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CR 2006/22 (traduction)

CR 2006/22 (translation)

Vendredi 17 mars 2006 à 10 heures

Friday 17 March 2006 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.

La Cour commencera aujourd’hui l’audition des témoins, experts et témoins-experts appelés

à déposer par les Parties et je vais indiquer quelle sera la procédure. Le témoin, l’expert ou le

témoin-expert entrera dans la gra nde salle de justice à l’invitati on du président et y rejoindra sa

place. Le président demandera ensuite au témoin, à l’expert ou au témoin-expert de faire la

déclaration prévue à l’article 64 du Règlement de la Cour. Les témoins feront la déclaration

énoncée à l’alinéa a) de l’article 64 du Règlement de la Cour, alors que les experts et

témoins-experts feront la déclaration énoncée à l’alinéa b) du même article. Ensuite, l’agent ou le

conseil de la Partie concernée procèdera à l’interrogatoire du témoin, de l’expert ou du

témoin-expert. Selon ce que décidera cette Partie, le témoin, l’expert ou le témoin-expert fera sa

déposition sous forme d’exposé et/ou de réponses a ux questions que lui posera la Partie qui l’a

appelé à déposer. L’autre Partie pourra procéder au contre-interrogatoire du témoin, de l’expert ou

du témoin-expert et disposera, à cet effet, du même temps de parole que celui qui a été nécessaire

pour l’interrogatoire. Le président demandera ensuite à la Partie qui a appelé le témoin, l’expert ou

le témoin-expert si elle souhaite l’interroger de nouveau. Les Parties doivent savoir que tout

nouvel interrogatoire de ce type doit être bref et se limiter aux questions dé jà traitées lors du

contre-interrogatoire. Puis la Cour se retirera, mais les Parties et le témoin, l’expert ou le

témoin-expert devront rester à proximité de la gran de salle de justice. Si elle souhaite poser des

questions au témoin, à l’expert ou au témoin-expert , la Cour reviendra dans la salle d’audience et

les questions seront posées par le président au nom de la Cour ou par tel ou tel juge. Si elle ne

souhaite pas poser de questions, la Cour ne revie ndra pas dans la salle d’audience et le Greffe

informera les Parties et le public en conséquence.

Je signale que les témoins, experts et témoins- experts ne pourront pas être présents dans la

salle ni avant ni après leur déposition ou leur exposé. La Cour a ég alement décidé qu’à titre

exceptionnel, le compte rendu de l’audience au cours de laquelle sont entendus les témoins, experts

ou témoins-experts ne sera pas rendu accessible au public ni diffusé via le site Internet de la Cour

avant la fin des audiences consacrées à l’auditi on de témoins, experts et témoins-experts,

c’est-à-dire le mardi 28mars2006 à 18heures. En dernier lieu, les membres de la presse - 3 -

⎯conformément au code de conduite qu’ils ont signé ⎯ et l’assistance sont priés de ne pas

11 divulguer le contenu des dépositions ou exposés faits par les témoins, experts et témoins-experts

avant le mardi 28mars2006 à 18heures, et de ne communiquer en aucune manière avec les

témoins, experts ou témoins-experts. Nous agissons ainsi dans l’intérêt d’une bonne administration

de la justice.

Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement de la Cour, la partie du compte

rendu d’audience portant sur l’interrogatoire, le co ntre-interrogatoire et le nouvel interrogatoire,

ainsi que sur toutes questions posées par l es juges et les réponses correspondantes, sera

communiquée, dans l’une des deux langues officiell es de la Cour, à chaque témoin, expert ou

témoin-expert aussitôt que possible après sa déposition ou son exposé. Le témoin, l’expert ou le

témoin-expert sera prié de corriger, dans le te xte du compte rendu, toutes les erreurs éventuelles

⎯sans modifier le sens ni la teneur de la déposition, de l’exposé ou des réponses ⎯ et devra

rendre le texte corrigé et dûment signé au greffi er dans les vingt-quatre heures suivant sa réception

afin de faciliter tout contrôle que la Cour pourra juger bon d’exercer sur les corrections apportées.

La Cour entendra tout d’abord les experts que la Bosnie-Herzégovine souhaite faire déposer.

Le premier expert à être appelé à la barre par la Bosnie-Herzégovine, M. András Riedlmayer, peut

maintenant entrer dans la salle d’audience.

[L’expert entre et prend place au pupitre.]

Bonjour, Monsieur Riedlmayer. Je vous invite à faire la déclaration solennelle prévue pour

les experts dont l’énoncé figure à l’alinéa b) de l’article 64 du Règlement de la Cour.

M. RIEDLMAYER: Merci, Madame le préside nt. Je déclare solennellement, en tout

honneur et en toute conscience, que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon

exposé correspondra à ma conviction sincère.

Le PRESIDENT : Merci. Je donne à présent la parole à l’agent de la Bosnie-Herzégovine.

SM F.TI Ć : Merci. - 4 -

D ECLARATION LIMINAIRE DE L ’AGENT DE LA B OSNIE -HERZEGOVINE CONCERNANT LA
DEPOSITION ,LE 17 MARS 2006,DE M. ANDRAS R IEDLMAYER ,TEMOIN -EXPERT

1. Madame le président, Messieurs de la C our, la Bosnie-Herzégovine demande à la Cour

l’autorisation de faire déposer des témoins conformément à l’article 65 du Règlement de la Cour et

au Statut de la Cour internationale de Jusce. Le premier expert que la Bosnie-Herzégovine
12

souhaiterait faire déposer est M. András Riedlmayer.

2. La déposition de M. Riedlmayer devant laCour portera sur la destruction du patrimoine

culturel, religieux et architectural de la Bosnie-Herzégovine. M. Riedlmayer a déposé à charge au

TPIY dans les affaires Milosevic et Krajisnik et établit actuellement un rapport pour le procureur

dans l’affaire Seselj.

3. M. Riedlmayer sera interrogé par mon ém inente collègue, Mme Joanna Korner. Je prie

respectueusement la Cour d’autoriser Mme Korner à prendre la parole. Merci.

Le PRESIDENT: Merci. Je donne à présent la parole à Mme Korner qui peut commencer

son interrogatoire.

Mme KORNER: MonsieurRiedlmayer, repr enons, s’il vous plaît, là où vous vous étiez

arrêté. MonsieurRiedlmayer, la Cour a prisconnaissance de votre nom. Il me semble que vous

vouliez dire quelque chose avant que nous commencions.

La destruction du patrimoine culturel en Bosnie-Herzégovine

M. RIEDLMAYER : Oui.

1. Madame le président, Messieurs de la C our, comme c’est la première fois que je me

présente devant la Cour, je tiens à vous dire l’insigne honneur que cela représente pour moi. Merci.

Mme KORNER: MonsieurRiedlmayer, avan t de passer aux questions que vous allez

exposer à la Cour, puis-je vous de mander de nous en dire davantage sur l’origine des informations

que vous allez produire. Votre domaine de compéten ce, comme la Cour le sait, c’est le patrimoine

religieux et culturel, n’est-ce pas ?

M. RIEDLMAYER : Oui.

Mme KORNER: Et est-il exact que vous vous êtes spécialisé dans l’ histoire des Balkans

pendant vos années de licence à l’Université de Chicago ? - 5 -

M. RIEDLMAYER : Oui, c’est exact.

Mme KORNER: Avez-vous écrit une thèse sur la Bosnie-Herzégovine et le Congrès de

Berlin ?

M. RIEDLMAYER : Oui.

13 Mme KORNER: Et, au cours des dix de rnières années, vous avez beaucoup écrit sur

l’histoire culturelle de la Bosnie-Herzégovine,notamment sur le thème de la destruction du

patrimoine culturel ?

M. RIEDLMAYER : Oui.

Mme KORNER : Il est, à ma connaissance, également exact que vous avez fait des exposés

sur vos travaux lors d’un certain nombre de conférences internationales ?

M. RIEDLMAYER : Oui, c’est exact.

Mme KORNER: Et que, en sus de votre tr avail au Tribunal pénal international pour

l’ex-Yougoslavie, vous avez aussi fait des exposés devant des commissions du Congrès et d’autres

organes ?

M. RIEDLMAYER : Oui.

Mme KORNER: En ce qui concerne les travaux que vous avez effectué pour le TPIY

⎯nous emploierons le sigle ⎯, pouvez-vous nous dire comment vous avez préparé

l’établissement de ces rapports et votre déposition ?

M. RIEDLMAYER :

Sources et méthodologie

2. Tout à fait. J’ai tout d’abord étudié les photographies et les rapports établis par les

communautés religieuses de Bosnie, par l’Institu t pour la protection du patrimoine culturel,

historique et naturel de Bosnie-Herzégovine, par l es rapporteurs du Conseil de l’Europe qui ont été

envoyés en mission en Bosnie pendant et après la guerre, par l’UNESCO, entre autres sources

visant toutes à documenter la dévastation du patrimoine culturel du pa ys pendant la guerre

de 1992-1995.

3. Outre les informations réunies par ces organismes locaux et internationaux, mes

connaissances sur ces questions se fo ndent aussi sur des études de terrain très complètes que j’ai - 6 -

menées sur place en Bosnie, dont une enquête sur le terrain menée dans dix-neuf municipalités, en

juillet 2002, à la demande du TPIY, au cours de laquelle j’ai parcouru plus de 4600 kilomètres dans

ce petit pays et obtenu des documents concernant trois cent quatre-vingt-douzesites, grâce, dans

60% des cas, à des visites directes sur place et, dans les 40% restants, à l’examen et à la

compilation de photographies et autres documents émanant de nombreuses sources indépendantes

jugées fiables.

4. En juillet2003, j’ai exposé mes conclusions devant le TPIY en tant que témoin-expert

dans l’affaire Le procureur c. Slobodan Milosevic . J’ai ensuite été engagé par le Tribunal en tant

que témoin-expert dans deux au tres affaires, pour lesquelles j’ai été chargé de réunir des

14 informations sur sept autres municipalités, ce qui porte à vingt-six le nombre total de municipalités

bosniaques étudiées et à quatre cent cinquante-deux le nombre de sites culturels et historiques dont

la dévastation a été dûment documentée. Les enquêtes sur place que j’ai menées à la demande du

TPIY et les rapports d’expert que j’ai présentés c onstituent probablement le relevé le plus complet

et le plus rigoureux des dommages établi à ce jour.

Mme KORNER : Monsieur Riedlmayer, au long de votre déposition, vous allez demander à

la Cour de regarder un certain nombre de photographies et, dans un cas, une séquence filmée

montrant une partie de cette destruction. Pouvez-vous dire à la Cour si ces photographies et le film

sont des documents accessibles au public ?

M. RIEDLMAYER: Oui, les photographies anté rieures à la destruction émanent pour la

plupart de sources publiques. Quant aux photographies consécutives à la destruction, j’en ai pris la

majorité moi-même. Elles ont été présentées en tant que preuves au TPIY dont elles constituent

une partie des archives.

Le contexte historique

Mme KORNER: Pouvez-vous, pour commencer, présenter très brièvement à la Cour le

contexte historique de ces événements ?

M. RIEDLMAYER : Bien entendu. - 7 -

5. Si vous permettez, Madame le président, j’aimerais commencer par présenter brièvement

le patrimoine riche et varié de la Bosnie-Herzégovine ainsi que les différentes traditions religieuses

et culturelles qui y ont contribué. Située au cŒur de l’Europe, la Bosnie-Herzégovine est un pays

qui joue depuis longtemps un rôle central dans la civilisation européenne.

[Diapositive 1 : Bosnie-Herzégovine (carte).] 1

6. Depuis l’apparition, au Moyen Age, de la Bosnie en tant qu’Etat indépendant, la société

du pays est complexe et multiforme. Les influences culturelles de l’Orient et de l’Occident y sont

entrées en contact et en interaction, l’une avec l’autre mais aussi avec une tradition locale fort

riche. La Bosnie se caractérise aussi par une longue histoire de tolérance et de coexistence entre

différentes religions et cultures.

Mme KORNER : Fort bien. La carte que nous venons de voir servait simplement à illustrer

cela, n’est-ce pas ?

M. RIEDLMAYER : Oui, à illustrer la situation de la Bosnie en Europe.

15 Mme KORNER : Merci beaucoup.

2
[Diapositive 2 : pierres tombales médiévales à Radimlja.]

M. RIEDLMAYER: Ce que vous voyez maintenant à l’écran est une pierre tombale

médiévale bosniaque. La plupart des images compre nnent des légendes et je ferai grâce à la Cour

de leur lecture.

7. Le cas du Royaume de Bosnie était unique en Europe médiévale : non seulement une mais

trois Eglises chrétiennes ⎯catholique romaine, orthodoxe byzantine et bosniaque locale ⎯ y ont

coexisté. Si les chefs des trois Eglises étaien t invités à attester les actes de puissance publique,

l’Etat n’avait cependant pas pour habitude de pr ivilégier une Eglise par rapport aux autres. Le

Royaume de Bosnie a duré plus de deux cent ci nquanteans et a laissé de nombreux monuments

témoignant de sa vitalité culturelle.

3
[Diapositive 3 : pierres tombales musulmanes anciennes de Bosnie à Jakir.]

1Source : l’auteur.
2
Source : l’auteur.
3Source : l’auteur. - 8 -

8. L’Islam arriva en Bosnie il y a près de six cents ans, lorsque les armées des sultans

ottomans ont déferlé sur les Balkans pour gagne r ensuite la Hongrie. De nombreux Bosniaques

issus de toutes les couches sociales et religieuses ⎯soit plus de la moitié de la population

en 1700 ⎯ épousèrent la religion des conquérants mu sulmans. Une nouvelle culture musulmane

prit forme en Bosnie, avec une architecture, des arts, une littérature, des coutumes sociales et un

folklore qui lui étaient propres.

[Diapositive 4 : pont Mehmed Pacha Sokolovic à Visegrad.] 4

9. Les sultans ottomans et leurs gouverneu rs bosniaques locaux construisirent des ponts

⎯comme celui que vous voyez sur la photographie ⎯, des marchés, des éco les et des mosquées

autour desquels se greffèrent de nouveaux quartiers et de nouvelles villes. Sarajevo, Banja Luka,

Cajnice et Mostar figuraient au nombre de ce s nouvelles villes ottomanes de Bosnie. Leur

architecture porte les traces de l’histoire : les c itoyens musulmans, catholiques, orthodoxes et juifs

de Bosnie y vivaient et travaillaient côte à côte. Leurs lieux de culte étaient construits à proximité

immédiate les uns des autres.

5
[Diapositive 5 : mosquée Gazi Husrev-Beg à Sarajevo.]

10. C’est ainsi que l’on trouve, au centre de Sarajevo, sur une superficie de moins d’un

demikilomètre carré, d’abord la principale mosquée de la ville ⎯que vous voyez sur la photo,

construite en 1531 par Gazi Husrev-Beg, le premier gouverneur musulman né en Bosnie ⎯, puis la

16 vieille église orthodoxe de Sara jevo, construite en1539, ensuite la première synagogue, érigée

en1580 sur un terrain mis à disposition par une fondation musulmane et enfin la cathédrale

catholique de Sarajevo.

[Diapositive 6 : vieille église orthodoxe et vieille église catholique à Sarajevo.] 6

11. On trouvera la même juxtaposition dans d’autres villes de Bosnie-Herzégovine. Ainsi,

dans la ville de Cajnice située en Bosnie orie ntale, sur la place du marché, la mosquée de

e
Sinan-Beg Boljanic, qui fonda la ville au XVI siècle, faisait face à l’église orthodoxe, célèbre pour

son icône miraculeuse. Vous pouvez voir l’église en haut à gauche et la mosquée en bas à droite.

4Source : l’auteur.
5
Source : l’auteur.
6Source : l’auteur. - 9 -

[Diapositive 7 : mosquée et église catholique côte à côte à Cajnice.] 7

12. Dans la ville de Bosanska Krupa, au nord- ouest de la Bosnie, qui a déjà été mentionnée

dans les exposés oraux, la mosquée, l’église cathol ique et l’église orthodoxe occupaient les trois

côtés de la place principale. Et à Bosanski Samac, dans la plaine de la Posavina, au nord de la

Bosnie, l’église catholique et l’église orthodoxe se faisaient face de chaque côté d’une même rue, et

pouvaient être aperçues toutes deux depuis le mina ret de la mosquée de Bosanski Samac situé à

moins de cinq minutes à pied.

13. Vous remarquerez, Madame le prési dent, que la disposition architecturale est

intentionnelle et réfléchie, et je dirai même qu’ elle découle d’une volonté politique. Des individus

qui ne peuvent se supporter ne construiraient pas le urs maisons ni leurs principaux lieux de culte et

de vie communautaire juste à côté de ceux des autres. Bien entendu, le fait que différentes

religions et traditions culturelles soient parvenues à coexister et à mener des échanges fructueux ne

signifie pas qu’il n’y avait pas de temps à autre des frictions et des rivalités. Comme d’autres

régions d’Europe du début de l’ère moderne, la Bosnie avait son lot de fonctionnaires corrompus,

de propriétaires terriens impitoyables et de paysans rebelles, de bandits, de vendettas, entre autres

sources de tensions sociales. Mais le pluralisme était intégré à la réalité quotidienne. Avec le

temps, des Bosniaques de religions différentes ont trouvé des moyens de vivre, de travailler et de

construire ensemble.

17 Mme KORNER: MonsieurRiedlmayer, voilà donc quelle était la toile de fond. Mais

qu’est-il advenu de cette tradition de coexistence durant la période 1992-1995 ?

M. RIEDLMAYER :

14. C’est cette longue tradition de coexisten ce en Bosnie-Herzégovine qui a été violemment

et délibérément brisée pendant la guerre de1992-1 995. L’un des traits les plus marquants de

l’atteinte portée à la coexisten ce fut la destruction délibérée et systématique des traditions et du

patrimoine culturels et religieux des communaut és visées. Là vous voyez une mosquée et une

église catholique, toutes deux en ruine en 1992.

8
[Diapositive 8 : mosquée à Carsija (Kotor Varos); église catholique à Dubrave (Brcko).]

7 Benac Alojz (dir. publ.). 1980. Bosna i Hercegovina (Beograd: Jugoslovenska revi ja; Sarajevo: Svjetlost):

illustration 60 (photographie). - 10 -

15. A la fin de 1992, en raison d’informa tions faisant état d’une destruction aussi

systématique de monuments culturels et religieux, la commission pour la culture et l’éducation de

l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en voya la première d’une série de missions en

Bosnie-Herzégovine afin d’y recueillir des informa tions sur la destruction du patrimoine culturel

par la guerre. Le premier des dix rapports d’ information présentés par la commission sur cette

question qualifiait déjà cette destruction, compte tenu de son ampleur, de «catastrophe culturelle au

cŒur de l’Europe» 9 [traduction du Greffe].

16. D’après la documentation disponible, sur l es mille sept cent six mosquées qui existaient

en Bosnie à la veille de la guerre, neufcentqua tre-vingtcinq au moins furent endommagées ou

détruites lors des attaques des forces serbes entre 1991 et1995. Au cours de la même période, il

est établi qu’au moins deux cent soixante-dix églises catholiques et vingt-troismonastères

catholiques ont été endommagés ou détruits par les fo rces serbes. L’écrasante majorité de ces sites

religieux a été détruite pendant les neuf premiers mois de la guerre, entre avril et décembre 1992,

bien que, dans certaines zones, la destruction se soit poursuivie jusqu’à la signature des accords de

paix de Dayton à la fin de l’année 1995 et, dans certains cas, même après Dayton.

17. Dans certains parties de la Bosnie-Herzé govine occupées par les forces serbes durant la

guerre, que j’ai étudiées dans le cadre de mon enquête sur le terrain, plus de 75 % de la totalité des

églises catholiques et près de 100% des lieux de culte musulmans ont été considérés comme

gravement endommagés ou totalement détruits.

Les critères

18 Mme KORNER: Vous venez d’employer l’expression «gravement endommagés ou

totalement détruits». Pouvez-vous dire à la C our quels critères vous avez utilisés pour évaluer les

dommages ?

M. RIEDELMAYER :

8
Source : l’auteur.
9 Conseil de l’Europe, Information Report: The Destruction by of the Cultural Heritage in Croatia and
Bosnia-Herzegovina, présenté par la commission pour la cultul’éducation. Assemblée parlementaire, doc.6756,
2 février 1993. - 11 -

18. Certainement. Selon la terminologie et les critères que j’ai employés dans les rapports

d’évaluation des dommages que j’ai soumis au Tribunal pénal intern ational des Nations Unies, les

bâtiments «gravement endommagés» sont ceux d ont la charpente a subi d’importants dégâts ⎯ ce

sont généralement des édifices complètement incendi és, dont la totalité ou une grande partie de la

toiture s’est effondrée, ou des bâtiments fortement endommagés par des explosions, ou encore dont

la structure a été touchée à plusieurs endroits. J’ai parlé d’édifices «détruits» quand il ne restait

debout aucune partie de l’ossature susceptible d’être restaurée.

19. Bien souvent, après la destruction, les décombres de mosquées ou d’églises étaient

déblayés et le site rasé au moyen d’équipements lourds. J’ai même vu des sites dont les fondations

avaient été déterrées et tous les matériaux enlev és, et qui n’ont pu être identifiés que grâce à des

photographies d’avant-guerre.

20. Près de 60% des monuments concernés ét aient des édifices historiques datant de

l’époque ottomane (1440-1878) ou austro-hongroise (1878-1918). D’après les données que j’ai

recueillies dans le cadre des rapports d’expert que j’ai soumis au Tribunal pénal international pour

l’ex-Yougoslavie, qui portent sur troiscenttrei ze mosquées musulmanes, cinquante-neuf autres

sites islamiques ⎯tels que des monastères derviches, des écoles coraniques ou des sites abritant

des reliques ⎯ et soixante-seize églises et monastères catholiques, les bâtiments historiques

semblent avoir été tout particulièrement pris p our cibles, puisqu’ils présentent des dégâts plus

importants, en moyenne, que les autres bâtimen ts. Aucune des mosquées musulmanes ou églises

catholiques, ni aucun autre établissement religieux ou culturel que j’ai inspecté aux fins de cette

étude n’était intact.

21. Les minarets paraissent avoir constitué des cibles de choix. On peut même cartographier

le territoire qui se trouvait aux mains des forces serbes pendant la guerre de 1992-1995 en Bosnie

par l’absence de minaret. La seule mosquée dont le minaret était encore debout à la fin de la guerre

dans les limites de ce qui cons titue aujourd’hui l’entité serbe de Bosnie, ou Republika Srpska, se

trouve dans le village de Donje Baljvine, près de la ville de Mrkonjic grad; là, les habitants serbes

de Bosnie ont protégé leurs voisins musulmans contre les soldats serbes qu’ils ont empêchés de

détruire la mosquée. - 12 -

Les débuts

19 Mme KORNER : Bien, pouvons-nous maintenant en venir aux débuts de ces destructions, je

vous prie ?

M. RIEDLMAYER :

22. Certainement. Les attaques de l’armée popul aire yougoslave (ou JNA) contre les sites

culturels et religieux des communautés non serb es de Bosnie-Herzégovine ont commencé avant

même le début de la guerre en Bosnie, lequel date du mois d’avril 1992. Les premières dont il a été

fait état remontent à l’automne 1991, et seraient imputables à des sold ats de la JNA en route vers

les champs de bataille de Croatie, ou de retour du front. Pendant la nuit du 23-24 septembre 1991,

des réservistes de la JNA auraient ainsi détr uit à l’explosif la mosquée Ljubovic, bâtie au

e
XVIII siècle, dans le village d’Odzak , au sud de la ville de Nevesi nje, en Herzégovine. Lors des

travaux d’inspection que j’ai effectués pendant l’été2002, j’ai pu constater qu’à l’exception d’un

seul, tous les murs de la mosquée historique s’étai ent écroulés sous l’effet de la déflagration et que

de gros blocs sculptés avaient été projetés à une dist ance considérable par la force de l’explosion.

L’ancien secrétaire de la communauté islamique de Nevesinje m’a fourni copie du mémorandum

qu’il a adressé à propos de cet incident au commanda nt de la JNA le lendemain de l’attaque, qui,

m’a-t-il indiqué, est resté sans réponse. Vous voyez à présent une photo de la mosquée.

[Diapositive : mosquée Ljubovic à Odzak (Nevesinje).] 10

23. Deux semaines plus tard, le 3octobre199 1, des soldats de la JNA en route pour se

joindre aux assiégeants de Dubrovnik ont attaqué le village de Ravno, majoritairement peuplé de

Croates, dans l’est de l’Herzégovi ne. L’église catholique de la Na tivité de la Vierge de Ravno,

e
bâtie au XVI siècle, a subi des dommages considérables, sa toiture s’ étant effondrée sous l’effet

des bombardements. La plupart des maisons du v illage ont également été détruites au cours de

cette attaque.

[Diapositive : Ravno : église catholique endommagée par les tirs d’obus de la JNA.] 11

10Source : l’auteur.

11Zivkovic Ilija (dir. publ.). 199Raspeta crkva u Bosni i Hercegovin i: unistavanje katolickih sakralnih
objekata u Bosni i Hercegovini (1991-1996) (Banja Luka, Mostar, Sarajevo : Biskupska konferencija Bosne i
Hercegovine; Zagreb : Hrvatski informativni centar) [photographie]. - 13 -

24. Parmi les autres incidents qui seraient intervenus avant le début «officiel» de la guerre en

Bosnie, on peut signaler l’attaque de la mosquée hist orique de la ville de Tuzla, prise pour cible le

13octobre1991 par une unité de la JNA qui traver sait la ville en route vers la frontière serbe

depuis la Croatie, ainsi que deux attaques au moins menées à la grenade et à l’arme à feu par des

20 réservistes de la JNA, les 22octobre1991 et 25 janvier 1992, contre la mosquée Osman Pacha,

e
édifiée au XVI siècle, dans la ville méridionale de Trebinje.

25. Les attaques dirigées contre des emblèmes culturels et religieux de Bosnie-Herzégovine

se sont intensifiées en avril1992, à mesure que les soldats de la JNA et les membres de groupes

paramilitaires de Serbie, ayant franchi la Drina, s’em paraient de villes et de villages de l’est de la

Bosnie. Citons notamment le saccage de la mosquée de Bijeljina, à l’est de la Bosnie. Il fut le fait

de membres du groupe paramilitaire d’Arkan, que l’on voit sur cette photo poser avec un trophée

prélevé dans la mosquée au début du mois d’avril 1992.

[Diapositive : Bijeljina : avril 1992.]12

26. A Zvornik et dans la localité voisine de Kozluk, deux villes proches de la frontière serbe

qui ont également été prises au début du mois d’av ril 1992 par des unités venues de l’autre côté de

la Drina, toutes les mosquées ont été détruites, le urs décombres ont été enlevés et les sites rasés

après que la population musulmane de Bosnie eut été chassée ou tuée. Vous voyez ici une

photographie de la plus vieille mosquée de Zvorni k. Si vous regardez attentivement le bâtiment

situé à droite de la mosquée ⎯vous le voyez également sur la photographie prise après sa

destruction ⎯, vous constaterez que la mosquée n’a pas seu lement été démolie mais que le terrain

a en outre été nivelé et l’édifice remplacé par un immeuble d’habitation moderne ⎯comme si la

mosquée ne s’était jamais dressée là.

13
[Diapositive : Zvornik : mosquée Zamlaz, avant et après.]

27. Entre avril et juin1992, la ville méridiona le de Mostar a été pilonnée par les soldats de

la JNA positionnés sur les hauteurs environnantes : douze de ses quatorze mosquées historiques et

les trois églises catholiques de la ville ont été endommagées ou détruites. Les forces de la JNA ont

12
Photographies prises par Ron Haviv (1992).
13 Photographie d’avant-guerre: co mmunauté islamique de Bosnie-Herzé govine (1975); photographie après la
destruction : Conseil de l’Europe, specific section for Bosnia-Herzegovina, Preliminary Phase : Final Report (1998). - 14 -

également détruit l’évêché et sa bibliothèque, ri che de soixante mille ouvrages et manuscrits, les

archives des autorités locales chargées de la préservation des monuments ⎯ parties en fumée ⎯ et

une grande partie du centre historique de la vi eille ville. Vous voyez projetée à l’écran une

photographie du prieuré franciscain de Mostar, et de son église, avant et après 1992.

[Diapositive : Mostar : prieuré franciscain, et son église, avant et après 1992.] 14

21 28. C’est à la période allant de la deuxiè me semaine d’avril1992 au 13mai de la même

année ⎯époque où les assaillants de la ville re levaient officiellement de la JNA ⎯ que des

sources dignes de foi font remonter les bombard ements responsables de ces dommages causés aux

églises, mosquées et autres sites historiques de Mostar. Vous voyez ici une photographie de la

principale mosquée de Mostar avant et après les bombardements. Vous constaterez que le minaret

a été décapité et qu’en s’effondrant, il a enfoncé le toit de la mosquée.
15
[Diapositive : Mostar : mosquée Karadjoz-beg (édifiée en 1557) avant et après 1992.]

29. Comme l’a observé M. Colin Kaiser, qui a enquêté en décembre 1992 sur les dommages

causés aux monuments historiques de Mostar en qualité de rapporteur pour le Conseil de l’Europe :

«Les ravages causés [à Mostar] en comparaison desque ls les dommages subis
par la vieille ville de Dubr ovnik semblent peu importants [souligné dans la version

anglaise du rapport] ⎯ sont dans leur immense majorité imputables à l’artillerie, qui a
eu recours à presque tout ce que pouvait prop oser la panoplie de l’armée yougoslave
en matière de projectiles. Cette artillerie a dé truit les minarets et les toitures, rasé les

constructions de pierre moins importantes, percé des trous d’un mètre et demi de large
dans les façades, fait s’écrouler les murs d’angle et provoqué des incendies dans les
étages supérieurs qui, une fois brûlés, se sont écroulés sur les étages inférieurs, mettant

ainsi définitivement à bas l’ossature interne des bâtiments… Il convient de noter ici
que, selon une évaluation faite sur place, douze des quatorze mosquées dzamija (dont
douze ont été visitées par la mission d’enquête) de la ville de Mostar ont été touchées
et qu’elles occupent toutes les niveaux les plus élevés (4-6) dans l’échelle de

classification des dommages [souligné dans la version anglaise du rapport]. Cinq
minarets ont été abattus sur des hauteurs dive rses et quatre autres touchés. S’il peut
sembler inévitable que des mosquées situées sur un «front» militaire soient touchées,

il est hautement improbable qu’un minaret pui sse être abattu par un seul projectile de
fort calibre, ce qui implique, jusqu’à un certain point du moins, des tirs délibérés.» 16

14Photographie d’avant-guerre: Raic Ciril. 1998. Ciril Ciro Raic i Hercegovina: 45 godina fotografije.

(Mostar : Hercegvacko-Neretvanska zupanija) : 214 (photographie datant des années quatre-vingt); photographie après la
destruction : Institut pour la conservation des monuments, Mostar (photographie : 1992).
15Photographie d’avant la guerre: Njavro, Mato. 1989. Hercegovina: Povijest, kultura, umjetnost (Zagreb:
Privredni vjesnik); photographie après la destruction: Drus tvo arhitekata Mostar. 1992 . Mostar ’92: Urbicid , (dir.
publ.) Ivanka Ribarevic-Nikolic, Zeljko Juric. (Mostar : Drustvo arhitekata Mostar; HVO Opcine Mostar), planche 16.

16Conseil de l’Europe, rapport d’information : La destruction par la guerre du patrimoine culturel de la Croatie et
de la Bosnie-Herzégovine présenté par la Commission de la culture et de l’éducation. Assemblée parlementaire,
doc. 6756, 2 février 1993, par. 129, 155. - 15 -

Mme KORNER : Puis-je vous interrompre un instant, MonsieuR riedlmaye?r

Pourriez-vous, je vous prie, indiquer à la Cour qui est M. Colin Kaiser ?

M.RIEDLMAYER: M. Colin Kaiser exerce, depuis environ dix ans, les fonctions de

représentant de L’UNESCO en Bosnie-Herzégovine. A l’époque, en 1992, il s’était rendu à Mostar

en mission pour L’UNESCO et le Conseil de l’Euro pe, afin d’évaluer les dommages causés par la

guerre.

Mme KORNER : Je vous remercie.

M. RIEDLMAYER :

30. La JNA a, au cours de ces attaques de 1992, également pris pour cible le célèbre

Vieux-Pont de Mostar, bâti en 1556. Le pont lu i-même a subi des dommages qui, vous pourrez le

constater en bas à droite, ont fragilisé sa structur e, et les tours médiévales flanquant cet ouvrage

22 historique de part et d’autre de la Neretva ont été gravement endommagées. Comparez, ici en haut,

les photographies prises avant et après la destruction, et vous pourrez vous faire une idée de

l’ampleur des dégâts.

[Diapositive : Mostar 1992 : dommages causés au Vieux-Pont.] 17

31. On le sait, c’est au cours du second sièg e de Mostar, mené entre1993 et1994 par les

forces croates, que le Vieux-Pont s’est effondré. Mais c’est du siège organisé par la JNA depuis

avril jusqu’à juin1992 que datent l’essentiel d es dommages causés au patrimoine culturel et

religieux de Mostar. Les forces croates ont pu parachever la destruction du Vieux-Pont, mais

s’agissant des bâtiments de la vieille ville dont b eaucoup étaient déjà en ruines, elles ne pouvaient

tout au plus que remuer les gravats.

32. Le même scénario s’est reproduit dans des villes et des villages de l’intégralité du

territoire de la Bosnie-Herzégovine. Le 6avr il1992, a commencé le pilonnage par la JNA du

centre historique de la capitale bosniaque de Sa rajevo, qui, hormis de brefs cessez-le-feu, allait

durer trois ans et demi.

17
Photographie d’avant-guerre: Aga Khan Trust forCulture (1981); photographies après la destruction:
Drustvoarhitekata Mostar. 1992 . Mostar ’92: Urbicid , (dir. publ.) Ivanka Ribarevic- Nikolic, Zeljko Juric. (Mostar:
Drustvo arhitekata Mostar; HVO Opcine Mostar). - 16 -

Sarajevo

Mme KORNER : Oui. Pouvez-vous maintenant vous concentrer sur la destruction des sites

culturels et religieux de Sarajevo ?

M. RIEDLMAYER :

33. D’emblée, ou presque, les emblèmes religie ux et culturels de la capitale bosniaque ont

été attaqués. L’église catholique Saint-Joseph, dans le quartier de Marindvor, a été pilonnée par les

forces de la JNA positionnées sur l’autre rive du fleuve dans le faubourg de Grbavica, à la mi-avril,

et touchée par plus de trente projectiles.

[Diapositive : Sarajevo : mosquée Gazi Husrev Beg ⎯ impacts d’obus.] 18

34. La plus importante et célèbre mosquée de Sarajevo, la dzamija Gazi Husrev-begova, a

été bombardée le 3mai1992 ⎯ce devait être la première d’une longue série d’attaques dirigées

contre cet emblème historique. La carte que vo us voyez projetée à l’écran, établie en 1993 par la

fédération des architectes de Sarajevo, montre l’emplacement des impacts sur la mosquée

23 elle-même ou aux alentours. Nul besoin d’êt re spécialiste pour comprendre que la mosquée

⎯ l’édifice doté du dôme circulaire que l’on voit au milieu de la carte ⎯ était bel et bien la cible

visée, elle n’a pas été touchée par hasard.

35. Dans la nuit du 17 au 18mai1992, le mi naret de l’une des plus vieilles mosquées de

Sarajevo ⎯la mosquée Sheikh Magribija, édifiée en 1538 ⎯ s’est effondré sous l’effet de tirs

nourris d’artillerie; la mince flèche de pierre s’ est abattue sur la toiture, causant à celle-ci des

dégâts considérables.

[Diapositive : mosquée Sheikh Magribija.] 19

36. Il convient de souligner qu’un minaret, de par sa forme élancée, est une cible difficile à

abattre de loin. Le démolir exige souvent de no mbreuses tentatives et il faut l’exposer à des tirs

nourris.

18
Fédération des architecte s de Sarajevo. 199Urbicid Sarajevo: dossier (Sarajevo: Drustvo arhitekata,
Marseille : Arc en rêve centre d’architecture).
19Institut cantonal pour la protection du patrimoine culturel, Sarajevo (photographies : mai 1992). - 17 -

37. Il convient également de noter que les at taques de monuments culturels que je viens de

mentionner, ainsi que d’autres, telles que le p ilonnage de l’Institut orie ntal de Sarajevo, le

17 mai 1992 ⎯sur lequel je reviendrai plus tard ⎯, ont été le fait de la JNA, avant son prétendu

retrait de Bosnie-Herzégovine.

Mme KORNER: D’accord. Vous avez indiqué à la Cour que les minarets étaient, de par

leur forme élancée, des cibles difficiles à aba ttre de loin. Sur quoi vous fondez-vous pour

l’affirmer ?

M.RIEDLMAYER: Eh bien, sur la vaste expérience que j’ai pu acquérir, Madame et

Messieurs de la Cour. Tout d’abord, j’ai pu voir ⎯au cours des différents voyages d’inspection

que j’ai été appelé à faire dans les Balkans ⎯ plusieurs centaines de cas de destruction de ce type.

Je ne suis pas un expert militaire mais je sais certa ines choses sur ces bâtiments. Les minarets sont

traditionnellement en briques et il faut beaucoup les maltraiter pour les ébranler. Vous pouvez en

enlever un pan entier, voire percer un minaret de pa rt en part sans qu’il s’effondre. De sorte que

très souvent, un minaret qui a été décapité ⎯ et c’est le cas de figure le plus fréquent ⎯ sera criblé

de trous, ce qui prouve qu’on a en même temps cher ché à l’abattre. C’est aussi le simple bon sens

qui me fait dire qu’un minaret, qui mesure tout au plus quelques mètres de large, ne constitue pas

une cible particulièrement facile à atteindre de loin.

Des exemples de 1992

Mme KORNER: Je vous remercie. Je crois que vous alliez donner d’autres exemples de

dommages et de destructions.

24 M. RIEDLMAYER :

38. En effet, la destruction des emblèmes cultu rels et religieux de Bosnie s’est poursuivie et

intensifiée à la fin du printemps et au cours de l’été 1992. Aussi terribles qu’aient été les attaques

contre les emblèmes culturels de villes assiégées te lles que Sarajevo, Mostar et Maglaj, celles-ci - 18 -

n’étaient rien par rapport aux destructions syst ématiques commises hors du cadre du conflit armé,

dans des zones de la Bosnie-Herzégovine déjà conquises par les forces serbes, ou que celles-ci

avaient prises à la veille de la guerre, sans co mbat, comme vous pourrez le constater dans certains

des exemples suivants.

39. Dans les mois qui ont suivi la prise par l es forces aériennes serbes de Foca, sur la Drina,

en avril 1992, les quatorze mosquées historiqu es de cette localité ont été systématiquement

incendiées ou détruites à l’explosif, les décombres de treize d’entre elles ont ensuite été rasés au

moyen d’équipements lourds, et jetés dans le fleuve ou dans des décharges.

[Diapositive : Foca : Aladza dzamija, avant et après.] 20

40. La diapositive projetée à l’écran montre la mosquée Aladza (dzamija), la plus célèbre et

sans doute la plus belle des quatorze mosquées de Fo ca, édifiée en 1550 et détruite en août 1992.

A droite, vous voyez le trou béant laissé par sa destruction à l’explosif et le déblaiement des ruines.

Vous voyez encore les traces de ses fondations dans l’herbe, et les fragments circulaires de la

fontaine réservée aux ablutions à l’entrée.

21
[Diapositive : Nevesinje : mosquée de l’empereur (bâtie en 1485) ⎯ avant et après.]

41. Les forces de la JNA et les miliciens serbes se sont emparés de la ville méridionale de

Nevesinje, en Herzégovine, au début de la guerre , sans qu’un coup de feu ait été échangé. Les

nouvelles autorités serbes ont contraint les habitant s musulmans et croates à quitter la ville. Les

deux anciennes mosquées de Nevesinje, dont l’une avait plus de cinq cents ans et l’autre datait du

XVII e siècle, ont ensuite été détruites à l’explosif, de même que l’église catholique, puis les terrains

ont été déblayés et les décombres déversés dans une décharge à l’extérieur de la ville.

22
25 [Diapositive : Nevesinje : église catholique ⎯ avant et après.]

42. Vous voyez ici l’église catholique, et sur la diapositive précédente, vous avez pu voir la

mosquée vieille de cinq siècles. Si vous regard ez l’église attentivement, vous constaterez que

20 Photographie d’avant-guerre : Benac Alojz (dir. publ.). 1980. Bosna i Hercegovina (Beograd : Jugoslovenska
revija; Sarajevo : Svjetlost); photographie après la destruction : Lucas Kello (1996), collection de l’auteur.

21 Photographie d’avant-guerre: Navro Mato (1989). Hercegovina : Povijest, kultura, umjetnost (Zagreb:
Privredni vjesnik); photographie après la destruction : l’auteur (2002).

22 Photographie d’avant-guerre: Ciril Raic. 1998. Ciril Ciro Rajic i Hercegovina: 45 godina fotografije
(Mostar : Hercegovacko-neretvanska zupanija) : 299 (photographie datant des années quatre-vingt); photographie après la
destruction : l’auteur (2002). - 19 -

devant la façade se dressait un petit muret. V ous le voyez également sur la photographie prise

après la destruction: ce muret et les arbres sont les seuls éléments indiquant qu’il s’agit bien du

même site. Toutefois, j’ai aussi le plan cadastral du site, qui atteste sans l’ombre d’un doute que

l’église a bel et bien existé.

Il en va de même pour Banja Luka, ville située au nord de la Bosnie, prise par les

nationalistes serbes à la veille de la guerre, où aucun combat ne s’est déroulé pendant le conflit. En

l’espace de neuf mois, entre avril et décembre 1993, les seize mosquées que comptait la ville ont

été systématiquement détruites. Ces destructi ons sont intervenues alors que la ville était

entièrement contrôlée par les autorités serbes.

Banja Luka

Mme KORNER : Bien, pouvons-nous maintenant parler de Banja Luka ?

M. RIEDLMAYER :

43. D’après les témoins oculaires que j’ai interrogés, les deux principales mosquées de la

ville, la mosquée Ferhadija (édifiée en 1578) et la mosquée Arnaudija (datant de 1587), ont toutes

deux été détruites par des sapeurs alors que le couvre-feu était en vigueur, dans la nuit

du 7 mai 1993. Vous voyez apparaître à l’écran la mosquée Ferhadija. Regardez attentivement : à

l’arrière-plan à gauche de la mosquée, s’él ève un bâtiment qui appartient à la communauté

islamique, vous le verrez sur la prochaine photographie. Le lendemain de l’explosion, les autorités

municipales sous contrôle serbe ont mobilisé de s équipes d’ouvriers des travaux publics pour

morceler, au moyen d’équipements lourds, les décombres. Ces équipes ont eu recours à de

nouvelles charges d’explosifs pour détruire la massi ve base du minaret de la mosquéeFerhadija.

Malgré les prières des Musulmans demeurés da ns la ville, les décombres de ces mosquées

historiques ont été emportés par camions jusqu’à la décharge municipale et ensevelis sous des

tonnes d’ordures afin d’empêch er toute réutilisation des matériaux pour une éventuelle

reconstruction.

Mme KORNER : Monsieur Riedlmayer, puis-je vous interrompre un instant? Je voudrais

vous demander de revenir sur le terme «sapeur». - 20 -

26 M.RIEDLMAYER: «Sapeur.» En l’espèce, je n’emploie pas le terme à la légère; je

l’utilise pour décrire les faits tels que mes entretiens avec des témoins oculaires m’ont permis de les

reconstituer. A la veille de la destruction de la mosquée, les rues alentour ont été interdites à la

circulation, des témoins ont vu arriver des cami ons militaires, et il m’a été rapporté que les

résidents des immeubles proches avaient été invit és à ouvrir leurs fenêtres pour éviter qu’elles se

brisent sous l’effet de l’explosion. Celle-ci s’est produite bien après minuit, alors que la ville était

sous couvre-feu, et le mufti de Banja Luka, que j’ai également interrogé, et qui vivait dans ce

bâtiment, juste derrière la mosquée, a assisté à la scène.

Mme KORNER : Je suis désolée, c’est ma faute ⎯ que signifie le terme «sapeur» ?

M. RIEDLMAYER : Les «sapeurs» sont des sold ats du génie spécialisés dans le maniement

des explosifs; quand il s’agit d’une démolition d’une telle ampleur, que l’on constate la présence de

camions militaires et que les rues sont interdites à la circulation par les autorités, cela signifie que

l’on a affaire à des professionnels.

Mme KORNER : Je vous remercie. Je suis désolée de vous avoir interrompu.

M. RIEDLMAYER :

23
[Diapositive : Banja Luka : mosquée Ferhadija (édifiée en 1578).]

44. Nous poursuivrons maintenant avec notre première séquence vidéo, qui montre la

destruction de la mosquéeFerhadija. Elle a été enregistrée par M.BedrudinGusic, qui fut, de

mai1992 à1994, le président élu du comité de la communauté islamique de BanjaLuka.

Pourriez-vous projeter la séquence, je vous prie ?

[Séquence n o1: destruction de la mosquéeFerhadija à BanjaLuka ⎯ durée: uneminute

24
vingt secondes.]

Vous voyez ici la mosquée telle qu’elle se dressai t autrefois : elle avait été construite par le

fondateur de Banja Luka, Ferhad Pacha Sokolovic, à qui l’on doit également la tour de l’horloge et

plusieurs établissements d’enseignement, et le s ite renfermait aussi le mausolée du fondateur,

23Photographie d’avant-guerre : Ayverdi, Ekrem Hakk ı. 1981. Avrupa’da Osmanl ı mimârî eserleri, III. cild 3.
kitap: Yugoslavya. (Istanbul : Istanbul Fetih Cemiyeti) : planche 46.

24Source: séquence vidéo montrant la mosquée de Fe rhadija et sa destruction, enregistrée en1993 par
BedrudinGusic, qui était alors le président élu du code la communauté islamique de Banja Luka, soumise par la
Bosnie-Herzégovine le 16 janvier 2006, DVD n15 et 16. - 21 -

comme vous pouvez le constater sur cette vue. Nous montrerons brièvement l’intérieur de la

mosquée, pour que vous puissiez en apprécier la sp lendeur. Et maintenant , vous la voyez telle

qu’elle apparaissait au lendemain de l’explosion. Juste un instant: voici la niche de prière de la

mosquée; et voici le tronçon de base du minaret, seul vestige de la structure historique; et vous

27 voyez, à l’arrière-plan, les lourdes machines auxquelles l’on a immédiatement eu recours pour

déblayer les ruines. Et voici maintenant le s ite tel qu’il se présente à peine quelques semaines plus

tard : le sol a été nivelé, et le seul édifice que l’on voit est le bâtiment de la communauté islamique

qui se dresse à l’arrière du site. Comme si celle-ci n’avait jamais existé.

Mme KORNER : La mosquée a-t-elle déjà été reconstruite ?

M. RIEDLMAYER : Non.

45. Cinq mosquées ont également été détruites à l’explosif dans la nuit du 13mars1993 à

Bijeljina, ville située à l’est de la Bosnie qui se trouvait sous le contrôle incontesté des forces

serbes depuis près d’un an. Dans les jours qui ont suivi, alors que la ville accueillait l’assemblée de

la «Republika Srpska», contrôlée par les Serbes depuis le début de la guerre, des équipes d’ouvriers

municipaux ont déblayé les décombres de la mosqué e devant les habitants musulmans de la ville,

terrorisés, que des files de bus et camions s’apprêtaient à emmener.

[Diapositive : Bijeljina : mosquée Atik (édifiée en 1530) avant et après la destruction.] 25

46. Des journalistes se sont rendus à Bijeljina pour constater que des herbes et des arbres

avaient été plantés sur les sites déblayés des mosqué es détruites. Vous voyez un de ces sites sur la

photo projetée à présent ⎯une photo que j’ai prise en2003. Vous voyez qu’à ce moment-là, la

mosquée n’avait toujours pas été reconstruite.

47. Le transport des décombres des mosquées vers des décharges et le nivellement des

terrains semblent avoir été pratique courante dans les villes de Bosnie prises par les forces serbes

au cours de la guerre. Dans certains cas, comme celui de la mosquée Savska à Brcko, mosquée

datant du XVIII esiècle, les forces serbes sont allées jusqu’à déterrer les fondations et à utiliser les

débris des mosquées pour ensevelir, dans un charnier situé à l’extérieur de la ville, des habitants

musulmans massacrés.

25Photographie d’avant-guerre: Toma sevic Nebojsa (dir. publ.). 1980. Treasures of Yugoslavia: An
Encyclopedic Touring Guide (Belgrade: République yougoslave): 268; phoographie après la destruction: l’auteur

(2002). - 22 -

[Diapositive : église catholique en ruine à Sasina.] 26

48. Parfois aussi, des civils nonserbes ont ét é massacrés et enterrés sur l’emplacement de

lieux de culte. C’est ce qui s’est produit sur le s ite de l’église paroissiale catholique du village de

Sasina, près de Sanski Most, au nord-ouest de la Bo snie. Cette église a été détruite à l’explosif par

28 les forces serbes le 28 juillet 1995. Deux mois pl us tard, le 21 septembre 1995, alors que la guerre

touchait à sa fin, quelque soixante-cinqcivils non serbes, tant musulmans que croates, ont été

conduits sur le site où l’église s’élevait autrefoi s et exécutés par des paramilitaires serbes, qui les

ont ensuite ensevelis dans une fosse commune au pied de l’église.

MmeKORNER: Je vous interromps encore un instant: d’où tenez-vous ces dernières

informations ?

M.RIEDLMAYER: De plusieurs sources, Madame . J’ai d’abord interrogé l’évêque de

BanjaLuka, FranjoKomarica, dans le diocèse duquel le fait s’est produit, et qui m’a fourni des

indications sur la destruction de l’église. Les informations sur l’incident du 21septembre1995

viennent de dépositions et d’élém ents de preuve présentés sous serment dans le cadre du procès

de Milosevic.

Mme KORNER : Je vous remercie. Vous pouvez poursuivre.
27
[Diapositive : mosquée d’Hanifici, avant et après.]

M. RIEDLMAYER :

49. Dans d’autres cas, la destruction des lie ux de culte non serbes était plus directement

encore liée aux massacres et mauvais traitements dont ont été victimes les civils. Citons le cas de

la mosquée du village d’Hanifici, dans la munici palité de Kotor Varos, dans l’enceinte de laquelle

plus de trente fidèles ont été brûlés en 1992, d’après les informations recueillies.

Le PRESIDENT: Permettez-moi de vous interrompre pour dire que j’ai l’impression que

nous nous éloignons ici de l’objet de votre e xposé, qui est l’exposé d’un expert du domaine à

l’étude. Pourriez-vous vous en tenir à ce domaine, et non à des faits, ou à des faits allégués, qui

sortent de ce cadre ? Je vous remercie.

26
Photographie d’avant-guerre: Zi vkovic Ilija (dir. publ.). 199Raspeta crkva u Bosni i Hercegovini:
unistavanje katolickih sakralnih objekata u Bosni i Hercegovini (1991.-1996.) (Banja Luka, Mostar, Sarajevo: Biskupska
konferencija Bosne i Hercegovine; Zagreb : Hrvatski informativni centar); photographies d’après-guerre : l’auteur.
27Source : l’auteur. - 23 -

M. RIEDLMAYER : Je comprends, Madame le prés ident. Ce que je voulais faire observer

ici, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de destruction de l’architecture; la symbolique de cette

destruction, le lien avec la communauté dont ces cons tructions étaient les emblèmes et les divers

actes en rapport avec cette architecture ⎯ qu’il s’agisse de déblayer les décombres d’une mosquée

et de les déverser sur des charniers, ou de co mmettre des atrocités dans l’enceinte de mosquées ⎯

me semblent être autant d’aspects essentiels du tableau que je voudrais brosser. Il n’est pas

seulement question de briques et de mortier. Donc…

Le PRESIDENT : Continuez, je vous prie.

29 M. RIEDLMAYER : Je vous remercie.

50. On peut également citer le cas de l’église catholique de Brisevo, dans la municipalité de

Prijedor, incendiée par les forces serbes au cour s d’une attaque lancée en juillet1992: outre

l’église, ce sont toutes les maisons du village qui ont été réduites en cendres, et pas moins de

soixante-dixparoissiens, dont d es femmes et des enfants, ont été massacrés. Lorsque je me suis

rendu sur place, dix ans plus tard, pas une famille n’était revenue au village, et la forêt commençait

à recouvrir de nouveau les maisons, les ruines de l’église et les champs autrefois cultivés.

La nature des destructions

Mme KORNER : Madame le président, nous avons un petit problème technique. Merci. Eh

bien, je pense que la vue est dans le lot de photographies…

M. RIEDLMAYER : Bien, elle est à l’écran maintenant…

[Diapositive : église catholique de Brisevo, avant et après.] 28

Mme KORNER : Ça y est, nous avons l’image.

M. RIEDLMAYER : Oui, vous voyez ici Brisevo avant et après : il s’agit là, pour l’essentiel,

de la disparition d’une communauté et de sa civilisation représentées par leur structure centrale. Je

pense que j’en ai terminé avec cette section.

28Photographie prise avant la guerre : Zivkovic Ilija, (dir. publRaspeta crkva u Bosni i Hercegovini:
unistavanje katolickih sakralnih objekata u Bosni i Hercegovini (1991-1996) (Banja Luka, Mostar, Sarajevo: Biskupska

konferencija Bosne i Hercegovine; Zagreb: Hrvatski informativni centar); photographie prise après la guerre : l’auteur. - 24 -

Mme KORNER : Vous nous avez donné des exemples du type de destruction. Pourriez-vous

dire quelques mots à la Cour de la nature destructions, de manière générale, d’après ce que

vous savez, vous qui avez enquêté sur tous ces sites ?

M. RIEDLMAYER :

51. Oui, la destruction des mosquées et d es églises catholiques semble avoir été délibérée,

très répandue et systématique dans toutes les régi ons contrôlées par les forces serbes. Je fonde

cette conclusion sur les résultats de l’enquête que j’ai menée sur le terrain et sur le fait que, d’après

ce que j’ai pu constater, la majorité des destructions a eu lieu en marge du conflit armé.

Mme KORNER : Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là, s’il vous plaît ?

30 M.RIEDLMAYER: Quand je dis «en marge du conflit armé», cela signifie que ces

bâtiments n’ont pas été détruits du fait de tirs croi sés au cours d’une action militaire, mais qu’ils

ont été détruits soit en l’absence de tout combat, soit après la fin des combats.

52. Les déclarations de personnes ayant pticipé au «nettoyage ethnique» ainsi que de

personnes qui en étaient la cible montrent qu’elles étai ent tout à fait conscientes de l’impact réel et

délibéré de la destruction des lieux de culte et autres symboles de la communauté prise pour cible.

53. La ville de Visegrad, située dans l’esde la Bosnie, a été le théâtre d’atrocités

particulièrement brutales infligées à …

Le PRESIDENT : Monsieur Riedlmayer, je me vois dans l’obligation de vous interrompre de

nouveau. Vous avez fait votre déclaration en qlité d’expert, aussi vais-je vous demander de

passer au paragraphe 59 de l’exposé que vous nous destinez.

M. RIEDLMAYER : Oui. Merci, madame le président.

…54.

…55.

…56.

…57.

…58.

59. Après que la ville de Srebrenica a éenvahie par les forces du général Mladic en

juillet1995, que les habitants musulmans de Bosnie vivant dans cette ville ont été expulsés (pour - 25 -

ce qui concerne les femmes, les enfants, les personnes âgées) ou tués (s’agissant de quelque

huitmille hommes et garçons), toute trace du patrimoine musulman a également été détruite à

Srebrenica. Les cinq mosquées de la ville, qui étai ent toutes encore en état lorsque Srebrenica est

tombée, ont été détruites, tout comme les archives religieuses qui retraçaient l’histoire de la

communauté musulmane de la ville et recensaient ses biens.

29
[Diapositive : Srebrenica : mosquée Crvena Rijeka, avant, pendant et après la guerre.]

60. La diapositive que vous voyez montre la deuxième mosquée la plus ancienne de

Srebrenica, une mosquée traditionnelle bosniaque de village avec un minaret en bois, dans l’état

dans lequel elle était avant la guerre. Derrière la mosquée, le bâtiment moderne de l’imam abritait

les bureaux, la bibliothèque et les archives de la communauté musulmane de Srebrenica. Il était

31 également utilisé à d’autres fins religieuses. Le 1 erjanvier 1993, alors que Srebrenica était assiégée

par les forces serbes de Bosnie, un avion militaire qui, selon des témoins oculaires, venait de Serbie

et avait franchi la Drina aurait lâché une bombe sur la mosquée. Les dégâts ont été réparés par des

personnes du voisinage, que l’on peut voir, sur la deuxième diapositive, assistant aux prières du

vendredi après avoir effectué lesdites réparations . Deux ans et demi après, un bon nombre des

hommes figurant sur cette photographie étaient morts et la mosquée détruite , ses ruines déversées

par des bulldozers dans une ravine boisée située à l’arrière. Lorsque j’ai pris la troisième

photographie, en 2002, le bâtiment de l’imam avait ét é réparé et une famille y vivait. Mais il n’y

avait plus aucune trace de la moquée, ni des Musulmans des environs.

[Diapositive : Srebrenica : mosquée Petric Mahala, avant et après.] 30

61. Cette diapositive montre une autre mosquée de Srebrenica et illustre bien la manière dont

les mosquées ont été détruites en dehors de toute action militaire menée en Bosnie. Cette mosquée,

située dans le quartier Petric Mahala de Srebrenica, était encore intacte lorsque les forces serbes ont

pris la ville en juillet 1995, ce qu’atteste une vi déo réalisée à l’époque par le reporter serbe

GoranPetrovic. Six mois plus tard, après la fi n de la guerre, alors que les premiers soldats de

maintien de la paix de l’IFOR arrivaient à Srebrenica, la mosquée n’était plus que la ruine que vous

29
Photographie prise avant la guerre: Institute for the Prot ection of Cultural, Historical and Natural Heritage of
Bosnia and Herzegovina; photographies de 1993 : Zene Srebrenice; photographie prise après la guerre : l’auteur (2002).
30Photographies prises après la guerre : IFOR (1996); Conseil de l’Europe (1998). - 26 -

pouvez voir sur la photographie de gauche. Elle avait été détruite à l’explosif, les charges ayant été

placées dans la cage d’escalier située au centre du minaret, lequel s’est effondré sur le bâtiment et a

enfoncé le toit. On voit la façon caractéristique dont la base du minaret s’est évasée sous la force

de l’explosion. Sur la photo de droite, on vo it ce site deux ans après, en 1998, après que les

autorités serbes locales l’ont déblayé au bulldozer, effaçant ainsi toute trace de mosquée et de

Musulmans dans le quartier Petric Mahala.

31
[Diapositive : Kalata (près de Kozarac) : mosquée dont le minaret s’est effondré.]

62. On retrouve la même technique de d estruction, laquelle témoigne de certain

professionnalisme, dans le cas de cette mosquée centenaire située près de Kozarac, détruite

en 1992, époque à laquelle la région a subi le «ne ttoyage ethnique» pratiqué par les forces serbes.

Les charges ont été placées de manière que le haut minaret de pierre s’effondre directement sur le

frontispice de la mosquée et l’écrase. La mosquée de Hanifici, que j’ai montrée précédemment,

était un exemple de ce que j’appellerais une technique relevant plus de l’amateur, le haut minaret

de pierre tombant en dehors de l’édifice.

32 [Diapositive: Presnace: église paroissiale catholi que, avant et après; père FilipLukenda et

32
sŒur Cecilija Grgic.]

63. Ici, nous voyons une église catholique, et si vous regardez en bas à gauche, vous la

verrez après son explosion; encore une fois, il ne s’agit pas d’un édifice qui a été pris entre

deux feux; il est manifeste que des charges d’explosif ont été placées à l’intérieur. On voit que le

clocher s’est effondré et que, parmi les ruines, les colonnes de l’édifice sont éventrées. A droite, on

voit le prêtre et une religieuse qui ont été tués da ns la maison voisine, laquelle a, elle aussi, été

incendiée.

[Diapositive : Divic (Zvornik) ⎯ mosquée avant et après.] 33

64. Diapositive suivante, s’il vous plaît. Il s’ agit là d’une mosquée de Divic, juste au sud de

Zvornik. Lors du dernier recensement effectué avant la guerre, en1991, milletroiscent

31
Source : Thomas Keenan (1998).
32 Zivkovic Ilija (dir . publ.). 1997Raspeta crkva u Bosni i Hercegovini: unistavanje katolickih sakralnih
objekata u Bosni i Hercegovini (1991-1996). (Banja Luka, Mostar, Sarajevo: Biskupska konferencija Bosne i
Hercegovine; Zagreb : Hrvatski informativni centar).

33 Photographie prise avant la guerre : Su ljkic, Hifzija. 1981. «Dzamija u Divicu», Glasnik Vrhovnog islamskog
starjesinstva u SFRJ 44/br. 5-6: 544; photographie prise après la guerre : l’auteur (2002). - 27 -

quatre-vingt-huit Musulmans de Bosnie et quatre Serbes vivaient à Divic. Le 26 avril 1992, la JNA

est entrée dans Divic et a dit à tous les hommes musulmans de se rassembler devant la mosquée et

de rendre leurs armes. Après l’expulsion de la population musulmane et la destruction de la

mosquée du village, Divic a été rebaptisée Sveti Stefan ⎯ du nom du saint Stéphane chrétien ⎯ et

a été repeuplée par des Serbes venant d’autres régions de Bosnie. Une église orthodoxe serbe a été

construite sur l’emplacement de la mosquée rasée et de l’ancien cimetière musulman, détruit lui

aussi. Cette nouvelle église orthodoxe que vous pouvez voir à droite existe encore aujourd’hui et

ce, malgré les ordres répétés de la Chambre des droits de l’homme de Bosnie-Herzégovine. De

toute évidence, l’objectif poursuiv i était d’anéantir aussi bien la communauté vivant à Divic que

son identité historique, culturelle et religieuse et même le simple souvenir de son existence.

Mme KORNER: Vous venez d’évoquer la Chambre des droits de l’homme de

Bosnie-Herzégovine. Est-elle uniquement co mposée de Bosniaques ou est-elle également…

internationale ?

M. RIEDLMAYER: Il s’agit d’un organe judiciaire mixte, international et local, créé par

l’accord de paix de Dayton, qui reçu pour mission de trancher des litiges relatifs aux droits de

l’homme portés devant lui.

33 Les attaques visant les archives culturelles

MmeKORNER: Pourrions-nous, s’il vous pl aît, passer maintenant à la question des

attaques visant les archives culturelles de la Bosnie-Herzégovine ?

M. RIEDLMAYER :

34
[Diapositive : anciens registres paroissiaux détruits par les flammes.]

65. Un autre aspect essentiel de toute tentative de destruction d’une communauté consiste à

anéantir toutes les archives écrites de son existence. Des attaques visant les bibliothèques et les

archives religieuses concernant les groupes pris pour cibles auraient eu lieu dans la majorité des

municipalités dans lesquelles j’ai enquêté en Bosn ie. Avant l’introduction de l’état civil au

34Photographies prises avant la guerre : Raic Ciril. 1998. Ciril Ciro Raic i Hercegovina : 45 godina fotografije .
(Mostar : Hercegvacko-Neretvanska zupanija); photographie des archives brûlées du monastère catholique de Grbavica :
Zivkovic, Ilija (dir. publ.). 1Raspeta crkva u Bosni i Hercegovini: uni stavanje katolickih sakralnih objekata u
Bosni i Hercegovini (1991-1996). (Banja Luka, Mostar, Sarajevo: Biskupska konferencija Bosne i Hercegovine; Zagreb :

Hrvatski informativni centar). - 28 -

XX siècle, l’histoire des indivi dus, des familles et des groupes composant ces communautés était

consignée dans les archives des communautés musu lmanes locales et des paroisses catholiques.

Vous pouvez voir, à gauche, deux exemples de registres paroissiaux anciens, datant du

e
XVIII siècle. A droite, vous voyez les archives dé truites d’une communauté religieuse catholique

de Grbavica, dans la banlieue de Sarajevo.

35
[Diapositive : archives musulmanes de Vakuf détruites et bibliothèque de Foca.]

66. Cette photographie montre les archives musulmanes situées à l’arrière de la mosquée de

Foca, dans lesquelles étaient, là encore, c onsignées des informations importantes pour la

communauté et importantes aussi du point de vue économique, pour la survie de cette communauté,

car, dans ces archives, figuraient des actes et autr es documents concernant les dons et autres biens

divers qui entretenaient l’existence de la co mmunauté en favorisant l’organisation d’activités

religieuses, caritatives et éducatives.

[Diapositive: photographies de documents incen diés, l’Institut oriental détruit par les

flammes.] 36

67. Toutefois, les attaques les plus violentes qui aient visé les archives écrites de la Bosnie

ont eu lieu au tout début de la guerre. Le 17 mai 1992, l’Institut d’études orientales de Sarajevo a

été bombardé au moyen de projectiles incendiaires tirés depuis les positions serbes. Il a brûlé et,

avec lui, l’intégralité de ses collections. Parmi ces dernières figuraient les archives de l’ancienne

34 province ottomane ⎯soit plus de deux cent mille documents ⎯et les registres cadastraux qui

donnaient l’état de la propriété foncière en Bosnie -Herzégovine à la fin de la période ottomane. A

également été détruite la plus riche collection de manuscrits musulmans du pays ⎯ plus de cinq

mille manuscrits anciens en arabe, turc, persan et bosniaque ⎯ or, nombre de ces ouvrages étaient

uniques; ils étaient le produit de cinq siècles d’histoire et de culture bosno-musulmane. Ils ont tous

été détruits. Ce sont 99% de la collection de l’Institut qui ont entièrement brûlé. Vous pouvez

voir, à gauche, des manuscrits détruits par l es flammes et, à droite, un exemple de document

judiciaire.

35Photographie prise avant la guerre: Ayverdi, Ekrem Hakk ı. 1981. Avrupa’da Osmanl ı mimârî eserleri, III.

cild 3. kitap: Yugoslavya. (Istanbul: Istanbul Fetih Cemiyeti): pl.202; photographie prise après la guerre: LucasKello
(1996), collection de l’auteur.
36Photographies (1992) reproduites avec l’aimable autorisation du Orijentalni institut u Sarajevu. - 29 -

68. Comme il ressort de mon enquête, l’Institu t oriental avait manifestement été pris pour

cible. D’après ce que m’ont rapporté des témoins oc ulaires, l’édifice a été la cible d’un feu nourri

de bombes incendiaires, tirées depuis des positions situées sur les collines dominant le centre ville.

Les bâtiments avoisinants, dans ce quartier qui est de nsément construit, sont toujours intacts. J’ai

également parlé à des employés, à des riverains et à des pompiers ayant répondu à l’alerte au feu, et

je suis donc vraiment sûr de ce que j’affirme.

69. Le 25août1992, la Bibliothèque nationale de Bosnie a été bombardée et incendiée par

un tir nourri d’obus incendiaires provenant de nombreuses positions de l’armée des Serbes de

Bosnie (la VRS) situées sur les hauteurs dominant la vieille ville. Alors que les pompiers luttaient

contre le feu, les assaillants ont rasé les alentours de la bibliothèque à la mitrailleuse et au canon

antiaérien, tirant au niveau du sol afin d’empêch er les pompiers et les volontaires d’extraire les

livres du bâtiment en proie aux flammes. Envir on 1,5million de volumes, dont le fond principal

des collections de la Bibliothèque nationale et la majeure partie des ouvrages culturels de la Bosnie,

auraient été consumés par les flammes lors de ce qui fut l’autodafé le plus important de toute

l’histoire moderne. Là encore, la bibliothè que fut l’unique cible des obus incendiaires. Les

bâtiments longeant les rues étroites qui entourent l’ancienne bibliothèque sur deux de ses trois

façades sont aujourd’hui encore intacts. J’ai merais, si vous m’y autorisez, présenter un deuxième

enregistrement vidéo de courte durée.

o
[Enregistrement vidéo n 2 : Sarajevo ⎯ incendie de la Bibliothèque nationale de

Bosnie-Herzégovine ⎯ 25-26 août 1992 ⎯ durée : une minute quarante-sept secondes.] 37

Là, vous voyez la bibliothèque le lendemain de l’attaque; elle est déjà en proie aux flammes,

certaines s’échappent du bâtiment, et les pompiers sont à l’Œuvre. Malheureusement, l’eau avait

été coupée et n’arrivait plus en ville, les forces serbes de Bosnie ayant le contrôle de l’adduction

d’eau. Les pompiers, à l’intérieur du bâtiment, essayent d’éteindre l’incendie et de sauver les

35 collections. Là, vous allez voir l’image terrible de la bibliothèque en feu et les pages d’un million

d’ouvrages qui dansent dans les flammes. Encore une fois, j’ai interrogé une bonne douzaine de

pompiers qui ont pris part au sauve tage des livres et qui ont particip é à la tentative d’extinction.

37
Séquence documentaire non montée de l’incendie de la bibliothèque, réalisée le 26 août 1992, et présentée avec
l’aimable autorisation de FAMA, BH-TV. Présentée par la Bosnie-Herzégovine le 16 janvier 2006, DVD 7. - 30 -

J’ai également rencontré des riverains qui ont assisté au bombardement mais qui m’ont assuré que

les tirs partaient de plusieurs endroits. Vous vo yez là KurtSchork, reporter de l’agenceReuters,

qui a écrit l’un des récits les plus détaillés du bombardement de la bibliothèque mais il a

malheureusement été tué par la suite. Voilà, c’est la fin du clip.

Les dommages causés au patrimoine orthodoxe serbe

[Diapositive : images de la cathédrale orthodoxe serbe de Mostar, avant et après.] 38

Mme KORNER: Vous avez évoqué toutes les destructions d’édifices musulmans et

catholiques recensées en Bosnie . Savez-vous si des établissements orthodoxesserbes ont

également été détruits ?

M. RIEDLMAYER : Oui.

70. Je n’avais pas été chargé d’enquêter sur les dommages causés pendant la guerre au

patrimoine orthodoxe serbe de Bosnie-Herzégovine, mais, sous l’effet de la mission qui

m’incombait pour le Tribunal, j’ai tenu à consi gner l’état des sites religieux orthodoxes pendant

que je travaillais sur le terrain et j’ai examin é les documents publiés par l’église orthodoxe serbe et

par d’autres sources. Evidemment, au cours de la guerre, des sites religieux orthodoxes ont subi

des dommages et ces derniers étaient loin d’être insignifiants. L’une des plus grandes pertes

culturelles a été la destruction de la cathédrale or thodoxe serbe de Mostar, détruite à l’explosif au

début du mois de juin1992, par des extrémistes cr oates semble-t-il, à la suite du siège de Mostar

par l’armée yougoslave. En juin-juillet1992, le monastère historique orthodoxe serbe de

Zitomislic, au sud de Mostar, qui fut construit sous le règne ottoman au XVI e siècle et fut le centre

de la culture orthodoxe dans la région, a égalem ent été détruit à l’explosif par des extrémistes

croates. Ailleurs, en Herzégovine et dans la Bosnie du nord, un certain nombre d’églises

orthodoxes serbes ont été endommagées ou détruites, principalement mais non exclusivement au

cours des premiers mois de combat entre les milices croates et les forces serbes.

71. Toutefois, il convient de relever qu’ aucune mosquée musulmane et très peu d’églises

catholiques sont restées intactes dans les villes et villages de Bosnie-Herzégovine pris par les forces

36 serbes au cours de la guerre de 1992 à 1995. En même temps que la population nonserbe était

38
Photographie prise avant la guerre : William Remsen (1980), collection de l’auteur; photographie prise après la
guerre : l’auteur (2001). - 31 -

soumise au «nettoyage ethnique», il était organisé une transformation systématique et délibérée du

paysage culturel. Les minarets et les clochers des églises catholiques ont disparu du paysage tout

comme les personnes qui avaient jadis considéré ces symboles comme des signes visibles de leur

histoire et de leur présence dans le pays.

[Diapositive : Cajnice. A côté de l’église or thodoxe intacte, un espace vide, en lieu et place

de la mosquée Sinan Pacha Boljanic.] 39

72. Sur cette diapositive, vous voyez la ville de Cajnice, laquelle est désormais intégralement

serbe, «nettoyée» de sa population musulmane et de ses mosquées, et il y a un espace vide

marquant l’emplacement de la mosquée qui, autref ois, faisait face à l’église orthodoxe située de

l’autre côté de la place principale.

[Diapositive: Bosanski Samac: emplacement vide sur lequel était construite l’église

catholique, en face de l’église orthodoxe serbe intacte, de l’autre côté de la rue.] 40

73. De même, à la fin de la guerre, on voit à Bosanski Samac un emplacement vide ⎯ il est

là, sur la gauche ⎯ de l’autre côté de la rue, en face de l’église orthodoxe serbe, là où se trouvait

l’église catholique de la ville.

41
[Diapositive : des églises orthodoxes serbes intactes à Sarajevo.]

74. Dans le même temps, des églises ort hodoxes serbes n’ont subi aucun dommage pendant

toute la guerre et sont encore intactes dans la ma jorité des villages et villes de Bosnie qui sont

demeurés sous le contrôle du Gouvernement de la Bosnie reconnu sur le plan international pendant

la guerre ⎯ c’est le cas à Sarajevo, Tuzla et Zenica. La ville de Mostar, dont nous avons parlé, fait

figure d’exception à la fois notable et tragique.

[Diapositive: vue de Bosanska Krupa ⎯ une église catholique détruite, une mosquée

nouvellement reconstruite, une église orthodoxe serbe intacte.]

75. Dans les villes du nord-ouest de la Bo snie qui furent reprises par l’armée du

Gouvernement de Bosnie au cours des dernières se maines de la guerre (telles que Sanski Most,

Kljuc et Bosanska Krupa), les églises or thodoxes serbes sont demeurées intactes ⎯ alors que dans

39
Photographie prise après la guerre : M. Machiel Kiel (1998), collection de l’auteur.
40
Photographie prise après la guerre : bureau du procureur, TPIY (1996).
41Source : l’auteur (1997). - 32 -

ces mêmes villes, les mosquées et les églises catholiques ont été détruites systématiquement par les

forces serbes pendant leur occupation. J’ai pris cette photographie dans la ville de

37 BosanskaKrupa. La ville est restée aux mains des forces serbes de Bosnie de 1992 à une date

avancée de l’année 1995, époque à laquelle les forces du Gouvernement de Bosnie l’ont

reconquise. Pendant l’occupation serbe, l’église catholique, dont vous pouvez voir les fondations

sur la gauche, et la mosquée, qui se trouve au fond de la place, ont été détruites à l’explosif. J’ai

quelques photographies des ruines de la mosquée, laquelle, à l’époque où je me suis rendu sur

place, venait d’être reconstruite. Mais, ce qu’il convi ent de relever, c’est, sur la droite, la présence

de l’église orthodoxe serbe, laquelle est, à ce jour, restée intacte, sur le troisième côté de la place.

Le Kosovo

Mme KORNER : Vous avez parlé à la Cour de ce que vous considérez comme un schéma de

destruction de portée très large et de caractère sy stématique. Avez-vous constaté le même schéma

ailleurs en ex-Yougoslavie ?

[Diapositive: archives de la communauté mu sulmanes en feu et mosquée endommagée au

Kosovo.] 42

M. RIEDLMAYER :

76. Oui, à la fin de l’année 1999, soit quatre mois après la fin de la guerre au Kosovo, je m’y

suis rendu en mission pour recenser les dommages causés au patrimoine culturel et il ressort de mes

observations qu’il existait un schéma que la Cour pou rrait trouver fort instructif. Pendant la guerre

qui s’est déroulée au Kosovo de mars à juin1999 , il existait également un schéma de «nettoyage

ethnique» et plus d’un tiers des personnes d’origine albanaise de la province en ont été chassées.

77. Au cours de cette opération, d’après ce que j’ai pu relever ⎯ et j’ai effectué une enquête

de terrain vraiment très approfondie ⎯ deuxcentvingt-cinq mosquées, soit plus du tiers des

six cent sept mosquées que comptait le Kosovo avant la guerre, ont été détruites ou endommagées.

Tout cela au cours d’une opération qui a duré tr oismois. Les archives religieuses musulmanes et

les bibliothèques du Kosovo ont également été détru ites, et parmi elles, les archives historiques

centrales de la communauté musulmane du Kosovo, que vous pouvez voir en proie aux flammes

42
Photographie des archives en feu : Reuters (1999); photographie de la mosquée : l’auteur (1999). - 33 -

sur la photographie de gauche. Des sites or thodoxes serbes du Kosovo ont également subi des

dommages mais uniquement après la guerre, lors d’attaques menées en guise de représailles par des

Albanais revenant dans la région, et je n’ai trouvé aucun élément de preuve attestant qu’un seul des

ces sites aurait été endommagé pendant la guerre.

38 Une dernière question

Mme KORNER: Très bien. Une dernière question, MonsieurRiedlmayer. Vous avez

commencé votre exposé en indiquant à la Cour que la tradition de la coexistence des différentes

nationalités qui existait en Bosnie avait volé en éclats. Dans toutes les enquêtes que vous avez

réalisées pour établir cette sorte de catalogue des destructions, avez-vous eu connaissance d’un

quelconque événement qui aurait pu permettre de croi re qu’une certaine coexistence était encore

possible ?

M. RIEDLMAYER :

78. Etablir le catalogue des destructions dont j’ai présenté aujourd’hui certains exemples à la

Cour fut un exercice fort déprimant, un exercice qui ne rend guère optimiste sur la nature humaine.

Cela étant, au milieu des dévastations, il m’est parfois arrivé d’apercevoir dans l’obscurité une

étincelle de lumière, un signe de ce patrimoine bosniaque de coexistence que j’ai décrit et qui a été

si près de disparaître, dont les traces mêmes ont été détruites. Dans la ville de Doboj, en Bosnie,

j’ai parlé au prêtre de la paroisse catholique, don t l’église a été brûlée dans la nuit du 4 mai 1992.

Il m’a dit que le feu avait été provoqué par des projectiles incendiaires tirés par les forces serbes.

En 1993, les ruines de l’église ont été minées à deux reprises, le site a été déblayé par des

bulldozers et les autorités serbes ont fait enlever tous les gravats. En août 1992, le presbytère et le

couvent situé à proximité ont été vandalisés et pillés par trois «Bérets rouges», en uniforme

militaire, qui s’exprimaient dans un dialecte témoigna nt de leur origine serbe. Ils ont investi le

couvent et les Bérets rouges se le sont approprié. Le prêtre et les religieuses ont eu

vingt-quatre heures pour quitter la ville. Les archives de la paroisse ⎯ les registres de baptême, de

mariage et de décès de la paroisse ⎯ avaient été cachés à la demande du prêtre par des «gens biens,

des Serbes locaux» qui les avaient emportés chez eux après la première attaque menée contre

l’église catholique en mai 1992. Lorsque les Bérets rouges ont fouillé le presbytère en août de cette - 34 -

année là, ils ont cherché les registres paroissiaux ma is ne les ont pas trouvés. Après la fin de la

guerre, les «bons Serbes» qui avaient dissimulé les archives les ont rendues au prêtre de la paroisse
43
lorsqu’il est revenu à Doboj . Merci beaucoup.

Mme KORNER : Merci, Monsieur Riedlmayer.

39 Le PRESIDENT: Merci, Monsieur Riedlmayer . Merci, Madame Korner. L’audience est

suspendue pour dix minutes.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 30.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. M.Riedlmayer pourrait-il nous rejoindre? Je

donne à présent la parole à Mme Fauveau-Ivanović pour le contre-interrogatoire.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Thank you, Madam President. Mr.Riedlmayer, could it be

said that you have researched the destruction ofhistorical monuments in 19 municipalities in

Bosnia and Herzegovina?

M. RIEDLMAYER: Ces dix-neuf municipalités sont celles que j’ai étudiées dans le cadre

de l’affaire Milosevic. J’ai enquêté sur sept autres munipalités dans le cadre de deux autres

affaires. Cela fait donc au total vingt-six municipalités.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Could it be said that these 26 municipalities were chosen by

the Office of the Prosecutor of the Tribunal for the former Yugoslavia?

M. RIEDLMAYER : En partie seulement. La mission que m’a confiée le Tribunal indiquait

un certain nombre de municipalités mais je pouvais enchoisir d’autres en plus. Ainsi, dans le

cadre de l’affaire Milosevic, dix municipalités avaient été sélectionnées et j’en ai choisi neuf autres.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: What criteria did you apply in selecting the municipalities you

chose?

M. RIEDLMAYER: Mon critère était d’essayer de couvrir une zone géographique plus

étendue et représentative. Si vous vous reportez à une carte de la Bosnie, vous constaterez que les

dix-neufmunicipalités auxquelles je me suis intérssé dans le cadre de cette enquête de terrain

43
Pero Brkic, prêtre de la sse de l’église catholique du Sacré CŒur de Doboj interrogé par l’auteur
(juillet 2002). - 35 -

forment un grand arc de cercle allant de Ključ et de Sanski Most, au nord-ouest, jusqu’à Višegrad

et Foča, en passant par Brčko, Bijelina, et Zvornik. En fait, je couvrais donc une zone formant un

grand arc de cercle en m’efforçant d’établir le meilleur échantillonnage possible dans le délai qui

m’était imparti.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Would you agree that 26 municipalities in Bosnia, that covers

approximately 25 per cent of the territory of Bosnia and Herzegovina?

40 M. RIEDLMAYER: Oui, c’est à peu près cela. Avant la guerre, il y avait en Bosnie

centneuf municipalités de taille très variab, certaines assez petites, d’autres beaucoup plus

importantes. Mais en nombre, ces municipalités représentent bien environ 25 % du total.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Based on the information you collected in those

26municipalities, how do you draw the conclusion that the situation was the same throughout

Bosnia and Herzegovina?

M. RIEDLMAYER: Outre les informations que j’ai recueillies par mes enquêtes, j’ai

examiné en détail tous les documents publiés sur la destruction du patrimoine culturel et religieux

sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine. J’y ai fait allusion au cours de mon exposé. Si vous

avez l’occasion de lire mes rapports, vous y verrezliste exhaustive de tous les documents que

j’ai étudiés.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: You also said ⎯ and yes, I have seen your reports ⎯, you

said in those reports that you used statemenfrom people who lived in those municipalities, in

particular from people in the Muslim religious community. Is that correct?

M. RIEDLMAYER: Pas tout à fait. J’ai surt out dû m’en remettre à des habitants de la

région, en particulier des membres du clergé lo cal, pour me conduire notamment sur les sites des

lieux de culte détruits. C’était indispensabl, notamment lorsque les bâtiments en question

n’existaient plus. Si je n’avais pas bénéficié de cette aide, j’aurais mis beaucoup plus longtemps à

recueillir des informations sur des lieux aussi nombre ux. Mais je n’ai jamais fait figurer un site

dans mon étude en me contentant de ce que l’on me disait. Tout d’abord, je me suis rendu sur plus

de60% des sites évoqués dans cette étude. Pour chacun d’entre eux, je disposais de

photographies, souvent de plans cadastraux et d’autres informations émanant de sources

indépendantes qui confirmaient avant tout que le s ite en question était bien celui qu’il était censé - 36 -

être, qu’il y avait bien eu sur ce site une église ou une mosquée avant la guerre, et que cette église

ou cette mosquée avait disparu.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: You have spoken about certain events lying somewhat outside

your expertise. But when you speak of these k illings, specifically at Hanifici, Sasina, Carakovo,

how did you verify this information?

M.RIEDLMAYER: Là encore, dans pres que tous les cas que vous évoquez, les

informations émanent de sources multiples. L’une d’entre elles sont les témoignages publics qui

peuvent être consultés sur le site Internet du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie. Certes, lorsque

41 je recueillais des informations sur le fait de sa voir, par exemple, à quel moment une mosquée avait

été détruite, je devais souvent me contenter de ce que les gens de la région me disaient. Cependant,

je prenais alors soin de recouper les infons concernant par exemple les lieux où s’étaient

déroulés les combats dans la zone en me reportant à des récits militaires publiés tels que l’ouvrage

Balkan Battlegrounds [Les champs de bataille des Balkans], que vous devez connaître. Encore une

fois, je ne me contentais donc pas de ce qu’une seule personne m’avait dit.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Are you aware that the events at Hanifici and Carakovo which

you relate were judged by the Iternational Criminal Tribunal, which did not at all adopt the

position which you expressed?

M. RIEDLMAYER : Non, je l’ignorais.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: You spoke about the mosque in Banja Luka. How many

mosques were there in Banja Luka before the war?

M.RIEDLMAYER: Si j’en juge par mes informat ions les plus fiables et le fait que je me

suis rendu sur seize sites différents, je pense qu’il existait seize mosquées à Banja Luka, y compris

sa banlieue.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you think there were 16 or are you sure?

M. RIEDLMAYER : Je sais qu’il y en avait seize.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you know how many Catholic churches there were in

Banja Luka?

M. RIEDLMAYER : Concernant Banja Luka mê me, j’imagine que vous faites allusion à la

cathédrale qui a été préservée. Toutefois, les environs de Banja Luka, dans des lieux tels - 37 -

quePresnace, qui sont suffisamment proches pour êt re considérés comme des banlieues, ce sont

dix églises catholiques, voire plus, qui ont été détruites.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you know how many Orthodox churches there were in

Banja Luka, in Banja Luka itself, in the town of Banja Luka?

M. RIEDLMAYER: Les églises orthodoxes n’entrai ent pas officiellement dans le cadre de

mon étude. Je sais qu’une grande église orthoété récemment construite près de la mairie.

Mais je n’ai pas recensé les églises orthodoxes.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: So you do not know exactly how many Orthodox churches

there were in Banja Luka?

M. RIEDLMAYER : Non.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: You spoke about the Ferhadija mosque, which, according to

the testimony you gave a short while ago, was destroyed in the month of May 1993, is that correct?

42 M. RIEDLMAYER : Pardon, quel mois dites-vous ?

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: The month of May 1993.

M. RIEDLMAYER : Oui, vous faites allusion à la mosquée de Ferhadija ?

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Yes, I am referring to the Ferhadija mosque.

M. RIEDLMAYER: Eh bien, c’est un incide nt dont il a été abondamment rendu compte à

l’époque. Je pense qu’il est incontestable qu’elle a été détruite.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Can you explain why, in Bosnia and Herzegovina’s

Application, which was filed in March 1993,mosque was already reported to have been

destroyed?

M. RIEDLMAYER : Je n’ai rien eu à voir dans le dépôt de ces pièces. Ce que je peux dire,

toutefois, c’est que cette mosquée avaitit l’objet de plusieurs attaques avant cette date,

lesquelles lui avaient causé des dommages relativem ent limités mais qui, en réalité, remontaient à

l’année précédente.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: But you are certain that it was not destroyed until May 1993?

M. RIEDLMAYER : Oui. - 38 -

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: In respect of certain incidents you spoke of the means, the

methods by which these mosques were destroyedDo you have any information on the Ferhadija

mosque? How it was destroyed?

M. RIEDLMAYER: Je n’ai eu connaissance que d’éléments de preuve visuels, que vous

avez vus en partie, ainsi que des récits de témoins oculaires qui indiquent qu’il y a eu une très forte

explosion, ce qui confirme les éléments de preuve visuels des dégâts subis. Quant à la destruction

des vestiges de la mosquée, elle a été opérée à l’ai de de matériel lourd, puis au marteau piqueur et

avec de nouveaux explosifs pour le tronçon de base du minaret.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Indeed, one might say that you have no exact knowledge at all

as to who could have destroyed this mosque?

M. RIEDLMAYER : S’agissant de l’individu r esponsable, aucune connaissance. S’agissant

des parties qui sont susceptibles d’y avoir participé, j’ai dit tout ce que je savais au cours de mon

exposé.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: But what you presented was not based on immediate,

firsthand knowledge which you have of the events?

43 M. RIEDLMAYER: Seulement sur les informati ons que j’ai recueillies auprès de témoins

oculaires, dont le mufti, qui habitait la maison située juste derrière la mosquée au moment où elle a

été détruite, et M.Gusic, l’auteur de l’enregi strement vidéo, qui m’a raconté ce qu’il avait vu le

lendemain matin.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: The statements you obtained from the witnesses, were those

statements which these witnesses gave to you?

M. RIEDLMAYER : Absolument. J’ai interviewé M. Gusic, qui habite aujourd’hui dans la

même ville que moi, et je me suis rendu à BaLuka où j’ai parlé à des gens de la communauté

musulmane locale.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you have the specific knowledge and skills necessary to

assess witness credibility?

M. RIEDLMAYER: Non, je ne suis pas juge ni juriste; je n’ai que le bon sens et les

connaissances de tout un chacun. J’ai ausscertain instinct qui me dit quand on essaie de me

mener en bateau. Je pense que les gens à qui je parl e sont dignes de foi, et ce qui me conforte dans - 39 -

cette opinion, c’est avant tout que ce qu’ils dt semble correspondre aux éléments de preuve

dont je dispose, aux éléments de preuve visuelset aussi que les différentes déclarations ne se

contredisent pas. En revanche, je ne suis pas habilité à recueillir des déclarations sous serment et je

ne suis pas non plus juriste.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: You spoke about the town of Mostar. Did you visit Mostar

during your travels in Bosnia?

M. RIEDLMAYER : Oui, j’y suis allé.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Is it true that there is only one intact Orthodox church in

Mostar today?

M. RIEDLMAYER : Non. Avant la guerre, il y avait deux églises orthodoxes à Mostar. Si

vous lisez mon curriculum vitae , vous verrez que j’ai écrit un article sur ces églises et leur

destruction; je connais fort bien le sort qu’e lles ont subi. Par ailleurs, la photographie que vous

avez vue de la cathédrale orthodoxe détruite de Mostar est une photographie que j’ai prise

moi-même. Donc, oui, je suis très au fait de ces événements.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: You spoke about events which occurred in Mostar in1992.

At the time, you were not in Bosnia?

M. RIEDLMAYER : Non, en effet. Cependant, le siège de Mostar de 1992 s’est déroulé au

début de la guerre et a donné lieu à une docu mentation bien plus abondante que d’autres

événements qui se sont produits beaucoup plus tard. A l’époque, il y avait notamment des
44

journalistes étrangers à Mostar qui ont rendu compte du bombardement de la ville. D’autre part, en

août et septembre1992, la fédération des architectes de Mostar a produit une documentation

complète sur tous les dommages qu’avait subis la v ille. Elle a également, soit dit en passant, fait

état des dommages causés à l’église orthodoxe qui a été détruite; à cette époque, la seconde église

orthodoxe ne l’avait pas encore été. Ces informations ont été publiées dans un catalogue

d’exposition abondamment illustré. En outre, M.Ka iser, s’est, au nom du Conseil de l’Europe,

rendu à Mostar à la fin de l’année 1992, au mois de décembre; il était accompagné d’une équipe et

de photographes et il s’est rendu sur tous les sites qui avaient subi des dommages. - 40 -

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Mr. Riedlmayer, in respect of Mostar I am in no way denying

that the monuments were destroyed; what I am trying to ascertain is how you can know who

destroyed them?

M. RIEDLMAYER: Encore une fois, tout ce que je peux dire, c’est que je n’étais pas

présent mais que j’ai examiné tous les documents disponibles, à commencer par les rapports établis

par des observateurs indépendants qui se trouvaient sur les lieux à l’époque. Je peux également

dire qu’à ma connaissance, à partir de1992, personne d’autre que l’armée yougoslave ne

bombardait Mostar.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: When you say that it is to your knowledge, where do you

obtain your knowledge?

M. RIEDLMAYER: Encore une fois, je n’ai pas besoin d’enquêter personnellement sur la

situation militaire à Mostar. Il a été publiérécits militaires de la guerre de Bosnie tels que

Balkan Battlegrounds [Les champs de bataille des Balkan s], qui présentent de manière très

détaillée les événements qui se sont déroulés entre av ril et juin 1992, c’est-à-dire à l’époque où ces

dégâts ont été causés.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Okay. In effect, you admit that you are not really qualified to

opine on this military situation?

M. RIEDLMAYER: Oui. Pour cela, je dois me fier à d’autres personnes qui, elles, sont

qualifiées. Je suis néanmoins qualifié pour évalue r des dommages à partir d’informations qui sont

de première main ou qui émanent de documents.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Can you say how many mosques were destroyed in the whole

of Bosnia? Over the entire war period.

M. RIEDLMAYER: S’agissant du territoire entie r, les chiffres sont assez variables. Celui

que je cite dans mon rapport ⎯ de mémoire, il est supérieur à ne uf cent cinquante mais inférieur à

45 mille, je ne veux pas perdre de temps à le vérifier maintenant ⎯ provient d’un recoupement entre

plusieurs sources. J’ai commencé par me re nseigner auprès de la communauté religieuse

musulmane, laquelle a recueilli sa propre documentation concernant les dommages que ses propres

sites ont subis. Je me suis ensuite reporté aux travaux de différents organes indépendants tels que

le Conseil de l’Europe, qui a nommé des rapporteur s pendant la guerre et a ensuite constitué une - 41 -

mission d’aide technique qui a, en1997-1998, lisé une étude sur les bâtiments historiques, y

compris les mosquées, dans toutes les municipalités de Bosnie. J’ai en outre consulté la base de

données de la commission bosniaque d’examen des cr imes de guerre et tous les autres documents

publiés. Je considère donc que mon chiffre pproximatif de neuf cent et quelques mosquées

détruites constituent une information fiablecomme le fait que ces destructions doivent être

attribuées à la Partie serbe. Si votre questde savoir si d’autres mosquées ont été détruites,

alors oui, sans doute au moins deux cents de plus.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Those other mosques were destroyed by whom?

M. RIEDLMAYER: Ces mosquées ont fait les frais des combats qui ont opposé les forces

croates à celles du Gouvernement bosniaque en 1993 et 1994.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Therefore you admit that, in the war between the Croats and

the Muslims, the Croats destroyed Muslim mosques?

M. RIEDLMAYER : Oui.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: If you take the total number of mosques destroyed in the war

in Bosnia, do you know what percentage is accounted for by these destroyed mosques?

Le PRESIDENT : Madame le conseil, pourriez-vous répéter votre question, s’il vous plaît ?

Les interprètes ne l’ont pas entendue.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Certainly, Madam President. Could you tell us in percentage

terms how many mosques were destroyed in Bo snia and Herzegovina, but in using the total

number, including those destroyed in the war between Serbs and Muslims and those destroyed in

the war between Muslims and Croats?

M. RIEDLMAYER : Sur la base des chiffres que je viens de citer, le calcul est assez simple.

Si l’on considère qu’un peu moins de mille sont a ttribuables aux Serbes, et environ deux cents aux

Croates, le ratio est d’environ dix pour deux, ou neuf pour deux.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: But what percentage of all mosques which existed in Bosnia

and Herzegovina is represented by these destroyed mosques?

46 M. RIEDLMAYER : Comme je l’ai dit au cours de mon exposé, la Bosnie comptait au total

un peu plus de mille sept cents mosquées, ce qui si gnifie que bien plus de la moitié de l’ensemble - 42 -

des mosquées de Bosnie ont été détruites oundommagées pendant la guerre. Le terme détruit

englobe ici, s’agissant de ces chiffres, à la fois les destructions complètes et les dommages partiels.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you know how many Orthodox churches were destroyed

in Bosnia and Herzegovina?

M. RIEDLMAYER: Tel n’était pas l’objet de mon étude, mais j’ai consulté certaines

publications de l’Eglise orthodoxe serbe et du mu sée de l’Eglise orthodoxe serbe, comme celles de

Durovnik [inaudible] ou d’autres. Je n’ai jamais fait le calcul, mais je me suis intéressé à certains

sites. Je pense que le chiffre est compris entre cent et deux cents.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you know how many Orthodox churches there were in

Bosnia and Herzegovina?

M. RIEDLMAYER : Non, je ne connais pas ce chiffre.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Therefore, you are unable either to confirm or refute the

assertion that roughly 50 per cent of the Orthodox churches were also destroyed during the war in

Bosnia and Herzegovina?

M. RIEDLMAYER : Ne disposant pas de ces chiffres, je ne suis évidemment pas à même de

répondre. Je dois cependant dire que lorsque me suis rendu dans des villages et des villes de

Bosnie, j’ai repéré les endroits où les églises or thodoxes étaient toujours intactes et ceux où elles

avaient été endommagées, et le fait est que dansle territoire contrôlé par le Gouvernement

bosniaque, dans toutes les principales villes où je me suis rendu, à l’exception de Mostar, l’église

orthodoxe était toujours intacte.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Were you able to obtain an official list from the authorities in

Bosnia and Herzegovina of mosques which were destroyed?

M. RIEDLMAYER : Il n’existe pas de liste officielle unique. Dans mon rapport au Tribunal

des Nations Unies, que vous dites avoir lu, je pa rle des lacunes des différents rapports qui ont été

publiés. Le problème était qu’à la fin de la guerre, face à la crise liée au maintien de la paix, à la

réinstallation des réfugiés et à la reconstruction d’un pays en ruine, le recensement des monuments

culturels ne figurait pas au premier rang des prior ités. Les différents orga nes chargés de recueillir

des informations n’avaient pasvraiment pour objectif de faire une étude globale. Chez les

communautés religieuses, la priorité était d’obtenir des fonds pour la reconstruction, et elles avaient - 43 -

47 tendance à ne s’intéresser qu’aux sites où la onstruction était réalisable. Les rapporteurs du

Conseil de l’Europe, par exemple, avaient tenda nce à ne s’intéresser qu’aux monuments figurant

sur des listes, c’est-à-dire à des monuments qui av aient été choisis pour bénéficier d’une protection

juridique particulière, etc. Il fallait égalemen t compter avec le problème né après Dayton du fait

que la Bosnie était divisée en deux entités séparéde sorte qu’il n’existait pas d’organe unique

ayant compétence sur le pays tout entier. De plus, la commission de l’annexe8, c’est-à-dire la

commission des monuments nationaux, laquelle est censée examiner la documentation relative aux

monuments de la totalité de la Bosnie et leurs conditions de préservation, n’a pas fonctionné

pendant les six ou sept ans qui ont suivi Dayton. C’est pourquoi il n’existe pas de liste officielle

unique; il y de nombreuses listes dont le degré de fiabilité est variable.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Were you able to obtain a list of mosques which existed

in 1992?

M. RIEDLMAYER : Non, je ne dispose pas de la liste des mosquées en 1992.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you admit that no such list exists?

M. RIEDLMAYER : Je ne suis pas en mesure de dire si elle existe ou non. Il convient

cependant de préciser qu’en vertu de la légisation en vigueur dans l’ex-Yougoslavie avant sa

désintégration, les mosquées et les établissemes religieux devaient être enregistrés auprès de

l’administration centrale. Par conséquent, suppose que des archives concernant les mosquées

disparues existent bien, d’une manière ou d’une au tre. C’est peut-être une autre question que de

savoir si ces archives sont sorties intactes de la guerre.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: In any event, this is merely a presumption of yours. You are

not at all certain that that existed in 1992 in Bosnia?

M. RIEDLMAYER: S’agissant des mosquées su r lesquelles j’ai effectivement enquêté

⎯nous parlons des chiffres que je cite dans mon rapport ⎯, j’ai essayé chaque fois que c’était

possible d’obtenir la preuve irréfutable que ces mos quées existaient effectivement avant la guerre.

Avec des photographies remontant à cette époque, je me suis rendu dans des bureaux du cadastre

où l’on m’a remis des relevés qui, comme vous le savez, comprennent des plans des sites. Par

conséquent, même si les monuments en question av aient disparu lorsque je me suis rendu sur les - 44 -

lieux, à la fin des annéesquatre-vingt-dix ou au début des annéesdeux mille, j’avais la preuve

qu’ils existaient bien auparavant.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: During your testimony before the ICTY, when you testified in

the Milosevic trial, Mr.Milosevic asked you a question about the mosque in Foca, asserting that

that mosque, dating from the sixteenth century, had been built on the foundations of an earlier

Orthodox church. Do you recall this?

48 M. RIEDLMAYER : Je me souviens de cette question, en effet.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: At the time, you said that you were not aware of that. Have

you done any checking on this?

M. RIEDLMAYER : Je ne suis pas sûr de saisir la pertinence de votre question, mais le fait

est que je n’allais pas faire d es recherches historiques sur des m onuments en remontant jusqu’au

Moyen Age. J’ai étudié certains monuments dans le cadre de mes recherches personnelles, mais la

prétendue mosquée de Foca n’en fait pas partie. A mon sens, établir si, au Moyen Age, une église

se trouvait ou non sur le site sur lequel laquée a été construite à l’époque ne change pas

grand-chose au caractère criminel de la destruction de cette mosquée.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Undoubtedly not, but I am simply asking you a question. Do

you know, did you research, whether this mosque was built on the foundations of an earlier

Orthodox church?

M. RIEDLMAYER : Non.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: But, all the same, do you admit that it was fairly common

practice in the Ottoman Empire to turn former churches into mosques?

M. RIEDLMAYER: C’est en réalité une situa tion compliquée. J’ai étudié l’histoire

ottomane et je sais que lorsque les Ottomans conquéraient des villes, ils transformaient

généralement l’église principale de l’aggloméra tion en mosquée, laissant les églises plus petites

aux communautés chrétiennes qui restaient. N’oubliez pas que nous parlons du Moyen Age, une

époque où il n’y avait pas de séparation entre la religion et l’Etat et où le monument principal d’une

ville était tout autant le symbole du dirigeancette ville que d’une religion. L’usage était

d’ailleurs assez similaire en Europe, ou tout au moins analogue. - 45 -

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: You spoke about the national library in Sarajevo, which was

destroyed. That was a national library of Bosnia and Herzegovina, is that correct?

MR. IEDLMAYER : Oui, c’était la Bib liothèque nationale et universitaire de

Bosnie-Herzégovine.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: That was a national library of Bosnia and Herzegovina, it was

not a national library of the Muslims of Bosnia and Herzegovina?

M. RIEDLMAYER : Assurément non. C’était le lieu où était déposé le patrimoine écrit en

tant que tel du pays tout entier.

49 FMUsVEAU-IVANOVI Ć: So, this library contained works on Croat and Serb history as

well?

M. RIEDLMAYER : Oui.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: When the library was destro yed, was the Croat and Serb

heritage destroyed as well?

M. RIEDLMAYER : Malheureusement, oui.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Here again, in respect ofthe library, you have no specific

information on who destroyed the library?

M. RIEDLMAYER : On ne peut pas dire cela. Tout d’abord, comme je vous l’ai indiqué,

j’ai interrogé plus d’une dizaine de personnes qui ha bitaient dans les environs de la bibliothèque.

J’ai interrogé des personnes qui ont vu les obus to mber sur le toit de la bibliothèque. Comme il

s’agissait d’obus au phosphore, ils diffusaient un éven tail d’étincelles très particulier. Pendant le

siège de Sarajevo, certains habitants de la ont devenus experts dans l’art de distinguer les

différents types de munitions, dans la mesureoù ceux-ci avaient des effets différents et

représentaient pour eux des dangers différents.vieille ville de Sarajevo est située dans une

vallée très profonde aux abords escarpés, et, parmi les personnes que j’ai interrogées, certaines

habitaient à flanc de collineste au-dessus de la bibliothèque. Celle-ci a commencé à être

bombardée juste après le coucher du soleil, et les témoins ont pu voir les éclairs jaillir des bouches

des canons et entendre les obus voler et atterrir sur la bibliothèque. L’endroit dont ils provenaient

ne fait donc pas vraiment mystère. - 46 -

Deuxièmement, vous avez vu dans l’enregistrement vidéo le journaliste Kurt Schork. C’était

l’un des deux principaux correspondants de Reuters ⎯ l’autre étant John Pomfret. Ils ont assisté à

l’attaque contre la bibliothèque et en ont fa it de longs récits. J’ai entretenu une longue

correspondance avec Kurt Schork avant sa mort tragique ⎯ il a été tué il y a quelques années, alors

qu’il couvrait la guerre en Sierra Leone ⎯, et il m’a montré les notes succinctes qu’il avait prises

sur les événements auxquels il avait assisté. Il a non seulement vu la bibliothèque en flammes,

mais aussi les pompiers se faire tirer dessus depuis les collines environnantes, lesquelles étaient aux

mains des forces serbes. Autrement dit, j’ai d onc effectivement quelques raisons de croire que

c’était l’Œuvre des forces qui se trouvaient dans les collines environnantes.

FMU sVEAU-IVANOVI Ć: That is just as I thought. You have reason to believe it but

you cannot affirm it with certainty.

50 M. RIEDLMAYER : Permettez-moi d’aller un peu plus loin. Outre le fait que j’ai parlé à un

certain nombre de personnes qui ont assisté à ces événements et m’ont toutes rapporté

individuellement des détails similaires, j’ai eu l’occasion d’inspecter le bâtiment et les immeubles

avoisinants. Le bâtiment lui-même a été complètement ravagé par les flammes, ses éléments

métalliques ont même fondu par endroits tellement la chaleur était intense. Le bâtiment avait une

faîtière ⎯ un toit en métal, avec des fenêtres ⎯ et, selon les témoins, les obus ont atterri sur le toit.

Juste en dessous du toit se trouvait le principal dépôt de la bibliothèque, lequel a aussitôt pris feu.

Puis, lorsque les pompiers ont commencé à arriver, on a tiré sur le bâtiment avec des armes de petit

calibre. En examinant la façade on distingue des tr aces laissées par les éclats d’obus et les impacts

de balles. Le bâtiment ayant par la suite été ab andonné et désaffecté, il est permis de penser que

ces traces remontent à cette période.

De plus, le site a une forme triangulaire, l’un des côtés faisant face au fleuve, les deux autres

étant bordés de ruelles étroites avec des immeubl es d’habitation et des bureaux. Les immeubles

situés dans ces rues, face à la bibliothèque, portent des traces d’impacts de balles, surtout dans les

étages élevés, mais aucun d’entre eux n’a été touc hé par un engin incendiaire . Par conséquent, je

dirais que les indices tendent très nettement à signa ler que cette bibliothèque a bien été prise pour

cible. - 47 -

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: You have seen many reports, and you have apparently read a

great deal about the war in Bosnia and Her zegovina, did you know, did you discover in your

research, that, very often, the Members of th e United Nations, the members of the peace mission

(the military forces) had great difficulty in determining where shelling came from.

M. RIEDLMAYER : J’ai lu qu’il y avait des controverses, dont certaines ont, à mon avis, été

organisées artificiellement, les autres portant sur des points sur lesquels la controverse reste

permise. En revanche, je n’ai entendu parlerd’aucune allégation formulée à l’époque, ni même

depuis, selon laquelle la bibliothèque aurait pu être bombardée par quelqu’un d’autre.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you admit that you wrote a letter to Bill Clinton in 1995,

seeking the lifting of the arms embargo against Bosnia and Herzegovina?

M.RIEDLMAYER: Oui, j’ai écrit cette lettre dans le courant de l’été1995, et si je l’ai

écrite, c’est notamment parce que je pense qu’en vertu de la Charte des NationsUnies, la

Bosnie-Herzégovine, en tant qu’Etat Membre de l’ Organisation des Nations Unies, avait droit à la

51 légitime défense et que, conformément à la Char te des NationsUnies, si l’Organisation des

NationsUnies n’est pas en situation de protégerun pays, alors ce pays a le droit d’essayer de se

défendre par ses propres moyens. La guerre était dé jà entrée dans sa quatrième année et, compte

tenu des événements de Srebrenica, je considér ais que c’était un scandalinternational que la

Bosnie-Herzégovine se voie refuser ce droit. T outefois, si j’ai adopté cette position, cela n’a

absolument aucune incidence sur mes qualifications professionnelles ni, en aucune manière, sur ma

bonne foi quand je dis ce que j’ai vu.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Indeed, as for the events in Srebrenica, you also took the

position that they were the consequence of a tcit agreement between the Serbs and the United

Nations?

M. RIEDLMAYER: Je ne me rappelle pas à quel moment je l’ai dit, mais il n’est pas

impossible que vous ayez trouvé quelque chose qui puisse donner à penser que j’ai adopté cette

position. Je dirais que si en effet vous avez pu découvrir quelque chose en ce sens, tout ce que j’ai

peut-être répété, je le puisais dans des hypothèses que la presse véhiculait abondamment à

l’époque, selon lesquelles les enclaves étaieun fardeau et certaines personnes dans les hautes - 48 -

sphères voulaient tout simplement s’en débarrasMais comme je l’ai dit, je ne vois pas

exactement à quoi vous faites allusion, peut-être pourriez-vous rafraîchir ma mémoire.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: It was in an article in the New York Times.

M. RIEDLMAYER : Pouvez-vous lire l’extrait ?

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: I am sorry, I do not have it.

M. RIEDLMAYER : Bon, eh bien, alors il n’y a pas grand-chose à en dire.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Are you aware that the American public relations agency

Rudder & Finn did work for the Bosnian Government on the subject of the destruction of cultural

monuments?

M. RIEDLMAYER : Je l’ignorais.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: It did not contact you?

M. RIEDLMAYER : Non.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: You said in one of your reports that Muslim society is a

“modern, industrialized, European society”. Do you stand by this assertion? This is the assertion

you make about Muslim society in Bosnia and Herzegovina.

52 M. RIEDLMAYER: Je pense que votre citati on est tirée d’un article que j’ai écrit sur la

Bosnie en général et qui disait que, dans ce , la société était vaste, était industrialisée et

européenne. Je ne vois pas ce qu’aucun de ces prpeut avoir de particul ièrement discutable.

Pendant la période yougoslave, il y avait de l’indus trie lourde en Bosnie, qui était manifestement

intégrée au système économique dans sa dimension régionale.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: On the subject of mosques in Serbia and Montenegro, outside

of Kosovo, where the situation was one of civil war, can you tell me if you are aware of any

mosque destroyed in Serbia and Montenegro, elsewhere than in Kosovo?

M. RIEDLMAYER: Très bien. Permettez-moi de dire pour commencer que je ne me suis

plus rendu en Serbie-et-Monténégro depuis la erre, à part au Kosovo. J’avais étudié en

Serbie-et-Monténégro avant la guerre, mais je n’étais nullement en mesure d’apprécier

personnellement si la Serbie-et-Monténégro avait subi des dommages. Cela dit, oui, je sais que des

mosquées ont subi des attaques, notamment dale secteur de Bukovica, dans le Sandjak, où,

d’après certains rapports publiés par des ONG indé pendantes de protection des droits de l’homme, - 49 -

étayés par certaines photographies, plusieurs villages musulmans ont été attaqués et deux mosquées

au moins détruites. Cela s’est produit à l’époque de la guerre en Bosnie. Par ailleurs, la mosquée

de Belgrade n’a pas été détruite: elle a subi plusieurs attaques au cours des années

quatre-vingt-dix. D’après mes souvenirs, la seule mosquée de Belgrade, la Bajraklidzanija, aurait

subi sept attaques au cours des années quatre-vingt-d ix, par jets de grenades, coups de feu ou par

d’autres moyens. Je ne dis pas que les destructions ont été massives, mais je ne pense pas qu’il soit

juste de dire qu’aucune mosquée n’a été attaquée en Serbie-et-Monténégro.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: I believe that my question was whether any mosque had been

destroyed, not whether any mosque had been a ttacked. But I think that you have in any case

answered that question. Have you had the opportunity to assess the damage done to cultural

monuments in other armed conflicts, outside of Bosnia and Herzegovina, let us say outside the

former Yugoslavia?

M. RIEDLMAYER: Oui. J’ai effectivement eu l’occasion de faire ce type d’estimation.

Depuis 2003, j’exerce les fonctions de président du comité des bibliothèques iraquiennes au sein de

l’association des bibliothécaires du Moyen-Orient et je me suis employé à répertorier les attaques et

destructions des bibliothèques considérées comme éléments du patrimoine culturel iraquien au

53 cours de la guerre d’Iraq. Nous avons publié des informations surnotre site Internet et je suis

l’auteur de longs articles à ce sujet.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: Would you agree that the destruction of cultural monuments

in the Iraq war was also quite significant?

M. RIEDLMAYER : Oui, bien qu’à mon avis les circonstances n’étaient absolument pas les

mêmes qu’en Bosnie.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: We are talking about a war. Therefore, the destruction was

significant, right?

M. RIEDLMAYER : En fait, je pense qu’en Iraq, les destructions dont je parle, c’est-à-dire

celles d’établissements culturels, n’ avaient en réalité aucun rapport av ec les opérations militaires.

Ce qui s’est passé, c’est que l’Iraq a été envahi, les forces de l’ordre locales ont été désarmées et les

forces d’invasion, pour une raison ou une autren’ont pas fait régner l’ordre, ce qui a conduit

certaines personnes, pour des raisons diverses, que ce soit pour l’argent ou, selon certaines sources, - 50 -

pour détruire des documents qui auraient pu les icriminer, s’en sont pris aux archives et aux

bibliothèques. A ma connaissance, on n’a jamais fait état de ce type de situation dans les Balkans

au cours des années quatre-vingt-dix.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Do you know of any armed c onflict between different States,

between different religions, between different ethnic groups, between different nations in which the

cultural heritage has remained intact?

M. RIEDLMAYER : Non, je n’en ai pas entendu parler. Il est vrai que la guerre se traduit

toujours par des destructions. Toutefois, il y a différence considérable entre des destructions

accidentelles de monuments et des destructions délibérées qui visent des monuments culturels en

particulier. Il faut classer dans la seconde cat égorie les incendies de synagogues par les nazis ou

les attaques d’églises serbes au Kosovo en 2004. Il s’agit d’attaques qui visent des biens culturels

en tant que tels. Le cas, par exemple, de lincendie de la cathédrale de Cologne au cours du

bombardement de la ville pendant la seconde guerre mondiale n’a rien à voir, selon moi. Peut-être

bien s’est-il agi d’un crime de guerre. Je pensequ’un expert du droit international saurait le

déterminer au regard des faits. Mais, à mon av is, il est fort possible que ce ne fût pas le but

principal de l’attaque. Je pense que lorsqu’umonument culturel est délibérément détruit alors

qu’il n’y a militairement aucune ra ison de le faire disparaître, ce n’est absolument pas la même

chose que lorsqu’un monument culturel est simplement détruit au cours d’une bataille.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Is the armed conflict in Ira q the only one you have studied
54

apart from that in Bosnia and Herzegovina? That is what you just said, is it not?

M. RIEDLMAYER : Ce n’est pas le seul conflit do nt j’ai entendu parler. Je dis que c’est le

seul dans lequel je me suis investi à un pointl que j’ai acquis une expertise particulière à son

sujet. Cela dit, je m’intéresse depuis une vingtaine d’années à la question du patrimoine culturel en

temps de guerre, et j’ai beaucoup lu sur la question.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: In any event, the conflict with which you are most familiar

because you are involved in it, the conflict in Iraq, you also just said that the damage inflicted was

not really connected with military actions? - 51 -

M. RIEDLMAYER: Ce lien n’a existé que de façon très accidentelle, c’est-à-dire

immédiatement après une prise de contrôle m ilitaire, mais il s’est agi essentiellement d’une

défaillance de l’ordre public, pas de fusillades opposant des soldats.

FMUsVEAU-IVANOVI Ć: On direct examination, you said at one juncture that you

wanted to make a point and that you wanted to link the cultural element with the national religious

community. Would you agree that, in reality, your testimony here today is more a statement by an

advocate than by an impartial outside witness?

M. RIEDLMAYER : Je dirais que non. Mon rôle consiste tout d’abord à parler d’éléments

de fait que j’ai recueillis, puis à en tirer certaines conclusions. Or, si la destruction de monuments

culturels me préoccupe, ce n’est pas simplement parc e que, dans l’absolu, il ne faut pas détruire ce

qui est beau. Pour moi, si ces monuments sont détruits, c’est en raison de la signification qu’ils ont

pour ceux qui les ont utilisés, qui ont vécu avec eux et , en ce sens, je pense tout à fait légitime de

chercher à savoir non pas simplement si des immeubles ont été détruits et par quels moyens ils ont

été détruits mais dans quel contexte ces immeubles ont été détruits et quelles sont les conséquences

de leur destruction. Vous avez évoqué la Bib liothèque nationale de Sarajevo. Je me suis

longtemps demandé exactement pourquoi un bâtiment comme celui-ci avait été pris pour cible et

c’est assez mystérieux car les explications données pa r les dirigeants serbes de Bosnie à l’époque

étaient plutôt contradictoires. Radovan Karadzic, le chef des Serbes de Bosnie, a été interviewé à

ce sujet quelques mois après les faits et il a affirmé que la bibliothèque aurait été incendiée par les

55 Musulmans «parce qu’ils n’aimaient pas son architecture». Je ne sais pas. Pour moi, cette réponse

est plutôt désinvolte et irresponsable. En toutcas, je pense qu’il est établi que personne jusqu’à

présent n’a affirmé que le bâtiment avait été bomba rdé par d’autres forces que celles que dirigeait

Karadžić. Et je pense bel et bien que la destruction de cet édifice visait à porter un coup non

seulement à la communauté musulmane mais aussi à la Bosnie en tant que pays. Vous dites que

cette bibliothèque contenait des Œuvres serbes. Oui, ils ont détruit des Œuvres serbes comme celles

d’Aleksa Santic, un Serbe particulièrement fier or iginaire de Mostar qui pouvait écrire des poèmes

comme «Ostatje ovdje», lorsqu’il s’adressait à ses compatriotes musulmans de Bosnie qui

émigraient pour échapper à la conscription et il leur disait : «S’il vous plaît, ne partez pas. Votre - 52 -

place est parmi nous, vos frères.» Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une part du patrimoine serbe de

Bosnie que les nationalistes souhaitaient particulièrement préserver.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Thus, what you are saying in effect is that it was an act

directed against the Serbs of Bosnia and Herzegovina , it was in reality a political act. It was not in

the least a religious, ethnic or national act. It was brought about for political reasons. It does not

matter who did it.

M. RIEDLMAYER : Je pense que c’était… Tout d’abord, la Bibliothèque nationale n’était

manifestement pas le bien unique de l’un quelconque des groupes nationaux de la Bosnie. Il

s’agissait du patrimoine commun de tous les des peuples de Bosnie.

FAMUsVEAU-IVANOVI Ć: Thank you, Mr.Riedlmayer, I have no further questions.

Thank you, Madam President.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Madame Fauveau-Ivanovi ć. Madame Korner,

souhaitez-vous procéder à un nouvel interrogatoire de M. Riedlmayer ?

Mme KORNER: J’ai seulement deux questions , Madame le président, si vous me le

permettez. Voici la première: MonsieurRied lmayer, vous avez été interrogé sur le nombre

d’églises orthodoxes qui, selon vous, avaient été détruites, et vous avez dit entre cent et deux cents.

On vous a alors dit, pouvez-vous le confirmer ou le nier, que plus de 50 % des églises orthodoxes

ont été détruites, ce qui voudrait dire qu’il n’avait que quatre cents en tout. Selon vous, en

votre qualité d’expert, y avait-il seulement quatre cents églises orthodoxes serbes en Bosnie ?

M. RIEDLMAYER : Je pense que c’est très peu probable.

Mme KORNER : Avez-vous une idée de leur nombre ?

56 M. RIEDLMAYER : D’après les recensements d’avant-guerre, vous pouvez tenir pour établi

que la communauté serbe, qui est dans une écrasante majorité de tradition religieuse orthodoxe,

représentait au moins un bon tiers de la population de la BosnEn principe, le nombre de lieux

de culte orthodoxes devrait être proportionnel au nombre des membres de la communauté serbe.

Mme KORNER : Ma seconde question à présent, qui va droit au cŒur du sujet. Vous avez

fait l’objet d’insinuations et de reproches, car vous ne seriez pas en mesure de fournir une opinion - 53 -

d’expert puisque vous n’étiez pas sur les lieux, par exemple à Mostar. Pouvez-vous simplement

dire à la Cour très brièvement comment un expert acquiert ses connaissances ?

M. RIEDLMAYER : Pardon, pouvez-vous répéter ?

Mme KORNER : Comment un expert acquiert les connaissances qui font de lui un expert ?

M. RIEDLMAYER: Comme vous le savez, Mada me le président, il y a plusieurs moyens

d’acquérir des connaissances autrement que sur le terrain. A vrai dire, se trouver sur les lieux n’est

parfois pas la meilleure manière de procéder. La tâche d’un expert est de recueillir des éléments

d’information et des documents, de s’assurer de le ur fiabilité, de leur cohérence interne, et de

chercher autant que possible à les confirmer à partir de plusieurs sources indépendantes. Voilà

comment on se renseigne sur quelque chose: se contenter d’aller voir ce qui s’est passé est

probablement l’une des moins bonnes méthodes. A moins de suivre ensuite aussi toutes ces étapes.

Mme KORNER : Pour finir, on a aussi donné à entendre que, d’une certaine manière, vous

seriez partial et que vous tenteriez en quelque sort e d’induire la Cour en erreur en énonçant vos

conclusions. Est-ce vraiment le cas ?

M. RIEDLMAYER: Je m’inscris formellement en faux contre une telle insinuation.

Premièrement, je pense très sincèrement que je fais de mon mieux pour dire la vérité. Et

deuxièmement, les faits que j’expose devant vous ont été établis à partir de recherches minutieuses

conduites sur plusieurs années. Je ne pense pas que ces travaux aient été sérieusement mis en cause

jusqu’ici. Merci.

Mme KORNER : Merci beaucoup, Monsieur Riedlmayer. Merci, Madame le président.

Le PRESIDENT: Merci beaucoup. La Cour va à présent se retirer, mais les Parties et

l’expert doivent rester à proximité de la grande salle de justice. Si elle veut poser des questions à

M. Riedlmayer, la Cour reviendra dans la salle de justice dans les quinze minutes; si elle choisit de

57 ne poser aucune question à M. Riedlmayer, la Cour ne reviendra pas dans la salle de justice et le

Greffe en informera les Parties et le public. L’audience est à présent levée.

L’audience est suspendue de 12 h 35 à 12 h 50. - 54 -

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Riedlmayer, je vous prie de bien vouloir

reprendre votre place. Merci.

Certains juges voudraient vous poser des questi ons. Je vais leur donner la parole dans un

ordre qui, je l’espère, permettra de regrouper de façon commode les types de questions qui seront

posées. Je commence par M. le juge Kreća.

Le juge KRE ĆA: Merci, Madame le président. MonsieurRiedlmayer, auriez-vous

l’amabilité de nous faire part très brièvement des principales conclusions que vous avez formulées

dans votre article, publié je crois en 1994 et 1995, intitulé «Killing Memory: Genocide and the

War on Culture in Bosnia-Herzegovina» [Tuer la mé moire: le génocide et la guerre contre la

culture en Bosnie-Herzégovine].

M. RIEDLMAYER : Ce sont des travaux anciens publiés alors qu’on était encore en guerre.

Je n’avais pas encore fait d’enquête sur le terrain à cette époque-là mais, dès que la guerre a éclaté,

j’ai constaté l’existence des deux phénomènes qui se mblaient la caractérise r. Le premier est ce

qu’il est convenu d’appeler le processus de nettoyage ethnique, dans le cadre duquel des

populations étaient, par un moyen ou par un autre, chassées des régions qu’elles habitaient. Le

second phénomène est celui de la destruction massive du patrimoine culturel associé à ces

communautés.

Pour me renseigner, j’ai commencé à rass embler, dans ce qui avait été publié, des

photographies, des comptes rendus d’entretiens avec des réfugiés et d’autres éléments

d’information. J’ai rédigé un article qui passait en revue les éléments que j’avais pu rassembler sur

ces questions. Mais, globalement, il m’a fallu pl us d’une décennie pour acquérir les éléments

d’information sur les événements intervenus en Bo snie et parvenir à mon niveau actuel d’expertise

sur ce sujet. J’en sais manifestement plus aujour d’hui qu’il y a dix ou douze ans. Toujours est-il

qu’à mon avis, les conclusions de fond que j’ai pu formuler à l’é poque sont toujours plus ou moins

celles que je formule aujourd’hui.

Le PRESIDENT : Monsieur Riedlmayer, on vous a demandé précisément de dire, si possible

en une phrase ou deux, quelles étaient ces conclusions. - 55 -

58 M. RIEDLMAYER : Mes conclusions étaient en fait celles-ci : en premier lieu, le patrimoine

culturel de Bosnie-Herzégovine n’a pas seulement ét é détruit pendant les combats, mais semblait

avoir été délibérément pris pour cible; en deuxi ème lieu, l’étendue de ces destructions était

considérable; enfin, en troisième lieu, les destruc tions semblaient aller de pair avec l’expulsion des

populations liées à ce patrimoine.

Le PRESIDENT : Merci. Je donne la parole à M. le juge Tomka pour qu’il pose sa question.

Le juge TOMKA: Merci, Madame le prési dent. MonsieurRiedlmayer, d’après votre

curriculum vitae, page6, vous avez participé en mars 1994 à la conférence internationale sur le

thème «Génocide 1944-1994», qui s’est déroulée à l’Université Duke, en Caroline du Nord, et vous

avez présenté une communication intitulée «Cultu re et génocide en Bosnie-Herzégovine».

Auriez-vous l’amabilité de nous dire brièveme nt les vues ou les conclusions que vous avez

formulées dans cet article ?

M. RIEDLMAYER: La conférence avait été organisée pour commémorer le cinquantième

anniversaire de la publication des travaux de Rafael Lemkin sur les méthodes employées par l’Axe

pendant son règne en Europe, qui étaient les pr emiers du genre et dans lesquels le terme

«génocide» a été employé pour la première fois . Selon le sens premier donné par Lemkin à la

notion de génocide, la destruction de la culture ét ait l’un de ses éléments essentiels. La définition

retenue dans la convention sur le génocide, adoptée je crois quatre ans plus tard, fut toutefois bien

plus restrictive. Dans la mesure où la culture j oue un rôle dans le génocide, d’après ce que je sais

de la jurisprudence, et je ne suis pas un expert en droit…

Le PRESIDENT: Puis-je vous rappeler qu’ on vous demande de dire quelles étaient vos

conclusions ?

M. RIEDLMAYER: Mes conclusions étaient que , lors de cette conférence qui portait sur

l’héritage de Lemkin, j’ai essayé de montrer que les événements de Bosnie répondaient aux

définitions de Lemkin.

Le PRESIDENT : Merci. Je donne à présent la parole à M. le juge Simma. - 56 -

Le juge SIMMA: Merci, Madame le président. J’ai deux questions à poser à

M. Riedlmayer. La première concerne le probl ème de la destruction des lieux de culte orthodoxes

59 pendant la guerre. Vous avez dit que vous n’avi ez pas été chargé d’examiner cette question, mais

vous avez indiqué que des destructions avaient ét é causées par les forces croates qui combattaient

les forces serbes. Voici ma question: avez-vous d es éléments d’information sur le respect ou le

non-respect par les forces de Bosnie-Herzégovine ⎯ dont les moudjahiddin ⎯ des lieux de culte

orthodoxes dans les zones de combat ? Voilà donc ma première question.

Quant à ma seconde question, vous avez dit qu’ il y avait environ mille sept cents mosquées

en Bosnie-Herzégovine, dont environ neuf cents ont été détruites par ⎯disons, au sens exact du

terme ⎯ des Serbes, et entre cent et deux cents par les forces croates. Est-ce que ce chiffre de

mille sept cents mosquées comprend celles qui se trouvent sur le territoire de Bosnie-Herzégovine

tout entier, c’est-à-dire y compris celles qui sont situées dans des territoires qui n’ont jamais été

concrètement le théâtre d’opérations ?

M. RIEDLMAYER: Merci. Je répondrai d’a bord à la seconde question car elle est plus

facile. Le nombre de mosquées vaut pour tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine, y compris les

lieux qui n’ont pas été touchés par la guerre. Donc , en fait, dans les secteurs où des destructions

ont été commises, celles-ci étaient probablement plus intenses à cause de ce rapport de proportion.

Votre première question, qui porte sur les fo rces du Gouvernement de la Bosnie, appelle une

réponse assez complexe. Tout d’abord, pour ce qui est des moudjahiddin, je n’ai jamais effectué de

travaux sur le terrain en Bosnie centrale, là où l es moudjahiddin étaient plus actifs. Toutefois, si

j’ai bien saisi le verdict récemme nt prononcé par le TPIY en l’affaire Hadzihasanovic, dont la

responsabilité avait été engagée notamment pour les destructi ons de monuments culturels

commises par les moudjahiddin, le Tribunal a j ugé que l’armée du Gouvernement de Bosnie, en

tout cas à l’époque des faits en cause, ne contrôla it pas les moudjahiddin et ne pouvait dès lors pas

être jugée responsable de leurs faits.

Quant à ce que je sais des attaques de monu ments serbes par les forces du Gouvernement de

la Bosnie, les attaques ont surtout eu lieu, à ma c onnaissance, au cours de la dernière phase de la

guerre, lorsque la ligne de front des Serbes de Bo snie s’écroulait, notamment au nord-ouest de la

Bosnie, quand l’armée bosniaque a repris de vastes étendues de territoire. Sur ce territoire - 57 -

reconquis, dans les grandes villes, les monumen ts orthodoxes serbes n’ét aient en général pas

attaqués. Cela dit, il y a autour de ces villes de nombreuses municipalités dans lesquelles j’ai fait

un gros travail de terrain, et j’ ai pu constater que, dans plusieur s villages, les églises orthodoxes

serbes avaient été incendiées. Quand j’ai interrogé l es riverains à ce sujet, ils ont dit que la plupart

60 des destructions étaient l’Œuvre de civils, parfois de simples soldats puis ont affirmé ⎯ je ne peux

absolument pas corroborer ces propos ⎯ que les officiers avaient au moins tenté de les arrêter. Je

pense, c’est du moins pur bon sens, que, logiquement, si le gouvernement avait eu pour politique de

détruire les églises orthodoxes, ces églises n’auraient pas été laissées intactes dans les villes. En

même temps, les dirigeants du Gouvernement de Bo snie ont déclaré non sans fierté que les églises

serbes ne couraient pas de risques dans les v illes où les mosquées et les églises catholiques

couraient précisément ces risques, tout cela pour pouvoir dire, au moins pour pouvoir parader, cela,

nous ne le faisons pas et c’est ce qui nous différe ncie du camp adverse. Evidemment, les gens ne

font pas toujours ce qu’ils disent qu’ils font. Ce sont donc là des observations informelles, de toute

évidence.

Le PRESIDENT : Merci. Nous en venons à pr ésent à la dernière question qui sera posée ce

matin. Monsieur le vice-président ?

Le VICE-PRESIDENT : Monsieur Riedlmayer, vous dites avoir étudié l’histoire ottomane et

on vous a demandé si certaines mosquées avaient été érigées là où avaient d’abord été construites

des églises au Moyen Age, question à laquelle, en l’occurrence, vous n’avez pas pu répondre.

Vous avez dit ensuite qu’à certains endroits en Bosnie-Herzégovine et probablement dans les

Balkans, les Ottomans avaient pour politique de c onvertir les grandes églises en mosquées et de

laisser les églises de moindre importance à leur population chrétienne ⎯ en tout cas, c’est ce qui a

été constaté. J’ai ensuite remarqué que, dans l’une des pièces, vous évoquez une cathédrale, une

cathédrale serbe, construite pendant la période ottomane. Pouvez-vous, s’il vous plaît, me dire

quelle était exactement la politique des Ottomans ? Consistait-elle à détruire les églises

orthodoxes, à les tolérer, à les favoriser ? Veuillez être bref, même si je sais que ce n’est pas facile

car les Ottomans ont régné fort longtemps dans les Balkans. - 58 -

M. RIEDLMAYER : Merci. Je présume que vous faites référence à Cajnice. Il s’agit d’une

grande église orthodoxe abritant une icône miraculeuse et à laque lle est accolée une mosquée qui,

en fait, a l’air plus petite. L’église a été reconstr uite plusieurs fois pendant le règne ottoman; il

s’agit d’une situation très curieuse car en théorie, selon les règles de la charia que les Ottomans

observaient au moins symboliquement, les égli ses et synagogues préexistantes peuvent être

reconstruites à condition qu’elles ne soient pas plus grandes ni plus belles qu’avant. En réalité,

61 cette règle était constamment violée. L’exemple le plus célèbre est la vieille synagogue de

Sarajevo. Avant la conquête ottomane, il n’y avait pas de Juifs à Sarajevo et c’est pourquoi,

finalement, au moyen d’une fiction juridique fa miliale, il a été inventé une synagogue préexistante

avant qu’il en soit construit une nouvelle sur un te rrain affecté au culte musulman. De même, à

Zitomislic, au sud de Mostar ⎯ le monastère dont j’ai fait mention dans mon exposé ⎯, il y avait

eu une petite église orthodoxe préexistante qui a pu être agrandie avec l’autorisation du

Gouvernement ottoman aux XVI e et XVII siècles et, en fait, il y avait même des églises et des

monastères qui ont été érigés à l’aide de contributions de donateurs musulmans. L’exemple le plus

frappant se trouve dans l’une des villes que j’ai mentionnées dans mon exposé, Nevesinje, où

l’église orthodoxe de la ville a été construite au XIX esiècle, près de la vieille mosquée principale

de la ville sur un terrain donné pa r la communauté musulmane, de manière que les paysans serbes

qui faisaient leur marché dans la ville, peuplée su rtout de Musulmans, disposent d’un lieu de culte.

Lorsque je me suis rendu sur les lieux, bien sûr, la mosquée n’était plus là et l’église était toujours

là.

Le PRESIDENT: Merci. Ainsi s’achève l’audition de M.Riedlmayer. Nous vous

remercions beaucoup d’avoir déposé.

La Cour se réunira le lundi 20 mars à 10 heures pour entendre l’exposé du deuxième expert

appelé par la Bosnie-Herzégovine.

L’audience est à présent levée.

Mme KORNER : Excusez-moi, Madame le prési dent, mais, avant que l’audience soit levée,

je voudrais soulever un point de procédure. La Cour a énoncé des règles assez strictes concernant

le déroulement de la présente phase de l’instance. Je me demandais si vous pourriez, avec la Cour, - 59 -

envisager l’adoption de la nouvelle règle suivante : si l’on parle à des témoins de documents relatifs

à des choses qu’ils ont dites, ces documents doivent être disponibles dans le prétoire afin que, par

équité à l’égard du témoin, celui-ci puisse voir quels propos lui sont attribués.

Le PRESIDENT : Madame Korner, il va sans dire que nous prenons très au sérieux toutes les

demandes formulées par les conseils. Vous comp rendrez que ces questions visaient l’impartialité

du témoin et des textes dont il était l’auteur. Je pe nse donc que, dans ce cas particulier, le témoin

n’a pas été surpris que l’on fasse état de ses propres travaux.

62 Mme KORNER : Je pense, et pardonnez-moi de vous retenir encore un peu plus longtemps,

je pense cependant que le problème se pose, co mme vous l’avez vu ce matin, parce que le témoin

dit : puis-je voir cela car je ne me souviens pas exacte ment de ce que j’ai dit. Et si le propos cité

est examiné hors contexte, nous n’avons aucun moye n de le vérifier sauf si nous disposons de

l’article.

Le PRESIDENT : Oui, la Cour tiendra compte de votre observation. Merci.

L’audience est levée à 13 h 10.

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