CRW
CR 2005/19 (traduction)
CR 2005/19 (translation)
Mercredi 6 juillet 2005 à 15 heures
Wednesday 6 July 2005 at 3 p.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte. La Cour siège aujourd’hui
pour entendre le second tour de plaidoiries de la République du Rwanda. Le Rwanda présentera
cet après-midi à la barre sa réplique sur les questions de la compétence et de la recevabilité. Je
donne donc la parole à M. Greenwood.
M. GREENWOOD :
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour; plaise à la Cour.
1. Introduction
1.1. En clôturant hier la séance, vous avez, Monsieur le président, en
gagé les Parties à se
montrer concises lors du second tour de plaidoiries. C’est bien volontiers que j’accéderai à votre
demande, et mon intervention ne devrait pas durer pl us d’une heure. Si le Rwanda est en mesure
d’être bref, c’est en grande partie parce que le Congo n’a guère avancé d’arguments auxquels il
nous faille répondre. Nonobstant le cadre parfaitement circonscrit dans lequel s’inscrit la présente
procédure orale, et le principe selon lequel les arguments sur le fond ne sont pas pertinents au stade
de l’examen de la compétence, le conseil du Congo a gratifié la Cour ⎯si «gratifier» est bien le
mot ⎯ d’une litanie d’observations sur les allégations qu’il avancerait si l’affaire en était au stade
du fond. Le Rwanda n’entend pas se laisser entraî ner dans un duel oratoire en lançant à son tour
des accusations dépourvues d’objet et de fondement.
1.2. Le Rwanda ne s’abaissera pas davantag e à asséner des propos aussi insultants que ceux
dont nous ont accablés hier nos contradicteurs. L’ accusation de mauvaise foi n’est pas à brandir à
la légère devant un tribunal international, et elldevrait toujours être étayée par des éléments de
preuve dépourvus d’ambiguïté et concluants . Le conseil du Congo s’est montré aussi
déraisonnable qu’excessif en proférant hier de telles accusations, sans les étayer fût-ce d’un
semblant de preuve. Le Rwanda rejette catégoriquement l’allégation selon laquelle il aurait, à un
quelconque moment de l’affaire, agi autrement que de bonne foi. Mais ces allégations du Congo, si
elles risquent de faire tourner la discussion à laigre, n’apportent rien aux questions posées à la
Cour, et je n’y reviendrai plus. - 3 -
1.3. A la vérité, le fait pour un Etat de soulev er des exceptions à la compétence de la Cour
parce qu’il n’a pas accepté cette compétence ne constitue nullement un argument politique, comme
1
l’a soutenu hier le Congo . Il ne s’agit pas davantage d’une manŒuvre dilatoire ni de la
9 manifestation d’une faiblesse quant au fond ⎯ comme a voulu le faire accroire M. Akele Adau 2 —
, et encore moins d’un abus de procédure. Il s’agit de l’expression parfaitement régulière du droit
qu’a un Etat de ne pas avoir ⎯ pour reprendre la formule de S. Rosenne 3 ⎯ à rendre compte de ses
actes devant un tribunal international s’il n’y a pas consenti. Soulever une telle exception n’est pas
faire preuve de mauvaise foi. Et j’ajouterai, respectueusement, que le Rwanda n’a pas besoin
d’être invité ⎯comme l’a fait sur un ton quelque peu condescendant le conseil du Congo 4 — à
«rejoindre» la communauté internationale en acce ptant de manière inconditionnelle la compétence
de la Cour, pas plus, du reste, que les dix parties défenderesses dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force, sans parler des autres Etats — ils sont plus de cent ⎯ qui n’ont pas
fait de déclaration en vertu de la clause facultative. J’ajouterai encore que le fait de soulever une
exception préliminaire ne relève pas d’un numér o de haute voltige, comme l’a affirmé un des
conseils du Congo, encore que je sois flatté qu’il m’ait cru capable de tels exploits acrobatiques
⎯ aériens ou autres : alors qu’il vient d’être décidé que Londres accueillerait les Jeux olympiques
de 2012, voilà qui m’ouvre de nouvelles perspectives de carrière !
1.4. Du très extravagant argument du forum prorogatum qui nous a été exposé hier 5, je ne
dirai rien sinon que, si l’on suit la logique du Congo, un Etat ne pourrait contester la compétence de
la Cour qu’en acceptant cette compétence. Le plus sûr pour l’Etat défendeur —si mon éminent
contradicteur dit vrai — serait de s’abstenir tout bonnement de comparaître. Est-ce là, Monsieur le
président, réellement un argument séduisant? Il nous ramène à la période noire du début des
années 1970, quand les Etats qui contestaient la compét ence de la Cour refusaient de participer aux
1CR 2005/18, p. 33 et suiv.
2
CR 2005/18, p. 17-18, par. 31-32.
3
Rosenne, The Law and Practice of the International Court: 1920-1996 (Kluwer, 1997), vol.II, p.563
[traduction du Greffe].
4CR 2005/18, p. 38, par. 9.
5CR 2005/18, p. 16-18. - 4 -
instances. Et puisqu’il équivaut à faire litière des dispositions du Statut, du Règlement de la Cour,
de près de soixante années de jurisprudence constante et du simple bon sens, je n’y reviendrai plus.
1.5. Quant à nos arguments sur les conséquences de l’ordonnance de2002, je ne m’y
attarderai guère plus d’une minute. Je n’ai nullement fait valoir ⎯comme a cru le comprendre
M. Akele Adau ⎯ que lorsque la Cour conclut, prima facie, à l’absence de base de compétence, le
requérant n’a aucune chance d’obtenir gain de cause au stade des exceptions préliminaires. J’ai
10 même, dans un long développe ment, affirmé le contraire 6. Ce que j’ai dit, Monsieur le président,
c’est qu’un Etat qui n’a pas eu gain de cause prima facie ne peut espérer obtenir de la Cour une
décision différente au stade des exceptions prél iminaires, à moins d’avoir été en mesure de
présenter des arguments plus convaincants et de produire, si nécessaire, de nouveaux éléments de
preuve à même de convaincre la Cour que les cond itions préalables à sa saisine sont remplies. Or,
le Congo n’a fait ni l’un ni l’autre.
1.6. Quant à la thèse de M. Katansi sur «l’incompétence non manifeste de la Cour» 7, ⎯ avec
tout le respect dû à mon contradicteur ⎯ elle mélange deux questions entièrement distinctes : celle
de savoir s’il existe des motifs suffisants pour rayer une affaire du rôle de la Cour avant la tenue
d’audiences sur la compétence, et celle de savoir s’il existe des éléments suffisants pour fonder la
compétence de la Cour. L’Etat demandeur peut o bvier à la radiation d’une affaire, à un stade que
l’on peut qualifier de «pré-préliminaire», en établissant que la Cour n’est pas manifestement
incompétente. Mais pareille démonstration ne suffit plus au stade des exceptions préliminaires. La
seule absence d’incompétence manifeste ne confère pas à la Cour une compétence; la Cour ne
pourra connaître d’une affaire qu’en présence effective d’une compétence.
1.7. Je me contenterai donc, Monsieur le prési dent, de revenir sur quatre questions qui, à la
suite des plaidoiries d’hier, appellent quelques précisions :
⎯ premièrement, celle de savoir si la convention de Vie nne sur le droit des traités peut être
invoquée pour fonder la compétence de la Cour;
6
Comparer les termes que j’ai effctivement employés (CR 2005/17, p.21-22, par.2.29-2.32) à la citation
erronée figurant dans le CR 2005/18, p. 11, par. 7.
7CR 2005/18, p. 31-32. - 5 -
⎯ deuxièmement, la question de la réserve à l’article IX de la convention sur le génocide formulée
par le Rwanda;
⎯ troisièmement, le point de savoir si le Congo a étab li qu’il avait satisfait aux conditions
préalables à la saisine prévues par la conventi on sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes, la convention de Montréal et la constitution de l’OMS; et
⎯ et enfin, le point de savoir si la nouvelle requête du Congo est irrecevable en tant qu’elle
constitue un abus de procédure.
2. La convention de Vienne sur le droit des traités n’est pas une base de compétence
1.8. Je serai très bref, Monsieur le président, sur la question de la convention de Vienne qui a
ressurgi de manière inattendue au cŒur de l’argumentation du Congo hier 8, alors qu’elle avait été
11 complètement ignorée dans le contre-mémoire du Congo. Le Rwanda a déjà montré que
l’article66 de la convention de Vienne n’est pas une disposition qui confère compétence pour
connaître de différends portant sur des violations alléguées de règles du droit international du seul
fait que ces règles possèdent le statut de jus cogens. L’article 66 a trait à la question beaucoup plus
restreinte du règlement des différends portant sur le point de savoir si un traité donné est contraire à
une norme de jus cogens. Cet argument avait été accepté par la Cour dans son ordonnance de 2002
9
et n’a pas été contesté par le Congo hier .
1.9. Ce qui s’est effectivement fait jour hier, durant l’intervention de M.Ntumba, c’est un
argument totalement inédit, dont la teneur était la suivante :
1. première assertion : les réserves font partie intégrante d’un traité;
2. deuxième assertion : le Congo soutient que la réserve à la convention sur le génocide émise par
le Rwanda —et, on peut aussi le supposer, sa réserve à la convention sur la discrimination
raciale — sont contraires à une règle de jus cogens;
3. par conséquent, il existe un différend entre les Parties au sujet de la compatibilité d’un traité
10
avec une norme de jus cogens qui peut entrer dans le champ d’application de l’article 66 .
8 CR 2005/18, p. 44-47.
9
Ordonnance du 10 juillet 2002, C.I.J. Recueil 2002, p. 246, par. 75.
10CR 2005/18, p. 46, par. 38-40. - 6 -
1.10. Monsieur le président, la réponse à cet argument sera très brève. La convention sur le
génocide est devenue applicable entre le Rwanda et le Congo lorsque le Rwanda y a adhéré
en1975. La convention sur la discrimination raciale est entrée en vigueur entre les deux Etats
lorsque le Congo est devenu partie à celle-ci en 1976. En revanche, la conve ntion de Vienne n’est
entrée en vigueur pour les deux Parties, et n’a du reste pris effet à l’égard de quiconque, qu’en
janvier 1980. Désormais, l’article 4 de la convention de Vienne dispose que :
«Sans préjudice de l’application de toutes règles énoncées dans la présente
convention auxquelles les traités seraient s oumis en vertu du droit international
indépendamment de ladite convention, ce lle-ci s’applique uni quement aux traités
conclus par des Etats après son entrée en vigueur à l’égard de ces Etats.» 11
1.11. Les dispositions de l’article66 étant de nature plutôt juridictionnelle que normative,
elles ne sont simplement pas décl aratoires d’une règle de droit c outumier. Elles ne peuvent donc
lier les Etats que sur un plan conventionnel et uniquement en vertu des termes du traité. Selon
l’article4, les dispositions de l’ article66 ne sont pas rétroactives . Il s’ensuit que l’article66 ne
pourrait en aucune façon s’appliquer à un différend entre le Congo et le Rwanda concernant la
12
validité de la réserve du Rwanda, même si les arguments de M.Ntumba étaient par ailleurs
irréfutables.
1.12. De plus, Monsieur le président, même si l’article66 était rétroactif, quel intérêt cela
présenterait-il pour le Congo en la présente espèce ? Aucun. Cela ne pourrait servir — de l’aveu
même du Congo — qu’à donner compétence à la Cour sur la question de la validité de la réserve du
Rwanda. Mais le Rwanda reconnaît que la Cour peut se prononcer sur ce point en tout état de
cause, dans le cadre de son examen de la ques tion de savoir si la convention sur le génocide
constitue une base de compétence. L’article66 n’ap porte rien à ce sujet et il ne saurait conférer
compétence pour connaître d’aucune des allégations contenues dans la requête du Congo.
1.13. Pour ce qui est de la validité de la ré serve, Monsieur le président, le Congo l’a de
nouveau contestée en affirmant que l’inte rdiction du génocide était une règle de jus cogens. Nous
ne le nions pas. Mais, comme la Cour l’a souli gné dans l’ordonnance qu’elle a rendue en 2002, la
12
réserve du Rwanda «ne porte pas sur le fond du droit, mais sur la seule compétence de la Cour» et
11
Les italiques sont de nous.
12
C.I.J. Recueil 2002, p. 245-246, par. 71-72. - 7 -
seule la norme de fond possède le statut de jus cogens. Du reste, le Rwanda n’est nullement le seul
à avoir émis une réserve à l’article IX de la convent ion sur le génocide. Cet article a fait l’objet de
réserves identiques de la part d’Etats aussi divers que l’Argentine et la République populaire de
Chine, la Malaisie et l’Algérie, sans parler de l’Espagne et des Etats-Unis (réserves dont la validité
a déjà été consacrée par la Cour dans ses ordonnances rendues en 1999 dans les affaires relatives à
la Licéité de l’emploi de la force ). Et, dans lesdites affaires, la Cour a estimé en1999 que les
réserves de l’Espagne et des Etats-Unis d’Améri que avaient pour effet une absence manifeste de
compétence à l’égard de ces deux Etats. Compte tenu de cette jurisprudence, la décision de la Cour
en la présente espèce — selon laquelle il n’y avait pas absence manifeste de compétence — ne peut
s’expliquer que par rapport aux autres traités invoqués par le Congo et non par rapport à la
convention sur le génocide.
3. La convention sur le génocide n’est pas une base de compétence
1.14. J’examinerai donc à présent la question de savoir si la convention sur le génocide
elle-même peut être considérée comme une base de compétence. On semble s’accorder à
reconnaître que la question qui oppose les Parties à cet égard concerne la réserve à l’articleIX
émise par le Rwanda. En2002, le Congo a contesté la validité de cette réserve, mais cette
13 contestation a été rejetée par la Cour 13. Bien que le Congo n’ait pas mentionné la convention sur le
14
génocide dans son contre-mémoire, da ns ses conclusions , mon éminente amie, MmeWells, a
répondu à l’argument que le Congo avait avancé en 2002 car, dans le contre -mémoire, le Congo
réitère de manière générale tous les arguments qu’il avait développés précédemment.
15 16
1.15. Toutefois, hier, nous avons entendu M.AkeleAdau et M.Bonyi présenter une
argumentation entièrement nouvelle au sujet de la convention sur le génocide. Ils ont laissé
entendre à la Cour que le Rwanda avait retiré sa réserve il y a dix ans. Or, cela n’est pas le cas.
1.16. Le Rwanda n’a jamais notifié le retrait de sa réserve au dépositaire (le
Secrétaire-général de l’Organisation des Nations Unies), ni pris aucune mesure au plan
13Ordonnance du 10 juillet 2002, C.I.J. Recueil 2002, p 245-246, par. 71-72.
14
CR 2005/17, p. 35-37.
15
CR 2005/18, p. 22-23.
16CR 2005/18, p. 49-50. - 8 -
international tendant à la retirer. C’est la rais on pour laquelle sa réserve figure toujours dans la
liste, tenue par le Secrétaire-général, des réserv es et des déclarations formulées par les Etats à
l’égard de la convention. Et ce constat devrait permettre, à mon av is, de régler la question et de
clore le débat, car ce sont ces mesures officie lles prises au plan international qui constituent
l’expression définitive de la position d’un Etat con cernant les obligations qui lui incombent en
vertu d’un traité.
1.17. Toutefois, les conseils du Congo ont f ondé leur argumentation sur certains faits qui
auraient eu lieu sur un plan national, au Rwanda . Ils se sont appuyés en premier lieu sur un
passage d’un manuel écrit par deux auteurs canadiens, MM.Schabas etImbleau et intitulé
Introduction au droit rwandais. Dans ce manuel, après avoir ment ionné le fait que la réserve avait
été formulée en 1975, les auteurs indiquent que : «Le Rwanda s’est toutefois engagé à lever toutes
ces réserves en matière de protection des droits de la personne (art. 15, Arusha VII) et a adopté une
loi en ce sens en 1996 (Décret-loi 014/01 du 15 février 1995).»
Ce passage figure à la page189 de la version anglaise du manuel publiée en1997. Or, je crois
comprendre que mon estimé ami, le conseil du Congo, a cité hier une autre référence dont nous
supposons qu’elle est tirée de la traduction françai se de cet ouvrage, publiée deuxans plus tard.
14 Malheureusement, nous n’avons pas été en mesure de vérifier cette citation, car le manuel, dans sa
version française, a été emprunté à la bibliothèque du Palais de la paix et nous n’avons pu nous en
procurer un autre exemplaire ailleurs.
1.18. Examinons d’un peu plus près l’affirmati on contenue dans le manuel. Je commencerai
par dire un mot de l’accord de paix d’Arusha. Ce n’est pas un traité ⎯ en fait, il ne s’agit pas d’un
instrument international d’aucune sorte. Il s’agit d’un accord, ou, plus précisément, d’une série
d’accords conclus en août 1993, c’est-à-dire peu avant le début du génocide qui a déchiré la société
rwandaise, entre le Gouvernement de la République rwandaise de l’époque et le Front patriotique
rwandais. Cet accord prévoyait la constitution d’un «Gouvernement de transition à base élargie».
L’article 15 de son annexe VII dispose :
«Le Gouvernement de transition à base él argie devra ratifier tous les traités,
conventions, accords et pactes internationaux en rapport avec les droits de l’homme et
que le Rwanda n’a pas encore ratifiés. Il devra lever toutes les réserves que le
Rwanda a émises au moment de son a dhésion aux uns [et aux autres] de ces
instruments internationaux.» - 9 -
1.19. L’accord ne fait pas mention de la conven tion sur le génocide en tant que telle, et ne
précise pas si les réserves visées comprennent aussi bien celles relatives à la compétence que celles
se rapportant aux dispositions de fond. Qui plus est, l’accord de paix d’Arusha ne constitue pas un
engagement de la République rwandaise à l’ég ard d’un autre Etat ni de la communauté
internationale dans son ensemble. C’est un acco rd interne entre différents mouvements politiques
rwandais — accord qui n’a jamais été mis en Œuvre sous la forme initialement envisagée en raison
du génocide déclenché en 1994 par les opposants à l’accord.
1.20. L’accord de paix d’Arusha a été mis en oeuvre au Rwanda, dans un contexte différent,
par le nouveau gouvernement de coalition qui a pris le pouvoir après que les génocidaires eurent
été renversés, au second semestre de 1994. En février 1995, peu après la défaite des génocidaires,
le président rwandais de l’époque a promulgué le Décret-loi014-15 de1995. Ce décret, qui,
comme l’article 15 de l’accord de paix d’Arusha, ét ait libellé en termes très généraux, autorisait le
retrait de toutes les réserves émises par le Rwanda à tous les accords internationaux. Il n’aurait pas
pu être plus général.
1.21. Mais ce que MM. Schabas et Imbleau omettent de mentionner dans leur manuel, c’est
qu’en vertu des instruments constitutionnels alors en vigueur au Rwanda, le Parlement ⎯ appelé à
l’époque «assemblée nationale de transition» ⎯ devait approuver un décret de cette nature au cours
de la session immédiatement consécutive à l’adopti on du dit décret, fait attesté à l’article20 de
l’accord de paix d’Arusha. La session qui a immédiatement suivi l’adoption du décret 014-15 a eu
lieu entre le 12 avril et le 11 juillet 1995. Le décret n’a pas été approuvé, et est donc devenu caduc.
15 De surcroît, un décret non approuvé lors de la session qui suit immédiatement son adoption ne peut
l’être lors d’une session ultérieure du Parlement.
1.22. Il s’ensuit que le Gouvernement rwandais n’ a jamais pris de mesure tendant à retirer la
réserve à l’articleIX de la convention sur le génocide, car la procédure juridique interne
d’habilitation qui lui aurait permis de le faire n’a pas été approuvée par le Parlement. Qui plus est,
au moment des événements sur lesquels porte la requête du Congo, cette procédure juridique
interne n’aurait pas pu être approuvée. La réserve à la convention sur le génocide et la réserve à la
convention sur la discrimination raciale n’ont pas ét é retirées, et le Rwanda ne s’est pas engagé, à
l’égard d’un quelconque autre Etat, à retirer ces réserves. - 10 -
1.23. Il est regrettable que MM.Schabas etIm bleau, qui ne sont évidemment ni l’un ni
l’autre des juristes rwandais, aient commis une erreur d’appréciation sur ce point, bien que cela soit
parfaitement compréhensible en égard aux difficultés qu’il y avait à établir ce qui s’est
véritablement passé au Rwanda entre 1993 et 1995. Je dois dire qu’il est aussi regrettable que cet
aspect quelque peu technique du dro it rwandais ait été soulevé à ce stade si tardif de l’instance.
Cela n’a pas permis au Rwanda d’apporter à la Cour le degré normal d’assistance que l’on peut
attendre d’un Etat qui constate que son droit interne est mis en cause en la présente instance.
Toutefois, je suis convaincu qu’il s’agit là d’un point qui n’a été porté à la connaissance des
conseils du Congo qu’à la dernière minute, car rien ne laisse supposer que le Congo ait même
connu l’existence du décret 014-15 jusqu’à une date très récente. Je suis certain que si tel avait été
le cas, il en aurait fait mention dans son contre -mémoire. Rien n’indique donc que le Congo ait
pensé à un moment quelconque pouvoir invoquer le décret ou l’accord interne d’Arushacomme
une preuve de l’engagement du Rwanda à retirer sa réserve.
1.24. Le conseil du Congo a fait allusion hier à un autre texte ⎯ une déclaration prononcée
le 17mai dernier par le ministre rwandais de la justice devant la Co mmission des droits de
l’homme des NationsUnies 17. Entre hier soir et ce matin ⎯ et en l’absence, malheureusement,
d’une citation appropriée ⎯ nous avons été dans l’impossib ilité de retrouver un compte rendu
officiel de la séance en question, mais j’ai lu la partie pertinente des notes de l’orateur et je me suis
entretenu pendant la nuit avec le ministre de la jus tice. Ainsi qu’il ressort clairement de la citation
de la déclaration du ministre que mon éminent am i, M.Bonyi, a lue hier devant vous, ce que le
16 ministre a dit, c’est que le Rwanda avait l’intenti on de lever, un jour ou l’autre, des réserves non
spécifiées à des conventions non spécifiées en matière des droits de l’homme. Cette déclaration
appelle deux précisions. Première ment, elle contredit manifestement l’argument selon lequel le
Rwanda aurait déjà levé ces mêmes réserves il y a dixans. Deuxièmement, une déclaration
d’intention de cette nature, éman ant non pas d’un ministre des affaires étrangères ou d’un chef de
gouvernement automatiquement investis du pouvoir d’ engager l’Etat concerné pour les questions
de relations internationales, mais émanant d’un ministre de la justice, ne peut lier l’Etat et l’obliger
17
CR 2005/18, p. 50, par. 16. - 11 -
à lever une réserve particulière et peut, de fait, n’avoir jamais été prononcée dans cette optique. A
plus forte raison, elle ne peut avoir pour effet de permettre réellement de lever les réserves en
question. De même, avec tout le respect dû à la Cour, aucune déclaration prononcée dans une telle
enceinte près de troisans après l’introduction de la présente instance ne saurait avoir d’incidence
sur la question de la compétence, laquelle, ainsi que la Cour l’a bien précisé, doit être tranchée par
rapport à la situation qui existait à la date du dépôt de la requête — principe posé par exemple dans
les affaires relatives à l’Incident aérien de Lockerbie en 1998.
4. La République démocratique du Congo n’a pas respecté les conditions préalables à la
saisine de la Cour énoncées dans la conventi on sur l’élimination de la discrimination à
l’égard des femmes, la convention de Montréal et la constitution de l’OMS
1.25. Permettez-moi, Monsieur le président, de passer maintenant à la question de savoir si le
Congo a respecté les conditions préalables à la saisine de la Cour énoncées dans l’article 29 de la
convention sur l’élimination de la discrimina tion à l’égard des femmes, l’article14 de la
convention de Montréal et l’article 75 de la constitution de l’OMS.
1.26. Je ne reprendrai pas les arguments concernant les étapes qui doivent être respectées,
arguments que MmeWells et moi-même avons dé veloppés lundi et qui sont présentés de façon
détaillée dans le mémoire du Rwanda. Nous nous co ntenterons de faire observer que le Congo n’y
a pas apporté véritablement de réponse sérieuse dans sa plaidoirie d’hier. J’aimerais plutôt me
concentrer aujourd’hui sur deux points, à savoir ce que le Congo a dit hier sur les négociations et ce
qu’il n’a pas dit sur l’arbitrage.
1.27. Voyons tout d’abord les commentaires du Congo sur les négociations. Ses arguments à
18
ce sujet ont été présentés par M.Ntumba . Pour l’essentiel, ils peuvent être résumés en trois
propositions :
1. la forme que revêtent les négociations est sans importance. Les négociations bilatérales,
directes, ne sont pas le seul mode de né gociation pouvant satisfaire aux exigences énoncées
dans les conventions pertinentes;
17 2. selon M. Ntumba, les tentatives de négociation menées par le Congo concernant le conflit armé
portaient bel et bien, entre autres, sur les ques tions relevant plus particulièrement de la
18
CR 2005/18, p. 38-44. - 12 -
convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, de la convention de
Montréal et de la constitution de l’OMS; et
3. les négociations sont tombées dans l’impasse ⎯ sans aucun espoir d’aboutissement ⎯ par suite
de l’attitude du Rwanda.
1.28. S’agissant du premier de ces trois points, le Rwanda convient que ce qui importe, c’est
le fond des négociations et non leur forme. Mais le fond doit être examiné de manière bien plus
attentive que ne l’ont fait hier les conseils du C ongo. Pour satisfaire aux exigences de chacune des
trois clauses compromissoires, il faut qu’il y ait une véritable tentative de règlement d’un différend
par la négociation et non une simple énumération de griefs. Le fait que le Congo ait accusé le
Rwanda d’avoir violé une disposition conventionnelle ne constitue pas une tentative d’aboutir à un
règlement négocié d’un différend concernant l’appl ication du traité en question. A fortiori, une
prise de position de l’Union européenne ou un rapport émanant d’une organisation non
gouvernementale ne sauraient se substituer à un effort des deux Parties pour aboutir à un règlement
négocié. De plus, ainsi que le Rwanda l’a toujours soutenu ⎯sans jamais recevoir de réponse
satisfaisante de la part du Congo ⎯ les négociations sur le fond doive nt consister en une tentative
pour régler un différend particulier surgissant dans le cadre du traité en question, et non une
quelconque situation générale.
1.29. S’agissant du deuxième volet de l’argumentation de M. Ntumba, la méthode du Congo,
depuis 2002, a toujours consisté à dire à la Cour «naturellement, nous avons soulevé des questions
relevant plus particulièrement de ces conventions avec le Rwanda, mais nous ne vous fournirons
pas la moindre preuve écrite en ce sens; il va donc falloir nous croire sur parole». Cette méthode
avait échoué en 2002, la Cour estimant ⎯ à une très large majorité ⎯ que le Congo ne l’avait pas
convaincue qu’il avait tenté de régler un différe nd concernant l’interpréta tion ou l’application de
l’une quelconque des trois conventions 19. Mêmelejuge ad hoc Mavungu, lequel ne partageait
pourtant pas la position de la Cour sur ce point, avait estimé que le Congo n’avait fourni aucun
élément de preuve à ce sujet 20.
19
C.I.J. Recueil 2002, p. 247, par. 79 (convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes) et
p. 248, par. 82 (constitution de l’OMS).
20C.I.J. Recueil 2002, p. 289, par. 29. - 13 -
18 1.30. Monsieur le président, le Congo a ensuite disposé de près d’un an de délai avant de
déposer son contre-mémoi re dans lequel il était censé rassembler les éléments de preuve
démontrant qu’il avait tenté de négocier avec le Rwanda sur ces questions particulières. Mais il n’a
présenté à la Cour rien de plus que ce que celle-c i avait jugé insatisfaisant en2002. Absolument
rien. Il y a à cela une bonne raison : de telles preuves n’existent pas, car le Congo n’a, en réalité ,
jamais tenté de négocier avec le Rwanda sur un différend portant plus spécialement sur l’un des
trois traités qui nous intéressent. Quoi qu’il en soit, le Congo a pris le parti de se fonder
exactement sur les mêmes bases que celles qui lu i avaient valu son échec de2002, et il doit
assumer les conséquences de ce choix. De notre point de vue, la seule conclusion possible
aujourd’hui est que, de même que le Congo n’était pas parvenu, en 2002, à convaincre la Cour qu’il
avait satisfait à la condition tendant à recherch er un règlement négocié, il n’y est pas non plus
parvenu en 2005.
1.31. Il y a enfin le troisième point ⎯ l’allégation selon laquelle l es négociations auraient en
tout état de cause été infructueuses. Le Congo affirme que le Rwanda a fait obstacle à toutes ses
tentatives de négociation portant sur le conflit en général. Et comme il soutient également ⎯ et
c’est là, bien sûr, le second point que je viens d’examiner ⎯ que les négociations sur les différends
«ayant trait spécifiquement aux traités» étaient en quelque sorte «incluses» dans ces négociations
générales, la conclusion qu’il suggère à la Cour, c’est que ces négociations auraient elles aussi été
manifestement vouées à l’échec.
1.32. Mais cette question doit être tranchée au re gard de la situation qui existait à la date du
dépôt de la requête: la nouvelle requête a été déposée le 28mai2002. Quels étaient l’état des
négociations à la fin du mois de mai 2002 et les pe rspectives en la matière ? Selon la mission du
Conseil de sécurité dans la région des Grands La cs, la situation était meilleure qu’elle ne l’avait
jamais été par le passé. Ainsi, le 13mai2002, deux semaines avant que le Congo ne dépose sa
requête, la mission jugeait «encourageant l’accueil gé néralement favorable réservé à la proposition
tendant à réunir, le moment venu, une conférence internationale sur la sécurité, le développement et
la paix dans la région des Grands Lacs» 21. Un an auparavant, le 29mai2001, la mission avait
21
Nations Unies, doc. S/2002/537, p. 6, par. 31. - 14 -
rendu compte des discussions qu’elle avait eues av ec l’ensemble des parties intéressées, dont les
Gouvernements du Congo et du Rwanda, avant de conclure en ces termes :
19 «La mission du Conseil de sécurité a cons taté que sa visite dans la région des
GrandsLacs avait fait ressortir de nombreux éléments encourageants. Pour la
première fois depuis le début du conflit, les grandes lignes d’une solution semblaient
se dessiner.»22
Enfin, en février 2002, le dixième rapport de la MONUC, l’opération de maintien de la paix,
évoquait également les chances de parvenir à un rè glement négocié. Les conseils du Congo ont
extrait de ce rapport un commentaire indiquant qu’aucune question de fond n’avait été abordée lors
du sommet de Blantyre, au Malawi. Ce qu’ils ont omis de mentionner, en revanche, c’est que ce
même rapport contenait également le passage suivant: «Le 3février, le président Kagame [le
président du Rwanda] a demandé à tous les signataires de l’accord de Lusaka de se réunir pour
examiner les moyens de faire progresser le processus de paix.» 23
1.33. Certes, la mission s’intéressait au conflit en général. Elle ne se préoccupait pas, par
exemple, d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention de Montréal.
Mais le Congo n’a-t-il pas lui-même insisté sur le fait que ces négociations concernant le conflit en
général incluaient nécessairement des négociations sur les différends «portant plus particulièrement
sur les traités» qu’il dit avoir mis en évidence ? Hier, Monsieur le préside nt, le conseil du Congo
nous a gratifiés d’une jolie métaphore sur le nombre d’ustensiles de cuisine nécessaires pour
préparer un repas. Permettez-moi d’y répondre sur le même mode. Comme le dit le proverbe, «on
ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre» ou, de façon plus banale, «on ne peut pas dire une
chose et son contraire». Si le Congo soutient qu’il convient de traiter les négociations sur le conflit
en général comme s’il s’agissait de négociations sur les différends ayant trait spécifiquement aux
traités, il lui faut alors convenir qu’une avancée décisive dans les négociations portant sur le conflit
en général ⎯intervenue au moment même où il déposait sa requête ⎯ discrédite fatalement sa
thèse selon laquelle toute poursuite des négociations aurait été infructueuse
.
1.34. Et, Monsieur le président il y a bien eu une avancée décisive. A peine quelques
semaines plus tard, le 30 juillet 2002, les Parties à la présente affaire ainsi que d’autres acteurs de la
22
Nations Unies, doc. S/2001/521, p. 16, par. 111.
23
Nations Unies, doc. S/2002/169, p. 6, par. 34. - 15 -
région ont en effet conclu l’accord de Pretoria, le quel a notamment permis d’aboutir au retrait total
24
des forces rwandaises du Congo et à l’entrée d’une partie de l’opposition congolaise au
gouvernement.
1.35. La dernière remarque importante que je souhaiterais faire à propos de la convention sur
l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et de la conventi on de Montréal porte sur
un point que les conseils du Congo ont feint hier d’ ignorer. Le paragraphe 1 de l’article29 de la
20 convention sur l’élimination de la discriminati on à l’égard des femmes et l’article14 de la
convention de Montréal sont pourtant très clairs à ce sujet : si un différend relatif à l’interprétation
ou à l’application de ces conventions ne pe ut être réglé par voie de négociation, il est alors soumis
à l’arbitrage, à la demande de l’une des parties. Ce n’est que si les parties ne parviennent pas à se
mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage dans les six mois qui suivent la date de la demande
d’arbitrage, que l’une ou l’autre des clauses susmentionnées confère compétence à la Cour.
1.36. Il s’ensuit que, même si la Cour devait faire droit à tout ce qu’ont dit hier les conseils
du Congo au sujet des négociations, le Congo devra it encore la convaincre qu’il a satisfait à la
condition selon laquelle il aurait dû, da ns un premier temps, essayer de recourir à l’arbitrage. Or
l’examen le plus attentif de la retranscription des audiences tenues hier montre que les conseils du
Congo n’ont pas prononcé le mot «arbitrage» une seule fois, pas une seule. Le Congo n’avait rien
à dire sur les tentatives qu’il aurait faites pour soumettre à l’arbitrage un quelconque différend
relevant de la convention de Montréal ou de la convention sur l’élimination de la discrimination à
l’égard des femmes, pour la bonne et simple raison qu’il n’a jamais engagé de telles tentatives.
1.37. Il aurait pourtant eu la possibilité de le faire. Ainsi, par exemple, à la suite de la
déclaration du Conseil de l’OACI concernant, entre autres, l’avion prétendument abattu à Kindu, le
Congo aurait pu, s’il avait estimé qu’un différend re latif à l’application de la convention de
Montréal l’opposait au Rwanda, introduire une demande d’arbitrage, que ce soit à cette époque ou
ultérieurement, avant le 28mai2002, date à la quelle il a déposé sa nouvelle requête. Autrement
dit, s’il considérait que la déclaration du conseil de l’OACI ne constituait pas un règlement négocié
du différend, il lui était loisible de demander un arbitr age. Or, il ne l’a pas fait et il n’y a pas, dans
24
MR, annexe 11. - 16 -
aucun des documents qu’il a soumis à la Cour, la moindre allusion au fait que le Gouvernement
congolais aurait ne serait-ce qu’envisagé la possibilité de soumettre un tel différend à l’arbitrage, et
encore moins tenté de le faire. Ce constat vaut aussi, Monsieur le président, pour chacun des
différends dont le Congo a cru pouvoir affirmer l’existence concernant l’application de la
convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes.
1.38. Le fait que le Congo n’ait p as demandé une procédure d’arbitrage ⎯en dehors de
toute autre considération évoquée devant la Cour ⎯ rend indéfendable sa thèse selon laquelle la
Cour serait compétente en vertu de la convention de Montréal ou de la convention sur l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes.
1.39. Il est vrai que cela ne s’applique pas à l’article 75 de la constitution de l’OMS. Mais
hier, le Congo n’a pas répondu à MmeWells lorsqu’elle a soutenu qu’il n’avait pas démontré
21 l’existence d’un quelconque lien entre les obligati ons que cette constitution impose aux Etats et la
situation opposant le Congo et le Rwanda. Il n’a pas non plus expliqué pourquoi l’assemblée de la
santé n avait jamais été appelée à régler un que lconque différend entre les deux Etats concernant
l’interprétation ou l’application de la constitution de l’Organisation. Il s’ensuit que la demande
formulée relativement à ce traité se trouve fatale ment discréditée, ainsi que la Cour l’avait estimé
en 2002.
Hier, le professeur Katansi, citant un auteur japonais, a fait référence à la célèbre fable du roi
nu, dans laquelle un petit garçon est le seul à oser dire que le roi n’est pas vêtu d’un merveilleux
costume, mais qu’il est absolument nu. Et M.Ka tansi d’ajouter que la Cour n’est pas un roi nu.
Pourtant, Monsieur le président, un roi nu arpente bien les couloirs de la présente Cour en ce
moment précis. Ce n’est pas la Cour elle-même, mais le Congo, drapé dans son argument sur la
compétence.
5. Abus de procédure
1.40. Permettez-moi maintenant d’aborder très brièvement les questions de l’abus de
procédure et de la recevabilité. La thèse du Rw anda selon laquelle la nouve lle requête introduite
par le Congo en2002 constitue un abus de procédur e n’a pas été formulée à la légère. Nous
convenons, Monsieur le président, qu’un Etat qui retire sa requête n’est pas automatiquement privé - 17 -
du droit de reitérer cette requête. Tel a ét é notamment le cas dans l’affaire de la Barcelona
Traction en 1964, à l’occasion de laquelle une requête a été déposée une seconde fois, après que les
négociations qui avaient entraîné le retrait par la Belgique de la requête initiale eurent échoué.
1.41. En la présente affaire, les circonstances sont toutefois fort différentes. M.Bonyi a
contesté notre thèse selon laquelle le Congo aurait retiré sa première requête parce qu’il aurait
admis qu’il n’existait pas de base de compétence. Mais notre analyse est pourtant étayée par la
lettre du 15janvier2001, par laquelle les représenta nts du Congo ont indiqué à la Cour que le
Congo souhaitait retirer sa requête. Il y était dit ce qui suit :
«Au vu des arguments développés par le Rwanda dans son mémoire sur la
compétence, je prends acte que le Gouvernement rwandais n’accepte pas de se
défendre devant la Cour sur les argumen ts de fond développés par la République
démocratique du Congo dans sa requête introduite le 23 juin 1999.»
22 D’après cette lettre, c’était donc bien pour cette raison que le Congo retirait sa requête. Il est vrai
également que, dans cette même lettre, le Congo se réservait le droit de déposer une nouvelle
requête fondée sur de nouveaux chefs de compétence.
1.42. Mais, Monsieur le président, le Congo a en réalité introduit une nouvelle requête qui
reprenait, mot pour mot, l’ensemble des éléments contenus dans son ancienne requête, ainsi que
l’ensemble des chefs de compétence, y compris, dois-je le préciser, une convention par laquelle le
Rwanda n’était même pas lié, ainsi que nous l’avons démontré. C’est précisément cela que la Cour
devrait, selon nous, interdire. S’agissant notamment de la convention de Montréal, les allégations
formulées dans la nouvelle requête sont identiques à celles figurant dans la requête de1999.
Aucun nouveau chef de compétence n’est invoqué et, du reste, ne pourrait l’être. Or, Monsieur le
président, si la Cour autorise un Etat à déposer une requête de cette na ture, constate que sa
compétence est contestée par le défendeur ⎯lequel peut à bon dro it soulever ses exceptions
préliminaires le plus tôt possible, ce à quoi l’encourage même le règlement de la Cour ⎯ et
qu’ensuite, le demandeur, ayant pris connaissance des arguments portant sur la compétence
auxquels il devra répondre, se voit autorisé à retirer purement et simplement sa requête, la retire
effectivement, améliore sa thèse, remodèle légè rement son argumentation sur la compétence pour
enfin déposer de nouveau, quelques années plus ta rd, la même requête (ayant ainsi obligé le
défendeur à exposer des frais pour répondre sur la question de la compétence, alors que lui-même - 18 -
n’a engagé aucun frais pour le dé pôt d’un mémoire sur le fond, et ayant contraint le défendeur à
exposer publiquement ses arguments sur la compétence, de sorte qu’il se trouve mieux préparé que
lui pour déposer une nouvelle requête) la Cour envoie un message clair à tous les Etats susceptibles
d’être un jour défendeurs dans une affaire: si vous êtes attraits de vant la Cour internationale de
Justice pour une affaire dont les bases de compétence sont vraiment douteuses, ne vous précipitez
pas pour soulever une exception préliminaire et tentez d’obtenir sa radiation du rôle; ménagez vos
efforts, obtenez de votre adversaire qu’il plaide au fond et alors seulement soulevez une exception
préliminaire.
Monsieur le président, ceci n’est, selon nous, ni da ns l’intérêt de la Cour, ni dans celui des
Etats. Nous maintenons donc que la Cour ne devrait pas accepter d’être le théâtre de tels litiges qui
relèvent davantage de la technique de la guérilla. Si la Cour devait agir ainsi, elle desservirait alors
grandement sa cause et celle des Etats susceptibles de comparaître devant elle. A tout le moins,
Monsieur le président, nous affi rmons qu’un Etat ne devrait pas être autorisé à présenter une
23 deuxième fois au mot près les mêmes allégations en invoquant les mêmes bases de compétence,
sans indiquer au minimum quelque motif autre que l’avantage tactique qu’il en retire.
6. Conclusion
1.43. Monsieur le président, nous rappellerons pour conclure que le Congo n’a pas réussi à
convaincre la Cour qu’il avait respecté les conditions préalables à sa saisine prévues par chacun des
traités qu’il invoque. Il en résulte nécessairement que la Cour n’est pas compétente. A titre
subsidiaire, nous soutenons que la requête est irrecevable, au mo ins en ce qu’elle reprend ce qui
avait été dit dans la requête initia le et qu’elle ne propose ni nouv eau fondement de compétence, ni
explication.
1.44. Si la Cour en est d’accord, je souhaitera is céder la parole à l’agent du Rwanda afin
qu’il lui donne lecture des conclusions officielles du Rwanda.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Greenwood. J’appelle maintenant à la barre M. Ngoga,
agent du Rwanda. - 19 -
M. NGOGA :
2.1. Monsieur le président, je vais à présent vous donner lecture des conclusions finales du
Rwanda, dont un exemplaire signé à été remis par mes soins à M. le Greffier.
Pour les raisons exposées dans ses exceptions préliminaires et à l’audience, la République du
Rwanda prie la Cour de dire et juger :
1. qu’elle n’a pas compétence pour connaître des demandes présentées contre la République du
Rwanda par la République démocratique du Congo; et
2. à titre subsidiaire, que les demandes présent ées contre la République du Rwanda par la
République démocratique du Congo sont irrecevables.
2.2. Ainsi s’achève la plaidoirie du Rwanda.
Le PRESIDENT: Merci, Monsieur Ngoga. La Cour prend bonne note des conclusions
finales que vous venez de lire au nom de la République du Rwanda sur les questions de la
compétence et de la recevabilité.
24 La Cour se réunira vendredi 8 juillet à 10 heures pour entendre la réponse du Congo. Merci,
la séance est levée.
L’audience est levée à 16 heures.
___________
Translation