MUSA
CR 2008/15 (traduction)
CR 2008/15 (translation)
Jeudi 19 juin 2008 à 15 heures
Thursday 19 June 2008 at 15 p.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour est aujourd’hui
réunie pour entendre les Etats-Unis d’Amérique en leur premier tour d’observations orales sur la
demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Mexique.
Je donne maintenant la parole à M. John B. Bellinger, III, agent des Etats-Unis.
M. BELLINGER : Merci, Madame le président, Messieurs de la Cour, éminents conseils. Je
vous prie tout d’abord de bien vouloir m’excuser de n’avoir pas été présent ce matin pour entendre
personnellement les plaidoiries du Mexique. Mon avion n’ayant atterri que ce matin, je ne pouvais
donc pas ⎯même si c’est ce que j’aurais souhaité ⎯ être présent devant la Cour et entendre ces
exposés. J’ai toutefois déjà pu prendre connaissance de leur version écrite.
Introduction
1. Je suis bien sûr très honoré de plaider deva nt la Cour au nom des Etats-Unis. Comme le
savent un bon nombre d’entre vous, je suis venu à La Haye à plusieurs reprises depuis trois ans et
demi afin d’évoquer l’engagement de mon gouvernement de respecter le droit international, mais
c’est la première fois que j’ai l’occasion de plai der devant la Cour. Il est malheureux que nous
ayons une contestation avec notre voisin et bon ami, le Mexique, néanmoins, je suis très honoré de
plaider devant vous aujourd’hui. Se joignent à moi des fonctionnaires du département d’Etat des
Etats-Unis, et plusieurs d’entre eux vont m’ aider à exposer notre réponse à la demande du
Mexique. En outre, M.Vaughan Lo we, que la Cour évidemment c onnaît bien, prendra la parole
devant vous aujourd’hui dans le cadre de notre exposé.
2. En l’espèce, les Etats-Unis s’opposent ferm ement à la demande en indication de mesures
conservatoires formulée par le Mexique. Nous convenons, bien entendu, que la date d’exécution
de M. José Ernesto Medellín a été fixée, et donc que le temps presse. Mais en dépit de la gravité de
la peine imposée à M.Medellín, c’est le respect du droit international qui doit guider par-dessus
tout la Cour et les parties, y compris les limites appropriées encadrant la compétence de celle-ci.
Pour plusieurs raisons, nous avons la conviction qu’est irrecevab le la demande du Mexique ou sa
demande en indication de mesures conservatoires qui en découle. - 3 -
9 3. Premièrement, le Mexique n’a pas établi qu’il y a quelque contestation que ce soit entre
lui et les Etats-Unis en ce qui concerne le sens ou la portée de l’arrêt Avena rendu par la Cour.
Selon la jurisprudence constante de celle-ci et le texte clair de l’article 60 du Statut de la Cour, il
doit y avoir une contestation, faute de quoi elle ne peut intervenir. En la présente espèce, le
Mexique demande à la Cour de dire que l’arrêt Avena impose, en droit international, une obligation
de «résultat» et non pas simplement de «moyen », selon laquelle les Etats-Unis doivent accorder
aux intéressés «le réexamen et la revision imposés par l’arrêt Avena» (Demande en interprétation
de l’arrêt du 31mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains présentée par le
Mexique, 5 juin 2008, par. 59). Les Etats-Unis ne contestent pas cette interprétation ; en effet, elle
l’accepte entièrement. Il n’y a tout simplement pas de «contestation concernant le sens ou la
portée» de l’arrêt Avena susceptible d’être entendue par la Cour.
4. Deuxièmement, des mesures conservatoires ne sont absolument pas appropriées en la
présente espèce. Vu l’inexistence évidente de contestation, prima facie , la Cour n’a pas
compétence et ne peut intervenir. En outre, une retenue particulière s’impose à la Cour en matière
de mesures conservatoires dans une affaire d’interp rétation lorsque les parties acceptent clairement
leur obligation de respecter l’arrêt Avena que la Cour a rendu.
5. Troisièmement, le Mexique, en soutenant sans fondement l’existence d’une
«contestation», commet un abus de procédure, et la Cour a tout pouvoir de rejeter la demande.
L’objectif clair du Mexique est d’exercer des pressions sur les Etats-Unis en engageant, à nouveau,
une action devant la Cour. Il n’y a aucune contestation juridique au fondement de la demande du
Mexique. Les pouvoirs conférés à la Cour permettent à celle-ci de rejeter des demandes qui
constituent un abus de procédure.
6. Contrairement à ce que prétend le Mexique, à savoir qu’il existe une «contestation» dont
la Cour peut être saisie, nous avons toujours interprété l’arrêt Avena comme imposant aux
Etats-Unis l’obligation d’assurer le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité et des peines
imposées aux personnes visées par ledit arrêt. En outre, le président a toujours recherché, jusqu’à
l’heure actuelle, des manières de mettre en Œuvre l’arrêt Avena. Non seulement en suis-je témoin,
j’ai aussi participé à ces démarches en qualité de conseiller juridique du secrétaire d’Etat et
auparavant, en qualité de conseiller juridique du conseil national de sécurité. Depuis que la Cour a - 4 -
rendu l’arrêt Avena, les Etats-Unis ont entrepris un ensemble de démarches ⎯des démarches qui
se poursuivent à l’heure actuelle, quelques instants av ant que je me présente devant la Cour, j’étais
d’ailleurs en discussion avec les fonctionnaires de l’Etat du Texas ⎯ afin de mettre en Œuvre ledit
10 arrêt. Par exemple, le président a adressé un mémorandum aux juridictions d’Etat les enjoignant de
respecter l’arrêt Avena; le procureur général des Etats-Unis a envoyé des lettres aux procureurs
généraux des Etats concernés concernant la décisi on du président ; les Etat s-Unis ont déposé trois
mémoires à l’appui de la décision du président exig eant le réexamen et la revision des affaires des
accusés visés par l’arrêt Avena devant la cour suprême des Etats-Unis; exceptionnellement, notre
ministère de la justice est intervenu au nom de M. Medellín devant les juridictions texanes. Sans
compter les nombreuses discussions informelles que le gouvernement fédéral a tenues avec des
responsables des différents Etats fédérés concernés par l’arrêt Avena. Il est important que la Cour
comprenne ce que nous avons fait, non pas parce que les Etats-Unis estiment que les démarches
faites jusqu’à présent constituent la mise en Œuvre intégrale de l’arrêt Avena , mais parce que
celles-ci reflètent le sérieux que nous accordons à notre obligation de respecter la décision de la
Cour. Nous étions en désaccord avec celle-ci, bien entendu ⎯c’est le cas de tous les plaideurs
déboutés ⎯ mais nous avons pris nos obligations juri diques internationales au sérieux et nous
respectons donc la décision de la Cour. Nous avons donc fait des efforts considérables pour mettre
en Œuvre l’arrêt de la Cour, et nous continueront à le faire.
7. Premièrement, pour apprécier les efforts qu’ont fait les Etats-Unis concernant la mise en
Œuvre de l’arrêt Avena , la Cour doit comprendre les limites que nous impose le droit interne.
Immédiatement après le prononcé de l’arrêt Avena, mon gouvernement a tenu des discussions de
haut niveau afin de trouver une formule de mise en Œuvre dudit arrêt. Deux aspects du système
politique américain limitaient les options du président. Il y a d’abord notre structure fédérale, selon
laquelle les Etats fédérés aux Etats-Unis cons ervent une mesure im portante d’autonomie,
notamment en matière de justice pénale. La C our est sans aucun doute au courant de cette donnée
du système politique américain, puisque c’est ce qui était principalement en jeu dans la première
affaire Avena elle-même. Le deuxième aspect est notre structure constitutionnelle qui prévoit la
séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciai re au niveau fédéral.Vu cette séparation, le
président n’est pas en mesure d’agir sans la coopération ou l’acquiescement des pouvoirs législatif - 5 -
et judiciaire. Les efforts incessants du président visant à mettre en Œuvre l’arrêt Avena malgré ces
limites traduisent l’importance que les Etats-Unis at tachent à l’obligation qui lui incombe, en droit
international, de se conformer à la décision de la Cour.
11 8. Je vais donc vous expliquer l’approche que nous avons suivie en ce qui concerne la mise
en Œuvre de l’arrêt Avena . Au début de2005, sur la recommandation de la secrétaire d’Etat
Condoleezza Rice, le président a adressé un mémorandum extraordinaire au procureur général des
Etats-Unis selon lequel les juridictions d’Etat devaient se conformer à l’arrêt Avena. Vous
trouverez cette directive, en date du28février2005, à l’onglet de votre dossier et je vais vous la
lire car elle est éloquente :
«Les Etats-Unis sont parties à la convention de Vienne sur les relations
consulaires (la convention) et au protocol e de signature facultative concernant le
règlement obligatoire des différends y annexé (le protocole de signature facultative),
qui donne compétence à la Cour internationale de Justice (CIJ) pour statuer sur les
contestations relatives à l’«interprétation et l’application» de la convention.
J’ai conclu[c’est le président des Etats-Unis qui s’exprime], conformément aux
pouvoirs qui me sont conférés par la C onstitution et les lois des Etats-Unis
d’Amérique en qualité de président, que les Etats-Unis respecteront les obligations qui
leur sont imposées par la Cour internationale de justice aux termes de la décision
qu’elle a rendue dans l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique
c.Etats-Unis d’Amérique (Avena), 2004, CIJ, 128 (31mars) ; en conséquence, les
juridictions d’Etat respecteront ladite décision, conformément aux principes de
courtoisie internationale, relativement aux demandes déposées par les 51 ressortissants
mexicains nommés dans celle-ci.»
9. La décision du président était conçue pour que les ressortissants mexicains visés par l’arrêt
Avena puissent obtenir le réexamen et la revision de leurs prétentions fondées sur la convention de
Vienne devant les juridictions d’Etat. Les juridi ctions d’Etat devaient se prononcer sur la question
de savoir si les violations de la convention relevées par la Cour avaient causé un préjudice réel aux
accusés lors du procès ou lors de la détermination de la peine. En outre, il était précisé que les
règles de carence procédurales d’Et at n’étaient pas applicables. Le mémorandum du président
constituait une démarche exceptionnelle visant la mise en Œuvre de l’arrêt Avena, et ce, pour
plusieurs raisons. Premièrement, vu la déférence que les autorités nationales ont toujours eu à
l’égard de la loi d’Etat en matière de justice pé nale, la démarche du préside nt, consistant à exiger
des Etats qu’ils écartent leurs propres règles de procédure, était tout à fait exceptionnelle.
Deuxièmement, le président est un ancien gouverneur du Texas; il lui a donc été encore plus - 6 -
difficile d’ordonner à son ancien Etat d’écarter se s propres lois, d’autant qu’il s’agissait de donner
des recours supplémentaires à la personne qui avai t avoué avoir assassiné et violé deux jeunes
filles. La décision du président a été très impopulaire et elle été très critiquée au Texas.
Néanmoins, il a décidé de se conformer à la décision de la Cour, acceptant ainsi l’obligation que
nous imposait le droit international.
10. Les démarches du président ne se résume nt pas à l’émission de son mémorandum. En
outre, en2005, le ministère de la ju stice a déposé des mémoires en qualité d’ amicus curiae dans
des procédures relatives à l’un des accusés visés par l’arrêt Avena qui sollicitait le réexamen et la
revision de ses prétentions fondées sur la convention de Vienne devant les juridictions d’Etat.
12
Lorsque le président a pris sa décision, le pour voi en revision de la peine et du verdict de
culpabilité prononcés par la cour fédérale de M. Me dellín était pendant devant la cour suprême des
Etats-Unis. Celle-ci était notamment appelée à se prononcer sur la question de savoir si l’arrêt
Avena donnait droit à M.Medellín au réexamen et à la revision du verdict de culpabilité et de la
peine même si cela était exclu par les règles de procédure d’Etat. Les Etats-Unis ont déposé un
mémoire en qualité d’ amicus curiae devant la Cour dans lequel ils faisaient valoir que, selon la
décision du président, les personnes visées par l’arrêt Avena pouvaient présenter des demandes
individuelles devant les juridictions d’Etat, lesquell es devaient s’incliner devant ledit arrêt. En
outre, ce mémoire disait que, lorsque la décision du président était applicable, «la juridiction d’Etat
est tenue de réexaminer et de reviser le verdict et la peine de l’intéressé afin de décider si les
violations relevées par la ICJ a causé un réel préjudice à la défense lors du procès ou lors de la
1
détermination de la peine» .
11. Afin de faire connaître la décision du président, le procureur général des Etats-Unis a
envoyé à chaque procureur général des Etats per tinents les notifiant des démarches du président, à
laquelle étaient jointes le mémorandum préside ntiel et la copie du mémoire déposé par les
Etats-Unis en qualité d’amicus curiae en 2005 devant la Cour supr ême relativement au pourvoi de
M. Medellín.
1
Mémoire déposé par les Etats-Unis en qualité d’ amicus curiae dans l’affaire Medellín v. Dretke, 544 U.S. 660
(2005),4.7 (italiques ajoutées) (consultable sur http://www.usdoj.gov/osg/briefs/2004/3mer/1ami/2004-
5928.mer.ami.pdf). - 7 -
12. A la suite de ces démarches, en 2005, la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur le
pourvoi de M.Medellín, et elle l’a autorisé à s’adresser aux juridictions d’Etat du Texas.
M.Medellín a exercé un deuxième recours après condamnation devant les juridictions d’Etat du
Texas. La demande s’appuyait sur l’arrêt Avena et sur le mémorandum du président. La Cour
suprême a décidé de ne pas se prononcer sur le pourvoi de M. Medellín, ayant elle a conclu que, vu
le recours après condamnation devant les juridi ctions texanes, «Medellín pourrait obtenir le
réexamen et la revision fondés sur la convention de Vienne exigés par la CIJ» 2.
13. Par la suite, devant les juridictions te xanes, les Etats-Unis ont fait le maximum pour
appuyer le recours après condamnation de M. Medellín. Le ministère fédéral de la Justice a déposé
un mémoire en qualité d’ amicus curiae et il a plaidé devant la Cour d’appel pénal du Texas pour
appuyer la thèse de M.Medellín selon laquelle, vu le mémorandum du président, il avait droit au
13 3
réexamen et à la revision imposés par l’arrêt Avena . La Cour doit comprendre à quel point tout
cela est inhabituel aux Etats-Unis. Le gouve rnement fédéral ne plaide pour ainsi dire jamais dans
des procédures instruites par les juridictions d’Etat. Malheureusement, en dé pit de ces efforts sans
précédent, la Cour d’appel pénal du Texas a dit qu’ elle n’était pas liée par la décision du président,
et rejeté la demande de réexamen et de revision de M.Medellín, exigés par l’arrêt Avena.
D’ailleurs, la Cour du Texas a conclu que le pr ésident, l’ancien gouverneur, avait agi de manière
anticonstitutionnelle en cherchant à écarter la loi d’Etat, même s’il s’agissait du respect d’une
obligation internationale.
14. L’an dernier donc, M. Medellín a formé un nouveau pourvoi devant la Cour suprême des
Etats-Unis. Il lui a alors demandé d’infirmer la décision des juridictions d’Etat du Texas de ne pas
donner effet à l’arrêt Avena lorsqu’il a exercé son recours après condamnation. Et là encore, les
Etats-Unis se sont rangés du côté de M. Medellín. Premièrement, le ministère fédéral de la Justice
a instamment invité la Cour suprême à acce pter d’entendre la cause de M.Medellín.
2
Medellín v. Dretke, 544 U.S. 660, 664 (2005) (consultable swww.supremecourtus.gov/opinions/04pdf/04-
5928.pdf).
3Mémoire des Etats-Unis en qualité d’ amicus curiae dans l’affaire Ex parte Medellín, 223 S.W. 3d 315 (Tex.
Crim. App. 2006) (consultable sur http://www.debevoise.com/publications/pdf/CCA%20US%20Amicus.PDF). - 8 -
L’intervention de celle-ci était ju stifiée, comme l’a soutenu notre ministère de la justice dans son
mémoire, parce que
«la décision de la Cour d’appel pénal du Texas d’invalider l’action du président nuit
aux décisions du pouvoir exécutif dans ce doma ine sensible, et est contraire à l’objet
du protocole de signature facultative [à la c onvention de Vienne] et de la Charte de
l’O.N.U., selon lesquelles le président dispose du pouvoir adéquat et a la charge
4
d’exécuter les obligations conventionnelles de la Nation» .
Deuxièmement, lorsque la Cour suprême a accepté d’entendre la cause de M. Medellín au fond, le
ministère de la justice a de nouveau déposé un mémoire en qualité d’ amicus brief à l’appui de
M. Medellín. J’ai personnellement participé à la préparation de ce mémoire au nom de la secrétaire
d’Etat, Mme Rice. Là encore, ⎯ tout comme ils l’avaient fait devant la juridiction d’Etat texane et
auparavant devant la Cour suprême ⎯ les Etats-Unis ont soutenu que la décision du président
obligeait les juridictions texanes à reconnaître l’arrêt Avena , conformément aux principes de
courtoisie internationale et à accorder le réexamen et la revision imposés par l’arrêt Avena 5. Notre
solliciteur général, qui compte l’expérience la pl us longue en matière de contentieux dans notre
gouvernement, a plaidé personnellement dans cette affaire.
14 15. Malheureusement, comme la Cour le sait, il y a moins de trois mois, la Cour suprême a
rendu sa décision dans l’affaire Mede llín et rejeté les arguments des Etats-Unis : elle a conclu que
la décision du président ne liait pas les juridictions d’Etat. Voilà qui était une défaite importante
pour le président dans sa tentative de mettre en Œuvre l’arrêt Avena. En fin de compte, la
Cour a conclu que le président ne disposait pas de l’autorité nécessaire aux termes de
notre Constitution, et que le Congrès ne lui avait pas conféré le pouvoir d’ordonner aux Etats de se
conformer à la décision de la Cour. Elle a déclaré que «le pouvoir de rendre les obligations
conventionnelles [comme l’arrêt Avena] au titre de la loi interne relève du Congrès et non pas de
l’exécutif» 6.
4 Mémoire des Etats-Unis en qualité d’amicus curiae à l’appui de la demande de certiorari dans l’affaire Medellin
v. Texas , 128 S. Ct. 1346 (2008), p.8 (consultable su r http://www.usdoj.gov/os g/briefs/2006/2pet/5ami/2006-
0984.pet.ami.pdf).
5 Mémoire déposé par les Etats-Unis en qualité d’ amicus curiae dans l’affaire Medellín Medellin v. Texas, 128 S.
Ct. 1346 (2008) (consultable sur http://www.usdoj.gov/osg/briefs/2006/3mer/1ami/2006-0984.mer.ami.pdf).
6 Medellín v. Texas , 128 S. Ct. 1346 (2008), slip op. p.30 (c onsultable sur http://www.supremecourtus.
gov/opinions/07pdf/06-984.pdf). - 9 -
16. Je tiens à attirer l’attention de la Cour sur plusieurs points importants de la décision de la
Cour suprême. Je me doute qu’un bon nombre d’entre vous l’ont lue, ou en ont entendu parler par
les médias, mais je voulais vous en indiquer quelques aspects importants.
17. Premièrement, et c’est peut être l’élément le plus important, la décision Medellín n’a
modifié de nulle manière l’obligation fondamental e des Etats-Unis de se conformer à l’arrêt Avena
en droit international. Au contraire, la Cour suprême a réaffirmé cette obligation ⎯ c’était le point
de départ de son analyse. La décision disait clairement :
«Personne ne conteste le fait que l’arrêt Avena ⎯ rendu en vertu de traités par
lesquels les Etats-Unis ont accepté la compétence de la CIJ relativement aux
contestations se rapportant à la convention de Vienne, ⎯donne lieu, effectivement, à
des obligations de droit international assumées par les Etats-Unis.» 7
La Cour suprême a donc réaffirmé que la décision de la Cour s’imposait aux Etats-Unis en droit
international. La décision de la Cour concernait en fait le statut de cette obligation en droit interne
américain ⎯ à savoir si l’arrêt Avena était directement applicable par les juridictions américaines,
ou si le président avait le pouvoir d’enjoindre les juridictions d’Etat à s’y conformer. La Cour
suprême a conclu que les décisions de la Cour ne sont pas automatiquement exécutoires par les
juridictions américaines, mais elle a réitéré que nos juridictions doivent en tenir «respectueusement
compte». A cet égard, les Etats-Unis n’ont rien d’exceptionnel. En fait, il n’est pas rare que les
systèmes juridiques internes ne prévoient pas l’exécution directe des décisions de la Cour.
15 18. Deuxièmement, les motifs de la décision Medellín elle-même montrent quelle énergie a
déployée le président pour mettre en Œuvre l’arrêt Avena. La Cour ⎯notre Cour suprême ⎯ a
rejeté la prétention du président selon laquelle le Congrès avait acquiescé à son pouvoir d’obliger
les juridictions d’Etat à se conformer à l’arrêt Avena, et elle a observé que «le mémorandum
présidentiel ne se fonde sur aucune «pratique ancienne» acquiescée par le Congrès…[et qu’i]l
s’agit plutôt, selon les termes des Etats-Unis, d’une «mesure sans précédent»» 8. LaCoura,en
fin de compte, conclu que les démarches du président visant à donner effet à l’arrêt Avena
étaient anticonstitutionnelles selon le droit interne américain.
7
Ibid., p. 8.
8
Ibid., p. 36. - 10 -
19. Troisièmement, vu la décision de la Cour suprême, même si la Cour internationale de
justice devait rendre une autre décision concernant l’obligation des Etats-Unis de se conformer à
l’arrêt Avena, celle-ci ne serait pas directement exécutoire par les juridictions américaines, et elle
ne donnerait pas au président le pouvoir de mettre en Œuvre ledit arrêt. La Cour suprême a rendu
sa décision selon son interprétation de la Charte de l’ O.N.U. et du Statut de la CIJ. Selon celle-ci,
aucun de ces instruments ne prévoyait l’exécution automatique des décisions de la CIJ par les
juridictions internes. Ils ne conféraient pas non plus au président le pouvoir d’enjoindre les
juridictions d’Etat de donner effet aux décisions de la CIJ. Toute décision de la Cour concernant la
présente demande du Mexique en la présente espèce fera face aux mêmes impératifs du droit
interne américain. Une nouvelle décision de la Cour internationale de justice n’élargira donc pas le
pouvoir dont dispose le président, vu ce que la Cour suprême a dit . En ce qui concerne le droit
interne, une nouvelle décision n’ajoutera rien au premier arrêt Avena. Et sur le plan pratique, cela
pourrait compliquer beaucoup les efforts faits aux Etats-Unis visant la mise en Œuvre dudit arrêt.
20. La décision rendue par notre Cour suprême en l’affaire Medellín est toute récente; elle
date de moins de trois mois. Depuis trois ans, les Etats-Unis d’Amérique ont mis en Œuvre, avec
constance, une stratégie visant à exécuter l’arrêt rendu par la présente Cour en l’affaire Avena. Ces
premiers efforts n’ayant pas été couronnés de succès, les Etats-Unis étudient actuellement, et toutes
affaires cessantes, de nouvelles solutio ns. La décision rendue en l’affaire Medellín ne marque pas
la fin du processus. Nous ne considérons pas que les efforts que nous avons accomplis jusqu’à
maintenant nous ont libérés de notre obligation. D’ailleurs, depuis qu’a été rendue la décision en
l’affaire Medellín, de nombreuses discussions ont été tenues au plus haut niveau en vue de définir
de nouvelles approches. Le Mexique a parfaite ment connaissance de ces discussions; il y a
d’ailleurs participé, puisque nous avons essayé de travailler avec nos amis mexicains afin de
parvenir à une solution acceptable.
16 21. Pas plus tard que cette semaine ⎯il y a deux jours ⎯, le secrétaire d’Etat
Condoleeza Rice et l’Attorney General Mukasey ont, dans le cadre de ces efforts constants, adressé
une lettre conjointe au gouverneur du Texas ⎯laquelle figure dans votre dossier, sous
l’onglet 3 ⎯, appelant son attention sur l’ obligation de droit international qui continue d’incomber
aux Etats-Unis d’Amérique et lui demandant o fficiellement de collaborer avec le gouvernement - 11 -
fédéral pour fournir aux personnes visées par l’arrêt Avena le réexamen et la revision prescrits par
cette décision. Les auteurs de cette lettre ont so llicité «l’assistance de l’Etat du Texas pour assurer
le respect d’une obligation internationale incombant aux Etats-Unis d’Amérique» [traduction du
Greffe]. L’importance que ces derniers attachent à cette obligation est soulignée dans ladite lettre,
et il y est indiqué :
«Les Etats-Unis ont tenu de nombreuses discussions avec le Gouvernement du
Mexique à la suite de la décision rendue par la Cour suprême. Le 5 juin, le Mexique a
néanmoins introduit une nouvelle instance deva nt la Cour internationale de Justice
relativement à la décision rendue en l’affaire Avena . Nous continuons de rechercher
des moyens pratiques nous permettant d’exécuter en temps voulu l’obligation
juridique internationale incombant à notre nation; pour atteindre cet objectif, les
Etats-Unis ont besoin de l’aide du Texas. A cet égard [et ce sont le secrétaire d’Etat et
l’Attorney General des Etats-Unis d’Amérique qui parlent], nous prions
respectueusement le Texas de bien vouloir prendre les mesures nécessaires pour
donner effet à la décision rendue en l’affaire Avena relativement aux verdicts de
culpabilité et aux peines examinés dans ce tte décision. Nous serions heureux de
pouvoir étudier avec vous-même ou vos représen tants les moyens possibles de donner
suite à ladite décision.» [Traduction du Greffe.]
Je puis assurer la Cour que ces discussions entre le gouvernement fédéral et l’Etat du Texas ont
d’ores et déjà commencé.
22. Ces efforts accomplis par le gouvernement fédéral pour établir un dialogue avec le Texas
et d’autres Etats concernés ne sauraient être écartés d’un revers de la main. La persuasion peut en
effet se révéler plus effica ce que la contrainte. Depuis l’arrêt rendu en l’affaire Avena, grâce aux
efforts accomplis par le gouvernement fédéral pour convaincre les Etats de donner effet à cette
décision, plusieurs ressortissants mexicains qui y so nt cités ont bénéficié d’un réexamen et d’une
revision des verdicts de culpabilité et des peines qui avaient été prononcés à leur encontre.
o
23. Tel est notamment le cas d’Osvaldo Torres (n 53). Dans l’arrêt qu’elle a rendu en
l’affaire Avena, la Cour a indiqué que la procédure de recours en grâce de M.Torres pouvait
constituer une occasion appropriée de réexamen et de revision ( Avena et autres ressortissants
mexicains (Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.66, par.143). Le
23avril2004 —soit avant le mémorandum du pr ésident—, mon prédécesseur, le conseiller
juridique du département d’Etat, WilliamH.Taft IV, a écrit à la commission des grâces et des
libertés conditionnelles de l’Oklahoma ainsi qu’a u gouverneur de ce même Etat au sujet de
l’audience afférente au recours en grâce de M.Torres du 7mai2004 —ces lettres figurent sous - 12 -
les onglets4 et5. Ces lettres ⎯qui étaient accompagnées d’une copie de l’arrêt rendu en
17 l’affaire Avena ⎯, rappelaient la décision de la Cour selon laquelle les Etats-Unis d’Amérique
avaient violé les obligations leur incombant en vertu de la convention de Vienne à l’égard de
M. Torres et exposaient les conclusions de la Cour relatives au réexamen et à la revision. M. Taft
priait la commission et le gouverneur d’examiner avec attention le recours en grâce de l’intéressé,
et leur demandait d’établir si le fait de ne p as avoir fourni à M.Torres l’information et la
notification consulaires prescrites à l’article36 de la convention de Vienne devait ou non être
considéré comme ayant, en fin de compte, abou ti au verdict de culpabilité rendu et à la peine
prononcée à son encontre.
24. Le gouverneur, après avoir reçu l’avis fa vorable de la commission, a finalement décidé
de commuer la peine prononcée à l’encontre de M. Torres en une peine de réclusion à perpétuité
incompressible. Dans sa décision su r le recours en grâce, le gouverneur ⎯le gouverneur de
l’Oklahoma ⎯ a expressément indiqué qu’il avait pris en compte les violations de la convention de
Vienne dont avait été victime M. Torres ainsi que les demandes du département d’Etat.
25. Plusieurs personnes visées par la décision rendue en l’affaire Avena ont bénéficié, au sein
de juridictions étatiques ou fédérales, du réexamen et de la revision des verdicts de culpabilité et
des peines prononcées à leur encontre. De nombre uses autres affaires sont encore pendantes, dont
certaines en appel, et les juridictions auront de nouvelles occasions d’assure r le réexamen et la
revision requis. S’agissant d’autres personnes enco re, elles aussi visées par la décision rendue en
l’affaire Avena, les condamnations à la peine de mort ont été commuées pour des motifs différents,
l’un des intéressés ayant par exemple été extradé vers le Mexique.
26. Dès lors, contrairement à ce que le Mexi que avance, nous n’estimons pas ne pas devoir
accomplir d’autres efforts pour exécuter l’arrêt rendu par la présente Cour en l’affaire Avena, et
continuons d’Œuvrer pour que soit donné plein effet à ladite décision, y compris dans le cas de
M.Medellín. Compte tenu du temps fort limité dont dispose le Congrès cette année pour son
travail législatif, il est impossible que les deux chambres votent un texte conférant au président le
pouvoir d’exécuter la décision rendue en l’affaire Avena. Nous n’avons tout simplement pas assez
de temps. - 13 -
27. C’est pourquoi nous nous sommes efforcés de trouver la façon la plus pratique et la plus
efficace d’exécuter la décision rendue en l’affaire Avena, la lettre adressée au gouverneur de l’Etat
du Texas par le secrétaire d’Etat et l’ Attorney General s’inscrivant dans cette logique. Nous
poursuivons nos efforts dans cette voie afin d’assurer le réexamen et la revision des verdicts de
culpabilité et des peines, tel qu’exigés par la décision rendue en l’affaire Avena. En fait, une
intervention de la présente Cour à ce stade risquerait de compliquer considérablement, voire de
compromettre, les efforts de dialogue entre notre gouvernement fédéral et les autorités des Etats.
Quelle que soit la décision de la Cour à ce stade de l’instance, les Etats-Unis continueront d’Œuvrer
18 à cette fin, en envisageant avec pragmatisme tout moyen disponible pour donner effet à l’arrêt
rendu en l’affaire Avena. Selon moi, les mesures que nous avons prises depuis que cet arrêt a été
rendu témoignent du sérieux de cet engagement.
28. Madame le président, Messieurs de la C our, permettez-moi de présenter les conseils des
Etats-Unis d’Amérique et de résumer brièvement les exposés qu’ils vous présenteront aujourd’hui
dans le cadre de notre premier tour de plaidoiries.
29. Je vous prierai tout d’abord de bien vouloi r appeler à la barre M.StevenMathias, du
département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique, le quel présentera le droit relatif à l’article60 et
expliquera pourquoi la présente affaire n’a pas trait à une «contestation sur le sens et la portée» de
l’arrêt Avena.
30. Nous prierons ensuite la Cour de bien vouloir entendre l’exposé de M. James Thessin, lui
aussi du département d’Etat. M. Thessin démontrera que la Cour n’a pas compétence prima facie
pour indiquer des mesures conservatoires en l’espèce. Il expliquera en outre pourquoi la Cour
devrait faire preuve d’une prudence particulière avant d’indiquer des mesures conservatoires en une
affaire telle que la présente espèce.
31. Après l’exposé de M.Thessin, nous vous prierons de bien vouloir entendre celui de
M. Michael Mattler, du département d’Etat, qui indiquera que la demande en indication de mesures
conservatoires du Mexique outrepasse indûment sa demande en interprétation.
32. Nous vous prierons ensuite d’entendr e l’exposé de M.VaughanLowe,Q.C., lequel
expliquera pourquoi la Cour devr ait écarter la requête du Mexique en ce qu’elle constitue un abus
de procédure. - 14 -
33. Enfin, je présenterai un exposé final au nom des Etats-Unis d’Amérique, dans lequel
j’expliquerai que les mesures conservatoires demandées par le Mexique outrepassent les droits dont
celui-ci se prévaut dans sa demande en interprétation.
34. Je prie maintenant la Cour de bien vouloi r appeler à la barre M.Mathias. Madame le
président, Messieurs de la Cour, je vous remercie.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Bellinger. J’appelle à la barre M. Mathias.
M. MATHIAS :
Il n’existe aucune contestation au sujet de l’interprétation que demande le Mexique
1. Merci, Madame le président. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est un
honneur pour moi que de comparaître de nouveau devant la Cour au nom des Etats-Unis
d’Amérique.
19 2. Il m’incombe cet après-midi d’examiner la demande en interprétation déposée par le
Gouvernement du Mexique et de déterminer si ⎯ condition sine qua non ⎯ elle porte sur une
contestation au sens de l’article 60 du Statut et de la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle puisse
être tranchée par cette dernière.
3. L’existence d’un différend est une condition fo ndamentale. La Cour l’a clairement établi
en l’affaire des Essais nucléaires , dans laquelle elle a précisé que «[l]’existence d’un différend
[était] … la condition première de l’exercice de sa fonction judicaire» (Essais nucléaires (Australie
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 271, par. 55 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 271, par. 58) 9. Si, comme c’était le cas en ces affaires, le
différend disparaît ou si, comme en l’espèce, il n’existe d’emblée aucun différend, «il faut en tirer
les conséquences qui s’imposent» (ibid.) 10.
4. Il doit en être ainsi. L’article 38 du Statut dispose que la mission de la Cour est «de régler
conformément au droit international les différends qui lui sont soumis». L’article60, invoqué
comme base de compétence par le Mexique en la présente espèce, prévoit que, «en cas de
9
Texte anglais: «the existence ofa dispute is the primary condition fthe Court to exercise its judicial
function».
10Texte anglais : «all the necessary consequences must be drawn from this finding». - 15 -
contestation sur le sens et la portée de l’arrêt, il a ppartient à la Cour de l’interpréter, à la demande
de toute partie». S’il n’existe aucun différend, ou aucune contestation au sens de l’article60, la
Cour n’est nullement fondée à exercer sa fonction judiciaire. S’il n’existe aucun différend, il
n’existe aucune base de compétence prima facie, ni aucun fondement pour indiquer des mesures
conservatoires. En fait, l’affaire doit être ray ée du rôle, car dépourvue d’objet, et en raison d’une
incompétence manifeste de la Cour.
5. Examinons à présent ce qu’est un différend, attendu que cette question est déterminante
aux fins de la présente espèce.
A. La nature d’un «différend» dans la jurisprudence de la Cour
6. Comme la Cour le sait, la Cour permanente a, en l’affaire Mavrommatis, donné ce qui est
devenu la définition généralement acceptée d’un «différend», définissant ce terme comme
signifiant «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses
o
juridiques ou d’intérêts entre deux personnes» (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2,
20 1924, C.P.J.I. sérieA n o2, p.11) 11. Cette définition a, sans grand changement, été reprise en de
très nombreuses affaires. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en2005 en l’affaire relative à Certains
biens ⎯ laquelle opposait le Liechtenstein à l’Allemagne ⎯, la Cour a indiqué que ces nombreuses
affaires constituaient «[s]a jurisprudence constante» sur ce point (affaire relative à Certains biens
(Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt C.I.J. Recueil 2004 , p. 18, par. 24). Il
y a à peine huit mois, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire de la délim itation entre le Nicaragua
et le Honduras, la Cour a de nouveau cité, en l’approuvant, cette «défi nition bien connue» donnée
en l’affaire Mavrommatis (affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le
Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt du 8 octobre 2007, par. 130).
7. En appliquant cette définition simple comme elle l’a si souvent fait, la Cour a eu
l’occasion de formuler plusieurs principes y afférents, lesquels revêtent une importante primordiale
aux fins de la présente espèce. Premièrement, la Cour a indiqué très clairement que le fait qu’une
partie indique elle-même qu’un différend existe n’est pas déterminant. Dans l’arrêt qu’elle a rendu
en 1962 dans les affaires du Sud-Ouest africain, la Cour a énoncé ce principe comme suit :
11Texte anglais : «a disagreement on a point of law or fact , a conflict of legal views or of interests between two
persons». - 16 -
«il ne suffit pas que l’une des parties à une affaire contentieuse affirme l’existence
d’un différend avec l’autre partie. La si mple affirmation ne suffit pas pour prouver
l’existence d’un différend, tout comme le simple fait que l’existence d’un différend est
contestée ne prouve pas que ce différend n’existe pas. Il n’est pas suffisant non plus
de démontrer que les intérêts des deux parties à une telle affaire sont en conflit. Il faut
démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de
l’autre.» (Affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie c.Afrique du Sud; Libéria
12
c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328.)
Tout comme d’autres principes fondamentaux, ce prin cipe a été réaffirmé à maintes reprises par la
Cour, le plus récemment dans l’arrêt qu’elle a re ndu il y a six mois sur les exceptions préliminaires
en l’affaire de délimitation opposant le Nicaragua à la Colombie (Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 13 décembre 2007, par. 138.).
8. Il est un autre principe, lequel est étroiteme nt lié à celui que nous venons d’examiner : la
Cour a souvent précisé que l’existence d’un «différend … demand[ait] à être établie
objectivement», pour reprendre les termes qu’e lle a employés dans son avis relatif aux Traités de
paix ( Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie,
21 première phase, avis consultatif, C.I.J.Recueil1950 , p.74). En résumé, ce n’est pas à une partie
qu’il revient de déterminer l’existence d’un différend, mais à «la Cour d[e] rechercher si «la
réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre»» ( Certains biens
(Liechtenstein c.Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt C.I.J.Recueil2004 , p. 18, par. 24 ;
texte anglais: «it falls to the Court to determin e whether «the claim of one party is positively
13
opposed by the other»») .
B. «Contestation sur le sens et la portée de l’arrêt»
9. Dans une demande en interp rétation, la nature de la «cont estation» requise pour établir la
compétence de la Cour est encore plus précise. Seule une contestation «sur le sens et la portée de
l’arrêt» peut satisfaire aux prescriptions de l’article 60 du Statut.
12
Texte anglais :
«[I]t is not sufficient for one party to a contentious case to assert that a dispute exists with the
other party. A mere assert ion is not sufficient to prove the existence of a dispute any more than a mere
denial of the existence of the pute proves its non-existence. Nor isit adequate to show that the
interests of the two parties to such a case are in confli ct. It must be shown that the claim of one party is
positively opposed by the other.»
13En l’affaire relative à Certains biens, la Cour a indiqué que sa conclusi on selon laquelle, «dans la présente
instance, les griefs formulés en fait et en droit par le Liecht enstein contre l’Allemagne [étaient] rejetés par cette dernière»
attestait l’existence d’une contestation (ibid., p. 19, par. 25). - 17 -
10. Dans l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) , les parties
avaient demandé à la Cour d’indiquer «les principes et règles du droit international applicables à la
délimitation» de la zone de plateau continental (Demande en revision et en interprétation de l’arrêt
du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie
c.Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J.Recueil1985 , p.218, par.47; texte anglais: «the
principles and rules of international law applicable to the delimitation»). Une contestation s’est
alors fait jour entre les parties sur la question de savoir quels étaient les points dudit arrêt auxquels
la Cour avait voulu donner force obligatoire ( ibid., p.217, par.45). La Tunisie se demandait
notamment si la Cour entendait que les parties so ient liées par la ligne frontière et les coordonnées
qu’elle avait précisées dans son arrêt ( ibid., p.217-227, par.45-63). Dans l’arrêt interprétatif
qu’elle a rendu en l’affaire du Plateau continental, la Cour a cité l’affaire de l’ Usine de Chorzów
pour indiquer qu’elle connaissait d’un désaccord c onstituant une «divergence entre les Parties sur
ce qui, dans l’arrêt en question, a[vait] été tranché avec force obligatoire», une «divergence de vues
[sur le fait de savoir] si tel ou tel point a[vait] été décidé avec force obligatoire» (Plateau
continental, supra, p.218, par.46 (citant l’affaire de l’Usine de Chorzów , supra, p. 11-12) ; texte
anglais: ««a difference of opinion between the Parties as to those points in the judgment in
question which have been decided with binding force», including «A difference of opinion as to
whether a particular point has or has not been decided with binding force.»»).
22 11. Dans l’arrêt interprétatif qu’elle a rendu en l’affaire du Plateau continental , la Cour a
précisé quels étaient les points de l’arrêt initial qu’elle avait considérés comme étant obligatoires
pour les parties, et lesquels devaient être en tendus comme étant des «indication[s] générale[s]»
(ibid., p. 230, par. 69). Ce faisant, elle a tranché un différend bien réel entre les parties relatif à la
nature de l’arrêt en question, ouvrant ainsi la voi e à des négociations fructueuses entre la Libye et
la Tunisie, lesquelles ont finalement abouti à la création de la Libyan-Tunisian Joint Oil
Company 1.
14
Shabtai Rosenne, Interpretation, Revision and Other Recourse from International Judgments and Awards ,
p. 108 (2007). - 18 -
12. Examinons à présent s’il existe une cont estation en la présente espèce et ce, en
conservant à l’esprit l’affaire du Plateau continental en tant qu’exemple d’une contestation bien
réelle.
C.Aucune contestation n’oppose entre le Mexique et les Etats-Unis d’Amérique en la
présente espèce
13. Aux termes du paragraphe2 de l’article 98 du Règlement de la Cour, c’est au Mexique
qu’il incombe d’indiquer «avec précision le point ou les points contestés quant au sens ou à la
15
portée de l’arrêt» . Le Mexique aborde cette prescription au paragraphe52 de sa demande en
interprétation.
14. Dans cette demande, il est indiqué: «L e présent différend entre le Mexique et les
Etats-Unis d’Amérique concerne la portée et le sens de l’obligation de réparation énoncée au
point9 du paragraphe153 de l’arrêt Avena.» ( Demande en interprétation de l’arrêt du
31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexi cains (Mexique c.Etats-Unis
d’Amérique) (Mexique cE . tats-Unis d’Amérique) , 5juin2008, pa. 2.) Le point9 du
paragraphe 153 de l’arrêt rendu en 2004 en l’affaire Avena se lit comme suit :
«9) Par quatorze voix contre une,
Dit que, pour fournir la réparation appropriée en l’espèce, les Etats-Unis
d’Amérique sont tenus d’assurer, par les moye ns de leur choix, le réexamen et la
revision des verdicts de culpabilité re ndus et des peines prononcées contre les
ressortissants mexicains visés aux points 4), 5), 6) et 7) ci-dessus, en tenant compte à
la fois de la violation des droits prévus par l’article36 de la convention et des
paragraphes138 à141 du présent arrêt.» ( Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p.12, par.153,
point9.) (Texte anglais: «(9)By fourteen votes to one, Finds that the appropriate
reparation in this case consists in the oblig ation of the United States of America to
provide, by means of its own choosing, revi ew and reconsideration of the convictions
and sentences of the Mexican nationals referred to in subpa ragraphs (4), (5), (6) and
23
(7) above, by taking account both of the violation of the rights set forth in Article 36
of the Convention and of paragraphs 138 to 141 of this Judgment.»)
15. La question est désormais la suivante : «quelle est la nature de la contestation opposant le
Mexique et les Etats-Unis d’Amérique quant au sens du paragraphe dont je viens de donner
lecture?» Au paragraphe52 de sa demande, le Mexique expose son point de vue: «le Mexique
comprend le libellé en question comme imposant une obligation de résultat ⎯ celle de parvenir au
15
Texte anglais : «the precise point or points in dispute as to the meaning or scope of the judgment». - 19 -
résultat précis constitué par le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité rendus et des
peines prononcées conformément aux «paragraphes138 à141 de l’arrêt [Avena]» (Demande en
interprétation du Mexique, supra, par. 52). Je reviendrai sur cette notion d’«obligation de résultat»
dans quelques instants, mais le point essentiel de cette phrase est que le Mexique estime qu’il
incombe aux Etats-Unis une obligation contraignante, à savoir celle de garantir un «résultat précis»
constitué par le réexamen et la revision conformément aux paragraphes 138 à 141 de l’arrêt Avena.
16. Le paragraphe 59 de la Demande en interprétation du Mexique, intitulé «l’interprétation
demandée», est conforme à cette interprétation (ibid., par. 59). Ce paragraphe se subdivise en deux
parties. La première a pour objet de prier la Cour de dire que l’oblig ation énoncée au point9 du
paragraphe153 de l’arrêt Avena est une «obligation de résultat» et que les Etats-Unis doivent
garantir le réexamen et la revision (ibid.). Cela reprend la thèse exposée au paragraphe 52. Dans la
deuxième partie, il est simplement indiqué qu’inco mbe aux Etats-Unis d’Am érique l’obligation,
premièrement, d’assurer le réexamen et la revision prescrits et, deuxièmement, de faire en sorte
qu’aucun ressortissant mexicain visé ne soit exécuté à moins et jusqu’à ce que ce réexamen et cette
revision aient eu lieu (ibid.).
17. Si, comme il ressort, selon nous, de ce qui précède, l’interprétation du Mexique est qu’il
incombe aux Etats-Unis une obligation contraignant e d’assurer le réexamen et la revision, quelle
est la position des Etats-Unis ?
18. Eh bien, les Etats-Unis en conviennent tout à fait. Ce que notre agent vient de dire à la
Cour à ce sujet est tout à fait explicite. Ce tte position est aussi parfaitement conforme aux
prononcés antérieurs et au comportement des Etats-Unis relativement à l’arrêt Avena.
19. D’ailleurs, le Mexique reconnaît que les Et ats-Unis partagent son point de vue puisqu’il
indique ce qui suit dans sa demande en interprétation :
«Toutes les autorités compétentes des Etat s-Unis reconnaissent, tant au niveau
24 des Etats qu’au niveau fédéral, que leur pays est soumis à l’obligation de droit
international que lui impose le paragraphe 1 de l’article94 de la Charte des
Nations Unies de se conformer aux termes de l’arrêt Avena.» (Ibid., par. 13.)
20. Le président des Etats-Unis et la Cour suprême ont tous deux confirmé cette
interprétation: ils ont constamment indiqué que le respect de l’arrêt Avena constituait une - 20 -
«obligation internationale» . Le sens et la portée de cette obligation ne sauraient faire de doute.
Dans leur mémoire de juin2007 de vant la Cour suprême en l’affaire Medellín c.Texas , les
Etats-Unis ont affirmé ⎯clairement, simplement et de manière tout à fait directe ⎯ que «la
décision rendue par la CIJ en l’affaire Avena a[vait] «force obligatoire» et [que] les Etats-Unis
[avaient], au regard du droit international, l’ obligation de «se conformer à cette décision» en
17
assurant le réexamen et la revision judiciaires aux 51ressortissants mexicains» [traduction du
Greffe].
21. Revenons maintenant sur l’allégation du Mexique selon laquelle il existe un différend
entre lui et les Etats-Unis quant au fait de savoir si le paragraphe pertinent de l’arrêt Avena crée une
«obligation de résultat» ou simplement de «moyens».
22. Nous avons recherché dans la Demande en interprétation du Mexique ce que ce dernier
entendait précisément par «résultat» et «moyens» dans le présent contexte. Le Mexique définit
l’«obligation de résultat» des Etats-Unis comme l’ obligation d’assurer «le réexamen et la revision
des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées» en recourant aux «moyens de leur
choix» (par. 59). Le Mexique explicite cette «obligation de résultat» de la manière suivante :
«Si ces derniers peuvent employer les «m oyens de leur choix», le respect de
l’obligation d’assurer un réexamen et une revision ne saurait être fonction de
l’aboutissement de tel ou tel moyen en partic ulier. Selon le Mexique, si l’obligation
d’assurer un réexamen et une revision n’était pas pleinement respectée, les Etats-Unis
devraient être considérés comme ayant violé cette obligation.» (Ibid., par. 5.)
En employant l’expression «obligation de moyens», le Mexique semble laisser entendre que les
Etats-Unis estiment qu’ils sont simplement tenus d’essayer de se conformer à l’arrêt et non
d’assurer effectivement le réexamen et la revision requis.
25 23. Soyons tout à fait clairs. Ce que le Mexique qualifie d’«obligation de résultat»
⎯àsavoir qu’il incombe aux Etats-Unis une obligat ion contraignante d’assurer le réexamen et la
revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées à l’égard des personnes
16L’Etat du Texas a également confirmé cette obligation dans le mémoire qu’il a présenté devant la Cour
suprême, indiquant: «Il est vrai que l’Etat du Texas reconnaît l’existence d’une obligation internationale de se
conformer aux engagements conventi onnels incombant aux Etats-Unis.» et, plus précisément, «nul ne
conteste qu’il incombe aux Etats-Unis une obligation internationale de se conformer à l’arrêtAvena» (mémoire
du défendeur en l’affaire Medellín c.exas , 1SC. t1.346 (2008), p1.2, 46 (disponible à l’adresse
http://www.debevoise.com/publications/pdf/TexasrespondentsbriefMedellin…).
17Mémoire présenté par les Etats- Unis d’Amérique en qualité d’ amicus curiae en l’affaire Medellín c.Texas ,
128Ct.346 (2008),8. (disponible à l’adresse http://www.usdoj.gov/osg/briefs/2006/3mer/1ami/2006-
0984.mer.ami.pdf). - 21 -
concernées ⎯est précisément l’interprétation que font l es Etats-Unis du paragraphe en question.
Madame le président, messieurs de la Cour, lorsque la Cour examin era la question de savoir si les
interprétations que font les Parties du point9 du paragraphe153 sont en «opposition manifeste»,
nous estimons qu’elle devra y apporter une réponse négative.
24. Le Mexique avance toutefois que «[l]e co mportement des Etats-Unis confirme…que,
selon eux, le point 9 du paragra phe 153 ne leur impose qu’une oblig ation de moyens», et il ajoute
que, «[m]ise à part la décision par laquelle le président a, en2005, donné instruction aux
juridictions des Etats de l’union de se conformer à l’arrêt, les Etats-Unis n’ont pris à ce jour aucune
autre mesure» (ibid., par. 57).
25. Avec tout le respect que nous devons au Mexique, ainsi que l’agent des Etats-Unis vient
de l’exposer de manière fort détaillée, l’interprétation qu’il fait des mesures prises par les
Etats-Unis depuis le mémorandum du président de 2005 est totalement erron ée. Les Etats-Unis
poursuivent leurs efforts visant à se conformer à l’arrêt Avena. De surcroît, je me dois de relever
que, dans une demande en inte rprétation, la contestation porte, par définition, sur cela ⎯ à savoir
sur l’interprétation ⎯ et non sur le comportement de l’une des parties. C’est par rapport à la
position des Parties quant à l’interprétation de l’arrêt que la Cour doit établir s’il existe une
contestation. Or, les Etats-Unis ont toujours exposé clairement leur position au sujet des
obligations leur incombant en vertu de l’arrêt Avena. Comment peut-on prétendre qu’ils
n’acceptent pas l’obligation d’assurer un réexamen et une revision alors que de nombreuses
déclarations, constantes et émanant de personn es ayant autorité pour définir la position des
Etats-Unis, y compris les positions prises en de hors du cadre de la présente instance et des
déclarations explicites formulées aujourd’hui deva nt la Cour de céans, établissent clairement le
contraire.
26. Dès lors, s’il est vrai que les Etats-Unis ⎯ en raison de leur structure institutionnelle et
de leur droit interne ⎯ rencontrent des obstacles importants po ur exécuter les obligations qui leur
incombent en vertu de l’arrêt Avena, ils admettent clairement que l’obligation d’assurer le
réexamen et la revision est une obligation de résultat, et ils ont cherché à obtenir ledit résultat. - 22 -
D.Le Mexique a lui-même reconnu que le prob lème est celui de l’exécution et non de
l’interprétation
27. En réalité, ainsi que notre agent vient de l’expliquer, les Etats-Unis poursuivent leurs
26 efforts visant à exécuter l’arrêt de la Cour. Ils ont cherché à tenir le Mexique informé de leurs
démarches à cet égard. Les Etats-Unis ont cons tamment indiqué aux autorités mexicaines que, de
leur point de vue, toute nouvelle ac tion en justice devant la présente Cour entraverait leurs efforts
au lieu de les faciliter. Certes, il s’agit là du contex te politique de la présente affaire, mais la Cour
doit en être informée dès lors qu’il s’agit d’un élément important de l’approche des Etats-Unis
quant à l’exécution des obligations leur incombant en vertu de l’arrêt Avena.
28. Dans la correspondance échangée entre l es Etats-Unis et le Mexique relativement à
l’arrêt Avena, rien ne suggère l’existence d’une contestation relative à l’interprétation de cette
décision. Toutes les communications émanant du Mexique relativement à l’arrêt Avena ⎯ parmi
lesquelles figurent une note diplomatique, des lettres et des documents de procédure ⎯ confirment
que la question qui s’est posée entre les deux pays avait non pas trait à l’interprétation, mais à
l’exécution de l’arrêt Avena. Ces communications attestent la déception du Mexique au vu des
difficultés rencontrées par les Etats-Unis pour exécuter l’arrêt Avena, mais rien n’indique qu’il
existe un désaccord entre les Parties quant à l’interp rétation de cette décision. Ainsi, dans sa note
diplomatique du 28 mars2008 ⎯qui figure dans votre dossier, sous l’ongle6t ⎯, le
Gouvernement du Mexique s’est dit inquiet de ce que la décision rendue par la Cour suprême en
l’affaire Medellín «priverait d’effet»18 [traduction du Greffe] la décision rendue par la présente
Cour en l’affaire Avena. L’ambassadeur du Mexique aux Etats-Unis a écrit, le 7mai2008, un
article ⎯ qui figure dans le dossier de plaidoirie, sous l’onglet 8 ⎯ dans lequel il est indiqué que
«le Mexique reconnait que les efforts du président Bush aux fins de garantir que les Etats-Unis «se
conformer[on]t à leurs obligations in ternationales» en vertu de l’arrêt Avena, mais que le Mexique
est déçu par la décision rendue en l’affaire Medellín et que «celle-ci aboutit à un paradoxe
déroutant, à savoir qu’une décision peut être cont raignante en vertu du droit international, mais
19
n’être exécutable qu’avec l’intervention du Congrès» [traduction du Greffe] . Ainsi que
18
Note diplomatique en date du 28 mars2008, adressée au département d’Et at des Etats-Unis d’Amérique par
l’ambassade du Mexique.
19
Arturo Sarukhan, «Why enforcing the Vienna Convention makes sense», Dallas Morning News, 7 mai 2008. - 23 -
l’ambassadeurHernández García, conseiller ju ridique du ministère des affaires étrangères du
Mexique et agent en la présente affaire, l’a indiqué le 14 avril 2008 dans une déclaration adressée à
la cour de district du Texas ⎯ et ses propos sont reproduits sous l’onglet 9 de votre dossier :
«l’exécution de l’arrêt Avena était et continue d’être une priorité absolue pour le
Gouvernement Mexicain dans ses relati ons bilatérales avec les Etats-Unis
d’Amérique. Les organes tant exécutif que législatif du Mexique ont confirmé
l’engagement de leur pays d’obtenir le respect plein et entier de la décision de la Cour
27 20
internationale de Justice et ce, par tous les moyens nécessaires.» [Traduction du
Greffe.]
S.Exc.Hernández García a joint à sa déclaration des résolutions du Sénat et de la Chambre des
députés du Mexique, lesquels demandaient au Gouvernement mexicain de prendre toutes les
mesures nécessaires aux fins de garantir l’exécution de l’arrêt Avena. Dans sa résolution, datée
du26mars2008, le Sénat «prie le ministère des affaires étrangères d’eff ectuer, toutes affaires
cessantes, toutes les démarches diplomatiques et d’épuiser toutes les voies de recours devant les
autorités des Etats-Unis d’Amérique et les organes internationaux, aux fins d’exécuter la décision
de la Cour internationale de Justice» 21 [traduction du Greffe].
29. Pas plus tard que le 3juin2008, soit deux jours avant que le Mexique ne dépose sa
demande, S.Exc.Hernández Garcíaa adressé une lettre au conseiller juridique du département
d’Etat des Etats-Unis d’Amérique ⎯lettre qui est reproduite sous l’onglet10 du dossier de
plaidoirie ⎯ dans laquelle il indiquait que «le Gouvern ement du Mexique appréci[ait] la bonne foi
et les efforts constructifs de l’administrati on en vue de répondre à [ses] inquiétudes» et ⎯ plus
important encore aux fins de la présente instance ⎯ relevait que les Etats-Unis «reconnaissaient
que la décision de la CIJ constitu[ait] une obligation juridique incontestable» 22 [traduction du
Greffe]. Dans cette lettre, S.Exc.Hernández García soulignait toutefois les «autres moyens et
20
Déclaration de l’ambassadeur Joel Antonio Hernández García, conseiller juridique du ministère des affaires
étrangères du Mexique, 24avril2008, jointe à la requêt e en réouverture et en prorogation de suspension en
l’affaire Medellín v. Quarterman, action au civil n-3688, cour de district des Etats-Unis d’Amérique du district sud
du Texas.
21
Résolution du Sénat mexicain, 26 mars 2008, jointe à la déclaration de S. Exc. Hernández García.
22
Lettre en date du3juin2008 adressée à JohnBellinger, III, conseiller juridique du département d’Etat des
Etats-Unis d’Amérique par S.Exc.Joel Antonio Hernánd ez García, conseiller juridique du ministère des affaires
étrangères du Mexique. Voir égalemen t le communiqué de presse du ministèr e des affaires étrangères du Mexique,
«LaCour suprême des Etats-Unis d’Am érique rend une décision en l’affaire du ressortissant mexicain Jose Ernesto
Medellin Rojas, condamné à mort dans l’Etat du Texas», 25mars2008 (dans lequel il est indiqué que «[l]e Mexique
continuera à rechercher tous les moyens disponibles afin de garantir que les droits des 51 ressortissants mexicains visés
dans l’arrêt Avena soient pleinement respectés»); communiqué de presse, ministère de s affaires étrangères du Mexique,
«Le Mexique demande l’exécution par une juridiction du Texas de l’arrêt Avena rendu par la Cour internationale de
Justice», 5 mai 2008. - 24 -
mesures» que les Etats-Unis devaient, selon le Gouvernement du Mexique, mettre en Œuvre afin
«d’assurer le respect plein et entier de l’arrêt Avena», exposant précisément la conduite que le
Mexique souhaitait que les Etats-Unis suivent 2. Il est en outre précisé dans la lettre de
S. Exc. Hernández García que, si les Etats-Unis s’engageaient à prendre les mesures indiquées, «le
Mexique ne se représenterait pas, à ce stade, devant la CIJ» 24[traduction du Greffe].
28 30. Aucune de ces communications ne porte sur des questions ayant trait à l’interprétation de
l’arrêt Avena. Elles se concentrent au contraire sur ce que le Mexique a appelé une «priorité
absolue», à savoir ce qui pourrait être considér é comme le «véritable objet» de la demande
aujourd’hui formulée par lui: l’exécution de l’arrêt Avena. Les communications échangées entre
les Etats-Unis et le Mexique porte nt sur l’exécution et non sur l’inte rprétation. Elles n’étayent en
rien la thèse selon laquelle il existerait un différe nd entre le Mexique et les Etats-Unis relativement
à l’interprétation de l’arrêt. Bien au contraire.
E. Le Mexique ne saurait demander à obtenir une satisfaction qui ne serait pas prévue par
l’arrêt Avena
31. Le Mexique n’a donc pas été en mesu re d’identifier une contestation l’opposant aux
Etats-Unis d’Amérique relativement à l’interprétation du point 9 du paragraphe 153.
32. Certes, il se peut que le Mexique ait une préférence quant aux moyens que les Etats-Unis
pourraient employer pour exécuter l’arrêt Avena. Il se peut également, comme nous venons de le
relever, que le Mexique soit déçu parce que les Etats-Unis n’ont, à ce jour, pas été en mesure
d’exécuter de manière pleine et entière l’arrêt. Il se peut enfin que le Mexique soit déçu par le fait
qu’un arrêt de la Cour ne s’impose pas ⎯ en vertu du droit interne des Etats-Unis ⎯ directement
aux juridictions des Etats fédérés. Cela ne signifie cependant pas qu’il existe une contestation entre
les Parties quant à l’obligation juridique internationale découlant de l’arrêt Avena. La manière dont
23 Ibid. En particulier, le Gouvernement du Mexique demandait que des lettres soient adressées tant au
gouverneur du Texas qu’à la Commission des grâces et des librtés conditionnelles du Texas, afin de leur demander
expressément de surseoir pendant trois cents jours au moins la date d’exécution de M. Medellín afin de permettre que soit
pleinement examinée la faisabilité de l’adoption d’une loile Congrès des Etats-Unis et/ou la législature de l’Etat
fédéré», ibid.
24Ibid. - 25 -
les Etats-Unis exécutent, dans leur ordre intern e, l’obligation juridique internationale leur
incombant en vertu de l’arrêt Avena ne crée pas ⎯ et ne saurait créer ⎯ de contestation quant à la
nature de l’obligation internationale qui nous incombe, obligation que nous acceptons.
33. La présente Cour a indiqué clairement que, en vertu de l’article 60 du Statut, il faut que
la demande en interprétation ait «réellement [et uniquement] pour objet» de «faire éclaircir le sens
et la portée de ce qui a été décidé avec force obligat oire par l’arrêt, et non [d’]obtenir la solution de
points qui n’ont pas été ainsi décidés» ( Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950
en l’affaire du droit d’asile (Colombie c.Pérou), arrêt, C.I.J.Recueil1950 , p. 395, p. 402. Voir
également Interprétation des arrêts n o7 et8 (usine de Chorzów), arrêtn o11, 1927, C.P.J.I.
o 25
série A n 13, p. 10-11) . Il s’ensuit que la demande doit être limitée par l’arrêt lui-même. Dans la
demande en interprétation en l’affaire du Droit d’Asile , la Cour a clairement reconnu que
«[l]’interprétation ne saurait en aucun cas dépasser les limites de l’arrêt», et elle a rejeté la
29 demande en interprétation présentée par la Colombie en l’espèce au motif que, «[e]n réalité, les
questions posées par le Gouvernement de la Colomb ie tend[ai]ent à obtenir, par la voie indirecte
d’un arrêt interprétatif, la solution de questions dont la Cour n’a[vait] pas été saisie par les Parties
en cause» (Droit d’asile, plus haut, p.403) 26. Dans son arrêt interpré tatif de1985 en l’affaire du
Plateau continental, la Cour a confirmé qu’une demande formulée en vertu de l’article 60 devait se
limiter à obtenir des éclaircissements sur le sens et la portée sous-jacents de l’arrêt, et indiqué que,
«[d]ans la mesure où la demande en interprétation tunisienne irait plus loin et chercherait «à obtenir
la solution de points qui n’ont pas été ainsi décid és» ou à aboutir à une revision de l’arrêt, aucune
suite ne pourrait lui être donnée» ( Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du
24février1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie
c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 223, par. 56) 27.
25Texte anglais: «must be solely to obtain clarification of the meaning and the scope of what the Court has
decided with binding force, and not to obtain an answer to questions not so decided».
26Texte anglais : «[i]nterpretation can in no way go beyond the limits of the Judgment» ; «[i]n reality, the object
of the questions submitted by the Colombian Government [was ] to obtain, by the indirect means of interpretation, a
decision on questions which the Court was not called upon by the Parties to answer».
27Texte anglais : «[s]o far as the Tunisian request for interpretation may go further, and seek ‘to obtain an answer
to questions not so decided’, or to achieve a revision of the Judgment, no effect can be given to it». - 26 -
34. Comme l’ont écrit les MM.Zimmermann et Thienel dans leur commentaire relatif à
l’article 60, «la Cour étant … liée par les limites de son précédent arrêt, elle ne saurait tenir compte
d’éléments non examinés dans le cadre de l’instan ce initiale ni de tout autre fait postérieur à l’arrêt
28
initial» .
35. Enfin, comme elle l’a relevé en l’affaire Haya de la Torre , la Cour n’est pas en mesure
de déterminer les moyens que doivent employer l es parties à une affaire dont elle est saisie, pour
appliquer ses arrêts. En effet,
«ces voies sont conditionnées par des éléments de fait et par des possibilités que, dans
une très large mesure, les Parties sont seules en situation d’apprécier. Un choix entre
elles ne pourrait être fondé sur des considér ations juridiques, mais seulement sur des
considérations de nature pra tique ou d’opportunité politique; il ne rentre pas dans la
fonction judiciaire de la Cour d’effectuer ce choix.»29Affaire Haya de la Torre
(Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 79.)
30 F. Conclusion
36. Madame le président, Messieurs de la Cour, je conclurai par un bref résumé.
37. Les Etats-Unis ont reconnu leur obligation de se conformer au point 9 du paragraphe 153
de l’arrêt Avena en procédant au réexamen et à la révisi on des verdicts de culpabilité rendus et des
peines prononcées à l’encontre des ressortissants mexicains concernés.
38. Ainsi, aucune contestation n’oppose les Pa rties sur la nature de l’obligation énoncée au
paragraphe 153 de l’arrêt Avena.
39. Si le Mexique veut l’exécution de l’arrêt Avena, cela ne relève ni du sens ni de la portée
dudit arrêt, et ne justifie pas l’interprétation demandée en l’espèce.
40. La question qui se pose à présent devant la Cour porte sur les conséquences, pour la
présente procédure, du fait que le Mexique n’ait pas su définir de contestation au sens de la
jurisprudence de la Cour et des dispositions de l’article 60.
28Andreas Zimmerman et Tobias Thienel, Article 60, in the Statut e of the International Court of Justice: A
commentary, 1283 (Andreas Zimmerman et al.; éd., 2006); voir aussi Manley O. Hudson, The Permanent Court of
International Justice 1920-1942 : A Treatise, p. 591, par. 537: («En procédant à une interprétation, la Cour tient
uniquement compte des faits examinés dans l’arrêt dont l’interprétation est demandée.»)
29Texte anglais :
«these courses are conditioned by fact s and by possibilities which, to a very large extent, the Parties are
alone in a position to appreciate. A choice amongst them could not be based on legal considerations, but
only on considerations of practicability or of political ex pediency; it is not part of the Court’s judicial
function to make such a choice.» - 27 -
41. M.Thessin va aborder cette question, et je vous prie, Madame le président, de bien
vouloir lui donner la parole. Je remercie la Cour de son attention.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Mathias, je donne à présent la parole à M. Thessin.
M. THESSIN :
La Cour ne devrait pas indiquer de mesures conservatoires
1. Bonjour, Madame le président, Messieurs de la Cour. C’est un honneur que de prendre
une nouvelle fois la parole devant cette Cour au nom des Etats-Unis d’Amérique.
2. Comme M. Mathias vient de l’expliquer, il n’y a pas de contestation entre les Etats-Unis
d’Amérique et le Mexique au sujet des questions soulevées par celui-ci dans sa demande en
interprétation de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Avena. L’absence de contestation a des
conséquences juridiques pour la demande de mesures conservatoires présentée par le Mexique à ce
stade de la procédure, et j’examinerai ces con séquences dans mon exposé. Je montrerai que le
Mexique n’ayant pas établi l’existence d’une contest ation nécessitant une interprétation, la Cour
n’est pas fondée à faire droit à sa demande de me sures conservatoires. Cette conclusion se fonde
directement sur la jurisprudence de la Cour en ma tière de mesures conservatoires, et sur des règles
de portée plus générales qu’elle a énoncées dans le cas de demandes dénuées de pertinence.
31 3. Cette Cour ⎯ comme toute instance judiciaire ⎯ a pour mandat de régler des différends.
En l’absence d’un différend, la Cour ne saura it prendre de décisions dont il faille tirer des
conséquences. Qu’elles aient trait à des mesur es conservatoires ou à des questions de fond, les
affaires portées devant cette Cour ont souligné l’importance de ce principe. La Cour a
constamment refusé de connaître de demandes ne présentant pas de véritable différend ou de
demandes dont elle a estimé que tout examen serait dépourvu d’objet ou d’utilité.
4. Dans le cadre de mon exposé, j’examin erai l’application de ces principes dans la
jurisprudence de la Cour et je démontrerai qu’elles conduisent inévitablement à conclure que la
Cour devrait rejeter la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Mexique.
Je soulèverai trois points essentiels à l’appui de cet argument. Premièrement, comme le montre la
jurisprudence la Cour en matière de mesures conservatoires, en l’absence d’une contestation à - 28 -
propos des arguments du Mexique quant au fond, la Cour n’est pas compétente prima facie pour
indiquer les mesures conservatoires demandées par ce pays et devrait donc rejeter sa demande.
Deuxièmement, selon des principes de la jurisprudence de la Cour d’application plus large,
l’absence de contestation prive d’objet la demande au fond du Mexique. Troisièmement, l’absence
d’une contestation à propos de la demande au fond du Mexique distingue la présente espèce des
autres affaires précédemment soumises à la Cour en relation avec la convention de Vienne sur les
relations consulaires. Les éléments qui ont convaincu la Cour d’indiquer des mesures
conservatoires dans ces affaires font défaut en l’espèce.
5. Nous faisons valoir que ces points devrai ent inévitablement conduire à la conclusion que
la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Mexique devrait être rejetée.
6. Avant d’aborder ces trois points, je souhaiterais faire une première observation. La Cour a
qualifié de «pouvoir exceptionnel» sa compéten ce pour indiquer des mesures conservatoires.
(Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), mesures con servatoires, ordonnance du
11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p.11, par.32). Les parties à une affaire devant la Cour
n’ont pas automatiquement droit à des mesures conservatoires. Au contraire, la Cour n’indique ces
mesures qu’à titre discrétionnaire et uniquement qua nd elle est persuadée qu’elles sont nécessaires
et appropriées pour qu’elle puisse mener à bien sa fonction judiciaire. Comme je vais le démontrer,
la demande du Mexique ne répond pas à cette condition.
7. A l’inverse, le Mexique a présenté une demande de mesures conservatoires sans
précédent. Jamais auparavant la Cour n’avait indiqué de mesures conservatoires dans le cadre
32 d’une procédure visant l’interprétation d’un arrêt qu’elle avait rendu précédemment.
Contrairement à des affaires ayant trait à d’autres types de demandes quant au fond, les parties à
une demande en interprétation so umise à la Cour sont déjà liées par un arrêt définitif rendu par
celle-ci dans une procédure antérieure. En examinant la recevabilité de demandes en interprétation,
la Cour a souligné la nécessité de procéder av ec prudence pour «ne pas porter atteinte au caractère
définitif de l’arrêt et [pour] ne pas en retarder l’exécution» ( Demande en interprétation de l’arrêt
du 11juin1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(CamerounN ci.géria), exceptions préliminaires (NigériaCc.meroun), arrêt,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p.36, par.12). Ainsi, l’examen de la demande en indication de mesures - 29 -
conservatoires soumise dans le cadre de la pr ésente demande en inte rprétation relève d’une
nouvelle procédure et la Cour doit s’assurer que le Mexique a invoqué à l’appui de sa demande une
base de compétence clairement définie.
A.Etant donné qu’aucune contestation ne resso rt de la demande du Mexique au fond, la
Cour n’est pas compétente prima facie pour indiquer des mesures conservatoires
8. J’en viens à présent à mon premier point, et vais examiner la demande du Mexique à la
lumière de la compétence de la Cour pour indiquer des mesures conservatoires. Je montrerai qu’en
l’absence d’une véritable contestation à propos des questions sou
levées par le Mexique quant au
fond, la Cour n’est pas compétente prima facie pour faire droit à la demande de mesures
conservatoires en cause.
9. Selon la jurisprudence bien établie de la Cour, celle-ci indique des mesures conservatoires
uniquement si elle est compétente prima facie pour connaître de la demande de la partie requérante
sur le fond. Comme la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises,
«[L]orsqu’elle est saisie d’une demande en indication de mesures
conservatoires, la Cour n’est pas tenue de s’assurer de manière définitive qu’elle a
compétence quant au fond de l’affaire, mais qu’elle ne peut indiquer ces mesures que
si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une
base sur laquelle [s]a compétence…pourrait être fondée 3.» (Affaire relative à des
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c.Uruguay, demande en
indication de mesures conservatoires, ordonnance j1 uuile0t06,
C.I.J. Recueil 2006, p. 158, par. 57.)
33 10. Cette doctrine vise à éviter à la Cour d’exercer les «pouvoirs extraordinaires» lui
permettant d’indiquer des mesures conservatoires, dans des affaires qui risquent en définitive d’être
rejetées pour d’autres raisons.
30Texte anglais :
«[I]n dealing with a request for provisional measur es, the Court need not finally satisfy itself that
it has jurisdiction on the merits of the case, but [it] will not indicate such measures unless the provisions
invoked by the applicant appear, prima facie, fford a basis on which the jurisdiction of the Court
might be established.»
Voir aussi, Mandat d’arrêt du 11avril2000 (République démocratique du Congo c.Belgique), mesures
conservatoires, ordonnance du 8décembre 2000, C.I.J. Recueil 2000 , p. 250, par. 67 ; Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Ni géria), mesures conservatoires, ordonnance du 15mars1996,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p.21, par.3Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unià Téhéran (Etats-Unis
d’Amérique c.Iran), mesures conservatoires, ordonnance du 15déce mbre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 13, par. 15 ;
Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Isl ande), mesures conservatoires, ordonnance
du 17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 33, par. 15. - 30 -
11. Pour établir la compétence prima facie de la Cour, alors que la question de fond relève de
l’article60, le Mexique ne doit pas se contenter d’invoquer un arrêt antérieur de la Cour ni de
déclarer de manière contestable qu’il existe un désacco rd au sujet de cet arrêt. Si, dans le cadre
d’une demande en interprétation, des simples a llégations quant à l’existence d’une contestation
suffisaient à établir la compétence de la Cour pou r faire droit à des mesures conservatoires, le
critère de la compétence prima facie serait une formalité secondair e dont toute partie pourrait
31
s’acquitter en faisant simplement preuve d’ingéniosité dans sa plaidoirie .
12. A l’inverse, la Cour a précisé qu’une partie demandant des mesures conservatoires devait
également démontrer que sa thèse quant au fond est de nature à se conformer aux dispositions de
l’instrument qu’elle invoque comme base de co mpétence de la Cour pour connaître de cette
demande. A cet égard, la Cour a refusé d’indiquer des mesures conservatoires quand des parties
n’ont pas su établir de lien entre l’instrument qu’elles ont invoqué à l’appui de sa compétence et les
droits faisant l’objet de leur demande quant au fond. En l’espèce, dans la demande en
interprétation au titre de l’article60 du Statut de la Cour, le Mexique doit établir l’existence d’un
lien entre sa demande et l’article60, et celle d’une véritable contestation relative au sens et à la
portée de l’arrêt Avena.
13. Ce critère est illustré par la manière dont la Cour a tranché les demandes en indication de
mesures conservatoires présentées dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force ayant
opposé la Yougoslavie à la Belgique et l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo, qui
a opposé le Congo au Rwanda.
14. Dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force , la Cour a rejeté les mesures
conservatoires demandées par la Yougoslavie contre la Belgique. La Cour est parvenue à cette
34 décision bien qu’elle ait estimé que les arguments de fond invoqués par la Yougoslavie, sur le
fondement de la convention sur le génocide semblaient fournir au moins une base de compétence
probable pour la demande de la Yougoslavie quant au fond.
31Une demande en interprétation au titre de l’article60 est potentiellement la seule base de compétence que
puisse invoquer le Mexique pour saisir la Cour d’une question concernant la violation de la convention de Vienne sur les
relations consulaires. Le 7 mars 2005, les Etats-Unis d’Amérique se sont retirés du protocole de signature facultative de
cette convention. - 31 -
15. La Cour a commencé son analyse en faisan t observer que la Yougoslavie et la Belgique
étaient toutes deux parties à la convention sur le génocide, à laquelle elles avaient adhéré sans
émettre de réserves puis elle a conclu que cette convention «sembl[ait] ainsi constituer une base sur
laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée, pour autant que l’objet du différend ait trait
à «l’interprétation, l’application ou l’exécution» de ladite convention» ( Licéité de l’emploi de la
force (Yougoslavie cB .elgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
32
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 137, par. 37) .
16. Cependant, en analysant si elle était compétente prima facie pour faire droit aux mesures
conservatoires demandées par la Yougoslavie, la Cour ne s’est pas bornée à conclure que la
convention sur le génocide pourrait constituer une base lui permettant d’examiner la thèse de la
Yougoslavie quant au fond. La Cour est allée bien plus loin que cette conclusion. Elle a recherché
«si les violations de la convention alléguées par la Yougoslavie [étaient] susceptibles
d’entrer dans les prévisions de cet instrume nt et si, par suite, le différend [était] de
ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae» (ibid..,
p. 137, par. 38) .3
La Cour a relevé à cet égard «[qu’]à l’effet d’établir, même prima facie, si un différend … existe,
[elle ne pouvait] se borner à constater que l’une d es parties soutient que la convention s’applique
34
alors que l’autre le nie» (ibid.) .
17. La Cour a ensuite examiné les allégations de la Yougoslavie faisant spécifiquement grief
à la Belgique d’avoir agi au mépris des dispositions pertinentes de la convention sur le génocide.
Sur la base de cet examen, la Cour a déclaré qu’elle «n’était pas en mesure de conclure, à ce stade
de la procédure, que les actes que la Yougoslavie impute [à la Belgique] seraient susceptibles
d’entrer dans les prévisions de la convention sur le génocide» et que la convention «ne constitu[ait]
35 pas une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima facie être fondée» ( ibid.,
35
par. 41) . La Cour a donc refusé d’indiquer les mesures conservatoires demandées.
32Texte anglais : «appear[ed] to constitute a basis on whic h the jurisdiction of the Court might be founded to the
extent that the subject-matter of the dispute relates to ‘the interpretation, application or fulfilment’ of the Convention».
33Texte anglais : «whether the breaches of the Convention alleged by Yugoslavia are capable of falling within the
provisions of that instrument and whet her, as a consequence, the dispute isone which the Court has jurisdiction
ratione materiae to entertain . . .»
34Texte anglais: «in order to determine, even prima faci e, whether a dispute... exists, the Court cannot limit
itself to noting that one of the Parties maintains that the Convention applies while the other denies it».
35Texte anglais : «cannot accordingly constitute a basis on which the jurisdiction of the Court could prima facie
be founded». - 32 -
18. La Cour a adopté une approche similaire dans Activités armées sur le territoire du
Congo. Dans cette affaire, invoqua nt un certain nombre de convent ions multilatérales à l’appui de
sa thèse contre le Rwanda, le Congo a demandé à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires.
19. En examinant la demande de mesures conservatoires présentée par le Congo, la Cour a
étudié chacun des arguments au regard des divers instruments invoqués et a évalué dans chaque cas
si l’instrument considéré constituait une b ase sur laquelle elle pouvait indiquer des mesures
conservatoires. Dans certains cas, la Cour a c onclu que les instruments invoqués par le Congo ne
pouvaient fournir une base de compétence à la C our même au stade du fond, étant donné que le
Rwanda n’était pas partie à l’instrument considéré ou que les conditions préalables à la saisine de la
Cour n’étaient pas remplies ( Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002)
(République démocratique du Congo c.Rw anda), mesures conservatoires, ordonnance du
10 juillet 2002, C.I.J. Recueil 2002, p. 241-248, par. 57-82).
20. Cependant, dans le cas d’un autre instrument , à savoir, la convention portant création de
l’Unesco, la Cour a conclu qu’elle semblait être compétente pour connaître de différends pertinents
surgissant entre les parties au sujet de cet instrument. Mais comme dans l’affaire Yougoslavie c.
Belgique, la Cour n’a pas jugé que cette conclusion suffisait à elle seule à justifier des mesures
conservatoires. Au contraire, la Cour est allée plus loin et a examiné la question de savoir si les
arguments formulés par le Congo sur le fondement de la convention portant création de l’Unesco se
rapportaient suffisamment aux droits prévus dans cette convention de manière à constituer une base
sur laquelle des mesures conservatoires pourraient être indiquées.
21. Sur ce point, la Cour a fait observer que la convention portant création de l’Unesco
n’envisageait la compétence de la Cour pour connaître de différends «qu’en matière
d’interprétation de ladite conven tion» et que la demande qui lui était soumise «n’apparai[ssait]
donc pas entrer dans les prévisions dudit article». La Cour a donc conclu qu’elle ne pouvait
indiquer de mesures conservatoires en relati on avec la demande du Congo portant sur cet
instrument (ibid.).
36 22. Comme ce fut le cas dans les affaires de la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie
c. Belgique) et Congo c. Rwanda, la demande du Mexique doit être rejetée parce que sa thèse quant
au fond ne relève pas, par essence, de la compét ence prévue par l’instrument sur lequel elle se - 33 -
fonde. La demande du Mexique est fondée sur l’ article60 du Statut de la Cour qui suppose
l’existence d’une contestation préalable à une pro cédure d’interprétation. Comme M.Mathias l’a
longuement expliqué, les Etats-Unis ne contestent pas l’interprétation de l’arrêt Avena que
demande le Mexique en l’espèce. Les Etats-Unis reconnaissent pleinement que cet arrêt leur
impose une obligation de résultat, et qu’ils sont tenus à cet effet d’assurer le réexamen et la révision
des verdicts de culpabilité rendus et des pe ines prononcées à l’encontre des ressortissants
mexicains nommés dans cet arrêt.
23. En l’absence d’une contestation sur les questions soulevées par le Mexique dans sa
demande en interprétation, cette demande n’entre pas dans les prévisions de l’article60. En
conséquence, comme l’a Cour l’a d éclaré en l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force
(Yougoslavie c. Belgique), elle n’a pas compétence ratione materiae pour connaître de la Demande
en interprétation du Mexique ; celui-ci n’y formule aucune demande à laquelle la Cour pourra faire
droit au stade du fond. Dans ces conditions, la Cour n’a pas la compétence prima facie requise
pour indiquer des mesures conservatoires, et elle devrait donc rejeter la demande du Mexique.
B. Etant donné qu’aucune contestation ne ressort de la demande du Mexique au fond, celle-ci
est sans objet, comme le serait tout remède y afférent
24. J’ai jusqu’ici examiné la demande du Mexique à la lumière de la jurisprudence de la
Cour relative à l’indication de mesures conservato ires. Permettez-moi de passer à présent à mon
second point principal et d’analyser la jurisprudenc e plus générale de la Cour qui est elle aussi
pertinente aux fins de déterminer la suite à donner à la demande du Mexique. A cet égard, le
principe général selon lequel la Cour devrait s’abstenir d’examiner des questions en l’absence d’un
but judiciaire à son action se retrouve dans toute la jurisprudence de la Cour. Comme
Shabtai Rosenne l’a fait observer dans son traité sur le droit et la pratique de la Cour, celle-ci s’est
abstenue de rendre des décisions dès lors que son action n’aurait eu aucune portée pratique ou que
le cas de l’espèce était abstrait ou purement théorique 36. Ce principe généra l est illustré par des
affaires telles que celles des Essais nucléaires et du Cameroun septentrional, dans lesquelles les
37 différends étaient, pour l’essentiel, devenus sans obj et ou dans lesquelles la décision de la Cour
36
Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court 1920-2005, p. 534, note 73, 2006. - 34 -
n’aurait eu aucun effet pratique . Ces affaires viennent dava ntage étayer la proposition selon
laquelle, en l’absence d’une contestation à trancher par la Cour en ce qui concerne la demande du
Mexique au fond, il serait inopportun pour la Cour de faire droit à cette demande, y compris à la
demande en indication de mesures conservatoires.
25. Dans les affaires des Essais nucléaires, l’Australie et la Nouvelle-Zélande avaient fait
valoir que la poursuite des essais nucléaires dans l’atmosphère par la Fran ce violerait le droit
international. La Cour a fait observer que, apr ès le dépôt des requêtes dans ces affaires, la France
avait fait une déclaration publique aux termes de laquelle elle s’engageait à mettre fin à ses essais
nucléaires dans l’atmosphère, et a conclu que, pa r cette déclaration, la France avait contracté
l’obligation juridique internationale contraignante de respecter son engagement. La Cour a déclaré
qu’«ayant conclu que le défendeur a[vait] assumé une obligation de comportement … aucune autre
action judiciaire n’[était] nécessaire» ( Essais nucléaires (Australie cF .rance), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 252, par. 56) 37. La Cour a donc refusé de se prononcer sur le fond, déclarant
que «la présente affaire [était] l’une de cell es dans lesquelles les circonstances qui se sont
produites … rendent toute décision judiciaire sans objet. La Cour ne [voyait] donc pas de raison de
laisser se poursuivre une procédure qu’elle [savait] condamnée à rester stérile» (ibid., par. 58) 38.
26. Le principe selon lequel la Cour ne de vrait pas rendre des ordonnances qui seraient sans
objet est, comme le démontre l’affaire du Cameroun septentrional, fermement enraciné dans la
manière dont elle comprend sa mission en tant qu’i nstitution judiciaire. Dans cette affaire là, le
Cameroun a prié la Cour de déclarer que le Royaume-Uni avait violé l’accord de tutelle pour le
territoire du Cameroun dans le cadre de son administration de ce territoire en tant qu’autorité de
tutelle. La Cour a toutefois indiqué que, à la suite du dépôt de la requête du Cameroun,
l’Assemblée générale des NationsUnies avait va lablement mis fin à l’accord de tutelle et que
37Texte anglais : «having found that the Respondent has assumed an obligation as to conduct...no further
judicial action is required».
38Texte anglais : «the present case is one in which ‘circumstances that have... arisen render any adjudication
devoid of purpose’... The Court therefore sees no reasonto allow the continuance of proceedings which it knows are
bound to be fruitless.» - 35 -
le Royaume-Uni n’avait n’assumait plus aucune autorité en vertu de cet accord. Parce que le
Cameroun ne cherchait, dans sa demande, à obtenir qu’un jugement déclaratoire, la Cour a conclu
qu’une procédure visant à examiner cette demande serait sans objet.
38 27. La Cour a fondé sa décision sur la mission et l’objet fondamentaux dont elle est impartie
en tant qu’institution judiciaire. La Cour a écrit que :
«La fonction de la Cour est de dire le dr oit, mais elle ne peut rendre des arrêts
qu’à l’occasion de cas concrets dans lesque ls il existe, au moment du jugement, un
litige réel impliquant un conflit d’intérêts juridiques entre les parties. L’arrêt de la
Cour doit avoir des conséquences pratiques en ce sens qu’il doit pouvoir affecter les
droits ou obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude
dans leurs relations juridiques. En l’es pèce, aucun arrêt rendu au fond ne pourrait
répondre à ces conditions essentielles de la fonction judiciaire.» ( Cameroun
septentrional (Cameroun c R.oyaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1963, p. 33-34.) 39
28. Plus loin dans l’arrêt, la Cour a résumé sa position dans les termes suivants :
«La Cour doit s’acquitter du devoir sur le quel elle a déjà appe lé l’attention et
qui consiste à sauvegarder sa fonction judiciaire. Qu’au moment où la requête a été
déposée la Cour ait eu ou non compétence pour trancher le différend qui lui était
soumis, il reste que les circonstances qui se sont produites depuis lors rendent toute
décision judiciaire sans objet. La Cour estime dans ces conditions que, si elle
examinait l’affaire plus avant, elle ne s’acquitterait pas des devoirs qui sont les siens.»
(Ibid., p. 38.)40
29. En outre, s’agissant des demandes en interprétation, la Cour a refusé de connaître celles
qui porteraient sur ses arrêts précédents lorsqu’e lle estimait s’être déjà prononcée sur les questions
précises qui y étaient soulevées. En l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria , la Cour a rejeté la demande en interprétation de l’arrêt sur les
exceptions préliminaires déposée par le Nigéria (Demande en interprétation de l’arrêt du
11juin1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
39 Texte anglais :
«The function of the Court is to state the la w, but it may pronounce judgment only in connection
with concrete cases where there exists at the time of the adjudication an actual controversy involving a
conflict of legal interests beteen the parties. The Court’s judgment must have some practical
consequence in the sense that it can affect existing legal rights or obligations of the parties, thus removing
uncertainty from their legal relations. No judgmen t on the merits in this case could satisfy these
essentials of the judicial function.»
40 Texte anglais :
«The Court must discharge the duty to which it has already called attention⎯ the duty to
safeguard the judicial function. Whether or not at the moment the Application was filed there was
jurisdiction in the Court to adjudicate upon the dispute submitted to it, circumstances that have since
arisen render any adjudication devoid of purpose. Under these conditions, for the Court to proceed
further in the case would not, in its opinion, be a proper discharge of its duties.» - 36 -
(Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (NigériaCc a.meroun), arrêt,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p.31, par.19). La Cour a d’abord souligné la nécessité de ne pas porter
atteinte au caractère définitif de l’arrêt ainsi qu’à la primauté du principe de l’autorité de la chose
jugée (ibid., par. 12). La Cour a ensuite expliqué que , dans son arrêt précédent sur les exceptions
préliminaires, elle avait clairement répondu aux questions sur lesquelles le Nigéria cherchait à
39 obtenir une interprétation ( ibid., par. 16). Etant donné qu’elle n’ avait pas à davantage préciser ce
qu’elle avait déjà dit sur ces questions, la C our a jugé qu’elle ne pouvait pas connaître de la
demande du Nigéria.
30. Comme c’était le cas des demandes présentées dans les affaires des Essais nucléaires et
du Cameroun septentrional auxquelles la Cour a refusé de faire droit, le Mexique prie la Cour dans
sa demande en interprétation de rendre une déci sion qui serait sans objet. Comme MM. Bellinger
etMathias l’ont clairement montré, les Etats-Unis s’accordent avec le Mexique pour dire que
l’arrêt Avena impose une obligation de résultat. Et ils ont reconnu leur obligation de procéder au
réexamen et à la revision. Faire droit à la demande en interprétation du requérant, y compris à
l’indication de mesures conservatoires, ne servirait qu’à réaffirmer une obligation déjà reconnue, ce
que la Cour a clairement refusé de faire dans l’affaire des Essais nucléaires. Tandis que les affaires
des Essais nucléaires et du Cameroun septentrional étaient devenues sans objet à la suite de
développements postérieurs au dépôt de la requête du demandeur, les principes du défaut d’objet
exposés dans ces affaires s’appliquent également à la présente espèce où la demande du Mexique
est sans objet depuis le début.
31. Et de même que dans l’affaire Cameroun c.Nigéria, la Cour a déjà répondu aux
questions que le Mexique lui demande d’examiner. La Cour ne peut, dans la présente procédure,
rien dire de plus sur la signification et la portée de l’arrêt Avena qu’elle n’a déjà dit dans le texte de
cet arrêt. Une nouvelle ordonnance de la Cour répétant l’arrêt Avena ne permettrait pas d’éclairer
plus avant les Parties sur leurs droits et obliga tions. Elle n’aurait pas non plus d’autres effets
juridiques, étant donné que les Etats-Unis ont dé jà l’obligation contraignante en vertu du droit
international de respecter l’arrêt Avena; une nouvelle ordonnance en indication de mesures
conservatoires portant sur les mêmes points que l’arrêt Avena ne renforcerait ni n’étendrait le
caractère obligatoire de cette obligation. - 37 -
32. Ainsi que la Cour l’a déclaré en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo,
elle «ne saurait … indiquer des mesures tendant à protéger des droits contestés autres que ceux qui
pourraient en définitive constituer la base d’un arrêt rendu dans l’exercice de» la compétence de la
Cour sur des demandes portant sur le fond ( Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle
requête : 2002) (République démocratique du Congo c.Rwanda), mesures conservatoires,
ordonnance du 10 juillet 2002, C.I.J. Recueil 2002, p. 241, par. 58) 41. Etant donné qu’un arrêt sur
40 le fond de la demande en interprétation du Mexique serait sans objet, aucun des droits visés par
cette demande ne peut constituer la base d’un arrêt sur le fond, et partant ne peut être légitimement
préservé par l’indication de mesures conservatoires.
C. La demande en indication de mesures conservatoires du Mexique diffère nettement des
demandes présentées dans des affaires précédentes en vertu de la convention de Vienne
33. J’ai à présent montré qu’en vertu de la jurisprudence de la C our relative aux mesures
conservatoires et de la jurisprudence plus générale de celle-ci, la demande en indication de mesures
conservatoires du Mexique doit être rejetée. En l’absence d’un véritable différend à propos des
questions soulevées par le Mexique dans sa demande en interprétation, il n’existe aucune
compétence prima facie à l’égard de cette demande pouvant constituer une base à l’indication de
mesures conservatoires. Dans le même sens, en l’absence d’un différend, la demande du Mexique
au fond devient sans objet et ne peut demander l’ indication de mesures conservatoires des droits
qui y sont invoqués.
34. Ayant examiné les raisons d’écarter la demande en indication de mesures conservatoires
du Mexique, je voudrais à présent me pencher brièveme nt sur mon troisième point et examiner les
allégations du Mexique selon lesque lles sa demande serait étayée par les mesures conservatoires
que la Cour a indiquées dans de précédentes affair es concernant la convention de Vienne sur les
relations consulaires. A cet égard, l’absence d’un véritable différend sur les questions soulevées
par la demande du Mexique au fond différencie considérablement sa demande en indication de
mesures conservatoires présentée aujourd’hui à la Cour de celles qui avaient été présentées dans les
affaires Breard, LaGrand et Avena.
41
Texte anglais : «should not... icate measures for the prot ection of any disputed rights other than those
which might ultimately form the basis of a judgment in the exercise of the Court’s jurisdiction over the claim on the
merits». - 38 -
35. Dans chacune des trois précédentes affair es concernant la notification consulaire, il
existait bien un véritable différend entre les parties sur les obligations incombant au défendeur. En
particulier, dans chacune des ces affaires, les pa rties s’opposaient sur le remède à apporter à la
violation alléguée de la convention de Vienne sur les relations consulaires ( Convention de Vienne
sur les relations consulaires (Paraguay c.Etat s-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 256, par. 31 ; LaGrand (Allemagne
cE. tats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.. ecueil001 , p. 482, par. 42 ; Avena et autres
ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance
du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p.88, par.46). Dans l’affaire Breard ( Convention de
Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
41 ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 256, par. 31), les parties n’étaient pas d’accord
sur la question de savoir si la convention de Vie nne prévoyait des remèdes en cas de violation.
Dans l’affaire LaGrand (LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Am érique), mesures conservatoires,
ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p.14, par.17), les parties s’opposaient sur le
point de savoir si la Cour pouvait procurer des remèdes aux violations de la convention de Vienne
commises par une partie dans le cadre d’une procédure interne. En ce qui concerne la demande de
mesures conservatoires en l’affaire Avena ( Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique
c.tats-Unis d’Amérique), mesures c onservatoires, ordonnance dufé 5vri2003,
C.I.J. Recueil 2003, p.88, par.46), les parties étaient divisées sur le point de savoir si les
Etats-Unis étaient tenus de juger à nouveau les personnes qui n’avaient pas reçu de notification
consulaire.
36. Dans la présente affaire, il n’y a, en revanche, aucun différend entre les Parties sur les
questions soulevées dans les demandes du Mexique au fond. L’une et l’autre Partie s’accordent à
dire que le point 9 du paragraphe 153 de l’arrêt Avena, la disposition mise en cause par le Mexique,
impose aux Etats-Unis une obligation internationale de résultat. En la présente espèce, à la
différence des précédentes affaires concernant la convention de Vienne, les mesures prises par les
Etats-Unis au cours de la présente instance ne pourraient porter atteinte à aucun des droits contestés
que le Mexique invoque dans sa demande au fond, et il n’existe donc aucun droit pouvant
valablement fonder une ordonnance en indication de mesures conservatoires. - 39 -
D. La Cour devrait considérer que la demande du Mexique au fond est irrecevable en raison
d’une absence manifeste de compétence
37. Madame le président, je vais bientôt c onclure mon exposé. Avant de récapituler, je
voudrais formuler une dernière observation. Comm e je l’ai montré, en l’absence d’un véritable
différend à propos des questions sur lesquelles le Mexique cherche à obtenir une interprétation de
l’arrêt Avena, force est de conclure que la Cour ne de vrait pas indiquer les mesures conservatoires
demandées par le Mexique. Ces considérations ont également des conséquences sur la position
qu’il convient d’adopter sur le fond de la demande en interprétation de celui-ci.
38. En l’absence de questions en litige au suje t de cette demande, celle-ci est inévitablement
viciée et manifestement irrecevable. Toute ordonnance sur le fond de la demande serait sans objet ;
elle ne ferait que confirmer des points sur lesquels les Parties sont déjà d’accord. Dans l’affaire
relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a rejeté
l’ensemble de la demande de la Yougoslavie formée contre les Et ats-Unis au stade des mesures
conservatoires. La Cour a conclu qu’«[elle ] n’a[vait] manifestement pas compétence pour
42 connaître de la requête de la Yougoslavie» et que «maintenir au rôle général une affaire sur laquelle
il apparaît certain que la Cour ne pourra se prononcer au fond ne participerait assurément pas d’une
bonne administration de la justice» ( Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c.Etats-Unis
d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnan ce du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (II), p.916,
par. 29)42. Ces mêmes considérations s’appliquent manifestement à la présente espèce et la Cour
devrait, en conséquence, envisager sérieuseme nt de rejeter l’ensemb le de la demande en
interprétation du Mexique dans son ensemble à ce stade de la procédure.
E. Conclusion
39. Permettez-moi de résumer les points principaux. Aucune contestation ne découle de la
demande du Mexique au fond. En consé quence, il n’existe aucune compétence prima facie
permettant d’accéder à la demande en interprétation de l’arrêt Avena présentée par le Mexique en
vertu de l’article60 du Statut de la Cour. En effet, en l’absence d’une contestation du sens de
l’article60, la demande du Mexique devient sans objet et la Cour serait entraînée dans une
42
Texte anglais : «the Court manifestly lacks jurisdiction to entertain Yugoslavia’s Application … to maintain on
the General List a case upon which it appears certain Court will not be able to adjudicate on the merits would
most assuredly not contribute to the sound administration of justice». - 40 -
entreprise sortant du cadre de sa fonction judiciaire. En conséquence, la C our ne devrait pas faire
droit à la demande en indication de mesures con servatoires du Mexique. Et, parce que la demande
en interprétation de celui-ci ne soulève aucune question pouvant être légitimement réglée par la
Cour, elle devrait tout simplement faire de même en rejetant cette requête.
40. Le Mexique a demandé à la Cour de s’enga ger sur une route qui ne mène nulle part, une
impasse judiciaire qui la porte directement à conclu re qu’elle n’a ni juridiction ni compétence. La
Cour doit à présent clairement voir que cette affaire est dépourvue de fondement juridique.
41. Madame le président, Messieurs de la C our, je vous remercie. Je vous prie de bien
vouloir à présent appeler M. Mattler.
Le PRESIDENT: Merci, Monsieur Thessin. La Cour va maintenant faire une pause de
courte durée. L’audience est levée.
L’audience est suspendue de 16 h30 à 16 h50.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Mattler, c’est à votre tour de prendre la
parole devant la Cour.
43 M. MATTLER :
La demande en indication de mesures conservatoires du Mexique va au-delà du remède
recherché dans sa demande en interprétation
1. Madame le président, Messieurs de la C our, je vous remercie. C’est un honneur pour moi
de me présenter à nouveau devant cette Cour et de représenter les Etats-Unis d’Amérique.
2. Je me pencherai brièvement sur la forme des mesures conservatoires demandées par le
Mexique.
3. Lors de l’examen de la demande du Mexi que, la Cour devrait prendre dûment compte du
bien-fondé et de la portée de toute mesure conser vatoire qu’elle pourrait envisager d’indiquer. En
vertu de l’article41 de son Statut, la Cour pe ut indiquer quelles mesures conservatoires «du droit
de chacun doivent être prises à titre provisoire». Comme la Cour l’a reconnu, cela signifie que
toute mesure conservatoire indiquée a pour objet de préserver les droits en cause au stade du fond
du différend. Dans l’affaire de la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 , la Cour a refusé d’indiquer - 41 -
des mesures conservatoires au motif que «les dro its allégués dont il [était] demandé qu’ils fassent
l’objet de mesures conservatoires n’[étaient] pas l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur
le fond de l’affaire» et que, par conséquent, «aucune mesure de ce genre ne saurait être incorporée
dans l’arrêt de la Cour sur le fond» (affaire de la Sentence arbitrale du 31juillet1989
43
(Guinée-Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 70, par. 26) .
4. Les mesures conservatoires demandées par le Mexique ne remplissent pas le critère fixé
par la Cour. Elles dépassent «l’objet de l’in stance pendante devant la Cour sur le fond de
l’affaire». A l’alinéa a) du paragraphe 15 de sa demande en indications de mesures conservatoires,
le Mexique prie la Cour d’ordonner :
«que le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique…prenne toutes les mesures
nécessaires pour faire en sorte que, dans l’attente de l’issue de la procédure engagée ce
jour, il ne soit pas procédé à l’exécution de José Ernesto Medellín,
CésarRobertoFierro Reyna, Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García et
Roberto Moreno Ramos».
5. La décision demandée par le Mexique prétend interdire aux Etats-Unis de procéder à
l’exécution de ces individus avant que la Cour ait pu statuer sur la demande en interprétation du
Mexique.
44 6. Les mesures demandées vont au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les droits dont
se prévaut le Mexique dans sa demande en interprétation. Dans sa requête, le Mexique ne demande
pas une interprétation de l’arrêt Avena qui opposerait aux Etats-Unis une interdiction absolue de
procéder à l’exécution des peines prononcées da ns l’un quelconque des cas visés dans
l’arrêt Avena. Ce que le Mexique demande à la Cour, c’est d’interpréter l’arrêt Avena précisément
dans le sens qui est le sien, à savoir que les Etats-Un is sont tenus de ne faire exécuter aucune peine
dans aucun de ces cas, à moins que les intéressés aient pu bénéficier d’un réexamen et d’une
revision et qu’il ait pu être établi qu’aucun préjudice n’a été causé en raison d’une violation de la
convention de Vienne.
7. L’interprétation particulière que cherche à obtenir le Mexique s’appuie sur trois éléments.
Premièrement, le paragraphe d’introduction de la décision demandée, dans lequel la Cour est priée
43
Texte anglais : «the alleged rights s ought to be made the subject of provisi onal measures are not the subject of
the proceedings before the Court on the merits of the case; any such measures cobe subsumed by the Court’s
judgment on the merits». - 42 -
de «dire et juger que l’obligation incombant aux Etats-Unis d’Amérique en vertu du point9 du
paragraphe153 de l’arrêt Avena constitue une obligation de résu ltat» —en d’autres termes, le
«résultat» requis, c’est l’obligation incombant aux Etats-Unis d’assurer le réexamen et la revision
des cas en question.
8. Deuxièmement, l’alinéa 1) de la décision de mandée, dans lequel la Cour est priée de dire
et juger que, conformément à cette obligation de résultat, les Etats-Unis doivent prendre toute
mesure nécessaire en vue d’assure r le réexamen et la revision prescrits à titre de réparation par
l’arrêt Avena.
9. Troisièmement, l’alinéa2) de l’interprétation demandée, dans lequel la Cour est priée de
dire et juger que cette obligation de résultat signi fie aussi que les Etats-Unis d’Amérique doivent
prendre toute mesure nécessaire pour faire en so rte qu’aucun ressortissant mexicain visé dans
l’arrêt Avena ne soit exécuté à moins et jusqu’à ce que le réexamen et la revision requis par
l’arrêt Avena aient eu lieu et qu’il ait été établi qu’aucun préjudice n’avait résulté de la violation de
la convention de Vienne.
10. Rien, dans l’interprétation demandée par le Mexique au stade du fond de la présente
procédure, n’empêche les Etats-Unis de procéder à l’exécution d’une peine après avoir, ainsi que
l’a prescrit l’arrêt Avena, assuré le réexamen et la revision et avoir dûment établi qu’aucun
préjudice n’a été causé. Cela dit, la demande en indication de mesures conservatoires ne porte pas
sur le réexamen et la revision à assurer, mais sur l’exécution de la peine elle-même, que le
réexamen et la revision aient été ou non assurés. En d’autres termes, le Mexique vise à protéger
des droits qui ne sont même pas protégés par sa propre interprétation de l’arrêt Avena. Quelles que
soient les mesures conservatoires que la Cour puisse indiquer en la présente espèce, celles-ci
devraient, à juste titre, ne porter que sur les droits particuliers dont se prévaut le Mexique au stade
du fond.
45 11. Merci, Madame le président , Messieurs de la Cour. Je prie la Cour de bien vouloir
appeler M. Vaughan Lowe à la barre.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Mattler. Monsieur Lowe. - 43 -
M. LOWE :
Abus de procédure
1. Madam President, Members of the Court. It is a privilege for me to appear once again
before this Court and to have been entrusted to present this section of the oral argument made on
behalf of the United States.
2. It is common practice for parties to cases pleaded before the Court to be represented by a
combination of English- and French-speaking counsel. Unfortunately, it was not possible in the
little time available to us to put together a team which could satisfactorily reflect the two official
working languages of the Court.
3. I shall therefore proceed with my statement in English, the language in which I hope to be
able to elaborate as clearly as possible the important points which it is my duty to raise before you.
4. Mes collègues ont démontré que l’interprétation de l’arrêt Avena ne suscite, en droit,
aucune contestation opposant le Mexique aux Etats-Unis. Ils ont conclu que la conséquence en
droit, c’est que l’affaire est sans objet et que la Cour n’est pas compétente pour en connaître. En
d’autres termes, la Cour n’a prima facie pas compétence pour statuer sur la demande en
interprétation de l’arrêt dont l’a saisie le Mexique. En fait, la situation est encore plus claire que
cela : il est évident que la Cour n’a pas compétence. Et, dans ces conditions, il n’y a aucune base
de compétence qui vienne étayer la demande incidente en indication de mesures conservatoires;
celle-ci doit donc être rejetée. Mes arguments pa rtent d’un point de vue légèrement différent.
Dans son opinion individuelle sur l’affaire du Cameroun septentrional, sir GeraldFitzmaurice a
donné une vision tranchée des exceptions préliminaires. Il a déclaré qu’il y avait
«d’autres exceptions n’ayant pas le caractère d’exceptions à la compétence de la Cour
qui peuvent et, à strictement parler, doivent être examinées préalablement à toute
question de compétence. Ainsi, une exception d’après laquelle la requête n’a pas
révélé qu’il existait véritablement un différend entre les parties doit être discutée avant
46 la compétence, car, s’il n’y a pas de différe nd, il n’y a rien à propos de quoi la Cour
puisse envisager sa compétence ou son incompétence. C’est pour cette raison qu’une
telle exception concernerait plutôt la recevabilité que la compétence.» ( Cameroun
septentrional (CamerounRo c.yaume-Uni), exceptions préliminaires,
44
C.I.J. Recueil 1963, p. 105.)
44
Texte anglais : - 44 -
Sir Gerald a fait valoir ensuite un élément qui touc he au cŒur de la question examinée au cours de
la présente audience. Il expose la situation à laquelle on aboutit
«lorsque l’exception porte moins sur le fond de la demande que sur le caractère de ce
que la Cour est priée de faire à ce sujet eu égard aux circonstances — cela se produit
par exemple si la Cour est invitée à faire quelque chose qui n’implique pas ou ne met
pas en jeu la fonction judiciaire qui est la sienne comme tribunal. Dans des cas de ce
genre, la question de compétence ou de juridiction devient sans pertinence, car il serait
inapproprié et même fallacieux que la C our élimine la question simplement en
constatant qu’elle n’a pas compétence, même si c’est bien le cas; ou que la Cour
s’estime compétente alors qu’il est manif este qu’elle ne peut en toute hypothèse
exercer cette compétence pour des raisons générales a priori touchant à la nature de sa
fonction comme tribunal international et institution judiciaire.» 45 (Ibid.)
5. C’est à notre avis précisément la situation dans laquelle nous nous trouvons en
l’occurrence. L’absence de tout différend réel relève certainement de la question de la compétence
de la Cour; et, comme mes collègues l’ont démont ré, la requête peut être rejetée pour ce motif.
Mais il y a une autre manière d’aborder la présente instance. Elle consiste principalement à
dénoncer la prétendue contestati on qu’a fabriquée le Mexique au sujet de l’interprétation de
l’arrêt Avena et l’adresse dont il a su redoubler ; parce que ce qu’il a demandé à la Cour de faire par
rapport à cette contestation fictive n’a en fait n’a rien à voir avec un apport de précisions
⎯ précisions totalement inutiles ⎯ au sujet de son arrêt précédent.
6. Nul ne doute de la gravité de la question de la peine capitale. Mais il se pose aussi la
47 question grave du bien-fondé de vouloir ainsi faire intervenir la Cour internationale de Justice en la
matière. La demande en interprétation n’est en vérité rien de plus qu’un moyen d’amener la Cour à
rendre des ordonnances qui n’ont pas pour objet d’ interpréter l’arrêt ⎯dont le sens ne suscite
aucune contestation ni ne fait le moindre doute ⎯ mais uniquement de contraindre les Etats-Unis à
«objections, not in the nature of objections to the co mpetence of the Court, which can and strictly should
be taken in advance of any question of competence. T hus a plea that the Application did not disclose the
existence, properly speaking, of any legal dispute between the parties, must precede competence, for if
there is no dispute, there is nothing in relation to whic h the Court can consider whether it is competent or
not. It is for this reason that such a plea wouldrather one of admissibility or receivability than of
competence.»
45Texte anglais :
«where the objection touches not so much the substance of the claim, as the character of what the Court is
requested to do about it, having regard to the surrounding circumstances ⎯ as for instance if the Court is
asked to do something which does not appear to lie w ithin, or engage, its judicial function as a court of
law. In cases of this kind, the question of competen ce or jurisdiction becomes irrelevant, for it would be
inappropriate, and even misleading, for the Court avoid the issues by simply finding itself to lack
jurisdiction, even if it did lack it; or alternatively, to find itself to be competent when it was manifest that
it could not in any event exercise that competence a priori reasons touching the whole nature of its
function as an international tribunal and judicial institution.» - 45 -
se conformer à l’arrêt Avena. Le Mexique demande à la Cour d’intervenir dans ce qui, au fond,
relève de l’application de ses décisions antérieures et du contrôle de cette application. Il s’agit là, à
notre avis, d’un abus de procédure ; et c’est pourquoi la requête du Mexique devrait être rejetée.
7. Madame le président, je vais vous présenter six arguments à l’appui de cette conclusion.
Ce sont les suivants :
1. La Cour a le pouvoir inhérent de réglementer ses propres procédur es dans l’intérêt de la justice
et aux fins de préserver son intégrité.
2. Ce pouvoir lui donne la possibilité de rejeter des requêtes lorsque celles-ci constituent un abus
de procédure.
3. La Cour n’est pas liée par la qualification que donne la partie à sa requête.
4. Lorsqu’une partie affirme demander à la Cour de rendre une ordonnance à des fins spécifiques
et que la Cour considère que cette partie poursu it en réalité une autre fin extérieure à la
disposition sur laquelle elle est prétendument fondée, la Cour est autorisée à rejeter la demande
pour ce motif.
5. Lorsqu’il apparaît à la Cour qu’une partie lui demande de rendre une décision ou ordonnance
uniquement aux fins de faire pression sur l’autre partie pour qu’elle se conforme à une décision
ou ordonnance précédente de la Cour, celle-ci est autorisée à rejeter la demande au motif
qu’elle équivaut à un abus de procédure.
6. La Cour peut rejeter une demande, à tout stad e de la procédure, dans les conditions que j’ai
exposées exerçant ainsi le pouvoir inhérent de réglementer sa propre procédure dans l’intérêt de
la justice et dans le but de sauvegarder son intégrité.
8. Ces arguments sont, à notre sens, tous solid ement fondés en droit international; et leur
application à la présente espèce devrait aboutir au rejet de la demande en interprétation du Mexique
et de sa présente demande en indication de mesures conservatoires.
48 9. Je vais examiner les six arguments un par un. - 46 -
Argument 1: La Cour a le pouvoir inhérent de réglementer ses propres procédures dans
l’intérêt de la justice et aux fins de préserver son intégrité
10. Le Statut de la Cour ne contient aucune disposition par ticulière qui lui permettrait de
rejeter la requête du Mexique p our les raisons que je viens d’ exposer brièvement. Nous nous
appuyons sur l’existence du pouvoir inhérent de la Cour de réglementer ses propres procédures.
11. Il ne fait aucun doute que les tribunaux ont des pouvoirs inhérents et je pense que nos
amis mexicains en conviennent. L’existence de ces pouvoirs est un corollaire nécessaire et patent
de la responsabilité qu’assument les tribunaux aux fins de l’accomplissement régulier et légitime de
leur mission. Ainsi que l’a fait observer l’un des membres de la Cour dans son opinion individuelle
sur l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force : «Les pouvoirs inhérents de la Cour
découlent de son caractère judiciaire et du fait qu ’elle doit disposer de moyens pour réglementer
des questions liées à l’administration de la justice, dont tous les aspects peuvent ne pas être prévus
par le Règlement». ( Licéité de l’emploi de la force (Serb ie-et-Monténégro c.Royaume-Uni),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 1359, par. 10.) 46
12. Dans cette opinion individuelle sont visées les occasions où la Cour a pris en
considération ce pouvoir inhérent et l’a exercé. C’est également ce que fait le juge Koojimans dans
son opinion individuelle sur la même affaire, en se référant à l’utilisation de ce pouvoir «comme
[d’]un instrument de politique judiciaire afin de préserver l’intégrité de sa procédure» ( ibid.,
par. 22) 4. Ces deux opinions visent le pouvoir de la Cour de rejeter des requêtes in limine litis et
l’opportunité des rejets dans les cas où ils se ré vèlent nécessaires, car ne participant pas d’une
«bonne administration de la justice» (pour reprendre les termes employés par la Cour en1999
lorsqu’elle ordonna la radiation, sur le rôle, de l’instance intr oduite par la Yougoslavie contre
l’Espagne). (Licéité de l’emploi de la force (Yougos lavie c.Espagne), mesures conservatoires,
ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 761, par. 35.)
13. Je ne m’étendrai pas davantage sur la liste des sommités qui se sont penchées sur la
question de l’existence des pouvoirs inhérents aux tribunaux; cela dit, je recommande
46
Texte anglais : «[t]he Court’s inherent jurisdiction derives from its judicial character and the need for powers to
regulate matters connected with the admini stration of justice, not every aspect of which may have been foreseen in the
Rules».
47Texte anglais : «as an instrument of judicial policy to safeguard the integrity of the Court’s procedure». - 47 -
49 respectueusement à la Cour l’analyse de Mme Paola Gaeta, publiée dans la Festschrift für Antonio
Cassese, et celle de M.ChesterBrown, publiée dans le British Yearbook of International Law
en 2005.
14. Je passe à présent au deuxième argument, qui concerne le pouvoir inhérent de la Cour de
rejeter des requêtes lorsque celles-ci constituent un abus de procédure.
Argument 2: Ce pouvoir lui donne la possib ilité de rejeter des requêtes lorsque celles-ci
constituent un abus de procédure
15. Il est presque tautologique de dire qu’un tribunal a le pouvoir de rejeter une requête qui
constitue un abus de procédure. Ce pouvoir est pa rfois énoncé de manière explicite. Par exemple,
le paragraphe 1 de l’article 294 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982
dispose que chacune des cours ou chacun des tr ibunaux saisis d’une demande au sujet d’un
différend visé par la convention
«décide, à la requête d’une partie, o[u] peut décider d’office, si cette demande
constitue un abus des voies de droit ou s’il est établi prima facie qu’elle est fondée. Si
la cour ou le tribunal décide que la dema nde constitue un abus des voies de droit ou
qu’elle est prima facie dénuée de fondement, il cesse d’examiner la demande.»
16. De même, l’article35 de la conventi on européenne des droits de l’homme dispose
que la Cour européenne des droits de l’homme «déclare irrecevable toute requête
individuelle … lorsqu’elle estime la requête incomp atible avec les dispositions de la convention ou
de ses protocoles, manifestement mal fondée ou abusiv e», et qu’elle peut procéder ainsi «à tout
stade de la procédure».
17. Or, à notre avis, le pouvoir de rejeter des requêtes pour abus de procédure existe en tant
que pouvoir inhérent, même s’il n’est pas expressém ent conféré par l’instru ment constitutif du
tribunal. Dans son commentaire sur le Statut de la Cour, M. Zimmermann déclare que :
«L’abus de procédure est un cas particulier auquel s’applique l’interdiction
d’abus de droits, qui est un principe général du droit international et du droit interne.
Il consiste en l’utilisation d’instruments ou de droits procéduraux par une ou plusieurs
partie(s) à des fins autres que celles pour lesquelles les droits procéduraux ont été
48
établis.» [Traduction du Greffe.]
48
Andreas Zimmermann and Tobias Thienel, Article 60, in The Statute of the Internati onal Court of Justice: A
Commentary, 831 (Andreas Zimmermann et al. dds., 2006). - 48 -
50 18. Le principe de l’abus de droits est en so i un principe bien établi du droit international et
peut être considéré comme l’un des principes géné raux de droit reconnus par les nations civilisées
que la Cour est invitée à appliquer à l’article 38 de son Statut. Là aussi, le temps dont je dispose ne
me permet pas de me lancer dans ce qui serait proba blement une récitation inutile de la pratique et
de la jurisprudence définissant le statut de l’abus de droits en tant que pr incipe général du droit.
Nous pouvons, là aussi, faire tenir à la Cour et communiquer à nos amis de la Partie adverse les
pages pertinentes des études de M.BinCheng 49et de MmeElisabethZoller 50, qui sont des
51
classiques, et de l’étude récente de M.Byers , qui font état de nombreux exemples de cette
pratique.
19. Le pouvoir de rejeter une requête pour a bus de procédure juridique repose, à notre avis,
sur deux fondements distincts. Le premier, c’est que ce pouvoir est un corollaire de la
responsabilité incombant à la Cour de préserver l’inté grité de sa procédure. Madame le président,
pour dire les choses franchement, et avec tout le r espect dû à la Cour, si la Cour ne préserve pas la
procédure judiciaire internationale contre les abus, qui d’autre le fera ? Il n’y a pas de recours. On
ne règle guère les problèmes de ce type en modifiant le Statut de la Cour. Et si la Cour ne se
défend pas elle-même, et les Etats parties à son Statut, contre les tentatives visant à abuser de sa
procédure et à dénaturer son rôle, qui d’autre le fera ? Il faut que la Cour ait la possibilité de rejeter
des requêtes qui constituent des abus de procédure.
20. Le second fondement sur lequel repose le pouvoir de rejeter une requête pour abus de
procédure, c’est que cela touche à un aspect du de voir général de loyauté entre parties. Et
M. Zimmermann expose bien ce dernier point dans so n commentaire sur le Statut de la Cour, où il
dit que :
«Le principe le plus fondamental du droit positif applicable aux procédures
judiciaires en général, c’est celui en vert u duquel, en introduisant une instance devant
un tribunal international, les parties s’enga gent dans une relation juridique qui se
caractérise par la confiance mutuelle. Les parties sont ainsi liées par un engagement
général de loyauté entre elles et envers la Cour. Ce devoir découle du principe de
bonne foi reconnu en droit général interna tional et énoncé au paragraphe2 de
l’article2 de la Charte des NationsUnies comme un devoir général des Etats
49Bin Cheng, General principles of Law as applied by the International Courts and Tribunals, 121-136 (1953).
50
Elizabeth Zoller, La Bonne Foi en Droit International Public, 24-42, 140-156 (1977).
51Michael Byers, Abuse of Rights: An Old Principle, a New Age, 47 McGill L.J. 289-431 (2002). - 49 -
membres. Le principe de bonne foi se c oncrétise de diverses manières dans le
domaine du droit procédural… Ce qu’il exige avant tout des parties [dit
M. Zimmermann], c’est de ne rien entrepre ndre qui pourrait aller à l’encontre du bon
fonctionnement de la procédure choisie ou avoir des effets nettement négatifs sur
celle-ci, la finalité étant de protéger l’objet et le but de la procédure.»52 [Traduction
du Greffe.]
51 21. Pour parler franchement, une procédure contentieuse n’est pas un jeu. Les Parties ne
sont pas libres d’adapter les termes du Statut ou du Règlement de la Cour à des fins qui n’ont
jamais été les leurs. Il n’existe pas de juridicti on obligatoire en droit international. Si les Etats
veulent être tenus de régler leur s différends devant les tribunaux in ternationaux, ils doivent choisir
de l’être ; et leur choix doit être déclaré ; et la compétence du tribunal est limitée par les termes de
cette déclaration.
22. Il n’est pas possible de laisser entendre qu’après avoir «accepté» la compétence d’un
tribunal à l’égard d’un différend particulier — qu’ il s’agisse de la Cour ou d’une autre instance —
un Etat doit être considéré comme ayant accepté d’au toriser le tribunal à jouer le rôle de son choix
et à rendre l’ordonnance de son choix dans le cadre de ce différend.
23. Madame le président, l’acceptation de la juri diction internationale par un Etat revêt deux
aspects. Celui-ci accepte qu’un ou plusieurs diffé rend(s) particulier(s) d’une catégorie particulière
puisse(nt) être tranché(s) par un tribunal donné. Mais il
accepte aussi, c’est également important,
que les pouvoirs de ce tribunal soient ni plus ni moins étendus que ceux qui sont institués par les
actes qui les définissent ou ceux qui sont inhérents à son rôle d’instance judiciaire. Aucun tribunal
ne dispose de pouvoirs illimités. Les Etats —et je l’affirme avec tous les égards dus à la Cour,
sachant que cela touche au cŒur même de son pouvoir discrétionnaire et de ses responsabilités
mais étant convaincu qu’elle l’entendra comme un rappel respec tueux des limites des pouvoirs
d’un tribunal— lorsqu’ils acceptent la compéten ce des tribunaux, ne leur donnent pas carte
blanche pour prendre toute mesure qui leur serait demandée à l’égard d’un différend. Il arrive un
moment où un tribunal international doit dire «nous ne pouvons pas faire ce qui nous est demandé.
Cela n’entre pas dans nos pouvoirs. Nous n’avons ni l’obligation ni le droit d’autoriser un tel usage
du tribunal.»
52
Zimmermann, plus haut, 830. - 50 -
24. La question de la définition de l’abus de procédure est une question vaste, qui ne peut
être examinée de manière exhaustive dans la pr ésente instance. Contentons-nous de dire qu’au
cŒur même de cette notion réside le principe sel on lequel les tribunaux, et les moyens disponibles
dans le cadre des procédures judiciaires, ne peuve nt servir à des fins pour lesquelles ils n’ont pas
été instaurés. Je reviendrai su r ce point dans quelques instants ; qu’il suffise de dire pour le
moment qu’il s’agit là d’une application partic ulière de ce qui constitue plus généralement un
détournement de pouvoir, ou un abus de pouvoir. Ce type d’abus nuit non seulement à l’intégrité et
52 à la réputation du tribunal que l’on tente d’entraî ner dans des activités inopportunes mais aussi aux
droits de l’autre partie, qui en subit les conséquences.
25. Nous sommes d’avis que la Cour a maintena nt atteint le point où elle doit dire «nous ne
pouvons autoriser un tel usage du tribunal».
Argument 3 : la Cour n’est pas liée par la qualification que donne la partie à sa requête
26. J’en viens maintenant, brièvement, au troi sième argument, selon lequel la Cour n’est pas
liée par la qualification que donne la partie à sa requête. Mes collègues M. Matthias et M. Thessin
ont déjà examiné ce point. Ils ont exposé, premièrement, qu’il n’y a pas de contestation et,
deuxièmement, qu’il est bien établi dans la ju risprudence de la Cour, dans les affaires des
Traités de paix, du Sud-ouest africain et autres affaires, que l’affirmation par l’une des Parties de
l’existence d’une contestation ne pe ut lier la Cour. L’existence de la contestation est une question
objective que la Cour doit trancher.
27. A toutes fins utiles, attirons l’attention de la Cour sur le genre de question que l’on
pourrait poser au Mexique afin d’obtenir un début de réponse sur ce point. L’article 59 des règles
de procédure de la Cour interaméricaine des dro its de l’homme expose les règles qui régissent les
demandes en interprétation des décisions de cette cour. Il dispose que :
«La demande en interprétation visée à l’article 67 de la Convention [c’est-à-dire
la convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969] peut être faite dans
le cadre d’arrêts sur le fond ou de ré parations et devra être déposée auprès du
secrétariat. Elle doit indiquer avec précision les questions relatives à la
signification ou la portée de l’arrêt dont l’interprétation est demandée .»
(http ://www.cortheidh.or.cr/reglamento.cf) (Les italiques sont de nous.) - 51 -
Ce genre de disposition est utile pour déterminer s’il y a véritablement contestation et, le cas
échéant, la nature de celle-ci. Elle est bien en tendu très similaire au libellé de l’article98 du
Règlement de la Cour. Le Mexique se réfère aux «différences» entre les obligations de résultat et
les obligations de moyens. Mais les Etats-Un is acceptent d’être soumis à une obligation de
résultat. Les conseils du Mexique ont eux-mêmes attiré votre attention sur ce point. Mme Babcock
vous a dit que chaque membre de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique reconnaissait que les
Etats-Unis avaient l’obligation en droit international de se conformer à l’arrêt Avena (plaidoiries du
Mexique p.16). MmeAmirfar a indiqué que la Cour suprême avait reconnu «qu’il incombait
incontestablement [et sans équivoque aux Et ats-Unis d’Amérique] d’appliquer l’arrêt Avena »
(plaidoiries du Mexique, p.25) —c’est peut-être un lapsus, mais il est révélateur. Elle a déclaré
53 que le Mexique était devant la Cour po ur «demander confirmation» de l’arrêt Avena. C’est bien
cela. La Cour l’a dit une fois : le Mexique souhaite maintenant qu’elle le répète.
On pourrait demander au Mexique quelles sont précisément les questions qui se rapportent
au sens ou à la portée de l’arrêt dont il demande l’in terprétation ? En quoi consiste précisément la
contestation entre le Mexique et les Etats-Unis ?
28. Si le Mexique ne peut donner des réponses claires à ces questions, sa requête ne peut être
introduite. Et quand bien même il en donnerait, il appartient à la Cour de statuer sur l’existence
d’une contestation réelle opposant les Parties. Que la demande du Mexique soit fondée sur la
prémisse selon laquelle il existe une contestation ne signifie pas que cette prémisse soit exacte.
C’est ce que mes collègues ont expliqué.
29. J’en viens rapidement au point suivant.
Argument 4 : Lorsqu’une partie affirme demander à la Cour de rendre une ordonnance à des
fins spécifiques et que la Cour considère que cet te partie poursuit en réalité une autre fin,
si bien que la demande ne relève plus de la disposition sur laquelle elle est prétendument
fondée, la Cour est autorisée à rejeter la demande
30. Mon quatrième argument consiste à dire que lorsqu’une partie affirme demander à la
Cour de rendre une ordonnance à des fins spécifiques et que la Cour considère que cette partie
poursuit en réalité une autre fin, si bien que la demande ne relève plus de la disposition sur laquelle
elle est prétendument fondée, la Cour est autorisée à rejeter la demande pour ce motif. - 52 -
31. Il y a plus d’un demi-siècle, la Cour a clairement défini son rôle dans les procédures
d’interprétation. Ainsi que M.Mathias l’a ra ppelé, elle a déclaré dans l’arrêt relatif à
l’interprétation de l’affaire du Droit d’asile :
«Il faut que la demande ait réellement pour objet une interprétation de l’arrêt, ce
qui signifie qu’elle doit viser uniquement à fair e éclaircir le sens et la portée de ce qui
a été décidé avec force obligatoire par l’arrêt, et non à obtenir la solution de points qui
54 n’ont pas été ainsi décidés. Toute autre faç on d’interpréter l’article 60 du Statut aurait
pour conséquence d’annuler la disposition de ce même article selon laquelle l’arrêt est
définitif et sans recours.» ( Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950
en l’affaire du droit d’asile (Colombie c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402.) 53
La Cour s’est constamment appuyée sur ce principe. Le passage que je viens de lire a par exemple
été cité par la Cour dans l’affaire Cameroun c.Nigéria (demande d’interprétation) en1999
(Demande en interprétation de l’arrêt du 11juin1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (C ameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria
c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 36-37, par. 12).
32. Le principe est important. Dans la présente espèce, le Mexique cherche
incontestablement à se servir de la demande en interprétation pou r obtenir la pleine exécution de
l’arrêt précédent. Mais l’épée que brandit le Mexique a deux tranchants et pourrait également
servir à retarder cette exécution. Ainsi que la Cour l’a elle-même déclaré, également dans l’affaire
Cameroun c. Nigéria :
«La question de la recevabilité des demandes en interprétation des arrêts de la
Cour appelle une attention pa rticulière en raison de la nécessité de ne pas porter
atteinte au caractère définitif de ces arrêts et de ne pas en retarder l’exécution. Ce
n’est pas sans raison que l’article60 du Stat ut énonce en premier lieu que les arrêts
sont définitif[s] et sans recours.» 54 (Ibid.)
33. La question centrale en l’espèce est de savoir comment la Cour considérera son pouvoir
d’interpréter ses propres arrêts et, ce faisant, celle-ci devra examiner à nouveau la question des
53
Texte anglais :
«The real purpose of the request must be to obtain an interpretation of the judgment. This
signifies that its object must be so lely to obtain clarification of the meaning and the scope of what the
Court has decided with binding force, and not to obtain an answer to questions not so decided. Any other
construction of Article60 of the Statute would nullithe provision of the article that the judgment is
final and without appeal.»
54Texte anglais :
«The question of the admissibility of requests for interpretation of the Court’s judgments needs
particular attention because of the need to avoid impairing the finality, and delaying the implementation,
of these judgments. It is not without reason that Article 60 of the Statute lays down, in the first place, that
judgments are «final and without appeal».» - 53 -
conséquences qu’implique le fait d’accéder aux dema ndes en interprétation ; cela l’a conduite dans
le passé à se fonder sur une conception savamment équilibrée du rôle des arrêts interprétatifs dans
le cadre de la procédure judiciaire internationale.
34. Récemment, la Cour s’est inspirée précisément de cette idée dans l’arrêt qu’elle a rendu
le 3 février 2006 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo. Au paragraphe 107 de
cette arrêt, la Cour a déclaré que :
55 «Le paragraphe2 de l’articleXIV de l’acte constitutif de l’Unesco n’envisage
pas la soumission de questions ou différends relatifs à cet instrument, aux conditions
prévues par cette disposition, qu’en matière d’interprétation dudit instrument. La
Cour considère que tel n’est pas l’objet de la requête de la RDC. En effet, elle
constate qu’en l’espèce la RDC n’a invoqué l’acte constitutif de l’Unesco et son
article premier qu’aux seules fins de souten ir que, du «fait de la guerre», elle «est
aujourd’hui incapable de remplir ses missions au sein de l’Unesco». De l’avis de la
Cour, il ne s’agit pas là d’une question ou d’un différend relatif à l’interprétation de
l’acte constitutif de l’Unesco. La requête de la RDC n’entre ainsi pas dans les
55
prévisions de l’article XIV de cet instrument.»
En conséquence, la Cour a rejeté la demande que la RDC avait présentée sur la base de l’acte
constitutif de l’Unesco.
35. Le passage que j’ai cité confirme deux points, sans qu’il soit besoin d’autre interprétation
ou explication.
36. Le premier est que la Cour peut exercer et exercera le pouvoir d’indiquer, sur la base de
la demande et des éléments de preuve soumis à la Cour, quel est l’objet de la demande et si cet
objet relève de la disposition su r laquelle le demandeur se fonde pour établir la compétence de la
Cour ou s’il sort du cadre de cette disposition. Dans l’affaire du Congo, il ressortait sans aucun
doute de la requête que le véritable objectif visé par la RDC concernait son incapacité à «remplir
56
ses missions au sein de l’Unesco» ⎯elle alléguait essentiellement que la mise en Œuvre des
55Texte anglais :
«ArticleXIV, paragraph2, of the Unesco Constitution provides for the referral, under the
conditions established therein, of questions or disputes concerning the Constitution, but only in respect of
its interpretation. The Court onsiders that such is not the object of the DRC’s [of the Congo’s]
Application. It finds that the DRC has in this case invoked the Unesco Constitution and Article I thereof
for the sole purpose of maintaining that «[o]wing the war», it «today is unable to fulfil its missions
within Unesco». The Court is of the opinion that this is not a question or dispute concerning the
interpretation of the Unesco Constitution. Thus the DRC’s Application does not fall within the scope of
Article XIV of the Constitution.»
56«Par le fait de la guerre, la République Démocratique du Congo est aujourd’hui incapable de remplir ses
missions au sein de l’Unesco notamment le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen que ce soit.» :
(demande, p. 25). - 54 -
dispositions de l’acte constitutif de l’Unesco était entravée. La RDC a demandé à la Cour
d’exercer sa compétence sur la base d’une disposition figurant dans l’acte constitutif de l’Unesco,
57
laquelle accordait à la Cour le pouv oir d’interpréter cet acte constitutif . La RDC a présenté sa
demande comme relevant du pouvoir d’interprétation de l’acte constitutif de l’Unesco; la Cour a
néanmoins adopté une position différente.
37. Le deuxième point est qu’une fois que la Cour a eu conclu que la RDC ne visait pas en
réalité une interprétation de l’acte constitutif de l’Unesco, elle a décidé qu’elle ne pouvait pas
56 procéder sur la base d’une disposition qui donnait compétence à la Cour uniquement à l’égard de
questions d’interprétation. Nul n’a dit que la Cour pouvait tenter de s’attarder sur l’affaire et de
découvrir quelque contestation en matière d’interprétation sur laquelle elle pouvait donner son avis
aux Parties. La requête était tout simplement mal fondée ; et elle a été rejetée.
38. Madame le président, Messieurs de la Cour , on ne peut éviter de faire d’étroits parallèles
avec la présente affaire. Le véritable argum ent du Mexique consiste à dire que l’arrêt Avena n’est
pas mis en Œuvre. Il demande à la Cour d’examiner sa demande sur la base du pouvoir de la Cour
d’interpréter l’arrêt Avena. Il n’existe pas de contestation vé ritable quant à l’interprétation de cet
arrêt. Les Etats-Unis d’Amérique considèrent que la Cour devrait rejete r la demande du Mexique
en la présente espèce comme elle a rejeté la demande de la RDC.
Argument 5: En particulier, lorsqu’il appara ît à la Cour qu’une partie lui demande de
rendre une décision ou ordonnance uniquement aux fins de faire pression sur l’autre
partie pour qu’elle se conforme à une décisi on ou ordonnance précédente de la Cour,
celle-ci est autorisée à rejeter la demande au motif qu’elle constitue un abus de procédure
39. J’en viens à mon cinquième argument, qui consiste à dire que lorsqu’il apparaît à la Cour
qu’une Partie lui demande de rendre une déci sion ou ordonnance uniquement aux fins de faire
pression sur l’autre Partie pour qu’elle se conforme à une décision ou ordonnance précédente de la
Cour, celle-ci est autorisée à rejeter la demande au motif qu’elle constitue un abus de procédure.
40. Le Mexique a tenté de fabriquer une c ontestation en vue de fonder une demande de
mesures conservatoires dont le seul but ⎯tel qu’exposé dans la demande proprement dite— est
57
Article XIV.2 : «Toutes questions et tous différends relatifs à l’interpréta tion de la présente Convention seront
soumis pour décision à la Cour interna tionale de Justice ou à un tribunal arbitr al, selon ce que décidera la Conférence
générale conformément à son Règlement intérieur.» - 55 -
d’inciter la Cour à répéter l’obligation des Etat s-Unis d’Amérique de se conformer aux termes
clairs et non équivoques de l’arrêt Avena. Celle-ci est mal fondée, comme l’était la demande de la
RDC que je viens d’évoquer. Il convient toutefoi s de ne pas négliger un autre aspect de la
demande du Mexique.
41. Le bon sens ⎯qui est toujours le bon ami du juriste ⎯ indique que l’objet de la
demande du Mexique est de faire pression sur l es Etats-Unis pour qu’ils se conforment aux
obligations leur incombant en vertu de l’arrêt Avena. Peut-être, devrais-je dire, pour qu’ils se
conforment à ce qu’ils ont expressément et maintes fois reconnu comme étant leurs obligations en
vertu de cet arrêt. La demande ne vise pas l’interp rétation de l’arrêt mais son exécution. Elle tente
de faire endosser par la Cour un rôle qui consisterait à assurer le suivi et l’exécution de ses propres
57 arrêts, ce qui, à notre avis, constitue en soi un a bus de procédure manifeste, en ce qu’il s’agit là
(pour reprendre les termes du commentaire de Zi mmerman sur le Statut de la Cour) d’une
«utilisation d’actes ou de droits de procédure par un e ou plusieurs parties à des fins étrangères à
celles pour lesquelles ils ont été créés».
42. La question de l’exécution des arrêts de la Cour est exposée non pas dans le Statut mais
dans l’article 94 de la Charte de l’Organisation des Nations Unies. L’article 94.2 prévoit que :
«Si une partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en
vertu d’un arrêt rendu par la Cour, l’autre partie peut recourir au Conseil de sécurité et
celui-ci, s’il le juge nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des
58
mesures à prendre pour faire exécuter l’arrêt.»
Dans l’ordre constitutionnel de l’Organisation des NationsUnies, dont la Cour est le principal
organe judiciaire, c’est le Conseil de sécurité, et non la Cour, qui est chargé de veiller à l’exécution
des arrêts de la Cour. Comme l’a dit le regretté professeurMosler dans le Commentaire du
jugeSimma sur la Charte de l’Organisation des Nations Unies, «[l’]exécution des décisions n’est
59
pas du ressort de la CIJ» . C’est aussi simple que cela.
43. M. Rosenne, ambassadeur, justifie cette position dans son étude sur la Cour. Il écrit que :
«en droit international, la séparation qui ex iste entre la phase du jugement et celle de
l’après-jugement est un postulat fondamental de toute la théorie du règlement
58
Texte anglais: «If any party to a dispute fails to perform the obligations incumbent upon it under a judgment
rendered by the Court, the other party may have recourse to the Security Council, which may, if it deems necessary, make
recommendations or decide upon measures to be taken to give effect to the judgment.»
59
La Charte de l’Organisation des Nations Unies 1175 (éd. Bruno Simma). - 56 -
judiciaire des différends, et…il en résulte que si la phase de l’après-jugement
engendre de nouvelles tensions politiques, cette situation ou ce différend ne sera pas
identique à l’affaire à laquelle aura mis fin l’arrêt en question. Par conséquent, les
dispositions pertinentes sont exposées dans la Charte (comme dans le Pacte de la SdN
qui l’a précédée) et non dans le Statut de la Cour. Ces dispositions se rapportent
exclusivement aux pouvoirs du Conseil de sécurité (et indirectement à ceux d’autres
organes de l’Organisation des NationsUnies, en particulier le Secrétaire général en
tant que chef du Secrétariat) mais non au fonctionnement de la Cour.» 60
44. Nous soutenons respectueusement que la Cour devrait continuer à observer cette
séparation fondamentale entre la phase du jugement et celle de l’après-jugement, et ne devrait pas
se laisser aller entraîner dans des activités de suiv i et d’exécution de ses propres décisions. Tenter
58 d’investir la Cour de telles f onctions en invoquant sa compétence en matière d’interprétation des
arrêts, cela représente l’un des exemples les plus flagrants d’abus de procédure que l’on puisse
trouver.
Argument 6: La Cour peut rejeter une demande à tout stade de la procédure dans les
conditions que j’ai exposées, exerçant ainsi le pouvoir inhérent de réglementer sa propre
procédure dans l’intérêt de la justice et dans le but de sauvegarder son intégrité
45. J’en viens à mon dernier argument, selon lequel la Cour peut rejete r une demande à tout
stade de la procédure dans les conditions que j’ ai exposées, exerçant ainsi le pouvoir inhérent de
réglementer sa propre procédure dans l’intérêt de la justice et da ns le but de sauvegarder son
intégrité.
46. La présente audience porte sur une demande en indication de mesures conservatoires, et
l’on nous opposera peut-être que tous les arguments que j’ai formulés jusqu’à présent sont des
arguments qui pourront être traités à loisir dans le cadre de la procédure orale sur le fond de la
demande en interprétation. Ce serait toutefois, selon nous, une conclusion totalement erronée, à
laquelle l’on ne pourrait parvenir que si chacune de nos thèses ⎯ celles que j’ai exposées, comme
celles de mes collègues ⎯ devait effectivement être rejetée par la Cour.
47. La Cour ne peut admettre une requête en vertu de l’article 60 de son Statut que s’il existe
une contestation. C’est ce dont dispose l’article 60. S’il n’y a pas, comme nous le soutenons, de
contestation, la Cour ne peut être saisie d’une demande en interprétation valable, et ne se trouve dès
lors saisie d’aucune affaire à laquelle cette dema nde en indication de mesures conservatoires serait
incidente.
60
Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court of Justice 1920-2005, p. 239-240 (2006). - 57 -
48. Si la prétendue contestation est une fabrication du Mexique, comme nous le soutenons, et
qu’il n’existe pas de réelle cont estation, la Cour doit rejeter ce tte demande en tant qu’abus de
procédure.
49. Et je devrais peut-être préciser ici que pa rler de «fabrication» dans le cas du Mexique,
c’est encore lui reconnaître trop de mérite. Le Mexique aurait peut-être pu prendre la peine de
chercher, dans les échanges diplomatiques, quelque point d’interprétation ⎯ aussi mineur eût-il pu
être ⎯ sur lequel les Parties auraient été en désacco rd. Mais il ne s’est pas donné cette peine.
Nous avons donc affaire à un différend qui ne compte qu’une seule Partie ⎯ le Mexique ⎯,
laquelle s’emploie à persuader la Cour que les Etats-Unis font acte de contestation. Mais c’est
faux. Il n’y a pas de contestation.
50. Or, s’il n’y a pas de contestation, et si le Mexique cherche simplement à se servir de la
Cour pour faire pression sur les Etats-Unis dans le dessein de les amener à se conformer à
l’arrêt Avena, il y a abus de procédure, et la Cour doit rejeter la requête.
59 51. Si le Mexique cherche à amener la Cour à assumer le rôle de vérificateur de l’application
de ses décisions et d’exécuteur de celles-ci, il y a abus de procédure.
52. Tous ces arguments ⎯ et c’est là que je veux en venir ⎯ ont en commun d’être dans le
vrai aujourd’hui comme ils le seront dans six, douze ou dix-huit mois ⎯ en d’autres termes, à toute
date où pourraient se tenir des audiences sur la demande du Mexique. Aucune raison rationnelle ne
justifierait que la Cour reporte à une date ultérieure sa décision à leur sujet. Un abus de procédure
est un abus de procédure, du moment où il est commis et jusqu’au moment où le juge fait valoir ses
prérogatives et y remédie. Et si cette requête, ai nsi que nous l’affirmons, n’a pas lieu d’être, il
convient de l’écarter sans plus attendre, de mê me que la demande en indication de mesures
conservatoires à laquelle nous nous intéressons dans l’immédiat.
53. Madame le président, Messieurs de la Cour , je vous remercie de votre attention et vous
prierais d’appeler à la barre l’agent des Etats- Unis, qui présentera nos conclusions pour ce premier
tour de plaidoiries.
Le PRESIDENT: Merci, MonsieurLowe. Je donne maintenant la parole à l’agent des
Etats-Unis. - 58 -
M. BELLINGER :
Conclusion
1. Je vous remercie une fois de plus, Madame le président, Messieurs de la Cour. Je n’ai que
quelques brèves remarques à ajouter pour conclure la plaidoirie que vous ont présentée aujourd’hui
les Etats-Unis.
2. Premièrement, ainsi que l’ont expliqué mes collègues, il n’y a tout simplement pas lieu
que la Cour indique des mesures conservatoires en l’espèce. Il n’existe aucune contestation qui
opposerait le Mexique et les Etats-Unis « quant au sens ou à la portée» de l’arrêt Avena.
L’article60 suppose l’existence d’une telle contestation et, à défaut de contestation, la Cour n’est
pas fondée à examiner la requête du Mexique. Dans ces conditions, la Cour n’a pas la compétence
voulue prima facie pour indiquer des mesures conservatoires et elle doit, en conséquence, rejeter la
demande du Mexique.
3. Deuxièmement, les Etats-Unis comprennent la gravité de ce qui est en jeu en l’espèce:
nous n’y sommes pas indifférents. Un homme doit êt re exécuté. La question de la peine capitale
suscite une profonde émotion. Mais cette affaire n’a pas pour objet la peine de mort. Bien que
l’imminence de l’exécution lui confère un degré d’urgence certain, tel n’est pas l’enjeu de la
question juridique qui vous a été posée. L’enjeu, en l’espèce, réside dans la nécessité de préserver
60
le rôle qui est celui de la Cour d’examiner et de trancher de réelles contestations d’ordre juridique.
Or, la requête du Mexique ne fait tout simplement apparaître aucune contestation de cet ordre.
4. Troisièmement, je voudrais de nouveau insister auprès de la Cour sur le fait que les
Etats-Unis d’Amérique prennent très au sérieux l’ obligation que leur impose le droit international
de se conformer à l’arrêt Avena. Et pas seulement de s’y conformer ou d’essayer de s’y conformer
mais bien d’obtenir que ses dispositions soient respectées. Nous avons systématiquement
recherché les moyens de nous acquitter concrètement et efficacement de cette obligation. Ce n’est
que récemment que trois années d’efforts en ce sens ont été contrariés, quand la Cour suprême
a rendu sa décision en l’affaire Medellín. En conséquence, nous avons maintenant pris une
nouvelle initiative ⎯il s’agit de la demande adressée par la secrétaire d’Etat Rice et - 59 -
l’Attorney General Musakey au gouverneur du Texas. Nous avons prié l’Etat du Texas de prendre
les mesures nécessaires pour donner plein effet à l’arrêt Avena et nous avons déjà engagé le
dialogue avec certains de ses représentants sur la manière d’y parvenir.
5. Enfin, je voudrais inviter la Cour à envisager l es conséquences pratiques de la requête du
Mexique. Le Mexique ne se présente pas devant la Cour dans l’espoir de la voir trancher une réelle
contestation d’ordre juridique, mais pour faire passe r en force le résultat qu’il recherche. Dans
mon discours d’introduction, j’ai essayé de montre r l’importance que les Etats-Unis attachent à
l’obligation qui est la leur de se conformer à l’arrêt Avena, et la quantité d’efforts qu’ils ont
déployés en vue de trouver un moyen concret et efficace d’honorer cette obligation. Nous sommes
d’accord avec le Mexique pour dire que l’obligati on nous incombant en vertu du droit international
est une obligation de résultat, et ne se résume pas à l’obligation de déployer des efforts. Mais pour
obtenir ce résultat, nous ne ménageons pas nos efforts. La Cour n’a pas besoin de nous encourager
plus avant sur cette voie; je crains même qu’une nouvelle intervention de la Cour n’entraîne de
réelles complications. En vertu du droit interne des Etats-Unis, toute décision que rendrait la Cour
à l’effet de réaffirmer l’obligation énoncée dans l’arrêt Avena, ou d’indiquer des mesures
conservatoires en attendant de statuer sur la requête du Mexique, ne s’imposerait pas
automatiquement aux juridictions des Etats-Unis et ⎯plus important encore ⎯ ne rendrait pas le
président plus à même d’ordonner aux juridictions des Etats-Unis de se conformer à l’arrêt Avena.
En d’autres termes, du point de vue juri dique, une nouvelle décision nous laisserait exactement
dans la situation qui est aujourd’hui la nôtre : à savoir dans la nécessité de rechercher une solution
concrète et efficace à un problème juridique épine ux. Une telle décision pourrait toutefois raviver
une controverse qui a déjà fait couler beaucoup d’ encre. Dans une affaire où il n’existe pas de
réelle contestation, et où l’intervention de la Cour ne changerait rien sur le plan juridique, ce serait
on ne peut plus fâcheux. J’exhorte la Cour ⎯et ce, surtout, parce que la loi l’exige ⎯ à ne pas
61 indiquer de mesures conservatoires en l’espèce et à déclarer au final irrecevable la demande en
interprétation du Mexique. - 60 -
6. La conclusion des Etats-Unis d’Amérique est la suivante : la Cour doit rejeter la demande
en indication de mesures conservatoires présentée par le Mexique et s’abstenir d’indiquer de telles
mesures, et elle doit rejeter la demande en interprétation du Me xique pour défaut manifeste de
compétence.
7. Je vous remercie de votre attention et de votre obligeance, Madame le président,
Messieurs de la Cour. Voilà qui clôt la plaidoirie des Etats-Unis pour aujourd’hui.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Bellinger. Le juge Bennouna souhaite poser
une question aux Etats-Unis. Monsieur le juge Bennouna.
Judge BENNOUNA : Thank you, Madam President.
As you have just said, Madam President, this question is addressed to the United States of
America. It is as follows: the United States has declared that, like Mexico, it interpreted the
Judgment of the Court in the Avena case (para.153, point(9)) as placing an obligation of result
upon it and that, consequently, there was no dispute on the scope and meaning of this Judgment as
is required by Article60 of the Statute of the Court. My question begins here: does this
interpretation concern the United States administration or is it also shared by Congress? Thank
you, Madam President.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le juge Bennouna. Le te xte de cette question
sera communiqué aux Parties dans les meilleurs délais. La Cour serait reconnaissante aux
Etats-Unis d’y répondre, si cela leur est possible, dans le cadre de la réplique orale qu’ils
présenteront demain.
Voilà qui met fin au premier tour d’observations orales des Etats-Unis d’Amérique. La Cour
se réunira de nouveau demain à 10heures pour entendre le second tour d’observations orales du
Mexique. L’audience est levée.
L’audience est levée à 17 h 45.
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