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CONI

CR 2009/5 (traduction)

CR 2009/5 (translation)

Vendredi 6 mars 2009 à 10 heures

Friday 6 March 2009 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit

aujourd’hui pour entendre la suite du premier t our d’observations orales de la République du

Nicaragua. Je commencerai, ce matin, par donner la parole à M. Reichler.

M. REICHLER :

L ICÉITÉ DE LA RÉGLEMENTATION ,PAR LE N ICARAGUA ,DE LA NAVIGATION

SUR LE FLEUVE SAN JUAN

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est toujours pour moi un honneur que de

me présenter devant cette auguste Cour. Et il se double, aujourd’hui, de l’insigne privilège de

plaider au nom de la République du Nicaragua.

2. Il me revient de me pencher sur la réglementation, par le Nicaragua, de la navigation sur le

fleuve San Juan, et de démontrer qu’elle a été en tous points licite et n’a, en particulier, aucunement

violenté les droits garantis au Costa Rica par le traité de limites de 1858.

3. Je développerai trois grands arguments. Premièrement, le traité de limites, qui reconnaît

expressément au Nicaragua le dominio et le sumo imperio exclusifs sur le SanJuan, confère

nécessairement au Nicaragua, en sa qualité de détenteur exclusif de l’autorité souveraine sur ce

cours d’eau, le pouvoir de police l’autorisant à rglementer les activités qui se déroulent sur le

fleuve ou s’y rattachent, y compris les modalités de la navigation.

4. Deuxièmement, il n’y a pas de contradiction intrinsè que entre le droit qu’a le Nicaragua,

en sa qualité de souverain à l’égard du fleuve, de réglementer la navigation et celui du Costa Rica

de naviguer librement con objetos de comercio . La réglementation, par le Nicaragua, de la

navigation, loin de remettre en question ou de restreindre la liberté de navigation du Costa Rica, est

pleinement compatible avec celle-ci au regard de la pratique et de principes de droit international

établis de longue date.

5. Troisièmement, il s’avère que, dans la pratique, le Nicaragua a réglementé la navigation

sur le fleuve, y compris en ce qui concerne le CostaRica, de manière raisonnable et non

discriminatoire. Aussi l’affirmation du Costa Rica selon laquelle les réglementations du Nicaragua

violeraient son droit de circuler librement con objetos de comercio ne saurait-elle être retenue. - 3 -

9 A. Le traité de 1858 établissant sa souveraineté exclusive sur le fleuve San Juan, le Nicaragua

a nécessairement le pouvoir de réglementer la navigation

6. J’aborderai maintenant le premier point: le pouvoir qu’a le Nicaragua de réglementer la

navigation sur le SanJuan. L’ar ticleVI du traité de limites dispose que le Nicaragua «aura le

dominium et l’imperium exclusifs» sur les eaux du fleuve San Juan, «[l]a République du Costa Rica

joui[ssant] toutefois d’un droit perpétuel de libre navigation dans lesdites eaux …, cette navigation

s’effectuant con objetos de comercio ». L’expression «objetos de comercio» a été amplement

débattue. Je n’entends pas rouvrir la controverse. Je partirai, quant à moi, du principe que, quel

que soit le sens que la Cour reconnaîtra en définitive à l’expression «con objetos de

comercio» ⎯et même à supposer, aux fins de l’argu mentation, que «con objetos de comercio»

veuille dire «à des fins de commerce» ⎯, le Nicaragua n’en conser ve pas moins le droit de

réglementer la navigation costa-ricienne sur le San Juan.

7. L’argument selon lequel le Nicaragua ne jouirait pas de ce droit est simple : le Costa Rica

affirme que l’articleVI lui confère un droit de libre navigation. Or, d’après lui, «libre» signifie

libre au sens le plus absolu. Voici ce qu’il affirme dans son mémoire :

«Le droit perpétuel de libre navigati on du Costa Rica est un droit de naviguer
librement, sans entraves, conditions ou restrictions et sans acquitter de droits ou taxes,

quels qu’ils soient. Toute ingérence dans son exercice, que ce soit sous la forme d’une
réglementation, d’entraves, de taxes, de restrictions ou de conditions, est une violation
de ce droit.»1

A l’audience, M. Caflisch a fait valoir que le dr oit de libre navigation du Costa Rica était «absolu»

2
et «inconditionnel» .

8. Le problème, en ce qui concerne la thèse du CostaRica, est qu’elle repose sur une

interprétation éminemment sélective du libellé de l’articleVI. En particulier, le CostaRica

envisage la formulation de son droit de navi guer sur le SanJuan de manière totalement

indépendante du reste de l’article, et va jusqu’à la dissocier du reste de la phrase dans laquelle elle

s’inscrit. Tout se passe comme si, pour le Costa Rica, la phrase entière, sinon l’article VI dans son

intégralité, n’existait seulement et exclusivem ent que pour lui conférer un droit absolu et

inconditionnel de libre navigation sur le fleuve. Ma is cette manière de voir les choses ne cadre pas

avec le libellé du traité. La phrase-clé de l’article VI ⎯ celle qui énonce le droit de navigation du

1
Mémoire du Costa Rica (MCR), par. 4.16.
2
CR 2009/3, p. 18, par. 35 ; p. 23, par. 7 ; p. 30, par. 23 ; p. 31, par. 26 ; p. 33, par. 33. - 4 -

Costa Rica ⎯ commence par déclarer que le Nicaragua «aura le dominium et l’imperium exclusifs
10

sur les eaux du fleuve San Juan». Vient ensuite une clause subordonnée, introduite en espagnol par

le mot «pero» («toutefois», dans la versi on française), précisant que «[l]a République du

Costa Rica jouira … d’un droit perpétuel de libre navigation dans lesdites eaux…, cette navigation

s’effectuant con objetos de comercio».

9. Or, le Nicaragua reconnaît bien évidemment ⎯et n’a jamais nié ⎯ que l’articleVI

confère au Costa Rica un droit de libre navigation sur le San Juan con objetos de comercio. Mais il

ressort clairement de l’articleVI que ce droit du CostaRica existe dans le contexte global du

dominium et de l’imperium exclusifs dont jouit le Nicaragua su r le fleuve. La véritable différence

entre les deux Parties, en l’espèce, est que le Ni caragua reconnaît le droit qu’a le CostaRica de

naviguer con objetos de comercio , tandis que le CostaRica ignore le dominium et l’ imperium

exclusifs exercés par le Nicaragua sur le fleuve, ou ne les reconnaît, tout au plus, que pour la forme.

Lorsque M. Caflisch soutient que le droit de lib re navigation reconnu au Costa Rica aux termes de

l’article VI est «absolu» et «existe pour le Costa Rica indépendamment des droits d’autrui», de telle

sorte que la navigation costa-ricienne échapperait à toute réglementation du Nicaragua, il exclut en

réalité, dans l’interprétatio n qu’il donne du traité, le dominium et l’ imperium exclusifs dont le

Nicaragua jouit sur le fleuve 3.

10. Les termes espagnols employés par les auteurs du traité de 1858 pour désigner le pouvoir

«exclusif» que détiendrait le Nicar agua sont les mots «dominio» (dominium) et «sumo imperio» 4.

Nul besoin d’être un éminent latiniste, comme mon bon ami Alain Pellet, pour constater que «sumo

imperio» est une formulation classique dériv ée de l’expression latine «summum imperium» ou

«imperium summum». L’expression renvoie au plus haut degré d’autorité souveraine. Selon une

source contemporaine espagnole, l’ Enciclopedia Moderna ⎯ l’Encyclopédie moderne ⎯, publiée

à Madrid, en 1855,

«l’Etat désigné sous les noms génériques civitas et republica, qu’il soit monarchique,

aristocratique ou démocratique, n’est, une fois constitué, soumis à aucune tierce
personne, ni à aucun autre Etat; il est libre de faire le nécessaire pour assurer sa

3
CR 2009/3, p. 23, par. 7.
4
Traité de limites de 1858, art. VI. - 5 -

conservation, sans que nul n’ait le droit de l’empêcher d’exercer ses prérogatives, car
11 il n’a de comptes à rendre que devant Dieu… C’est ce que l’on appelle l’ imperium
5
summum.»

11. Interprété suivant son sens naturel et ordinaire, et tout particulièrement celui que lui

prêtaient les auteurs du traité en1858, le «sumo imperio» exclusif reconnu au Nicaragua sur le

fleuve couvre nécessairement le droit de promulguer des lois et des règlements concernant les

activités sur le fleuve, et notamment la navigation. Certes, dans l’exercice de son pouvoir

réglementaire souverain sur la na vigation fluviale, le Nicaragua ne saurait priver le Costa Rica du

droit de libre navigation con objetos de comercio que lui reconnaît le traité, que ce soit directement

ou en lui imposant des exigences déraisonnables, ar bitraires ou discriminatoires. Les droits

garantis par le traité aux deux Etats sont ainsi préservés, et se voient conférer plein effet.

12. Dans ses écritures, le Costa Rica a affirmé que «[l’]article VI conditionne le dominium et

l’imperium du Nicaragua sur le fleuve au droit pe rpétuel de libre navigation du Costa Rica» 6. Aux

yeux du Costa Rica, la souveraineté du Nicaragua est ainsi «conditionnée», alors que son propre

droit est, pour citer M.Caflisch, «inconditionnel». Le Costa Rica renverse ainsi la logique (et le

libellé) de l’article VI. Il ressort clairement du texte de l’article, pris dans son sens ordinaire, que la

souveraineté du Nicaragua ⎯son «sumo imperio» ⎯ n’est pas conditionnée aux droits de

navigation du Costa Rica. En revanche le droit de libre navigation du Costa Rica existe dans le

cadre du summum imperium exclusif du Nicaragua.

13. M. Caflisch accuse le Nicaragua de défe ndre une «hiérarchie» en vertu de laquelle les

7
droits du Costa Rica seraient subordonnés aux siens . Mais ⎯et je le dis avec respect ⎯, il ne

s’agit pas de cela. Le Nicaragua aspire à ce que les droits conférés par l’articleVI aux

5 Francisco de Paula Mellado, Enciclopedia Moderna: Diccionario Unive rsal de Literatura, Ciencias, Artes,
Agricultura, Industria, y Comercio , vol3.2 (Madrid, 1855), p5.13, disponible à l’adresse suivante

http://books.google.com/books?id=3qfK1Adqlm8C&pg=RA3-PM A5ela-A+1&ncic=lopedia+moderna+imperium+summum&lr=lang_es&num=
30&as_brr=0&as_pt=ALLTYPES&ei=WACrSdLFNoPWMJze5M0I
Texte original espagnol :

«Segun ellos [los escritores eminentes del glo pasado], el estado que designaban con los
nombres genéricos civitas y republica, y fuese monárquico, aristocrático ó democrático su gobierno, una
vez constituido no está sujeto á ninguna persona, ni á ningun otro estado; puede hacer libremente cuanto
sea necesario para su conservacion, sin que nadie tenga derecho á impe dirselo ni á residenciarle por el

ejercicio de sus derechos, siendo justiciable para Dios, pero de ningun modo para los hombres. Esto es lo
que se llamaba imperium summum.»
6 MCR, par. 4.06.

7 CR 2009/3, p. 22, par. 2-6 ; p. 33, par. 33 (Caflisch). - 6 -

deux Parties, y compris son propre droit exprès à l’exercice exclusif du pouvoir de «dominio» et de

«sumo imperio» sur le fleuve, soient reconnus et se voient donner plein effet. Dénier au Nicaragua

le pouvoir de police l’autorisant à réglementer la navigation reviendrait à entamer la souveraineté,

le summum imperium, dont le traité lui a, à lui et à lui seul, conféré l’exercice. Cela reviendrait,

concrètement, à opérer cette hiérarchisation même des droits que M.Caflisch juge inacceptable,
12

mais dans l’ordre inverse : à subordonner, en d’au tres termes, la souveraineté du Nicaragua sur le

fleuve au droit de navigation du Costa Rica. Reconnaître au Nicaragua le droit souverain de

réglementation, en revanche, ne porte pas atteinte aux droits garantis au Costa Rica par le traité, dès

lors que le Nicaragua exerce sa faculté de régl ementer la navigation de manière raisonnable, non

arbitraire et non discriminatoire. En résumé, reconnaître comme il se doit les droits des deux

Parties, et leur donner plein effet, suppose de rec onnaître celui qu’a la Nicaragua de réglementer la

navigation sur un fleuve dont il est le souverain exclusif et incontesté, étant entendu que le

Nicaragua ne saurait priver le Costa Rica de son droit de libre navigation «con objetos de

comercio» en lui imposant la moindre exigence déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire.

B. Le droit de «libre» navigation du Costa Rica n’est pas exempt de la réglementation

du Nicaragua

14. J’en viens maintenant à mon deuxième point, à savoir qu’il n’existe aucune contradiction

foncière, dans la doctrine ou dans la pratique, entre le droit du Nicaragua de réglementer la

navigation en sa qualité de puissance souveraine sur le fleuve et le droit que le Costa Rica tient du

traité de1858 de naviguer libreme nt «con objetos de comercio». Mon éminent confrère et ami

Ian Brownlie ayant traité cette question hier, je ne reviendrai pas sur ce qu’il a déjà dit ; toutefois,

je vais citer quelques autorités supplémentaires pour démontrer encore que le CostaRica a tort

d’affirmer que son droit de naviguer librement «con objetos de comercio» exclut ou annule

nécessairement le pouvoir du Nicaragua de réglementer cette navigation. Les sources sont claires :

il n’y a rien d’incompatible entre une navigation «libre» et la réglementati on de cette navigation.

En fait, cette situation constitue la norme dans la pratique des Et ats. M.Caflisch a répété à

plusieurs reprises que le droit de libre navigation du CostaRica excluait, sous peine d’illicéité,

toute tentative de réglementation de la part du Nicaragua, mais il n’a pas expliqué pourquoi il

devait en être ainsi. Les autorités pertinentes m ilitent dans le sens contraire. Elles confirment - 7 -

qu’un droit de «libre» navigation n’habilite pas l’Etat qui en est titulaire à échapper ou se soustraire

à la réglementation ⎯règlementation raisonnable, j’entends ⎯pouvant être édictée par l’Etat qui

a la souveraineté sur le cours d’eau.

15. Je dois préciser que, si j’invoque ces autorités, ce n’est pas pour prétendre que l’une ou

l’autre d’entre elles a force de loi ou s’applique directement à la présente affaire qui, les Parties se

rejoignent là-dessus, concerne l’interprétation d es termes du traité de1858 et de la sentence

13 Cleveland. Je les invoque parce qu’elles réfutent l’argumentation du CostaRica dans son

fondement même, à savoir qu’une navigation «libre» est par définition exempte de toute

réglementation.

16. Je commencerais par un extrait de l’ ouvrage fréquemment cité de MM.Lowe et

Churchill, intitulé The Law of the Sea, qui résume fort bien la question. Dans une section

consacrée à la navigation dans les eaux intérieures de l’Etat, les auteurs indiquent :

«Des traités ou déclarations unilaté rales autorisant la libre navigation, toujours

sous réserve de la réglementation édictée par les Etats riverains, ont été faits à
différentes époques pour nombre des fleuves du monde, et un traité multilatéral en ce
sens — la convention de Barcelone sur le régime des voies navigables d’intérêt
8
international—a été conclu en 1921, enco re qu’il n’ait pas été largement ratifié.»
[Traduction du Greffe.]

17. La convention de Barcelone constitue en effet un bon exemple 9. L’article 3 du statut sur

le régime des voies navigables d’inté rêt international, qui est annexé à la convention et fait partie

intégrante de celle-ci, autorise le «libre exercice de la navigation» 1. L’article 6 précise ensuite que

chacun des Etats contractants n’en conserve pas moins, à l’égard des voies navigables relevant de

sa souveraineté, ses droits existants :

«d’édicter des dispositions et de prendre des mesures nécessaires à la police générale

du territoire et à l’application des lois et règlements concernant les douanes, la santé
publique, les précautions contre les maladies des animaux et des végétaux,
l’émigration ou l’immigration et l’importation ou l’exportation des marchandises

8
R. R. Churchill et A. V. Lowe, The Law of the Sea (1983), p. 48.
9 Convention de Barcelone, disponible (en anglais) à l’adresse suivante : http://www.fao.org/DOCREP/005/
W9549E/w9549e02.htm#bm02.2 (dernière consultation le 26 février 2009) (version française : Société des Nations,

Recueil des traités, vol. VII, p. 37).
10 Article 3 :

«Sous réserve des stipulations des articles 5 et 17, chacun des Etats contractants accordera, sur les
parties de voies navigables ci-dessus désignées qui se trouvent sous sa souveraineté ou autorité, le libre
exercice de la navigation aux navires et bateaux battant pavillon de l’un quelconque des Etats
contractants.» - 8 -

prohibées; il est entendu que ces dispositions et ces mesures ne dépassant pas les
nécessités et appliquées sur un pied de parfaite égalité aux ressortissants, aux biens et
aux pavillons de l’un quelconque des Etats c ontractants, y compris l’Etat contractant

qui les édicte, ne devront pas, sans motif va lable, entraver le libre exercice de la
navigation».

18. Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres qui pourraient être cités pour montrer que

le droit au «libre exercice de la navigation» n’ exclut pas toute réglementation de l’Etat souverain

sur le cours d’eau, pourvu que celle-ci soit à la fois raisonnable et non-discriminatoire, et qu’elle

s’applique avec la même force à l’Etat dont elle émane. Ce principe était déjà bien établi

au XIX esiècle. Par exemple, la résolution adoptée en1887 à Heidelberg par l’Institut de droit

international disposait en son article3: «La navigation dans tout le parcours des fleuves

internationaux, du point où chacun d’eux devient na vigable jusque dans la mer, est entièrement
14
11.
libre et ne peut, sous le rapport du comme rce, être interdite à aucun pavillon.» En même temps,

l’article 20 prévoyait la perception de droits de douane par l’Etat souverain sur les eaux, l’article 23

des mesures de mise en quarantaine et des contrô les sanitaires «par l’initiative des Etats riverains»

et l’article30 la création d’une commission rive raine pour «élabore[r] les règlements de police

fluviale» 12. La convention de Montreux de 1936, qui rest e en vigueur et régit la navigation dans

les eaux turques du Bosphore et des Dardanelles, dispose en son articlepremier: «Les Hautes

Parties contractantes reconnaissent et affirment le principe de la liberté de passage et de navigation

13
par mer dans les Détroits.» Cette phrase est immédiatement suivie par celle-ci: « L’usage de

ladite liberté [je dis bien, l’usage de cette liberté] est dorénavant réglé par les dispositions de la

14
présente Convention .» Aucune contradiction n’est perçue entre l’exercice de la liberté de

navigation et sa réglementation.

19. Récemment, lorsqu’elle a revisé en20 04 les règles d’Helsinki de1966 relatives aux

ressources internationales en eau (ce qui a donné les «règles de Berlin»), l’Association de droit

international a confirmé ce principe : liberté de navigation ne signifie pas liberté de se soustraire à

une réglementation raisonnable. A ux termes du paragraphe 1 de l’ar ticle 43 des règles de Berlin :

11
Résolution de Heidelberg, art.3. Pour la traduction anglaise, voir KaeckenbeeckInternational Rivers: A
Monograph Based on Diplomatic Documents (1920), p.46-58 (version française disponible à l’adresse suivante:
http://www.idi-iil.org/idiF/resolutionsF/1887_hei_01_fr.pdf).
12
Ibid.
13
Convention de Montreux concernant le régime des détroits (1936), art. 1.
14Ibid. - 9 -

«Sous réserves des limitations ou réserves formulées dans le présent chapitre, chaque Etat riverain

a le droit de naviguer librement, sur la base de l’ égalité et de la non-discrimination, sur toute la

partie du fleuve dont il est riverain.» 15 [Traduction du Greffe.] L’article45, intitulé

«Réglementation de la navigation», dispose :

«Afin de faire régner l’ordre sur la portion navigable d’un cours d’eau relevant

de sa juridiction, un Etat riverain peut ré glementer, limiter ou suspendre la navigation
sur ladite portion dans toute la mesure nécessaire pour protéger la sécurité et la santé
publiques ou l’environnement, dès lors qu’il ne pratique aucune discrimination contre
les navires d’un autre Etat riverain et qu’il n’entrave pas déraisonnablement l’exercice
16
des droits de libre navigation…» [Traduction du Greffe.]

15 20. Il est vrai que les instruments évoqués à l’instant, qui sont le fruit de longues

négociations multilatérales ou de débats approfondis entre expe rts, prévoient expressément la

réglementation de la navigation par le souverain, ainsi que la liberté de navigation des autres Etats.

Il est également vrai que le traité de1858 entre le Nicaragua et le CostaRica ne mentionne pas

expressément la réglementation. Mais il en dit bien assez pour habiliter pleinement le Nicaragua à

réglementer la navigation sur le fleuve San Juan, en lui reconnaissant à titre exclusif le dominium et

le «sumo imperio», ou summum imperium, sur le fleuve. Selon cette formulation, seul le Nicaragua

est habilité à exercer les fonctions d’un Etat vi s-à-vis du fleuve. Ces fonctions comprennent

nécessairement l’exercice de son pouvoir de police pour réglementer les activités sur le fleuve, dont

la navigation, pour y assurer la sécurité, lutter cont re le trafic illicite de drogues et d’armes, lutter

contre l’immigration clandestine et, naturellement, protéger l’environnement et prévenir la

pollution du fleuve et de ses rives. Les instrument s, résolutions et règles que je viens de citer

démontrent qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le pouvoir d’un Etat de réglementer la navigation

dans ses eaux souveraines ⎯même quand, contrairement à ici, il s’agit de fleuves internationaux

qui coulent sur le territoire souverain de plus d’un Etat ⎯et le droit d’autres Etats de naviguer

librement dans les même eaux. Il n’y a incompatib ilité que si le souverain tente de réglementer la

navigation de manière déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire, ôtant ainsi toute substance au

droit de libre navigation dont jouissent les Etats voisins. Comme je vais l’exposer à présent, les

règlements adoptés par le Nicaragua ne font rien de tel.

15
International Law Association , Berlin Rules on Water Resources Law (2004), disponible (en anglais) à
l’adresse suivante : http://www.waterlaw.org/documents/intldocs/ILA_Berlin_Rules-2004.pdf.
16
Ibid. - 10 -

C. La réglementation du Nicaragua est raisonnable et nécessaire pour protéger des intérêts
étatiques importants ; elle n’est ni arbitraire ni discriminatoire

21. J’en viens à la troisième et dernière par tie de mon exposé, laquelle porte sur le caractère

raisonnable de la réglementation nicaraguayenne rela tive au San Juan. Le Nicaragua soutient que

sa réglementation est bien rais onnable, qu’elle contribue à pr omouvoir des intérêts nationaux

légitimes et importants, et qu’elle n’est nullement arbitraire ou discriminatoire. Dès lors, elle ne

viole pas les droits de navigation que le Costa Rica tient du traité de 1858.

22. Les éléments de preuve attestent ⎯ les éléments de preuve attestent ⎯ que les lois et les

règlements adoptés par le Nicaragua à l’égard du SanJuan servent et protègent les intérêts

suivants : premièrement, la préservation de l’environnement naturel, y compris des espèces

16 animales et végétales menacées, et la prévention de la pollution ; deuxièmement, la répression et la

prévention de la criminalité, notamment le braco nnage et les coupes illégales d’arbres dans les

forêts et les eaux protégées, et l’interdiction du trafic de drogues et d’armes; troisièmement,

l’amélioration de la sécurité de la navigation sur le fleuve, qui est notoirement difficile et parfois

extrêmement dangereuse, particulièrement de nuit ; quatrièmement, le contrôle des frontières et de

l’immigration ; et, cinquièmement, l’exercice et la préservation de la souveraineté du Nicaragua sur

le fleuve.

23. On ne saurait contester que tous ces domaines correspondent à de s intérêts nationaux

légitimes et importants et qu’ils re vêtent, pour certains, une dimension internationale. En outre, il

s’agit précisément du type d’intérêts collectifs que les Etats souverains peuvent promouvoir et

protéger par le biais d’une réglementation raisonna ble de la navigation dans les eaux relevant de

leur souveraineté, sans porter atteinte aux droits de libre navigation dont jouissent les autres Etats.

A titre d’exemple, ces domaines particuliers figuren t, à l’article6 du statut de Barcelone et à

l’article45 des règles de Berlin ⎯dont j’ai lu des extraits précédemment ⎯ parmi les intérêts

justifiant qu’un Etat réglemente la navigation et ce, alors même que ces instruments consacrent le

droit de libre navigation.

24. En la présente affaire, le CostaRica cont este les règlements pris par le Nicaragua dans

cinqdomaines. Le Nicaragua a déjà démontré dans ses écritures que les mesures prises dans

chacun de ces cinq domaines dans le cadre de son pouvoir de police sont raisonnables et qu’elles ne - 11 -

sont ni arbitraires ni discriminatoires vis-à-vis du Costa Rica. Aussi, me contenterai-je de résumer

ces éléments de preuve afin de mieux me concentrer sur les critiques formulées à l’audience par les

représentants du Costa Rica.

a) L’obligation de faire halte et de s’enregistrer

25. Premièrement, le CostaRica conteste l’obligation imposée par le Nicaragua à tous les

bateaux de faire halte et de s’enregistrer aux post es frontière lorsqu’ils s’engagent sur le San Juan

ou le quittent. Cette obligation s’applique à tous les bateaux, y compris aux bateaux

17
nicaraguayens . Elle impose aux équipages de se pr ésenter au premier postefrontière pour

décliner leur identité et celle de leurs passagers et indiquer le contenu de leur cargaison. Voilà tout.

Le Nicaragua ne perçoit aucun droit ni péage sur les bateaux qui s’engagent sur le fleuve ou le

quittent. Le Nicaragua a adopté cette réglementation pour faire en sorte que le fleuve ne soit utilisé

qu’à des fins licites, et en particulier compatibles avec la protection et la préservation de

l’environnement.

17 26. Dans ses écritures, le Nicaragua a présenté un très grand nombre d’éléments de preuve

⎯ dont aucun n’a été contesté par le Costa Rica ⎯ attestant que le San Juan lui-même, ainsi que la

rive nicaraguayenne, sont des réserves naturelles extrêmement importantes et sérieusement

menacées 18. Depuis1990, après que la paix eut été réta blie dans cette région, le Nicaragua s’est

consacré à la protection de troisvastes réserves végétales et animales situées sur le SanJuan ou à

proximité de celui-ci ; 1) la réserve biologique Indio Maíz ; 2) le Refuge de la faune et de la flore

du fleuve San Juan ; et 3) la réserve de la biosphère du fleuve San Juan du Nicaragua 19. Le dossier

de plaidoiries contient un croquis, lequel est actuellement projeté à l’écran, derrière moi.

27. La réserve biologique Indio Maíz a été inaugurée en1990 et comprenait, alors,

20
l’intégralité du San Juan. Elle s’étend au jourd’hui sur plus de 3000 kilomètres carrés . En 1999,

un espace comprenant le fleuve lui-même et une bande de 2kilomètres située le long de la rive

nicaraguayenne, a été détaché de la réserve Indio Maíz et transformé en réserve distincte ; il s’agit

17Voir duplique du Nicaragua (DN), par. 4.61, 4.71, 4.80.
18
Voir contre-mémoire du Nicaragua (CMN), par. 1.1.18-1.1.25 ; DN, p. 179-197.
19
Voir CMN, vol. II, annexes 59-61 ; DN, vol. II, annexes 39, 44-45.
20Voir DN, par. 4.37-4.45, vol. II, annexe 47 ; CMN, vol. II, annexe 59. - 12 -

21
du Refuge de la faune et de la flore du fleuve SanJuan . Ce refuge a depuis été classé zone

humide d’importance internationale dans le cadre de la convention de Ramsar 22. En2003, le

refuge de la faune et de la flore du San Juan et la réserve biologique Indio Maíz ont été inclus, dans

le cadre du programme de l’Unesco sur l’homme et la biosphère, dans une réserve plus vaste de la

biosphère internationale appel ée «Réserve de la biosphère du fleuve SanJuan du Nicaragua»,

2 23
laquelle s’étend sur plus de 18 000 km , soit 14 % du territoire nicaraguayen . Ces zones abritent

une multiplicité d’espèces végétales et animales ⎯qui sont malheureusement, pour beaucoup,

24
menacées ⎯, ainsi que cela est indiqué de manière détaillée dans la duplique du Nicaragua .

28. Il ressort des éléments de preuve que le Nicaragua a consacré d’importantes ressources à

la protection de ces réserves. Le ministère nica raguayen de l’environnement et des ressources

naturelles a créé quatre postes le long de la rive ni caraguayenne faisant face au Costa Rica, en plus

des postes situés à l’intérieur des terres qui sont dispersés dans la réserve Indio Maíz 25. La distance

18 séparant ces postes peut atteindre 40kilomètres, ce qui rend extrêmement difficile la surveillance

des activités menées le long du fleuve ou dans les zones adjacentes aux rives. Cette difficulté est

accrue par le fait que les bûcherons illégaux et autres braconniers qui opèrent dans la région sont

souvent armés. Le ministère de l’environnement et le ministère de l’armée nicaraguayens ont donc

joint leurs efforts et Œuvrent en commun à la protection du fleuve 26.

29. C’est l’homme qui constitue la principale menace pour la flore et la faune du fleuve et de

ses rives, et la plupart des personnes qui menacen t les espèces protégées viennent de la rive

costa-ricienne. Il s’agit là d’un fait établi et non d’une accusation contre le CostaRica ou son

peuple. Les personnes qui violent les zones protégées à des fins illicites ne peuvent tout

simplement venir que de la rive costa-ricienne, puisque c’est là qu’elles vivent. Le Nicaragua

n’autorise aucune habitation de son côté du fle uve dans les zones protégées; il limite même et

21Voir DN, par. 4.40 ; CMN, vol. II, annexe 60.

22Voir DN, par. 4.41 ; vol. II, annexe. 44.
23
Voir ibid., par. 4.49-4.45 ; vol. II, annexe 39.
24
Voir ibid., par. 4.39-4.43, 4.51-4.59.
25Ibid., par. 4.44-4.50.

26Ibid., par. 4.50, vol. II, annexe 3. - 13 -

27
réglemente de manière très stricte les entrées temporaires dans les réserves . Apparaît à l’écran un

croquis ⎯qui figure dans le dossier de plaidoiries ⎯ préparé par le CostaRica, et non par le

Nicaragua, et reproduit dans le mémoire. Y est représenté l’emplacement des habitations sur la

rive costa-ricienne du fleuve faisant face ⎯faisant directement face ⎯ aux zones protégées

nicaraguayennes. Ainsi que cela est indiqué dans la duplique du Nicaragua, les coupes illégales, la

chasse et la pêche illicites, et le braconnage d’espèces animales rares et menacées dans le fleuve ou

sur la rive adjacente auxquels se livrent des r ésidents du CostaRica sont des problèmes graves et

28
persistants qui nécessitent une vigilance de tous les instants . Mardi, mon ami Marcelo Kohen a

dit à la Cour que cela ne pouvait être vrai car, si tel était le cas, le Nicaragua aurait apporté la

preuve de l’arrestation de ces personnes ou des poursuites engagées contre elles ; ce qu’il n’aurait

pas fait. «Pas un seul» élément de preuve, a précisé M.Kohen avec emphase 29. En réalité, le

Nicaragua a bel et bien présenté ces éléments de preuve et nous renvoyons respectueusement

M.Kohen, à qui ils ont dû échapper, et la Cour ⎯qui, nous en sommes sûrs, ne commettra pas

cette erreur ⎯ à l’annexe 43 de la duplique du Nicaragua , où est reproduite la plainte déposée par

le procureur général du Nicaragua contre vingt braconniers «provenant de la république sŒur du

Costa Rica» 30.

30. Il n’y a aucun pont sur le San Juan, et le seul moyen de passer de la rive costa-ricienne à

la rive nicaraguayenne est d’emprunter le fleuve. De même, étant donné qu’il n’existe aucune

19 route du côté nicaraguayen, le seul moyen d’accéder aux réserves depuis cette rive est le bateau.

En exigeant que chaque personne ⎯ qu’elle soit nicaraguayenne ou costa-ricienne ⎯ qui emprunte

le fleuve fasse halte et s’enregistre, le Nicaragua est en mesure de contrôler le trafic et l’accès aux

31
réserves, y compris au fleuve lui-même, et ce faisant de les protéger . En exigeant des équipages

qu’ils enregistrent leurs bateaux et leurs passagers lorsqu’ils s’engagent sur le fleuve et en sortent,

le Nicaragua est en mesure de s’assurer que toutes les personnes qui pénètrent dans le fleuve le

27 Voir ibid., par. 4.60.

28 Voir ibid., par. 4.51-4.60.
29
CR 2009/3, p. 42, par. 32.
30 DN, vol. 2, annexe 43.

31 Voir ibid., par. 4.61. - 14 -

quittent également, et que personne ne demeure ill également dans l’une des zones protégées où la

forêt est dense, et où ces personnes pourraient abattre des arbres ou capturer, voire tuer, des

animaux appartenant à des espèces rares sans craindre d’être repérées.

31. MM. Kohen et Caflisch se sont malheureusement montrés assez sarcastiques lorsqu’ils

ont évoqué ce qu’ils ont appelé l’intérêt «soudain» du Nicaragua pour l’environnement 32.

M.Kohen a parlé d’«arguments de dernière minute» apparus «soudainement dans la duplique» 33.

En fait, aux pages14 à 16 de son contre-mém oire, le Nicaragua a présenté la protection

environnementale du SanJuan et de ses envir ons comme une préoccupation essentielle. Comme

l’attestent les éléments de preuve, le Nicaragua a toujours, depuis1990 au moins, protégé le

SanJuan et les zones adjacentes de ses rives en créant des réserves naturelles. Bien que le

Costa Rica tire grief du fait que le Nicaragua a présenté un très grand nombre d’éléments de preuve

supplémentaires dans sa duplique ⎯ce qui est vrai ⎯, il ne présente aucun élément pour les

contester ou les infirmer ; son seul argument porte sur le temps dont il a disposé, alors même qu’il a

eu plus de 8 mois pour examiner ces documents et y répondre. Rejeter de te ls éléments de preuve

au motif de leur prétendue «soudaineté» revien t à écarter des faits gênants parce qu’on manque

d’arguments pour les contester.

32. L’obligation de faire halte et de s’enregist rer permet également au Nicaragua de prévenir

les activités criminelles autres que les infractions environnementales. Outre les coupes illégales et

le braconnage, le trafic d’armes et de drogues comptent parmi les activités criminelles courantes

sur le fleuve. Le fait de devoir s’arrêter et s’enregistrer en entrant et en sortant du fleuve a un effet

dissuasif évident sur ces activités. Cette obligation est particulièrement importante compte tenu de

la géographie du fleuve qui s’étend sur 140 kilomètres au sein d’un territoire reculé caractérisé soit

par une végétation luxuriante (du côté nicaraguayen) soit par une population éparse (du côté

20 costa-ricien). Les postes frontière nicaraguayens étant très dispersés, les autorités nicaraguayennes

ne peuvent lutter efficacement contre les activités illégales qu’en gardan t trace des bateaux qui

s’engagent sur le fleuve ou en sortent.

32
Voir CR 2009/3, p. 25, par.10 ; p. 35, par. 4 ; p. 42, par. 35 ; p. 43, par. 37.
33
Ibid., p. 35, par. 4 ; p. 42, par. 35 ; p. 43, par. 37. - 15 -

33. M.Caflisch écarte de manière fort cavaliè re cette justification de la réglementation,

indiquant que «les délinquants ne se présentent p as aux postes de l’armée nicaraguayenne avant de
34
commettre des infractions» . Justement. Le fait d’exiger que tous les bateaux fassent halte et

s’enregistrent à l’un de ces postes frontière lorsqu’ ils s’engagent sur le fleuve dissuade d’éventuels

délinquants de s’y présenter et de s’enregistrer ; et s’ ils tentaient de passer le poste frontière sans y

faire halte, ils seraient repérés, poursuivis et arrêtés.

b) Certificatsd’appareillage

34. Deuxièmement, le Costa Rica conteste l’obligation d’obtenir un certificat d’appareillage.

Une telle obligation sert les intérêts du Nicaragua en lui permettant d’assurer la sécurité de la

navigation sur le fleuve San Juan, de protéger l’e nvironnement et d’appliquer sa législation pénale.

La délivrance de certificats d’appareillage par le s Etats riverains ou côtiers est une pratique

courante dans le monde. Le Nicaragua n’est pas une exception. Ni le Costa Rica. Dans les deux

Etats, comme dans beaucoup d’autres, les navires doivent être inspectés afin de vérifier leur

navigabilité et le respect des normes anti-pollution. Lorsque les navires font halte aux postes de

sécurité nicaraguayens pour indiquer qu’ils entr ent dans le fleuve, ils sont inspectés par les

autorités qui s’assurent qu’ils sont en état de na viguer pour traverser le fleuve en toute sécurité, et

qu’ils ne présentent pas de fuites de carburant susceptibles de polluer les eaux. Cette inspection

permet également de s’assurer qu’aucun navire ne transporte de marchandises illégales telles que

des plantes ou des animaux protégés, y compris du poisson, pris illégalement dans les réserves

nicaraguayennes, de la drogue ou des armes à feu. Ces intérêts constituent des intérêts publics

légitimes. Et en fait, avant d’introduire la présente instance, le Costa Rica approuvait expressément

la pratique du Nicaragua à cet égard, comme l’ atteste le compte-rendu final d’une réunion de la

commission binationale du Nicaragua-Costa Rica en 1997, qui figure dans le dossier de plaidoiries

et qui vous est projeté, stipulant que :

«En réponse au problème présenté par la délégation costa-ricienne concernant
l’existence de lieux qui requièrent la présence d’autorités dotées de compétences
spécifiques, il a été convenu que le Nicaragua s’efforcera d’établir des postes à des

endroits déterminés, de manière à étendre le champ couvert dans la lutte contre ce type
de criminalité…

34
CR 2009/3, p. 28, par. 19. - 16 -

En ce qui concerne les mouvements de navires, il a été jugé nécessaire que
21 ceux-ci naviguent uniquement s’ils ont été dûment enregistrés par les postes qui
délivrent les certificats de navigation co rrespondants, en l’espèce, les postes de
35
San Juan del Norte, de San Carlos et de Sarapiquí.»

M.Caflisch tente d’écarter cet accord en faisant valoir que le Costa Rica n’approuvait la

réglementation nicaraguayenne en matière d’enregi strement et de certificats d’appareillage que

36
parce qu’il la jugeait nécessaire pour prévenir le trafic de drogue . Coupable. Même s’il a raison,

cela ne fait que conforter la thèse du Nicaragua: que le Costa Rica lui-même convenait que tant

l’obligation de s’enregistrer que celle d’obten ir un certificat d’appareillage imposées par le

Nicaragua étaient justifiées et qu’il les approuvait comme telles.

35. M. Caflisch et M. Kohen se plaignent d es droits modiques que le Nicaragua perçoit au

titre des frais d’inspection. Les exploitants de bateaux doivent acquitter 5 dollars US pour ce

service. Ces droits s’appliquent à toutes les nationalités, y compris les Nicaraguayens 37. Il existe

cependant une exception pour les résidents costa-rici ens qui habitent la rive droite du fleuve. Par

pure courtoisie envers ces voisins costa-riciens, le Nicaragua leur délivre des certificats

38
d’appareillage régulièrement et gratuitement .

36. Les éléments de preuve qui vous sont présen tés ne confortent pas la thèse costa-ricienne

selon laquelle l’obligation de certificat d’appareilla ge viole ses droits de navigation aux termes du

traité de 1858. Le Costa Rica n’a produit auc un élément de preuve indiquant que l’un quelconque

de ses navires se soit vu refuser arbitrairement un certificat, ou qu’il ait été empêché de naviguer

sur le fleuve pour ce motif. Il n’a pas non plus prouvé que le paiement des 5 dollars a découragé la

navigation. Il est difficile, quoi qu’il en soit, de croire que cette somme modique ait pu avoir un tel

effet, et le Costa Rica n’étaye pas son affirmation.

37. Rien dans le traité de 1858 n’interdit au Nicaragua de facturer cette modeste redevance

pour le service d’inspection en question. L’article VI, dans sa version originale espagnole, la seule

faisant foi, interdit au Nicaragua d’imposer au Costa Rica le paiement d’«impuestos», en français

«impôts», ou droits, sur les marchandises transportées par des navires de commerce costa-riciens.

35DN, vol. II, annexe 4.
36
Voir CR 2009/3, p. 25, par. 22.
37
DN par. 4.62-4.63 ; 4.72 ; 4.81 ; DN, vol. II, annexe 48, annexe 70, p. 436, et annexe 77, p. 487.
38DN, par. 4.74, 4.88, 5.110 ; DN, vol. II, annexes 70, 72, 73, 77, 78. - 17 -

La somme minimale facturée par le Nicaragua n’ est pas, par définition, un «impôt». Elle

22 correspond à un service rendu, en français une «redev ance», pas une taxe. En tant que telle, le

traité ne l’interdit pas. Les instruments que j’ai évoqués précédemment, y compris le statut de

Barcelone notamment, distinguent clairement entre l es droits de douane et autres taxes d’une part,

et les redevances pour services rendus de l’autre. Ces dernières sont considérées comme relevant

de l’exercice licite des pouvoirs de police de l’Etat souverain, même lorsque les droits de douane et

autres taxes sont interdits. De plus, même en ce qui concerne les impôts, l’article VI stipule qu’il

n’en sera pas perçu «sauf accord entre les deux gouvernements.» Cet accord a été donné de

nombreuses fois depuis 1858, dans les conventions fiscales et douanières entre les deux Etats, et

39
dans les traités régionaux, y compris le C ode douanier uniforme d’Amérique centrale .

M.Caflisch conteste les motifs du Nicaragua. Il affirme que «l’objectif des certificats
40
d’appareillage n’est pas de promouvoir la sûreté mais de percevoir une taxe» . Il a bien sûr le

droit d’avoir cette opinion. Mais tous les éléments de preuve la contredisent.

38. M. Kohen prétend que le Nicaragua a violé son obligation prévue à l’articleVI, qui

oblige également le Costa Rica à autoriser les na vires des deux pays «à accoster indistinctement

l’une ou l’autre rive de la partie du fleuve où la navigation est commune» 41. Ce droit d’accoster

s’applique aux bateaux costa-riciens qui naviguent conformément à l’article VI, c’est-à-dire «con

objetos de comercio». Le seul endroit du côté nicaraguayen où l’on peut faire du commerce est

San Juan del Norte, car c’est le seul peuplement nicaraguayen, et les navires costa-riciens ont

toujours été et demeurent libres d’y accoster. Rien ne prouve qu’ils aient jamais été empêchés d’y

accoster, et M.Kohen ne cite aucun exemple. On pourrait ajouter deux remarques en réponse à

M. Kohen, même s’il n’en est nul besoin. Aux termes de l’article VI, le droit d’accoster sur l’une

et l’autre rive est lié à l’absence d’impôts. Mais il a été décidé, d’un commun accord, d’établir des

impôts. Dans le cadre des dispositions en vigueur, les deux Etats n’autorisent l’accostage que là où

il y a des postes de douanes ou des postes frontière. S’il en était autrement, des contrebandiers

pourraient invoquer le droit d’accoster pour éviter de payer les taxes en accostant là où il n’y a pas

39
Code douanier uniforme d’Amérique centrale [Códi go Aduanero Uniforme Centroamericano [CAUCA)],
13 décembre 1963. Publié dans La Gaceta du Nicaragua n 339, 18 février 1966.
40
CR 2009/3, p. 25, par. 23.
41Costa Rica-Nicaragua Traité de limites (Cañas-Jerez), 15 avril 1858, art. VI, MCR, vol. II, annexe 7 c). - 18 -

de postes de douanes ou de postes frontière. En fait, ni le Costa Rica ni le Nicaragua n’interprètent

réellement l’article VI comme créant un droit d’accoster indistinctement sur l’une ou l’autre rive au

profit des ressortissants de l’autre pays. Comme je le montrerai dans m on prochain exposé, le
23

Costa Rica n’autorise pas les bateaux nicaraguayens à accoster n’importe où sur sa rive ; de fait, il

arrête les passagers comme étant des étrangers en situation irrégulière.

c) L’interdiction de la navigation après la tombée de la nuit

39. Troisièmement, le Costa Rica conteste l’interdiction de la navigation sur le fleuve

imposée par le Nicaragua après la tombée de la nuit. Le Nicaragua autorise bien entendu des

exceptions pour les urgences médicales et autres. La sécurité de la navigation en est la raison

principale. Les éléments de preuve montrent qu ’il n’est pas sans danger de naviguer sur ce fleuve

après le coucher du soleil. La plupart des bat eaux qui l’empruntent ne disposent même pas des

feux de navigation les plus rudimentaires 42. Non seulement ils ne peuvent pas voir l’eau devant

eux mais les autres bateaux ne peuvent pas les voir, d’où les risques de collision. La navigation de

nuit est particulièrement dangereuse là où les eau x sont peu profondes, il est fréquent que les

bateaux s’échouent sur les nombreux bancs de sable invisibles de nuit. Au nombre des multiples

dangers figurent les rapides, les nombreux arbres tombés et oui, même les crocodiles 43. Le Costa

Rica ne conteste aucun de ces éléments de preuve. M. Caflisch, qui ne s’est apparemment jamais

rendu sur le fleuve ⎯ à la différence des conseils du Nicaragua ⎯ nous dit que le Nicaragua peut

promouvoir l’objectif légitime de la sécurité de la navigation en prescrivant «que les bateaux

naviguant la nuit soient éclairés» 44. Ainsi que l’éminent agent du Nicaragua l’a souligné hier, une

telle proposition ne peut être faite que par quelqu’un de bien inten tionné mais qui ne connaît ni le

fleuve ni l’extrême pauvreté qui caractérise la plupart de la population rivera ine. Nous affirmons

qu’en tant que souverain, c’est au Nicaragua qu’il incombe, en tout état de cause, de décider des

mesures de sécurité, à la seule condition de veille r à ce qu’elles soient raisonnables et à ce qu’elles

ne soient pas appliquées de manière arbitraire ou discriminatoire à l’encontre du Costa Rica.

42DN, par. 4.80, 4.83-4.85.
43
Ibid.
44CR 2009/3, p. 28, par. 26 v). - 19 -

L’interdiction de la navigation la nuit, étant donné la nature de ce fleuve particulier et des dangers

spécifiques qu’il présente, remplit cette condition.

40. L’interdiction s’applique à toute la naviga tion effectuée après la tombée de la nuit, y

compris à la navigation nicaraguayenne 45. M. Caflisch tente de mont rer que le Nicaragua emploie

un double discours, autorisant la navigation de nuit pour ses propres navires mais non pour ceux du

Costa Rica 4. A l’appui de cette accusation, il cite un indicateur horaire d’une ligne de ferry
24
47
nicaraguayenne assurée, selon ses termes, entre «Granada et San Carlos la nuit» . J’ai bien peur

que M.Caflisch ne connaisse pas bien sa géographi e. Comme le montre la carte actuellement à

l’écran, et qui figure dans le dossier de plaidoiries, la ligne de ferry reliant Granada à San Carlos

traverse le lac Nicaragua, et elle n’emprunte pas le fleuve San Juan.

d) Dispositions relatives à la frontière et en matière d’immigr
ation

41. Quatrièmement, le Costa Rica remet en question l’obligation, pour les ressortissants

étrangers qui s’engagent sur le fleuve et, par conséquent, pénètrent en territoire nicaraguayen, de

passer par les services d’immigration et de se conformer aux mêmes procédures qu’à tous les autres

points d’entrée au Nicaragua. Tout non-national est tenu d’obtenir une carte de touriste lorsqu’il

arrive au Nicaragua par l’aéroport international de Managua ou par un autre point d’entrée, et doit

faire de même lorsqu’il entre au Nicaragua par le San Juan. Selon leur pays d’origine, un visa en

cours de validité peut être exigé des voyageurs pour entrer au Nicaragua. Le droit du Costa Rica de

naviguer librement sur le fleuve «con objetos de comercio» ne signifie pas qu’il est libre d’amener

à sa guise en territoire nicaraguayen des étrangers non munis de documents de voyage.

42. Dans la pratique, l’obligation d’être m uni d’un visa s’applique à un très petit nombre de

touristes qui arrivent au Nicaragua à bord des ba teaux de tourisme costa-riciens. Les faits

incontestés, établis à partir des registre s d’immigration du Nicaragua, montrent que presque tous

les touristes voyageant à bord de ces bateaux sont originaires des Etats-Unis d’Amérique, du

Canada, de l’Union européenne ou d’Australie, et ne doivent nullement être munis de visas pour

45
DN, par. 4.65.
46
CR 2009/3, p. 28, par. 26 iv).
47Ibid., note de bas de page n 91. - 20 -

48
entrer au Nicaragua . Les éléments de preuve montrent aussi que le Nicaragua, par courtoisie,

autorise les riverains costa-riciens et les expl oitants de bateaux commerciaux costa-riciens à

49
circuler sur le fleuve sans carte de touriste ni visa .

43. Nul besoin de rappeler à la Cour qu’il est courant pour les Etats, dans le monde entier,

d’exiger un visa ou une carte de touriste ; c’est un moyen pour eux d’exercer leur droit inhérent de

réglementer l’entrée des étrangers sur leur territoire et de protéger leurs frontières. Le Costa Rica

se plaint des redevances qui vont de pair avec ces obligations. Il est difficile pour le Costa Rica de

maintenir cet argument, car la pratique consistant pour les Etats à percevoir des droits pour la

délivrance des visas et cartes de touriste aux étrangers est quasi-universelle. Le Nicaragua fait

payer 20 dollars aux Costa-Riciens autres que les riverains locaux pour leur délivrer un visa, soit à

25 peu près la même somme que le Costa Rica fait payer aux Nicaraguayens qui demandent un visa

costa-ricien. La carte de touriste coûte 5 dollars. Les frais liés aux contrôles d’immigration, entrée

et sortie comprises, s’élèvent à 4 dollars. Le Costa Rica a-t-il réellement saisi la Cour d’un

différend portant sur la coquette somme de 9 dolla rs par touriste, ce qui correspond au prix d’une

visite guidée du Palais de la Paix ? Si tel est le cas, les faits sont contre lui. Le Costa Rica n’a pas

donné un seul exemple de touriste que le coût de la carte de touriste et des contrôles d’immigration

du Nicaragua aurait dissuadé d’emprunter le San Juan. Il ne s’agit pas, et je cite M.Kohen, de

«droits de transit» acquittés pour naviguer sur le fleuve entre des points situés au Costa Rica, bien

que la manière dont il les qualifie soit tout à fait révélatrice d’une divergence sous-jacente entre les

50
Parties . Ce que M. Kohen, et surtout le Costa Rica, ignorent ou refusent d’accepter, c’est que le

fleuve fait partie du territoire souverain du Nicara gua. Y entrer, c’est entrer au Nicaragua. Le

Nicaragua a le droit d’appliquer sa réglementation, peu contraignante, en matière d’immigration.

44. Il convient de souligner qu’aucun élément ne vient étayer la thèse du Costa Rica selon

laquelle la réglementation nicaraguayenne, y compris en matière d’immigration, pèse suffisamment

sur son industrie touristique pour entraîner une baisse de la fréquentation touristique 5. A aucun

48DN, vol. I, par. 4.33, 4.90 ; DN, vol. II, annexe 71.
49
DN, par. 4.88-4.89, vol. II, annexes 70, 73 et 78.
50
CR 2009/3, p. 37, par. 17.
51Voir réplique du Costa Rica (RCR), par. 4.12 iii). - 21 -

moment le Costa Rica n’a produit de données véritables, par opposition à de simples conjectures, à

l’appui de ses affirmations. Au contraire, les seu ls éléments de preuve solides produits devant la

Cour sont tirés des registres d’immigration du Nicar agua et vont à l’encontre de ce qu’affirme le

Costa Rica. Ces éléments démontrent notamment qu’entre 1998 ⎯ l’année où, selon le Costa Rica,

le Nicaragua aurait commencé à violer ses droits de manière systématique— et 2004, la dernière

année complète avant le début de la présente instance, le nombre annuel de touristes empruntant le

San Juan à bord de bateaux de tourisme cost a-riciens est passé de 711 en 1998 à 2590 en 2004 52.

Pour le Nicaragua, ces chiffres ne sauraient fonder l’argument selon lequel sa réglementation aurait

des effets défavorables sur les excursions touris tiques du Costa Rica sur le San Juan, quand bien

même ce type de navigation pourrait à bon droit entrer dans la définition de la navigation «con

objetos de comercio».

26
e) L’obligation d’arborer le pavillon nicaraguayen

45. Et enfin, cinquièmement, le Costa Rica se plaint de l’obligation de battre pavillon

nicaraguayen faite aux bateaux de fo rt tonnage qui empruntent le San Juan. Il s’agit là aussi d’un

corollaire légitime et peu contraignant du summum imperium exclusif du Nicaragua sur le fleuve.

Cette obligation ne s’applique qu’aux bateaux pourvus de mâts ou de tourelles à la poupe, une

distinction qui rend la réglementation inapplicable à la grande majorité des bateaux costa-riciens

empruntant le fleuve, lesquels sont presque tous de petits «p angas» en bois, ou de simples

embarcations munies d’un petit moteur hors- bord, qui n’ont aucun moyen d’arborer des

pavillons 53.

46. Que les bateaux de grande taille arboren t le pavillon du Nicaragua lorsqu’ils naviguent

dans ses eaux, en une manifestation minimale de respect pour la souveraineté du Nicaragua, est

54
conforme à la pratique internationale , au moins dans la mer territoriale . Le Nicaragua ne voit

aucune raison pour laquelle il ne peut à fortiori exiger la même marque de courtoisie dans ses eaux

intérieures souveraines, d’autant plus qu’il permet aux bateaux costa-riciens de continuer à arborer

52Voir DN, par. 4.33, tableau 1 ; DN, vol. II, annexe 71.
53
Voir DN, par. 4.92.
54Voir CMN, par. 5.3.3 ; DN, par. 4.93. - 22 -

55
le pavillon costa-ricien à côté de celui du Nicaragua . M.Caflisch, bien qu’il conteste la

réglementation, reconnaît qu’»[i]l peut égal ement exister une pratique, inspirée par la courtoisie

56
internationale, qui veut que l’on arbore le pavillon du pays dans les eaux duquel on navigue» . Le

Nicaragua estime que, en tant que souverain sur ces eaux, il est en droit d’exiger cette courtoisie.

S’agissant des preuves produites, le Costa Rica n’a pas cité un seul cas où les autorités

nicaraguayennes auraient empêché un bateau costa-ricien de naviguer sur le San Juan parce qu’il ne

battait pas pavillon nicaraguayen ou avait refusé de le faire. Aucun argument sérieux ne vient

étayer la thèse selon laquelle cette réglementation aurait d’une manière ou d’une autre entravé la

navigation costa-ricienne sur le San Juan.

47. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’ai à présent examiné chacune des

cinqmanifestations souveraines du pouvoir de police du Nicaragua que conteste le Costa Rica.

J’affirme que le traité de 1858 permet au Nicara gua de réglementer la na vigation sur le San Juan,

pourvu qu’il le fasse raisonnablem ent, et les éléments de preuve montrent, en ne laissant aucun

doute à cet égard, que ce droit est exercé raisonna blement, sans aucune violation du droit du

Costa Rica de jouir d’une libre navigation «con objetos de comercio».

27 48. Avant de conclure mon exposé, je voudrais di re quelques mots au sujet de la pêche. Le

Nicaragua s’en tient à ses écritures, qui expliquent pourquoi la demande du Costa Rica concernant

la pêche est irrecevable 57. Cela dit, toutefois, il n’y a aucune raison pour que la pêche soit un objet

de litige entre les Parties. Le Nicaragua n’interd it pas la pêche de subsistance telle qu’elle est

pratiquée par les résidents costa-riciens locaux 58. Bien qu’il ne reconnaisse pas l’existence d’un

droit coutumier de pêche dans ses eaux territoriales, il n’a nullement l’intention d’empêcher les

résidents costa-riciens de se livrer à la pêche de subsistance. Seule la pêche pratiquée à des fins

autres que la subsistance, telles que la pêche commerciale et la pêche sportive pratiquées dans les

59
eaux protégées du refuge de la faune et de la flore du fleuve San Juan, est interdite . En fait, sur

ce fleuve qui n’est pas très large, la pêche de subsistance est pratiquée à partir de la rive

55Voir DN, par. 4.93 ; DN, ann. 77, p. 488.

56CR 2009/3, p. 33, par. 30.
57
Voir CMN, p. 197-204 ; DN, par. 4.67-4.68.
58Voir CMN, par. 5.1.6, 5.1.15 ; DN, par. 4.67, vol. II, annexes 67, 72 et 73.

59Voir DN, par. 4.67, vol. II, annexe 73. - 23 -

costa-ricienne sans entrave du Nicaragua. La pêche commerciale, par contre, est généralement

pratiquée à partir de bateaux naviguant au milieu du fleuve, au moyen de vastes filets qui

permettent de prendre d’importantes quantités de poi ssons, de crustacés et de mammifères marins.

Pour le Nicaragua, le Costa Rica ne revendique p as au profit de ses nationaux un droit coutumier,

ni aucun autre droit, de se livrer à la pêche commerciale.

49. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , me voici arrivé à la fin de mon exposé. Je

vous remercie de votre patience et de votre attention. Je vous prie de bien vouloir appeler à la barre

M. McCaffrey. Merci infiniment.

Le PRESIDENT: Je remercie M. Reichler de son exposé. J’invite à présent

M. Stephen McCaffrey à prendre la parole.

M. McCAFFREY :

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur de me présenter aujourd’hui

devant vous au nom de la République du Nicaragua et c’est un grand privilège de plaider à nouveau

devant cette éminente instance.

28 LA NAVIGATION SUR LE FLEUVE S AN JUAN PAR LE C OSTA RICA AVEC DES BATEAUX
OFFICIELS :LE TRAITÉ DE LIMITES ET LA SENTENCE C LEVELAND

Introduction

2. Je suis chargé ce matin d’aborder la ques tion de la navigation par le Costa Rica avec des

bateaux officiels, autres que ceux du service des doua nes, au terme du traité des limites de 1858 et

de la sentence arbitrale de 1888 rendue par le président Grover Cleveland. Je démontrerai que ni le

traité ni la sentence arbitrale ne fondent aucunement le droit, que prétend détenir le Costa Rica, de

naviguer sur le San Juan avec des bateaux officiels à des fins pour ainsi dire illimitées, notamment

pour ravitailler ses postes frontière, pour assurer la relève des membres du personnel affecté à ces

postes avec leur équipement officiel, y compris leurs armes de service et leurs munitions, à des

«fins de protection», selon l’interprétationdonne le Costa Rica de cette expression, et pour

s’acquitter de plusieurs autres fonctions officielles. - 24 -

3. Pour montrer que le Costa Rica ne détie nt pas de tels droits de navigation avec des

bateaux officiels sur le San Juan, j’aborderai trois points: premièrement, l’articleVI du traité

de1858 ne confère aux bateaux officiels costa-rici ens aucun droit de navigation sur le San Juan;

deuxièmement, la sentence Cleveland ne fonde aucunement les droits de naviguer avec des bateaux

officiels que prétend détenir le Costa Rica; troisièmement, le droit de protection très restreint du

Costa Rica aux termes de la sentence Cleveland et ses obligations en matière de défense aux termes

de l’articleIV du traité n’apportent aucun fo ndement aux droits de naviguer avec des bateaux

armés ou d’autres bateaux officiels qu’il prétend détenir.

I.L’ ARTICLE VI DU TRAITÉ DE 1858 NE CONFÈRE AUCUN DROIT DE NAVIGATION SUR

LE SAN JUAN AUX BATEAUX PUBLICS COSTA -RICIENS

4.Monsieur le président, pour commencer par mon premier point, contrairement aux

affirmations à l’emporte-pièce du Costa Rica, l’ article VI du traité de 1858 ne confère par

lui-même aux bateaux officiels de ce dernier aucun droit de navigation sur le fleuve San Juan. Cet

article ne mentionne tout simplement aucun droit que détiendrait le Costa Rica de naviguer sur le

fleuve avec des bateaux officiels. Bien sûr, selon l’interprétation du président Cleveland, le traité

permet sous certaines conditions la navigation des bateaux du service des douanes costa-riciens.

Mais l’article VI n’accorde aux bateaux officiels costa-riciens aucun droit d’exercer leur action sur

le San Juan, à moins qu’ils ne naviguent «con obj etos de comercios», ce qui serait tout à fait

inhabituel, de quelque manière qu’on traduise cette expression.

5. Et bien entendu, c’est un point que le Co sta Rica semble résolument vouloir oublier. Au

cours de ces audiences, les conseils du Costa Ri ca n’ont cessé de déclarer que celui-ci jouit, en

60
29 vertu de l’article VI, d’un «droit perpét uel de libre navigation» — tout court . En dissociant ainsi

cette expression du reste de l’article, le Costa Rica fait «du droit perpétuel de libre de navigation»

un droit absolu. Evidemment, cette façon de sépar er l’expression de son contexte porte gravement

atteinte au sens de l’article. Si les conseils avaient poursuivi leur lecture, ils auraient découvert que

le «droit de libre navigation» du Costa Rica s’a pplique seulement à la navigation «aux fins du

commerce», ou «con objetos de comercio». Par conséquent, si l’on rassemble les éléments

60Par exemple, CR 2009/02, p. 22; CR 2009/03; p. 8; ; 22; 23 (à deux repris26, 31, 32,33, 34, 44,

50, 51. - 25 -

pertinents de la formule en question, la traduction anglaise soumise au président Cleveland est ainsi

libellée: «the Republic of Costa Rica shall have perpetual rights…of free navigation…for the

purposes of commerce», soit en français: «la République du Costa Rica aura des droits

perpétuels … de libre navigation…aux fins du commerce». Ces prétendus droits perpétuels

s’appliquent donc uniquement à la navigation «con objetos de comercio».

6. Et soit dit en passant, Monsieur le président, les Parties ne pouvaient en réalité avoir

envisagé que les droits de navigation du Costa Ri ca seraient nécessairement «perpétuels». Elles

savaient bien l’intérêt que suscitait à l’époque l’idée d’un canal interocéanique utilisant le cours du

San Juan, et tant le traité de 1858 (en ses artic les VII et VIII) que la sentence Cleveland (aux

paragraphes 10 et 11 de son troisième article) envisagent un tel canal. De surcroît, le Costa Rica ne

s’est opposé à aucune des concessions concernant la voie de transit ni à aucun des contrats

concernant le canal signés par le Nicaragua avant 1858 61. Ainsi, bien que le Costa Rica puisse

prétendre à être dédommagé d’une éventuelle atteinte à ses «droits naturels», son droit perpétuel de

libre navigation prendrait effectivement fin avec la transformation du fleuve en canal.

7. Mardi, le conseil du Costa Rica a avancé, apparemment pour la première fois, l’argument

nouveau selon lequel : «selon l’article VI, les bateaux costa-riciens officiels ont le droit de naviguer

aux fins du commerce au même titre que les bateaux privés ⎯nulle distinction n’est faite selon

62
l’appartenance de l’embarcation» . Il a conjugué cette idée surprenante —qui non seulement

défie la raison mais aussi s’oppose aux conditions générales et au contexte du traité de 1858—

avec une autre, que le Costa Rica a inventé dans ses pièces de procédures et de nouveau exposé ici

devant la Cour ⎯selon laquelle le «commerce» est en r éalité de la «communication». Et par

«communication», le Costa Rica n’entend pas seulement l’échange d’informations par voie postale,

ni même par téléphone ou grâce à l’internet. En e ffet, tout comme il redéfinit le «commerce», le

Costa Rica redéfinit la «communication» — en l’occurrence, pour faire signifier à ce mot la somme

30 de toutes les sortes de contacts possibles pouvant être établis par bateau entre un point et un autre.

De la sorte, il n’est pas jusqu’à sa propre traduction de «con objetos de comercio» ⎯ «aux fins du

commerce» ⎯ qui ne devienne totalement inintelligible . L’interprétation que donne le Costa Rica

61
Voir en particulier CMN, chap. 1, sect.1.2.31-34 et 1.3.
62
CR 2009/03 ; p. 8 (Crawford). - 26 -

de l’articleVI a donc pour effet d’isoler l’expression «con objetos de comercio» du reste de

l’article, et de permettre à toutes sortes de bateaux officiels ⎯ sauf sans doute les navires de

guerre— de naviguer sur le San Juan à tous fins imaginables. Si l’on considère d’une part ce

résultat absurde et d’autre part «le dominium et l’impérium exclusifs» du Nicaragua sur les eaux du

fleuve San Juan, il saute aux yeux que la Cour devrait rejeter l’affirmation du CostaRica selon

laquelle les bateaux officiels de ce dernier jouissen t du même droit de na vigation «con objetos de

comercio» que ses bateaux privés.

II. LE DROIT DU C OSTA R ICA DE NAVIGUER AVEC LES BATEAUX OFFICIELS EN VERTU DE LA
SENTENCE C LEVELAND

8. Monsieur le président, j’aborde mon deuxième point. Pressentant peut-être qu’un

argument fondé sur le seul article VI ne tient p as debout, le conseil du Costa Rica essaie d’appuyer

sa thèse des droits généraux de navigation des bateaux officiels sur la sentence Cleveland63. Selon

cet argument, formulé mardi, le président Clevela nd n’as pas traité la question de la navigation de

toute sorte de bateaux officiels costa-riciens au tre que les bateaux de guerre et les bateaux du

service des douanes, ce qui autorise la navigation d’au tres types de bateaux officiels. Le problème

le plus évident que pose cet argument découle du fait que le présidentCleveland interprétait le

traité de 1858, qui autorise uniquement la navigation du Costa Rica sur le San Juan «con objetos de

comercio». Sa sentence ne peut être considérée comme créant des droits de portée plus vaste que

ceux établis par le traité qu’il interprétait.

9. Un fait est gênant pour le Costa Rica : les droits de navigation «con objetos de comercio»

⎯ou même «à des fins de commerce» ⎯ n’ont presque jamais été exercés par des bateaux

officiels, que ce soit aujourd’hui ou au milieu du XIX esiècle. C’est peut-être parce qu’il s’en est

rendu compte que le CostaRica ajoute ensuite: « ce droit est établi au deuxième article de la

sentence Cleveland» 64. Bien entendu, la Cour n’ignore pas à présent que le deuxième article de la

sentenceCleveland, que nous avons pratiqueme nt examiné au microscope, passe complètement

sous silence la libre navigation sur le San Juan avec des bateaux officiels. De surcroît, en limitant

les catégories de bateaux officiels qui pouvaient naviguer sur le SanJuan à ceux du service des

63
CR 2009/3, p. 10 (Crawford).
64Ibid. - 27 -

31 douanes, et en limitant en outre la navigation de ces bateaux à «l’exercice du droit d’usage de ce

fleuve» «con objetos de comercio» ou aux cas nécessaires à la protection de ce droit d’usage, le

président Cleveland a rejeté la demande du Costa Rica tendant à être autorisé à naviguer avec des

65
bateaux officiels pour «transmettre des ordres aux autorités des districts frontaliers» . Or le

Costa Rica est devant la Cour aujourd’hui pour formuler pratiquement la même demande.

10. Monsieur le président, comme nous venons de le voir, le traité de1858 lui-même est

silencieux sur le droit pour le CostaRica de navi guer sur le fleuve SanJuan avec tout type de

bateau officiel, y compris ceux du service des douanes.

11. Mais la Cour n’ignore pas que le prési dentCleveland, dans sa sentence de1888, s’est

prononcé sur la question de savoir si le Costa Rica avait le droit de naviguer sur le San Juan avec

ses bateaux de guerre ou d’autres bateaux officiels. Le président Cleveland a dit que le Costa Rica

n’avait pas le droit de naviguer sur le San Juan avec ses bateaux de guerre mais qu’il avait bien le

droit ⎯un droit rigoureusement circonscrit ⎯ de naviguer sur le fleuve avec les bateaux du

service de douanes. Des éléments d’appréciation permettront de replacer ce droit dans son

contexte.

12. Comme le Nicaragua le fait observer dans ses écritures 66, en 1886, le Costa Rica avait en

réalité navigué sur le SanJuan avec un navire à vapeur national transportant ses forces armées.

Selon un décret pris par le Gouvernement du Cost aRica en mars de cette même année, l’une des

tâches du navire à vapeur était d’effectuer une reconnaissance, au moins une fois par semaine, de

toute l’étendue du SanJuan qui était navigable par le CostaRica. Le ministre nicaraguayen des

affaires étrangères avait caractérisé cette opération de «violation manifeste des droits souverains du

Nicaragua» 6, ce qui est compréhensible, étant donné qu’a ucune disposition du traité de 1858 ne le

permettait. Mais de toute évidence le Costa Rica avait grande peine à accepter les droits restreints

de navigation sur les eaux souveraines du Nicaragua que lui conférait le traité de1858. Il suivit

donc une stratégie qu’il avait adoptée depuis que le traité de 1858 avait été conclu : essayer de créer

de nouveaux droits de navigation sur le fleuve San Juan (illustration SMcC-1).

65Argumentation du Costa Rica, p. 155, DN, vol II, annexe 5, p. 30.
66
CMN, p. 113, par. 3.1.32. et suiv.
67Ibid., p. 116, par. 3.1.37. - 28 -

13. Ainsi, dans son plaidoyer devant le président Cleveland, le Costa Rica cita l’article VI du

traité de1858, avant de poser, au sujet de cette disposition, la question rh étorique ci-après, qui a

déjà été mentionnée par M. Pellet et qui apparaît à l’écran :

32 «Cela signifie-t-il que le CostaRica ne peut en aucun cas naviguer avec des
bateaux officiels sur lesdites eaux, que ces bateaux soient de véritables navires de

guerre, de simples vedettes des douanes, ou t out autre bateau destiné à prévenir la
contrebande, à transmettre des ordres aux autorités des districts frontaliers ou à
exécuter toute autre mission ne relevant pas exactement du transport de
68
marchandises ?»

14. Cette question montre qu’en1888, le CostaRica supposait qu’il jouissait des mêmes

droits de navigation que ceux qu’il revendique aujo urd’hui : des droits généraux de naviguer avec

des bateaux officiels pour «toute…mission ne relevant pas exactement du transport de

marchandises». A ce propos, comme M. Pellet l’a fait remarquer, dans ce passage, le Costa Rica a

laissé apparaître qu’il comprenait l’expression clé «objetos de comercio», comme renvoyant à

«marchandises». Pour lever un doute éventuel su r la manière dont il concevait ses droits de

navigation, le Costa Rica a ajouté : «Il semble indi scutable que le Costa Rica peut naviguer sur le

fleuve SanJuan avec des bateaux officiels qui ne sont pas à proprement parler des navires de

69
guerre.»

15. Monsieur le président, le président Clev eland a répondu très clairement à la question du

CostaRica concernant le droit de naviguer avec des bateaux officiels à des fins très variées. Il a

répondu «non» ⎯ à une seule exception près, dont la portée est limitée (illustration SMcC-2).

16. Dans le deuxième article de sa sentence, le présidentCleveland a déclaré que le

Costa Rica :

«n’a pas le droit de naviguer sur le fleuve Sa n Juan avec des bateaux de guerre, mais
[il] peut naviguer sur ledit fleuve avec des bateaux du service des douanes pour autant
que cela soit en rapport avec l’exercice du droit d’usage de ce fleuve «aux fins du

commerce» [guillemets ajoutés par le préside nt Cleveland] que lui reconnaît ledit
article, ou que cela soit nécessaire à la protection de ce droit d’usage» . 70

68Argumentation du Costa Rica, p. 155 ; DN, vol. II, annexe 5, p. 30.
69
Ibid., p. 156.
70MCR, vol. II, annexe 16, p. 98 ; les italiques sont de nous. - 29 -

17. Le président Cleveland a donc rejeté l’argument du CostaRica selon lequel celui-ci

devrait jouir de droits généraux de navigation sur le SanJuan avec des bateaux officiels, aux fins

précisées dans la question. Le président Clevela nd a dit explicitement que le CostaRica n’avait

pas le droit de naviguer sur le fleuve avec des bateaux de guerre. En limitant expressément les

droits du CostaRica de naviguer sur le SanJuan avec des bateaux officiels aux activités des

bateaux du service des douanes en rapport avec la navigation «con objetos de comercio», ou

«nécessaire[s] à la protection» de cette navigation, le présidentCleveland a exclu le droit pour le

Costa Rica de naviguer non seulement avec d’autres t ypes de bateaux officiels, mais aussi avec les

bateaux des douanes remplissant d’autres fonctions que celles ainsi précisées. Or, le CostaRica

revendique à présent le droit de naviguer sur l es eaux souveraines du Nicaragua avec des bateaux
33

ayant des armes à bord et d’autres bateaux officiels qui n’ont absolument aucun lien avec

l’exécution des dispositions douanières ou la protection du commerce.

18. Monsieur le président, les travaux préparatoires de la sentence du présidentCleveland

aident à comprendre pourquoi celui-ci a pu juger nécess aire d’interdire la navigation de la plupart

des catégories de bateaux officiels costa-riciens et d’imposer autant de conditions à la seule

catégorie qu’il a autorisée, à savoir celle des bateaux des douanes.

19. Comme examiné dans le contre-mémoire du Nicaragua 71, le présidentCleveland avait

chargé le secrétaire d’Etat adjoint George L. Rives de préparer un projet de recommandations pour

la sentence arbitrale. Sur la question de savoir si les bateaux de guerre ou d’autres bateaux officiels

costa-riciens devaient être autorisés à navigue r sur le SanJuan, Rives adopta une approche

comparable à celle que préconisait le Costa Rica et qui consistait à assimiler le droit de celu-ci de

naviguer avec des bateaux officiels sur le SanJuan au droit des bateaux officiels d’un Etat de

naviguer sur la mer territoriale d’un autre Etat. Ri ves conclut que les Etats côtiers «n’impos[ai]ent

72
pas de restrictions aux visites amicales de navires de guerre étrangers en temps de paix» . Il a

donc recommandé au présidentCleveland de ré pondre à la deuxième question qui lui avait été

posée, et qui concernait le droit pour le Costa Rica de naviguer sur le San Juan avec des bateaux de

guerre ou du service des douanes, de la manière suivante :

71
CMN, p. 120 et suiv., par. 3.1.46 et suiv.
72
Ibid., annexe 71. - 30 -

«[L]es navires de guerre et les bateaux du service des douanes appartenant au

CostaRica ont le[s] même[s] privilège[s] de navigation sur le fleuve SanJuan que
[ceux] qui [sont] généralement reconnu[s], su r leurs eaux territoriales, par les nations
civilisées aux navires d’Etat de puissances amies en temps de paix, ⎯ mais pas
73
d’autres privilèges ou des privilèges plus importants.»

20. Rives recommanda donc que la sentence reconnaisse des droits plutôt étendus de

navigation aux bateaux officiels du Costa Rica sur le San Juan, droits comparables à ceux que

revendiquait le Costa Rica dans le cadre de l’ar bitrage Cleveland et non dissemblables à ceux qu’il

revendique aujourd’hui. Cependant, le présidenC tleveland rejeta complètement la

recommandation de Rives (illustration SMcC-3).

21. Son désaccord avec Rives était tellement profond que le président Cleveland raya de sa

propre main toute la réponse recommandée par Rives, qu’il remplaça par sa propre décision,

74
beaucoup plus restrictive, qui apparaît à l’écran . Il s’agit du deuxième paragraphe, article, de sa

sentence. Les renvois répétés au traité de 1858, dans cet article, donnent une indication de la raison
34

qui a pu pousser le président Cleveland à agir ainsi. Celui-ci pensait sans nul doute que le traité

opérait un règlement territorial par lequel le Nicaragua cédait au CostaRica le large district de

Nicoya en échange de la pleine souveraineté sur le fleuve San Juan, voie navigable qui, en ce qui

concerne les droits de navigation du Costa Rica, n’est de toute évidence pas un fleuve international

comme ce dernier l’a prétendu tout récemment pendant ces audiences. La détermination du

président Cleveland à restreindre le moins possible la souveraineté du Nicaragua ressort clairement

de la limitation considérable des droits de navigation proposés par Rives pour le Costa Rica. Ainsi,

pour chacun des deux types de bateaux mentionnés da ns la deuxième question qui lui fut soumise,

le président Cleveland donna une réponse netteme nt différente de ce qu’avait recommandé Rives :

là où Rives proposait d’autoriser la navigation de bateaux de guerre costa-riciens, le

présidentCleveland conclut qu’aucun droit à une telle navigation n’existait, et là où Rives

proposait semblablement d’autoriser la navigation illimitée des bateaux des douanes costa-riciens,

le président Cleveland imposa de strictes restrictions à ce droit.

22. Il est par ailleurs révélateur de constater ce que le présidentCleveland n’a pas fait. En

premier lieu, ayant interdit les navires de guerre costa-riciens, il aurait pu autoriser la navigation

73
Ibid.
74
CMN, vol. 2, annexe 72, p. 258-259. - 31 -

sur le fleuve de bateaux de police et de bateaux militaires de moindre taille. Il n’en fit rien.

Deuxièmement, ayant répondu par la négative au sujet des bateaux de guerre, le

président Cleveland aurait alors pu simplement répondr e par l’affirmative, en des termes généraux,

au sujet des bateaux du service des douanes. Ça non plus, il ne le fit pas. Au lieu de cela, le

président Cleveland autorisa la navigation de ces bateaux du service des douanes costa-riciens sur

le SanJuan à une seule fin très précise, à savoir «pour autant que cela soit en rapport avec

l’exercice du droit d’usage de ce fleuve «aux fins du commerce» … ou que cela soit nécessaire à la

protection de ce droit d’usage». Ainsi, le président Cleveland ne reconnut même pas au Costa Rica

le droit de naviguer sur le SanJuan à toutes fins avec des bateaux des douanes. Il s’employa au

contraire à définir de manière très limitée et très précise le droit du Costa Rica de naviguer avec ces

bateaux, ajoutant des restrictions qui n’avaient pas été recommandées par Rives.

23. Il est clair que le présidentCleveland ne tenait pas à aller à l’encontre de sa propre

décision selon laquelle le CostaRica n’avait pas le droit de naviguer sur le SanJuan avec des

75
35 bateaux de guerre. En effet, co mme l’a reconnu le CostaRica mardi , le Nicaragua avait fait

valoir dans la réponse qu’il avait formulée pendant l’arbitrage que «les bateaux du service [des

douanes] [étaient] apparentés aux na vires de guerre. [Ce sont] des navires armés, capables de se

faire obéir par la force.» 76 Cette évaluation avait été reprise par George Rives dans le rapport qu’il

77
avait présenté au présidentCleveland . Que les deux types de bateaux ne puissent être

distinguables est particulièrement vrai sur un fleuve de taille relativement modeste comme le

San Juan, sur lequel un bateau officiel armé prend des proportions encore plus grandes.

24. Parce qu’elle a été en réalité analysée dans le cadre de l’arbitrage et reconnue par Rives,

cette caractéristique des bateaux des douanes n’aurait pas pu échapper au président Cleveland ⎯ et

le CostaRica nous en a apporté une preuve supplém entaire touchante mardi, sous la forme de la

78
courtoisie du présidentCleveland à l’égard de MissFolsom . Mais comment empêcher, ou du

moins contenir, la métamorphose d’une vedette en navire de guerre? La solution du

75CR 2009/3, p. 13 (Crawford).
76
CMN, annexe69. Réponse de la république du Nicaragua présentée à S. Exc. le prés ident Cleveland, p.49.
Voir analyse dans CMN, par. 4.2.14-15.
77
Rapport Rives (Deuxième), CMN, annexe 70, p. 4.
78CR 2009/3, p. 13, par. 23 (Crawford). - 32 -

présidentCleveland a été d’imposer de clair es restrictions à ce que les bateaux de douanes

costa-riciens pourraient faire. Ils pourraient uni quement naviguer sur le San Juan pour autant que

cela soit «en rapport avec» la navigation «con objetos de comercio» ou que cela soit nécessaire à la

protection de cette navigation. Cette formule re quiert pour ainsi dire un lien physique entre les

bateaux des douanes et les bateaux transportant des «objetos de comercio». Il est certain que sans

navigation «con objetos de comercio» il n’y a pas de droit de navigation pour les bateaux des

douanes costa-riciens, et il y a lieu de souligne r que ces bateaux sont les seuls types de bateaux

officiels que le Costa Rica est autorisé à faire naviguer sur le San Juan.

25. A la lumière de cette histoire, il ne semble pas exagéré de dire que le président Cleveland

aurait été assez surpris d’apprendre que le Costa Ri ca revendique aujourd’hui des droits étendus de

navigation sur le SanJuan avec des bateaux officiels aux fins notamment de ravitailler ses postes

frontière et de relever les membres du personnel de ces postes, munis de leur équipement officiel,

notamment leurs armes de service et leurs munitions.

26. Monsieur le président, comme je l’ai rappe lé plus tôt, le conseil du Costa Rica a soutenu

mardi que la seule question soumise au préside ntCleveland concernait l’autorisation de la

navigation des bateaux de guerre et des bateaux de douanes costa-riciens 7. Cependant, cet
36

argument ne tient pas compte des plaidoiries en l’affaire que je viens d’examiner. Clairement, le

CostaRica avait soumis à l’arbitre la question des droits généraux de navigation des bateaux

officiels, et, tout aussi clairement, le président Cleveland rejeta l’idée de tels droits.

Monsieur le président, le moment serait ve nu d’interrompre mon exposé si vous souhaitez

faire une pause. Autrement, puis-je continuer ?

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur McCaffrey. Je pense que vous feriez mieux

de poursuivre si vous n’en n’avez pas pour longtemps. Je vous remercie.

M.McCAFFREY: M’autorisez-vous à poursuivre? Je vous remercie, Monsieur le

président.

79
CR 2009/3, p. 9 (Crawford). - 33 -

III. LE DROIT DE PROTECTION DU C OSTA R ICA EN VERTU DE L ’ARTICLE VI ET SON PRÉTENDU

DROIT D ASSURER LA DÉFENSE DU FLEUVE AUX TERMES DE L ARTICLE IV

27. J’en arrive ainsi à mon troisième point, à savoir que ni l’articleVI du traité de1858 tel

qu’il fut interprété par le président Cleveland ni son article IV ne concernent en quoi que ce soit les

droits de protection et de défense tels que le CostaRica les revendique à présent. Dans ses

conclusions, le Costa Rica prie la Cour de conclure que le Nicaragua a violé :

«l’obligation de reconnaître aux bateaux offi ciels du CostaRica le droit de naviguer
sur le San Juan, notamment pour ravitailler et relever le personnel des postes frontière

établis sur la rive droite du fleuve, munis de leur équipement officiel, de leurs armes
de service et de munitions, ainsi qu’à des fins de protection comme il est prévu dans
les instruments pertinents, en particulier l’article 2 de la sentence Cleveland».

28. En concluant ainsi, le Costa Rica prie la Cour de lui tailler sur mesure un droit qu’il a

tenté, sans succès, d’obtenir du président Cleveland au XIX esiècle.

29. La réponse à la prétention du CostaRica à ce sujet est simple. Ainsi que nous l’avons

déjà vu, le président Cleveland a rigoureusement limité le champ d’action des bateaux des douanes

du CostaRica. Ainsi, le droit de protection du Costa Rica permet ni plus ni moins que la

navigation avec des bateaux du service des douanes «d ans les cas nécessaires à la protection» du

droit de navigation con objetos de comercio 81. Le Costa Rica revendique pourtant un large éventail

de droits qui sont sans rapport ni lien avec sa navigation con objetos de comercio , ce qui revient à

considérer le San Juan comme si la frontière suivait la ligne médiane et non la rive droite, et donc à
37

nier le compromis que traduit le traité de 1858 et, par là même, la souveraineté du Nicaragua sur le

fleuve. Toutefois, le Costa Rica n’a pas réfuté les réponses circonstanciées à ses prétentions, que le

Nicaragua a apportées dans son contre-mémoire et sa duplique.

30. S’irritant des restrictions à la naviga tion avec des bateaux officiels contenues dans

l’interprétation de l’article VI du traité de 1858 donnée par le président Cleveland, le Costa Rica se

saisit de l’articleIV pour amalgamer l’obligation de défense qui découle de cet article et le droit

restreint de protection que le président Cleveland a tiré de l’articleVI. L’articleIV renferme

l’obligation des deux Etats de «c oncour[ir] à [l]a défense» des baies de San Juan del Norte et de

Salinas situées aux extrémités de la frontière entre les deux pays sur l’Atlantique, ou les Caraïbes,

80
RCR, p. 188, Conclusions, par. 2 g).
81Sentence Cleveland, MCR, annexe 16, p. 34 ; les italiques sont de nous. - 34 -

et le Pacifique. L’article IV ne contient toutef ois aucune indication quant à l’emploi de bateaux à

cette fin. Cette obligation résulte directement du fait que les deux baies, aux termes de l’article IV,

«seront communes aux deux républiques».

31. Le Costa Rica cherche à construire sur cette base fragile un édifice entier de droits

relatifs à la navigation sur le fleuve. A vrai dire, il faisait valoir lors même de l’arbitrage Cleveland

que, suivant l’articleIV, il «d[evai]t être autorisé à maintenir ses bateaux sur le SanJuan pour le

82
garder et le défendre avec toute l’efficacité dont il [était] capable» . Le président Cleveland n’a

pas fait droit à cet argument ; le Costa Rica tente néanmoins de le ressusciter en l’espèce.

32. La raison pour laquelle le président Cl eveland n’accepta pas cet argument apparaît

d’emblée à la lecture de l’article IV. Après avoir accordé au Costa Rica le droit de concourir à la

défense des baies, avec le Nicaragua, dans la pr emière phrase, l’article IV passe, dans sa deuxième

phrase, à la question de la défen se du fleuve. Mais, le fleuve n’étant pas «commun[] aux deux

républiques», le Costa Rica doit, dans ce cas, pa rticiper à sa défense depuis sa rive du fleuve,

depuis son territoire terrestre. En particulier, aux termes de la se conde phrase de l’articleIV, le

Costa Rica a l’obligation, en ce qui concerne «la partie qui lui revient des rives du fleuve»

SanJuan, de «concour[ir] à sa défense en cas d’ agression extérieure…». Le libellé de cette

disposition ne pouvait être plus clair: le Costa Rica n’a pas le droit de concourir à la défense du

fleuve par bateau ; son obligation ne couvre que «la partie qui lui revient des rives du fleuve…».

38 33. Monsieur le président, ainsi que le Nicara gua l’a examiné en détail dans ses écritures, le

second rapport du secrétaire d’Etat adjoint Rives confirme que le Costa Rica n’est pas en droit de

«défendre» ou de «protéger» le fleuve à l’aide de bateaux officiels. Dans ce rapport, Rives faisait

remarquer à propos de l’article IV :

«Tout ce que requiert cet article, c’est que le CostaRica repousse toute

agression extérieure sur le fleuve avec toute l’efficacité dont il est capable … [et il
soulignait «dont il est capable»]. Le CostaRica aurait seulement pour obligation de
contribuer à la défense de ce cours d’eau de puis la terre [affirmait-t-il], un mode de

défense qui par83t d’ailleurs mieux adapté à un fleuve de la dimension et de la nature
du San Juan.»

82
Rapport Rives, CMN, vol. II, annexe 71, p. 253 ; les italiques sont de nous.
83
CMN, vol. II, annexe 71, p. 142 ; les italiques sont dans l’original. - 35 -

34. En effet, Monsieur le président, le fle uve SanJuan, même s’il ne s’agit pas d’un cours

d’eau sans importance, se compare difficilement à l’Amazone, au Rhin, au Nil ou au Mississipi.

En outre, rien dans la sentence du président Cleveland ne contredit l’interprétation de Rives.

35. Pour les raisons que je viens d’exposer , le Nicaragua demande respectueusement à la

Cour de rejeter l’argument du CostaRica selon lequel l’articleIV du traité de1858 a «des

conséquences pour la navigation costa-ricienne sur le San Juan».

36. Monsieur le président, même si les Par ties conviennent que l’étendue des droits de

navigation du Costa Rica avec des bateaux officiels doit être définie en fonction du traité de limites

de1858 et de la sentence arbitrale de1888 84, le Costa Rica invoque quatre autres accords et

communiqués 85qu’il érige en éléments du «droit applicable» 86. Comme l’a montré le Nicaragua

87 88
dans son contre-mémoire et dans sa duplique , ces instruments n’appuie nt en rien la thèse du

Costa Rica. Dans ses pièces écrites ainsi que da ns ses plaidoiries, le CostaRica semble accorder

—de manière inexplicable— la plus grande valeur à ce qu’il est convenu d’appeler le

communiqué commun Cuadra-Lizano du 30juillet1998, bien que cet accord avorté anéantisse en

réalité ses arguments. Le Costa Rica qualifie à tort le communiqué de «règle[]

89
conventionnelle[]» . Mais, de quelque manière qu’il soit qualifié, ce communiqué porte

gravement préjudice aux arguments du CostaRica parce qu’il montre que celui-ci reconnaît avoir

besoin de l’autorisation du Nicaragua pour navigu er sur le fleuve avec de s bateaux officiels et

armés afin de ravitailler ses postes frontière. En particulier, le communiqué prévoyait que, afin de
39

naviguer sur le fleuve SanJuan avec des bateaux officiels aux fins d’apporter ravitaillement et

relève à ses postes de police situés le long du fleuve, la Guardia Civil du Costa Rica devait obtenir

la permission du Nicaragua dans chaque cas —dans chaque cas— et que cette permission était

toujours subordonnée à trois conditions important es: premièrement, chaque voyage devait être

précédé d’une demande d’autorisation; deuxièmement, les autorités nicaraguayennes devaient

84Voir, par exemple, RCR, par. 1.18.

85RCR, par. 3.81.
86
Ces documents sont analysés dans le CMN, par. 3.2.1-3.2.14.
87
Voir ibid.
88Voir DN, chapitre II, section II, par. 5.94-5.99.

89RCR, par. 3.81. - 36 -

pouvoir accompagner les bateaux costa-riciens si tel était le souhait du Nicaragua; et

troisièmement, les bateaux de la Guardia Civil devaient faire halte à tous les postes de l’armée

nicaraguayenne se trouvant sur leur trajet.

37. Ce texte, a affirmé lundi le conseil du Costa Rica, établit un équilibre tout à fait

acceptable entre les intérêts des deux Parties 90. Peut-être bien, mais il ne conforte certainement pas

le droit de portée générale que défend le CostaRica. Au cont raire, il montre que le prétendu

«droit» du Costa Rica à naviguer à ces fins dépend entièrement de l’autorisation au cas par cas du

Nicaragua. Plus important encore, le fait mê me que le CostaRica s’estimait tenu d’obtenir

l’accord du Nicaragua sur l’établissement de ces procédures dans le communiqué et sa déception

devant leur défaut de mise en Œuvre démont rent, sans l’ombre d’un doute, que le CostaRica

n’avait pas —et ne croyait pas lui-même en avoir— de droit général de naviguer sur le fleuve

avec des bateaux officiels pour ravitailler et releve r les postes de police établis le long du fleuve.

Quoi qu’il en soit, comme l’a fait observer le Nicaragua, puis le Costa Rica lundi, ce communiqué

ne fut jamais mis en Œuvre.

38. Le Costa Rica revient ensuite au droit effectivement applicable, citant quatre ra
isons qui

militeraient en faveur d’«un droit de navigation sur le SanJuan pour les navires officiels du

91
CostaRica transportant des policiers munis de leurs armes de service» . La première raison est

que «le ravitaillement des postes est couvert par le droit de libre navigation aux fins du commerce

92
tel qu’il est énoncé à l’articleVI du traité de 1858» . J’ai déjà montré qu ’une interprétation de

l’articleVI autorisant un droit illimité de navigue r avec des bateaux officiels transportant des

policiers armés viderait cette di sposition de son sens, effaçant toutes les restrictions que le

présidentCleveland a pris soin de placer même s’agissant des bateaux du service des douanes du

Costa Rica.

40 39. De nouveau, lors des présentes audiences, le Costa Rica évoque le voyage malheureux de

l’Adela pour tenter de montrer que son prétendu droit de naviguer sur le cours inférieur du

90CR 2009/2, p. 43, par. 39 (Caflisch).
91
RCR, par. 3.86.
92Ibid. - 37 -

93
SanJuan avec des bateaux officiels arm és est étayé par la pratique ultérieure . Comme le

Nicaragua l’a souligné dans ses écritures 94, en fait cet incident prouve le contraire. Si l’officier

costa-ricien pensait qu’il avait le droit de navi guer sur le cours inférieur du SanJuan avec des

armes, pourquoi a-t-il éprouvé la nécessité (et je cite son rapport) de «cacher les armes et les

munitions que je transportais en territoire costa-ricien» 95 avant de demander l’autorisation de

poursuivre ? Ce fait gênant mais crucial est ignoré par le Costa Rica. Ce que prouve cet incident

n’est pas du tout que le Costa Rica avait le droit de naviguer sur le cours inférieur du San Juan avec

des armes mais plutôt, tout simplement, qu’il a manqué à son obligation de ne pas y naviguer avec

des bateaux officiels armés sans lien avec la navigation «con objetos de comercio» et qu’il savait

qu’il y avait manqué.

40. La deuxième raison qui selon le Costa Rica milite en faveur d’un droit de navigation sur

le San Juan pour ses navires officiels transportant des policiers armés est que «la navigation au titre

96
de l’article VI du traité de 1858 ne peut êt re effectivement protégée sans ces bateaux» . Mais le

seul de type de navigation autorisée par l’articleVI est la navigation «con objetos de comercio».

Même si le CostaRica utilisait le San Juan pour transporter des marchandises ⎯ce qu’il ne fait

97
pas ⎯ les seuls bateaux qu’il est autorisé à utiliser pour protéger la navigation «con objetos de

comercio» en vertu du deuxièmement de la sentence Cleveland sont les bateaux du service des

douanes. Et même ces bateaux ne peuvent êt re utilisés que dans la mesure où ils sont

«nécessaire[s] pour la protection de» cette navigation. Il est évident que le CostaRica ne peut

prouver qu’il en est ainsi s’il ne navigue pas «con objetos de comercio». Même si tel était le cas, il

serait tenu de prouver la nécessité, à la lumière du deuxièmement de la sentence du président

Cleveland. Mis à part le droit limité de navigation des bateaux du service des douanes costa-ricien,

un droit lié à la navigation «con objetos de comercio », c’est donc le Nicaragua qui a à la fois le

droit et la responsabilité d’assurer la police de la navigation sur le fleuve.

93CR 2009/3, p. 16 (Crawford).
94
Par exemple, CMN, par. 4.2.19-4.2.23.
95
MCR, vol. 6, annexe 209.
96RCR, par. 3.86.

97DN, par. 5.63 et suiv. - 38 -

41 41. La troisième raison qui selon le Costa Rica milite en faveur d’un droit de navigation sur

le San Juan pour ses bateaux officiels transportant des policiers armés est «la défense de la frontière

commune et des baies communes au titre de l’article IV du traité» 98. Monsieur le président, je ne

répèterai pas ce que j’ai déjà d it quant aux raisons pour lesquelles l’articleIV n’autorise pas le

Costa Rica à naviguer sur le fleuve pour défendre «la frontière commune [ou] les baies communes»

et pourquoi il n’est pas nécessaire que le Costa Rica le fasse.

42. La quatrième et dernière raison qui selon le CostaRica milite en faveur d’un droit de

navigation sur le SanJuan pour ses bateaux offici els transportant des policiers armés est qu’«il

serait impossible, sans ravitaillement adéquat des postes frontière, de prévenir ou d’empêcher les

activités illicites (contrebande, traite des personnes) dans la zone frontalière (terrestre). Il serait

également impossible de réaliser en temps utile des actes officiels comme des enquêtes

policières.» 99 En fait, c’est un argument qui a besoin de créer des droits, ou peut être même avancé

dans ce but. Mais en l’espèce, compte tenu des preuves, ce que semble en fait dire le Costa Rica

est qu’il lui serait plus facile d’accomplir ces t âches en passant par le territoire souverain du

Nicaragua, et non qu’il lui sera impossible de les ac complir s’il n’est pas autorisé à naviguer sur le

SanJuan avec ses bateaux officiels. Si les routes sont boueuses ou même n’existent pas, il

incombe au CostaRica, non au Nicaragua, de les entretenir ou de les construire. La police du

fleuve est, après tout, une fonction réservée au s ouverain, le Nicaragua. Elle ne constitue pas un

droit ni une responsabilité du CostaRica. Même si, de manière hypothétique, il était impossible

pour le Costa Rica d’exercer ces fonctions sans utili ser le fleuve, à l’évidence cela ne créerait pas

pour lui un droit de l’utiliser. S’il souhaite compléter la police du fleuve qu’assure le Nicaragua, il

lui est bien entendu loisible de demander à ce dernier l’autorisation de naviguer sur le fleuve.

43. Le CostaRica s’intéresse ensuite au seul type de bateaux officiels que le président

Cleveland a effectivement autorisés à naviguer su r le SanJuan: les bateaux du service des

douanes. Citant la deuxième condition à laquelle le président Cleveland a assujetti la navigation

des bateaux du service des douanes costa-ricien, à sa voir, que cette navigation soit «nécessaire à la

protection» de la navigation «c on objetos de comercio», le CostaRica affirme que ceci renvoie à

98
RCR, par. 3.86.
99
Ibid. - 39 -

«l’évidence aux questions de défense». Or, rienne pourrait être moins évident. Le président

Cleveland, ayant décidé que les bateaux de guerre costa-riciens ne pouvaient naviguer sur le

SanJuan, n’a guère pu autoriser le CostaRica àutiliser les bateaux de son service des douanes

comme cheval de Troie naval devant permettre à se s bateaux de guerre de na viguer sur le fleuve.

Bien entendu, le problème est en partie terminologi que. Le Costa Rica refuse d’appeler ses forces

armées une armée, et pourtant il fait valoir qu’il de vrait être autorisé à défendre le fleuve au moyen

de ses forces de police armées. De même, il ne prétend pas avoir le droit de naviguer sur le fleuve

avec des navires de guerre mais insiste sur son droit d’y naviguer avec des bateaux officiels

transportant des policiers armés. Mais quellque soit la terminologie utilisée, le CostaRica ne
42

peut citer aucune disposition du traité de 1858 ou de la sentence arbitrale de 1888 qui l’autorise à

naviguer sur le San Juan avec des bateaux costa-riciens transportant du personnel armé sans aucun

rapport avec la navigation «con objetos de comercio».

44. Monsieur le président, Messieurs de la C our, je vous remercie pour votre courtoisie et

votre bienveillante attention. Monsieur le président, je vous serais maintenant obligé d’appeler

mon collègue, M. Paul Reichler, à la barre.

Le PRESIDENT : Je remercie M. McCaffrey de son exposé. Avant d’appeler M. Reichler à

la barre, la Cour va faire une courte pause.

L’audience est suspendue de 11 h 45 à 11 h 55.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. J’appelle maintenant à la barre M. Reichler.

M. REICHLER :

LA NAVIGATION DU C OSTA R ICA SUR LE SAN JUAN AVEC DES BATEAUX OFFICIELS :
LA PRATIQUE DES PARTIES

1. Merci de me donner de nouveau la parole, Monsieur le président, puisque j’ai le grand

honneur, aujourd’hui, d’intervenir à deux reprises deva nt la Cour. Je m’efforcerai cette fois d’être

plus bref. - 40 -

2. Il m’incombe à présent d’examiner les éléments de preuve présentés par les Parties

relativement à la pratique en matière de navigati on des bateaux officiels costa-riciens. Ainsi que

M.McCaffrey l’a démontré, le CostaRica n’a, en vertu du traité de limites de1858 et de la

sentence Cleveland de 1888, nullement le droit de naviguer sur le fleuve avec des bateaux officiels

autres que ceux de son service des douanes, ni même le droit d’y naviguer avec ceux-là si ce n’est à

des fins en rapport avec la navigation «con objetos de comercio».

3. Dès lors que le traité de 1858 et la sente nce Cleveland sont clairs et contraignants à cet

égard, point n’est besoin que la Cour aille au-delà du libellé de ces instruments juridiques pour en

discerner le sens. Se fondant sur ce qu’il prétend être la pratique des Parties, le Costa Rica soutient

néanmoins qu’il a le droit de naviguer sur le San Juan avec des bateaux officiels autres que ceux de

son service des douanes et, plus particulièrement, avec des bateaux de police ayant des armes à leur

bord et exerçant des fonctions de police, ainsi qu’avec d’autres bateaux officiels exerçant des

43 fonctions typiques de la puissance publique. La thèse du CostaRica est que le comportement

constant manifesté par les Parties l’une envers l’au tre depuis l’adoption du traité de limites indique

que, en vertu des principes du droit international géné ral régissant le droit des traités, leur pratique

ultérieure reflète l’existence d’un accord sur une interprétation du traité de 1858 selon laquelle cet

instrument prévoirait un droit général de navigation pour tous les ba teaux officiels co sta-riciens.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le Costa Rica se fourvoie.

4. Pour le dire simplement, le CostaRica n’a présenté aucun élément de preuve établissant

l’existence d’un comportement commun des Parties qui pourrait être considéré, d’un point de vue

juridique, comme reflétant un accord sur l’interprétation du traité de 1858. Les éléments de preuve

qui vous ont été présentés, et plus particulièreme nt ceux qui l’ont été par le Costa Rica lui-même,

infirment en réalité la thèse de ce dernier en ce qui concerne la pratique des Parties. Ce que ces

éléments de preuve démontrent, c’est que: premièrement, le Nicaragua n’a jamais nié le droit du

CostaRica de naviguer sur le SanJuan avec des bateaux de son service des douanes, pour autant

que ce fût à des fins en rapport avec le commerce, et n’a jamais entravé l’exercice de ce droit. Le

Costa Rica n’a présenté aucun élément de preuve a ttestant qu’il ait jamais, de fait, tenté d’exercer

ce droit particulier ni ⎯ce qui est plus pertinent encore ⎯ que le Nicaragua ait jamais entravé

l’exercice de ce droit. - 41 -

5. Deuxièmement, la pratique des Parties n’étaye pas la revendication du Costa Rica relative

à un droit de naviguer avec des bateaux de police ou d’autres bateaux officiels afin d’exercer des

fonctions de police ou des fonctions officielles. A cet égard, les éléments de preuve démontrent en

particulier que le Nicaragua n’a jamais, que ce soit par ses déclarations ou son comportement,

reconnu, accepté ou admis un droit du Costa Rica de naviguer sur le San Juan avec des bateaux de

police ou d’autres bateaux officiels ayant à leur bord des représentants du gouvernement exerçant

des prérogatives de puissance publique. Bien au contraire, les éléments de preuve attestent que le

Nicaragua n’a jamais permis à des bateaux de police ou d’autres bateaux officiels costa-riciens à

emprunter le fleuve, sauf lorsque le CostaRi ca avait préalablement demandé et obtenu son

autorisation expresse. Les éléments de preuve démontrent en outre que le CostaRica s’est

conformé aux exigences du Nicaragua, lui demandant son autorisation avant de naviguer sur le

fleuve avec ses bateaux officiels. Les éléments de preuve attestent enfin que, lorsque le Nicaragua

a refusé d’autoriser la navigation, les bateaux costa -riciens se sont abstenus d’emprunter le fleuve.

Dès lors, la conclusion qu’il convient de tirer des éléments de preuve rela tifs à la pratique des

Parties est que ceux-ci démontrent que le CostaRica ne jouit d’ aucun droit de naviguer sur le

SanJuan avec ses bateaux officiels, sauf dans les circonstances limitées où les bateaux de son

44 service des douanes empruntent le fleuve à des fins en rapport avec la navigation «con objetos de

comercio». Or, ce droit limité de navigation n’a jamais été nié ou violé par le Nicaragua.

A. LES PREUVES RELATIVES À LA NAVIGATION DE BATEAUX DU SERVICE DES DOUANES
COSTA RICIEN

6. J’en viens au premier point, à savoir que le Costa Rica n’a pas, de fait, exercé son droit de

naviguer sur le San Juan avec des bateaux du service des douanes, et que, en tout état de cause, le

Nicaragua n’a jamais entr avé l’exercice de ce droit. L’on peut raisonnablement présumer que, si

les bateaux du service des douanes costa-ricien av aient régulièrement vogué sur le SanJuan, le

CostaRica disposerait des documents à même de le prouver. De même, si le Nicaragua avait

jamais porté atteinte à ce droit en refusant, pa r exemple, à un tel bateau l’accès au fleuve, l’on

serait en droit de supposer le fait officiellement documenté et de s’attendre à ce que le Costa Rica

produise les documents qui l’attestent. Aussi est-il significatif que le Costa Rica n’ait présenté à la

Cour aucun document officiel ⎯ ni, du reste, aucun autre moyen ⎯ qui établirait soit qu’il exerçait - 42 -

effectivement ce droit, soit ⎯ plus important, là encore ⎯ que le Nicaragua le lui aurait dénié. Les

principaux éléments de preuve produits par le Co staRica consistent en de très rares rapports de

gardes douaniers, basés à proximité du fleuve San Ju an, qui remontent à la période 1893-1909. Le

CostaRica affirme, dans ses écritures, que «[d]es rapports de1893 à1909 évoquent les

nombreuses activités des gardes douaniers («resguardos») dans la région de la frontière du

San Juan» 100. La Cour relèvera le caractère imprécis de l’expression «dans la région de la frontière

du SanJuan», par opposition à l’expression «sur le SanJuan». La phrase qui suit est non moins

significative: «A n’en pas douter, ces gardes utilisaient le San Juan pour exercer leurs

101
fonctions» . L’utilisation de la locution «à n’en pas douter» occupe la place que la Cour pourrait

s’attendre à voir réserver à la démonstration e ffective du fait dont, nous dit-on, il n’y aurait pas à

douter. Or, il n’y a point de démonstration. A la vérité, aucun des rapports datant de cette période

produits par le Costa Rica ne comporte la moindre référence à une navigation effective des bateaux

de son service des douanes sur le San Juan. Comme l’a montré le Nicaragua dans sa duplique, aux

paragraphes 5.68 à 5.70, ainsi que sur le croquis 8, page 256, tous les cours d’eau, postes de police

et communautés mentionnés dans ces rapports sont situés au CostaRica et les gardes douaniers

pouvaient s’y rendre en empruntant les voies d’ea ux costa-riciennes, sans avoir à traverser le

SanJuan. M.Crawford a affirmé mardi qu’il r essortait des éléments de preuve que les gardes

45 douaniers costa-riciens effectuaient des opéra tions de reconnaissance hebdomadaires sur le

San Juan, mais il n’a renvoyé, dans sa plaidoirie, qu’à un seul document ⎯ qui date de 1886, et qui

102
n’indique rien de tel . Ce document n’est rien d’autre qu’un décret du Gouvernement costa-ricien

instituant la garde douanière et définissant ses f onctions, lesquelles étaient, effectivement, pour

103
partie en rapport avec le SanJuan; il n’apporte aucune indication quant à la conduite effective

de cette garde.

7. Les éléments de preuve suivants du Costa Rica datent de1968, et il n’existe aucune

preuve d’activités des gardes douaniers costa-ricien s au cours de ce long intervalle. Les rapports

100MCR, par. 4.89.
101
Ibid.
102
Voir CR 2009/3, p. 17, par. 33.
103MCR, annexe 206, art. 5. - 43 -

de1968, comme les précédents, ne contiennent aucun élément dont il puisse être déduit que des

gardes douaniers ou des bateaux du service des douanes ont effectivement navigué sur le

San Juan 104.

8. Le CostaRica n’a produit aucun document officiel ou public concernant les activités de

ses gardes douaniers sur le SanJuan, ou dans les environs, postérieur à ces documents —sans

poids aucun— de1968. Aussi n’existe-t-il, à la vérité, pour toute la péri ode s’étendant de la

conclusion du traité de 1858 à nos jours, aucun document ou rapport officiel attestant une

quelconque navigation physique pa r un quelconque bateau du service des douanes costa-ricien sur

le San Juan.

9. Or cette absence d’éléments de preuve s’explique. Les activités de commerce

international auxquelles le Costa Rica espérait se livre r via le fleuve San Juan à l’époque du traité

de1858 ne se concrétisèrent jamais. Mes honorab les confrères RemiroBrotóns et AlainPellet

l’ont expliqué hier de manière très détaillée. Pour les raisons exposées par mes chers amis, le

commerce costa-ricien sur le fleuve se contracta tant que le Costa Rica finit par fermer ses postes

105
frontière le long du SanJuan, et même ceux qu’il avait établis aux sources de ses affluents .

Ainsi, si le Costa Rica conservait assurément ⎯ et conserve à ce jour ⎯ le droit de naviguer sur le

SanJuan avec des bateaux de son service des douan es «con objetos de comerc io», il n’a, de fait,

pas ou guère eu l’occasion d’exercer ce droit, parce qu’il n’y a tout simplement pas eu de

navigation costa-ricienne «con objetos de comerci o» de quelque importance et, partant, rien qui

46 requît la présence de postes de douane ou le dé tachement de ses bateaux des douanes sur le

San Juan. Le Costa Rica ne saurait faire grief au Nicaragua du fait qu’il n’a pas exercé ses droits.

Aucun élément de preuve ne vient à l’appui d’un tel gr ief. Il n’y a, en particulier, rien qui montre

que le Nicaragua aurait dissuadé le CostaRica d’exercer son droit, ou violé celui-ci d’une

quelconque façon. Au contraire, même si le Co sta Rica était en mesure de produire des preuves

attestant une utilisation effective du fleuve pa r des bateaux de son service des douanes, le

Nicaragua a toujours reconnu et respecté ce droit conventionnel, et il continue de le faire. Il n’y a

pas eu de violation.

104
Voir DN, par. 5.72.
105
Voir DN, par. 3.53, 4.10-4.11 ; DN, vol. II, annexe 50. - 44 -

B. L ES PREUVES RELATIVES À LA NAVIGATION DES BATEAUX DE

LA POLICE COSTA -RICIENNE

10. Le second point, s’agissant de la pratique des Parties, concerne les éléments de preuve

produits par le Costa Rica pour démontrer qu’il navi gue sur le San Juan avec des bateaux officiels

autres que ses bateaux des douanes, à des fins sa ns rapport avec la navigation «con objetos de

comercio».

11. Le Costa Rica n’a présenté que deux documents officiels attestant la navigation de sa

police sur le San Juan. Le plus ancien date de mai 1992, soit 134 ans après l’entrée en vigueur du

traité de1858. Il n’existe aucune trace offici elle d’une telle pratique pendant les 134premières

années. Mardi dernier, M.Crawford s’est réfé ré à ce document de1992 , affirmant que celui-ci

⎯ je cite ⎯ «montr[ait] qu’il était habituel que les policiers patrouillent sur le San Juan» 106. C’est

un peu exagéré. Une fois tous les 134ans n’a ri en d’«habituel». En réalité, ce document ne fait

mention, dans une seule courte phrase, que d’une seu le patrouille effectuée sur le SanJuan par la

107
police costa-ricienne . Il ne précise pas quel était le but de cette patrouille, ni si une autorisation

avait été préalablement requise ou obtenue auprès du Nicaragua.

12. Le seul autre document d’archives officiel produit par le Costa Rica pour montrer que sa

police naviguait sur le SanJuan est un registre 108 tenu de1994 à1998 par le commandant du

postefrontière costa-ricien de Sarapiquí. Il est assez étonnant que le CostaRica, tout en

revendiquant un droit qu’il fonde su r une pratique prolongée, constante et continue des Parties, ne

soit en mesure de produire, pour attester cette pratique, qu’un seul document officiel, qui ne couvre

qu’une période de quatre ans (hormis un incident isolé en1992). A l’évidence, aucun autre

47 document officiel, pendant toute l’existence du traité, n’a jamais confirmé cette prétendue pratique.

Cela suffit en soi à démontrer combien la revendication du CostaRica est peu solide. Le registre

couvrant la période1994-1998 fait effectivement référence à une soixantaine d’occasions

⎯ environ une par mois ⎯ où des bateaux de la police costa-ricienne ont traversé le San Juan pour

ravitailler ou relever le personnel des postes frontière ou pour mener des activités de maintien de

10Voir CR 2009/3, p. 17, par. 33.
107
Voir RCR, vol. 2, annexe 38.
10MCR, vol. 6, annexe 227. - 45 -

109
l’ordre . Il ne précise pas si les bateaux demandaie nt, ou au contraire ne demandaient pas, une

autorisation préalable au Nicaragua.

13. Cette information figure en revanche dans un autre document officiel de l’époque, que le

Nicaragua a produit en annexe à sa duplique. Il s’agit du compte rendu d’une réunion tenue en

juillet2000 entre le ministre costa-ricien de la sécurité publique et le commandant en chef de

l’armée nicaraguayenne, accompagnés d’autres hauts responsables de la sécurité des deux Etats, au

cours de laquelle a été débattue la question de la navigation des bat eaux costa-riciens sur le fleuve,

pendant la même période précédant1998 qui est couverte par le registre costa-ricien 110. Vous

pouvez voir à l’écran le passage pertinent de ce comp te rendu, qui figure également dans le dossier

de plaidoiries. Au cours de cette réunion, le conseiller en droit international du ministère

costa-ricien de la sécurité publique, le colone l Carlos Alvarado Valverde, a déclaré qu’avant

juillet1998, date à laquelle le Nicaragua avait cessé d’autoriser les bateaux de la police

costa-ricienne à emprunter le fleuve, ces bateaux naviguaient «avec l’autorisation préalable de

l’armée nicaraguayenne, qui procédait à une véri fication de l’équipage et du contenu du bateau
111
chaque fois que celui-ci franchissait un poste» . Le ministre costa-ricien de la sécurité publique,

M. Rogelio Ramos Martínez, avait alors proposé de rétablir ces conditions à l’identique, ce qu’il

appelait «l’état antérieur à1998» 112. Ce document corrobore la position du Nicaragua, à savoir

que les bateaux de la police costa-ricienne ne na viguaient sur le San Juan qu’après avoir demandé

et obtenu l’autorisation du Nicaragua.

14. Alors que la procédure écrite était déjà close, le CostaRica a sollicité et obtenu

l’autorisation de la Cour de présenter des docum ents supplémentaires. L’un de ces documents est

une déclaration sous serment du colonel Walter Navarro, qui déclare avoir été directeur de la police

costa-ricienne de mai 1998 à février 2006. Le colonel Navarro était l’un d es trois représentants du

48 Costa Rica à la réunion de juillet 2000 dont les débats sont consignés dans le compte rendu. Il est

donc révélateur qu’il ne fasse pas la moindre allusion à cette réunion dans sa déclaration, ni au

109Voir DN, par. 5.78.
110
DN, vol. II, annexe 68.
111
Ibid., p. 423-424.
112Ibid., p. 423. - 46 -

compte rendu, et qu’il ne démente pas non plus par ticulièrement les propos attribués au ministre

costa-ricien de la sécurité publique ou à son con seiller en droit international, lequel, d’après le

compte rendu, a reconnu que les bateaux de la poli ce costa-ricienne ne naviguaient jamais sur le

SanJuan hormis «avec l’autorisation préalable de l’armée nicaraguayenne, qui procédait à une

vérification de l’équipage et du contenu du bateau chaque fois que celui-ci franchissait un poste».

Le fait que le colonelNavarro n’ait pas commenté directement, ni même mentionné, le compte

rendu dans une déclaration soumise plus de qua tre mois après que le CostaRica en ait eu

connaissance par la duplique ⎯dans laquelle il est amplement commenté ⎯ confirme à la fois

l’authenticité et la fiabilité de ce document. Tout aussi révélateur est le fait que le Costa Rica n’ait

pas produit une déclaration émanant de l’un au moins des deux autres hauts représentants qui

participaient à la réunion de juillet2000. On peut supposer que si le ministre costa-ricien de la

sécurité publique, M.RamosMartínez, ou son con seiller en droit international, le colonel

Carlos Alvarado Valverde, avaient été disposés à cont redire les propos qui leur sont attribués dans

le compte rendu de la réunion, le Costa Rica n’aurait pas manqué de produire leurs déclarations en

même temps que celle du colonelNavarro. Qu’i l ne l’ait pas fait confirme que ses hauts

fonctionnaires ont bien tenu ces propos.

15. Les réponses données par le Costa Rica, lundi et mardi, au sujet du compte rendu ne font

qu’en confirmer la fiabilité. Mme Parlett a préféré ignorer ce document. Elle a déclaré que les

déclarations sous serment des militaires nicaraguayens ⎯ auxquelles il ne faudrait pas, selon elle,

ajouter foi ⎯ étaient les seuls éléments de preuve à l’appui du l’argumentation de Nicaragua, qui

soutient que la police costa-ricienne ne naviguait pas sur le San Juan sans avoir demandé et obtenu

son autorisation. Elle a insisté sur le fait que , hormis ces déclarations, aucun élément de preuve

113
documentaire n’étayait la thèse nicaraguayenne . Elle n’a fait aucune allusion au compte rendu

de juillet 2000. M. Crawford, lui, a jugé plus sage de ne pas en faire totalement abstraction. Mais

sa tactique ne s’est pas révélée plus judicieuse que celle de Mme Parlett. Il a laissé entendre que la

Cour devrait ignorer ce document parce que «[r]ie n n’indiqu[ait] qu’il [eût] été approuvé ou même

114
vu par quiconque du côté costa-ricien» . Or, nous savons que la Partie costa-ricienne l’a vu huit

113
CR 2009/3, p. 51, par. 27.
114CR 2009/3, p. 19, par. 40. - 47 -

mois auparavant, lorsqu’il a été soumis à la Cour en tant qu’annexe à la duplique du Nicaragua;

nous savons qu’elle a eu pendant ce temps tout le lo isir de le discréditer, au moyen des documents

49 ⎯ notamment des déclarations sous serment ⎯ qu’elle a produits après la clôture de la procédure

écrite; nous savons que le colonelNavarro n’y a fa it aucune allusion dans sa récente déclaration

sous serment ; et nous savons qu’aucun des deux fo nctionnaires costa-riciens dont les propos sont

consignés dans ce compte rendu n’a démenti ou désa voué la teneur de celu i-ci. Autrement dit,

nous savons que le Costa Rica a eu tout le loisir de présenter des preuves pour contredire le compte

rendu, et qu’il ne l’a pourtant pas fait.

16. Et M.Crawford le sait aussi, ce qui explique probablement qu’il se rabatte sur

l’argument qu’«aucun crédit ne devrait être accordé à ce document» sous prétexte qu’il n’est pas

authentifié par son auteur, le col onelMolina. C’est précisément à cet argument-là qu’il faudrait

n’accorder aucun crédit. Le compte rendu est au thentifié par la déclaration sous serment du

général Javier Carrión, commandant en chef de l’ armée nicaraguayenne, qui dirigeait la délégation

nicaraguayenne lors de la réunion. Cette déclarati on sous serment est authentifiée à son tour par le

propre colonelMolina, qui l’a recueillie en sa qualité d’officier public, ce qui l’obligeait,

conformément à la loi, à s’assurer qu’elle ne contenait aucune information inexacte. En tout état de

cause, si la Cour souhaite avoir une nouvelle c onfirmation de l’authenticité du compte rendu, le

colonelMolina, qui en est l’auteur et qui se trouve ici à LaHaye en ta nt que membre de la

délégation officielle nicaraguayenne, est prêt à répondre à toute question à ce sujet.

17. Les déclarations sous serment produites par le Nicaragua corroborent elles aussi la

pratique des Parties avant1998. Cinq de ces d éclarations émanent de commandants de l’armée

nicaraguayenne qui furent chargés de la sécurité sur le San Juan entre1979 et2007. Leur

témoignage confirme que, jusqu’au milieu de l’ année1998, la police costa-ricienne ne naviguait

115
pas sur le fleuve sans y avoir préalablement été autorisée par l’armée nicaraguayenne , et qu’elle

menait des activités d’application de la loi sur le fl euve lorsqu’elle y était invitée par le Nicaragua

dans le cadre d’opérations c onjointes de maintien de l’ordre 116. La procédure suivie pour les

115
Voir DN, par. 5.80-5.85 ; ibid., vol. II, annexes 68, 69, 72, 73, 77 et 78.
116
Voir DN, par. 5.102-5.108. - 48 -

117
missions de ravitaillement était la suivante : un responsable de la police costa-ricienne

demandait verbalement l’autorisation de naviguer sur le SanJuan pour ravitailler les postes, et le

Nicaragua accordait cette autorisation de manière verbale également. Le bateau costa-ricien

informait ensuite les postes nicaraguayens lorsqu’il arrivait sur le fleuve et lorsqu’il en repartait.

50 Pendant la durée de son passage, toutes les armes de service étaient rangées sur le pont. Un soldat

nicaraguayen restait à bord tant que le bateau se trouvait sur le San Juan.

18. Les éléments de preuve documentaire soumis par le Costa Rica confirment que, dans ces

rares occasions où la police costa-ricienne a mené des activités d’application de la loi sur le fleuve,

c’était toujours avec l’autorisation expresse du Nicaragua. Le CostaRica n’a produit que trois

documents faisant état d’activités d’application de la loi menées sur le fleuve: le premier date

de1892, le deuxième de1995 et le troisième, de1998. Celui de1892 a été évoqué par

118
M. Crawford ; mais il ne vient pas étayer son argument, selon lequel le CostaRica aurait des

droits unilatéraux de navigation sur le fleuve aux fins d’application de la loi. Ce document est un

rapport dans lequel le chef de la garde basée sur la rive du Colorado, au CostaRica, indique

explicitement que les autorités nicaraguayennes l’ont autorisé à saisir toute marchandise de

contrebande et tout délinquant «sur les ri ves nicaraguayennes», à condition qu’il permette

119
lui-même aux Nicaraguayens de pénétrer en territoire costa-ricien pour faire de même . Ce

document tend donc à démentir, et non à prouver, l’existence du droit revendiqué par le Costa Rica.

19. Le document de1995 est un communiqué publié conjointement par l’armée

nicaraguayenne et le ministère costa-ricien de la sécurité publique, dont il ressort que les Parties ont

conclu un accord pour mener ensemble des opérations de maintien de l’ordre dans toute la zone

120
frontalière . Il est évident que ces activités conjointes, où qu’elles fussent menées, ne pouvaient

avoir lieu qu’avec le consentement du Nicaragua. Le dernier document invoqué par le Costa Rica,

daté de1998, fait état d’opérations de main tien de l’ordre menées en1995 et en1996 «en

coordination avec» les autorités nicaraguayennes ou pour «coopérer» avec elles 121. Là encore, par

117Voir ibid., par. 5.80-5.85 ; ibid., vol. II, annexes 68, 69, 72, 73, 77 et 78.

118CR 2009/3, p. 17, par. 32.
119
Voir MCR, vol. 6, annexe 210.
120Voir ibid., vol. 2, annexe 27.

121Voir ibid., vol. 6, annexe 227. - 49 -

définition, il ne peut y avoir coordination et coopération avec le Nicaragua sans le consentement de

celui-ci. En résumé, aucun des documents produits par le Costa Rica ne montre que les bateaux de

sa police aient jamais navigué sur le fleuve en vertu d’instructions unilatérales, ou sans

l’autorisation préalable du Nicaragua, pour relever et ravitailler les postes frontière, ou pour mener

des activités d’application de la loi, ou à toute autre fin. La pratique des Parties contredit

l’existence du droit de libre navigation que le Co sta Rica prétend détenir pour les bateaux de sa

police.

51 C. Le retrait par le Nicaragua de l’autorisation de navigation accordée aux bateaux de la
police costa-ricienne

20. Les éléments de preuve témoignent de la pratique que les Parties ont suivie en la matière

jusqu’au milieu de l’année 1998. Ils montrent au ssi que cet «état antérieur», comme l’appelait le

ministre costa-ricien de la sécurité publique, fut modifié au mois de juillet1998 122. Pour citer le

mémoire du Costa Rica, dont le passage pertinent est projeté à l’écran et versé à votre dossier:

«après juillet 1998, le Nicaragua a dopta une politique de violation pe rmanente et systématique des

123
droits du Costa Rica, qui se poursuit à ce jour» . Après juillet 1998. Cette précision temporelle

du Costa Rica a son importance. C’est en effet à cette époque-là que le Nicaragua lui a fait savoir

que les bateaux de sa police ne seraient dorénavant plus autorisés à emprunter le fleuve San Juan,

mettant ainsi un terme à toute navigation des forces de police costa-riciennes. En accusant le

Nicaragua d’avoir systématiquement violé ses droits à partir de juillet 1998, le Costa Rica admet en

fait que tel n’était pas le cas avant cette date — que, quel que fût l’état antérieur avant cette date,

celui-ci ne constituait pas une violation systématiq ue de ses droits. En d’autres termes, si le

Costa Rica demande réparation devant la Cour pour la violation de ses droits, c’est principalement

au titre du refus du Nicaragua, après juillet 1998, d’autoriser ses bateaux de police à naviguer sur le

fleuve San Juan avec des armes à leur bord pour mener des opérations policières sans aucun rapport

avec la navigation «con objetos de comercio». Voilà, semble-t-il, ce qui nous réunit aujourd’hui

dans ce prétoire.

122
DN, vol. II, annexe 68, p. 423.
123
MCR, par. 3.02. - 50 -

21. Le Nicaragua a minutieusement expliqué dans sa duplique les circonstances qui l’avaient

conduit à décider en juillet 1998 d’interdire le fleuve aux bateaux de la police costa-ricienne. Pour

résumer, il y démontrait que le président récemment élu du Costa Rica et son ministre de la sécurité

publique, Juan Rafael Lizano, avaient adopté en mai 1998 une nouvelle politique face à ce que eux

percevaient comme une recrudescence de l’immigration clandestine en provenance du Nicaragua

via le San Juan, comme le montre le document joint en tant qu’annexe19 à la duplique du

Nicaragua. Ensuite, pour la première fois, le Co sta Rica se mit à faire naviguer ses bateaux de

police sur le San Juan avec des armes à bord, sans demander l’autorisation préalable du Nicaragua,

dans le but d’intercepter des Nicaraguayens qu’il soupçonnait de vouloir entrer clandestinement en

territoire costa-ricien. Selon un document que le Costa Rica a soumis à la Cour avant la clôture de
52

la procédure écrite—j’insiste: selon le propre document du Costa Rica —, des policiers

costa-riciens ont escorté arme au poing des Nicaraguayens arrêtés sur le fleuve San Juan au mois de

124
juin 1998 .

22. Toujours d’après cette annexe du Costa Rica, le Nicaragua protesta immédiatement. En

particulier, le commandant de la police costa -ricienne en poste à Sarapiquí y indique qu’un

militaire nicaraguayen, le colonelTalavera —auj ourd’hui général de brigade—, s’est plaint des

agissements du Costa Rica 125. Cela n’empêcha pourtant pas ce dernier de poursuivre sa nouvelle

politique, puisque le registre du commandant de police fait état de nouvelles incursions

costa-riciennes sur le fleuve, ainsi que de l’arrestation et du transport de ressortissants

126
nicaraguayens, le 14juin1998 . Ce même document officiel du Costa Rica indique qu’en

réaction à ces arrestations, le 14juillet1998, le Nicaragua, par le truchement du colonel et

maintenant général Talavera, interdit toute nouvelle incursion de la police costa-ricienne sur le San

Juan 127. Le Nicaragua a soumis une déclaration sous serment du général Talavera qui confirme ces

faits tels qu’ils sont décrits dans les propres doc uments du Costa Rica. Le plus important ici,

124Voir ibid., vol. 6, annexe 227, p. 963.
125
Voir ibid.
126
Voir ibid.
127Voir ibid., p. 964. - 51 -

toutefois, c’est que ces faits figurent dans les documents que le Costa Rica a lui-même soumis à la

Cour dans le cadre de ses écritures.

23. Or, apparemment, le Costa Rica n’est désormais plus d’accord avec son propre document

officiel de l’époque. Il tente de réécrire l’hist oire de manière tardive avec la déclaration sous

serment du colonel Walter Navarro, versée au dossier après la clôture de la procédure écrite. Selon

les propres termes du colonel Navarro, «ni lui pers onnellement, ni ses subordonnés, n’ont délivré

d’instructions pour l’arrestation de citoyens nicaraguayens sur le fleuve San Juan et … il n’a pas

connaissance de tels actes» 128. Il n’échappera pas à la Cour que cette déclaration est directement

contredite par le propre document officiel de la police costa-ricienne. Comme je viens de le dire, le

registre produit par le Costa Rica, qui a été te nu par le commandant de la police responsable du

poste frontière de Sarapiquí—lequel, soit dit en passant, était sous le contrôle direct du colonel

Navarro après le 8mai1998—indique que les arre stations de Nicaraguayens ont eu lieu courant

juin 1998. Ce même registre contredit égalem ent la déclaration du colonel Navarro selon laquelle

53 «le Gouvernement nicaraguayen n’a jamais protes té officiellement» au sujet des citoyens

nicaraguayens appréhendés sur le San Juan 12. Au contraire, à la date du 14 juin1998, le registre

de police costa-ricien indique ceci :

«le colonel Talavera de l’armée [nicara guayenne] avait déclaré qu’aucune personne

naviguant sur le fleuve San Juan ne devait être arrêtée, se plaignant que quelques jours
auparavant, les officiers de Delta 0 [il s’ag it d’un autre poste de police du Costa Rica
sur la rive du fleuve] avaient forcé des personnes à débarquer» 13.

Le registre indique en outre que, le 14juillet, le Nicaragua, au vu de ces faits et d’autres

arrestations de ses ressortissants par la police costa-ricienne, a annoncé qu’il n’autoriserait plus les

131
bateaux de la police costa-ricienne à naviguer sur le San Juan . Le Nicaragua soutient que, à

choisir entre le registre de police officiel de l’époque que le Costa Rica a so umis avec ses écritures,

et la déclaration sous serment faite par le colone l Navarro plus de dix ans après les événements et

dans le cadre du différend, c’est à la première qu’il faut donner crédit.

12Documents déposés tardivement par le Costa Rica, annexe III.
129
Ibid.
130
MCR, vol. 6, annexe 227, p. 963.
13Voir ibid., p. 964. - 52 -

24. C’est cette décision du Nicaragua de ne plus autoriser la police costa-ricienne à naviguer

sur le fleuve qui conduisit finalement le ministre costa-ricien de la sé curité publique et le

commandant en chef de l’armé e nicaraguayenne à se réunir en juillet 2000 avec d’autres hauts

responsables de la sécurité des deux Etats — cette réunion est relatée dans le compte rendu que j’ai

commenté plus tôt et qui a été montré à la Cour. Le Costa Rica voulait cette réunion pour

convaincre le Nicaragua de revenir à «l’état anté rieur à 1998», décrit par ses représentants dans les

termes dont je vous ai donné lecture. Lors de cette réunion, les deux parties ont reconnu que c’était

parce que le Costa Rica s’était écarté de cet état antérieur—et en particulier parce qu’il avait

navigué sans autorisation sur le fleuve San Juan pour arrêter et transporter, sous la menace d’armes,

des ressortissants nicaraguayens soupçonnés de vouloir entrer clandestinement au CostaRica—

que le Nicaragua avait décidé de ne plus autoriser la navigation des bateaux de police costa-riciens.

Il convient de noter que, dans sa déclaration, le colonel Navarro, membre de l’armée costa-ricienne,

nie avoir jamais demandé personnellement au Nicaragua d’autoriser ses policiers à naviguer sur le

San Juan et n’a jamais évoqué la question de l’autorisation avec des officiers de l’armée

nicaraguayenne. Eh bien, c’est précisément ce co mportement adopté par le colonel Navarro après

sa nomination, en mai 1998, qui a été source de difficultés et qui a conduit le Nicaragua à décider

deux mois plus tard d’interdire le fleuve à la police costa-ricienne. Cela dit, quelles qu’aient pu
54

être les raisons de cette décision, le Nicaragua ét ait parfaitement fondé à agir ainsi en sa qualité de

souverain sur le fleuve, car le droit de libre navigation «con objetos de comercio» dont jouit le

Costa Rica n’inclut pas le droit de faire naviguer ses bateaux de police sur le San Juan pour exercer

des fonctions policières. Voilà les faits, et ils m ilitent tous dans le même sens: la pratique des

Parties n’étaye pas le droit de navigation que le Costa Rica prétend avoir sur le fleuve San Juan

pour ses bateaux de police — au contraire, elle le réfute complètement.

D. L ES PREUVES RELATIVES À LA NAVIGATION D ’AUTRES BATEAUX OFFICIELS

25. La conclusion relative à la navigation d es bateaux de police vaut pour la navigation

d’autres bateaux officiels costa-riciens exerçant des prérogatives de puissance publique sans

rapport avec les «objetos de comercio». Le Co staRica n’a aucun droit de navigation avec ces

autres bateaux officiels que ce soit en vertu du traité de 1858 ou de la sentence Cleveland. - 53 -

Néanmoins, le Nicaragua n’interdit pas au CostaRica ⎯comme il en aurait le droit souverain ⎯

de naviguer sur le fleuve pour fournir des ser vices médicaux, éducatifs ou autres services sociaux

aux citoyens costa-riciens sur la ri ve droite du fleuve. Il exige seulement que les bateaux officiels

et agents de l’Etat costa-riciens s’enregistrent auprès de autorités nicaraguayennes lorsqu’ils entrent

sur le fleuve ou en sortent et respectent les prescriptions éventuellement en applicables en matière

de visas132. J’ai dans un précédent exposé déjà parlé de la licéité et du caractère raisonnable de ces

règlements et n’ai pas besoin d’y revenir. Comm e le Costa Rica n’a pas le droit de naviguer sur le

fleuve avec des bateaux officiels pour exercer des prérogatives de puissance publique ordinaires

sans rapport avec les «objetos de comercio», on ne saurait accuser le Nicaragua de violer un droit

que le CostaRica ne possède pas, d’autant moins que le Nicaragua consent à cette navigation dès

lors que les conditions raisonnables que j’aie mentionnées sont satisfaites.

26. Je manquerai de franchise si je n’avouais pas avoir été impressionné par la très forte

charge émotionnelle de l’exposé de Mme Parlett mardi. Après tout, qui ne serait ému par le tableau

qu’elle nous a peint de 450 Costa-Riciens, dont 200 enfants, privés de services de santé de base, par

exemple de vaccination contre la maladie due aux larves de la lucilie bouchère et d’autres

maladies ? Mais comme c’est souvent le cas pour ce genre d’appel aux sentiments, on remodèle le

droit ou on l’ignore entièrement afin de remédier à la situation pressante décrite par le conseil.

55 Ainsi, MmeParlett nous dit que le droit que le CostaRica tient du traité de 1858 «englobe la

navigation par des agents de l’Etat chargés de dispenser des services essentiels» aux communautés

133
locales . Mais elle n’explique aucune ment comment ni pourquoi cette affirmation est justifiée.

Elle se contente d’énoncer sa conclusion et p asse à sa version des faits, qu’elle trouve plus

favorable à son argumentation. Je suis convaincu qu’à ce stade il est clair qu’aucun droit juridique

de cette sorte ne figure dans le tr aité de 1858, la sentence Cleveland ou la pratique des Parties. Il

n’y a aucun droit de navigation avec des bateaux officiels dans le but de dispenser des services

publics.

27. De plus, les faits ne sont pas aussi favorables que ceux que Mme Parlett expose très

habilement. Elle en fait trop lorsqu’elle a ffirme qu’après 1998 le Nicaragua a «empêché» le

132
Voir DN, par. 5.109-5.112.
133
CR 2009/3, p. 49, par. 19 ; les italiques sont de nous. Voir également ibid., p. 44, par. 6 et p. 45, par. 8. - 54 -

Costa Rica «de fournir à la population locale des ser vices essentiels dans les domaines de la santé,

de l’éducation et de la sécurité notamment» 134. Aucune preuve ne corrobore cette affirmation

radicale. Il est vrai que le Nicaragua exige des Costa-Riciens qui ne sont pas des résidents de la

rive droite, y compris les agents de l’Etat costa-ri ciens, qu’ils obtiennent un visa avant d’entrer en

territoire nicaraguayen, mais rien n’atteste que cette exigence ait eu quoi que ce soit qui ressemble,

comme l’affirme MmeParlett, à «des conséquences néfastes» pour la population locale 135. On a

accordé beaucoup d’attention au cas isolé de MmeChing, dont les efforts pour obtenir un visa

nicaraguayen ont été assez longuement décrits ; ce qu e Mme Parlett a négligé de dire était que ce

136
médecin a bien obtenu un visa nicaraguayen .

28. Il est exact, et le Nicaragua le reconnaît, que des lourdeurs bureaucratiques ont

occasionné des retards dans la délivrance de certains visas. Mme Parlett en a recensé deux ou

troisexemples, que le Nicaragua re grette. Toutefois, il s’agit de cas isolés et ils ne prouvent pas

que le Nicaragua avait pour po litique de refuser de délivrer des visas aux Costa-Riciens ou d’en

retarder la délivrance, ou de refuser aux Costa- Riciens l’accès au fleuve. Telle n’était pas la

politique du Nicaragua. De plus, le CostaRica lui-même reconnaît dans sa réplique que dès

mai2007 le Nicaragua délivrait rapidement des visas aux agents costa-riciens afin qu’ils puissent

dispenser des services à la population locale en empruntant le San Juan 137.

56 E. C ONCLUSION

29. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ceci m’amène à ma conclusion. Je peux

l’énoncer simplement. Le Costa Rica n’a pas le droit de naviguer sur le San Juan avec ses bateaux

officiels pour exercer des fonctions de poli ce ou autres prérogatives de puissance publique. Le

traité de limites de 1858 et la sentence Cleveland ont défini un droit allant au-delà du droit de

navigation «con objetos de comercio» mais inextricablement lié à celui-ci: il s’agit du droit des

bateaux du service des douanes du CostaRica, et uniquement de ce service des douanes, de

naviguer sur le fleuve lorsque ce tte navigation est en relation avec la navigation «con objetos de

134CR 2009/3, p. 44, par. 3.
135
CR 2009/3, p. 44, par. 4.
136
DN, par. 5.112 ; CMN, par. 6.2.14-6.2.15.
137RCR, par. 4.36-4.37 ; DN, par. 5.112. - 55 -

comercio» ou liée à celle-ci, et uniquement lorsqu’elle est en relation avec la navigation «con

objetos de comercio» ou liée à celle-ci. Monsieur McCaffrey a démontré que le traité de 1858 et la

sentence Cleveland ne pouvaient être interprétés au trement. Je me suis efforcé de montrer que la

pratique des Etats n’autorisait pas, elle non plus, d’autre interprétation.

30. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de nouveau de votre

patience et de votre bienveillante attention. Je vous serais obligé d’appeler à la barre M. Pellet, qui

sera le dernier orateur pour le Nicaragua du présent tour de plaidoiries.

Le PRESIDENT: Je remercie M.Reichler pour son exposé. J’invite M.Alain Pellet à

prendre la parole.

M. PELLET: Je vous remercie, Monsieur le président, force m’est de solliciter votre

indulgence, mais mon exposé va durer 20 minutes.

R EMEDIES ⎯ A REPLY TO PROFESSOR C RAWFORD

1. Mr. President, Members of the Court, Professor Crawford congratulated himself on being

138
“commendably brief” on the subject of the remedies called fo r by Costa Rica. I shall try to vie

with him in the area of brevity ⎯ however unfamiliar it may be to either of us!

2. Without attempting a comprehensive review of the problems relating to the “remedies” in

this case39, I will respond to my opponent ⎯ but still also my friend ⎯ by distinguishing between

57 the question of the declarations which the two Parties are asking you to make and from the other

claims for reparation, as numerous as they are varied, made by Costa Rica.

I. THE REQUESTS FOR DECLARATIONS ADDRESSED TO THE C OURT

3. Mr. President, as James Crawford has pointed out, the two Parties are asking the Court, by

means of a firm declaration, to put an end to the persisting uncertainties regarding the scope of their

respective rights and obligations under the Cañas- Jerez Treaty of 1858. And we have noted with

interest, on this side of the Bar, that CostaRica seems to have abandoned questioning the

138
CR 2009/3, p. 63, para. 4.
13Counter-Memorial of Nicaragua (CMNpp.239-249, paras.7.1.1-7.2Rejoinder of Nicaragua (RN),
pp. 299-327, paras. 6.1-6.49. - 56 -

admissibility of the request to this end by Nicara gua. This seems to me both prudent and legally

just : because it would seem strange to say the least, Members of the Court, were you to agree to

examine, as Costa Rica urges you to do, the allege d “breaches of Nicaragua’s obligations towards

CostaRica” under the Treaty of Limits of 1858, which constitutes the principal object of the

Application 14, and that, at the same time, you should refuse to rule on the scope of the

Respondent’s obligations under that instrument.

(a) The declaration requested by Nicaragua

4. Nicaragua is therefore asking the Court to clearly set out the content and scope of the

different rights and obligations established by the 1858 Treaty (as interpreted by the Award by

PresidentCleveland), which continue to pose a probl em as regards navigation. Only in this way

will the dispute submitted to the Court be fully resolved, in accordance, moreover, with the wish

expressed by the Agent of CostaRica himself on Monday morning 141. As we stated in our

142
Rejoinder , this is not a counter-claim, nor even a separ ate claim, it is just a measure seeking to

get the Court to reject the unacceptable interpretation of its rights and obligations which Costa Rica

is asking it to endorse and also to clearly state, once and for all, what th e respective rights and

obligations of the Parties are under the 1858 Treaty of Lima. This could be done in the operative
58

part of the judgment it is asked to deliver or else in its reasoning.

5. The reason for this request is simple : as my colleagues have shown throughout our

presentation, CostaRica’s principal object, not only in the written and oral pleadings, but also by

its consistent conduct, is to seek by all availabl e means to extend the right of free navigation “con

objetos de comercio” granted to it by the 1858 Treaty and which it would like to dilute into

something completely different: the simp le recognition of a ri ght of free navigation tout court,

unconditional and absolute, accompanied by a whole th eory of accessory rights. A dilution of this

sort, which lies at the heart of the dispute submitted by Costa Rica to the Court, is unacceptable for

Nicaragua and constitutes a source of constant fri ction between the two riparian countries of the

river. Now it scarcely needs saying that “the Court possesses an inherent jurisdiction enabling it to

14Application, p. 7, para. 1.
141
CR 2009/2, p. 14, para. 10 (Alvarez).
14RN, pp. 300-301, para. 6.4. - 57 -

take such action as may be required... to provide for the orderly settlement of all matters in

dispute . . .” (Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p.25, para.23;

Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 463, para. 23. See also,

for example, Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), Judgment , I.C.J. Reports 1985 ,

p. 23, para. 19.)

6. Mr. President, I cannot embark upon a long commentary on the merits of each of

143
Nicaragua’s claims. All these points have already been presented in our written pleadings and

by my colleagues :

⎯ Mr. Reichler has shown that Nicaragua is certa inly entitled to regulate the activities conducted

on the river, in particular navigation, and that it may demand the payment of dues for services

rendered in connection with the latter; and

⎯ ProfessorMcCaffrey, meanwhile, pointed out th at the activities of the vessels in the

CostaRican customs service must be strictly connected with and limited to navigation “con

objetos de comercio”;

⎯ as regards Nicaragua’s rights to maintain the river and improve its navigability, we have

144
59 established at length in our Rejoinder that this right exists and may be implemented without

any need for CostaRica’s consent, as, more over, expressly acknowledged by the Cleveland

145
Award ; and

⎯ it seems quite clear that the dredging, which woul d facilitate (and make it possible to restore)

the navigability of the San Juan, is included in the exercise of this fundamental right ⎯ which,

moreover, would be to CostaRica’s advantage if, as it claims, it has any interest whatever in

navigating on the SanJuan with goods (I mean: “con objetos de comercio”.. .). Moreover,

we have noted that ProfessorCrawford expr essly stated CostaRica’s agreement on this

146
point .

14RN, pp. 306-308, para. 6.17.
144
RN, pp. 302-305, paras. 6.08-6.16.
145
MCR, Vol. II, Ann. `16, p. 99.
14CR 2009/3, p. 68, para. 25. - 58 -

7. So these are the reasons, Mr.President, why Nicaragua seeks to retain, in the final

submissions it will file next week, a request for a formal declaration by the Court that it is entitled

to the full sovereignty (dominium and imperium) granted to it by Article VI of the boundary treaty

of 1858 actually being respected by Costa Rica.

8. On the other hand, Nicaragua is not asking the Court to rule directly on the “reservations”

it has made regarding the legal status of th e Colorado or the existing or potential pollution

(connected, among other things, with the co mmissioning of the Las Crucitas gold mine) 147: it

merely thought it useful and fair to inform the Cour t of the (regrettable) existence of other disputes

relating to the San Juan and which are not wholly unconnected with the present case.

(b) The declaration requested by Costa Rica

9. Mr.President, in the submissions in its Rejoinder CostaRica has included a long list of

alleged violations of its obligations relating to the régime of the San Juan River which it imputes to

148
Nicaragua . We do not dispute the admissibility of these claims and it strikes me as neither

60 useful nor possible to reiterate them again one by one, for the moment at least: all our oral

pleadings of the past two days have shown how unfounded they were. I shall make just two

remarks.

10. The first will be to respectfully put the Court on its guard against the apparent

innocuousness of these claims, not to say their “ bonhomie” which, beneath their technical exterior,

in reality wish to prompt you, Members of the Court, to seriously question the river régime

stemming from the 1858 Treaty interpreted by the Cleveland Award of 1888. Just one example : I

do not know what your various reactions were during the projection by JamesCrawford of the

coastguard vessel, the Forward 149. In any case, for me, this imposing vessel called to mind much

more the idea of a warship in fact, rather than a vessel whose sympathetic, anodyne function was

apparently to serve as the wedding escort for Pr esident Cleveland and Miss Folsom. Were you to

accede to its claim, Costa Rica would undoubtedly rely on this projection (and on its written

pleadings on the customs vessels and other offi cial vessels) in order to dispatch, onto the

14CMN, p. 251, RN, pp. 325-326, para. 6.49.
148
RCR, pp. 211-212, para. 2.
14CR 2009/4, p. 16, para. 32 (Goméz) ; see also CR 2009/3, pp. 13-14, para. 23. - 59 -

Nicaraguan river SanJuan, vessels which would be the modern equivalent of the Forward or the

Chandler ⎯ and I would point out that, before escorting the future First Lady, the Chandler had

served as a vessel in the American Navy and even, during the War of Secession, captured a Spanish

corvette 15. The minimalist formulation of Costa Rica’s submission 2(g) (just one of many

examples) must be assessed in this light. The same applies, for example, to submission2(i), on

subsistence fishing. I shall not rehearse this ag ain, Mr. Reichler having spoken about it a moment

ago.

11. My second remark is a more general one. Let us suppose, Mr. President, that the Court

were to accede to Costa Rica’s submissions ⎯ visio horribilis ... but let us suppose so for a

moment ! What would be left of Nicaragua’s exclusive dominion and imperium over the river in

view of the absolute right of navigation claimed by Costa Rica ? Nothing ⎯ or virtually nothing,

apart perhaps from the prohibition on Costa Rica from deploying overtly “military” vessels on it,

such a request being too flagrantly at odds with the Cleveland Award. And again : Costa Rica has

such an extensive view of its so-called rights of “protection” and defence of the river that, in line

61 with its consistent tactic for 150years, submission 2(g) patently marks, as I have just shown, a

fresh attempt to “whittle away” which, in fact, calls into question what one thought had been

accepted since 1888. In that worrying scenario, Ni caragua would find itself reduced to a mere

imperator deprived of all power; a dominus unable either to regulate tourism on the river or issue

rules for ensuring the safety of navigation on the river, or to seek to preserve the river environment

or to restore its full navigability, and whose arme d forces (much more modest than those of Costa

Rica : Nicaragua has no coastguard vessels of a si ze which would be the contemporary equivalent

of the Chandler) would be reduced to watching from the bank any show of strength by the Costa

Rican police and coastguard vessels.

12. Nicaragua requests you, Members of the Court, to reject all the claims in paragraph 2 of

Costa Rica’s submissions, which ser iously call into question the equilibrium achieved by the 1858

Treaty, as interpreted by the Cleveland Award.

150
See http://www.uscg.mil/history/webcutters/Jasmine1866.pdf. - 60 -

II. COSTA R ICA ’S OTHER SUBMISSIONS

13. Mr.President, otherwise Costa Rica’s submissions are what was “anticipated” and the

rejection of Nicaragua’s alleged violations must, in any case, Members of the Court, necessarily

prompt you to dismiss those submissions : Professor Crawford is the last person I would presume

to teach that the responsibility of a State is enga ged, but is only engaged, if an internationally

wrongful act can be attributed to it. No viola tion, no responsibility — nor of course any cessation,

assurances or guarantees of non-repetition, or compensation.

14. Allow me nonetheless, Mr.President, to reply in a few sentences to my opponent’s

allegations, first, as far as the question of the or ders is concerned; and second, that of damages

(although these responses do not of course in any manner whatsoever constitute an

acknowledgment of responsibility by Nicaragua).

15. The orders first. I do not of course dispute that “[t]he Court gives decisions in its

contentious jurisdiction which are binding on States” 151. But that is not what is at issue here, and

152
62 the example of the Arrest Warrant case, so opportunely cited by Professor Crawford , is a perfect

illustration of our objection: although in that case the Court found that the arrest warrant issued

153
for Mr.Yerodia was wrongful, in accordance with its settled jurisprudence , it stopped short of

annulling the warrant in question, leaving Belgium to do so “by means of its own choosing” (Arrest

Warrant of 11April2000 (Democratic Republic of the Congo v. Belgium), Judgment, I.C.J.

Reports 2002, p.32, para. 76 and p.33, para. 78 (D)(3)). That is all Nicaragua meant : if, in the

unlikely event that the Court found some of the me asures Nicaragua has taken for the protection of

the SanJuan River and the safety of navigation to be wrongful, which they are not, their

“abrogation” would not be a matter for the Court itself, as requested by Costa Rica 15. Also,

whether this must be done by the Court or acknowledged as falling within the powers of Nicaragua,

it is in any case strictly impossible, for either the Court or for Nicaragua, to accede to this (quite

151
CR 2009/3, p. 64, para. 8.
15Ibid., pp. 64-65, para. 9.

15See, for example, Mavrommatis Jerusalem Concessions, Judgment No. 5, 1925, P.C.I.J., Series A, No. 5, p. 50;
Haya de la Torre (Colombia/Peru ), Judgment, I.C.J. Reports 1951, p.79;LaGrand (Germany v. United States of
America), Judgment, I.C.J. Reports 2001 , p. 516, para. 128 (7); Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v. United
States of America), Judgm ent, I.C.J. Reports 2004 , p.32, para.31. SeeECHR, Judgment of 18December1986,
Application No. 9697/82, Johnston and others v. Ireland, Series A, No. 112, para. 77.

15See MCR, p. 141, para. 6.13; RCR, p. 198, para. 5.15; CR 2009/3, p. 64, para. 6 (Crawford). - 61 -

excessive) request, the Applicant having failed to specify the legislative and regulatory measures

which it is seeking to have “abrogated” 155.

16. As far as the claim for damages is concerned, we in no way dispute that they could form

the subject matter of a subsequent phase of proceedings 156, if the violations alleged by Costa Rica

were to be established, whic h once again they cannot be, and if Costa Rica were to provide

evidence of the prejudice, to whic h moreover it refers in such a vague and hazy way that it is

difficult to see how the Court could on this basis establish even the principle of Costa Rica’s right

to reparation in order, during a subsequent phase, to fix the amount of compensation wrongly

63 requested by the Applicant. Whether it will be a matter of fixing that amount in a subsequent phase

or whether, as in the Fisheries Jurisdiction case, whose relevance ProfessorCrawford wrongly

dismisses 157, of establishing the principle of an obligation to compensate, the problem is the same :

even if evidence of the substance and extent of the injury suffered can be provided at a later date in

the former case, but not in the latter, “the Court is prevented from making an all-embracing finding

of liability which would cover matters as to wh ich it has only limited information and slender

evidence” (Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Germany v. Iceland), Merits, Judgment,

I.C.J. Reports1974, p.205, para.76) 158. And yet Costa Rica asks the Court first to make an

all-embracing finding of responsibility. I may add th at, in the unlikely event that the Court were to

find Nicaragua had failed to fulfil any of its obl igations whatever under the 1858 Treaty correctly

interpreted (a decision we do not envisage), such a finding would manifestly constitute an entirely

adequate response 159.

17. Mr. President, I was perhaps wrong to “challenge” James Crawford on the ground he had

chosen ⎯ brevity ⎯ since, my computer having done the counting for me, I have used just a touch

more words and characters than he, but my footnot es are longer and French is a flowerier language

155
Certain German Interests in Polish Upper Silesia, Merits, Judgment No. 7, P.C.I.J., Series A, No. 7, pp. 34-35;
Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974 , p.262, para.29; ibid., p.466, para.30; and
Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Germany v. Iceland), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 204, para. 76.
156
See CR 2009/3, p. 66, para. 17 (Crawford).
157
CR 2009/3, p. 66, para. 17.
15See also the jurisprudence cited in RN, pp. 322-324, para. 6.45.

15Land and Maritime Boundary betwee n Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial Guinea
intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 452, para. 319. - 62 -

than English. Here, then, it appears to be a “dra w”. However, as to the altogether more serious

matter of the legal régime applicable to navigation on the San Juan River, we cannot let it be said

or implied that it is a minor issue 160. For Nicaragua it is a question of principle which affects its

very sovereignty.

So, Mr.President, Members of the Court, we thus come to the end of Nicaragua’s oral

arguments for the first round. On behalf of all our delegation and on my own behalf I thank you

for your patience and wish you and our Costa Rican friends a very pleasant weekend.

64 Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Pellet, de votre exposé.

Voilà qui met fin au premier tour d’observations orales de la République du Nicaragua. La

Cour se réunira de nouveau le lundi 9 mars 2009 à 10 heures pour entendre la réplique orale de la

République du Costa Rica.

Je tiens à souligner que le second tour de plaidoiries devrait être centré sur les points

soulevés lors du premier tour et permettre de répondre aux questions qui n’ont pas fait l’objet d’une

réplique. Je vous saurais gré de votre collaboration à cet effet.

L’audience est levée.

L’audience est levée à 13 h 5.

___________

160
CR 2009/3, p. 69, para. 27 (Crawford).

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