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CR 2005/17 (traduction)

CR 2005/17 (translation)

Lundi 4 juillet 2005 à 10 heures

Monday 4 July 2005 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.

La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre les Parties en leurs plaidoiries dans l’affaire des

Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du

Congo c. Rwanda).

La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles

s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de procéder à la

désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. Le juge Christopher John Robert Dugard,

désigné par le Rwanda, et le juge Jean-Pierre Mavungu, désigné par la République démocratique du

Congo, ont été installés en qualité de juges ad hoc en l’affaire le 13 juin 2002.

*

Je vais maintenant rappeler les principales étapes de la procédure en l’espèce. Le

28 mai 2002, le Gouvernement de la République démocratique du Congo a introduit une instance

contre la République rwandaise au sujet d’un différend relatif à des «violations massives, graves et

flagrantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire» qui auraient été commises à

la suite d’actes d’agression armée perpétrés par le Rwanda sur le territoire de la République

démocratique du Congo, en violation flagrante de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de

celle-ci, telles que garanties par les Chartes de l’ONU et de l’OUA.

Dans sa requête, le Congo, se référant au paragraphe 1 de l’article 36 du Statut, invoque,

pour fonder la compétence de la Cour, l’article 22 de la convention internationale sur l’élimination

de toutes les formes de discrimination raciale, le paragraphe 1 de l’article 29 de la convention sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’article IX de la

convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, l’article 75 de la constitution

de l’Organisation mondiale de la Santé, le paragraphe 2 de l’article XIV de la convention créant

une organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture et l’article 9 de la

convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées, le paragraphe 1 de - 3 -

l’article 30 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou

dégradants et le paragraphe 1 de l’article 14 de la convention de Montréal pour la répression
9
d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile.

Dans sa requête, le Congo soutient également que la convention de Vienne sur le droit des

traités prévoit la compétence de la Cour pour régler les différends nés de la violation de normes

impératives (jus cogens) en matière de droits de l’homme, telles que reflétées dans un certain

nombre d’instruments internationaux.

Le 28 mai 2002, immédiatement après le dépôt de sa requête, le Congo a en outre présenté

une demande en indication de mesures conservatoires invoquant l’article 41 du Statut de la Cour et

les articles 73 et 74 de son Règlement.

Au cours des audiences consacrées à la demande en indication de mesures conservatoires

présentée par le Congo, le Rwanda a prié la Cour de rayer l’affaire du rôle. Par ordonnance du

10 juillet 2002, la Cour a rejeté la demande en indication de mesures conservatoires du Congo,

ainsi que la demande du Rwanda tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle.

Au cours d’une réunion que le président de la Cour a tenue avec les agents des Parties le

4 septembre 2002, le Rwanda a proposé que soit suivie la procédure prévue aux paragraphes 2 et 3

de l’article 79 du Règlement, et qu’il soit ainsi statué séparément, avant toute procédure sur le fond,

sur les questions de compétence et de recevabilité en l’espèce; le Congo a déclaré qu’il s’en

remettait, à cet égard, à la décision de la Cour. A l’issue de cette réunion, les Parties sont

convenues que, dans le cas où cette procédure serait suivie, le Rwanda présenterait d’abord un

mémoire traitant exclusivement de ces questions et le Congo lui répondrait dans un contre-mémoire

limité aux mêmes questions.

Par ordonnance du 18 septembre 2002, la Cour a décidé que les pièces de la procédure écrite

porteraient d’abord sur la question de la compétence de la Cour pour connaître de la requête et sur

la recevabilité de cette dernière, et a fixé au 20 janvier 2003 et au 20 mai 2003, respectivement, les

dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par le Rwanda et d’un contre-mémoire

par le Congo. Le mémoire et le contre-mémoire ont été déposés dans les délais ainsi prescrits.

Conformément aux instructions que lui avait données la Cour en vertu de l’article 43 de son

Règlement, le Greffier a adressé la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut à - 4 -

tous les Etats parties à la convention sur la discrimination à l’égard des femmes, à la constitution de

l’OMS, à la convention Unesco, à la convention de Montréal et à la convention de Vienne sur le
10
droit des traités.

Conformément aux instructions que lui avait données la Cour en vertu du paragraphe 3 de

l’article 69 de son Règlement, le Greffier a par ailleurs adressé les notifications prévues au

paragraphe 3 de l’article 34 du Statut et communiqué copie des pièces de la procédure écrite au

Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies pour ce qui est de la convention sur la

discrimination à l’égard des femmes, au directeur général de l’OMS pour ce qui est de la

constitution de l’OMS, au directeur général de l’Unesco pour ce qui est de la convention Unesco et

au secrétaire général de l’Organisation de l’aviation civile internationale pour ce qui est de la

convention de Montréal. Il a également demandé aux organisations concernées si elles entendaient

présenter des observations écrites au sens du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement. Aucune

d’elles n’a exprimé le vŒu de produire de telles observations.

*

J’ajouterai que, conformément au paragraphe 2 de l’article 53 du Règlement, la Cour, après

s’être renseignée auprès des Parties, a décidé de rendre accessibles au public, à l’ouverture de la

procédure orale, les pièces de procédure et documents y annexés.

*

Je constate la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties.

Conformément aux dispositions qui ont été prises par la Cour pour l’organisation de la

procédure orale, celle-ci comprendra un premier et un second tours de plaidoiries. Le Rwanda

présentera son premier tour de plaidoiries ce matin, jusqu’à 13 heures. Le Congo présentera son

premier tour de plaidoiries demain matin à 10 heures. Le Rwanda présentera ensuite sa réplique

orale le mercredi 6 juillet à 15 heures. Pour sa part, le Congo présentera sa réplique orale le

vendredi 8 juillet à 10 heures. - 5 -

Il va de soi que le temps alloué aux Parties pour leurs plaidoiries est un temps maximum,

11 qu’elles ne sont pas tenues d’utiliser. Tout au contraire, la Cour apprécierait que les Parties soient

aussi brèves que l’exposé de leurs thèses le permet, compte dûment tenu des prescriptions du

paragraphe 1 de l’article 60 du Règlement, aux termes duquel :

«Les exposés oraux prononcés au nom de chaque partie sont aussi succincts que
possible eu égard à ce qui est nécessaire pour une bonne présentation des thèses à
l’audience. A cet effet, ils portent sur les points qui divisent encore les parties, ne
reprennent pas tout ce qui est traité dans les pièces de procédure, et ne répètent pas
simplement les faits et arguments qui y sont déjà invoqués.»

Ceci vaut en particulier pour le second tour de plaidoiries.

Je donne maintenant la parole à M. Martin Ngoga, agent de la République du Rwanda.

Monsieur Ngoga, vous avez la parole.

M. NGOGA :

1.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que

de m’adresser à vous en tant qu’agent de la République du Rwanda dans l’instance introduite par la

République du Congo.

1.2. Je commencerai, si vous me le permettez, par vous présenter les membres de l’équipe du

Rwanda. S. Exc. M. Joseph Bonesha, ambassadeur de la République du Rwanda auprès du

Royaume de Belgique et ambassadeur désigné auprès du Royaume des Pays-Bas, est ici présent en

qualité d’agent adjoint. M. Christopher Greenwood, Queen’s Counsel et professeur de droit

international à la London School of Economics, et Mme Jessica Wells  tous deux membres du

barreau d’Angleterre  interviendront en qualité de conseils. Mme Susan Greenwood est notre

secrétaire administrative.

1.3. Monsieur le président, les audiences de cette semaine sont exclusivement consacrées aux

questions de compétence et de recevabilité. Il ne s’agit pas d’examiner ici l’histoire des conflits

qui ont ensanglanté la région des Grands Lacs depuis le génocide du peuple rwandais en 1994.

Soucieux de ne pas abuser de votre temps, le Rwanda ne répondra donc pas aux allégations

factuelles que le Congo a formulées dans sa requête et dans les divers Livres Blanc qu’il vous a

soumis, avant de chercher à les instiller dans son contre-mémoire sur les exceptions préliminaires.

Que l’on n’en déduise pas pour autant que le Rwanda fait peu de cas de ces questions — un pays à - 6 -

12 ce point marqué par la souffrance n’est que trop conscient de la gravité des faits allégués en

l’espèce. Que l’on n’en déduise pas non plus que nous reconnaissons ne serait-ce qu’une once de

véracité aux allégations formulées à l’encontre du Rwanda dans cette affaire. L’histoire de la

région, lorsqu’elle sera écrite, n’aura pas grand-chose à voir avec la relation qui en est faite

aujourd’hui par le Congo.

1.4. Non, Monsieur le président, si nous ne nous arrêtons pas sur ces questions, la raison

 l’unique raison  en est ailleurs : pour tentant qu’il soit de rétablir la vérité, l’exactitude — ou

l’inexactitude — des allégations formulées par le Congo est sans pertinence aucune en ce qui

concerne les seules questions que la Cour est appelée à trancher au stade actuel de la procédure. Le

Rwanda comprend parfaitement la prescription énoncée par la Cour dans son instruction de

procédure VI, aux termes de laquelle «[l]ors de l’examen des exceptions d’incompétence ou

d’irrecevabilité, la procédure orale doit se borner à des exposés sur les exceptions». Nous ne

voulons pas faire perdre à la Cour un temps dont nous savons parfaitement qu’il n’est pas illimité

en traitant de questions qui ne sont pas appelées à être tranchées, ou en nous servant du prétoire

comme d’une tribune politique. Nous entendons aller directement au cŒur des questions soumises

à la Cour, à savoir :

Premièrement, celle-ci est-elle compétente pour connaître de l’affaire que le Congo cherche à

introduire; et,

deuxièmement, la requête du Congo est-elle recevable ?

1.5. Concernant le premier de ces points, le Rwanda considère que la situation est simple.

C’est rappeler un principe de droit international élémentaire — maintes fois exposé par la Cour —

que d’affirmer que la compétence de celle-ci ne peut être établie que sur la base du consentement

des Etats parties à une affaire. Or, en l’espèce, nous soutenons respectueusement, Monsieur le

président, que les chefs de compétence invoqués par le Congo, dans sa requête, dans ses plaidoiries

de juin 2002, ou dans son contre-mémoire, sont très loin de fournir la base de consentement

nécessaire pour fonder cette compétence. C’est au Congo — en tant que demandeur en l’espèce —

d’établir la compétence de la Cour. Il ne l’a point fait, et c’est pourquoi nous demandons à la Cour

de se déclarer incompétente. - 7 -

1.6. En ce qui concerne le second point, le Rwanda soutient que la présente requête est

irrecevable, parce que la manière d’agir du Congo, qui cherche à introduire devant la Cour une

requête fondamentalement identique à celle qu’il avait déposée en 1999, puis retirée en 2001,

constitue un abus de procédure.

13 1.7. Les conseils du Rwanda traiteront ces questions dans l’ordre suivant : M. Greenwood

fera tout d’abord le point sur la nature des questions de compétence que la Cour est appelée à

examiner, et répondra aux arguments du Congo sur l’effet de l’ordonnance rendue par le Cour le

10 juillet 2002, ainsi qu’aux nouveaux arguments soulevés dans le contre-mémoire relativement à

la compétence. Puis il montrera pourquoi ni la convention de Montréal pour la répression d’actes

illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, de 1971, ni la convention sur l’élimination de

toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, de 1979, ne peuvent fonder la

compétence de la Cour en l’espèce.

1.8. Mme Wells montrera ensuite pourquoi la compétence de la Cour ne peut pas davantage

être fondée sur l’acte constitutif de l’UNESCO ni sur la constitution de l’Organisation mondiale de

la santé. Elle examinera succinctement deux autres traités invoqués par le Congo dans sa

requête — la convention sur le génocide et la convention sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination raciale.

1.9. Enfin, M. Greenwood interviendra sur la question de la recevabilité et résumera les

arguments du Rwanda.

1.10. Monsieur le président, je vous prie à présent d’appeler à la barre M. Greenwood qui

développera la première partie de l’argumentation de la République du Rwanda. Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Ngoga. Je donne à présent la parole à M. Greenwood.

M. GREENWOOD :

1. Introduction

2.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, c’est un honneur que de me

présenter devant vous une nouvelle fois au nom de la République du Rwanda. - 8 -

1
2.2. Monsieur le président, conformément à l’article 60 du Règlement de la Cour , sur lequel

vous avez attiré notre attention dans votre discours d’ouverture, le Rwanda n’examinera que les

questions qui, selon lui, l’opposent toujours au Congo.

2.3. Il est regrettable qu’à cette date la procédure écrite n’ait pas permis de circonscrire

autant que nous aurions pu l’escompter, voire l’espérer, les questions qui divisent les Parties.

Certes, le Congo a fait porter l’essentiel de l’argumentation développée dans son contre-mémoire

sur les quatre traités qu’il invoque aujourd’hui pour fonder la compétence de la Cour. Mais le

14
Congo a aussi expressément confirmé l’ensemble de ce qu’il appelle ses «arguments

jurisprudentiels et doctrinaux» avancés lors de la procédure orale en juin 2002 , bien qu’il ait choisi

de ne pas développer plusieurs d’entre eux dans ses écritures.

2.4. Le Rwanda ne peut dès lors totalement faire abstraction de ces autres arguments. Nous

examinerons principalement les chefs de compétence au sujet desquels le Congo a développé des

arguments dans son contre-mémoire, en étant aussi brefs que possible concernant les autres chefs

invoqués dans la requête. Quoi qu’il en soit, et pour ne laisser planer aucun doute, je tiens à

préciser que le Rwanda confirme absolument tous les arguments avancés dans son mémoire de

janvier 2003 et les exposés faits en son nom lors des audiences consacrées à la demande en

indication de mesures conservatoires du Congo en juin 2002.

2. La nature de la question de la compétence

2.5. Monsieur le président, quelques observations s’imposent d’emblée sur la nature même

de cette question de compétence dont est saisie la Cour, car la position du Congo sur ce point est

très différente de celle du Rwanda — comme elle l’est d’ailleurs de celle que la Cour a toujours

adoptée.

2.6. Nous pouvons du moins commencer par un point d’accord : il y a convergence de vues

sur le fait que, en vertu du paragraphe 6 de l’article 36 du Statut, c’est à la Cour de déterminer si

elle a compétence ou non. Le Rwanda s’accorde donc parfaitement avec le Congo pour considérer

que c’est à la Cour qu’il revient d’exercer la compétence de la compétence 3. Or la compétence de

1Article 60, par. 1.

2CMRDC, p. 9, par. 26.
3
Ibid., p. 4, par. 19. - 9 -

la compétence n’est pas, comme le Congo semble le croire, un pouvoir illimité dont jouirait la Cour

pour établir sa compétence dès lors qu’elle le juge bon. Il s’agit du pouvoir de décider, sur le

fondement de principes bien établis, si l’un ou plusieurs des chefs de compétence reconnus existent

dans l’affaire dont la Cour est saisie.

2.7. Le principe le plus clairement établi qui permet de fonder la compétence de la Cour dans

une affaire est que cette compétence est tributaire du consentement des parties à celle-ci. La Cour a

eu l’occasion de rappeler au Congo et au Rwanda ce précepte élémentaire dans l’ordonnance de

rejet de la demande en indication de mesures conservatoires formulée en l’espèce, lorsqu’elle a dit :
15

«la Cour a déclaré à maintes reprises que l’un des principes fondamentaux de son
Statut est qu’elle ne peut trancher un différend entre des Etats sans que ceux-ci aient
consenti à sa juridiction…» 4

2.8. Cet accent mis sur le consentement des parties comme condition préalable absolue à

l’établissement de sa compétence ne va en aucune manière à l’encontre du principe de la

prééminence du droit, comme le laisse entendre le Congo dans son contre-mémoire; il est au

contraire l’expression d’un principe plus général de droit international que M. Rosenne décrit

ainsi :

«Il existe un principe de droit international général incontesté selon lequel aucun
Etat n’est tenu de soumettre un quelconque différend avec un autre Etat ou de rendre
compte de ses actions à un tribunal international. L’accord des parties au différend est
5
une condition préalable au règlement du différend au fond.»

2.9. Ce consentement peut, bien entendu, être donné sous telle ou telle forme, pour un

différend particulier ou de manière plus générale; il n’en reste pas moins que si l’Etat défendeur n’a

pas donné de consentement valide, il n’y a pas compétence. Monsieur le président, le Congo ne

tient tout simplement aucun compte de ce principe fondamental de la jurisprudence de la Cour. Au

lieu de cela, voici ce qu’il affirme dans son contre-mémoire :

«la Cour possède le pouvoir, à l’occasion d’une affaire de la nature de la présente qui
e
se situe au seuil du 3 millénaire inaugurant ou, à tout le moins, augurant du règne des
Droits de l’Homme, de donner des dimensions nouvelles aux principes qui gouvernent
sa compétence ratione personae, ratione materiae, ratione temporis» . 6

4 Ordonnance du 10 juillet 2002, par. 57. Voir également Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie
c. Belgique), mesures conservatoires, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 132, par. 20.

5Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, (Kluwer, 1997), vol. II, p. 563.
6
CMRDC, p. 4-5, par. 15. - 10 -

2.10. Le Congo se réfère ensuite aux obligations des Etats tirées de la Charte des

Nations Unies et à ce qu’il appelle «le caractère extensif, mieux la tendance à l’extension de la

compétence de la Cour», qui selon lui est apparue il y a trente ans dans les affaires de la

Compétence en matière de pêcheries.

2.11. Voilà un bel effet de manche, Monsieur le président, mais derrière cette imposante

façade, il n’y a rien. Indépendamment du fait qu’elle ne tient aucun compte de la jurisprudence

constante de la Cour quant à la nature consensuelle de sa compétence, la thèse du Congo repose sur

plusieurs autres postulats erronés. Trois observations suffiront à démontrer sa vacuité.

2.12. Examinons tout d’abord la référence faite par le Congo à ce qu’il a appelé «une affaire
16

de la nature de la présente» — sujet souvent évoqué au cours des audiences de 2002 et qui le sera

sans doute davantage demain. En 2002, le Congo a souligné que la gravité des allégations

factuelles et la valeur de jus cogens des normes qui, selon ses dires, avaient été violées exigeaient

que la Cour se déclare compétente. Mais la nature de l’affaire — qu’elle soit mesurée à l’aune de

la gravité des allégations factuelles ou de la valeur des règles de droit qui auraient été violées — ne

saurait faire naître la compétence si celle-ci n’existe pas sur un autre fondement. Comme la Cour

l’a expliqué, tant dans son ordonnance de 2002 rendue en la présente affaire que, quelques années

auparavant, en 1999, dans les ordonnances qu’elle a rendues dans les affaires relatives à Licéité de

l’emploi de la force,

«il existe une distinction fondamentale entre la question de l’acceptation par un Etat
de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains actes avec le droit

international; la compétence exige le consentement; la compatibilité ne peut être
appréciée que quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa compétence et
entendu les deux parties faire pleinement valoir leurs moyens en droit» .7

2.13. La valeur juridique des normes ne change rien non plus. Les affaires relatives à la

Licéité de l’emploi de la force concernaient elles aussi des allégations qui portaient sur des normes

de jus cogens et des règles à l’origine d’obligations opposables erga omnes. Comme la Cour l’a dit

7 Ordonnance du 10 juillet 2002, par. 92; affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie
c. Belgique), mesures conservatoires, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 124, par. 47. - 11 -

dans son ordonnance rendue en la présente espèce, «le seul fait que des droits et obligations

erga omnes [soient] en cause dans un différend ne saurait en effet donner compétence à la Cour

pour connaître de ce différend» .

2.14. Deuxièmement, Monsieur le président, le renvoi par le Congo aux obligations des Etats

tirées de la Charte — un point qui, dans le contre-mémoire, n’a pas mérité plus ample

développement qu’une assertion d’ordre général — est totalement hors de propos. La Cour a déjà

bien précisé — l’exemple le plus récent en étant sa décision rendue en l’affaire de l’Incident aérien

du 10 août 1999 — que «la Charte des Nations Unies ne [contenait] aucune clause spécifique

conférant, par elle-même, juridiction obligatoire à la Cour» . Quant à l’argument soulevé par le

Royaume-Uni en l’affaire du Détroit de Corfou — auquel renvoie le Congo dans son

contre-mémoire —, la question était de savoir si une résolution du Conseil de sécurité

recommandant qu’un différend soit soumis à la Cour suffisait à faire naître la compétence. La

Cour a décidé qu’il n’y avait pas lieu pour elle de se prononcer sur cet argument puisqu’elle avait

17 compétence sur d’autres fondements, même si sept des seize juges ont rejeté l’argument

britannique dans une opinion individuelle commune. Mais, Monsieur le président, pour en revenir

à notre propos, il n’y a en la présente espèce aucune résolution du Conseil de sécurité

recommandant la saisine de la Cour internationale de Justice. L’affaire du Détroit de Corfou n’est

tout simplement d’aucune aide au Congo.

2.15. Enfin, Monsieur le président, les membres de la Cour trouveront à juste titre curieux

que d’aucuns affirment qu’une tendance à l’extension de la compétence — quoi que cela puisse

vouloir dire — peut être dégagée des affaires de la Compétence en matière de pêcheries de 1974.

La base de compétence dans ces affaires était une disposition expresse d’un traité bilatéral entre

l’Islande et l’Allemagne et d’un autre entre l’Islande et le Royaume-Uni. Ces affaires sont des cas

d’école de juridiction consensuelle et nous n’arrivons toujours pas à comprendre comment le

Congo peut s’imaginer qu’elles confortent sa théorie sur l’existence d’une tendance à l’extension.

8Ordonnance du 10 juillet 2002, par. 71.
9
C.I.J. Recueil 2000, par. 48. - 12 -

3. Les chefs de compétence invoqués par le Congo

2.16. Ainsi, Monsieur le président, si embarrassant que cela puisse être pour le Congo, il

n’existe pas de nouvelle théorie sur la compétence qui le dispense de son obligation d’établir

l’existence effective d’un consentement à la compétence en l’espèce. Le consentement peut

naturellement s’exprimer de différentes façons  dans un compromis, par une déclaration faite en

vertu de la clause facultative, par voie de forum prorogatum ou par l’adhésion à un traité

renfermant une clause conférant compétence à la Cour.

2.17. Il n’y a pas ici de compromis. Le Rwanda n’a pas fait de déclaration en vertu de la

clause facultative, ce qui est son droit. Rien ne justifie d’examiner sérieusement la doctrine du

forum prorogatum. Si je dis «examiner sérieusement», c’est parce que, aux paragraphes 22 et 23

de son contre-mémoire, le Congo se réfère sans grande conviction à la doctrine du forum

prorogatum qui fut exposée dans l’affaire du Détroit de Corfou. Or, ainsi que la Cour l’avait alors

clairement précisé, le forum prorogatum exige «une acceptation volontaire, indiscutable, de la

juridiction de la Cour» . En d’autres termes, l’Etat défendeur doit plaider jusqu’au stade du fond

d’une manière indiquant qu’il a renoncé à tout droit de contester la compétence de la Cour. Il ne

fait aucun doute que le Rwanda n’a rien fait de tel. Au contraire, tant en 2002 qu’après cette date,

le Rwanda a systématiquement affirmé que la Cour n’était pas compétente et il s’est présenté

devant elle pour contester cette compétence.

2.18. Il s’ensuit que les seules questions sérieuses qui se posent au sujet de la compétence
18

concernent les traités invoqués par le Congo, lesquels contiennent des clauses de règlement des

différends prévoyant la compétence de la Cour. Permettez-moi de rappeler brièvement à la Cour de

quels traités il s’agit :

1) la convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou

dégradants («la convention sur la torture») ;11

2) la convention de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale («la

convention sur la discrimination raciale») ;12

10C.I.J. Recueil 1948, p. 27. Voir également l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co., C.I.J. Recueil 1952, p. 114.

11Mémoire, annexe 1.
12
Ibid., annexe 2. - 13 -

3) la convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide («la convention

sur le génocide») ; 13

4) la convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des

14
femmes (la «CEDEF») ;

5) la constitution de l’Organisation mondiale de la santé ; 15

16
6) l’acte constitutif de l’Unesco ;

7) la convention de Montréal de 1971 pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité

de l’aviation civile («la convention de Montréal») ; et enfin

18
8) la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités («la convention de Vienne») .

Monsieur le président, dans votre discours d’ouverture, vous évoquiez également la

convention des Nations Unies sur les privilèges et immunités. Or, bien que cette dernière ait été

mentionnée par le Congo lors des audiences de juin 2002, l’éminent agent du Congo a cependant

nié expressément toute invocation de ce traité pour fonder la compétence de la Cour; dès lors, le

19 Rwanda ne formulera au premier tour aucune conclusion à son sujet. Naturellement, si le Congo

s’écarte de cette position, nous traiterons la question lors de notre second tour de plaidoiries.

2.19. Le Congo, pour établir la compétence de la Cour en l’espèce, doit le faire sur la base de

l’un ou de plusieurs de ces traités. La convention sur la torture n’appelle de notre part aucun

commentaire, puisque le Rwanda n’y est pas partie, de sorte qu’elle ne saurait de toute évidence

constituer une base de compétence en l’espèce.

2.20. En ce qui concerne les autres traités, bien qu’ils diffèrent dans leur portée  et dans

leurs dispositions sur la compétence , ils ont tous un point en commun : aucun d’eux ne contient

ce que l’on pourrait appeler une disposition générale attribuant une compétence qui soit

comparable à celle prévue par les déclarations faites en vertu de la clause facultative ou par un

13Ibid., annexe 3.
14
Ibid., annexe 4.
15
Ibid., annexe 5.
16Ibid., annexe 6.

17Ibid., annexe 7.

18Ibid., annexe 8. - 14 -

instrument tel que l’Acte général. Au lieu de cela, chacun de ces traités  lorsqu’il accorde

effectivement compétence à la Cour  circonscrit cette compétence à un éventail restreint de

questions, généralement limitées à «l’interprétation et à l’application» du traité concerné, voire,

dans un cas, à sa seule interprétation. Monsieur le président, aucun d’eux ne saurait attribuer de

compétence à l’égard d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application d’un autre traité, ou

d’un différend portant sur l’application d’un principe du droit international coutumier. Ainsi la

convention de Montréal ne peut-elle conférer compétence à la Cour qu’à l’égard d’un différend

relatif à l’interprétation ou à l’application de ses propres dispositions. Elle n’est pas pertinente

lorsqu’est alléguée une violation de la Charte des Nations Unies ou du droit international coutumier

relatif à la protection des ressources naturelles.

2.21. Monsieur le président, il suffit de jeter coup d’Œil à la requête congolaise en l’espèce

pour constater que l’essentiel des griefs qu’elle contient ne pourrait jamais entrer dans les

prévisions de l’un quelconque des traités invoqués par le Congo, même si ce dernier pouvait

démontrer avoir satisfait aux conditions préalables auxquelles ceux-ci subordonnent la saisine de la

Cour  et nous montrerons ce matin qu’il ne peut le faire. Ce qui est au cŒur de la présente

affaire, Monsieur le président, son élément central, c’est une allégation du Congo selon laquelle le

Rwanda aurait commis une agression au mépris du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des

Nations Unies. C’est là une allégation que le Rwanda rejette avec la plus grande vigueur mais, plus

important aux fins qui nous occupent ici, c’est une allégation dont l’objet ne peut  en tout état de

cause  entrer dans les prévisions des clauses juridictionnelles de l’un quelconque des traités dont

le Congo se prévaut.

2.22. Il en va de même des allégations du Congo relatives à des violations de la Charte de

l’union africaine, des conventions de Genève de 1949, du Pacte international relatif aux droits

20 civils et politiques, de la Déclaration universelle des droits de l’homme  et il ne s’agit là que de

quelques exemples, non d’une liste exhaustive. Aucune de ces allégations ne peut entrer dans les

prévisions d’aucune des clauses de compétence sur lesquelles le Congo tente aujourd’hui d’asseoir - 15 -

sa demande. Il en va de même de l’allégation concernant le pillage des ressources congolaises par

le Rwanda, car celle-ci doit être fondée sur le droit international coutumier et non sur l’un des

traités invoqués par le Congo.

2.23. Il s’ensuit, Monsieur le président, que la question opposant le Congo et le Rwanda peut

en fait être circonscrite. Elle se ramène à ceci : étant donné que, en tout état de cause, la plupart

des allégations formulées dans la requête du Congo ne relèvent pas de la compétence de la Cour,

quelque volet de la demande peut-il entrer dans les prévisions de l’une des clauses de compétence,

relativement peu nombreuses, que le Congo invoque ? Le Rwanda répond par la négative.

4. Conséquences de l’ordonnance de la Cour du 10 juillet 2002

2.24. Ces questions ont, bien entendu, été examinées prima facie dans l’ordonnance de la

Cour du 10 juillet 2002. La Cour y a tout d’abord indiqué qu’aucun des traités invoqués par le

Congo ne semblait, prima facie, lui conférer compétence pour indiquer les mesures conservatoires

demandées , la seule réserve, au demeurant tout à fait minime, étant qu’elle n’avait pas à se

prononcer sur sa compétence prima facie au regard de la convention de Montréal car, précisait-elle,

aucune des mesures conservatoires demandées par le Congo ne portait sur des droits visés par cette

20
convention .

Telle était la première conclusion. La seconde conclusion de la Cour était que son défaut de

21
compétence ne pouvait être considéré à ce point manifeste que l’affaire dût être rayée du rôle .

2.25. En d’autres termes, après l’ordonnance de 2002, la situation était comparable à celle

qui avait suivi le prononcé par la Cour des ordonnances en indication de mesures conservatoires

dans les huit affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, lesquelles étaient restées inscrites

au rôle, contrairement aux deux affaires (contre l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique) que la

Cour avait rayées de celui-ci en 1999.

19Ordonnance du 10 juillet 2002, par. 89.
20
Ibid., par. 88.
21
Ibid., par. 91. - 16 -

21 2.26. Toutefois, Monsieur le président, le Congo feint, dans son contre-mémoire, de voir

dans la décision de la Cour sur le second de ces deux points un argument à l’appui de sa thèse selon
22
laquelle la Cour devrait se déclarer compétente pour statuer sur les demandes congolaises .

2.27. Sauf le respect dû à la partie adverse, Monsieur le président, le Congo se fourvoie.

Dans la droite ligne d’approche adoptée de longue date, la Cour a clairement énoncé, dans son

ordonnance du 10 juillet 2002, que «les conclusions auxquelles [elle était] parvenue en la présente

procédure ne préjug[ai]ent en rien [de] la compétence de la Cour pour connaître du fond de

l’affaire, ni [d’]aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même» . Et3

elle a ajouté, de la manière la plus claire possible, que ses conclusions «laiss[ai]ent intact le droit

du Gouvernement congolais et du Gouvernement rwandais de faire valoir leurs moyens en la

matière» .4

2.28. Au-delà de cette formulation explicite, il relève du simple bon sens que le fait pour la

Cour de conclure qu’il n’y a pas absence manifeste de compétence, notamment lorsqu’elle conclut

en outre qu’il n’y a pas prima facie de base de compétence, ne saurait en aucun cas étayer

l’argumentation de l’Etat qui cherche à établir la compétence de la Cour.

2.29. Bien entendu, le corollaire de ce constat est que l’ordonnance de 2002 ne règle pas non

plus la question de la compétence en faveur du Rwanda. Et nous ne le contestons pas. D’un

certain point de vue, toutefois, la conclusion selon laquelle les traités invoqués par le Congo ne

fondent pas prima facie la compétence de la Cour a d’importantes conséquences en la présente

phase de la procédure. En effet, une conclusion de cette nature, formulée à l’occasion d’une

demande en indication de mesures conservatoires, ne saurait constituer une décision définitive sur

la question de la compétence pour la simple et bonne raison que les décisions relatives aux mesures

conservatoires sont nécessairement prises rapidement, en vue de répondre à une urgence, sans que

les parties présentent l’argumentation détaillée attendue lors d’une procédure consacrée à des

22CMRDC, par. 18-21.

23Ordonnance du 10 juillet 2002, par. 90.
24
Ibid. - 17 -

exceptions préliminaires ou au fond. Aussi la Cour offre-t-elle aux parties la possibilité de

soumettre de nouveaux arguments ou éléments de preuve pertinents relativement à la question de la

compétence lors d’une phase ultérieure de la procédure.

22 2.30. Le Congo pouvait donc parfaitement, dans son contre-mémoire, soumettre à la Cour de

nouveaux arguments ou de nouveaux éléments de preuve qui n’auraient pas été présentés en 2002,

afin de tenter de la convaincre qu’en dépit de sa décision rendue prima facie, elle devait en fin de

compte se déclarer compétente. Monsieur le président, un Etat qui n’a pas obtenu gain de cause sur

la question de la compétence au stade des mesures conservatoires, comme ce fut le cas du Congo

en 2002, ne peut espérer obtenir une décision favorable au stade des exceptions préliminaires, à

moins qu’il ne présente de nouveaux arguments ou ne fournisse de nouveaux éléments de preuve.

Si cet Etat se contente de répéter les arguments qu’il avait présentés au stade des mesures

conservatoires — ou y fait simplement référence — sans rien ajouter de plus, alors la logique et la

cohérence juridique ne laissent qu’une seule réponse possible : tout comme il n’y avait pas de

fondement prima facie à la compétence lors de la phase précédente, il ne peut pas y avoir de

fondement définitif à la compétence lors de la présente phase.

2.31. En l’espèce, cette conclusion revêt une certaine importance car le Congo a choisi,

concernant plusieurs des chefs de compétence qu’il avait invoqués, de ne présenter à la Cour aucun

25
argument nouveau, se contentant de faire référence aux arguments qu’il avait développés en 2002 .

Ainsi par exemple n’apporte-t-il pas le moindre élément nouveau dans son contre-mémoire au sujet

de son affirmation selon laquelle l’article 66 de la convention de Vienne sur le droit des traités

confèrerait à la Cour un titre de compétence. Bien que la Cour ait consacré les paragraphes 73 à 75

de son ordonnance du 10 juillet 2002 à rejeter cet argument, le Congo n’a rien fait pour tenter de

contrer les critiques suscitées par cet argument dans lesdits passages de l’ordonnance. Dans ces

circonstances (et comme pour les raisons avancées aux paragraphes 3.75 et 3.76 du mémoire), le

Rwanda demande respectueusement que ce chef de compétence soit rejeté. J’en ai maintenant

terminé avec cette question.

25CMRDC, par. 26. - 18 -

2.32. De la même manière, dans d’autres passages de l’ordonnance, la Cour a indiqué que le

Congo n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve attestant que les conditions préalables

à la saisine de la Cour, prévues par certains traités, avaient été respectées. Le Congo avait bien sûr

amplement le loisir, en rédigeant son contre-mémoire, de présenter à la Cour de tels éléments de

preuve (si toutefois ils existent), mais il ne l’a pas fait. Aussi, Monsieur le président, maintenant

qu’il lui incombe de se prononcer définitivement sur le fait de savoir si ces conditions préalables à

sa saisine ont été respectées ou non, la Cour n’a d’autres éléments à sa disposition que ceux-là

23 même qu’elle n’avait pas jugés convaincants en 2002. Or, les trois années écoulées ne les ont pas

rendus plus convaincants.

2.33. Je développerai toutefois ce point plus avant lors de l’examen des clauses attributives

de compétence des deux traités les plus directement concernés, à savoir la convention sur

l’élimination des discriminations à l’égard des femmes et la convention de Montréal dont je vais

maintenant parler.

5. La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes

2.34. Permettez-moi tout d’abord d’aborder la question de la convention sur l’élimination de

toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

2.35. La disposition sur laquelle le Congo cherche à asseoir la compétence de la Cour est le

paragraphe 1 de l’article 29, lequel se lit comme suit :

«Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties concernant l’interprétation
ou l’application de la présente convention qui n’est pas réglé par voie de négociation
est soumis à l’arbitrage, à la demande de l’un d’entre eux. Si, dans les six mois qui
suivent la date de la demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à se mettre

d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre elles peut
soumettre le différend à la Cour internationale de Justice, en déposant une requête
conformément au Statut de la Cour.»

Comme nous le verrons par la suite, Monsieur le président, les termes de l’article 14 de la

convention de Montréal sont très similaires, presque identiques, à ceux de l’article 29 de cette

convention.

2.36. Cette clause repose sur une approche du règlement des différends qui (à quelques

légères différences près) est commune à un très grand nombre de conventions internationales. En - 19 -

vertu de ce type de clause, la Cour ne constitue pas l’enceinte principale de règlement des

différends. La première phrase de la disposition précitée indique au contraire clairement qu’il doit

tout d’abord y avoir une tentative de règlement du différend par la négociation. En cas d’échec de

cette démarche, le différend est alors soumis à l’arbitrage, à la demande de l’une ou l’autre partie.

Cette formulation est impérative. Ce n’est que si les parties ne parviennent pas à se mettre

d’accord sur l’organisation de l’arbitrage que la seconde phrase permet la saisine de la Cour.

Celle-ci joue par conséquent le rôle de dernier recours ou «d’ultime rempart», rôle qu’elle ne peut

exercer à moins et avant que des tentatives n’aient été menées de bonne foi en vue de régler le

différend par la négociation et d’organiser un arbitrage.

2.37. Selon nous, Monsieur le président, le paragraphe 1 de l’article 29 énonce

quatre conditions qui doivent être remplies pour que la Cour ait compétence.

24  Premièrement, un différend doit exister entre les parties concernant l’interprétation ou

l’application de la convention;

 deuxièmement, les tentatives de régler ce différend par voie de négociation doivent s’être

révélées infructueuses;

 troisièmement, l’une des parties doit avoir demandé que le différend soit soumis à l’arbitrage et

les parties doivent avoir été incapables de se mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage;

et

 enfin, un délai de six mois doit normalement s’être écoulé à compter de la date de la demande

d’arbitrage avant qu’une instance puisse être introduite devant la Cour.

2.38. Monsieur le président, le Congo conteste presque tous les points de notre analyse,

laquelle constitue donc aujourd’hui pour le moins une question qui divise les Parties. Les

arguments du Congo en la matière sont disséminés dans toute la seconde moitié de son

contre-mémoire, et il n’est pas toujours facile de les suivre. Sauf le respect dû à la Partie adverse,

ils sont parfois contradictoires. Quoi qu’il en soit, pour autant que le Rwanda soit parvenu à les

rassembler, les arguments du Congo semblent indiquer qu’il subsiste six points de controverse

entre les Parties concernant la question de la compétence en vertu de la convention examinée ici. - 20 -

1. Les exceptions soulevées par le Rwanda portent sur la compétence et non sur la
recevabilité

2.39. La première question est de savoir si les exceptions soulevées par le Rwanda sont

réellement des exceptions d’incompétence. Dans son contre-mémoire, le Congo soutient qu’il

s’agit en réalité uniquement d’exceptions à la recevabilité de la requête et non à la compétence de

la Cour. Cet argument, Monsieur le président, est contraire tant au principe sur lequel la Cour

s’est, par le passé, toujours fondée pour examiner ce genre de questions qu’à la façon dont elle les a

toujours tranchées.

2.40. S’agissant du principe, le raisonnement est simple. Ainsi que la Cour l’a précisé à

maintes reprises, sa compétence repose sur le consentement des parties. Celles-ci ont la faculté

d’assortir ce consentement de conditions, lesquelles peuvent être de fond ou de nature procédurale.

Lorsqu’une partie a formulé de telles conditions, la Cour est compétente si  et seulement si 

ces conditions sont réunies. Les Etats parties à la convention sur l’élimination de toutes les formes

de discrimination à l’égard des femmes ont choisi de soumettre leur acceptation de la juridiction de

la Cour à des conditions de fond et de procédure. Sur le fond, ils ont expressément indiqué qu’ils

ne reconnaissaient sa compétence qu’à l’égard d’une certaine catégorie de différents. Sur le plan

de la procédure, ils ont précisé qu’ils ne donnaient leur consentement qu’à la condition que les

étapes préalables de la négociation et de la tentative de règlement du différend par voie d’arbitrage

aient été respectées et se soient soldées par un échec. Ces conditions limitant la reconnaissance de
25
la compétence de la Cour, l’argument selon lequel elles n’ont pas été respectées constitue bien une

exception d’incompétence de la Cour et non une exception d’irrecevabilité.

2.41. La Cour a fait droit à cette logique dans son ordonnance de 2002 en la présente affaire,

en qualifiant les conditions consistant à entamer des négociations et à engager une procédure

d’arbitrage de «conditions préalables à la saisine de la Cour fixées par l’article 29 de la

26
convention» .

2.42. La Cour avait déjà adopté la même approche dans l’affaire de l’Incident aérien de

Lockerbie opposant la Libye aux Etats-Unis d’Amérique, une affaire dans laquelle la Libye

prétendait fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 14 de la convention de

26Ordonnance du 10 juillet 2002, par. 79. - 21 -

Montréal, dont, comme je l’ai déjà dit, le libellé est presque identique à celui de l’article 29 de la

présente convention. Dans cette affaire, la Cour a considéré que l’exception soulevée par les

Etats-Unis selon laquelle la condition consistant à engager une procédure d’arbitrage n’avait pas

été respectée constituait bien une exception d’incompétence. La Cour a certes rejeté cette

exception au regard des faits, mais il était évident qu’elle la considérait comme portant sur la

compétence et non sur la recevabilité .7

2. L’exception soulevée par le Rwanda porte sur la prescription particulière énoncée par la
convention et non sur une obligation générale de négocier ou de recourir à l’arbitrage
avant de saisir la Cour

2.43. Le second point de controverse entre les Parties porte sur l’argument du Congo selon

lequel il n’existe pas, en droit international, de règle générale obligeant les Etats à négocier ou à

recourir à l’arbitrage avant de porter leur différend devant la Cour28. Cette affirmation est peut-être

juste, Monsieur le président, mais elle n’a pas la moindre incidence sur les thèses en présence. Le

Rwanda n’a jamais avancé que le droit international général imposait une telle limitation à la

compétence de la Cour. L’exception qu’il soulève est d’une tout autre nature. Ce que le Rwanda

soutient  et ce, quelles que puissent être les prescriptions du droit international général , c’est

que la disposition particulière du traité sur laquelle le Congo tente d’asseoir la compétence de la

Cour en la présente affaire fait de la tentative de règlement du différend par voie de négociation et

de la tentative de s’engager dans une procédure arbitrale des conditions préalables à la saisine de la

Cour. Dans le cas de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à

26 l’égard des femmes, ceci ressort clairement des dispositions expresses du paragraphe 1 de

l’article 29. Les éminents auteurs cités par le Congo n’abordent pas ce problème mais celui, fort

différent  et qui, si intéressant soit-il, ne présente aucun intérêt au regard des questions que la

Cour est appelée à examiner aujourd’hui , de savoir si la Charte des Nations Unies ou le droit

international coutumier imposent aux Etats une obligation générale de suivre une méthode de

règlement pacifique avant d’en adopter une autre. En abordant ce problème, le Congo s’attaque à

des moulins à vent. Il ne répond pas aux arguments soulevés par le Rwanda.

27C.I.J. Recueil 1998, p. 122, par. 19 et 20.

28CMRDC, par. 104-113. - 22 -

3. Les quatre conditions préalables énoncées au paragraphe 1 de l’article 29 sont distinctes et
cumulatives

2.44. Le Congo conteste aussi les quatre conditions distinctes identifiées par le Rwanda

29
comme découlant du texte du paragraphe 1 de l’article 29 . Il accorde sa préférence à une analyse

plus simple, qui s’articule autour de deux conditions, qu’il présente dans son contre-mémoire en

ces termes :

«1.le différend doit impliquer l’application ou l’interprétation de la convention
intéressée;

«2.l’impossibilité d’organiser une procédure d’arbitrage, étant entendu que l’échec
n’en devient patent qu’au terme de six mois à partir de la demande d’arbitrage» . 30

2.45. Monsieur le président, en fait, il n’y a pas grand-chose dans cette analyse. La première

condition posée par le Congo correspond essentiellement à la première condition identifiée par le

Rwanda. La seconde condition définie par le Congo combine tout simplement la troisième et la

quatrième condition identifiées par le Rwanda. En réalité, il importe peu que ces conditions soient

réunies en une seule ou envisagées séparément. La seule différence fondamentale  mais elle est

importante  est que la démarche du Congo ne tient aucun compte de l’obligation de régler de

différend par voie de négociation. Monsieur le président, la différence entre le Rwanda et le Congo

sur ce point réside tout simplement dans la question de savoir si le paragraphe 1 de l’article 29

signifie bien ce que dit le texte de ce paragraphe. Cette disposition ne confère compétence à la

Cour qu’à l’égard d’un différend qui n’est pas réglé par voie de négociation. Elle indique

implicitement que, pour que cette condition soit jamais remplie, il faut qu’une tentative ait été

déployée de bonne foi aux fins de régler le différend par voie de négociation. En fait, il ressort

d’un examen des travaux préparatoires de la convention que le paragraphe 1 de l’article 29 fut

adopté dans sa forme actuelle après qu’un Etat au moins eut insisté sur le fait que le texte devait

être explicite «sur la question des négociations préalables à la saisine de la Cour internationale de
27
31
Justice» .

29
CMRDC, par. 30-31.

30CMRDC, par. 31.

31Rehof, Guide to the Travaux Préparatoires of the United Nations Convention on the Elimination of All Forms
of Discrimination against Women [Guide des travaux préparatoires de la convention des Nations Unies sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes] (Martinus Nijhoff, 1993), p. 239. - 23 -

2.46. Ainsi, Monsieur le président, tout en acceptant que, en la présente instance, l’on puisse

considérer l’obligation de tenter de recourir à l’arbitrage et la règle des six mois indifféremment en

tant que prescription combinée (comme le fait le Congo) ou en tant que prescriptions distinctes

(comme l’a fait le Rwanda), nous soutenons qu’il est indéniable que le Congo doit satisfaire à

chacune des obligations suivantes s’il doit établir la compétence de la Cour, à savoir :

premièrement, qu’un différend identifié oppose le Congo au Rwanda à propos de

l’interprétation ou de l’application de la convention;

deuxièmement, que le Congo ait tenté sans succès de régler ce différend par voie de

négociation;

troisièmement, que le Congo ait demandé de soumettre ce différend à l’arbitrage et que le

Congo et le Rwanda ne soient pas parvenus à se mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage.

2.47. Ces obligations sont cumulatives. La thèse du Congo portant sur la compétence ne

tient que s’il peut être satisfait à chacune de ces trois conditions. Qui plus est, c’est au Congo

qu’incombe la charge de prouver tout fait permettant d’établir qu’il a été satisfait à une obligation.

Bien que cela semble être une surprise pour celui-ci, qui a accusé le Rwanda de tenter de faire

peser sur la République démocratique du Congo la charge de la preuve concernant le contenu des

négociations , il existe un principe de droit international bien établi selon lequel, ainsi que la Cour

l’a dit en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci

(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), «c’est au plaideur qui cherche à établir un fait qu’incombe

la charge de la preuve» , et il appartient à l’Etat demandeur de démontrer qu’il a été satisfait aux

conditions requises pour que le différend puisse être porté devant la Cour.

2.48. Le Rwanda maintient que le Congo n’est manifestement pas parvenu à s’acquitter de

cette charge par rapport à une seule de ces obligations, et à plus forte raison par rapport à toutes les

trois. Je passerai maintenant en revue chacune d’entre elles.

32CMRDC, par. 58.

33Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101. - 24 -

4. L’existence requise d’un différend concernant l’interprétation ou l’application de la
convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

28 2.49. Commençons par envisager l’existence requise d’un différend entre le Congo et le

Rwanda concernant l’interprétation ou l’application de la convention sur l’élimination de toutes les

formes de discrimination à l’égard des femmes.

2.50. La Cour a fréquemment eu à examiner cette identification requise d’un différend

comme condition préalable à sa saisine. Et son approche a systématiquement consisté à souligner

que, ainsi qu’elle l’a fait en 1962 dans le cadre des affaires du Sud-Ouest africain,

«[i]l ne suffit pas que l’une des parties à une affaire contentieuse affirme l’existence
d’un différend avec l’autre partie. La simple affirmation ne suffit pas pour prouver

l’existence d’un différend, tout comme le simple fait que l’existence d’un différend est
contestée ne prouve pas que ce différend n’existe pas. Il n’est pas suffisant non plus
de démontrer que les intérêts des deux parties à une telle affaire sont en conflit. Il faut
démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de
34
l’autre.»

2.51. Or, en la présente instance, Monsieur le président, le Congo n’a jamais formulé, au titre

de la convention, de réclamation qui se heurterait à l’opposition manifeste du Rwanda. Il

prétend  dans le contre-mémoire  s’être continuellement plaint de la conduite du Rwanda,

mais il n’a pas démontré avoir fait une réclamation (sous quelque forme et dans quelque enceinte

que ce fût) où il aurait en particulier invoqué une violation de la convention sur l’élimination de

toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

2.52. Certes, il est vrai que, ainsi que le juge Higgins l’a relevé dans sa déclaration jointe à

l’ordonnance rendue en 2002, la jurisprudence des juridictions en matière de droits de l’homme qui

sont saisies d’une plainte émanant d’un individu dénonçant la violation par un Etat d’une

convention particulière sur les droits de l’homme consiste à ne pas insister pour que l’individu

précise au préalable la disposition précise du traité invoqué. Depuis la procédure de 2002, j’ai

mûrement réfléchi aux incidences de cette jurisprudence sur la phase actuelle de la présente

instance. A mon avis, il y a trois raisons pour lesquelles cette jurisprudence n’autorise pas à

34 Affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), Exceptions
préliminaires, arrêt du 21 décembre 1962 ; C.I.J. Recueil 1962, p. 328.

35MRDC, par. 46-51. - 25 -

dispenser le Congo de l’obligation d’expliciter la nature du différend qui l’oppose au Rwanda en

rapport avec la convention ni de l’obligation de procéder ainsi préalablement à la saisine de la

Cour.

2.53. La première raison est que la jurisprudence dont fait état le juge Higgins repose sur un

ensemble de réclamations formulées par des individus contre des Etats. Il existe nécessairement

une inégalité entre les parties à de telles procédures, à laquelle il convient parfaitement que le

29 tribunal compétent tente de remédier. Mais cette considération ne s’applique pas en la présente

instance, qui concerne une procédure engagée entre deux Etats égaux, indépendants et souverains.

2.54. La deuxième raison est que, dans sa déclaration, le juge Higgins a indiqué qu’il n’y

avait «aucune raison pour que la Cour internationale de Justice, en examinant le point de savoir si

elle dispose ou non d’une compétence prima facie pour indiquer des mesures conservatoires,

36
invoque un critère plus strict» . Toutefois, au stade actuel de la procédure, la question se pose de

manière différente aujourd’hui : elle est de savoir si le Congo a satisfait aux différentes conditions

préalables à la saisine de la Cour, tâche entièrement différente de celle qui incombe à une

juridiction en matière de droits de l’homme examinant une plainte déposée par un individu.

Comme nous l’avons vu, ces conditions comportent une tentative de bonne foi de régler le

différend par voie de négociation, une demande d’arbitrage du différend, ainsi qu’une tentative

visant à l’organisation d’un arbitrage relatif au différend. Il ne peut être satisfait à ces conditions

que dans la mesure où le différend auquel elles se rapportent a tout d’abord été identifié avec

suffisamment de précision.

2.55. La troisième raison, Monsieur le président, est que le paragraphe 1 de l’article 29

confère compétence à la Cour dans des termes effectivement identiques à ceux d’un grand nombre

d’autres traités, dont la plupart ne sont pas directement liés aux droits de l’homme. Ainsi, le libellé

du paragraphe 1 de l’article 29 est issu, semble-t-il, de la disposition équivalente de la convention

internationale contre la prise d’otages37. La jurisprudence des juridictions en matière de droits de

l’homme ne saurait être pertinente aux fins de l’interprétation de telles dispositions d’un instrument

36Les italiques sont de nous.

37Rehof, op. cit., p. 239. - 26 -

tel que la convention internationale contre la prise d’otages, ou la convention de Montréal, et l’on

voit difficilement comment justifier la pratique qui consisterait à interpréter de manière différente

des libellés identiques ou quasi identiques concernant les conditions préalables à la saisine de la

Cour, selon que l’instrument dans lequel le texte apparaît a trait ou non aux droits de l’homme.

2.56. Par conséquent, le Rwanda soutient que, pour pouvoir fonder la compétence sur

l’article 29, le Congo doit au préalable identifier la nature précise du différend qui l’oppose au

Rwanda sur l’interprétation ou l’application de la convention. Et il est évident qu’il n’y est pas

parvenu.

5. La nécessité que des négociations aient eu lieu
30
2.57. Cinquièmement, même si le Congo avait établi l’existence d’un différend entre lui et le

Rwanda concernant la convention, il aurait dû, en vertu de l’article 29, chercher à résoudre ce

différend par des négociations. J’insiste sur les termes «ce différend», Monsieur le président, car il

est évident que le Congo se méprend considérablement quant à la nature de cette condition et à

l’argumentation du Rwanda.

2.58. Le Congo semble croire, au vu tant des arguments qu’il a exposés en 2002 que de son

contre-mémoire, qu’il lui incombe seulement de prouver avoir cherché à négocier avec le Rwanda

sans avoir à démontrer l’objet de sa tentative de négociation. Ainsi, le Congo signale une série de

rencontres, énumérées au paragraphe 51 de l’ordonnance de la Cour du 10 juillet 2002, dont il

prétend qu’elles ont été des occasions pour les deux Etats de chercher à négocier un règlement du

conflit armé les opposant. Mais, Monsieur le président, il s’agit là d’une question bien différente

de celle consistant pour le Congo à démontrer l’existence d’une tentative de sa part de négocier le

règlement d’un différend précis concernant l’interprétation ou l’application de la convention sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et seule une tentative de

négociation portant sur ce différend est pertinente pour satisfaire aux conditions du paragraphe 1 de

l’article 29.

2.59. La méprise du Congo à cet égard ressort clairement de l’inexactitude de sa citation

d’un passage du mémoire rwandais. Au paragraphe 102 de son contre-mémoire, le Congo critique - 27 -

le Rwanda pour avoir souligné, au paragraphe 3.65 du mémoire, que «[l]a réalité est que la

République démocratique du Congo n’a fait aucune tentative pour négocier avec le Rwanda». Or,

voici ce qu’a réellement indiqué le Rwanda :

«Bien qu’il ait évoqué la prétendue impossibilité de négocier un règlement
pacifique avec le Rwanda, le Congo confond ici le règlement du conflit armé, qui est

au centre de son allégation, avec le règlement du différend précis qui, selon lui,
existerait au regard de la convention de Montréal. Or, dans les faits, le Congo n’a
jamais tenté d’entamer des négociations avec le Rwanda au sujet de ses allégations
concernant la destruction du Boeing 727.» 38

Et, en citant nos propos, c’est ce dernier membre de phrase que le Congo oublie de mentionner. A

cet égard, la question est la même en ce qui concerne la convention de Montréal et la convention

sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

2.60. Le fait que le Congo n’ait pas compris ce point critique consistant à distinguer la

négociation d’un règlement du conflit armé et celle portant sur un différend précis en vertu d’un

31 traité donné est ensuite encore plus vivement démontré au paragraphe 103 de son contre-mémoire,

lorsqu’il indique que :

«[l]a République démocratique du Congo fait vigoureusement observer que le train

d’allégations ci-dessus du Rwanda, en tant qu’elles visent à nier l’existence de toute
négociation, et même de toute tentative de négociation de la part de la République
démocratique du Congo, prennent à contre-pied la conviction de la Cour».

Ainsi, ce qu’indique le Rwanda prend le contre-pied de ce qu’a dit la Cour en 2002. Mais qu’avait

donc dit la Cour et que le Congo cite par la suite ? La Cour a fait observer  au paragraphe 79 de

son ordonnance du 10 juillet 2002  que :

«à ce stade de la procédure le Congo n’apporte pas la preuve que ses tentatives en vue
d’entamer des négociations ou d’engager une procédure d’arbitrage avec le Rwanda
[et la Cour renvoie ensuite au paragraphe 51 de l’ordonnance que le Congo accepte
comme étant un résumé complet des preuves soumises à la Cour 39] visaient

l’applica40on de l’article 29 de la convention sur la discrimination à l’égard des
femmes» .

2.61. En d’autres termes, oui, la Cour reconnaissait l’existence de négociations. Le Rwanda

également. Mais il n’a pas été démontré que ces négociations et tentatives pour engager une

procédure d’arbitrage aient porté sur l’application de la convention particulière invoquée

38
Le Congo a omis d’indiquer les passages en italiques dans sa citation du mémoire du Rwanda.
39Voir le contre-mémoire, par. 57.
40
Les italiques sont de nous. - 28 -

aujourd’hui par le Congo. Autrement dit, Monsieur le président, la Cour confirmait ainsi

précisément le point soulevé par le Rwanda en 2002 et qu’il a répété dans son mémoire, à savoir

que les négociations que le Congo et le Rwanda avaient entamées visaient le conflit dans son

ensemble et non un différend précis concernant la convention sur l’élimination de toutes les formes

de discrimination à l’égard des femmes et qu’elles n’ont donc pas rempli les conditions visées au

paragraphe 1 de l’article 29.

2.62. La Cour a, bien entendu, décidé que le Congo n’avait pas apporté, au stade de la

procédure sur les mesures conservatoires, la preuve que les négociations portaient sur l’application

de la convention. Il appartenait au Congo de fournir de nouveaux éléments de preuve dans son

contre-mémoire (à la condition, bien entendu, que de telles preuves existassent) pour démontrer

que les négociations concernaient effectivement l’application de ladite convention. Mais il n’a

aucunement cherché à le faire. Le Congo n’a joint à son contre-mémoire qu’une poignée de

documents. Aucun de ces documents ne contient ne serait-ce qu’une allusion au fait que les

négociations entre le Congo et le Rwanda auraient à un moment quelconque porté sur l’application

32 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Par

conséquent, le Congo n’a pas fourni un seul élément de preuve supplémentaire  pas un seul

document  pour étayer son dossier en sus de ceux qu’il avait déjà soumis à la Cour en 2002. La

Cour avait alors jugé ces preuves insuffisantes et non convaincantes et je suppose que, face à ces

mêmes éléments de preuve, elle parviendra à la même conclusion cette fois-ci.

2.63. Avant de poursuivre, j’ajouterai un mot concernant les dix documents figurant en

annexes au contre-mémoire du Congo. A l’exception d’un seul, tous sont de nature très générale et

dépourvus de pertinence à l’égard de la question qui nous préoccupe ici. La seule exception est

constituée par la lettre du 14 janvier 2002 adressée au secrétaire général de l’Union internationale

des télécommunications par le ministre des postes, téléphones et communications du Congo. Dans

cette lettre, le Congo proteste contre l’utilisation des indicatifs téléphoniques internationaux du

Rwanda et du Burundi pour les communications à destination de certaines régions du Congo. Cela

dit, la raison exacte pour laquelle le Congo a choisi de joindre ce document en annexe à ses pièces

de procédure relève pour moi du mystère et il pourrait bien en être également de même pour les

membres de la Cour. Il est assurément difficile d’envisager la manière dont cette lettre pourrait - 29 -

être d’une quelconque aide pour le dossier du Congo sur la compétence, quelle que soit la

convention sur laquelle il s’appuie. Mais il serait faux de présumer que cette lettre manque

totalement de pertinence au regard des questions dont la Cour est actuellement saisie, car elle

démontre que, même au cŒur d’un conflit armé, le Congo était parfaitement en mesure de soulever

une question précise et technique de cette nature. Et s’il était en mesure d’écrire une lettre portant

expressément sur une question d’indicatifs téléphoniques, il pouvait certainement entamer des

négociations portant explicitement sur un différend relatif à des dispositions précises de la

convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ou

soumettre ce différend à un arbitrage. Mais force est de constater qu’il n’a pas présenté un seul

élément de preuve laissant entendre qu’il ait entrepris une telle démarche.

6. La condition relative à un arbitrage

2.64. En dernier lieu, Monsieur le président, même si le Congo avait cherché à résoudre, par

voie de négociations, un différend précis concernant la convention, la Cour ne serait compétente

que si le Congo avait d’abord demandé l’arbitrage de ce différend et si les Parties n’avaient pas été

en mesure, dans les six mois à compter de la date de la demande, de se mettre d’accord sur

l’organisation de l’arbitrage. Cette condition imposant une demande préalable d’arbitrage est un

élément central du mécanisme prévu par le paragraphe 1 de l’article 29 de cette convention, ainsi

que par un grand nombre d’autres clauses de règlement des différends contenues dans des traités

33 multilatéraux. Mais le Congo n’a fait aucune tentative quelle qu’elle soit pour demander

l’arbitrage d’un différend quelconque concernant la convention. Aucune discussion sur

l’organisation d’un arbitrage n’a pu avoir lieu, puisque aucune demande en ce sens n’a jamais été

formulée.

2.65. Encore une fois, Monsieur le président, le Congo semble s’imaginer que sa seule

obligation consiste à démontrer avoir proposé un arbitrage quelconque concernant un différend

quelconque. Mais la Cour a déjà rejeté cette thèse dans son ordonnance de 2002. Le Congo aurait

dû  la Cour s’était prononcée clairement à l’époque  demander l’arbitrage du différend précis - 30 -

concernant la convention particulière, mais il ne l’a pas fait et il n’a fourni aucun élément de preuve

pour étoffer son dossier, lequel reste le même que ce qu’il était il y a trois ans, au stade des mesures

conservatoires.

2.66. Le Congo se plaint de ce qu’il n’avait pas de relations diplomatiques avec le Rwanda et

de ce que ce dernier était réticent à entamer avec lui des discussions. Soit dit en passant, la

situation est assez différente. Mais, même si les allégations du Congo étaient vraies, cela ne

suffirait pas à changer le résultat. Tout d’abord, le Congo avait soulevé le même argument

en 2002, lequel n’avait alors pas été considéré comme suffisant. Notons également que le Congo

admet que des négociations sur un éventail de questions ont effectivement eut lieu entre les deux

Etats pendant la période considérée, mais il n’a pas été en mesure d’indiquer une quelconque

demande d’arbitrage relative à l’application de la convention qu’il aurait formulée à l’une de ces

séances de négociation. Enfin, Monsieur le président, il est frappant de noter la différence entre la

présente affaire et celle de Lockerbie opposant la Libye et les Etats-Unis d’Amérique. Il n’existait

pas non plus de relation diplomatique entre ces deux Etats à la période considérée, et bien moins de

contacts entre ces deux gouvernements qu’il n’y en eut en 2002 entre le Rwanda et le Congo.

Pourtant, la Libye avait déposé une demande d’arbitrage concernant un différend précis relatif à la

convention de Montréal et c’est sur ce fait que la Cour s’est fondée dans son arrêt de 1998 pour

rejeter l’exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis et pour juger que la Libye avait

respecté la disposition relative à l’arbitrage contenue au paragraphe 1 de l’article 14 de la

convention de Montréal.

6. La convention de Montréal

2.67. Monsieur le président, permettez-moi, pour conclure, de dire quelques mots sur la

convention de Montréal. Je serai beaucoup plus bref sur cette question, étant donné que bon

nombre des arguments sont les mêmes que ceux que je viens d’exposer en ce qui concerne la

convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

34 2.68. Le Congo tente de s’appuyer sur le paragraphe 1 de l’article 14 de la convention de

Montréal, qui dispose que : «[t]out différend entre des Etats contractants concernant l’interprétation

ou l’application de la présente convention qui ne peut pas être réglé par voie de négociation est - 31 -

soumis à l’arbitrage, à la demande de l’un d’entre eux». La deuxième phrase, qui concerne

l’organisation de l’arbitrage et la règle des six mois, est identique à celle du paragraphe 1 de

l’article 29 [de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des

femmes]. La seule différence réside dans la première phrase des deux dispositions, l’article 14

portant sur tout différend qui ne peut pas être réglé par voie de négociation et le paragraphe 1 de

l’article 29 sur tout différend qui n’est pas réglé par voie de négociation. Pour les raisons déjà

invoquées, nous posons que cette distinction est sans intérêt.

2.69. Monsieur le président, le Rwanda a développé, à trois reprises et en détail, ses

arguments relatifs à la compétence en rapport avec la convention de Montréal : premièrement, dans

sa pièce soumise à la suite de la première requête déposée par le Congo en 1999, dont ce dernier

s’est ensuite désisté en 2001; deuxièmement, lors de nos plaidoiries en la présente affaire en 2002;

troisièmement, aux paragraphes 3.45 à 3.71 de notre mémoire. A aucun moment, le Congo n’a

tenté de nier ces arguments détaillés point par point, se contentant d’appuyer son argumentation sur

des platitudes et des généralités.

2.70. Le fait est que le Congo n’a en aucune manière satisfait à l’une quelconque des

conditions préalables de saisine de la Cour énoncées à l’article 14.

2.71. En ce qui concerne l’application de la convention de Montréal, le Congo n’a défini de

manière précise aucun différend l’opposant au Rwanda. Dans la plainte qu’il a portée devant

l’OACI concernant l’avion abattu, le Congo n’a pas soutenu que l’avion avait été abattu par le

Rwanda, mais qu’il l’avait été par des forces rebelles congolaises. Il a ensuite formulé des

allégations identiques contre l’Ouganda, et a continué de le faire dans l’affaire qui est actuellement

en délibéré devant la Cour, sans tenter, à notre connaissance, à aucun moment ni d’aucune manière,

de concilier ses allégations contre les deux Etats. D’ailleurs, pour faire bonne mesure, il a encore

formulé une allégation identique contre le Burundi, déposant une requête devant la présente Cour

en 1999, dont il s’est désisté en 2001.

2.72. Ce que le Congo n’a pas fait, Monsieur le président, après l’adoption par le Conseil de

l’OACI d’une déclaration en la matière en 1999, c’est tenter de négocier cette question avec le

Rwanda, pas davantage qu’il n’a soumis de demande d’arbitrage d’un différend l’opposant au

Rwanda concernant la convention de Montréal. Le Congo avait la possibilité de le faire; il a décidé - 32 -

de s’abstenir. Le Congo n’a tout simplement pas satisfait aux conditions préalables de saisine de la

35 Cour énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 de la convention de Montréal et, par conséquent, la

Cour n’est pas non plus compétente en vertu de cette disposition.

2.73. Monsieur le président, voilà qui conclut mon argumentation sur la compétence. Je

vous prie de bien vouloir me redonner la parole en fin de matinée pour vous exposer, très

brièvement, la question de la recevabilité et résumer la thèse du Rwanda. Le moment serait bien

choisi, il me semble, pour faire une pause. Je vous saurais gré de bien vouloir ensuite donner la

parole à Mme Jessica Wells.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Greenwood. Il est en effet temps de faire une pause

de dix minutes, après quoi je donnerai la parole à Mme Wells.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 40.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne à présent la parole à Mme Jessica Wells.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne maintenant la parole à

Mme Jessica Wells.

Mme WELLS :

1. Introduction

3.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour. Permettez-moi de dire, tout

d’abord, que c’est un grand honneur pour moi que de m’adresser à la Cour au nom du Rwanda.

Ainsi que l’a indiqué l’éminent agent de ce dernier, il m’incombe de présenter notre argumentation

sur quatre des conventions invoquées par le Congo pour fonder la compétence de la Cour.

J’examinerai tout d’abord la convention sur le génocide et la convention sur l’élimination de toutes

les formes de discrimination raciale, puis traiterai de la constitution de l’Organisation mondiale de

la santé et de l’acte constitutif de l’Unesco.

2. La convention sur le génocide

3.2. Je ne traiterai dans le détail ni la convention sur le génocide ni la convention sur la

discrimination raciale  nos arguments à l’égard de l’une et l’autre sont essentiellement les - 33 -

mêmes, et ont été amplement développés lors des audiences consacrées aux mesures

conservatoires; si nous y revenons aujourd’hui, c’est seulement parce que le Congo continue de les

invoquer comme bases de compétence.

36 3.3. Nous ne contestons pas que le Congo et le Rwanda soient tous deux parties à la

convention sur le génocide, ni qu’une disposition de l’article IX de cette convention prévoie la

saisine de la Cour dans le cas d’un certain nombre de différends. Le Rwanda, lorsqu’il a adhéré à

41
la convention, a toutefois émis une réserve globale à l’article IX . La convention sur le génocide

ne saurait donc fonder la compétence de la Cour en l’espèce.

3.4. Au stade des mesures conservatoires, le Congo a soulevé plusieurs points à propos de la

réserve du Rwanda à l’article IX. Je n’infligerai pas à la Cour l’exposé détaillé de ces arguments et

des contre-arguments du Rwanda, les uns et les autres ayant donné lieu à des développements

circonstanciés dans notre mémoire de janvier 2003 . Je voudrais simplement rappeler quelle a été,

dans son ordonnance du 10 juillet 2002, la réponse de la Cour aux allégations du Congo. Les

conclusions de la Cour, énoncées au paragraphes 71 et 72, peuvent se résumer comme suit :

1. L’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction sont deux

choses différentes.

2. Le seul fait que des droits et obligations erga omnes soient en cause dans un différend ne saurait

donner compétence à la Cour pour connaître de ce différend.

3. La convention sur le génocide n’interdit pas les réserves.

4. Le Congo n’a pas présenté d’objection à la réserve du Rwanda lorsque celle-ci a été formulée.

5. La réserve ne porte pas sur le fond du droit, mais sur la seule compétence de la Cour. Elle

n’apparaît donc pas contraire à l’objet et au but de la convention.

6. Peu importe que le Tribunal pénal international pour les crimes commis au Rwanda ait été

institué à la demande du Rwanda.

7. Peu importe, de même, que le statut de la Cour pénale internationale prohibe en son article 120

toute réserve audit statut.

41Le texte de cette réserve est reproduit dans sont intégralité à l’annexe 9 du mémoire du Rwanda.
42
Par. 3.13-3.23. - 34 -

3.5. Monsieur le président, le Congo n’a, dans son contre-mémoire, répondu à aucun de ces

points. Nous affirmons respectueusement qu’il découle des conclusions énoncées par la Cour

37 en 2002 que la réserve rwandaise est valable. En conséquence, l’article IX de la convention sur le

génocide ne saurait être invoqué pour fonder la compétence de la Cour.

3.6. Cette conclusion est en accord avec la façon dont la Cour a choisi de traiter les réserves

analogues formulées par l’Espagne et les Etats-Unis dans les affaires relatives à la Licéité de

l’emploi de la force : estimant que la convention sur le génocide «ne constitu[ait] manifestement

pas une base de compétence dans l[es] affaire[s]» en question, la Cour les a rayées de son rôle.

Dans son ordonnance de juillet 2002, la Cour n’a pas conclu à une incompétence manifeste et a

refusé d’accéder à la demande du Rwanda tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle. Relevons

toutefois que cette décision valait pour l’ensemble des bases de compétence alléguées par le

Congo. Les conclusions énoncées par la Cour en 2002 en ce qui concerne l’article IX de la

convention sur le génocide n’en restent donc pas moins parfaitement claires, et une décision

d’incompétence inéluctable à ce stade de l’affaire.

3. La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

3.7. Monsieur le président, notre position est essentiellement la même en ce qui concerne la

convention sur la discrimination raciale. Dans ce cas non plus, nous ne contestons pas que les deux

Etats soient parties à cette convention, ni que celle-ci comporte, en son article 22, une clause

compromissoire. Mais, le Rwanda a, là encore, émis une réserve globale à cette clause

44
compromissoire au moment d’adhérer à cette convention . Le Rwanda soutient donc, de la même

façon, que l’article 22 ne saurait être invoqué pour fonder la compétence de la Cour en l’espèce.

3.8. A l’audience de juin 2002, le Congo a plaidé que la réserve formulée par le Rwanda au

sujet de l’article 22 était «inacceptable, dans la mesure où elle reviendrait à reconnaître au Rwanda

le droit [de] commettre, dans l’impunité totale … les actes prohibés par la convention»  ce qui,

ajoutait-il, irait à l’encontre de l’objet et du but de cet instrument. Le Congo  notons-le  n’a

avancé aucun nouvel argument dans son contre-mémoire.

43Yougoslavie c. Espagne, C.I.J. Recueil 1999 (I)p. 772; Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 924.
44
Le texte de cette réserve est reproduit dans son intégralité à l’annexe 9 du mémoire du Rwanda. - 35 -

38 3.9. Le Rwanda reconnaît que le paragraphe 2 de l’article 20 de la convention sur la

discrimination raciale interdit toute réserve incompatible avec son objet et son but. Toutefois,

Monsieur le président, il ne nous sera pas nécessaire de nous arrêter longuement sur la question de

savoir si incompatibilité il y a en l’espèce. Le paragraphe 2 de l’article 20 prévoit, pour déterminer

les cas d’incompatibilité, un mécanisme simple : que deux tiers des Etats parties à la convention

élèvent des objections. Au paragraphe 67 de son ordonnance du 10 juillet 2002, la Cour a confirmé

que la réserve du Rwanda n’avait pas soulevé le nombre d’objections requis, ajoutant qu’elle

«n’appara[issai]t pas incompatible avec l’objet et le but de la convention», et que le Congo

lui-même n’avait pas présenté d’objection à cette réserve lorsqu’il avait adhéré à la convention

en 1976.

3.10. Monsieur le président, de même que pour la convention sur le génocide, nous

soutenons, avec tout le respect dû à la Cour, que les conclusions énoncées dans l’ordonnance du

10 juillet 2002 sont suffisamment explicites, et j’estime donc inutile de m’appesantir sur ce point.

La réserve rwandaise est valable et, partant, l’article 22 ne saurait fonder la compétence de la Cour.

J’en viens maintenant à la constitution de l’Organisation mondiale de la santé.

4. La constitution de l’Organisation mondiale de la santé

3.11. En réponse aux tentatives du Congo pour fonder la compétence de la Cour sur

l’article 75 de la constitution de l’OMS, le Rwanda s’appuie sur deux arguments distincts.

Premièrement, le Congo n’a pas réussi à établir que la constitution de l’OMS s’appliquait à sa

demande contre le Rwanda. Deuxièmement, à l’instar de la convention sur l’élimination de toutes

les formes de discrimination à l’égard des femmes, la constitution de l’OMS pose, à son article 75,

deux conditions préalables à la compétence de la Cour. Ces conditions préalables n’ont, selon

nous, pas été remplies.

3.12. L’article 75 dispose :

«Toute question ou différend concernant l’interprétation ou l’application de
cette constitution, qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou par l’Assemblée - 36 -

de la santé, sera déféré par les parties à la Cour internationale de Justice
conformément au Statut de ladite Cour, à moins que les parties intéressées ne
conviennent d’un autre mode de règlement.»

3.13. J’aborderai tout d’abord l’applicabilité de la constitution. Ce point se divise à son tour

en deux parties. Premièrement, même si le Congo allègue que le Rwanda n’a pas respecté la

39 constitution de l’OMS, il ne précise pas quelle obligation particulière, s’il en est une, aurait été

ignorée par le Rwanda. Ce dernier a invité le Congo à développer ses arguments sur cette question

lors des audiences de juin 2002 et dans son mémoire. Le Congo n’a fait aucun effort en ce sens

dans son contre-mémoire. La seule disposition de la constitution de l’OMS à laquelle le Congo ait

jamais fait référence est l’article 2. Dans son ordonnance de juillet 2002, la Cour a fait observer

qu’«un premier examen de ladite constitution fait apparaître que son article 2, invoqué par le
45
Congo, met des obligations à la charge non des Etats membres mais de l’Organisation» .

3.14. Un examen plus attentif de la structure de la constitution confirme que tel est

46
effectivement le cas .

3.15. Le point de départ approprié pour procéder à cet examen est l’article 2 proprement dit.

Cette disposition contient simplement une liste de vingt-deux «fonctions de l’Organisation»

nécessaires pour atteindre le but de l’organisation. Il ressort clairement, tant des termes de

l’article 2 que de la nature des fonctions qui y sont énumérées, qu’aucune obligation directe n’est

imposée aux Etats eux-mêmes, conformément au caractère général que revêt cette constitution,

laquelle, comme son intitulé le laisse entendre, définit les institutions de base, les compétences et

les méthodes de travail de l’OMS, mais ne traite pas en soi de questions concrètes relatives à la

santé mondiale. Il ressort clairement du chapitre V de la constitution que c’est au moyen de

conventions, d’accords et de règlements proposés et adoptés par l’Assemblée de la santé que des

obligations directes peuvent être imposées aux Etats membres.

3.16. Deuxièmement, les allégations du Congo ne semblent pas donner lieu à un différend

concernant l’interprétation ou l’application de la constitution. La requête révèle clairement que le

Congo considère les prétendus actes d’agression du Rwanda comme le fondement de ce différend.

Par exemple, à la toute première page de la requête, le Congo indique que :

45Au paragraphe 82.

46La constitution de l’OMS figure à l’annexe 5 du mémoire du Rwanda. - 37 -

«Ces atteintes graves et flagrantes découlent des actes d’agression armée
perpétrés par le Rwanda sur le territoire de la République démocratique du Congo en
violation flagrante de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République
démocratique du Congo, garantie par les Chartes des Nations Unies et de
l’Organisation de l’unité africaine.»

Il ne s’agit là que d’un exemple d’une ritournelle que l’on retrouve tout au long de la

requête.

40 3.17. Cette situation est analogue à celle à laquelle la Cour a été confrontée concernant la

demande d’avis consultatif présentée par l’OMS en l’affaire de la Licéité de l’utilisation des armes

47
nucléaires par un Etat dans un conflit armé . En examinant sa compétence pour rendre un avis

consultatif, la Cour a été amenée à se demander si la question posée entrait dans le champ des

activités proprement dites de l’OMS. Parvenant à la conclusion que tel n’était pas le cas, la Cour a

fait observer que :

«[l]a question posée … à la Cour porte … non sur les effets de l’utilisation d’armes
nucléaires sur la santé, mais sur la licéité de l’utilisation de telles armes compte tenu
de leurs effets sur la santé et l’environnement. Or, quels que soient ces effets, la

compétence de48’OMS pour en traiter n’est pas tributaire de la licéité des actes qui les
produisent.»

3.18. La Cour a jugé en outre que les attributions de l’OMS étaient limitées au domaine de la

santé publique, et que les questions, plus vastes, touchant au recours à la force étaient du ressort de

l’Organisation des Nations Unies proprement dite et échappaient par conséquent aux attributions

d’institutions spécialisées telles que l’OMS.

3.19. Monsieur le président, si l’on applique par analogie ce raisonnement à la présente

espèce, le Congo ne peut manifestement pas se contenter d’affirmer simplement que la situation sur

son territoire a engendré des effets négatifs pour la santé. L’affaire du Congo concerne

essentiellement la licéité des actes dont le Rwanda serait responsable. Elle ne concerne ni

l’interprétation ni l’application de la constitution de l’OMS.

3.20. Le second argument principal du Rwanda concernant la constitution de l’OMS est de

nature procédurale, à savoir le non respect des conditions préalables énoncées à l’article 75. La

première question qui se pose est celle de savoir si ces conditions préalables sont cumulatives ou

alternatives. En d’autres termes, il s’agit de savoir si, avant de pouvoir soumettre un différend à la

47C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 76, par. 21-27.

48Ibid., par. 21. - 38 -

Cour, il faut chercher à négocier et saisir l’Assemblée de la santé ou si seul le recours à l’une de ces

deux voies est suffisant. Au paragraphe 63 de son contre-mémoire, le Congo prétend que c’est la

seconde interprétation qui est correcte  à savoir que les Parties sont libres d’opter pour l’une ou

l’autre méthode et qu’elles n’ont pas l’obligation de recourir successivement à l’une et à l’autre.

Dans son ordonnance de juillet 2002, la Cour n’a pas directement abordé cette question, mais elle a

41 simplement indiqué «qu’à ce stade de la procédure le Congo n’apporte pas davantage la preuve que

49
les conditions préalables à la saisine de la Cour … aient été remplies» .

3.21. Monsieur le président, l’interprétation naturelle de l’article 75 conduit, selon nous, à

conclure que les deux méthodes de règlement d’un différend sont cumulatives. Peut-être est-il

préférable de démontrer ce point de la manière suivante : la question que l’article 75 vise à

résoudre est celle de la possibilité pour la Cour d’exercer sa juridiction sur un différend donné.

Pour y répondre, l’article 75 pose une seconde question, à savoir : le différend a-t-il été réglé soit

par des négociations soit par l’Assemblée de la santé ? Sauf à avoir essayé les deux mécanismes, il

est impossible de répondre à cette question. Si l’Assemblée de la santé n’a pas été saisie du

différend, il est impossible de dire si elle l’a ou non réglé.

3.22. Cette interprétation est renforcée par un point que le Congo lui-même soulève au

paragraphe 65 de son contre-mémoire. Il y aborde la possibilité qu’existent des décisions

contradictoires. Le Congo semble laisser entendre que l’article 75 ouvre la possibilité d’aboutir à

un problème de décisions contradictoires  vraisemblablement entre l’Assemblée de la santé et la

Cour. Toutefois, si l’on considère les conditions préalables de l’article 75 comme cumulatives, ce

cas de figure ne pourra jamais se rencontrer. Car, suivant cette interprétation, il est établi à

l’article 75 un ordre strict de préséance, suivant lequel la Cour ne peut pas se déclarer compétente

avant que l’Assemblée de la santé n’ait eu la possibilité de régler le différend. Par conséquent, si

l’Assemblée de la santé parvient à une décision, celle-ci empêchera en soi la Cour d’examiner le

différend.

3.23. Monsieur le président, il est, dans une certaine mesure, inutile pour la Cour de décider

si les conditions préalables sont alternatives ou cumulatives. Car, selon le Rwanda, il est évident

49Par. 82. - 39 -

qu’il n’a été satisfait à aucune des deux conditions. Aucune allusion n’a jamais été faite à une

quelconque soumission du différend à l’Assemblée de la santé. D’ailleurs, le Congo le reconnaît

expressément au paragraphe 64 de son contre-mémoire, dans lequel il indique que «la République

démocratique du Congo [a] opté pour les négociations». Toutefois, en ce qui concerne ces

négociations, le Congo ne donne aucun détail sur de quelconques tentatives précises pour parvenir

à un règlement négocié d’un différend concernant l’interprétation ou l’application de la constitution

de l’OMS. A la page 12 de sa requête, le Congo affirme simplement ceci : «La perpétration et la

continuation des actes de guerre empêchant tout règlement de ce différend par voie de

42 négociations, la République démocratique du Congo demande à la Cour de se déclarer compétente

sur base de l’article 75 de la constitution de l’OMS.»

3.24. Il semble que, dans ce contexte, le Congo s’appuie sur les mêmes arguments que ceux

qu’il a déjà avancés concernant la convention sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination à l’égard des femmes et la convention de Montréal, à savoir qu’aucune négociation

n’était possible car le Rwanda refusait d’y participer. Cette question a déjà été abordée par

M. Greenwood et il est inutile que je répète ses conclusions. Je réaffirmerai simplement que le

Congo ne peut pas se contenter d’affirmer qu’il était en général impossible de négocier. Le Congo

doit démontrer qu’il a tenté, de bonne foi, de négocier une solution à ce différend précis.

5. L’acte constitutif de l’Unesco

3.25. J’examinerai pour finir, Monsieur le président, l’acte constitutif de l’Unesco. Le

Congo invoque le paragraphe 2 de son article XIV, aux termes duquel : «Toutes questions et tous

différends relatifs à l’interprétation de la présente convention seront soumis pour décision à la Cour

internationale de Justice ou à un tribunal arbitral, selon ce que décidera la conférence générale

conformément à son règlement intérieur.»

3.26. Comme pour l’article 75 de la constitution de l’OMS, le Rwanda formulera des

observations aussi bien de fond que de forme.

3.27. S’agissant tout d’abord des arguments de fond, on relèvera que le paragraphe 2 de

l’article XIV est limité aux différends relatifs à l’interprétation de l’acte constitutif. Il ne s’étend

pas aux différends touchant l’application de l’acte. Cette disposition a une portée plus restreinte - 40 -

que les clauses compromissoires examinées jusqu’ici. Or, voici comment le Congo résume dans sa

requête ses allégations fondées sur l’acte constitutif de l’Unesco : «Par le fait de la guerre, la

République démocratique du Congo est aujourd’hui incapable de remplir ses missions au sein de

50
l’Unesco…» Voila qui équivaut tout au plus à un différend relatif à l’application de l’acte

constitutif.

3.28. Au paragraphe 85 de son ordonnance de juillet 2002, la Cour a déclaré que le

paragraphe 2 de l’article XIV ne prévoyait la soumission de différends qu’en matière

d’interprétation de l’acte constitutif. Elle a ajouté que tel ne semblait pas être l’objet de la requête

du Congo. La Cour a invité l’Unesco à présenter des observations écrites à cet égard; dans sa lettre
43

à la Cour datée du 13 octobre 2003, l’Unesco a décliné cette invitation au motif qu’elle souscrivait

pleinement au point de vue exprimé par la Cour au paragraphe 85 de l’ordonnance. Depuis le

prononcé de cette ordonnance, le Congo n’a produit aucun argument ou élément nouveau pour

conforter l’idée que ses allégations portent bien sur l’interprétation de l’acte constitutif.

3.29. Monsieur le président, à supposer même que le paragraphe 2 de l’article XIV ne soit

pas limité aux questions d’interprétation, le Congo n’a là encore pas expliqué en quoi l’acte

constitutif de l’Unesco serait pertinent au regard du présent différend. Les arguments du Rwanda

sur ce point sont, pour l’essentiel, le reflet de ceux que j’ai exposés plus tôt concernant la

constitution de l’OMS. Je les examinerai donc plus brièvement. Premièrement, répétons que

l’essence de la thèse congolaise réside dans les prétendus actes d’agression commis par le Rwanda.

Deuxièmement, le Congo n’a pas précisé quelle obligation imposée par l’acte constitutif de

51
l’Unesco aurait été violée, si tant est qu’il y en ait une. Dans la requête , le Congo se réfère à

l’article I. Mais cet article se borne lui aussi à souligner les buts et fonctions de l’organisation  il

n’impose aucune obligation directe aux Etats Membres. Là encore, cela vaut pour l’acte constitutif

dans son ensemble, dont la fonction est d’établir les organes principaux et les méthodes de travail

50Requête, p. 26.
51
P. 27. - 41 -

de l’Unesco. Les politiques et programmes détaillés sont promulgués par la conférence générale . 52

Il s’ensuit que l’acte constitutif de l’Unesco ne revêt pas, et ne peut revêtir, de pertinence aux fins

du différend dont la Cour est saisie.

3.30. Monsieur le président, j’exposerai à présent nos arguments sur les prescriptions d’ordre

procédural du paragraphe 2 de l’article XIV. La portée de cet article est, je le répète, plus limitée

que celle des autres clauses compromissoires objet de notre examen. Les autres conventions

disposent que, une fois toutes les conditions préalables remplies, les Etats parties peuvent

eux-mêmes soumettre un différend à la Cour. L’article XIV est différend. La Cour peut être saisie

uniquement «selon ce que décidera la conférence générale conformément à son règlement

intérieur». La disposition pertinente à cette fin est l’article 38 du règlement intérieur . Celui-ci

44 prévoit le renvoi des questions touchant l’interprétation de l’acte constitutif devant le comité

juridique, lequel peut ensuite «décider à la majorité simple de recommander à la conférence

générale de [soumettre] à la Cour internationale de Justice … toute question d’interprétation de

l’acte constitutif» (art. 38, par. 3) ou, «[l]orsqu’il s’agit d’un différend [auquel] l’Organisation est

partie, … peut, à la majorité simple, recommander de le soumettre pour décision définitive à un

tribunal arbitral pour la constitution duquel [le] Conseil exécutif prend toutes dispositions

nécessaires» (art. 38, par. 4).

3.31. Monsieur le président, il est parfaitement clair, au vu de l’article 38, que l’article XIV

n’autorise pas les Etats à soumettre unilatéralement un différend à la Cour. Pour saisir cette

dernière, il faut impérativement soumettre la question au comité juridique et à la conférence

générale. Le Congo n’a jamais prétendu avoir suivi cette procédure.

3.32. Il convient de noter que, dans son contre-mémoire, le Congo place l’article XIV de

l’acte constitutif de l’Unesco sur le même plan que l’article 75 de la constitution de l’OMS. Il

semble considérer les deux dispositions comme identiques, et il les examine d’un seul élan. Or,

ainsi qu’il a été démontré, la portée de l’article XIV est en fait bien plus limitée. Ses paramètres

52 o
Article IV B) de l’acte constitutif de l’Unesco (onglet n 6, p. 59 des annexes au mémoire du Rwanda). Les
seules obligations que l’acte constitutif impose directement aux Etats Membres sont : l’obligation de prendre des
dispositions pour constituer des comités nationaux de coopération (art. VII, par. 1) et celle de présenter des rapports selon
des modalités qui sont déterminées par la conférence générale (art. VIII).
53 o
Voir l’onglet n 10; p. 160 des annexes au mémoire du Rwanda. - 42 -

sont rigoureusement définis. Il est donc particulièrement inapproprié, dans ce contexte, de

privilégier les prétendues tentatives faites en vue d’engager des négociations générales. Toujours

est-il que le Congo n’a nullement tenté de démontrer avoir satisfait aux conditions préalables

auxquelles l’article XIV subordonne la compétence de la Cour.

3.33 Monsieur le président, le Rwanda soutient qu’aucune des quatre conventions que j’ai

examinées ce matin n’est susceptible de fonder la compétence de la Cour. Je vous prie à présent de

bien vouloir appeler M. Greenwood à la barre afin qu’il conclue notre démonstration.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Madame Wells. Je donne maintenant la parole à

M. Greenwood.

M. GREENWOOD :

4.1. Merci, Monsieur le président. Il reste un point que j’aimerais évoquer devant la Cour

avant de résumer brièvement les arguments du Rwanda pour ce premier tour de plaidoiries. Ce

point concerne la question de la recevabilité.

45 1. Irrecevabilité de la requête en la présente affaire

4.2. Le Rwanda soutient à titre principal que la Cour n’a pas compétence pour connaître de

la requête congolaise. A titre subsidiaire, nous formulons toutefois une seconde conclusion selon

laquelle la requête est irrecevable. Le fondement de cette conclusion est que la requête

constituerait un abus de la procédure de la Cour.

4.3. La Cour se souviendra que, en 1999, le Congo avait introduit des requêtes identiques

contre le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Des audiences sur le fond ont, comme nous le savons,

été tenues il y a quelques mois en l’affaire opposant le Congo à l’Ouganda.

4.4. S’agissant de l’affaire contre le Rwanda, la requête de 1999 cherchait à fonder la

compétence de la Cour sur la convention contre la torture, par laquelle le Rwanda n’est pas lié, la

convention sur le génocide, à l’égard de laquelle la réserve formulée par le Rwanda exclut la

compétence de la Cour, et la convention de Montréal, aux prescriptions de laquelle il n’a pas été

satisfait et qui, quoi qu’il en soit, n’aurait concerné qu’une part infime de la requête. - 43 -

4.5. Le Gouvernement du Rwanda aurait pu attendre que le Congo dépose son mémoire pour

contester la compétence de la Cour, mais, comme il était évident que celle-ci n’était pas

compétente pour examiner la requête de 1999, il a soulevé ses exceptions préliminaires le plus tôt

possible et la Cour a ordonné que la procédure porte, dans un premier temps, sur la question de la

recevabilité et de la compétence. Le Rwanda a déposé un mémoire consacré à ces questions le

21 avril 2000. Après avoir obtenu un délai supplémentaire pour le dépôt de ses pièces de

procédure, le Congo a subitement souhaité se désister de l’instance  sans avoir jamais répondu

aux exceptions d’incompétence soulevées par le Rwanda  et la Cour a ordonné la radiation de

l’affaire par une ordonnance du 30 janvier 2001.

4.6. Par la suite, en mai 2002, le Congo a introduit une nouvelle requête qui, sur la plupart

des points pertinents, est identique à la requête de 1999. Mieux encore, Monsieur le président, bien

qu’en mai 2002 la procédure entre le Congo et l’Ouganda ait été déjà bien engagée, le Congo a tout

simplement répété mot pour mot ce qu’il avait affirmé dans sa requête de 1999 concernant un avion

prétendument abattu à Kindu en octobre 1998, se gardant, une fois encore, de mentionner qu’il

avait déjà fait valoir la même prétention à l’encontre de l’Ouganda et ne fournissant aucune

explication sur la manière dont il se proposait de concilier ses deux demandes. Il n’a pas non plus,

46 pour autant que nous le sachions, expliqué à la Cour, dans ses pièces de procédures en l’affaire

l’opposant à l’Ouganda, comment il pouvait formuler la même allégation contre le Rwanda.

4.7. Monsieur le président, en prétendant que le même incident était attribuable, de façon

séparée, à deux Etats (trois, si l’on tient compte de l’instance introduite contre le Burundi,

finalement radiée) et en déposant une nouvelle requête dans l’ensemble identique à celle déposée

dans l’affaire précédente, laquelle avait été radiée, en y ajoutant simplement quelques bases de

compétence aussi peu convaincantes que celles initialement invoquées, le Congo louvoie avec la

Cour.

4.8. Contrairement à ce que le Congo laisse entendre dans son contre-mémoire, nous ne

prétendons pas que l’ordonnance de la Cour en date du 30 janvier 2001, portant radiation de

l’affaire, aurait eu pour conséquence d’empêcher le Congo d’introduire une nouvelle requête . 54

54Contre-mémoire, par. 84-86. - 44 -

Nous ne disons pas non plus qu’un Etat qui a retiré une requête ne pourrait ensuite plus jamais

introduire une nouvelle requête visant le même défendeur et ayant le même objet, dès lors que les

circonstances auraient réellement changé, des négociations menées en vue de régler le différend

ayant par exemple échoué. En revanche, nous affirmons qu’un Etat qui dépose une requête auprès

de la Cour, se voit opposer une exception d’incompétence et n’y répond pas, préférant retirer sa

requête, ne saurait être autorisé à formuler de nouveau les mêmes allégations  ainsi que les

mêmes arguments relatifs à la compétence  dans une nouvelle requête au seul motif qu’il voit un

avantage tactique à agir de la sorte.

4.9. Monsieur le président, je reconnais le caractère de nouveauté de cette requête, mais la

Cour est la gardienne de ses procédures et elle a le droit et le devoir de protéger son intégrité en

tant qu’institution. Cela lui confère, selon le Rwanda, le pouvoir d’empêcher tout abus de

procédure de la part d’un Etat qui formule, puis retire, puis formule de nouveau les mêmes

allégations et avance les mêmes arguments contre plusieurs Etats défendeurs sans expliquer

aucunement le lien entre ces différentes allégations. Voilà ce qui, selon nous, rend la requête en la

présente affaire irrecevable.

4.10. Avant d’en terminer avec la question de la recevabilité, permettez-moi d’éclaircir un

dernier point. Le Congo consacre une part non négligeable de son contre-mémoire au rejet de

l’argument selon lequel l’accord de Pretoria de 2002 rendrait la présente requête irrecevable. Il

47 s’agit là d’un argument que le Rwanda n’a jamais formulé et qu’il ne souhaite pas invoquer. Il

n’est, dès lors, nul besoin d’importuner davantage la Cour à ce propos. Nous n’avons pas fait

référence à l’accord de Pretoria au titre de la recevabilité, mais simplement pour montrer que les

faits de l’espèce avaient évolué depuis les audiences de juin 2002.

2. Résumé de l’argumentation du Rwanda

4.11. Permettez-moi à présent, Monsieur le président, de résumer notre position. Selon nous,

la thèse du Congo concernant la compétence est tout simplement indéfendable. Le Rwanda

soutient que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur les demandes formulées à son encontre

par le Congo, et ce pour sept raisons. - 45 -

4.12. Premièrement, le Congo tente de se fonder sur une conception de la compétence qui est

en contradiction totale avec la jurisprudence de la Cour et qui fait fi du principe fondamental selon

lequel celle-ci tire sa compétence du consentement des parties et de lui seul.

4.13. Deuxièmement, l’un des traités invoqués par le Congo  la convention contre la

torture  ne lie même pas le Rwanda.

4.14. Troisièmement, deux des autres traités sur lesquels se fonde le Congo  les

conventions sur la discrimination raciale et sur le génocide  ne sauraient constituer une base de

compétence de la Cour dans la mesure où, ainsi que Mme Wells vient de le démontrer, le Rwanda a

formulé des réserves aux dispositions concernant la compétence, réserves similaires à d’autres que

la Cour a déjà retenues par le passé, tout à fait valables et à l’encontre desquelles le Congo n’a

élevé aucune objection avant les audiences qui se sont tenues dans ce même prétoire en 2002.

4.15. Quatrièmement, ni l’article 29 de la convention sur l’élimination de toutes les formes

de discrimination à l’égard des femmes ni l’article 14 de la convention de Montréal ne sont

susceptibles de fournir une base de compétence à la Cour en la présente affaire, le Congo n’ayant

pu établir qu’il avait respecté les conditions préalables à la saisine de la Cour énoncées dans

chacune de ces dispositions.

4.16. Cinquièmement, le statut de l’OMS ne saurait conférer compétence à la Cour car le

Congo n’a démontré ni que ses demandes concernaient les obligations de fond que ce statut impose

aux Etats ni que les conditions préalables à la saisine de la Cour avaient été respectées.

4.17. Sixièmement, l’acte constitutif de l’Unesco est manifestement dépourvu de pertinence

en la présente affaire, laquelle ne concerne pas son interprétation et n’a pas été introduite selon la

procédure prévue par cet acte et par le règlement intérieur adopté en vertu de celui-ci.

48 4.18. Enfin, Monsieur le président, la convention de Vienne sur le droit des traités n’a

absolument rien à voir avec la présente affaire et ne saurait conférer compétence à la Cour.

4.19. En conséquence, Monsieur le président, le Rwanda prie la Cour de dire et juger qu’elle

n’est pas compétente pour connaître des demandes présentées par le Congo et, à titre subsidiaire, de

juger que la requête congolaise est irrecevable.

Ainsi se conclut, Monsieur le président, le premier tour de plaidoiries du Rwanda. - 46 -

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Greenwood.

Voilà qui marque la fin de la séance d’aujourd’hui. La Cour se réunira à nouveau demain, le

5 juillet à 10 heures, pour entendre le premier tour de plaidoiries de la République démocratique du

Congo sur les questions de compétence et de recevabilité Je vous remercie.

La séance est levée.

L’audience est levée à 12 h 25.

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