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MASI

CR 2007/20 (traduction)

CR 2007/20 (translation)

Mardi 6 novembre 2007 à 10 heures

Tuesday 6 November 2007 at 10 a.m. - 2 -

12 Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président. Veuillez vous asseoir. L’audience est

ouverte.

La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre le s Parties en leurs plaidoiries dans l’affaire

relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge

(Malaisie/Singapour).

Je voudrais indiquer tout d’abord qu’en septembre 2003, avant son élection à la présidence

de la Cour, le juge Higgins s’est, en application du paragraphe 2 de l’artic le 17 du Statut, récusée

en l’affaire. Il m’incombe donc, en ma qualité de vice-président de la Cour, d’exercer,

conformément à l’article 13 du Règlement de la Cour, la présidence en la présente affaire.

La Cour ne comptant pas sur le siège de jug es de la nationalité des Parties, chacune d’elles a

usé de la faculté qui lui est conférée par le paragr aphe2 de l’article31 du Statut de désigner un

juge ad hoc. La Malaisie a désigné M.Christ opher John Robert Dugard et Singapour,

M. Sreenivasa Rao Pemmaraju.

L’article 20 du Statut dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer en fonction,

en séance publique, prendre l’engagement solennel d’ exercer ses attributions en pleine impartialité

et en toute conscience». Cette disposition est applicable aux juges ad hoc également, en vertu du

paragraphe6 de l’article31 du Statut. Bien que M.Dugard ait siégé en qualité de juge ad hoc et

fait une déclaration solennelle dans une affaire précédente, le paragraphe 3 de l’article8 du

Règlement de la Cour requiert qu’il fasse une nouvelle déclaration solennelle en la présente affaire.

Avant d’inviter chacun des juges ad hoc à faire leur déclaration solennelle, je dirai d’abord,

selon l’usage, quelques mots de leur carrière et de leurs qualifications.

M. Christopher John Robert Dugard, de nationalité sud-africaine, est professeur émérite de

l’Université de Witwatersrand, professeur honoraire à l’Université de Pretoria et à l’Université de

Western Cape et jusqu’à récemment professeur de droit international public à l’Université de

Leyde. Il a aussi été directeur du Lauterpach t Research Centre for International Law de

l’Université de Cambridge. Parallèlement à sa brillante carrière universitaire, M. Dugard a apporté

une importante contribution aux travaux d’un certa in nombre d’organes internationaux dans le

domaine du droit international et des droits de l’homme. Il est membre de l’Institut de droit - 3 -

international et membre de la Commission du dr oit international dont il est aussi le rapporteur

spécial sur la protection diplomatique. Il est également rapporteur spécial au conseil des droits de

13
l’homme des Nations Unies. M. Dugard a en outre, comme je viens de le signaler, siégé à la Cour

en qualité de juge ad hoc en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle

requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda).

M. Sreenivasa Rao Pemmaraju, de nationalité indienne, a occupé de nombreuses fonctions

universitaires, notamment à la faculté de droit de l’Université du Michigan et au Woodrow Wilson

International Centre for Scholars. Il a l ongtemps été membre de la Commission du droit

international et y a occupé plusieurs fonctions im portantes. M. Sreenivasa Rao a en outre effectué

une carrière remarquable au ministère des affaires ex térieures de l’Inde et a été conseiller juridique

à la Mission permanente de l’Inde auprès de l’Orga nisation des Nations Unies. Parmi les illustres

fonctions qu’il a exercées figurent notamment celles de président de l’Organisation de consultation

juridique Asie-Afrique. M. Sreenivasa Rao a également plaidé devant la Cour en qualité de conseil

du Gouvernement indien en l’affaire de l’Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde).

Conformément à l’ordre de préséance défini au paragraphe 3 de l’article 7 du Règlement de

la Cour, j’inviterai tout d’abord M. Dugard à faire la déclaration solennelle prescrite par le Statut et

je demanderai à toutes les personnes présentes à l’audience de bien vouloir se lever.

M. DUGARD: «Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes

attributions de juge en tout honneur et dévouement , en pleine et parfaite impartialité et en toute

conscience.»

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident. Je vous remercie. J’inviterai

maintenant M. Sreenivasa Rao à faire la déclaration solennelle prescrite par le Statut.

M. SREENIVASA RAO: «Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et

exercerai mes attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité

et en toute conscience.»

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président. Je vous remercie. Veuillez vous

asseoir. Je prends acte des déclarations solenne lles faites par M.Dugard et M.Sreenivasa Rao - 4 -

14 Pemmaraju et déclare ceux-ci dûment installés en qualité de juges ad hoc en l’affaire relative à la

Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge

(Malaisie/Singapour).

*

Je rappellerai à présent les principales étapes de la procédure en l’espèce.

L’instance a été introduite le 24juillet2003 pa r la Malaisie et Singapour par notification

d’un compromis en vue de soumettre à la Cour le ur différend relatif à la souveraineté sur Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge.

Conformément au paragraphe3 de l’article40 du Statut de la Cour, tous les Etats admis à

ester devant la Cour ont été informés du compromis.

er
Par ordonnance en date du 1 septembre2003, le président de la Cour, eu égard aux

dispositions du compromis relatives aux pièces de procédure, a fixé au 25mars2004 et au

25 janvier 2005, respectivement, les dates d’expiration du délai pour le dépôt d’un mémoire et d’un

contre-mémoire par chaque Partie. Ces pièces de procédure ont été dûment déposées dans le délai

ainsi fixé.

er
Par ordonnance du 1 février 2005, la Cour a fixé au 25 novembre 2005 la date d’expiration

du délai pour le dépôt d’une répli que par chaque Partie. Ces pièces de procédure ont été dûment

déposées dans le délai ainsi fixé.

Etant donné que le compromis prévoyait l’éventuel dépôt d’une quatrième pièce de

procédure par chaque Partie, ces dernières ont, par une lettre conjointe en date du 23 janvier 2006,

informé la Cour qu’elles étaient convenues qu’il n’ était pas nécessaire d’échanger des dupliques.

La Cour, eu égard à ladite lettre, a décidé qu’aucune pièce de procédure supplémentaire n’était

nécessaire et que la procédure écrite en l’affaire était donc close.

A la demande des Parties, la Cour a examiné la question de l’ordre dans lequel celles-ci

devraient être entendues lors de la procédure oral e. Par lettre du 22 septembre 2006, la Cour les a

informées qu’elle avait décidé que Singapour plaide rait en premier, suivie de la Malaisie, étant - 5 -

entendu que cette décision n’impliquerait pas qu’une Partie serait considérée comme demandeur et

l’autre comme défendeur, et que la décision n’aura it aucune incidence sur les questions relatives à

la charge de la preuve.

15 Conformément au paragraphe 1 de l’article 54 du Règlement de la Cour, la Cour a fixé au

mardi 6 novembre 2007 la date d’ouverture des audiences et a arrêté le calendrier de celles-ci. Le

greffier en a informé les Parties par des lettres du 2 octobre 2006.

Le 21août2007, l’agent de Singapour a communiqué au Greffe un nouveau document que

son gouvernement souhaitait produire en application de l’article56 du Règlement de la Cour. Le

coagent de la Malaisie a par la suite fait savoir à la Cour que la Malaisie ne s’opposait pas à la

présentation de ce nouveau document par Singapour , à condition que les observations de la

Malaisie sur ce document soient également versées au dossier. Le 11octobre2007, le greffier a

fait savoir aux Parties que la Cour avait d écidé d’autoriser la production du document de

Singapour. Conformément au para graphe 3 de l’article 56 du Règl ement de la Cour, le document

contenant les observations de la Malaisie sur le nouveau document de Singapour a été également

versé au dossier de l’affaire.

*

Après s’être renseignée auprès des Parties, la Cour, conformément au paragraphe2 de

l’article 53 de son Règlement, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et documents

annexés seraient rendus accessibles au public à l’ ouverture de la procédure orale. En outre,

conformément à la pratique de la Cour, l’ensemble de ces documents, sans leurs annexes, sera

placé dès aujourd’hui sur le site Internet de la Cour.

Je constate la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties, auxquels

j’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue.

Conformément aux dispositions relatives à l’or ganisation de la procédure arrêtées par la

Cour, les audiences comprendront un premier et un second tours de plaidoiries. Le premier tour de

plaidoiries débute aujourd’hui et se terminera le vendredi 16novembre 2007. Le second tour de

plaidoiries s’ouvrira le lundi 19 novembre 2007 et s’achèvera le vendredi 23 novembre 2007.

* - 6 -

16 J’appelle à présent à la barre S. Exc. M. To mmy Koh, agent de la République de Singapour.

Excellence, vous avez la parole.

M. KOH :

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour,

2. Je suis extrêmement honoré de me présenter de vant vous en qualité d’agent de Singapour.

Comme c’est la première fois que Singapour es t Partie à une affaire soumise à la Cour

internationale de Justice, j’aime rais d’abord dire quelques mots sur la politique de mon pays en

matière de droit international, de primauté du droit et de règlement pacifique des différends.

3. Singapour attache une grande importance au droit international et elle s’est toujours

efforcée de régler son comportement sur celui-c i. Avec d’autres Etats animés des mêmes idées,

nous travaillons à renforcer l’état de droit dans le monde. Nous croyons au règlement pacifique des

différends. Nous sommes convaincus que les Etats doivent s’efforcer de régler leurs divergences

par la consultation, la négociation et la médiation. Et, lorsqu’un différend ne peut être réglé par ces

moyens, nous sommes convaincus que, au lieu de le laisser détériorer l’ensemble des relations

bilatérales entre les deux pays intéressés, il est préférable de le soumettre à une procédure de

règlement obligatoire par un tiers, arbitrage ou rè glement juridictionnel. C’est la raison pour

laquelle Singapour et la Malais ie sont convenues de soumettr e leur différend à votre haute

juridiction.

4. Je tiens à présenter mes salutations fraternelles et mes respects à l’agent de la Malaisie,

S.Exc. Tan Sri Abdul Kadir Mohamed, un vieil am i, à son coagent, S. Exc. Mme Noor Farida

Ariffin, à l’éminent Attorney-General , Tan Sri Abdul Gani Patail, un vieil ami lui aussi, ainsi

qu’aux autres membres de leur équipe.

5. Je voudrais maintenant vous présenter les me mbres de ma propre équipe: mon coagent,

S. Exc. M. Anil Kumar Nayar ; le vice-premier ministre et ministre de la justice, M. S. Jayakumar ;

le président de la Cour suprême de Singapour, M. Chan Sek Keong ; l’ Attorney-General, M. Chao

Hick Tin; M.Ian Brownlie, M. Alain Pellet, M.Rodman Bundy et MmeLoretta Malintoppi. - 7 -

M.Jayakumar, ancien doyen de la faculté de dr oit de l’Université nationale de Singapour, a été

17 associé aux recherches de Singapour sur la question de Pedra Branca dès 1979, date à laquelle la

Malaisie a pour la première fois publié une carte affirmant ses prétentions sur l’île.

6. J’aimerais aussi expliquer la présence du président de la Cour suprême de Singapour dans

notre délégation. M. Chan Sek Keong a été pendant quatorze ans l’Attorney-General de Singapour,

avant d’être nommé, en avril de l’année dernière, président de la Cour suprême de Singapour. Il a

commencé à travailler à la présente affaire en 1993, à l’occasion de la première série de

consultations bilatérales entre la Malaisie et Singapour. Après le dépôt du compromis saisissant la

Cour, M.Chan a dirigé l’équipe juridique chargée d’établir les pièces écrites de Singapour.

Compte tenu du rôle central qu’il jouait dans la préparation de cette affaire pour Singapour, au

moment de sa nomination aux fonctions de préside nt de la Cour suprême, le Parlement de

Singapour a été informé qu’il avait accepté, sur la demande du gouvernement, de continuer à

assumer ce rôle jusqu’à ce que le différend ait été tranché par la Cour.

L’objet du différend

7. Monsieur le président, Messieurs de la C our, la présente affaire concerne la souveraineté

sur trois formations maritimes ⎯ une île principale dénommée «Pedra Branca» et deux formations

subsidiaires dénommées «Middle Rocks» et «Sou th Ledge» Aux termes de l’article2 du

compromis,

«La Cour est priée de déterminer si la souveraineté sur

a) Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ;

b) Middle Rocks ;

c) South Ledge

appartient à la Malaisie ou à la République de Singapour.»

Pedra Branca signifie «rocher blanc» en port ugais, et l’expression «Pulau Batu Puteh» ne

veut rien dire d’autre que «île du rocher blanc» en langue malaise. Ce nom ⎯ Pulau Batu Puteh ⎯

n’a fait son apparition que récemment sur les cartes de la région, et c’est le nom que mes amis - 8 -

malaisiens donnent aujourd’hui à Pedra Branca. Dans les plaidoiries de Singapour, nous

appellerons l’île «Pedra Branca», nom sous le quel elle est connue depuis que les Portugais ont

e
dressé les premières cartes de la région au XVI siècle.

8. Sur la carte qui est maintenant à l’écran, vous pouvez voir où se trouvent les trois

o
formations contestées. Il s’agit de la carte n 2 du mémoire de Singapour, que vous trouverez aussi

18 dans votre dossier sous l’onglet 1. Elle montre les trois fo rmations, stratégiquement situées à

l’entrée est du détroit de Singapour. Environ neuf cents navires empruntent chaque jour ce détroit,

l’un des plus fréquentés au monde.

9. J’aimerais maintenant montrer à la Cour une photographie de Pedra Branca montrant le

phare, peint en noir et blanc, l’hélisurface et les autres installations qui s’y trouvent. Elle figure

sous l’onglet 2 de votre dossier. Vous voyez Middle Rocks à l’arrière-plan, mais pas South Ledge,

qui est située hors du cadre de la photographie, à 2milles marins environ au sud-ouest de Pedra

Branca, et qui est en outre entièrement recouverte à marée haute.

10. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, nous soutenons que la souveraineté sur

Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge appartient à Singapour.

⎯ Pedra Branca appartient à Singapour parce que le Gouvernement colonial britannique à

Singapour a acquis la souveraineté sur l’île en en prenant possession, il y a plus de

cent cinquante ans, pour construire un phare. Depuis lors, Singapour a toujours maintenu son

titre sur Pedra Branca en exerçant de manière con tinue, ouverte et effective l’autorité étatique

sur l’île et dans les eaux territoriales de celle-ci.

⎯ Middle Rocks appartient à Singapour parce que cette formation constitue avec Pedra Branca un

groupe indivisible. Aucun Etat ne se l’est jama is appropriée isolément et, se trouvant dans la

mer territoriale de Pedra Branca, elle appartient nécessairement au pays qui a la souveraineté

sur cette dernière.

⎯ South Ledge appartient à Singapour parce c’est un haut-fond découvrant qui se situe dans la

mer territoriale engendrée par Pedra Branca et Middle Rocks. - 9 -

11. Ces trois formations se trouvent à envir on 25 milles marins de Singapour et 7 à 8 milles

marins de la côte malaisienne. Je souligne que, à l’époque per tinente, la largeur de la mer

territoriale était fixée à 3 milles. La Malaisie a étendu sa mer territoriale à 12 milles en 1969, bien

après que Singapour eut acquis son titre sur les trois formations.

12. Avant 1979, la Malaisie n’avait jamais revendiqué aucune de ces formations. C’est

en1979 qu’elle publia pour la première fois une carte situant Pedra Branca dans ses eaux

territoriales, ce qui donna naissance au présent différe nd. Celui-ci est une source de frictions dans

les relations bilatérales entre les deux pays et , après presque vingt-huitans, nous sommes très

19 heureux de savoir qu’il va enfin être réglé. Et je suis très heureux aussi d’informer la Cour que les

deux Parties sont convenues d’accepter sa décision et de s’y conformer.

Les Parties au différend

13. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Singapour et la Ma laisie sont deux pays

voisins et amis d’Asie du Sud-Est. La carte que vous voyez maintenant sur l’écran est une carte

générale de l’Asie du Sud-Est. Vous la trouverez sous l’onglet 3 de vos dossiers. Comme vous le

voyez, la Malaisie comprend deux parties: la Malaisie occidentale et la Malaisie orientale. La

Malaisie orientale occupe le nord de l’île de Born éo, tandis que la Malaisie occidentale fait partie

du continent asiatique, et occupe la péninsule ma laise. Singapour est l’île colorée en orange ⎯ la

couleur nationale des Pays-Bas! ⎯à la pointe sud de la péninsul e malaise. Pedra Branca est

indiquée par une flèche rouge sur la carte, au dé bouché du détroit de Singa pour dans la mer de

Chine méridionale. C’est à cet endroit que, il y a de cela centsoixanteans, le Gouvernement

colonial britannique à Singapour décida de construire un phare.

14. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Singapour est une ancienne colonie

britannique. Aux fins de la présente affaire, elle est le successeur de la Grande-Bretagne. De 1826

à1946, elle faisait partie d’une unité politique dénommée «Etablissements des détroits», qui

comprenait aussi Penang et Malacca. Les Etablisseme nts des détroits ont toujours été une colonie

britannique. Jusqu’en1867, ils dépendaient du gou vernement de l’Inde br itannique, qui relevait

lui-même de Londres. En1946, les Etablissements des détroits ont été dissous et Singapour est - 10 -

devenue elle-même une colonie de la Couronne. En 1963, elle a fusionné avec la Fédération de

Malaya pour former la Fédération de Malaisie. Deux ans plus tard, elle s’est séparée de la Malaisie

et est devenue un Etat indépendant.

15. Je dois ajouter ici que, bien que Singa pour ait fait partie pendant deux ans de la

Fédération de Malaisie, les Par ties conviennent dans leurs écritures que cela est sans conséquence

en l’espèce. Il n’est pas contesté que toutes les portions de territoire apportées d
ans la Fédération

par Singapour en 1963 en sont sorties en 1965.

16. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la Malaisie est une Fédération de

treizeEtats. Le plus proche de Singapour et de Pedra Branca est celui du Johor. Jusqu’en 1957,

Johor était une entité politique distincte, dotée de la personnalité juridique in ternationale. Certes,

20
de 1948 à 1957, il a fait partie d’une entité politiq ue dénommée «Fédération de Malaya», mais

celle-ci n’était qu’un groupement de colonies br itanniques d’Etats malais sous la protection des

Britanniques. Le Johor est resté un Etat s ouverain jusqu’à ce que les Britanniques accordent

l’indépendance à la Fédération de Malaya en 1 957. Il a alors cessé d’être un Etat souverain

indépendant, pour devenir un élémen t constitutif de la Fédération indépendante de Malaya.

Comme je viens de le dire, la Fédération de Malaya est devenue la Fédération de Malaisie en 1963.

Aux fins de la présente espèce, la Malaisie est le successeur de l’Etat du Johor. Les deux dernières

diapositives que j’ai montrées sont reproduites sous l’onglet 4 du dossier des juges.

17. A ce stade, je souhaiterais donner quelqu es explications sur la terminologie qui sera

utilisée dans toutes les plaidoiries de Singapour. Bien que la Malaisie n’ait été constituée

qu’en1963, Singapour ne deve nant elle-même un Etat indé pendant qu’en 1965, nombre des

événements dont nous parlerons au cours de ces audiences ont eu lieu bien avant ces dates. Pour

éviter des répétitions inutiles, nous parlerons parfois simplement de la «Malaisie» et de

«Singapour» lorsque nous examinerons ces événem ents, même si les actes que nous évoquerons

étaient le fait du prédécesseur de l’une ou de l’autre.

18. Monsieur le président, Messieurs de la C our, Singapour et la Malaisie sont étroitement

liées, non seulement par la géographie, mais aussi du poi nt de vue de l’histoire, de la culture et de

l’économie. Pendant deux brèves années, nous a vons même fait partie d’un même pays.

Aujourd’hui, les liens économiques, culturels et familiaux qui nous unissent restent solides. - 11 -

19. Ainsi, la Malaisie est le principal pa rtenaire commercial de Singapour, et Singapour le

deuxième partenaire commercial de la Malaisie. Les liens culturels sont étroits, les deux pays

ayant de nombreux points communs sur le plan linguistique, ethnique et religieux.

20. Ces liens historiques et politiques étroits ne changent rien, cependant, au fait que les

responsables des deux pays se montrent vigilants dans l’exercice de la juridiction exclusive sur les

zones qu’ils considèrent comme relevant de la souveraineté de chaque pays. Si j’insiste sur ce

point, c’est parce que l’un des éléments cruciaux da ns cette affaire est la suite interrompue d’actes

d’administration accomplis par Singapour à l’égard de Pedra Branca, qui tranche avec l’absence

complète d’effectivités malaisienne s sur l’île ou dans ses eaux territoriale, et avec le silence

observé par la Malaisie face à toutes ces activités étatiques de Singapour. Ce silence de la Malaisie

est significatif et il faut y voir une indication du fait que celle-ci n’a jamais considéré Pedra Branca

comme faisant partie de son territoire.

21 La thèse de Singapour dans ses grandes lignes

21. Monsieur le président, Messieurs de la C our, je vais à présent exposer les principaux

éléments de la thèse de Singapour aussi bien sur les faits que sur le droit.

22. Singapour fonde son titre sur Pedra Branca sur la prise de possession légale de l’île par

les autorités britanniques de Singapour au cours de la période allant de 1847 à 1851. La Malaisie

affirme que, jusqu’à 1847, Pedra Branca relevait de la souveraineté du Johor. Il n’existe cependant

aucun élément de preuve qui vienne appuyer cette affirmation. En réalité, Monsieur le président,

Pedra Branca était jusqu’en 1847 terra nullius et aucune entité souveraine ne l’avait jamais

revendiquée ou n’avait accompli d’actes attestant sa souveraineté sur elle.

23. Monsieur le président, la prise de posses sion légale de Pedra Branca par les Britanniques

durant la période 1847-1851 a été effectuée par une série d’actes officiels. Ces actes ont

commencé avec le premier débarquement d’un agen t de la Couronne britannique en 1847 et ont

culminé avec l’inauguration officielle du phare en 1851. - 12 -

24. L’ensemble des activités et actes officiel s effectués par les agents de la Couronne

britannique durant cette période ⎯de 1847 à 1851 ⎯ constituent une manifestation claire et non

équivoque de l’intention de re vendiquer la souveraineté sur Pedra Branca. Ces activités furent

pacifiques et publiques, et ne suscitèrent d’opposition d’aucune autre puissance.

25. Monsieur le président, la Malaisie affirme que les Britanniques ont demandé

l’autorisation du Johor pour construire le phare Ho rsburgh, mais elle n’a pr oduit aucune preuve à

l’appui de cette affirmation.

26. Il n’y avait aucun doute dans l’esprit des observateurs de l’époque quant au fait que la

Couronne britannique avait acquis la souveraineté sur Pedra Branca durant cette période. Lors de

la cérémonie tenue à l’occasion de la pose de la première pierre du phare Horsburgh, le

24mai1850, PedraBranca fut décrite comme une dépendance de Singapour en présence du

gouverneur des Etablissements des détroits ⎯le plus haut fonc tionnaire britannique à

Singapour ⎯ ainsi que d’autres représentants officiels britanniques et étrangers. Cette attribution

de souveraineté, à laquelle les j ournaux locaux firent largement éc ho, ne suscita de réaction de

personne. En particulier, elle ne suscita aucune protestation des autorités du Johor. De fait, en

novembre1850, le gouvernement des Indes orientales néerlandaises à Batavia reconnut

expressément la souveraineté britannique sur Pedra Branca en déclarant que la construction du

phare sur Pedra Branca s’effectuait en «territoire britannique».

27. Après 1851, le Royaume-Uni et, ultérieure ment, Singapour, ont confirmé et maintenu le
22

titre qui avait été acquis sur Pedra Branca par la ma nifestation continue, ouverte et effective de

l’autorité étatique sur l’ensemble de Pedra Br anca et dans ses eaux territoriales. Ces activités

furent de nature très variée, comprenant à la fois des activités liées au phare et d’autres sans rapport

avec celui-ci adaptées à la nature du territoire concerné, et, ce qui est plus important, elles furent

menées à titre de souverain. Toutes sont pleinement documentées dans les écritures de Singapour.

28. Pendant plus de cent trenteans, de 1847 à 1979, date à laquelle la Malaisie a pour la

première fois revendiqué l’île, l’ administration et le contrôle effectifs de PedraBranca par

Singapour n’ont rencontré aucune opposition de la Malaisie ou de son prédécesseur, le Johor, et ont

été reconnus par des Etats tiers et leurs nationaux. - 13 -

29. Monsieur le président, non seulement la Ma laisie n’a pas protesté contre la prise de

possession légale de Pedra Branca par la Couronne britannique en 1847-1851, mais elle n’a jamais

formulé d’objection à aucun des actes de puissance publique que Singapour a accomplis sur

Pedra Branca jusque bien après 1980. En réalité, la Malaisie a, par sa propre conduite, reconnu la

souveraineté de Singapour sur l’île. En 1953, alor s qu’il était encore incontestablement un Etat

souverain, le Johor a officiellement déclaré qu’il ne revendiquait pas la souveraineté sur

PedraBranca. Monsieur le président, cette déclar ation de non-revendication lie la Malaisie. En

outre, la plus haute autorité en matière cartogr aphique de Malaisie a publié, de 1962 à 1975, une

série de quatre cartes officielles qui attribuaient expressément Pedra Branca à Singapour.

30. Les éléments de preuve montrent une constance remarquable dans la conduite des deux

Parties à l’égard de Pedra Branca. D’une part Si ngapour a, pendant plus de cent cinquante ans, agi

de manière totalement compatible avec sa souve raineté sur Pedra Branca. D’autre part, avant

d’émettre sa revendication en 1979, la Malaisie n’a pas une seule fois donné à penser qu’elle avait

un titre sur Pedra Branca ni accompli d’acte de souveraineté sur l’île ou en relation avec celle-ci.

En revanche, comme je l’ai dit, elle a officie llement déclaré en 1953 ne pas revendiquer la

propriété de l’île, elle a publié des cartes offici elles décrivant Pedra Branca comme appartenant à

Singapour et elle est restée silencieuse face à l’admi nistration et au contrôle continus de l’île par

Singapour.

31. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, en ce qui concerne Middle Rocks et

SouthLedge, ces deux formations se trouvent da ns les eaux territoriales de Pedra Branca.

Middle Rocks, situé à 0,6 mille marin de Pedra Branca, fait partie du même groupe d’îles que cette

dernière et South Ledge est un haut-fond découvrant qui n’est pas susceptible d’appropriation

23 indépendante. La souveraineté sur Middle Rocks et South Ledge appartient donc à Singapour en

vertu de la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca.

32. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, mes collègues développeront cette semaine

chacun des points que je viens d’évoquer. Afin de permettre à la Cour de suivre l’enchaînement de

nos exposés, permettez-moi d’indiquer l’ordre dans lequel ils seront présentés. Vous pouvez

également vous reporter au dossier des juges où cet ordre de présentation figure juste après l’index. - 14 -

33. Après ma déclaration, l’Attorney-General, M. Chao, parlera du cadre géographique et du

contexte du différend.

34. M. Chan, président de la Cour suprême, et M. Pellet réfuteront ensuite l’un après l’autre

l’affirmation de la Malaisie selon laquelle elle détiendrait historiquement un titre originaire.

35. La journée de demain sera consacrée à l’ exposé de la thèse de Singapour. M.Pellet

commencera par expliquer que l’acquisition de Pedra Branca par Singapour s’est faite

indépendamment de toute forme d’autorisation ou de consentement du Johor. M.Brownlie

présentera ensuite le processus par lequel Singa pour a acquis son titre sur Pedra Branca. Puis

M.Bundy exposera comment Singapour a mainte nu ce titre par l’exercice ininterrompu de son

autorité étatique sur Pedra Branca et à l’égard de cette dernière.

36. Mme Malintoppi, qui prendra ensuite la parole, fera ressortir, par opposition, l’absence

d’effectivités de la Malaisie. M. Pellet analysera à son tour la question de la reconnaissance, par la

Malaisie, de la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca. Après l’exposé de M.Pellet,

M.Bundy se penchera sur le système des pha res des détroits de Ma lacca et de Singapour,

également connu sous le nom de «système des phares des détroits».

37. M. Pellet prendra à nouveau la paro le pour examiner l’important échange de

correspondance de 1953 par lequel le Gouvernement du Johor a déclaré de manière expresse et

inconditionnelle ne pas prétendre à un titre su r Pedra Branca. Nous entendrons ensuite

MmeMalintoppi sur l’importance à accorder aux cart es et à la reconnaissance par des Etats tiers.

M.Pellet reviendra, en dernier lieu, sur la qu estion de Middle Rocks et South Ledge avant que

M. Jayakumar le vice-premier ministre, ne conclue le premier tour de plaidoiries de Singapour par

une déclaration finale.

24 38. Monsieur le président, Messieurs de la C our, ceci met fin à ma déclaration. Je vous prie

de m’excuser pour ma voix. Je vous demande de bien vouloir appeler maintenant à la barre

l’Attorney-General de Singapour, M. Chao, qui poursuivra l’exposé de Singapour.

39. Je vous remercie. - 15 -

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, M. Koh, pour votre

exposé et, comme vous le proposez, je donne maintenant la parole à l’ Attorney-General de

Singapour, M. Chao, pour qu’il fasse son exposé.

M. CHAO :

C ADRE GÉOGRAPHIQUE ET CONTEXTE DU DIFFÉREND

1. Merci, Monsieur le président. Mon exposé de ce matin comprendra trois parties. Je

présenterai tout d’abord le cadre physique et géographique de PedraBranca, Middle Rocks et

South Ledge. Dans la deuxième partie de mon e xposé, je récapitulerai certains faits marquants de

l’affaire. Enfin, dans la dernière partie de m on exposé, je rappellerai les événements qui ont été à

l’origine du différend et de la saisine de la Cour.

Le cadre physique et géographique

2. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Pedra Branca est une île entourée de

quelques affleurements rocheux. Elle mesure 137 mètres de long, sur envi ron 60mètres de large

en moyenne. Comme nous pouvons le voir sur la phot ographie à l’écran, l’objet le plus notable de

l’île est le phare. Celui-ci porte le nom de «Horsburgh Lighthouse» en mémoire de

James Horsburgh, hydrographe de la Compagnie anglaise des Indes orientales. Il s’agit du premier

phare construit par les Britanniques dans la région. La tour du phare que vous voyez sur cette

photographie est le bâtiment d’origine, achevé en 1851.

3. Les structures auxiliaires sont aussi anciennes que le phare. Sur cette peinture de Pedra

Branca de 1851, réalisée juste après l’achèvement du phare, figure une jetée, construite elle aussi

sur l’île. D’autres structures ont depuis été édifiées par le Gouvernement de Singapour et ses

prédécesseurs. Aujourd’hui, le bâtiment qui entoure la base du phare sert de logement au personnel

de celui-ci. Ce bâtiment, qui comprend une cuisine, des magasins, des chambres et une installation

25 de dessalement, ne faisait pas partie de la construction d’origine. Il y fut ajouté en 1948 par le

gouvernement colonial britannique de Singapour. Les locaux d’habitation des employés se - 16 -

trouvaient initialement à l’intérieur de la tour du phare, pour permettre a ux employés de mieux se

e
défendre en cas d’attaque de pirates; au milieu du XIX siècle, la piraterie était en effet monnaie

courante dans la région.

4. A gauche, vous apercevez un hélipont. Celui-ci a été construit par Singapour en 1992.

Entre l’hélipont et le phare se trouve une tour radar, installée par Singapour en 1989. Elle est reliée

au système d’information sur le trafic maritime dont se sert l’autorité maritime et portuaire de

Singapour pour surveiller le trafic des plus de neuf cents bateaux qui traversent le détroit de

Singapour et passent au large de Pedra Branca chaque jour.

5. Tous les bâtiments et installations qui se trouvent sur l’île ont été construits et mis en

service par le gouvernement de Singapour, qui n’a demandé l’autorisation d’aucune autre puissance

à cet effet.

6. Comme le montrent les photographies, Singapour a mis pleinement à profit toutes les

possibilités offertes par l’île, y ajoutant diverses stru ctures au fil des ans. Des suggestions visant à

gagner des terres autour de PedraBranca afin d’accroître l’espace utile ont été émises à plusieurs

reprises par diverses administrations de Singapour. Les pièces du dossier montrent que cette idée

fut avancée en1972, sérieusement examinée en 1973 et 1974 et réexaminée en 1978 1 ; un appel

d’offres public fut alors lancé par le gouvernement de Singapour en vue de tels travaux et trois

offres furent reçues 2.

7. Très différente de l’île surpeuplée et bâtie que vous avez vue sur la photographie

précédente, voici comment se présentait Pedra Br anca avant la construction du phare par les

Britanniques. C’était une île aride inhabitée, vierge de toute construction ou végétation. L’accès y

était extrêmement limité pendant près de la moitié de l’année en raison de la mousson du nord-est.

Rien n’indique que l’île ait jamais été occup ée ou revendiquée par quiconque avant l’arrivée des

Britanniques.

8. A ce stade, j’aimerais présenter à la Cour une carte importante de l’Amirauté britannique,

la carte n o2403. Elle a pour légende «Singapore Stra it» («Détroit de Singapour»), mais englobe

d’autres zones situées au-delà de chacune des deux extrémités du détroit. Il s’agit de la carte

1
RS, p. 168-169, par. 4.180.
2MS, annexe 135. - 17 -

reproduite par la Malaisie en grand format, pliée dans une pochette à la fin de son contre-mémoire.

La Malaisie a indiqué qu’elle av ait annexé cette carte, pensant qu’elle serait utile pour donner à

3
26 la Cour une idée générale de la situation de Pedra Branca et de ses environs . Pour la même raison,

nous avons glissé une copie de ce tte carte dans la pochette qui se trouve au début du dossier de

plaidoiries.

9. Comme l’indique la carte, Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge sont situées à

l’entrée orientale du détroit de Singapour. Je m’ étendrai davantage sur la géographie de cette

entrée orientale par la suite. Je voudrais pour le moment me servir de cette carte pour présenter la

position de Middle Rocks. Comme Pedra Branca, Middle Rocks est granitique. Outre le fait que

ces formations ne se trouvent qu’à 0,6 mille marin l’une de l’autre, Pedra Branca et Middle Rocks

sont également situées sur la même élévation du fond sous-marin. C’est ce qui ressort clairement

de la partie de la carte de l’Amirauté britannique n o 2403 qui est projetée à l’écran. Pedra Branca et

Middle Rocks sont toutes deux situées sur la même section bleutée de la carte entourée d’une ligne

en pointillé. Sur les cartes hydrographiques, cette li gne en pointillé est une «limite de danger».

Cela signifie que la zone entourée par la ligne en pointillé est dangereuse et que les navires doivent

éviter d’y pénétrer.

10. Cette relation étroite entre Pedra Branca et Middle Rocks est confirmée par les

instructions nautiques publiées par le service hydrographique du Royaume-Uni selon lesquelles

Middle Rocks est situé «sur le bord sud-ouest du banc sur lequel se trouve Pedra Branca» 4. Pedra

Branca et Middle Rocks ont aussi été désigné es collectivement sous l’appellation «groupe

Horsburgh» par le capitaine Kennedy dans une célèbre étude sur les détroits internationaux qu’il a

5
réalisée pour les besoins de la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer de 1958 .

11. Avant de retirer la carte de l’Amirauté britannique de l’écran, j’aimerais souligner qu’il y

a deux chenaux de navigation reconnus au voisinage de Pedra Branca, Middle Rocks et

3
CMM, p. 98, par. 200.
4
MS, annexe 79.
5CMS, annexe 37. - 18 -

SouthLedge. L’un est South Channel (le chenal sud), qui sépare les trois formations de

l’Indonésie; l’autre est Middle Cha nnel (le chenal du milieu), qui les sépare de la Malaisie. Le

principal chenal de navigation des alentours est Middle Channel.

12. Je passe à présent à SouthLedge, qui se trouve à 2,1 milles marins au sud de

PedraBranca. Voici une photographie de South Ledge, prise à marée basse. Vous y apercevez

27 l’épave d’un navire qui s’est échoué sur la formation en 1996 6, ainsi que deux personnes, ce qui

nous permet d’évaluer la taille de la formation. South Ledge est également granitique. La Malaisie

et Singapour s’accordent à reconnaître que South Ledge est un haut-fond découvrant.

13. J’en resterai là en ce qui concerne la description physique des trois formations pour

passer à l’examen du cadre géographique général. Se trouve maintenant projetée à l’écran la carte

générale de l’Asie du Sud-Est à laquelle notre agent s’est référé tout à l’heure. La position de

Pedra Branca y est indiquée, à l’entrée orientale du détroit de Singapour, là où le détroit s’ouvre sur

la mer de Chine méridionale.

14. Depuis l’arrivée des premiers Européens dans la région, les détroits de Malacca et de

Singapour constituent la principale voie de navigation entre l’Extrême-Orient et l’Europe. Presque

tous les navires quittant l’Occident en direction de la Chine, du Japon et d’autres parties du Sud-Est

asiatique, et vice-versa, doivent emprunter les dé troits de Malacca et de Singapour, qui demeurent

parmi les voies de navigation les plus fréquentées du monde et les plus importantes de la région.

15. Comme il ressort de ce croquis à plus gr ande échelle, Pedra Branca se trouve juste au

milieu de l’entrée orientale du détroit de Singapour et n’est associée ni avec l’une ni avec l’autre

des masses continentales. Elle est située à 7,6m illes marins de l’île indonésienne de Bintan et à

7,7 milles marins du continent malaisien. L’île mala isienne la plus proche est à 6,8 milles marins.

Il s’agit de Pulau Mungging, qui fait partie du groupe d’îles de Romania, un groupe qui comprend

aussi Peak Rock, formation dont MM.Pellet et Brow nlie traiteront dans leurs plaidoiries demain.

Comme le montre la carte, les îles Romania sont toutes regroupées autour de Point Romania,

aucune d’entre elles ne se trouvant à plus de 2 milles marins du continent. Pedra Branca ne fait pas

6
MS, p. 121, par. 6.82 (d). - 19 -

partie du groupe d’îles de Romania et n’a jamais été considérée comme telle. Lorsqu’il est fait

référence aux «îles Romania» dans des documents historiques, ces mentions ne recouvrent pas

Pedra Branca.

16. Monsieur le président, Messieurs de la C our, avant de passer à la seconde partie de mon

exposé, j’aimerais à ce stade formuler quatre observations pour conclure cette présentation du cadre

géographique :

28 ⎯ Premièrement, Pedra Branca est une petite île qui a été utilisée par Singapour de diverses

manières. Singapour a fait de Pedra Branca, une île aride et déserte en 1847, son domaine

exclusif, édifiant graduellement des installations sur l’ensemble de la surface utile de l’île au

cours de ses cent soixante années d’administration.

⎯ Deuxièmement, Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge se trouvent toutes à 3milles

marins les unes des autres. Les trois formati ons sont situées à plus de 6milles marins du

territoire malaisien le plus proche.

⎯ Troisièmement, Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge sont des formations isolées qui se

trouvent au milieu de l’entrée orientale du détroit de Singapour et ne sont rattachées ni à la côte

malaise ni à la côte indonésienne.

⎯ Quatrièmement, les Parties s’accordent pour considér er MiddleRocks comme une formation

constituée d’îles, mais South Ledge comme un ha ut-fond découvrant. Middle Rocks et Pedra

Branca font partie d’une seule et même formation rocheuse, étant reliées entre elles par un banc

sous-marin. Middle Rocks et Pedra Branca ont toujours été traitées et présentées comme un

groupe dans la littérature pertinente.

Chronologie des principaux faits pertinents en l’affaire

17. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à la deuxième partie

de mon exposé. Je m’arrêterai ici sur certaines des circonstances de l’espèce. Je ne me propose

pas de dresser l’inventaire complet de toutes ce lles qui revêtent une impor tance, mais de faire

ressortir quelques grands jalons de l’histoire politique des Parties ainsi que les principaux faits

pertinents en l’espèce, en prêtant une attention toute particulière à ceux expressément traités par

l’une ou l’autre des Parties. Je brosserai ainsi la chronologie et le contexte auquel il sera fait - 20 -

référence dans les plaidoiries de ces prochain s jours. Vous trouverez un résumé de cette

chronologie sous l’onglet 5 du dossier d’audiences, qui comprend aussi certains des documents que

je citerai dans la suite de ma plaidoirie.

18. L’histoire commence voici cent soixante ans, lorsque le Gouvernement colonial

britannique à Singapour décide de bâtir un phare sur Pedra Branca. Le Gouvernement britannique

prend possession de l’île en 1847, et les travaux de construction du phare débutent en 1850. Le

phare, et les structures afférentes, est achevé l’année suivante. Il ne fait aucun doute que, à cette

date, la Grande-Bretagne a acquis la souveraineté sur Pedra Branca.

29 19. Ainsi que l’a mentionné notre agent, Pedra Branca est déjà décrite comme une

dépendance de Singapour lors de la cérémonie de pose de la première pierre du phare qui se

7
déroule en mai 1850, en présence du gouverneur britannique . En novembre de cette même année,

Pedra Branca est de nouveau décrite, cette fois dans une correspondance officielle néerlandaise,

8
comme un «territoire britannique» .

20. Le phare est inauguré en octobre 1851. Quelques mois plus tard, en 1852, le

gouvernement de l’Inde adopte une loi qui confère à la Compagnie des Indes orientales la propriété

9
du phare et de ses dépendances . En 1854, elle est remplacée par une autre loi, qui réaffirme leur

appartenance à la Compagnie des Indes orientales 10. Ainsi que l’expliquera M.Bundy, les lois

de1852 et de 1854 n’ont pu être adoptées que parce que le gouvernement de l’Inde considérait

Pedra Branca comme territoire britannique.

21. Une fois acquise la souveraineté sur Pedra Branca, le gouvernement de Singapour

entreprend toute une série d’activités administratives sur l’île et dans ses eaux. Ces activités sont

répertoriées dans les écritures de Singapour, et M. Bundy y reviendra dans sa plaidoirie.

En2. 1861, une dizaine d’années après l’achèvemen t des travaux de construction du phare

Horsburgh, une correspondance est échangée entre le gouvernement de Singapour et celui du Johor

au sujet de litiges opposant des pêcheurs de leurs te rritoires respectifs. Il en ressort que, aux yeux

7MS, annexe 45.
8
RS, annexe 8.
9
MS, annexe 59.
10MS, annexe 62. - 21 -

des représentants du gouvernement de Singa pour comme des personnes privées, il était

parfaitement clair que Pedra Branca et ses eaux ne rele vaient ni de la juridiction ni de l’autorité du

11
Johor .

E2n3. 1886, le gouvernement de Singapour érige un phare sur une île appelée «Pulau

Pisang». Cette île appartenant au Johor, le phare est bâti avec l’autorisation de ce dernier. Vous

pouvez voir ici la position de Pulau Pisang sur la car te projetée à l’écran. L’île est située dans le

détroit de Malacca, au large de la côte ouest du Johor. Il s’agit aujourd’hui du seul phare exploité

par le Gouvernement de Singapour en territoire malaisien. Ainsi que l’indiquera M.Bundy dans

son exposé sur le «système des phares des détroits», la différence marquée dans la manière dont la

30 Malaisie traitera Pulau Pisang d’une part, et Pe dra Branca de l’autre, montre on ne peut plus

clairement que Pedra Branca n’a jamais été considérée par la Malaisie comme faisant partie de son

territoire.

En4. 1900, le Johor officialise l’arrangement relatif au phare de Pulau Pisang en concédant

12
formellement à Singapour le terrain sur lequel il a été érigé . Le Johor n’a jamais cherché, en

revanche, à concéder formellement celui sur lequel est bâti le phare de Pedra Branca.

E2n5. 1927, Singapour et le Johor concluent un accord de délimitation de leurs eaux

territoriales dans le détroit de Johor 13, qui sépare le Johor de l’île principale de Singapour. La

frontière fixée suit le chenal d’eau profonde du détroit. L’accord de 1927 est complété en 1995 par

la conclusion entre Singapour et la Malaisie d’un accord délimitant la frontière dans le détroit de

Johor au moyen d’un ensemble de coordonnées géographiques. Ni l’accord de 1927 ni celui

de 1995 ne concernent Pedra Branca.

E26. 1948, Singapour crée une force navale régulière ⎯ la «force navale malaise», que son

gouvernement rebaptise «marine royale malaise» en 1952 14. Cette même année, le géomètre en

chef de Singapour exprime, dans une correspondance interne, l’avis que Singapour est en droit de

revendiquer une mer territoriale de 3 milles autour de Pedra Branca 1.

11CMS, p.70-71, par.4.61-4.62. Cette correspondance est examinée exhaustivement à l’appendiceB de la
réplique de Singapour.

12MM, annexe 89.
13
MM, annexe 12.
14
RS, p. 175-176, par. 5.11.
15MS, annexe 91. - 22 -

E2n7. 1953, en réponse à une demande d’éclaircis sements de Singapour, le gouvernement

du Johor indique sans équivoque qu’il «ne re vendique pas la propriété de PedraBranca» 16.

L’exposé de M. Pellet sera consacré à cette lettre.

E2n8. 1957, la Fédération de Malaya accède à l’indépendance. En 1958, le gouvernement

de Singapour lui transfère le contrôle de la marine royale malaise. A la suite de ce transfert, la

marine royale malaise continuera d’assurer la dé fense maritime conjointe de Singapour et de la

Fédération et ses bâtiments resteront basés à Si ngapour jusqu’en 1997. Singapour conserve sa

propre force navale composée de volontaires et la flotte du Pacifique de la Grande-Bretagne restera

basée à Singapour jusque dans les années soixante-dix 17.

31 E2n9. 1958, le Master Attendant de Singapour, qui dirige le dé partement de la marine de

Singapour, indique dans un mé morandum relatif à des propos itions de modification de

l’ordonnance relative aux droits de phare que Pedra Branca est territoire singapourien 18.

En0. 1962, la Fédération de Malaya publie deux cartes officielles attribuant Pedra Branca à

Singapour 1. Mme Malintoppi reviendra sur ces cartes vendredi prochain.

E3n1. 1963, Singapour s’associe, avec deux autres territoires britanniques, à la Fédération

de Malaya pour former la Fédération de Malaisie, dont elle se sépare en 1965. Cette même année,

la Malaisie publie une autre carte officielle attribuant Pedra Branca à Singapour 2.

E3n2. 1966, le directeur du département de la marine de Singapour publie un ouvrage

consacré à l’histoire du phare Horsburgh, intitulé First Pharos of the Eastern Sea 21. L’année

suivante, le département de la marine indique dans un mémorandum officiel adressé au ministère

singapourien des affaires étrangères que les eaux situées dans un rayon de 3 milles de Pedra Branca

peuvent être considérées comme des eaux territoriales de Singapour 2.

16RS, annexe 96.

17RS, p. 177-180, par. 5.11-5.13 ; CMM, p. 249, par. 536.

18RS, annexe 24.
19
CMS, cartes 26 et 27.
20
CMS, carte 28.
21MM, annexe 111.

22CMS, annexe 42. - 23 -

E3n3. 1968, la Malaisie conteste le déploiement du drapeau de Singapour sur Pulau Pisang

et Singapour cesse aussitôt de l’arborer. En reva nche, la Malaisie ne proteste pas contre le

déploiement de ce même drapeau singapourien sur Pedra Branca 23.

24
E3n4. 1969, la Malaisie porte la largeur de sa mer territoriale de 3à12milles . Cette

même année, la Malaisie et l’Indonésie signent un traité de délimitation du plateau continental 25. Il

mérite d’être relevé que la Malaisie n’utilise pas Pedra Branca comme point de base aux fins de

cette délimitation. Au contraire, la ligne fron tière tracée évite soigneusement d’empiéter sur les

eaux territoriales de Pedra Branca 26.

32 E3n5. 1970, la Malaisie et l’Indonésie concluent un traité de délimitation de leurs mers

territoriales27, qui ne couvre que le détroit de Malacca. Elles ne cherchent pas à délimiter leurs

mers territoriales au voisinage de Pedra Branca. En 1973, Singapour et l’Indonésie concluent un

28
traité de délimitation de leurs mers territoriales . Cette délimitation partielle ne concerne pas

Pedra Branca.

E3n6. 1974, le département de la marine de Singapour indique dans une correspondance

29
officielle interne que Pedra Branca est territoire singapourien et a droit à une mer territoriale .

37. Cette même année, la Malaisie publie de nouveau une carte officielle attribuant

30
Pedra Branca à Singapour .

L3’8n.née 1975 est marquée par trois faits notables. Premièrement, les dernières unités de

la marine britannique se retirent de Singapour en sep tembre et, dans le courant du même mois, la

marine singapourienne établit officiellement un secteur de patrouille au voisinage de Pedra

Branca 31. Deuxièmement, dans une note d’information à l’intention du secrétaire d’Etat

singapourien aux communications, l’hy drographe de l’autorité portuaire de Singapour indique que

23
MS, p. 109, par. 6.53.
24MM, p. 123, par. 279.

25MM, annexe 16.

26CMS, p. 173, par. 6.39-6.94.
27
MM, annexe 17.
28
MM, annexe 18.
29RS, annexe 44.

30CMS, carte 30.

31MS, p. 115-116, par. 6.70. - 24 -

Pedra Branca a droit à ses propres eaux territoriales. Il note aussi qu’«[i]l n’y a pas encore eu

d’accord entre l’Indonésie, la Malaisie et Singapour au sujet des eaux territoriales dans son

32
voisinage» . Troisièmement, la Malaisie publie une nou velle carte officielle attribuant encore

Pedra Branca à Singapour 3.

E3n9. 1978, deux géomètres malaisiens cherchent à aborder sur Pedra Branca. Le gardien

du phare leur ayant ordonné de quitter l’île, ils obtempèrent 34. Le ministère malaisien des affaires

étrangères soulève en passant cette question auprès du haut Commissariat de Singapour en Malaisie

lors d’une réunion, en avril 1978. A cette réunion, le représentant de la Malaisie affirme également

33 que Pedra Branca est malaisienne. Le représentant de Singapour réagit en affirmant sans ambiguïté

35
que Pedra Branca appartient à Singapour .

La formation de la revendication de la Malaisie

40. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ainsi qu’il ressort de l’exposé qui précède, à

partir de 1847 et jusqu’en 1878 — soit une période de plus de cent trente années —, la conduite des

Parties a été remarquablement constante: c’est av ec constance que Singapo ur a accompli divers

actes d’autorité étatique à l’égard de PedraBranca, et que ses autorités ont exprimé à de

nombreuses occasions l’opinion selon laquelle Pedra Branca relevait de sa souveraineté; et c’est

avec une constance égale que les autorités malaisiennes ont reconnu et accepté le titre de Singapour

sur PedraBranca. C’est seulement en 1978 que nous avons vu la Malaisie poser les jalons d’une

revendication sur PedraBranca, et ce n’est qu’en1979 qu’elle a officiellement formulé une

revendication sur l’île en publiant la carte in titulée «Eaux territoriales et limites du plateau

continental de la Malaisie» 36.

41. Le jour même de la publication de cette carte, le haut commissaire de Singapour auprès

de la Malaisie a été convoqué par le ministère ma laisien des affaires étrangères. Lors de cet

entretien, un haut fonctionnaire malaisien a lu une déclaration officielle dactylographiée concernant

32RS, annexe 46.

33MM, carte 41.
34
MS, p. 112, par. 6.63.
35RS, p. 154-155, par. 4.146 ; RS, annexe 51

36MM, carte 44. - 25 -

la publication de la carte en question, sans remettre copie de cette déclaration au haut commissaire

de Singapour. Il n’a pas même été remis copie à ce dernier de la carte de 1979. Au lieu de cela, le

haut commissaire a été invité à acheter son propre exemplaire de la carte au bureau des ventes. Le

fonctionnaire malaisien n’est pas non plus allé droit au but en ce qui concerne Pedra Branca. C’est

seulement après avoir mis de côté sa déclaration dactylographiée et répondu à quelques questions

du haut commissaire qu’il a admis que la cart e pouvait affecter Singapour, en ce qui concernait

37
Pedra Branca .

42. Singapour a bien évidemment été très surpri se par cette tentative de la Malaisie visant à

revendiquer PedraBranca, étant donné qu’elle détenait de longue date sur celle-ci un titre

incontesté, que le Johor avait fait en 1953 une déclaration inconditionnelle de non-revendication de

ce titre et que la Malaisie avait régulièrement pub lié des cartes officielles d’après lesquelles l’île

était attribuée à Singapour. Singapour a attentiv ement étudié la carte malaisienne. Il est alors

34 apparu que la Malaisie y revendiquait aussi, à l’enc ontre de Singapour, et de manière injustifiée,

des territoires maritimes situés aux deux extrémités du détroit de Johor. Ces revendications étaient

représentées par les points20 et23, que vous voyez sur l’extrait de la carte de 1979 actuellement

projeté à l’écran. Ces deux points créaient de pr ofondes entailles dans le territoire maritime de

Singapour aux extrémités orientale et occidentale du détroit de Johor, qui s’écartaient de façon

prononcée de la direction générale de la frontière convenue entre les deux pays dans le détroit. En

février1980, Singapour émit une note diplomatique dans laquelle elle protestait non seulement

contre la revendication de la Malaisie sur Pedra Branca, mais aussi contre celles correspondant aux

points 20 et 23 38.

43. Trois mois plus tard, en mai 1980, les prem iers ministres de la Malaisie et de Singapour

tinrent une réunion à l’issue de laquelle ils donnè rent une conférence de presse. A cette occasion,

le premier ministre malaisien répondit à des questio ns concernant la revendi cation de la Malaisie

sur PedraBranca. Un disque compact, qui con tient un enregistrement audio de la réponse du

premier ministre malaisien, est in séré dans la pochette qui se trouve en troisième de couverture de

la réplique de Singapour. Avec la permission de la Cour, je souhaiterais lui faire écouter cet

37
MS, p. 22-24, par. 4.5.
38
MS, annexe 144. - 26 -

enregistrement de 3 minutes et demie. La tr anscription de cet enregistrement se trouve sous

l’onglet [3] du dossier des juges39. La personne qui répond aux questions, dans cet enregistrement,

est le premier ministre malaisien.

[Début de l’enregistrement.]

JOURNALISTE : Monsieur le premier ministre, je suis M. McHill, pour l’Asian
Wall Street Journal.

LE PREMIER MINISTRE MALAISIEN: Quel premier ministre? Vous
adressez-vous à mon homologue ?

JOURNALISTE : Je vais poser ma question aux deux [rires dans le fond]. Il y a

un point qui n’a manifestement pas été menti onné dans la déclaration conjointe: les
discussions en cours concernant la souveraineté sur plusieurs îles que la Malaisie a
revendiquées dans une carte qu’elle a récemment publiée. Je me demandais si vous
aviez d’une quelconque manière discuté de cette question et, dans l’affirmative, à quoi

cette discussion avait abouti.

LE PREMIER MINISTRE MALAISIEN : Hé bien, comme nous l’avons
expliqué… je crois… quand la carte a été publiée… et je crois qu’il s’agit de la

pratique habituelle des Etats lorsqu’ils publie nt une carte… et cela ne veut pas dire
que les pays concernés ou les pays qui revendiquent des îles ou des secteurs figurant
sur la carte publiée par la Malaisie … [pause] … ne doivent pas attirer l’attention de la
Malaisie sur certains de ses éléments. Mais nous avons toujours adopté comme

position … et, bien entendu, la publication de la carte par la Malaisie est une mesure
unilatérale, et on ne peut pas régler les problèmes et les différends… ni prendre
35 possession des îles et des secteurs figurant su r la carte lorsque d’autres pays disent
qu’ils peuvent eux aussi revendiquer ce secteur.

En ce qui concerne Singapour, je pense que cela concerne en particulier Batu
Puteh… [pause]… Pulau Batu Puteh… Branca… [pause]… Pedra Branca, sur
laquelle se trouve le phare appe lé phare Horsburgh, et je l’ai indiqué à M.Lee Kuan

Yew, en lui disant que nous avions reçu sa note concernant l’île et que nous devions
en discuter. Et il s’agit de produire… Je pense que M. Lee Kuan Yew sait… Il s’agit
d’examiner tous les anciens documents qui peuvent exister permettant de prouver à
qui, à quelle nation, à quel pays cette île appartient réellement, à la lumière des

documents éventuellement disponibles. Et je pense que M.Lee Kuan Yew dit…
[pause]… qu’il détient… [pause]… certains documents. Nous sommes aussi en
train d’examiner la question parce que cela n’est pas très clair pour nous, en ce qui

concerne cette île et nous l’incluons dans… [pause soudaine]… S’il existe de
quelconques preuves à ce sujet, nous sommes prêts à régler cette question
pacifiquement, amicalement.

JOURNALISTE: On prétend dans certa ins milieux que vous revendiquez le

phare Horsburgh afin de vous placer dans une position de force qui vous permettra,
moyennant l’abandon de cette revendication, de vous assurer la possession de l’autre
groupe d’îles. Est-ce un élément de la stratégie malaisienne ?

39
RS, annexe 54. - 27 -

LE PREMIER MINISTRE MALAISIEN: Ce n’est pas la façon dont nous
fonctionnons [rires dans le fond].

JOURNALISTE : Monsieur le premier ministre, tout le monde fonctionne ainsi.

LE PREMIER MINISTRE MALAISIEN: [pause] Ce… ce n’est pas mon cas

[rires dans le fond].

JOURNALISTE : Entendu.

[Fin de l’enregistrement.]

44. Comme nous l’avons entendu, à la fin de sa longue réponse, le premier ministre

malaisien a déclaré : «nous sommes aussi en train d’examiner la question parce que cela n’est pas

très clair pour nous, en ce qui concerne cette île…». Il a alors commencé à expliquer pourquoi la

Malaisie avait inclus Pedra Branca sur la carte, mais il s’est soudain inte rrompu, sans achever sa

phrase. Quels que soient les mots qu’il s’est alors abstenu d’ajouter, il est clair que le

premier ministre malaisien avait déjà publiquement admis que la question de la souveraineté sur

PedraBranca n’était «pas très claire» pour la Malaisie 4. Un tel aveu, prononcé si peu de temps

après la publication de la carte de 1979 et la protestation de Singapour, est certainement révélateur.

45. La situation en 1980 était donc la suiv ante. La Malaisie ve nait de formuler une

revendication très tardive sur Pedra Branca, alors que Singapour avait la souveraineté sur cette île

depuis plus de cent trente ans, ce que la Malaisie n’avait jamais contesté auparavant mais avait, au

contraire, reconnu à plusieurs occasions. Et même à ce stade avancé, le Gouvernement malaisien

n’était toujours pas certain de sa revendication.

36 46. Monsieur le président, Messieurs de la C our, la suite est connue. En décembre 1981, les

premiers ministres des deux pays se sont mis d’ accord pour régler le différend par la voie de

consultations sur la base d’un échange officiel de documents. Après des rappels répétés de la part

de Singapour, l’échange a enfin eu lieu en 1992. Des consultations bilaté rales se sont ensuite

tenues entre les représentants des deux pays, en 1993 et 1994. Lorsqu’il est devenu clair que ces

consultations ne permettraient pas de régler le différend, Singapour a proposé de porter celui-ci

devant la Cour internationale de Justice, ce que la Malaisie a accepté. Les Parties ont alors

40
RS, p. 183-184, par. 5.21 ; RS, annexe 54. - 28 -

commencé à négocier le compromis, dont le texte a été établi sous sa forme définitive en 1998. Le

41
compromis a été signé en 2003, puis notifié cette même année à la Cour internationale de Justice.

47. Ainsi s’achève mon exposé. Je tiens à vous remercier de votre patience et de votre

attention. Monsieur le président, à moins que vous ne jugiez utile de faire une pause maintenant, je

vous prie de bien vouloir appeler M. Chan, qui poursuivra la plaidoirie de Singapour.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, M. Chao. Oui, ceci

constitue un moment approprié pour une pause de dix minutes. A la reprise, nous entendrons

M. Chan.

L’audience est suspendue de 11 h 35 à 11 h 50.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Veuillez vous asseoir. J’appelle

maintenant à la barre M. Chan. Vous avez la parole.

M. CHAN :

C ONTEXTE H ISTORIQUE

Introduction

1. Monsieur le président et Messieurs de la Cour : pendant le reste de cette matinée M. Pellet

et moi-même traiterons de l’allégation de la Malaisie selon laquelle lJohor aurait détenu un titre

originaire sur Pedra Branca. Le but de mon exposé est de décrire le contexte historique et

d’expliquer en quoi ce contexte, si on le comprend bien, n’étaye en aucune manière la prétention de

37 la Malaisie. M.Pellet examinera aussi, entre au tres, les documents produits par la Malaisie et

démontrera qu’aucun d’entre eux n’étaye la revendication de ce pays.

2. Je voudrais commencer par expliciter le nom de «Johor» qui a été abondamment utilisé

par les Parties dans leurs écritures. Je voudrais faire remarquer que pendant la période pertinente

pour la revendication de la Mala isie, il y a eu dans cette régi on deux entités politiques distinctes

portant toutes deux le nom de «Johor». L’historien Carl Trocki a expliqué la différence entre elles

dans son ouvrage intitulé Prince of Pirates : The Temenggongs and the Development of Johor and

41
MS, p. 25-26, par. 4.8-4.10. - 29 -

42
Singapore, pour lequel il a eu libre accès aux archives royales du Johor . La Malaisie reconnaît

l’étude de M. Trocki comme un ouvrage faisant autorité sur l’histoire du Johor 43. Un extrait de cet

ouvrage figure dans le dossier de plaidoiries sous l’onglet 8. M. Trocki écrit :

«Les historiens utilisent le terme «Johor» pour désigner deux Etats différents ⎯
l’un ancien et l’autre nouveau. L’ancien Johor est l’empire maritime malais qui
succéda à Malacca. Il vit le jour en 1512 lorsque, vaincu, le sultan de Malacca établit

une caeitale sur le fleuve Johor et se désagrégea progressivement au cours du
XVIII siècle… Le Johor moderne occupe la pointe méridionale de la péninsule
malaise et il est l’un des onze Etats composant la fédération de Malaisie. Sa création
e 44
date du milieu du XIX siècle…» (Les italiques sont de nous.)

3. Il est important de se souvenir que comme l’a noté M.Trocki, «l’ancien Johor» a vu le

jour en 1512 et s’est désagrégé au XVIII esiècle et que «le Johor moderne» date du milieu du

e
XIX siècle. L’ancien Johor a été désigné par d’autres appellations telles que «Sultanat de

Johor-Riau-Lingga», «Riau-Johor», «Sultanat de Johor» et «Royaume de Johor». Dans ses pièces

de procédure écrite, Singapour utilise l’expression «Sultanat de Johor-Riau-Lingga» pour désigner

l’ancien Johor, mais, dans mon exposé, j’empl oierai simplement les termes «ancien Johor» et

«Sultanat de Johor». J’utiliserai aussi pour d ésigner cette dernière entité les appellations Johor

moderne ou Etat de Johor. Cependant, dans ses écritur es, la Malaisie a désigné l’ancien Johor et le

Johor moderne par le même nom, à savoir «Sultanat de Johor».

Partie I. Exposé de la revendication par la Malaisie d’un titre originaire sur Pedra Branca
38

4. Permettez-moi tout d’abord d’exposer la re vendication de la Malaisie sur Pedra Branca.

Cette revendication est fondée sur deux propositions principales, à savoir premièrement que Pedra

Branca appartenait à l’ancien Johor et deuxièmement que Pedra Branca a ensuite fait partie du

Johor moderne. La première pr oposition n’est appuyée par aucun él ément de preuve. La seconde

est donc dénuée de pertinence, mais je démontrerai néanmoins que Pedra Branca n’est pas devenue

partie intégrante du Johor moderne, ni par transmission ni d’aucune autre manière.

5. La Malaisie a essayé d’établir le bien fondé de sa première propos ition en s’appuyant sur

des données de situation et de proximité géographiques. Elle fait valoir que Pedra Branca est située

42
Voir C.Trocki, Prince of Pirates: The Temenggongs and the Development of Johor and Singapore1784 –
1885 (1979), p. xiv, 242-243.
43
Voir RM, p. 35, note 146
44C. Trocki, ci-dessus note 1, p. 1. - 30 -

45
«en plein cŒur de la région qui constituait le Sultanat du Johor» et a fait remarquer que

PedraBranca est visible depuis la côte du Johor 46. En dehors de ces vagues assertions, elle n’a

produit aucun élément de preuve démontrant que le Sultanat du Johor a it jamais revendiqué ou

exercé une quelconque souveraineté sur Pedra Branca.

6. La Malaisie a produit quelques documents historiques à titre d’éléments de preuve.

M. Pellet montrera tout à l’heure qu’ils ne sont pas pertinents et que les conclusions indirectes que

la Malaisie essaie d’en tirer sont totalement dé nuées de fondement. La Malaisie s’appuie aussi sur

des activités de pêche et des actes de pirateri e non spécifiés menés dans la zone proche de

Pedra Branca à des époques indéterminées par des pa rticuliers qui n’étaient pas nécessairement des

sujets du Johor. M. Pellet expliquera aussi tout à l’heure que ces activités ne peuvent constituer des

preuves de l’existence d’un titre.

7. Pedra Branca était une île aride, rocheuse et inhabitée. Le fait est que jusqu’à ce que les

Britanniques en prennent possession pour y construire le phare Horsburgh, personne, y compris les

dirigeants locaux, n’avait songé à revendiquer ce territoire. Il n’est donc pas surprenant que

pendant plus de trois siècles après l’an 1512, il n’y ait pas eu l’ombre d’une preuve que le Sultanat

de Johor ait revendiqué ou obtenu un titre de propriété sur cette île. En fin de compte, la Malaisie

de trouve donc réduite à affirmer que «[Pedra Branca] se trouvait sous la souveraineté du Sultanat

47
de Johor de temps immémorial» , et que «la souveraineté du Johor sur Pulau Batu Puteh relevait

de son titre sur tout un ensemble d’îles» 48. Ces affirmations vagues et gratuites ne servent qu’à

démontrer que la Malaisie ne possède en réalité aucune preuve que Pedra Branca ait jamais fait

partie du sultanat.

39 8. La Malaisie a de surcroît passé sous silence deux faits embarrassants qui affaiblissent sa

prétention à un titre originaire. Le premier est que l’étendue du territoire du sultanat était très

fluctuante et incertaine pendant l’existence de ce de rnier. Sir Richard Winstedt, un expert reconnu

45CMM, p. 11, par. 19.
46
RM, p. 198, par. 420.
47
.CMM, p. 13, par. 21.
48MM, p. 37, par. 75. - 31 -

de l’histoire du Johor a résumé cela de la manière suivante dans son ouvrage intitulé A history of

e
Johor: «Depuis sa fondation et jusqu’au XIX siècle, le Royaume du Johor est demeuré dans un

état précaire.»49

En contradiction avec ce fait historique, la Malaisie a essayé de présenter le Sultanat de

Johor comme un royaume stable dont le territoire es t resté le même à travers toutes les phases de

son histoire.

9. Le second fait que la Malaisie a passé sous silence est qu’un sultanat malais traditionnel

comme l’était l’ancien Jo hor avait une conception de la souvera ineté différente de celle d’un Etat

territorial moderne. Dans un sultanat malais la souveraineté se fondait sur l’allégeance des sujets et

e
non sur l’emprise territoriale. Ce n’est qu’à la fin du XIX siècle que cette notion a évolué vers le

concept moderne de souveraineté territoriale. P our cette bonne et simple raison, l’ancien Johor

n’avait pas et ne pouvait avoir de frontières perman entes et clairement définies. Ce fait constitue

un très sérieux obstacle à la tentative faite par la Malaisie pour prouver que Pedra Branca faisait

partie de l’ancien Johor. La Malaisie n’a pas surmonté cet obstacle.

40 Partie II. Histoire du Sultanat du Johor entre 1512 et 1824

10. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, permettez-moi maintenant de vous

présenter un bref résumé du contexte historique pe rtinent et de démontrer en quoi le premier fait

embarrassant met à mal la première affirmation de la Malaisie selon laquelle Pedra Branca faisait

partie de l’ancien Johor. Singapour ayant déjà présenté une description très détaillée de l’histoire

du Sultanat de Johor dans ses pièces de procédure écrite 50, je me concentrerai uniquement sur les

principaux faits se rapportant à la prétention de la Malaisie.

11. Le Sultanat du Johor vit le jour en 1512 lorsque le Sultanat de Malacca tomba aux mains

des Portugais. Le sultan vaincu, Mahmud I, cont raint de fuir Malacca, fonda une nouvelle capitale

sur les bords du fleuve Johor, qui donna son nom au nouveau sultanat. La capitale du sultanat fut

ensuite été transférée à Riau puis à Lingga, d onnant naissance à l’appellation de «Sultanat de

Johor-Riau-Lingga».

49
R. O. Winstedt A history of Johor (1932, réimprimé en 1992, p. 1).
50Voir le CMS, app. A. - 32 -

La première période — 1512 à 1641

12. Pour les besoins de mon exposé, j’ai di visé l’histoire du Sultanat de Johor en quatre

grandes périodes : au cours de la première période comprise entre 1512 et 1641, l’ancien Johor fut

constamment en butte aux attaqu es des Portugais et du royaume d’Aceh (un royaume malais situé

51
au nord de Sumatra) . Le consultant spécialiste de l’hist oire de la Malaisie, M.Andaya, a noté

que la capitale du Johor avait été mise à sac à quinze reprises entre 1518 et 1623 52. Il n’existe

aucune preuve que le sultanat a it revendiqué ou exercé une autorité sur Pedra Branca durant cette

première période.

La deuxième période — 1641 à 1699

13. La deuxième période, de 1641 à 1699, comm ença lorsque les Néerlandais, alliés au

Johor, chassèrent les Portugais de Malacca en 1641. Cette alliance bouleversa le destin politique

du sultanat, dont la puissance et l’influence furent à leur apogée à cette époque. Toutefois, rien ne

prouve que le Johor ait revendiqué ou exercé une quelconque autorité sur Pedra Branca pendant

cette deuxième période. Quoi qu’il en soit, le sultanat fut bientôt affaibli par des querelles internes

et commença à décliner rapidement durant les dernières années du rè gne du sultan MahmudII

(1685-1699). M. Andaya écrit à ce propos qu’«en deux ans seulement [de 1697 à 1699], le Johor,

53
reconnu comme le plus grand entrepôt du monde malais, était devenu un petit port perdu» .

La troisième période — 1699 à 1784

14. En 1699, le sultan MahmudII fut assassiné par des nobles influents de sa cour. Cette

date marqua le début de la troisième période, qui s’étendit de 1699 à 1784. Le décès du sultan

Mahmud II, qui n’avait pas d’héritier, fut suivit d’une période de luttes internes et d’instabilité,

durant laquelle de nombreux vassaux se détournèrent du Sultanat de Johor. Celui-ci ne retrouva sa

stabilité que plus de vingt ans plus tard, lorsque la prospérité fut revenue. Elle ne fut pourtant que

de courte durée. En 1784, le sultan, qui avait été vaincu par les Néerlandais, dut signer un traité par

54
lequel il devenait vassal des Pays-Bas . Concernant ce traité, Winstedt écrit, dans son ouvrage

51CMS, p. 244, app. A, par. 3.
52
Voir L. Andaya, The Kingdom of Johor, 1741-1728 (1975), p. 23
53Ibid., p. 184.

54R. O. Winstedt, plus haut, note 8, p. 74. - 33 -

intitulé A History of Johore : «Le sultan et les chefs reconnaissaient que, en conséquence de la

guerre, le royaume et le port étaient devenus la propriété des Néerlandais, que les Malais

41 tiendraient en fief sous certaines conditions.» 55 (Les italiques sont dans l’original.) Winstedt écrit

également: «Naturellement, au cours de ces années, l’ancien Royaume continental de Johor avait

sombré dans l’insignifiance.» 56

Rien ne prouve non plus que le sultanat ait revendiqué ou exercé une souveraineté sur Pedra

Branca au cours de cette troisième période.

La quatrième période — 1784 à 1824

15. Le traité de 1784 marqua le début de la quatrième et de rnière période de l’histoire du

Sultanat de Johor. En 1787, le sultan chassa l es Néerlandais de sa capitale, Riau, dont il fut

lui-même chassé plus tard cette année-là. Il ne fut pas autorisé à y retourner avant 1795. Au sujet

de cette période, Andaya écrit: «Les effets catastrophiques de ces années, au long desquelles le

souverain malais exerçait peu d’autorité et l’économ ie périclitait, balayèrent tout espoir que Riau

puisse reprendre la place qui était auparavant la sienne dans le monde malais.» 57 Dans ses pièces

58
de procédure écrite, Singapour fait référence à des opinions analogues d’autres historiens réputés .

Le rapport annuel officiel de 1949 publié par le G ouvernement de l’Etat du Johor va même jusqu’à

dire qu’au début du XIX esiècle, «l’ancien empire se trouvait dans un état de déliquescence» 59.

Telle était la situation politique du sultanat en 1819 lorsque les Britanniques débarquèrent à

Singapour, et ce jusqu’à la signature du traité anglo-néerlandais de 1824.

Le contexte historique tel que présenté par la Malaisie

16. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, permettez-moi maintenant d’exposer la

manière dont la Malaisie a traité le contexte historique dans ses pièces écrites.

55
Ibid.
56
R. O. Winstedt, plus haut, note 8, p. 75.
57B. W. Andaya & L. Andaya, A History of Malaysia (2 éd., 2001), p. 109.

58Voir C. M. Turnbull, A History of Singapore, 1819-1975 (1977), p. 9, reproduit dans le MS p. 15, par. 3.3.
59
Voir le rapport annuel de l’Etat du Johore pour 1949 (établi par Dato Wan Idris bin Ibrahim, Ag. Mentri Besar
[équivalent du premier ministre], Johor, imprimerie du Gouvernement du Johor), p. 57, (CMS, vol. 3, annexe 32). - 34 -

17. Premièrement, l’aperçu historique de la Malaisie omet simplement d’évoquer la situation

politique du Sultanat de Johor pendant la majeure partie de ses trois cents ans d’existence. La

Malaisie a concentré son attention sur la deuxième période comprise entre 1641 et 1699, et présenté

60
deux lettres internes néerlandaises datant de cette période à l’ effet de montrer l’étendue du

42 Sultanat au XVII e siècle. De ces deux lettres, elle conclut selon une logique qui lui est propre

e 61
qu’«[a]u début du XIX siècle, l’étendue globale du Sultanat de Johor n’avait guère changé» . Ces

62
deux lettres ne portaient pas sur le territoire mais sur le commerce . Partant, elles ne sauraient

prouver l’étendue territoriale du sultanat au XVII esiècle, encore moins au début du XIX . e

18. La Malaisie a passé sous silence les première et troisième périodes ainsi que la plus

grande partie de la quatrième période de l’histoire du sultanat. Elle a omis d’évoquer les cent

cinquante dernières années de l’histoire du sultana t qui ont abouti à sa dissolution. Elle a décrit à

tort le sultanat comme un Etat puissant et stable dur ant toute son existence, alors que les éléments

de preuve historiques montrent le contraire.

19. Deuxièmement, la conclusion excessive qu’elle tire de deux événements sans pertinence

e
survenus au XVII siècle révèle combien elle est peu fondée à prétendre que le Sultanat de Johor ait

jamais détenu un titre originaire sur Pedra Branca. Lorsqu’elle a déposé son contre-mémoire, la

Malaisie s’est rendu compte qu’e lle ne disposait d’aucun documen t probant, ce qui l’a amenée à

alléguer que Pedra Branca faisait pa rtie du sultanat de temps immémorial 63. En réalité, elle se

raccroche à tout ce qui peut lui servir. Mais elle reste à tout moment tenue d’apporter la preuve

spécifique que l’ancien Johor avait souveraineté sur Pedra Branca et qu’il a exercé des actes à

caractère souverain sur cette île ou à son égard. La Malaisie n’a produit aucune preuve en ce sens.

Monsieur le président et Messieurs de la Cour, la Malaisie ne peut se soustraire à la charge de la

preuve en affirmant simplement une possession immémoriale.

60
MM p. 38-39, par. 78-79.
61MM p. 39, par. 80.

62Voir CMS, p. 47, par. 4.18.

63CMM, p. 12-13, par. 21. - 35 -

Partie III. La Malaisie ne tient pas compte de la conception malaise

traditionnelle de la souveraineté

20. A présent, permettez-moi d’examiner le deuxième fait embarrassant que la Malaisie

passe sous silence, à savoir la conception mala ise traditionnelle de la souveraineté. Cette

conception affaiblit la prétention de la Malaisie à un titre originaire, car c’est l’autorité exercée sur

les personnes, et non l’autorité exercée sur le territoire qui en constitue le fondement. La

conception malaise traditionnelle de souveraineté est axée sur l’élément humain et non sur le

territoire. C’est ce qu’affirme avec autorité M.Anthony Milner de l’Université nationale

australienne dans son ouvrage intitulé Kerajaan: Malay Political Culture on the Eve of Colonial

Rule. Permettez-moi d’en lire un extrait qui figure dans le dossier de plaidoiries sous l’onglet 10 :

43 « L’Etat malais se distinguait des Etats occidentaux par sa définiti
on

géographique, tout comme par l’absence de structure gouvernementale ou juridique.
Les frontières territoriales étaient souvent inconnues: un sultan de Trengganu, par
exemple, admit devant un investigateur anglais en 1875 que l’on ne savait pas «où

passait la frontière du Trengganu». Il semble en fait que l’emplacement réel de l’Etat
malais n’ait eu que peu d’importance.» 64 (Les italiques sont dans l’original.)

21. De la même façon, M. Nicholas Tarling, expert en histoire de l’Asie du Sud-Est, écrit :

«L’idée selon laquelle l’Etat aurait des limites géographiques fixes était
rarement acceptée. Ce qui comptait en Asie du Sud-Est, où la population était

clairsemée, c’était l’allégeance. De qui, et non de quoi, l’Etat était-il constitué ? Ce
qui comptait pour le souverain, c’était le peuple, et non le lieu. » 65 (Les italiques sont
de nous.)

Dans son contre-mémoire, Singapour fait ét at de ces déclarations et rapporte les vues

analogues d’autres experts de l’histoi re et la culture politique malaises 66. Ils sont unanimes sur ce

point.

22. La Malaisie connaît parfaitement cette conception, puisqu’elle s’est fondée sur elle en

l’affaire Sipadan/Ligitan. En cette affaire, elle a présenté une étude du professeur Vincent Houben

sur le Sultanat malais de Bulungan, dans laquelle l’auteur citait le passage de l’ouvrage de Milner

67
en y souscrivant. Après que Singapour eu t relevé ce point dans son contre-mémoire , la Malaisie

a présenté une autre opinion de M. Houben afin d’exprimer, en substance, deux idées :

64A. C. Milner, Kerjaan: Malay Political Culture on the Eve of Colonial Rule (1982), p. 8.

65N. Tarling, Nation and States in Southeast Asia (1998), p. 47.
66
CMS, p. 12-13, par. 21.
67CMS, p. 20, par. 3.6. - 36 -

⎯ Premièrement, que les Sultanats malais exerçaient bien un contrôle sur le territoire —ce que

Singapour n’a jamais contesté et a d’ailleurs indiqué elle-même dans ses écritures, et

⎯ Deuxièmement, que Bulungan ne pouvait être mis sur un pied d’égalité avec l’ancien Johor en

68
termes de puissance et d’emprise territoriale — ce que Singapour n’a jamais prétendu.

Plus important encore, M. Houben n’a pas contesté le fait que la conception malaise

69
traditionnelle de la souveraineté était fondée sur la population et non sur le territoire .

23. Dans sa réplique, la Malaisie a ég alement présenté un rapport du professeurAndaya 70,

71
qui, bien entendu, reconnaît lui aussi la natu re de la souveraineté malaise traditionnelle .

M. Andaya a d’ailleurs également écrit, en 2001, ce qui suit :

44 « Tandis que, pour les Malais, l’autorité du souverain tenait au contrôle que

celui-ci exerçait sur le peuple et sur les ressources, pour les Britanniques cette notion
était associée au contrôle de la terre . A mesure que les souverains malais tombaient
sous la houlette britannique , s’ouvrait généralement une période de négociations,

parfois douloureuses, par lesquelles les administrateurs coloniaux établissaient des
limites territoriales entre Etats voisins.» 72 (Les italiques sont de nous.)

e
Ce n’est qu’à la fin du XIX siècle, lorsque les Etats malais ont été progressivement placés sous

administration britannique, que la conception malais e traditionnelle de la souveraineté a peu à peu

cédé la place à la notion moderne de souveraineté territoriale.

Conséquences de la conception malaise traditio nnelle de la souveraineté sur la thèse de la
Malaisie

24. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi de préciser que Singapour

ne prétend pas que la conception malaise traditionne lle de la souveraineté signifie que les Sultanats

malais n’avaient pas de territoire. Ce qu’elle signi fie, c’est que le seul moyen fiable de déterminer

si un territoire particulier appartenait à un souverain est de savoir si ses habitants faisaient

allégeance à ce souverain. Dans son contre-mémoi re, Singapour a cité deux exemples directement

applicables au Johor qui en apportent une illust ration. Le premier est une lettre adressée au

68
RM, p. 222-223, app. II, par. 7-8.
69
RM, p. 224, app. II, par. 13.
70RM, app. I.

71RM, p. 209-210, app. I, par. B2-B 6. Voir également L. Andaya, Writing a History of Brunei , ed.
B. Barrington, Empires, Imperialism and Southeast Asia: Essays in Honour of Nicholas Tarling (1997), p. 201, reproduit
dans le CMS, p. 18, par. 3.4.

72B. W. Andaya & L. Andaya, plus haut note 16, p. 204. - 37 -

gouvernement de l’Inde par le résident de Singa pour, John Crawfurd, au sujet de la revendication

du temenggong, le souverain local du Johor territori al, sur certaines îles. Alors même que cette

revendication du temenggong n’était pas contestée pa r d’autres souverains, Crawfurd a précisé

qu’elle était «surtout acceptée par les habitants, qui s’[étaient] volontairement ralliés à lui, avec

73
enthousiasme» . En 1849, un représentant britannique du nom de Thomson — celui-là même qui

avait supervisé la construction du phare Horsburgh— a effectué un levé de la côte orientale du

Pahang, du Johor et des îles adjacentes. Il a conc lu que la propriété de certaines de ces îles était

incertaine, et qu’il ne pouvait déterminer si elles appartenaient au Pahang ou au Johor qu’en

74
demandant à leurs habitants à qui ils faisaient allégeance .

25. Deuxièmement, cette conception signifie aussi qu’il était difficile de déterminer avec

précision quelle était, à telle ou telle époque, l’ét endue territoriale du Sultanat de Johor. A cet

égard, j’aimerais souligner que, lors de la rédaction du traité anglo-néerlandais, les négociateurs ont

45 décidé de remplacer le membre de phrase «aucune des autres îles appartenant à l’ancien Royaume

75
de Johor» par «aucune des autres îles situées au sud du détroit de Singapour» . Si ce changement

a été apporté, c’est parce que les négociateurs ont convenu que «personne ne pouvait prétendre

76
être capable de définir exactement les limites de l’ancien Sult
anat de Johore» .

26. Cela valait assurément pour des îles arides, isolées et inhabitées telles que Pedra Branca.

Par conséquent, à moins que la Malaisie ne puisse présenter des éléments de preuve clairs d’une

revendication directe de souveraineté sur Pedra Branca ⎯ou de l’exercice effectif de cette

souveraineté ⎯, toute tentative d’affirmer que l’île appartenait à l’ancien Johor est totalement

dénuée de fondement. Il ne suffit pas à la Malaisie d’invoquer la géographie ou une possession

immémoriale pour démontrer l’existence d’un titre originaire; elle doit produire des éléments de

preuve concrets d’actes spécifiques d’exercice de l’autorité souveraine par l’ancien Johor sur

PedraBranca ou à son égard. Or la Malaisie n’a pas présenté de tels éléments de preuve.

73 CMS, p. 22, par. 3.9 a).
74
CMS, p. 22, par. 3.9 b).
75 G. Irwin, Nineteenth Century Borneo: A Study in Diplomatic Rivalry(1955), p.66 (CMS, vol. 3, annex36,

p. 344).
76 Ibid., p. 67, citant une note du commandant Elout, conseilller du ministre néerlandais des colonies. - 38 -

Singapour, en revanche, a produit suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que

personne —y compris les souverains malais— ne considérait que Pedra Branca appartenait à

l’ancien Johor.

27. Pour conclure mon exposé sur le premier argument de la Malaisie, je dirai que cette

dernière n’a pas démontré que Pedra Branca ait jamais appartenu à l’ ancien Johor, et qu’il n’existe

aucun élément de preuve pour étayer cette thèse.

Partie IV. Les conséquences du traité anglo-néerlandais de 1824

28. Permettez-moi maintenant d’en venir au deuxième argument de la Malaisie : celui selon

lequel Pedra Branca aurait été rattachée au nouveau Johor. La Malaisie tente d’étayer cette

affirmation en faisant valoir que le traité anglo-néerlandais a eu pour conséquence de scinder le

Sultanat de Johor en deux parties et de placer PedraBranca dans la partie septentrionale,

c’est-à-dire dans la sphère d’influence britannique, l’ attribuant ainsi au nouveau Johor. Il s’agit là

d’une interprétation erronée du traité.

Origines et contexte du traité anglo-néerlandais de 1824

29. Pour démontrer le bien-fondé de la thèse de Singapour, il convient de se pencher sur les

origines du traité anglo-néerlandais. Deux événements sont à l’origine de ce traité : la conquête des

Pays-Bas par la France en 1795 et le décès du sultan MahmudIII de Johor en 1812, qui a donné

lieu à un conflit de succession entre ses deux fils, Hussein et AbdulRahman. En1795, la

46 Grande-Bretagne prit le contrôle des possessions coloniales néerlandaises situées à l’est pour

qu’elles ne tombent pas aux mains des Français. Lorsque la guerre prit fin en 1814, la

Grande-Bretagne accepta de rendre ces possessions aux Néerlandais. Un certain nombre de

différends surgirent entre les Britanniques et les Néerlandais au sujet de l’occupation britannique

desdites possessions. Ces différends menèrent à des négociations qui débouchèrent sur la signature

du traité anglo-néerlandais.

30. En 1818, les Néerlandais reprirent le cont rôle de Malacca et de Riau, les deux ports les

plus importants de la région. Aussi la Grande -Bretagne eut-elle besoin d’établir un nouveau

comptoir dans les détroits de Malacca et de Singapour. Le représentant britannique investi de cette

mission, sir Thomas Raffles, arriva à Singapour en ja nvier 1819. Il rencontra le chef local, appelé - 39 -

le «temenggong», lequel lui indiqua que, en tant que représentant du Sultanat de Johor, il lui fallait

obtenir l’accord de son sultan pour que Raffles puisse établir un comptoir. Le sultan,

AbdulRahman, étant sous le contrôle des Néerlandais, Raffles ne parvint pas à obtenir son

consentement. Mais Raffles savait que son frère aîné, Hussein, lui disputait le trône de Johor.

Aussi incita-t-il ce dernier à venir à Singapour en lui promettant de l’installer comme sultan.

Lorsque Hussein arriva à Singapour en février 1819, Raffles l’intronisa sultan de Johor. Le même

jour, Hussein signa un accord autorisant les Britanniques à installer un comptoir à Singapour.

31. L’intervention de Raffles se solda par la coexistence de deux souverains théoriques à la

tête du Sultanat de Johor, l’un vivant à Lingga s ous protection néerlandaise et l’autre à Singapour

sous protection britannique. Les Néerlandais contestaient la légitimité de la présence britannique à

Singapour. Ce différend fut également résolu par le traité anglo-néerlandais, les Néerlandais ayant

retiré leurs objections.

32. Le traité régla les conflits territoriaux d es parties en prévoyant un échange mutuel de

possessions au nord et au sud des détroits de Malacca et de Singapour. Les possessions

britanniques furent ainsi concentrées au nord des dé troits, et les possessions néerlandaises au sud.

Le traité interdit aussi aux Britanniques de s’étab lir au sud des détroits et aux Néerlandais de

s’établir sur la péninsule malaise. Le but était de prévenir de futurs conflits commerciaux entre les

sujets respectifs des deux puissances. Ces dispositions eurent en fait pour effet de scinder la région

en deux sphères d’influence.

47 Les arguments de la Malaisie concernant le traité anglo-néerlandais de 1824

33. J’en viens à présent aux arguments de la Ma laisie sur l’effet du tra ité anglo-néerlandais.

77
L’encart6 du mémoire de la Mala isie apparaît maintenant à l’écran . La Malaisie procède en

imaginant que le traité établit dans le détroit de Singapour une «ligne de démarcation» ⎯ ce sont

ses termes ⎯«allant de Pulau Carimon à Pulau Bintan» et qu’il plaça Pedra Branca au nord de

cette ligne, dans la sphè re d’influence britannique 78. Lorsque l’on trace cette ligne le long des

zones que la Malaisie a ingénieusement ombrées, on constate que Pedra Branca, Middle Rocks et

77 o
MM, p. 23, encart n 6.
78CMM, p. 22, par. 35. - 40 -

South Ledge se trouvent opportunément placés au nord de la ligne. Voilà l’argument de la

Malaisie. Sauf le respect qui lui est dû, la Mala isie s’est bornée à inventer une ligne qui n’existe

pas afin de démontrer la transmission imaginaire d’un titre originaire tout aussi imaginaire.

34. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, si pareille ligne de démarcation traversant

le détroit de Singapour avait existé, elle serait passée au nord, comme vous le voyez à l’écran, et

non au sud de Pedra Branca, ce pour deux raisons : premièrement, là où elle est située, Pedra

Branca n’est associée ni au Johor ni à Bintan et, de uxièmement, l’île est plus proche de la côte de

Bintan que de celle du Johor. C’est ainsi que la ligne aurait logiquement et naturellement dû être

tracée. Cela montre le caractère artificiel de la ligne de démarcation imaginée par la Malaisie pour

servir sa propre cause. L’éminent spécialiste qu’est Wi nstedt a écrit que le traité anglo-néerlandais

«attribua à la Grande-Bretagne la péninsule malaise et à la Hollande toutes les îles que les navires

des Indes orientales en route vers la Chine laissaient à tribord» 79. Le terme «tribord» signifie «du

côté droit». Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge se trouvant à tribord des n
avires voguant

vers la Chine, ces formations sont toutes situées au sud, et non au nord, de la ligne imaginaire de la

Malaisie.

35. Le fait est que le traité anglo-néerlandais n’a établi aucune ligne de démarcation. Cela

ressort clairement de l’histoire des négociations de cet instrument. Une ébauche antérieure du

traité contenait un article prévoyant une ligne de démarcation. Mais cet article fut omis lors de

l’élaboration de la version finale du texte 80.

36. Le libellé du traité anglo-néerlandais c onfirme également l’absence de ligne. Voici à

l’écran le texte des articlesX etXII de ce traité 8. L’articleX n’autorise la présence des

48 Néerlandais dans «aucune partie de la presqu’île de Malacca», c’est-à-dire de la péninsule malaise,

tandis que l’article XII n’autorise celle des Brita nniques dans «aucune des … îles situées au sud du

détroit de Sincapore». Le traité ne renferme au cune disposition excluant l’un ou l’autre Etat d’une

79 e
R. O. Winstedt, Malaya and Its History (4 éd., 1956), p. 62.
80G. Irwin, voir plus haut, note 34, p. 62-63.

81Traité de commerce et d’échange entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas en date du 17 mars 1824, articles X
et XII (MM, vol. 2, annexe 5). - 41 -

quelconque partie du détroit ou d’ une quelconque des îles situées à l’intérieur de celui-ci.

Autrement dit, le traité ne partagea pas le détroit entre les deux puissances. Le détroit resta comme

prévu libre d’accès pour les deux Etats sur toute sa largeur.

37. L’interprétation des Néerlandais est très claire. Celle des Britanniques aussi, comme je

l’expliquerai dans un instant. Dans une note inte rne du ministère néerlandais des colonies en date

du 15octobre1858, il fut précisé: «L’article12 de référence reflète manifestement cette

préoccupation, cela étant adopté dans le traité, en faisant référence au détroit de Singapour comme

82
ligne de partage. » (Les italiques sont de nous.) Dans cette note, c’est le détroit de Singapour

tout entier qui est présenté comme étant la ligne de partage.

38. Le sort des îlots situés à l’intérieur du dé troit ne fut pas envisagé expressément dans le

traité mais fut réglé par la suite, au fil des ans, dans le cadre de la pratique des Etats. Ce point est
er
clairement illustré dans la correspondance datée du 1 octobre1824 et du 4mars1825 entre le

résident de Singapour, John Crawfurd, et le gouvern ement de l’Inde, dans laquelle l’un et l’autre

convinrent que la cession de l’ensemble des îles si tuées dans un rayon de 10milles à partir de la

83
côte de Singapour n’était pas contraire aux termes du traité . Une copie de ces deux lettres figure

dans le dossier de plaidoiries sous l’onglet12. Le traité n’a pas divisé les eaux des détroits de

Malacca et de Singapour. Ce n’est qu’en 1969 que la Malaisie et l’Indonésie s’accordèrent sur leur

frontière maritime dans le détroit de Malacca, et il fallut attendre 1973 pour que Singapour et

l’Indonésie s’entendent sur une frontière dans le détroit de Singapour.

39. Non contente d’avoir recours à une ligne de démarcation artificielle pour établir la

succession au titre, la Malaisie a en outre mal interp rété l’effet que le traité anglo-néerlandais a eu

sur l’éclatement du Sultanat de Johor. Dans son mémoire, elle décrit la scission du sultanat en ces

termes :

«Le traité anglo-néerlandais divisait «l’ancien Royaume de Johor» en deux

parties, l’une constituée par le Sultanat de Johor, qui demeurait basé au sud de la

82CMS, vol. 2, annexe 18.

83Voir la lettre en date du 1roctobre1824 adressée à G.Swinton, s ecrétaire du gouvernement de l’Inde par
J. Crawfurd, résident à Singapour (CMS, vol. 2, annexe 4), et la lettre en date du 4 mars 1825 adressée à J. Crawfurd par
le gouvernement de l’Inde (RM, vol. 2, annexe 3). - 42 -

péninsule malaise et était rattaché à la sphè re d’influence britannique, l’autre par le

Sultanat de Riau-Lingga, au84ud du détroit de Singapour, qui tombait dans la sphère
d’influence néerlandaise.»

49 Dans ce passage, la Malaisie prétend que le nouv eau Johor, et non Riau-Lingga, était le successeur

du Sultanat de Johor.

40. Singapour n’est pas d’accord. L’allégation de la Malaisie est contredite par l’éminent

spécialiste qu’est sirRichardWinstedt, lequel écrit dans son ouvrage intitulé Malaya and Its

History :

« Le Sultanat de Johore ne conservait que l’archipel de Riau, tandis que les
deux principaux chefs malais de l’empire éc laté, à Pahang et Johore, étaient séparés
du monarque de la région de Riau et se proclamèrent bientôt sultans indépendants.» 85

(Les italiques sont de nous.)

Winstedt indique clairement que l’archipel de Riau, c’est-à-dire Riau-Lingga, était le successeur du

Sultanat de Johor, et non le nouveau Johor. Winstedt explique en outre que le Sultanat de Johor fut

scindé en trois parties, non en deux. Sur la pé ninsule malaise, deux nouveaux Etats virent le

jour ⎯ le Pahang et le nouveau Johor.

41. En faisant passer le nouveau Johor pour le successeur de l’ancien Johor, la Malaisie

espère pouvoir s’affranchir de la charge de démontrer comment le titre allégué de l’ancien Johor

sur Pedra Branca lui a été transmis. Etan t donné que le nouveau Johor était un fragment

sécessionniste, et non le successeur de l’ancien J ohor, il incombe à la Malaisie de produire des

éléments de preuve clairs pour démontre r non seulement quand et comment le titre sur

Pedra Branca revint initialement à l’ancien Johor , mais aussi comment l’île se trouva transmise au

nouveau Johor. Singapour soutient respectueusem ent que la Malaisie n’a démontré ni l’un ni

l’autre.

La donation effectuée par le sultan Abdul Rahman en 1825

42. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi maintenant d’appeler votre

attention sur un autre élément de preuve qui fait également échec à la théorie de la Malaisie relative

à la transmission du titre. Le traité sur le Sultanat de Johor eut concrètement pour effet d’empêcher

le sultan Abdul Rahman de continuer à exerce r son autorité sur ses territoires continentaux du

84
MM, p. 24, par. 51.
85
R. O. Winstedt, voir plus haut, note 38, p. 62-63. - 43 -

Johor et du Pahang. Sur le conseil des Néerlanda is, il accepta cette réalité politique et, en1825,

officialisa cette division en faisant don des territo ires du Johor et du Pahang à son frère, le sultan

Hussein 86.

43. Les termes de la lettre de donation sont fort révélateurs, puisqu’il y est précisé quelle

proportion et quelles parties du territoire du sultana t étaient cédées par le sultan Abdul Rahman au

sultan Hussein. Copie de la traduction de cette le ttre figure dans le dossier de plaidoiries, sous
50

l’onglet 13. Je donnerai lecture de l’extrait projeté à l’écran :

«Votre frère [Abdul Rahman] vous envoie [à vous Hussein] cette lettre … pour
vous informer de la conclusion d’un traité en tre S.M.le roi des Pays-Bas et S.M.le
roi de Grande-Bretagne, par lequel sont partagés les territoires du Johor et du Pahang,

de Riau et de Lingga. Les parties de territoire qui vous ont été attribuées, mon frère, je
vous les donne en toute satisfaction et avec ma sincère affection…

Vous connaissez déjà les frontières de nos empires respectifs. Toutefois, afin

que la question soit rendue claire et transparente, votre frère s ouhaite par cette lettre
amicale en proposer une description détaillée

Votre territoire, donc, s’étend sur le Johor et le Pahang sur le continent ou sur la

péninsule malaise. Le territoire de votre frère [Abdul Rahman] s’étend au large des
côtes sur les îles de Lingga, Bintan, Galang, Bulan, Karimon et toutes les autres îles.
Tout ce qui se trouve en mer appartient à votre frère et tout ce qui se trouve sur le

continent vous appartient. Sur cette base, je vous demande instamment de faire en
sorte que vos notables, le PadukaBe ndahara du Pahang et le temenggong, ne
s’occupent en rien des îles appartenant à votre frère.» 87

Il ressort clairement de cette lettre que «[t]out ce qui se trouve en mer» fait partie du territoire du

sultan Abdul Rahman, et que «tout ce qui se trouve sur le continent» fait partie du territoire du

sultan Hussein. Cette lettre de donation démontre que la théorie de la Malaisie selon laquelle

PedraBranca aurait été attribuée au sultan Husse in en vertu du traité anglo-néerlandais est

manifestement erronée.

Partie V. Evolution de la situation du Johor péninsulaire après 1824

44. J’en viens maintenant à la dernière partie de mon exposé qui a trait à l’évolution de la

situation politique du Johor péninsulaire après 1825, lequel était sous l’autorité du temenggong.

86
CMS, p. 34, par. 3.31-3.32
87Lettre en date du 25juin1825 adressée au sultan Hussein par le sultan AbdulRahman (CMS, vol.II,

annexe 5). - 44 -

Dans son rapport, M. Houben décrit le terr itoire du temenggong comme étant constitué «d’un

anneau d’îles situées dans le nord-ouest de l’ar chipel de Riau et [englobant] Singapour et une

portion de la côte du Johor» 88. M. Houben se fonde sur la thèse de doctorat rédigée en 1975 p
ar

Carl Trocki sur les temenggongs de Johor. Dans cette thèse figure une carte représentant les

territoires du temenggong entre 1818 et 1823, laquelle est également reproduite dans l’ouvrage du

même CarlTrocki, The Prince of Pirates, que j’ai évoqué précédemment. Cette carte ⎯ qui

apparaît maintenant à l’écran et qui se trouve sous l’onglet 14 du dossier de plaidoiries ⎯ montre
51
89
que Pedra Branca ne faisait pas partie du territoire du temenggong .

45. Le sultan Hussein, qui n’avait de souvera in du Johor péninsulaire que le nom, mourut

en1835, laissant pour héritier son fils Ali, âgé de dix ans. Pour des raisons politiques, les

Britanniques refusèrent de reconnaître Ali comme su ltan. En 1855, ils obtinrent la négociation

d’un accord entre Ali et le temenggong, accord aux termes duquel ce dernier reconnaissait Ali

comme sultan et acceptait de lui verser une certaine somme en échange de quoi Ali, en sa qualité

de sultan, signait un traité d’amitié et d’alliance et cédait au temenggong «la souveraineté intégrale

et la pleine propriété» de «l’e nsemble du territoire du Johor sur la péninsule malaise et de ses

dépendances, à l’exception du territoire de Kassang» 90. Ce traité marqua la constitution officielle

du Johor moderne ou de l’Etat du Johor, lequel fut par la suite rattaché à la Malaisie.

46. Je prie la Cour de bien vouloir relever l es termes de ce traité. En effet, Pedra Branca

n’est assurément pas «sur la péninsule malaise». Il s’agit d’une formation isolée, située en pleine

mer, à 7,7 milles marins du Johor continental. Qui plus est, Pedra Branca ne pouvait pas, en 1855,

être une dépendance du Johor continental, dans la mesure où toutes les îles avaient été exclues de la

donation consentie par le sultan AbdulRahman au sultan Hussein. Dès lors, qu’elle ait ou non

jamais appartenu au Sultanat du J ohor, Pedra Branca ne fut jamais rattachée à l’Etat du Johor. Ce

qu’Hussein ne possédait pas, son héritier, Ali, ne pouvait le donner — nemo dat quod non habet.

88
RM, p. 227-228, app. II, par. 28
89VoirC.Trocki, The Temenggongs of Johor, 1784-1885 (1975), thèse de doctorat, Université Cornell, p.71;
C. Trocki, Prince of Pirates: The Temenggongs and the Development of Johor and Singapore 1784-1885 (1979), plus
haut note 1, p. 46, reproduit dans le CMS, encart 4.

90Traité d’amitié et d’alliance entre S.A. le sultan Ali Iskander Shah bin Sultan Hussain Mahomed Shah et
S.A.leDatu Tumungong Daing Ibrahim bin Abdul Rahman Sri Maharajah, en date du 10mars1855, article premier
(MM, vol. 2, annexe 7). - 45 -

47. Pour finir, permettez-moi de compléte r cette partie de mon exposé en évoquant un

incident qui eut lieu en 1861, soit six ans après la signature du traité de 1855. Le gouverneur de

Singapour avait sollicité l’avis du temenggong au suje t d’une plainte formulée par des pêcheurs de

Singapour qui affirmaient avoir été harcelés par d es sujets du Johor alors qu’ils pêchaient près de

Pedra Branca. Le gouverneur demandait que les contrevenants soient punis. Le temenggong ne

prétendit toutefois pas exercer de juridiction ou d’autorité sur Pedra Branca ou ses eaux, et répondit

au gouverneur que l’incident s’était produit ailleurs, à moins de 3 milles du Johor. Cet épisode est
52

analysé en détails à l’appendice B de la réplique de Singapour.

Conclusion

48. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi d’achever mon exposé par

les remarques suivantes. Dans tout sultanat malais (y compris celui de Johor) la souveraineté était

fondée sur l’allégeance des peuples et non sur le c ontrôle du territoire. Cela signifie que les

frontières du Sultanat de Johor n’étaient pas clairement définies et qu’il était difficile de déterminer

avec précision, à telle ou telle époque, l’étendue de son territoire. La Malaisie ayant revendiqué un

titre originaire sur Pedra Branca, elle doit produire d es éléments de preuve clairs de son existence.

Or, elle n’en n’a rien fait. Aucun élément de preuve n’atteste que Pedra Branca ait appartenu à une

e
époque quelconque, et certainem ent pas au début du XIX siècle, au Sultanat de Johor. En outre,

pour les raisons que j’ai évoquées, Pedra Branca ne fut pas rattachée au nouveau Johor après 1824,

et ne fut donc jamais rattachée à la Malaisie.

Je vous remercie de votre attention. Puis-j e vous prier de bien vouloir donner la parole à

M. Pellet afin qu’il poursuive les plaidoiries de Singapour en ce premier tour ?

LE VICE-PRESIDENT, président faisant fonction de président : Je remercie M. Chan, Chief

Justice de Singapour, pour son exposé et appelle à la barre M. Pellet.

Mr. PELLET: Thank you very much, Mr. President. - 46 -

JOHOR HAD NO TITLE TO PEDRA B RANCA AND DID NOT GIVE PERMISSION
TO BUILD THE LIGHTHOUSE

Mr. President, Members of the Court,

1. It is customarily said that the proof of a negative fact, of a “non-event”, is so difficult that

it is “diabolical” ⎯ probatio diabolica. It is a double negative proof which I must provide this

morning since it is my task to show

⎯ that when Great Britain took possession of Pedra Branca, Johor had no title to that island;

⎯ and consequently, that the Temenggong of Johor in no way authorized that taking of

possession.

53 2. It is no boast, Mr. President, when I sayat this task seems to me less impossible than

one might think. As regards the first of these elements, Malaysia appears to forget that “the burden

of proof [in respect of the facts and contentions on which the respective claims of the Parties are

based] will of course lie on the Party asserting or putting them forw(Temple of Preah Vihear

(Cambodia v. Thailand), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962 , p. 16.); it is thus for Malaysia to

show that Johor could demonstrate some title to PedraBranca, yet it has done no such thing. As

for the “permission” (and I place this word in quota tion marks), the Malaysian interpretation is so

artificial as to be almost ridiculous. Mr.President , I shall of course not deliver the whole of this

long oral argument today. As we will have fairly ample time tomorrow, I could reasonably stop

quite promptly at about 1 o’clock.

I.L ACK OF TITLE OF JOHOR TO PEDRA BRANCA

3. Mr.President, our Malaysian friends have a rather strange conception of the burden of

proof in general international law, and before your distinguished Cour t in particular... It is no

caricature to say that, according to them, it is for Si ngapore alone to show that Johor had no title to

Pedra Branca when Great Britain took possession of the island. For their part ⎯ and

Mr. Chan Sek Keong stressed this a moment ago ⎯ they simply assert “possession immemorial”91

of which they provide no proof, not a shred of proof, not a scintilla of proof. They rely on no text,

no act, no conduct which would establish such a title or would refer to it; and they seem to posit a

91
Cf. CMM, pp. 12-13, para. 21. - 47 -

kind of presumption of title confirmed by neither th e applicable rules of general international law

nor the conception of territorial sovereignty obtaining in the region at the time. And I would

emphasize this at the outset, paraphrasing the Court in the Minquiers and Ecrehos case, “[w]hat is

of decisive importance... is not indirect presu mptions deduced from events in the Middle Ages,

but the evidence which relates directly to the possession” of Pedra Branca (Minquiers and Ecrehos

(France/United Kingdom), Judgment, I.C.J. Reports 1953, p. 57.)

54 4. I shall revert to this point after re viewing the few documents from which Malaysia

believes it can deduce recognition of its alleged original title.

A. Lack of any probative document establishing the existence
of an original title of Johor to Pedra Branca

5. Mr. President, apart from the documents relating to the “permission” allegedly given by

the Sultan and the Temenggong of Johor to build the lighthouse ⎯ to which I shall also revert ⎯

Malaysia mentions in its written pleadings a num ber of assorted documents allegedly establishing

the existence of the original title to Pedra Branca on which it relies. Three (and three only) of

them, which I shall examine first, mention it expressly and only one (just one), which has very little

probative value, mentions Johor’s sovereignty, wh ereas Malaysia makes all the others (of which,

actually, there are not many) say things they do absolutely not say. The same applies to the alleged

“subsequent confirmations” also relied on by Malaysia.

6. I shall briefly come back to each of these few documents, less in order to show their lack

of probative value when considered individually ⎯ in its written pleadings, Singapore has already

amply established that such value is extremely limited ⎯ than to confirm that, overall, they

patently do not give even the illusion of a shred of evidence of any historical title whatever.

1. Documents said to expressly mention Pedra Branca

7. After years of research, which one can well imagine was painstaking and dogged,

Malaysia exhumed ONE document ⎯ only one Mr. President ⎯ which appears to accept the

sovereignty of Johor ⎯ of “modern” Johor ⎯ over Pedra Branca as established. This is an article

from the Singapore Free Press , dated 25 May 1843 92. This untitled article (pompously termed

92
MM, Vol. 3, Ann. 40. - 48 -

“report” by Malaysia 93⎯ a term I shall return to in a moment) concerns acts of piracy in the

immediate neighbourhood of Singapore. In the article, it is stated that pirates find refuge in places

such as “Pulo Tinghie, Batu Puteh, Point Romania etc.” which “are all within the territories of our

55 beloved ally and pensionary, the Sultan of Johore, or rather the Tomungong of Johore, for he is the

real Sovereign”.

94
8. Malaysia asserts that the Singapore Free Press is a serious and reliable newspaper . This

is no doubt the case when it is a matter of factual info rmation; but, in this case, we are not dealing

with such factual information, but with a simple commentary not reporting a fact, but the subjective

opinion of its author. Moreover, it is more than doubtful whether the anonymous author of an

article, on a completely different subject moreover, was a very reliable authority on the attribution

of sovereignty. This is all the more unlikely si nce the error made over Pedra Branca is repeated as

regards “Pulo Tinghie” which, at the time, certainly did not fall within the jurisdiction of the

95
Temenggong of Johor, as Singapore has shown in detail in its Counter-Memorial .

9. In any event, as the Court noted in the Nicaragua case, it must treat such articles

“with great caution: even if they seem to meet high standards of objectivity, the Court
regards them not as evidence capable of proving facts [or titles], but as material which
can nevertheless contribute, in some circumstances, to corroborating the existence of a

fact, i.e., as illustrative material additional to other sources of evidence” (Military and
Paramilitary Activities in and against Nica ragua (Nicaraguav. United States of
America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 40, para. 62).

Information taken from the press cannot therefore be considered unless ⎯ and this is crucially

important for assessing its probative value ⎯ it proves “wholly consistent and concordant as to the

main facts and circumstances of the case” (United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran

(United States of America v. Iran), Judgment, I.C.J. Reports 1980, p.10, para.13; Armed

Activities on the Territory of the Congo (Democratic Republic of the Congo v. Uganda), Judgment,

I.C.J. Reports 2005, para. 68). The document relied on by Ma laysia patently meets none of these

9Cf. MM, p. 47, para. 95.
94
Cf. RM, pp. 46-47, para. 100.
9CMS, pp. 59-60, para. 4.39, and footnote 132. - 49 -

requirements and does not carry much weight wh en compared with all the material making it

possible to state with certainty that Pedra Branca was not under the sovereignty of Johor when the

British took possession of it:

56 ⎯ for one thing, its probative value is highly suspect considering it does not indicate the source of

the information or even the name of its author ( ibid.; Military and Paramilitary Activities in

and against Nicaragua (Nicaraguav. United States of America), Merits, Judgment, I.C.J.

Reports 1986, p. 40, para. 62);

⎯ secondly and above all, this is the only document in all categories (treaties, official documents,

court rulings, scholarly works, press articles), the only document which might provide a

semblance of support for Malaysia’s argument of all those on which it seeks to rely.

10. True, Malaysia has also relied on two ot her documents which mention Pedra Branca and

from which it deduces, contrary to all reason, that they confirm the existence of this “immemorial”

title.

[Slide 1: English translation provided by Malaysia and English translation with corrections of the
letter of 1April1655 from GovernorThijssen of Melaka to Governor-General and Council of the

Dutch East India Company in Batavia, 1April1655, VOC1209 (MM, Ann.22) (judges’ folder,
tab 15)]

11. This is the case of a letter from the Dutc h Governor of Melaka to Council of the Dutch

East India Company in Batavia, dated 1April 1655. According to the English translation of this

letter provided by Malaysia, it reads as follows:

“in the future, at least two yachts must cruise to the south of Singapore Straits under
the Hook of Barbukit and in the vicinity of Pedra Branca (in order that they [the
Chinese junks] do not enter [the Johor River]) and therefore make certain that they are

brought here [Melaka] or to Batavia. As we have seen often, unless the Johor ruler is
greatly attracted to this idea, without his command we dare not put this into effect. We
therefore faithfully await your order a nd command as to how far we should pursue
this . . .”

Allow me, if you will, Members of the Court, to draw your attention particularly to the expression

“without his command”, which Malaysia has seen fit to introduce into the English translation it has

had made. The pronoun “his” gives the impression th at the Dutch would not have dared take the

96
See MM, Vol. 3, Ann. 22. Translation of the original Dutch text by Malaysia (emphasis added). - 50 -

measure considered without an order to do so from the sovereign of old Johor. But this makes no

sense! Why on earth would the sovereign of Johor give the Dutch the order to remove merchant

ships from his country?

57 12. To try and solve this enigma, we decided to look more closely at the original Dutch text

to clear up the mystery. I do not speak Dutch, Mr.President, but the Dutch-speaking persons we

consulted are categorical: the original text says in Dutch “ buyten expres bevel”; it should be

translated as “without express command”, or “without an express command”, but in any event not

by “without his express command”. The pronoun “his”, most opportunely added by Malaysia, does

not appear in the original text. This possessive pronoun, were it to relate to the sovereign of old

Johor, would, moreover, be totally incongruous in th is extract in view of the context. And, in

particular, of the following phrase, in which the Governor adds: “we therefore faithfully await

your order and command as to how far we should pursue this . . .” ⎯ “your order and command”,

Mr. President; in other words the order of the Council of the Dutch East India Company, not that

of the sovereign of old Johor!

[End of slide 1]

13. According to the expert consulted by Ma laysia, ProfessorAndaya, a historian of that

97
country, this incident (and another dating from 1662) supposedly prove “that VOC [i.e. the

Netherlands East India Company] recognized the waters in the Singapore Straits as belonging to

98
Johor” . Malaysia, meanwhile, interprets these phrases as showing that “Johor’s concern was . . .

the maintenance of its sovereign rights in its ow n maritime territories, which included the waters

and islands mentioned in the Gover nor’s letter, i.e. ‘the Hook of Barbukit and in the vicinity of

Pedra Branca’ . . .” 99. This is going a little too fast for comfort. That old Johor was, at the time a

maritime power with which the Dutch wished to or had to come to terms is one thing; but to

deduce from this that the Strait of Singapore “bel onged” to it or that it had “sovereign rights” over

these waters and islands is quite another.

9See MM, Ann. 21.
98
RM, App. I, opinion of Professor Leonard Andaya, p. 210, para. B.7.
9RM, p. 32, para. 70. - 51 -

14. To begin with, the texts concerned say nothi ng of the kind: they reflect the commercial

rivalry between Johor and the Dutch, but in no way do they concern the territorial extent of Johor.

58 Secondly, it is rather extraordinary to interpret this internal correspondence of the Dutch East India

Company as recognizing the sovereignty of old Joho r over the southern seas. Above all when we

know that, at exactly this time, this very Dutch East India Company was vehemently disputing,

100
through Grotius as intermediary , the mare clausum which Selden had championed on behalf of

England 10. In fact, the most that can be deduced from these episodes is that the Dutch Governor

of Malacca was aware of Batavia’s desire to entertain friendly relations with Johor and to humour it

as an ally. He therefore showed himself anxious not to act to the detriment of Johor’s interests

without the express approval of his superiors in Bata via. But it cannot be concluded from this that

the uninhabited islands in the regi on all belonged to Johor; any more than it could be concluded

from the mastery of the European seas ⎯ previously ⎯ that all the maritime areas and uninhabited

islands in them came under that power. And I cannot help but think, Mr.President, in this

connection, of the passage in your recent Judgment in the Nicaragua v. Honduras case, in which

you stated that:

“Unlike the land territory where the administrative boundary between [the]
different provinces [of the Spanish colonial empire] was more or less clearly
demarcated, it is apparent that there was no clear-cut demarcation with regard to

islands in general. This seems all the more so with regard to the islands in question,
since they must have been scarcely inhabited, if at all, and possessed no natural
resources to speak of for exploitation, excep t for fishing in the surrounding maritime

area.” (Territorial and Maritime Dispute be tween Nicaragua and Honduras in the
Caribbean Sea (Nicaragua v. Honduras), Judgment of 8 October 2007, para. 162.)

[Slide 2: Paintings showing Pedra Branca (1. Painting of Pedra Branca, in J. T. Thomson, Account
of the Horsburgh Lighthouse (MS, Vol. 4, Ann. 61, p. 503) (judges’ folder, tab 16); 2. 4th cover,
J.Hall-Jones, The Horsburgh Lighthouse, 1995; 3.Painting by J.T.Thomson showing Pedra

Branca (1850) (MS, Image 13)]

15. The third and last document relied on by Malaysia in support of its alleged original title,

and which, it is claimed, mentions Pedra Branca by name is the improbable account of 1833 by a

100
Mare liberum sive de jure quod Batavicompetit ad Indicana commercia dissertatio , Lugduni Batavorum,
ex officina Ludovici Elzevirii, 1609 and reproduction by Carnegie Endowment for International Peace, New York, 1951,
p. 68.
10Mare clavsvm seu de dominio maris libri dvo Mare claucum seu de dominio maris libri duo, Leyden, 1636. - 52 -

mysterious Vietnamese envoy to Batavia, whos e colourful (alleged) description of our island

deserves to be quoted. Under the title “The Port of Pedra Branca”, he writes:

59 “The port of Pedra Branca”, or of the “White Stone” (Bach Thach Cang) , is
surrounded by mountains. A large white rock emerges from the waves. From a

distance, it seems to be shining, whence the name given to the port. On either side,
the slopes are covered in forests and there is a succession of dwellings as far as the
Strait of Singapore. The huts made of reeds, of nipa (duyên) and bamboo can be seen
102
on the dark cliffs, in the verdure of the trees. It is a peaceful scene.”

16. As you can see from the photographs being shown behind me, Members of the Court, the

description by Phan Huy Le ⎯ the author’s name ⎯ has strictly nothing to do with “our” “white

103
stone”, a very common name in the region, as Singapore has shown in its Rejoinder : no port, no

slopes, no forests, no bamboo and, in fact, not a sing le tree; and I find it difficult to see in this

small island buffeted by the waves and the sea a “peacef ul scene” . . . In fact, the Vietnamese text

does not use the name “Pedra Branca” at all. It uses the Vietnamese name “Bach Thach Cang”,

which literally means “port of the white stone”. It is the author of the French translation of 1994

104
who translated this by “Pedra Branca”. Further ⎯ and Singapore has also explained this ⎯

Malaysia has, opportunely, translated the word “ east” which appears in the French translation and

105
the Sino-Vietnamese original by “south” which, no doubt suits its argument better . . .

[End of slide 2]

17. It is understandable, Mr. President, that Malaysia should have been careful not to revert

to this “evidence” of its title in its Re ply. But the mere fact that it made such an issue of it in its

Counter-Memorial shows at what pains it is to find the merest trace of the title on which it relies.

In the absence of documents mentioning Pedra Branca by name, it has no option but to fall back on

others which concern the region as a whole and to construct a theory of territorial sovereignty

which does not square either with the Malay inha bitants’ idea of it before the advent of the

Europeans or with the elementary principles of general international law.

10Claudine Salmon et Ta Trong Hiep (éd), Phan Huy Le ⎯ Un émissaire vietnamien à Batavia, récit sommaire
d’un voyage en mer, Paris, Association Archipel, 1994, p. 46 ; CMM, Vol. 3, Ann. 9, p. 46 (footnote omitted).
103
See RS, p. 20, para. 2.30-2.31.
104
Ibid., p. 21, para. 2.32.
10See CMM, Vol. 3, Ann. 9, p. 46. - 53 -

Mr.President, I originally wished to present these other documents relied on by Malaysia

60 now but I would need a good quarter of an hour to do so. I think you will prefer a well-earned

lunch rather than being subjected to me for all th at time. I therefore think it would be wise to stop

there. Thank you and bon appétit.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de prési dent: Je vous remercie infiniment. Nous

allons arrêter là et nous reprendrons demain à 10 heures.

L’audience est levée à 13 h 5.

___________

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Translation

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