins de la présente instance
2. Selon nous, deux questions essentielles se posent: premièrement, la résolution1244
interdisait-elle la déclaration d’indépendance du Kosovo et, deuxièmement, cette déclaration
était-elle interdite par le droit international gé néral? Certes, d’autres questions se posent, mais
elles s’articulent autour de ces deux éléments centraux. Il y a également des aspects plus généraux,
tels que l’effet des nombreuses reconnaissances de l’indépendance du Kosovo ou d’autres
événements qui se sont produits après l’indépendan ce, ainsi que le statut actuel du Kosovo. Mais
ils n’entrent pas dans le champ de la question posée à la Cour. - 33 -
3. Monsieur le président, j’examinerai la pr emière de ces deux questions, et M. Crawford, la
seconde.
38 Observations générales
4. Avant d’en venir à la résolution1244, quatre observations d’ordre plus général
s’imposent ; elles concernent, premièrement, la réponse que la Serbie souhaite obtenir de la Cour à
la question qui lui a été posée; deuxièmement, la situation actuelle au Kosovo et le statut de
celui-ci ; troisièmement, les inquiétudes exprimées par certains Etats quant à l’effet potentiellement
déstabilisant de la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo; et, quatrièmement, le statut de
ceux qui ont proclamé l’indépendance.
Iné.ressons-nous, premièrement, à la réponse que la Serbie so uhaite obtenir de la Cour.
Telle que formulée, la question ne concerne pas le statut actuel du Kosovo ou l’effet de la
reconnaissance de son indépendance par d’autres Etat s. Néanmoins, au-delà de la question telle
que son auteur l’entend, ce sont l’indépendance du Kosovo et son existence en tant qu’Etat qui sont
contestées. La semaine dernière, dans son exposé introductif pour la Serbie,
M. l’ambassadeur Bataković a fait observer que l’avis consultatif avait pour objet de garantir une
issue qui permettrait au Kosovo de dialoguer de bo nne foi avec la Serbie en vue de résoudre la
53
question de son statut conformément au droit international .
6. Compte tenu de cet objectif, la question qui se pose — et c’est une bonne question à
adresser à une juridiction — est de savoir où la solution préconisée par la Serbie conduirait les
deux parties, et la communauté internationale. Au trement dit, serait-elle viable? Cherchant à
démontrer que le droit international vise désormai s, dans certaines circonstances particulières, des
entités non étatiques, M. Shaw, qui s’exprimait égalem ent au nom de la Serbie, a dit : «On ne peut
remonter le temps.» 54 Or, tel est précisément ce que la Serbie attend de la Cour. Elle demande que
soit rendu un avis consultatif obligeant le Kosovo à renouer le dialogue avec elle sur la question de
son statut. Rien ne permet cependant de croire que les parties auraient plus de chances aujourd’hui
que par le passé de parvenir à une solution négociée d’un commun accord. La Serbie a indiqué très
53
CR 2009/24, par. 35, par. 13.
54
CR 2009/24, p. [67], par. 8. - 34 -
clairement qu’elle n’accepterait jamais un Kosovo indépendant. Quant au Kosovo, il a dit très
clairement que, compte tenu des violations commis es par le passé, il ne saurait faire de nouveau
partie de la Serbie. L’impasse est donc tout aussi évidente aujourd’hui qu’elle l’était pour le
groupe de contact, pour l’envoyé spécial du Secrétaire général, pour la troïka, et d’autres encore.
On ne peut en faire abstraction.
7. Toutes les juridictions doivent avoir pour préoccupation essentielle de déterminer si la
décision qui leur est demandée pourra effectivement être mise en Œuvre. Elles s’efforcent donc de
ne pas rendre des décisions inapplicables. Ell es n’ordonnent pas à un couple désuni de demeurer
39 marié. Elles obligent rarement un employeur à ré intégrer un salarié mécontent avec qui la relation
de travail a été rompue. En la présente espèce, ce que nous devons espérer et chercher à obtenir,
c’est un rapprochement progressif entre la Serbie et le Kosovo sous les auspices de l’Union
européenne.
8. J’en viens, deuxièmement, à la situation actuelle au Kosovo et au statut de celui-ci. Voilà
presque deux ans que le Kosovo a pr oclamé son indépendance. M.Hyseni, ministre des affaires
étrangères, a indiqué dans son exposé liminaire que le Kosovo vivait aujourd’hui en paix, jouissait
d’institutions politiques stables, avait récemment organisé des élections avec succès et avait établi
des relations avec des partenaires internationaux 55. Cette stabilité est, à bien des égards, une
caractéristique et une conséquence de l’indépendance.
9. Dans son exposé liminaire pour la Serbie, M.Batakovi ć a laissé entendre que la plupart
56
des Etats étaient opposés à l’indépendance du Kosovo . Cela est faux. Rien ne témoigne d’une
forte opposition à son indépendance. Bien au contraire, comme la Cour le sait, tous les voisins du
Kosovo ont —à l’exception de la Serbie— rec onnu cette indépendance. La plupart des Etats
membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe ont fait de même. La majorité des
membres du Conseil de sécurité ayant voté pour la résolution 1244 ⎯ c’est-à-dire neuf Etats ⎯ ont
reconnu le Kosovo. Le nombre total de reconna issances s’élève à 63, une quarantaine d’autres
pays ayant voté en faveur de l’admission du Ko sovo au Fonds monétaire international et à la
55
CR 2009/25, p. 6-9, par. 2-14.
56
CR 2009/24, p. 31-32, par. 4. - 35 -
Banque mondiale 57. Selon toute vraisemblance, la plupart des Etats qui n’ont pas reconnu le
Kosovo n’ont pas un point de vue très arrêté sur la question, hésitent en raison de la présente
instance, ou n’ont pas pour habitude de procéder à des reconnaissances formelles. Hormis les 15 à
20Etats qui ont pris part à la procédure et ont, pou r des raisons qui leur s ont très particulières,
déclaré qu’ils étaient opposés à l’indépendance du Kosovo, rien n’atteste l’existence d’une
opposition généralisées à cette indépendance.
10. Troisièmement, j’en viens aux inquiétudes exprimées par certains Etats quant aux effets
potentiellement déstabilisants de la reconna issance de l’indépendance du Kosovo. Le
Royaume-Uni comprend ces inquiétudes et les prend très au sérieux. Elles ne nous apparaissent
40 cependant pas justifiées dans les circonstances de l’espèce. Ce nonobstant, il est important d’en
tenir compte. Nous avons tenté de le faire dans notre exposé écrit dans des termes on ne peut plus
58
clairs, que je tiens à répéter aujourd’hui expressément compte tenu de leur importance . La
stabilité du système international est essentielle et les Etats d’autres régions du monde doivent bien
comprendre que les événements des Balkans, et la déclaration d’indépendance du Kosovo, ne
créent pour eux aucun risque d’instabilité. Nous le disons très clairement, la situation au Kosovo
ne constitue pas un précédent pour d’autres régions du monde. D’une manière plus générale,
l’indépendance du Kosovo n’ouvre pas la voie à une fragmentation des Etats. Monsieur le
président, Messieurs de la Cour, compte tenu de ces inquiétudes, nous invitons la Cour à envisager
de dire expressément dans son avis consultatif que le cas du Kosovo s’inscrit dans un contexte très
particulier qui ne saurait servir de précédent dans toute autre situation.
11. Permettez-moi de m’attarder un peu plus sur le caractère particulier de la situation du
Kosovo. Ce point aussi a fait l’objet d’un examen approfondi dans nos écritures et je n’y
59
reviendrai pas dans le détail . Contrairement à l’interprétation erronée que font certains, nous
n’affirmons pas que le cas du Kosovo doit être apprécié à l’aune de règles spéciales du droit
international, ou qu’il s’inscrit dans un autre contexte. Nous n’affirmons pas qu’il existe un régime
57CR 2009/25, p. 8, par. 10. Voir également les observations écrites du Royaume–Uni, par. 6.
58
Exposé écrit, par. 0.19.
59Exposé écrit, par. 0.22 ; observations écrites, par. 11-14. - 36 -
juridique sui generis. Ce que nous voulons dire, c’est qu’en raison de la confluence de
circonstances factuelles très particulières, la situation du Kosovo ne crée pas de précédent ailleurs.
12. Dans les conclusions qu’il a présentées au nom de la Serbie la semaine dernière,
M. Obradović a toutefois affirmé qu’il «[existait] un certain nombre de situations analogues dans le
monde et, [qu’]à n’en pas douter, l’indépendance du Kosovo servirait de précédent pour des
mouvements séparatistes» 60. Mais il n’a pas donné d’exemples de ces situations analogues. Dans
ses conclusions pour la Serbie, M. Zimmermann a donné deux exemples, Chypre et la Palestine, en
précisant ce qui suit :
«[s]i l’on acceptait la logique des auteurs de la déclaration unilatérale d’indépendance,
on pourrait affirmer que, dans les cas que je viens juste d’évoquer, à savoir ceux de la
Palestine et de Chypre, la situation est à ce point inextricable que la communauté
internationale devrait céder aux prétendues «réalités sur le terrain» . 61
41 13. Permettez-moi de reprendre ces exemples. Dans le cas de Chypre-Nord, auquel Chypre a
également fait référence avec préoccupation dans ses observations devant la Cour, le Conseil de
sécurité a expressément conclu que la tentative d’ établir un Etat dans le nord de Chypre était
contraire au traité de1960 portant création de la République de Chypre et au traité de garantie
62
de 1960 . Le Conseil a donc demandé, là aussi expressément, à tous les Etats de ne pas
reconnaître d’Etat chypriote autre que la République de Chypre 63. Dans ce cas, il a adopté deux
résolutions à cet effet et son appel a été rigoureu sement respecté par la communauté internationale.
Un avis consultatif affirmant la licéité de la déclaration d’indépendance du Kosovo n’établirait pas
de précédent pour Chypre.
14. La déclaration d’indépendance du Kosovo n’est incompatible avec aucun traité. Le
Conseil de sécurité n’a pas demandé à la comm unauté internationale de ne pas reconnaître le
Kosovo. Il avait compétence pour le faire. Mais il ne l’a pas fait. Dans la résolution 1244 (1999),
il aurait pu dire expressément ce qui, à en croire aujourd’hui certains de ses membres de l’époque,
était le but visé, à savoir que l’indépendance du Ko sovo n’était pas possible sans le consentement
de la Serbie. Or, aucune disposition de la résolution ne l’indique.
60CR 2009/24, p. 92, par. 8.
61
CR 2009/24, p. 56, par. 38.
62
Résolution 541 (1983) du Conseil de sécurité.
63Résolutions 541 (1983) et 550 (1984) du Conseil de sécurité. - 37 -
15. L’exemple de la Palestine est intéressant pour d’autres raisons, étant donné qu’il y a
débat sur la question de savoir si les institu tions gouvernementales palestiniennes pourraient
proclamer l’indépendance de la Palestine. Selon le raisonnement de la Serbie, si le Conseil
législatif palestinien, ou tout autre organe repr ésentatif des Palestiniens, déclarait l’indépendance,
cette déclaration ne serait pas conforme au droit international car elle émanerait des institutions
palestiniennes d’administration autonome qui ont ét é établies en vertu des accords d’Oslo conclus
entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine et qui n’ont apparemment pas compétence
en la matière. Nous doutons pr ofondément que l’analyse faite par la Serbie soit crédible ou
défendable dans le cas de la Palestine. Elle ne l’est pas dans l’affaire dont la Cour est saisie.
16. Voilà qui m’amène à mon quatrième point général, le statut des auteurs de la déclaration
d’indépendance. Celle-ci n’était pas un acte des institutions provisoires d’administration autonome
et elle n’était pas non plus censée l’être. C’était une déclaration des représentants du peuple du
Kosovo, qui reflétait ce que nous avons appelé dans notre exposé écrit «un moment constitutionnel
42
unique dans l’histoire du Kosovo, au cours duquel les élus du peuple du Kosovo ont exprimé la
volonté de ceux qu’ils représentaient» 64. Les éléments clés à prendre en considération dans de
telles circonstances portent sur la question de savoir si les auteurs de la déclaration d’indépendance
représentaient ceux au nom desquels ils entendaient parler et si, en agissant ainsi, ils se sont fait
entendre. Les auteurs de la déclaration d’indépendance du Kosovo satisfont à ces deux critères.
Kosovo : rétrospective et perspective
17. Monsieur le président, il n’est pas inutile de rappeler les évènements qui se sont déroulés
il y a 20ans, en1989, lorsque des tanks serb es ont pris position à l’extérieur du bâtiment de
l’Assemblée du Kosovo, réduisant ainsi à néant l’ autonomie du Kosovo au sein de la République
fédérale socialiste de Yougoslavie. Je reviens sur cet événement, et sur le temps qui s’est écoulé,
pour souligner trois points. Le premier est la tragédie qui s’est jouée dans la région, et au Kosovo,
au début de cette période et dans les dix années qui allaient suivre. N ous nous devons de ne pas
minimiser, de ne pas sous-estimer, la portée de la catastrophe due aux violations des droits
l’homme qui s’est abattue sur le peuple de cette région, très largement du fait du régime dictatorial
64
Exposé écrit, par. 1. 12. - 38 -
de Belgrade. Et le jugementen l’affaire Milutinović du Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie confirme que des atrocités ont été commises à très grande échelle contre le
peuple du Kosovo.
L1a8. deuxième raison de rappeler les évènements de1989 et les vingtans qui se sont
écoulés depuis, est de souligner le temps qu’il a fallu pour parvenir à une certaine stabilité
aujourd’hui et la manière dont s’est opéré ce re tour à la stabilité. Les tanks serbes stationnés
devant le bâtiment de l’Assemblée du Kosovo ont marqué le début d’un traumatisme long de
dix ans. Dix autres années ont été consacrées à la recherche d’une solution. Il s’agissait non pas de
«rafistoler» mais de trouver un arrangement durab le. Cette question a été examinée en détail dans
notre exposé écrit, et je m’en tiens à l’analyse qui y est faite.
19. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la troisième raison de se remémorer
l’année 1989 et les vingt années qui se sont écoulées depuis est de se tourner vers l’avenir. Près de
deux ans se sont écoulés depuis que le Kosovo a décl aré son indépendance. Le Kosovo est en paix
aujourd’hui. Cette stabilité découle de son indé pendance. Comme la Bu lgarie l’a fait observer
dans les conclusions qu’elle a présentées à la C our, bloquer, en2007-2008, le règlement du statut
65
43 du Kosovo aurait conduit à une impasse lourde de conséquences pour la région tout entière . La
Croatie a estimé qu’en reconnaissant l’indé pendance du Kosovo, elle avait contribué à
66
l’instauration de conditions favorables à la paix et à la stabilité dans la région . Nous espérons que
les dix prochaines années apporteront un avenir st able et plus prometteur que les deux décennies
qui se sont écoulées.
La résolution 1244 (1999)
20. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à la
résolution1244(1999). Un certain nombre des Etats qui sont intervenus devant vous, en
l’occurrence l’Argentine et le Brésil, ont rappelé qu’ils étaient membres du Conseil de sécurité
en1999, au moment de l’adoption de la résolution1244(1999). Bien entendu, la Chine et la
Russie, en tant que membres permanents du Con seil de sécurité, ont été étroitement associées au
65
CR 2009/28, p. 18, par. 2.
66
CR 2008/29, p. 51, par. 6. - 39 -
processus, de même que les Etats-Unis et la France, ainsi que les Pays-Bas et la Slovénie, et tous
ont également fait part à la Cour de leur point de vue sur l’interprétation de la résolution. Le
Royaume-Uni, lui aussi, a étroitement participé à ce processus.
21. Au vu des exposés qui vous ont été présentés, on ne saurait nier que la signification de la
résolution 1244 (1999) donne lieu à des interprétations contradictoires.
22. Ce qui est incontestable, en revanche, c’est le texte de la résolution et rien dans ce texte
n’interdit l’indépendance du Kosovo. Le désaccord porte sur ce que certains prétendent être le sens
implicite de la résolution, ainsi que sur les mesure s à prendre pour aller de l’avant dès lors que le
processus politique prévu par la résolution a débouché sur une impasse inextricable.
23. Cela dit, je tiens à souligner que ce n’est qu’au terme d’une longue et difficile réflexion
que le Royaume-Uni a décidé de soutenir l’indé pendance du Kosovo. Ce jugement n’était ni un
jugement par défaut ni un jugement a priori. La neutralité de la résolution vis-à-vis du statut du
Kosovo était claire: elle ne préconisait aucune so lution particulière mais, il est important de le
rappeler, qu’elle n’en excluait aucune non plus.
24. En adoptant la résolution1244(1999), le Conseil de sécurité a en substance agi dans
quatre domaines: il a adopté des mesures pour me ttre durablement un terme à la violence au
Kosovo; il a établi des institutions intérimaires afin de garantir aux habitants du Kosovo des
conditions de vie paisibles et normales; il a créé un cadre intérimaire reposant sur
l’auto-administration substantielle du Kosovo et tenant pleinement co mpte de la souveraineté et de
44 l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie ; et il a mis en place un processus
politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo.
25. La distinction entre la phase intérimaire et le processus politique ressort clairement des
alinéas a) et e) du paragraphe11 de la résolution et, ce matin, nos mis et confrères, les
représentants de la Roumanie, ont fait des observations à ce sujet. L’alinéa a) du paragraphe11
prévoit l’autonomie et l’auto-administration s ubstantielles du Kosovo, en attendant un règlement
définitif et compte pleinement tenu de l’annexe 2 de la résolution ainsi que des accords de
Rambouillet. La référence à l’annexe 2 de la résolution renvoie au principe de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie pendant la période intérimaire. En
revanche, l’alinéa e) du paragraphe11, qui concerne le pr ocessus politique visant à déterminer le - 40 -
statut futur du Kosovo, est libellé en termes différents: il ne mentionne que les accords de
Rambouillet et ne fait ni référence à l’annexe2 de la résolution, ni à l’intégrité territoriale de la
République fédérale de Yougoslavie.
26. L’Espagne et la Russie ont toutes de ux évoqué ces dispositions dans leurs exposés
67
oraux , de même que la Roumanie, de manière plus détaillée, ce matin. Néanmoins, aucun de ces
pays n’a mentionné la décision, pourtant manif estement intentionnelle, du Conseil de sécurité
d’exclure toute référence à l’annexe 2 comme élément de vant être pris en compte dans le cadre du
processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo. Comme on l’a rappelé au cours
de ces audiences, les accords de Rambouillet reposaient sur le projet final d’accord Hill, lequel
excluait aussi tout droit de veto serbe sur le stat ut déterminé. Nous souscrivons à l’analyse de ce
processus présentée par MM . urphy la semaine dernière. Je relève en outre que la
résolution1244(1999) n’a pas réaffirmé les résolutions antérieures du Conseil de sécurité et
qu’elle les a simplement rappelées.
27. Mes observations ont un triple objectif: premièrement, souligner que, dans la
résolution 1244 (1999), le Conseil de sécurité envisageait deux processus, un processus intérimaire
et un processus politique visant à déterminer le futur du Kosovo, et qu’il en a parlé en termes
différents ; deuxièmement, faire valoir le fait que, dans la mesure où il était entendu qu’aucun sujet
n’était exclu des discussions, l’intégrité territorial e de la République fédéra le de Yougoslavie, et
c’était explicite, ne constituait pas la pierre angulaire du processus politique; et, troisièmement,
souligner que la résolution n’excluait pas l’indépendance du Kosovo ni ne prévoyait l’obligation
45 d’obtenir le consentement de la Serbie dans cette éventualité, alors que les membres du Conseil
auraient pu en établir le libellé dans ce sens si telle avait été leur volonté.
28. Le processus politique ayant conduit à une impasse inextricable, la question était de
savoir comment interpréter et appliquer correctement la résolution 1244 (1999). Sur ce point, notre
analyse était, et demeure, claire . La résolution était neutre quant au statut du Kosovo: elle ne
prévoyait ni n’excluait l’indépendance. Pendant huit années, la communauté internationale n’avait
pas ménagé sa peine pour parvenir à une soluti on convenue d’un commun accord entre les parties,
67
CR 2009/30, p. 13-14, par. 24-26 et p. 47, par. 36-40, respectivement. - 41 -
mais en vain. En revanche, ces efforts avaient débouché sur une recommandation dans laquelle
l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, après mûre réflexion,
préconisait l’indépendance du Kosovo. Rien dans la résolution ne faisait obstacle à l’indépendance
dans ces circonstances et rien n’emportait non plus l’obligation d’obtenir le consentement de la
Serbie.
29. Monsieur le président, comme d’autres l’ont relevé avant nous, il y a eu un moment où,
après l’adoption de la déclaration d’indépendance du Kosovo, le Conseil de sécurité aurait pu se
saisir de la question. Or il ne l’a pas fait. Ni le Secrétaire général, ni son représentant spécial n’ont
contesté la licéité de cette déclaration, et cet acte, ou plutôt cette absence d’acte vient étayer notre
interprétation, à savoir que la déclaration d’i ndépendance du Kosovo n’était pas exclue par la
résolution 1244 (1999).
30. Monsieur le président, Messieurs de la C our, avant de céder la parole à M.Crawford,
j’aimerais conclure en précisant que nous ne considérons pas que la présente procédure soit dirigée
contre la Serbie. Au cours des deux dernières décennies, les Balkans ont subi des traumatismes
considérables. La stabilité est fr agile et doit être protégée, pour le bien de tous les peuples de la
région. La démocratie serbe n’est guère plus ancienne que celle du Kosovo, et dans l’action menée
pour renforcer la stabilité et la pros périté dans la région, la Serbie est un partenaire important avec
lequel nous nouons des relations d’amitié et de coopération. Nous espérons pouvoir renforcer
encore cette coopération, alors même que nous tent ons, par le biais de ce processus juridique, de
chasser définitivement les fantômes du passé. Dans ses remarques préliminaires, le ministre des
affaires étrangères, M.Hyseni, a fait observer que «le futur commun du Kosovo et de la Serbie
68
résid[ait] dans l’adhésion, à terme, des deux Etats à l’Union européenne» . Le Royaume-Uni
souscrit à cette vision et continuera à Œuvrer pour qu’elle se concrétise.
46 31. Monsieur le président, pe rmettez-moi maintenant d’invite r M.Crawford à aborder le
second point qui sera crucial pour les délibérations de la Cour. Avec la déclaration d’indépendance
des Etats-Unis, l’ouvrage de M. Crawford a probableme nt été le texte le plus cité au cours de cette
procédure.
68
CR 2009/25, p. 9, par. 13. - 42 -
M. CRAWFORD :
LES DECLARATIONS D ’INDEPENDANCE EN DROIT INTERNATIONAL
La question soumise à la Cour
1. Monsieur le président, Messieurs de la C our, selon la Serbie, la question qui vous a été
posée «est, limitée, dans la mesure où elle porte sur la DUI et non sur des points connexes, mais
clairement distincts, tels que la reconnaissance» 69. La Serbie affirme donc que la licéité de la
70
déclaration du Kosovo doit être appr éciée à la date du 17février2008 . En bref, la Serbie
voudrait que la Cour condamne la déclaration d’indépendance seule, et qu’elle la condamne en tant
que telle.
2. Mais le rôle central que la Serbie fait jouer à la déclaration et à la date du 17 février est de
nature à induire en erreur. Car c’est justement de reconnaissance et d’autres «points … clairement
71
distincts» dont il a été question dans son exposé. M.Zimmerman a traité de la reconnaissance .
M. Shaw a fait de même 72, abordant également dans ce cadre la question des conditions devant être
73
réunies pour pouvoir prétendre à la qualité d’Etat . Et vous avez entendu comment, ce matin, nos
amis roumains ont dû reformuler entièrement la question pour pouvoir lui apporter la réponse qu’ils
souhaitaient.
3. En réalité, l’importance que la Serbie accord e à la déclaration du 17 février est un artifice.
La Serbie veut que la Cour affirme une chose qui appartient au passé historique pour pouvoir en
affirmer elle-même une autre qui se rapporte au temps présent. A partir de votre réponse
concernant le 17février, elle veut pouvoir tirer des conclusions portant su r la situation actuelle
⎯ tout en excluant de votre compétence les nombreux événements postérieurs à cette date, qui font
nécessairement partie de toute appréciation. En d’autres termes, elle veut que vous vous
prononciez sur le livre du Kosovo sans lire les derniers chapitres ⎯ tout en affirmant que votre
47 décision, circonscrite à la déclaration du 17 février, rendra illicites tous les événements ultérieurs à
69CR 2009/24, p. 41, par. 17 (Djerić).
70Serbie, OE, par. 518-522.
71
CR 2009/24, p. 51-52, par. 8-16 (Zimmerman).
72CR 2009/24, p. 73-74, par. 28-32 (Shaw).
73CR 2009/24, p. 74, par. 33 (Shaw). - 43 -
cette date, y compris les reconnaissances. Vous avez entendu le conseil de la Serbie citer
74
SirHerschLauterpacht à l’appui du principe ex injuria jus non oritur . L’ injuria à laquelle la
Serbie fait référence est la d éclaration d’indépendance. L’ injuria à laquelle Lauterpacht faisait
référence était l’invasion de la Mandchourie ⎯ et au paragraphe suivant, l’annexion de l’Ethiopie.
Ces actes étaient contraires aux normes les plus fondamentales reconnues à l’époque, dans le
domaine des relations internationales; ils ont am ené la communauté internationale à formuler la
doctrine Stimson relative à la non-reconnaissance. Ils n’ont pas grand-chose à voir avec ceux qui
nous occupent ici.
4. Le point de vue de Lauterpacht lui-même sur les déclarations d’indépendance était à
l’exact opposé de la thèse défendue par la Serbie. Je le cite :
«Le droit international ne condamne pas la rébellion ou la sécession tendant à
l’accession à l’indépendance. La renonciation formelle à la souveraineté par l’Etat
d’origine n’a jamais été tenue pour une condition de la licéité de la reconnaissance.» 75
5. Monsieur le président, Messieurs de la C our, je suis un Australien du sud attaché à mon
pays mais mécontent. «Je déclare céans l’indé pendance de l’Australie du Sud!» Que s’est-il
passé? Très exactement: rien. Ai-je commi s en votre présence un acte internationalement
illicite ? Bien sûr que non. Ai-je commis un acte inefficace ? Très probablement. Je n’ai aucun
rôle représentatif et nul ne se ra lliera à ma cause. Mais le droit international ne condamne-t-il les
déclarations d’indépendance que lorsqu’elles sont le fait d’organes représentatifs et non, par
exemple, lorsqu’elles sont le fait de mouveme nts militaires? Le droit international ne
condamne-t-il les déclarations d’indépendance que lorsqu’elles sont susceptibles de prendre effet ?
Il ne fait tout bonnement aucun sens d’affirmer que les déclarations unilatérales d’indépendance
seraient illicites en tant que telles ⎯et néanmoins, aucun participant à la présente instance n’a
donné à entendre que le droit interna tional général les interdirait de manière plus ciblée ; et aucune
interdiction plus ciblée n’a été formulée dans aucune source de droit.
6. La raison en est simple. Une déclaration formulée par des individus au sein d’un Etat est
un assemblage de mots écrits sur l’eau ; c’est comme applaudir d’une seule main. Ce qui importe,
74
CR2009/24, p.88, par. 30 (Kohen), citant H Lauterpacht, Recognition in International Law (Cambridge,
CUP, 1948), p. 421.
75Ibid., p. 8-10. [Traduction du Greffe.] - 44 -
c’est ce qui vient après, en particulier la réacti on de la communauté internationale. Cette réaction
peut prendre un certain temps à se faire jour. Mais, ici, la position fondamentale est claire : il n’y a
48 eu aucune condamnation de l’Assemblée généra le ni du Conseil de sécurité, tandis que les
reconnaissances ont été légion. Nous sommes ici bi en loin des cas où la tentative de créer un
nouvel Etat s’est accompagnée d’une violation fondamentale du droit international ⎯ citons
notamment ceux des bantoustans, de la Rhodési e du Sud, du Mandchoukouo ou de la République
turque de Chypre–Nord. Dans ces cas, le nom bre de reconnaissances se comptait sur les doigts
d’une seule main ⎯ avec ou sans applaudissements.
7. Dans ce contexte, il convient de souligner que le droit international possède une institution
ayant pour fonction de statuer sur les prétentions à la qualité d’Etat. Cette institution est la
reconnaissance par d’autres Etats, menant en temps voulu à l’établissement de relations
diplomatiques et à l’admission au sein d’organisations internationales. L’on a de bonnes raisons de
conclure que cette qualité d’Etat existe lorsque les reconnaissa nces sont nombreuses, de même
qu’on a de bonnes raisons de conclure l’inverse lorsqu’elles ne le sont pas. Dans ce contexte, une
reconnaissance générale peut également venir pallier certaines défaillances quant aux modalités de
formation d’un nouvel Etat.
76
8. A l’instar de bien d’autres participants venus s’exprimer à cette barre , le Royaume–Uni
souligne que la Cour s’est vu poser une question sp écifique. Cette question est intelligible et elle
n’est pas contradictoire. Le pays qui en a pris l’initiative, la Serbie, a insisté sur la manière dont
elle avait été formulée, en réaction à ceux qui, co mme le Royaume–Uni, estimaient que la question
77
posée n’était pas la bonne . La question formulée dans ces termes appelle une réponse formulée
dans les mêmes termes.
76
Etats hostiles à la déclaration : CR2009/24, p.41, par.17 (Djerić , Serbie); CR2009/30, p.9, par.7 (Escobar
Hernández, Espagne) ; CR 2009/30, p. 40-41, par. 4 (Gevorgian, Fédération de Russie).
Etats favorables à la déclaration: CR2009/25, p.14, par.5 (Wood, Kosovo); CR2009/25, p.63, par.71
(Murphy, Kosovo); CR2009/26, p.10, par.7 (Frowein, Albanie) ; CR 2009/26, p. 25, par. 4 (Wasum-Rainer,
Allemagne); CR2009/28, p.23, par.18-20 (Dimitroff, Bulgarie); CR2009/29, p.52, par.10 (Metelko-Zgombi ć,
Croatie); CR2009/29, p.67, 69, 72 (Winkler, Danemark); CR2009/30, p.23, 36-38, par.2-3, 35-40 (Koh, Etats–Unis
d’Amérique).
Voir aussi l’Argentine, qui exhorte à prendre en considér ation des questions plus géné rales, mais admet que la
question n’est pas de celles qui concernent «the «legal consequences» of a give n situation», CR2009/26, p.49, par.36
(Ruiz Cerutti, Argentine). - 45 -
Illicéité des déclarations d’indépendance en tant que telles ⎯ où sont les preuves ?
9. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, on nous dit que les déclarations
d’indépendance sont, en tant que telles, illicites. Or, historiquement, elles ont constitué le principal
procédé de formation de nouveaux Etats. Depuis quand, et par quel processus juridique, ont-elles
été rendues illicites ?
49 10. Examinons les sources de droit internationa l énumérées au paragraphe [1] de l’article 38
du Statut de la Cour. Nul n’a prétendu que la déclaration du Kosovo serait proscrite par un traité
donné, à l’instar du traité de garantie qui inte rdit la séparation de toute partie de Chypre 78. Cette
source de droit n’est donc pas en cause.
11. Qu’en est-il de la pratique générale ac ceptée comme étant le droit? On ne trouvera
assurément aucune interdiction de faire sécession dans le droit international d’avant 1919.
12. Et la situation n’a pas changé apr ès1919. La commission chargée d’examiner la
question des îles Åland a contesté le droit de tout groupe national à «se sé parer par un simple acte
de volonté de l’Etat dont [il fait] partie» 79, mais n’a nullement donné à entendre que le droit
international érigeait l’expression d’une telle volonté en acte internationalement illicite.
13. La situation n’a pas non plus changé sous le régime de la Charte. Afin d’assurer
l’intégrité territoriale des Etats, celle-ci interdit le recours à la menace ou à l’emploi de la force
contre l’intégrité territoriale d’ Etats Membres, mais cette interdiction vise les autres Etats. La
Charte ne dit rien de la licéité des déclara tions d’indépendance adoptées par des groupes ou des
individus au sein d’un Etat.
14. La pratique étatique, depuis1945, est all ée dans le même sens. Pour ce qui est de la
région qui nous intéresse ici, les événements du début des années1990 en Yougoslavie ont été
suivis de près, mais ni l’Organisation des Nations Unies ni l’Union européenne n’ont considéré que
Voir également, le Burundi, CR2009/28, p.29-30 (d’Aspremont, Burundi): «The emphasis placed on
conformity with international law clearly shows that it is a question of legality which has been put to the Court. By no
means is the Court therefore asked to rule on the question whether Kosovo constituted a State on the day independence
was declared and when the request for an advisory opinion was made.» (Les italiques sont dans l’original.)
77
Voir l’exposé écrit du Royaume–Uni, p. 19-20, par. 1.3-1.5.
78Traité de garantie (Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, Grèce, Turquie et Chypre),
16 août 1960, Nations Unies, Recueil des traités , 382, p.5. Voir aussi le td’alliance (Grèce, Turquie et Chypre),
art. II, 16 août 1960, Nations Unies, Recueil des traités, 397, p. 288.
79Rapport du comité des juristes (Larnaude, Huber, Struycken), Journal officiel de la Société des Nations Unies ,
supplément spécial n 3 (1920), p. 5-6. - 46 -
les déclarations d’indépendance su ccessives constituaient en elles- mêmes des violations du droit
international 80. Ces déclarations ont ou non été suivies d’ effet, mais c’est là une autre question.
81
De même, en ce qui concerne la commission Badinter .
15. Rien n’indique non plus qu’une telle interd iction existe en tant que principe général de
droit.
16. J’en viens maintenant aux décisions judiciai res et à la doctrine. Ce n’est qu’en de rares
occasions que vous avez été appelés à vous prononcer sur des questions relatives à la qualité d’Etat.
Dans l’affaire Bosnie-Herzégovine, vous n’avez pas indiqué que les déclarations d’indépendance
50 étaient internationalement illicites; vous les av ez simplement mentionnées en tant que faits 82.
Cependant, il existe un précédent: le Renvoi relatif à la sécession du Québec devant la Cour
suprême du Canada. Il y avait là une différence majeure. La deuxième question visait à déterminer
si le Québec avait «le droit de procéder unilatéralement à [s]a sécession…du Canada»; ici, la
question est de savoir s’il était illicite de décl arer l’indépendance du Kosovo au regard du droit
international. Mais l’on ne saurait avoir le droit de faire quelque chose d’illicite ; l’instance portée
devant la Cour suprême et l’avis rendu par celle-ci sont donc pertinents en l’espèce.
17. Sept spécialistes du droit international ont déposé devant la Cour suprême. Mais aucun
d’entre eux n’a donné à entendre qu’il existait une règle à cet effet. Ainsi M. Abi-Saab ⎯ que l’on
ne peut accuser d’être insensible aux ques tions relatives à la stabilité des Etats en
développement ⎯ a affirmé :
«Si le droit international ne reconna ît pas un droit de sécession en dehors du
contexte de l’autodétermination, cela ne signifie pas qu’il interdit la sécession.
Fondamentalement, la sécession est un phénomène non régi par le droit
international…il serait erroné de dire que la sécession constitue une violation du
80 Voir, par exemple, CR2009/30, p.24, par.4 (Koh, Etats-Unis d’Amér ique); CR2009/30, p.55, par.8-9
(Kaukoranta, Finlande).
81 Voir, par exemple, en ce qui concerne la Croatie, l’avis no 5 (11 janvier 1992), RGDIP, tomeXCVII, 93,
p.568-570; en ce qui concerne la Slovénie, l’avis n o7 (11 janvier 1992), RGDIP, tomeXCVII, p.577-583. Etats
relevant que la déclaration d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie n’ont fait l’objet d’aucune condamnation
internationale: CR2009/30, p.29, par.16 (Koh, Etats-Unis d’Amérique); CR2009/30, p.55, par.9 (Kaukoranta,
Finlande) ; CR 2009/27, p. 10-11, par. 18 (Tichy, Autriche). Voir aussi CR2009/29, p6.0-61, pa.9
(Metelko-Zgombić, Croatie) (notant que la commission Badinter n’ a pas considéré les déclarations d’indépendance
comme étant illicites).
82
Voir, par exemple, Application de la convention pour la préven tion et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 604-605, par. 14. Dans
sa troisième et sa quatrième exceptions préliminaires, la Yougoslavie affirmait l’illicéité des «actes relatifs à
l’indépendance» et de la déclaration d’indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Si la quatrième exception préliminaire a
par la suite été retirée, la troisième a été rejetée par la Cour, par 14 voix contre 1 (ibid., p. 623, par. 47). - 47 -
principe de l’intégrité territoriale de l’Etat, puisque ce principe s’applique uniquement
aux relations internationales … il ne s’applique pas au sein de l’Etat.» [Traduction du
Greffe.] 83
Et cela a été écrit au nom du Québec.
18. M. Thomas Franck, aujourd’hui disparu, a quant à lui écrit :
«La sécession est un moyen bien connu d’accéder à la qualité d’Etat. On ne
saurait à l’heure actuellesérieusement prétendre que le droit international interdit la
sécession. On ne saurait sérieusement contester que le droit international permet la
sécession… Le droit n’impose à aucun peuple le devoir de ne pas faire sécession.»
84
[Traduction du Greffe.]
85
Ces propositions ont été expressément acceptées par les experts du Canada , lesquels étaient
unanimes 86.
51 19. La Cour suprême l’était aussi, bien qu’elle s’exprimât à propos ⎯ je l’ai dit ⎯ d’un droit
de faire sécession. Sous l’intitulé «L’absence d’interdiction expresse», elle a dit ceci :
«Le droit international ne prévoit pas de droit de sécession unilatérale, mais il
n’en nie pas explicitement l’ existence, quoique, dans une certaine mesure, une telle
négation découle implicitement du caractère exceptionnel des circonstances qui sont
requises pour autoriser une sécession fondée sur le droit d’un peuple à
l’autodétermination...»
Le droit international ne prévoit pas de dro it de sécession unilatérale, mais il n’en nie pas
explicitement l’existence ⎯et la citation se poursuit ensuite avec le passage que mon ami
M.Dinescu vous a lu ce matin, sans mentionner ces mots d’introduction. Certes, la Cour a mis
l’accent sur le principe de l’intégrité territoriale, sur lequel je reviendrai, mais ce que je veux dire
ici, c’est que la Cour a en connaissance de cause estimé que le droit international, s’il n’est pas
favorable à la sécession, n’interdit pas pour autant celle-ci. Sauf cas extrême, il n’existe pas de
83
George Abi-Saab, «The Effectivity re quired of an Entity that declares iIndependence in order for it to be
considered a State in International Law», in Anne Bayefsky (sous la dir. de), Self-Determination in International Law.
Quebec and Lessons Learned (Kluwer, La Haye, 2000), partie III, p. 72-73.
84
Ibid., p. 79 ; les italiques sont dans l’original.
85Voir Crawford, «Response to Experts Reports of the Amicus Curiae», ibid., p.159, par.9, p.160-161,
par. 13-14.
86Cf. Anne Bayefsky (sous la dir. de), op. cit. ; George Abi-Saab, « The Effectivity required of an Entity that
declares its Independence in order for it to be considered a State in Intern ational Law », partieIII, p.72;
Christine Chinkin, p. 233 et suiv. ; James Crawford, «Response to Experts Reports of the Amicus Curiae», p. 159, par. 9,
p.160, par.13; ThomasM.Franck, «Opinion Directed at Question2 of the Reference», par.2.9, p.78, «Opinion
Directed at Response of ProfessorCrawford and Wildhaber», p.179-180, par. 3-4, p. 181, par. 8 ; Alain Pellet, «Legal
Opinion on Certain Questions of International Law Raised by the Reference», p. 122, par. 44, «Legal Opinion on Certain
Questions of International Law Raised by the Reference», p. 212 ; Malcolm Shaw, «Re: Order in Council PC 1996-1497
of 30 September 1996», p. 136, par. 43, «Observations Upon the Response of Professor Crawford to the Amicus Curiae’s
Expert Reports», p. 221, par. 24. - 48 -
«droit de sécession unilatérale», mais l’existence d’un tel droit n’est pas non plus «explicitement
[niée]».
20. En outre, la Cour suprême savait per tinemment qu’une reconnaissance internationale
était possible, si le Québec déclarait son indépendance, quand bien même il n’était pas en réalité
fondé à faire sécession 87.
21. Pour en venir à cet autre élément de l’alinéa d) du paragraphe[1] de l’article38 ⎯ la
doctrine ⎯, il est intéressant de rechercher, dans les textes de base, la thèse selon laquelle les
déclarations d’indépendance seraient illicites et ne sauraient valablement être reconnues. Nulle
mention dans la sixième édition de l’ouvrage de Shaw, dans la huitième édition de l’ouvrage
deBrownlie, ou dans la neuvième édition de l’ Oppenheim’s International Law publié sous la
direction de Jennings et Watts 88. Pas davantage dans la huitième édition de l’ouvrage de Dallier,
89
Forteau et Pellet . Au contraire, ces ouvrages envisagent le maintien de la possibilité de faire
sécession. Ainsi Malcolm Shaw, pour prendre un exemple au hasard, affirme-t-il :
52 « Il n’existe bien sûr [il n’existe bien sûr] aucune obligation en droit
international imposant de s’abstenir de toute tentative de sécession: la situation
demeure régie par le droit interne. Toutefois, pareille sécession dût-elle aboutir dans
les faits, les notions de reconnaissance et d’éléments constitutifs de la qualité d’Etat se
90
révéleraient pertinentes et décisives quant à la nouvelle situation.»
J’apprécie tout particulièrement l’utilisation qui est faite de l’expression «bien sûr».
87
Renvoi relatif à la sécession du Québec, disponible sur Internet à l’adresse suivant:e
http://csc.lexum.umontreal.ca/fr/1998/1998rcs2-217/1998rcs2-217.html.
88 e
Oppenheim’s International Law, 9 éd., Harlow : Longman, 1992, sect. 276, p. 717 :
«Il a été admis que la révolte suivie d’une sécession constituait une modalité de perte de territoire,
à laquelle ne fait pendant aucune modalité d’acquisition. L’on ne peut apporter de réponse définitive à la
question de savoir quand une perte de territoire fais ant suite à une révolte es t consommée, puisqu’il est
impossible de définir une règle immuable et absolue permettant d’apprécier à quel moment un Etat qui
s’est détaché d’un autre Etat peut être réputé établi de manière sûre et permanente. L’on peut peut-être à
présent se demander si le terme «révolte» est tout à fait heureux dans ce contexte juridique. Il semblerait
désigner une situation politique d’un genre particulier et non un mode juri dique de perte de souveraineté
territoriale. Si une révolte, de fait, conduit à la formation d’un nouvel Etat, on se trouve alors dans le cas
d’une [acquisition de territoire par ce nouvel Etat].» [Traduction du Greffe.]
89 Droit International Public, 8 éd., Paris : Lextenso éditions, 2009, sect. 344, p. 585 :
«S’opposent également les envi ronnements juridiques des deux phé nomènes: alors que le droit
international réglemente aujourd’hui de façon très précise le processus de dé colonisation, la sécession
n’est pas prise en compte en elle-même par le droit international. Elle l’est seulement en tant que
perturbation des relations internationales, sous l’ngle de la belligérance et de l’insurrection… La
pratique confirme en général ce «désengagement» du dro it international en la matière. Quelle que soit sa
légalité au plan interne, la sécession est un fait politique au regard du droit international, qui se contente
d’en tirer les conséquences lorsqu’e lle aboutit à la mise en place d’autorités ét atiques effectives et
stables.»
90 e
Malcolm Shaw, International Law, 6 éd., Cambridge : Cambridge University Press, 2008, p. 218 ; les italiques
sont de nous. - 49 -
22. En conclusion, rien ne permet d’affi rmer l’existence d’une nouvelle règle de droit
international interdisant les déclarations d’indépendance en tant que telles.
Pourquoi le droit international ne condamne-t-il pas les déclarations d’indépendance
en les qualifiant d’illicites ?
23. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, voilà qui en principe devrait conclure mon
exposé. Le droit international ne régit pas les dé clarations d’indépendance en tant que telles, et
aucun des éléments considérés dans cette affair e, y compris la résolution1244, n’impose la
moindre obligation contraire.
24. Il est néanmoins intéressant d’explorer les raisons pour lesquelles cette position est celle
du droit international. La première es t que celui-ci ne tente pas d’influer sur ⎯au sens de
l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des NationsUnies ⎯ le cours des conflits à l’intérieur des
frontières d’un Etat. Il est déjà suffisamment difficile ⎯ la Cour est bien placée pour le savoir ⎯
de gérer les conflits interétatiques.
25. La deuxième raison est d’ordre formel. M.Shaw a cherché à étayer sa thèse selon
laquelle le droit international in terdit toute proclamation d’indépendance en se référant au concept
général de sujets de droit inte rnational. Evoquant l’évolution du droit international relatif aux
91
droits de l’homme, il a conclu que nous éti ons tous désormais des sujets de droit . Toutefois,
comme votre Cour l’a indiqué dans l’affaire de la Réparation des dommages subis au service des
Nations Unies, le fait d’être un sujet de droit international ne laisse en rien présupposer les droits et
92
obligations attachés à cette qualité . Il serait étrange de conférer à des groupes humains le statut
de sujets précisément dans le but de les priver de la capacité de devenir des sujets effectifs,
c’est-à-dire des Etats. C’est ce même paradoxe que l’on retrouve dans le cas du Kosovo. A
53 l’époque où la Serbie exerçait un contrôle effectif sur le Kosovo, elle a privé ce dernier du statut
que lui avait été conféré par la Constitution et l’ a presque vidé de sa population. Et aujourd’hui,
après avoir perdu le contrôle de ce territoire, de manière licite, suite à l’adoption de la
résolution 1244, elle cherche à faire du Kosovo un sujet de droit international ⎯ mais uniquement
dans le but de recouvrer la souveraineté dont elle a si manifestement abusé à l’époque.
91
CR 2009/24, p. 66, par. 8 (Shaw).
92
Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1949, p. 178-180. - 50 -
26. La troisième raison est liée au principe de l’intégrité territoriale. L’intégrité territoriale
n’est pas un joker qui l’emporte sur toutes les autres normes établies en droit international ou les
annule. Ce principe s’applique, si l’on s’en ré fère à des instruments comme la Déclaration relative
aux relations amicales, aux relations entre Etats. Il a pour principal objet d’offrir aux Etats une
protection contre toute intervention extérieure. Il n’est pas censé déterminer leur configuration
interne et encore moins les prémunir contre tout changement. C’est vrai, lorsque de nouveaux
droits sont consacrés pa r le droit international ⎯tels que les droits des peuples autochtones 93 ⎯,
tout est fait pour s’assurer que cela n’est pas interprété comme une autorisation à faire sécession.
Mais, telle qu’elle est posée, la question dont est saisie la Cour ne renvoie à aucune autorisation.
Ce que dit le droit sur les déclarations d’indépendance
27. Monsieur le président, Messi eurs de la Cour, dans le cadre de la présente procédure, un
certain nombre de gouvernements ont cité me s travaux sur la sécession pour étayer leurs
94
conclusions qui, vous vous en serez ap erçu, sont apparemment divergentes . J’espère que vous
me pardonnerez si je tente de rétablir la vérité en en faisant une rapide synthèse. Le passage
pertinent se lit comme suit :
«Il est vrai que l’hostilité qu’inspire la sécession à tous les gouvernements eu
égard à leur propre territoire s’est parfois traduite par des formulations selon lesquelles
la sécession pourrait être contraire au droit in ternational … Mais ces formulations ne
signifient pas qu’il existe une règle de droit international qui interdirait la
sécession … La sécession n’est ni licite ni illicite en droit international ; il s’agit d’un
acte juridiquement neutre dont les conséquences sont régies au niveau
95
international.»
28. Dans la suite du texte, il est souligné que cette neutralité juridique s’accompagne d’une
déférence à la souveraineté territoriale et d’ un refus d’accepter la sécession sauf s’il n’y a pas
d’autre choix possible. Voilà pourquoi les scén arios catastrophes qui nous ont été annoncés ne
reflètent pas la réalité. Ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est que ce refus ne veut pas pour autant
54 dire que les déclarations d’indé pendance sont illicites au regard du droit international, ni qu’il
93
Voir, par exemple, le CR 2009/24, p. 67 , par. 11 (Shaw, Serbie), qui cite la Déclaration des Nations Unies sur
les droits des peuples autochtones, résolution 61/295 de l’Assemblée générale, 13 septembre 2007, art. 46.
94CR2009/24, p.79-80, par.10 (Kohen, Serbie); CR2009/26, p.39, par.10 et p.45, par.24 (RuizCerutti,
Argentine) ; CR 2009/27, p. 19, par. 18-19 (Mehdiyev, Azerbaïdjan) ; et CR 2009/28, p. 31 (d’Aspremont, Burundi).
95JamesCrawford, The Creation of States in International Law , 2 édition, Oxford, Oxford University Press,
2006, p. 389-390. - 51 -
prend la forme d’une interdiction générale. Il reste qu’il appartie nt aux Etats, à travers leur
pratique de reconnaissance, et aux organisatio ns internationales, à travers leur pratique
d’admission, d’examiner chaque cas à la lumière des circonstances particulières. Ce que la Serbie
ne peut pas faire, c’est traiter le 17 février 2008 comme une date décisive, faire abstraction de tous
les événements et de toutes les réactions qui lui ont succédé, et prétendre que le droit international a
déterminé le statut du Kosovo de manière irrévocable ce jour-là. Comme je l’ai démontré, il n’en
est rien.
L’autodétermination (y compris «la sécession à titre de remède»)
29. Monsieur le président, Messieurs de la C our, il me reste un mot à dire sur la question du
droit à l’autodétermination. S’il était nécessaire que l’indépendance du Kosovo s’appuie sur une
autorisation ⎯une autorisation expresse ⎯ en droit international, la Cour serait tenue de traiter
cette question. Or, comme je l’ai démontré, il n’y aucune nécessité pour la Cour de trouver une
telle autorisation pour pouvoir répondre à la question posée. Si la Cour conclut que la Déclaration
du 17 février 2008 n’est pas, en soi, contraire au droi t international, elle peut se passer d’examiner
la question de l’autodétermina tion. En fait, comme il ressort des exposés qui vous ont été
présentés, l’exercice du droit à l’autodéterminati on en dehors du contexte colonial recueille de
nombreux suffrages. C’est d’ailleurs la position qu e je tente de défendre dans l’ouvrage que je
vous ai cité. Ainsi, l’article premier commun a ux deux pactes internationaux relatifs aux droits de
l’homme ne limite pas le droit des peuples à di sposer d’eux-mêmes aux peuples sous domination
coloniale mais énonce un droit général, qui doit avoi r quelque contenu réel, en particulier dans des
circonstances extrêmes.
30. La Cour suprême du Canada a laissé ouverte la question de l’autodétermination à titre de
remède car, du fait de la position privilégiée du Qu ébec au Canada, elle n’a pas eu besoin de
96
trancher la question . En revanche, la CIJ, avant de pouvoir répondre à la question par la négative,
contre le Kosovo, devrait se prononcer sur cette question. Je tiens à souligner que jamais le
Québec n’a vu son statut particulier foulé aux pied s ni révoqué par la Constitution, et que les deux
tiers de sa population n’ont pas été violemment chassés de leurs maisons et de leurs terres.
96
Renvoi relatif à la sécession du Québec [1998] 2 R.C.S. 217, par. 135. Réédité par Bayefsky (ed.), p. 499-500. - 52 -
Monsieur le président, Messieurs de la Cour , voilà qui clôt l’exposé du Royaume-Uni. Je
vous remercie de votre patiente attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie infiniment Monsieur Crawford.
55 Voilà qui met un terme à l’exposé et aux observations présentés oralement par le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et qui conclut l’audience d’aujourd’hui.
La Cour se réunira de nouveau demain, à 10heures, pour entendre le Venezuela et le VietNam.
L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 15.
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