MASI
CR 2007/30 (traduction)
CR 2007/30 (translation)
Jeudi 22 novembre à 15 heures
Thursday 22 November at time 3 p.m. - 2 -
12 Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est
ouverte. Pour des raisons qu’il m’a fait connaître, et comme je l’ai déjà a nnoncé le mardi, le juge
Ranjeva n’est pas en mesure de siéger cet après-midi.
La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre le second tour de plaidoiries de la Malaisie. La
Malaisie plaidera cet après-midi de 15 à 18 heures et demain après-midi de 15 à 18 heures. Je
donne maintenant la parole à S. Ex c. M.Tan Sri Abdul Gani Patail l’ Attorney-General de la
Malaisie. Vous avez la parole.
M. GANI :
Introduction
1. Monsieur le président, Messieurs de la C our, c’est un honneur pour moi de me présenter à
nouveau devant vous aujourd’hui. En guise d’introduc tion à la réplique de la Malaisie, je vais
maintenant répondre brièvement aux affirmations de Singapour con cernant la possession légale de
Pulau Batu Puteh, ainsi que la date critique. En outre, je vous exposerai dans ses grandes lignes le
cadre juridique et institutionnel qui s’appliquait au Johor en 1953, pour vous permettre d’apprécier
le contexte dans lequel a été écrite la prétendue le ttre de non-revendication de 1953. Je serai suivi
par M.Crawford, qui passera en revue les questions de droit telles qu’elles se présentent
aujourd’hui après la réplique de Singapour. Ap rès M. Crawford, M Schrijver vous parlera du titre
originaire du Sultanat de Johor sur les trois fo rmations, compte tenu des dernières remarques de
Singapour. M.Kohen répondra ensuite aux argument s de Singapour concernant le consentement
donné par le Johor à la construc tion et à l’exploitation du phare; il sera lui-même suivi par
sir Elihu Lauterpacht, qui se penchera sur la théorie de la prise de possession légale de Singapour,
en répondant à MM. Brownlie et Pellet. Il donnera aussi, oralement, la réponse de la Malaisie à la
question posée par le juge Keith.
Affirmations de Singapour concernant sa possession légale de Pulau Batu Puteh
2. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Singapour a abondamment affirmé que la
Malaisie n’avait pas prouvé son titre originaire su r Pulau Batu Puteh. Ayant entendu M. Crawford
la semaine dernière, vous savez que ce n’est ab solument pas le cas. M.Crawford, après une - 3 -
analyse détaillée, a établi que Pulau Batu Puteh fa it, sans l’ombre d’un doute, partie intégrante du
territoire du Sultanat de Johor.
13 3. En relation avec cette question, je voudrai s maintenant respectueusement prier la Cour
d’examiner ces affirmations non étayées faites par Singapour :
Premièrement, Singapour a prétendu avoir pr is possession de Pulau Batu Puteh
en1847-1851. Elle a affirmé que cette prise de possession avait été possible parce que l’île était
terra nullius à l’époque pertinente. Singapour cependant n’a produit aucun élément prouvant que
Pulau Batu Puteh ait été terra nullius. Au contraire, comme je l’ai dit la semaine dernière sans être
1
contredit par Singapour, la thèse de Singapour repose seulement sur la «présomption» que Pulau
Batu Puteh était terra nullius.
Deuxièmement , Singapour est restée muette au sujet de la «preuve juridique irréfutable»,
écrite, qu’elle prétendait détenir en 19 78 et elle n’a pas produit cette preuve 2. La Malaisie, au
contraire, a démontré que le Johor avait donné son consentement à la construction du phare
Horsburg en produisant les lettres d’autorisation du 25novembre1844 émanant du sultan et du
temenggong de Johor.
4. Le silence de Singapour sur ce point doit être relevé. Pour citer l’arrêt que vous avez
rendu dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar : «Tant le Cambodge que la Thaïlande fondent
leurs prétentions respectives sur une série de faits et d’allégations qui sont affirmés ou avancées par
l’un ou par l’autre. Or, la charge de les prouver incombe évidemment à la Partie qui les affirme ou
les avance.» (Temple de Préah Vihéar (C ambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 ,
p. 15-16.) Si la Malaisie a prouvé sa thèse, on ne peut en dire autant de Singapour.
Date critique du différend
5. Le 19novembre2007, le distingué Attorney-General de Singapour, un excellent ami,
disait que la date que j’avais présentée comme date critique pour Middle Rocks et South Ledge
était, en réalité, la date de la réponse de Singapour à une déclaration faite la veille par la Malaisie
dans le cadre de consultations bilatérales, déclaration dans laquelle la Malaisie décrivait Middle
1
CR 2007/24, p. 30, par. 8.
2
Ibid., p. 28, par. 2, p. 29, par. 8, p. 30, par. 9. - 4 -
3
Rocks et South Ledge comme «deux îles malaisiennes» . Je lui ferai respectueusement observer
14 que, si l’intention de Singapour ét ait de revendiquer Middle Rocks et South Ledge dans sa note de
protestation du 14février1980, elle aurait dû les citer nommément dans cette note. Les deux
e
formations sont connues sous leurs noms actuels depuis très longtemps ⎯ le XIV siècle au plus
tard pour PBP, le XIX e siècle pour les deux autres. Le fait que Singapour n’ait soulevé la question
qu’en réponse à ce qu’avait dit la Malaisie est sans importance, puisqu’il n’y avait pas de différend
au sujet de la souveraineté de la Malaisie sur ces deux formations avant le 6 février 1993.
6. Ensuite, le 20 novembre 2007, M. Bundy a affirmé que j’avais simplement écarté comme
non pertinente la conduite de Singapour après la date critique, sans présenter le moindre argument
pour étayer mon affirmation 4. Cela ne correspond pas du tout à la réalité : j’ai dit clairement en fait
que les actes de Singapour postérieurs à la date cr itique sont dépourvus de pertinence aux fins de
l’appréciation des effectivités, dans la mesure où ils ne constituent pas la poursuite normale d’actes
antérieurs d’administration du phare par Singapour, mais ont été effectués au cours des années
5
quatre-vingt-dix spécialement pour renforcer sa position juridique .
Cadre juridique et institutionnel de l’Etat de Johor après 1948
7. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, les conseils de Singapour ont utilisé de façon
interchangeable des termes tels que «déclarati on de non-revendication» et «confirmation du titre»
pour décrire les effets de la lettre de 1953. M.Koh, l’agent de Singapour, a déclaré le
20 novembre 2007 : «En 1953, alors que le Johor éta it un Etat souverain en droit international, son
secrétaire d’Etat a, dans l’exercice de ses fonctions, indiqué par écrit au gouvernement de
6
Singapour que «le Gouvernement de Johor ne revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca».»
M.Pellet a de son côté affirmé que le secrétaire d’Etat du Johor était, en vertu de la constitution
7
alors en vigueur, le plus haut fonctionnaire chargé des affaires administratives de l’Etat .
3
CR 2007/28, p. 21, par. 12.
4
Ibid., p. 22, par. 58.
5Ibid., p. 30, par. 11 et p. 31, par. 13.
6Ibid., p. 58, par. 6.
7Ibid., p. 46, par. 14. - 5 -
8. Je vais maintenant examiner si le secrétaire d’Etat par intérim agissait bien «dans
l’exercice de ses fonctions». La question est de savoir s’il était dûment autorisé à, et avait
juridiquement qualité pour, renoncer au titre su r une quelconque partie du territoire du Johor,
déclarer ne pas revendiquer ce titre ou le confirmer.
15 9. En examinant si le secrétaire d’Etat par intérim agissait «dans l’exercice de ses fonctions»,
il faut s’intéresser particulièrement à deux accords importants applicables à l’Etat du Johor
en 1953. Ce sont l’accord de 1948 relatif au Johor et l’accord, de 1948 aussi, relatif à la Fédération
de Malaya. Par ces deux traités conclus entre le Johor et S.M.britannique, le Johor, Etat
souverain, transférait à la Grande-Bretagne t ous ses droits, pouvoirs et compétences dans les
matières touchant à la défense et aux affaires extérieur es. A cette époque, le Johor était un Etat
protégé, avec moins d’indépendance formelle qu’il n’en avait eu en application du traité d’alliance
de 1824 (traité Crawfurd) ou avant la nomination d’un conseiller britannique en 1914.
8
L’accord relatif au Johor du 21 janvier 1948
10. Je commencerai par l’accord relatif au Johor du 21janvier1948 (ci-après dénommé
«accord relatif au Johor») qui figure sous l’onglet 162 de votre dossier de plaidoiries. Il s’agissait
là de l’un des neufs accords pratiquement identiq ues conclus entre les souverains des Etats malais
et la Couronne britannique. Ces accords avaient pour objet, notamment, le partage des pouvoirs et
de la juridiction entre la Couronne britannique et les souverains des Etats malais.
11. S’agissant des affaires extérieures, le pa ragraphe1 de l’article 3 du traité de Johor
dispose que Sa Majesté
«assume pleinement le contrôle de la défense et des affaires extérieures de l’Etat de
Johor et s’engage à protéger le gouvernemen t et l’Etat du Johor ainsi que toutes ses
dépendances contre toutes attaques hostiles vena nt de l’extérieur; dans ce but ainsi
qu’à toute fin similaire, les forces de Sa Majesté et les personnes autorisées par le
gouvernement de Sa Majesté ou en son nom ont à tout moment librement accès au
territoire de l’Etat du Johor et peuvent employer tous les moyens nécessaires pour
s’opposer à de telles attaques».
12. En outre, le sultan de Johor, en application du paragraphe2 de l’article3 de l’accord,
«s’engage à ne conclure aucun traité et aucun contrat, à ne pas traiter de questions politiques, ni
entretenir de correspondance sur des questions politiques avec aucun Etat étranger , et à ne pas
8
CMS, annexe 29 ; voir dossier de plaidoiries, onglet 162. - 6 -
envoyer d’émissaires à aucun Etat étranger, à l’insu et sans le consentement du gouvernement de
Sa Majesté».
13. Sur la question de la souveraineté du sultan de Johor à l’intérieur du sultanat, l’article 15
de l’accord relatif au Johor dispose que «les prérogatives, pouvoirs et compétences de Son Altesse
16
dans l’Etat du Johor seront ceux que S. A. le sultan de Johor possédait au premier décembre 1941,
sous réserve néanmoins des dispositions de l’acco rd relatif à la Fédération et du présent accord»
⎯ c’est-à-dire, notamment, sous réserve de l’article 3.
9
L’accord relatif à la Fédération de Malaya de 1948
14. Outre l’accord relatif au Johor, l’accord relatif à la Fédérati on de Malaya de1948,
dénommé à l’article15 du traité de Johor «accor d relatif à la Fédérati on», revêt également une
pertinence. Cet accord figure sous l’onglet 163 de votre dossier de plaidoiries.
15. Comme vous le voyez à l’écran, s’agissant de l’autorité en matière d’affaires extérieures
du Johor, l’article 4 de l’accord relatif à la Fédération énonce que
« Sa Majesté assume pleinement le contrôle de la défense et des affaires
extérieures de la Fédération et s’engage à protéger les Etats malais contre toutes
attaques hostiles venant de l’extérieur; dans ce but ainsi qu’à toute fin similaire, les
forces de Sa Majesté et les personnes autorisées par le gouvernement de Sa Majesté ou
en son nom ont à tout moment librement accès au territoire des Etats malais et peuvent
employer tous les moyens nécessaires pour s’opposer à de telles attaques.»
16. L’article16 de l’accord relatif à la Fédé ration prévoit que le pouv oir de la Fédération
s’étend à toutes les matières énumérées dans la première colonne de la deuxième annexe à l’accord.
Il ressort de la première colonne de la deuxième annexe, notamment, que l’organe législatif fédéral
a compétence pour légiférer sur toutes les questions relevant des affaires extérieures, y compris «la
mise en Œuvre des traités, conven tions et accords conclus avec d’ autres pays ou des organisations
internationales», et s’agissant «des obligations de la Fédération à l’égard de l’Empire britannique
et de toute partie de celui-ci». L’expression «y compris» n’est pas limitative, et cela confirme que
toutes les affaires extérieures de la Fédération seront placées sous le contrôle total de Sa Majesté
britannique comme il est dit à l’article 4 de l’accord relatif à la Fédération ⎯ notamment, selon la
9
Onglet 96 des documents complets de certaines annexes, ntenues dans le mémoire de la Malaisie; voir
dossier de plaidoiries, onglet 163. - 7 -
définition des affaires extérieures, les relati ons du Johor avec l’Empire britannique ou avec toute
partie de celui-ci.
17. L’accord relatif à la Fédération a ultérieure ment été abrogé, le 31août1957, par la loi
relative à l’indépendance de la Fédération de Malaya de 1957.
18. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, pour ces raisons, les accords applicables
en 1953 à l’Etat du Johor étaient l’accord relatif à la Fédération et l’accord relatif au Johor. L’un et
17
l’autre instruments prévoyaient le transfert à la Couronne de toutes les compétences en matière
d’affaires extérieures du Johor et leur exercice par l’intermédiaire du ha ut commissaire de la
Fédération. Le haut commissaire était nommé par la Commission de la Couronne. Les deux
instruments demeurèrent en vigueur jusqu’en 1957, date de l’entrée en vigueur de la loi relative à
l’indépendance de la Fédération de Malaya.
19. Les deux instruments prévoyaient claire ment que toutes les compétences en matière
d’affaires extérieures de l’Etat du Johor étaient transférées à Sa Majesté britannique et exercées par
l’intermédiaire du haut commissaire de la Fédération. Pour permettre à celui-ci de s’acquitter de
cette fonction, l’article 17 de l’accord relatif à la fédération prévoyait ce qui suit :
«[l]e pouvoir exécutif de la fédération [serait] exercé par le haut commissaire,
directement ou par l’intermédiaire de fonctionnaires placés sous son autorité, mais rien
dans la présente clause n’empêche le conseil législatif de confier, en vertu des
pouvoirs que le présent accord lui confère en la matière, des fonctions à des personnes
ou autorités autres que le haut commissaire».
20. Le conseil législatif, créé en vertu de l’ar ticle 36 de l’accord relatif à la Fédération, était
composé du haut commissaire, son président, de trois membres de droit, de onzemembres
représentant les Etats et Etablissements, de onze membres en titre et de cinquante membres
suppléants. Le pouvoir général de lé giférer dans les matières se rapportant aux affaires extérieures
et à la défense était conféré au seul haut co mmissaire, qui devait demander l’avis et le
consentement du conseil législatif, et non au secrétaire d’Etat du Johor.
21. De plus, l’article48 de l’accord relatif à la Fédération disposait de manière absolument
claire qu’aucun pouvoir ou autorité exercé par le haut commissaire de la Fédération ne pouvait
l’être par un secrétaire d’Etat. Il était ainsi conçu :
«[s]ous réserve des dispositions du présent accord, le haut Commissaire et Leurs
Altesses les souverains, après avis et c onsentement du Conseil législatif, peuvent - 8 -
légiférer en vue de la paix, du maintien de l’ordre et de la bonne administration de la
Fédération, sur toutes les matières énumér ées dans la deuxième annexe au présent
accord et sous réserve de toute limitation qui y figure».
Il est important, Monsieur le président, de noter que le paragraphe 2 de la deuxième colonne de la
deuxième annexe à l’accord relatif à la Fédération ne prévoit pas que le pouvoir exécutif soit
conféré à un quelconque Etat ou Etablissement. Veuillez m’excuser pour l’image actuellement
projetée qui n’est pas très claire, mais ce qui apparaît très clairement, c’est que la deuxième
colonne, concernant les pouvoirs d’exécution qui peuve nt être conférés, est vide. Bien entendu,
vous pouvez le voir sous l’onglet163, page59 du dossier de plaidoiries, où c’est beaucoup plus
clair. Monsieur le président, le Johor ét ait, par conséquent, dépourvu de pouvoirs ou de
compétences pour traiter d’affaires extérieures ou légiférer en la matière.
18 Conclusion
22. Pour conclure, je dirai que le secrétaire d’Etat par intérim du Johor, M.Seth bin Saaid,
n’était qu’un simple fonctionnaire de l’Etat du Johor. Il n’était absolument pas autorisé à écrire la
lettre de1953, et il n’avait pas juridiquement qualité pour ce faire; il n’était absolument pas
autorisé à renoncer à un titre, à déclarer ne pas revendiquer un titre ou à confirmer un titre sur une
partie quelconque du territoire du Johor ⎯si telle était l’intention de la lettre de 1953, ce que la
Malaisie dément; M. Kohen démontrera que cela n’ était point le cas. Par contraste, je renvoie à
l’affaire du Statut juridique du Groënland oriental , dans laquelle la Cour a considéré qu’une
réponse «à une démarche du représentant diplomatique d’une puissance étrangère, faite par le
ministre des affaires étrangères au nom de son gouvernement dans une affaire qui est de son
ressort, li[ait] le pays dont il est le ministre». Il a été clairement dé montré que M.Seth ne
possédait pas cette qualité.
23. Monsieur le président, Messieurs de la C our, je voudrais aussi appeler l’attention de la
Cour sur certains faits relatifs à la lettre de J. D.Higham et à la lettre de M. Seth bin Saaid, le
secrétaire d’Etat par intérim. Ces lettres se trouve nt sous les onglets 89 et 105 de votre dossier de
plaidoiries. - 9 -
Premièrement, la lettre de J. D. Higham était adressée au conseiller britannique à Johor et
copie en était adressée au secrétaire principal de la Fédération de Malaya 10. Ainsi qu’il a été
démontré, elle n’était pas adressée à M. Seth bin Saaid.
Deuxièmement, le secrétaire d’Etat par intérim a pris sur lui d’adresser la lettre à
J. D. Higham. Il a écrit directement à une autorité locale de la colonie britannique de Singapour. Il
n’a pas du tout adressé copie de sa lettre au secrétaire principal de la Fédération 11. Il n’existe
aucun élément de preuve démontrant que le secrét aire principal ou que le haut commissaire ait été
au courant du contenu de la lettre. La manièr e dont la correspondance s’est déroulée est, du point
de vue procédural, irrégulière et inappropriée.
24. Monsieur le président, Messieu rs de la Cour, j’en arrive ainsi à la fin de ma plaidoirie.
Jevous remercie de votre attention. Puis-je vous demander de bien vouloir donner la parole à
M. Crawford pour qu’il poursuive les plaidoiries de la Malaisie ? Merci.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie , Tan Sri Abdul Gani
Patail. Je donne la parole à M. Crawford.
19 M. CRAWFORD :
LA THÈSE AVANCÉE PAR SINGAPOUR À LA SUITE DE SA RÉPLIQUE
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, vendredi dernier ⎯ qui me semble à présent
bien lointain! ⎯ je vous ai exposé les arguments de la Malaisie en trois séries de trois
12
propositions. M.Pellet est revenu sur certaines d’entre elles lundi , en insérant toutefois entre
elles un «si» sifflant et incrédule, et évoquant surtout d’autres hypothèses, notamment celles
concernant le sultan de Lingga dont l’absence de pr ésence en 1824 dans le détroit semble avoir été
largement exagérée 1. Pour Singapour, le sultan de Lingga semble être immunisé contre le
syndrome de la disparition, contre ce que j’appellerai le «chanisme», défini dans les dictionnaires
ethnographiques comme la tendance à perdre le soutien de ses partisans et s’effondrer
10Voir dossier de plaidoiries, onglet 89.
11
Ibid., onglet 105.
12CR 2007/28, p. 37, par. 1-2 (Pellet).
13Ibid., p. 45, par. 19-20 (Pellet). - 10 -
soudainement au moindre échec. Cette faiblesse gé nétique semble avoir été inégalement répartie
au sein des dirigeants de l’ancien Royaume de Johor. Le frère cadet, le sultan de Lingga est
apparemment bien resté en place dans le détr oit au moins jusqu’en1851, s’acquittant de
l’indispensable tâche d’acquiescement à l’occupation des trois formations par les Britanniques ⎯ si
elles ne constituaient effectivement pas des terrae nullius, ce que M. Brownlie, pour ce qui le
concerne, est encore enclin à croire 14.
2. Quoi qu’il en soit, examinons une fois encore mes trois séries de prémisses et de
conclusions, et voyons ce que les Parties en disen t à présent. Nous pourrions qualifier cet examen
de visite guidée du plan de notre argumentation ⎯mes collègues et moi-même ferons office de
commentateurs spécialisés intervenant en temps utile à certains arrêts de la visite, mais laissez-moi
vous en indiquer la totalité de l’itinéraire.
3. Passons à la première série de prémisses, dont vous vous souviendrez certainement : 1) si
PBP n’était pas terra nullius en 1847 et 2)si PBP n’était pas tombée dans la zone d’influence
néerlandaise en vertu de l’accord anglo-néerlandais, alors 3) PBP faisait partie du Johor en 1847.
4. Que disent les Parties au sujet de la proposition 1), la thèse de la terra nullius ? Comme
Nico Schrijver traitera en détail cet aspect sous peu, je ne ferai que deux observations.
5. Premièrement, la Cour aura certainement fait la comparaison entre la certitude absolue
manifestée par M. Brownlie pendant la première semaine ⎯ «L’expression «possession légale» est
20 synonyme de l’occupation effective d’une terra nullius…» 15⎯ et les «si» et «mais» de M. Pellet
pendant la troisième semaine. Il serait excessif de dire de pareils avocats qu’ils sont rongés par le
doute ⎯je n’ai jamais vu M.Pellet rongé de doute sur un sujet quelconque ⎯, mais des doutes
sont bel et bien apparus. Ainsi, M.Pellet a ffirme que vous n’avez pas à trancher la question du
titre originaire16 et il affirme aussi que vous vous prononceriez néanmoins en faveur de Singapour
17
si PBP n’était pas terra nullius, au moins si le titre n’était «pas clairement établi» . Les arguments
de Singapour dans la présente espèce ont jusqu’ ici été tout sauf «clairement établis»: il est
14CR 2007/28, p. 56, par. 27 (Brownlie).
15
CR 2007/32, p. 43, par. 44 (Brownlie) ; les italiques sont de nous.
16
CR 2007/28, p. 38, par. 5 (Pellet).
17CR 2007/29, p. 48, par. 21 (Pellet). - 11 -
intéressant de voir cette note dubitative se glisser dans ses arguments. Je reviendrai sur cette
question dans mes remarques de conclusion dema in, à la lumière d’un bref rappel de votre
jurisprudence.
6. Ma seconde observation sur la thèse de la terra nullius concerne l’onglet 18 de Singapour.
Pour étayer sa thèse, M. Pellet a cité un extrait de McNair’s law officer’s opinions, une opinion de
Harding, sur la question de savoir si des form ations inhabitées pouvaient être considérées comme
18
terrae nullius . Le document qui se trouvait sous l’onglet18 du dossier de plaidoiries de
Singapour se trouve sous l’onglet164 de not re dossier d’aujourd’hui. SirElihu ⎯ qui réapparaît
aussi souvent que la Panthère rose, suscitant chez les autres chaque fois autant de plaisir ⎯
analysera l’opinion de Harding au regard du droit in ternational, car M. Pellet lui fait dire ce qu’elle
ne dit pas. Pour ma part, c’est l’histoire qui m’intéresse davantage. Que s’est-il réellement passé
s’agissant des îles côtières inhabitées qui, selon l’opinion de Harding, pouvaient être terrae nullius,
à condition de n’appartenir à personne ? De fait, elles n’étaient point des terrae nullius.
7. L’opinion de Harding avait trait aux îles KuriaMuria, de petites îles, pour la plupart
inhabitées, situées à 20 milles marins au large d’Oman, comme vous pouvez le voir à l’écran 19.
8. Vous en voyez à présent un plan rapproché trouvé dans Wikipédia, où sont indiqués leurs
noms arabes qui ont été orthographiés de manière gr otesque et fautive dans la version anglaise 20.
La correspondance dont il est question dans l’opinion de Harding se trouve dans les Parliamentary
Papers et sur l’Internet 21. Vous en trouverez des extraits sous l’onglet167 du dossier de
plaidoiries d’aujourd’hui.
21 9. Il en ressort que les Britanniques ne s’a ppuyèrent pas sur l’opinion de Harding, qui était
assortie de nombreuses conditions ; ils ne se contentèrent pas d’occuper les îles. Vous pouvez vous
en rendre compte en lisant la lettre du Forei gn Office datée du 14février1854, lettre qui est
postérieure de près de cinq mois à l’opinion de Harding. Le sous-secrétaire d’Etat, lord
18
AD McNair, International Law Opinions (CUP, 1956), vol. I, 312, cité dans le CR 2007/28, p. 43-44, par. 15
(Pellet).
19
Voir dossier de plaidoiries, onglet 165.
20Ibid., onglet 166.
21http://parlipapers.chadwyck.co.uk/fulltext/fulltext.do?area=hcpp&id=185…
13&entries=76&queryId=../session/1195637457_10989&backto=FULLREC. - 12 -
Wodehouse , communiquant la décision du comte de Clarendon, ministre des affaires étrangères,
au capitaine Fremantle du HMS Juno, écrivit ce qui suit :
«S’il devait s’avérer que les îles appar tiennent indiscutablement à l’imam ou
qu’elles sont revendiquées par celui-ci de manière légitime, le capitaine Fremantle
devrait, dans ce cas,…s’assurer que l’imam serait disposé à les céder en tout ou en
partie à la Grande-Bretagne…
Au cas où l’imam de Muscat déclarerait renoncer à tout titre quelconque sur les
îles Kooria Mooria, le capitaine Fremantle devrait, de l’avis de Lord Clarendon,
toujours procéder de la manière recommandée ci-dessus… et…, avec le concours
d’un interprète, recueillir des renseignements aussi précis que possible, auprès des
habitants ou de toutes autres sources disponibles, sur l’autorité dont elles relèvent ou
sur leur propriétaire ; et il devrait ensuite se mettre personnellement en rapport avec ce
chef ou propriétaire et conclure avec lui, dans la mesure du possible, les termes
auxquels ils seront cédés à la Couronne britannique.
Un contrat de cession écrit ordinaire [est-il ensuite précisé dans la lettre], ainsi
qu’un acte transfert dûment signé et scellé , devront cependant être obtenus auprès du
rajah ou chef arabe qui pourrait se révéler être le propriétaire de droit ou de fait de ces
îles.»
Ce qui se produisit ensuite est relaté dans la dépêche du capitaine Fremantle du 18 juillet 1854, qui
figure également sous l’onglet 167. C’est à l’occasion de la célébration d’un jour férié arabe dans
le détroit de Johor, où la plupart des jours fériés se prenaient dans un ordre opposé. Comme il le
découvrit, les habitants locaux, bien que vêtus de haillons et ne possédant rien, à l’exception de
quelques nattes, «admiraient l’imam et le considéraient comme leur chef et souverain», tout comme
les Orang Laut qui fréquentaient les îles des dé troits révéraient le temenggong. Le capitaine
Fremantle obtint alors une cession de la part de l’ imam de Muscat (dont le texte se trouve aussi
sous l’onglet 167) et il déclara son intention «de retourner à Helaaneea [il s’agit d’Al Halaaneea] et
de prendre officiellement possession des îles au nom de Sa Majesté», en y plantant
⎯ précisons-le ⎯ l’Union Flag, justement le drapeau qui n’avait jamais flotté sur PBP, et
justement la cérémonie officielle qui n’y avait jamais eu lieu. L’île est restée britannique jusqu’à
sa rétrocession à Oman conformément à la déclar ation de1967 relative aux îles Aden, Périm et
Kuria Muria.
22 10. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, l’on pourrait citer de multiples épisodes de
ce genre. J’ai choisi celui-ci, plutôt que l es nombreux autres mentionnés dans nos plaidoiries,
22
Wodehouse était sous-secrétaire d’Etat aux affaires étrangères de 1852 à 1856: voir A. Hawkins & J. Powell
(dir. de publ.), The Journal of John Wodehouse First Earl of Kimberley, 1862-1902 (CUP, 1997), p. 47. - 13 -
parce que Singapour l’a invoqué à l’appui de ses thèses jumelles : a) que les îlots inhabités situés à
plus de 3milles marins au large peuvent bel et bien être considérés terrae nullius et b) que la
Grande-Bretagne avait pour pratique de prendre de manière non officielle possession de telles îles.
Le cas des îles KuriaMuria, qui remonte justem ent à la période qui nous intéresse, montre
précisément le contraire. Non seulement les Britanniques prirent-ils officiellement possession
d’îlots minuscules qui leur avaient été cédés, mais rien ne permettait de présumer que les îlots
côtiers étaient terrae nullius ⎯au contraire. Si la région était habitée, les îles étaient censées
appartenir à quelqu’un, avec qui un traité aurait été conclu.
11. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la deuxième prémisse de la première série,
vous vous en souviendrez, était que PBP n’était pas tombée dans la sphère néerlandaise en vertu de
l’accord anglo-néerlandais. Là encore, Nico Schrijver reviendra sur ce point plus en détail, et deux
remarques seulement s’imposent.
12. La première a trait aux efforts que Si ngapour n’a eu de cesse de déployer pour nous
convaincre que la ligne de partage entre les sphères britannique et néerlandaise définies par le traité
anglo-néerlandais était constituée par l’ensemble du détroit. Lundi dernier, M.Chan a fait une
23
nouvelle tentative , cette fois en renvoyant à un document de1886 qui 1)ne cadre pas avec les
termes effectivement employés dans le traité de 1824, 2)ne cadre pas avec l’objet et le but du
traité, 3) ne cadre pas avec l’intention des Parti es telle qu’elle ressort des travaux préparatoires au
traité de 1824 et, 4) surtout, ne cadre pas avec la pr atique des Parties en ce qui concerne la mise en
Œuvre du traité anglo-néerlandais immédiatement après1824, notamment par le biais du traité
Crawfurd, dont les effets furent expressément reconnus par les Néerlandais. Je note que Singapour
n’a pas répondu à l’observation de sir Elihu, selon laquelle ces efforts revenaient pour elle à se tirer
une balle dans un pied, voire dans chaque pied. En termes moin s familiers, Singapour, lorsqu’elle
invoque un mythique titre néerlandais sur les îles du détroit ⎯revendication que les Néerlandais
eux-mêmes n’ont jamais formulée ⎯, invalide purement et simplement la cession dont a fait l’objet
son propre territoire ⎯ce qui, transposé sur le plan anatomique, évoque des images plus
douloureuses encore que celle de la balle dans le pied.
23
CR 2007/28, p. 32, par. 16 (Chan). - 14 -
13. Ma deuxième remarque porte sur l’autre interprétation que, plus subtilement, Singapour
avance, en ce qui concerne le traité anglo-néerlandais, et qui consiste à le présenter, pour reprendre
23 les mots de M.Pellet, comme un «traité de sphère d’influence [qui] était, pour le [S]ultanat [de
Lingga], res inter alios acta » 24. Et d’élever la prétendue donation du sultan AbdulRahman, sur
laquelle Nico Schrijver reviendra bientôt, au rang d’instrument «constitutionnel». Aux fins de ma
démonstration, il me suffira de relever que :
⎯ premièrement, la prétendue donation renvoie au traité anglo-néerlandais et devrait être
interprétée comme s’inscrivant dans la même logi que ; il n’existe aucune preuve que le sultan
de Lingga ait jamais fait usage de sa compétence ni exercé le moindre contrôle dans le détroit ;
⎯ deuxièmement, le traité Crawfurd lui-même apporte une preuve concluante du contraire, tout
comme la reconnaissance, par les Néerlandais, de la «rédu[ction] à néant» de l’influence du
sultan de Lingga ;
⎯ troisièmement, Singapour ne peut, dans le même temps, affirmer d’une part, par la voix de
M.Chan, que les autorités du Johor n’avaient aucune compétence sur les îles inhabitées du
détroit et d’autre part, par la voix de M.Pe llet, que les autorités de Lingga (auxquelles les
sujets du temenggong ne devaient aucune allégeance) en avaient une ;
⎯ quatrièmement, le fait est que les Britanniques n’ ont jamais reconnu le sultan de Lingga; en
réalité, dans la sphère britannique, telle que définie par le traité anglo-néerlandais, ils traitaient
avec les autorités du Johor. Les personnalités en question ⎯le sultan et le temenggong de
Johor ⎯ furent reconnues par les Britanniques, et furent leurs alliés, avant même l’apparition
de la prétendue lettre de «donation». C’étaient elles qui avaient la haute main. Si le droit
international des traités s’appliquait au détroit, et tel était assurément le cas, il en allait de
même du droit international de la reconnaissance. La thèse singapourienne de la donation porte
l’empreinte de cette logique circulaire qui co mmence à nous être familière : les actes du sultan
de Lingga dans le détroit étaient légitimes parce que le sultan exerçait l’autorité dans le détroit.
Quod erat demonstrandum, dirait M. Pellet. Sinon que je dirais, moi : quod non.
24
CR 2007/28, p. 45, par. 18 (Pellet). - 15 -
14. Ainsi, de ce que Singapour 1)s’est efforcée de réfuter les prémisses de mon
raisonnement et 2)a échoué, il s’ensuit, aussi certainement qu’un et un font deux, que PBP,
en 1847, faisait partie du Johor. Il n’existait tout simplement pas d’autre entité sur le territoire de
laquelle elle eût pu se trouver: si elle n’était pas terra nullius, alors elle faisait partie du Johor,
ainsi, du reste, que l’affirma WilliamNapier, le rédacteur en chef du Singapore Free Press , dans
son éditorial25.
15. J’en viens maintenant à la deuxième par tie de mon raisonnement, qui peut s’exprimer
sous la forme du syllogisme suivant :
1) si PBP faisait partie du Johor en 1847 ;
et
2) si le consentement exprimé par le Johor à la construction d’un phare valait aussi pour PBP ;
24
alors
3) l’administration du phare par la Grande-Bretagne ne constitua it pas un acte effectué à titre de
souverain ⎯ ainsi que l’atteste la conduite de la Grande-Bretagne elle-même.
16. La première prémisse, nous l’avons démontrée. A la seconde, Singapour n’a pas opposé
grand-chose: ses maigres arguments seront examinés par MarceloKohen, et je n’anticiperai pas
sur sa démonstration.
17. Mais il convient de souligner que, si les prémisses 1) et 2) sont admises, ce qui dépendra
bien sûr de la Cour, la conclusion 3)s’ensuit de plein droit. J’y reviendrai brièvement demain,
lorsque je me pencherai sur l’ère britannique. Mais nous affirmons que cette conclusion s’impose
également en ce qui concerne les faits. La Grande-Bretagne n’a jamais revendiqué ni représenté les
trois formations comme faisant partie de Singapour.
C1o8n.frontée ⎯pour la première fois, j’imagine ⎯ à la possibilité que la thèse de la
Malaisie quant à la souveraineté britannique sur les trois formations ⎯la thèse de la Malaisie
quant à l’absence de souveraineté britannique sur les trois formations ⎯ soit effectivement fondée,
Singapour a changé son fusil d’épaule, mais dans une certaine mesure seulement. Premièrement,
elle continue de ne pas se fonder sur la notion de prescription: sur ce point, tout au moins, elle
25
CR 2007/28, p. 41, par. 11 (Pellet). - 16 -
montre de la suite dans les idées. Elle affirme seulement que la conduite ultérieure revêtirait une
pertinence, à l’appui de sa prétention, si la situation juridique était «indéterminée» 26. Je reviendrai,
comme je l’ai déjà dit, sur l’argument relatif à l’indétermination demain, à la lumière de votre
jurisprudence. Deuxièmement, bien qu’elle fasse davantage cas de la correspondance de1953,
27 28
Singapour maintient qu’il ne s’agit pas d’une racine de titre , qu’il ne s’agit pas d’une cession , et
⎯à en croire le mutisme absolu observé de l’ autre côté du prétoire au cours de ces audiences ⎯
n’invoque pas à ce titre l’estoppel ⎯ ce qui serait indéfendable pour de nombreuses raisons, dont la
moindre n’est pas l’absence de toute référenc e de Singapour à cette correspondance à l’époque
pertinente. L’effet qu’il convient, le cas échéant , de reconnaître à cet échange de lettres est une
question qui sera discutée demain par mon collègue MarceloKohen, sur la base de ce que
l’Attorney-General de la Malaisie vient de nous apprendre de la situation constitutionnelle.
25 19. Il s’ensuit des deux séries de postulats dont j’ai établi le bien-fondé que PBP n’était pas
«singapourienne» en1965 et que les eaux situé es autour de l’île n’étaient pas des «eaux
singapouriennes».
20. Singapour s’efforce d’expliquer, ou plutôt de réfuter, ce fait en citant des documents
internes montrant que certains ⎯et, en particulier, le Master Attendant , M.Rickard ⎯
considéraient que «le phare Horsburgh [était]… territoire de la colonie» 29. Une assertion assez
étrange: un phare serait «territoire»? Mais laissons ce point de côté, pour le moment ⎯ il ne
s’agissait, après tout, que d’un cou rrier interne. La question relève du droit, pas de l’opinion, et si
la situation juridique est eff ectivement telle que nous l’avons dépeinte, le fait que, dans un
document non publié, le Master Attendant ait pu la percevoir autrement n’y changera rien. Je
reviendrai sur ce point demain, lorsque je me liv rerai à un bref examen de la pratique britannique
jusqu’à la fin des années soixante.
26CR 2007/28, p. 48, par. 21 (Pellet).
27
CR 2007/29, p. 48, par. 16 (Pellet).
28
Ibid., par. 17 (Pellet).
29Voir RS, annexe 24. - 17 -
21. J’en viens à la troisième série de propositions fondant mon raisonnement, qui concerne la
période allant de 1966 à la date critique, ainsi que la période posté rieure. Il s’agit pour l’essentiel
de points de fait, qui sont les suivants :
1) De fait, Singapour n’a jamais revendiqué pub liquement PBP dans la période allant de1965
à 1978.
2) Les événements de1978-1980, aussi confus et incertains qu’ils aient pu être, ont entraîné la
cristallisation du différend et ne peuvent en aucun cas avoir modifié la situation.
3) La conduite postérieure à la date critique est dénuée de pertinence.
22. Dans sa réplique, Singapour n’a présenté aucun nouvel argument en ce qui concerne le
premier et le deuxième de ces points. Au sujet du troisième, elle a maintenu ⎯ à tout le moins en
ce qui concerne la conduite en rapport avec le phare ⎯ qu’elle était fondée à s’appuyer sur le fait
qu’elle avait, après la date critique, continué d’administrer le pha re. On peut le lui concéder
⎯ dans la mesure où il s’agit de la continuation d’ une activité entreprise avant la date critique, elle
peut être prise en compte. Mais il n’en rest e pas moins que le Johor avait consenti à cette
administration, et qu’elle n’était donc pas contraire au titre de la Malaisie (sixième proposition), et
cela vaut tout autant après 1980 qu’avant cette date.
23. Ma collègue, PenelopeNevill, examinera brièvement cette troisième série de points,
demain, dans sa plaidoirie.
24. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, voilà qui met fin à ce tour d’horizon des
arguments développés par Singapour cette semaine. Je n’ai bien sûr pas évoqué tous les points de
26 détail. Monsieur le président, la Malaisie a pr is très au sérieux l’injonction que vous nous avez
faite à la fin du premier tour de n’examiner, au second, que les points essentiels, et c’est à quoi
nous nous employons. Cela nous amènera à term iner un peu plus tôt aujourd’hui et demain ⎯ au
grand regret de la Cour, je n’en doute pas! A présent, Monsieur le pr ésident, puis-je vous prier
d’appeler à la barre mon collègue, M. Schrijver ?
Le VICE-PRESIDENT, faisant foncti on de présiden:tJe vous remercie,
Monsieur Crawford, de votre plaidoirie. Je donne maintenant la parole à M. Schrijver. - 18 -
M. SCHRIJVER :
L’ HISTOIRE DU SULTANAT DE JOHOR ET DES TROIS FORMATIONS
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , je vous remercie. Il me revient aujourd’hui
de répondre aux arguments de Singapour sur l’hist oire du Sultanat de Johor, ainsi que sur les
conséquences des traités de 1824 et de la prétendue lettre de «donation» de 1825. Je démontrerai le
titre originaire du Johor, à présent dévolu à la Malaisie, sur les trois formations.
L’histoire du Sultanat de Johor
2. Pour bien comprendre l’histoire de la souve raineté sur Pulau Batu Puteh et les deux autres
formations, il est important de savoir que l’hist oire du Sultanat de Johor est celle d’un empire
maritime. Aujourd’hui, je m’inspirerai bien sûr de la plaidoirie de mon collègue M. Crawford lors
du premier tour, que Singapour n’a pas ou peu tenté de réfuter cette semaine 30.
3. A l’origine, dans ses pièces de procédure écrite, Singapour n’a guère évoqué l’histoire du
Sultanat de Johor, et a donné l’impression que, pour elle, celle-ci n’avait commencé qu’en 1819, ou
même1847. Lors de ses plaidoiries, elle a prêté davantage attention au contexte historique.
Malheureusement, ses connaissances historiques sont très insuffisantes et ne sauraient être
confirmées ⎯et ne sont confirmées ⎯ par aucun historien contemporain de la région. Je
répondrai maintenant, en particulier, à l’intervention de M. Chan sur ce sujet.
4. Avec le respect qui lui est dû, M.Chan n’a, une fois encore, pas été en mesure de
reconnaître l’ancienneté de l’histoire du Johor, qui remonte à 1511. Le Sultanat de Johor témoigne
d’une continuité remarquable, ainsi que M.Crawfo rd l’a démontré lors de notre premier tour.
27 Celle-ci se reflète dans la survie de son nom, de sa dynastie, dans l’allégeance de son peuple et
dans l’emprise du territoire. En particulier, il ex iste une continuité des relations conventionnelles
en matière de territoire ⎯ comme l’atteste la progression observée entre le traité Crawfurd de 1824
(entre la Compagnie des Indes orientales et le Johor), l’accord de 1927 (entre la Grande-Bretagne et
le Johor), et l’accord de1995 (entre Singapour, successeur de la Grande-Bretagne, et la Malaisie,
30
Voir CR 2007/24, p. 57-66 ; et CR 2007/25, p. 12-37. - 19 -
successeur du Johor). Là encore, M.Chan n’ a pas essayé de réfuter cette démonstration
déterminante en début de semaine.
5. Dans son intervention, M. Chan a repris l’argument de Singapour selon lequel «l’étendue
territoriale du Sultanat de Johor était indéterminée parce qu’il était instable et que ses souverains
avaient une conception de la souveraineté fondée su r l’allégeance de la population et non sur le
contrôle du territoire», et selon lequel «le seul moyen fiable de déterminer si un territoire particulier
31
appartenait à un souverain est de savoir si ses habitants faisaient allégeance à ce souverain» .
L’on ne saurait cependant en déduire que l’emplacement du territoire n’avait pas d’importance.
Les limites du Sultanat de Johor correspondaient au territoire sur lequel ses sujets étaient établis ou
ses terres exploitées de manière productive, que ce soit à des fins agricoles ou, indirectement,
maritimes. Dès1604, HugoGrotius localisait sans pe ine la principauté du Johor en tant qu’entité
souveraine, et il ressort clairement de ses écrits que celle-ci englobait le détroit de Singapour 32.
6. Singapour soutient que lorsque la capitale du Johor était détruite, le souverain, affaibli,
perdait son territoire et perdait de même son pe uple qu’il ne pouvait plus protéger, puis devait se
mettre à la recherche de nouveaux sujets. Monsieur le président, cela ne se passait pas comme ça
en réalité. Lorsqu’une capitale était détruite, le souverain et ses suivants partaient s’installer
ailleurs, et le peuple continuait à lui prêter allégeance. Lorsque le souverain de Malacca fut
contraint de s’enfuir de sa capitale après l’a ttaque des Portugais en1511, il fut mené vers un
nouveau site par les OrangLaut, qui informèrent alors le peuple du lieu où le souverain s’était
réfugié.
7. La capacité du souverain à rassembler rapidement sa cour et ses suivants dans un nouvel
endroit du détroit de Malacca signifie qu’il n’était pas difficile de conserver la loyauté de ses sujets.
Les sources malaises ainsi que les documents des XVII e et XVIII siècles soulignent unanimement
que ce n’était pas la destruction d’une capitale mais la cruauté et l’injustice qui étaient cause de
28 l’abandon d’un souverain 33 : appelons cela un principe ⎯ou peut-être même une exigence ⎯ de
bonne administration avant la lettre.
31
CR 2007/28, p. 27, par. 2.
32
CR 2007/27, p. 19, par. 30.
33L. Y. Andaya, Kingdom of Johor, 1641-1728, Kuala Lumpur : Oxford University Press (1975), p. 21. - 20 -
8. L’interprétation des Orang Laut donnée par Si ngapour est loin de la vérité. Il existait une
nette différence entre les OrangLaut, les habitant s des eaux et des îles situées à l’extrême sud du
détroit de Malacca, et les hommes de la mer d’a illeurs. Ces OrangLaut étaient indéniablement
34
placés sous le contrôle du Sultanat de Johor , ainsi que l’ont montré S. Exc. Mme Farida dans son
exposé introductif 35 et M. Crawford dans sa première plaidoirie . 36
37
ChMa.9. insiste sur le fait qu’aucun élément de preuve ne montre que Pulau Batu Puteh
était habitée. Bien sûr qu’elle n’était pas habitée ⎯ c’est un amas de rochers ! De fait, elle n’est
pas habitée aujourd’hui ; les gardiens de phares s’ y rendent pour des périodes déterminées et, bien
entendu, il n’existe pas de communauté de PBP. Mais comme nous l’avons montré, l’île était
régulièrement exploitée par les autochtones ⎯sujets du Johor, dont les territoires terrestre et
maritime étaient aussi définis par le trajet particulier qu’ils étaient amenés à suivre dans le cadre de
leurs activités de subsistance.
e
10. Ainsi que l’indiquent les documents du XVII siècle, les OrangLaut se trouvaient
toujours au voisinage de PBP car celle-ci cons tituait un point de repère important pour les
navigateurs et, par conséquent, un lieu fréquenté par les Orang Laut aux fins de leurs activités. A
cet égard, PBP ainsi que les détroits adjacents qui forment les principales voies de navigation
pouvaient être considérés comme appartenant au souverain du Johor puisque ses sujets utilisaient
les eaux et îles en question, y compris PBP, dans l’accomplissement de leurs devoirs envers leur
souverain ; et ces devoirs incluaient celui d’encour ager ou, si nécessaire, de contraindre les navires
à pénétrer dans les ports du Johor pour y commercer.
11. M. Chan a de nouveau évoqué, lors du sec ond tour de Singapour, la question des lettres
néerlandaises de 1655 et 1662 relatives au détourne ment de jonques chinoises, ainsi empêchées de
38
commercer dans le fleuve Johor . Singapour se réfère uniquement à la traduction d’une
expression particulière de M.Andaya. M.Craw ford a déjà apporté une réponse lors du premier
34Référence à fournir.
35
CR 2007/24, p. 19-27.
36
Ibid., p. 60, par. 10.
37CR 2007/28, p. 28, par. 4.
38Ibid., p. 29, par. 9. - 21 -
tour . Mais ce qui importe, Monsieur le président , c’est que les navires néerlandais mouillaient
dans la région de PBP, à l’endroit même où l es navires chinois passaient pour se rendre dans le
29 détroit de Malacca. Les Orang Laut y étaient ég alement stationnés pour les mêmes raisons que les
Néerlandais, à savoir attirer les marchands. Tandis que les Néerlandais désiraient les détourner du
fleuve Johor, les Orang Laut devaient les y amener. Les deux groupes se livraient en principe à la
même activité ⎯ pourtant, selon Singapour, l’activité des colonialistes néerlandais était légitime ou
«souveraine», alors que ce lle des souverains indigènes ne l’ét ait pas. Cela illustre seulement
l’extraordinaire eurocentrisme de Singapour. Mais, ce qui importe aux fins de la présente espèce,
c’est que le lieu des activités du Johor, liées à la protection de son commerce, était expressément
PBP.
12. La région de Pulau Batu Puteh constitua it par conséquent une partie très importante des
espaces utilisés par les Orang Laut da ns l’accomplissement de leurs devoirs envers le souverain et,
bien entendu, à des fins d’enrichissement personne l. Lorsque Singapour soutient que cette petite
île était «inhabitée» 40, elle ne tient pas compte de son utilisa tion et de la nature de son exploitation
par les autotochnes, qui ⎯ ainsi que Thomson le notait dans les années 1840 ⎯ étaient maîtres de
la région, capables de doubler avec leurs navires ceux, européens, de même type. Cette divergence
de vues reflète une divergence de perception de la terre et des mers. Actuellement, les Orang Laut
vivent toujours au Johor. J’ai appris qu’ils font partie de la circonscription électorale du ministre
des affaires étrangères de la Malaisie, qui vient du Johor, et qui nous honore à nouveau de sa
présence pendant ce second tour.
La théorie de la terra nullius avancée par Singapour
13. Ce n’est que très tardivement, dans sa rép lique, que Singapour a fait valoir sa thèse de la
terra nullius . L’argument qu’elle avait jusque-là plaidé reposait entièrement sur «la prise de
possession légale» de l’île au milieu du XIX e siècle. La Cour aura noté qu’au cours des audiences
de cette semaine, Singapour a trahi quelque hésitation quant à la validité de sa théorie de la terra
nullius. Mis à part les propos de M.Pellet que vous venez d’évoquer, Monsieur Crawford 41,
39CR 2007/24, p. 62, par. 15.
40
CR 2007/28, p. 28, par. 4 (Chan).
41CR 2007/28, p. 39, par. 6 (Pellet). - 22 -
M.Koh a reconnu que: «si la Cour devait juger que le titre sur Pedra Branca était indéterminé à
cette époque [à savoir entre 1847 et 1851]… Si ngapour a clairement démontré qu’elle avait
42
souveraineté» . Eh bien, il semble que ce manque de conviction ait conduit Singapour à courir
deux lièvres à la fois.
30 14. Cette thèse de la terra nullius est indéfendable. PBP n’a été terra nullius à aucune des
époques pertinentes. L’île était nommément désigné e sur les premières cartes en tant qu’amer et
danger pour la navigation, et était fréquentée pa r la population indigène, comme l’indiquent des
ouvrages portugais dès 1562. En 1822, près de trois cents ans plus tard, Crawfurd précise que les
43
«hommes de la mer» vivant dans ce secteur sont des sujets du Sultanat de Johor , fait confirmé par
des articles parus dans le Singapore Free Press vers l’époque de la construction du phare.
Relevons au passage que, là encore, M. Pellet n’a pas cherché à réfuter notre démonstration selon
laquelle William Napier, le fondateur et rédacteur en chef du Singapore Free Press , savait
parfaitement de quoi il parlait. PBP est égalem ent mentionnée par les Néerlandais dans leurs
échanges diplomatiques avec le souverain du Johor concernant le commerce et la lutte contre la
piraterie 4.
15. Dans un autre accès d’eurocentrisme, M. Chan a présenté «la conception malaise
traditionnelle de la souveraineté» comme s’apposant «à l’idée que le souverain [puisse] manifester
45
de l’intérêt pour de petites îles inhabitées, surtout une île isolée telle que Pedra Branca» .
Monsieur le président, Messieurs de la Cour, que l’on me permette de juger cette déclaration
indéfendable. Non seulement les formations locales avaient-elles toutes un nom, mais il existait
aussi des chansons à leur sujet, y compris la chanson sur PBP que Mme Noor Farida a
malheureusement préféré ne pas chanter, en tout cas jusqu’à présent !
16. L’argument selon lequel le souverain de Johor «ne s’intéressait pas» aux petites îles est
tout simplement erroné. Ainsi, dans un passage du Sejarah Melayu ⎯ les annales malaises ⎯, le
42CR 2007/29, p. 59, par. 10 (Koh).
43
RM, p. 29, par. 63.
44
Rapport de M. Houben, voir CR 2007/24, p. 21, par. 8.
45CR 2007/28, p. 31, par. 13. - 23 -
souverain de Malacca déclare que peu lui importe qu’un territoire tienne «dans un mouchoir de
46
poche !» Le passage en question figure à l’onglet 168 du dossier de plaidoiries.
17. Comme la Cour l’a fait observer dans l’avis consultatif qu’elle a rendu en1975 dans
l’affaire du Sahara occidental :
«Quelles qu’aient pu être les divergences d’opinions entre les juristes, il ressort
de la pratique étatique de la période considérée que les territoires habités pas des tribus
ou des peuples ayant une organisation social e et politique n’étaient pas considérés
comme terra nullius. On estimait plutôt en général que la souveraineté à leur égard ne
pouvait s’acquérir unilatéralement par l’occupation de la terra nullius en tant que titre
originaire, mais au moyen d’accords conclus avec des chefs locaux.» ( Avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 39, par. 80.)
31 De même que dans l’affaire du Sahara occidental, cette région particulière du Johor était ⎯ je
reprends les termes du pa ragraphe81 de cet avis consultatif , qui figurent également dans votre
dossier de plaidoiries sous l’onglet169 ⎯ «habité[e] par des populations qui, bien que nomades,
étaient socialement et politiquement organisées en tribus et placées sous l’autorité de chefs
compétents pour les représenter».
18. Contrairement à ce qu’a affirmé M. Pellet, cette observation s’applique certainement aux
zones maritimes, îles et rochers qui étaient utilisés par la population locale et faisaient partie du
Sultanat de Johor, l’une des plus anciennes entités politiques au monde. Pourquoi l’avis consultatif
rendu par la Cour en l’affaire du Sahara occidental ne s’appliquerait-il, comme M. Pellet semble le
suggérer, qu’aux territoires terrestres? Pourquoi cet avis consultatif ne s’ appliquerait-il qu’à des
territoires habités, que ceux-ci soient continenta ux ou insulaires? Cet avis a-t-il jamais été
interprété comme signifiant que les territoires inhabités étaient susceptibles d’appropriation? La
«pratique étatique de la période considérée» à laquelle la Cour s’est référée dans cet avis
s’appliquait également aux îles situées au large des côtes et aux hinterlands ⎯ comme
M.Crawford l’a démontré aujourd’hui au sujet des îles Kuria Muria d’Oman, l’exemple que
Singapour avait choisi. Le fait est que le Sultanat maritime de Johor comprenait de nombreux îles,
îlots et rochers, ce que la cession même de Singapour en 1824 a par ailleurs confirmé. Monsieur le
président, M.Pellet n’a réussi à échafauder, à partir de l’avis consultatif rendu en l’affaire du
46
Voir le Sejarah Melayu [les annales malaises], traduction annotée pa r C.C.Brown, Oxford University Press,
1970, p. 57. - 24 -
Sahara occidental, qu’un château de cartes ⎯ un de ces châteaux de cartes dont je rêvais dans mon
enfance ⎯, qui s’effondre au premier argument logique comme au premier souffle de vent.
L’étendue et la continuité du Sultanat de Johor
19. Le statut international du Sultanat de Johor jusqu’à la conclusion du traité
anglo-néerlandais de 1824 était notoire et généralement accepté. Le domaine du sultanat englobait
certaines parties de la péninsule malaise et de l’île de Sumatra, ainsi que l’ensemble des îles situées
à l’intérieur et à l’entrée du détroit de Singapour et de nombreuses autres îles situées au large, en
mer de Chine, telles que les Natuna, les Anambas et les Tambelan. PBP, Middle Rocks et South
Ledge en faisaient clairement partie.
20. Monsieur Chan a affirmé que «les limites territoriales du Sultanat [n’étaient pas
connues]» 47. Il prétend en outre, en citant Trocki, que l’Etat malaisien du Johor «date du milieu du
e 48
32 XIX siècle» . Tout au long de ses écritures, la Ma laisie s’est largement appuyée sur les
recherches et les observations des spécialistes de l’histoire de la région, tels qu’Andaya, qui a
49
donné un avis d’expert à la Cour, Windste dt, Netscher, Irwin et le couple Andaya . Cette
affirmation de Singapour peut être aisément contestée, une simple citation de Trocki lui-même tirée
de la même page y suffira. Bien que Singapour ait pris soin de ne citer qu’une seule phrase située à
la fin du premier paragraphe , nous en avons, comme vous pouvez à présent le voir à l’écran,
surligné deux autres sur la même page, lesque lles se lisent comme suit: «Il fut fondé en1512,
lorsqu’après avoir été vaincu, le sultan de Malacca établit une capitale sur le fleuve Johor…» Puis,
au paragraphe suivant, Trocki conclut: «L’é tat actuel du Johor est, à de nombreux égards, un
successeur de l’empire précédent.» Ces passages figurent à l’onglet 170 du dossier de plaidoiries.
21. Au cours du premier tour de plaidoiries, M.Crawford vous a présenté sept citations
50
démontrant l’appartenance de Pulau Batu Puteh au Johor . Exception faite des articles tirés du
Singapore Free Press , tous ces documents ont été écartés par M.Pellet au motif que les mots
«Pedra Branca» ou «Pulau Batu Puteh» n’y figuraien t pas. Mais la stratégie de Singapour consiste
47Voir CR 2007/28, p. 30, par. 11.
48
Ibid., p. 27, par. 3.
49
Voir par exemple RM, vol. 1, p. 5, par. 11.
50Voir CR 2007/25, p. 30, par. 24. - 25 -
à ne pas répondre au fait que chacun de ces documen ts de l’époque se réfère à «tous les îles et
îlots», «l’ensemble des petites îles», «toutes les îles», «bon nombre [des îles] qui se trouvent à
l’est», etc. Presque aucune île n’est nommé ment mentionnée, comment, dans ces conditions,
pourrait-il y être spécifiquement fait référence à la seule île de PBP, cette petite parcelle de rocher ?
Pourtant, là encore, Singapour n’oppose que le silence à cette simple logique.
22. La continuité du Sultanat de Johor est en fait remarquable. Il a naturellement connu des
changements dynastiques ⎯ce qui ressemble fort aux conflits d ynastiques européens, tels que la
guerre de succession d’Espagne. A titre d’exemple, en 1699, des conspirateurs firent assassiner le
dernier souverain de la dynastie de Malacca pour placer la famille Bendahara sur le trône du Johor.
Cette famille assura donc la continuité du sulta nat, tout comme la famille du temenggong de Johor
e 51
33 en assura la continuité, à plusieurs reprises, jusqu’au milieu du XIX siècle . En d’autres termes,
les souverains étaient en général issus des fa milles les plus importa ntes du Johor et les
changements dynastiques ne marquaient pas la fin du sultanat. La continu ité de ce dernier a été
assurée en dépit de la nouvelle s uperstructure politique qui lui a été imposée d’abord par les
Britanniques puis par le Gouvernement malaisie n indépendant. Même si du point de vue
administratif, ce royaume est un «Etat» fédéré de Malaisie, il n’en reste pas moins gouverné par un
sultan et demeure ainsi un «kerajaan» ou un «royaume». Le Sultanat de Johor existe donc encore
de nos jours.
Les deux traités de 1824 et leurs conséquences
23. Monsieur le président, j’en viens mainte nant à la partie de mon exposé consacrée aux
deux traités de 1824 et à leurs conséquences. J’aime rais tout d’abord qu’il soit pris acte de ce que,
une fois encore, Singapour a choisi de ne rien dire, ou presque, du traité Crawfurd. Tout au long du
second tour, ce traité n’a été mentionné qu’une seule fois. Ainsi, MmeMalintoppi n’a pas inclus
cet important instrument dans sa liste des traité s relatifs aux «frontièr es dans le détroit de
52 53
Singapour et autour de celui-ci» . Quant à M. Pellet, il ne l’a évoqué qu’en passant . L’on est en
droit de se demander pourquoi le traité Crawfurd embarrasse tant Singapour. Est-ce parce qu’il
51Voir la liste des temenggongs et des sultans de Johor qui se sont succédé à partir de 1762, RM, p. 50, figure 4.
52
Voir l’onglet 31 du dossier de plaidoiries de Singapour relatif au second tour, première journée.
53CR 2007.28, p. 43, par. 13. - 26 -
indique si clairement que la zone dont il porte ces sion exclut toute prétention sur des eaux, détroits
et îlots situés à plus de 10 milles géographiques ? Est-ce parce que ce traité a été incorporé dans les
accords de 1927 et de 1995 relatifs aux eaux territoriales ?
24. En revanche, MM. Chan et Pellet ont four ni des réponses plus approfondies sur le traité
anglo-néerlandais de 1824. Le poi nt qui nous oppose, Monsieur le président, est de savoir si ce
traité portait également sur le détroit de Singapour ⎯ ce qui est la thèse de la Malaisie ⎯ ou si le
détroit tout entier demeurait libre d’accès et indivis ⎯ce qui est la thèse de Singapour. Par
référence à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, la Malaise a souligné les
termes, l’objet et le but de cet instrument. Si ngapour n’a pas répondu, préférant s’en tenir à sa
théorie indéfendable selon laquelle le détroit tout entier demeurait libre d’accès et servait de zone
de partage, en dépit des termes exprès employés à l’article XII, termes dont vous me permettrez de
54
donner une nouvelle fois lecture : «autres îles situées au sud du détroit de Singapour» .
34 25. M. Pellet a affirmé que le traité anglo-néerlandais de 1824 n’avait pu entraîner une
quelconque attribution de territoires, dans la mesure où «l’influence» avait vocation à s’exercer sur
55
des entités politiques . Monsieur le président, permettez-moi de répondre à M. Pellet en reprenant
les termes d’un éminent auteur, dont les trava ux menées en sa qualité d’enseignant ont tant
contribué à ma compréhension du droit international ⎯je veux parler de M.Brownlie. Ecrivant
sur les frontières africaines, celui-ci a indiqué, à propos des accords relatifs à la délimitation de
sphères d’influence :
«Même si leur but était politique et s’ils revêtaient, jusqu’à un certain point, un
caractère provisoire, ces arrangements eurent parfois des résultats concrets. Quand
deux des parties à un accord étaient les seuls Etats à jouer un rôle dans la région et
quand, le moment venu, elles exerçaient e ffectivement leur contrôle sur les zones
qu’elles s’étaient respectivement réservées, la délimitation accédait au rang de tracé de
frontière, d’un point de vue tant factuel que juridique. Un certain nombre de
délimitations de sphères d’influence se transf ormèrent ainsi en lignes de démarcation,
d’une manière très semblable à celle dont d’autres délimitat56ns décrites dans leur
principe furent confirmées par des accords ultérieurs.»
Ce texte de M. Brownlie est reproduit dans le dossier de plaidoiries, sous l’onglet 171.
54
Voir MM, vol. 2, annexe 6.
55
CR 2007/28, p. 44-45, par. 17.
56I. Brownlie, African Boundaries: A Legal and Diplomatic Encyclopaedia , Londres, C.Hurst & Co. (1979),
p. 8-9. - 27 -
26. Dans son analyse des pratiques néerla ndaise et britannique postérieures à 1824, la
Malaisie a démontré que les deux puissances s’en étaient scrupuleusement tenues à leurs sphères
d’influence. Ainsi, les îles de Karimon, situées au sud du détroit, étaient peuplées par des sujets du
temenggong. Ceux-ci furent expulsés de ces îles ⎯lesquelles se trouvaient, aux termes du traité
de 1824, dans la sphère d’influence néerlandaise ⎯, et ne parvinrent à obtenir aucun soutien de la
57
part des Britanniques. Cela se produisit en 1827 . Dans la pratique, la ligne de partage de 1824 se
transforma en quelques années ⎯en tout cas bien avant les années 1840 ⎯ en une délimitation
entre le Johor, puis la Malaisie, d’une part, et l es Indes orientales néerlandaises, puis l’Indonésie,
d’autre part.
Le statut et l’effet juridique de la lettre de donation de 1825
27. Monsieur le président, j’examinerai main tenant les arguments de Singapour concernant
le contenu et les effets juridiques de la prét endue lettre de donation du 25 juin 1825. Singapour se
fourvoie, au point que c’en est embarrassant, en qualifiant la lettre commençant par «Votre frère»
«d’acte constitutionnel par excellence» (Chan) 58 et en ajoutant que c’est « cet instrument , la
donation, qui a réalisé le partage juridiquement pa rlant» («this instrument … which brought about
the division in legal terms») (Pellet) 59.
35 28. Monsieur le président, Singapour a-t-elle raison d’accorder une telle importance à cette
lettre ? La réponse est non, et ce pour cinq raisons :
⎯ Premièrement, cette lettre n’est rien de plus ⎯ mais aussi rien de moins ⎯ qu’une suite donnée
au traité anglo-néerlandais du 17mars1824, au traité Crawfurd du 2août1824, à la mission
effectuée par van Angelbeek auprès du résident Cr awfurd le 10avril1825 et à la visite qu’il
rendit au vice-roi à Riau le 23avril1825. Le tableau récapitulatif de cette succession
d’événements est projeté à l’écran, et il figure également dans le dossier de plaidoiries, sous
l’onglet 172. Le texte de la lettre dans son intégralité figure aussi sous cet onglet.
⎯ Mon deuxième argument est que Singapour se he urte à un problème fondamental, à savoir que
le bienfaiteur, le sultan Abdul Rahman, n’avait au cune souveraineté ni aucune autorité sur les
57RM, vol. 1, p. 214, et annexe 1 (avis de Houben).
58
CR 2007/28, p. 33, par. 19 (Chan).
59CR 2007/28, p. 45, par. 18 (Pellet). - 28 -
zones en question. En effet, il n’était pas reconnu par les Britanniques. Pour reprendre les
termes de son protecteur, le ministre néerlanda is des colonies, Elout, son autorité dans cette
60
zone était «déjà réduit[e] à néant» .
⎯ Troisièmement, un tel transfert de souveraineté territoriale d’un souverain à un autre ne pouvait
tout simplement pas s’effectuer par une lettre «écrite à un frère», par une lettre de donation.
Singapour invoque ici ⎯ de manière plutôt soudaine et pour le moins tardive ⎯ l’adat ou droit
coutumier malais, mais elle le fait sans pr ésenter le moindre élément de preuve de son
existence, de son contenu ou de son applicab ilité. Les conséquences du traité de 1824 étaient
régies par le droit international et non par l’ adat ; si toutefois Singapour souhaite l’invoquer,
c’est à elle qu’incombe la charge de la preuve.
⎯ Quatrièmement, il ressort on ne peut plus clairement d’une lecture attentive de la lettre que
celle-ci ne concernait que les îles situées au sud du détroit de Singapour, ce que montrent
premièrement, l’en-tête de ladite lettre, dans lequel il est précisé qu’elle était adressée par le
«sultan Abdul Rahman Shah des îles Lingga, Bint an et de toutes les dépendances vassales au
sultan de Singapour et de toutes les dépendan ces vassales» et, deuxièmement, le paragraphe
suivant, particulièrement important : «Le territoir e de votre frère s’étend au large des côtes sur
les îles de Lingga, Bintan, Galang, Bulan, Karim on et toutes les autres îles. Tout ce qui se
trouve en mer appartient à votre frère et tout ce qui se trouve sur le continent vous appartient.»
Monsieur le président, vous pouvez voir ces îles su r la carte qui est actuellement projetée à
l’écran et qui figure dans le dossier de plaidoi ries sous l’onglet173; vous pouvez également
les voir sur la carte néerlandaise de1842, carte que nous commençons tous à bien connaître.
Parmi les cinq îles mentionnées dans la lettre, trois ⎯ je dis bien trois⎯ l’étaient également à
36 l’article12 du traité a nglo-néerlandais de1824 ⎯à savoir les îles de Karimon, Bintan et
Lingga ⎯, les deux autres, Galang et Bulan, étant des îles clairement situées au sud du détroit
de Singapour. En conséquence, l’expression «toutes les autres îles» signifie bien entendu
également ici toutes les autres îles situées dans la sphère d’influence néerlandaise et qui ne sont
pas expressément citées dans la fameuse lettre, par exemple Batam et Singkep.
60
RM, p. 39, par. 84. - 29 -
⎯ Cinquièmement, en citant la lettre de1825, Si ngapour a délibérément omis, tout comme dans
ses écritures, la référence au traité anglo- néerlandais de1824 qui y figure et où il est
expressément indiqué que la division des territoires
«est conforme à l’esprit et au contenu du tr aité conclu entre Leurs Majestés le roi des
Pays-Bas et le roi de Grande-Bretagne. Te nez donc compte, mon frère, dans toute la
mesure du possible, du conseil de votre frère, et n’agissez pas à son encontre. Qui,
sans cela, pourrait répondre des conséquences ?» 61
29. En résumé, la lettre du 25juin1825 ad ressée par le sultan Abdul Rahman à son frère
n’était pas du tout l’«acte constitutionnel par exce llence» ni la «donation» que Singapour prétend.
Il ne s’agissait que d’une reconnaissance formelle de la situation imposée par les Britanniques et
les Néerlandais en vertu de laquelle le sultan Abdul Rahman se cantonnerait au sud du détroit et ne
revendiquerait la souveraineté sur aucune partie du Johor et de son territoire située dans le détroit et
au nord de celui-ci, y compris, naturellement, les îles et les rochers. Et c’est bien ce qui s’est
produit. Le sultan de Lingga n’a nullement protes té contre le traité Crawfurd, lequel incluait
l’ensemble des îles et rochers situés dans un rayon de 10 milles géographiques de l’île principale de
Singapour. En cent quatre-vingt-trois ans, personne n’a jamais laissé entendre ⎯ avant que
M.Pellet le fasse l’autre jour 62⎯ que, lorsque Crawfurd a hissé l’Union Jack et proclamé la
63
souveraineté britannique sur les îles Rabbit et Coney ⎯ c’est-à-dire celles situées le plus au sud
du territoire sur lequel porta it la cession de Singapour ⎯, il prenait possession d’un territoire
appartenant au sultan de Lingga. Avec tout le r espect dû à mon ami M.Pellet, il s’agit là d’une
affirmation extravagante. Ainsi que le démontre la sentence Ord, le territoire du Johor comprenait
des îles et rochers ⎯habités ou non ⎯ situés bien au-delà de la limite des 3milles marins; et
personne ⎯je dis bien personne ⎯ n’a jamais le moindrement considéré la prétendue lettre de
donation comme portant sur des territoires ou des îles situés dans la sphère d’influence britannique.
37 Cette lettre de donation portait exclusivement sur des îles situées au sud du détroit, ce qui était
conforme au traité anglo-néerla ndais auquel elle faisait référenc e et qu’elle avait pour objet de
mettre en Œuvre. Les pièces du puzzle s’assemblent parfaitement.
61CMS, annexes 5 et 6.
62
Dossier de plaidoiries de Singapour, vol. 2, onglet 17.
63MM, vol. 1, par. 57. - 30 -
30. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, si, je dis bien si ⎯ ce qui n’est pas le cas ⎯
la prétendue lettre de donation avait été censée s’ appliquer d’une quelconque manière à la sphère
d’influence britannique telle que définie par le traité anglo-néerlandais, il n’en aurait été tenu aucun
compte. D’ailleurs, il n’en a été tenu aucun compte. Les Britanniques avaient déjà conclu le traité
Crawfurd de 1824 avec le sultan et le temenggong de Johor ⎯un traité qui, ce que Singapour
refuse d’admettre, affirme la souveraineté du Johor sur l’ensemble des îles et rochers situés dans un
rayon de 10milles géographiques de l’île princi pale de Singapour ainsi que, par voie de
conséquence, sur l’ensemble des îl es et rochers situés dans la s phère d’influence britannique. Les
Britanniques avaient déjà proclamé leur souveraineté sur les îles visées par la cession du Johor sans
tenir aucun compte du sultan de Lingga, dont ils n’ont jamais reconnu l’autorité sur ces régions,
autorité qui, en réalité ⎯ et selon les termes du ministre néerlandais Elout ⎯, était déjà «reduit[e] à
néant». Pour toutes ces raisons, l’interprétation par Singapour de la lettre de donation est
indéfendable.
Le statut de la carte néerlandaise de 1842
31. Quant à la carte néerlandaise de 1842, à sa voir la carte officielle des Indes orientales
néerlandaises établie sur ordre du roi des Pays-Bas et présentée à celui-ci à peu près à l’époque où
les Britanniques cherchaient à construire un phare près de Point Romania, au Johor, c’est avec
plaisir que la Malaisie a constaté que, lors du second tour de pl aidoiries, Singapour ne remettait
plus en question son statut et sa portée. Singa pour n’allègue plus que l es trois formations sont
situées en dessous de la ligne de partage, c’est-à-dire qu’elles auraient été placées sous la
souveraineté du Sultanat de Riau-Lingga 64. Dès lors, je dois dire que j’ai été quelque peu surpris
d’entendre MM.Chan et Pellet émettre l’hypoth èse que les trois formations auraient, à l’époque,
appartenu au sultan AbdulRahman 65. Cette affirmation est tout simplement erronée, comme le
montre clairement la carte, et d’autant plus surprenante qu’elle contre dit totalement l’argument
principal de M. Chan. Monsieur le président, si la souveraineté de la Malais ie va et vient chaque
jour au gré de la marée, comment le sultan de Lingga aurait-il pu conser ver l’autorité sur une
64
CR 2007/29, p. 30-31, par. 20.
65CR 2007/28, p. 34, par. 24 (Chan) ; CR 2007/29, p. 46, par. 21 (Pellet). - 31 -
région dont les Néerlandais avaient reconnu sans difficulté qu’il ne la contrôlait pas ? D’après les
38 Néerlandais, son autorité était «réduit[e] à néant» dans cette région partic ulière. La maladie du
sultanat évanescent n’aurait-elle frappé que le nord du détroit ?
32. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Singapour n’a cessé de réclamer des
éléments de preuve spécifiques. Eh bien, apparaît à l’écran un élément de preuve susceptible de
contenter le plus éminent Pedrabranquiste. La carte de 1842 représente Pedra Branca comme étant
située dans la sphère britannique. L’hypothèse d’une revendication néerlandaise au nord de la
résidence de Riau ⎯la résidence néerlandaise la plus septentrionale ⎯ est fantaisiste. Il s’agit
d’une attribution à caractère spécifiquement politiq ue des îles actuellement en litige à la sphère
britannique. Cette attribution appa raît sur une carte officielle néer landaise faisant autorité, établie
avec soin, et illustrant l’effet conféré à un enga gement conventionnel des Pays-Bas. Cette carte
montre que les trois formations n’étaient pas terra nullius et qu’elles étaient situées au sein de la
sphère d’influence britannique, et non néerlandaise. Il n’y a là aucune déclaration de
non-revendication. Cette carte est immédiatement antérieure à la constitution de l’objet du présent
différend. Il s’agit d’une représentation officie lle et, oserais-je dire, d’excellente qualité des
conséquences du traité anglo-néerlandais en 1842. Par ailleurs, cette carte montre également que le
Johor continuait à exister et possédait des territo ires continentaux et insulaires. Monsieur le
président, cette carte constitue autant de réfuta tions de l’argument de Singapour relatif à la
prétendue donation, et d’autres encore.
33. Cette interprétation est confirmée par la carte des Indes orientales néerlandaises établie
en 1886 par le comte de Byland, aux fins de l’annexer aux traités conclus en 1882 et 1883 avec des
66
princes locaux . Sur cette carte ⎯une carte établie trente-cinq ans après la construction du
phare ⎯, PBP apparaît également au nord de la sphère d’influence néerlandaise.
La sentence Ord de 1868
34. M. Chan était également en désaccord avec la thèse de la Malaisie concernant la sentence
arbitrale de 1868, aux termes de laquelle le gouverneur Ord ⎯ agissant en qualité d’arbitre dans le
cadre du différend frontalier entre le Johor et le Pahang, deux Etats malais ⎯ délimita leurs
66
MM, vol. IV, carte 11. - 32 -
territoires. La carte annexée à la sentence est projetée à l’écran. Contrairement à ce qu’avance
Singapour, jamais la Malaisie n’a tenté, je cite, «d’interpréter la sentence Ord de sorte qu’elle
inclue Pedra Branca» 67. Il s’agit là d’un malentendu. Il n’existait aucun différend entre le Pahang
et le Johor sur ces trois formations, cela est tout à fait clair. Ce que nous n’avons cessé de dire tout
39 au long de nos écritures et de nos plaidoiries, c’est que la carte annexée à la sentenceOrd
représente les trois formations comme appartenant au Johor. Cette sentence et la carte y annexée
furent publiées après la construction du phare sur PB P. Il ne fait aucun doute qu’Ord, en tant que
gouverneur des Etablissements des détroits, aurait représenté Pulau Batu Puteh comme un territoire
britannique si la Grande-Bretagne avait possédé l’île en 1851. Or, en réalité, la sentence et la carte
y annexée reflètent le contenu, très clair, de l’ article si souvent cité au cours de la présente
procédure orale, à savoir l’éditorial du 25mai1843 du Singapore Free Press , journal faisant
autorité. Il y est indiqué que BatuPuteh ⎯eh oui, nous retrouvons une fois encore ce nom,
en 1843 ⎯ que «BatuPuteh» est «situé[e] dans les territoires de notre bien-aimé allié et
pensionnaire, le sultan de Johore, ou plutôt le tomungong de Johore, car c’est lui le véritable
68
souverain» .
Le mémorandum de 1886
35. Enfin, Monsieur le président, M.Chan a évoqué un mémorandum du secrétaire du
sultanAbuBakar, intitulé «Les îles Natuna, An amba et Tambilan» et daté du 5mai1886.
Contrairement à ce que conclut Singapour, ce mémo randum ne présente aucunement le détroit de
Singapour tout entier comme la ligne de partage. En outre, ce qui importe est, bien entendu, le
libellé même de l’article XII du traité anglo-néerlandais. Celui-ci dispose clairement que «[l]es îles
au sud du détroit de Singapour» n’entrent pas dans la sphère d’influence britannique.
Conclusion
36. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, pour conclure, je dirai que, depuis un temps
immémorial, le Sultanat de Johor détient un titre originaire sur les trois formations. PBP n’a jamais
été terra nullius.
67
CR 2007/28, p. 34-35, par. 26 (Chan).
68
MM, par. 95, et annexe 40. Voir également MR, par. 99-102. - 33 -
37. Les événements survenus au cours du XIX siècle n’y ont rien changé. Le traité
anglo-néerlandais de 1824 n’a en rien modifié le statut des trois formations. De même, ces
dernières n’étaient pas couvertes par la cession de Singapour effectuée aux termes du traité
Crawfurd. La lettre de donation de1825 émanant du sultanAbdulRahman était dépourvue de
valeur juridique, et, en tout état de cause, ne portait pas sur les îles situées dans le détroit, y compris
celles qui faisaient déjà partie de la colonie de Singapour en 1825. L’autorisation donnée en 1844
40
par le sultan et le temenggong du Johor aux Britanniques de construire un phare sur PBP
n’impliquait pas de transfert de souveraineté sur l’île.
38. En conséquence, Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le titre originaire sur les
trois formations fut transmis à l’Etat successeur, à savoir la Malaisie.
39. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention.
Monsieur le président, peut-être serait-il opportun de faire une pause et, si vous m’y autorisez, je
vous prierais de bien vouloir appe ler à la barre, après la pause, mon collègue Marcelo Kohen, afin
qu’il poursuive l’exposé de la Malaisie. Je vous remercie.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur Schrijver,
pour votre plaidoirie. J’appellerai M. Kohen à la barre après la pause.
L’audience est suspendue de 16 h 35 à 16 h 50.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de prési dent: Veuillez vous asseoir. J’appelle M.
Kohen à la barre. Vous avez la parole.
Mr. KOHEN: Thank you very much, Mr. President.
JOHOR S CONSENT TO THE CONSTRUCTION OF THE H ORSBURGH LIGHTHOUSE
A. Singapore’s diabolica probatio
1. Mr. President, Members of the Court, in his first speech during the first round, my friend
69
Professor Alain Pellet spoke of a diabolica probatio . This was how he characterized his task of
proving that Pulau Batu Puteh was a terra nullius and that the permission to construct the
69
CR 2007/20, p. 52, para. 1 (Pellet). - 34 -
lighthouse did not extend to this island. Singapore’s task has indeed proved to be very difficult, if
not impossible, but not for the reasons which he gave. The second round has just confirmed it.
2. My friend Nico Schrijver has just refuted the last argument of our adversaries in so far as
it relates to the question of sovereignty over PBP, Middle Rocks and South Ledge at the time of the
41
construction of the lighthouse. I will now set out to refute the final, vain claims of Singapore
aimed at denying that Johor’s permission to construct the Horsburgh lighthouse included Pulau
Batu Puteh. My task has, moreover, been facilita ted by reason of the fact that Singapore has failed
to answer the essential Malaysian arguments rela ting to the construction of the lighthouse, and
notably to Johor’s permission.
3. Confronted with these difficulties, my friend the counsel for Singapore thought he was
entitled to impose in turn a sort of diabolica probatio, without the support, of course, of any rule
relative to the burden of proof. For him to insi st: it would serve no purpose to prove that the
Horsburgh lighthouse was built on PBP with the permission of Johor, for Johor was not the
sovereign of PBP ⎯ that is indeed a veritable diabolica probatio . He could have said: even if
Malaysia proves the existence of its sovereignt y over PBP, it has no sovereignty over PBP. But
that is rather strange, Mr.President. Were one to believe our adversar ies, if Singapore gives
permission to a person passionate about fish, residing in the United States and visiting his parents
in Singapore, to stay at the Horsburgh lighthou se, then that constitutes dazzling proof of
Singaporean sovereignty 70. A fine “ effectivité”, one would say. But if the two highest authorities
of Johor, replying to Governor Butterworth’s request, give their consent to the construction of the
Horsburgh lighthouse and this consent includes PBP, then that is worth nothing because PBP is not
a territory of Johor, but ⎯ I quote Alain Pellet ⎯ “either [a] terra nullius, or, perhaps, [a] terra
sultanatis Riau” 71.
4. This effort by Singapore is doubly destined to fail: first, because what Singapore asks us,
we have proven: at the time, J ohor possessed sovereignty over PBP. Second, because authorizing
a foreign State to build a lighthouse on a given territory constitutes an undeniable manifestation of
the exercise of sovereignty.
70
MS, para. 6.59.
71
CR 2007/28, p. 47, para. 23 (Pellet). - 35 -
B. The 1844 exchanges
5. Instead of responding concretely to our analysis of the correspondence which actually
exists, my friend and opponent embarked on speculations regarding the content of Butterworth’s
requests for permission. He tells us that “i f Butterworth had mentioned Pedra Branca, the
42 Temenggong would certainly have repeated the name, as he did refer to Peak Rock” 72. But,
Mr.President, who spoke of Peak Rock? In any event, neither the Sultan, nor the Temenggong.
We know this: the latter refers to une zone (“à proximité de Point Romania”) which includes both
Peak Rock and PBP, the two locations envisaged at the time. For this very reason,
ProfessorPellet’s proposition regarding the Te menggong’s second sentence loses its substance.
For him, “ou en tout autre lieu [jugé] approprié” “did not mean in advance that the location
73
ultimately chosen would automatically ‘fall’ under the sovereignty of Johor” . The problem for
Singapore is that only two locations were envisag ed at the time, and both of them fell under the
sovereignty of Johor. And the Horsburgh lighth ouse, for which permission was requested, was
built on one of these: Pulau Batu Puteh.
6. Alain Pellet repeats once again ⎯ still without producing the slightest proof ⎯ that “when
Butterworth wrote to the Sultan and the Temenggong, the pendulum pointed to Peak Rock” 74.
How does he know this if, precisely, these letters are missing? What he says immediately after this
is more interesting. He affirms that “other locations ‘near Point Romania’ had not been completely
abandoned ⎯ hence, no doubt, the expression ‘any spot d eemed eligible’”. Counsel for Singapore
is quite right, Mr.President: the other location ⎯ the only other location to tell the truth ⎯ “not
completely abandoned” is the one that has been presented from the beginning to the end of this
tale: Pulau Batu Puteh.
7. Mr. President, Singapore’s silence on the cont ent of the last letter written by Butterworth,
75
before receipt of the letters of the Sultan and the Temenggong, is deafening . The British
Governor speaks of the construction of the lighthouse “au voisinage de Pedra Branca”. And this
was at the time when, according to Alain Pellet, “t he pendulum pointed to Peak Rock”! What has
72CR 2007/28, p. 48, para. 25 (Pellet).
73
Ibid., p. 48, para. 26 (Pellet).
74
Ibid., p. 48, para. 27 (Pellet).
75CR 2007/25, p. 44, para. 27 (Pellet). - 36 -
happened to Singapore’s “PedraBrancacentric” position? I will be told perhaps that the phrase “au
43 voisinage de Pedra Branca” could not designate Pedra Branca itself? I will refer to someone who
knew something about this. This is how Thomson described “the vicinity of the Horsburgh
lighthouse and Adjacent Malay Coast” in his 1851 Chart which the parties have shown you dozens
of times. What does this map show of the surroundings of the Horburgh lighthouse ? It includes
the lighthouse itself and therefore its location ⎯ PBP ⎯ the sounds of the entire region, the
Romania Isles and the “adjacent Malay coast”. Butterworth and Thomson: the two figures who
played the most important role for the British. As they said themselves, Mr.President: “In the
vicinity of Pedra Branca.”
C. PBP continues to be “near Point Romania”
8. There is more, Members of the Court. I can tell you that after the second round of
pleadings and despite Mr.Chao’s efforts, the geographical situation has not changed: PBP
continues to be “near Point Romania”. Singapore’s Attorney-General once again repeated the same
old refrain: Peak Rock is closer to Point Romania than PBP, theref ore the latter is not near Point
Romania 76. I have already referred to this matter. Ther e is no need to come back to it as there has
not been any Singaporean refutation.
9. Singapore believes that it has found support in the letter written by Butterworth to Bushby
on 26 August1846. In it, the Governor explained why he had given his preference to Peak Rock
77
instead of PBP in 1844 . Butterworth said, citing his letter of 22August1845, that PBP “[est si
éloignée] de Singapour et du continent et telle ment inaccessible à certaines saisons de l’année” 7.
79
Singapore told us that the questions of distance and proximity are relative . Our opponents have
forgotten to apply to their reading of this pa ragraph of the letter of 26August1846 what they
preach elsewhere. For it is evident that PBP is located at a distance further from Point Romania
than Peak Rock and that the purpose of the para graph in question was for Butterworth to explain
why he had chosen Peak Rock and not PBP for the construction of the lighthouse.
7CR 2007/28, p. 19, para. 3 (Chao).
77
Ibid., p. 19, para. 3 (Chao).
78
MM, Vol. 3, Ann. 51; MS, Vol. 2, Ann. 16.
7CR 2007/28, p. 19, para. 3 (Chao). - 37 -
44 10. Mr.President, I wondered why Singapore di d not cite the original letter, but preferred
Butterworth’s citation in his letter of a year later. Why? The answer is quite simple. Because in
80
the letter of 22August1845 , a few lines further up from the quotation in question, Butterworth
characterized as “voisinage” “les environs de Pedr a Branca et de Point Romania à l’entrée de la
81
mer de Chine” . The two geographical references (Pedra Branca and Point Romania) are
explicitly cited there. Butterwor th characterizes them as a neighbourhood. What has become of
Singapore’s “PedraBrancacentric” focus, Mr. President?
11. Mr.Chao broke Singapore’s silence on the definition given by JohnCrawfurd of
Romania and which you can see on your screen. It is a pity that he somewhat distorted the remarks
of the signatory of the 1824 treaty with Johor, lim iting the extent of “Romania” to Point Romania
and the Romania Islands, which the author does not do. It is a matter of a single sentence, and it
includes in the definition everything that is found there.
12. Singapore’s Attorney-General preferred to use his time to engage in photographic
82
prestidigitation, accusing Malaysia of manipulation . Everything is a matter of perspective. A
photograph taken from a small craft and another take n from the bridge of a large petrol tanker,
taken at the same place and pointing in the same direction, but consequently from different heights,
do not provide the same view. I do not think it is worth dwelling on the question. Singapore does
not deny that Point Romania is within sight from PBP. It would have been more worthwhile for
Singapore to analyse, for instance, Thomson’s defi nition (“Point Romania, le territoire le plus
proche de Pedra Branca”), the title of the same Thomson’s map of 1851 ⎯ which you have just
seen and which you know very well ⎯ and the concrete and clo se link between PBP and Point
83
Romania during the construction of the lighthouse also described by Thomson . However, our
opponents have chosen continued silence as thei r only answer on these fundamental questions for
the determination of what is “near Point Romania”.
8Judges’ folder, tab No. 174; MS, Vol. 2, Ann. 14; MM, Vol. 3, Ann. 47.
81
MM, Vol. 3, Ann. 51; MS, Vol. 2, Ann. 16.
82
CR 2007/28, pp. 20-21, paras. 5-10 (Chao).
8CR 2007/25, pp. 49-51, paras. 43-53 (Kohen). - 38 -
45 D. The later correspondence confirms that the authorization includes PBP
13. We have already seen that our opponents have other problems with Butterworth’s letter
of 26August1846. I return therefore to my debate with my friend AlainPellet on the subject of
the word questioned by Singapore, “case” (not “car e”). It is understandable that Singapore has
ultimately tried to minimize the importance of the question. But I must nonetheless point out a
revealing slip of the tongue by my friend Alain Pellet. He says that he is troubled, then only
“half-troubled”, because “Malaysia carefully confin ed itself to juxtaposing the disputed word with
the other instances of “case” in the report” 8. Counsel for Singapore is quite right, Mr. President!
It is indeed with the four other uses of the word “case” which appear in the same document that we
juxtaposed the word that has beco me disputed, that is to say, “case”. For the author of the letter
used the word “case” five times in his letter and annexes but not once the word “care”. Once again,
not a word on the analysis of the context. Certainly, I must salute the thoroughness of my
opponent, who had to track down a reference relating to a Sco ttish lighthouse to find a single
example of the use of the formulation “care of the Light” 85. What is striking, however, is that in
the abundant correspondence relating to the Horsburgh lighthouse, there is not a single example of
the use of the word “care” tending in that direction. Not a single one. Worse still for Singapore:
each time that it itself refers to the question of the operation or maintenance of the lighthouse
throughout this case, the reference is not to “care”, but systematically to its “upkeep” 86. The same
is true for the description by Singapore’s Director of Marine, Mr.Pavitt, in the paragraph of his
work published by the Singapore Light Dues Board, which so irritates our friends and opponents:
“Le conseil, institué par la loi de1957, est chargé de la fourniture et de
l’entretien de tous types d’aides à la navigati on dans les eaux de Singapour, ainsi que
pour les stations plus éloignées de PedraBranca (Horsburgh) en mer de Chine
méridionale et de Pulau Pisang dans le détroit de Malacca.” 87
46 14. Members of the Court, you have this important letter from the Governor at tab173A.
Reading it will enable you to determine which te rm makes more sense, as well as the exact bearing
84
CR 2007/28, p. 49, para. 28 (Pellet); emphasis added.
85
CR 2007/28, p. 50, para. 28 (Pellet).
8MS, paras.6.22-6.23 and 6.34; RS , para.4.24 and p.278, para.11 (b); CR2007/23, p.17, paras.31 and 33
(Bundy); CR 2007/22, paras. 1 and 4 (Bundy).
8First Pharos of the Eastern Seas: Horsburgh Lighthouse, A Chronicle Compiled by J. A. L. Pavitt, 1966, p. 51.
MM, p. 114, para. 259; emphasis added. - 39 -
of the letter and its implications in terms of the applicability of Johor’s permission to the site finally
chosen: PBP. As does the subsequent practice which we have cited and which Singapore has not
contested, which shows the applicability of “the whole of the details” relative to the lighthouse ⎯
and not just the “care” which is to be given to it ⎯ foreseen in 1844 for the location finally chosen:
Pulau Batu Puteh 88.
15. During the second round, Singapore also rema ined silent concerning the despatch of the
Government in India to the East India Company’s Court of Directors dated 3October1846
referring to the approval of PBP as the location for the Horsburgh lighthouse and containing
GovernorButterworth’s letter of 28November 1844 and the letters of permission from the Sultan
and the Temenggong.
16. As to the “full report” of the same Governor to the Government of Bengal of
12June1848, Singapore has decided to throw in the towel as regards its legal arguments. Its
explanation is ultimately confined to the “nearly obsessive” care taken by British civil servants to
archive everything, “to place all the relevant documen ts in the file”. This is all that our opponents
have found as an explanation for the fact that Butterworth himself ⎯ not the imagination of
Malaysia’s counsel, Mr.President, but Butterworth himself ⎯ had described his letter of
28 November 1844 ⎯ in which, as we know, he speaks of the permission of Johor and which
contains by way of annexes the letters of permission from the Sultan and the Temenggong ⎯, as
89
“concernant la construction d’un phare sur Pedra Branca” . Members of the Court, what remains
of “PedraBrancacentrism”? For these are concrete and explicit references to “Pedra Branca” with
which we are dealing.
17. That, then, is the last we hear of “ a lighthouse and not the lighthouse” 90. No, now it is a
matter of placing “all the relevant documents in th e file”. Fine. I note that “the relevant
documents” do not begin at the time when Tree Isla nd (that is, an island in the Dutch sphere of
influence) or Barn Island (in territory ceded by Johor to Great Britain in 1824) were envisaged.
47 No, Mr.President. They begin, no more a nd no less, only with Butterworth’s letter of
8CR 2007/25, p. 57, para. 69 and p. 58, para. 72 (Kohen).
89
MS, Vol. 2, Ann. 27.
9CR 2007/21, p. 28, para. 53 (Pellet). - 40 -
28 November 1844. Mr. President, it is difficu lt to see here how “everything is connected” (“tout
s’enchaîne”) in Singapore’s reasoning 91. Even less how for Singapo re “every piece in the puzzle”
92
fits neatly together . No. We were told that the lighthouse at Peak Rock had nothing to do with
the lighthouse at PBP and now we are told that, ultimately, it is one and the same file. The “nearly
obsessive” care taken by British civil servants to archive everything has been vaunted. I can well
believe it. Butterworth knew better than anyone else what he needed to keep or not keep in this
file. And so, Mr.President, if that is how it is, the question is really answered: Johor gave its
consent for the construction of the Horsburgh lighthouse and the East India Company built it. Yes,
“à proximité de Point Romania ou de tout autre lieu [jugé] approprié”, on Pulau Batu Puteh.
E. Singapore’s distortion of Thomas Church’s letter of 7 November 1850
18. Mr.President, to conclude his presentation last Tuesday on a purportedly forceful note,
counsel for Singapore proceeded to misrepresent the letter written by ThomasChurch to
Governor Butterworth on 7 November 1850. He affi rmed that Church “explained very clearly that
one of the reasons militating in favour of choosing Pedra Branca over ‘un lieu à proximité de Point
Romania’ was that Romania ‘apparte[nait] au s ouverain de Johore, où en droit les Britanniques
n’ont aucune compétence’”. He of course deduced a contrario that the position was different at
Pedra Branca, over which the British could claim full, unencumbered authority ⎯ and that is called
93
sovereignty .
19. Members of the Court, you have the text of that letter in your folders at tab 175. What
does it concern? We are at the end of 1850. It is no longer a matter of the choice of location for
the lighthouse. Not at all. Thomson reports on the progress of the work and proposes the
establishment of a station with a British army presence to protect the lighthouse. Where,
Mr.President? We already know. At “Point Ro mania le territoire le plus proche de Pedra
48 Branca” 94. The architect of the Horsburgh lighthouse himself says so in his letter. And what is
Church’s analysis? He affirms that such a station would doubtless be of some service, but doubts
91CR 2007/22, p. 51, para. 3 (Pellet) and 2007/29, p. 47, para. 39 (Malintoppi).
92
CR 2007/29, p. 39, para. 47 and p. 40, para. 48 (Malintoppi) and p. 59, para. 13 (Koh).
93
CR 2007/28, p. 50, para. 29 (Pellet).
94Letter from Thomson to Church, 2 Nov. 1850 (MM, Vol. 3, Ann. 58; MS, Vol. 3, Ann. 47). - 41 -
whether it is absolutely necessary or commensurat e with the expense that such an establishment
would occasion. And he adds this:
“Romania appartient au souverain de Johore, où les Britanniques n’ont en droit
aucune compétence. Le vapeur ou les canonnières devront bien sûr se rendre à Pedro
Branca chaque semaine et il serait utile de demander à Son Altesse le tamoongong de
constituer à Romania un village placé sous l’autorité d’un respectable panghooloo en
95
vue de prêter main-forte en cas d’urgence aux habitants du phare.”
20. Never once does Church compare the status of PBP with that of Point Romania. There is
no question of deciding on the siting of a military station on PBP. The alternative was either to
establish a British army station at Point Romania, in which case it would have required
authorization by Johor, or to request the Temenggong to establish a village under the authority of a
96
Panghooloo ⎯ a local chief ⎯ to lend assistance to the lighthouse keepers in case of need .
21. Members of the Court, this le tter not only does not support Singapore’s a contrario
reading according to which Church considered PBP as falling under British sovereignty (1850), but
it furthermore provides a formidable example which suggests quite the contrary. Church
envisaged, neither more nor less, requesting Johor to look after the security of the lighthouse.
Where, Mr. President? On Pulau Batu Puteh.
Conclusion
22. Mr. President, Members of the Court, ultim ately the question is a simple one, despite all
the efforts by Singapore to make it complicated: there was a wish to build a lighthouse on the
White Rock to pay homage to JamesHorsburgh, the authorities of Johor gave permission for the
building of this lighthouse and the East India Company built the lighthouse. The evidence is not
lacking. Indeed, it is over-abundant: Butterworth ’s letters just before and just after the
authorizations by the Johor authorities, the conten t of those letters, the later letters including
Butterworth’s full report, the subsequent practic e confirming that what was foreseen for the
location of the lighthouse at the time when the s ite envisaged was Peak Rock was equally applied
49 to PBP ⎯ which Singapore has not contested. And, fu rthermore, one finds explicit references to
“Pedra Branca”, the idée fixe of our opponents.
95
Letter from T.Church, Resident Councillor, to W.J.Butterworth, Governor of Prince of Wales Island,
Singapore and Malacca, 7 Nov. 1850: MM Ann. 59; MS Ann. 48 (Malaysia Pleadings, judges’ folder No. 5, tab 175).
96
RM, paras. 239-246. - 42 -
23. The essentials of the story can be reduced to this. So too can the consequences which
stem from them. The permission given by Johor to build the lighthouse makes Singapore’s fragile
and convoluted case collapse irreparably, both be fore the purported “lawful taking of possession”
of a terra nullius, as well as after it, for it renders all Singapore’s purporeffectivités devoid of
value for the purposes of the establishment of territorial sovereignty.
24. I thank you Mr.President. May I request that you kindly give the floor to my
distinguished colleague and friend Sir Elihu.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Je vous remercie, MonsieurKohen,
pour votre exposé. Je donne à présent la parole à sir Elihu Lauterpacht. Vous avez la parole.
Sir Elihu LAUTERPACHT :
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je vous remercie pour votre
plaidoirie, Monsieur Kohen. Je donne maintenant la parole à sir Elihu Lauterpacht. Vous avez la
parole, sir.
Sir Elihu LAUTERPACHT :
LA THÉORIE DE «L’OCCUPATION LÉGALE » PLAIDÉE PAR SINGAPOUR
1. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, je traiterai trois questions dans ma
plaidoirie d’aujourd’hui.
I
2. Je répondrai tout d’abord à la question po sée par le juge Keith le 16novembre2007.
Celui-ci a demandé s’il y avait dans la décisi on rendue par le Privy Council en l’affaire de l’Ile
Pitcairn des éléments ayant une pertinence pour la pr ésente instance. En bref, la réponse est non,
comme je vais l’exposer maintenant plus avant.
3. Il a été fait mention de l’histoire de l’île Pitcairn dans la réplique de Singapour
(par.3.102-3.104), et dans le premier e xposé de M.Brownlie, le 7novembre2007 9, ce à l’appui
97
CR 2007/21, p. 47, par. 60. - 43 -
de la proposition selon laquelle «rien n’atteste l’ existence, dans la pra tique étatique britannique,
d’une règle positive imposant l’accomplissement de certaines formalités» 98.
4. Un extrait de la décision de la cour d’appel de l’île Pitcairn a été cité ⎯ à savoir :
50 «[I]l n’est pas requis d’acte officiel d’ acquisition. C’est l’intention de la
Couronne, attestée par ses propres actes et les circonstances contextuelles, qui
détermine si un territoire a été acquis au rega rd du droit anglais. Le même principe
s’applique dans le cadre du règlement de différends in ternationaux relatifs à la
99
souveraineté.»
5. Faite à titre incident par la cour d’appel, cette observation n’était pas indispensable à sa
décision. Elle faisait partie d’un paragraphe qui , je le rappelle, débutait comme ceci : «Il n’est pas
nécessaire d’arrêter le moment précis auquel l’ île Pitcairn est devenue possession britannique.» 100.
Néanmoins, au paragraphe suivant, la Cour déclara ⎯ et je cite là encore :
«Les éléments disponibles permettent d’établir son acquisition en tant que
possession britannique, probablement dès 1838. Le fait que l’Union Jack a été hissé et
accepté à l’époque, et la nomination d’un ma gistrat principal tenu de faire vŒu de
loyauté et de rendre compte à la Reine, c onstituent des éléments appréciables. Cette
date est traditionnellement considérée depui s longtemps comme celle où l’île Pitcairn
devint de manière certaine une possession britannique.» 101
J’attire votre attention sur le passage relatif à l’Union Jack et à la nomination d’un magistrat
principal.
6. Il apparaît donc que l’origine du titre britannique sur l’île remonte à certains actes
spécifiques ⎯ l’apparition de l’Union Jack et la nomination du magistrat principal en 1838.
7. Lorsque le Privy Council fut saisi de l’ affaire, lord Hoffman n’estima pas nécessaire
d’examiner les circonstances dans lesquelles l’île Pitcairn avait été occupée et colonisée. Il
déclara : «En 1898, le secrétaire d’Etat donna l’instruction d’appliquer l’ordre [à savoir l’ordre en
conseil relatif au Pacifique] à Pitcairn. Cette instruction constituait donc, de la part de la Couronne,
102
une reconnaissance de Pitcairn en tant qu’établissement britannique.» Il ajouta ensuite : «Il leur
appert [aux lords] que le statut juridique de l’île en tant que possession britannique est avéré par
une série de déclarations de l’exécutif, à comme ncer par les instructions du secrétaire d’Etat
98Ibid., p. 46, par. 58.
99Ibid., p. 47, par. 60.
100
ILR, vol. 127, p. 294, par. 46.
101
Ibid., p. 295, par. 47.
102[2006], UKPC, p. 47, par. 4. - 44 -
103
de 1898 jusqu’à l’élaboration de l’ordre en conseil de 1970.» Il invoqua plus loin l’affaire dite
The Fagernes 104 comme précédent à l’appui de la propos ition selon laquelle la cour tiendrait pour
105
concluante une déclaration de l’exécutif sur l’ étendue du territoire de la Couronne britannique .
51 106
Lord Woolf se rangea aux vues de lord Hoffman . Lord Hope of Craighead déclara «attesté par
les éléments de preuve que Pitcairn fut établie par voie de colonisation» 107.
8. La décision du Privy Council ne contient rien d’autre qui intéresse la présente affaire.
Voilà pourquoi j’ai répondu en bref par la négative à la question du juge Keith. Il suffit de noter
que le Privy Council refusa d’examiner le mode d’acquisition et n’eut donc rien à dire sur le dictum
général de la cour d’appel ou sur son application dans cette affaire s’agissant des actes spécifiques
qui furent accomplis en 1838, à savoir le dépl oiement de l’Union Jack et la nomination d’un
magistrat principal. Ainsi s’achève notre réponse au juge Keith.
II
9. Je passe maintenant à la deuxième grande partie de ma brève contribution. J’examinerai à
présent un point important de la plaidoirie de M. Pellet. Celui-ci, au paragraphe 15 de sa plaidoirie
du 19novembre2007, a rejeté sans grand ménagement ma référence 108 aux travaux de
M.Alexandrowicz. Vous n’aurez pas oublié que je ne m’étais pas référé uniquement à
M.Alexandrowicz, mais aussi à Grotius, dont nul d’entre nous ne contestera l’autorité
considérable. Les passages que j’avais cités appe laient une réponse plus étoffée. Ils étaient
importants tant ils contredisaient directement l’ argument de Singapour selon lequel Pulau Batu
Puteh était terra nullius et, plus généralement, il existait une multitude de terrae nullius
disséminées à travers les Indes orientales. Le fait est que Grotius, et M. Alexandrowicz à sa suite,
ne considéraient visiblement ni l’un ni l’autr e qu’il se trouvait dans les Indes orientales des
territoires qui pouvaient être traités comme terrae nullius et que les Etats européens pouvaient
103[2006], UKPC, p. 4, par. 9.
104[1927], p. 311, 324.
105
[2006], UKPC, p. 47, par. 30.
106
Ibid, par. 33.
107Ibid., par. 47.
108CR 2007/24, p. 34-35, par. 11-14. - 45 -
occuper à leur guise. Leur analyse exhaustive de la situation des Indes orientales n’excluait
manifestement pas la région du Johor et de Pulau Batu Puteh.
10. M.Pellet cite un passage d’une opinion de sir John Harding, qui était l’un des Law
Officers de la Couronne en 1853, comme s’il appuyait la position de Singapour. M.Crawford a
déjà examiné ce point de manière détaillée, mais j’ai tout de même quelques mots à ajouter.
L’opinion de Harding, lorsqu’e lle est lue comme il convient, n’étaye en rien la position de
109
52 Singapour mais, au contraire, conforte pleinement la thèse de la Malaisie . Voici à l’écran un
extrait de l’opinion de sir John Harding. Comme je l’ai indiqué, lue correctement, cette opinion
n’étaye en rien la position de Singapour, mais conforte pleinement la thèse de la Malaisie ⎯ tant et
si bien que je dois la parcourir avec vous phrase par phrase, ce dont je vous prie de m’excuser.
Pour commencer : «[B]ien que le caractère inhabité de l’île en question ne soit nullement décisif à
mon sens…» Marquons une pause ici: de toute évidence, Harding indique par là que si l’île en
question est inhabitée, cela ne signifie pas que, pour cette seule raison, elle est susceptible
d’occupation. Il poursuit en ces termes: «[A] supposer toutefois qu’elle n’appartienne en fait à
aucune nation, et qu’aucun acte de propriété n’y ait jusque-là été accompli par une quelconque
autorité reconnue…» Si l’on s’ arrête une nouvelle fois, il est là encore évident que Harding émet
une hypothèse ⎯à savoir que l’île n’appartient en fait à aucune nation, c’est-à-dire qu’elle est
terra nullius. Nous en arrivons ainsi à sa conclusion, que j’introduirai par l’expression «dans ces
conditions», puisque ses propos sont nuancés par ce qui précède: «[J]e conçois [dit-il] que la
Couronne britannique puisse prendre légalement possession de l’île en question et se l’approprier
pour son propre usage.» En d’autres termes, il faut postuler que l’île est terra nullius pour pouvoir
en prendre possession.
11. Que trouver de mieux à l’appui de la pos ition de la Malaisie? A supposer que l’île
n’appartienne à personne et qu’aucun acte de propriété n’y ait jusque-là été accompli, la Couronne
britannique peut la revendiquer comme sienne. Je ne parviens pas à saisir en quoi cette opinion
aide Singapour, mais je remercie vraiment M. Pellet de l’avoir portée à l’attention de la Cour.
109
Voir le dossier de plaidoiries, onglet 176. - 46 -
III
12. La troisième partie de mon exposé, plus substantielle, consiste à répondre à certains des
arguments avancés par M. Brownlie dans sa plaidoirie du 19 novembre au sujet de l’acquisition du
titre sur Pulau Batu Puteh dans les années 1847 à 1851. De toute évidence, je ne puis répondre à
tous et me limiterai aux plus contestables. Ce rtains seront également traités par mes confrères,
dans une certaine mesure.
13. Mais, avant tout, j’espère que la Cour ne me tiendra pas rigueur de répéter ce dont elle a
certainement déjà bien conscience. La Malaisie a démontré que Pulau Batu Puteh n’était pas terra
53 nullius en 1847 mais appartenait au Johor. Dans la mesure où l’argument de M.Brownlie
présuppose le contraire ⎯ et tel est largement le cas ⎯, il est foncièrement vicié. Rien n’autorisait
la Grande-Bretagne à l’époque, ni à aucun autre moment, à acquérir sur une île un titre qui ne
pouvait s’obtenir qu’avec le consentement du souverain local. Et le consentement accordé était
limité à la construction et à l’expl oitation du phare. Ce qui m’inquiète, je le répète, c’est que l’on
cherche en un sens à égarer la Cour, ou à détourner son attention, en introduisait dans le débat cette
profusion de faits et d’arguments concernant d es événements postérieurs à 1851. A mon humble
avis, ceux-ci faussent l’affaire. C’est du titre en 1847 dont il s’agit en l’espèce.
14. Si vous le voulez bien, j’en viens mainte nant à mes observations sur la plaidoirie de
M. Brownlie. Voici la première : M. Brownlie m’accuse d’être resté muet sur les sources du droit
intertemporel applicable. S’il me reproche par là de ne pas m’être étendu sur les travaux des
nombreux publicistes éminents du XIX esiècle qu’il a cités, ma raison est qu’il n’y a guère matière
à les contredire. M.Brownlie omet d’indiquer qu e, s’agissant de l’acquisition d’un territoire par
l’occupation, tous partent de l’hypothèse que le te rritoire en question est susceptible d’acquisition,
qu’il est en fait terra nullius. L’omission de cet aspect de leurs écrits prive de valeur le soutien que
Singapour veut les voir apporter à sa thèse.
15. Voici ma deuxième observation : la Malais ie a ensuite été critiquée pour son silence sur
la nature des actes accomplis à titre de souverain. Eh bien, tout acte accompli par un souverain ne
constitue pas nécessairement un acte à titre de souverain. Pour posséder cette qualité, l’acte doit
forcément être accompli par un souverain dans l’exercice de ce qui fait le propre d’un acte
souverain. Pendant la période 18 47-1851, la conduite de la Gra nde-Bretagne ne pouvait pas être - 47 -
qualifiée de conduite à titre de souverain. Comme je l’ai déjà dit à la Cour, il s’agissait d’une
conduite liée en tout point à la constructi on d’un phare, et rien de plus. Elle ne supposait pas
l’affirmation d’une autorité gouvernementale . J’ai consacré une bonne partie de mon exposé
d’ouverture à analyser avec soin le processus de c onstruction du phare. La pose de briques à titre
d’essai, le creusement de canalisations destinées à récupérer les eaux de pluie et les autres
initiatives du même ordre pouvaient difficilement être qualifiés d’actes à titre de souverain, sauf à
postuler, comme M.Brownlie, que ces actes possédaient quelque attribut qui permettrait de leur
conférer cette qualité, ce qui ne pouvait être le cas à mon humble avis. Cela étant, une fois battu en
brèche le fondement même de la thèse de M. Brownlie, il est nécessairement exclu de parler d’actes
accomplis à titre de souverain. Au lieu de cela, M.Brownlie appelle les travaux des «travaux
publics». Mais cela ne sert nullement la thèse de Singapour car, au-delà du fait que les travaux
furent menés en public, ce qui n’est certainement pas ce que M.Brownlie avait à l’esprit en
54 utilisant l’adjectif «public», ils auraient tout aussi bien pu être accomplis à titre privé. M. Brownlie
a déclaré qu’«il n’est pas démontré que les Britanniques entendaient créer un bien qui ne constituât
qu’une propriété privée» 110. Et alors? Quand bien même la vocation publique du phare serait
démontrée, en quoi aurait-elle pu jouer sur la questio n de la souveraineté ? Cela ne suffirait pas en
soi pour faire de l’acte un acte accompli à titre de souverain.
16. J’arrive maintenant à ma troisième observation. M. Brownlie a déclaré que «les autorités
britanniques étaient très conscientes de l’importance de l’attribution de la souveraineté entre les
puissances présentes dans la région». Je ne vois pas ce que cela vient ajouter à l’argumentation. Si
les autorités britanniques étaient si «conscientes», comme le présume M. Brownlie, de l’attribution
de la souveraineté entre les puissances présentes dans la région, n’est-il pas étrange qu’elles n’en
aient jamais rien dit, qu’elles n’aient jamais ré vélé quoi que ce soit sur cet état d’esprit, qu’elles
n’aient jamais profité des différentes occasions qui se sont présentées à elles de déclarer leur titre
sur l’île? On ne saurait passer sous sile nce le fait que, dans de très nombreux cas où les
Britanniques ont acquis un titre sur des îles situées dans la région, l’intention d’acquérir s’est
toujours manifestée à travers des actes officiels comme l’arrivée d’un bâtiment de la marine, le
110
CR 2007/28, p. 53, par. 12. - 48 -
déploiement officiel d’un drapeau, la salve de vi ngt et un coups de canon et, surtout, la lecture
d’une déclaration dans laquelle ils affirmaient leur prétention. S’agissait-il d’une politique de
retenue délibérée de la part des autorités britanniques ? Ayant obtenu du sultan et du temenggong
l’autorisation de construire un phare en tout lieu qu’elles jugeraient approprié, les autorités
britanniques adoptèrent une attitude prudente, atte ntives à ne pas provoquer d’affrontement avec
ces dirigeants sur un point sans importance pour la Grande-Bretagne qui ne faisait absolument
aucun cas, à l’époque, de la souveraineté sur Pu lauBatuPuteh. Ce qui importait c’était la
construction et l’exploitation d’un phare dans l’inté rêt des navires qui faisaient la navette entre la
Grande-Bretagne et ses comptoirs d’Extrême-Orient. Du point de vue impérial, militaire ou
maritime, que l’île fût britannique ou non n’avait aucune importance. Il n’y avait de toute façon
pas assez de place sur l’île pour que les Britanniques aient pu y établir des installations sans rapport
avec l’exploitation du phare. Le fait que l’île n’ était pas britannique n’était manifestement pas
considéré comme préjudiciable au bon fonctionnement de l’exploitation du phare.
17. Ma quatrième observation est la suivante : Que veut dire M. Brownlie lorsqu’il poursuit
en déclarant: «Le contexte général était caractéri sé par la coexistence d’entités politiques. Il y
55 avait un lien naturel entre l’utilisation exclusiv e d’un territoire et la souveraineté sur ce
territoire»111? La souveraineté ne découle pas nécessair ement de l’utilisation exclusive, comme le
montre le fait ⎯ tout à fait indéniable ⎯ que de très nombreux phares sont construits par un Etat
sur le territoire d’un autre Etat, que de très nombre ux baux sont conclus par un Etat sur le territoire
d’un autre Etat, soit autant de servitudes entraînant une exclusion de l’Etat hôte. Une utilisation
exclusive ne crée pas en soi la souveraineté.
18. La Malaisie est ensuite accusée de disso cier la question de l’intention de celle du
processus de prise de possession ⎯ de le faire sans raison juridique 112. Les deux notions sont bien
évidemment traitées séparément ⎯ mais en réponse au propre exposé de Singapour sur les
éléments de l’intention.
19. Je passe à présent à la cinquième observation. C’est là encore une autre proposition
indéfendable qui est avancée par la Partie adverse comme si elle découlait de ce qui a été dit avant :
111
Ibid., par. 13.
112
Ibid., par. 14. - 49 -
«La construction du phare représentait la mise en pratique de l’inte ntion de la Couronne
britannique telle qu’elle est exprimée dans de nombreux documents officiels.» 113 Je suis désolé, il
me faut relire cette phrase car elle n’a peut-être pas été bien comprise : «La construction du phare
représentait la mise en pratique de l’intention de la Couronne britannique telle qu’elle est exprimée
dans de nombreux documents officiels.» Comment peut-on commencer une argumentation par une
telle déclaration alors que c’est précisément «l’i ntention de la Couronne britannique» qu’il faut
prouver ici. Singapour le reconnaît. L’existence de l’intention de la Couronne devrait constituer la
conclusion de l’argumentation, et ne peut donc être posée comme une prémisse. Et que sont ces
«nombreux documents officiels» qui ne sont pas nommés et dans lesquels cette prétendue intention
est supposée avoir été «exprimée» ? Je ne parviens pas à les trouver.
20. J’en arrive donc à la sixième observa tion. Passons à présent à la section que
M.Brownliea intitulée: «La prise de possession lé gale». Il commence en déclarant que «[l]a
décision est prise de construire un phare sur une île, laquelle ne fait pas partie du Johor». Mais où
trouve-t-on, dans les documents, une quelconque indication de ce que la décision fut prise de
construire sur Pulau Batu Puteh car elle ne faisait pas partie du Johor 114 ? On n’en trouve aucune
trace.
56 21. Et qu’en est-t-il du choix qu’il introdui t entre passer un accord avec le souverain du
territoire en question et s’arroger la souveraineté sur la base d’un processus pacifique de prise de
possession 115? Où trouve-t-on, dans les documents , une indication quelc onque de ce que les
autorités britanniques aient jamais fait cette sort e de choix? Il y a toujours, toujours, cette
supposition selon laquelle Pulau Batu Puteh n’appartenait pas au sulta n du Johor car ce n’était pas
Peak Rock, qui lui, appartenait au Johor. Te lle est la position de Singapour. Celle-ci renvoie
spécialement la Cour à la lettre du 28novembre1844 116que le gouverneurButterworth adressa à
Currie, comme si cette lettre pouvait appuyer sa thèse. Mais je l’ai examinée à nouveau et je n’y
trouve rien qui aille dans ce sens.
113Ibid., par. 14.
114
Ibid., par. 16.
115
Ibid.
116MM, vol. 3, annexe 46. - 50 -
22. J’en arrive donc à la septième observa tion. On nous emmène ensuite vers ce que
M. Brownlie appelle les éléments qui constituent «pour l’essentiel, le lien de causalité en l’espèce».
Et que sont-ils? Je cite: «Le fait est que, sans une décision de la Couronne britannique de
construire un phare sur Pedra Branca, aucun phare n’ y aurait été édifié.» Mais la réalité est que le
Gouvernement britannique ne finança pas la construction du phare ni n’en prit l’initiative. On
trouve les détails du financement, par exemple, dans les dernières pages du rapport Thomson 11.
L’essentiel des fonds provint de souscriptions privées et le solde, qui avait été, en effet, emprunté
au gouvernement, devait être remboursé grâce aux recettes des droits de phare. La
Grande-Bretagne l’indiqua très clairement dans le préambule de la loi de 1852, que je cite :
«[C]onsidérant que certaines sommes ont été souscrites par des particuliers à
cette fin [la construction du phare], mais que les sommes étaient
insuffisantes…considérant en outre que la Compagnie des Indes orientales s’est
engagée à construire ce phare, et à avan cer certaines sommes pour l’aboutissement du
projet, à condition que les mêmes sommes lu i soient restituées par le prélèvement
d’une taxe sur les navires pénétrant dans le port de Singapour.»
Je devrais saisir l’occasion qui m’est offerte d’attirer votre attention sur d’autres dispositions de la
même loi de 1852 qui révèlent le rôle limité du gouvernement dans la c onstruction du phare. Une
fois la propriété du phare transmise à la Compa gnie des Indes orientales et le prélèvement d’une
taxe sur les navires pénétrant dans le port de Singapour prévu dans une disposition de la loi, celle-ci
continue avec, à la sectionIV, l’attribution de la gestion et du contrôle du phare et de toutes les
installations y afférentes au gouverneur des Etablisse ments des détroits. Je vous prie de noter que,
57 suivant le législateur, il existait une nette distin ction entre d’une part le titre sur le phare, la
propriété de celui-ci, et de l’autre sa gestion et son contrôle. En outre, le législateur avait
manifestement considéré que les obligations de g estion et de contrôle ne devaient pas être
attribuées automatiquement au gouvernement du simple fait de son rôle da ns la construction du
phare. Et voilà pour la notion «à titre de souverain».
23. Me voici parvenu à la huitième observation. Et de qui venait l’initiative dont parle
118
M.Brownlie? Examinons le Bombay Times and Journal of Commerce du 10janvier1846 . Il
117
MM, vol. 3, annexe 43.
118
MM, vol. 3, annexe 48. - 51 -
publia le rapport d’une commission de la chambre de commerce. Voici ce qui fut publié dans le
journal :
«Nous sommes heureux de voir la chambre se charger du projet [la construction
du phare] avec autant d’ardeur…. Tant qu’il restait aux mains du gouvernement de
l’Inde, force est d’avouer que nous avions peu d’espoir de le voir aboutir. Il nous
paraissait agir avec la même indifférence en ce qui concerne ce sujet que celle qu’il
montre pour la plupart des autres questions relatives aux Etablissements des détroits
qu’il ne parvient jamais à considérer autrement que comme des Etablissements
lointains et plus ou moins barbares auxquels il serait indigne de s’abaisser à penser.»
24. Donc, en réalité, ce furent les négociants, les membres de la chambre de commerce, les
banquiers et quelques généreux particuliers qui parvinrent à faire bouger le gouvernement. Et
ensuite ⎯ c’est ce que Singapour voudrait nous faire croire — le gouverneur dut sans doute, à un
certain point, soudain comprendre quelle belle occa sion se présentait à lui. Ô miracle ! Voilà une
grande chance d’étendre l’Empire britannique. Ac quérons un rocher et c onstruisons-y un phare.
Peut-être Butterworth deviendrait-il pour Pulau Batu Puteh ce que Clive était devenu pour l’Inde !
Ce n’est certainement pas ce que l’on pensa à la résidence du gouvernement [Government House] à
Singapour, au Bengale, à la Compagnie des Indes orientales ou à l’Amirauté à Londres. Ce que les
Britanniques voulaient, c’était un phare. Ajouter un élément si infime au vaste Empire britannique
ne leur est jamais venu à l’esprit.
25. Nous arrivons donc à ma neuvième observation. De l’avis de Singapour, nous dit-on, «le
processus décisionnel et les activités relatives à la construction constituent une preuve irréfutable
de la prise de possession légale. Il est inacceptable que la Malaisie cherche à fragmenter de
119
manière artificielle ce faisceau de preuves.» Quoi d’«irréfutable» da ns cette preuve? La
réponse est : «rien». Quoi d’«inacceptable» à analy ser cette preuve ? La réponse est : «rien». Et
quoi d’«artificiel» à définir les fragments? La ré ponse est, une fois encore: «rien». La Cour se
58 voit sans cesse demander d’accepter comme prouvé ce qu’il faut précisément démontrer. Telle est,
si je peux me permettre, l’unique limite et l’unique défaut de l’appr oche de M. Brownlie dans son
ensemble. La Cour se voit sans cesse demander d’accepter comme prouvé ce qu’il faut
précisément démontrer. Pulau Batu Puteh était-elle terra nullius, de sorte qu’il était possible d’en
prendre «possession légale[ment]» ? La réponse est assurément «non».
119
CR 2007/28, p. 57, par. 29. - 52 -
26. Bien, voici ma dixième observation. Mes am is de la Partie adverse se sont fait une joie
de prendre en défaut mes connaissances en ar ithmétique. Le «casier à homards» de la
multiplication doit, selon eux, être écarté en faveur de l’addition. Zéro plus un fait un, etc. Bien,
que devons-nous ajouter entre1847 et1851 pour aboutir à un titre en1851? Une décision de
soutenir la construction d’un phare, une décision concernant le site, l’avance d’une partie des fonds
à condition que l’excédent sur les souscriptions soit remboursé grâce aux recettes des droits de
phare, la présence d’un architecte, quelques vi sites effectuées par le gouverneur sur l’île ⎯ mais
jamais, jamais de déclaration d’intention ni même un signe qui indique une appropriation ou une
déclaration de titre.
27. J’en viens à ma onzième observation. On me réprimande pour ne pas reconnaître la
valeur des écrits de sir Kenneth Roberts-Wray et sir Humphrey Waldock. J’ai le plus grand respect
pour ces deux auteurs, mais ils ont tous deux écrit à propos de l’occupation dans un contexte très
différent et en partant du principe que le territoire occupé était terra nullius. C’est seulement si la
Cour rejette la preuve du titre que détenait le Johor sur PulauBatu Puteh en1847 que la thèse de
Singapour peut parvenir à décoller. Et même alors, son voyage sera quelque peu hasardeux avant
d’atteindre la lune, si elle y parvient.
Avec cette plaidoirie, Monsieur le président et Messieurs les juges, je parviens à la fin de
cette petite contribution à l’affaire. Ce fut un i mmense plaisir que de me présenter devant vous et
de plaider contre d’aussi agréables collègues que ceux qui représentent ici Singapour. Je voudrais
vous remercier de votre patience, de votre compréhension et de votre gentillesse ainsi que de celles
de vos prédécesseurs pendant toutes ces années. Et, qui sait, peut-être aurais-je encore la chance de
pouvoir me présenter à nouveau devant la Cour.
Monsieur le président, me voici parvenu à la fin de ce que je voulais dire et nous vous
saurions gré si vous pouviez ne pas appeler M.Craw ford à la barre avant demain après-midi. Je
vous remercie, Monsieur le président. - 53 -
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie infiniment, sir Elihu,
59
pour votre exposé. Je suis sûr que tous, nous formons pour vous les vŒux les meilleurs de santé, de
bonheur et de longévité et que nous attendons avec plaisir de vous revoir de nouveau ici à la Cour.
Ceci met fin à la présente audience. Nous nous réunirons demain après-midi à 15 heures.
L’audience est levée. Je vous remercie.
L’audience est levée à 17 h 50.
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