CrY
CR 2008/11 (traduction)
CR 2008/11 (translation)
Mercredi 28 mai 2008 à 10 heures
Wednesday 28 May 2008 at 10 a.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT : Veuillez-vous asseoir. La Cour se réunit ce matin pour entendre la suite
des plaidoiries de la Croatie, et il me semble que c’est à vous, M. Crawford, de prendre la parole.
M. CRAWFORD : Merci, Madame le président, Messieurs de la Cour :
4. LA COMPÉTENCE DE LA C OUR ET LE PRINCIPE DE LA CONTINUITÉ DE LA RESPONSABILITÉ
Introduction
1. C’est un honneur pour moi de plaider dans la présente instance au nom de la Croatie.
2. Comme l’avait annoncé M.Simonovic, il m’ap partient maintenant de traiter de deux
questions touchant la recevabilité. La première concerne la deuxi ème exception préliminaire de la
Serbie, relative aux événements antérieurs au 27 avril 1992. La seconde concerne l’argument de la
Serbie selon lequel certaines des demandes formulées par la Croatie dans ses conclusions quant aux
remèdes sont irrecevables.
3. Bien entendu, ces deux exceptions ne sont que partielles. Elles n’empêcheront pas la Cour
de connaître de l’affaire — si elle est compétente. Et nous en viendrons à la compétence, je peux
vous l’assurer. Leur seul effet serait de limiter l’étendue de votre compétence ratione temporis ou
les remèdes susceptibles d’être accordés.
4. Mon exposé sera bref car, pour nous, il est évident que les deux arguments touchent aux
faits et au fond, et ne sont pas véritablement des questions de recevabilité, au moins pas au-delà
d’un certain point très élémentaire. Madame le président, vous avez par deux fois maintenant
averti les Parties qu’elles ne devaient s’aventurer dans les faits : je vais essayer de tenir compte de
cet avertissement, et c’est pourquoi je serai bref.
La deuxième exception préliminaire de la Serbie
5. J’examinerai maintenant la deuxième excep tion préliminaire de la Serbie, à savoir: «La
requête est irrecevable pour autant qu’elle renvoie à des actes ou omissions antérieurs au
27avril1992.» Il est frappant que le 27avril 1992 était une proclamation de continuité. Le
demandeur y voit aujourd’hui une solution de continuité.
6. Lundi nous avons entendu M.Djeri ć et M.Zimmermann se livrer à un pas de deux
logique élaboré ou, si l’on compte l’agent de la Serbie, M.Varady, à un «pas de trois». Tous - 3 -
visaient à rendre juridiquement impossible l’enga gement de la responsabilité à raison des actes
1
9 génocidaires commis par des entités serbes avant cette date . Mais la RFY n’était pas un Etat
nouvellement indépendant au sens des conventions de Vienne de 1978 et 1983, et elle n’avait pas le
privilège d’une ardoise vierge, ni du point de vue de la succession ni de celui de la responsabilité.
Et ce sont les deux seules questions qui soient pe rtinentes: la question de la succession et la
question de la responsabilité ⎯il n’y en a pas de troisième. Dans ces deux domaines, le droit
international est en soi cohérent: il vise à évit er les interruptions tant dans la couverture
conventionnelle que dans la responsabilité pour les violations des traités.
7. S’agissant de la question de succession, elle est simple: le défendeur était-il
continuellement lié par la convention sur le génocide ? M. Sands a montré qu’il l’était — de fait, le
défendeur a expressément et inconditionnellement admis l’être. La fameuse lettre que le défendeur
a adressée le 27avril1992 au Secrétaire général n’était pas une promesse, faite aux Etats qui
acceptaient la thèse de la continuité de la RF Y, selon laquelle la RFY ne commettrait pas de
génocide ou d’autres actes contraires aux obligations conventionnelles de la RFSY. Elle n’était ni
relative ni conditionnelle. Elle n’était pas non plus exprimée en termes prospectifs; elle était
rédigée en termes de continuité. Le défendeur était partie à la convention sur le génocide par l’effet
de la succession dès le début de son existence en tant qu’Etat.
8. Je souligne que la succession est un mode dis tinct de participation à un traité. A la
différence de tous les autres modes, elle rétroagit à la naissance de l’Etat successeur. Ce n’est pas,
comme la Serbie a semblé le suggérer lundi, une adhésion déguisée. Elle n’est pas non plus exclue
par l’article XI de la convention sur le génocide, qui ne concerne que la ratification et l’adhésion, et
non la succession. En pratique, de nombreux Etat s ont succédé à la convention sur le génocide, y
compris la Croatie: il n’avait jamais été suggéré auparavant que l’articleXI y mettait obstacle.
Dire, comme l’ont fait lundi les conseils de la Croatie, que l’articleXI a un tel effet est un
2
argument désespéré .
1
Voir, notamment, CR2008/8, p.54 et suiv. (Djerć); CR2008/9, p.8 et suiv. (Djeri ć); CR2008/9, p.13 et
suiv. (Zimmermann) et CR 2008/9, p. 32-33 (Varady).
2 Voir, notamment, CR 2008/8, p. 50-52. - 4 -
9. Comme je l’ai dit, la succession est une forme de transmission de relations juridiques
existantes, non un mode d’acquisition de relations juridiques nouvelles. Et l’objet de la succession
est d’éviter toute solution de continuité. Lorsqu’un Etat succède à un traité, il est lié par ce traité
ab initio, et doit rendre compte de toute violation de ce traité qui peut lui être attribuable en vertu
des règles du droit international relatives à l’attribution.
10 10. Ceci est particulièrement important dans le cas des traités universels comme la
convention sur le génocide. Il s’agit d’une c onvention déclaratoire et confirmatoire, non d’un
arrangement synallagmatique entre Etats. Il n’y a pas deux types de génocide, le génocide
conventionnel et le génocide coutumier —comme me s collègues de la Partie adverse l’ont laissé
entendre lundi. Le génocide est une notion un itaire, il est contraire aussi bien au droit
conventionnel qu’au droit coutumier. La convention sur le génocide ne vise pas un comportement
qui lui est contraire, mais bien le «génocid e ou…l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’articleIII», une formulation délibé rée. Et le génocide est ce qu’i l y a de plus proche en droit
international d’une idée absolue; il ne s’entend pas relativement à tel ou tel Etat. Il y a juste le
génocide par référence à la définition énoncée dans la Convention, et l’objet et le but de celle-ci
appellent une application temporelle aussi large que possible, comme vous l’avez souligné en 1996.
11. Le problème fondamental est que la Serbie traite l’ordre juridique international comme
un «club» fermé, avec des règles d’admission précises et strictes, et l’exclusion de tous ceux qui
n’en sont pas membres. La date de la proc lamation de l’indépendance d’un Etat est considérée
comme décisive ⎯avant cette date il ne peut y avoir d’obligations conventionnelles et donc de
responsabilité pour leur violation.
12. Lorsque la dissolution d’un Etat est un pr ocessus ordonné arrêté d’un commun accord et
qui se produit à un moment précis ⎯ comme elle peut l’être à l’occasion, tel fut le cas pour
l’ex-Tchécoslovaquie ⎯ une telle approche peut être plus ou moins viable. Mais, en fait, même
dans le cas de la Tchécoslovaquie il y a eu des problèmes ⎯ que la Cour a pris soin de minimiser
sinon d’éviter totalement dans Gabčíkovo-Nagymaros. Je note qu’en l’occurrence le détournement
du Danube a eu lieu avant la dissolution officielle de la Tchécoslovaquie, qu’elle s’est faite sous le
contrôle de la Slovaquie et non de la Tchécoslovaquie, et que la responsabilité internationale de la
Hongrie était déjà engagée, à strictement parl er, envers la Tchécosl ovaquie, non envers la - 5 -
Slovaquie. Mais ces faits n’ont fait aucune différence quant au résultat, que ce soit du point de vue
de la succession ou de celui de la responsabilité.
13. Mais lorsque la dissolution est un processus violent, désordonné
et contesté ⎯ comme en
l’espèce ⎯ la situation est tout à fait différente. La dissolution de la RFSY n’a pas du tout
ressemblé à une admission dans un «club». Ceci est clairement expliqué par M. Brownlie dans les
éditions successives de son manuel :
11 «Il n’est pas rare que les Etats apparaissent d’abord comme des entités
belligérantes indépendantes relevant d’une autorité politique qui peut être appelée
gouvernement provisoire et fonctionne effec tivement comme telle … [U]ne fois la
qualité d’Etat fermement établie, il est justifiable, tant juridiquement que
pratiquement, d’assumer la validation rétr oactive de l’ordre juridique durant une
période précédant la reconnaissance générale ⎯période durant laquelle a existé un
gouvernement ayant une certaine effectivité… [L]e principe de l’effectivité dicte
l’acceptation, au moins à certaines fins juridi ques, de la continuité avant et après que
la qualité d’Etat a été fermement établie.» 3 [Traduction du Greffe.]
14. Et l’une des fins juridiques pour lesquelles l’on admet «la continuité avant et après que la
qualité d’Etat a été fermement établie» est la respon sabilité internationale. La règle pertinente est,
la Serbie le reconnaît, codifiée à l’article10 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat,
sur lequel je me pencherai bientô t. Je montrerai que la deuxièm e exception préliminaire confond
des questions de recevabilité véritablement préliminaires avec la valid ité quant au fond des
demandes de la Croatie, et qu’elle doit être rejetée en tant qu’exception préliminaire. J’admets que
ce faisant, la Cour ne décidera pas ⎯ et n’aura pas même besoin d’envisager ⎯ quelle conduite, le
cas échéant, antérieure au 27avril1992 est attri buable à l’Etat défendeur: l’attribution est une
question de fond et vous ne préjugerez pas le fond en rejetant une exception préliminaire. J’admets
aussi que c’est à la Croatie que la preuve de violations de la convention sur le génocide à raison
d’actes commis avant cette date continuera d’incomb er. Mais les questions de preuve sont elles
aussi des questions de fond.
15. En bref, la Croatie, énonce trois propositions :
⎯ proposition 1 : un Etat peut être responsable à ra ison du comportement de personnes agissant
en son nom avant la date officielle à laquelle il est établi ou proclamé.
3 e
I Brownlie, Principles of Public International Law(6 éd., Oxford, 2003), p. 77. - 6 -
⎯ proposition 2 : la question de savoir si l’Etat est ainsi responsable est une question
d’attribution.
⎯ proposition 3 : l’attribution d’un comportement à l’Etat est une question de fond, non de
compétence ou de recevabilité.
Il découle de ces trois propositions que la deuxième exception préliminaire concerne le fond.
16. Je comprends que l’on puisse penser qu’il s’agit là d’une manière quelque peu abstraite
et froide d’envisager la recevabilité dans une a ffaire de génocide. Mais la question de la
recevabilité est une question catégorique : il ne s’agit pas de savoir si le défendeur est responsable
en réalité ⎯ car le fond est suspendu par le fait même du défendeur. C’est qu’à priori le défendeur
ne peut pas être responsable, et c’est ainsi que son conseil a présenté la chose hier.
17. Mais pour ne pas que l’on pense que je suis d’une froideur excessive, permettez-moi de
donner un seul exemple factuel, en présentant mes excuses à la Cour. Madame le président, ce que
je suis sur le point de dire est tiré de doc uments publics du Tribunal pénal international pour
12 l’ex-Yougoslavie ; les références sont dans les notes. Dans le jugement rendu dans l’affaire Babić,
er
il est dit que durant la période couverte par l’acte d’accusation, allant du 1 août environ au
15février1992, les forces serbes, composées d’unités de la JNA, de la défense territoriale serbe
locale et de la Serbie, d’unités de police serbes et d’unités paramilitaires ont attaqué des villes, des
villages et des localités de la Krajina, c’est-à-dire en Croatie, et en ont pris le contrôle 4. Selon la
déposition faite par Babi ć dans l’affaire Milošević, toutes les personnes concernées en «Krajina»
étaient sous le contrôle de l’ancien président Miloševi ć et de Belgrade. Ceci comprenait
l’ensemble de la structure militaire (la JNA, les forces de police et de défense territoriale de Serbie
5
et de la «Krajina», ainsi que les unités pa ramilitaires, locales et importées de Serbie) . Dans le
second acte d’accusation dressé contre l’ex-président Miloševi ć, l’accusation affirmait qu’il était
responsable, entre autres, d’avoir participé à une entreprise criminelle commune et exercé un
contrôle effectif sur d’autres participants à cette entreprise qui visait à occuper des régions de
6
Croatie en vue du déplacement forcé de la population croate et du reste de la population non serbe .
4 o
Le procureur c. Babić, affaire n IT-03-72-S, chambre de première instance, jugement, 29 juin 2004, par. 14.
5 Le procureur c. Milošević, affaire n IT-02-54-T, déposition, 3 décembre 2002, p. 13737, 13740 et 13744.
6 Le procureur c.Miloševi ć, affaire n IT-02-54-T, deuxième acte d’a ccusation modifié, 28 juillet 2004,
par. 25-26. - 7 -
Le jugement rendu dans l’affaire Martić a également montré que le défendeur avait participé
directement à l’agression contre la Croatie et à l’ occupation de ce pays par l’intermédiaire de son
7
service de sécurité d’Etat (SDB) et de son ministère de l’intérieur .
18. Je le souligne de nouveau: nous ne s uggérons pas que la Cour doive à ce stade se
pencher sur ces faits et questions. Mais ne nous y trompons pas ⎯ il s’agit de faits et de questions
qu’il faudra examiner si vous avez compétence. Les arguments de la Se rbie sur la recevabilité
⎯ question à laquelle ses conseils ont consacré lundi plus de la moitié de leur temps, sans compter
les répétitions ⎯ visent en réalité à obtenir un jugement su r le fond par des moyens détournés, et
sans avoir à déposer de contre-mémoire.
Je reviens maintenant à mes trois propositions.
13 Proposition 1 : un Etat peut être responsable à raison du comportement de personnes
agissant pour son compte avant la date officielle de sa création ou de sa proclamation
19. Cette hypothèse revêt une importance par ticulière lorsque, comme en l’espèce, la
succession est un processus et non un événement ponctu el. Le principe applicable est énoncé à
l’article 10 des articles de la CDI, lequel se lit comme suit :
«Comportement d’un mouvement insurrectionnel ou autre
1. Le comportement d’un mouvement insurrectionnel qui devient le nouveau
gouvernement de l’État est considéré comme un fait de cet État d’après le droit
international.
2. Le comportement d’un mouvement insu rrectionnel ou autre qui parvient à créer
un nouvel État sur une partie du territoire d’un État préexistant ou sur un territoire
sous son administration est considéré comme un fait de ce nouvel État d’après le droit
international.
3. Le présent article est sans préjudice de l’attribution à l’État de tout
comportement, lié dequelque façon que ce soit à celui du mouvement concerné, qui
doit être considéré comme un fait de cet État en vertu des articles 4 à 9.»
20. Permettez-moi tout d’abord de relever la différence existant entre les paragraphes 1 et 2.
Le paragraphe1 a trait aux mouvements rebelles da ns un Etat existant, ce qui explique qu’il ne
porte que sur les mouvements insurrectionnels. Le pa ragraphe 2 concerne, quant à lui, la situation
d’un nouvel Etat et ne porte pas uniquement sur les mouvements insurrectionnels. Il s’applique au
comportement de tout mouvement, insurrectionnel ou autre, qui parvient à créer un nouvel État.
7 o
Le procureur c. Martić, affaire n IT-95-11-T, jugement, 12 juillet 2007, par. 141-142. - 8 -
Or, tel a précisément été le cas en l’espèce. J’insiste sur les mots «ou autre», dont les conseils de la
8
Serbie ont eu tendance à faire fi .
21. Le commentaire de l’article 10 précise clairement cela :
«Lorsque le mouvement insurrectionnel ou autre réussit à créer un nouvel Etat
sur une partie du territoire de l’Etat préexistant ou sur un territoire qui était
précédemment sous son administration, l’a ttribution au nouvel Etat du comportement
du mouvement insurrectionnel ou autre est à nouveau justifiée par la continuité entre
l’organisation du mouvement et l’organi sation de l’Etat auquel celui-ci a donné
naissance. En effet, l’entité qui avait a uparavant les caractéristiques d’un mouvement
insurrectionnel ou autre est devenue le gouvernement de l’Etat pour la création duquel
elle luttait. L’Etat prédécesseur ne peut êt re tenu pour responsable de ces actions. La
seule possibilité est donc que le nouvel Et at soit tenu d’assumer la responsabilité du
comportement adopté en vue de sa propre création, et telle est la règle acceptée.» 9
Je me permets de souligner le fait que la notion de «mouvement, insurrectionnel ou autre»
est très large et factuelle. L’histoire a montré qu’il y a pour les mouvements de nombreuses
14 manières ⎯ pas plus inhabituelles que celle-ci, pourrait-on dire ⎯ de créer de nouveaux Etats, et la
notion de «mouvement» s’entend donc au sens large, et non dans le sens ex trêmement restrictif
suggéré par la Serbie.
22. Ce principe a été récemment illustré par une décision de la Commission des réclamations
entre l’Erythrée et l’Ethiopie, laquelle a jugé qu e des Ethiopiens appartenant à l’ethnie érythréenne
qui s’étaient inscrits pour voter lors du référendum sur l’indépendance de l’Erythrée avaient de ce
fait ⎯de par leur inscription ⎯ et indépendamment du fait qu’ils aient ou non voté et de la
manière dont ils avaient voté, acquis la nationalité érythréenne en application d’une ordonnance
de 1992. Cela est manifestement antérieur à l’ indépendance officielle de l’Erythrée, laquelle ⎯ la
Cour sera soulagée de l’apprendre ⎯ n’est intervenue qu’après le référendum ! L’Erythrée a, entre
autres, fait valoir que, dans la mesure où elle n’était devenue un Etat qu’en1993 et où ces
personnes avaient pu être opposées à l’indépendance, on ne pouvait postuler qu’elles avaient choisi
une nationalité qui n’était pas encore établie. La Commission a jugé que les personnes en question
avaient acquis la nationalité érythréenne en 1992, ce qui n’était pas sans conséquences sur
l’application du droit de la responsabilité entre les deux Etats. La Commission a indiqué ce qui
suit :
8
Voir, entre autres, CR 2008/8, p. 54.
9
CDI, commentaire de l’article 10, par. 6 ; voir aussi par. 8. - 9 -
«[L]a Commission n’est…pas convaincu e par l’argument de l’Erythrée selon
lequel le fait de s’inscrire en tant que ressor tissant érythréen aux fins de participer au
référendum de1993 est dépourvu de consé quences juridiques importantes. L’entité
dirigeante qui a délivré ces cartes n’étaient pas encore officiellement reconnue comme
indépendante ou comme membre de l’Organi sation des NationsUnies, mais exerçait
un contrôle effectif et autonome sur un territoire déterminé et une population
permanente, et entretenait des relations effectives et importantes avec le monde
extérieur, en particulier dans le domaine économique. A tous ces égards, elle
présentait les caractéristiques d’un Etat du point de vue du droit international.
Compte tenu des circonstances inhabituelles de la transition ayant conduit à la
création du nouvel Etat d’Erythrée et du comportement des deux Parties ⎯ avant et
après le référendum de1993 ⎯, la Commission conclut que les personnes qui
remplissaient les conditions requises pour pa rticiper au référendum…sont devenues
des citoyens du nouvel Etat d’Erythrée, conformément à la proclamation n o21/1992
10
de l’Erythrée…» . [Traduction du Greffe]
23. Madame le Président, Messieurs de la Cour, la logique rigide des conseils de la Serbie ne
permettrait pas d’aboutir à un tel résultat, à savoir que la citoyenneté précède effectivement l’Etat.
Mais le droit international n’est pas le produit de la logique, il est le fruit de l’expérience et la règle
énoncée au paragraphe 2 de l’article 10 est, comme l’a précisé la CDI, «la règle acceptée».
24. Or, si l’on applique la règle acceptée à la présente espèce, il apparaît clairement qu’il y a
eu un processus, un processus gouvernemental, et ce du début à la fin. De plus, ce processus s’est
déroulé, en fait, sur le mode de la continuité. Les dates précises n’étaien t pas essentielles et n’ont
15 pas été présentées comme telles à l’époque. Il est juste de dire que c’est à son corps défendant que
la FRY s’est constituée en Etat distinct, mais ça n’est pas une raison pour l’exonérer de sa
responsabilité à raison du comportement de ses agents au cours dudit processus.
Proposition 2 : le fait de savoir si l’Etat est ainsi responsable est une question d’attribution
25. J’en viens maintenant à la deuxième proposition. Etant donné qu’il peut y avoir
responsabilité, le fait de savoir si un Etat est resp onsable est une question d’attribution. Cette
proposition découle maintenant de la première. Le fait de savoir si le nouvel Etat est responsable
est une question d’attribution. L’article10 est une règle spéciale d’attribution relative à une
situation spécifique, ce qui explique qu’il vienne à la suite de l’article9, autre règle spéciale de
cette nature. Cette règle ne repose pas ⎯ contrairement à ce que les conseils de la Serbie ont laissé
entendre lundi ⎯ sur la continuité de la personnalité juri dique. Elle repose sur la continuité du
10Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ehiopie, Sentence partielle, Mauvais traitements des
populations civiles ⎯ Réclamations de l’Erythrée Ns15, 16, 23, 27-32, 17décembre2004, ILM, vol.44, p.601,
p. 610-611 (par. 48-49, 51). - 10 -
contrôle effectif. En fait, en dehors du contexte de la décolonisation, il est extrêmement rare qu’un
mouvement engagé dans la création d’un nouvel Etat jouisse d’une forme quelconque de
personnalité autonome, et il ressort clairement du commentaire que cela est dépourvu de pertinence
aux fins de l’application du paragraphe 2 de l’article 10 11. Il s’agit plutôt d’une question de fait et
de preuve propre au cas d’espèce.
Proposition 3 : l’attribution d’un comportement à un Etat est une question de fond, non de
compétence ou de recevabilité
26. Cela m’amène déjà à notre troisième propos ition. L’attribution d’un comportement à un
Etat est une question de fond, non de compétence ou de recevabilité. Une fois accepté le principe
établi au paragraphe2 de l’article10 ⎯et la Serbie ne l’a pas contesté même si elle l’a mal
compris et mal interprété ⎯, il s’ensuit inévitablement que l’ exception à la recevabilité doit être
rejetée. Les exemples factuels que j’ai donnés (j ’aurais pu en citer d’autres) montrent que la
question se pose. La voilà plaidée. Aux fins de la recevabilité, c’est ce tout qui importe.
L’évaluation des faits sera pour une autre fois ; elle ne relève pas de ce stade de la procédure.
27. Madame le président, Messieurs de la C our, en résumé, le droit de la responsabilité
permet d’attribuer le comportement d’un mouveme nt de quelque nature que ce soit à un Etat qui
était en cours de formation au moment où ce comportement a été adopté. Cette règle d’attribution,
consacrée au paragraphe 2 de l’article10 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat,
dépend de faits précis qui ne peuvent être étudiés à ce stade. L’argument de la Serbie sur la
recevabilité doit être rejeté.
16 Troisième exception préliminaire : recevabilité des conclusions
28. J’en viens à présent, et avec davantage de concision, à ma deuxième tâche, celle qui
consiste à répondre à l’argument de la Serbie selon lequel certains remèdes demandés par la
Croatie dans ses conclusions sont irrecevables parce qu’ils sont d’une part sans objet et d’autre part
non disponibles en principe. L’agent de la Croatie a abordé la question du dé faut d’objet, je dirai
quelques mots sur la recevabilité des conclusions en principe. Cette question est examinée au
11
CDI, commentaire du paragraphe 2 de l’article 10. - 11 -
chapitre4 de nos observations écrites, dont je ne rappellerai pas le conte nu ici, mais auquel il
convient d’ajouter un bref commentaire.
29. Lundi, la Serbie a formulé un grief précis au sujet de la conclusion relative à la restitution
des biens culturels. Au paragraphe2 c) de nos conclusions, nous prions la Cour d’ordonner
notamment au défendeur, si celui-ci est reconnu res ponsable de génocide, de «restituer sans délai
au demandeur tout bien culturel relevant de sa juridiction ou de son contrôle saisi dans le cadre des
12
actes de génocide dont [il] porte la responsabilité ».
Pour la Serbie la saisie de biens culturels ne pouvant être considérée comme un acte de génocide,
ordonner leur restitution n’entre pas dans le champ d’application de la convention sur le génocide
et la demande est donc irrecevable 13.
30. Je commencerai par faire observer que ce tte question se pose uniquement si la Cour,
premièrement, se déclare compétente pour connaître de cette demande et, deuxièmement, si elle la
juge fondée au regard des faits. La question se posera alors de savoir ce que devra faire le
défendeur au titre de réparation intégrale. Cette question devra être tranchée à la lumière des faits
établis et des arguments des Parties, y compris de développements que pourrait connaître l’affaire
jusqu’à la clôture des plaidoiries sur le fond. Demander en fait à la Cour, au stade actuel de
l’examen de la recevabilité, de modifier les conclusions finales de la Croatie sur les remèdes
demandés est pour le moins prématuré. La catégorie hétéroclite qu’est la recevabilité ne devrait
pas être élargie indument, ni être utilisée pour soul ever à l’avance des questions qui relèvent du
fond. Autrement toute affaire contentieuse sera pr écédée d’une phase préliminaire contentieuse au
cours de laquelle ⎯ sans l’avantage de la prés entation complète des faits ⎯ la Cour sera
effectivement priée d’anticiper quels remèdes doivent être exclus in limine. Je ne dis pas que ce
pouvoir n’existe pas, mais je dis qu’il devrait uni quement être exercé dans le cadre d’une affaire
claire. Cela n’est pas le cas en l’occurrence.
17 31. Pour en revenir au cas de l’espèce, il est vrai que la Croatie ne cherche pas seulement
⎯même pas principalement en réalité ⎯ une indemnisation financiè re, bien que cette question
reste une réalité. Dans ses conclusions, en sa qualité de parens patriae des victimes , outre
12
MC, p. 414.
13
Voir notamment CR 2008/9, p. 29 (M. Zimmermann). - 12 -
l’indemnisation de celles-ci, la Croatie demande des remèdes découlant tant des besoins des
victimes et de leurs familles que de la convention sur le génocide et du droit international.
32. Bien entendu, établir que le génocide a ét é commis est une condition préalable à tous les
autres remèdes, dont la compensation financière, ma is aussi un remède en soi, comme la Cour l’a
fréquemment dit.
33. Juger ceux qui semblent être responsables d’actes de génocide est l’essence de la
convention sur le génocide dans ses deux aspects : la prévention et la répression.
34. Révéler où se trouvent des personnes disparues qui ont été victimes de génocide est une
obligation bien ancrée dans la convention sur le gé nocide. Des gens ont été enlevés, assassinés, ou
ont simplement «disparu» dans le cadre d’une camp agne de génocide. Révéler la vérité sur ces
personnes fait partie du processus d’établissement de la responsabilité pour le génocide. C’est
également, une fois cette responsabilité établie, un remède important pour le groupe ethnique visé
et les familles issues de ce groupe.
35. Enfin, il convient de se poser la questi on suivante: la perte du patrimoine culturel du
groupe ethnique visé, sa destruction et son pillage délibérés peuvent-ils être considérés comme un
génocide tel que défini en droit international? Je n’essaierai même pas d’aborder cette question
difficile en termes généraux. Il suffit de dire que pour la Croatie, la destruction délibérée et le
pillage des biens culturels font partie d’un programme plus large d’activités, qui comprend
l’extermination physique, visant l’extinction du gr oupe ethnique croate des territoires occupés et
exécuté avec l’intention pertinente. Ordonner la restitution n’est à priori pas irrecevable comme
remède pour le génocide tel que défi ni dans la Convention. La qu estion de savoir s’il s’agit d’un
remède approprié devra de nouveau être examinée une autre fois.
36. Madame le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achève ce traitement plutôt sommaire
de questions qui nécessiteront sans aucun doute un examen plus approfondi en temps voulu, à
supposer que la Cour soit compétente ratione personae vis-à-vis du défendeur sur le fondement de
l’article 35 du Statut. Et c’est cette question, celle qui se pose réellement à ce stade la procédure,
18 que M. Sands et moi allons à présent examiner. Et avec votre permission, Madame le président,
c’est M. Sands qui va commencer. - 13 -
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford. J’appelle à présent M. Sands.
M. SANDS :
LE STATUT PARTICULIER DE LA RFY AU SEIN DE L’O RGANISATION DES N ATIONS U NIES
I. Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la C our, je vais examiner, dans ce deuxième exposé
présenté au nom de la Croatie, la question de l’accès à la Cour en vertu du paragraphe 1 de
l’article 35 du Statut. M. Crawford se penchera en suite sur la question de l’accès et sur les droits
dont peut se prévaloir la Croatie en vertu du pargraphe 2 de l’article 35. Ces arguments sont
indépendants et présentés à titre subsidiaire.
2. Le simple fait que l’article 35 du Statut de la Cour doit être examiné — à ce stade de
l’instance — peut sembler surprenant. La Croa tie a déposé sa requête le 2 juillet 1999. A ce
moment-là, la Cour avait déjà fait connaître sa position — unanime —, à savoir que l’article35
n’empêchait pas la Cour de connaître de la requête de la Croatie, pour des raisons tant de
compétence ratione personae que d’«accès à la Cour». Dans les deux ordonnances en indication
de mesures conservatoires de 1993, la Cour a dit qu’elle n’avait pas, au stade où en était la
procédure, à «statuer définitivement»sur la question de savoir si la Yougoslavie était partie au Statut
de la Cour : nous dénommerons cette question la «question du paragraphe 1 de l’article 35». La Cour
a conclu qu’elle avait compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de l’article 35, étant donné
que la Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie étaient prima facie parties à la convention sur le
génocide qui pourrait être considérée comme une «d isposition particulière d’un traité en vigueur»
(Application de la convention pour la p révention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), mesur es conservatoires, ordonnance du 8avril1993,
C.I.J. Recueil 1993, p.14, par. 19 et 20; Application de la conventi on pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovin e c.Yougoslavie), mesures conservatoires,
ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p.338, par. 25). Les ordonnances n’ont
soulevé aucune objection. Trois ans plus tard , dans son arrêt de 1996 sur les exceptions
préliminaires, la Cour ne s’est pas prononcée expressément sur l’article 35 du Statut. La - 14 -
Yougoslavie n’avait soulevé aucune exception préliminaire en ce qui concerne cette disposition, et
visiblement aucun juge n’a estimé nécessaire d’émettre une opinion sur des difficultés quelconques
ayant trait aux paragraphes 1 ou 2 de l’article 35. Ce silence n’est pas resté sans conséquence : il
19 aurait été logique que la Cour parte du fait que les conditions établies, soit par le paragraphe 1 de
l’article 35, soit par le paragraphe 2 de l’ar ticle 35, ou par les deux, étaient remplies ; et il semble
que c’est ce que vous avez précisé au paragraphe 133 de l’arrêt que vous avez rendu en 2007. Cela
dit, il est vrai que trois ans après l’arrêt de 1996, dans votre ordonnance du 2 juin 1999, vous avez
jugé ne pas avoir compétence prima facie pour connaître d’une demande en indication de mesures
conservatoires déposée par la Yougoslavie contre un certain nombre de Membres de l’OTAN;
mais les raisons qui vous ont conduit à cette c onclusion étaient très différentes, à savoir que:
premièrement, aucune compétence ratione temporis ne pouvait être invoquée en vertu du
paragraphe 2 de l’article 35 du Statut, et, deuxièmement, les actes allégués à l’encontre du
défendeur ne pouvaient pas être considérés prima facie comme relevant de la convention sur le
génocide ( Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c.Belgique), mesures conservatoires,
ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p.135, par.30 et p.138, par.41). La Cour a
conclu qu’elle n’avait pas à examiner la question de savoir si les conditions du paragraphe 1 de
l’article 35 étaient remplies à l’époque. La Yougoslavie s’est cependant penchée sur cette question.
Et, le 12 mai 1999, l’agent de la Yougoslavie, M.Etinski, dûment autorisé par l’Etat défendeur
pour être son représentant, a pris la parole devant la Cour dans cette même salle. Il a fait valoir que
la Yougoslavie était Membre de l’Organisation des Nations Unies et avait «le droit de participer aux
14
travaux d’organes [de l’ONU] autres que ceux de l’Assemblée générale» ; et j’insiste sur ces
derniers mots.
3. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est dans ce contexte, celui de la décision
judiciaire rendue par la Cour et des arguments avancés par la RFY, que la Croatie a déposé sa
requête le 2 juillet 1999. Aussi, avant d’analyser plus en détail cette requê te, il convient de faire
quelques observations sur les relations sui generis entre la RFY et l’Organisation des Nations Unies
—et sur le Statut de la Cour— dans la péri ode en question. J’aimerais pouvoir répondre aux
14
CR 99/25, p. 24. - 15 -
arguments avancés lundi par la Serbie au sujet du paragraphe 1 de l’article 35, mais cela m’est
impossible. La Serbie s’est contentée d’affirmer, n’étayant ses dires d’aucune argumentation
détaillée.
II. Les relations de la RFY et l’Organisation des Nations Unies de 1992 à 2000
4. La Cour dispose à présent d’une très bonne connaissance des faits relatifs à l’éclatement
de la RFSY, à la naissance de la RFY et a ux relations entre la RFY et l’Organisation des
Nations Unies. Il est inutile de revenir là-dessu s de manière très détaillée. En résumé, de 1992 à
20 2000 — y compris à la date à laquelle la Croatie a déposé sa requête en la présente instance —, la
RFY entretenait une relation particulière et uni que avec l’ONU. Nous faisons valoir que cette
relation se traduisait par certains attributs de la qualité de Membre, ainsi que la capacité à ester
devant la Cour sous les conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article 35 du Statut de la Cour.
Cet article, vous vous en souviendr ez, dispose que: «[l]a Cour est ouverte aux Etats parties au
présent Statut».
5. La RFSY était un membre fondateur de l’ONU. Elle en demeura Membre pendant plus de
quarante-cinq ans, jusqu’au début de son éclatem ent, au milieu de l’année 1991, ainsi qu’il est
indiqué dans le mémoire de la Croatie 15. Les principales dates apparaissent à l’écran derrière moi
et, bien sûr, aussi sous l’un des onglets de votre dossier de plaidoiries, à savoir l’onglet7
[diapositives]. Le 19 mai 1991 , dans le cadre d’un référendum organisé en Croatie, la population
s’est prononcée à une majorité écrasante pour l’indépendance 16. Le 25 juin 1991 , le parlement
17
croate, le Sabor, a proclamé que la Croatie était «un Etat souverain et indépendant» . Le
29 novembre 1991, la commission Badinter a estimé que la RFSY était alors engagée dans un
18
«processus de dissolution» . Le 27 avril 1992 , la République de Serbie et le Monténégro ont
proclamé la formation de la RFY, déclarant que ce lle-ci assurerait «la continuité de l’Etat et de la
personnalité juridique et politique in ternationale de la [RFSY], resp ectera[it] strictement tous les
15MC, chap. 2, p. 41 et suiv.
16
Ibid., par. 2.113.
17Ibid., par. 2.114.
18Avis n 1 de décembre 1991 ; MC, par. 2.120. - 16 -
engagements que la [RFSY] a pris à l’échelon international» . Le mois suivant, le 22 mai 1992, la
Croatie a été admise en qualité de Membre à l’ Organisation des Nations Unies. Ensuite, le
30 mai 1992, le Conseil de sécurité de l’ONU a a dopté la résolution 757 (1992), notant que
«l’affirmation de la [RFY] selon laquelle elle assur[ait] automatiquement la continuité de
l’ancienne [RFSY] comme Membre de l’Organisation des NationsUnies n’a[vait] pas été
généralement acceptée». Le 19 septembre 1992 , dans sa résolution 777, le Conseil de sécurité
déclarait que la RFY «ne p[ouvai]t pas assurer auto matiquement la continuité de la qualité de
Membre de l’ancienne [RFSY]». Et trois jours plus tard, le 22 septembre 1992 , l’Assemblée
générale, dans sa résolution 47/1, en a adopté l es termes et décidé que la RFY «devrait présenter
une demande d’admission à l’Organisation et qu’elle ne participera[it ] pas aux travaux de
l’Assemblée générale» 20 [dernière diapositive]. Cela dit, le 29 septembre 1992, le Secrétaire
général adjoint de l’ONU, Conseiller juridique de l’Organisation, par une lettre adressée aux
21 représentants permanents de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie, a déclaré que «l’unique
conséquence pratique de cette résolu tion [47/1] [était] que la [RFY] ne participera[it] pas aux
travaux de l’Assemblée générale» et qu’il était «clair que les représentants de la [RFY] ne
p[ouvaie]nt plus participer aux travaux de l’Assemblée générale et de ses organes subsidiaires, ni
aux conférences et réunions organisées par celle-ci». Il a ajouté :
«D’un autre côté, la résolution ne met pas fin à l’ appartenance de la
Yougoslavie à l’Organisation et ne la suspend pas. En conséquence, le siège et la
plaque portant le nom de la Yougoslavie subsistent, mais dans les organes de
l’Assemblée les représentants de la [RFY] ne peuvent occuper la place réservée à la
«Yougoslavie». La mission de la Yougoslavie auprès du Siège de l’Organisation des
NationsUnies, ainsi que les bureaux occup és par celle-ci, peuvent poursuivre leurs
activités, ils peuvent recevoir et distribuer des documents. Au Siège, le Secrétariat
continuera de hisser le drapeau de l’ancienne Yougoslavie, car c’est le dernier drapeau
que le Secrétariat ait connu. La résolution n’enlève pas à la Yougoslavie le droit de
participer aux travaux des organes autres que ceux de l’Assemblée. L’admission à
l’Organisation des NationsUnies d’une nouvelle Yougoslavie, en vertu de l’article4
de la Charte, mettra fin à la situation créée par la résolution 47/1.»21
Le 29 avril 1993, l’Assemblée générale a adopté la résolution 47/229, à l’effet que la RFY «ne
participera[it] pas aux travaux du Conseil économique et social». Le seul fait que cette résolution
19Nations Unies, doc. A/46/915 ; MC, par. 2.138.
20
La résolution a été adoptée par 127 voix contre 6, avec 26 abstentions.
21Nations Unies, doc. A/47/485 ; les italiques sont dans l’original. - 17 -
devait être adoptée, et que son champ était aussi limité et étroit, est en contradiction avec la
conclusion selon laquelle la RFY n’avait pas à cette date — 29 avril 1993 — d’autres attributs de la
qualité de Membre de l’Organisa tion des Nations Unies, y compris un droit d’accès à la Cour en
vertu du paragraphe 1 de l’article 35.
6. La participation de la RFY aux trava ux de l’Organisation des Nations Unies n’a fait
l’objet d’aucune autre restriction. Il n’a d’ailleurs été adopté aucune mesure qui aurait empêché la
RFY de participer aux travaux de tous autres organes, programmes, ou instances de l’Organisation
des Nations Unies, y compris de son organe judiciaire principal, la Cour internationale de Justice.
Les faits, regroupés en deux phases, sont incontestables ; du 27 avril 1992 au 22 septembre 1992, la
pleine participation de la RF Y aux travaux de l’ensemble des organes de l’ONU, y compris
l’Assemblée générale, n’ont fait l’objet d’aucune restriction; de même, à partir du
22septembre1992 (et ce jusqu’au 1 enovembre 2000, lorsque la RFY a été admise en qualité de
Membre de l’Organisation des Nations Unies), la pa rticipation de la RFY a ux travaux de tous les
organes de l’Organisation, à l’exception de l’Assemblée générale et du Conseil économique et
social n’a fait l’objet d’aucune restriction. Ni non plus sa participation aux travaux de la Cour.
7. Pendant toute cette période, la RFY avait — et était perçue comme ayant — les attributs
de la qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies. Je vais en citer quelques exemples :
22
22 a) la Yougoslavie affirmait être un Etat membre de l’Organisation des Nations Unies ;
b) un certain nombre d’autres Membres de l’Orga nisation des NationsUnies — y compris la
Fédération de Russie et la Chine — ont estimé que la décision de suspendre la participation de
la RFY à un nombre limité d’ activités n’équivalait pas à une exclusion ou à une cessation
23
d’appartenance ;
22Voir, par exemple, le mémoire de la RFY dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, déposé
le 5 janvier 2000. La partie III de ce mémoire est intitulée «La République fédérale de Yougoslavie est un Etat Membre
des Nations Unies.» Voir aussi CR 99/25, p. 24 (Etinski), dans lequel l’agen t a déclaré sans ambigüité: «la République
fédérale de Yougoslavie est un Etat Memre de l’Organisation des Nations Unies».
23Voir par exemple l’opinion émise par M. Vorontsov, repr ésentant permanent de la Fédération de Russie, qui a
déclaré :
«[la décision] de suspendre la participation deRépublique fédérative de Yougoslavie aux travaux de
l’Assemblée générale n’entamera en rien la possibilité qu’elle a de participer aux travaux des autres
organes des NationsUnies, en part iculier du Conseil de sécurité…» ( Conseil de sécurité, procès-verbal
provisoire de la 3116eséance, S/PV.3116, 19 septembre 1992, 2-5) [traduction du Greffe] (Licéité de
l’emploi de la force, mémoire, par. 3.1.1).
Voir aussi la position du représentant permanent de la République populaire de Chine, M. Li Daoyu : - 18 -
c) l’édition annuelle de l’Annuaire de la C.I.J. indiquait que la Yougoslavie était Membre de
l’Organisation des Nations Unies 24 ;
d) pour participer aux travaux d’autres organes et instances de l’Organisation des NationsUnies,
la RFY occupait le siège de l’ex-Yougoslavie, dont le siège, le nom et les missions subsistaient ;
e) la RFY était en mesure de diffuser des documents au sein du système des Nations Unies dans les
mêmes conditions que d’autres Membres (sauf dans lecontexte limité de l’Assemblée générale et
du Conseil économique et social) et de recevoir des documents diffusés par d’autres Membres ;
f) la mission permanente de la RFY, située à la même adresse que l’ancienne mission de la RFSY,
figurait sur la liste des missions étable i par l’Organisationdes Nations Unies ;
g) la RFY a continué à participer aux travaux d’autres organes des Nations Unies, y compris à ceux
du Conseil de sécurité et de la Cour internati onale de Justice, ainsi que d’autres organes des
NationsUnies, tels que le TPIY, d’une manière qui ne di fférait pas de la participation d’autres
25
Membres ; et
h) tout au long de cette période, la RFY versa it des contributions au budget de l’Organisation des
NationsUnies et agissait comme si elle était as sujettie (en tant que continuateur) à certaines
contributions impayées de la RFSY (moins les montants dus par les Etats successeurs qui
devenaient naturellement contributeurs en leur nom propre) 2.
23 8. Je ferai observer que si, tout au long de cette période, quatre des Etats successeurs de la
RFSY, y compris la Croatie, ont contesté ce statut particulier dont bénéficiait la RFY, leurs
tentatives visant à le modifier ont échoué.
«la résolution qui vient d’être adoptée n’équiva ut pas à une exclusion de la Yougoslavie des
NationsUnies. La plaque nominative «Yougoslavie» sera conservée dans le hall de l’Assemblée
générale. La République fédérative de Yougoslavie continuera à participer aux travaux des organes des
NationsUnies autres que l’ Assemblée générale.» ( Conseil de sécurité, procès -verbal provisoire de la
3116 eséance, S/PV.3116, 19septembre1992, 7.) [Traduction du Greffe.] ( Licéité de l’emploi de la
force, mémoire, par. 3.1.2.)
24Voir, par exemple, Licéité de l’emploi de la force ; mémoire, par. 3.1.17.
25Voir arguments ajoutés par la RF Y dans le mémoire qu’elle a déposé le 5 janvier 2000 dans les affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force, par. 3.1.1 et suiv. Voir aussi les ar guments de l’agent de la RFY dans cette
même salle, le 12 mai 1999, à l’ audience sur la demande en indication de mesures conservatoires dans les affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force, CR 99/25, p. 24 et suiv.
26Voir, entre autres, CR 99/25, p. 24-25, en ce qui concerne le versement des contributions par la RFY. - 19 -
III La requête de la Croatie et le revirement de la RFY
9. C’est dans ce contexte que la Croatie a introduit sa requête devant la Cour le
2juillet1999. A cette époque, d’autres faits, enco re plus importants, étaient survenus, suscitant
chez la Croatie des attentes sur lesquelles elle co mptait. En particulier, la Cour avait rendu des
ordonnances et des arrêts — en 1993, 1996 et 1999 — n’identifiant aucun obstacle à l’exercice de
sa compétence en vertu des paragraphes 1 et/ou 2 de l’article 35. Dans le cadre de ces procédures,
la RFY avait publiquement annoncé son droit de saisir la Cour internationale de Justice et n’avait
pas soulevé d’exceptions préliminaires sur le fond ement de l’article35 du Statut. La Croatie
pouvait s’en remettre aux propos tenus dans cette mê me salle par M.Etinski, l’agent de la RFY,
quelques semaines seulement avant qu’elle ne dé pose sa requête: «la République fédérale de
Yougoslavie est un Etat Membre de l’Organisation des Nations Unies». M.Etinski avait ajouté
27
que toutes les conditions prescrites par le Statut et le Règlement de la Cour avaient été remplies .
Pour ce qui est de l’effet des résolutions de l’ Assemblée générale, M.Etinski avait été très
explicite :
«La conclusion est claire: la république fédérale de Yougos lavie ne peut pas
participer aux travaux de l’Assemblée générale ni de [l’ECOSOC]. C’est tout. Il n’y
a pas d’autre conséquence.»
M. Etinski avait également rappelé à la Cour que «l’ Annuaire de la CIJ nous inform[ait] qu’au
31juillet1997, la Yougoslavie [était] l’un d es 185 Etats Membres de l’Organisation des
Nations Unies».
10. Ces prises de position de l’agent ont donné lieu à une attente sur laquelle la Croatie
pouvait compter : il est instructif de comparer la requête de la Croatie du 2 juillet 1999 avec celle
de la Bosnie du 20 mars 1993. La Croatie a invoqué les mêmes dispositions de la convention sur le
28
génocide, du Statut et du Règlement de la Cour . C’est la distinction principale entre la présente
27
CR 99/25, p. 23.
28
La Croatie dit notamment ce qui suit dans sa requête du 2 juillet 1999 :
«Au nom de la République de Cr oatie et conformément au paragr aphe1de l’article40 du Statut
de la Cour internationale de Justice ainsi qu’à l’ar ticle 38 de son Règlement, j’ai l’honneur de soumettre
respectueusement la présente requête introductive d’instance contre le Gouvernement de la République
fédérale de Yougoslavie, en raison de violations de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (ci-après dénommée «convention sur le génocide»). La Cour est compétente en vertu
du paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut et de l’article IX de la convention sur le génocide.» (Par. 1.)
La requête de la Bosnie du 20 mars 1993 se présente notamment comme suit : - 20 -
24 affaire et celle qu’a portée la RFY contre des Etats membres de l’OTAN, qui était fondée sur une
déclaration au sens du paragraphe 2 de l’article 36, dont la Cour a décidé — à juste titre, devrait-on
dire—, qu’elle ne pouvait être appliquée rétroa ctivement, pour reprendr e les termes qu’elle a
employés 29.
11. Entre la date du dépôt de la requête (2juillet1999) et ce lle du dépôt du mémoire de la
Croatie (1 ermars2001) un fait nouveau est intervenu. Le 24septembre2000, M.Koštunica a été
élu président de la RFY. Le 27octobre2000, il a adressé une lettre au Secrétaire général
demandant l’admission de la République fédé rale de Yougoslavie à l’Organisation des
NationsUnies «après l’évolution démocratique fondamentale» qui s’était produite en RFY 3. Le
31octobre2000, le Conseil de sécurité a recomm andé à l’Assemblée générale d’admettre la
République fédérale de Yougoslavie en qualité de Membre de l’ Organisation des Nations Unies 31.
er
Le 1 novembre2000, par sa résolution 55/12, l’Assemblée générale a décidé «d’admettre la
République fédérale de Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies».
er
12. Quatre mois plus tard, le 1 mars 2001, dans le cadre de la présente affaire, la Croatie a
déposé son mémoire dont le chapitre 6 était consacr é à la compétence. Fondant complètement ses
arguments sur l’arrêt de la Cour de 1996, elle n’a pas jugé utile de mentionner l’article 35 du Statut
de celle-ci. La Croatie n’avait pas de raison de douter, comme elle le dit dans son mémoire «[qu’]à
la date où la Croatie a soumis sa requête à la Cour, la RFY était liée par la convention sur le
génocide» dans des conditions qui l’ autorisaient à saisir la Cour. Il importe de souligner que cette
conclusion «n’exclut nullement la pos ition constante de la Croatie, qui rejette la prétention de la
RFY selon laquelle celle-ci est le prolongement de la RFSY». Cette déclaration reconnaît
«[j’]ai l’honneur de me référer à l’article IX de la convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la
répression du crime de génocide (ci-après dénommée «convention sur le génocide») et, en vertu de la
juridiction ainsi conférée à la Cour, de lui soumettre, conformément au pa ragraphe 1 de l’article 36 et au
paragraphe 1 de l’article 40 de son Statut et à l’article 38 de son Règleune requête introduisant, au
nom de la République de Bosnie-Herzégovine, une instance contre la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) pour violation de la convention sur le génocide en l’affaire ci-après».
29Voir requête déposée par la RFY le 29 avril 1999 :
«Fondements juridiques de la compétence de la Cour
Le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie invoque le paragraphe2 de
l’article36 du Statut de la Cour internationale Justice ainsi que l’article 9 de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide.»
30Nations Unies, doc. A/55/528-S/2000/1043.
31Nations Unies, doc. S/RES/1326. - 21 -
25 néanmoins l’approche adoptée par la Cour au sujet du statut sui generis de la RFY à l’égard des
Nations Unies. Je reviendrai sur ce point sous peu.
13. En septembre 2002, la RFY a déposé ses excep tions préliminaires, qui étaient au nombre
de trois. Abandonnant la position qui avait été constamment la sienne pe ndant huit ans jusqu’aux
événements de novembre 2000, la RFY a alors décl aré qu’elle «[n’était] jamais devenue liée par
l’article IX de la convention sur le génocide» 32. Néanmoins, il est particulièrement flagrant que les
exceptions préliminaires de la RFY passent complète ment sous silence l’article35 du Statut de la
Cour. La RFY dit uniquement, au passage, «[qu’i]il est aujourd’hui établi que la RFY n’était pas
33
membre de l’Organisation des Nations Unies au moment de la dissolution de la RFSY, en 1992» .
Mais le texte des exceptions ne dit mot au sujet du paragraphe 1 de l’article 35. Comme la Cour l’a
récemment relevé, les pièces de procédure présentées en l’espèce sont silencieuses sur ce point, et
pour une raison évidente: il n’y a jamais eu de problème auparavant. Lundi aussi, la Serbie n’a
presque dit mot à ce sujet.
14. La RFY a invoqué le même argument dans la demande qu’elle a présentée le
24 avril 2001 aux fins de la revision de l’arrêt de 1996. Le 3 février 2003, cinq mois après le dépôt
des exceptions préliminaires en l’espèce, la Cour a rendu son arrêt dans cette affaire ( Demande en
revision de l’arrêt du 11juillet1996 en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires (Yougoslavie cB . osnie-Herzégovine), arrêt, C.I.JR . ecueil 003 , p. ). Les
arguments de la RFY ont été rejetés sans ménagement. La Cour a parlé de la «situation particulière
de la RFY entre septembre 1992 et novembre 2000) (ibid. , p. 22, par. 45), mettant en évidence «la
situation sui generis dans laquelle se trouvait la RFY vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies
pendant la période 1992-2000» ( ibid., p.31, par.71). Vous avez également souligné que la
er
résolution55/12 de l’Assemblée généra le des Nations Unies en date du 1 novembre 2000 «ne
[pouvait] avoir rétroactivement modifié la situation sui generis … ni sa situation à l’égard du Statut
de la Cour et la convention sur le génocide (ibid.). Nous soutenons que cette observation est
cruciale, et forcément correcte, tant du point de vue du droit que de celui de la politique. Une
32
Exceptions préliminaires, par. 3.8.
33
Ibid., par. 3.12. - 22 -
partie à une affaire ne peut changer de cap —po litique— et attendre de la Cour qu’elle autorise
26 que ce revirement ait un effet rétroactif. Lundi , sur une autre question, la Serbie a prononcé un
long plaidoyer contre la non-rétro activité, mais quand il s’est agit de l’affaire qui nous intéresse,
dans le cadre de laquelle toute son argumentation repose sur la ré troactivité, elle est soudainement
devenue silencieuse et s’est érigée en alliée secrète de la rétroactivité. En tout état de cause, nous
faisons valoir que l’approche adoptée par la Cour en 2003 doit aussi s’appliquer en l’espèce : quels
que soient les effets éventuels de tout développeme nt survenu en 2000, ils ne sauraient transformer
rétroactivement la situation juridique ou factuelle qui prévalait le 2 juillet 1999.
15. Quelque deux mois seulement après l’arrêt de la Cour du 3 février 2003, au moment de
préparer ses observations écrites du 29 avril 2003 en réponse aux exceptions préliminaires de la
RFY, la Croatie a longuement étudié cet arrêt. Pour la Croatie, il ressor tait de celui-ci que les
conclusions rendues par la Cour en 1993, 1996 et 1999 au sujet de la situation juridique qui
prévalait à ces dates ne pouvaient être modifiées par les mesures prises par la RFY en 2000 ou par
l’Organisation des Nations Unies la même année ou les années suivantes. A cet égard, le choix du
2juillet1999 (qui correspond au dé pôt de la requête de la Croatie) comme date juridique critique
est crucial en l’espèce sous réserve de ce que l’on peut appeler l’argument Mavrommatis. Nous
prions la Cour de tenir compte de la situation juridique —et des questions de compétence et
d’accès — qui prévalait à cette date critique, au moment de se prononcer sur des questions relatives
à sa compétence ou à sa saisine. L’approche logique adopt ée dans l’arrêt de 2003 a des
conséquences inévitables. Si les mesures de la RFY ou de l’Assemblée générale des Nations Unies
ne peuvent avoir eu d’effet rétroactif sur la position sui generis de la RFY à l’égard des Nations
unies entre 1992 et 2000, en ce qui concerne les rela tions de la RFY avec la Bosnie, il est difficile
de voir sur quelle base une conclusion différente pourrait être tirée au sujet de la Croatie.
16. C’est cette logique qui a motivé l’approche adoptée par la Croatie dans ses observations
écrites du 23 avril 2003. Ces observations n’auraient tout simplement pas pu prévoir l’arrêt rendu
un an plus tard. Cet arrêt a provoqué un effet de surprise, un tremblement de terre judiciaire. Pour
ce qui est de l’arrêt de 2003, la Croatie a est imé que «le raisonnement de la Cour [était] - 23 -
irréfutable» 34; concluant qu’il s’appliquait «tout aussi bi en à la situation juridique qui régissait les
relations entre la Croatie et la RFY (Serbie et Monténégro) pendant la période allant jusqu’au
27 2 juillet 1999 inclus» 35. C’est sur cette base que la Croatie a conclu qu’à la date de sa requête, la
Cour était compétente, à l’égard de la RFY en vertu de l’article IX, comme elle l’était à l’égard de
la Bosnie-Herzégovine et que la première excep tion préliminaire de la RFY était dénuée de
fondement et devait être rejetée. Lundi, la Se rbie n’a pas formulé de réponse à cet argument, qui
n’a toujours pas été contesté. Comme dans l’affaire Bosnie-Herzégovine, il n’était pas nécessaire
de mentionner l’article35 du Statut de la Cour dans les observations écrites de la Croatie, étant
donné qu’il ne l’a pas été par la RFY dans ses exceptions préliminaires, déposées après les
événements de novembre 2000.
IV. Le revirement de la Cour
17. Nous en arrivons au revirement de la Cour . J’ai indiqué où en étaient les choses à la
clôture de la procédure orale dans cette étape de l’affaire. Dans des circonstances normales, on
aurait pu s’attendre à les trouver inchangées aujourd’ hui, cinq ans environ après le prononcé de cet
arrêt. Sur une période de dixans, en effet, la jurisprudence de la Cour avait révélé une approche
constante à l’égard de l’article35: celui-ci ne faisait nullement obstacle à l’exercice de la
compétence et ne soulevait aucune question de recevabilité. La seule exception à cette règle ⎯ une
exception inattendue et, soutient respectueusemen t la Croatie, une exception qui n’avait pas lieu
d’être ⎯ fut formulée le 15décembre2004, date à la quelle la Cour a rendu ses arrêts dans les
affaires introduites par la RFY à l’encontre de divers membres de l’OTAN au sujet de la Licéité de
l’emploi de la force. La Cour, à une faible majorité, renonçait à l’approche qui avait jusqu’alors été
la sienne à l’égard de l’article35. Elle en adoptait une nouvelle. Or, il est difficile de savoir
comment concilier ces deux approches. Nous avons affaire, semble-t-il, à des arrêts incompatibles,
un fait que la Serbie cherche à escamoter et qui place tant le siège que le barreau dans une situation
quelque peu délicate.
34
Observations écrites, 29 avril 2003, par. 2.12.
35
Ibid. - 24 -
18. L’arrêt de 2004 mérite un examen attentif . Quatorze membres de la Cour et un juge
ad hoc siégeaient alors. Ils ont, à l’unanimité, conclu à l’incompétence de la Cour ( Licéité de
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Pays-Bas), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 1011, par. 128)36. Ils l’ont fait, cependant, pour des raisons très différentes.
19. La Cour a consacré 46paragraphes de son arrêt aux questions soulevées par le
paragraphe1 de l’article35 ( ibid., par.44-90) ⎯elle y récapitulait, pour l’essentiel, les
28 événements intervenus entre1992 et2000 (par.53-81 ). La Cour a jugé que les événements ainsi
rapportés n’attestaient rien d’autre que «l’assez grande confusion et la complexité de la situation
qui prévalait aux Nations Unies autour de la ques tion du statut juridique de la République fédérale
de Yougoslavie au sein de l’Orga nisation pendant cette période» (ibid., p. 1040, par. 72), et estimé
que la locution «sui generis» employée pour qualifier la situ ation de la RFY n’était qu’une
«expression descriptive renvoyant au caractère indéterminé de la situation» et non «une expression
normative, dont découleraient certaines conséquences juridiques bien définies» (ibid. , p.1040,
par. 73). Selon la majorité des juges siég eant alors, l’évolution intervenue en 2000 ⎯ la demande
d’admission en qualité de Membre de l’Organisa tion des NationsUnies présentée par la RFY ⎯
mit fin à la situation sui generis (ibid., p. 1041, par. 77) et clarifia «la situation juridique, jusque-là
indéterminée» (ibid., p. 1042, par. 78). La Cour a conclu que son précédent arrêt de 2003 ⎯ dans
lequel elle avait estimé que l’é volution intervenue en2000 ne « [pouvait] avoir rétroactivement
modifié la situation sui generis dans laquelle se trouvait la RFY» ⎯ «ne pouvait]…être
interprété … comme [emportant] des conclusions … vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies
et de la convention sur le génocide» ( ibid., p.1045, par.87). Il s’agit pour nous d’une décision
cryptique, qui semble difficilement conciliable avec la logique juridique. Au paragraphe 90 de son
arrêt, la Cour a jugé que, «[p]our tous les motifs qui préc[édaient]», la Serbie-et-Monténégro n’était
pas, au moment où elle a déposé sa requête, membre de l’Organisation des NationsUnies ni, dès
lors, en cette qualité, partie au Statut de la Cour.
20. Il y aurait fort à dire sur cet arrêt, mais pout le moment, nous nous en tiendrons à un
aspect : la Cour semble n’avoir pas, en réalité, motivé la conclusion à laque lle elle était parvenue,
36
Des arrêts analogues ont également été rendus dans plusieurs autres affaires. - 25 -
exposé les raisons pour lesquelles elle avait choisi de se départir de sa précédente jurisprudence, ni
fourni la moindre indication sur la manière de concilier sa nouvelle approche et l’ancienne aux fins
des autres affaires r estées pendantes. Pourquoi a-t-elle-même jugé nécessaire d’inclure ces
46paragraphes? Ce point, pour nous, demeure a ssez mystérieux: tous les juges s’accordaient à
penser que la Cour n’était pas compétente ratione temporis, et il y avait là matière suffisante à leur
permettre de trancher sans entrer dans les considérations qui nous embarrassent aujourd’hui.
21. La Croatie, très respectueusement, fait valoir que l’arrêt rendu par la Cour en 2004
soulève d’importantes questions pour votre éminente institution, l’«organe judiciaire principal» de
l’Organisation des NationsUnies. Il place le conseil appelé à plaide r devant vous dans une
situation fort difficile, étant donné le très grand respect dans lequel est te nu chaque membre de la
Cour. Il me faut cependant mentionner la déclara tion commune jointe par le vice-président d’alors
et six membres de la Cour, soulignant la nécess ité pour une juridiction, dans l’exercice de sa
fonction judiciaire, de se laisser guider par troisprincipes essentiels consistant: premièrement, à
assurer la cohérence avec sa jurisprudence; de uxièmement, à opter pour la certitude et,
29 troisièmement, à être attentive aux implications de son choix dans les au tres affaires pendantes
(Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004, déclaration commune de M. le juge Ranjeva, vice-président, et de M. le
juge Guillaume, de Mme le juge Higgins et de MM. les juges Kooijmans, Al-Khasawneh,
Buergenthal et Elaraby, p. 330, par. 3). Or , nous percevons mal comment l’arrêt de 2004 répond à
la nécessité de respecter ces principes cruciaux. Les auteurs de la déclaration commune ont
qualifié de «douteu[ses]» ( ibid., p.330, par.3), «contraire[s]» à la position qu’elle avait adoptée
dans son ordonnance de 1999 ( ibid., p.332, par.8) et assimilabl es à un «changement d’attitude»
(ibid., p.332, par.9) les conclusions auxquelles la Cour était parvenue. La Croatie estime que le
raisonnement tenu par la Cour est effectivement «incompatible avec des arrêts ou ordonnances déjà
rendus par elle» (ibid.) et que le terrain choisi par la ma jorité offrait «moins de certitude» que
d’autres options possibles ( ibid., p.333, par.12). Point revêta nt une importance décisive en la
présente espèce, les auteurs de la déclaration rele vaient que, contrairement à l’avis exprimé par la
majorité, la Cour avait «déjà jugé que la RFY pouva it ester devant la Cour entre 1992 et 2000» et
que les faits nouveaux apparus ultérieurement n’avaient rien changé à cette situation ( ibid., p. 332, - 26 -
par. 10). S’agissant de l’affirmation de la majorité selon laquelle il était «clair que «la situation sui
generis du demandeur ne pouvait être regardée comme équivalant à la qualité de Membre de
l’Organisation»», les auteurs de la déclaration estimaient que son bien-fondé était «loin d’être
évident…», ajoutant qu’ils n’avaient «pu iden tifier les étapes de raisonnement adopté» ( ibid.,
p. 333, par. 12).
22. Un certain nombre de juges ont joint des opinions individuelles et chacune d’entre elles
doit bien sûr être examinée avec la plus scrupuleuse attention. Mais il se pourrait que celles de
deux juges que votre éminente Cour ne compte plus aujourd’hui sur son siège, mais qui en ont été
des membres illustres pendant de nombreuses ann ées, méritent plus particulièrement d’être
mentionnées. L’opinion individuelle du juge Kooijmans revêt un inté rêt tout particulier : en 1999,
alors que l’affaire en était au stade des mesures conservatoires, le jugeKooijmans avait en effet
estimé que les décisions prises en1992 par des organes de l’Organisation des NationsUnies
suscitaient des doutes sérieux sur la possibilité pour la RFY d’accepter la juridiction obligatoire de
la Cour en tant que partie au Statut ( ibid., opinion individuelle de M. le jugeKooijmans, p.343,
par.2). Dans son opinion, il notait que la Cour avait désormais «renoncé» à la démarche qu’elle
avait adoptée en1999, en faveur de celle que lu i-même préconisait à l’époque. Et néanmoins,
concluait-il avec cette indépendance d’esprit qui le ca ractérise, «loin de [l]e réjouir, ce changement
d’attitude [l]e préoccup[ait]» ( ibid., p.344, par.3). Le jugeKooijmans n’était pas convaincu
qu’une analyse et une évaluation approfondies et attentives avaient «démontré de manière
convaincante» que les événements de 2000 avaient clarifié «la situation juridique, jusque-là
30 indéterminée», qui prévalait dans la période1992-2000 ( ibid., p.344, par.4). Tel est l’aspect de
son opinion que nous retiendrons: pour le juge Kooijmans, la conc lusion de la Cour ne semblait
pas fondée sur une analyse et une évaluation appr ofondies et attentives des effets juridiques des
déclarations faites par la RFY avant 2000 ( ibid., p. 344, par. 5), ni des circonstances factuelles qui
prévalaient entre1992 et 2000, sur lesquelles j’ai a ppelé l’attention de la Cour en introduction de
mon exposé.
23. En l’absence de toute décision de suspendre son droit de participer aux travaux d’autres
organes de l’Organisation des NationsUnies, et son droit, notamment, d’ester devant la Cour
internationale de Justice, la Croatie espérait à tout le moins obtenir de celle-ci une explication - 27 -
circonstanciée sur la manière dont la situation sui generis de la RFY à l’égard de l’Organisation des
NationsUnies avait changé. A cet égard, la Croatie fait siennes nombre des considérations
exposées par le juge Elaraby dans son opinion individuelle et adhère, en particulier, à la conclusion
que l’opération judiciaire par la quelle la Cour a transformé le statut de la RFY, jusqu’alors
considéré comme ayant été sui generis entre1992 et2000, en celui d’un Etat non membre de
l’Organisation des NationsUnies durant cette pé riode «ne repose …sur aucune base juridique
solide» (ibid., opinion individuelle de M. le juge Elaraby, p. 357, par. 13). Selon lui, une démarche
fondée sur les dispositions de la Charte et la pr atique établie de l’Organisation des NationsUnies
aurait conduit la Cour «à conclure que la RFY ét ait Membre de l’Organisation des Nations Unies
en1999, date du dépôt de sa requê te», et, partant, que la Cour lui était ouverte en vertu du
paragraphe 1 de l’article 35 du Statut (ibid., p. 358, par. 13).
V. Approche de la Croatie
24. Madame le président, la Croatie déplore vivement que sa requête place aujourd’hui la
Cour en quelque sorte à la croisée des chemins. Et nous espérons que vous comprendrez, ainsi que
tous les membres de la Cour, que la Croatie ne s ouhaite nullement la mettre dans l’embarras. Si
ces audiences s’étaient déroulées à n’importe quel moment de la période comprise entre1996
et2003, il semble que la Cour n’aurait pas eu à faire face à ce problème. Avant la décision
de2004, la Cour avait établi une jurisprudence cohérente, dont le principe était que rien
n’empêchait la RFY d’ester devant elle, ni ne l’empêchait, elle, d’exercer sa compétence à l’égard
de la RFY au titre de l’article 35 du Statut. La Cour a pris acte des circonstances particulières — et
singulières— propres à la période qui a suivi l’éclatement de la RFSY, et elle a qualifié de sui
generis la situation de la RFY à l’égard de l’Organi sation des NationsUnies. Il est à remarquer
que l’approche adoptée par la Cour quant à l’exer cice de sa compétence à l’égard de la RFY ne lui
31 avait globalement valu de critiques ni d es Etats ni des auteurs. Le caractère sui generis de la
situation de la RFY cadrait avec une réalité politiq ue et juridique reposant sur un équilibre entre
reconnaissance des attributions associées à la qualité de Membre de l’Organisation des
NationsUnies, d’une part, et souci pragmatique évite r d’entrer dans le déta il, d’autre part. Très - 28 -
respectueusement, nous aurions tendance à dire que c’est l’arrêt de 2004 qui est à l’origine du
problème, et non les cinq arrêts et ordonnances qui ont été rendus avant comme après.
VI. Conclusions
25. Madame le président, Messieurs de la Cour , les Parties ont reçu une lettre du greffier en
date du 6mai2008, les invitant à exposer leurs arguments sur ces questions d’accès à la Cour.
Nous avons cru comprendre que cette lettre visait les questions que pose l’article 35 du Statut, au
regard des faits, au regard du droit et au regard aussi, bien sûr, de la jurisprudence de la Cour. En
réalité, nous avions déjà pris l’ initiative de nous pencher sur c es questions, car nous en avions
perçu la pertinence et l’importance. La lettre du greffier était donc la bienvenue. Nous nous
attendions à entendre la Serbie s’exprimer sur ces points. Et peut-être l’entendrons-nous, au second
tour, exposer son avis sur la manière dont la Cour devrait concilier ces deux arrêts contradictoires.
Quoi qu’il en soit, notre conclusion sur la première question est simple : nous estimons que, en fait
et en droit, la RFY avait, le 2juillet1999, avec l’Organisation des NationsUnies, une relation
spéciale, qui a été qualifiée à bon droit de sui generis. Compte tenu des attributions qui étaient les
siennes, cette situation s’apparentait à une appartenance en qualité de Membre. La RFY ne pouvait
peut-être pas participer aux travaux de l’Assemb lée générale ou de l’ECOSOC, mais rien ne
l’empêchait de participer à ceux de tel ou tel autr e organe de l’Organisation des Nations Unies, de
telle ou telle autre institution de l’Organisation des Nations Unies, ou de tel ou tel autre programme
de l’Organisation des NationsUnies et rien ne l’ empêchait d’ester devant la Cour au titre du
paragraphe1 de l’article35. Disons les c hoses autrement: vous n’avez pas jugé que le
paragraphe 1 de l’article 35 excluait la compétence da ns le cas de l’affaire introduite par la Bosnie
à l’encontre de la RFY, en1993, en1996, en 2003 ou encore en2007. Pourquoi en irait-il
autrement en l’espèce ?
26. Madame le président, voilà qui clôt m on exposé, et je vous remercie, ainsi que les
membres de la Cour, de votre attention. J’ai jeté un Œil à ma montre et je ne sais pas si le moment
est venu de faire une pause, ou si M. Crawford devrait commencer sa plaidoirie. - 29 -
32 Le PRESIDENT: Si M. Crawford veut bien parler sans s’interrompre pendant les
60minutes que doit durer son intervention, nous pourrions marquer une pause maintenant.
L’audience est suspendue. Je vous remercie.
L’audience est suspendue de 11 h 15 à 11 h 30.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. M. Crawford, vous avez la parole.
M. CRAWFORD : Madame le président, Messieurs de la Cour :
VI. QUESTION DE L ’ACCES DE LA SERBIE A LA COUR
Introduction
1. Au cours de cet exposé, j’examinerai deux arguments relatifs à l’accès à la Cour, question
que cette dernière, dans sa lettre du 6mai2008, nous a demandé de tr aiter. Il s’agissait là d’une
demande inhabituelle, bien que tout à fait compréhensible; en tout état de cause, nous avions
l’intention de nous livrer à un examen approfondi de l’article 35. En revanche, la lettre de la Cour
a suscité de la part de la Serbie une réponse inhabituelle et bien moins compréhensible. Nos
contradicteurs n’ont en effet rien dit au sujet du paragraphe 2 de l’article 35, sinon brièvement pour
évoquer les arrêts OTAN. Ils ne sont pas livrés à la moindre analyse desdits arrêts, des opinions
individuelles et dissidentes ni de l’examen de la Cour dans son arrêt ultérieur de2007. Pas la
moindre analyse. En exposant mes deux arguments , je ne serai donc pas en mesure de répondre à
la Serbie. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cette dernière refuse de développer sa thèse
sur un point sur lequel il lui faudrait pourtant le faire. Je me contenterai donc de répondre à
l’invitation de la Cour, et ce, tout comme elle, sans l’aide de la Serbie.
2. Le premier des deux arguments a trait aux conséquences devant être tirées du fait évident
que la présente espèce a effectivement commencé à la date à laquelle elle a été introduite en 1999
—date depuis laquelle la Cour en est saisie—, et qu’elle a continué d’exister après que le
er
défendeur a été admis au sein de l’Organisation des Nations Unies, le 1 novembre 2000. Par cette
admission, toute lacune qui aurait pu exister avant cette date a été comblée.
3. Le deuxième argument porte sur le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour et la
décision que cette dernière a formulée su r ladite disposition dans les affaires OTAN. A supposer, - 30 -
quod non, que la Cour n’a compétence que si les c onditions nécessaires étaient remplies en 1999, à
l’époque où la présente instance a été introduite, je démontrerai que le défendeur avait alors qualité
pour ester devant la Cour en vert u du paragraphe2 de l’article35 et quel qu’ait été son statut à
33 l’égard de l’Organisation des NationsUnies. S’il en est ainsi, c’est parce que l’articleIX de la
convention sur le génocide constitu ait, à l’époque, une disposition particulière d’un traité en
vigueur.
4. Pour des raisons que vous comprendrez, j’appellerai le premier de ces arguments
l’argument Mavrommatis, même si j’aurais pu, respectueusem ent, le qualifier de façon plus
appropriée d’argument Tomka (affaire relative à l’ Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bos nie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) , arrêt du
27février2007, opinion individuelle du juge Tomka, par.24-36). Quant au second argument, je
l’appellerai argument des «traités en vigueur». Sur la base de ch acun de ces arguments, la Cour a
compétence.
5. Ces arguments reposent —ou devraien t reposer— sur deux points fondamentaux,
lesquels devraient être tenus pour acquis.
6. Le premier de ces points est que le défendeur en la présente espèce est aujourd’hui — et a
été à toutes les époques pertinentes — un Etat en droit international. La condition fondamentale, la
vraie question de la capacité d’ester devant la Cour, d’être partie à une instance devant elle ne fait
pas le moindre doute. Elle est énoncée séparément et clairement au paragraphe 1 de l’article 34 du
Statut de la Cour. Cette dernière doit s’assure r, si nécessaire de sa propre initiative, que cette
condition est remplie dans toute affaire. En la présente espèce, cette condition est remplie. Ainsi
que je l’ai indiqué, le défendeur est un Etat, et il l’a été à toutes les époques pertinentes.
7. Le second point fondamental est qu’il s’agit, pour ainsi dire, du bon Etat ⎯je veux dire
par là du bon défendeur. La responsabilité que la Croatie invoque en la présente espèce est la
responsabilité de cet Etat, le défendeur ici présent. J’ai d’ores et déjà démontré la continuité de
cette responsabilité en vertu de la convention sur le génocide. A n’en pas douter, le défendeur
conteste cette responsabilité, mais il s’agit là d’une question de fond. Ce qui importe à ce stade est
que l’Etat qui comparaît devant vous est le même qu’en1992. Depuis lors, le défendeur avait
toujours affirmé qu’il était lié par la convention sur le génocide. Ce n’est que le 12 mars 2001, soit - 31 -
quelques semaines après le dépôt du mémoire en la présente espèce, qu’il a mis à exécution son
plan visant à se soustraire à la responsabilité qui lui incombe en vertu de la convention sur le
génocide. A cette date, Madame le président, Messieurs de la Cour, il était trop tard.
A. Le principe Mavrommatis : toutes les conditions de fond pour que la Cour ait compétence
étaient réunies le 1 novembre 2000
8. J’en arrive maintenant à mon premier argum ent, lequel est fondé sur ce que j’ai appelé le
principe Mavrommatis. Pour le formuler aussi simplement que possible, cet argument consiste à
34 dire que toutes les conditions de fond pour que la Cour ait compétence étaient réunies, au plus tard,
er
lorsque le défendeur a été admis au sein de l’Organisation des Nations Unies, le 1 novembre 2000.
Une instance avait été dûment introduite devant la Cour par la Croatie, et il y avait donc saisine.
Le défendeur était, aux époques pertinentes, partie à la convention sur le génocide, et il existait
donc manifestement un fondement juridique à la demande . Le défendeur était un Etat dont le
consentement inconditionnel à la juridiction de la Cour en vertu de la convention sur le génocide
était en vigueur, et il y avait donc consentement à la juridiction . Le défendeur était, au moins
depuis le 1 enovembre2000, partie au Statut de la Cour, et il avait donc accès à la Cour .
Premièrement : saisine ; deuxièmement : existence d’un fondement juridique à la demande;
troisièmement: consentement à la juridiction; quatrièmement: accès à la Cour. Qui pourrait
prétendre qu’il existerait une cinquième condition pour que la Cour puisse connaître d’une affaire ?
Le principe Mavrommatis est le principe selon lequel ces quatre éléments de fond doivent être
réunis à un moment donné, l’ordre dans lequel cela se produit étant une pure question de forme et
n’ayant aucune incidence sur la compétence de la Cour.
[Projection de l’image]
9. L’historique de la procédure en l’affaire Mavrommatis (Concessions Mavrommatis en
o
Palestine, C.P.J.I. sérieA n 2, 1924, p.34.) est projeté à l’écran; pour votre commodité, cette
diapositive et les suivantes figurent dans votre do ssier, sous l’onglet8. La Grèce a déposé sa
requête en l’affaire Mavrommatis le 13 mai 1924. Le 6 août 1924 ont été déposés les instruments
de ratification du traité de Lausanne, y compris le protocole XII. - 32 -
10. La Grande-Bretagne avait soutenu que la Cour permanente n’avait pas compétence car,
au moment du dépôt de la requête, le protocole XII n’était pas en vigueur. La Cour a répondu à cet
argument de la manière suivante :
«Dans le même ordre d’idées, il faut enco re examiner la question de savoir si la
validité de l’introduction d’instance peut être mise en doute parce qu’elle est
antérieure à l’époque où le Protocole XII est devenu applicable. Tel n’est pas le cas.
Même si, avant cette époque, la juridiction de la Cour n’existait pas pour la raison que
l’obligation internationale visée à l’article II n’était pas encore en vigueur, il aurait été
toujours possible, pour la partie demanderesse, de présenter à nouveau sa requête,
dans les mêmes termes, après l’entrée en vigueur du Traité de Lausanne; et alors on
n’aurait pu lui opposer le fait en question. Même si la base de l’introduction
d’instance était défectueuse pour la rais on mentionnée, ce ne serait pas une raison
suffisante pour débouter le demandeur de sa requête. La Cour, exerçant une
juridiction internationale, n’est pas tenue d’ attacher à des considérations de forme la
même importance qu’elles pourraient avoir dans le droit interne. Dans ces conditions,
même si l’introduction avait été prématurée, parce que le Traité de Lausanne n’était
pas encore ratifié, ce fait aurait été couvert par le dépôt ultérieur des ratifications
o
roquises.» (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A
n 2, p. 34.)
Permettez-moi de souligner l’expression «ce fait aura it été couvert». La question est de savoir si
les conditions pour que la juridiction puisse être exercée sont «couvertes» —c’est-à-dire, si elles
35
sont réunies— au moment pertinent, et non l’ ordre chronologique dans lequel elles ont été
remplies.
[Fin de la projection]
11. La Cour permanente a a dopté une approche similaire, quoique l’exprimant de manière
plus succincte, en l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise .
L’usine de Chorzów était l’un des intérêts alle mands, et la Pologne avait formulé une exception
préliminaire selon laquelle «une divergence de vues au sujet de l’interprétatio n et de l’application
de la Convention de Genève n’aurait pas été constatée avant l’introduction de la Requête»
(Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n o6, 1925, C.P.J.I.
o
série A n 6, p.13). La Cour a relevé que l’arti cle23 de la convention de Genève de 1922
n’exigeait pas qu’une procédure spéciale, par voi e de notification ou de négociation, précède
l’introduction de la requête. Elle a cependant poursuivi en indiquant :
«Même si la nécessité d’une contestation formelle ressortait de l’article 23, cette
condition pourrait être à tout moment remplie par un acte unilatéral de la Partie
demanderesse. La Cour ne pourrait s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait de
la seule Partie intéressée de faire disparaître.» (Ibid., p. 14.) - 33 -
La Cour a dit la même chose en ce qui concerne la deuxième partie de l’affaire, à savoir les grands
fonds ruraux: «si la requête était, par ce motif , déclarée prématurée, le Gouvernement allemand
serait libre de la renouveler le lendemain» (ibid., p. 22).
12. La présente Cour a suivi le même raisonneme nt dans plusieurs affaires. En l’affaire du
Nicaragua ( Activités militaires et paramilitaires au Ni caragua et contre celui-ci (Nicaragua
c.Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.Recueil1984 , p.392), les
Etats-Unis avaient protesté contre l’invocation pa r le Nicaragua, dans son mémoire, du traité
bilatéral d’amitié, de commerce et de navigation de 1956 comme base de compétence
complémentaire de la Cour, le Nicaragua n’ayant pas indiqué cette base de compétence dans la
requête (ibid., p. 426, par. 77-18). La Cour a répondu :
«Vu [l]es dispositions [pertinentes] du traité de 1956, …il n’est pas douteux
que, dans les circonstances où le Nicaragua a présenté sa requête à la Cour et d’après
les faits qui y sont allégués, il existe un di fférend entre les Parties, notamment quant à
‘l’interprétation ou à l’application’ du traité. Il est clair aussi que ce différend ‘
ne
pourrait pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique’ au sens de
l’article XXIV du traité de 1956… De l’avis de la Cour, parce qu’un Etat ne s’est pas
expressément référé, dans des négociations avec un autre Etat, à un traité particulier
qui aurait été violé par la conduite de celu i-ci, il n’en découle pas nécessairement que
36 le premier ne serait pas admis à invoquer la clause compromissoire dudit traité. Les
Etats-Unis savaient avant l’introduction de la présente instance que le Nicaragua
affirmait que leur comportement constitu ait une violation de leurs obligations
internationales; ils savent maintenant qu’il leur est reproché d’avoir violé des articles
précis du traité de 1956. Il n’y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua à
entamer une nouvelle procédure sur la base du traité ⎯ce qu’il aurait pleinement le
droit de faire.» (Ibid., p. 428-429, par. 83.)
Après avoir cité le passage de l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie
polonaise auquel je me suis déjà référé, la Cour indiqué :
«En conséquence la Cour conclut que, dans la mesure où les demandes
formulées dans la requête du Nicaragua révèlent l'existence d'un différend sur
l'interprétation ou l'application des articl es du traité de 1956 mentionnés … la Cour a
compétence pour en connaître en vertu de ce traité.» (Ibid., p. 429.)
13. En l’affaire de la Bosnie ( Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégov ine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 595), la chronologie a été plus complexe. Elle se lit comme suit :
[Projection]
6 mars 1992 : Indépendance de la Bosnie-Herzégovine - 34 -
22 mai 1992 : La Bosnie-Herzégovine devient Membre de l’Organisation des
Nations Unies
29 décembre 1992 : Notification de succession à l’égard de la convention sur le
génocide (avec effet à compter du 6 mars 1992)
18ar1s99:3 Notification aux parties de la succession de la
Bosnie-Herzégovine
20 mars 1993 : Dépôt de la requête de la Bosnie-Herzégovine
14 décembre 1995 : Entrée en vigueur des accords de Dayton-Paris.
14. La Yougoslavie a fait valoir que, à supposer même que la Bosnie-Herzégovine ait été liée
par la Convention en mars 1993, au moment du dé pôt de la requête, ladite Convention n’aurait pu,
à cette époque, entrer en vigueur entre les parties, car les deux Etats ne se reconnaissaient pas et les
conditions nécessaires pour conférer une base consensue lle à la juridiction de la Cour faisaient par
conséquent défaut. Le défendeur a soutenu que les parties n’étaient pas liées par la Convention
avant leur reconnaissance mutuelle par l’entrée en vigueur, le 14décembre1995, des accords de
Dayton-Paris (ibid., p. 612-613, par. 25). Ecartant cet argument, la Cour a indiqué :
«Certes, la compétence de la Cour doit normalement s’apprécier à la date du
dépôt de l’acte introductif d’instance. Cependant la Cour, comme sa devancière, la
Cour permanente de Justice internationale, a toujours eu recours au principe selon
37
lequel elle ne doit pas sanctionner un défaut qui affecterait un acte de procédure et
auquel la partie requérante pourrait aisément porter remède.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
En l’occurrence, quand bien même il ser ait établi que les Parties, qui étaient
liées chacune par la convention au moment du dépôt de la requête, ne l’auraient été
entre elles qu’à compter du 14 décembre 1995, la Cour ne saurait écarter sa
compétence sur cette base dans la mesure où la Bosnie-Herzégovine pourrait à tout
moment déposer une nouvelle requête, identique à la présente, qui serait de ce point de
vue inattaquable. Au vu de ce qui précède, la Cour estime devoir rejeter la troisième
exception préliminaire de la Yougoslavie.» (Ibid., p. 613-614, par. 26.)
[Fin de la projection]
15. En résumé, Madame le président, Messieurs de la Cour, le principe Mavrommatis est le
principe selon lequel, même si les conditions de la compétence sont remplies dans le désordre, cela
n’empêche pas la Cour d’exercer sa juridiction, pourvu que lesdites conditions soient bien remplies
à un moment donné. Les requêtes prématurées sont «couvert[es] par le dépôt ultérieur des
o
ratifications requises» ( Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. sérieA
o
n 2, p. 34). - 35 -
[Projection de l’image]
16. J’en viens maintenant aux faits de la présente espèce. La chronologie est projetée à
l’écran mais vous la connaissez fort bien.
12janvier1951 La RFSY devient partie à la Convention sur le génocide sans
formuler de réserve.
27avril1992 La RFY affirme qu’elle «respectera strictement tous les
engagements» que la RFSY a pris à l’échelon international.
22mai1992 La Croatie est admise en tant que Membre de l’Organisation
des Nations Unies.
12 octobre 1992 La Croatie notifie sa succession à la Convention sur le génocide
avec effet à compter du 8 octobre 1991.
2 juillet 1999 Dépôt de la requête de la Croatie.
1 novembre2000 La RFY est admise en tant que Membre de l’Organisation des
Nations Unies.
er
Même si la situation du défendeur a pu, avant le 1 novembre 2000, présenter certains défauts ⎯ et
nous affirmons que tel n’est pas le cas ⎯, il était possible d’y porter remède et cela a été fait à cette
date. Le 2 novembre 2000, une affair e continuait de figurer au rôle de la Cour. Cette affaire avait
38 été introduite contre le présent défendeur. A cette date , ce dernier était partie au Statut de la Cour.
Il était partie à la Convention sur le génocide et ce , sans avoir formulé la moindre réserve. Toutes
les conditions pour que la Cour puisse connaître de l’affaire au fond étaient réunies à cette date.
Refuser de connaître de cette affaire au motif que ces conditions ont été réunies dans le désordre
serait contradictoire avec le principe Mavrommatis.
17. Il convient de souligner que l’ar gument du défendeur n’est formulé que maintenant, et
qu’il l’est par un Etat que rien ne prive de sa capacité d’agir devant la Cour et de l’accès à cette
dernière. Ledit argument repose en effet sur un défaut de qualité pour agir qui n’est plus le sien et
qui, depuis le 1ernovembre 2000, a perdu toute pertinence. Faire droit à l’argument de la Serbie ne
reviendrait pas seulement à juger que la réserve qu’ elle a formulée à l’article IX de la Convention
sur le génocide est valable, ce qui, ainsi que M. Sands l’a démontré, n’est pas le cas. Cela
reviendrait également à lui conférer un effet rétr oactif. Quelqu’effet prospectif que les réserves
puissent avoir, personne ne leur confère d’effet rétroactif. - 36 -
18. On pourrait soutenir que,s’il est vrai que la Croatie aurait pu introduire la présente
er
instance le 1 mars2001, date à laquelle le consen tement inconditionnel du défendeur à la
compétence de la Cour en vertu de la convention sur le génocide ne faisait de doute pour personne,
elle ne l’a pas fait. Qu’a fait la Croatie le 1 ermars 2001? Elle a déposé son mémoire ! Soutenir
que, plutôt que de déposer son mémoire, elle aurait dû déposer une requête ne serait que pur
formalisme, formalisme que la Cour a écarté en l’affaire Mavrommatis et dans des affaires
ultérieures. En effet, dans aucune des affaires Mavrommatis, Haute-Silésie, Nicaragua ou Bosnie
la Cour n’a exigé qu’une nouvelle instance soit introduite.
19. En tout état de cause, pourquoi la Croa tie aurait-elle dû accomplir des formalités aussi
er
manifestement superflues? Au 1 mars2001, la Cour avait c onfirmé sans équivoque que le
défendeur avait qualité pour être par tie à une instance en vertu de l’article IX de la convention sur
le génocide. Au cours de la pé riode allant de1992 jusqu’à la da te de son admission au sein de
l’Organisation des Nations Unies, le défendeur a présenté au total à la Cour ⎯ si je compte bien ⎯
quarante requêtes, pièces de procédure, demandes ou documents analogues, soit plus que tout autre
Etat. La liste est pour le moins imposante. Vous la trouverez dans votre dossier, sous l’onglet 9.
Je prie toutefois mes contradicteurs de bien vouloir m’excuser si j’ai sous-estimé leur
impressionnante production judiciaire pe ndant la période en question. Et tout cela, prétendent-ils
aujourd’hui, de la part d’un Etat qui n’avait pas accès à la Cour ! Si c’est cela que font les Etats qui
n’ont pas accès à la Cour, Dieu seul sait ce que font ceux qui y ont bien accès !
20. Mais si, Madame le prési dent, Messieurs de la Cour, si la Croatie avait dû accomplir un
er
quelconque acte concret après le 1 novembre2001, c’est-à-dire à une époque où toutes les
39 conditions pour que la Cour ait compétence étaient assurément remplies, elle a satisfait à cette
exigence par le dépôt de son mémoire. En effet, peut-il y avoir confirmation plus claire d’une
requête que le dépôt d’un mémoire qui l’étaye et lui donne du contenu ? Certes, elle aurait pu lui
être annexée. Peut-être qu’à l’avenir, tout le monde fera figurer sa requê te en annexe1 de son
mémoire, au cas où. Le droit international n’impose pas que les étapes de la procédure soient
répétées — mais il s’agissait bien là, s’il en est, d’une étape de la procédure.
[Fin de la projection.] - 37 -
21. Compte tenu de ce qui précède, la Croatie considère que la Cour peut se déclarer
compétente en la présente espèce au simple fonde ment que, lorsque le défendeur est devenu partie
au Statut, tout vice qui aurait pu exister auparavant a été «couvert», pour reprendre le terme que la
Cour permanente a utilisé en l’affaire Mavrommatis. Si la Cour en décide ainsi, elle n’aura pas à
trancher les questions soulevées par d’autres aspects de l’article 35.
B. Accès à la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut
22. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est avec une certaine appréhension que
j’en viens maintenant à mon deuxième argument. Celui-ci porte sur la qualité qu’a le défendeur
d’ester devant la Cour en vertu du paragraphe2 de l’article35 du St atut du fait qu’il a, à tous les
moments pertinents, été partie à la convention sur le génocide. Ce n’est pas souvent qu’un conseil
est amené à faire valoir devant la Cour qu’un e décision expresse récemment rendue par elle est
erronée. Si je le fais aujourd’hui ⎯à propos de votre décision sur le sens à attribuer au
paragraphe2 de l’article35 du Statut ⎯, soyez convaincus que c’est sans irrévérence envers la
Cour en tant qu’institution, ni envers les différents juges qui ont siégé dans ces affaires.
23. Mais la question du para graphe2 de l’article35 n’a été soulevée par aucun des Etats
parties aux affaires OTAN, pas même la Serbie, qui était alors partie demanderesse. Dans ces
conditions, la Cour comprendra, j’en suis certain, que j’y revienne ici. Je le fais en partant du
principe que la Serbie était, à tous les moments pertinents, partie à la conve ntion sur le génocide et
parce que la Croatie a accusé de génocide des personnes dont la conduite re lève ou pourrait relever
de la responsabilité du défendeur.
[GRAPHIQUE]
24. Je commencerai, comme il se doit, par citer le libellé même de l’article 35.
Il se lit ainsi :
«Article 35
1. La Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut.
40 2. Les conditions auxquelles elle est ouverte aux autres Etats sont, sous réserve des
dispositions particulières des traités en vigueur, réglées par le Conseil de sécurité,
et, dans tous les cas, sans qu’il puisse en résulter pour les parties aucune inégalité
devant la Cour. - 38 -
3. Lorsqu’un Etat, qui n’est pas Membre d es Nations Unies, est partie en cause, la
Cour fixera la contribution aux frais de la Cour que cette partie devra supporter.
Toutefois, cette disposition ne s’appliquera pas si cet Etat participe aux dépenses
de la Cour.»
25. Commençons par souligner que toutes les autres formules employées à l’article 35 le sont
sans conteste dans leur sens courant. Chacune d’entre elles renvoie à tel ou tel élément de
l’article35 qui s’applique au moment dont il s’agit alors, aux choses telles qu’elles sont, et non
telles qu’elles étaient le jour de l’adoption de la Charte ⎯ le 26 juin 1945 ⎯ ou le jour de son
entrée en vigueur. De fait, la Charte est entrée en vigueur le 24octobre19 45 mais (ainsi que la
Cour l’a relevé dans l’affaire de la Barcelona Traction), cette entrée en vigueur aurait aussi bien pu
37
être considérablement différée . La Cour est ouverte aux Etats qui sont parties au Statut à tel ou
tel moment. Les «autres Etats» visés au paragra phe2 de l’article35 sont les Etats non parties au
Statut à ce moment. Les conditions réglées par le Conseil de sécurité au sens du paragraphe 2 de
l’article35 sont celles qui sont réglées à ce moment. Toutes ces formulations renvoient à la
situation telle qu’elle se présente à ce moment, et non telle qu’elle se présentait un jour donné de
1945.
26. Et il en va nécessairement de même pour le membre de phrase «des dispositions
particulières des traités en vigueur». Au sens littéral, il vise les traités en vigueur à la date
pertinente, celle à laquelle l’«autre» Etat vient à ester devant la Cour. Cette disposition, clairement,
n’est pas destinée à donner effet permanent aux tr aités en vigueur au 26juin1945 ou au
24octobre1945, conférant compétence à la Cour. A vrai dire, d’après nos recherches, pourtant
exhaustives, aucun traité de cette nature n’existait à l’une ou l’autre de ces dates. Pas une seule des
listes de traités établies par les pays ⎯nous en avons consulté une bonne dizaine ⎯ n’en
répertorie. Le Recueil des traités des Nations Unies n’en mentionne aucun et les publications de la
Cour elle-même, pas davantage. C’est à l’article 37, et non au paragraphe2 de l’article35, que
l’on trouve les dispositions relatives aux traités conférant compétence à la Cour permanente ⎯ je
reviendrai sur cet article dans quelques instants.
27. Supposons néanmoins ⎯même si les faits le démentent ⎯ qu’un traité prévoyant
expressément la compétence de la Cour ait été en vigueur à la date du 26juin1945 ou du
41 37
C.I.J. Recueil 1964, p. 6 , p. 35. - 39 -
24 octobre 1945. Ce traité aurait été couvert par le paragraphe 2 de l’article 35. Supposons encore
que, par la suite, il ait été mis fin à ce traité ou que celui-ci ait été remplacé ⎯ une éventualité des
plus plausibles. A l’évidence, ce traité n’au rait plus pu être invoqué. L’expression «traités en
vigueur», telle qu’elle figure au paragraphe 2 de l’article 35, ne saurait simplement renvoyer aux
«traités qui étaient en vigueur au moment de l’adop tion de la Charte». Un traité ne saurait être
invoqué à moins d’être en vigueur au moment où il est invoqué: telle est précisément la raison
pour laquelle le sens ordinaire de l’expression «traité s en vigueur» est celui que j’ai indiqué. Au
lieu de quoi, le défendeur est amené à interp réter l’expression «traités en vigueur» comme
signifiant «traités en vigueur à la date du 26juin1945 ou du 24octobre1945, qui continuent de
l’être au moment pertinent». Je le dis r espectueusement, ce n’est pas là interpréter un
passage⎯ c’est le réécrire entièrement.
28. Le paragraphe 3 de l’article 35 apporte un autre élément à l’appui de notre
démonstration. Cette disposition prévoit que la Cour ⎯et j’insiste bien, la Cour ⎯ fixe la
contribution à ses frais que devra supporter l’Et at non membre, à moins qu’il ne «participe aux
dépenses de la Cour». Or, un Etat non membre de l’Organisation des Nations Unies peut avoir
accès à la Cour de deux façons, en dehors de la clau se relative aux traités en vigueur. L’une est de
devenir partie au Statut en vertu du paragraphe 2 de l’article93 de la Charte, à des conditions
⎯notamment en ce qui concerne les contributions exigibles ⎯ déterminées par l’Assemblée
générale sur recommandation du Conseil de sécurité. L’autre consiste pour lui à se prévaloir des
conditions réglées par le Conseil de sécurité en vertu du paragraphe 2 de l’article 35, auquel cas les
contributions aux frais pourront être fixées par ce dernier : en réalité, la résolution 9 (I) du Conseil
de sécurité de 1946 ne fait pas mention de ces cont ributions, mais elle aurait pu le faire. Pourquoi
mêler la Cour à la question des contributions au x frais? Parce qu’il existe une troisième voie
d’accès à la Cour, ne faisant intervenir ni l’Assemblée générale ni le Conseil de sécurité: celle
qu’ouvre la clause relative aux traités en vigueur. Le fait qu’il revient à la Cour de fixer le montant
des contributions des «autres» Etats est une marque d’ouverture, et non l’inverse.
[Fin de la projection]
29. Examinons maintenant le contexte du Statut dans son ensemble. Référence à des traités
ou autres instruments en vigueur y est faite en quatre endroits, qui sont les suivants : - 40 -
«Article 35 2)
«[S]ous réserve des dispositions particulières des traités en vigueur.»
42 Article 36 1)
[T]ous les cas spécialement prévus…dans les traités et conventions en
vigueur…»
Article 36 5)
«Les déclarations faites en application de l’article36 du Statut de la Cour
permanente de Justice internationale pour une durée qui n’est pas encore expirée…»
Article 37
«Lorsqu’un traité ou une convention en vigueur prévoit le renvoi à une
juridiction que devait instituer la Société des Nations ou à la Cour permanente de
Justice internationale…»
30. Ces quatre dispositions se répartissent en deux catégories très clairement définies. La
première, qui regroupe le paragraphe5 de l’article36 et l’article37, concerne la question
spécifique des déclarations faites en vertu de la clause facultative et des traités prévoyant la
compétence de la Cour permanente. La seconde catégorie, dont relèvent le paragraphe2 de
l’article35 et le paragraphe1 de l’article 36, comporte des références assez générales à la
compétence spécialement prévue par les tra ités en vigueur. Ces deux dispositions —le
paragraphe2 de l’article35 et le paragraphe1 de l’article36 — sont rédigées en des termes
identiques ⎯ «dispositions particulières»/«spécialement prévues» («special provisions» et
«specially provided», en anglais) ; «traités en vigueur»/«traités et conventions en vigueur». Force
est de supposer que les mêmes termes ou expressions tels qu’employés dans ces paragraphes ont le
même sens.
31. Or, il va de soi —et la majorité, dans les affaires OTAN, l’a expressément admis
(C.I.J. Recueil 2004, p.319, par.101) —que l’expression «traités et conventions en vigueur»
utilisée au paragraphe1 de l’article36 renvoie au x traités en vigueur au moment précis dans le
temps dont il s’agit ⎯ elle ne vise pas les traités en vigueur au moment de l’adoption de la Charte.
Il doit en aller de même en ce qui concerne les termes comparables employés au paragraphe2 de
l’article 35. - 41 -
32. Qu’en est-il des références faites dans les dispositions relevant de l’autre catégorie ⎯ à
savoir le paragraphe5 de l’article 36 et l’article37? Si vous me le permettez, je les examinerai
l’une après l’autre.
33. Le paragraphe 5 de l’article 36 est ainsi libellé :
«5. Les déclarations faites en applicati on de l’article36 du Statut de la Cour
permanente de Justice inte rnationale pour une durée qui n’est pas encore expirée
seront considérées, dans les rapports entre parties au présent Statut, comme
comportant acceptation de la juridiction oblig atoire de la Cour internationale de
Justice pour la durée restant à courir d’après ces déclarations et conformément à leurs
termes.»
Cette disposition est rédigée en des termes qui n’ ont rien à voir avec ceux du paragraphe2 de
l’article 35. Elle vise des déclarations faites, pa r définition, par le passé — la dernière déclaration
43 faite en application de l’article 36 du Statut de la Cour permanente remonte à 1940. Elle utilise les
termes « qui n’est pas encore expirée» («still in force»). Dans la version anglaise, le mot «still» est
répété dans le cadre de ce qui constitue une disposition transito ire classique: le français, plus
élégant, se contente d’un seul «encore». En outre, le paragraphe 5 de l’article36 porte
expressément sur la question de la continuité de la validité de ces déclarations: «pour la durée
restant à courir d’après ces déclarations et conformément à leurs termes». Il n’existe pas de
formulation équivalente au paragraphe 2 de l’article 35 mais ⎯ selon le défendeur ⎯ il aurait dû y
en avoir.
34. La question de savoir si le paragraphe 5 de l’article 36 est resté en vigueur après 1945 a
été tranchée par la Cour dans l’affaire relative à l’ Incident aérien (Incident aérien du
27juillet1955 (Israël c.Bulgarie), arrêt, C.I.J.Recueil1959 , p.127). La question était de savoir
si la déclaration faite par la Bulgarie en vert u de la clause facultative en 1921 était encore en
vigueur («still in force») en 1955, date à laquelle la Bulgarie fut admise au sein de l’Organisation
des Nations Unies et devint, de ce fait, partie au St atut de la Cour. La majorité estima que non, et
que le paragraphe 5 de l’article 36 n’était qu’une disposition transitoire, applicable uniquement aux
premiers signataires de la Charte. Le p assage suivant de l’arrêt donne une bonne idée du
raisonnement suivi. Renvoyant au paragraphe 5 de l’article 36, la Cour conclut :
«Par sa nature et par son but, cette dis position transitoire n’est applicable qu’à
la situation transitoire qu’on a entendu régl er et qui comportait la coïncidence de
l’institution d’une Cour nouvelle avec la di ssolution de l’ancienne Cour. Tout autre - 42 -
est la situation lorsque, l’ancienne Cour et l’acceptation de sa juridiction obligatoire
ayant disparu depuis longtemps, un Etat devien t partie au Statut de la nouvelle Cour :
il n’y a pas alors de situation transitoire à régler par application de l’article36 ,
paragraphe 5.» (Ibid., p. 139.)
35. Contrairement au paragraphe5 de l’ article36 qui est expressément une disposition
transitoire, le paragraphe 2 de l’article 35 n’en est nullement une. Il peut toujours y avoir des Etats
non parties au Statut de la Cour : il y en a plusieurs à l’heure actuelle.
36. Ainsi, l’arrêt rendu en l’affaire Israël c.Bulgarie ne contient rien qui puisse inciter à
croire que l’expression «traités en vigueur» renverra it uniquement aux traités en vigueur en1945
ou 1946. La question n’a pas été abordée dans le cadre de cette affaire.
37. En outre, la décision rendue en l’affaire Israël c. Bulgarie n’a pas eu d’effet restrictif sur
l’interprétation que la Cour a faite de la seconde disposition transitoire ⎯ l’article 37. En 1964,
dans l’affaire de la Barcelona Traction (exceptions préliminaires), la Cour a clairement indiqué que
l’expression «traité ou convention en vigueur» te lle qu’employée à l’article37, renvoyait au
moment dont il était alors question, et ne visait pas exclusivement les traités en vigueur à la date de
44 l’adoption de la Charte. Comme l’a dit la Cour, «[l’]affaire Israël c. Bulgarie était en un sens sui
generis» (C.I.J. Recueil 1964, p. 29). L’expression portait sur des déclarations unilatérales ; elle ne
portait pas sur des traités, et à fortiori sur «certaines conventions générales multilatérales de grande
importance [ayant] apparemment un caractère durable» (ibid.). L’article 37 n’était pas à interpréter
en un sens restrictif selon lequel un hiatus fortuit aurait entraîné une perte de juridiction. En
conséquence, l’expression «traité ou convention en vigueur» telle qu’employée à l’article37
renvoyait à un traité ou à une conventi on en vigueur au moment pertinent ⎯ en l’occurrence,
en 1955, lorsque l’Espagne est devenue Membre de l’Organisation des Nations Unies.
38. Parmi les facteurs que la Cour a pris en considération en 1964 pour parvenir à cette
conclusion, figurait le souci de ne pas créer d’in égalité ni de discrimination en faveur des Etats
devenus parties au Statut après 1946 (voir ibid., p. 36). Mais compte tenu de son sens ordinaire et
naturel, le paragraphe 2 de l’article 35 n’engendre rien de tel. Seules les parties au traité en vigueur
sont liées par ses termes, de sorte que le principe du consentement est maintenu. Un Etat ne peut
participer au système de la clause facultative par le biais du paragraphe2 de l’article35. Nul
n’échappe à l’obligation de participer aux frais, puisque la Cour peut fixer la contribution des Etats
en application du paragraphe 3 de l’article 35. - 43 -
[Fin de la projection]
39. La Cour a jusqu’à présent insisté sur fait qu’elle est ouverte à tous les Etats, qu’ils
soient ou non parties à son Statut, sans établir de distinctions arbitraires ou artificielles ni insister
sur des points de pure forme. Telle était la pratique de la Cour permanente et, jusqu’aux décisions
de 2004 dans les affaires OTAN, telle était également la vôtre.
40. En ce qui concerne la Cour permanente, je prendrai deux exemples : l’affaire relative la
Haute-Silésie polonaise et l’affaire du Lotus.
[Graphique]
41. Vous voyez apparaître à l’écran la chronologie en l’affaire de la Haute-Silésie polonaise :
er
⎯ 1 septembre 1921 : le Statut de la CPJI entre en vigueur ;
⎯ 15mai1922: la convention entre la Po logne et l’Allemagne relative à la
Haute-Silésie ⎯communément appelée la convention de Genève—
est adoptée. Elle entre en vigueur le 3 juin 1922 ;
⎯ 15 mai 1925 : l’Allemagne introduit une instance contre la Pologne sur le fondement
de l’article 23 de la convention de 1922 ;
45 ⎯ 8 septembre 1926 : après, donc, l’introduction de l’instance, l’Allemagne devient Membre
de la Société des Nations ;
⎯ 11 mars 1927 : l’Allemagne ratifie le Statut de la Cour permanente.
42. Si la position qu’elle a adoptée dans les affaOTAN était justifiée, la Cour aurait dû
alors conclure à son incompétence. Mais elle s’est, bien sûr, déclarée compétente, indiquant, entre
autres :
«Avant d’examiner les exceptions préliminaires soulevées par la Pologne, il
convient de constater que les deux Par ties sont d’accord pour reconnaître que
l’article 23 de la Convention de Genève rentre dans la catégorie des «cas spécialement
prévus dans les traités et conventions en vi gueur», visés à l’article36 du Statut de la
Cour, et le Gouvernement polonais ne conteste pas que la Cour soit régulièrement
saisie en conformité des articles 35 et 40 du Statut.» ( Certains intérêts allemands en
Haute-Silésie polonaise (exceptions préliminaires), C.P.J.I. série A n 6 (1925), p. 11.)
43. Certes, la référence qui est faite dans le passage dont je viens de donner lecture concerne
les «traités et conventions en vigueur» visés à l’artic le 36 du Statut, et non les «traités en vigueur»
visés à l’article 35. Mais l’Allemagne ne pouvait ester devant la Cour, en cette affaire, que sur le - 44 -
fondement de l’article 35, et la Cour l’a expressé ment reconnu en faisant, par la suite, référence à
cet article. En 1925, l’Allemagne n’était pas partie au Statut, elle n’était pas membre de la Société
de Nations. Elle ne figurait pas parmi les Etats ré pertoriés en annexe du pacte. La compétence de
la Cour était fondée sur l’article 23 de la conventi on de Genève, conclue et entrée en vigueur après
l’entrée en vigueur du Statut de la Cour permanente. L’Allemagne n’a pas fait de déclaration
particulière ou générale d’acceptation de la juridic tion de la Cour, dans les termes prévus par la
résolution du Conseil du 17mai1922 faite elle-mêm e conformément à l’article35. Seuls trois
Etats firent de telles déclarations: le Liechtenstein et Monaco ⎯ il s’agissait de déclarations
générales ; et la Turquie, dans des circonstances su r lesquelles je reviendrai dans un instant. Pour
sa part, l’Allemagne n’a jamais fait de déclarations de cette nature. Elle s’est exclusivement fondée
sur les termes des dispositions spéciales de traités en vigueur, et la Cour a accueilli cette démarche.
[Fin de la projection]
[Nouveau graphique]
44. La publication de la Cour permanente intitulée Collection des textes gouvernant la
compétence de la Cour répertoriait un certain nombre d’accords auxquels étaient parties des Etats
non membres de la Société des Nations, comme l’ Allemagne, et qui avaient été conclus après
46 l’entrée en vigueur du Statut le 1 eseptembre1921. Nous en avons retrouvé une trentaine. J’en
donnerai quelques exemples. L’un de ces traités ét ait l’accord conclu à Londres le 30 août1924
entre les gouvernements alliés et l’Allema gne pour l’exécution du Plan des Experts du
38
9 avril 1924 . Cet accord portait sur la stabilisation de la devise allemande et l’article 10 prévoyait
que toute contestation qui pourrait naître entre les Alliés et l’Allemagne serait soumise à la Cour
permanente.
45. Autre exemple ⎯un exemple déchirant! ⎯ les célèbres traités d’arbitrage de Locarno
de 1925. Vous en voyez la liste à l’écran. Ces traités d’arbitrage furent conclus le même jour entre
l’Allemagne et quatre autres Etats européens: la Belgique, la France, la Pologne et la
38Belgique, Empire britannique, Fran ce, Italie, etc. et Allemagne, Aentre les gouvernements alliés et
l’Allemagne pour l’exécution du Plan des Experts du 9 avril1924, Londres, 30août1924, Société des Nations, Recueil
des traités, vol. 30, p. 75. - 45 -
39
Tchécoslovaquie, respectivement . Leur efficacité juridique dépendait d’un accès rapide et assuré
à la Cour permanente, expressément visée aux artic les 1, 16 et 19 de chacun d’entre eux. Locarno
incarnait l’espoir du système international de l’entr e-deux guerres. Pour conférer la compétence,
les traités de Locarno reposaient, à l’époque où ils furent conclus, sur une interprétation de
l’expression «traités en vigueur», telle qu’employée au paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la
Cour, fondée sur son sens ordinaire et naturel !
«Traités d’arbitrage de Locarno, 16 octobre 1925
Convention d’arbitrage entre l’Allemagne et la Belgique, Société des Nations,
Recueil des traités, vol. 54, p. 303, articles 1, 16, 19.
Convention d’arbitrage entre l’Allemagne et la France, Société des Nations,
Recueil des traités, vol. 54, p. 315, articles 1, 16, 19.
Convention d’arbitrage entre l’Allemagne et la Pologne, Société des Nations,
Recueil des traités, vol. 54, p. 327, articles 1, 16, 19.
Convention d’arbitrage entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie, Société des
Nations, Recueil des traités, vol. 54, p. 341, articles 1, 16, 19.»
[Fin de la projection]
[Nouveau graphique]
47 46. Madame le président, Messieurs de la C our, je voudrais maintenant me pencher sur un
o
autre arrêt célèbre de cette é poque, l’arrêt rendu dans l’affaire Lotus (arrêt n 9, C.P.J.I. sérieA
n o10). Voici la chronologie de cette affaire :
er
⎯ le 1 septembre 1921 : le Statut de la C.P.J.I. entre en vigueur ;
⎯ le 12 octobre 1926 : un compromis est conclu ;
⎯ le 4 janvier 1927 : la Turquie et la France engagent une action sur le fondement du compromis.
(Bien entendu, la Turquie ne faisait pas partie de la Société des Nations en 1927.) ;
⎯ le 4 janvier 1927 : le Greffe donne un accusé de réception conformément au Statut et demande
à la Turquie de désigner un juge ad hoc.
39
Convention d’arbitrage entre l’Allemagne et la Belgique, Société des NationRecueil des traités , vol.54,
p.303, articles1, 16 et19; convention d’arbitrage entre l’Allemagne et la France, Société des NatioRecueil des
traités, vol. 54, p. 315, articles 1, 16 et 19 ; convention d’arbitrage entre l’Allemagne et la Pologne, Société des Nations,
Recueil des traités, vol. 54, p. 327, articles 1, 16 et 19 ; convention d’arbitrage entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie,
Société des Nations, Recueil des traités, vol. 54, p. 341, articles 1, 16 et 19 ; voir aussi Collection des textes gouvernant
la compétence de la Cour (3 éd.), C.P.J.I. série E n 5, 1926, p, 297-301. - 46 -
⎯ le 24 janvier 1927: la Turquie dépose une dé claration «conformément aux termes du
paragraphe 2 de l’article 5 du règlement».
47. En l’espèce, le point est différent de celui en cause dans l’affaire de la Haute-Silésie, et il
porte plus sur la procédure que sur le fond. Aux termes du paragraphe2 de l’article35 du
Règlement de la Cour (revisé), la déclaration prévue par la Résolution du Conseil de la Société des
Nations en date du 17 mai 1922 sera déposée «au plus tard, avec la première pièce de procédure».
Le mémoire pouvait donc être déposé et être ve rsé au dossier avant que la Cour se déclare
compétente. En fait, ce n’est pas ce que la résolution du Conseil en date du 17mai1922 disait:
selon elle, il fallait que l’Etat concerné ait déposé une déclaration « préalablement au Greffe»,
c’est-à-dire avant que l’Etat déclarant ait accès à la Cour. Mais la Cour acceptait volontiers que
cela soit fait à un stade ultérieur. L’attitude était plus souple en matière de procédure. Dans
l’intervalle, le mémoire était devant la Cour et faisait partie du dossier.
48. La Cour était donc sur un terrain solide lorsque, dans la phase consacrée aux mesures
provisoires dans l’affaire de la Bosnie, vous avez exprimé l’avis que, de prime abord, le
paragraphe 2 de l’article 35 constituait un fondement de la compétence de la Cour (Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), mesures provisoires , ordonnance du 8avril1993, C.I.J. Recueil 1993, p.14-16,
par.20-26) et lors de la phase consacrée aux ex ceptions préliminaires, vous avez reconnu que le
défendeur pouvait plaider devant la Cour ⎯ en résumé son droit d’ester devant la Cour ⎯ pour le
même motif ( Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) , exceptions préliminaires, arrêt,
48 C.I.J. Recueil 1996(II), p.610-614, par.17-26). Ainsi, vous avez suivi la pratique et la
jurisprudence de votre prédécesseur, la Cour permanente.
49. Il est possible que la principale rais on donnée par la majorité dans l’affaire des
bombardements de l’OTAN à l’appui d’une interprétation restrictive de l’expression «traités en
vigueur» figurant dans le paragraphe 2 de l’article 35 est que les travaux préparatoires sont dans ce
sens (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 318-328, par. 100-114). Avant que je passe à ces travaux, il convient
de faire deux remarques préliminaires. - 47 -
50. La première remarque préliminaire est que les travaux pertinents ne sont pas ceux
de 1945, mais ceux de 1920, qui ont trait à la Cour permanente, pas à votre Cour. En 1945, il n’y
avait aucun exemple de dispositions concernant la compétence visant la nouvelle Cour: nulle
disposition de réserve n’était nécessaire parce qu’il n’y avait rien à réserver. On a fait valoir que le
texte de l’article 35 du Statut de la Cour permanen te a été repris à l’aveuglette, mais sans que l’on
tienne compte du fait que ⎯ selon vos arrêts de 2004 ⎯ la mention des traités en vigueur en 1945
était vide de sens et lettre morte. Il est exact que de larges portions du Statut de la Cour
permanente ont été reprises dans votre Statut, mais cela n’a pas été fait à l’aveuglette. Par exemple,
dans l’article 35, deux des quatre phrases ont été modifiées et, pour des raisons de commodité, l’on
a inséré des numéros de paragraphes. En outre, il y avait l’expérience d’une Cour, dont
l’importance était bien documentée, laquelle, bien qu’elle n’ait pas été un organisme de la Société,
avait connu un certain succès parmi les entités exista nt avant la guerre. On doit tenir pour acquis
que les auteurs de votre Statut étaient tout à fait au courant de la pratique de la Cour permanente en
ce qui concerne l’accès à elle pour les Etats qui n’étaient pas membres de la Société des Nations ;
on pense surtout à l’Allemagne avant 1926. Dans deux des plus célèbres arrêts rendus par la Cour
permanente, rendus dans l’affaire de la Haute-Silésie et celle du Lotus, il y avait des parties qui
n’en étaient pas membres. Deux conceptions sont possibles : la conception positive, selon laquelle
les auteurs du paragraphe2 de l’article35, étaient favorables à l’accès à la Cour d’Etats non
membres, ou la conception négative, selon laquelle ils rejetaient l’idée d’accès pour ces Etats, mais
ils n’ont pas remarqué que l’expression «sous réserve des dispositions particulières des traités en
vigueur» était alors non seulement inutile mais en fait nuisible. S’ils voulaient refuser aux Etats
non membres le droit d’accès à la Cour par traité, la solution consistait à ne pas reprendre cette
expression, il fallait simplement la laisser de cô té! La conception négative est contraire au
principe de l’effet utile; de plus, elle ne rend pas hommage aux auteurs du texte, qui étaient
compétents et bien informés.
49 51. Mais supposons, pour les besoins de la discussion, que les auteurs de1945 n’avaient
nulle autre intention que de reprendre le sens de la deuxième phrase de l’article 35 du Statut de la
Cour permanente, peu importe son sens. Cela m’amène à ma deuxième remarque préliminaire. - 48 -
52. A l’époque de la rédaction du Statut de la Cour permanente en1920 et en1921, les
auteurs étaient déjà conscients du fait qu’un grave problème se posait en raison des Etats qui
n’étaient pas membres de la Société. Il ne s’agissait pas simplement du fait que les puissances
centrales, les anciens ennemis comme l’Allemagne et la Turquie, n’étaient pas admissibles à ce
stade. La Russie et les Etats-Unis étaient aussi exclus, pour des raisons différentes. Aux
Etats-Unis, le Sénat a rejeté le traité de Ve rsailles le 19novembre1919, et encore une fois,
définitivement, le 19mars1920. Si la Cour permanente n’était qu’une cour de la Société, qui
n’était ouverte qu’à ses seuls membres, elle ris quait l’échec; il était prévisible que de nombreux
différends se produiraient entre Etats membres et non membres, et c’est ce qui est arrivé.
L’historique de l’article 35 ne se comprend qu’au regard de cette réalité fondamentale.
53. J’arrive maintenant à l’ historique du texte. La Cour connaît sans doute la vieille
plaisanterie concernant l’historique des textes législ atifs. Il y en a qui disent qu’il n’est nécessaire
d’interpréter les termes d’un texte législatif que lorsque son historique est ambigu ou obscur!
Vous serez heureux d’apprendre que, en la présente espèce, l’historique est clair et sans ambiguïté.
54. Bien entendu, dans l’historique du St atut de la Cour permanente, on compte deux
phases : en premier, l’intervention du comité consultatif de juristes, puis celle de l’assemblée de la
Société et de différents comités : il y a eu certa ins chevauchements sur le plan du personnel, mais
ces phases furent distinctes.
55. Au sein du comité, deux conceptions se sont fait entendre sur la question de l’accès à la
Cour. Selon l’une, avancée par le président du comité, le baron Descam ps, on voulait laisser au
conseil toutes les questions concernant l’accès des non membres à la Cour. Il y en avait d’autres,
notamment MM. Loder et Hagerup, qui prônaient une approche plus large. Par exemple, M. Loder
«croit que l’article 17 du Pacte est conçu dans l’esprit de donner à la juridiction de la
Cour toute l’extension possible. Des Etats autres que les Membres de la Société des
Nations doivent être admis, bien que, naturellement, à des conditions spéciales
40
relatives aux frais de procédure.»
50 Par opposition à la conception large prônée par le «camp» Hegerup/Loder, le baron Descamps a
insisté sur la nécessité d’une procédure d’admission spéciale, encore qu’il acceptait «que, en
40
Cour permanente de Justice ieternationale, comité cons ultatif de juristes, procès-verbal des travaux du comité,
16 juin-24 juillet 1920 (La Haye, 1920), 10 réunion, 26 juin 1920, p. 220. - 49 -
dernier lieu, la Cour aura compétence pour des cas déterminés définis dans les traités de paix» 41.
Suite à une intervention de M.Hagerup, la c onception plus large a de nouveau été exprimée par
M.Loder (qui est devenu président par la suite): «pourquoi fermer les portes à ces mêmes Etats,
s’ils se mettent d’accord pour soumettre leur litige à la Cour?» 42. Le baron Descamps, avec
l’appui de certains autres membr es, a fait de son mieux pour défendre sa conception d’une Cour
réservée aux seuls membres, mais lors d’une ré union ultérieure, M.Hagerup (avec l’accord de
M.Loder) a proposé que la Cour fût tenue d’entend re l’affaire en cas d’«[a]ccord entre les deux
43
parties» . M. Ricci-Busatti a relevé que les traités de paix renvoyaient déjà à la Cour les affaires
concernant des Etats non membres 44. Le baron Descamps en a convenu, mais a dit qu’il ne
s’agissait que de cas sporadiques et que le conse il pouvait inviter ces Etats «en y mettant certaines
45
conditions» . Lors d’une réunion ultérieure, le baron Deschamps et Lord Phillimore ont tenté de
mettre fin au débat sur cette question, mais M. Ricci-Busatti a persisté.
«M.Ricci-Busatti fait observer qu’il y a des cas où il serait impossible de
soumettre à des conditions spéciales, aux termes de l’article du Pacte, l’accès à la Cour
des Etats qui ne sont pas membres de la Société des Nations. Ces cas sont, par
exemple, ceux dans lesquels l’appel à la Cour est directement visé par les traités de
paix pour toutes les parties contractantes, sans distinction.
Les membres du Comité, à l’exception de M.Ricci-Busatti, reconnaissent
également que par Etats Membres de la Société des Nations, on doit comprendre tous
46
les Etats mentionnés à l’annexe au Pacte.»
56. Ce passage appelle deux remarques. La première est que l’observation de
M.Ricci-Busatti ne se limitait pas aux traités de paix existants: il ne les mentionnait qu’à titre
d’illustration («par exemple»). La deuxième est que le comité de rédaction, dont fut exclu
M. Ricci-Busatti, ignora son argument — en dépit du bien-fondé reconnu de celui-ci. Un membre
51 exclu du comité de rédaction fut ignoré, ce ne fut pa s la dernière fois. L’ article 28 élaboré par le
47
comité de rédaction faisait abstraction de l’argument de M. Ricci-Busatti .
41
Ibid.
42
Ibid., p. 221.
43 e er
Ibid., p. 291, (13 réunion, 1 juillet 1920).
44 Ibid., p. 291.
45 Ibid., p. 292.
46 Ibid., p. 540 (24 réunion, 14 juillet 1920).
47 e
Ibid., p. 566 (25 séance, 19 juillet 1920). - 50 -
[Fin du graphique]
57. C’est dans ce contexte que le comité consultatif de juristes présenta le projet à la
10e session du conseil à Bruxelles en octobre1920; cela mit fin à la première phase du comité
consultatif et constitua le début de la deuxième phase de l’Assemblée de la Société et de ses
comités. Le projet d’article 32 déclarait avec vigueur «[La Cour] est accessible aux autres Etats.»
Il prévoyait également que les conditions d’accès seraient fixées par le conseil conformément à
48
l’article17 du Pacte. Il ne faisait pas séparément référence aux traités en vigueur . Le conseil
adopta plusieurs amendements au texte du comité consultatif, mais aucun à l’article 32.
58. Ce texte amendé fut alors examiné par un sous-comité présidé par M.Hagerup —qui,
vous vous en souviendrez, prônait la conception pl us large. Le sous-comité bénéficiait des
observations faites par le Gouvernement britannique sur le projet de Bruxelles, qui demandait entre
49
autres choses que soit étoffé le projet d’article32 . Les discussions qui suivirent sont fort
intéressantes. Les 6 e et 7 séances furent les plus importantes , et vous trouverez l’intégralité des
procès-verbaux de ces séances dans vos dossiers s ous l’onglet10. Je n’en mentionnerai que les
aspects essentiels. Sir Cecil Hurst, le conseiller ju ridique britannique, qui fut ultérieurement juge à
la Cour, «demanda des explications sur la distinction entre les Etats auxquels la Cour est ouverte de
droit, et ceux qui pourraient y avoir accès». M.Hagerup répondit en disant qu’«il s’agissait
principalement d’une question de répartition des frais» 50. Puis, sir Cecil Hurst fit remarquer qu’«en
vertu des traités de paix, les grandes puissances ser aient souvent les Parties devant la Cour»; il
51
52 indiqua que le texte, en l’état, ne tenait pas suffisamment compte de ce fait . C’est à la suite de
cette observation essentielle que fut incluse la référence aux «traités en vigueur».
[Graphique]
48Projet d’établissement de la Cour permanente de Justic e internationale mentionné à l’article14 du Pacte de la
Société des Nations, présenté au conseil de la Sociétpar le comité consultatif de juristes, annexe à la 32ance du
comité consultatif de juristes dans les Procès-verbaux des séances du comité , 16 juin-24juillet1920, p.679 (ci-après
«procès-verbaux»).
49Amendements de la Grande-Bretagne au texte de Bruxelles du projet dans Documents au sujet de mesures
prises par le conseil de la Société des Nations aux termes de l’art14 du Pacte et de l’adoption par l’Assemblée du
Statut de la Cour permanente (ci-après, «Documents»), p. 70-71.
50Procès-verbal du sous-comité, 6 séance, 29 novembre 1920, dans Documents, p. 140.
51Ibid., p. 141. - 51 -
59. Nous en venons au moment crucial. M. Hagerup présenta sous un seul et même groupe
trois nouveaux projets d’articles, les 32, 33 et 34 52, qui devaient devenir les articles 35, 36 et 37 du
Statut ; il s’agit à présent des articles 35 2), 36 1), et (pour un autre objet) 37 de votre Statut. Vous
pouvez voir ces projets d’articles à l’écran.
«Article 32
La Cour est ouverte aux Etats mentionnés à l’Annexe au Pacte et à ceux qui
seront ultérieurement entrés dans la Société des Nations.
Les conditions auxquelles la Cour est ouverte aux autres Etats sont ré
glées, sous
réserve des dispositions particulières des traités en vigueur, par le Conseil.
Lorsqu’un Etat, qui n’est pas membre de la Société des Nations, est partie en
cause, la Cour fixera la contribution aux frais de la Cour, que cette partie devra
supporter.
Article 33
La compétence de la Cour s’étend à toutes affaires que les parties lui
soumettront ainsi qu’à tous les cas spécialemen t prévus dans les traités et conventions
en vigueur.
Article 34
Lorsqu’un traité ou convention en vigueur vise le renvoi à une juridiction à
établir par la Société des Nations, la Cour constituera cette j
uridiction.»
60. La Cour notera que ces trois projets d’articles, présentés ensemble, employaient
l’expression «traités en vigueur»; les deux derniers ajoutaient «et conventions», mais cette
différence ne fit l’objet d’aucun commentaire. Dans la discussion ultérieure, qui porta sur les trois
articles, il fut fait référence aux traités existants ai nsi qu’aux traités à venir, dont un futur traité
d’arbitrage général —il avait en effet alors été définitivement décidé que la Cour n’aurait pas
compétence obligatoire et on espérait qu’à l’avenir, il y aurait un traité d’arbitrage général.
53 M.Fromageot, qui fut ultérieurement juge à la C our, fit référence aux tra ités existants en matière
de travail, de transit, de minorités et de navigation aérienne, sans toutefois laisser entendre que
seuls les traités existants seraient visés par la deuxième phrase 53. Le président, M. Hagerup,
déclara qu’il en ferait état dans son rapport.
[Fin du graphique]
52 e er
Procès-verbal du sous-comité, 7 séance, 1 décembre 1920 ; ibid., p. 143.
53Procès-verbal du sous-comité, 7 séance, 1 décembre 1920, dans Documents, p. 143. - 52 -
[Graphique]
61. Le procès-verbal fut alors ainsi libellé :
«En réponse à une question de M. Huber, M. Fromageot (France) déclare que
l’expression «les traités en vigueur» ne signifie pas seulement les traités actuellement
en vigueur, mais aussi ceux qui le seront, dans l’avenir, à un moment donné.»
(Procès-verbal du sous-comité, 7 eséance, 1 décembre 1920, dans Documents,
p. 144.)
Voilà donc un futur juge en train de dire à un autr e juge ce que les mots figurant dans le projet
54
d’article 32 sont précisément censés signifier . Vous noterez que M.Fromageot employa
l’expression «les traités en vigueur» dans le passage montré à l’écran. Il reprenait cette expression
du projet d’article32, et non l’expression «les traités et conventions en vigueur» des deux autres
articles. Il parlait d’une formule qui commença it — comme le texte définitif commencerait — par
l’expression «sous réserve». Personne ne désapprouva les propos de M. Fromageot.
[Fin du graphique]
62. A la suite de ce débat, M. Hagerup présen ta son rapport au troisième comité de la
55
Société . Celui-ci fut approuvé par ce comité, puis par l’Assemblée elle-même. Les passages
pertinents furent ultérieurement inclus par la Cour permanente dans sa publication officielle
intitulée Collection des textes gouvernant la compétence de la Cour (C.P.J.I. sérieD, n°3,
pp. 7-10). A propos de l’article32 du projet de Bruxe lles, le sous-comité déclara que son libellé
«semblait manquer de clarté, et le sous-comité l’a re manié afin de tenter d’exprimer clairement ce
qui suit».
[GRAPHIQUE]
63. La nouvelle version fut numérotée article 35. Le paragraphe 1 visait, comme auparavant,
les Membres de la Société, présents et futurs. Le paragraphe 2 se lisait c
omme suit :
54 «2. Pour les autres Etats, leur accès à la Cour dépendra ou bi en des dispositions
particulières des traités en vigueur (par exemple les dispositions dans les traités de
paix concernant le droit des minorités, le travail etc.) ou bien d’une résolution du
conseil. Celui-ci peut poser des conditions pour cet accès, conformément à l’article 17
du Pacte, sans pourtant qu’il puisse en résulter pour les parties aucune inégalité devant
la Cour.» (C.P.J.I. série D, n° 3, p. 8 ; les italiques sont de nous.). Le rapport intégral
du sous-comité figure dans Documents, p. 206).)
54
Ibid., p. 144.
55Rapport présenté au troisième comité par M. Hagerup pour le compte du sous-comité dans Documents, p. 206. - 53 -
64. Or, il est vrai que le libellé définitif de la deuxième phrase de l’article 35 du Statut de la
Cour permanente diffère de celui proposé par le sous-comité : il reprend l’expression qui avait été
discutée par MM.Huber et Fromageot ⎯à savoir l’expression «sous réserve» que nous
connaissons bien. Mais il conserve toutes les id ées principales: 1)l’accès des autres Etats à la
Cour dépendait ou bien des traités en vigueur ou bien du Conseil ; 2) le Conseil pouvait poser des
conditions pour cet accès ; sans 3) que cela ne mette les parties dans une situation d’inégalité. De
même, l’essentiel du libellé a été conservé, en pa rticulier l’expression cruciale «des dispositions
particulières des traités en vigueur». Celle-ci es t restée inchangée dans la version définitive du
Statut. Elle demeure inchangée aujourd’hui.
65. Deux points ressortent très clairement du paragraphe2 du projet d’article35 du
sous-comité, tel qu’approuvé par l’ Assemblée de la Société des Nations et repris ensuite par la
Cour elle-même. Premièrement, les traités en vigueur et une résolution du Conseil constituaient
des solutions dépourvues d’ambiguïté: «leur accès à la Cour dépendra ou bien des dispositions
particulières des traités en vigueur ou bien d’une résolution du conseil». Il n’y a aucune raison
d’interpréter de manière plus restrictive le mode d’accès par traité que celui par résolution. Ces
deux modes étaient considérés comme équivalents ; les traités étaient du reste placés en premier.
66. Deuxièmement, l’expression «des dispositio ns particulières des traités en vigueur»
n’était pas limitée aux traités existants. Cela ressort de l’expression entre parenthèses «( par
exemple les dispositions dans les traités de paix concernant le droit des minorités, le travail, etc.)».
Les dispositions des traités de paix concernant le droit des minorités et les conditions de travail
n’étaient citées qu’à simples fins illustratives: elle s n’étaient pas censées être exclusives, ce qui
cadrait parfaitement avec le débat qui avait eu lieu.
[Fin de la projection.]
67. L’historique de l’article 35 montre que l’on ne s’est écarté à aucun moment de l’intention
très clairement exprimée dans ce texte qui a ét é approuvé par l’Assemblée elle-même. La réponse
explicite de M.Fromageot à la question de Max Huber était claire et définitive et M.Hagerup
⎯qui prônait lui-même la conception large ⎯ l’a expliquée à l’Assemblée de la même manière,
55
comme il s’y était engagé. - 54 -
68. Si les auteurs de l’article35 du Statut avaient voulu limiter l’accès par traité des Etats
non membres de la Société des Nations aux traités conclus avant septembre 1921 ⎯ rien ne prouve
que telle était leur intention ⎯, ils auraient aisément pu l’indi quer de manière explicite. Les
articles 26 et 27 du Statut avaient trait aux dispositions des traités de paix concernant le travail, le
transit et les communications. Il aurait été facile de se référer aux traités de paix ou à d’autres
traités déjà en vigueur. Mais, en réalité, en septe mbre 1921, tous les traités de paix n’avaient pas
été conclus. En août1920, la Turquie avait refusé de ratifier le traité de Sèvres, et la forme que
devait prendre le traité de paix éventuel avec ce pays restait à définir. Tous les traités ou
déclarations de minorités n’avaient pas été conclus en septembre1921. Rien ne justifie que l’on
traite cette date comme une limite d’aucune sorte. En1923, la Cour a publié sa première
compilation des accords internationaux régissant sa compétence : cette compilation comprenait un
certain nombre de traités conclus après septembre 1921 avec des Etats non membres de la Société
des Nations, dont, dans le domaine des chemins de fer, l’accord sur la réglementation du trafic
ferroviaire international de novembre1 921, dont la Hongrie était signataire 56, et dans le domaine
du trafic fluvial, l’acte de navigation de l’Elbe de février 1922, dont l’Allemagne était signataire 57.
er
Personne, encore moins la Cour, n’a accordé la moindre importance au 1 septembre 1921, n’a
considéré que cette date constituait une limite d’aucune sorte, comme je l’ai dit, plus de 30 traités
entrent dans cette catégorie.
69. Lorsque le traité de Lausanne ⎯le traité de paix avec la Turquie ⎯ a finalement été
conclu, il contenait l’article 44 pr évoyant le renvoi des différends relatifs à des minorités devant la
Cour permanente. Ce traité a été signé le 24 juillet 1923 et est entré en vigueur le 6 août 1924. La
Turquie n’était pas, à cette date, et ne le sera it pas pendant de nombreuses années, membre de la
Société des Nations. Il ne fait aucun doute que le traité de Lausanne était un «traité en vigueur»
aux fins du paragraphe 2 de l’ar ticle 35 du Statut, comme l’a reconnu Fachiri dans son étude sur la
58 59
Cour . Pourtant, ce traité était postérieur à septembre 1921 .
56
Voir loaccord sur la réglementation du trafic ferro viaire international, Portorose, 23novembre1921,
C.P.J.I Série D n3, p. 59 (Hongrie).
57 o
Voir l’acte de navigation de l’Elbe, 22 février 1922, 26 LNTS 220 : C.P.J.I Série D n 3, p. 60 (Allemagne).
58AF Fachiri, The Permanent Court of International Justice, OUP, Londres, 1932, p. 67.
5928 LNTS 13. - 55 -
56 70. Pour tous ces motifs, il n’y a aucune raison d’ignorer les termes pertinents du
paragraphe2 de l’article35 du Stat ut de la Cour internationale de Justice ou de considérer qu’ils
avaient été recopiés par erreur du Statut de 1921 et qu’ils n’avaient aucun sens dans le contexte de
la CIJ. Tout indique que ces termes doivent être lus dans leur sens ordinaire et naturel ⎯ sens
qu’ils revêtent ailleurs dans le St atut, sens qu’ils revêtent au para graphe 1 de l’article 36, sens que
la Cour permanente leur a attribué dans l’affaire relative à la Haute-Silésie ⎯ des traités qui
entreront en vigueur ultérieurement.
71. Permettez-moi toutefois d’aborder un de rnier sujet de préoccupation qui n’a pas été
évoqué. On peut concevoir que l’expression «sous réserve des dispositions particulières des traités
en vigueur» au paragraphe2 de l’article35 ait été utilisée afin de donner compétence à la Cour à
l’égard d’entités dont le statut inte rnational est incertain et contesté⎯et peut-être à l’égard de
l’objet même de ce différend. Un accord bilatéral entre deux de ces entités imprécises constituerait
sans doute un traité en vigueur et conduirait la Cour à déclarer que l’une ou l’autre des parties ou
les deux ne sont pas des Etats comme exigé par le pa ragraphe 1 de l’article 34 du Statut. Ce sujet
de préoccupation pourrait, me semble-t-il, être invoqué pour justifier une interprétation étroite du
paragraphe2 de l’article35. Il appartient au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale de
trancher la question de la qualité de membre des Nati ons Unies et de partie au Statut. Le libellé du
Statut de la Cour permanente ne révèle auc une intention d’accorder un monopole au Conseil mais
ce sujet de préoccupation pourrait étayer une telle proposition. Selon cet argument inexprimé,
l’expression «sous réserve des dispos itions particulières des traités en vigueur» devrait être traitée
comme une dérogation au contrôle politique et êt re interprétée aussi étroitement que possible
⎯ interprétée, si nécessaire, comme n’existant pas.
72. Il y a, je le dis respectueusement, trois réponses à cet argument.
73. La première, c’est la condition fondamentale de l’accès à la Cour, la question cruciale de
la capacité à ester : aux termes du paragraphe 1 de l’article 34, seuls des Etats la possèdent. Cette
règle est applicable en tout temps et en toutes circonstances; c’est une condition indéfectible qui
est pleinement remplie dans la présente espèce, mais qui pourrait ne pas l’être dans une autre. Aux
termes du Statut, c’est une question qui doit être tranchée par la Cour —c’est à la Cour de se
prononcer. - 56 -
74. La deuxième raison, c’est que les organ es politiques, d’abord ceux de la SDN, ensuite
ceux de l’ONU, n’ont pas cherché à détenir le monopole du contrôle de l’accès au mépris de la
volonté de la Cour. La résolution du Conseil de la SDN du 17mai1922 était très généreuse,
permettant à tout Etat non membre de la SDN de déposer une déclaration d’acceptation de la
juridiction, de caractère particulier ou de caractère général. Le statut des entités déposant des
déclarations en vertu de cette résolution n’était soumis à aucune forme de contrôle politique. C’est
57 exactement le même principe qui vaut pour la résolution du Conseil de sécurité9(I) du
15octobre1946. Les organes politiques s’en sont, régulièrement et pendant 80ans, remis à la
Cour, en vertu de la règle énoncée au paragraphe 1 de l’article 34. Ils n’ont jamais revendiqué le
droit de se prononcer. C’est à la Cour, et non au x organes politiques de l’ ONU, qu’il incombe de
veiller à ce que les conditions d’accès soient remplies, y compris, notamment, celles du
paragraphe 1 de l’article 34 du Statut.
75. La troisième raison de rejeter cette préo ccupation inexprimée, c’est que notre affaire ne
ressemble pas à celles portant sur un traité bilatéral conclu entre deux entités de statut incertain ou
ne possédant aucun statut international. L’affair e concerne deux parties à la convention sur le
génocide —convention multilatérale majeure conclue en conséque nce et au lendemain de la
seconde guerre mondiale. Il n’est pas excessif de di re que la convention sur le génocide fait partie
des règlements d’après-guerre. Comme je l’ai déjà fait observer, la convention est de nature
déclarative. L’obligation de réprimer qui in combe aux Etats vise le génocide quel que soit le
moment où il est commis. C’est le type même de la convention universelle. Comme vous l’avez
indiqué dans les Réserves à la convention sur le génocide :
«Les origines de la Convention révèlent l’intention des Nations Unies de
condamner et de réprimer le génocide comme «un crime de droit des gens» impliquant
le refus du droit à l’existence de group es humains entiers, refus qui bouleverse la
conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité, et qui est contraire à la
fois à la loi morale et à l’esprit et a ux fins des Nations Unies…Une deuxième
conséquence est le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de
la coopération nécessaire «pour libérer l’ humanité d’un fléau aussi odieux»…La
Convention sur le génocide a donc été voulue tant par l’Assemblée générale que par
les parties contractantes comme une conven tion de portée nettement universelle.»
(Réserves à la convention pour la préventi on et la répression du crime de génocide,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.) - 57 -
Dans cette affaire-là, votre rais onnement s’appuyait sur une présomption allant à l’encontre de
«[l]’exclusion complète de la Convention d’un ou de plusieurs Etats» (Ibid., p. 24).
76. Il n’y a donc aucune raison d’interpréter le paragraphe 2 de l’article 35 d’une manière qui
ne soit pas conforme à son sens ordinaire et naturel. De plus, ce sens ordinaire et naturel est
pleinement confirmé, comme je l’ai montré, par les travaux préparatoires.
77. D’un autre côté, il faut tenir compte d’une considération de politique, à savoir la position
qu’occupe la Cour dans le monde. La CPJI a été conçue en 1920, dans le contexte d’une SDN qui,
c’était déjà patent, serait d’une composition incomp lète. La CIJ a été conçue en tant qu’organe
accessible à tous les Etats, qu’ils aient été ou non Membr es de la SDN, et ce principe a été suivi
en 1945. Le problème de l’exclusion des Etats ex -ennemis s’est posé en 1945 comme en 1920. Il
58 est vrai que nous sommes parvenus à un stade où la qualité de membre de l’ONU est pour ainsi dire
universelle. Mais il faut garder à l’esprit une réserve: s’il peut y avoir de nouveaux Etats, des
Membres peuvent quitter l’ONU. La Cour est une ju ridiction pouvant être saisie aussi bien dans
des périodes difficiles que dans des périodes favor ables. Ce dont nous avons besoin, dans une
période difficile, c’est d’un accès élargi à la Cour, pas d’un accès restreint. En outre, en cas de
rupture de la continuité politique, nous avons besoin d’une continuité juridique. La présomption de
continuité consacrée par la Cour au stade des exceptions préliminaires de l’affaire
Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (C.I.J. Recueil 1996, p.610, par.17) a été —et je le dis avec
tout le respect dû à la Cour — tout à fait justifiée. Ce dont les traités tels que la convention sur le
génocide ont besoin, c’est d’une continuité d’application, et à cette fin nous avons besoin d’une
continuité d’accès.
78. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’un des mes collègues a présenté la décision
que vous avez rendue dans les affaires des bombardements de l’OTAN comme étant «à de
nombreux égard un arrêt troublant, qui risque d’enta mer l’autorité de la Cour internationale de
Justice»60 [traduction du Greffe]. Cela dit, la Cour est manifestement habituée à la critique et, de
manière générale, elle résiste, à juste titre, a ux changements de cap. Laissons cependant les
critiques se conformer à la Cour, et non l’inverse. Mais pas systématiquement : il peut y avoir des
60
C. Gray (2005) 54 ICLQ 787, 794. - 58 -
situations, et il y a eu des situations, dans lesque lles une plus ample réflexion peut, et a pu, donner
lieu à des hésitations. Je me permets de dire, av ec tout le respect dû à la Cour, que nous nous
trouvons dans pareille situation. Pour les raisons que j’ai indiquées, les termes du paragraphe 2 de
l’article 35 du Statut disent précisément ce qu’ils si gnifient, et c’est dans ce sens que la Cour doit
se prononcer.
79. Madame le président, Messieurs de la Cour, voilà qui termine le premier tour de
plaidoiries de la Croatie. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre
attention.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford.
Cela met fin au premier tour de plaidoiries. Je donne à présent la parole au juge Abraham qui
souhaite poser une question aux Parties.
M. ABRAHAM: Thank you, Madam President. My question is for both Parties.
The Parties have cited, inter alia, the cases concerning Legality of Use of Force, wherein the
Court ruled in 2004 that it was without jurisdiction to hear the Applications submitted by Serbia
and Montenegro, because that State did not meet the conditions on access to the Court.
59 In those cases Serbia and Montenegro appeared before the Court as Applicant.
In the present case Serbia is the Respondent.
In respect of the conditions laid down in paragr aphs 1 and 2 of Article 35 of the Statute, are
there, in the views of the Parties, any consequen ces of this difference in position and, if so, what
are they? Thank you.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Le texte de cette question sera communiqué aux Parties
dans les meilleurs délais. Les Parties décideront si elles jugent opportun de répondre à la question
lors du second tour de plaidoiries. Elles pourront aussi répondre par écrit à la question d’ici le
6juin2008 au plus tard, et j’ajouterai que t outes observations qu’une Partie souhaiterait faire
conformément à l’article72 du Règlement de la C our sur la réponse de la Partie adverse devront
être soumises au plus tard le 13 juin 2008. - 59 -
La Cour se réunira demain à 10heures pour entendre le second tour de plaidoiries. La
Serbie présentera sa réplique orale demain et la Croatie vendredi à 10heures. Chaque Partie
disposera d’un temps de parole de trois heures. J’ajouterai que le second tour de procédure orale a
pour objet de permettre à chacune des Parties de répondre aux arguments avancés par la Partie
adverse lors du premier tour. Le second tour ne saurait donc constituer une répétition des
présentations antérieures.
L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 45.
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