Translation

Document Number
091-20060502-ORA-02-01-BI
Parent Document Number
091-20060502-ORA-02-00-BI
Bilingual Document File
Bilingual Content

BHY

CR 2006/39 (traduction)

CR 2006/39 (translation)

Mardi 2 mai 2006 à 15 heures

Tuesday 2 May 2006 at 3 p.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Pour des raisons qu’il m’a indiquées,

M. le juge Parra-Aranguren ne pourra pas siéger avec nous cet après-midi. MonsieurBrownlie,

vous avez la parole.

M.BROWNLIE: Je vous remercie, Madame le pr ésident. J’ai une correction à apporter.

Avant la suspension, j’examinais une conversation entre Karadzi ć et Dogo, et je suis quasi-certain

d’avoir présenté Dogo comme un allié politique de Karadzić. J’ai maintenant des renseignements

sur ce point. Ils étaient amis, certes, mais dans le domaine poétique, si tant est que cela intéresse la

Cour. Ce n’étaient pas des alliés dans le domaine politique, ils étaient amis parce qu’ils étaient

tous les deux des poètes.

d) Le discours de Karadzić devant l’Assemblée de Bosnie le 14 octobre 1991

101. Prenons un autre discours ⎯un discours, non une conversation ⎯ de Karadzi ć, qui

constitue un nouvel exemple de texte cité hors cont exte, c’est l’extrait que nos contradicteurs

donnent du discours prononcé par Karadzi ć devant l’Assemblée de Bo snie le 14octobre1991.

Voyons le passage cité par le conseil de la Bosnie au premier tour :

«Voici ce que Karadzi ć déclara lorsqu’il prit pour la dernière fois la parole
devant le Parlement bosniaque le 14oct obre1991 (il s’adressait aux Bosniaques, et
directement à M. Izetbegović, c’est-à-dire le président) [puis Karadzic est cité] :

«Vous voulez emmener la Bosnie-H erzégovine sur la même route
d’enfer et de souffrance que la Slovénie et la Croatie ont empruntée.
Attention, ne faites rien qui conduirait la Bosnie vers l’enfer et risquerait

de mener le peuple musulman ve rs son anéantissement car les
Musulmans sont incapables de se défendre en cas de guerre. Comment
allez-vous empêcher que tout le monde soit tué en Bosnie?»»
(CR 2006/2, p. 37.)

102. Madame le président, Karadzi ć s’est exprimé ainsi le 14octobre1991, lors de la

dernière séance de l’ancienne Assemblée de Bosnie-Herzégovine. La séance réunissait notamment

des députés des trois principaux partis nationaux de Bosnie-Herzégovine : le SDA (c’est-à-dire les

Bosniaques), le HDZ (les Croates) et le SDS (les Serbes). Le débat portait essentiellement sur

l’organisation d’un référendum relatif à l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine.

103. La position du groupe serbe était que l’av enir de la Bosnie-Herzégovine ne pouvait pas

être déterminé uniquement au moyen d’un référendu m s’adressant à tous les citoyens, mais qu’il - 3 -

devait être décidé au moyen d’un référendu m distinct pour chacun des groupes nationaux

constitutifs : les Serbes, les Musulmans et les Croate s. A un moment, lors de ce débat très animé,

11 Karadzić tenta d’expliquer pourquoi les Serbes étaient hostiles à un référendum et les conséquences

désastreuses que celui-ci risquait d’entraîner. Voici ce que Karadzić a réellement déclaré :

«Je vous prie une fois encore ⎯je ne vous menace pas, je vous prie ⎯ de
tenter de comprendre vraiment la volonté po litique du peuple serbe, qui est représenté
par le parti démocratique serbe et par le mouvement de renouveau serbe, ainsi que par
moi-même et par des députés serbes d’autres partis. [Tel est l’enregistrement]. Je

vous prie de comprendre vraiment que ce que vous faites n’est pas bon. [Et, ayant dit
tout cela, il ajoute] Vous voulez emmener la Bosnie-Herzégovine sur la même route
d’enfer et de souffrance que la Slovénie et la Croatie ont empruntée. Attention, ne
faites rien qui conduirait la Bosnie vers l’ enfer et risquerait de mener le peuple

musulman vers son anéantissement car les Mu sulmans sont incapables de se défendre
en cas de guerre. Comment allez-vous em pêcher que tout le monde soit tué en
Bosnie ?» (TPIY, Le procureur c. Mladic et Karadzi ć, pièce 29, onglet 1 [traduction
du Greffe].)

104. Donc, ce n’est pas vraiment le t on du discours qui nous a été suggéré.

M. van den Biesen a encore répété la version tronquée de cette citation à l’ouverture du second tour

(CR 2006/30, p. 37 et 39).

e) Conversation entre Milosević et Karadzić du 24 octobre 1991

105. Mes éminents contradicteurs se sont également prévalus d’une conversation du

24 octobre 1991 entre Milosević et Karadzić. Ainsi, au premier tour, Mme Karagiannakis a cité un

amalgame de plusieurs déclarations que Karadzić a faites pour répondre à une question générale de

Milosević.

106. Dans son exposé, Mme Karagiannakis a déclaré que :

«25. Karadzić tenait le président de la Serbie informé de ce que lui-même et les

Serbes de Bosnie faisaient à travers le SDS. Lors d’une conversation importante
qu’ils ont eue le 24 octobre 1991, date de création de l’Assemblée serbe indépendante
de Bosnie, Milosevi ć demanda à Karadzi ć comment l’action entreprise avançait.
«Lentement» répondit Karadzi ć. Il poursuivit et donna un certain nombre

d’informations à Milosević.»

Vient ensuite ce qui est en fait un échafaudage, un montage de petites citations collées les unes aux

autres, dont je vais vous donner lecture. Voici comment Mme Karagiannakis cite :

«Nous établirons l’Etat yougoslave dans chaque zone où nous vivons… Oui,
oui, M.le président, nous détenons le pouvoi r dans trente-sept municipalités et
disposons d’une majorité rela tive dans … une dizaine de municipalités… Dites-lui [à

Izetbegović] que Karadzi ć et les autres ne reculer ont pas: nous établirons une - 4 -

assemblée et mettrons en place des pouvoirs publics parallèles. Nous établirons une
autorité totale sur les territoires serbes de Bosnie-Herzégovine et aucun de ses avocats
ne pourra … y montrer le bout de son nez.

Il ne pourra pas y exercer de pouvoir. Soixante pour cent de son territoire
échapperont à son contrôle. Tel est notre objectif.

Notre progression est calculée et nous [devons] exercer notre autorité et notre
contrôle sur nos territoires, de sorte qu’il ne puisse pas fonder d’Etat bosniaque
souverain.» (CR 2006/4, p. 16, par. 25.)

12 Ainsi s’achève la citation des propos tenus par Karadzi ć lors de cette conversa tion, tels qu’ils ont

été cités par le conseil de la Bosnie.

107. Comme Mme Karagiannakis l’a indiqué dans sa plaidoirie, cette conversation a presque

un effet constitutif. Toutefois, lorsqu’on lit da ns son ensemble la transcription de cette

conversation interceptée, on voit que tel n’est manife stement pas le cas. Et, de toute façon, à ce

stade de la crise, il aurait été difficile de savoir quelles étaient réellement les solutions possibles.

Cette conversation a eu lieu alors que progressaient les contacts politiques entre Izetbegovi ć et

Milosević. Loin de révéler un quelconque plan serbe unilatéral, Milosevi ć et certains autres

tentaient de régler la crise relative à certains événements très récents. Tout d’abord, le

14 octobre 1991, en l’absence des membres serbes, le Parlement de Bosnie-Herzégovine avait voté

l’organisation d’un référendum sur l’indépendance. Cette décision a incité les membres serbes à

quitter le Parlement. Le 24octobre1991, dix jo urs plus tard, le premier Parlement serbe de

Bosnie-Herzégovine tenait séance.

108. Ces faits constituent les clés permettant de comprendre cet entretien téléphonique.

Milosević demandait à Karadzi ć de rencontrer Izetbegovi ć afin de régler la crise suscitée par le

projet de référendum. De plus, il semble que Milosevi ć penchait généraleme nt pour le maintien

d’une structure politique du type yougoslave, dont les Musulmans feraient partie.

109. Cette conversation indique que Milosevi ć espère qu’Izetbegovi ć annulera le projet de

référendum et qu’en outre, Milosevi ć est inquiet d’entendre dire que les Serbes devraient prendre

des initiatives illicites. La conversation milite cont re l’idée que les autorités serbes cherchaient de

bonnes raisons de provoquer un éclatement de la Bosnie-Herzégovine.

110. Madame le président, je vais main tenant présenter ces échanges comme ils ont

véritablement eu lieu. Mme Ka ragiannakis les a abrégés de deux manières. Tout d’abord, - 5 -

précise-t-elle, seuls les propos de Karadzi ć sont cités. Les réponses de Milosevi ć ne sont pas

données. Et ensuite, dans certains cas, les déclarations de Karadzić ont été elles-mêmes abrégées.

111. Le compte rendu donnera la teneur ex acte des échanges après collage des fragments

cités par Mme Karagiannakis dans sa plaidoirie. Dans ses parties pertinentes, cette conversation

interceptée dit ceci :

13 «Radovan Karadžić : Ils pensent agir en toute légalité, mais nous réagirons par
tous les moyens possibles. Nous établirons l’Etat y ougoslave dans chaque zone où
nous vivons. Nous avons une Constitution, et s’ils abolissent leur Constitution de

Bosnie-Herzégovine, nous nous fonderons… [terme inconnu] , c’est-à-dire sur la
Constitution fédérale.

SloboMdiloševi ć: Oui, oui, mais ils ne sont pas fous au point de continuer

sur cette voie.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Radovan Karadžić: Oui, oui, M.le président, nous détenons le pouvoir dans
trente-sept municipalités et disposons d’une majorité relative dans plusieurs autres,
soit dans une dizaine de municipalités , et nous refusons d’appliquer la moindre de
leurs décisions ⎯très lentement, mais sûrement, ils nous entraînent, parce que nous

nous en tenons au droit, ils nous entraîne nt sur la voie de la sécession et hors de
Yougoslavie.

SloboMdaloševi ć: Ils ne vous entraînent nulle part, c’est juste que j’ai

quelques réserves sur ce point, cette définition de l’Assemblée; je ne définirais pas
l’Assemblée de cette façon car elle serait aussi illicite que la leur, avec leur réunion
ces deux…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

RadoKvaradži ć : Vous pouvez lui parler, dites-lui que Karadzić et les autres
ne reculeront pas: nous établirons une a ssemblée et mettrons en place des pouvoirs
publics parallèles , nous reconnaîtrons ce gouvernem ent comme le Gouvernement

fédéral de Bosnie-Herzégovi ne, mais nous continuerons à organiser nos propres
instances dirigeantes, où que se trouve la stru cture légalement en place, là où elle est
légale, si ce n’est que la nôtre respecter a avant tout la Constitution fédérale, et
l’Assemblée bosniaque, je veux dire l’Assemb lée serbe, décidera de ce qu’il faut ou

non respecter.

SloboMdioševi ć : Non, je ne… Je n’appellerai pas l’Assemblée ainsi, c’est
tout. Je ne l’appellerai tout simplement pas ainsi.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Radovan Karadži ć: Dites-lui que les Serbes vont de l’avant, que vous ne
pouvez pas…user de votre influence sur nous pour calmer le jeu. Nous allons de

l’avant. Nous établirons une autorité tota le sur les territoires serbes de
Bosnie-Herzégovine et aucun de ses avocats ne pourra…y montrer le bout de son
nez. Il ne pourra pas y exercer de pouvoir. 65 % de son territoire échapperont à son
contrôle. Tel est notre objectif. - 6 -

Slobodan Milošević : Mieux vaudrait que vous le disiez, que vous lui disiez que
ses décisions sont illicites, donc non appliqu ées, et que c’est la Constitution de la
Yougoslavie qui est appliquée. Il ne faut pas en faire quelque chose d’institutionnel.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Radovan Karadži ć: Non, on ne s’énerve pas du tout. Nos démarches sont

calculées et nous [devons] exercer notre autorité et notre contrôle sur nos territoires,
de sorte qu’il ne puisse pas fonder [son] Etat bosniaque souverain. La Croatie n’a pas
le contrôle de 30% de son territoire, et la Bosnie n’aura pas le contrôle de 60% de
son territoire !

14 Slobodan Milošević : Ecoutez, nous parlerons plus tard, quand je lui aurai parlé,
alors nous ferons le point…» [Traduction du Greffe.]

Madame le président, cette tierce partie, ce « il» dont il est question tout au long de la

discussion, c’est M. Izetbegović.

112. Nous avons souligné les phrases de Karadzi ć que le conseil de la Partie adverse a

reprises dans sa citation composite de fragments.

113. Madame le président, il convient naturelle ment de lire la version originale de cette

conversation. En arrière-plan, on envisageait la possibilité de parvenir à un règlement politique

avec Izetbegović, qui est la tierce partie désignée par le pronom «il». Le thème principal est la

mise en Œuvre d’un plan destiné à maintenir une certaine version de la Yougoslavie, qui

comprendrait la Bosnie-Herzégovine et donc l es communautés musulmanes. Le thème de ces

échanges n’a absolument aucun rapport avec le su jet de discussion que Mme Karagiannakis nous a

indiqué au début de sa plaidoirie. D’après elle, il s’agissait de se préparer au passage à la violence

et à la création d’une Grande Serbie. En vér ité, les intéressés discutaient du meilleur moyen de

réagir aux politiques adoptées par M. Izetbegović.

C. Les autres éléments de preuve sur lesquels s’appuie l’Etat demandeur

a) La directive relative à l’organisation et à l’ activité des institutions du peuple serbe de
Bosnie-Herzégovine dans des circonstances exceptionnelles (19 décembre 1991)

114. Cette directive qui est datée du 19 décembre 1991 fut publiée par le parti démocratique

serbe de Bosnie-Herzégovine basé à Sarajevo. L’objectif de cette directive est suffisamment clair,

mais le conseil de la Bosnie laisse entendre qu ’elle faisait partie des préparatifs du nettoyage

ethnique (voir CR 2006/4, p. 16-17, par. 27-29 (Karag iannakis)). Comme l’indique la chronologie - 7 -

des événements telle qu’elle est expos ée par le conseil de la Bosnie, la directive s’intégrait dans la

réaction des Serbes de Bosnie face à l’évol ution politique au sein de l’Assemblée de

Bosnie-Herzégovine.

115. Si l’on examine le texte, il apparaît cairement que les mesures adoptées l’ont été en

réaction aux événements. L’objectif global était de protéger les communautés serbes de Bosnie en

période de crise. Aucune référence à une Grande Serbie ne figure dans le document.

15 b) Les objectifs stratégiques du peuple serbe (Assem blée de la Republika Srpska) (décision du
12 mai 1992)

116. Le conseil de la Bosnie-Herzégovine a cherché à donner de l’importance à la décision

relative aux objectifs stratégiques du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine prise par la Republika

Srpska le 12 mai 1992. La décision formelle apparaît comme suit dans le Journal officiel :

«D ECISION RELATIVE AUX OBJECTIFS STRATEGIQUES
DU PEUPLE SERBE DE B OSNIE -H ERZEGOVINE

[L]es objectifs ou priorités stratégiqu es du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine

sont les suivants :

1. Etablir des frontières d’Etat sépar ant la population serbe des deux autres
communautés ethniques.

2. Etablir un corridor entre la Semberïa et la Krajina.

3. Etablir un corridor dans la vallée de la Drina, c’est-à-dire supprimer la frontière

que constitue la Drina entre les Etats serbes.

4. Etablir une frontière sur les rives de l’Una et de la Neretva.

5. Diviser la ville de Sarajevo en secteurs musulman et serbe et mettre en place des
autorités étatiques dans les deux secteurs.

6. Assurer l’accès à la mer pour la Republika Srpska.»

117. Nos contradicteurs considèrent que les objectifs stratégiques prouvent que l’on est en

train de préparer un nettoyage ethnique (voir CR 2006/4, p. 18-19, par. 36-37 (Karagiannakis)).

118. Il en est ici comme dans d’autres affaires, les documents présentés par nos

contradicteurs le sont hors contexte, sans que pe rsonne ne cherche à établir la chaîne causale des

événements. Dans son discours du 12 mai 1992, le ch ef des Serbes de Bosnie explique le contexte

des objectifs stratégiques. Je le cite : - 8 -

«Nous avons tout fait pour éviter la guerre et, lorsqu’elle a effectivement éclaté,
nous avons tout fait pour la faire cesser et pour établir la paix, qui permettrait de
trouver une solution politique. Le cessez-le-feu , ou la trêve, est chaque fois violé,

d’abord et avant tout par les forces musulm anes de Sarajevo et par les forces croates
de Posavina ⎯ où la guerre n’a jamais cessé ⎯ et celles de la vallée de la Neretva.
Nous pensons que l’objectif croate est, da ns cette vallée, de conquérir du territoire et

d’établir leur position sur le terrain ainsi que les frontières, qui, selon eux, seront tôt
ou tard reconnues. De leur côté, les Musulm ans violent à vrai dire la trêve afin de
faire suspendre ou de saboter la conféren ce sur la Bosnie-Herzégovine au sein de
laquelle ils sont en train de perdre, ⎯ leur conception perd du terrain ⎯, cette

conception injuste qui vise à dominer les Se rbes. Nous avons annoncé hier soir et
encore aujourd’hui que si cette asse mblée le décide, nous annoncerons un
cessez-le-feu unilatéral pour une durée déterminée et nous ne riposterons pas, sauf en
cas d’extrême nécessité ⎯ à savoir de péril extrême ⎯, afin de montrer au monde et à

l’Europe ⎯ encore que l’Europe connaisse parfaitement toute la vérité sur ces
événements ⎯, que nous ne sommes pas des belligéra nts ni les instigateurs de la
guerre et que nous ne violons pas non plus le cessez-le-feu. Bien entendu, un

16 cessez-le-feu unilatéral ne peut durer que jusqu’au moment où nous sommes
effectivement menacés et que nous devons nous défendre. Nous estimons avoir raison
de suivre cette voie. Il vaudrait beauc oup mieux trouver une solution politique à cette
situation. Le mieux serait d’établir une trêve dès maintenant et de fixer les frontières

⎯même si nous sommes un peu perdants ⎯ conformément à ce que propose la
Communauté européenne et à la solution qu ’elle trouve conjointement avec les trois
communautés nationales.» (Procès-verbal [traduction du Greffe].)

119. On ne dirait pas là le discours d’un homme qui a l’intention de commettre un génocide.

C’est sur cette toile de fond que Karadzi ć parle des objectifs stratégiques présentés à l’Assemblée.

Les observations qu’il formule sur les quatre premiers objectifs sont particulièrement significatives.

Je le cite :

«La partie serbe de Bosnie-Herzégovine , la présidence, le gouvernement et le
conseil chargé de la sûreté de l’Etat que nous avons mis en place ont énoncé des

priorités stratégiques, à savoir des objectifs stratégiques pour le peuple serbe. Le
premier de ces objectifs est de séparer la population serbe des deux autres
communautés ethniques ⎯ il s’agit de séparer des Etats.

Il s’agit de nous séparer de ceux qui sont nos ennemis et qui n’ont manqué
aucune occasion, en particulier au cour s de ce siècle, de nous attaquer et qui
continueraient dans cette voie si nous restions encore ensemble dans le même Etat.

Le deuxième objectif straté gique consiste, me semble-t-il, à établir un corridor

entre la Semberïa et la Kraïna. Nous serons peut-être forcés de sacrifier quelque chose
ici et là pour atteindre cet objectif, mais il est d’une extrême importance stratégique
pour le peuple serbe car il consiste à ré unir les territoires serbes, non seulement ceux
de la Bosnie-Herzégovine serbe; il vise à relier la Bosnie-Herzégovine serbe à la

Kraïna serbe et la Kraïna serbe à la Bosn ie-Herzégovine serbe et à la Serbie. C’est
donc un objectif stratégique im portant dans la liste de s priorités et nous devons
l’atteindre car la Kraïna, la Kraïna bosnia que, la Kraïna serbe ou l’alliance des Etats
serbes n’est réalisable que si nous parvenons à sécuriser ce corridor qui nous réunira,

qui nous permettra de circuler librement d’un côté à l’autre de notre Etat. - 9 -

Le troisième objectif stratégique consiste à établir un corridor dans la vallée de
la Drina, c’est-à-dire à supprimer la fr ontière entre deux mondes que constitue la
Drina. Nous sommes présents des deux côtés de la Drina; nos intérêts stratégiques et

notre espace de vie sont également des deux cô tés de la rivière. Nous constatons à
présent que certaines municipalités musulmanes peuvent s’établir le long de la Drina,
comme des enclaves, ce qui leur permet d’exercer leurs droits. Mais cette région le
long de la Drina doit au fond appartenir à la Bosnie-Herzégovine serbe, car, tout en

nous étant concrètement utile sur le plan st ratégique, cette région nous aide également
en portant préjudice aux intérêts de notre ennemi, en l’empêchant de réaliser son
objectif visant à obtenir un corridor qui le relierait à l’international musulmane et
rendrait cette zone définitivement instable.

Le quatrième objectif straté gique consiste à fixer la frontière sur les rives de
l’Una et de la Neretva. Sur les cartes de travail présentées à sa dernière session, la
Communauté européenne reconnaît la frontière sur l’Una. L’Una est marquée comme

étant notre frontière de guerre et tout ce qui se trouve à l’est est coloré en bleu.»
(Procès-verbal [traduction du Greffe].)

120. Les objectifs stratégiques et les probl èmes qu’ils évoquent définissent la réaction

publique des Serbes de Bosnie à la crise telle qu’elle se manifestait au début, en1992. Les

objectifs stratégiques émanaient de la populatio n et font écho aux qu estions auxquelles la

diplomatie internationale s’inté ressait à l’époque et qui sont restées au cŒur du débat jusqu’à la

conférence de Dayton. Mes confrères, M. de Roux et Mme Fauveau-Ivanovic, étudieront ces

objectifs plus avant.

17 c) Analyse de la préparation au combat et des activités de l’armée de la Republika Srpska
en 1992

121. Ce document figure parmi ceux que le défe ndeur a soumis le 16 janvier de cette année

et fait également partie de la somme de documen ts présentée dans le cadre de la déposition du

général Dannatt. Il constitue également l’annexe P2419 dans l’affaire Brdjanin.

122. Le document se compose d’un rapport de l’état-major de la RepublikaSrpska daté

d’avril1993 et long de cent soixante-quatre pa ges. L’Etat demandeur accorde une importance

particulière à cette analyse. Ainsi, M. van den Biesen a affirmé, dans sa plaidoirie d’ouverture :

«66. Deux ans plus tôt, en avril 1993, Mladi ć avait présenté à l’assemblée de la
RepublikaSrpska une prétendue analyse du ra pport de la VRS sur la préparation des
troupes au combat en1992. Dans ce rapport, l’ampleur du soutien qui aurait été
accordé à la VRS en1992 est examinée plus en détail. Il s’agit d’un document

singulier ⎯nous reviendrons plus tard là-dessus. Voici ce que Mladi ć précise dans
l’introduction de son rapport pour l’année 1992 : «Nous avons mené des opérations de
combat isolées et concertées, conformément à un seul dessein et un seul plan.» - 10 -

67. Effectivement, Madame le président, tout s’est déroulé selon un seul et
même plan. Le système décrit plus tôt a en fait été appliqué tout au long de1992 et

même après du reste. Le «plan» auquel Mladi ć fait allusion, les dirigeants de la
Republika Srpska autoproclamée ne l’ont certainement pas mis au point le jour où ils
ont proclamé la «République indépendan te», pas plus qu’ils n’ont commencé à
l’élaborer le 20mai1992, le lendemain du pr étendu «retrait» de la JNA. Ce plan

reprend simplement ce qui constituait déjà la ligne directrice des politiques de
Belgrade depuis un bon bout de temps, po litiques que les autorités de Pale ont
amplement mises en Œuvre à partir de mai- juin1992 et par la suite. Cette ligne
directrice cadre avec le plan visant à créer une Grande Serbie et les stratégies à

employer pour y parvenir.»

123. Ce document a également occupé une la rge place lors de l’interrogatoire du général

Dannatt (CR 2006/23, p. 24-27).

124. Madame le président, la teneur de cette an alyse ne vient en rien étayer les allusions de

M.van den Biesen. Tout d’abord, la citation brève qu’il tire de la page7 du document est

tronquée. Il cite la phrase comme suit: «Nous a vons mené des opérations de combat isolées et

concertées, conformément à un seul dessein et un seu l plan.» Or, en réalité, la phrase ne s’achève

pas ainsi.

125. Madame le président, il convi ent ici que je cite plus largement le contexte. Le passage

du document se lit comme suit :

«Nous avons mené des opérations de combat isolées et concertées,

conformément à un seul dessein et un seul plan, confiant, selon le cas, le
commandement de missions détaill ées ou globales à des subordonnés . L’articulation
18 temporaire de troupes de l’armée de la Republika Srpska en groupes opérationnels,
groupes tactiques et groupes de combat est largement mise en pratique dans notre

théâtre des hostilités, mais l’orientation principale a toujours été de mener des
opérations suivant un plan global. En agissant ainsi, nous avons, pour un temps, réuni
différentes armes de combat en vue d’un objectif unique.

Au cours de l’année écoulée, l’armée de la Republika Srpska obéissait à une
seule et même structure de contrôle et de commandement même si, initialement, nous
avions de nombreuses armées et formati ons paramilitaires différentes. Nous sommes
parvenus à cette unité en pratiquant des pr incipes connus: l’unité, la continuité, la

flexibilité, l’efficacité, le caractère opérati onnel et la sécurité; la subordination et un
commandement unique avaient une incidence capitale sur les rapports à assurer dans
la procédure de contrôle et de commandement.

En appliquant des méthodes scientifiques analytiques, l’état-major de l’armée

de la Republika Srpska a tiré les leçons d’opérations, de combat s et d’engagements
antérieurs et a cherché à éliminer les points faibles tout en intégrant des données
d’expérience concrètes dans des directives, des ordres et des consignes nouvelles.
Nous estimons avoir articulé nos forces de manière adéquate dans la conduite de

toutes nos opérations de combat, tout en cherchant à assurer la présence d’un nombre
avantageux de soldats le long de lignes d’ac tion particulières, indépendamment de la
nature offensive ou défensive de ces actions. Les forces et les ressources ont été - 11 -

utilisées avec efficacité et toujours avec un objectif énoncé clairement, un
commandement énergique, des mesures ma ximales pour protéger les unités, une
coordination solide de l’action entre les unités et la coopération entre les autorités, le

SDS (le parti démocratique serbe), l’Eg lise orthodoxe serbe et, étant donné les
circonstances de l’époque, un soutien d’arrière-garde très actif.»

Il s’agit clairement d’une analyse de l’importance des questions m ilitaires et c’est sur quoi porte le

seul dessein, le seul plan. Il n’y est fait aucune référence à un quelconque plan du genre que le

demandeur a évoqué.

126. Il est manifeste que l’analyse porte à ce moment-là exclusivement sur des questions

militaires. Répondant à Mme Korner, le général Da nnatt a, d’après le compte rendu, déclaré le

20 mars ceci :

«Le général Dannatt : Oui, Madame le président, j’ai lu le document d’un bout à
l’autre et, en tant que soldat professionnel, je le trouve absolument fascinant.

Il s’agit d’une évaluation très franche, par le haut commandement de l’armée de

la Republika Srpska, de ses propres capacités et en particulier de ses faiblesses, et des
mesures à prendre pour y remédier.» (CR 2006/23, p. 24.)

127. Il n’est pas fait mention du concept de Gr ande Serbie dans ce long document. Du reste,

il est bien fait état du génocide dans la section intitulée «Observations finales», mais il s’agit alors

de l’objectif consistant à protéger le peuple serbe contre le génocide (voir les paragraphes 1 et 3 de

la page 152 du document).

D. Les preuves de l’attribution ne sont ni fondées ni solides

128. Madame le président, ce que révèle cette longue analyse est que les preuves auxquelles

l’Etat demandeur accorde de l’importance en l’espèce ne sont ni fondées ni solides. L’absence de

19 fondement ressort tout particulièrement quand il s’agit de démontrer la responsabilité telle que

l’impose le droit applicable.

129. Les catégories d’éléments invoquées par m es contradicteurs n’établissent même pas la

responsabilité prima facie. Les principales catégories peuvent être envisagées comme suit :

130. première catégorie est constituée de déductions faites à partir d’actions et

d’événements sur le terrain auxquels il a été accordé de l’importance dans les plaidoiries

d’ouverture présentées au nom du demandeur. Il s’agit vraisemblablement de l’utilisation

d’éléments de preuve descriptifs, de cartes et de vidéos visant à montrer que des atrocités ont été

commises. Mais ces éléments ne sauraient à eux seuls prouver la responsabilité. - 12 -

1La1. deuxième catégorie comprend le prétendu plan ou les prétendus plans visant à

commettre un génocide. Aucune preuve de l’ex istence d’un tel plan n’est apparue dans les

plaidoiries et la version originale du prétendu plan (c elle de la réplique), à savoir le plan RAM, n’a

pas été reprise dans les plaidoiries du premier tour, même si ce plan a été mentionné encore une

fois au second tour. En un mot, les plaidoiries n’apportent aucun motif raisonnable qui étaie les

allégations relatives au plan qu’a urait conçu le Gouvernement de la RFY en vue de commettre un

génocide.

13a2. troisième catégorie comprend des actions qui auraient constitué des préparatifs au

génocide. Comme la Cour le sait, les prétendus préparatifs consistaient à réorganiser l’armée

fédérale de Yougoslavie, à distribuer des armes a ux communautés serbes et à créer des institutions

parallèles. Selon moi, ces actions ne donnent pas même prima facie la preuve de préparatifs d’un

génocide pour les raisons suivantes :

⎯ premièrement, ces actions étaient raisonnables eu égard à la situation qui régnait en1991

et 1992;

⎯ deuxièmement, d’autres groupes ethniques ont mené des actions équivalentes;

⎯ et troisièmement, il existe une présomption de licéité en ce qui concerne ces actions et, bien

entendu, la charge de la preuve incombe à l’Etat demandeur.

En outre, aucun de ces éléments n’apporte de preuve solide concernant la responsabilité qui se situe

sous l’angle de la convention sur le génocide.

13a3. quatrième catégorie des éléments de preuve soum is par le demandeur correspond à

des formes de coopération et d’assistance mutuelle lic ites, en particulier dans le domaine financier.

20 Dans ce même contexte, c’est-à-dire dans la s ituation qui régnait à l’époque des faits, cette

coopération et assistance mutuelle ne donne pas même prima facie la preuve de préparatifs d’un

génocide, et ce, pour les mêmes raisons :

⎯ premièrement, ces actions étaient raisonnables et licites;

⎯ deuxièmement, d’autres groupes ethniques ont entrepris des actions équivalentes;

⎯ et troisièmement, il y a présomption de licéité et la charge de la preuve incombe à l’Etat

demandeur. - 13 -

En outre, aucun de ces éléments n’apporte de preuve solide concernant la responsabilité qui se situe

sous l’angle de la convention.

13a4. cinquième catégorie d’éléments de preuve présentés par le demandeur consiste en

preuves qui, par nature, ne sont pas fiables car elles sont issues de transactions pénales (relevant du

plaider-coupable).

L3a5. sixième catégorie d’éléments de preuve correspond à des extraits équivoques et

sélectionnés de conversations et de déclarat ions de responsables serbes, extraits qui

s’accompagnent d’interprétations totalement fantaisistes.

136. En conséquence, Madame le président, l’ Etat demandeur n’a, selon moi, fourni aucun

motif raisonnable incitant à attri buer au défendeur, comme il le pr étend, les violations de la

convention sur le génocide.

137. Pour conclure cette plaidoirie, je dois insi ster sur le rôle que joue la relation de cause à

effet dans l’analyse des éléments de preuve présenté s par la Partie adverse. La preuve qu’il a été

mené des actions licites ne saurait constituer qu’une preuve indire cte de responsabilité s’il existait

un quelconque lien de causalité entre, par exemple, l’armement des communautés serbes et la mise

en Œuvre d’un plan visant à commettre un génocide. En outre, le lien de causalité doit mettre en

cause la République fédérale de Yougoslavie et ses successeurs.

138. Mais, Madame le président, aucun lien de causalité de cette sorte n’a été démontré.

D’ailleurs les liens de causalité qui existent effectivement établissent que les mesures prises

faisaient écho à la crainte qu’éprouvaient raisonnabl ement les Serbes de Bosnie de voir se répéter

les atrocités d’Ustasha à la suite d’une nouvelle guerre de sécession. Ces appréhensions des Serbes

de Bosnie se manifestent clairement dans les documents suivants.

139. Le premier document est une lettre datée du 22janvier1992 et adressée au ministère

yougoslave de la défense à Belgrade par l’association des Serbes de Bosnie-Herzégovine en Serbie;

cette lettre est citée dans le compte rendu CR2006/ 17, pages18-19. L’extrait déterminant est le

suivant :

«Référence: stationnement d’une unité militaire sur le territoire de la
municipalité de Kupres [Bosnie centrale] avec mission d’empêcher le génocide des
Serbes - 14 -

«La municipalité de Kupres se trouve à l’extrême sud de la Kraïna
bosniaque [région située au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine] et est
entourée par les municipalités à population catholique et musulmane de
21
Bugojno, Duvno et Livno.

Au cours de la seconde guerre mondiale, les populations
musulmanes et catholiques voisines on t cherché à exterminer les Serbes,

mais leurs desseins génocidaires ont, heureusement, en partie échoué. Il
en est résulté une diminution de la population serbe, encore accentuée par
la colonisation de la Voïvodine [au nord de la Yougoslavie] après la
guerre.

Au début de ce siècle, la population de Kupres était à 70 % serbe,
alors qu’aujourd’hui elle ne l’est qu’à 51%. Kupres compte en tout
quelque onze mille habitants.

La forte proportion de catholiques et de musulmans dans la
municipalité même, l’encerclement de la ville par ces communautés ainsi
que la très grande proximité de la Herzégovine de l’ouest, catholique,
sont autant d’éléments qui justifie raient une protection de la population

serbe dans la municipalité de Kupres.

La protection de Kupres permettra aussi d’assurer la sécurité des
villages périphériques des municipa lités de Livno, Duvno et Bugojno,

peuplées de Serbes, population qui a beaucoup souffert pendant la
seconde guerre mondiale.» (Lettre du 22janvier1992 adressée au
général Blagoje Adžić, chef d’état-major, par l’association des Serbes de
Bosnie-Herzégovine en Serbie, signé e par le président Gojko Djogo,

annexe 124; les italiques sont de nous.)»

140. Le second document, dont j’ai déjà parlé, est la directive relative à l’organisation et à

l’activité des institutions du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine dans des circonstances

exceptionnelles, laquelle est datée du 19 décembre 1991. Ce document fait expressément état de la

menace imminente de sécession de la Bosnie-H erzégovine «et, par là, du peuple serbe de

Yougoslavie».

141. Le troisième document a été publié par l’ armée de la Republika Srpska et est intitulé

«Analyse de la préparation au combat et des activ ités de l’armée de la Republika Srpska en 1992».

Dans la dernière section de ce document figurent deux indications importantes relatives à l’objectif

visant à défendre le peuple serbe contre le génocide.

142. Madame le président, les éléments de pr euve contemporains indiquent clairement que

c’étaient les Serbes de Bosnie qui prévoyaien t des épisodes de domination, des épisodes qui

feraient des victimes serbes. Autrement dit, la relation de cause à effet explique les mesures de - 15 -

légitime défense devenues indispensables face à la situation exceptionnelle dans laquelle se trouvait

le peuple serbe de Bosnie-Herzégovine à la fin de 1991.

143. Madame le président, ainsi s’achève cette partie de ma plaidoirie concernant la question

de la responsabilité. Trois de mes confrères parl eront de certains aspects de la responsabilité de

l’Etat. Puis, je traiterai plus amplement de l’in terprétation de la convention sur le génocide, des

22 principes pertinents de la responsabilité de let des questions particulières de réfutation qui

sont de mise au second tour.

Avant de quitter la barre, je tiens à remerc ier mes confrères de la délégation de la

Serbie-et-Monténégro de toute l’aide qu’ils m’oapportée. Enfin, je tiens aussi à remercier la

Cour de sa patience et de son endurance.

Je vous remercie, je vous saurais gré de donner la parole à mon confrère, M. Olujić.

Le PRESIDENT : Merci Monsieur Brownlie. J’appelle M. Olujić à la barre.

OLMU. JI Ć : Merci, Madame le président.

LA JNA ET SON ROLE EN BOSNIE -H ERZEGOVINE
AU DEBUT DE L ’ANNEE 1992

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de me

présenter pour la première fois devant la Cour ternationale de Justice. Dans mon exposé, je

présenterai à la Cour la position du défendeur sur la situation de l’armée nationale yougoslave au

début du conflit en Bosnie-Herzégovine. La Serbie -et-Monténégro montrera que les éléments du

dossier viennent fermement étayer sa position econtredisent totalement les conclusions que le

demandeur espère imposer à la Cour.

2. Alors que la thèse du demandeur est que la JNA agissait selon un plan visant à établir une

«Grande Serbie», les faits exposés ne débouchent qu e sur une seule et simple conclusion: le seul

plan que suivait la JNA pendant la dissolution de la République fédérative socialiste de

Yougoslavie consistait à sauvegarder le pays et à protéger les habitants qui y étaient attachés. Pour

parvenir à cette conclusion simple, je passerarevue les faits se rapportant à la conduite de la

JNA avant et pendant le conflit armé en Bosnie-Herzégovine. - 16 -

Le PRESIDENT: Monsieur Oluji ć, pourriez-vous, je vous pr ie, parler un peu plus

lentement ?

OLM . JI Ć : Je ferai de mon mieux.

En outre, je donnerai des précisions concernant la création de l’armée yougoslave et de

l’armée de la Republika Srpska.

23 La situation de la JNA en RFSY

3. Pour mieux comprendre la situation de la JNA au cours du conflit en ex-Yougoslavie, il

est nécessaire d’indiquer brièvement quelle était sa situation au sein de la République fédérale

socialiste de Yougoslavie. Comme l’explique l’ouvrage de la CIA intitulé Balkan Battlegrounds,

«la JNA était un pilier de la RFSY et se considérait comme le protecteur et
l’incarnation de l’Etat, jouant notamment le rô le de gardien de l’Etat et de l’identité

yougoslaves. Plus que toute autre entité, la1JNA cherchait en fait à appliquer la devise
«Bratstvo I Jedinstvo (fraternité et unité)» .

Malgré le déséquilibre ethnique, que le demandeur n’a pas manqué d’évoquer , la CIA conclut dans

Balkan Battlegrounds que «l’armée se considérait comme un f acteur d’intégration vital au sein de

l’Etat yougoslave» 3.

4. L’apparition du nationalisme tant en Slovénie qu’en Croa tie conduisit à utiliser la JNA

contre les républiques constituantes de la Yougos lavie, à la grande consternation des chefs

militaires. Cette armée, attachée à la défense de son pays cont re les ennemis étrangers, subit

d’autres chocs encore pires: les officiers non ser bes se retournant contre leur propre armée, la

défaite en Slovénie et le blocus des casernes en Croatie. La CIA conclut: «Malgré la croyance

tenace des plus hauts gradés en ce qui restait de l’idéal «yougoslave», au moment où la guerre

éclata véritablement en Croatie, la JNA ne savait vraiment pas pourquoi elle combattait.» 4

1CIA, Balkan Battlegrounds, vol.I, chap.2, «Fraternité et u: l’armée populaire yougoslave au sein d’un
Etat agonisant, p. 46.
2
CR 2006/34, p. 48, par. 13 (Dauban).
3
Op. cit.
4Ibid. - 17 -

5. Contrairement à ce qu’a constaté la CIA, c’est-à-dire que la JNA était à bien des égards le

cŒur d’un Etat à l’agonie et le dernier organe à cesser de fonctionner, M. Condorelli, le conseil du

demandeur, conclut que le «début du génocide est matériellement … l’Œuvre de la JNA» . 5

6. Madame le président, Messieurs les juges, cette conclusion du demandeur est absurde. Le

demandeur, au lieu de donner des preuves convaincantes à l’appui de sa thèse, se fonde sur ce qu’il

6
appelle un «tableau très clair» du rô le de la JNA en Bosnie-Herzégovine . Le défendeur reconnaît

que le tableau que le demandeur s’ efforce de brosser est très clair. Rien dans son argumentation,

cependant, ne permet de dire que ce tableau est fidèle.

7. Au cours des deux tours de plaidoiries, les représentants du demandeur ont dépeint le rôle
24

de la JNA en Bosnie-Herzégovine en utilisant d es éléments et des citations tronqués, tout en

rejetant sommairement tous les faits ou preuves qui risquaient de nuire au bien-fondé de sa thèse.

Selon le «tableau très clair» du demandeur, la JNA se serait préparée en trois phases à commettre le

crime de génocide: «1.désarmer les forces de la défense territoriale; 2.«serbianiser» l’armée

fédérale (c’est-à-dire la JNA); 3 d.éplacer les garnisons de l’armée fédérale en

7
Bosnie-Herzégovine» .

8. Je vais examiner chacune de ces trois phases et les faits tels qu’ils se sont produits sur le

terrain. Je me contenterai de dire que, maintena nt que tous les faits ont été exposés, je suis

convaincu que la Cour verra dans le «tableau très clair» du demandeur ce qu’il est réellement : un

mirage.

Le désarmement de la défense territoriale

9. Si l’on veut suivre le demandeur lorsqu ’il prétend que c’est en vue de commettre le

génocide que la défense territoriale a été désarmée en septembre 1990, il faut faire abstraction du

manque criant de preuves offertes par le demand eur sur ce point. A part la conclusion du

demandeur selon laquelle le désarmement faisait partie du prétendu «plan», il n’y a pour ainsi dire

aucun élément, que ce soit dans ses écritures ou dans ses plaidoiries, qui permette de conclure dans

5CR 2006/9, p. 60, par. 21 (Condorelli).
6
CR 2006/34, p. 46, par. 8 (Dauban).
7CR 2006/9, p. 57-58, par. 17 (Condorelli). - 18 -

ce sens. En fait, le demandeur a présenté sa «principale» preuve dans l’exposé de

Mme Karagiannakis, lorsqu’elle a paraphrasé le jugement rendu par le TPIY en l’affaire Brdjanin,

et je cite pour la Cour :

«La Chambre de première instance a conclu que, en septembre 1990, la JNA

avait donné l’ordre que des armes fussent pr ises dans les dépôts se trouvant sous le
contrôle des unités de défense territorial e et expédiées dans ses propres magasins
d’armes, constituant ainsi des dépôts d’armes pour la JNA en Bosnie.» 8

10. Tout cela est bien beau, mais Mme Karagiannakis n’a pas poursuivi sa lecture du

jugement Brdjanin; or, voici ce que l’on y lit une ligne plus loin :

«De ce fait, lorsque les tensions ethniques entre les groupes ethniques
s’accentuèrent, les communautés locales su r l’ensemble du territoire de la

Bosnie-Herzégovine n’avaient pas un gra nd nombre d’armes à leur disposition.
Toutefois, à la fin de l’année 1991 et au début de l’année 1992, les trois partis
nationaux commencèrent à s’armer.» [Traduction du Greffe.]

25 11. De cette source même invoquée par le dema ndeur, le véritable motif de la décision de

retirer les armes du dépôt de la défense territorial e ressort plus clairement: ce que voulaient les

dirigeants politiques, c’est empêcher que ces armes puissent être employées à mauvais escient.

12. Il faut comprendre ici que la décision de la JNA a été prise au nom de l’ensemble des

républiques de l’ex-Yougoslavie. En 1990, les dirigeants politiques et militaires de

l’ex-Yougoslavie exerçaient encore pleinement leurs fonctions, avec la participation des

six républiques, et il était absolument impossible de s’attendre à ce que les dirigeants politiques et

militaires slovènes, croates et même bosniaqu es agissent contre l’intérêt de leur propre

république 10.

13. Ainsi, la thèse du demandeur qui veut fair e du désarmement de la défense territoriale la

première phase du plan génocide est aisément réfutée par les propos d’un expert militaire,

M. Vego, que le demandeur a lui-même cités dans ses écritures :

8
CR 2006/4, p. 10, par. 12 (Karagiannakis).
9 TPIY, Le procureur c. Rodoslav Brdjanin, jugement, 1 septembre 2004, par. 87.

10CR 2006/34, p. 45-46, par. 5 (Dauban) : «Jusqu’à la fin de l’année 1991, la présidence fédérale était composée
d’un représentant de chacune des républiques de Yougoslavie. L’ idée qui avait présidé à la mise en place de ce contrôle
fédéral représentatif était de s’assurer qu’aucune des républiques de Yougoslavie n’exercerait une influence excessive sur
la JNA…» - 19 -

«L’ordre de remettre l’ensemble des armes placées sous le contrôle de la
défense territoriale fut donné…dans toutes les républiques de l’ancienne
Yougoslavie, où il fut plus ou moins suiviLa quasi-totalité de la
Bosnie-Herzégovine s’y soumit, à l’excep tion des régions de la Herzégovine
11
occidentale majoritairement peuplée de Croates.»

14. Maintenant que nous connaissons les faits, la seule conclusion que nous puissions en tirer

est que les allégations du demandeur sont fausses. D’abord, l’ordre de désarmement fut donné

pendant une période de conflit in terethnique par une force militaire multiethnique. Ensuite, cet

ordre avait pour but d’empêcher l’escalade vers la violence interethnique. Enfin, il fut exécuté sans

discrimination sur tout le territoire de la Bo snie-Herzégovine, pas seulement dans les régions

peuplées majoritairement de Musulmans. L’allégation du demandeur selon laquelle cet ordre de

désarmement se serait inscrit dans le cadre d’un prétendu plan visant à commettre un génocide ou à

créer la «Grande Serbie» n’est donc absolument pas fondée.

La serbisation de l’armée fédérale

15. Selon le demandeur, la pr étendue politique de «serbisati on» dans les rangs de la JNA

prouverait l’existence d’un «plan» élaboré par celle-c i. Cet argument ne tient tout simplement pas

compte des faits. Il n’y a pas eu de politique de «serbisation» au sein de la JNA. La JNA ne

26 voulait pas devenir une «force 100% serbe». S’il y avait un plus grand nombre de Serbes sous

l’uniforme de la JNA en Bosnie-Herzégovine, c’est parce que le taux de recrutement dans les autres

groupes ethniques de l’ex-Yougoslavie était moins él evé. Certains refusa ient d’être enrôlés,
12
d’autres désertaient .

16. Evidemment, l’absence de militaires de carri ère et d’appelés slovènes au sein de la JNA

pendant cette période peut se comprendre. A cette époque, après un bref conflit qui l’avait opposée

à la JNA en juillet 1991, la Slovénie avait déjà accédé de facto à l’indépendance vis-à-vis de la

Yougoslavie. Cette explication vaut aussi pour les Croates de la Croatie, république qui, à

l’époque, était en conflit armé direct avec la JNA. Mais la situation en Bosnie était différente.

Expliquant les raisons de l’augmentation du pourcenta ge de Serbes au sein de la JNA, la Chambre

de première instance du TPIY en l’affaire Dusko Tadic a conclu, et je cite : «Ce changement est en

11
Réplique, chap.8, p.471, par.17, M.Milan Vego, «The Army of Bosnia and Herzegovina», Jane’s
Intelligence Review, février 1993, p. 63.
12
TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik, témoin Asim Egrlic, 29 juillet 2004, p. T 4844. - 20 -

grande partie imputable au fait que la Slovénie et la Croatie avaient quitté la Fédération et que,

dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, les non-Serbes ont été nombreux à ne pas effectuer le service

13
militaire obligatoire ou à ne pas répondre aux mobilisations.»

17. D’ailleurs, les positions adoptées publiquement tant par les dirigeants musulmans que par

les dirigeants croates de Bosnie-Herzégovine à l’ égard de la JNA à la fin de l’année1991 ont été

exposées dans le rapport d’expert établi pour le procureur du TPIY par M.RobertDonia en

l’affaire Le procureur c. Momcilo Krajisnik , et je cite à nouveau: «En Bosnie-Herzégovine, les

dirigeants serbes de Bosnie appuyaient les mobilisations pour la JNA, tandis que leurs homologues

croates et musulmans de Bosnie, à divers moments et à divers échelons, n’en tenaient pas compte

ou s’y opposaient.» 14 [Traduction du Greffe.] Sur ce point, la Chambre de jugement du TPIY en

l’affaire Brdjanin et de nombreux témoins qui ont dépo sé devant le TPIY ont confirmé les

conclusions de M. Donia 15.

18. La seule explication possible aux positions adoptées publiquement à l’époque par les

Croates et Musulmans en Bosnie-Herzégovine, alor s que la JNA constituait encore la seule force

armée légale sur le territoire, est que ces groupes ethniques avaient tous deux commencé à créer

leurs propres forces paramilitaires et cherchaient à affaiblir la JNA. C’est pour cela qu’ils

27 incitaient aussi bien les officiers que les appe lés à quitter la JNA et à s’enrôler au sein des

nouvelles formations paramilitaires ethniques.

Les mouvements de troupes vers la Bosnie-Herzégovine
et en provenance de celle-ci

19. Ajoutant à ses allégations sur la démilitarisa tion de la défense territoriale et la prétendue

«serbisation» de l’armée fédérale, le demandeur a tenté de faire croire que les mouvements de

troupes de la JNA vers la Bosnie-Herzégovine et en provenance de celle-ci constituaient l’étape

suivante vers la réalisation du prétendu plan de génocide. Selon M.van denBiesen: «Au même

moment, les recrues serbes de Bosnie postées dans d’autres républiques de Yougoslavie furent

13
TPIY, Le procureur c. Dusko Tadic, jugement, 7 mai 1997, par. 109.
14TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik, affaire n IT-00-39 et 40, documents publics, p. 5525-5569, rapport
d’expert de M. Robert Donia, «Les origines de la Republika Srpska, 1990-1992 ⎯ rapport d’information», p. 31.

15TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , témoin Mustafa Candic, 11 nove mbre 2002, p.T12761; témoin
Aleksandar Vasiljevic, 17 février 2003, p. T 16229. - 21 -

transférées en Bosnie-Herzégovine, tandis que les soldats non serbes affectés en

16
Bosnie-Herzégovine furent envoyés pl us près de leur lieu d’origine.» Voilà comment

M.vandenBiesen interprète la situation qui exis tait au sein de la JNA à l’époque. En réalité, il

avait été décidé que les citoyens de chacune d es républiques de Yougoslavie devaient faire leur

service militaire dans leur république d’origine. Contrairement à ce qu’indique M. van den Biesen,

les officiers et appelés citoyens de Bosnie, quel que fût leur appartenance ethnique, étaient

transférés en Bosnie-Herzégovine. Parallèleme nt, les officiers et appelés citoyens de

Serbie-et-Monténégro, là encore sans considéra tion d’appartenance ethnique, étaient transférés de

Bosnie vers leur république d’origine.

20. On peut conclure de la déposition de M. Dannatt devant la Cour que celui-ci a fait grand

cas du journal de M. Borisav Jovic, surtout du passage concernant le 5 décembre 1991. M. Dannatt

a approuvé sans réserve l’extrait dont MmeKo rner lui a donné lecture: «Conversation avec

Slobodan Milosevic…il pense que nous devrions re tirer sans tarder tous les citoyens serbes et

monténégrins de la JNA en Bosnie-Herzé govine pour y transférer des citoyens de

Bosnie-Herzégovine, afin d’éviter un chaos général sur le plan militaire.» 17

21. Or, ce que montre le passage du journal de M.BorisavJovic consacré au 5décembre,

c’est que la décision qui y est évoquée a surtout été prise par souci pour les citoyens de

Serbie-et-Monténégro, compte tenu des tens ions interethniques qui montraient en
28

Bosnie-Herzégovine et du conflit qui s’annonçait dans cette République.

La création du deuxième district militaire

22. Selon le demandeur, la dernière étape du prétendu plan fut accomplie le 2 janvier 1992,

avec la création du deuxième district militaire.

23. Cependant, un grand nombre de faits notoi res et qui parlent d’eux-mêmes viennent

totalement contredire cette thèse du demandeur. La Slovénie étant devenue indépendante et la

situation semblant sur le point de se reproduire en Croatie, il devenait vraiment nécessaire de

redécouper les districts militaires. Comme l’a indiqué le propre témoin du demandeur, M. Dannatt,

16
CR 2006/2, p. 38, par. 31 et suiv. (Van den Biesen).
17CR 2006/23, p. 18; «Les derniers jours de la R FSY», Borisav Jovic, 5 dé cembre 1991, document n 8 produit
pendant la déposition de M. Dannatt. - 22 -

le nouveau deuxième district militaire fut créé dans l’idée que la Bosnie-Herzégovine serait

18
indépendante sous peu . Ce sont des faits notoires, que le demandeur passe complètement sous

silence.

24. En tout état de cause, même s’il fallait admettre les faits tels que le demandeur les

présente, ses conclusions seraient illogiques. Si la JNA avait pour plan de prendre totalement le

contrôle de la partie de la Bosnie-Herzégovine dominée par les Serbes, il lui eût été bien plus facile

de le faire sans modifier les an ciens districts militaires. Avant le redécoupage, le premier district

militaire incluait la partie de la Bosnie-Herzé govine où les Serbes étaient majoritaires et son

quartier général était à Belgrade. Plusieurs témo ins de l’accusation ont expliqué au TPIY que le

premier district militaire, avant le redécoupage de janvier 1992, couvrait l’ensemble du territoire de

19
la prétendue «Grande Serbie» . Ainsi, deux modes d’organisation très différents des districts

militaires de l’ancienne Yougoslavie ⎯celui d’avant le découpage et celui d’après ⎯ pouvaient

l’un et l’autre servir les fins de la «Grande Serbie». Cela n’est tout simplement pas logique.

25. Pourtant, le demandeur veut faire croire à la Cour que le deuxième district militaire avait

été délimité par les dirigeants de Belgrade dans le cadre d’un plan. Cela ne tient pas debout. Le

quartier général du nouveau deuxi ème district militaire était ba sé à Sarajevo, supprimant pour

l’essentiel les possibilités de contrôle du territoir e de la Bosnie-Herzégovine par Belgrade.

29 Pourquoi les dirigeants de Belgrade, pour suivre un plan visant prétendument à créer la «Grande

Serbie», auraient-ils volontairement cédé le contrôle en établissant à Sarajevo, ville

majoritairement peuplée de Musulmans, le quartier général du deuxième district militaire ?

26. Non content d’affirmer que la création du deuxième district militaire faisait partie d’un

plan, le demandeur prétend que l es garnisons de l’armée fédérale ont été transférées vers des

localités à majorité serbe en Bosnie-Herzégovine avant l’éclatement du conflit. C’est encore là une

affirmation dénuée de fondement.

18
CR 2006/23, p. 17 (Dannatt).
19
TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, témoin B 1493, 9 avril 2003, p. T 18964. - 23 -

27. D’ailleurs, dans ses écritures, le dema ndeur a présenté des éléments prouvant que les

unités du deuxième district militaire étaient déployées sur l’ensemble du territoire de la

20
Bosnie-Herzégovine, sans égard à la composition ethnique locale .

28. A propos de cette question, je voudrais rappeler ce qui s’est passé précisément en

mai1992. La décision des chefs militaires de ne p as transférer les garnisons de l’armée fédérale

vers le territoire «ami» a donné aux forces musu lmanes l’occasion d’attaquer et de tuer un grand

nombre de soldats, principalement de jeunes appelés, qui essayaient de se retirer pacifiquement de

Tuzla et de Sarajevo. Ces attaques ont causé la mort de plus d’une centaine d’hommes 21.

L’armement des Serbes en Bosnie-Herzégovine

29. J’en viens à présent à la question de l’armement. En ce qui concerne l’armement des

Serbes vivant en Bosnie-Herzégovine, le demandeur fonde ses affirmations sur différentes sources.

Il ne dit rien cependant de l’armement des pa ramilitaires musulmans et croates à l’intérieur du

territoire. La meilleure explication à cela se tr ouve peut-être dans l’exposé de M.vandenBiesen

au premier tour des plaidoiries, et je cite :

«Revenons à 1991: Madame le présid ent, beaucoup de gens en Bosnie
critiquèrent assez vivement le président Izetbegović pour avoir été trop naïf face à ces
événements. En effet, Izetbegovi ć ne s’était pas sérieusement préparé à un conflit
22
armé, puisqu’il ne pensait tout simplement pas que cela fût envisageable…»

30. Pourtant, lorsque l’on examine les faits le s uns après les autres, le tableau d’ensemble

prend une tout autre forme. Comme je l’ai déjà dit, le retrait des armes des dépôts de la défense

30 territoriale a eu lieu sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine, sau f dans la partie de

23
l’Herzégovine où la communauté croate était majoritaire . Cela signifie que, au cours de

l’année 1991, les groupes nationaux serbes et musulmans n’avaient plus d’armes sous leur contrôle.

Qu’est-il advenu ensuite ?

31. Le demandeur n’ayant pas manqué, dans ses écritures et au cours des plaidoiries, de citer

toutes les sources possibles sur l’armement des Serb es, je me vois aujourd’hui dans l’obligation de

20Réplique, chap. 8, p. 560.
21
Contre-mémoire, chap. 2, p. 213 et 216-218, pa r. 2.13.4.: Tuzla; «L’incident du convoi», Peacekeeper: The
Road to Peace, Lewis MacKenzie, p. 164-178.
22
CR 2006/2, p. 30, par. 26 (Van den Biesen).
23Voir par. 13. - 24 -

citer certaines sources qui devraient permettre à la Cour de conclure que les trois groupes ethniques

de Bosnie-Herzégovine se préparaient à une guerre éventuelle. Permettez-moi de commencer par

les conclusions de M. Robert Donia, expert près le TPIY, que je cite :

«La création et les opérations des orga nisations militaires et paramilitaires en

Bosnie-Herzégovine eurent lieu dans le sillage de la guerre en Croatie. Vers le début
de l’année 1992, chacun des trois partis nationalistes de Bosnie-Herzégovine avait pris
des mesures pour préparer son armée à la guerre et pouvait faire appel à des
24
organisations paramilitaires pour l’aider à accomplir ses objectifs.» [Traduction du
Greffe.]

32. Les conclusions de M. Donia ont été conf irmées par la Chambre de première instance du

TPIY dans les affaires Stakic et Brdjanin :

«De ce fait, lorsque les tensions ethniques entre les groupes ethniques
s’accentuèrent, les communautés locales su r l’ensemble du territoire de la
Bosnie-Herzégovine n’avaient pas une grande quantité d’armes à leur disposition.

Toutefois, à la fin de l’année 1991 et en 1992, les trois partis nationaux commencèrent
à s’armer»,

puis :

«les Musulmans eux aussi se préparaient à la guerre et s’armaient en conséquence. En

juin1991, des chefs du SDA formèrent le «c onseil de défense nationale de la nat25n
musulmane», avec la ligue patriotique comme formation paramilitaire.» [Traduction
du Greffe.]

33. Compte tenu des éléments qui prouvent le contraire, comment le demandeur peut-il

invoquer ces déclarations attribuées à M. Izetbegović ? Il ne peut pas le faire, et la Cour ne doit pas

en tenir compte. En effet, il est notoire que l es Serbes de Bosnie-Herzégovine et leur parti national

ne sont pas les seuls à avoir mis sur pied des formations paramilitaires. C’est ce qu’ont fait tous les

26
partis nationalistes en Bosnie-Herzégovine à la fin de l’année 1991 et au début de l’année 1992 .

31 La JNA en Bosnie-Herzégovine entre le mois de janvier 1992
et le début du conflit

34. Maintenant qu’il a été clairement pris acte des visées et des activités de tous les partis

nationalistes en Bosnie-Herzégovine, je vais pour suivre mon exposé consacr é à la JNA et à sa

situation.

24 o
TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40, p.5525-5569, rapport d’expert de
M. Robert Donia, «Les origines de la Republika Srpska, 1990-1992 ⎯ rapport d’information», p. 30.
25 TPIY, Le procureur c.Milomir Stakic , jugement, 31 juillet 2003, par.33; TPIY, Le procureur
er
c. Radoslav Brdjanin, jugement, 1septembre 2004, par. 87 et 89.
26 TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik, témoin Patrick Treanor, 23 février 2004, p. T 1409-1410. - 25 -

35. Lorsque la JNA cessa de prendre part au conf lit croate à la fin de l’année 1991, un grand

nombre de ses unités se retirèrent en Bosnie-Herzégovi ne. Ce retrait, qui s’inscrivait dans le cadre

du plan de paix pour la Croatie, avait été décidé en accord avec les représentants de la communauté

internationale. En raison de ce retrait, la JNA déposa un grand nombre d’armes sur le territoire de

la Bosnie-Herzégovine. Ces faits ont été confir més par la Chambre de première instance du TPIY

27
en l’affaire Le procureur c. Dusko Tadic .

36. Au début de l’année1992 toutefois, la situation en Bosnie-H erzégovine était tendue,

même abstraction faite de l’arrivée des nouvelles tr oupes de la JNA venant de Croatie. C’est la

période à laquelle eut lieu la dernière tentative de règlement pacifique des différends politiques qui

opposaient les partis nationaux. M.Ewan Brown, expert pour le procureur du TPIY, a expliqué

dans le rapport qu’il a présenté en l’affaire Le procureur c. Momcilo Krajisnik que, selon plusieurs

rapports de la JNA, l’instabilité croissante en Bosnie-Herzégovine était due aux divisions entre

groupes ethniques et entre les partis, et à la mena ce constante émanant du G ouvernement croate et

28
de ses forces .

37. Ce même rapport indique en outre que, selon la JNA, tous les groupes et partis nationaux

contribuaient à l’instabilité. Ewan Brown cite le rapport du deuxième district militaire daté du

23 janvier 1992 :

«On peut conclure des renseignements disponibles que les trois principaux
partis nationaux de Bosnie-Herzégovine (HDZ , SDA et SDS) ont en pratique créé les

conditions politiques, économi ques et militaires nécessaires pour s’engager d29s un
conflit armé entre eux et une c onfrontation armée avec la JNA.» [Traduction du
Greffe.]

M. Brown a établi par ailleurs que, comme le montrent un certain nombre des documents de la JNA

datant des premiers mois de l’année1992, la JNA a cherché à désamorcer les tensions entre les

30
groupes ethniques .

27 TPIY, Le procureur c. Dusko Tadic, jugement, 7 mai 1997, par. 125.

28 TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire noIT-00-39&40, p.5792-5986, rapport d’expert de
M. Ewan Brown, «L’évolution de la situation militaire dans la région de Bosanska Krajina, 1990-1992», p. 12.

29 Ibid., p.12, rapport du commandement du deuxième district militaire sur l’état de préparation au combat
pour 1991, daté du 23 janvier 1992.

30 Ibid., p. 16. - 26 -

32 38. Le défendeur ne nie pas que la JNA en Bosnie-Herzégovine ait entretenu des liens étroits

avec le groupe ethnique serbe. Après tout, le pers onnel de la JNA en Bosnie-Herzégovine était en

grande majorité serbe. M. Richard Butler, autre expert du procureur du TPIY, dans son rapport en

l’affaire Le procureur c. Momcilo Krajisnik, a expliqué ce qu’étaient ces liens en mars 1992 :

«Le commandement de la JNA en Bosnie estimait que les dirigeants du SDS et
les Serbes étaient le seul groupe qui conti nuait à défendre et partager les objectifs de

l’armée. Plus important, le SDS était le seul des trois mouvements politiques qui était
favorable à ce que la Bosnie-Herzégovine reste au sein de la Yougoslavie
fédérale…» 31 [Traduction du Greffe.]

39. Malheureusement, à la fin du mois de mars 1992, le conflit de Bosnie éclata. Avant de

commencer mon analyse du début du conflit et d’exam iner le rôle de la JNA, permettez-moi de

e
citer le rapport quotidien des opérations du 5 corps établi le 7 avril 1992, alors que se poursuivait

la guerre en Bosnie :

«Depuis la proclamation de la Républiq ue serbe de Bosnie-Herzégovine, on se
perd en conjectures sur l’avenir du corps de Banja Luka. Il nous faut connaître au plus

tôt la position du commandement suprême sur le statut et le rôle de la JNA dans le
déploiement de troupes en Républi que serbe de Bosnie-Herzégovine.» 32 [Traduction
du Greffe.]

40. Pour en revenir au «tableau très clair» du demandeur sur les préparatifs auxquels la JNA

aurait procédé en vue de mener une campagne de génocide en 1992, je tiens à souligner ce qui suit :

après deux années de préparatifs, peut-on concevoi r qu’un détachement important de l’armée, au

cŒur du territoire le plus important pour la future «Grande Serbie» ⎯ un territoire qui devait être

débarrassé de tous les non-Serbes ⎯ peut-on concevoir que cette unité demande au

commandement suprême des éclaircissements sur ses activités et objectifs actuels et futurs? La

seule réponse possible est non. La JNA n’a pas pris part à aucun prétendu plan, et il n’en existait

d’ailleurs aucun.

Le conflit

41. Je voudrais à présent en venir au conflit. Dans son rapport, l’e xpert du procureur du

TPIY, M.Ewan Brown, a expliqué que, selon le rapport de la JNA, cette dernière faisait face

31Ibid., documents publics, p. 5694-5719, rapport d’expert de M. Richard Butler, «Les opérations militaires dans
certaines municipalités de l’est de la Bosnie et de la banlieue de Sarajevo», p. 4, par. 3.2.

32TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40, documents publics, p.5792-5986, rapport
d’expert de M.EwanBrown, «L’évolu tion militaire dans la région de la Bo sanska Krajina, 1990-1992», p.21, rapport
régulier d’opérations du 1 corps de la Kraïna, daté du 7 avril 1992. - 27 -

33 début1992 à une menace, entre autres parce que le Gouvernement croate avait l’intention

d’exporter le conflit en Bosnie-Herzégovine. Selon M. Brown, la menace était très réelle. En

mars1992, les forces croates et les Croates de Bosnie engagèrent une opération de grande

envergure dans le nord de la Bosnie (dans la région de Posavina) et prirent le contrôle des zones de

33
Bosanski Brod et Derventa . Cette action entraîna le blocus du «couloir» qui reliait Banja Luka et

la Kraïna à la Bosnie orientale, et aussi à la Serbie. De ce fait, un grand nombre d’unités de la JNA

se trouvèrent dans un environnement hostile dans le centre et l’ouest de la Bosnie. Le 26mars,

dans le village de Sijekovac, situé lui aussi da ns la municipalité de Bosanski Brod, les forces

armées croates exécutèrent neuf civils serbes de sex e masculin. Quelques jours plus tard, au début

du mois d’avril, dans la municipalité de Kupres, en Herzégovine occidentale, région complètement

différente, les forces croates et musulmanes attaquèrent ensemble des unités de la JNA et tuèrent au

34
moins quarante-cinq civils serbes, hommes et femmes .

42. Selon le rapport d’expert de M. Donia, produit par le procureur du TPIY dans l’affaire

contre Momcilo Krajisnik, ces attaques et ces crimes qui eurent lieu fin mars et début avril1992

marquèrent un tournant après lequel la JNA commen ça à jouer un rôle plus actif dans le conflit

bosniaque, du côté des Serbes de Bosnie 35. Cette prise de position de la JNA s’explique facilement

par le fait que les Serbes de Bosnie étaient les se uls à lui apporter un appui et que, après tout, ils

constituaient la grande majorité de ses troupes.

43. Je poursuivrai par la description de deux opér ations menées par la JNA dans la région de

Posavina au début du mois d’avril 1992. Comme je l’ai déjà expliqué, les opérations de la JNA à

Derventa et Bosanski Brod furent menées après la prise de ces deux villes par les forces croates.

Du point de vue militaire, cette action de la JNA était justifiée car, comme n’importe quelle autre

armée l’aurait fait dans les mêmes circonstances, elle s’efforçait de sécuriser ses lignes de

33 TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40, dossier public, p.5792-5986, rapport

d’expert de M. Ewan Brown, «Military development in Bosanska Krajina Region, 1990-1992», p. 13, par. 1.6.
34 Contre-mémoire, chap. 7, 7.1.12.0, Bosanski Brod (Sijekovac), 7.1.13.0, Kupres.

35 TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40, dossier public, p.5525-5569, rapport
d’expert de M. Robert Donia, «The origins of Republika Srpska, 1990-1992, rapport de référence», p. 33. - 28 -

36
communication et ses principaux point s de retrait de Bosnie-Herzégovine . Une situation

analogue se produisit dans la municipalité de Kupres, lorsque les forces armées croates attaquèrent

des unités de la JNA et commirent des crimes au début du mois d’avril 1992.

34 44. Le demandeur n’ayant jamais mentionné aucune de ces trois municipalités, on peut

supposer que la JNA n’y a pas agi selon le plan prémédité qui nous a été expliqué. Et je veux

souligner une fois de plus que ce sont là le s toutes premières opérations militaires qui ont été

menées en Bosnie-Herzégovine au début du conflit armé.

45. En ce qui concerne la situation en Bosn ie orientale, le rôle de la JNA a été très

semblable. Le récit fait à la Cour par Mme Laura Dauban 37 des événements qui s’y sont produits

pourrait faire croire que, au début de la guerre , cette région a été nettoyée des non-Serbes qui

38
l’habitaient par la JNA, les pa ramilitaires venus de Belgrade et les forces serbes de Bosnie . Les

faits cependant ne sont pas si simples.

er
46. Le conflit en Bosnie orientale commença à Bijeljina le 1 avril 1992. C’était, je vous le

rappelle, quelques jours seulement après les événemen ts de Bosanski Brod, Derventa et Sijekovac.

Mais la JNA ne participa pas aux combats de Bije ljina, et elle n’était pas non plus impliquée dans

le conflit qui éclata entre groupes armés musulmans et serbes. Mme Dauban a omis cet aspect, tout

comme le fait que la JNA protégea les Musulmans de Bijeljina en les hébergeant dans ses propres

39
casernes ! Cela concorde-t-il avec le tableau que nous a présenté Mme Dauban? Non, et

pourtant c’est un fait. La JNA a-t-elle mené d’autres actions dans la région de Bijeljina au début du

mois d’avril? Oui, et le demandeur en a déjà produit des preuves devant la Cour. Dans sa

réplique, le demandeur a présenté à la Cour la preuve que l’une des unités de la JNA était

stationnée, le 4 avril, aux abords du village de Janje, près de Bijeljina 40. Janje était un gros village

36
TPIY, Le procureur c. Dusko Tadic, jugement, 7 mai 1997, par. 125.
37CR 2006/6, p. 11-26 (Dauban).

38CR 2006/6, p. 26, par. 49 (Dauban).

39TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, témoin Sead Omeragic, 16 octobre 2003, T 27681; témoin B 1003,
7 avril2003, T18675; documents produits par le dé fendeur devant la Cour le 18 janvier, doc.n1 «La bataille et le
rapport d’opérations», 2 avril 1992, «Ordre concernant l’exéc ution de la décision dprésidence de République de
Bosnie-Herzégovine», 29 avril 1992.

40Réplique, annexe 128. - 29 -

de sixmille habitants, en grande majorité musulm ans. Ont-ils été victimes de crimes? Non. La

JNA a assuré leur sécurité et ce villa ge et ses citoyens sont restés i ndemnes bien après le départ de

la JNA de Bosnie-Herzégovine.

47. Foca est la ville que Mme Dauban a menti onnée ensuite. Les combats dans cette ville

ont commencé le 8 avril et se sont poursuivis jusqu’ au 16 avril 1992. La bataille a duré huit jours

et, comme l’a expliqué Mme Dauban, les forces ser bes étaient composées de Serbes de Bosnie et
35
41
d’une unité paramilitaire appelée les «Aigles blancs» . Là encore, Mme Dauban n’a présenté

aucune preuve de participation directe d’unités de la JNA dans ces combats.

48. Venons-en aux combats à Zvornik, le 9 avr il. Contrairement aux affirmations du conseil

du demandeur sur la participation des unités de la JNA, M. Richard Butler, l’expert du procureur

du TPIY dans l’affaire contre Momcilo Krajisni k, a écrit dans son rapport que, selon les unités

42
locales de la JNA, cette dernière n’avait participé à aucun plan de prise de contrôle de la ville . La

JNA est effectivement intervenue ultérieurement , mais seulement après que ses unités eurent été

attaquées au voisinage de la ville et que cent à tr ois cents soldats musulmans furent positionnés sur

la colline surmontant Zvornik, dans l’ancienne fo rteresse appelée «Kula Grad». Le fait que les

attaques contre les unités de la JNA dans les e nvirons de Zvornik avaient commencé au début du

mois d’avril et que, jusqu’à la fin de ce mois, cent à trois cents combattants musulmans étaient

présents à Kula Grad justifiait cette intervention ultérieure de la JNA 43.

49. Enfin, Visegrad, le 14 avril. Cette fois , Mme Dauban a affirmé que les unités de la JNA

étaient directement impliquées ⎯«la totalité du corps d’Uzice» a-t-elle dit 44. Le conseil du

demandeur a toutefois oublié de mentionner ce qui s’ était passé avant que l’unité de la JNA prît le

contrôle de Visegrad et après. Sur ce point, elle a tenté de brouiller l’image le plus possible.

Néanmoins, le jugement du TPIY dans l’affaire Le procureur c. Mitar Vasiljevic , qui est

directement lié aux événements de Visegrad, donne une image claire de ce qui se produisit dans

cette ville avant et après le 14 avril :

41
CR 2006/6, p. 15, par. 16 (Dauban).
42TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39 et 40, dossier public, p.5694-5719, rapport

d’expert de M. Richard Butler, «Military operation in selected Eastern Bosnia and Greater Sarajevo Municipality», p. 7,
par. 5.4.
43Rapport de l’Institut Ludwig Bolzmann, p. 22, réplique, annexe 48; contre-mémoire, chap. 7, 7.1.22.7, p. 508.

44CR 2006/6, p. 17, par. 23 (Dauban). - 30 -

«[L]es deux groupes adverses ont érigé des barricades autour de Visegrad. Il
s’est ensuivi des actes de violence aveugl es, notamment des fusillades et des tirs

d’obus. Des quartiers musulmans ont ainsi été la cible de tirs au mortier. Suite à ces
événements, de nombreux civils, craignant pour leur vie, ont fui leur village. Début
avril 1992, un citoyen musulman de Visegrad, Murat Sabanovic, a pris le contrôle du

barrage local et a menacé d’ouvrir les vannes. Vers le 13 avril 1992, Sabanovic a
ouvert une vanne, endommageant des propriét és en aval. Le lendemain, le corps
d’Uzice de l’armée populaire yougoslave (la «JNA») est intervenu, a repris le contrôle
du barrage puis est entré dans Visegrad»;

et plus loin :

«L’arrivée du corps d’Uzice de la JNA a, dans un premier temps, ramené le

calme même si de nombreux Musulmans craignant son arrivée ont fui Visegrad.
36 Après avoir pris le contrôle de la ville, des officiers de la JN A et des dirigeants
musulmans ont conjointement mené une camp agne médiatique pour inciter les gens à
rentrer chez eux. Beaucoup sont effec tivement revenus dans la seconde moitié du

mois d’avril1992. Grâce à la JNA, des négociations se s45t ouvertes entre les deux
parties pour essayer d’apaiser les tensions ethniques…»

50. Il ressort de ce jugement du TPIY que l’intervention de la JNA fut provoquée par les

extrémistes musulmans qui tentèrent, en détruisant un barrage, de mettre en pé ril la vie de milliers

de personnes et que, en dépit d’un certain nombr e de mesures de répression compréhensibles en

temps de guerre, l’action menée par la JNA après sa prise de contrôle de Visegrad le fut dans le

respect des règles. Après tout, tous les crimes commis à Visegrad et décrits par MmeDauban

eurent lieu après le retrait de la JNA, le 19 mai.

51. Madame le président, Messieurs de la Cour, maintenant qu’ont été présentés tous les faits

concernant ces événements, il devient évident que l’action de la JNA au début du conflit en

Bosnie-Herzégovine n’a pas été menée sur la base d’un plan préétabli, mais en réaction aux

événements locaux.

Sans doute est-ce un bon moment pour que je m’interrompe, si ma montre est exacte ?

Le PRESIDENT : Si cela vous convient, nous allons suspendre l’audience.

L’audience est suspendue de 16 h 20 à 16 h 40.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Olujić, vous avez la parole.

OM U. JI Ć : Merci, Madame le président.

45
TPIY, Le procureur c. Mitar Vasiljevic, jugement, 29 novembre 2002, par. 42-43. - 31 -

Les relations entre la JNA et les cellules de crise

52. En suivant la chronologie des événements , nous parvenons à présent à une date très

importante pour la situation de la JNA en Bosn ie-Herzégovine. Le 15 avril 1992, le conseil

national de sécurité de la République serbe de Bo snie-Herzégovine déclara une «menace de guerre

imminente» et ordonna la mobilisation générale des forces de la défense territoriale.

53. Le lendemain, le ministre de la défen se de la République serbe de Bosnie-Herzégovine

publia un décret disant à toutes les communes serb es que les unités de la défense territoriale

constitueraient désormais l’armée de la Républi que serbe de Bosnie-Herzégovine, laquelle serait

37 commandée et contrôlée par le personnel des administ rations municipales, de district, régionales et

nationales de la République serbe de Bosnie-Herzégovine 46.

54. Comme l’expert du procureur du TPIY RichardButler l’a conclu dans l’un de ses

rapports, à partir de ce moment-là, les unités de la JNA collaborèrent étroitement avec les autorités

47
civiles, les forces armées et les représentants de la République serbe de Bosnie-Herzégovine . Si

l’on tient compte de l’incertitude qui régnait quant à l’avenir de la JNA en Bosnie-Herzégovine, de

la reconnaissance de cette républiq ue en tant qu’Etat indépendant au début d’avril1992, de la

situation de l’ex-Yougoslavie qui finissait alors de se désintégrer et du fait que 90 % des soldats et

des officiers de la JNA étaient alors des Serbes de Bosnie-Herzégovine, ce décret du 16 avril 1992

doit être considéré comme marquant le moment où la Republika Srpska, Etat autoproclamé,

commença à exercer un certain contrôle su r certaines composantes de la JNA en

Bosnie-Herzégovine.

55. Après avoir expliqué ce décret du 16 av ril 1992, penchons-nous à présent sur la façon

dont il a été appliqué sur le terrain, en suivant le même ordre que MmeDauban et

MmeKaragiannakis, qui nous ont toutes deux parlé de la prise de contrôle des municipalités et

48
villes de Bosnie-Herzégovine . Ce n’est qu’après le décret susmentionné qu’il y eut une certaine

46 o
TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40, dossier public, p.5694-5719, rapport
d’expert de M. Richard Butler, «Military operation in selected Eastern Bosnia and Greater Sarajevo Municipality», p. 5,
par. 3.6.
47
Ibid., par. 3.7.
48CR 2006/5, p. 22-41 (Karagiannakis); CR 2006/6, p. 11-25 (Dauban). - 32 -

coordination entre les unités de la défense territorial e des Serbes de Bosnie et certaines unités de la

JNA, ou parties de ces unités, dans la prise de contrôle des municipalités de BosanskiSamac,

Bratunac, Vlasenica, Sanski Most, Prijedor et Brcko.

56. Toutefois, bien que le demandeur se soit efforcé de donner l’impression qu’après le

16 avril, les unités de la JNA, les paramilitaires lo caux serbes et les unités de la défense territoriale

avaient agi de façon entièrement coordonnée, la réalité sur le terrain fut beaucoup plus complexe.

57. Par exemple, dans le jugement du TPIY en l’affaire Le procureur c. BlagojeSimic , il a

été établi que les Serbes de Bosnie de la régi on, organisés par la cellule de crise locale et

accompagnés de certains groupes paramilitaires, prirent le contrôle de Bosanski Samac le

17 avril 1992 49. Bien que certaines unités de la JN A aient été envoyées à Bosanski Samac en

38 raison de la menace d’une attaque de l’armée régulière croate sur la ville, la Chambre de première

instance a établi qu’elles n’ont pas participé à la pris e de la ville et qu’elles n’en ont été informées

50
qu’après coup .

58. Bien qu’à partir du 17 avril il y ait eu une certaine convergence entre quelques unités

isolées de la JNA ou des éléments de ces unités, d’une part, et les cellules de crise des Serbes de

Bosnie et les unités de la défense territoriale, d’autre part, les experts du TPIY qui ont examiné le

comportement et les opérations de la JNA jusqu’à la retraite de cette dernière le 19mai n’ont

jamais pu prouver l’existence d’une coopération systématique. Pa r exemple, M. Richard Butler

écrit: «Avant mai1992, les relations entre les cellu les de crise et la J NA variaient énormément

51
selon les municipalités.» Mme Dorothea Hanson, autre expert du procureur du TPIY dans

l’affaire Momcilo Krajisnik, conclut: «Avant la création de l’armée de la Republika Srpska, les

relations entre les cellules de crise et l’armée régulière, c’est-à-dire la JNA, n’étaient pas

constantes; elles variaient d’une commune à l’autre et selon les moments.» 52

59. A titre d’exemple de ces relations «variabl es», je voudrais signaler que le 22 avril 1992,

dans la région de Sarajevo, les unités de la JNA ont été envoyées séparer les formations

49 TPIY, Le procureur c. Blagoje Simic, jugement, 17 octobre 2003, par. 442.
50
Ibid., par. 446-448.
51 TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40, dossier public, p.5653-5693, rapport

d’expert de M. Richard Butler, «1992 Bosnian Serb Command & Control (JNA TO VRS)», p. 17, par. 6.3.
52 Ibid., p. 5754-5791, rapport d’expert de Mme Dorothea Hanson, «Bosnian Serb Crisis Staffs», p. 25, par. 52. - 33 -

paramilitaires serbes et musulmanes de Croatie 53, ou bien encore le cas de BanjaLuka où, le

27avril, le groupe paramilitaire serbe dénommé «Forces de défense serbes» avait organisé un

blocus pour couper la retraite aux unités de la JNA dans cette zone 54.

Les crimes commis durant la présence de la JNA

60. Avant de poursuivre et d’aborder la retra ite de la JNA, je souhaiterais mentionner une

autre question très importante. Il ne fait aucun doute que certains crimes graves ont été commis

alors que la JNA était encore présente en Bosnie-H erzégovine. Le défendeur ne l’ignore pas, mais

il convient d’établir les faits concernant chacun des crimes allégués, et notamment de prouver

quand ils ont eu lieu et qui en était responsable.

39 61. Dans sa description «claire» des événemen ts survenus en Bosnie-Herzégovine au cours

de la période 1992-1995, le demandeur n’a jama is essayé d’opérer une distinction entre les

événements et les crimes qui se sont produits avant le 19mai1992 et ceux qui se sont produits

après. Qui plus est, pour la période antérieure au 19 mai, il ne fait pas de distinction non plus entre

les actes des unités serbes locales et des paramilitair es d’une part, et des unités de la JNA d’autre

part.

62. Nous considérons qu’avant le 19mai, c’est-à-dire alors que la JNA était encore en

Bosnie-Herzégovine, il n’y a pas eu de crimes systématiques contre la population non serbe dont la

JNA puisse être tenue pour responsable. Cela est confirmé par le fait que le procureur du TPIY n’a

mis en accusation aucun officier de la JNA ou de la VJ pour des crimes commis avant le

19 mai 1992.

Le retrait de la JNA de Bosnie-Herzégovine

63. Je souhaiterais à présent aborder le de rnier épisode de la présence de la JNA en

Bosnie-Herzégovine ⎯son retrait. La position de la Serb ie-et-Monténégro sur le retrait des

soldats de nationalité yougoslave du territoire de la Bosnie-Herzégovine a déjà été exposée de

53 o
TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40, p.5653-5693, rapport d’expert de M.
Richard Butler, «1992 Bosnian Serb Command & Control (JNA TO VRS)», p. 12, par. 3.4.
54Ibid., p.5792-5986, rapport d’expert de M. Ewan Brown, «Military development in Bosanska Krajina region
1990-1992», p. 22, par. 1.34. - 34 -

55
manière approfondie dans nos écritures . Je me contenterai donc de présenter brièvement la

chronologie des événements liés à ce retrait.

64. Le 27avril1992 a été créé un nouvel Etat , la République fédéra le de Yougoslavie.

Conformément à sa Constitution, la RFY était composée de deux républiques: la Serbie et le

Monténégro. La nouvelle Constitution disposait que le territoire de la RFY était celui de ces deux

républiques; elle portait également création de l’armée yougoslave, composée de citoyens

yougoslaves 56.

65. Le même jour, le Parlement serbe et le Parlement monténégrin ont tenu une séance

conjointe à l’issue de laquelle ils ont adopté une déclaration dont je cite un extrait :

«La République fédérale de Yougoslavie n’a aucune ambition territoriale sur les

territoires de ses voisins. Fidèle aux objectifs et principes de la Charte des
NationsUnies et aux documents de la CSCE, elle reste strictement attachée aux
57
principes du non-recours à la force pour le règlement des différends.»

66. Le jour de l’adoption de la nouvelle Constitution, la présidence de la Yougoslavie a

publié un décret organisant la transformation de la JNA, et je cite: «Ce plan devra envisager la

40 transformation de l’armée populaire yougoslave en armée de la République fédérale de

Yougoslavie et la limitation de ses pouvoirs au territo ire et aux citoyens de la République fédérale

de Yougoslavie.» 58

67. Examinant de nouveau cette question le 4 mai, la présidence yougoslave a décidé que

«tous les citoyens de la République fédéra le de Yougoslavie employés par la JNA en

Bosnie-Herzégovine devraient rapidement retour ner en territoire you goslave, dans un délai

59
maximal de quinze jours» .

68. Cette décision revêt une grande importan ce en l’espèce. Elle indique clairement que,

selon la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie, rien ne permettait à la présidence

de la RFY ou à aucun autre organe yougoslave de prendre des décisions sur des questions militaires

55
Contre-mémoire, chap. 3.
56Articles 133 et 134 de la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie.

57Déclaration adoptée le 27avril1992 à la séance conjoi nte de l’Assemblée de la RFS de Yougoslavie, de
l’Assemblée nationale de la République de Serbie et de l’Assemblée de la Ré publique du Monténégro; contre-mémoire,
annexe 310.

58Compte rendu de la 195 e séance de la présidence yougoslave te nue le 27 avril 1992, contre-mémoire,
annexe 290.

59Compte rendu de la 197 séance de la présidence yougoslave tenue le 4 mai 1992, contre-mémoire, annexe 292. - 35 -

en Bosnie-Herzégovine. Plus important encore, les personnes n’ayant pas la citoyenneté de la

Serbie ou du Monténégro cessaient d’être soumises à la compétence de la RFY.

69. Dans ses écritures et ses plaidoiries, le demandeur se déclare en désaccord avec ces actes

et présente le comportement de la RFY comme illéga l. Mais il n’a jamais fait connaître son point

de vue sur la véritable question : qu’est-ce que la RFY pouvait faire à ce moment-là ?

70. Si le demandeur attendait de la RFY qu’ elle ordonne le retrait de Bosnie-Herzégovine

des cent dix mille soldats et officiers qui s’y tr ouvaient, c’était une absurdité. D’abord, cela

n’entrait pas dans le champ de compétence de la RFY, comme je viens de l’expliquer, puisque

90% de ces soldats étaient citoyens de la Bosnie -Herzégovine. Même en imaginant, ne serait-ce

qu’un instant, que les organes de la RFY ai ent eu le pouvoir de donner un tel ordre, il est

parfaitement déraisonnable de penser que les Se rbes de Bosnie-Herzégovine y auraient obéi.

Compte tenu de l’état de guerre qui prévalait al ors, leur retrait de Bosnie-Herzégovine aurait

indubitablement provoqué l’exode de tous les Serbes de Bosnie-Herzégovine.

71. Si le demandeur attenda it du défendeur qu’il ordonne à toutes les unités de la JNA de

rendre leurs armes au Gouvernement de Bosnie, c’ét ait tout aussi irréaliste. Les faits exposés en

l’espèce, y compris la reconnaissance par le demand eur qu’il y avait alors une guerre civile en

41 Bosnie-Herzégovine, montrent clairement que les Serbes de Bosnie n’auraient jamais exécuté un

tel ordre.

72. Il ressort clairement de cette conclusion que les mesures prises par les organes de la RFY

étaient les seules possibles à l’époque.

73. Dans ses plaidoiries, le demandeur n’a jama is parlé en détail du retrait des unités de la

JNA en mai 1992. Il a souvent donné une version si mpliste des faits en déclarant que la JNA avait

laissé toutes ses armes aux mains des Serbes. La r éalité n’est pas aussi simple que le demandeur a

essayé de le faire croire. Conformément aux décisions et aux ordres des organes nouvellement

constitués de la République fédéra le de Yougoslavie, les unités de la JNA composées de citoyens

de la RFY ont essayé de se retirer de Bosnie-Her zégovine, mais leur retrait a été rendu difficile par

les parties en guerre qui essayaient de récupérer le plus d’armes possible. - 36 -

74. Il ressort clairement des preuves produ ites devant la Cour que les forces armées

musulmanes avaient bien une telle intention. Le 29avril1992, le ministre de l’intérieur,

Alija Delimustafic, a ordonné ce qui suit :

«1.Placer des barrages routiers sur tous les grands axes de circulation de la
République de Bosnie-Herzégovine que les unités de l’ex-JNA ont commencé à
emprunter pour rapatrier leur équipement et leur matériel…

2. Mettre en place un blocus élargi de tout e la zone où se trouvent des installations
militaires…

3. Empêcher les colonnes d’unités de l’ex -JNA non accompagnées par des forces du
ministère de l’intérieur de quitter sans avertissement leurs quartiers et de

communiquer entre elles sur le territoire de la République de
Bosnie-Herzégovine…

4. Prévoir et entreprendre rapidement des opérations d60combat sur l’intégralité du
territoire de la République de Bosnie-Herzégovine.»

75. La position des Serbes de Bosnie à l’égard de la JNA n’était guère différente de celle du

Gouvernement bosniaque. Dans son ouvrage Peacekeeper: The Road to Sarajevo , le général

Lewis McKenzie, ancien commandant des forces des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine a écrit,

au sujet des événements du 11 mai 1992 :

«Radovan Karadzic devenait de plus en plus indépendant de la JNA. Il a même
été signalé que des Serbes de Bosnie attaqua ient toute unité de la JNA essayant de

42 remettre ses armes, ses munitio ns et son matériel militaire 61x forces de la défense
territoriale en échange de la liberté de sortir de Bosnie.»

76. Ce n’est pas tout. L’«analyse de la préparation au combat de l’armée de la Republika

Srpska pour 1992» explique très clairement la situ ation qui prévalait en mai1992. En voici un

extrait :

«Grâce à la vigoureuse opposition du commandant et de l’ensemble de

l’état-major général de la VRS à la décision des autorités compétentes de l’armée de la
RFY d’évacuer le matériel de combat, le retra it de la plus grande partie de ce matériel
ainsi que le personnel ⎯ les ressortissants de la RFY ⎯ a pu être empêché.» 62

60Documents présentés à la Cour par le défendeur le 18janvier, doc.3 «Ordre relatif à l’application de la

décision de la présidence de Bosnie-Herzégovine», 29 avril 1992.
61Peacekeeper: The Road to Sarajevo, Lewis McKenzie, Douglas & McIntyre, Vancouver/Toronto, p. 182.

62TPIY, Le procureur c. Radovan Brdjanin, pièce n P58, «Analysis of Combat R eadiness of Army of Republic
of Srpska for 1992», p. 69. - 37 -

77. Pour replacer toutes ces preuves dans leur contexte, j’estime très utile de rappeler une

fois de plus les conclusions du Secrétaire géné ral de l’Organisation des NationsUnies dans son

rapport du 30 mai 1992. Dans ce rapport, le Secrétaire général a établi ce qui suit :

«L’essentiel des militaires de la [JNA] qui étaient déployés en
Bosnie-Herzégovine étaient des citoyens de cette république et n’étaient donc pas
visés par la décision prise le 4 mai par les autorités de Belgrade de retirer [la JNA] de

Bosnie-Herzégovine. La plupart de ces élémen ts semblent avoir rejoint l’armée de la
prétendue «République serbe de Bosnie-Her zégovine». D’autres ont rallié les forces
de défense territoriale de la Bosnie-Herzé govine, placées sous le contrôle politique de

la présidence de cette république. Il se peut que d’autres, enfin, aient rejoint diverses
forces irrégulières opérant là-bas. Les éléments qui ne sont pas citoyens de la
Bosnie-Herzégovine ne représenteraient, selon les autorités de Belgrade, qu’à peine

20% du total. On croit savoir s’ils se seraient déjà retirés en Serbie ou au
Monténégro, certains d’entre eux ayant d’ailleurs essuyé des attaques pendant leur
63
retrait.»

Création de l’armée de la Republika Srpska

78. Venons-en enfin au 12 mai 1992. Ce jou r-là, l’armée de la République serbe de

Bosnie-Herzégovine a été créée par décision de la seizième Assemblée de la République serbe de

Bosnie-Herzégovine. Cette décision, adoptée en pr ésence de quarante-neuf députés, prévoyait que

les unités existantes de la défense territoriale ser aient rebaptisées unités de l’armée. Par cette

même décision, le général de corps d’armé e RatkoMladic a été nommé commandant de

64
l’état-major général de l’armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine .

43 79. Le 1 erjuin 1992, l’Assemblée nationale de la République serbe de Bosnie-Herzégovine a

er
adopté une nouvelle loi militaire, dont l’article 1 dispose: «L’armée de la République serbe de

Bosnie-Herzégovine est une force militaire constituée pour défendre la souvera ineté, le territoire,

l’indépendance et l’ordre constitu tionnel de la République serbe de Bosnie-Herzégovine.» Le

même jour a été adoptée la loi sur la défense, dont l’article 7 dispose: «Le président de la

République serbe de Bosnie-Herzégovine est le chef de l’armée en temps de paix comme en temps

65
de guerre.»

63Rapport présenté par le Secrétaire général en appcation du paragraphe4 de la résolution752 (1992) du

Conseil de sécurité, contre-mémoire, annexe 291.
64TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin , pièce n P50: compte rendu de la seizième Assemblée de la
République serbe de Bosnie-Herzégovine, tenue le 12 mai 1992, p. 60.

65Journal officiel de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, n 7, 1 juin 1992. - 38 -

80. Madame le président, Messieurs de la Cour , tels sont les faits. L’armée de la Republika

Srpska était, comme son nom l’indique, l’arm ée de cette République. En 1992, elle comptait

environ deux cent vingt mille soldats, dont 99% étaient citoyens de Bosnie-Herzégovine, comme

66
l’étaient aussi 99% de ses officiers . Le président de la Republika Srpska exerçait un contrôle

politique sur l’armée. Tous ces faits ont été confir més, entre autres, par la déclaration de l’ancien

président du Gouvernement de la Republika Srpska, M. Vladan Lukic : «La Republika Srpska avait

aussi sa propre armée et sa propre police, avec un système complet de commandement et d’appui

67
logistique pour ces deux structures.»

81. Le demandeur n’a pas réfuté cette déclara tion de M.Lukic. En revanche, il a tenté de

terminer son exposé «clair» des événements qui se sont produits au début du conflit en

Bosnie-Herzégovine en utilisant une partie du jour nal personnel de M.Jovic, où il est dit que la

nomination du général Mladic avait été acceptée à Be lgrade. Si, pour les besoins du raisonnement,

nous admettons que cette nomination avait l’accord de Belgrade, il nous reste encore à établir en

quoi consistait cet accord. Les représentant s des Serbes de Bosnie avaient demandé à

RatkoMladic de devenir le commandant de le urs forces armées en raison de son expérience 6, et

les dirigeants yougoslaves ne s’étaient pas opposés à cette demande, Ratko Mladic étant citoyen de

Bosnie-Herzégovine. Cette proposition a ensuite ét é soumise à l’organe politique suprême des

44 Serbes de Bosnie, leur Assemblée, laquelle l’accep ta le 12mai1992. A partir de cette date, le

général Mladic cessa d’être officier de la VJ et devint commandant de l’armée de la Republika

Srpska, poste qu’il occupa jusqu’à la fin de la guerre en Bosnie-Herzégovine.

82. Le demandeur n’a donc produit à la Cour aucun document ou autre preuve permettant de

conclure que, après le 12 mai 1992, Ratko Mladic ou un autre membre de l’armée de la Republika

Srpska ait reçu des ordres des organes politiques ou militaires de la République fédérale de

66 TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin, pièce n P58, «Analysis of Combat Readiness of Army of Republic
of Srpkska for 1992», p. 11.

67 CR 2006/24, p. 12 (Lukic).
68 o
TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik , affaire n IT-00-39&40, dossier public, p. 5653-5693; rapport
d’expert de M. Richard Buttler, «1992 Bosnian Serb Comm and & Control (JNA TO VRS)», p.23, par.7.9; TPIY, Le
procureur c. Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, «Enregistrement audio de laséance de l’Assemblée, tenue
les 15 et 16 avril 1995 à Sanski Most», compte rendu, p. 16471-16543. - 39 -

Yougoslavie. Les déclarations du Secrétaire général de l’ONU, dans son rapport du 30 mai 1992,

soit quelques jours seulement après la création de l’armée de la Republika Srpska, contredisent les

assertions du demandeur :

«Un représentant de haut rang de [la JNA] à Belgrade, le général
NedeljkBooskovic, a mené des discussions avec la présidence de la
Bosnie-Herzégovine, mais il est désormais év ident que sa parole ne lie nullement le

commandant de l’armée de la «Républiq ue serbe de Bosnie-Herzégovine», le
général Mladic.» 69

83. Compte tenu des faits qui précèdent, nous soumettons à la Cour les conclusions

suivantes :

⎯ les événements de 1991 et du début de 1992 en relation avec la JNA, et notamment le

désarmement de la défense territoriale, les modifications de la composition ethnique de l’armée

et les mouvements de troupes de la JNA en provenance et en direction de la

Bosnie-Herzégovine ne s’inscrivaient pas dans un plan prémédité visant à créer la «Grande

Serbie», comme le demandeur a essayé de le faire admettre. Il n’existait pas de plan de ce type

et certainement pas avec la participation de la JNA;

⎯ alors que la JNA était encore présente en Bo snie-Herzégovine, il n’y a pas eu de crimes

systématiques contre les non-Serbes et en auc un cas les membres de la JNA n’ont commis de

tels crimes;

⎯ la JNA a cessé d’exister le 28 avril 1992, date à laquelle a été créée l’armée de la République

fédérale de Yougoslavie. La grande majorité des anciens me mbres de la JNA qui étaient

citoyens de la République fédérale de Yougoslavie avaient quitté la Bosnie-Herzégovine avant

le 19mai1992. La grande majorité des Serbes membres de la JNA qui étaient citoyens de

Bosnie-Herzégovine avaient rejoint l’armée de la nouvelle Republika Srpska à la date de sa

création, le 12 mai.

84. Madame le président, cette brève conclusi on met fin à ma plaidoirie. Je vous demande

respectueusement de donner la parole à mon confrère, M. Sasa Obradović.

69Rapport présenté par le Secrétagénéral en application du paragraphe 4 de la résolution752 (1992) du

Conseil de sécurité, 30 mai 1992; contre-mémoire, annexe 291. - 40 -

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Oluji ć. Je donne maintenant la parole à
45

M. Obradović.

OBMR. ADOVI Ć :

LES RELATIONS ENTRE L ’ARMEE YOUGOSLAVE ET
L ’ARMEE DE LA R EPUBLIKA S RPSKA

Introduction

Madame le président, Messieurs les juges,

1. Comme mon collègue Igor Olujic vient just e de le démontrer de manière convaincante, la

présence de l’armée populaire yougoslave (JNA) sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine a pris

fin le 19 mai 1992. Les événements avaient conduit à la création de deux nouvelles armées,

distinctes ⎯l’armée yougoslave (VJ) en République fé dérale de Yougoslavie et l’armée de la

Republika Srpska (VRS) en Republika Srpska.

2. Au cours de mon exposé, je traiterai des relations qui ont existé entre ces deux armées,

fondement de la tentative du demandeur visant à établir la responsabilité de la

Serbie-et-Monténégro pour ce qui concerne les crimes qui auraient été commis sur le territoire de la

Bosnie-Herzégovine. L’objet de la présente plaidoirie est de réfuter les prétentions sans fondement

du demandeur selon lesquelles :

70
1) la VRS était un organe du défendeur ; et

2) la VRS et la VJ n’étaient pas deux armée distinctes71.

3. En même temps, les éléments de preuve qui vont suivre démontreront à la Cour que :

1)la VRS ne se trouvait pas sous le contrô le effectif d’un quelconque organe de

Serbie-et-Monténégro; et que,

2) comme cela a été déjà expliqué à la Cour par M. Brownlie, l’assistance accordée à la VRS par

la République fédérale de Yougos lavie n’était pas suffisante pour que l’on puisse attribuer les

actes commis par la VRS à l’Etat défendeur 7.

70CR 2006/10, p. 26, par. 35 (Condorelli).
71
CR 2006/8, p. 45, par. 23 (Van den Biesen).
72CR 2006/17, par. 223 (Brownlie). - 41 -

Le statut de l’armée de la Republika Srpska

4. Un point clé concernant la question de l’attribution en l’espèce est celui de savoir si

l’armée de la Republika Srpska opérait ou non sous le contrôle effectif de l’Etat défendeur.

46 5. Sur la base des éléments de preuve et d es arguments présentés par l’une et l’autre Parties

au cours du premier tour de plaidoiries, la Cour aurait pu conclure, il est vrai, à l’extrême

complexité des relations entre ces deux armées. Il est ainsi raisonnable de poser la question de

savoir si les relations entre ces deux armées, dans les circonstances qui prévalaient, pouvaient

rationnellement, d’un point de vue juridique et hist orique, être comparées aux relations qui avaient

existé entre les armées de la Grande-Bretagne et de la France , comme, étrangement, l’a donné à

entendre le général sir Richard Dannatt 73.

6. En dépit des relations complexes qui exista ient entre l’armée yougoslave et l’armée de la

Republika Srpska, les éléments de preuve que je vais présenter montrent clairement que l’armée

serbe de Bosnie était indépendante de l’armée yougoslave, ou de tout autre organe de la République

fédérale de Yougoslavie. Madame le président, au cours de mon exposé, je traiterai des éléments

de preuve suivants, qui étayent de manière convaincante cette conclusion :

I. Rapport d’expert du bureau du procureur du TPIY «1992 Bosnian Serb Command & Control

(JNA – TO – VRS)» [«Commandement et contrôle des Serbes de Bosnie (JNA – TO – VRS)»]

établi par MR. ichard Butler dans l’affaire Le procureur c. Momcilo Krajisnik et

Biljana Plavsic.

II. Lettre datée du 28 mai 1992 de M. Momcilo Krajisnik à l’Organisation des Nations Unies.

III.Déposition de l’expert sir Richard Dannatt.

IV.Déposition du témoin sir Michael Rose.

V. Déposition de M. Zoran Lilic devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

I. Rapport d’expert du bureau du procureur du TPIY «Commandement et contrôle des
Serbes de Bosnie (JNA – TO – VRS)» établi par M.Richard Butler dans l’affaire Le
procureur c. Momcilo Krajisnik et Biljana Plavsic 74

7. Je vais, pour commencer, traiter du rapport d’expert du bureau du TPIY établi par

M. Richard Butler. Dans le préambule du rapport, il est indiqué que celui-ci a été établi au moment

73
CR 2006/23, p. 22 (Dannatt).
74TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik & Biljana Plavsic, affaire n IT-00-39&40, p. 5653-5693. - 42 -

où l’auteur était employé à plein temps en tant qu’analyste militaire dans le cadre du procès de

première instance qui se déroulait alors Le procureur c. Stanislav Galic et au moment où l’auteur

établissait des rapports en tant qu ’expert militaire dans les affaires Le procureur

c.DraganObrenovic, Vidoje Blagojevic, Dragan Jokic et Momir Nikolic . Il ne fait pas de doute

47 que M. Butler, en qualité d’expert rattaché au bureau du procureur du TPIY, avait à sa disposition

tous les documents disponibles et pertinents. Le chapitre 10 de son rapport, intitulé «La chaîne de

commandement de la VRS» était entièrement c onsacré à la question de savoir qui contrôlait

l’armée des Serbes de Bosnie. Il est parvenu aux conclusions suivantes, que je cite :

«10.1. Après le 20mai1992, la VRS éta it devenue l’organe militaire principal
des Serbes de Bosnie, chargé de la tâche consistant à réaliser les six objectifs

stratégiques du peuple serbe. Dès le dé part, la VRS s’est trouvée sous le
commandement et le contrôle effectifs d es dirigeants serbes de Bosnie, comme cela
s’est traduit dans l’institution officielle de la présidence (qui incluait Plavsic et

Krajisnik). Ceci constitue le comma ndement suprême de l’armée, dont le
commandement et le contrôle étaient exercés à travers une chaîne opérationnelle de
commandement qui commençait par le co mmandant de la VRS et son chef
d’état-major, le général Ratko Mladic.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

10.3. Parallèlement à la création de l’«armée de la République serbe de

Bosnie-Herzégovine» le 12 mai 1992, l’Assemb lée nationale a de son côté amendé la
Constitution pour prévoir, notamment, que le président a) commandait l’armée
nouvellement établie en temps de guerre comme de paix et b)nommait les officiers,
er
les promouvait et les rayait des cadres de l’armée. Le 1 juin 1992, la présidence a
adopté la loi de défense pour renforcer davantage les pouvoirs du président et y inclure
notamment le pouvoir de :

1) commander l’armée, et d’exercer un contrôle sur elle en temps de paix et de
guerre…» 75 [Traduction du Greffe.]

8. Le rapport Butler est très clair et ne lai sse aucune place au doute, en ce qui concerne

l’interprétation qu’il convient de lui donner. La VRS se trouvait placée sous le commandement et

le contrôle effectifs des dirigeants serbes de Bosn ie. Il est difficile d’im aginer que l’expert du

procureur du TPIY puisse avoir ignoré le rôle de la République fédérale de Yougoslavie, s’agissant

du contrôle exercé sur l’armée de la Republika Srpska, si pareil contrôle avait réellement existé.

75TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik & Biljana Plavsic , affaire n IT-00-39&40, p.56-57 des archives

(p. 37 du rapport d’expert), par. 10.1 et 10.3 (les notes de bas de page ont été omises). - 43 -

II.La lettre datée du 28 mai 1992 de M. Momcilo Krajisnik à l’Organisation des
Nations Unies

9. Je vais aborder à présent la lettre da tée du 29 mai 1992 de M. MomciloKrajisnik à

l’Organisation des NationsUnies. Dans cette lettre, M.Krajisnik a dit que, à la date du

18 mai 1992, «les membres du commandement suprême de l’armée serbe étaient nommés, toutes

76
les forces armées se trouvent sous notre contrôle total» .

10. Madame le président, ceci a été dit par le président de l’assemblée du peuple serbe de

Bosnie-Herzégovine. Sa lettre a été produite dans une affaire devant le TPIY l’opposant au bureau

du procureur, le 19avril2005, au cours de la déposition du témoin protégé KRAJ084, et a été

48 reçue dans la décision orale de la Chambre de première instance rendue le 24 mai 2005 en tant que

77
document public . Le texte intégral de cette lettre peut être trouvé dans le dossier des juges.

III. La déposition du général sir Richard Dannatt

11. La prétention du demandeur selon laquelle la VRS se trouvait sous un prétendu contrôle

des autorités gouvernementales de Serbie-et-Monténégro n’a pas été directement confirmée, même

pas par l’expert appelé à la barre par le demandeur , le général sir Richard Dannatt. En réponse à

une question que vous lui avez posée directement, Madame le président, le général Dannatt a dit

ceci :

«S’agissant du degré d’autonomie, je dira is que la VRS jouissait d’une certaine

indépendance, mais que ses actions particip aient de l’intention globale et que les
opérations qu’elle menait étaient donc, si vous voulez, des moyens de l’amener à se

concrétiser. Je dirais donc que le contrôle quotidien des opérations était exercé par le
général Mladic et l’état-major général de la VRS, mais que l’objectif global était un
objectif qui avait été initialement conçu à Belgrade…» 78

12. Répondant à la question de savoir s’il était ou non informé des ordres donnés par les

autorités gouvernementales de la République fédéra le de Yougoslavie, ou pa r celles de la Serbie,

aux commandants de l’armée de la Republika Sr pska, question posée par le juge Tomka, le

76 o
Dossier des juges présenté par la Serbie-et-Monténégro au cours du second tour de plaidoiries, doc. n 6.
77TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajisnik, affaire n IT-00-39&40, pièce n P-620.

78CR 2006/23, p. 44 (Dannatt). - 44 -

général Dannatt a dit ce qui suit dans sa déposition : «Quant à votre seconde question, il s’agit, si

j’ai bien compris, Madame le président, de savoir si je possède la preuve d’ordres directs. Non, je

79
ne la possède pas. Mais je ne m’attendrais pas à trouver trace écrite de tels ordres.»

13. Sur la base de ce qu’a dit le général Da nnatt, le défendeur vo udrait respectueusement

tirer les conclusions suivantes :

1) Le général Dannatt n’a présenté à la Cour aucun élément de preuve qui confirmerait que la VRS

se trouvait sous le contrôle de la RFY sur le plan tactique opérationnel ou du commandement en

matière de stratégie militaire.

2) Le général Dannatt a fait sa déposition en tant qu’expert ayant été par le passé engagé par le

procureur du TPIY, et il a eu à examiner un nombre considérable de documents. Il a dit ceci :

«J’ai étudié de nombreux documents que j’ai demandé à voir, qui m’ont été

montrés ou dont j’ai eu connaissance dans le cadre des opérations dans les Balkans au
cours des dix ou douze dernières années. J’ai examiné un très grand nombre de
documents… Des personnalités telles que le général sir Michael Rose, le général

sir Rupert Smith, M. Richard Holbrook ont toutes livré leurs récits, presque
49 contemporains, sous forme d’ouvrages. J’ai bien sûr en ma possession ces différents
ouvrages, et d’autres encore.» 80

3) Le général Dannatt a laissé ouve rte la possibilité qu’un certain degré d’influence ait pu exister

au niveau de la conduite stra tégique, auquel niveau l’activité est «essentiellement celui des

81
politiciens qui déterminent leurs intentions» .

14. Manifestement, le général Dannatt a évité de manière fort prudente de s’engager sur cette

question. Il a parlé de ce qui suit : «[L]e ni veau de la conduite stratégique à Belgrade, ou Pale ou à

Banja Luka, là où se trouvait le siège du gouvernement à cette époque, pour autant qu’il s’agisse de

82
la Republika Srpska…»

15. L’Etat défendeur considère que le témoignage du général Dannatt en partie consacré à ce

qu’il croit être les buts politiques poursuivis au cour s de la guerre de Bosnie ne devrait pas être

retenu comme un témoignage pertinent, sans parl er de son caractère guère concluant. Le

généralDannatt n’était qu’un expert militaire; il n’était pas un témo in des événements politiques.

79CR 2006/23, p. 46 (Dannatt).
80
Ibid., p. 15 (Dannatt).
81
Ibid., p. 13 (Dannatt).
82Ibid., p. 14 (Dannatt); les italiques sont de nous. - 45 -

Et je pense qu’il a fidèlement exprimé sa position à cet égard. Il a dit ceci : «Se pose alors selon

moi la question de savoir «quelle fut la teneur de ces discussions épisodiques entre Mladic et

Milosevic»; je n’en sais rien, je n’étais pas là » 83 Et il a également ajouté: «Je ne peux que

84
spéculer; je me demande ce dont ils ont parlé.» Pour les motifs qui précèdent, la spéculation à

laquelle s’est livré le généralDannatt en ce qui concerne la prétendue «intention globale» ou

l’«objectif global» conçu à Belgrade ne saurait être acceptée comme pertinente en l’espèce.

IV. Déposition du témoin sir Michael Rose

16. L’élément de preuve suivant que je voudrais examiner est la déposition du témoin

sir Michael Rose, qui, sur la même question, a dit ce qui suit :

«Cette responsabilité est donc incontest ablement partagée par les autorités
civiles, et notamment par les principaux dirigeants, à savoir M. Tudjman, M. Karadžić
dans le cas de la Republika Srpska et M.Izetbegovi ć nlsl

Bosnie-Herzégovine. Tous trois ont leur part de responsabilité dans les crimes de
guerre et les atrocités perpétrés.

A la suite des travaux entrepris par l’Organisation des NationsUnies, j’ai

souvent dû me rendre à Pale, où la Repub lika Srpska avait s on quartier général
50 militaire et politique, et j’ai pu me faire une idée de l’ampleur du contrôle direct ou de
l’influence de Belgrade sur les opérations militaires et politiques de la Republika

Srpska. Et cette idée, cette impression était qu’il n’y avait pas, sur le plan militaire, de
dispositif officiel de commandement militaire.» 85

17. En outre, sir Michael Rose a dit: «Il serait certainement juste, selon moi, de dire que

Mladić poursuivait ses propres desseins, et que le régi me de Belgrade le soutenait peut-être

moralement et matériellement, mais n’exerçait pas sur lui de contrôle militaire. Mladić poursuivait

86
ses propres desseins.»

18. En réponse à la question que le juge Owad a lui a posée au sujet de la source de son

information concernant les relations entre les de ux armées, sir Michael Rose a dit: «Il n’y avait

aucune preuve concrète les confirmant ou les in firmant mais, ayant passé toute ma carrière dans

83CR 2006/23, p. 22 (Dannatt); les italiques sont de nous.

84Ibid., p. 31 (Dannatt); les italiques sont de nous.
85
CR 2006/26, p. 11-12 (Rose); les italiques sont de nous.
86Ibid., p. 27 (Rose). - 46 -

l’armée, je sais ce que sont des relations offi cielles de commandement militaire et, à mon avis, il

n’y en avait pas entre ces deux organisations.» 87

19. Les conclusions de fait qui peuvent être tirées de son témoignage sont très claires :

1) les autorités au niveau le plus élevé qui sont responsables des atrocités commises en

Bosnie-Herzégovine étaient Tudjman, Karadzic et Izetbegovic;

2) sir Michael Rose, en tant qu’officier des Na tionsUnies chargé du maintien de la paix en

Bosnie-Herzégovine et en tant qu’officier dot é d’une expérience militaire considérable, estime

qu’il n’existe aucune preuve que les autorités de Belgrade contrôlaient l’armée des Serbes de

Bosnie.

V. Témoignage de M. Zoran Lilic devant le TPIY

20. L’ancien président de la République fé dérale de Yougoslavie, M. Zoran Lilic, a été

appelé à la barre en tant que témoin dans l’affaire Milosevic par le procureur du TPIY. Madame le

président, permettez-moi de citer le passage pertinent de son témoignage.

21. La question posée était celle-ci: «L’état- major de l’armée de Yougoslavie a-t-il d’une

façon ou d’une autre exercé un rôle de commandement sur le personnel de l’armée de la Republika

Srpska ou sur les cadres de l’armée serbe de la Krajina ?» 88 M. Lilic répondit comme suit :

«Tout à fait impossible. Si toutes le s décisions étaient respectées au plan

juridique, ce qui était tout à fait impossible. Et les décisions étaient prises par le
51 Conseil suprême de la défense et cette question n’a jamais été soulevée en son sein,
jamais. Donc ma réponse est non.» 89

Madame le président, le conseil du demandeur, Mme Karagiannakis, a demandé à la Cour de

ne pas considérer la déposition de M. Lilic devant le TPIY, dans l’affaire Milosevic, comme «un

élément de preuve objectif et concluant en la ma tière», parce que celui-ci était un ancien collègue

de M.Milosevic . Avec tout le respect que je lui dois, Mme Karagiannakis semble avoir oublié

deux points: tout d’abord, M. Lilic, en tant qu e témoin appelé à la barre par le procureur, a

témoigné à charge contre M. Milosevic, et, ensu ite, l’agent adjoint du demandeur avait auparavant

87
CR 2006/26, p. 33 (Rose).
88 o
TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, comptes rendus d’audiences, 18 juin 2003,
p. 22757; http://www.un.org/icty/transe54/030618IT.htm
89Ibid.

90CR 2006/32, p. 65, par. 81 (Karagiannakis). - 47 -

présenté la déposition de M. Lilic, un certain nomb re de fois, comme étant un élément de preuve

91
pleinement fiable en l’espèce . Le défendeur, bien entendu, ne conteste pas la crédibilité de la

déposition de Lilic présentée par le demandeur.

Conclusion

22. Madame et Messieurs de la Cour, l’élément de preuve que je viens de présenter démontre

clairement que :

1) la VRS et la VJ étaient deux armées distinctes;

2) la VRS n’était en aucune manière un orga ne de la République fé dérale de Yougoslavie

(aujourd’hui Serbie-et-Monténégro);

3) la VRS se trouvait sous le contrôle effectif de la présidence de la Republika Srpska.

L’assistance de l’armée yougoslave à l’armée de la Republika Srpska

23. Madame le président, Messieurs de la Cour , il n’est pas contesté que l’armée yougoslave

a fourni assistance à l’armée de la Republika Srps ka au cours du conflit en Bosnie-Herzégovine.

Selon le témoignage de l’expert, le général sir Richard Dannatt, cette assistance était limitée à «un

soutien en hommes, un appui logistique, du matériel et un entraînement» 92.

24. Toutefois, le défendeur voudrait souligner ici le fait que les relations entre la VRS et

laVJ avaient fréquemment changé, en fonction de la situation politique et que, en conséquence,

l’assistance que la VRS recevait de la VJ ne lui était pas accordée sur une base permanente.

52 25. En 1992, il est apparu nécessaire au G ouvernement de la Répub lique fédérale de

Yougoslavie que le pays devait aider à la mise su r pied d’une armée des Serbes de Bosnie qui

s’étaient trouvés soudainement citoyens d’un autre Etat.

26. Aujourd’hui, il est facile de dire que les Serbes de Bosnie-Herzégovine n’étaient pas

menacés, au motif que toutes les nations de Bosnie-Herzégovine étaient des minorités 93. Mais,

alors, la majorité des citoyens de Serbie -et-Monténégro estimaient que les Serbes de

91CR 2006/8, p. 42, par. 13 (Van den Biesen); voir également CR 2006/34, p. 41, par. 41 (Van den Biesen).
92
CR 2006/23, p. 23-24 (Dannatt).
93CR 2006/30, p. 37, par. 20 (Van den Biesen). - 48 -

Bosnie-Herzégovine, sans assistance de la mère patrie, seraient probablement victimes d’atrocités

et de violations des droits de l’homme.

27. Une assistance leur a été fournie. Son bu t n’était pas de contribuer à la commission de

quelque crime que ce soit, et en particulier pas la commission du crime de génocide. Son but était

de permettre la création et la surv ie de la Republika Srpska, qui, en tant qu’entité, était pleinement

reconnue par l’accord de paix de Dayton-Paris.

28. Toutefois, l’opinion publique en Serbie -et-Monténégro, de même que la position des

autorités de Belgrade, a significativement évolué lo rsque les dirigeants serbes de Bosnie ont refusé

d’accepter le plan Vance-Owen au cours du printe mps 1993. Plutôt que d’accepter le règlement

pacifique du conflit, les Serbes de Bosnie continua ient à prendre part à la guerre, une guerre qui

avait déjà fait un très grand nombre de victimes et au cours de laquelle les trois parties belligérantes

avaient toutes les trois commis de nombreux crimes. Nous avons entendu les dépositions

convaincantes de MM. Lukic et Popovic, des témoin s provenant de la Republika Srpska, s’agissant

de la cessation de l’assistance fournie par le Gouvernement yougoslave à l’époque.

29. Etant donné que les dirigeants serbes de Bo snie refusaient le plan du groupe de contact,

les dirigeants de Belgrade décidèrent le 4 août 1994 d’imposer un blocus le long de la frontière

avec la Bosnie-Herzégovine. A dater du mois de septembre 1994, toute assistance, à l’exception

des produits alimentaires, des vêtements et des mé dicaments avait cessé, bien que l’on puisse dire

que différents types de trafics existaient encore.

La question de l’armement

30. Nous avons tous, aujourd’hui, parfaite ment le droit de critiquer le régime de

SlobodanMilosevic et le rôle que ledit régime a joué dans le conflit en ex-Yougoslavie. Il est

certain que la Serbie-et-Monténégro s’est livr ée à un commerce d’armes avec la Republika Srpska

53 et a violé l’embargo sur les livraisons d’arme s imposé par la résolution 713 du 25 septembre 1991

du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Toutefois, l’armée bosniaque ne se

comportait-elle pas de la même manière ?

31. L’élément de preuve clé que le demandeur a présenté, s’agissant de l’armement de

l’armée de la Republika Srpska par la RFY, a été le discours prononcé par le général Ratko Mladic - 49 -

devant l’Assemblée nationale de la Republika Srps ka, lors de la cinquantième session de celle-ci,

tenue les 15 et 16 avril 1995 à Sanski Most . Le résumé officiel de la session peut être trouvé dans

95
les dossiers du TPIY en l’affaire Milosevic .

32. Le demandeur a toutefois a évité de présente r les faits dans leur véritable contexte, tant

en ce qui concerne le discours susvisé que le s autres discours prononcés au cours de la même

session. Il s’est contenté d’extraire l’information se rapportant à la quantité d’armes et de

munitions reçues depuis le début du conflit jusqu’ à la fin de l’année1994. Le défendeur estime

que certaines des observations qui suivent devraient être utiles pour la délibération de la Cour.

33. Premièrement, de l’information présentée, l’on ne saurait tirer aucune conclusion quant à

la mesure dans laquelle l’assistance en armes a ét é ou non réduite ou a même pris fin à partir du

moment où il y a eu blocus sur la Drina.

34. Deuxièmement, le discours du général Mladic a été prononcé dans des circonstances

dramatiques, au moment où l’assistance en provenance de la RFY venait de cesser. Le résumé de

la cinquantième session peut confirmer ces faits. Le général Mladic a dit que «la détérioration des

relations entre la RS et la Yougoslavie é[tait] la pire des choses qui pouvait arriver aux Serbes de

96
Bosnie» [traduction du Greffe]. Il a ajouté ce qui suit :

«Il y a eu des difficultés en ce qui concerne le soutien logistique de l’armée, en
raison des sanctions imposées à la Yougosla vie par le Conseil de sécurité de
l’Organisation des Nations Unies et du blocus imposé par la Yougoslavie à la RS. Il

existe un problème évident d’approvisionnement en mun97ions, en carburant, en pièces
de rechange, en vêtements et en médicaments.» [Traduction du Greffe.]

Le président Karadzic a confirmé cela et a tiré la conclusion suivante: «La Serbie a imposé un

98
blocus; mais les Serbes doivent se battre avec ce qu’ils ont à leur disposition.» [Traduction du

54
Greffe.] Au cours de la même session, le dépu té Milanovic a déclaré que «le problème que

94
CR 2006/2, p. 47, par. 65 (van den Biesen).
95 o
TPIY, Le procureur c.Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, «enregistrement sonore de la cinquantième
session de l’Assemblée nationale tenue les 15 et 16 avril 1995 à Sanski Most», dossier du TPIY, p. 16471-16543.
96
Ibid., p. 16533.
97Ibid., p. 16526.

98Ibid., p. 16510. - 50 -

posaient les traitements des officiers, résultait des sanctions imposées par la Serbie à l’encontre de

la RS, ce qui signifi[ait] qu’ils n’avaient rien perçu depuis six mois» 99 [traduction du Greffe].

35. Troisièmement, le demandeur a totalement ignoré le fa it que la quantité totale d’armes et

de munitions reçues de la VJ équivalait quasiment à la quantité qui était restée en Republika Srpska

100
après le retrait de la JNA . Ce fait ne semble revêtir aucune importance aux yeux du demandeur.

Selon la logique propre à celui-ci, la seule raison pour laquelle la JNA avait laissé des armes et des

munitions en possession des Serbes de Bosnie était de permettre à ces derniers de commettre le

crime de génocide contre la population non serbe. En revanche , les armes de l’ancienne JNA dont

s’était emparée l’armée bosniaque auraient ét é utilisées uniquement pour se défendre contre

l’agression serbe. Je voudrais espérer que votre Cour saisira le paradoxe qui apparaît dans

l’argumentation du demandeur.

e
La saga du 30 centre du personnel

36. L’armée yougoslave a également apporté une assistance administrative à la VRS.

e
Toutefois, l’existence du 30 centre du personnel a été transformé e par le demandeur en une saga,

selon laquelle votre Cour devrait c onclure que les officiers de la VRS, qui étaient enregistrés au

e
30 centre du personnel et dont les questions personne lles étaient réglées par ce centre, étaient en

réalité des membres de la VJ. Pareille thèse devr ait conduire la Cour à c onclure que la VRS et

la VJ n’étaient, dans la réalité, pas de ux armées distinctes et que la VRS était de jure un organe de

la République fédérale de Yougoslavie.

37. Madame et Messieurs les juges, cet argument constitue une autre exagération de la part

du demandeur.

38. A la fin de l’année1993, la Serbie-et- Monténégro connaissait l’hyperinflation la plus

grave de l’histoire. La situation des familles des officiers de l’armée de la Republika Srpska était

particulièrement difficile, du fait que la plupart de ces personnes étaient des réfugiés en République

de Serbie. Il n’est pas contesté que, en applicati on du décret pris par le président de la République

fédérale de Yougoslavie, M.Zoran Lilic, le 10novembre1993, le commandant en chef de

99TPIY, Le procureur c.Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, «enregistrement sonore de la cinquantième

session de l’Assemblée nationale tenue les 15 et 16 avril 1995 à Sanski Most», dossier du TPIY, p. 16490.
100Ibid., p. 16525. - 51 -

l’état-major de l’armée yougoslave, M.Momcilo Perisic, a donné ordre le 15novembre1993 de

e
créer le 30 centre du personnel de l’armée yougoslave. Selon M.Torkildsen, il s’agissait d’un

centre administratif chargé de pr endre soin des besoins des officiers et du personnel servant dans
55
101
laVRS, ainsi que des tâches administ ratives se rapportant auxdits besoins . Permettez-moi de

citer l’explication suivante donnée par le président Lilic dans son témoignage devant le TPIY, au

sujet de la création de ce centre administratif :

«C’était la raison fondamentale qui a pe rmis de créer, qui a motivé la création
de ce 30 ecentre du personnel, qui a vaqué à la solution de ces problèmes, pour ce qui
est des personnes faisant partie de la JNA ma is qui étaient citoyens de la République

de Bosnie-Herzégovine. Le centre a été créé précisément pour la raison suivante : aux
fins d’organiser au mieux la documentation, de veiller aux besoins du personnel et de
veiller notamment aux besoins des familles qui étaient réfugiées sur le territoire de la
102
République fédérale de Yougoslavie.»

La question des versements d’argent
e
39. Madame le président, il n’est pas contesté que la VJ, par l’entremise du 30 centre du

personnel, a versé des traitements aux officiers de la VRS qui étaient d’anciens membres de

la JNA. Néanmoins, le défendeur voudrait souligner un certain nombre de faits que le demandeur a

occultés.

40. Premièrement, les versements d’argent aux officiers de la VRS ⎯qui à certaines

périodes se faisaient sous la forme de traitements, alors que, à d’autres, ils relevaient du bien-être

public ⎯ étaient généralement d’un montant peu élevé au cours de ladite période d’hyperinflation.

41. Deuxièmement, les versements d’argent aux officier s de la VRS par la VJ n’étaient pas

constants comme le demandeur a essayé de les présenter. Les éléments de preuve qui étayent cette

affirmation sont les suivants :

1) Le rapport intitulé «Analysis of Combat R eadiness and Activities of the Bosnian Serb Army

in 1992» [Analyse de l’état de préparation au combat et des activités de l’armée serbe de Bosnie

en1992], sur la base duquel le conseil du demande ur, M.Torkildsen, n’a pas pu sérieusement

confirmer qu’il n’existait aucune preuve que les officiers de la VRS avaient perçu des

traitements versés par la République fédérale de Yougoslavie du 30juin1992 au mois de

101
CR 2006/9, p. 26, par. 10 (Torkildsen).
102TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, comptes rendus d’audiences, 18 juin 2003,
p. 22592; http://www.un.org/icty/transe54/030618IT.htm. - 52 -

e 103
novembre1993, lorsque le 30 centre du personnel a été créé . Cette partie de son exposé a

été analysée hier dans le détail par notre conseil, M. Brownlie.

2) En deuxième lieu, le résumé de la cinqua ntième session de l’Assemblée nationale de la

Republika Srpska tenue les 15 et 16 avril 1995 à Sanski Most contenait la déclaration du député

56 Milanovic que j’ai déjà citée. Selon cette déclar ation, les officiers de la VRS n’avaient rien

perçu six mois durant 104.

3) La déclaration du président Lilic lors du pro cès de première instance Milosevic, dont la partie

pertinente est la suivante :

«Après les sanctions instaurée à l’ég ard de la Republika Srpska, nous avons

laissé la possibilité de verser, un montan t minimum, un montant appelé «montant
social» pour ce qui est de permettre la scolari sation des enfants, l’éducation. Et c’est

ce qui avait continué à être versé. Ce n’était pas les montants totaux mais c’était les
montants des salaires garantis qui étaient en vigueur en République fédérale à
l’époque.» 105

4) La déclaration du témoin protégé du proc ureur B-1804 devant le TPIY en l’affaire Milosevic,

106
témoin qui a confirmé lui aussi le caractère irrégulier des versements d’argent . Pour la

commodité de la Cour, nous avons inclus cette pa rtie pertinente de ladite déclaration dans le

o
dossier des juges. Il s’agit du document n 7.

42. Enfin, l’armée yougoslave n’a pas procédé à des versements à tous les officiers de

l’armée de la Republika Srpska. Selon l’agent adjoint du demand eur, mille huit cents officiers

e 107
serbes de Bosnie étaient enregistrés dans le 30 centre du personnel . Mais, Madame le président,

la VRS comptait «deux cent vingt-deux mille sept cent vingt-sept personnes, dont quatorze mille

cinq cent quarante et un [étaient] des officiers [et] douze mille trente-deux des sous-officiers» selon

le document «Analyse de l’état de préparation au combat et des activités de l’armée serbe de

103CR 2006/9, p. 26, par. 9 (Torkildsen).

104TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, «Enregistrement de la cinquantième session
de l’Assemblée nationale tenue les 15 et 16 avril 1995 à Sanski Most», dossiers du TPIY, p. 16490.

105TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic , affaire n IT-02-54-T, comptes rendus d’audiences, 18 juin 2003,
p. 22677.

106Ibid., 11février2004, p. 31868-31871, dossier des juges soum is par le défendeur au cours du second tour de
plaidoiries, doc. n.
107
CR 2006/8, p. 45, par. 24 (Van den Biesen). - 53 -

108
Bosnie en1992» Ce document a été si souvent invoqué par le demandeur en l’espèce, et, je

pense, sa crédibilité n’est pas contestée.

43. En conséquence, l’argument du demandeur selon lequel «celui qui paye le chèque est

habituellement celui qui commande» est sérieusement mis à mal. En dépit du fait que 1) seule une

petite partie des officiers de la VRS recevait des versements de la VJ; 2) que même ledit groupe

d’officiers de la VRS n’était pas payé régulièrement et de manière constante, et en dépit du fait que

3)les traitements étaient d’un montant très faible , l’armée de la VRS a continué à exister et à se

battre.

La question des «promotions»
57
44. Je voudrais à présent aborder une autre question et démontrer que l’allégation du

demandeur selon laquelle le Conse il suprême de défense et la VJ ont promu des officiers de la

109
VRS n’est pas tout à fait exacte.

45. Les éléments de preuve à l’appui de cette affirmation sont les suivants :

1) Aux termes des amendements à la Constitution de la République serbe de Bosnie-Herzégovine,

que j’ai déjà mentionnés, le président de la Republika Srpska était chargé de nommer les

110
officiers, de les promouvoir et de les radier des cadres de l’armée .

2) La partie pertinente du rapport d’expert du procureur du TPIY établi par M.RichardButler

dans l’affaire Krajisnik et Plavsic est ainsi libellée :

«Ce noyau des membres de l’état-major principal de la VRS... est demeuré
remarquablement constant tout au long du conflit bosniaque, tous les commandants

adjoints nommés initialement à l’exception d’ un seul par Mladic étant restés à leurs
postes tout au long du conflit et chacun ayant été promu, par Radovan Karadizc, le

24 juin 1994, au grade immédiatement supérieur, alors qu’il était au poste au sein de
l’état-major principal. Mladic lui-même a été promu du grade de lieutenant-colonel
général à celui de général de corp s d’armée le même jour en 1994. » 111 [Traduction

du Greffe.]

108TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdjanin , affaire n IT-99-36, «Analyse de l’état de préparation pour le
o
combat de l’armée de la Republika Srpska en 1992», pièce n419, p. 11.
109CR 2006/34, p. 53, par. 23 (Dauban).

110Voir le rapport d’expert du procureur «Commandement et contrôle (JNA-TO-VRS) des Serbes de Bosnie
en1992», par M.Richard Butler, établi dans le cadre de l’affaire Le procureur c. Momcilo Krajisnik et BiljanaPlavsic ,
affaire n IT-00-39&4-PT, dossiers du TPIY, p. 5657, par. 10.3.

111Ibid., p. 5662, par. 8.4; les italiques sont de nous. - 54 -

Madame et Messieurs de la Cour, il ressort clairement du rapport d’expert du procureur du

TPIY que l’allégation du demandeur selon laquelle Ratko Mladic a été promu au grade de

colonel-général le 24janvier1994, en vérité à la même date, par le Conseil de défense

112
suprême n’est pas exacte. Cela doit être une con séquence directe de la démarche choisie par

le demandeur en matière de sources de preuve en l’espèce: plutôt que de citer le rapport

d’expert disponible, le demandeur a cité l’allégation contenue dans l’acte d’accusation du TPIY

en l’affaire Perisic, affaire qui se trouve pour le moment au stade préparatoire du procès.

3) Dans le résumé officiel de la cinquantième session de l’Assemblée nationale de la Republika

Srpska tenue les 15 et 16 avril 1995, résumé dont le demandeur n’a cité que le rapport Mladic

concernant l’approvisionnement en munitions, la Cour peut trouver la déclaration suivante du

député Kupresanin, dans laquelle celui-ci critique les organes supérieurs de la Republika Srpska

pour avoir promu un nombre trop élevé d’officiers. Il a dit ceci :

58 «Le Parlement et le président du pays ont fait preuve de trop de générosité en

promouvant un nombre trop élevé d’officiers à des grades supérieurs et il y a un
nombre trop élevé de généraux. Le Parlement n’a pas étudié chaque promotion
comme cela doit être fait habituellement. Le président a créé un nombre plus élevé de

généraux en RS qu’aux Etats-Unis d’Améri que. Un jour, le Parlement prendra113
charge cette tâche, parce qu’il doit être l’institution suprême en RS.» [Traduction
du Greffe.]

46. Si nous devions prendre en considération le fait que les mots prononcés par ce député ont

été rapportés fidèlement ⎯ et je pense qu’il n’y a aucune raison d’en douter ⎯ de même que le fait

que M. Butler, en tant qu’expert expérimenté du pr ocureur, avait l’obligation de présenter les faits

conformément à ce qu’il en connaissait et de mani ère sincère, la question demeurerait de savoir

alors comment les mêmes documents concernant les promotions des officiers de la VRS par la VJ

continuent d’exister.

47. Quelque paradoxal que cela puisse paraître, la réponse est simple. L es organes de la VJ

n’ont pas seulement enregistré les promotions des officiers de la VRS de la Republika Srpska au

30 ecentre du personnel, mais ont également vérifié ces documents pour prendre leurs décisions.

Cette procédure était nécessaire tout au long de la période au cours de laquelle les officiers de

112
CR 2006/8, p. 47, para. 29 b) (Van den Biesen).
11TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, «Enregistrement de la cinquantième session
de l’Assemblée nationale tenue les 15 et 16 avril 1995 à Sanski Most», dossiers du TPIY, p. 16498. - 55 -

laVRS percevaient des traitements de la VJ. Le traitement d’un colonel était naturellement plus

élevé que celui d’un lieutenant-colonel. Sans la vérification des promotions intervenues en

Republika Srpska, un colonel pouvait continuer à pe rcevoir un traitement correspondant à un grade

o
inférieur, c’est-à-dire le traitement d’un lie utenant-colonel. Le contenu du document n 50

⎯document confidentiel de la VR S en date du 15mai1995 intitulé «Etablissement et fourniture

de listes de travail» 114, de même que celui du document n 62, l’ordre confidentiel de la VRS daté

er 115
du 1 juin 1995 , deux documents soumis l’un et l’autre par le demandeur le 20janvier2006,

confirment pleinement l’affirmation selon laquelle la VJ procédait à la vérification des promotions

accordées auparavant en Republika Srpska.

Conclusions

48. Madame le président, Messieurs de la C our, permettez-moi de terminer ce bref exposé

des faits concernant la question de l’assistance par les conclusions suivantes :

⎯ le 30 ecentre du personnel de l’armée yougoslave éta it un organe administratif, à travers lequel

l’assistance en matière administrative concerna nt les questions de personnel était accordée à

l’armée de la Republika Srpska;

59 ⎯ il n’existe aucun élément de preuve établissant que les officiers de l’armée de la Republika

e
Srpska qui étaient enregistrés au 30 centre du personnel étaient, en même temps, des officiers

de l’armée yougoslave;

⎯ le demandeur n’a pas été en m esure de produire un quelconque él ément de preuve établissant

que l’un quelconque de ces officiers agissait sous le commandement ou sur ordres spécifiques

de l’armée yougoslave;

⎯ comme cela a déjà été expliqué par notre conseil, M. Brownlie, l’assistance accordée à la VRS

par la VJ n’était pas suffisamment importante pour engager la responsab ilité internationale de

l’Etat.

114 o
VRS, commandement du corps de la Drina, document confodentiel n 05/2-174 du 15 mai 1995,
«Etablissement et fourniture de listes de travail», par.2; document n 50 soumis par la Bosnie-Herzégovine le
20 janvier 2006.
115 o er o
VRS, ordre confidentiel n 09/30/11-619/4, date du 1 juin 1995, document n 62 soumis par la
Bosnie-Herzégovine le 20 janvier 2006. - 56 -

Je vous remercie de votre aimable attention. Madame le président, je pense que nous

disposons encore de suffisamment de temps pour qu’un nouvel orateur, je veux parler de mon

collègue M. Cvetković, puisse commencer son exposé. Je vous prie de bien vouloir lui donner la

parole.

Le PRESIDENT: Je vous re mercie, Monsieur Obradovi ć. Je donne la parole à

M. Cvetković pour qu’il entame son exposé.

CMVE. TKOVI Ć: Je vous remercie, Madame le président. Comme vous le voyez, nous

sommes un peu en retard aujourd’hui et, avant de commencer, je voudrais seulement vous

demander la permission de poursuivre cinq à dix minutes après 18 heures. Est-ce que cela est

possible ?

Le PRESIDENT : Oui.

CVME.TKOVI Ć : Je vous remercie.

L ES PARAMILITAIRES

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, la guerre en Bosnie-Herzégovine a fait

intervenir un grand nombre de formations para militaires dans chaque camp. Certaines de ces

formations se sont tristement illustrées pendant la guerre, d’autres n’ont été connues que

récemment: je pense en particulier aux «Scorpi ons», dont le crime horrible enregistré sur vidéo

nous a été montré ici même, dans cette salle.

2. Le demandeur cherche à établir un lien entre toutes les unités militaires combattant dans le

camp serbe et les autorités de Belgrade. En outr, en ce qui concerne certaines de ces unités, il

affirme qu’il ne s’agissait pas de formations ramilitaires, mais d’unités régulières relevant du

ministère de l’intérieur de Serbie.

60 3. L’attitude du demandeur à l’égard de cette question est conforme à l’attitude qu’il a eue

dans toute cette affaire. Il cherche à compen ser le manque de preuves crédibles en citant

sélectivement et parfois en dénaturant le contenu des documents du TPIY et d’autres sources. Son - 57 -

objectif ultime est de présenter chaque action de la part des Serbes comme illicite, s’inscrivant dans

le cadre d’un plan génocidaire qui aurait censément été conçu à Belgrade. Les preuves, cependant,

ne confirment pas cette thèse.

4. Au milieu de cette confusion intentionnellement créée, il est difficile de déterminer ce que

le demandeur prétend effectivement s’être produit. Néanmoins, je m’efforcerai de procéder à mon

examen sur la base des hypothèses suivantes du demandeur :

a) des unités paramilitaires étaient prétendument organisées par le défendeur;

b) ces unités agissaient prétendument sous le cont rôle du défendeur pendant toute la durée du

conflit en Bosnie-Herzégovine;

c) certaines de ces unités ne faisaient que se préte ndre paramilitaires, alors qu’il s’agissait en fait

d’unités régulières du ministère de l’intérieur de la Serbie;

d) des unités paramilitaires auraient prétendument commis un génocide en Bosnie-Herzégovine.

Ces hypothèses émaillent toutes les écritures et les plaidoiries du demandeur, et on les trouvera en

particulier dans les plaidoiries de Mme Karagiannakis au premier tour (CR 2006/9, p. 10-22) et de

Mme Dauban au second tour (CR 2006/34, p. 44-62 et CR 2006/35, p. 20-36).

Les origines des paramilitaires

5. Le demandeur a cité plusieurs règlem ents adoptés en1991 soit dans la République

116
fédérative socialiste de Yougoslavie, soit dans la République socialiste de Serbie . Sil’onen

croit le demandeur, ces règlements devraient prouver que le défendeur avait établi et contrôlé des

forces paramilitaires opérant en Bosnie-Herzégovine.

6. Le défendeur ne conteste pas l’existence de ces règlements. L es conclusions que le

demandeur cherche à en tirer, cependant, sont erro nées. De plus, dans certains cas, le contexte

dans lequel le demandeur men tionne ces règlements est un exemple manifeste d’utilisation

sélective et inappropriée des preuves.

61 7. Tous les règlements énumérés par le de mandeur ont été adoptés en 1991, après l’escalade

de la guerre en Croatie. Ils ont été adoptés préci sément pour permettre à l’Etat de faire face aux

circonstances nouvelles que cette guerre avait créées. Après la proc lamation de la sécession de la

116
CR 2006/9, p. 10-11, par. 2-5 (Karagiannakis). - 58 -

Slovénie et de la Croatie, l’Etat fédéral et son armée ⎯ la JNA ⎯ se trouvèrent dans une situation

inattendue. Avec la désertion des officiers et des soldats croates et slovènes, les rangs de l’armée

étaient décimés, mais les responsables étaient touj ours résolus à préserver l’Etat commun, qui était

à l’époque le seul Etat reconnu par la communauté internationale.

8. L’armée ordonna donc une mobilisation, mais celle-ci fut un échec. Cela a été expliqué

plus en détail par notre agent, M. Stojanovi ć, dans son exposé du premier tour 11. Contrairement à

la majorité de la population qui n’a pas répondu à la mobilisation, cependant, un petit nombre

d’hommes qui n’avaient pas été appelés avaient le désir de se battre. On les appelle volontaires, et

certains d’entre eux ont ensuite été connus sous le nom de paramilitaires.

9. Les raisons pour lesquelles ces hommes étaient volontaires sont diverses. Certains étaient

des patriotes qui voulaient protéger la Yougoslavie, ou qui voulaient seulement protéger les Serbes

en Croatie. D’autres cependant étaient sans au cun doute des criminels et le meilleur terme

s’appliquant à eux serait probablement celui de «m ercenaires». Quoi qu’il en soit, la JNA n’a pas

accueilli les volontaires à bras ouverts et beaucoup de militaires étaient très réticents à les accepter.

10. Il fallait trouver une solution, et cette solution fut l’adoption des règlements dont le

demandeur a parlé. Ces règlements étaient absolument légaux, et ils avaient pour but de placer les

volontaires sous le contrôle de la JNA et de les forcer à respecter les règles des conflits armés.

Ainsi, la JNA et les organes de l’Etat qui ont adopté ces règlements n’agissaient pas dans le cadre

de quelque plan préconçu. Au contraire, ils réag issaient à la situation sur le terrain, essayant de

mettre un peu d’ordre dans des conditions déjà très compliquées. Malheureusement, ils n’y

parvinrent guère. La plupart des unités de volont aires ne furent incorporées dans l’armée que de

manière purement formelle, restant organisées en unités indépendantes compactes dotées de leur

propre commandement et échappant de facto au contrôle de la JNA.

Le déclenchement du conflit en Bosnie-Herzégovine ⎯ le statut des paramilitaires
62

11. Quelle qu’ait été l’étendue du contrôle ex ercé par la JNA sur les unités paramilitaire en

vertu des règlements cités par le demandeur, ces règlements eurent un effet très limité, et n’ont rien

à voir avec l’affaire qui nous occupe. Ils ont été adoptés en 1991 pendant la guerre en Croatie, et

117
CR 2006/15, p. 15-17, par. 131-141 (Stojanović). - 59 -

avaient cessé d’être appliqués lo rsque la guerre éclata en Bosnie-H erzégovine. Cela est tout à fait

confirmé par l’un des documents que le demandeur a présenté par l’intermédiaire de son expert, le

général Richard Dannatt. Il s’agit du document n o16, la transcription de la conversation du

13 mai 1992 entre M. Unković de la cellule de crise de Sarajevo, et Ratko Mladi ć. Le passage

pertinent souligné par le demandeur est le suivant :

«Unkovi ć : Encore une question.

Mladi ć : Oui ?

Unkovi ć : Nous avons ici des hommes d’Arkan.

Mladi ć : Oui ?

Unkovi ć : Est-ce qu’ils sont sous notre commandement ?

Mladi ć: Oui tous. Tous ceux qui sont sous les armes sont sous mon

commandement, s’ils veulent rester en vie, du moins.

Unkovi ć : Excellent ! Excellent !

Mladi ć: Donc, tout va se passer sous notre commandement. Personne ne va
agir isolément, et le cessez-le-feu de cinq jours doit être respecté !»

12. Dans sa plaidoirie devant la Cour, Mme Karagiannakis n’a donné lecture que d’une seule

118
phrase de Mladi ć: «Tous ceux qui sont sous les ar mes sont sous mon commandement.» Si

l’intervention de Mladić se résumait à cette phrase, les allégations du demandeur pourraient avoir

quelque fondement. Cependant, le demandeur a été assez aimable pour nous fournir la totalité de la

conversation téléphonique, et le reste de cette conversation entre Mladić et M. Unković éclaire d’un

jour différent les relations existant entre le général Mladi ć et l’armée qu’il commandait, d’une part,

et les paramilitaires, d’autre part. Si Mladi ć assurait le commandement, pourquoi aurait-il menacé

les hommes d’Arkan de mort s’ils n’obéissaient pas au cessez-le-feu? Et surtout, pourquoi la

question du commandement serait-elle posée si les règlements cités par le demandeur étaient

encore appliqués ? En outre, il ne faut pas oublie r que l’armée dont il est question ici est l’armée

de la Republika Srpska qui a été créée le 12 mai 1992.

118
CR 2006/9, p. 20, par. 35 (Karagiannakis). - 60 -

63 13. Sur ce point, dénaturant les preuves relativ es à l’année 1991 et à la guerre en Croatie, le

conseil du demandeur a essayé de donner l’impr ession que l’armée dont parlait le général Mladi ć

était la JNA. Pour ce faire, Mme Karagiannakis a commencé par citer quatre incidents qui

donnaient en effet l’impression que les troupes d’Arkan et celles de Šešelj combattaient en Croatie

aux côtés de la JNA en1991 119et ce n’est qu’ensuite qu’elle a cité la phrase du général Mladi ć

de 1992, qui vient d’être rappelée et qu’elle a manifestement citée hors contexte.

14. L’autre exemple de distorsion des preuves concernant l’année 1991 se trouve dans les

deux paragraphes suivants de la plaidoirie de Mme Karagiannakis :

«10. La Chambre de première instance en l’affaire Milošević a conclu, dans sa

décision portant sur la demande d’ac quittement, que le président Miloševi ć avait la
mainmise en droit et en fait sur le MUP de Serbie et ses services de sûreté de l’Etat, la
DB serbe.

11. Des diplomates internationaux ont confirmé cette mainmise. Selon
l’ambassadeur Okun, lors des réunions et des négociations avec des membres de la

communauté internationale, le président Milošević était considéré comme représentant
toutes les forces qui opéraient en Bosnie-Herzégovine , y compris les forces
paramilitaires.»120

15. Le premier paragraphe est probablement ex act, mais il n’y a absolument rien d’étrange à

ce que le président d’un Etat en contrôle la police, y compris les forces de sécurité.

16. Le second paragraphe, cependant, est plus problématique. Mme Karagiannakis a déclaré

que les diplomates internationaux, et en partic ulier l’ambassadeur Okun, avaient confirmé le

contrôle qu’exerçait censément Miloševi ć sur les forces paramilitaires opérant en

Bosnie-Herzégovine.

17. M. Herbert Okun, qui a été conseiller spécial et adjoint de l’envoyé personnel du

Secrétaire général de l’ONU entre 1991 et 1997, a témoigné devant le TPIY dans le procès

Milošević. La partie pertinente de son témoigna ge, dans laquelle il a effectivement dit que

Milošević était considéré comme représentant les un ités paramilitaires, ne concernait que la

signature de l’accord de cessation des hostilités, ou accord de Genève, si gné le 23 novembre 1991

121
par Slobodan Milošević, Franjo Tudjman et Cyrus Vance . Cet accord avait été signé cinq mois

11CR 2006/9, p. 19, par. 32-34 (Karagiannakis).
120
Ibid., p. 12-13, par. 10-11 (Karagiannakis); les italiques sont de nous.
12TPIY, Le procureur c. Miloševi ć, décision relative à la demande d’acqui ttement, 16 juin 2004, par.275 et
notes 712-713. - 61 -

64 avant le début du conflit en Bosnie-Herzégovine et il portait exclusivemen t sur la cessation des

hostilités en Croatie. Il est absolument inconcevable que la signature apposée par M. Milošević sur

un accord concernant un autre conflit et une autre période, antérieure à celle qui nous intéresse,

puisse être avancée comme preuve du contrôle qu ’il exerçait sur les paramilitaires opérant en

Bosnie-Herzégovine. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Okun et ce n’est pas non plus ce que la Chambre

de première instance du TPIY a conclu dans l’affaire Milošević. Et pourtant, le demandeur a

présenté les faits de manière inexacte et a, une fois de plus, déformé les éléments de preuve relatifs

à l’année 1991 pour faire des affirmations fausses en l’espèce.

18. Madame le président, il serait utile ici de dire que, selon nous, si les guerres de Croatie et

de Bosnie-Herzégovine étaient indubitablement lié es dans une certaine mesure et si certaines

comparaisons sont inévitables, on ne peut pas prétendre que ces deux guerres n’en faisaient qu’une

et, en particulier, on ne peut pas tirer de c onclusion en l’espèce simplement par analogie avec ce

qui est arrivé en Croatie à un moment ou à un autre. Et certainement pas si le moment en question

remonte à 1991, avant même que le conflit ait éclaté en Bosnie-Herzégovine.

19. Si nous admettons que, en 1991, des forces paramilitaires ont en effet été formellement

incorporées à la JNA en Croatie, pas toujours avec succès, il n’est pas vrai qu’en 1992 elles aient

été incorporées à la JNA, ni qu’elles aient agi sous le contrôle de la JNA ou du demandeur. A

partir du 6 avril 1992, lorsque la Bosnie-Herzégovi ne eut été officiellement reconnue par les Etats

européens et les Etats-Unis, la JNA se retirait du territoire du demandeur. Le retrait a commencé

après l’échec des négociations vi sant à maintenir la JNA en Bosnie-Herzégovine pour une période

de transition, et il s’est achevé le 19 mai 1992, trois jours avant l’admission du demandeur à

l’Organisation des NationsUnies. Pendant cette période, le défendeur n’av ait pas la maîtrise des

événements. Le 7 avril 1992, l’Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine a déclaré à

BanjaLuka l’indépendance de la République serbe de Bosnie-Herzégovine (devenue plus tard la

Republika Srpska). Comme l’a expliqué mon collègue Igor Olujic, la présidence de la République

serbe de Bosnie-Herzégovine a adopté le 15 avril 1992 une décision annonçant une menace

imminente de guerre et la mobilisation de la TO sur l’ensemble du territoire de la République serbe - 62 -

122
de Bosnie-Herzégovine . Ainsi, c’est cette nouvelle entité, un futur Etat autoproclamé, qui

cherchait désormais à prendre le contrôle. La JN A était en train de se dissoudre, les Musulmans et

65 les Croates quittaient ses rangs et les Serbes ⎯90% d’entre eux de Bosnie-Herzégovine ⎯

obéissaient davantage aux ordres de Pale qu’à ceux de Belgrade.

20. C’est dans ces circonstances que les groupes paramilitaires ont été formés et la grande

majorité d’entre eux était composée de Serbes de Bosnie-Herzégovine. L’absence complète de

contrôle de l’armée sur ces unités, et son attit ude négative à leur égard ressort parfaitement du

123
document du 12 mai 1992 que la Serbie-et-Montén égro a déposé le 18 janvier de cette année .

Dans un rapport ultérieur sur les formations para militaires, établi par l’état-major principal de

l’armée de la République de Srpska, elles étaient décrites comme «essentiellement composées

d’individus de moralité douteuse et, dans de nombreux cas, de personnes déjà poursuivies pour

crimes et délits» 124. Il y avait dans leurs rangs un «manque de cohésion, qui les rend pour ainsi dire

125
inutiles comme combattants» et fa it régner «la loi de la jungle» . La Chambre de première

instance du TPIY dans l’affaire Brdjanin a décrit une de ces unités, celle dont Mme Karagiannakis

a prétendu se trouver sous le contrôle du défendeur 126:

«Le 3 avril 1992, les forces de défense serbes («SOS»), formation armée
composée de soldats mécontents retournant du front en Croatie et aussi de bandits et

criminels locaux, a encerclé le bâtiment municipal de Banja Luka et dressé des
barricades en ville. Une annonce a été pub liée par les médias, présentant les SOS

comme un «groupe de patriotes serbes, membr es de la JNA, réservistes, volontaires et
citoyens de Banja Luka» qui avaient décidé d’intervenir «à cause de la paix trompeuse
de la SDA, de l’HDZ et des partis d’oppos ition, qui ont sali la mémoire des morts de
127
Banja Luka et Krajina.»

122Décision de la République serbe de Bosnie -Herzégovine, 15 avril 1992, citée dans TPIY, Le procureur
c. Brdjnanin, rapport d’expert de M.EwanBrown, «Milita ry Development in the Bosanska Krajina ⎯ 1992, A
Background Study», par. 1.77.

123Information strictement confidentielle 1614-585 du 12 mai 1992, document non public déposé par la
Serbie-et-Monténégro le 18 janvier 2006, document n3.

124Rapport sur les formations paramilitaires sur le territo ire de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, daté
du 28 juillet 1992, cité dans TPIY, Le procureur c. Brdjanin, rapport d’expert de Ewan Brown, «Military Development in
the Bosanska Krajina ⎯ 1992, A Background Study», par. 2.59.

125Loc. cit.

126Voir CR 2006/9, p. 20-21, par. 36-40 (Karagiannakis).
127 er
TPIY, Le procureur c. Brdjanin, jugement, 1 septembre 2004, par. 98. - 63 -

21. C’est également dans ces circonstances que certains groupes paramilitaires sont arrivés

de Serbie-et-Monténégro. A leur arrivée, ils ont agi soit indépendamment, soit sous les ordres des

Serbes de Bosnie. Mais les volontaires ou param ilitaires venus de Serbie-et-Monténégro n’ont pas

seulement grossi les rangs des Serbes. Le géné ral Philippe Morillon a témoigné devant le TPIY

66 que plusieurs centaines de Musulmans de Sandzak (située en Serbie-et-Monténégro) ont combattu

aux côtés des forces gouvernementales en Bosnie-Herzégovine 128.

22. Dans certains cas, les paramilitaires de Serbie étaient venus sur l’invitation des dirigeants

de la Republika Srpska. Par exemple, une source abondamment citée par le demandeur, l’ancienne

secrétaire d’Arkan B-129, a témoigné au procès Milošević qu’Arkan lui-même avait dit qu’il s’être

129
rendu à Bijeljina à l’invitation de Biljana Plavšić .

23. Bien entendu, le demandeur n’a pas manqué de citer une autre déclaration du

témoinB-129, citant son ancien employeur qui «d isait toujours que les «Tigres» n’allaient nulle

part sans un ordre de la sûreté d’Etat» 130. Le demandeur a toutefois omis de citer un échange

ultérieur entre le témoin B-129 et l’accusé Milošević, dans lequel le témoin a rectifié sa déclaration

précédente :

«Q.: Donc il [Arkan] était fier et il s’en vantait; il se vantait du fait que

Biljana Plavšić l’avait envoyé sur ce terrain-là. Est-ce qu’il avait été envoyé par la
sûreté d’Etat ou par une invitation de Biljana Plavšić ?

R. : Vous parlez de Biljana ?

Q. : Oui.

R. : C’est elle qui l’a invité.

Q. : Donc, oui, ce n’était pas par conséque nt la sûreté d’Etat qui l’avait envoyé
sur place ?

R. : Moi je parle uniquement de la sûre131de l’Etat de Serbie pendant la période
où j’étais employée au quartier général.»

128TPIY, Le procureur c. Milošević, témoignage du général Philippe Morillon, 12 février 2004, p. 32012.
129
Ibid., déposition du témoin B-129, 16 et 17 avril 2003, p. 19424-19425, 19532-19535.
130Ibid., p. 19425-19426, cité dans le CR 2006/6, p. 13, par. 10 (Dauban).

131Ibid., déposition du témoin B-129, 17 avril 2003, p. 19533. - 64 -

24. Comme la Cour le constatera, la déposition du témoin B-129 est manifestement pleine de

contradictions, d’ordre presque entièrement circons tanciel et d’une valeur probante extrêmement

limitée. Je reviendrai sur ce point par la suite.

25. Pour l’instant, Madame le président, restons en aux événements commençant en 1992, et

intéressons-nous à une autre source très souvent citée par le demandeur: le jugement de

condamnation rendu par le TPIY dans l’affaire Le procureur c. Miroslav Deronji ć, l’exposé des

faits sur lequel repose ce jugement, ains i que la déposition faite par M.Deronji ć dans sa propre

affaire.

67 26. Miroslav Deronji ć était le président de la cellule de crise de Bratunac à partir de la fin

avril1992. Devant le TPIY, il a plaidé coupa ble des crimes commis dans le village de Glogova,

situé dans la municipalité de Bratunac. C onformément à l’accord conclu avec le bureau du

procureur, il a été reconnu coupable du crime de pe rsécution, et en particulier du meurtre de

soixante-quatrecivils musulmans bosniaques à Glogova 132. Il a été condamné pour ses crimes à

dix ans d’emprisonnement.

27. Dans l’opinion dissidente qu’il a jointe à ce jugement, M.WolfgangSchomburg, qui

présidait le Tribunal dans l’affaire Deronjić, a exprimé le regret que la condamnation ne soit pas

proportionnelle aux crimes commis. Selon le juge Schomburg, l’accusé méritait une peine de

vingt années d’emprisonnement au moins 133.

28. Le juge Schomburg était très mécontent de l’accord conclu entre l’accusé et le procureur,

et en particulier du fait que cet accord n’était pas assorti d’un avertissement disant que l’accusé

134
était tenu de dire la vérité lorsqu’il serait a ppelé en tant que témo in devant le Tribunal . Le

jugeSchomburg critiquait également les concessions faites par l’accusation à M.Deronji ć. Une

critique mérite une attention particulière, ce lle qui concerne le rôle de M.Deronji ć dans le

massacre de Srebrenica, au sujet duquel M. Schomburg écrit ce qui suit :

«14.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

132TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjić, jugement de condamnation, 30 mars 2004.
133
Ibid., opinion dissidente du juge Schomburg, par. 2.
134Ibid., par. 10-12. - 65 -

d) Ayant lu soigneusement les déclarations et témoignages de l’accusé, je continue à

ne pas comprendre pourquoi Miroslav Deronji ć n’a pas été inculpé de complicité
dans l’entreprise criminelle collective qui a conduit au terrible massacre de
Srebrenica en 1995. Il semble qu’il y ait suffisamment de raisons prima facie pour

mettre en accusation Miroslav Deronji ć pour sa participation à ce massacre, sur la
base de ses seuls aveux, et laisser à une chambre de première instance le soin de
décider si sa responsabilité pénale peut être établie sans l’ombre d’un doute

raisonnable. Apparemment, Miroslav Deronji ć ne craignait pas que cela puisse
arriver, comme il l’a dit lui-même : … «On m’a dit après la fin des enquêtes que
les charges concernant Srebrenica étaient abandonnées… [L]’accusation a

déclaré … qu’elle 135vait aucune intenti on de me poursuivre pour les événements
de Srebrenica.»»

68 29. Enfin, il est particulièrement intéressant pour la Cour d’évaluer la valeur probante de

l’accord sur le plaidoyer de culpabilité de M.Deronji ć et de ses diverses dépositions devant

différentes chambres de première instance deva nt le TPIY. Voici ce qu’en pensait le

juge Schomburg :

«15. La valeur pour le Tribunal de ses déclarations et témoignages est
extrêmement limitée tant que l’accusé ne sera pas prêt à expliquer quels détails sont
véridiques et quels détails ne le sont pas. L’accusé lui-même a reconnu :

«D’accord, je n’ai pas dit entièrement la vérité… Mais toutes ces
déclarations ne sont pas complètement fausses. Elles sont partiellement
fausses… Je ne peux retirer aucune circonstance atténuante d’un tel

mélange malsain de vérité et de me nsonge, qui crée plus de confusion
pour le Tribunal qu’il ne l’assiste dans sa recherche de la vérité.»» 136

30. Madame le président, c’est ce même Miroslav Deronji ć qui a échappé aux poursuites

pour le massacre de Srebrenica grâce à l’accord qu’il a conclu avec le procureur du TPIY et qui, de

toute évidence, a menti devant différentes chambr es de première instance du TPIY, c’est ce

Miroslav Deronjić que le demandeur a cité, trente-neuf fois, dans ses plaidoiries.

31. Sur la question des paramilitaires, de leur arrivée dans la municipalité de Bratunac et de

leurs liens avec le défendeur, l’exposé des faits rédigé par le bureau du procureur du TPIY dans

l’affaire Deronjić, il est bien dit que «des volontaires de la RSF … en coopération avec les autorités

137
de la RSFY ont traversé la Drina et sont entrés dans Bratunac le 17 avril 1992» . Selon ce même

exposé, «un deuxième groupe de «volontaires» de Serbie est arrivé plus tard» (à une date non

138
précisée), et son chef était un certain «Peki»» . L’exposé poursuit ainsi: «l’arrivée des

135TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjić, opinion dissidente du juge Schomburg, par. 14 d).

136Ibid., par. 15.
137
Ibid., exposé des faits, 30 septembre 2003, par. 14-15.
138Ibid., par. 23. - 66 -

volontaires de Serbie a fait l’objet d’un accord en tre les plus hauts dirigeants de la Republika

Srpska et la RSFY» 139. Ces passages de l’exposé des faits concernant M. Deronji ć ont ensuite été

140 141
repris dans le juge ment de condamnation et la plupart ont été cités par Mme Dauban puis

142
recités par Mme Karagiannakis .

69 32. L’examen minutieux de l’exposé des faits concernant M. Deronji ć, le jugement le

143
condamnant et ses différentes dépositions devant différentes chambres de première instance

révèle que cet exposé des faits est entaché de vices sérieux :

a) tout d’abord, M. Deronjić n’a jamais donné d’explication crédible concernant le point de savoir

comment et quand l’arrivée de volontaires en Re publika Srpska et dans la municipalité de

Bratunac avait «fait l’objet d’un accord entre les plus hauts dirigeants de la Republika Srpska et

la RSFY», pour reprendre ses termes. En fait, au cours de ses témoignages, M. Deronji ć s’est

contredit en disant que les volontaires avaient été amenés à Bratunac par un Serbe de Bosnie

dénommé GoranZeki ć, membre du conseil supérieur du parti démocratique serbe (SDS) en

Bosnie-Herzégovine, et l’une des principales personnalités politiques de Bratunac 144;

b) M. Deronjić n’a en outre jamais expliqué comment ces volontaires avaient «traversé la Drina

avec la coopération des autorités de la RFSY»;

c) enfin, il n’a jamais cité aucune unité de volont aires ayant participé à l’attaque du village de

Glogova, ni aucune unité de volontaires présente dan la municipalité de Bratunac. La seule

chose que M. Deronjić ait pu se rappeler est qu’une unité ava it été sous le commandement d’un

individu nommé «Peki».

33. Il semble que le demandeur ait essayé de remédier au moins à ce dernier vice de l’exposé

des événements de Bratunac fait par M. Deronjic. Ainsi, Mme Dauban a déclaré: «Ces

«volontaires» sont plutôt des formations param ilitaires, entre autres des unités des Tigres d’Arkan,

139TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjić, exposé des faits, 30 septembre 2003, par. 24.
140
TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjić, jugement de condamnation, 30 mars 2004, par. 69-70, 80-81.
141
Voir CR 2006/10, p. 21-23, par. 33-39 (Dauban).
142Voir CR 2006/9, p. 11, par. 5 (Karagiannakis).

143M. Deronjić a déposé dans sa propre affaire et, à ce j our aussi dans les affaires contre Milosevi ć, Krajišnik,
Krstić et Blagojević.

144Voir TPIY, Le procureur c. Deronji ć, jugement de condamnation, 30 mars2004, par.70 ainsi que le
témoignage de M. Deronjić dans sa propre affaire, 27 janvier 2004, p. 140. - 67 -

des Aigles blancs et des hommes de Šešelj.» 145 Pour prouver cette affirmation, MmeDauban a

renvoyé au paragraphe 74 du jugeme nt de condamnation. J’espère sincèrement qu’elle l’a fait par

erreur, étant donné que le para graphe 74 de ce jugement ne mentionne aucune des unités

paramilitaires citées, et ne traite d’ailleurs pas d es unités paramilitaires. (Le texte intégral de ce

paragraphe figure dans la note de bas de page de ma plaidoirie 146et la Cour peut constater qu’il n’y

70 est pas question de paramilitaires.) Comme je l’ai expliqué, M. Deronjić n’a jamais cité aucune des

unités volontaires présentes à Bratunac, il semble donc finalement que le demandeur ait une fois de

plus présenté des preuves inexactes.

34. La troisième source invoquée très souvent par le demandeur est l’acte d’accusation du

TPIY contre deux anciens agents de la sécurité de l’Etat du ministère serbe de l’intérieur,

Jovica Stanišić et FrankoSimatovi ć. Cet acte d’accusation ne peut pas être utilisé en tant que

preuve, puisqu’il ne fait qu’énumérer des chefs d’ accusation sans citer de preuves particulières

pour les prouver. Demain, je vous montrerai à partir d’un exemple particulier pourquoi cet acte

d’accusation ne peut pas constituer une preuve fiable devant la Cour.

35. En conclusion, les preuves présentées par le demandeur en rapport avec les événements

du printemps 1992 n’ont pas satisfait au critère de pre uve exigé et, en tout cas, n’ont pas prouvé la

responsabilité du défendeur pour des actes paramilitaires. Il en est ainsi pour les raisons suivantes :

a) les règlements concernant le recrutement de paramilitaires dans la JNA se rapportent à la

Croatie et à l’année 1991. Le demandeur les a présentés faussement comme applicables

en 1992 à la Bosnie-Herzégovine. Toutes les conclusions que le demandeur a essayé de tirer de

ces règlements, même si on les considérait comme exactes, ne pourraient valoir que pour la

guerre menée en Croatie en 1991. Malgré cela, le demandeur a constamment utilisé les preuves

de 1991 pour tirer des conclusions fausses en l’espèce;

145
CR 2006/6, p. 23, par. 37 (Dauban).
146
Le paragraphe cité par Mme Dauban dit ce qui suit :

«Aux alentours du 25 avril 1992, des blindés, des camions militaires et des camions de police sont
arrivés à Glogova. Les soldats qui faisaient parde ce convoi ont déclaré être membres du corps de
Novi Sad de Serbie, arrivés pour ramasser les armes. Najdan Mladenovic, de la TO, était avec le groupe,
de même que les policiers suivants de Bratunac : Milutin Milošević, chef des forces de police de Bratunac
(également appelées secrétariat de s affaires intérieures), MiladinJ okic, Vidoje Radovic, Dragan Ilic,
DraganVasiljevic, Sredoje Stevic , Vukovic, et Tesic. Ce groupa cherché des armes à Glogova et
adressé aux villageois un ultimatum disant que lesmes devaient être remises deux jours plus tard.»
(TPIY, Le procureur c. Deronjic, jugement de condamnation, 30 mars 2004, par. 74.) - 68 -

b) les autres preuves avancées par le demandeur sont d’un caractère extrêmement douteux. Ses

deux principales sources sont le témoignage de l’ ancienne secrétaire d’Arkan, le témoin B-129,

et diverses déclarations de MiroslavDeronji ć. Ces deux sources sont soit purement

circonstancielles, soit entachées de vices et contra dictions graves. En outre, elles sont parfois

dénaturées par le demandeur;

71 c) le demandeur n’a pas réussi à prouver qu ’aucune des unités paramilitaires actives en

Bosnie-Herzégovine en 1992 ait été sous le contrôle du défendeur. Si ces unités étaient placées

sous un contrôle quelconque, c’ét ait celui du nouvel Etat autoproclamé des Serbes de Bosnie.

Cependant, même cela, le demandeur ne l’a pas prouvé et tous les éléments qu’il a cités tendent

seulement à prouver l’absence de tout contrôle sur les unités paramilitaires.

Madame le président, je pense que je pourrais commodément m’arrêter ici, et poursuivre

mon exposé demain.

Le PRESIDENT : Oui, je vous remercie Monsieur Cvetković. L’audience reprendra demain

matin.

L’audience est levée à 18 h 10.

___________

Document Long Title

Translation

Links