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CR 2008/14 (traduction)

CR 2008/14 (translation)

Jeudi 19 juin 2008 à 10 heures

Thursday 19 June 2008 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit

aujourd’hui pour entendre, conformément au para graphe3 de l’article74 de son Règlement, les

observations des Parties au sujet de la demande en indication de mesures conservatoires présentée

par les Etats-Unis du Mexique dans l’affaire relative à la Demande en interprétation de l’arrêt du

31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants me xicains (Mexique c.Etats-Unis

d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique).

Le juge Shi, pour des raisons dont il a informé la Cour, ne siègera pas en la présente affaire.

En outre, au titre du paragraphe 1 de l’article 24 du Statut, les j uges Parra-Aranguren et Simma ont

fait savoir à la Cour qu’ils ne siègeraient pas en l’espèce.

*

* *

La présente instance a été introduite le 5juin 2008 par le dépôt au Greffe de la Cour d’une

requête du Mexique, dans laquelle celui-ci demande à la Cour d’interpréter le point9 du

paragraphe 153 de son arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains

(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique).

Pour fonder la compétence de la Cour, le Mexique invoque dans sa requête l’article60 du

Statut, qui dispose que, «en cas de contestation sur le sens et la portée de l’arrêt, il appartient à la

Cour de l’interpréter, à la demande de toute partie».

Dans sa demande en interprétation, le Mexi que rappelle que, au point9 du paragraphe153

de l’arrêt Avena, la Cour a jugé que, pour fournir la répa ration appropriée dans cette affaire, «les

Etats-Unis d’Amérique [étaient] tenus d’assurer, par les moyens de leur choix, le réexamen et la

revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées contre les ressortissants

mexicains» dont les droits en vertu de la conventi on de Vienne sur les relations consulaires avaient

été violés. Le Mexique expose que, le 25 mars 2008 , la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique

a reconnu, dans le cas de José Ernesto Medellín Ro jas, l’un des ressortissants mexicains visés dans

l’arrêt Avena, que ledit arrêt constituait pour les Etats-Unisune obligation de droit international. - 3 -

La Cour suprême a toutefois jugé qu’il n’avait p as valeur de «droit fédéral directement applicable

empêchant l’Etat du Texas d’appliquer celles de ses règles procédurales qui font obstacle à tout

réexamen et à toute revision de la demande formulée par M.Medellín sur le fondement de la

convention de Vienne». Le Mexique note que la Cour suprême a également mentionné d’autres

moyens par lesquels les Etats-Unis pourraient n éanmoins se conformer aux obligations qui leur
9

incombent aux termes de l’arrêt Avena, en particulier le vote de lois par le Congrès ou l’«exécution

volontaire de l’arrêt par le Texas». Le Mexique fait observer que, depuis lors, une juridiction du

Texas a fixé la date d’exécution de M. Medellín au 5 août 2008. Il fait en outre valoir qu’au moins

quatre autres ressortissants mexicains visés dans l’arrêt Avena courent «le risque imminent de voir

eux aussi la date de leur exécution fixée par l’Etat du Texas».

Le Mexique déclare qu’il interprète le libellé du point9 du dispositif de l’arrêt Avena

(par.153) comme imposant une «obligation de r ésultat», qui ne sera remplie que lorsque le

réexamen et la revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées auront été

menés à bien. Selon le Mexique, mise à part la «décision par laquelle le président a, en2005,

donné instruction aux juridictions des Etats de l’Union de se conformer» à l’arrêt Avena, les

Etats-Unis n’ont pris à ce jour aucune autre mesure. Aussi le Mexique estime-il que les Etats-Unis,

par leur conduite, ont démontré qu’ ils voyaient dans l’obligation que leur impose le point9 du

dispositif de l’arrêt Avena une simple obligation de moyens. Le Mexique considère donc qu’il

existe un différend entre les Parties quant à la portée et au sens du point9 du paragraphe153 de

l’arrêt Avena.

J’inviterai maintenant le greffier à bien voul oir donner lecture de la décision demandée à la

Cour, telle que formulée au paragraphe 59 de la requête du Mexique :

Le GREFFIER :

«Le Gouvernement du Mexique prie la Cour de dire et juger que l’obligation
incombant aux Etats-Unis d’Amérique en vertu du point9 du paragraphe153 de
l’arrêt Avena constitue une obligation de résultat clairement formulée dans l’arrêt,

lequel indique que les Etats-Unis sont tenus d’assurer «le réexamen et la revision des
verdicts de culpabilité rendus et des pein es prononcées» en recourant aux «moyens de
leur choix»

et que, conformément à l’obligation de résultat susmentionnée, - 4 -

1) les Etats-Unis d’Amérique doivent prendre toute mesure nécessaire en vue
d’assurer le réexamen et la revision prescrits à titre de réparation par l’arrêt
Avena ; et

2) les Etats-Unis d’Amérique doivent pren dre toute mesure nécessaire pour faire en
sorte qu’aucun ressortissant mexicain pouvant prétendre au réexamen et à la
10 revision prescrits par l’arrêt Avena ne soit exécuté à moins et jusqu’à ce que ce

réexamen et cette revision aient eu lieu et qu’il ait été établi qu’aucun préjudice
n’avait résulté de la violation.»

Le PRESIDENT : Le 5 juin 2008, le Mexique a également déposé au Greffe une demande en

indication de mesures conservatoires, en invoquant l’article41 du Statut de la Cour et les

articles73, 74 et75 du Règlement. Dans sa demande en indication de mesures conservatoires, le

Mexique renvoie à la base invoquée dans sa requête pour fonder la compétence de la Cour, et aux

faits et conclusions exposés dans ce même documen t. Le Mexique demande à la Cour d’indiquer

des mesures conservatoires afin de sauvegarder s es droits et ceux de ses ressortissants, dans

l’attente de sa décision en l’affaire relative à l’interprétation de l’arrêAvena. Le Mexique fait

valoir que «des mesures conservatoires sont clai rement justifiées tant pour protéger l’intérêt

essentiel qu’[il] attache à la vie de ses ressortissa nts que pour permettre à la Cour d’ordonner le

remède [qu’il] demand[e]».

Le Mexique indique en partic ulier que José Ernesto Medellín Rojas, ressortissant mexicain,

doit être exécuté le 5août2008; qu’une date pourrait être arrêtée pour l’exécution d’un autre

ressortissant, César Roberto Fierro Reyna, laquelle interviendrait alors dans un délai de trente jours,

et que trois autres ressortissants mexicains ⎯ Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García et

Roberto Moreno Ramos ⎯ pourraient se voir signifier leur exécution prochaine, laquelle

interviendrait alors dans un délai de quatre-vingt-dix jours, dans l’Etat du Texas.

J’inviterai à présent le greffier à bien vouloi r donner lecture du passage de la demande dans

lequel sont précisées les mesures conservatoires que le Gouvernement du Mexique prie la Cour

d’indiquer.

Le GREFFIER :

Le Gouvernement du Mexique, «agissant en son nom propre et au titre de la
protection diplomatique de ses ressortissants , … prie … respectueusement la Cour

d’ordonner, dans l’attente de sa décision sur la demande en interprétation du Mexique,
que le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique : - 5 -

a) prenne toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que, dans l’attente de
l’issue de la procédure engagée [le 5juin2008], il ne soit pas procédé à
l’exécution de José Ernest Medellín , César Roberto Fierro Reyna,

Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García et Roberto Moreno Ramos ;

b) informe la Cour de toutes les mesures qu’il aura prises en application de
l’alinéa a) ; et

c) fasse en sorte qu’il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits
du Mexique ou de ses ressortissants en ce qui concerne toute interprétation que la
Cour pourrait donner du point9 du para graphe153 de son arrêt en l’affaire

Avena.»

11 Le PRESIDENT: Le 5juin2008, date à laquelle la requête et la demande en indication de

mesures conservatoires ont été déposées au Greffe , le greffier a avisé le Gouvernement des

Etats-Unis d’Amérique du dépôt de ces documents et lui a immédiatement remis un exemplaire

original signé de la requête, en application du paragraphe2 de l’article40 du Statut et du

paragraphe 4 de l’article 38 du Règlement, ainsi qu’un exemplaire original signé de la demande en

indication de mesures conservatoires, en application du paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement.

Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des NationsUnies du dépôt de la

requête et de la demande.

Selon l’article74 du Règlement de la C our, une demande en indication de mesures

conservatoires a priorité sur toute autre affaire. La date de la procédure orale doit être fixée de

manière à donner aux parties la possibilité de s’y faire représenter. En conséquence, le 5 juin 2008,

le greffier a informé les Parties que la Cour, conf ormément au paragraphe 3 de l’article 74 de son

Règlement, avait fixé au 19 juin 2008 la date d’ouverture de la procédure orale.

Je constate la présence devant la Cour des agen ts et conseils des deux Parties. La Cour

entendra tout d’abord ce matin le Mexique, dont émane la demande en indication de mesures

conservatoires, jusqu’à 13 heures. Elle entendra les Etats-Unis d’Amérique cet après-midi à partir

de 15heures. Aux fins de ce premier tour de plaidoiries, chacune des Parties disposera d’une

séance entière de trois heures. Les Parties auront ensuite la po ssibilité de présenter une réplique

orale, si elles l’estiment nécessaire : le Mexique demain à 10 heures et les Etats-Unis d’Amérique

demain, également, à 16 h 30. Chacune des Parti es disposera d’un maximum d’une heure et demi

pour exposer ses arguments en réplique. - 6 -

Avant de donner la parole à S.Exc.M. Gómez-Robledo, agent du Mexique, je voudrais

appeler l’attention des Parties sur l’instruction de procédure XI, qui dispose notamment que :

«Dans leurs exposés oraux sur les demandes en indication de mesures
conservatoires, les parties devraient se limiter aux questions touchant aux conditions à
remplir aux fins de l’indication de mesures conservatoires, telles qu’elles ressortent du

Statut, du Règlement et de la jurisprudence de la Cour. Les parties ne devraient pas
aborder le fond de l’affaire au-delà de ce qui est strictement nécessaire aux fins de la
demande.»]

J’appelle maintenant à la barre l’agent du Mexique.

12 Mr. GÓMEZ-ROBLEDO: Thank you, Madam President.

Introductory remarks, outline of argument, presentation of delegation

1. Madam President, Members of the Court, Mexico is appearing once again before the

International Court of Justice further to its Requ est for interpretation of paragraph153(9) of the

operative part of the Judgment delivered on 31March2004 in the case concerning Avena and

Other Mexican Nationals (Mexico v. United States of America) . The Request for interpretation,

filed in the Registry on 5 June 2008, is accompanie d by a Request for the indication of provisional

measures, the latter being the essential and principal reason for the hearing which you have called

this morning.

2. Allow me, if you will, to place this return to the Court in the context which followed the

Avena case. Mexico was and remains deeply grateful to the Court for the way in which it dealt

with its claims during that case: the result serves the interests of international law and is therefore

in keeping with the wishes expressed by my country. The Avena Judgment is now accepted and

cannot be reversed.

3. However, the implementation of the obliga tions arising from that Judgment, particularly

those relating to the obligation to make reparation, gave rise to a fundamental dispute between the

United States and Mexico regarding the scope and meaning of paragraph153(9) of the Avena

Judgment. This dispute with the United States, as a full subject of international law, through the

omissions of the United States, is impeding and preventing the full realization of Mexico’s rights as

recognized by the Court in its Judgment of 31 March 2004. - 7 -

4. The Court will have occasion to see, in due course, that the question is not how far the

Government of President George W. Bush has sought by one means or another to discharge its

obligations under the Avena Judgment. The facts which we will consider during this hearing are

unavoidable and indisputable. We are indeed dealing with acts which, cumulatively, make the

United States guilty of a failure to comply with the international obligations arising from

paragraph 153 (9) of the Avena Judgment.

5. Madam President, Members of the Court, the four years which have elapsed since the

Avena Judgment provide us with a large number of ex amples of attempts by Mexico to persuade

13 the United States and its political subdivisions, as well as the different powers which make up that

State, that it has a vast panoply of resources at its disposal to achieve the precise result required by

the Court in its Judgment, with all the freed om to choose which we acknowledge and do not

dispute. Freedom to be sure as regards the choice of means, yet useful effect of those means

nevertheless. Nothing more, nothing less, Madam President.

6. The United States of America will no doubt tell you that it has sought to comply with the

requirements of the Avena Judgment. Mexico is not unaware th at laudable efforts were made at a

precise moment by the Executive Power of the United States. The fact nevertheless remains that,

regardless of the good intentions which may have been ascribed to those efforts, the United States

has failed to comply with the obligation to provide the review and reconsideration of convictions

and sentences served upon the vast majority of the Mexican nationals affected by the Avena

Judgment, taking account both of the violations of th e rights laid down by Article 36 of the Vienna

Convention and of paragraphs 138 to 141 of the Judgment.

7. The authentic interpretation we are requesting the Court to give should provide the Parties

with the legal element which will enable the United States to fulfil its obligations arising from the

Avena Judgment, which for Mexico, in this case, is not in doubt, but which is perceived by the

United States in a fundamentally different way.

8. It should be noted that although this Re quest for an interpretation is based on the Avena

Judgment of which it is the object, it neverthe less constitutes a new case, under the terms of

Article 60 of the Statute of the Court and its case law, with which our Request for the indication of

provisional measures is associated. - 8 -

9. Madam President, Members of the Court, pending consideration by the Court of the merits

of this case, the rights of Mexico a nd of its nationals covered by the Avena Judgment are

imperilled. For five Mexican nationals referred to by the Avena Judgment could be executed

without their convictions and sente nces having been subject to the review and reconsideration to

which they are entitled. One of them, JoséErnest oMedellínRojas, has already had his date of

execution set as 5 August 2008 by a district court in Houston, Texas.

14 10. It is clear that, failing the provisionalmeasures ordered by the International Court of

Justice, José Ernesto Medellín Rojas and after him, Césarobertoierroeyna,

Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García, and RobertoMorenoRamos will be executed

before the close of the proceedings instituted by the Request for an interpretation of 5 June.

11. The result would then be irreparable damage to the rights of Mexico and to those of each

of the five nationals whom I have just mentioned.

12. The conditions laid down in Article 41 of th e Statute of the Court are satisfied in full in

this case. The provisional measures which we are seeking to obtain arise from the settled case law

of the Court in the trilogy of cases Breard, LaGrand and Avena, of which our Request for an

interpretation constitutes a further and, let us hope, final stage.

13. Mexico therefore asks the Court to or der the United States to comply with the

provisional measures to ensure that none of the five Mexican nationals mentioned above is

executed pending the outcome of the proceedings instituted on the merits.

14. As is customary, we expect the Court to request the United States to keep it informed of

the measures taken to comply with and ensure compliance with the provisional measures.

15. Mexico is aware of the time-limits referred to by the Court in the LaGrand case both to

ensure that it has time to ponder the merits of its application and to give the United States an

opportunity to implement the measures which the Court may indicate.

16. Our confidence that the measures whic h we hope the Court will indicate will be

respected is only increased by the fact that the United States complied with the provisional

measures indicated in 2003 and which were subsequently replaced by the obligations set out in the

operative part of the Avena Judgment ( Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v. United

States of America), Judgment, I.C.J. Reports 2004, p. 70, para. 152). - 9 -

17. Madam President, Members of the Court, believe me when I say that Mexico regrets

being compelled to ask the Court for an explanation of the scope and meaning of its Judgment. It is

all the more regrettable for us because, since the end of the proceedings instituted in 2003, many

have been the occasions when we have worked side by side with the Government of the United

States to ensure the full implementation of all relevant aspects of the Avena Judgment.

15 18. For example, we recognize a greater inclination on the part of the United States to ensure

more respect by federal and local courts for the rights laid down in Article36 of the Vienna

Convention. We know that the training programme s which have been established, to which the

Court refers in paragraph 150 of its Judgment, are beginning to bear fruit. We appreciate the true

merits of the dialogue engaged with the Unite d States authorities since the Judgment of the

Supreme Court in the Medellín case, even if it has only accentuat ed and deepened the dispute

which, alas, divides us today.

19. Yet there is a paradox in all of this. The power of the United States on the international

stage is huge, exorbitant, overwhe lming even, its role in a global environment indispensable, and

the state of law is the cornerstone on which the United States is built. That the United States

should commit itself, together with the other members of the international community, to finding

solutions based on international law to the major issu es of the age, that is the fundamental wish of

Mexico and the guarantee of a better world for all.

20. Madam President, with the Court’s permission, we are going to structure Mexico’s oral

argument as follows.

21. His Excellency Ambassador Joel Hernández García, Legal Adviser at the Ministry of

Foreign Affairs, will make a general presentation of the case and establish the basis of the

jurisdiction of the Court.

22. Secondly, Ms Sandra Babcock will deal with the facts at the origin of our request for the

indication of provisional measures.

23. Ms Catherine Amirfar and Mr. Donald D onovan will then endeavour to demonstrate the

legal basis of the measures requested and their compliance with Article41 of the Statute of the

Court. - 10 -

24. Lastly, His Excellency Mr. Jorge Lomóna co, Ambassador of Mexico to the Kingdom of

the Netherlands, will set out our conclusions and final submissions to the Court.

25. May I ask you, Madam President, now to give the floor to His Excellency

Ambassador Joel Hernández García. Thank you for your attention.

16 Le PRESIDENT: Je vous remercie beaucoup, Monsieur l’ambassadeur. J’appelle

maintenant S. Exc. M. l’ambassadeur Joel Hernández García.

M. HERNÁNDEZ GARCÍA :

Présentation générale de la demande et de la question de la compétence

1. Je vous remercie Madame le président, Messi eurs de la Cour. C’est un honneur pour moi

d’apparaître pour la première fois devant la Cour pour représenter le Mexique. Avec votre

permission, j’examinerai tout d’abord le contex te de la demande du Mexi que, puis la compétence

de la Cour.

Présentation générale du contenu de la demande soumise par le Mexique

2. Avant d’examiner le fondement de la compét ence de la Cour dans la présente instance, je

j’aimerais m’arrêter un instant pour dire quelques mots sur le contexte et le contenu de la demande

que le Mexique a soumise à la Cour. Le 31mars 2004, la Cour a rendu un arrêt sur le fond en

l’affaire Avena. Cette affaire portait sur des violations de la convention de Vienne sur les relations

consulaires1 de la part des autorités compétentes amér icaines dans le cas de certains ressortissants

mexicains qui avaient été condamnés à la peine capitale à l’issue de procédures pénales aux

Etats-Unis d’Amérique. La Cour a jugé, par qua torze voix contre une, que les Etats-Unis avaient

violé l’article36 de la convention de Vienne à l’égard de cinquante et un ressortissants mexicains

en ne les informant pas, en temps voulu, des droits d’accès aux autorités consulaires et à

l’assistance de ces dernières qui étaient les leurs en vertu de l’article36 ( Avena et autres

ressortissants mexicains (Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.71,

par. 153, point 4). La Cour a également jugé , à nouveau par quatorze voix contre une, au point 9

1
Convention de Vienne sur les retions consulaires, Nations Unies, Recueil des traités , vol.569, p.261,
24 avril 1963. - 11 -

du paragraphe153 du dispositif, «que, pour four nir la réparation appropriée en l’espèce, les

Etats-Unis d’Amérique sont tenus d’assurer, par le s moyens de leur choix, le réexamen et la

revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées contre les ressortissants

mexicains» dont les droits qui étaient les leurs en vertu de la convention de Vienne ont été violés

(ibid., par. 153, point 9).

3. Ainsi que l’exposera ma collègue, Mme Babc ock, le Mexique a déployé tous les efforts

possibles depuis que l’arrêt Avena a été rendu afin d’obtenir que les tribunaux américains accordent

le remède prescrit. Ces efforts ont obtenu peu de succès. Très récemment, la Cour suprême des

17 Etats-Unis d’Amérique a reconnu, dans l’affaire Medellín v. Texas 2, qu’il incombait

3
incontestablement aux Etats-Unis d’Amérique d’appliquer l’arrêt Avena , mais elle a jugé que les

Etats fédérés devaient prendre des mesures s upplémentaires avant que l’arrêt ne puisse être

4
appliqué .

4. Madame le président, permettez-moi d’exposer à présent les vastes efforts diplomatiques

que le Mexique a déployés en vain depuis que la Cour suprême a rendu sa décision Medellín.

5. Le jour même où la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Medellín, le Mexique

a, dans un communiqué de presse, exprimé le regret que lui inspirait ladite décision et souligné

qu’il continuerait de recourir à tous les moyens disponibles afin d’obtenir le plein respect des droits

reconnus aux ressortissants mexicains par l’arrêt Avena.

6. Plus tard, l’ambassade du Mexique à Wash ington D.C. a déposé une note diplomatique en

date du 28mars2008 auprès du département d’ Etat des Etats-Unis d’Amérique. Mon

gouvernement y a exprimé sa déception à l’égard des termes de la décision et a fait connaître son

opinion selon laquelle l’arrêt re ndu par la Cour dans l’affaire Avena établit une obligation de

résultat.

7. Sur cette base, le Mexique s’est engagé da ns un vif dialogue de plusieurs semaines avec

de hauts responsables du Gouvernement des Etats-Un is d’Amérique. Ce di alogue a pris la forme

de réunions, de conversations et d’échanges de correspondance avec, comme objectif, d’obtenir

2Medellin v. Texas, 128 S. Ct., p. 1346, 2008.
3
Ibid., p. 1356.
4Ibid., p. 1361, 1371-1372. - 12 -

pleine exécution de l’arrêt Avena. A l’issue de ces consultations bilatérales, il était évident, comme

il l’est encore, que nos pays ont des opinions fondamentalement différentes sur la portée et

l’interprétation des obligations que la Cour a imposées aux Etats-Unis d’Amérique.

8. C’est par suite de ces opinions contradictoires, Madame le président, que nous sommes ici

aujourd’hui pour demander l’interp rétation du dispositif de l’arrêt Avena. Le Mexique estime

qu’un différend fondamental s’est fait jour entre les Parties quant à la portée et au sens du po
int 9

du paragraphe153 de l’arrêt. En particulier, tandis que le Mexique interprète ce point comme

établissant une obligation de résultat à laquelle seraient tenus les Etats-Unis d’Amérique, ceux-ci

comprennent manifestement celui-ci comme établissant uniquement une obligation de moyen. En

18 effet, l’une de ses subdivisions politiques, l’Et at du Texas, a fixé l’exécution de l’un des

ressortissants mexicains dont les noms sont cités da ns l’arrêt alors que son cas n’a pas encore été

réexaminé et revisé ainsi qu’il en a le droit.

9. Le Mexique estime que la fixation d’ une date d’exécution est en contradiction

fondamentale avec l’obligation de résultat du point 9 du paragraphe 153 de l’arrêt Avena. Compte

tenu de ce différend, le Mexique prie la Cour de confirmer que les termes du dispositif de son arrêt

Avena établissent une obligation de résultat qui oblige les Etats-Unis à prévoir le réexamen et la

revision exigées, indépendamment de tout obstacle de droit interne. En outre, le Mexique fait

valoir que l’obligation imposée dans l’arrêt Avena oblige les Etats-Unis à empêcher l’exécution de

tout ressortissant mexicain cité dans l’arrêt à moins que le cas de celui-ci n’ait été complètement

réexaminé et revisé et qu’il ait été déterminé si les violations de la convention de Vienne constatées

par la Cour avaient donné lieu à un préjudice.

La compétence en vertu de l’article 60

10. Madame le président, je vais examiner à présent la question de la compétence de la Cour.

Comme elle l’a déjà indiqué à plusieurs reprises, la Cour n’a pas besoin, à ce stade de la procédure,

«de s’assurer d’une manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire»

(Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures

conservatoires, ordonnance du 9a vril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 255, par. 23 ; LaGrand

(Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), mesu res conservatoires, ordonnance du 3mars1999, - 13 -

C.I.J. Recueil 1999 (I), p.13, par.13). Elle doit, en revanche, simplement conclure que les

dispositions invoquées par le demandeur «semblent prima facie constituer une base sur laquelle la

compétence de la Cour pourrait être fondée» 5.

11. Il ne fait aucun doute que ce critère est aisément rempli en l’espèce. L’article60 du

Statut de la Cour constitue une base de compét ence clairement établie pour l’instance que le

Mexique a introduite. Il dispose que «en cas de contestation sur le sens et la portée de l’arrêt, il

appartient à la Cour de l’interpré ter, à la demande de toute partie» 6. En tant que Partie à l’arrêt

19 Avena, le Mexique est tout à fait en droit de de mander une telle interprétation et la Cour a

compétence prima facie pour juger le différend.

12. Manifestement, la Cour n’a pas besoin de s’intéresser aux termes du consentement que

les Parties ont donné à l’origine s’agissant de la compétence en l’affaire Avena. En effet, la Cour a

confirmé à plusieurs reprises que la compétence en vertu de l’article 60 est indépendante de la base

sur laquelle la Cour a fondé sa compétence dans l’ affaire où l’arrêt à interpréter a été rendu. Par

exemple, dans l’affaire du Plateau continental (Tunisie /Jamahiriya arabe libyenne) , la Cour a

qualifié sa compétence pour interpréter l’un de ses arrêts de «compétence spéciale qui résulte

directement de l’article60 du Statut» ( Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du

24février1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie

c.Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J.Recueil1985 , p.216, par.43). La décision des Parties

de soumettre leurs différends à la Cour sur la seule base d’un commun accord n’a donc pas permis

de priver celle-ci de sa compétence en vertu de l’article 60 pour se prononcer sur une demande

7
unilatérale en interprétation . En toute logique, la Cour a répété, en l’affaire de la Frontière

terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) , que «[e]n vertu de la

seconde phrase de l’article 60, la Cour a compétence pour connaître des demandes en interprétation

de tout arrêt rendu par elle» ( Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de

la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions

5
Ibid., voir également Application de la convention pour la prévention et la ré pression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 11-12,
par. 14 ; Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Un i c.Islande), mesures conservatoires, ordonnance du
17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 15, par. 15 et p. 16, par. 17).
6
Statut de la Cour internationale de Justice, art. 60.
7 Ibid. - 14 -

préliminaires (Nigéria c.Cameroun), arrêt, C.I.J.Recueil1999(I) , p.35, par.10). Ainsi, la Cour

n’a jamais regardé au-delà de l’article 60 pour ét ablir sa compétence et examiner une demande en

interprétation comme celle que le Mexique a s oumise le 5juin2008 (voir, par exemple,

os o o
Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A n 13, p.

9-11 ; Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24février1982 en l’affaire du

Plateau continental (Tunisie/ Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c.Jamahiriya arabe libyenne),

arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 214-216, par.41-43).

13. Avec la permission de la Cour, je va is à présent donner la parole à ma collègue,

SandraBabcock, qui exposera les faits à l’orig ine des mesures conservatoires que le Mexique

demande. Je vous remercie Madame le président.

Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur l’ambassadeur. J’appelle à présent

Madame Babcock.

20 Mme BABCOCK :

Faits à l’origine de la demande en indication de mesures conservatoires

Les efforts déployés après l’affaire Avena pour obtenir le réexamen et la revision

1. Madame le président, Messieurs les Membres de la Cour, c’est un honneur pour moi que

de plaider à nouveau devant vous au nom du Gouvernement du Mexique.

2. Dans l’arrêt Avena , la Cour a clairement indiqué que l’examen et la revision requis par

cette décision devaient intervenir dans le cadre d’une «procédure judiciaire» ( Avena et autres

ressortissants mexicains (Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.65-66,

p1r.0). Par conséquent, depuis ma 2rs04, au moins trente-trois des

cinquante et un ressortissants mexicains cités dans l’arrêt de la Cour ont demandé le réexamen et la

revision de leur cas auprès de juridictions des Et ats fédérés et de l’Etat fédéral des Etats-Unis

d’Amérique.

3. A ce jour, seul l’un de ces ressortissants ⎯ M. Osbaldo Torres Aguilera ⎯ a vu son cas

réexaminé et revisé conformément à la décision de la Cour 8. Il convient toutefois d’indiquer que

8
Torres v. Oklahoma, 120 P. 3d p.1184 (Okla. Crim. App., 2005). - 15 -

l’Etat de l’Arkansas a accepté de commu er la peine capitale prononcée contre

M. Rafael Camargo Ojeda en une peine de réclusion à perpétuité en échange de son consentement à

renoncer au droit au réexamen et à la revision pré vus par l’arrêt Avena. Tous les autres efforts

déployés aux fins de la mise en Œuvre de cet arrêt ont échoué.

4. Le temps dont nous disposons aujourd’hui ne me permet pas de passer en revue tous les

efforts déployés au nom de chacun des ressortissants mexicains concernés. Je m’intéresserai plutôt

à la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique, qui s’est prononcée à trois

reprises sur les questions touchant à l’effet donné à l’arrêt Avena par des juridictions des

Etats-Unis. L’une de ces décisions concernait deux ressortissants étrangers qui n’étaient pas visés

par l’arrêt Avena mais avaient cité les arrêts Avena et Lagrand de la Cour comme précédents. Les

deux autres décisions, directement pertinentes pour la présente instance, co ncernaient le cas de

M.José Ernesto Medellín Rojas, celui des ressorti ssants mexicains qui se trouve en danger d’être

exécuté de manière imminente. Il convient de relever que ce précédent que constitue la décision

rendue par la Cour suprême en mars 2008 dans l’affaire Medellín v. Texas s’imposera à toutes les

juridictions des Etats-Unis d’Amérique qui examinent actuellement ou pourraient être amenées à

l’avenir à examiner des demandes de réexamen et de revision soumises en application de l’arrêt

Avena.

21
Le cas de José Ernesto Medellín Rojas

5. M. Medellín est le seul dont le cas ait été examiné par la Cour suprême des Etats-Unis

⎯ce qu’elle a d’ailleurs fait à deux reprises, en2004, d’abord, puis en2007, aux fins de

déterminer si les juridictions des Etats-Unis étaient tenues, en vertu du droit fédéral, de donner effet

à l’arrêt Avena.

6. Au début de l’année 2005, alors que le cas de M. Medellín avait pour la première fois été

porté devant la Cour suprême des Etats-Unis, le président George W. Bush a signé un

mémorandum enjoignant aux juridictions des différents Etats de l’Union de donner effet à

l’arrêt Avena s’agissant des cinquanteetunressortissants mexicains visés par cette décision, dont - 16 -

9
M. Medellín . Vous trouverez un exemplaire de ce mémorandum dans vos dossiers de plaidoiries,

sous l’onglet2. En vertu de l’autorité qui lui est conférée en sa qualité de chef de l’exécutif, le

président y indiquait que les Etats-Unis s’acquittera ient des obligations internationales que leur

imposait l’arrêt Avena «en faisant en sorte que … les juridictions des Etats fédérés donnent effet à

cette décision conformément aux principes généraux de la courtoisie internationale».

7. Dans un mémoire déposé au soutien du Texas le jour même de la signature de ce

mémorandum par le président, les Etats-Unis ont fait valoir que l’arrêt Avena ne liait pas

10
directement leurs tribunaux , précisant néanmoins que, le président ayant résolu de se conformer à

l’arrêt, les juridictions des Etats de l’Union étaient tenues d’assurer aux

cinquanteetunressortissants mexicains le réexamen et la revision prescrits, et ce, nonobstant les

règles de carence procédurale prévues par la législation de ces Etats 11.

8. La Cour suprême a par la suite écarté l’affaire Medellín, afin de permettre aux juridictions

12
du Texas d’examiner les demandes de l’intéressé en première instance . A la fin de l’année 2006,

cependant, la cour d’appel pénale du Texas a, au titre de la règle de la carence procédurale, rejeté la

demande de M. Medellín, concluant que ni l’arrêt Avena ni le mémorandum du président n’avaient

13
valeur de loi fédérale contraignante .

9. La cour du Texas fondait en grande partie sa décision sur l’arrêt rendu en 2006 par la Cour

14
suprême des Etats-Unis en l’affaire Sanchez-Llamas v. Oregon , laquelle concernait

deux ressortissants étrangers non cités dans l’arrêt Avena. Un exemplaire de cette décision figure

dans le dossier de plaidoiries, sous l’onglet 3. Dans son arrêt rendu en l’affaire Sanchez-Llamas, la
22

Cour suprême a indiqué que si les décisions de la CIJ devaient être «respectueusement examinées»,

15
elles n’en constituaient pas pour autant des précédents contraignants . Elle a relevé que si les

9
George W. Bush, Memorandum for the Attorney General, «Compliance with the Decision of the International
Court of Justice in Avena», 28 février 2005 [Memorandum adressé à l’ Attorney-General, «Exécution de l’arrêt rendu par
la Cour internationale de Justice en l’affaire Avena, 28 février 2005].
10
o Mémoire présenté par les Etats- Unis d’Amérique en qualité d’ amicus curiae, p.41-48, Medellín v. Dretke,
n 04-5928 (5th Cir. Feb. 2005).
11
Ibid., p. 52-60.
12Medellín v. Dretke, 544 U.S. 660 (2005).

13Ex parte Medellín, 223 S.W. 3d 315 (Tex. Crim. App. 2006).

14Sanchez-Llamas v. Oregon, 126 S. Ct. 2669 (2006).
15
Ibid., p. 2683-2684 (citant Breard v. Greene, 523 U.S. 371, 375 (1998)). - 17 -

Etats-Unis avaient conclu que les juridictions des Etats fédérés devaient donner effet à l’arrêt

Avena, ils n’avaient en revanche pas considéré que l’interprétation de l’article 36 donnée par la CIJ

s’imposait à leurs tribunaux. La Cour suprême a en outre pris note de ce que les Etats-Unis

s’étaient retirés du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations

consulaires, ajoutant ceci (à la page 15 de l’arrêt Sanchez-Llamas, qui figure dans vos dossiers) :

«Quelque effet qu’aient pu avoir les arrêts Avena et LaGrand avant ce retrait, il

est douteux que nos tribunaux aient à accorder un poids décisif à l’interprétation d’une 16
Cour dont la compétence dans ce domaine n’est plus reconnue par les Etats-Unis.»

10. En conséquence, la Cour suprême a rejeté l’interprétation du paragraphe 2 de l’article 36

donnée par la CIJ et conclu que les règles de carence procédurale en vigueur dans les Etats de

l’Union pouvaient ⎯en tant qu’éléments de droit interne ⎯ rendre irrecevables les demandes

formées au titre de la convention de Vienne.

11. A la suite de la décision de la cour d’appel pénale du Texas, M. Medellín a une nouvelle

fois saisi la Cour suprême des Etats-Unis. Les Et ats-Unis sont intervenus dans la procédure à titre

d’amicus curiae ; tout en faisant valoir que la cour d’appel pénale du Texas avait commis une

17
erreur en ne donnant pas effet à l’arrêt Avena , et en reconnaissant l’existence d’une «obligation

juridique internationale de se conformer à la décision rendue par la CIJ en l’affaire Avena », ils ont

affirmé que, en l’absence d’intervention du président , l’arrêt ne s’imposait pas en tant que tel aux

18
juridictions internes .

23 12. Le 25 mars 2008, la Cour suprême s’est, par 6 voix contre 3, prononcée en faveur du

Texas, estimant que l’arrêt Avena n’avait pas, ni en tant que tel ni lu conjointement avec le

19
mémorandum du président, valeur de droit fédéral directement applicable . Bien que la Cour

suprême ait reconnu à l’unanimité que les Etats-Unis avaient, en droit international, l’obligation de

20
se conformer à l’arrêt Avena , elle a néanmoins jugé que cet arrêt n’avait aucune force obligatoire

en l’absence d’un texte d’application 21.

16Ibid., p. 2685.
17
Mémoire dos Etats-Unis à titre d’ amicus curiae , au soutien du requérant, p.4, Medellín v. Texas,
128 St. Ct. 1346 (n 06-984).
18
Ibid.
19Medellín v. Texas, 128 St. Ct. 1346 (2008).

20Ibid., p. 1356.

21Ibid., p. 1367-1372. - 18 -

13. La décision prise à la majorité par la C our suprême reposait en grande partie sur son

interprétation des obligations imposées aux Etat s-Unis par l’article94 de la Charte des

Nations Unies. J’aimerais appeler votre attention sur la page 12 de l’arrêt Medellín, qui figure dans

les dossiers de plaidoiries sous l’onglet 4. Vous pourrez ainsi constater que la Cour suprême cite et

fait sienne la position des représentants du pouv oir exécutif des Etats-Unis, selon laquelle

l’expression «s’engage à se conformer», utilisée au paragraphe1 de l’artic le94 de la Charte,

n’exprime qu’un simple « engagement de la part desEtats Membres de l’Organisation des

NationsUnies de prendre ultérieurement, par l’intermédiaire de leurs pouvoirs politiques, des

22
mesures tendant à l’exécution de la décision de la CIJ» . Se fondant sur cette interprétation, la

Cour suprême conclut que le paragraphe 1 de l’ar ticle 94 «ne prévoit pas que les Etats-Unis «sont

tenus» ou «doivent» se conformer aux décisions de la CIJ [et que r]ien n’indique qu’au moment où

le Sénat a ratifié la Charte des Nations Unies, il avait l’intention d’accorder aux décisions de la CIJ

23
un effet juridique immédiat devant ses juridictions internes.»

14. A la page 13, à laquelle vous voudrez bien vous reporter, la Cour suprême a de nouveau

estimé, partageant là encore la position du pouvoir ex écutif, que le recours au Conseil de sécurité

prévu par le paragraphe2 de l’article94 c onstituait expressément «une voie de recours

diplomatique ⎯ c’est-à-dire non-judiciaire» ⎯ce qui était «en soi la preuve que les arrêts de la

24
CIJ n’[étaient] pas considérés comme s’imposant aux juridictions nationales» .

15. La Cour suprême cite également à l’appui de sa décision (à la page 14) le paragraphe 1

de l’articl34 du Statut de la CIJ. Elle expose dans ses motivations que les

cinquanteetunressortissants mexicains ne pouvant eux-mêmes saisir la CIJ, l’arrêt Avena ne

saurait s’imposer en ce qui les concerne individu ellement en l’absence de mesures ultérieures

prises par les pouvoirs politiques 25.

16. La Cour suprême ne s’est guère attardée sur l’instruction donnée par le président aux

juridictions des Etats de se conformer à l’arrêt Avena. Elle a estimé que, en vertu de la Constitution

22Ibid., p. 1358 (références omises).
23
Ibid.
24
Ibid., p. 1359 (références omises).
25Ibid., p. 1360. - 19 -

des Etats-Unis, le mémorandum du président n’ était pas à même de conférer à l’arrêt Avena valeur

26
24 de droit fédéral contraignant . La Cour suprême, toutefois ⎯et c’est là un point essentiel ⎯, a

bien confirmé qu’il existait d’autres moyens perm ettant aux Etats-Unis d’honorer les obligations

leur incombant en vertu de l’arrêt Avena. En particulier, la Cour a souligné que le Congrès des

Etats-Unis pouvait faire ce que le président, en sa seule qualité, n’avait pas le pouvoir de faire — à

savoir, voter une loi rendant l’arrêt Avena applicable en droit interne 27.

17. Une semaine après avoir écarté l’affaire Medellín, la Cour suprême a refusé de faire droit

à des demandes de revision similaires introduites par sept autres ressortissants mexicains fondés à

bénéficier d’un réexamen et d’une revision en vertu de l’arrêt Avena.

Il est fort probable que cinq ressortissant s mexicains seront exécutés en l’absence de
mesures conservatoires

18. Madame le président, si vous le permettez, j’en viens à présent au risque encouru par des

ressortissants mexicains d’être exécutés si la Cour internationale de Ju stice n’indique pas de

mesures conservatoires. Madame le président, Messieurs de la Cour, un fait est absolument

certain: si la Cour n’indique pas de mesures conservatoires, des ressortissants mexicains seront

exécutés pendant que celle-ci procédera à l’examen au fond de la demande en revision du Mexique.

Ainsi que le Mexique l’a exposé dans sa requête, ci nq de ses ressortissants risquent d’être exécutés

de manière imminente : José Ernesto Medellín Rojas, César Roberto Fierro Reyna, Humberto Leal

García, Rubén Ramírez Cárdenas et Roberto Moreno Ramos. L’Etat du Texas a déjà fixé une

exécution au 5août2008 et les dates d’exécution d es quatre autres ressortissants mexicains, tous

détenus dans l’Etat du Texas, le seront bientôt.

19. Le 5 mai 2008, moins de deux mois après le prononcé de la décision de la Cour suprême

en l’affaire Medellín c.Texas , un tribunal du Texas a tenu une audience pour fixer la date

d’exécution de M. Medellín. L’avocat de ce dernier a demandé au tribunal de ne pas fixer de date

d’exécution, expliquant qu’il n’avait toujours pas reçu le réexamen et la revision prescrits par

l’arrêt Avena. M.Medellín a cherché à présenter la déposition de deux témoins, dont celle d’un

spécialiste du droit international, afin de dém ontrer au tribunal l’importance de l’obligation des

26
Ibid., p. 1368.
27
Ibid., p. 1369. - 20 -

Etats-Unis de respecter l’arrêt Avena. Mais le juge a refusé d’autoriser le témoin à déposer,

déclarant: «Je ne suis pas là pour écouter des élém ents de preuve, je suis là pour fixer une date

25 d’exécution.» L’ambassadeur Joel Hernández, qui est ici pré sent, s’était également rendu à

Houston afin d’informer le tribunal des effort s en cours déployés par le Mexique afin de

promouvoir le respect de cet arrêt de la Cour. Mais le juge a refusé de le laisser parler.

20. L’avocat de M.Medellín a ensuite dema ndé à ce que le tribunal reporte au moins la

fixation de la date d’exécution afin de laisser au Congrès des Etats-Unis le loisir de promulguer une

loi donnant effet aux obligations conventionnelles incombant aux Etats-Unis, conformément à la

décision rendue par la Cour suprême des Etats-Unis dans l’affaire Medellín c. Texas . Mais le

tribunal a refusé d’accorder le report demandé. Le juge a donc décidé que l’exécution de

M. Medellín aurait lieu à la première date envisageable en vertu du droit texan. En conséquence,

28
M. Medellín doit à présent être exécuté par injection létale le 5 août 2008 . L’ordre d’exécution,

qui figure dans votre dossier à l’onglet 1, donne une description crue de la manière dont le Texas

envisage d’administrer le poison létal qui provoquera la mort.

21. Les quatre autres ressortissants mexicains ⎯MM. Fierro, Ramírez, Leal et Moreno ⎯

ont, comme M. Medellín, cherché en vain à obtenir le réexamen et la revision des verdicts de

culpabilité prononcés à leur encontre et de leurs pe ines. Comme M. Medellín, ils ont saisi la cour

d’appel pénale du Texas et la Cour suprême des Etats-Unis. Toutes leurs demandes de réexamen

ont été rejetées. En conséquence, ils courent le risque de voir leur date d’exécution être fixée de

manière imminente. En vertu des dispositions applicables du droit interne, le Texas pourrait arrêter

la date d’exécution de M.Fie rro, laquelle interviendrait alors dans un délai de trentejours

seulement. Et il pourrait arrêter les date s d’exécution des autres détenus, lesquelles

interviendraient alors dans un délai de quatre-vingt-dix jours.

22. Il convient de considérer la probabilité que des suspensions d’exécution soient accordées

à ces ressortissants dans le contexte de l’applicati on de la peine de mort dans l’Etat du Texas.

Depuis 1982, le Texas a exécuté 407 détenus ⎯ plus que l’ensemble des six prochains autres Etats

des Etats-Unis, sur l’échelle des exécutions capitales. Le Texas a déjà exécuté un détenu cette

28 o
Ordre d’exécution, Ex parte Medellín, n 675430, 339th Dist. Ct., Harris County, Tex., 5 mai 2008. - 21 -

année et envisage d’en exécuter quatre autres en ju illet, cinq en août, trois en septembre et un en

octobre, soit un total de quatorze exécutions en cinq mois.

23. Le seul recours laissé à ces personnes est un recours en grâce⎯ lequel, comme la Cour

s’en souviendra au vu de la précédente procédure en l’affaire Avena, ne leur laisse en vérité qu’une

faible lueur d’espoir. Au cours des vingt-cinq dernières années, le Texas n’a commué que deux

peines de mort. Cela équivaut à une commutation toutes les 200 exécutions. Compte tenu de ces

26 statistiques, M. Medellín et les autres ressortissa nts mexicains ont moins d’une chance sur cent de

voir la commission des grâces du Texas commuer leurs peines de mort.

24. Cependant, même si la procédure de r ecours en grâce pratiquée par le Texas était un

modèle d’équité ⎯ce qu’elle n’est pas ⎯ et même si elle était pratiquée couramment par la

commission des grâces ⎯ ce qui n’est pas le cas ⎯ la Cour a clairement dit que cette procédure ne

permettait pas à elle seule aux Etats-Unis de s’ac quitter de l’obligation d’assurer le réexamen et la

revision relatifs aux ressortissants mexicains nommément cités dans l’arrêt ( Avena et autres

ressortissants mexicains (Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.66,

par. 142-143).

25. Madame le président, les faits que je viens d’exposer montrent clairement

qu’aujourd’hui, les ressortissants mexicains concerné s n’ont pas plus de chance de bénéficier d’un

sursis à leur exécution et d’un réexamen et d’un e revision appropriés qu’ils n’en avaient avant que

la Cour ne rende son arrêt historique en l’affaire Avena.

26. Je vous remercie, madame le président. Je vous prie de bien vouloir donner la parole à

ma collègue, Mme Catherine Amirfar.

Le PRESIDENT: Je vous remercie MadameBabcock. Je donne à présent la parole à

Mme Amirfar.

Mme AMIRFAR :

Fondement juridique des mesures conservatoires demandées (première partie)

1. Madame le président, Messieurs de la Cour. C’est un véritable privilège que de prendre la

parole pour la première fois devant cette Cour, au nom du Gouvernement mexicain. Avec - 22 -

l’autorisation de la Cour, j’a borderai la question du droit pour le Mexique de demander des

mesures conservatoires sur le fondement des dispositions de l’article 41 du Statut de la Cour.

2. Aux termes de l’alinéa 1 de l’article 41 du Statut, la Cour «a le pouvoir d’indiquer, si elle

estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent

être prises à titre provisoire». Par ailleurs, comme le Paraguay, puis l’Allemagne l’ont fait valoir

dans leurs cas respectifs, et comme la Cour l’a conclu dans l’affaire LaGrand , les ordonnances

portant indication de mesures conservatoires au titre de l’article41 ont un caractère obligatoire

(LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 506, par. 109).

27 3. D’emblée, nul ne saurait contester la compét ence de la Cour pour indiquer, dans le cadre

de la demande en interprétation dont elle est sa isie, des mesures conservatoires visant à empêcher

l’exécution de ressortissants mexicains en attendant qu’elle règle la question des droits des Parties à

la procédure engagée devant elle. Le paragraphe1 de l’article41 du Statut de la Cour habilite

celle-ci à indiquer «quelles» mesures conservatoires elle juge approprié de prendre pour préserver

«[le] droit de chacun». Cette compétence a une large portée. Elle peut s’appliquer lorsque, comme

en l’espèce, un Etat saisit la Cour pour lui dema nder de confirmer qu’un arrêt, rendu dans une

affaire à laquelle il était partie, établit certains oits qui sont sur le point de subir un préjudice

irréparable. Rien, dans le libellé ou dans le but de l’article 41 ne permet de douter que cette

disposition s’applique quand les critères justifiant l’indication de mesures conservatoires sont

satisfaits dans le cadre d’une demande en interprétation.

4. Outre le pouvoir spécifique que lui confère l’article41, la compétence de la Cour pour

indiquer des mesures conservatoires découle égalem ent de sa juridiction inhérente, en vertu de

laquelle elle peut prendre toute mesure qu’elle juge nécessaire à la fonction fondamentale qu’elle

exerce en sa qualité d’organe judiciaire. En effet, comme le juge Fitzmaurice l’a expliqué dans

l’affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni) :

«[I]l existe aussi une compétence préliminaire ou «incidente» (faculté de
prendre des mesures conservatoires … que la Cour peut exercer avant même d’avoir
statué sur sa compétence quant au fond «i rréductible»...Bien que la compétence

incidente soit en grande partie (mais pas en tièrement) prévue en termes exprès dans le
Statut de la Cour ou dans le Règlement que le Statut autorise la Cour à arrêter, il s’agit
en réalité d’une compétence inhérente; la faculté de l’exercer est un élément - 23 -

indispensable au fonctionnement de la Cour comme à celui de n’importe quel
tribunal.» ( Cameroun septentrional (Cameroun cR . oyaume-Uni), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J R.ecue1il963 , 1.0;3opinion individuelle de
29
sir Gerald Fitzmaurice.)

5. Il relève donc également de la comp étence de la Cour d’indiquer des mesures

conservatoires afin de garantir que son interprétation en vertu de l’article 60 ne soit pas vaine.

28 6. J’en arrive maintenant aux critères régissant l’indication de mesures conservatoires. Ces

critères sont bien établis: pour être fondé à de mander des mesures conservatoires, le demandeur

doit satisfaire à trois conditions. Premièrement, les mesures demandées doivent avoir pour objet de

sauvegarder les droits respectifs des parties. Deuxièmement, lesdites mesures doivent viser à

empêcher qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux droits en litige. Autrement dit, les mesures

demandées doivent être motivées par l’urgence, au sens où, si elles ne sont pas accordées avant

l’examen au fond du différend, la Cour serait privée de sa capacité de faire en sorte que les droits

des parties soient pleinement établis. Enfin, l’indication de mesures conservatoires ne doit pas

préjuger l’arrêt de la Cour au fond (voir, d’ une manière générale, l’affaire relative à la Compétence

en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), mesures conservatoires, ordonnance du

29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 16, par. 21).

7. Les mesures conservatoires que le Mexique demande sont simples, extrêmement urgentes

et, en l’occurrence, classiques : le Mexique prie la Cour de dire que les Etats-Unis ne doivent pas,

tant que la présente instance est pendante, procéder à l’exécution de M. Medellín le 5 août ni fixer

de date d’exécution pour les quatre ressortissants mexicains dont l’exécution est imminente.

29
Voir aussi Essais nucléaires (Australie c.Fr ance), arrêt, C.I.J.Recueil1974, p.259-260, par.23: ([ce]
pouvoir inhérent … découle de l’existence même de la Cour … organe judiciaire établi par le consentement des Etats, et
lui est conféré afin que sa fonction judici aire fondamentale puisse être sauvegardée»); Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I) , p. 197 ;
opinion dissidente du juge Weeramantry: «Quand l’article41 du Statut a donné à la Cour le pouvoir d’indiquer des
mesures conservatoires, il n’a pas exclu pour autant les principes universels régissant les pouvoirs conférés
fondamentalement à toute procédure judiciaire.»; Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court
1920-2005, p. 582-583 (4 éd., 2006) :

«Lorsqu’un Etat devient partie au Statut ou accepte autrement le pouvoir ad hoc du Statut pour
une affaire donnée, cet Etat consent à l’exercice de la compétence incidente. A cet égard, des affaires
relatives à l’interprétation et à la révision d’un arrêt sont certainement analogues à d’autres procédures
impliquant l’exercice de la compétence incidente en ce qu’elles ne requièrent pas le consentement ad
litem des deux parties, la compétence de la Cour pour examiner ces questions découlant du Statut et de sa

juridiction au regard de l’affaire qui a conduit à l’arrêt dont l’interprétation et la révision sont sollicitées.»
C. F. Amerasinghe, Jurisdiction of International Tribunals, p. 348 (2003) ; sir Gerald Fitzmaurice, The Law and
Procedure of the International Court of Justice, p. 542 (1986). - 24 -

8. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est la quatrième fois que la Cour est priée

d’examiner une telle demande. A la lumière, notamment, des ordonnances en indication de

mesures conservatoires rendues en l’affaire Breard, en l’affaire LaGrand et des mesures

conservatoires antérieures en l’affaire Avena, nous soutenons que la de mande du Mexique en la

présente espèce satisfait pleinement aux conditi ons requises pour être examinée par la présente

Cour. J’examinerai le premier critère, à savoir celui selon lequel les mesures demandées doivent

avoir pour objet de sauvegarder les droits respectifs des parties, et mon collègue, M.Donovan,

traitera les deux autres, ainsi que la forme de l’ordonnance demandée.

9. Premièrement, la demande du Mexique vise claireme nt à sauvegarder les droits qu’il

invoque dans sa demande en interprétation du point 9 du dispositif de l’arrêt Avena

(paragraphe153). Il va de soi que la Cour, lo rsqu’elle examine une de mande en indication de

mesures conservatoires, ne se prononce pas sur le fond des demandes et des moyens de défense

respectifs des parties. Dans l’ordonnance rendue en l’affaire Avena, la Cour a confirmé que les

mesures conservatoires n’avaient pas pour objet de trancher le différend principal au fond. Bien au

contraire, les mesures conservatoires «doi[ven]t se préoccuper» de la nécessité «de sauvegarder …

les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement reconnaître, soit

au demandeur, soit au défendeur» ( Avena, mesures conservatoires, ordonnance du 5 février 2003,

29 C.I.J. Recueil 2003, p. 89, par. 48, citant l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le

Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Ni géria), mesures conservatoires, ordonnance du

15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22, par. 35).

10. Madame le président, les droits exposés da ns la demande du Mexique et sur lesquels la

Cour doit se prononcer nécessitent, pour être sauvegardés pendant que la présente instance est

pendante, l’indication de mesures conservatoires. A ce stade, bien entendu, le seul élément

pertinent est que, en procédant à l’exécution de M. Medellín ou d’autres ressortissants mexicains,

les Etats-Unis les priveraient à jamais de l’inte rprétation exacte de l’arrêt. Or, selon le Mexique,

l’interprétation exacte consiste à considérer que la réparation pré vue au point 9 du paragraphe 153

établit une obligation de résultat incombant aux Etats-Unis — c’est-à-dire qu’elle oblige ces

derniers à parvenir à un résultat précis, à savoir le réexamen et de la revision des verdicts de

culpabilité rendus et des peines prononcées contre les 51 ressortissants mexicains, conformément - 25 -

au dispositif de l’arrêt. Bien que les Etats-Unis puissent clairement recourir aux «moyens de leur

choix» pour s’acquitter de cette obligation, le respect de l’obligation fondamentale d’assurer ce

réexamen et cette revision n’est pas fonction de l’aboutissement de tel ou tel moyen en particulier,

et les Etats-Unis ne sauraient s’appuyer sur un moyen de leur choix, à l’exclusion de tout autre. Ils

ne doivent exécuter aucun des ressortissants mexica ins cités dans l’arrêt tant que ce réexamen et

cette revision n’auront pas été menés à bien et qu’il n’aura pas été établi qu’aucun préjudice n’a

résulté de la violation conventionnelle commise ou qu’un tel préjudice n’aura pas été réparé. Telle

est l’interprétation du Mexique.

11. En revanche, il ressort du comportement des Etats-Unis d’Amérique à ce jour qu’ils ne

voient dans l’obligation que leur impose l’arrêt qu’ une obligation de moyens et non de résultat.

En2005, le président des Etats-Unis a donné pour instruction aux juridictions des Etats d’assurer

un réexamen et une revision conformément à l’ arrêt; pourtant, comme Mm eBabcock l’a exposé,

les juridictions des Etats ont opposé des refus répé tés aux requêtes introduites par les ressortissants

mexicains en vue du réexamen et de la revision pr escrits de leurs cas. En outre, la décision rendue

le 25 mars 2008 par la Cour suprême des Etats-Unis dans le cas de M. Medellín a privé d’effet le

mémorandum du président à l’égard des juridictions des Etats 30. Bien que reconnaissant

l’existence d’une obligation internationale incontestable et sans équivoque de se conformer à l’arrêt

Avena 31, la Cour suprême s’est opposée à ce que l’a rrêt et le mémorandum du président soient

exécutés directement en l’absence de mesures complémentaires, que ce soit le vote de lois par le

30 Congrès des Etats-Unis ou des actes pris par les différents Etats 32. Nonobstant cette déclaration

selon laquelle le Congrès avait compétence pour faire ce que le président ne pouvait faire à lui seul,

l’Etat du Texas a clairement laissé entendre que , à moins d’en être empêché, il procéderait à

l’exécution de M.Medellín sans permettre à celui-ci de bénéficier du réexamen et de la revision

requis. Hormis le mémorandum du président de 2005 ⎯lequel n’a pas permis d’atteindre le but

30Medellín v. Texas, 128 S. Ct. 1346 (2008).
31
Ibid., p. 1356.
32Ibid., p. 1361, 1371-1372. - 26 -

recherché ⎯ les Etats-Unis n’ont, à ce jour, pas pris les mesures néce ssaires pour empêcher

l’exécution des ressortissants mexica ins avant qu’il soit satisfait à l’obligation de réexamen et de

revision.

12. En vertu de principes bien établis du dr oit international, les actes du Texas engagent à

n’en pas douter la responsabilité internationale des Etats-Unis d’Amérique. La Commission du

33
droit international l’a clairement établi dans ses articles sur la responsabilité de l’Etat . La Cour a

confirmé ce principe dans l’ordonnance en indi cation de mesures conservatoires qu’elle a rendue

en l’affaire LaGrand, en laquelle elle a fait observer que «la responsabilité internationale d’un Etat

[était] engagée par l’action des organes et autorités compétents agissant dans cet Etat» et que,

partant, les gouverneurs des Etats «[étaient] dans l’obligation d’agir conformément aux

engagements internationaux des Etats-Unis» 34. Par ailleurs, il est également bien établi que les

Etats-Unis d’Amérique ne sauraient invoquer leur droit interne pour justifier la non-exécution des

obligations juridiques internationales qui leur incombent. La convention de Vienne sur le droit des

traités dispose expressément qu’«[u]ne partie ne pe ut invoquer les dispositions de son droit interne

comme justifiant la non-exécution d’un traité» ( LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique),

mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 16, par. 28) 35. La

cour a confirmé ce principe fondamental, notamment lorsqu’elle a jugé, en l’affaire du Traitement

des nationaux polonais et des autres personnes d’orig ine ou de langue polonaise dans le territoire

de Dantzig, qu’«un Etat ne saurait invoquer vis-à-vis d’un autre Etat sa propre Constitution pour se

soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur»

31 (Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans

o 36
le territoire de Dantzig, avis consultatif, 1932, C.P.J.I. série A/B n 44, p. 24) .

33
Projets d’articles sur la re sponsabilité de l’Etat pour fa it internationalement illicite , adoptés par la
Commission du droit international à sa cinquan te-troisièmo session ( 2001), Nations Unies, Documents officiels de
l’Assemblée générale, cinquante-sixième session, supplément n10, doc. A/56/10, art. 4.
34
Voir également LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Am érique), arrêt, C.I.J.Recueil2001 , p.507-508,
par. 113).
35
Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1963, article27, Nations Unies, Recueil des traités,
vol. 1155, p. 331.
36Voir également Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 6décembre1930,
o
C.P.J.I. série A n4, p. 12 (un Etat «ne saurait se prévaloir de sa légi slation pour restreindre la portée de ses obligations
internationales») ; Réparation des dommages subis au se rvice des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J.Recueil1949 ,
p.180 (lorsqu’une «réclamation [est] fondée sur un manquement à une obligation internationale…[de] l’un de[s Etats]
Membres, ce Membre ne peut prétendre que cette obligation est régie par son droit national.»). - 27 -

13. En bref, le Mexique fait valoir que toute action incomplète au regard du réexamen et de

la revision ordonnés par la présente Cour dans les cas des ressortissants mexicains visés par l’arrêt

donnerait lieu à une violation de l’obligation de résu ltat imposée par le point 9 du paragraphe 153.

Si le Mexique a raison, alors il incombe aux Etats-Unis d’assurer dans chaque cas le réexamen et la

revision du verdict de culpabilité et de la peine etde remédier à tout préjudice dû à la violation

incontestée du traité avant de pouvoir procéder à une exécution. La présente contestation étant ce

qu’elle est, il ne peut faire aucun doute que l es mesures conservatoires demandées découlent des

droits que le Mexique cherche à préserver en atte ndant que la Cour précise le sens de l’obligation

imposée par le point 9 du paragraphe 153 du jugement Avena.

14. Merci, Madame le président. Je vous demande à présent d’appeler à la barre mon

collègue, M. Donovan, qui abordera les autres cond itions remplies par la demande en indication de

mesures conservatoires du Mexique, ainsi que la forme de l’ordonnance demandée.

Le PRESIDENT : Merci, Madame Amirfar. J’appelle à présent M. Donovan.

M. DONOVAN :

F ONDEMENT JURIDIQUE DES MESURES CONSERVATOIRES (2ePARTIE )

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, même si j’espère bien que chacun dans cette

salle aurait préféré que ces audiences n’aient pas lieu, c’est néanmoins un honneur d’apparaître à

nouveau devant la Cour.

2. Ma collègue Mme Amirfar a exposé la pr emière condition d’une indication de mesures

conservatoires ⎯ces mesures visant à préserver les droits des Parties en cause dans la procédure

portée devant la Cour.

3. La deuxième condition est la menace d’un «préjudice irréparable…causé aux droits en

litige» (LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique ), mesures conservatoires, ordonnance du

32 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 15, par. 23.). Il découle de cette condition que les mesures

conservatoires indiquées en application de l’artic le41 ne sont «justifiées que s’il y a urgence,

c’est-à-dire s’il est probable qu’une action préjudiciable aux droits de l’une ou de l’autre Partie sera

commise avant qu’un tel arrêt dé finitif ne soit rendu» (affaire du Passage par le Grand-Belt - 28 -

(FinlandeD c.anemark), mesures con servatoires, ordonnance du 2 j9ilet91,

C.I.J. Recueil 1991, p. 17, par. 23). Malheureusement, cette situation s’est déjà présentée à la Cour

et le traitement que celle-ci a réservé à des demandes identiques en de précédentes occasions ne

permet pas de douter que le Mexique est réelleme nt menacé par un préjudice irréparable et que les

circonstances présentes revêtent une urgence su ffisante pour justifier l’indication de mesures

conservatoires.

4. Les ordonnances rendues par la présente Cour dans les affaires du Paraguay et LaGrand

ainsi que celle qui concernait la demande du Mexique préalable à l’arrêt rendu dans l’affaire Avena

confirment toutes qu’un préjudice irréparable serait causé aux droits du Mexique si l’un

quelconque des ressortissants visés par cet arrêt éta it exécuté avant que la Cour ne tranche la

présente demande en interprétation (voir Convention de Vienne sur les relations consulaires

(Paraguay c.Etats-Unis d’Amérique), mesure s conservatoires, ordonnance du 9avril1998,

C.I.J. Recueil 1998, p. 257, par. 37 ; LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), mesures

conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 15, par. 24 ; Avena et autres

ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance

du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p.91, par.55). Comme la Cour l’a tout d’abord déclaré

dans l’affaire du Paraguay, puis répété dans les affaires LaGrand et Avena , l’exécution d’un

ressortissant qui pourrait y échapper en vertu du remède demandé par l’Etat requérant «rendrait

impossible l’adoption de la solution demandée pa r «cet Etat» et porterait ainsi un préjudice

irréparable aux droits revendiqués par celui-ci» (Convention de Vienne sur les relations consulaires

(Paraguay c.Etats-Unis d’Amérique), mesure s conservatoires, ordonnance du 9avril1998,

C.I.J. Recueil 1998, p.257, par.37). En clair, on ne pe ut concevoir d’acte plus irréparable que

l’exécution d’un être humain.

5. La logique suivie par la Cour pour statuer sur les trois précédentes requêtes est

parfaitement applicable à la présente espèce. Si la Cour devait refuser d’indiquer les mesures

conservatoires demandées, le préjudice qui en résulterait —sous la forme de l’exécution d’un

ressortissant mexicain ayant droit à une juste interprétation de l’arrêt— serait irréparable.

Procéder à l’exécution d’un ressortissant mexicain visé par l’arrêt Avena —et donc en droit de

demander le réexamen et la revision — avant que la Cour n’ait eu la possibilité de se prononcer sur - 29 -

33 la présente demande en interprétation priverait à jamais le Mexique de la possibilité de faire valoir

ses droits et ceux de ses nationaux. Il va de soi que s’appliquent aujourd’hui avec la même vigueur

les considérations relatives au préjudice irrépara ble, faites lors de la précédente demande en

indication de mesures conservatoires du Mexique, selon lesquelles des excuses ou toute autre

restitution sous une quelconque forme matérielle seraient manifestement inadaptées. Et il va de soi

que s’appliquent aujourd’hui avec la même vigueur les considérations qui avaient conduit la Cour à

juger que tout report d’exécution, en attendant que le différend correspondant soit réglé, ne saurait

suffire à effacer ou à réparer le préjudice causé au Mexique.

6. De même, la question de l’urgence ne se pose pas. En faisant droit à la précédente

demande en indication de mesures conservatoires du Mexique, la Cour a j ugé que certains de ses

ressortissants «risqu[ai]ent d’être exécutés dans les prochains mois, voire dans les prochaines

semaines» et conclu que «leur exécution porterait un préjudice irréparable aux droits que l’arrêt de

la Cour pourrait éventuellement reconnaître au Mexique» (Avena et autres ressortissants mexicains

(Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), mesu res conservatoires, ordonnance du 5février2003,

C.I.J. Recueil 2003, p.91, par.55). A ce moment-là, aucun des ressortissants mexicains pour

lesquels le Mexique avait introduit des recours ne s’était vu fixer de date d’exécution, mais la Cour

a précisé que cette circonstance n’était pas une condition sine qua non. Plus précisément, la Cour a

estimé : «la circonstance que de telles dates n’aient été fixées dans aucun des cas soumis à la Cour

n’est pas en soi de nature à interdire à celle -ci d’indiquer des mesures conservatoires» (ibid., p. 91,

par. 54).

7. Comme MmeBabcock l’a dit, alors que nous nous trouvons ici aujourd’hui, des

fonctionnaires texans se préparent à procéder à l’ exécution de M.Medellín le 5 août prochain.

Comme elle l’a également indiqué, un autre ressortissant visé par l’arrêt Avena pourrait se voir

signifier la date de son exécution dans un délai de trente jours seulement. Et trois autres personnes

risquent de se voir signifier leur exécution quatr e-vingt-dix jours seulement avant celle-ci.

L’urgence est incontestable.

8. J’aimerais faire deux autres observations concernant l’urgence. Un plaideur qui envisage

d’introduire une demande en indication de mesu res conservatoires doit toujours mettre en balance

le risque de déclencher inutilement ou prématurém ent la procédure judiciaire, d’une part, et la - 30 -

nécessité d’accorder à la cour ou au tribunal saisi le temps suffisant pour évaluer la requête, d’autre

part. En déposant sa demande deux mois avant la date prévue par le Texas pour procéder à

l’exécution de M.Medellín, le Mexique a veillé à se conformer à l’observation de la Cour selon

laquelle «une bonne administration de la justice [p ar la Cour] exige qu’une demande en indication

de mesures conservatoires fondée sur l’article 73 du Règlement de la Cour soit présentée en temps

utile» (LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du

3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p.14, par.19; Avena et autres ressortissants mexicains

34 (Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), mesu res conservatoires, ordonnance du 5février2003,

C.I.J. Recueil 2003, p. 90, par. 54). Partageant totalement ce point de vue, le Mexique a introduit

sa demande à un moment qui permettra à la Cour de l’examiner pleinement et comme il se doit,

malgré l’urgence indéniable.

9. Je passe maintenant à ma seconde observation en ce qui concerne l’urgence : le Mexique

convient que, en matière de mesures conservatoires, la prudence s’impose, et il tient à exprimer sa

déférence à l’égard de l’approche suivie par la Cour à l’occasion de sa demande de mesures

conservatoires antérieure. Le Mexique demande donc à la Cour de n’indiquer des mesures

conservatoires qu’à l’égard de ses ressortissants qui ont épuisé les recours qui leur étaient ouverts

et dont l’exécution est imminente. Dans son ordon nance du 5 février 2003 concernant la première

demande du Mexique, la Cour a indiqué des mesure s conservatoires concernant trois ressortissants

mexicains qui risquaient d’être exécuté dans les six mois ( Avena et autres ressortissants mexicains

(Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), mesu res conservatoires, ordonnance du 5février2003,

C.I.J. Recueil 2003, p.81, par.11). En la présente espèce, la demande du Mexique vise

cinq personnes, dont deux qui étaient visées par l’ordonnance antérieure de la Cour (ibid.). Comme

je viens de le dire, la date d’exécution de l’ un de ces ressortissants mexicains, M.Medellín, est

fixée au 5août, et les quatreautres pourraient être exécutés dans les quatre-vingt dix jours. Bien

entendu, le Mexique s’adressera de nouveau à la Cour au sujet de ces autres personnes si les

circonstances devaient le rendre nécessaire ( Demande en indication de mesures conservatoires ,

5 juin 2008, p. 2, n1).

10. Je passe donc à la troisième condition, sur laquelle je serai bref. - 31 -

11. La demande de mesures conservatoires formulée par le Mexique n’amènera pas la Cour à

préjuger la demande en interprétation de celui-ci. Là encore, la Cour a confirmé, par les trois

ordonnances antérieures que celle-ci a rendues relativement à des faits identiques, qu’une

ordonnance de suspension d’exécution ne préjuge en rien les conclusions auxquelles la Cour

pourrait aboutir sur le fond (Voir Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay

ct.ats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance dua9 vr1l98,

C.I.J. Recueil 1998, p. 257-58, par.40; LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), mesures

conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 5, par. 27; Avena et autres

ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance

du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 91, par.58). Au contraire, par sa demande de mesures

conservatoires, le Mexique sollicite précisément ce qui est de la nature même de ce genre de

35 mesures ⎯ le maintien du statu quo, de sorte que la Cour, lorsqu’elle est prête à se prononcer sur le

différend, est toujours en mesure d’accorder à la partie qui a gain de cause la réparation qui n’a rien

de théorique. En effet, comme le Mexique l’a signalé dans sa demande antérieure, c’est

précisément le refus d’accorder des mesures conservatoires qui préjugerait les conclusions

auxquelles la Cour pourrait aboutir sur le fond, puisqu’à l’égard de tout ressortissant mexicain qui

serait exécuté entre-temps, la Cour se sera it rendue incapable de donner effet à la position du

Mexique si celle-ci était retenue dans sa demande d’interprétation.

12. Madame le président, Messieurs de la Cour, nous soutenons que, vu l’enseignement des

ordonnance rendues dans les affaires Paraguay, LaGrand, et Avena, le Mexique a clairement

démontré qu’il a droit aux mesures conservatoires qu’il sollicite.

13. Avec la permission de la Cour, je vais donc passer à la forme de l’ordonnance indiquant

des mesures conservatoires que le Mexique sollicite. Dans les affaires Paraguay et LaGrand, la

Cour a dit que les Etats-Unis « doivent prendre toutes les mesures dont ils disposent» pour que les

ressortissants étrangers ne soient pas exécutés tant que la décision définitive en la présente instance

n’aura pas été rendue ( LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,

ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 16, par. 29 a) (italiques ajoutés) ;

Convention de Vienne sur les relations consulai res (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures

conservatoires, ordonnance du 9a vril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p.258, par.41(I) (italiques - 32 -

ajoutés). Dans ces deux affaires, les personnes qui avaient fait l’objet de mesures conservatoires

furent exécutées peu de temps après, et dans l’affaire LaGrand, lorsque l’Allemagne a demandé à

la Cour de déclarer que les Etats-Unis avaient ai nsi violé une obligation internationale, ceux-ci ont

fait valoir que l’ordonnance pertinente était plus ambiguë que certains auraient pu le penser ⎯ une

prétention que, bien entendu, la Cour a rejetée.

14. Cela étant, à la lumière de ces faits, le Mexique a prié la Cour, par sa première demande

de mesures conservatoires, de rédiger son ordon nance de sorte que les mesures indiquées imposent

à l’évidence une obligation de résultat et non de m oyens — indiquant clairement que tout obstacle

résultant du droit national ne pourrait justifierla non-exécution des engagements— et indiquant

clairement, en d’autres termes, que les Etats-Unis d’Amérique auraient, en clair, l’obligation

d’empêcher les exécutions. La Cour s’est prononcée en faveur de cette demande et a rendu une

ordonnance de mesures conservatoires en l’affaire Avena qui s’est notablement écartée de celles

qu’elle avait rendues dans les affaires Paraguay et LaGrand , en déclarant que les Etats-Unis

«prendr[aient] toute mesure» pour que les trois re ssortissants mexicains ne soient pas exécutés

avant la clôture de l’instance ( Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c.Etats-Unis

d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnan ce du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p.91,
36

par. 59(1) a)). Ces termes étaient non équivoques, et nous demandons à la Cour de les réemployer

en la présente instance.

15. Nous demandons toutefois à la Cour, une fois de plus dans cette affaire, de rendre une

ordonnance encore plus explicite que les précédentes. Au vu de la confusion qu’engendre, selon

nous, la nature de l’obliga tion imposée par l’affaire Avena, nous prions la Cour de préciser que

l’obligation de prendre toute mesure pour ne p as procéder à l’exécution s’applique à tous les

organes compétents des Etats-Unis d’Amérique et à toutes ses subdivisions, y compris toutes les

branches du gouvernement ainsi que tout organe officiel, d’Etat ou fédéral exerçant une autorité

gouvernementale. Cela constitue, bien entendu, un principe fondam ental du droit international.

Dans les conditions actuelles, nous pensons toutefois qu’il mérite d’être expressément réaffirmé par

la Cour en la présente instance. - 33 -

16. Par ailleurs, conformément à l’ordonnance rendue en l’affaire Avena, le Mexique prie la

Cour d’ordonner aux Etats-Unis d’Amérique d’in former la Cour de toute mesure prise pour

empêcher l’exécution de MM. Medellín, Fierro, Ramírez, Leal et Moreno.

17. Madame le président, permettez-moi de fa ire une dernière observation: les Etats-Unis

d’Amérique incarnent la règle de droit. Le pr ésident des Etats-Unis et la Cour suprême des

Etats-Unis ont tous deux confirmé que les Etats- Unis avaient l’obligation juridique, résultant de

traités volontairement conclus, de se conformer à l’arrêt Avena . Pourtant, M.Medellín,

ressortissant mexicain pouvant prétendre en vertu de cet arrêt au réexamen et à la revision du

verdict prononcé à son encontre et de sa peine à la lumière de la violati on de la convention de

Vienne sur les relations consulaires à son égard, s’apprête à être exécuté sans avoir bénéficié de ce

réexamen et de cette revision.

18. Dans ces conditions, nous re venons devant la Cour en espérant — de fait, en pensant —

que l’intervention de celle-ci sous la forme d’une indication des mesures conservatoires

demandées, laquelle éclaircirait dans un premier temps la nature de l’obligation imposée par l’arrêt

Avena, aidera à faire valoir l’autorité du droit inrnational dans les relations entre Etats et, en

outre, l’engagement des Etats-Unis d’Amérique relatif à la règle de droit.

19. Je vous remercie, Madame le président. Je vous prie à présent d’appeler à la barre mon

collègue, S. Exc. M. Jorge Lomónaco Tonda, ambassadeur du Mexique auprès du Royaume des

Pays-Bas.

Le PRESIDEN:TMerci, Monsieur Donovan. J’appelle à la barre

S. Exc. M. l’ambassadeur Lomónaco Tonda.

37 M. LOMÓNACO TONDA :

O BSERVATIONS FINALES ET CONCLUSIONS

1. Je vous remercie, Madame le président. C’est un véritable honneur et un privilège pour

moi que de me présenter devant vous aujourd’hui. Si la Cour m’y autorise, je formulerai quelques

brèves remarques en conclusion de nos observati ons concernant la demande en indication de

mesures conservatoires du Mexique. - 34 -

2. Madame le président, Messieurs de la Cour, si le Mexique est de retour devant la Cour

internationale de Justice, c’est non seulement pour sauvegarder ses droits, mais aussi dans un esprit

de constance : constance dans son engagement de voir respecter le droit international et constance

dans le soutien qu’il entend appor ter à la Cour en tant qu’organe judiciaire suprême Œuvrant au

règlement pacifique des différends entre Etats. Dans ce contexte, le Mexique prend dûment acte du

travail accompli par la Cour dans son arrêt en l’affaire Avena et sa décision, le 5juin dernier, de

présenter une demande en interprétation témoigne de son attachement à voir pleinement exécuter

les dispositions de cet arrêt.

3. Le Gouvernement du Mexique reconnaît et salue les efforts déployés par le Gouvernement

des Etats-Unis en vue d’obtenir l’exécution de l’arrêt Avena par les juridictions des Etats de

l’Union. Ces efforts se sont cependant révélés être en-deçà des prescriptions de l’arrêt. Ayant

échoué dans ses ouvertures diplomatiques aupr ès de hauts responsables du Gouvernement des

Etats-Unis et au terme d’une analyse approfondie des différentes options juridiques, le Mexique est

parvenu à la conclusion que son gouvernement et celui des Etats-Unis d’Amérique entretenaient

des vues divergentes quant au sens et à la portée du point9 du paragraphe153 de l’arrêt Avena ;

des éclaircissements de la Cour s’imposaient donc. Indépendamment de la présente procédure, le

Mexique demeure fermement résolu à poursuivre sa collaboration avec les Etats-Unis en vue de

résoudre les nombreuses questions qui se posent dans le contexte d’une rela tion bilatérale étroite

comme celle qui nous lie, y compris en ce qui concerne les efforts tendant à obtenir le plein respect

des dispositions de l’arrêt Avena.

4. Ainsi que l’ont clairement démontré les plaidoiries d’aujourd’hui, la demande en

indication de mesures conservatoires présentée par le Mexique satisfait à tous les critères prévus

par l’article41 du Statut et repris par la Cour dans sa jurisprudence. Le Mexique a introduit une

demande en indication de mesures conservatoires dont il juge la portée étroite, circonscrite aux

mesures strictement nécessaires pour sauvegarder les droits du Mexique dans l’attente de l’arrêt

que la Cour est appelée à rendre sur sa demande en interprétation. A ce stade, le Mexique n’a prié

la Cour d’indiquer des mesures conservatoires qu’ à l’égard de ceux de ses ressortissants ayant
38

épuisé toutes les voies de recours qui leur étaient ouv ertes en vertu du droit applicable des Etats de

l’Union, et risquant d’être exécutés de manière imminente. - 35 -

5. Le Mexique a pris soin de solliciter la Cour suffisamment à l’avance pour que celle-ci

dispose d’un délai raisonnable afin d’examiner sa demande en détail et que, parallèlement, les

Etats-Unis aient amplement la possibilité de mettr e en Œuvre toute mesure que la Cour pourrait

ordonner. Le Mexique remercie la Cour d’avoir organisé ces audiences dans les meilleurs délais

possibles, et ne doute pas que les Etats-Unis prendront toutes les mesures qui s’imposent, si la Cour

rend une ordonnance à cet effet, pour empêcher l’exécution des personnes visées par les mesures

conservatoires.

6. Enfin, Madame le président, Messieur s de la Cour, au nom du Gouvernement des

Etats-Unis du Mexique agissant en son nom propre et au titre de la protection diplomatique de ses

ressortissants, permettez-moi de prier votre honorable Cour de rendre une ordonnance indiquant :

a) que les Etats-Unis d’Amérique, par l’intermédia ire de tous leurs organes compétents et de

toutes leurs entités constitutives, y compris t outes les branches du gouvernement et tout

responsable exerçant une autorité publique, à l’échelon des Etats ou à l’échelon fédéral, doivent

prendre toutes les mesures nécessaires pour évite r qu’il ne soit procédé à l’exécution de José

Ernesto Medellín, César Roberto Fierro Reyna, Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal

García et Roberto Moreno Ramos, dans l’attente de l’issue de l’instance introduite par le

Mexique le 5 juin 2008 ; et

b) que le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique doit informer la Cour de toutes les mesures

qu’il aura prises en application de l’alinéa a) ci-dessus.

7. Au vu de l’extrême gravité de la situation et du risque majeur de voir certaines instances

des Etats-Unis procéder prochainement à l’exécu tion des ressortissants mexicains visés par la

présente demande, et ce, en violation des obligations incombant aux Etats-Unis en vertu de l’arrêt

Avena, mon gouvernement prie respectueusement la Cour d’examiner cette demande de toute

urgence.

8. Voilà qui clôt les plaidoiries du Mexique pour aujourd’hui. Je vous remercie, Madame le

président. - 36 -

Le PRESIDENT : Monsieur l’ambassadeur, je v ous remercie. Voilà qui met fin au premier
39
tour d’observations orales du Mexique. Les audien ces reprendront à 15 heures et la Cour entendra

alors les Etats-Unis en leur premier tour d’observations orales. L’audience est levée.

L’audience est levée à 11 h 25.

___________

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