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128-20031215-ORA-01-01-BI
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CR 2003/24 (traduction)
CR 2003/24 (translation)
Lundi 15 décembre 2003 à 10 heures
Monday 15 December 2003 at 10 a.m.
- 2 -
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.
La Cour se réunit aujourd’hui, en application des articles 43 et suivants de son Statut, pour
entendre les Parties en leurs plaidoiries sur le fond dans l’affaire Avena et autres ressortissants
mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique).
Avant de rappeler les principales étapes de la procédure en l’espèce, je voudrais indiquer tout
d’abord que le juge Simma a estimé devoir ne pas participer au jugement de l’affaire et m’en a fait
part, conformément au paragraphe 1 de l’article 24 du Statut. Je voudrais indiquer également que,
la Cour ne comptant pas sur le siège de juge de nationalité mexicaine, le Mexique s’est prévalu du
droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge
ad hoc pour siéger en l’affaire : il a désigné M. Bernardo Sepúlveda. L’article 20 du Statut de la
Cour dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer en fonction, en séance publique,
prendre l’engagement solennel d’exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute
conscience». Aux termes du paragraphe 6 de l’article 31, cette disposition s’applique aux juges
ad hoc. Le paragraphe 2 de l’article 8 du Règlement de la Cour dispose que les juges ad hoc font
leur déclaration lors d’une audience publique de l’affaire à laquelle ils participent. Avant d’inviter
M. Sepúlveda à faire sa déclaration solennelle, je dirai tout d’abord quelques mots de sa carrière et
de ses qualifications.
M. Bernardo Sepúlveda, de nationalité mexicaine, est titulaire d’un diplôme en droit magna
cum laude de la faculté de droit de l’Université nationale autonome du Mexique, ainsi que d’un
Master’s Degree et d’un diplôme de droit international de l’Université de Cambridge; il est par
ailleurs docteur honoris causa des Universités de San Diego et de Leningrad, et Honorary Fellow
du Queens’ College de Cambridge. M. Sepúlveda a exercé de nombreuses fonctions au sein du
Gouvernement mexicain, et notamment celles de secrétaire aux relations extérieures du Mexique
de 1982 à 1988 et d’ambassadeur du Mexique aux Etats-Unis d’Amérique et au Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. En sa qualité de secrétaire aux relations extérieures, il a
présidé, conjointement avec le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, la commission mixte — une
organisation intergouvernementale — chargée de toutes les questions qui se posent dans le cadre
des relations entre le Mexique et les Etats-Unis; il a participé au processus de paix en Amérique
- 3 -
centrale et à la création d’organes internationaux importants tels que le groupe de Contadora et le
groupe des Huit (connu aujourd’hui sous le nom de groupe de Rio). M. Sepúlveda a par ailleurs
participé, en tant que membre de la délégation mexicaine, à diverses conférences de l’Organisation
des Nations Unies et est, depuis 1966, membre de la Commission du droit international des
Nations Unies. Parallèlement à sa carrière au service du Gouvernement mexicain, il a mené de
nombreuses activités universitaires, en assumant notamment des tâches d’enseignement (par
exemple, en qualité de professeur de droit international et des organisations internationales à
El Colegio de México); il est l’auteur d’un nombre considérable de publications. M. Sepúlveda a
reçu de nombreuses distinctions, décorations et médailles, notamment le prix Príncipe de Asturias,
qui lui a été remis en 1984 par le roi Juan Carlos d’Espagne, et le prix Simón Bolivar, décerné par
l’Unesco.
La Cour éprouve une satisfaction particulière de voir que le Mexique a porté son choix sur
un personnage aussi éminent. Je vais maintenant inviter M. Sepúlveda à prendre l’engagement
solennel prescrit par le Statut et je demanderai à toutes les personnes présentes à l’audience de bien
vouloir se lever.
M. SEPÚLVEDA : Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes
attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute
conscience.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La Cour prend acte de la déclaration solennelle que
vient de prononcer M. Sepúlveda et le déclare dûment installé en qualité de juge ad hoc en l’affaire
Avena et autres ressortissants mexicains.
*
Le 9 janvier 2003, les Etats-Unis du Mexique ont déposé au Greffe de la Cour une requête
introduisant une instance contre les Etats-Unis d’Amérique en raison de «violations de la
convention de Vienne sur les relations consulaires» du 24 avril 1963 qui auraient été commises par
les Etats-Unis.
- 4 -
Dans sa requête, le Mexique fonde la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de
l’article 36 du Statut de la Cour et l’article premier du protocole de signature facultative concernant
le règlement obligatoire des différends, qui accompagne la convention de Vienne.
Le 9 janvier 2003, jour du dépôt de la requête, le Gouvernement mexicain a également
déposé au Greffe de la Cour une demande en indication de mesures conservatoires fondée sur
l’article 41 du Statut et les articles 73, 74 et 75 du Règlement.
Par ordonnance du 5 février 2003, la Cour a indiqué certaines mesures conservatoires. Elle a
également décidé que, «jusqu’à ce que la Cour rende son arrêt définitif, elle demeurera saisie des
questions» qui faisaient l’objet de cette ordonnance.
Par ordonnance du 5 février 2003, la Cour, compte tenu des vues des Parties, a fixé au
6 juin 2003 et au 6 octobre 2003, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt
d’un mémoire du Mexique et d’un contre-mémoire des Etats-Unis. Ces pièces ont été dûment
déposées dans les délais prescrits, tels que prorogés ou tels que confirmés ultérieurement.
Par lettre du 14 octobre 2003, l’agent du Mexique a exprimé le vœu de son gouvernement
d’amender ses conclusions, aux fins d’y inclure les cas de deux ressortissants mexicains,
MM. Víctor Miranda Guerrero et Tonatihu Aguilar Saucedo, condamnés à la peine capitale après le
dépôt par le Mexique de son mémoire, à l’issue de procédures pénales au cours desquelles, selon le
Mexique, les Etats-Unis n’avaient pas respecté leurs obligations au titre de l’article 36 de la
convention de Vienne. Par lettre du 2 novembre 2003, sous le couvert de laquelle les Etats-Unis
ont déposé, dans le délai prescrit, leur contre-mémoire, l’agent des Etats-Unis a fait savoir à la
Cour que son gouvernement s’opposait à la modification des conclusions du Mexique demandée
par ce dernier du fait du caractère tardif de la demande et au motif que le Mexique n’aurait fourni
aucun élément de preuve à l’égard des faits allégués, les Etats-Unis n’ayant pas eu eux-mêmes le
temps d’enquêter à leur propos.
Par lettre reçue au Greffe le 28 novembre 2003, le Mexique a répondu à l’opposition des
Etats-Unis et a en outre modifié ses conclusions pour retirer sa demande de réparation dans les cas
de deux ressortissants mexicains mentionnés dans son mémoire, MM. Enrique Zambrano Garibi et
Pedro Hernández Alberto.
- 5 -
Le 9 décembre 2003, le greffier a informé le Mexique et les Etats-Unis que, dans le souci de
veiller à l’égalité des parties au cours de la procédure, la Cour avait décidé de ne pas autoriser la
modification par le Mexique de ses conclusions aux fins d’y inclure deux nouveaux cas. Il a
également informé les Parties que la Cour avait pris note que les Etats-Unis n’avaient pas
d’objection au retrait par le Mexique de sa demande de réparation concernant deux autres
ressortissants mexicains mentionnés dans son mémoire.
Le 28 novembre 2003 et le 2 décembre 2003, le Mexique a déposé divers documents qu’il
souhaitait produire conformément à l’article 56 du Règlement de la Cour. Par des lettres datées
du 2 décembre et du 5 décembre 2003, l’agent des Etats-Unis a informé la Cour que son
gouvernement ne voyait pas d’objection à la production de ces documents nouveaux déposés par le
Mexique et entendait exercer son droit de présenter des observations sur lesdits documents et de
soumettre des documents à l’appui de ces observations, conformément au paragraphe 3 de l’article
précité. Etant donné qu’aucune objection n’était faite à la production des documents nouveaux, les
conseils des Parties pourront les mentionner au cours de la présente instance, à l’exception de tout
document dans lequel se trouveraient évoqués les deux cas additionnels que le Mexique a demandé
à inclure dans ses conclusions en modifiant celles-ci. Le 10 décembre 2003, l’agent des Etats-Unis
a déposé les observations de son gouvernement sur les documents nouveaux produits par le
Mexique, en les accompagnant d’un certain nombre de documents produits à l’appui des
observations en question.
*
La Cour, s’étant renseigné auprès des Parties, a décidé, en application du paragraphe 2 de
l’article 53 de son Règlement, que des exemplaires des pièces de procédure et des documents
annexés seront rendus accessibles au public à compter de l’ouverture de la procédure orale sur le
fond. En outre, et conformément à la pratique de la Cour, l’ensemble de ces documents sans leurs
annexes sera placé dès aujourd’hui sur le site Internet de la Cour.
Je constate la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties.
Conformément aux dispositions qui ont été prises par la Cour pour l’organisation de la procédure
- 6 -
orale, celle-ci comprendra un premier et un second tour de plaidoiries. Chaque Partie disposera de
deux séances entières de trois heures pour son premier tour de plaidoiries et d’une séance de
deux heures pour son second tour de plaidoiries.
Le Mexique exposera au cours de son premier tour de plaidoiries ses arguments portant sur
ses demandes ce matin et cet après-midi à 15 heures. Les Etats-Unis exposeront au cours de leur
premier tour de plaidoiries leurs arguments demain matin à 10 heures et demain après-midi à
15 heures. Le Mexique présentera sa réplique orale le jeudi 18 décembre à 10 heures. Pour leur
part, les Etats-Unis présenteront leur réplique orale le vendredi 19 décembre à 15 heures.
Je donne donc maintenant la parole à S. Exc. M. Juan Manuel Gómez-Robledo, agent des
Etats-Unis du Mexique.
Mr. GÓMEZ-ROBLEDO: Thank you, Mr. President.
I. PRESENTATION OF THE CASE
1. Mr. President, Members of the Court, I appear before the Court on behalf of Mexico with
but one end in view: “justice and respect for the obligations arising from treaties and other sources
of international law”, to which we committed ourselves on adoption of the Charter of the United
Nations.
2. This neatly summarizes the underlying reasons for our actions when, after exploring all
diplomatic avenues, we took the decision to file an application instituting proceedings against the
United States, in accordance with the principle of peaceful settlement of disputes.
3. Mr. President, first, some details regarding the closeness, and also the excellence, of our
relations with the United States at all levels: 90 per cent of Mexico’s foreign trade is with the
United States; the number of times the frontier, over 3,000 km in length, is crossed every year in
either direction is estimated at 300 million; over 8 million Mexican nationals live in the United
States; by their hard work these satisfy a demand for labour that cannot be met by the local market,
thus managing to remit nearly $10 billion to their families. Mexico and the United States are
founder-members of and close collaborators in international organizations created since 1945, not
only the United Nations Organization and its family but also the Organization of American States
and the entire inter-American system, as well as the Organization for Economic Co-operation and
- 7 -
Development, to name only these. My office lists 208 bilateral treaties in force between the two
countries, obviously including the treaty creating, together with Canada, the North American Free
Trade Area: need I say more, Mr. President, as to the lasting links between the destinies of our
two peoples?
4. Exchanges cannot proceed at such a level without our regularly encountering difficulties,
which sometimes take the form of legal disputes. Most of the time the existing machinery for
consultation is effective enough to obviate the need to resort to the courts. However, in matters
affecting trade or investment, for example, we are often compelled to apply to competent
arbitration tribunals.
5. But why have we come to this Court?
6. The answer is simple. Because what are at stake here are legal interests of the highest
importance and because my country has complete confidence in the rule of law and in your role as
guarantors of international law. All that need be said in this respect is that Mexico has recognized
the compulsory jurisdiction of the Court since 1947.
7. And that is precisely what is involved here, Mr. President: Mexico and the United State
have a legal dispute concerning the interpretation and application of Article 36 of the Vienna
Convention on Consular Relations.
8. It seems to me that this case should now be placed in its true context, in order to remove
any doubt that the Court might have regarding the intentions of Mexico, whose good faith has been
questioned in the Counter-Memorial of the United States.
9. Is there any need to say, yet again, that nothing is further from our intentions than to have
the Court usurp its role?
10. Do we have to repeat that we are not inciting the Court to meddle in the criminal justice
system of the United States, or to act as a court of appeal or last resort?
11. Lastly, do we have to repeat that we have no wish to infringe the sovereign rights of the
United States?
12. It is quite obvious that the United States, like Mexico, has unequivocally agreed to the
obligations prescribed by Article 36 of the Vienna Convention and is bound to abide by them.
- 8 -
13. In truth, Mexico is hardly in a position to be unaware of the inviolable barriers of State
sovereignty. The history of Mexico and its many contributions to the development of international
law are sufficiently well known to make it unnecessary for me to labour the point.
14. Nevertheless, the United States wishes to reduce everything to this one argument, an
argument which was not accepted by the Court in previous cases and which will not be accepted in
this case either. It is only questions of international law that divide us and on which we ask this
Court to pronounce.
15. We do not go so far as to claim that the Court should choose, among the variety of
legal ¾ and I stress legal ¾ means available to the United States that which is the most
appropriate as a remedy for the violations of Article 36 of the Vienna Convention.
16. We only seek to ensure that the legal means chosen have, with due regard for municipal
law where it is invoked, the effect that one is entitled to expect. Steps must also be taken to ensure
that no obstacles are raised that would put respect for municipal law above international law.
17. In the Yerodia case the Court stated that Belgium “must, by means of its own choosing,
cancel the arrest warrant” directed against the Minister for Foreign Affairs of the Congo, but
without prescribing the means in domestic law to be used to achieve this1
. In the LaGrand case,
the Court held: “This obligation can be carried out in various ways. The choice of means must be
left to the United States.” The Court should not be asked to deviate from that reasoning2
.
However, these means must allow “full effect [to be] given to the purposes for which the rights
accorded under this Article are intended”3
(i.e., Article 36).
18. In short, there is indeed a choice of means, but there is also an obligation to achieve a
result founded in law.
19. Neither, Mr. President, does this case relate to the issue of imposition of the death
penalty per se, in the United States or elsewhere. Mexico would not dare to challenge the right of
the United States to impose the death penalty. Mexico also acknowledges that its 52 nationals have

1 Arrest Warrant of 11 April 2000 (Democratic Republic of the Congo v. Belgium), Order of 17 June 2001, I.C.J.
Reports 2001, para. 78 (3).
2
LaGrand, para. 125.
3
LaGrand, para. 91.
- 9 -
been condemned for heinous crimes; nor do we forget the sufferings of the victims or the right of
the United States to ensure that justice be done.
20. Neither are we asking the competent authorities to release the 52 imprisoned Mexican
nationals.
21. That said, the fact remains that the Court has made a crucial distinction in regard to
“cases where the individuals concerned have been subjected to prolonged detention or convicted
and sentenced to severe penalties”; in such cases, “an apology would not suffice”4
.
22. Although we are careful to say nothing about the death penalty as such, we do take the
view that when a country imposes this penalty it must do with due regard for the strictest of
guarantees regarding the legality of the proceedings, including those falling within the province of
international law.
23. We are convinced that the jurisprudence enshrined in the LaGrand Judgment represents a
direct route to a definitive interpretation of the obligations that flow from the Vienna Convention in
the world of today, a world certainly no longer one where free movement of persons was limited by
a substantial number of factors.
24. Although this litigation comes in the wake of the dispute between Germany and the
United States and admittedly calls for the application of the same principles of law and reasoning to
which the Court addressed itself then, it is nonetheless based on a major fact which makes the
Avena case, if not substantially different, then certainly possessed of the potential to decide the fate
of 52 individuals today, and of an incalculable number in the future.
25. Although Walter LaGrand was no longer with us when the Court considered the German
Application on the merits, the 52 Mexican nationals who are the subject of the present case are still
alive and may still benefit from the legal redress which the LaGrand brothers were prevented from
claiming.
26. This time the Court has the opportunity to resolve issues in international law which it
was no longer materially possible to raise in the Breard and LaGrand cases, but which lie at the
heart of the present proceedings.

4
LaGrand, para. 125.
- 10 -
27. Mr. President, we regret that, as is apparent from the Counter-Memorial, the United
States has been at such pains to seek to distort, twist and misrepresent the body of facts on which
our Application is based. These are tactics simply intended to confuse you, but we have no doubt
that the Court will be able to distinguish truth from falsehood.
28. The rights of Mexico and those of its nationals have been violated: it follows that both
must be redressed. That is because, here, “full reparation”, as required by Article 31 of the Articles
on State Responsibility, in respect of the violation of the United States obligations to Mexico and to
its nationals for which we seek restitutio in integrum is still possible.
29. Nevertheless let it be clearly understood that Mexico waives the right to any material
compensation whatever, which it would be entitled to demand, because that would be manifestly
inappropriate in the light of the circumstances of the case. What we want are fair trials: money
could never compensate for the injustices which have been suffered here.
30. Without wishing at this point to undertake an analysis of the law on State responsibility,
a subject which will be dealt with by Professor Dupuy, I would remind the Court that what we ask
for is rooted in the institutions of Roman law, and is thus in no way novel. In effect, restitutio in
integrum was a means of canceling a legal act which took account of the existence of a de facto
situation of inequality between persons equal before the law5
.
31. But over and above the reparation that we are entitled to demand, Mexico has supplied
abundant evidence that the training programmes for federal and local authorities, on which the
United States expresses such pride in its Counter-Memorial, as it had done before this Court in the
Breard and LaGrand cases, are at best applied haphazardly, in random fashion, and have not
produced any significant change in compliance with the Vienna Convention in the United States.
32. In this respect the Court must consider and assess whether the measures taken by the
United States up to the present can today “be regarded as meeting the [Federal Republic of
Germany’s] request for a general assurance of non-repetition” in the light of the indisputable
continuing violations by the respondent State6
. Obviously not, Mr. President.

5
Sohm, Rudolf, Instituciones de Derecho Privado Romano, Historia y Sistema, Antigua Librería Robredo,
Mexico, 1957, pp. 409 et seq.
6
LaGrand, para. 124.
- 11 -
33. I wish to state at this stage that Mexico is in full agreement with the commentary by the
International Law Commission with regard to the nature of assurances and guarantees of
non-repetition, in that they must be treated “as an aspect of the continuation and repair of the legal
relationship affected by the breach” where “the focus is on the future, not the past”7
.
34. Mr. President, Mexico has not instituted these proceedings without having had prior
recourse to other courts. Initially, we sought to rely on the interpretation of general international
law given by the Inter-American Court of Human Rights in Advisory Opinion 16/99 as a means
which should have altered the conduct of the United States. This opinion, treated with no more
than condescending indifference by the United States in its Counter-Memorial, has nevertheless
received the support of many States and forms the foundation of an international practice which
continues to grow, as you will see later.
35. This is not simply a matter of faith. The Inter-American Court, like its European
precursor, exists, and, although it has a specialized jurisdiction, it applies the general international
law essential to the safeguarding of the rights of which it is custodian in a vast area of the world.
36. Moreover, even if the United States has little or no interest in the jurisprudence of the
Inter-American Court, the precise history of our diplomatic démarches, as described in our
Memorial, and the fact, Mr. President, that four Mexican nationals have been executed in recent
years in the United States in violation of the rights embodied in Article 36 of the Vienna
Convention, says a great deal about Mexico’s determination to settle this dispute by all possible
means.
37. It has been necessary to yield to the obvious. Only recourse to this illustrious Court
could still give us hope that ultimately international law would prevail.
38. There is no concealing the weight of responsibility which the Court faces in this case. As
much for the fate of the 52 Mexican nationals cited in our Application and Memorial as for the
millions who cross frontiers every day and enter a country that is not their own, it is ultimately
essential that the scope of the rights recognized by Article 36 of the Vienna Convention be known,

7
International Law Commission, Report of 53rd session, A/56/10, p. 221.
- 12 -
as well as the precise extent of the reparation flowing from their violation, matters for which the
LaGrand Judgment is the undoubted starting point.
39. The United States claims that the individual rights embodied in Article 36 of the Vienna
Convention are not part of the criminal process guarantees8
. In this respect the Inter-American
Court has stated that procedural guarantees are not limited to judicial remedies stricto sensu, but
“rather the procedural requirements that should be observed . . . so that a person may defend
himself adequately in the face of any kind of act of the State that affects his rights”9
.
40. But ultimately, Mr. President, how we characterize the rights embodied in Article 36 of
the Vienna Convention is of no importance, even if their substance, and respect for them, are
crucial in guaranteeing access to justice for individuals.
41. The interpretation requested from the Court by Mexico should not exclude out of hand
subsequent State practice in applying the Vienna Convention, or indeed any relevant rule of
international law.
42. Thus, Mr. President, it is an interpretation “pro homine” that is required in order fully to
determine the scope of the rights embodied in Article 36 of the Vienna Convention.
43. Mr. President, I will now dwell briefly on the provisional measures indicated by the
Court in its Order of 5 February last.
44. As much as we regret the violations by the United States of the obligations that flow
from Article 36 of the Vienna Convention, we observe with satisfaction that up to now the United
States has respected the Order of the Court. Thus irreparable harm, in this case the loss of the lives
of the individuals who have benefited from those measures, has been avoided.
45. This is a welcome development in international law, and for this Court, especially since
it made explicit the binding nature of provisional measures in the LaGrand Judgment.
46. It seems to us that all share the credit for this positive result: first the Court, for having
indicated the measures; the United States, for having respected them; and Mexico, because it

8 Counter-Memorial, paras. 6.79-6.83.
9
Inter-American Court of Human Rights, Constitutional Court Case, Merits, Judgment of 31 January 2001,
para. 69.
- 13 -
understood that “the sound administration of justice requires that a request for the indication of
provisional measures founded on Article 73 of the Rules of Court be submitted in good time”10
.
47. The Parties to the dispute, as well as other States parties to the Vienna Convention, can
be trusted to respect your decision in its entirety, since “an a contrario interpretation”, to adopt the
wording used by President Gilbert Guillaume, would run counter to the most elementary logic11
.
48. Mr. President, I now wish to outline the arguments that Mexico will set out today. I must
first refer to certain procedural aspects.
49. Mexico was surprised to find that the United States has raised, and for the first time in its
Counter-Memorial, certain objections to the Court’s competence to entertain this request, and to the
admissibility of our claims.
50. As we all well know, Article 79 (1) of the Rules of Court, which were amended recently,
lays down strict time-limits within which such objections must be raised. Thus that Article
provides that preliminary objections must “be made in writing as soon as possible, and not later
than three months after the delivery of the Memorial”. Consequently, if the United States wished
to object to the jurisdiction of the Court and to the admissibility of our claims, it should have done
so on 20 September 2003 at the latest, not in its Counter-Memorial, which was filed 44 days later.
51. Mexico and the United States have not given their consent to an exception to the
time-limits set in Article 79 (1). In particular, Mexico and the United States have not agreed to the
preliminary objections being heard and determined “within the framework of the merits”, which
would have been permitted by Article 79 (10). In the absence of an express agreement by the
parties, the three-month time-limit in Article 79 applies with full force.
52. Mexico therefore asks the Court to reject those preliminary objections, on the ground that
they were raised outside the time-limits prescribed in the Rules of Court.
53. I am nonetheless briefly going to review each of the objections to jurisdiction.
54. First, the United States supplies a report on the various stages in criminal proceedings in
order to attack Mexico’s first submission, claiming that Article 36 creates no duties in relation to

10 LaGrand, Provisional Measures, para. 19.
11 LaGrand, declaration by President Guillaume appended to the Judgment on the merits.
- 14 -
those proceedings. However, as you will appreciate later, the interpretation and application of
Article 36 in the context of criminal proceedings is precisely what is involved in the present case.
55. Secondly, the United States objects to Mexico’s fourth submission “because” Mexico
fails to adduce evidence that there is a dispute regarding the interpretation and application of the
Vienna Convention. This objection does not specify how our submission failed to fulfil this
condition. But, in any event, Mexico’s fourth submission is expressly linked to the requests for a
finding on which the Parties are divided and which represent the entire substance of this case.
Mexico’s fourth submission falls exactly within the domain of competence of this Court.
56. Thirdly, the United States claims that Mexico’s submission regarding reparation would
require the Court to rewrite municipal criminal law, making the Court function as a “court of
criminal appeal”. Nonetheless, the United States informs the Court in its Counter-Memorial, and
“this goes without saying”, that it is responsible in the eyes of international law for its actions and
for those of its constituent entities. It even acknowledges that the Court has full authority to
interpret the Vienna Convention and to determine what reparation is required in international law.
These two elements are all the Court needs to reject the United States objections regarding
Mexico’s claims for reparation.
57. Lastly, the United States maintains that the Court lacks jurisdiction to decide whether the
right to consular notification amounts to a “human right”. I would point out to the Court,
Mr. President, that, unlike Germany, my country has never asked the Court to adjudicate on this
point.
58. Rejection of the preliminary objections should also extend to the United States objections
regarding the admissibility of the claims in the Memorial of Mexico. Those objections are also
without foundation.
59. Due to the fact that the objections regarding the admissibility of our claims, like those
relating to the jurisdiction of the Court, overlap the arguments on the merits to a large extent,
Mexico will set out to show that they are no more valid than the others in the context of the current
debate, of which they are an essential element.
60. Mr. President, Members of the Court, I would now like to introduce to you the members
of my delegation who will be addressing the Court during the day today.
- 15 -
61. Once this general introduction has been completed, I will ask you to give the floor to
Ms Sandra Babcock, Director of the Mexican Capital Legal Assistance Programme, so that she can
set out all the facts underlying this case. Ms Babcock will also address the objections raised by the
United States concerning the nationality of the 52 individuals, and the claim that there has been no
violation by the United States of obligations under Article 36 (1).
62. My colleague Víctor Manuel Uribe, former Consul in Houston and New Orleans, will
then describe the role played by consular protection ¾ and its importance ¾ in the exercise of
Mexico’s responsibilities to its nationals. Ms Babcock will take the floor again to show that
consular protection, when given a chance to be effective, has a real impact on the fate of our
nationals and this is far from a matter of conjecture or make-believe, as the United States would
have you think.
63. It will then fall to Mr. Donald Donovan to show that the United States breached the
obligation to notify the 52 nationals who are the subject of this case of their rights, under Article 36
of the Vienna Convention, and that the United States adopts a narrow reading of the meaning
which the Court ascribed in the LaGrand Judgment to the expression “without delay” in that
provision.
64. Ms Katherine Birmingham will prove the violations by the United States of the relevant
provisions of Article 36, paragraph 2, before turning to Ms Babcock to explain that “review and
reconsideration of the conviction and sentence”, through the clemency procedure, does not meet
the requirements laid down by the LaGrand decision.
65. Ambassador Santiago Oñate will then show the lack of merit in the arguments for
rejection asserted by the United States, concerning the contentions that the Court is acting as a
court of appeal and that Mexico fails to comply with the international obligations which are the
subject-matter of this case.
66. Ms Socorro Flores will, for her part, deal with the defence concerning the exhaustion of
local remedies, as well as the argument that the violations by the United States of Article 36 were
not timely raised.
67. I shall then ask Mr. Carlos Bernal to explain the nature of the individual rights found in
Article 36 of the Vienna Convention in relation to due process guarantees.
- 16 -
68. Mr. Donovan’s task this afternoon will be to demonstrate the merit, under international
law, of Mexico’s claim for reparation, that is, restitutio in integrum, given the injury suffered by
Mexico and its nationals.
69. Yet, owing to the repeated, cumulative and continuing violations by the United States of
its international obligations, we are also entitled to seek from the Court an order against the
respondent to cease the internationally wrongful acts and to offer appropriate assurances and
guarantees of non-repetition, because the “circumstances so require” ¾ as stated in the Articles on
Responsibility of States (Art. 30) ¾ in the present case and the facts show that. This part of the
oral argument will fall to Mr. Dietmar Prager.
70. Finally, Professor Pierre-Marie Dupuy will provide a summary of the violations
committed by the United States of its obligations to Mexico, and to the 52 nationals who are the
subject of this case, and will set out the consequences of those violations under the law of
international responsibility.
71. Mr. President, the insistent distortion by the United States in its Counter-Memorial of the
general thrust, the object and the purpose of Mexico’s Application require me, at the end of this
introduction, to offer the following clarification.
72. Mexico’s submissions aim at nothing other than obtaining, in complete compliance with
international law, the full restoration of its rights and those of its nationals, as those rights are
established in the international legal order.
73. Mexico seeks three complementary things, which are required in light of the magnitude
and frequency of the violation of the obligations of the United States, i.e.: the judicially provided
satisfaction which the Court will afford Mexico by making a finding as to the number, extent and
gravity of the wrongful acts committed by the United States; the restoration of the rights which
Mexico holds on its own behalf and the rights of its nationals in respect of the status quo as it
existed before commission of the wrongful acts against them; and the effective guarantee that such
wrongful acts will not be repeated in the future.
- 17 -
74. These remedies must be effected in the conditions to be established by the Court, in
respect of Mexico’s rights and the United States obligations, including the choice of means to
implement them, which, though left to the discretion of the United States, must ensure that the
required result is in fact achieved.
75. In our Memorial, having in mind the clarity required of a judgment by the Court so that
its meaning will be understood by all potential addressees, we drew up a sort of list of the
implications of the requested reparation. We are in no way revisiting that, but, at the end of our
oral argument, it will be appropriate for Mexico to provide you with a simplified formulation of our
submissions on the merits; that formulation is true to the substance of what has already been
provided to you, but it is also capable of reflecting the international law rules underlying those
submissions.
76. Mr. President, in accordance with practice, I will at the end of our second round provide
a precise formulation of the request which Mexico is presenting to you.
77. I thank you, Mr. President, and ask that you please now call Ms Sandra Babcock to
continue our oral presentation.
Mme BABCOCK :
II. LES FAITS
A. Introduction
78. Bonjour Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour. Mon nom est
Sandra Babcock et j’ai l’insigne privilège de paraître à nouveau dans cette grande salle de justice.
J’ai ce matin l’honneur d’exposer les éléments de preuve factuels sur lesquels se fondent les
demandes du Mexique.
79. Cette affaire ne concerne pas la licéité de la peine de mort. Pourtant, nous ne pouvons
pas ignorer que les vies de cinquante-deux ressortissants mexicains dépendent du résultat de cette
procédure. C’est sur ce point que, comme M. l’ambassadeur Gómez-Robledo vient de le souligner,
l’affaire Avena diffère de celle de LaGrand. Mais les similitudes entre les cas des cinquante-deux
- 18 -
ressortissants mexicains et ceux des frères LaGrand sont bien plus grandes que les différences, qui
les opposent, et cela est plus particulièrement vrai des faits.
80. A l’heure où nous parlons, cinquante-deux ressortissants mexicains sont détenus dans de
petites cellules sans fenêtre dans divers couloirs de la mort des Etats-Unis, à Linvingston au Texas,
à San Quentin en Californie, et à McAlester en Oklahoma. Ils attendent d’être exécutés, et ils
attendent des nouvelles de cette procédure. Il est vrai, comme le soulignent les Etats-Unis, que
leurs cas sont tous différents. Ils ont été reconnus coupables de crimes différents, dans des Etats
différents, par des procureurs différents. Ils ont cependant tous au moins trois choses en commun :
1) d’être ressortissants mexicains; 2) de n’avoir pas été informés sans délai de leurs droits de
notification consulaire et de communication avec les autorités consulaires; et 3) d’avoir tous été
condamnés à mort, sans avoir pu pleinement bénéficier en temps utile de leur droit à l’assistance
consulaire.
81. Ces cinquante-deux ressortissants mexicains, dont neuf étaient adolescents au moment de
leur arrestation, dont beaucoup n’ont que peu d’instruction, voire aucune, étaient tous habilités à
demander l’assistance du consulat mexicain au moment de leur mise en détention ¾ assistance qui
leur aurait été apportée d’office et qui aurait pu, dans ces procédures pour crimes passibles de la
peine capitale, faire la différence entre la vie et la mort.
82. Les Etats-Unis ont tenté de dissimuler ces vérités essentielles et irréductibles en attaquant
les preuves fournies par le Mexique et en tentant de détourner votre attention en présentant une
multitude de faits sans pertinence. Cette stratégie ne peut cependant pas nous détourner de la tâche
qui nous incombe aujourd’hui. Avec votre permission, M. le président, je vais à présent décrire
l’état actuel des éléments de fait soumis à la Cour.
B. Les données factuelles
83. Les questions factuelles dont la Cour est saisie sont bien plus simples que les Etats-Unis
l’affirment. Contrairement au cri d’alarme poussé par les Etats-Unis, la Cour ne doit pas
«[réexaminer et] se prononcer à nouveau sur les faits et … apprécier à nouveau les moyens de
preuve» dans chacun des cinquante-deux cas. En fait, seules deux questions factuelles doivent être
- 19 -
tranchées. La première concerne la nationalité, la seconde l’existence de violations de l’alinéa b)
du paragraphe 1 de l’article 36. Je commencerai par évoquer celle de la nationalité.
1. La nationalité
a) Le Mexique a prouvé que les cinquante-deux individus sont tous ressortissants mexicains
84. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le Mexique a amplement
démontré que les cinquante-deux intéressés étaient tous ressortissants mexicains. Avec son
mémoire, le Mexique a déposé la déclaration de M. l’ambassadeur Roberto Rodríguez Hernández
qui, en sa qualité de directeur général du service des affaires consulaires et de protection de
ressortissants mexicains à l’étranger, a confirmé que chacun d’entre eux était effectivement de
nationalité mexicaine. Comme préalable à l’assistance consulaire, les postes consulaires, sous le
contrôle de M. l’ambassadeur Rodríguez, avaient depuis fort longtemps vérifié que chacun des
ressortissants était effectivement de nationalité mexicaine. Nous avons été quelque peu surpris
d’apprendre que les Etats-Unis contestaient cette conclusion dans leur contre-mémoire.
85. En réponse à cet argument, et malgré le caractère suffisant des preuves présentées dans le
mémoire, le Mexique a soumis les extraits d’acte de naissance de chacun des cinquante-deux
ressortissants mexicains, qui sont des pièces importantes étant donné que, conformément à
l’article 30 de la Constitution du Mexique, la nationalité mexicaine est automatiquement acquise
par les individus nés sur le sol mexicain. Le Mexique a présenté, en outre, les déclarations de
quarante-deux ressortissants qui ont confirmé leur nationalité mexicaine. Pour les autre détenus
concernés, dont les Etats-Unis n’avaient pas contesté la nationalité, soit les autorités ont admis
avoir omis de les informer de leurs droits de notification consulaire et de communication avec les
autorités consulaires, soit une juridiction a estimé que les autorités avaient omis de le faire.
86. En bref, il ne peut y avoir de doute quant au fait que les cinquante-deux intéressés sont
tous ressortissants mexicains et que les arguments des Etats-Unis en matière de recevabilité émis
sur ce point devraient être rejetés.
- 20 -
b) Les Etats-Unis ne sont pas parvenus à prouver que l’un des cinquante-deux ressortissants
mexicains dont les cas sont soumis à la Cour était également ressortissant américain
87. Les Etats-Unis ont aussi affirmé que certains des ressortissants mexicains pourraient
posséder la double nationalité. Le Mexique ne conteste pas, en l’espèce, que les personnes
possédant la double nationalité n’ont aucun droit d’être informés, en vertu de l’alinéa b) du
paragraphe 1 de l’article 36, de leurs droits de notification consulaire et de communication avec les
autorités consulaires. Ainsi, lorsque les Etats-Unis ont fourni la preuve que M. Enrique Zambrano
était aussi un ressortissant américain, le Mexique a modifié ses conclusions en retirant son nom de
la liste le 28 novembre 2003. Si les Etats-Unis avaient présenté la preuve qu’un autre détenu était
ressortissant mexicain, le Mexique aurait également retiré son nom.
88. Cette preuve n’a cependant pas été apportée. Au contraire, les Etats-Unis ont prétendu
¾ sans la moindre preuve ¾ que dix-huit ressortissants mexicains environ «pourraient fort bien
être» ou sont «vraisemblablement» ressortissants des Etats-Unis, ou que cela est «quasiment
certain»12. Pour renforcer ces allégations, les Etats-Unis se sont appuyés sur les déclarations de
MM. Edward Betancourt et Dominick Gentile, qui analysent la complexité des lois sur la
nationalité en vigueur aux Etats-Unis et la possibilité d’acquérir la nationalité américaine par la
filiation.
89. Chose incroyable, les Etats-Unis ont affirmé qu’il incombait au Mexique de prouver que
ses ressortissants ne sont pas ressortissants des Etats-Unis. C’est le monde à l’envers. Comme le
confirme la décision rendue par la Cour dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar, c’est sans
conteste au défendeur alléguant certains faits qu’incombe la charge de la preuve concernant ces
faits13. Le Mexique a démontré de manière concluante que les cinquante-deux individus étaient
tous ressortissants mexicains, et il n’appartient pas au Mexique de prouver qu’ils ne sont pas
également ressortissants des Etats-Unis. Cela est d’autant plus évident qu’un grand nombre de
documents susceptibles d’attester une double nationalité sont en possession des Etats-Unis.
90. Néanmoins, en réponse au contre-mémoire, le Mexique a obtenu les déclarations de
quarante-deux ressortissants attestant que ces derniers n’ont jamais renoncé à leur nationalité
mexicaine et n’ont jamais acquis la nationalité américaine. En outre, le Mexique a consulté un

12 Voir CMEU, par. 7.8, note 334.
13 Temple de Préah Vihéar, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 16.
- 21 -
expert en lois sur l’immigration et mené un complément d’enquête dont les résultats figurent dans
les documents soumis par le Mexique le 28 novembre.
91. Le 10 décembre 2003, les Etats-Unis ont réagi en déposant des documents
complémentaires. Ces documents complémentaires confirment simplement que les Etats-Unis ne
peuvent pas démontrer que l’un quelconque des cinquante-deux ressortissants est ressortissant
américain14. Les Etats-Unis reprochent au Mexique de ne pas avoir enquêté sur la nationalité des
parents de chacun des vingt-quatre ressortissants mexicains en question, ce qui permettrait aux
Etats-Unis de déterminer de manière incontestable s’ils sont ou non ressortissants américains15. On
peut supposer que, en cas de doute concernant la nationalité américaine de l’un des parents, les
Etats-Unis demanderaient ensuite au Mexique de fournir des informations sur les grands-parents de
ces ressortissants !
92. Depuis dix mois que cette affaire est pendante, les Etats-Unis n’ont pas été en mesure de
fournir la moindre preuve de la double nationalité de l’un de ces cinquante-deux individus dont les
cas sont actuellement soumis à la Cour. Les Etats-Unis ont enquêté sur ces cas avec le concours
des ministères publics et autres responsables de l’application des lois de divers Etats fédérés16
.
Pourtant, malgré les énormes ressources dont ils disposent, les Etats-Unis n’ont ni réfuté la
démonstration faite de la nationalité mexicaine par le Mexique, ni présenté de preuve concluante de
la double nationalité dans l’un des cinquante-deux cas dont est actuellement saisie la Cour.
2. Les violations
93. Permettez-moi à présent de passer aux violations de l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article 36. La lecture du contre-mémoire des Etats-Unis m’a plongée dans l’univers d’un
merveilleux conteur du nom de Garrison Keillor, qui habite dans la toundra glacée du Minnesota,
Etat d’où je suis originaire. M. Keillor anime une émission radiophonique au charme désuet
diffusée à l’échelle nationale, au cours de laquelle il raconte des histoires le concernant ainsi ou
concernant des habitants de sa petite ville. Alors que l’autre jour, rentrant du travail au volant de

14 Deuxième déclaration de M. Edward Betancourt concernant les lois relatives à la nationalité en vigueur aux
Etats-Unis, p. 3, note 6.
15 Ibid., par. 16.
16 Observations de l’honorable William H. Taft IV, conseiller juridique du département d’Etat des Etats-Unis,
devant la National Association of Attorneys General, jeudi 20 mars 2003, p. 8.
- 22 -
ma voiture, j’écoutais son émission, M. Keillor a déclaré : «Il faut, à mon avis, savoir regarder la
réalité en face et la contester». Et l’on comprend, à la lecture du contre-mémoire, que c’est
précisément la stratégie adoptée par les Etats-Unis en l’espèce.
94. Contrairement aux violations du paragraphe 1 de l’article 36 dans les cas de
MM. Angel Breard et Karl LaGrand, qu’ils avaient reconnues sans hésitation, les Etats-Unis ont en
l’espèce choisi de nier avec véhémence être les auteurs de la moindre infraction. Les Etats-Unis
refusent ostensiblement de reconnaître la moindre violation du paragraphe 1 de l’article 3617, alors
que les tribunaux américains compétents ont jugé que les autorités ne s’étaient pas acquittées de
leurs obligations dans dix des cas18, que le ministère public avait reconnu la violation dans un
autre19, et que le Gouvernement des Etats-Unis avait reconnu encore une autre violation dans une
note diplomatique déposée il y a quelques années20
.
95. Monsieur le président, avec votre permission, j’aimerais maintenant récapituler les
preuves concluantes de violations dans les cinquante-deux cas dont est saisie la Cour.
a) Le Mexique a prouvé qu’il y avait eu violation de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36
dans chacun des cinquante-deux cas soumis actuellement à la Cour
96. Pour commencer, comme je viens de le dire, dans douze des cinquante-deux cas, soit les
tribunaux ont conclu que les autorités avaient omis d’informer les ressortissants des droits que
ceux-ci tiraient de l’article 36, soit les autorités des Etats-Unis ont reconnu ce fait. Dans tous les
autres cas, les violations ont été confirmées, tout d’abord par M. l’ambassadeur
Rodríguez Hernández, dont la déclaration s’appuie sur des documents extraits des dossiers
consulaires, ainsi que sur des entretiens entre des fonctionnaires consulaires ou des avoués et les
cinquante-deux ressortissants mexicains concernés, en présence de leurs avocats et des autorités

17 CMEU, par. 7.12
18 Voir MM. Juárez Suárez (cas no
10), MM, annexe 36, p. A706; voir aussi p. A62, par. 54; M. Vargas (no
26),
annexe 35, p. A699; voir aussi p. A81, par. 139; M. Hernández Llanas (no
34), annexe 50 p. A1037; voir aussi p. A94,
par. 200; M. Sánchez Ramírez (cas no
23), annexe 64, p. A1325; voir aussi p. A77, par. 121 ; M. Ignacio Gómez (cas
n
o
33), annexe 61, p. A1297; voir aussi p. A93, par. 195; M. Félix Rocha Díaz (cas no
42), annexe 41, p. A764; voir aussi
p. A110, par. 271; M. Ramiro Ibarra (cas no
35), annexe 62, p. A1306; voir aussi p. A96, par. 210;
M. Humberto Leal García (cas no
36), annexes 51-52, p. A1072 et A1156; voir aussi p. A98, par. 218;
M. Virgilio Maldonado (no
°37), annexe 53, p. A1183; voir aussi p. A98, par. 226; et M. José Trinidad Loza (cas no
52),
annexe 44, p. A868; voir aussi p. A131, par. 348.
19 Voir M. Villa Ramírez (cas no
°20), MM, annexe 65, p. A1329; voir aussi p. A74, par. 106.
20 La note diplomatique, qui a été déposée dans le cas de M. Carlos Rene Perez Gutierrez, figure en pièce jointe à
l’annexe 1 du contre-mémoire, appendice 5, p. A344.
- 23 -
des Etats-Unis. S’il fallait encore dissiper quelque doute, la Cour dispose des déclarations de
chacun des quarante-deux ressortissants pour lesquels la violation n’a pas encore été constatée ou
reconnue par une juridiction. Ces déclarations confirment, elles aussi, qu’aucun des ressortissants
n’a été informé de son droit de contacter le consulat conformément à l’article 3621
.
b) Les Etats-Unis n’affirment avoir fourni de notification en temps utile que dans deux cas
97. Sur l’ensemble de leurs protestations selon lesquelles le Mexique n’aurait pas prouvé de
violation du paragraphe 1 de l’article 36, les Etats-Unis n’ont pu mettre en évidence que deux cas
dans lesquels les autorités compétentes s’étaient un tant soit peu efforcées de s’acquitter en temps
utile de leurs obligations en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 3622
.
i) Cas de M. Hernandez Alberto, à l’égard duquel le Mexique a retiré sa demande de
réparation
98. L’un de ces cas est celui de M. Pedro Hernandez Alberto, ressortissant mexicain
condamné à mort en Floride. Dans son mémoire, le Mexique avait porté à la connaissance de la
Cour qu’il existait des preuves attestant que les autorités l’avaient informé de ses droits en vertu du
paragraphe 1 de l’article 36, mais le Mexique n’avait alors pas été en mesure de confirmer cette
version des faits, M. Hernandez souffrant d’une grave maladie mentale23. Nous avons depuis
conclu que les autorités l’avaient bien informé de son droit de contacter le consulat, et, le
28 novembre 2003, le Mexique a par conséquent retiré la demande de réparation en son nom.
ii) Cas de M. Juarez Suarez, dans lequel une juridiction des Etats-Unis a jugé que les
autorités avaient violé l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36
99. Il ne nous reste donc qu’un seul cas dans lequel les Etats-Unis déclarent s’être acquittés
en temps utile de leurs obligations en vertu du paragraphe 1 de l’article 36 : celui de M. Arturo
Juárez Suárez. L’ironie du sort veut qu’il s’agisse d’un cas dans lequel une juridiction des
Etats-Unis s’est penchée sur les faits de l’affaire et a conclu que les autorités avaient manqué à
leurs obligations d’informer sans délai M. Juárez Suárez de ses droits de notification consulaire et

21 Voir annexe 70, p. A1579 à A1704.
22 Voir CMEU, par. 7.12-7.14.
23 Voir MM, déclaration de M. l’ambassadeur Rodríguez Hernández, annexe 7, par. 326.
- 24 -
de communication avec les autorités consulaires ! Il nous semble quelque peu déroutant que les
Etats-Unis encouragent la Cour à ne pas tenir compte d’une décision qui n’abonde pas dans leur
sens, notamment après avoir affirmé que la Cour ne devrait pas agir en qualité de cour d’appel
pénale24. De fait, les Etats-Unis devraient être empêchés par estoppel de formuler un tel argument.
Pourtant, dans le cas de M. Juárez Suárez, il est incontestable que les autorités savaient, à compter
du moment de son arrestation, qu’il était ressortissant mexicain. Malgré cela, elles l’ont soumis à
trois séries d’interrogatoire, dans deux endroits différents en quarante heures, sans même tenter de
l’informer à ce moment de ses droits de notification consulaire et de communication avec les
autorités consulaires. Il ne fait aucun doute que ce genre de procrastination délibérée enfreint
même la définition au sens large donnée à l’expression «sans retard» par les Etats-Unis, qui sera
évoquée dans un moment par mon confrère M. Donovan.
3. Les autres différends factuels
100. Monsieur le président, j’aimerais à présent passer brièvement en revue certains
différends factuels existant entre les Parties, dont un grand nombre ont été exploités par les
Etats-Unis pour tenter de décrédibiliser le Mexique devant cette Cour. Aucun n’entame les preuves
fournies par le Mexique concernant les deux questions essentielles que je viens d’exposer à
l’instant. Il nous semble cependant impératif de répondre, ne serait-ce que brièvement, à certaines
de ces allégations.
101. Contrairement aux Etats-Unis, le Mexique a consciencieusement modifié ses pièces à
chaque fois qu’il a eu connaissance de faits qui présentaient l’affaire sous un jour nouveau
¾ comme dans les cas de MM. Maturino Resendez et Zambrano. Nous trouvons regrettable que
les Etats-Unis aient critiqué le Mexique pour son souci du détail en la matière25. Il ressort du
contre-mémoire que les Etats-Unis prennent la moindre concession pour un signe de faiblesse,
même lorsque les faits sont incontestables. J’affirme respectueusement que la démarche du
Mexique est plus responsable.

24 CMEU, par. 7.14.
25 CMEU, par. 7.2.
- 25 -
a) Les différends factuels mineurs au sujet de la situation personnelle du délinquant et des
comptes rendus détaillés des prétendus crimes ne sont pas pertinents
102. Concernant les désaccords factuels entre les Parties, la plupart d’entre eux sont sans
rapport avec les questions dont la Cour est saisie. Les Etats-Unis affirment de manière générale se
trouver en désaccord avec la version des faits présentée par le Mexique et reprennent ce qu’ils
entendent par «rendre le plus fidèlement compte des faits pertinents» à l’annexe 2 de leur
contre-mémoire26. Un examen des résumés de cas établis par les Etats-Unis montre clairement que
ces derniers privilégient à chaque fois divers faits ¾ qui sont, dans une large mesure, dépourvus de
pertinence ¾, tels que le temps que chaque délinquant a passé aux Etats-Unis ou le compte rendu
détaillé des crimes pour lesquels il a été condamné. En ce qui concerne la durée de résidence aux
Etats-Unis, il me suffit de rappeler à la Cour que les deux frères LaGrand avaient tous deux été
résidents des Etats-Unis depuis qu’ils étaient en âge de marcher, qu’ils parlaient anglais sans
accent, et qu’ils avaient l’apparence extérieure de ressortissants des Etats-Unis. Il est inutile de
préciser que le compte rendu détaillé de leurs crimes est totalement hors de propos.
103. Les divergences éparses qui existent entre l’interprétation des faits par les Etats-Unis et
les résumés des cas par le Mexique portent principalement sur la situation personnelle du
délinquant, l’interprétation des éléments de preuve présentés lors du procès, ou encore les dates et
lieux de certains événements. A la fois le Mexique et les Etats-Unis ont commis de petites erreurs
à ce sujet. Permettez-moi de citer le cas de M. Tomas Verano Cruz à titre d’exemple. M. Verano
Cruz a été arrêté le 26 octobre 1991. En résumant les faits pertinents de son cas, le Mexique a
déclaré avec exactitude que les fonctionnaires consulaires avaient pour la première fois entendu
parler de son cas en février 1993. Mais nous avons commis une erreur d’arithmétique en déclarant
¾ à notre détriment ¾ que le consulat avait été informé de son cas cinq mois après sont
arrestation, alors qu’en réalité, le consulat a eu connaissance de son cas une année et quatre mois
après son arrestation. Les Etats-Unis ont souligné les incohérences, et en ont déduit de manière
erronée que les fonctionnaires consulaires avaient eu connaissance de son cas en 1992, au lieu
de 1993.

26 CMEU, par. 7.1.
- 26 -
104. Le document présenté par les Etats-Unis le 10 décembre contient des observations
similaires. Les Etats-Unis prétendent que trois des déclarations soumises par le Mexique sont
«inexactes» et «trompeuses». Permettez-moi de citer juste un exemple. Dans le cas de
M. Maciel Hernandez, le Mexique a déclaré avec exactitude que les fonctionnaires consulaires
avaient eu connaissance de sa détention en avril 1998, plus de deux mois après son procès, et après
que les jurés l’eussent condamné à la peine capitale. En apprenant sa détention, les fonctionnaires
consulaires ont commencé à lui apporter une assistance consulaire, ils étaient ainsi présents à
l’audience sur le prononcé de la peine. Dans sa déclaration, M. Maciel a cependant déclaré qu’il
n’avait pas été en mesure, «ni avant ni après son procès», de bénéficier de l’aide du consulat, étant
donné qu’il ignorait son droit à l’assistance consulaire. Bien entendu, M. Maciel n’a pas bénéficié
de l’assistance consulaire avant son procès, ni immédiatement après son procès. Il a commencé à
recevoir l’assistance consulaire ultérieurement. Aurait-il été plus précis que M. Maciel dise : «Je
n’ai pas été en mesure de bénéficier de l’assistance consulaire ni avant ni immédiatement après
mon procès» ? Oui. S’agit-il cependant d’une divergence importante ? Non. Cela change-t-il
quelque chose au fait que les Etats-Unis ne l’aient pas informé de ses droits en vertu de
l’article 36 ? Bien sûr que non.
105. Ce type de divergence factuelle n’est manifestement pas décisive. Elle n’est même pas
pertinente. Nous sommes certains que la Cour saura voir au-delà de la rhétorique employée dans
les pièces des Etats-Unis et se concentrer sur les questions importantes.
b) Les Etats-Unis prétendent que sept ressortissants mexicains ont formellement déclaré être
ressortissants des Etats-Unis au moment de leur arrestation
106. Il y a cependant une catégorie d’allégations factuelles qui concernent les violations du
paragraphe 1 de l’article 36 prouvées par le Mexique. Les Etats-Unis ont affirmé qu’un certain
nombre de ressortissants mexicains avaient formellement déclaré être ressortissants américains à un
moment donné de leur détention. C’est en effet un argument que la Cour a entendu dans l’affaire
LaGrand, lorsque les Etats-Unis ont affirmé que Walter LaGrand avait affirmé être ressortissant
américain. Je vais tenter de répondre à ces allégations sur le plan factuel et mon confrère,
M. Donovan, examinera leur pertinence juridique.
- 27 -
i) La charge de la preuve incombe aux Etats-Unis
107. Tout d’abord, comme cela leur arrive fréquemment, les Etats-Unis dénaturent le sens de
la charge de la preuve en la matière. C’est au Mexique qu’il revient de déterminer si tous les
individus étaient ressortissants mexicains et s’ils n’ont pas été informés de leurs droits à
l’assistance consulaire. Les Etats-Unis ont, sur certains de ces cas, construit leur défense sur une
simple fin de non recevoir; à savoir que les individus ont fait de fausses déclarations concernant
leur nationalité et que, de ce fait, les autorités ignoraient qu’ils étaient ressortissants mexicains.
Les Etats-Unis sont dans l’obligation de présenter des faits précis à l’appui de cette affirmation,
tout comme ils l’ont fait dans l’affaire LaGrand27, en particulier lorsque les Etats-Unis ont accès
aux rapports de police, registres d’écrou, témoins issus des forces de police ¾ et autres éléments
dont le Mexique ne dispose pas ¾ qui constitueraient des preuves décisives.
108. En outre, la véritable question n’est pas de savoir si les ressortissants ont communiqué
spontanément leur nationalité, mais si les autorités savaient ou disposaient d’éléments leur
permettant de savoir qu’ils étaient ressortissants mexicains, indépendamment de tout ce qu’ont pu
dire les ressortissants. Une fois encore, l’affaire LaGrand nous instruit sur ce point. Même si
Walter LaGrand a pu dire aux autorités qu’il était ressortissant des Etats-Unis au moment de son
arrestation, les autorités ont été en mesure de déterminer quelle était sa nationalité au cours de sa
détention. C’est cet élément qui a été le fait pertinent et la Cour n’a eu aucune difficulté pour
conclure à une violation du paragraphe 1 de l’article 36 sur cette base.
ii) Par la manière dont ils en ont rendu compte, les Etats-Unis ont gravement dénaturé
les faits concernant quatre des sept ressortissants mexicains
109. Examinons dans ce contexte les faits propres à l’affaire. Les Etats-Unis ont soutenu que
sept ressortissants mexicains avaient «affirmé, au moment de leur arrestation, être citoyens des
Etats-Unis»28. En ce qui concerne quatre de ces sept ressortissants, MM. Ayala29 (cas no
2),
Ochoa Tamayo30 (cas no
18), Benavides31 (cas no
3) et Alvarez Banda (no
30), les Etats-Unis ont

27 Voir Karl et Walter LaGrand : «rapport d’enquête sur les questions de notification consulaire», CMEU,
annexe 23, pièce 79, p. 4-8.
28 CMEU, par. 7.10.
29 Comparer la note 336, par. 7.10, CMEU, à l’annexe 7, p. A53, MM.
30 Voir CMEU, par. 7.10, note 336, annexe 2, p. 143.
31 Comparer la note 336, par. 7.10, CMEU, à l’annexe 70, p. A54, MM.
- 28 -
complètement dénaturé les faits dans le compte rendu qu’ils en ont donné. Je vous invite à lire
attentivement les exposés factuels des Etats-Unis concernant ces quatre personnes. A cette lecture,
voici ce que vous découvrirez :
110. Les Etats-Unis n’ont présenté aucune preuve attestant que l’un des quatre détenus
concernés aurait fait une fausse déclaration sur sa nationalité au moment de son arrestation. Le
tableau contenu dans vos dossiers, que je vous prie de bien vouloir ouvrir, récapitule les prétendues
preuves présentées par les Etats-Unis concernant ces quatre personnes.
111. En examinant ces informations, deux faits attirent immédiatement l’attention.
Premièrement, les documents cités par les Etats-Unis ne corroborent pas l’affirmation selon
laquelle les intéressés auraient menti concernant leur nationalité au moment de leur arrestation.
Tout au plus indiquent-ils que quelqu’un les a pris par erreur pour des ressortissants américains,
soit longtemps après, soit, dans le cas de M. Alvarez, longtemps avant leur arrestation pour un
crime passible de la peine de mort. Cette information provenait peut-être d’un agent de probation,
ou bien d’un fonctionnaire du système judiciaire, ou encore d’un policier travaillant sur une affaire
sans rapport avec lui ¾ nous l’ignorons, tout simplement parce que les Etats-Unis n’ont pas précisé
leur source, sauf dans le cas de M. Benavides.
112. Deuxièmement, les Etats-Unis ont adopté une position qui va à l’encontre des moyens
qu’ils avaient invoqués dans l’affaire LaGrand. Dans cette dernière, s’appuyant sur les
circonstances de l’espèce, les Etats-Unis avaient affirmé que les seules autorités compétentes aux
fins du paragraphe 1 de l’article 36 étaient les autorités intervenant dans les procédures
d’arrestation ou de détention, et avaient donc limité leur enquête sur la question de savoir si ces
autorités savaient que les frères étaient ressortissants allemands. Dans la présente espèce en
revanche, les Etats-Unis ont privilégié les rapports, déclarations et autres documents émanant de
sources inconnues qui ne sont pas des autorités intervenant dans les procédures d’arrestation, et ont
tenté de vous convaincre que, ce qui importe, c’est l’état d’esprit de ces sources inconnues et non
celui des autorités intervenant dans les procédures d’arrestation.
- 29 -
iii) Les Etats-Unis n’ont pas prouvé que les autorités ignoraient quelle était la
nationalité des MM. Avena et Tafoya pendant toute la durée de leur procès, au
moment de leur condamnation et pendant les années qu’ils ont passées dans le
couloir de la mort
113. Dans les cas de MM. Avena32 (cas no
1) et Tafoya33 (cas no
24), les Etats-Unis ont cité
des documents indiquant que quelqu’un, au moment de leur arrestation, avait pu croire qu’ils
étaient, soit nés aux Etats-Unis, soit ressortissants américains. Cela ne prouve pas que l’ensemble
des autorités compétentes les prenaient pour des ressortissants américains, même au moment de
leur mise en détention initiale. En outre, il est important de garder à l’esprit que M. Avena a passé
onze années dans le couloir de la mort avant que la prison n’avertisse le consulat mexicain de sa
détention, et que M. Tafoya a passé presque six années dans le couloir de la mort lorsque des
avocats ont enfin informé le Mexique de son incarcération. Les Etats-Unis n’ont pas démontré que
les autorités ignoraient que ces deux hommes étaient ressortissants mexicains pendant toute la
durée de leur procès, au moment du prononcé de leur peine, du transfèrement vers la prison et des
longues années passées dans le couloir de la mort.
iv) Les Etats-Unis n’ont présenté de preuves irréfutables selon lesquelles un
ressortissant a déclaré être ressortissant des Etats-Unis au moment de son
arrestation que dans le cas de M. Salcido Bojórquez
114. Dans le cas de M. Salcido Bojórquez (cas no
22), les Etats-Unis ont une raison bien
précise d’affirmer que celui-ci s’est présenté comme ressortissant des Etats-Unis au moment de son
arrestation au Mexique. Mais il n’ont pas prouvé n’avoir pas découvert sa nationalité mexicaine
après son extradition vers les Etats-Unis.
4. Récapitulatif des preuves
115. En résumé, dans aucun des cas dont la Cour est actuellement saisie, excepté celui de
M. Juárez Suárez, les Etats-Unis n’affirment seulement s’être acquittés de leurs obligations en
vertu du paragraphe 1 de l’article 36. Le Mexique fait respectueusement observer que, dans chacun
des cinquante-deux cas, il a plus qu’amplement satisfait à la charge de la preuve consistant à
démontrer l’existence de violations de cette disposition.

32 Sans objet.
33 Sans objet.
- 30 -
116. Pour votre commodité, le second tableau qui se trouve dans vos dossiers résume les
arguments avancés par les Etats-Unis contre l’exposé factuel établi par le Mexique.
C. Les violations permanentes de l’article 36 par les Etats-Unis
117. Je vais à présent évoquer le sujet du respect de l’article 36 par les Etats-Unis depuis la
décision rendue par la Cour dans l’affaire LaGrand. Lors de l’audience sur la demande en
indication de mesures conservatoires tenue au mois de janvier de cette année, les conseils des EtatsUnis
ont affirmé que «le Mexique a[vait] manqué de démontrer qu’il y avait ne fût-ce qu’une
chance qu’un Mexicain arrêté aujourd’hui aux Etats-Unis ne soit pas notifié de ses droits au titre de
l’article 36»34. A la suite de cette audience, et avant de déposer son mémoire, le Mexique a
recueilli des informations auprès de chacun de ses quarante-cinq consulats afin de déterminer le
nombre de cas dans lesquels, depuis le prononcé de l’arrêt en l’affaire LaGrand, des ressortissants
mexicains avaient été arrêtés et accusés d’infractions majeures sans avoir été informés de leurs
droits de notification consulaire et de communication avec les autorités consulaires. A travers cette
enquête, qui se fonde également sur des entretiens avec des fonctionnaires consulaires, sur un
examen des preuves documentaires et, le cas échéant, sur des informations émanant d’avocats de la
défense, le Mexique a découvert cent deux cas de ce type. Ces cas figurent à l’appendice B de
l’annexe 7 du mémoire du Mexique.
118. Il n’est pas étonnant que les Etats-Unis refusent de reconnaître la plupart de ces
violations. Le Mexique s’appuie sur les faits exposés dans son mémoire. Pourtant, ne fût-ce que
pour les besoins de l’argumentation, et par souci de concision, admettons que l’interprétation des
faits par les Etats-Unis soit correcte.
119. Dans quarante-six cas cités par le Mexique, les Etats-Unis ne contestent effectivement
pas la violation; dans six autres cas, ils reconnaissent explicitement qu’il n’y a pas eu de
notification; dans quinze cas, les Etats-Unis reconnaissent qu’ils n’ont trace d’aucune notification
aux ressortissants concernés; dans vingt-trois cas, ils n’apportent pas d’éléments indiquant qu’ils se
soient acquittés de leurs obligations dans chacun des cas, se bornant à invoquer des procédures de
caractère général mises en place dans la circonscription où le ressortissant a été arrêté; et, dans

34 Affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), procédure orale,
audience du 21 janvier 2003, plaidoirie en réplique de Mme Catherine Brown, p. 10-11.
- 31 -
deux cas, les Etats-Unis se contentent d’affirmer que le ressortissant n’a pas mentionné sa
nationalité mexicaine. Dans l’un de ces cas, les Etats-Unis ne font que signaler la présence d’une
affiche décrivant les droits à la notification consulaire dans la pièce où le ressortissant mexicain
était interrogé. Les Etats-Unis n’indiquent pas si l’attention de l’individu avait été attirée sur
l’affiche ni dans quelle langue celle-ci était rédigée. Il n’est pas surprenant d’apprendre que le
ressortissant en question ne parlait pas un mot d’anglais. Inutile de préciser que les Etats-Unis ne
peuvent s’acquitter de leurs obligations en vertu de l’article 36 à travers une affiche accrochée sur
un mur.
120. Si nous laissons de côté pour un instant les autres cas, et tirons nos conclusions à partir
de ces cas uniquement ¾ ces quarante-six cas que je viens de décrire¾ , nous disposons là de
quarante-six preuves de violations supplémentaires de l’article 36 dans des affaires d’infraction
majeure. Sur les quarante-six personnes concernées, au moins six continuent à encourir la peine de
mort. Ces chiffres ne comprennent pas, soit dit en passant, les cas de MM. Tonatiuh
Aguilar Saucedo et Victor Miranda Guerrero, deux ressortissants mexicains que le Mexique avait
souhaité inclure dans sa requête.
121. Il ressort clairement de cette présentation que, même si chaque différend factuel était
résolu en faveur des Etats-Unis, les violations du paragraphe 1 de l’article 36 demeurent très
répandues après l’affaire LaGrand, y compris dans les cas passibles de la peine de mort.
Monsieur le président, voilà qui termine mon exposé.
Le PRESIDENT : Merci, Madame Babcock. Je donne à présent la parole à
M. Victor Manuel Uribe.
M. URIBE AVIÑA :
III. L’AMPLEUR ET L’IMPORTANCE DE L’ASSISTANCE CONSULAIRE MEXICAINE DANS LES
AFFAIRES DE CRIMES PASSIBLES DE LA PEINE CAPITALE
A. Introduction
122. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur pour
moi que de me présenter devant vous ce matin. Comme S. Exc. M. l’ambassadeur Gómez-Robledo
- 32 -
l’a indiqué, j’ai été fonctionnaire consulaire au Texas et en Louisiane. Pendant près de cinq ans,
j’ai travaillé au service de la protection dans les consulats mexicains de ces Etats.
123. Avec la permission de la Cour, j’aborderai le rôle décisif que jouent les fonctionnaires
consulaires mexicains dans les affaires concernant des crimes passibles de la peine capitale.
124. Ainsi qu’il est expliqué dans le mémoire du Mexique, la protection des ressortissants
mexicains à l’étranger constitue l’une des priorités de mon pays pratiquement depuis son accession
au statut de nation indépendante. L’obligation faite aux fonctionnaires consulaires mexicains de
fournir cette protection apparaît dans la toute première loi régissant le fonctionnement des services
diplomatiques et consulaires du Mexique, promulguée en 1829. Par la suite, la législation a
maintenu cette obligation primordiale de protéger les droits fondamentaux des ressortissants
mexicains à l’étranger.
125. Pour des raisons évidentes, les affaires dans lesquelles la vie ou la liberté d’un
ressortissant mexicain est en jeu ont toujours constitué une préoccupation centrale de nos services
consulaires. Pendant près de deux siècles, la protection consulaire mexicaine a été inébranlable.
Au début du XXe
siècle, les fonctionnaires consulaires en poste aux Etats-Unis protégeaient les
droits des ressortissants mexicains en leur portant assistance dans des affaires criminelles graves.
Actuellement, il existe quarante-cinq consulats mexicains à travers les Etats-Unis; c’est la première
présence consulaire dans ce pays.
B. La vulnérabilité des ressortissants mexicains confrontés à des accusations de crimes
passibles de la peine capitale aux Etats-Unis.
126. Monsieur le président, avant de continuer, je voudrais assurer la Cour de ce que les
consuls mexicains ne remettent pas en cause les systèmes juridiques dans lesquels ils travaillent.
Notre unique tâche consiste à fournir la protection à laquelle ont droit nos concitoyens. Nous
reconnaissons que le système de justice pénale des Etats-Unis prévoit des garanties procédurales
visant à assurer une égalité de traitement et des procès équitables. Cependant, nous avons appris
avec l’expérience que les ressortissants mexicains arrêtés aux Etats-Unis doivent faire face à des
obstacles tels que la culture, la langue ou la compétence, qui les empêchent souvent de bénéficier
d’une défense de qualité. Nombre d’entre eux sont également victimes de stéréotypes ethniques
qui peuvent influer sur leur cas à chaque étape de la procédure judiciaire. Il s’agit là du véritable
- 33 -
contexte dans lequel fonctionne le système de justice pénale des Etats-Unis. C’est la différence
entre la théorie procédurale et la réalité quotidienne ¾ une distinction que le contre-mémoire des
Etats-Unis ne parvient pas à traduire.
127. On n’insistera jamais assez sur la vulnérabilité des ressortissants mexicains qui doivent
affronter, aux Etats-Unis, des procédures pour crime grave. L’expérience que le Mexique a tirée du
travail consulaire quotidien démontre que la grande majorité des ressortissants mexicains accusés
de crimes passibles de la peine capitale sont extrêmement pauvres. Ils sont nombreux à savoir à
peine lire et écrire. Certains d’entre eux sont atteints de malnutrition ou d’autres facteurs qui
affectent leur capacité mentale. Nombreux sont ceux qui parlent peu, voire pas du tout l’anglais
bien qu’ils aient vécu aux Etats-Unis pendant de nombreuses années. Certains ne parlent même pas
l’espagnol mais une des langues indigènes du Mexique. En plus de cela, ils sont, dans leur
majorité, des travailleurs migrants sans document qui, même après avoir résidé longtemps aux
Etats-Unis, restent exclus de la société ordinaire.
C. La protection consulaire mexicaine au cours de la première étape des affaires
pour crimes passibles de la peine capitale
128. Puisque nos ressortissants affrontent des obstacles spécifiques à une procédure
équitable dès les premiers instants de leur détention, le Mexique insiste sur une intervention
immédiate de la protection consulaire. En premier lieu, une présence consulaire opportune assure
que les garanties procédurales existantes ont les effets voulus. En second lieu, une intervention
rapide garantit que le défendeur bénéficie bien d’une égalité de traitement. Permettez-moi de
décrire brièvement quelques aspects de la protection consulaire que le Mexique fournit dans les
premières étapes des affaires concernant des crimes passibles de la peine capitale.
129. De nombreux défendeurs mexicains ressentent une profonde confusion et de la
méfiance lorsqu’ils sont confrontés au système judiciaire des Etats-Unis. Par exemple, la
condamnation par négociation connue sous le nom de composition pénale, qui est une pratique
courante aux Etats-Unis, est complètement étrangère à la plupart des Mexicains. Pour cette raison,
nos fonctionnaires consulaires travaillent à assurer que nos ressortissants comprennent les
avantages qu’il y a à accepter un règlement négocié dans des affaires dans lesquelles la preuve de
la culpabilité est nette et le ministère public a offert de renoncer à la peine capitale. Nos
- 34 -
fonctionnaires consulaires interviennent également sur le plan local avec le ministère public pour
faciliter les compositions pénales et aider la défense à obtenir des éléments de preuves susceptibles
de faire bénéficier les accusés de circonstances atténuantes, ainsi que Mme Babcock va bientôt
l’expliquer.
130. Les fonctionnaires consulaires mexicains travaillent également à éliminer d’autres
obstacles au déroulement de procédures équitables, tels que le recours à des services de traduction
médiocres. Ils peuvent déterminer si l’interprète fourni par la police ou les juridictions est
véritablement compétent. Un traducteur compétent doit non seulement être capable de traduire le
sens de termes juridiques complexes, mais il doit également connaître les expressions et le
vocabulaire mexicains. Ainsi que les éminents Membres de la Cour sont à même de pleinement
l’apprécier, une traduction de qualité demande bien plus que la connaissance superficielle d’une
langue – et ce notamment lorsque la vie ou la mort dépend d’une parfaite compréhension.
131. Nos fonctionnaires chargés de la protection se heurtent couramment à des services de
traduction extrêmement médiocres. J’en ai personnellement fait l’expérience. Lorsque j’étais
fonctionnaire consulaire en Louisiane, j’ai rencontré, dans une affaire où un ressortissant mexicain
était accusé d’un crime passible de la peine capitale, un interprète officiel qui était incapable de
mener une simple conversation en espagnol. Après que le tribunal de première instance eut refusé
de nommer un remplaçant, le consulat mexicain a lui-même fourni un interprète compétent pendant
toute la durée de la procédure.
132. Dans plusieurs cas, le rôle de «pont culturel» joué par le fonctionnaire consulaire peut
être décisif dans l’identification de faiblesses d’ordre mental. Bien trop souvent, des symptômes de
maladie mentale affectant des ressortissants mexicains sont écartés par la police ou par les avocats
de la défense comme des particularités culturelles, si même ils les ont remarqués. La relation de
proximité que les fonctionnaires consulaires établissent avec les défendeurs, leurs familles et les
avocats de la défense est remarquablement efficace pour détecter ces handicaps.
133. En outre, comme nous l’expliquons dans notre mémoire, les ressortissants mexicains
sont souvent vulnérables lorsqu’ils sont interrogés et ces interrogatoires peuvent déboucher sur de
- 35 -
faux aveux35. C’est précisément ce qui s’est passé dans le cas de M. Omar Aguirre, accusé à tort
d’homicide volontaire et condamné à cinquante-cinq ans de prison. En 1997, il avait été interrogé
pendant trois jours par la police à Chicago, sans avoir bénéficié de l’assistance consulaire.
Connaissant peu l’anglais, il avait pensé que les aveux écrits en langue anglaise qu’il avait
finalement signés étaient une relaxe lui permettant de rentrer chez lui. En décembre 2002
¾ cinq ans après son arrestation ¾, le ministère public a libéré M. Aguirre qui était totalement
innocent36. Dans ces circonstances, le rôle décisif d’une protection consulaire immédiate ne saurait
certainement faire de doute.
134. Les Etats-Unis admettent que, dans des affaires graves, l’assistance consulaire du
Mexique est «extraordinaire». Les exemples que je viens de donner ne sont que des illustrations de
la variété des services que le Mexique fournit couramment au premier stade d’affaires concernant
des crimes passibles de la peine capitale.
135. Au cours des trois dernières années seulement, nos consulats aux Etats-Unis sont
intervenus dans cinquante-cinq affaires concernant de tels crimes et ont réussi à persuader le
ministère public de ne pas requérir la peine de mort. Dans dix autres affaires, soit la peine capitale
a été exclue en droit avant le procès, soit les juges et les jurys ont prononcé des condamnations plus
légères après le procès.
136. Ainsi, pour ces cinquante-cinq ressortissants mexicains risquant la peine de mort, des
interventions consulaires opportunes ont contribué au déroulement de procédures équitables dans
lesquelles leurs vies ont été épargnées. Il se trouve que ce nombre est en fait presque le même que
celui des cas présentés à la Cour. Beaucoup d’éléments peuvent avoir influé sur l’issue des
affaires, toutes aussi graves les unes que les autres, appartenant à ces deux groupes. Mais selon
l’expérience collective de nos consulats, un facteur déterminant reste constant dans les affaires
impliquant des ressortissants mexicains qui encourent la peine capitale. Lorsque la protection
consulaire peut être assurée, comme le prévoit l’article 36, l’issue probable d’une affaire est la
condamnation à la prison à perpétuité. En revanche, chaque fois que cette assistance est retardée
ou refusée, c’est plus probablement la peine capitale qui sera prononcée.

35 MM, p. 20-25; voir également l’annexe 4 au mémoire.
36 MM, annexe 4, p. A29 de l’original.
- 36 -
Merci Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Uribe. Je donne maintenant la parole à Mme Babcock.
Mme BABCOCK : Merci, Monsieur le président.
IV. LES EFFETS DE L’ASSISTANCE CONSULAIRE SUR LES PROCEDURES CONCERNANT
DES CRIMES PASSIBLES DE LA PEINE CAPITALE
A. Introduction
137. Voici douze ans que je représente des ressortissants étrangers dans des affaires
concernant des crimes passibles de la peine capitale. Au cours des trois dernières années, j’ai
consacré mon travail à assister des ressortissants mexicains encourant la peine capitale, en qualité
de principal conseil du Mexique dans le programme d’assistance du Mexique aux personnes
encourant la peine de mort. J’ai aussi été appelée à intervenir dans plus d’une centaine d’affaires
concernant des crimes passibles de la peine capitale impliquant des ressortissants étrangers devant
des juridictions des Etats ou de l’Etat fédéral, aussi bien lors de procès de première instance ou en
appel que lors de procédures d’habeas corpus ou de recours en grâce. Je devrais également
mentionner que j’ai rencontré trente des ressortissants mexicains dont le nom est cité en l’espèce.
138. Monsieur le président, les Etats-Unis reconnaissent que le Mexique est profondément
engagé dans la protection de ses ressortissants encourant la peine capitale, mais ils dénigrent la
portée de cette protection. Ils invoquent, pour une large part, le caractère superflu de l’intervention
consulaire ¾ même dans les affaires concernant des crimes passibles de la peine capitale ¾, étant
donné que leur système de justice pénale fournirait déjà une panoplie de droits et de protections
procédurales valables pour chacun de ces cas37. Les Etats-Unis inventent un conte séduisant sur un
système qui réussirait presque toujours à préserver et à protéger les droits de tous les défendeurs,
quelle que soit leur origine. Selon les Etats-Unis, lorsque le système échoue sur certains points, la
procédure de recours intervient pour corriger toute erreur. Cet argument sous-estime cependant la
valeur de l’assistance consulaire dans des affaires concernant des crimes passibles de la peine
capitale et, dans le même temps, surestime la capacité du système de justice pénale des Etats-Unis à

37 CMEU, par. 1.4.
- 37 -
protéger les droits des défendeurs étrangers encourant la peine capitale. En outre, il ne rend pas
compte de la nature hautement spécialisée et subjective des poursuites pour crimes passibles de la
peine capitale aux Etats-Unis. Pour fournir quelque contexte aux observations formulées par
M. Uribe et pour équilibrer la description idéalisée du système de justice pénale contenue dans le
contre-mémoire des Etats-Unis, je voudrais partager quelques réalités pratiques sur des procès pour
crimes passibles de la peine capitale aux Etats-Unis. Je souhaiterais notamment faire porter ma
présentation sur trois aspects des procédures concernant les crimes passibles de la peine capitale,
qui sont particulièrement pertinents pour les questions soulevées devant la Cour : la procédure de
l’interrogatoire, les négociations précédant le procès et la qualité de la représentation juridique.
B. La procédure de l’interrogatoire
139. Je commencerai par l’interrogatoire. Un ressortissant étranger n’aura peut-être jamais
de décision plus importante à prendre que celle consistant à faire, ou non, une déclaration à la
police. Peu après son arrestation, la police l’assoit dans une pièce et commence à lui poser des
questions. S’il garde le silence, ainsi qu’il en a le droit en vertu de la Constitution, la police ne
pourra pas utiliser ce silence contre lui au procès. Toutefois, s’il parle, le ministère public pourra
utiliser et utilisera ses déclarations comme la pièce centrale de son affaire ¾ en particulier s’il
avoue un crime. Et c’est là précisément ce qui est arrivé à une douzaine au moins de ressortissants
mexicains dans la présente affaire.
140. Dans une salle d’interrogatoire, des ressortissants étrangers peuvent être confrontés à
plusieurs problèmes très particuliers. Premièrement, comme M. Uribe l’a déjà laissé entendre, des
obstacles d’ordre culturel les empêchent de comprendre leurs droits. S’il a grandi aux Etats-Unis,
avec leur infinie variété d’émissions télévisées montrant des enquêteurs et des procureurs, chaque
enfant sait que lorsque quelqu’un est arrêté, il a le droit de garder le silence. Les ressortissants
étrangers qui ne grandissent pas en regardant les émissions télévisées américaines ne le sauront
bien évidemment pas nécessairement.
141. Deuxièmement, les obstacles liés à la langue peuvent les empêcher de comprendre leurs
droits. Ainsi que les Etats-Unis l’ont expliqué dans leur contre-mémoire, la police doit notifier à un
ressortissant étranger placé en détention ce qu’il est convenu d’appeler ses droits tirés de la
- 38 -
jurisprudence Miranda, qui se présentent comme suit : vous avez le droit de garder le silence, tout
ce que vous direz pourra être et sera retenu contre vous devant un tribunal, vous avez le droit d’être
assisté d’un avocat lors des interrogatoires et si vous n’en avez pas les moyens, un avocat sera
commis à votre intention. En théorie, cela devrait compenser toutes les erreurs du système de
justice pénale. Toutefois, en pratique, la police lit souvent la notification des droits tirés de la
jurisprudence Miranda bien trop vite pour qu’il soit possible de les comprendre, si l’anglais n’est
pas votre langue maternelle38. L’expérience nous a appris que de nombreux ressortissants
étrangers, lorsqu’on leur demande s’ils comprennent leurs droits, hochent simplement la tête en
signe d’acquiescement ¾ en réalité ils ne comprennent pas mais cherchent seulement à être
coopératifs.
142. Les Etats-Unis affirment fournir les services d’un interprète à toute personne ne parlant
pas l’anglais. En théorie, c’est là ce qui devrait se passer; mais dans la pratique, la police juge de
manière subjective le caractère «suffisant» du niveau d’anglais d’une personne, ce qui permettra
que cette dernière soit interrogée sans la présence d’un interprète. Un autre cas de figure consiste,
dans de nombreuses juridictions, en ce qu’un fonctionnaire de police serve d’interprète «non
officiel» ¾ il s’agira peut-être de quelqu’un dont les parents étaient portoricains, dominicains ou
cubains, dont le niveau d’espagnol est faible et qui, il est inutile de le dire, n’est pas un interprète
assermenté. Dans une affaire récente d’homicide volontaire en Californie, un ressortissant
mexicain qui ne parlait que le náhuatl, l’une des cinquante-six langues indigènes officielles du
Mexique, a été interrogé en espagnol parce que la police est partie du principe que puisqu’il était
Mexicain, il parlait l’espagnol. Les policiers, parmi lesquels on ne comptait aucune personne de
langue maternelle espagnole, lui ont posé des questions dans leurs rudiments d’espagnol et il leur a
répondu du mieux qu’il l’a pu avec le peu de connaissances qu’il avait dans cette langue. Ils ont
plus tard affirmé qu’il avait avoué. Il n’est nul besoin de dire que la défense conteste la fiabilité de
ses prétendues déclarations et qu’elle a recours à un interprète de langue náhuatl que le consulat
mexicain a trouvé.

38 Voir la déclaration de M. Roseann Duenas Gonzalez, MM, annexe 4, p. A27-A28.
- 39 -
143. Enfin, les obstacles linguistiques peuvent mener les ressortissants étrangers à dire
involontairement des choses qu’ils ne pensent pas ou à signer des déclarations en anglais alors
qu’ils ne comprennent pas cette langue. M. Ignacio Gomez, par exemple, l’un des ressortissants
mexicains dont le cas est cité en l’espèce, a signé des aveux écrits en anglais, contenant des termes
juridiques et même du vocabulaire soutenu, alors que, comme les Etats-Unis l’ont admis dans leur
contre-mémoire, M. Gomez était, deux ans seulement avant d’être arrêté, incapable de parler ou
d’écrire en anglais, même après avoir été scolarisé aux Etats-Unis pendant neuf ans39
.
144. C’est dans ce contexte que les observations de M. Uribe prennent toute leur
signification. L’objectif de pouvoir communiquer avec le consulat avant l’interrogatoire n’est pas
d’entraver le fonctionnement des procédures pénales, mais plutôt d’assurer que les ressortissants
étrangers sont traités équitablement au moment le plus décisif de l’enquête.
C. Les négociations précédant le procès
145. Je voudrais maintenant prendre quelques instants pour aborder une autre phase initiale
décisive des affaires concernant des crimes passibles de la peine capitale, celle qui fait intervenir le
pouvoir discrétionnaire que possède le ministère public de s’abstenir de demander la peine capitale.
Comme vous le savez, celle-ci n’est jamais obligatoire aux Etats-Unis. Même pour les homicides
volontaires commis avec les circonstances les plus aggravantes, les ministères publics tant des Etats
que de l’Etat fédéral ont un large pouvoir discrétionnaire pour décider si la peine de mort est la
peine qu’il convient de prononcer. Le ministère public prend habituellement cette décision très tôt
au cours de la procédure, avant d’avoir investi beaucoup de temps et de ressources dans la
préparation de l’affaire en vue du procès. Pour cette raison, un avocat de la défense compétent
doit, à partir du moment où il est désigné pour la première fois comme représentant un défendeur
accusé de crime, faire tous les efforts possibles pour rechercher un règlement négocié de l’affaire
¾ c’est ce que l’on appelle la «composition pénale».
146. C’est à ce stade, comme M. Uribe l’a fait observer, que l’assistance consulaire est
vitale. En envoyant simplement une lettre ou en demandant un entretien personnel pour exprimer
les vues du Mexique sur une affaire, les fonctionnaires consulaires ont été en mesure de persuader

39 CMEU, annexe 2, p. A213.
- 40 -
le ministère public de ne pas demander la peine capitale dans une bonne douzaine de cas. Mais
l’assistance prend aussi d’autres formes. Les fonctionnaires consulaires peuvent contribuer à
mettre en avant ce que l’on appelle des «circonstances atténuantes» relatives au passé du
défendeur, à sa santé mentale et à d’autres aspects de sa situation personnelle. Les circonstances
atténuantes servent à dépeindre le défendeur sous un visage plus humain et à expliquer les raisons
qui l’ont poussé à commettre un crime épouvantable. Par exemple, un individu qui a été battu avec
sadisme pendant son enfance peut développer une série de désordres psychologiques en
conséquence de tels abus. Bien que cela n’excuse pas un crime sur le plan juridique, cela peut
parfaitement inspirer empathie et compassion, ce qui est suffisant pour épargner la vie du
défendeur.
147. Des circonstances atténuantes peuvent influencer aussi bien le ministère public que les
juges et les jurés. Pour cette raison, un bon avocat de la défense commencera à rechercher des
circonstances atténuantes dès le début de la procédure, de manière à pouvoir les présenter avant que
le ministère public n’ait pris la décision irrévocable de demander la peine de mort. Mais les gens
pauvres aux Etats-Unis ¾ notamment les ressortissants mexicains cités en l’espèce ¾ sont souvent
représentés par des avocats commis d’office qui sont surchargés de travail et sous-payés40
.
Contrairement à ce que prétendent les Etats-Unis, ces avocats manquent souvent de ressources pour
engager des enquêteurs et des experts et, par conséquent, ne dégagent pas convenablement les
circonstances atténuantes ¾ en particulier lorsque ces circonstances sont à rechercher loin, dans un
pays étranger41. Au cours des seules trois dernières années, le Mexique a débloqué des fonds pour
engager des psychologues, neuropsychologues et enquêteurs bilingues dans littéralement des
dizaines de cas pour lesquels aucune assistance juridictionnelle n’était disponible.
D. La qualité de la représentation juridique
148. Je voudrais à présent dire brièvement quelques mots en réponse à l’affirmation des
Etats-Unis selon laquelle «[l]’avocat désigné pour représenter le détenu doit travailler

40 Voir J. Liebman, The Overproduction of The Death, Columbia Law Review, vol. 100, 2000, p. 2102-2106;
S. Bright, «Counsel for the Poor: The Death Sentence Not for the Worst Crime But For the Worst Lawyer», Yale Law
Journal, 1994, p. 1835-1883.
41 S. Bright, ci-dessus, p. 1835-1883.
- 41 -
efficacement»42. Il est incontestable que, de tous les droits accordés à un défendeur devant faire
face à un procès concernant un crime passible de la peine capitale, le plus important est le droit à
un avocat. Comme Mme Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour Suprême des Etats-Unis, l’a fait
remarquer, «[c]eux qui sont bien représentés à un procès ne sont pas condamnés à la peine
capitale»43. Comme je l’ai déjà laissé entendre il y a un instant, pour les gens pauvres accusés de
crimes passibles de la peine capitale, une représentation juridique de qualité constitue l’exception
plutôt que la règle. Et dire qu’une juridiction a jugé le travail d’un avocat satisfaisant du point de
vue de la Constitution ne signifie pas que l’avocat était compétent et préparé ni qu’il avait une
expérience suffisante44
.
149. Devant cette réalité, le Mexique est parvenu à obtenir des juridictions que de nouveaux
avocats soient nommés en remplacement de ceux qui étaient inexpérimentés ou incompétents.
L’un de ces cas est décrit dans la déclaration de M. Michael Iaria, déposée comme annexe 6 au
mémoire du Mexique. Dans d’autres affaires, le Mexique a pu trouver des avocats qui ont accepté
de travailler bénévolement ou en a recruté pour assurer la défense de ses ressortissants. A travers
ces actions, le Mexique a été en mesure de relever le niveau de représentation juridique de ses
ressortissants dans plusieurs affaires, ce qui a ensuite eu une influence décisive sur le résultat des
procédures.
150. Enfin, il n’est plus vrai de dire que le système judiciaire cherche à corriger ces
déficiences par les procédures de recours ni qu’il soit en mesure de le faire. Au cours de ces dix
dernières années, le Congrès des Etats-Unis, les organes législatifs des Etats et les juridictions ont
de plus en plus limité les remèdes ouverts en recours aux occupants du couloir de la mort. En
conséquence de ces restrictions, les juridictions fédérales ont ainsi refusé de réexaminer de
nouveaux éléments de preuve dans l’affaire de M. Cesar Roberto Fierro, bien qu’une juridiction du
Texas eût conclu qu’il y avait une «forte probabilité» que son aveu eût été extorqué45
.

42 CMEU, par. 1.4.
43 Anne Gearan, Supreme Court Justice Supports Death Penalty Moratorium, Associated Press, le 9 avril 2001.
44 Voir l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), compte rendu d’audience, CR 2000/26, par. 6
(13 novembre 2000, 10 heures); Riles v. McCotter, 799 F.2d, p. 954 (5e
cir. 1986) (Rubin, J.).
45 Voir MM, annexe 7, p. A87-90.
- 42 -
E. Le cas de M. Geraldo Valdez
151. Pour un exemple concret des principes que M. Uribe et moi-même venons d’exposer,
nous n’avons pas besoin de regarder plus loin que le cas de M. Geraldo Valdez. L’histoire de
l’intervention du Mexique dans l’affaire de M. Valdez est déjà bien connue de la Cour, puisque tant
le Mexique que les Etats-Unis l’ont décrite dans leurs pièces de procédure respectives46
.
M. Geraldo Valdez a été arrêté en Oklahoma en 1989. Il a bénéficié de toutes les protections
auxquelles il avait droit en vertu du système juridique des Etats-Unis. Il a été informé de ses droits
tirés de la jurisprudence Miranda. Un avocat qualifié selon les lois de l’Oklahoma a été désigné
pour le représenter. Il a ensuite été déclaré coupable et condamné à la peine capitale. Au moins
six juridictions ont réexaminé son cas dans diverses procédures de recours et pourtant aucune n’a
trouvé de vice juridique dans la procédure, et toutes ont confirmé le verdict de culpabilité et la
peine prononcés contre lui.
152. M. Geraldo Valdez n’était plus qu’à quelques semaines de son exécution et il ne fait
aucun doute qu’il aurait été exécuté si le Mexique n’était pas intervenu. Par une véritable force de
volonté, l’implication du président mexicain Vicente Fox et des dépenses considérables, le
Mexique a tiré M. Valdez de l’abîme et a convaincu une juridiction de l’Oklahoma d’annuler sa
condamnation à mort. Et voilà que les Etats-Unis se sont emparés du cas de M. Valdez et le
présentent comme un exemple de la manière dont les juridictions permettent un examen
«approfondi, sérieux» et «juste», conforme aux principes exposés par la Cour dans l’arrêt
LaGrand47. Mais cette conclusion fait l’impasse sur deux faits fondamentaux. En premier lieu, la
juridiction qui a en définitive infirmé la condamnation à mort de M. Valdez a jugé que la demande
fondée sur la violation de l’article 36 ne pouvait être invoquée par application de la règle de la
carence procédurale. En second lieu, la décision de la juridiction de l’Oklahoma était
extraordinaire et sans précédent, et elle ne serait probablement jamais répétée. Comme preuve de
cela, il suffit de mentionner le cas de M. Javier Suarez Medina, qui a été exécuté au Texas quelques
mois seulement après que la juridiction de l’Oklahoma avait infirmé la condamnation de

46 Voir MM, par. 150-153; CMEU, par. 7-28-7-32.
47 CMEU, par. 7.32.
- 43 -
M. Valdez. Dans cette affaire, le Mexique a déployé, en vain, les mêmes efforts que dans le cas de
M. Valdez.
153. La véritable leçon de l’affaire Valdez est que l’assistance consulaire du Mexique
importe. En recueillant et en présentant des éléments de preuve susceptibles de faire bénéficier
l’accusé de circonstances atténuantes, le Mexique a réussi à convaincre une juridiction de
l’Oklahoma que l’exécution de M. Geraldo Valdez aurait été une grave erreur judiciaire. Mais le
Mexique ne s’est pas arrêté là. Quand la juridiction de l’Oklahoma a annulé la condamnation à
mort de M. Valdez et ordonné une nouvelle audience sur la détermination de la peine, le Mexique a
engagé un grand cabinet d’avocat à Washington pour le représenter au procès, puis il a insisté
vigoureusement auprès du ministère public pour qu’il renonce à la peine de mort. Il y a
deux semaines, M. Geraldo Valdez a conclu un accord aux termes duquel il plaidera coupable en
échange de quoi le ministère public requerra la réclusion à perpétuité.
154. Monsieur le président, voilà qui conclut ma présentation.
Le PRESIDENT : Merci, Madame Babcock. L’audience est maintenant suspendue pendant
quinze minutes. La Cour reprendra les audiences à 12 h 5.
L’audience est suspendue de 11 h 50 à 12 h 5.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne la parole à M. Donald Francis Donovan.
M. DONOVAN :
V. LES ETATS-UNIS ONT VIOLE LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE 36
DE LA CONVENTION DE VIENNE
A. Introduction
155. Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres de la Cour, je suis très
reconnaissant à la Cour de me donner une fois de plus l’occasion de paraître devant elle.
156. J’examinerai maintenant au nom du Mexique les principes juridiques dont les faits
résumés par Mme Babcock et M. Uribe appellent l’application.
157. Selon le Mexique, le paragraphe 1 de l’article 36 exige que les Etats-Unis informent les
autorités consulaires et donnent aux ressortissants étrangers la possibilité de recevoir une assistance
- 44 -
consulaire immédiatement après leur arrestation ou leur mise en détention et avant tout
interrogatoire. Le Mexique estime en outre que les Etats-Unis ont violé le paragraphe 1 de
l’article 36 dans chacun des cinquante-deux cas qui font l’objet de sa requête.
158. Les Etats-Unis sont d’un autre avis. Selon eux, ils sont tenus de garantir les droits
prévus par le paragraphe 1 de l’article 36, et je cite, «dans le cadre normal des activités sans
atermoiement ni inaction délibérée». Ils soutiennent également que le Mexique n’a prouvé que
l’article 36 avait été violé dans aucun des cas soumis à la Cour.
159. Je présenterai la position du Mexique en deux étapes.
160. En premier lieu, j’examinerai la question à partir de la position de droit des Etats-Unis.
Je montrerai que si l’on applique l’interprétation même que font les Etats-Unis du paragraphe 1 de
l’article 36 et l’arrêt de la Cour en l’affaire LaGrand — que les Etats-Unis ne contestent
évidemment à aucun égard —, la Cour doit conclure que les Etats-Unis ont violé les droits du
Mexique et ceux de ses ressortissants dans chacun des cinquante-deux cas.
161. En second lieu, j’examinerai l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 36 proposée
par les Etats-Unis sous l’angle de son application future à l’égard des ressortissants mexicains qui
pourraient être mis en détention aux Etats-Unis. Le Mexique convient en effet avec les Etats-Unis
qu’abstraction faite des cinquante-deux cas, il existe en l’espèce un différend fondamental entre les
Parties sur l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 36.
B. Les violations du paragraphe 1 de l’article 36 dans les cinquante-deux cas
1. Les violations de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b)
162. Parlons donc des cinquante-deux cas. Dans l’arrêt LaGrand, la Cour a noté que
l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 impose à l’Etat de résidence trois obligations précises :
premièrement, d’informer «sans retard» le ressortissant étranger détenu de son droit à ce que son
consulat soit averti; deuxièmement, d’informer «sans retard» le poste consulaire, à la demande du
ressortissant , que celui-ci a été mis en détention, et troisièmement de transmettre toute
communication de la personne détenue adressée au poste consulaire, encore une fois, «sans
retard»48
.

48 LaGrand, par. 77.
- 45 -
163. Tant au stade des mesures conservatoires en l’affaire Breard qu’à celui du fond en
l’affaire LaGrand, les Etats-Unis ont reconnu qu’ils avaient violé l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article 36 en n’informant pas le ressortissant détenu en temps voulu. Ce faisant, les Etats-Unis
étaient fidèles à leur propre interprétation de la disposition, car les Etats-Unis reconnaissent
eux-mêmes que notifier «dans le cadre normal des activités» signifie habituellement entre
vingt-quatre et soixante-douze heures après l’arrestation ou la mise en détention49. De toute
évidence, ne pas informer le consulat ou ne l’informer qu’après que le ressortissant a été arrêté,
jugé, déclaré coupable et condamné et après que soient achevées les procédures engagées après le
procès de première instance au niveau de l’Etat comme ce fut le cas dans les affaires Breard et
LaGrand, ne respecterait pas cette norme.
164. Comme ma collègue Mme Babcock l’a démontré, en s’appuyant sur des éléments de
preuves factuels produits par le Mexique et non contestés, dans cinquante cas, le ressortissant
mexicain n’a jamais été informé par les autorités compétentes des Etats-Unis de son droit à ce que
son consulat soit averti, dont neuf cas dans lesquels des juridictions américaines ont constaté une
violation et trois autres dans lesquels les autorités compétentes ont reconnu avoir commis une
violation50
.
165. En d’autres termes, dans cinquante des cas dont la Cour est saisie, les faits, non
contestés, sont exactement identiques à ceux qui ont amené les Etats-Unis à reconnaître, dans les
affaires Breard et LaGrand, et la Cour à juger, dans l’affaire LaGrand, que les Etats-Unis avaient
violé l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. En conséquence, la Cour doit juger que les
Etats-Unis ont violé l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 également dans chacun de ces
cinquante cas.

49 CMEU, par. 6.19.
50 Décisions, voir Vargas (#26), annexe 35, p. 129; voir également annexe 7, p. 68-69, par. 139; Hernandez
Llanas (#34), annexe 50, p. 29; voir également annexe 7, p. 80, par. 200; Sanchez Ramirez (#23), annexe 64, p. 194; voir
également annexe 7, p. 65, par. 121; Ignacio Gomez (#33), annexe 61, p. 177; voir également annexe 7, p. 79, par. 195;
Félix Rocha Diaz (#42), annexe 41, p. 180; voir également annexe 7, p. 95, par. 271; Ramiro Ibarra (#35), annexe 62,
p. 182; voir également p. 82, par. 210; Humberto Leal Garcia (#36), annexe 51-52, p. 45 et p. 95; voir également
annexe 7, p. 83-84, par. 218; Virgilio Maldonado (#37), annexe 53, p. 96; voir également annexe 7, p. 86, par. 226;
José Trinidad Loza (#52), annexe 44, p. 250; voir également p. 113, par. 348. Accord des parties, voir Villa Ramirez
(#20), MM, annexe 65, p. 198; voir également annexe 7, p. 62, par. 106. Note diplomatique, voir Carlos Rene Perez
Gutierrez, CMEU, annexe 2, p. 217. Reconnaissance de la violation, voir Raphael Camargo Ojeda, annexe 2, p. 199.
- 46 -
166. Dans le cinquante et unième cas, celui de M. Esquivel Barrera, les faits non contestés
montrent que les autorités compétentes ont procédé à la notification un an et demi environ après
l’arrestation51. Ce délai ne respecte pas non plus la norme américaine.
167. Enfin, dans le cinquante deuxième cas, celui de M. Juarez Suarez, les autorités
compétentes ont procédé à la notification quelque quarante heures après l’arrestation52. Dans cette
affaire, un tribunal des Etats-Unis a constaté une violation de l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article 36, conclusion dont les Etats-Unis tentent maintenant de se désolidariser. Le Mexique
estime qu’il ne saurait être permis aux Etats-Unis de désavouer leur propre juridiction. S’il en est
ainsi, en se fondant sur l’interprétation que les Etats-Unis donnent eux-mêmes de l’alinéa b) du
paragraphe 1 de l’article 36, la Cour doit adjuger au Mexique sa conclusion selon laquelle les
Etats-Unis ont violé cette disposition dans chacun de ces cinquante-deux cas.
2. Les violations des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36
168. Sur la base des mêmes faits non contestés, la Cour doit aussi faire droit à la conclusion
du Mexique selon laquelle il y a eu, dans au moins quarante-huit des cinquante-deux cas, violation
des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36.
169. La Cour a examiné les liens existant entre ces dispositions dans l’arrêt LaGrand, où elle
a jugé que le paragraphe 1 de l’article 36 «institue un régime dont les divers éléments sont
interdépendants et qui est conçu pour faciliter la mise en œuvre du système de protection
consulaire». En particulier, la Cour a dit, dans l’arrêt LaGrand, que dans le cadre de ce régime, les
violations de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 commises par les Etats-Unis avaient mené
par voie de conséquence à des violations des alinéas a) et c) de ce paragraphe, parce qu’ils avaient,
en violant l’alinéa b), privé l’Allemagne, en tant qu’Etat d’envoi, de ses droits en matière de
communication et d’assistance garantis par l’alinéa c)53
.

51 Voir MM, annexe 7, p. 48; voir également CMEU, annexe 2, p. 91-92.
52 Voir MM, annexe 7, p. 50; annexe 36, p. 133; voir également CMEU, annexe 2, p. 95.
53 LaGrand, par. 73.
- 47 -
170. Dans vingt-neuf des cinquante-deux cas, il n’est pas contesté que le Mexique n’a été
informé de la détention de ses ressortissants qu’après leur condamnation à la peine de mort54. Il ne
fait donc aucun doute que ces affaires correspondent en tous points à l’affaire LaGrand et que si la
Cour a jugé alors que les Etats-Unis avaient violé les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de
l’article 36, elle doit faire de même en la présente espèce.
171. Dans les vingt-trois autres cas, le ressortissant mexicain a été mis en rapport avec son
consulat par d’autres moyens qu’une notification par les autorités compétentes des Etats-Unis,
avant d’être condamné à la peine de mort55. Ce n’est que dans quatre56 de ces cas, que les
Etats-Unis soutiennent que cette communication a eu lieu dans le délai qu’ils préconisent. Ainsi
que mes collègues l’ont expliqué, des événements cruciaux pour une affaire pénale pouvant aboutir
à la peine de mort, notamment l’interrogatoire et les négociations judiciaires, ont lieu dès les
premières heures.
172. Il s’ensuit que pendant une période cruciale, dans toutes ces procédures, sauf quatre,
même si cette période n’a pas été aussi longue que dans les vingt-neuf autres affaires, le Mexique a
été privé de son droit de communiquer avec ses ressortissants détenus et de leur prêter assistance et
ces ressortissants ont été privés, de leur côté, de leur droit de communiquer avec leur consulat et de
recevoir l’assistance que le Mexique leur aurait fournie. Dès lors, tout comme pour l’alinéa b) du
paragraphe 1 de l’article 36, le fait que la Cour ait jugé, dans LaGrand, que les Etats-Unis avaient
violé les alinéas a) et c) de ce même paragraphe doit l’amener à statuer de même dans la présente
espèce.

54 Avena Guillen, Carlos (#1); Ayala, Hector Juan (#2); Carrera Montenegro, Constantino (#4);
Contreras Lopez, Jorge (#5); Gomez Perez, Ruben (#8); Lopez, Juan Manuel (#11); Lupercio Casares, Jose (#12);
Maciel Hernandez, Luis Alberto (#13); Martinez Sanchez, Miguel Angel (#16); Ochoa Tamayo, Sergio (#18);
Parra Duenas, Enrique (#19); Salazar, Magdaleno (#21); Tafoya Arriola, Ignacio (#24); Valdez Reyes, Alfredo (#25);
Vargas, Eduardo David (#26); Alvarez, Juan Carlos (#30); Fierro Reyna, Cesar Roberto (#31); Garcia Torres, Hector
(#32); Ibarra, Ramiro Rubi (#35); Leal Garcia, Humberto (#36); Medellin Rojas, Jose Ernesto (#38); Plata Estrada,
Daniel Angel (#40); Regalado Soriano, Oswaldo (#43); Caballero Hernandez, Juan (#45); Flores Urban, Mario (#46);
Fong Soto, Martin Raul (#48); Perez Gutierrez, carlos Rene (#51); Loza, Jose Trinidad (#52); Torres Aguilera,
Osvaldo Netzahualcóyotl (#53).
55 Benavides Figueroa (#3); Covarrubias Sanchez (#6); Esquivel Barrera (#7); Hoyos (#9); Juarez Suarez (#10);
Manriquez Jaquez (#14); Fuentes Martinez (#15); Mendoza Garcia (#17); Ramirez Villa (#20); Salcido Bojorquez (#22);
Sanchez Ramirez (#23); Verano Cruz (#27); Zamudio Jiminez (#29); Gomez (#33); Hernández Llanas (#34);
Maldonado (#37); Moreno Ramos (#39); Ramirez Cardenas (#41); Rocha Diaz (# 42); Tamayo (#44);
Solache Romero (#47); Camargo Ojeda (#49); Reyes Camarena (#54).
56 Hernandez Llanas (#34); Solache Romero (#47); Esquival Barrera (#7); Juarez Suarez (#10).
- 48 -
173. Jusqu’à présent, ainsi que je l’avais annoncé, je me suis fondé exclusivement sur
l’interprétation que font eux-mêmes les Etats-Unis de l’article 36 et sur les décisions non contestées
de la Cour en l’affaire LaGrand. Pour ces motifs, le Mexique conclut, avec tout le respect qu’il
doit à la Cour, que celle-ci doit juger que les Etats-Unis ont violé l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article 36 dans les cinquante-deux cas et les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 dans
tous ces cas, si l’on fait exception à cette fin des quatre cas dans lesquels la décision dépend de
l’arbitrage que la Cour fera entre les interprétations différentes que donnent les Parties de
l’expression «sans retard».
174. Compte tenu de ces différences d’interprétation, la Cour ne peut s’en tenir là. Elle doit
en effet résoudre pour l’avenir le différend qui existe entre les Parties en ce qui concerne le
moment où les droits que le paragraphe 1 de l’article 36 confère au Mexique et à ses ressortissants
entrent en jeu et la manière dont ils s’exercent. Et bien entendu, si le Mexique a raison, il devient
encore plus facile de constater les violations que je viens de décrire dans les cinquante-deux cas.
C’est donc à ce différend que j’en viens maintenant, si la Cour le permet.
C. Les obligations des Etats-Unis aux termes du paragraphe 1 de l’article 36
175. Monsieur le président, le Mexique soutient que le paragraphe 1 de l’article 36 oblige
l’Etat de résidence à fournir l’information et assurer la notification consulaires «sans retard» afin de
faciliter la protection consulaire. Il soutient en outre que les mots «sans retard» servent à exprimer
l’immédiateté, et signifient avant tout interrogatoire. En effet, s’il en était autrement, en particulier
dans une affaire mettant en jeu la peine capitale, le ressortissant étranger serait privé des avantages
de l’assistance consulaire au moment même où cette assistance est la plus cruciale.
176. Les Etats-Unis, quant à eux, accusent sans relâche le Mexique d’«exagérer»
l’importance du paragraphe 1 de l’article 3657. Attachant beaucoup moins d’importance au
paragraphe 1 de l’article 36 ¾ ou, pour être plus précis, attachant beaucoup moins d’importance à
cet article lorsqu’ils s’expriment, comme ils le font en l’espèce, en tant qu’Etat de résidence ¾ les
Etats-Unis font une lecture beaucoup moins contraignante du paragraphe 1 de l’article 36 en ce qui
concerne les obligations de l’Etat de résidence. Selon eux, l’Etat de résidence ne doit procéder à la

57 CMEU, par. 6.3-6.4, 6.12 et 6.81.
- 49 -
notification, comme je l’ai déjà dit, que «dans le cadre normal des activités» et «sans atermoiement
ni inaction délibérée»58. Autrement dit, plutôt que d’interpréter ce paragraphe comme imposant des
obligations qui peuvent être mesurées objectivement en fonction de leur but, les Etats-Unis
introduisent un élément de subjectivité dans leur interprétation.
177. Les Etats-Unis conviennent que les moyens normaux d’interprétation des traités
énoncés dans la convention de Vienne sur le droit des traités sont applicables en l’espèce. Je
propose que les interprétations discordantes des Parties soient jugées à l’aune de ces moyens : le
sens ordinaire du texte, dans son contexte et à la lumière du but et de l’objet de la disposition dans
laquelle il figure, de même, le cas échéant, que les travaux préparatoires.
1. Le sens ordinaire
178. Pour définir le sens ordinaire à donner à l’expression «sans retard», les Etats-Unis
s’appuient surtout sur les dictionnaires59. En toute déférence, nous estimons qu’ils font fausse
route. Comme le note Sinclair et le confirment nombre de commentateurs, «il ne saurait exister de
sens ordinaire abstrait d’une expression, qui soit indépendant de la place que cette expression
occupe dans le texte à interpréter»60. Mais puisque les Etats-Unis invoquent des dictionnaires, nous
en discuterons volontiers.
179. Selon les Etats-Unis, au sens du dictionnaire, le mot «delay» («retard») signifie «le fait
de retarder; ajourner ou différer une action»61. Il tombe sous le sens que si le mot «delay» (retard)
signifie le fait d’ajourner ou de différer une action, l’expression «without delay» (sans retard)
signifie le contraire. On ne s’étonne donc pas que les dictionnaires indiquent, comme synonyme de
l’expression «sans retard», le mot «immédiatement».
180. La seule définition que les Etats-Unis citent de l’expression qui nous occupe, «without
delay» (sans retard), est tirée de l’Oxford English Dictionary. Comme ils le reconnaissent,
l’Oxford définit cette expression de la manière suivante : «without waiting, immediately, at once»

58 CMEU, par. 6.16-6.17.
59 CMEU, par. 6.23.
60 I. Sinclair, The Vienna Convention on the Law of Treaties (1984, 2e
éd.), p. 121.
61 CMEU, par. 6.23 (traduction de la citation de l’Oxford English Dictionary).
- 50 -
(sans attendre, immédiatement, tout de suite)62. Inversement, le Black’s Law Dictionary, la source
la plus souvent citée pour les termes de droit aux Etats-Unis, nous informe que le mot «immediate»
(immédiat) signifie «at once; without delay» (tout de suite, sans retard)63. On trouve les mêmes
équivalents dans le Concise Oxford64
.
181. L’usage que font les Etats-Unis eux-mêmes de ces termes dans le cadre de la
notification consulaire concorde avec ce qui précède. Dans ses directives concernant les traités
bilatéraux publiées à l’intention des responsables de l’application de la loi, le département d’Etat
des Etats-Unis parle, et je cite, de «formulations such as «without delay» and «immediately»»
(«des expressions telles que «sans retard et «immédiatement»»). Bien que nous ne soyons pas
d’accord avec le sens que le département d’Etat donne à ces expressions dans les directives,
l’important ici est qu’elles soient définies comme ayant le même sens65
.
182. Les Etats-Unis demandent également à la Cour de comparer l’article 36 avec l’usage
qui est fait des expressions «without delay» et «immediately» dans certaines autres dispositions de
la convention de Vienne et soutiennent que lorsque des termes différents sont utilisés, le sens doit
en être différent. Mais cela n’est pas nécessairement vrai. Si, comme nous venons de le
démontrer, «sans retard» et «immédiatement» signifient la même chose, ces comparaisons ne
prouvent rien ¾ sauf, peut-être, que nous devons examiner le contexte, le but et l’objet. S’il
subsistait encore des doutes sur ce point, ils seraient entièrement dissipés par les travaux : les
comptes rendus analytiques ne donnent nullement à penser que les délégués ont comparé
l’expression «sans retard» utilisée à l’article 36 avec le libellé d’aucun des autres articles, qui ont
tous été adoptés ultérieurement.
183. Mais pour tirer tous les enseignements de la comparaison entre les différents articles,
les Etats-Unis auraient dû pousser leur analyse plus loin et y inclure les textes de la convention
faisant foi dans les autres langues. En réalité, ces textes n’utilisent pas systématiquement des

62 CMEU, par. 6.23, note 164.
63 Black’s Law Dictionary (1990, 6e
éd.), p. 750.
64 Concise Oxford Dictionary of Current English (1990, 8e
éd.), p. 589 (selon le Concise Oxford, «immediate»
(immédiat) signifie «occurring or done at once or without delay» (qui a lieu ou est fait tout de suite ou sans retard)).
65 Notification et communication consulaires. Directives à l’intention des responsables de l’application des lois
et autres fonctionnaires fédéraux, étatiques et locaux concernant les ressortissants étrangers aux Etats-Unis et le droit
des fonctionnaires consulaires de leur prêter assistance, CMEU, annexe 21, p. A552 de l’original.
- 51 -
termes différents là où l’anglais emploie «without delay» et «immediately». Au contraire, les
expressions différentes en anglais y sont souvent rendues par des termes identiques. Par exemple,
le texte chinois utilise le même terme, «xun ji», là où le texte anglais emploie «promptly», à
l’article 42, et «without delay», à l’article 36. Quant au texte espagnol, là où le texte anglais utilise
«immediately» à l’article 14 et «without delay» à l’article 36, il emploie toujours la même
expression «sin dilación».
184. Ainsi, s’il y a des conclusions à tirer de cette exégèse, c’est que l’expression «sans
retard» a exactement le sens que lui donne le Mexique : «immédiatement».
D. Le contexte, le but et l’objet du paragraphe 1 de l’article 36
185. Le Mexique reconnaît cependant qu’il ne suffit pas d’examiner les termes de l’article 36
de façon isolée. Il faut plutôt déduire le sens de cette disposition de l’ensemble du texte, dans son
contexte et à la lumière de son objet et de son but66. Examinons donc le texte sous cet éclairage.
Quels enseignements tirons-nous de cet examen ?
186. En premier lieu, il ressort du texte que selon ses rédacteurs, les droits qui y sont
énoncés seraient applicables dans le cadre de procédures pénales. L’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article 36 stipule expressément que le ressortissant étranger doit être informé de ses droits à la
notification consulaire lorsqu’il est «arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou
toute autre forme de détention». Quant à l’alinéa c) du même paragraphe, il précise que les
fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant étranger «incarcéré, en
état de détention préventive ou toute autre forme de détention». Le même alinéa mentionne, parmi
les formes d’assistance que les fonctionnaires consulaires peuvent prêter au ressortissant, la
possibilité «de pourvoir à sa représentation en justice». Il faut donc interpréter le mandat de
procéder à la notification «sans retard» dans le contexte particulier d’une enquête et de poursuites
pénales aboutissant à un «procès en première instance» et mettant par conséquent en jeu les droits
juridiques de la personne.

66 Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969, art. 31, par. 1.
- 52 -
187. Pourtant, les Etats-Unis laissent entendre que le paragraphe 1 de l’article 36 ne
concerne pas expressément un stade particulier d’une enquête pénale67. Si je puis me permettre,
c’est inexact. Ce paragraphe concerne expressément l’arrestation, car c’est cet événement qui
déclenche l’application «sans retard» de ses dispositions. Or, l’arrestation est une étape très
concrète et très précise d’une enquête pénale. Le contexte nous enseigne donc que dès après
l’arrestation, la notification doit avoir lieu avant que ne survienne tout autre événement.
188. En deuxième lieu, s’agissant de l’objet et du but, le texte est également instructif. La
toute première phrase du paragraphe 1 de l’article 36 nous apprend en termes exprès que ce
paragraphe vise à ce que «l’exercice des fonctions consulaires … soit facilité». C’est ce qu’a
rappelé la Cour dans l’arrêt LaGrand, lorsqu’elle a déclaré que le but du paragraphe 1 de
l’article 36 était de «faciliter la mise en œuvre du système de protection consulaire»68
.
189. Au vu de ces orientations très précises, on comprend difficilement comment les
Etats-Unis peuvent dire avec insistance que «le but général du paragraphe 1 de l’article 36 est
manifestement d’éviter que les détentions soient tenues secrètes»69. Si cela était vrai, ce
paragraphe n’énoncerait qu’une seule obligation, celle d’avertir le consulat chaque fois qu’un
ressortissant étranger est mis en détention.
190. En troisième lieu, il n’y a pas de désaccord entre les Etats-Unis et le Mexique sur la
manière dont la protection consulaire est assurée dans le cadre de poursuites pénales, comme celles
qui nous occupent, où les accusés sont passibles de la peine de mort. Faisant écho à l’exposé du
Mexique, les Etats-Unis expliquent dans leur contre-mémoire que les fonctionnaires consulaires
peuvent offrir aux détenus l’assistance consulaire «multiple» qui a été décrite par Mme Babcock et
M. Uribe70. Les Etats-Unis reconnaissent également que les fonctionnaires consulaires peuvent
servir de «pont culturel» en fournissant une information importante aux détenus qui connaissent
mal le système juridique des Etats-Unis71. En d’autres termes, comme le Mexique l’a expliqué
dans son mémoire, l’assistance consulaire comble les écarts objectifs qui existent entre un

67 CMEU, par. 6.24.
68 LaGrand, par. 74.
69 CMEU, par. 6.61; voir également par. 6.7.
70 CMEU, par. 6.5.
71 CMEU, par. 6.6.
- 53 -
ressortissant étranger détenu dans un autre pays et une personne détenue dans son propre pays. Il
ne s’agit pas de conférer aux ressortissants étrangers des droits supplémentaires; au contraire,
l’article 36 rétablit l’égalité des droits en permettant à l’Etat d’envoi de veiller à ce que ses
ressortissants comprennent leurs droits et soient en mesure de les exercer effectivement.
191. Au vu de toutes ces indications, qu’avons-nous appris ? Nous pouvons conclure sans
risque de nous tromper que les rédacteurs de la convention de Vienne voulaient que les droits
énoncés au paragraphe 1 de l’article 36 soient des droits réels. Pour que le droit de recevoir une
assistance consulaire soit un droit réel, il faut que le ressortissant étranger soit informé de son droit
de communiquer avec son consulat et d’en recevoir l’assistance et soit en mesure d’invoquer ce
droit, avant le moment où il est le plus vulnérable, c’est-à-dire l’interrogatoire. Dans l’avis
consultatif OC-16 dont il a déjà été fait mention et que mon collègue M. Bernard examinera plus en
détail aujourd’hui, la Cour interaméricaine des droits de l’homme est précisément parvenue à cette
conclusion72
.
192. Dans l’arrêt LaGrand, la Cour internationale de Justice a elle aussi reconnu la nécessité
d’interpréter l’article 36 de façon fonctionnelle. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que les droits
accordés par le paragraphe 1 de l’article 36 étaient «interdépendants» et que, dans leur ensemble,
ils avaient pour unique but de faciliter la protection consulaire. En d’autres termes, la Cour a
reconnu que les droits et obligations énoncés aux alinéas a), b) et c) étaient, du point de vue
fonctionnel, interdépendants.
193. L’unique but du droit à la notification consulaire énoncé à l’alinéa b) du paragraphe 1
est de faciliter l’exercice par l’Etat d’envoi de son droit de fournir l’assistance consulaire, qui est
énoncé à l’alinéa c) de ce même paragraphe. Il ne servirait à rien d’exiger que l’Etat de résidence
informe sans retard le ressortissant étranger de son droit à la notification consulaire et d’exiger que
ce ressortissant ait la possibilité d’exercer ce droit sans retard si l’Etat de résidence n’était pas tenu
également de donner à l’Etat d’envoi la possibilité, s’il le jugeait bon, de prêter l’assistance
consulaire sans retard ou avant l’interrogatoire.

72 The Right to Information on Consular Assistance in the Framework of the Guarantees of Due Process of Law
Id., avis consultatif OC-16/99 du 1er octobre 1999, série A no
16, 1999, par. 106; les italiques sont de nous.
- 54 -
194. Mais les Etats-Unis rétorquent que «non, l’Etat de résidence n’est pas tenu de permettre
que l’assistance consulaire soit fournie immédiatement, parce que l’expression «sans retard» ne
figure pas à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36». Bien sûr, elle n’y figure pas. Si le
paragraphe 1 de l’article 36 impose des obligations à l’Etat de résidence, il confère des droits à
l’Etat d’envoi et à ses ressortissants. Le paragraphe 1 de l’article 36 n’impose au Mexique en tant
qu’Etat d’envoi aucune obligation de fournir quelque assistance consulaire que ce soit, et encore
moins de fournir une assistance consulaire sans retard. Mais cela ne veut pas dire que l’Etat de
résidence n’est pas obligé de faciliter sans retard l’assistance consulaire lorsque l’Etat d’envoi est
prêt à fournir cette assistance.
195. Disons les choses simplement. Les Etats-Unis tentent d’utiliser les droits de l’Etat
d’envoi pour réduire les obligations de l’Etat de résidence. Il ne saurait en être question.
1. Les travaux confirment le sens ordinaire du paragraphe 1 de l’article 36
196. Je passe donc aux travaux, dont l’examen confirme l’interprétation dérivée du texte.
197. Le fait le plus important qui ait marqué les négociations sur le paragraphe 1 de
l’article 36 a été l’adoption des mots «sans retard» et le rejet de l’expression «sans retard
injustifié». Le Mexique a déjà exposé ces faits dans son mémoire, et je serai donc bref73. Le texte
initialement proposé par la Commission du droit international contenait l’expression «sans retard
injustifié». Le représentant du Royaume-Uni, M. Evans, proposa un amendement tendant à
supprimer le terme «injustifié» afin de ne pas laisser croire qu’un «certain retard serait
acceptable»74. Les représentants de l’URSS et du Japon dirent que, selon eux, cet amendement
aurait pour effet d’exiger que la notification soit «immédiate», et aucun délégué n’exprima de
désaccord. L’amendement du Royaume-Uni fut finalement adopté75
.
198. Dans le contre-mémoire, les Etats-Unis ont du mal à reconnaître ce fait. On comprend
pourquoi. En demandant à la Cour d’adopter comme norme la notification «dans le cadre normal
des activités, sans atermoiement ni inaction délibérée», les Etats-Unis lui demandent d’édulcorer la

73 MM, par. 178-184.
74 Travaux, p. 340, par. 20.
75 Ibid., p. 37, par. 14 (URSS); ibid., p. 343, par. 2 (Japon).
- 55 -
prescription du paragraphe 1 de l’article 36 exactement de la manière qui a été rejetée par les
délégués lorsqu’ils ont écarté l’expression «sans retard injustifié».
2. La pertinence de la pratique ultérieure des Etats
199. Voyons maintenant la pratique des Etats. Les Etats-Unis s’en prennent à
l’interprétation que donne le Mexique de l’expression «sans retard» au motif que le Mexique n’est
pas parvenu à démontrer que la pratique suivie par les autres Etats parties en application du
paragraphe 1 de l’article 36 cadre avec l’interprétation du Mexique76
.
200. Or, l’examen de la pratique des Etats n’est pas un élément nécessaire de l’interprétation
des traités et le Mexique n’est nullement tenu de démontrer que la pratique des Etats est conforme à
son interprétation de l’expression «sans retard»77. Si les Etats-Unis veulent que la Cour se réfère à
la pratique des Etats, c’est à eux qu’il incombe de démontrer que la pratique ultérieure de toutes les
parties est, pour emprunter les termes de Sinclair, «concordante, commune et cohérente»78
.
201. Loin de passer cette barre très haute, les Etats-Unis présentent une étude qui, dans son
libellé même, indique exactement le contraire. Voici comment l’ambassadeur Harty présente les
résultats de cette étude dans sa déclaration : «Il est difficile de résumer la pratique des Etats
concernant l’article 36, paragraphe 1. Les Etats parties à la CVRC appliquent en effet les
obligations imposées par cette disposition de manière extrêmement variée.»
79 Monsieur le
président, cette déclaration suffit à elle seule à enlever à cette étude toute pertinence en ce qui
concerne l’interprétation de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36.
202. De surcroît, bien que le temps me manque pour examiner les détails de cette étude, un
peu d’arithmétique suffit pour se rendre compte que lorsqu’on soustrait de l’échantillon les Etats
pour lesquels les Etats-Unis ne fournissent aucune information et ceux dont l’étude américaine dit

76 CMEU, par. 6.32.
77 Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), art. 31, par. 1.
78 I. Sinclair, The Vienna Convention on the Law of Treaties (1984, 2e
éd.), p. 137. Voir aussi Yasseen,
«L’interprétation des traités d’après la convention de Vienne sur le droit des traités», Recueil des cours de l’Académie de
droit international de La Haye, t. 151 (1976-III), p. 48; Rapport de l’organe d’appel ¾ Japon ¾ Taxes sur les boissons
alcooliques (1996), WT/DS8, 10, 11/AB/R, p. 8; Rapport de l’organe d’appel ¾ Chili ¾ Système de fourchettes de prix
et mesures de sauvegarde appliqués à certains produits agricoles ¾ AB-2002-2 (OMC), par. 213 et 272; Conséquences
juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la
résolution de 276 (1970) du Conseil de sécurité, C.I.J. Recueil 1971, p. 22, par. 22.
79 CMEU, annexe 4, par. 11; les italiques sont de nous.
- 56 -
qu’ils ne respectent pas la disposition, l’étude couvre moins d’un tiers des Etats parties à la
convention. Ainsi, le fait que par ailleurs, cette étude porte sur un échantillon trop limité, la rend
inutilisable en tant que moyen d’interprétation.
203. En réalité, cette étude ne dit pas grand chose. Si on peut en tirer un enseignement, c’est
que la Cour rendrait un grand service à la communauté internationale si elle donnait une
interprétation définitive de l’obligation d’agir «sans retard» qui est imposée par le paragraphe 1 de
l’article 36.
E. Résumé
204. Les Etats-Unis font valoir que l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 36 que donne
le Mexique doit être rejetée car elle conduirait à des «résultats absurdes»80. Les Etats-Unis tentent
de faire croire à la Cour que la totalité de leurs systèmes d’application de la loi et de justice pénale
serait paralysée si l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 36 que propose le Mexique était
retenue. Qu’il me soit donc permis de clore mon exposé par un résumé sommaire de la teneur
exacte des prescriptions du paragraphe 1 de l’article 36 et de la manière dont il doit s’appliquer
dans la pratique, selon le Mexique.
1. Information consulaire
205. Voyons d’abord l’information consulaire.
206. Le Mexique soutient que l’expression «sans retard» signifie immédiatement et, quoi
qu’il en soit, avant tout interrogatoire. Il s’agit là d’une norme simple et objective que les
responsables de l’application de la loi peuvent facilement comprendre et les tribunaux facilement
appliquer.
207. L’interprétation proposée par les Etats-Unis, au contraire, transforme une obligation
objective en norme d’application discrétionnaire, dépendant du bon vouloir de l’agent qui procède
à l’arrestation, et qui exigerait qu’une juridiction se prononce sur la question de savoir si les
autorités compétentes ont «fait traîner les choses» ou «délibérément» repoussé le moment d’avertir
le consulat. En fait, l’interprétation américaine aurait pour effet de décourager ceux qui

80 CMEU, par. 6.44-6.47.
- 57 -
souhaiteraient respecter l’obligation de bonne foi, car des agents consciencieux, diligents et
débordés de travail pourront toujours se convaincre qu’ils n’ont pas laissé traîner les choses ou
délibérément remis cette tâche à plus tard, même si, dans le cadre normal des activités, ils ont
accordé la priorité à un grand nombre d’autres tâches.
208. J’aborderai maintenant la question de l’identification des personnes à l’égard desquelles
l’obligation doit être remplie, c’est-à-dire les ressortissants étrangers. De l’avis du Mexique,
lorsque le paragraphe 1 de l’article 36 précise que cette obligation intervient lorsque «un
ressortissant de [l’]Etat [d’envoi]» est arrêté ou mis, de toute autre manière, en détention, c’est
exactement ce que cela signifie. Si la personne arrêtée est un ressortissant étranger, les autorités
doivent l’informer et avertir son consulat. C’est à l’Etat de résidence qu’il incombe d’identifier les
ressortissants étrangers. Il n’est pas vrai, comme les Etats-Unis l’allèguent, qu’au sens du
paragraphe 1 de l’article 36, les autorités compétentes ne sont tenues à la notification qu’à partir du
moment où elles «ont connaissance du fait qu’elles ont arrêté un ressortissant étranger»81
.
209. Là encore, le critère proposé par le Mexique est simple, objectif, facile à comprendre et
à appliquer, même au vu de la diversité des Etats-Unis rappelée dans le contre-mémoire.
210. Qu’on me comprenne bien. La diversité, culturelle et autre, des Etats-Unis constitue
l’une des grandes richesses de la réalité américaine. Mais, cette diversité ne saurait être invoquée
pour réduire les droits qui sont accordés aux ressortissants étrangers précisément parce qu’ils sont
étrangers, précisément parce qu’il existe des différences objectives entre une personne qui est
arrêtée dans son propre pays et une autre qui est arrêtée dans un pays étranger.
211. En tout état de cause, nous savons d’expérience que les difficultés dont les Etats-Unis
tentent d’évoquer l’existence sont irréelles ¾ et que si les Etats-Unis voulaient assurer à tout
détenu qui est un ressortissant étranger la notification prescrite, ils pourraient le faire d’au moins
deux manières.
212. Ils pourraient faire ce que le département d’Etat conseille actuellement aux responsables
de l’application de la loi de faire, c’est-à-dire prendre des dispositions pour déterminer si une
personne est un ressortissant étranger lorsque des indications objectives le donnent à penser, par

81 CMEU, par. 7.5; voir également par. 7.9.
- 58 -
exemple lorsque cette personne connaît mal l’anglais ou est porteuse de documents d’identité qui
indiquent qu’elle est née en dehors des Etats-Unis82. Outre ces indices, les agents qui procèdent
aux arrestations ont accès à un grand nombre de renseignements qui font l’objet d’une vérification
de routine dans le cadre de l’arrestation.
213. Il existe une autre méthode, encore plus sûre. Les agents qui procèdent aux arrestations
pourraient simplement donner à toute personne arrêtée l’information suivante : «si vous êtes un
ressortissant étranger, voici vos droits». Cette notification s’inspire évidemment de la notification
des droits reconnus par la jurisprudence Miranda, laquelle, comme Mme Bacock l’a expliqué, est
maintenant donnée à toute personne arrêtée par les autorités de police83. De fait, dans un jugement
récent de la Cour suprême des Etats-Unis, le juge en chef Rehnquist, que l’on peut difficilement
soupçonner d’indifférence à l’égard de l’application de la loi, a fait observer que «la notification
des droits en vertu de la jurisprudence Miranda est devenue à tel point pratique courante de la
police que l’énonciation de ces droits fait maintenant partie de notre culture nationale»84
.
214. Si donc les Etats-Unis souhaitent assurer le respect de l’article 36, il leur suffit d’ajouter
à la notification des droits reconnus dans la jurisprudence Miranda celle des droits découlant de
l’article 36. D’ailleurs, comme les Etats-Unis l’ont dit à la Cour85, c’est la solution qu’ont déjà
adoptée plusieurs juridictions américaines. Le Mexique ne dit pas, bien entendu, que la Cour doit
enjoindre aux Etats-Unis d’adopter ce moyen particulier pour s’acquitter de leurs obligations. Ce
qu’il dit, en revanche, c’est que la notification des droits reconnus dans la jurisprudence Miranda
indique qu’il ne serait pas impossible, pour les Etats-Unis, de veiller à ce que tous les ressortissants
étrangers arrêtés ou mis en détention soient informés des droits qu’ils tirent de l’article 36.
215. Je note également que selon l’étude de la pratique des Etats qui a été réalisée par les
Etats-Unis, huit Etats ¾ aussi divers que le Brésil, la Corée, l’Irlande, l’Islande, le Kenya, le
Danemark, l’Espagne et la Turquie ¾ sont parvenus à la même conclusion. Selon les Etats-Unis,
ces Etats mettent en pratique l’interprétation de l’expression «sans retard» proposée par le

82 CMEU, annexe 21, p. A550 de l’original.
83 Miranda v. Arizona, 384 U.S. 436, 1966.
84 Dickerson v. United States, 530 U.S. 428, 430, 2000.
85 CMEU, par. 2.33.
- 59 -
Mexique ¾ c’est-à-dire, la notification avant l’interrogatoire ¾, qu’ils doivent bien considérer
comme possible à appliquer86
.
216. Je terminerai l’examen de cette question par un dernier point. Les Etats-Unis élèvent
l’objection selon laquelle il ne saurait y avoir obligation de fournir l’information consulaire
lorsqu’un ressortissant étranger se présente frauduleusement comme un ressortissant des
Etats-Unis. Le Mexique ne voit là rien à redire. Si, lorsqu’il est arrêté, un ressortissant étranger
ment sur sa nationalité et prétend effectivement être citoyen américain, les agents qui procèdent à
son arrestation seront sûrement exemptés de l’obligation de notification immédiate en vertu des
principes ordinaire du droit, tels que l’estoppel.
217. Cependant, le risque que quelqu’un se moque de la loi n’est pas une excuse pour se
soustraire à ses obligations une fois la supercherie démasquée. En d’autres termes, le non-respect
de l’obligation cesserait d’être justifié dès que les autorités compétentes recevraient des indications
objectives de l’extranéité du ressortissant. Ce point a été reconnu par la Cour interaméricaine dans
son avis consultatif OC-1687, ainsi que par les Etats-Unis. Le département d’Etat informe en effet
les autorités chargées de l’application de la loi que lorsqu’une personne arrêtée prétend être
ressortissant américain, elles peuvent accepter cette affirmation, mais que dès qu’il existe un indice
quelconque de nationalité étrangère, elles doivent effectuer des vérifications88. C’est également ce
que pense le Mexique.
2. Notification consulaire et facilitation des communications entre le consulat et les
ressortissants
218. J’aborderai maintenant la question de la notification et des communications avec le
consulat. Le Mexique est d’avis qu’à la lumière du contexte, de l’objet et du but de l’article 36, le
consulat doit être informé et le ressortissant étranger doit pouvoir se mettre en rapport avec lui dès
qu’il le demande et, en tout cas, avant l’interrogatoire.
219. Compte tenu du contre-mémoire, cependant, je tiens à dire que le Mexique ne préconise
pas une règle rigide. Plus précisément, le Mexique n’a pas soutenu et ne soutient pas que tous les

86 CMEU, annexe 4, p. 249, par. 19, notes 2 et 3.
87 OC-16, par. 95-96.
88 CMEU, annexe 21, p. A550 de l’original.
- 60 -
interrogatoires doivent être remis indéfiniment jusqu’à ce qu’un fonctionnaire consulaire décide ou
non de rendre visite au détenu.
220. Comme je l’ai expliqué, le droit de prêter assistance conféré au fonctionnaire consulaire
par l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 est inextricablement lié à l’obligation qui est faite à
l’Etat de résidence d’informer le consulat sans retard. Dans le même temps, cet alinéa ne prescrit
pas de délai pour l’exercice de ce droit d’assistance consulaire. Ce sont donc les principes de base
de l’interprétation des traités, à savoir que le texte doit être interprété de bonne foi et de façon
raisonnable, qui indiquent que ce droit doit être exercé dans un délai raisonnable89. En
l’occurrence, cela signifie que l’Etat de résidence doit accorder à l’Etat d’envoi un délai
raisonnable pour qu’il puisse répondre à la notification consulaire avant de procéder à
l’interrogatoire.
221. A notre humble avis, le caractère raisonnable du délai dépendra de deux facteurs : la
gravité du crime et la disponibilité du consul.
222. Tout comme la Cour a déterminé, dans l’affaire LaGrand, les obligations découlant du
paragraphe 2 de l’article 36 en fonction de la sévérité de la peine imposée90, il est approprié,
lorsque l’on interprète le paragraphe 1 de l’article 36, de tenir compte de la gravité des charges qui
pèsent sur le ressortissant étranger arrêté et de la sévérité de la peine dont il est passible. Lorsque
l’infraction est grave et peut entraîner une détention prolongée ou une peine sévère, le
fonctionnaire consulaire doit disposer de plus de temps pour apporter son assistance avant le début
de l’interrogatoire qu’il ne lui serait accordé si le délit est mineur.
223. S’agissant de la disponibilité du consul, dans certains cas, par exemple dans les endroits
où la population mexicaine est importante et le consulat du Mexique actif, des rapports continus
existent entre les forces de l’ordre et les fonctionnaires consulaires et la communication est
facilement établie. Les autorités de police savent alors qui appeler et peuvent savoir dans un délai
raisonnable si un fonctionnaire consulaire interviendra et de quelle manière. La manière de

89 Voir par exemple R. Jennings et A. Watts, Oppenheim’s International Law, 1996, 9e
éd., p. 1272 et note 7;
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence
et recevabilité, C.I.J. Recueil 1984, p. 420, par. 63; Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 96, par. 49; P. Malanczuk, Akehurst’s Modern Introduction to International Law,
1997, 7e
éd, p. 142.
90 LaGrand, par. 123; voir également par. 63.
- 61 -
faciliter les communications avec le consulat pourra également varier selon que l’on est, par
exemple, au Texas ou en Alaska. Dans les régions éloignées, où les consulats ne sont pas à
proximité, il pourra suffire, par exemple, que le consulat conseille les ressortissants étrangers par
téléphone plutôt qu’en personne.
224. Encore une fois, la pratique des autres Etats prouve que cette interprétation peut trouver
son application dans la pratique. L’étude réalisée par les Etats-Unis indique que dix Etats ont
adopté des règles ou des pratiques qui permettent de retarder l’interrogatoire lorsque les
ressortissants étrangers invoquent leurs droits consulaires91. La liste de ces Etats ainsi que toutes
les références mentionnées au cours de mon exposé figurent dans la version écrite de ma plaidoirie.
*
* *
225. Pour résumer, Monsieur le président, le Mexique prie la Cour d’ordonner aux
Etats-Unis de prendre les droits énoncés dans l’article 36 au sérieux. Même si les Etats-Unis
tentent de présenter la question sous un jour sensationnaliste en parlant de «vies d’enfant» et de
«bombes à retardement»92, l’interprétation que propose le Mexique ne fera pas obstacle à
l’application efficace de la loi. L’équilibre entre la protection des droits individuels et les
considérations de sécurité publique est une préoccupation constante des systèmes juridiques.
226. Là encore, il est utile d’établir une comparaison avec la jurisprudence Miranda.
En 1996, lorsque cet arrêt fut rendu, de nombreux groupes au sein des forces de l’ordre ont invoqué
les mêmes arguments que ceux que les Etats-Unis soulèvent aujourd’hui et prétendu que de telles
notifications ne pourraient être données dans la pratique et entraveraient les efforts des autorités
pour lutter contre le crime. Pourtant, quarante ans plus tard, comme je l’ai déjà dit, les notifications
des droits reconnus dans la jurisprudence Miranda sont partie intégrante non seulement du système
de justice pénale des Etats-Unis, mais de la culture américaine.

91 Ce sont l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Bosnie-Herzégovine, la République dominicaine, le Kenya,
Madagascar, le Danemark, le Ghana, la Guyane et le Mozambique. Voir CMEU, annexe 4, p. 252, note 7.
92 CMEU, par. 6.44.
- 62 -
227. Qu’il me soit permis de le répéter, la diversité de la population des Etats-Unis est une
source de fierté pour les ressortissants mexicains aussi bien que pour les citoyens américains. Mais
en raison de cette diversité, et en raison en particulier des intérêts des ressortissants mexicains qui
sont protégés par la convention de Vienne, le Mexique prie la Cour d’exiger que les Etats-Unis, en
utilisant les moyens de leur choix, obtiennent pour les droits reconnus par l’article 36 la même
acceptation. Monsieur le président, je vous prie de donner la parole à ma collègue
Mme Birmingham, qui parlera de la prescription contenue dans le paragraphe 2 de l’article 36.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur Donavan. Je donne la parole à
Mme Katherine Birmingham Wilmore.
Mme BIRMINGHAM WILMORE :
VI. LES ETATS-UNIS ONT VIOLE LE PARAGRAPHE 2 DE L’ARTICLE 36
DE LA CONVENTION DE VIENNE
A. Introduction
228. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur et
un privilège que de m’adresser à vous au nom du Mexique.
229. Je soutiendrai que les Etats-Unis, outre qu’ils ont violé le paragraphe 1 de l’article 36 de
la convention de Vienne, ont, indépendamment de cela, également violé le paragraphe 2 de ce
même article 36. Ainsi que M. Donovan vient de l’exposer, les droits garantis au paragraphe 1 de
l’article 36 visent à faciliter une assistance consulaire effective aux ressortissants étrangers, en
particulier à ceux mis en détention par les autorités de l’Etat de résidence. La réserve exprimée au
paragraphe 2 de l’article 36 assure précisément la protection et permet la mise en œuvre du droit du
Mexique à fournir une telle protection consulaire en exigeant des Etats-Unis, premièrement, qu’ils
assurent la transposition des droits prévus au paragraphe 1 de l’article 36 dans leur droit interne et,
deuxièmement, qu’ils prévoient un remède effectif en cas de violation. Ce second aspect peut être
considéré comme plus important que le premier, car — et les Etats-Unis le savent — un droit dont
aucune voie de recours ne peut garantir la mise en œuvre n’est pas un droit.
230. Pourtant, telle est précisément la manière dont les Etats-Unis traitent les droits
consulaires nés de l’article 36 : comme s’il ne s’agissait nullement de droits. Ainsi que le Mexique
- 63 -
l’a montré dans son mémoire, les Etats-Unis ne permettent aucun remède aux violations du
paragraphe 1 de l’article 36, quel que soit l’état de la procédure, quel que soit le niveau
juridictionnel considéré. Les Etats-Unis n’attachent aucune conséquence juridique à de telles
violations et ne permettent pas aux ressortissants mexicains d’introduire des recours effectifs au
titre de violations du paragraphe 1 de l’article 36 dans les procédure pénales engagées à leur
encontre.
231. Le Mexique ne demande pas à la Cour d’interpréter ou d’appliquer le droit des
Etats-Unis. Il ne vous demande pas même de résoudre un quelconque différend factuel concernant
le droit interne des Etats-Unis, pour la simple raison qu’il n’y a pas désaccord entre le Mexique et
les Etats-Unis quant aux lois que les tribunaux américains appliquent lorsqu’ils connaissent de
demandes en rapport avec des violations du paragraphe 1 de l’article 36. Les Parties ne sont en
désaccord que sur les conséquences juridiques de l’application de telles lois.
B. Le paragraphe 2 de l’article 36 tel qu’interprété dans l’affaire LaGrand
232. Dans l’affaire LaGrand, cette Cour a eu l’occasion de se pencher de fort près sur les
obligations nées du paragraphe 2 de l’article 36, et en a donné une interprétation claire et définitive
¾ elle a précisé comment ces obligations avaient été violées par les Etats-Unis, et comment ces
derniers devaient modifier leurs lois, ou la manière dont celles-ci sont appliquées, de façon à éviter
de futures violations. Dans leur contre-mémoire, les Etats-Unis ont pleinement fait leurs les
décisions relatives à l’affaire LaGrand. Le Mexique en fait autant. Les Parties se rejoignent aussi
bien sur cet arrêt que sur son importance centrale dans le présent différend. C’est pourquoi, si la
Cour me le permet, je m’attarderai quelques instants sur la lecture faite par cette dernière en
l’affaire LaGrand du paragraphe 2 de l’article 36 de la convention de Vienne.
233. Examinant la deuxième conclusion présentée par l’Allemagne lors de la procédure
orale93, la Cour a jugé que les Etats-Unis avaient violé le paragraphe 2 de l’article 36 au motif que
la doctrine de la carence procédurale avait empêché les LaGrand de «remettre en cause de façon
efficace … leurs condamnations et leurs peines» à raison de violations, par les Etats-Unis, du

93 LaGrand, par. 12, al. 2.
- 64 -
paragraphe 1 de l’article 3694. La Cour a expliqué qu’il y avait lieu de voir dans cette doctrine de
droit interne ayant empêché
«les tribunaux américains … d’attacher des conséquences juridiques au fait,
notamment, que la violation des droits prévus au paragraphe 1 de l’article 36 n’avait
pas permis à l’Allemagne d’assurer en temps opportun aux frères LaGrand le concours
d’avocats privés et de les assister, de manière générale, dans leur défense, comme le
prévoit la convention»95
,
une violation du paragraphe 2 de l’article 36. La Cour a en conséquence fait droit à la deuxième
conclusion de l’Allemagne et a déclaré que les Etats-Unis avaient violé le paragraphe 2 de
l’article 36 «en ne permettant pas le réexamen et la revision» des verdicts de culpabilité et des
peines prononcés à l’encontre des frères LaGrand96
.
234. Dans sa quatrième conclusion, l’Allemagne demandait à la Cour de dire et juger que les
Etats-Unis devaient donner à l’Allemagne l’assurance générale «qu’ils ne répéter[aie]nt pas de tels
actes illicites»; concernant le paragraphe 2 de l’article 36, l’Allemagne demandait en particulier
que, dans les cas où un accusé est passible de la peine de mort, les Etats-Unis prévoient le
«réexamen effectif des condamnations pénales entachées d’une violation des droits énoncés à
l’article 36 de la convention, ainsi que les moyens pour y porter remède»
97
.
235. A l’alinéa 6 de son dispositif, la Cour avait accepté les assurances données devant elle
par les Etats-Unis d’assurer une meilleure mise en œuvre du paragraphe 1 de l’article 36 comme
«satisfaisant à la demande de la République fédérale d’Allemagne visant à obtenir une assurance
générale de non-répétition»98
.
236. A l’alinéa 7 de son dispositif, la Cour avait néanmoins indiqué un remède spécifique
touchant à la demande d’assurance de l’Allemagne quant au respect du paragraphe 2 de
l’article 36 : la Cour avait estimé que, lorsque des ressortissants étrangers sont condamnés à une
peine sévère sans que les droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 36 aient été respectés,
les Etats-Unis d’Amérique «devront … permettre le réexamen et la revision du verdict de

94 LaGrand, par. 91.
95 Id.
96 LaGrand, par. 128, al. 4.
97 LaGrand, par. 12.
98 LaGrand, par. 128, al. 6.
- 65 -
culpabilité et de la peine en tenant compte de la violation des droits prévus» par la convention de
Vienne99
.
C. Le système judiciaire des Etats-Unis ne permet pas la revision et
le réexamen indiqués dans l’arrêt LaGrand
237. Le contre-mémoire des Etats-Unis répète à satiété que la Cour a précisé que
l’«obligation» d’assurer le réexamen et la revision «pouvait être assurée de diverses manières», le
choix des moyens pour y parvenir étant «laissé à la discrétion» des Etats-Unis100. Le problème est
que, si les Etats-Unis ont certes oapposé une étiquette «réexamen et revision», cette Cour a énoncé
une norme qui a un contenu.
238. Le Mexique a largement décrit dans son mémoire les nombreuses doctrines de droit
interne auxquelles recourent les Etats-Unis pour refuser aux ressortissants mexicains tout réexamen
et toute revision au titre de violations du paragraphe 1 de l’article 36. Mais, et j’entends ici être
parfaitement comprise, contrairement à ce que les Etats-Unis voudraient faire accroire à la Cour, le
Mexique n’affirme pas que la règle de la carence procédurale ou d’autres doctrines de la procédure
pénale seraient «par nature, incompatibles» avec les obligations que la convention de Vienne met à
la charge des Etats-Unis101. Au contraire, la position du Mexique est parfaitement conforme au
raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt LaGrand, raisonnement selon lequel «[l]e problème se
pose lorsque la règle de la carence procédurale [ou d’autres doctrines] ne permet[tent] pas à une
personne détenue de faire recours contre sa condamnation et sa peine» pour violation des droits que
lui reconnaît le paragraphe 1 de l’article 36102
.
239. Les Etats-Unis nient qu’il y ait eu en la présente espèce violation du paragraphe 2 de
l’article 36, prenant la peine de prétendre donner plein effet aux droits prévus à l’article 36, à
commencer par le fonctionnement de leur système judiciaire. Mais il y a là un certain manque de
conviction : les Etats-Unis affirment à peine respecter le paragraphe 2 de l’article 36 et l’arrêt rendu
par cette Cour en l’affaire LaGrand. Aux paragraphes 6.64 et 6.65 de leur contre-mémoire, les

99 LaGrand, par. 128, al. 7.
100 Id.
101 CMEU, par. 5.9.
102 LaGrand, par. 90.
- 66 -
Etats-Unis reconnaissent que leurs tribunaux n’accordent pas de remèdes dans le cadre d’un
recours en violation de la convention de Vienne, ni lors du procès, ni ultérieurement, et appliquent
les doctrines de la carence procédurale au niveau des Etats et au niveau fédéral de telle sorte que
toutes les demandes fondées sur des violations du paragraphe 1 de l’article 36 sont écartées si ces
dernières n’ont pas été invoquées au procès. Tels sont précisément les éléments sur lesquels le
Mexique fonde ses demandes de remèdes au titre du paragraphe 2 de l’article 36. J’aborderai tout
d’abord la poursuite de l’application, par les Etats-Unis, de la doctrine de la carence procédurale.
1. La doctrine de la carence procédurale
240. Grâce aux affaires LaGrand et Breard, la Cour a déjà une bonne connaissance de la
doctrine de la carence procédurale. Je rappellerai simplement que les règles de la carence
procédurale, lorsqu’elles s’appliquent à un recours en violation de la convention de Vienne, ont
pour conséquence que, si un ressortissant mexicain n’a pas, lors du procès, invoqué la violation, par
les Etats-Unis, des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 36, il ne lui sera plus permis de le
faire, ni dans le cadre d’une procédure d’appel directe, ni dans celui de voies de recours parallèles,
et en particulier, ainsi que cette Cour a pu le voir, dans le cadre de procédures en habeas corpus
devant une juridiction fédérale.
241. Avant l’arrêt LaGrand, toutes les instances judiciaires américaines ayant examiné la
question ¾ et notamment des tribunaux s’étant prononcés dans sept affaires impliquant des
ressortissants mexicains et décrites dans le mémoire du Mexique103 ¾ appliquaient la doctrine de
la carence procédurale pour rejeter toute demande fondée sur un manquement, de la part des
Etats-Unis, aux droits consulaires prévus au paragraphe 1 de l’article 36. Depuis l’affaire
LaGrand, les tribunaux américains, nullement décontenancés par l’arrêt rendu en celle-ci,
continuent à appliquer la doctrine de la carence procédurale exactement de la même manière
qu’auparavant, et l’ont fait très précisément dans trois affaires impliquant des ressortissants
mexicains104. Les Etats-Unis n’ont, depuis l’affaire LaGrand, pas changé un iota à leurs doctrines

103 M. Ibarra (cas no
35, p. A95), M. Leal (cas no
36, p. A98), M. Medellin (cas no
38, p. A103), M. Plata (cas
n
o
40, p. A106), M. Torres (cas no
53, p. A132), M. Reyes (cas no
54, p. A13), M. Fierro (cas no
31 (voir annexe 2,
p. A180, par. 8)).
104 M. Fong Soto (cas no
48, p. A123), M. Medellin Rojas (cas no
38, p. A103), M. Torres (cas no
53), Torres
v. Mullin, 540 U.S. (2003).
- 67 -
de la carence procédurale, ni à l’application de celles-ci. Ainsi, les «circonstances» qui avaient
conduit la Cour à conclure que l’application, par les Etats-Unis, de cette doctrine dans le cadre des
affaires visant les frères LaGrand était contraire au paragraphe 2 de l’article 36 en ce qu’elle
empêchait les tribunaux américains d’attacher des «conséquences juridiques» aux violations du
paragraphe 1 de l’article 36 n’ont pas changé.
242. Nulle part dans leur contre-mémoire les Etats-Unis ne contestent la façon dont le
Mexique présente cette doctrine, qu’il s’agisse de son contenu ou de son application dans des
affaires relatives à des violations du paragraphe 1 de l’article 36. Au contraire, les Etats-Unis
affirment simplement que «toutes les demandes fondées sur le paragraphe 1 de l’article 36 peuvent
être examinées dans le cadre du système judiciaire si elles sont présentées en temps utile»
105. Les
Etats-Unis reconnaissent que, dans le cas contraire, «les règles relatives à la carence procédurale
feront probablement obstacle à ce que les moyens tirés de cette violation soient soulevés dans le
cadre de l’appel direct ou de voies de recours parallèles à moins que la juridiction ne conclue que
cette carence était justifiée et que la violation alléguée a été à l’origine d’un préjudice»106. Ainsi
que le Mexique l’a expliqué dans son mémoire, jamais dans une affaire relative à une violation de
la convention de Vienne un tribunal américain n’a conclu à l’existence de motifs justifiant que la
violation n’ait pas été antérieurement invoquée ou d’un préjudice causé au défendeur par cette
violation.
243. La Cour suprême des Etats-Unis a récemment eu la possibilité de réexaminer cette
question dans l’affaire Osbaldo Torres, l’un des ressortissants mexicains visés par l’ordonnance en
indication de mesures conservatoires rendue par cette Cour. Bien que la Cour suprême ait refusé
de délivrer une ordonnance de certiorari pour connaître de cette affaire, l’opinion séparée du
juge Stevens n’en est pas moins instructive.
244. Le juge Stevens a expliqué qu’il était à présent convaincu qu’il aurait dû se démarquer
de l’avis exprimé par la Cour suprême dans sa décision rendue dans Breard v. Green, selon
laquelle la règle de la carence procédurale entraînait la forclusion de M. Breard quant à tout recours
en violation du paragraphe 1 de l’article 36. Citant les paragraphes 90 et 91 de l’arrêt rendu par

105 CMEU, par. 6.64; les italiques sont de nous.
106 CMEU, par. 6.65.
- 68 -
votre Cour en l’affaire LaGrand comme constituant «l’interprétation authentique» de la
convention, le juge Stevens a relevé que :
«appliquer la règle de la carence procédurale à des recours en violation de l’article 36
constitue non seulement une violation directe de la convention de Vienne, mais
également une injustice manifeste. La décision de la CIJ en l’affaire LaGrand insiste
sur le fait qu’un ressortissant étranger dont on présume qu’il ignorait son droit de
notification ne doit pas être réputé avoir renoncé aux protections prévues par
l’article 36 au seul motif qu’il n’aurait pas fait valoir ce droit dans une procédure
pénale engagée contre lui dans l’un des Etats fédérés.»
107
245. Même si le Mexique peut espérer que les tribunaux américains entendront l’opinion du
juge Stevens, la question est en attendant parfaitement claire pour votre honorable Cour. Les
ressortissants mexicains se trouvent aujourd’hui dans une situation qui est exactement la même que
celle des frères LaGrand, à savoir que l’application de la doctrine de la carence procédurale les a
empêchés de remettre en cause, pour violation du paragraphe 1 de l’article 36, les verdicts de
culpabilité et les peines prononcés à leur encontre108. Le Mexique fait en outre valoir que, du fait
de l’application de cette même doctrine de la carence procédurale, dix-huit autres ressortissants
mexicains, qui n’ont pas non plus invoqué la violation de la convention de Vienne lors de leur
procès, seront eux aussi empêchés de contester, sur cette même base, les verdicts de culpabilité et
les peines prononcés à leur encontre109. Aux termes de l’arrêt LaGrand, il s’agit là d’une violation
manifeste de l’obligation juridique internationale qu’ont les Etats-Unis envers le Mexique de
permettre la «pleine réalisation» des fins pour lesquelles sont prévus les droits énoncés à
l’article 36.
2. Droits individuels
246. Bien que cela doive aller sans dire, j’ajouterai que les Etats-Unis, lorsque des tribunaux
américains interdisent à des ressortissants mexicains d’obtenir réparation au motif que le
paragraphe 1 de l’article 36 ne créerait pas de droits individuels, violent également le paragraphe 2
de l’article 36 et vont à l’encontre de l’arrêt rendu par votre Cour en l’affaire LaGrand. Ce dernier

107 Torres v. Mullin, 540 U.S. (2003) (opinion de M. J. Stevens).
108 Voir plus haut, notes en bas de page 11 et 12.
109 M. Contreras (cas no
5); M. Corarrubias (cas no
6); M. Gomez (cas no
8); M. Hoyds (cas no
9); M. Lopez (cas
n
o
11); M. Lupercio (cas no
12); M. Marciel (cas no
13); M. Marriquez (cas no
14); M. Martinez (cas no
16); M. Parra (cas
n
o
19); M. Salazar (cas no
21); M. Salcido (cas no
22); M. Tafoya (cas no
24); M. Vevano (cas no
27); M. Zamvolio (cas
n
o
29); M. Valdez (cas no
25); M. Regalado (cas no
43); M. Caballero (cas no
45); M. Avena (cas no
1); M. Carrera (cas
n
o
4); M. Flores (cas no
46); M. Ochoa (cas no
18); M. Camargo (cas no
49); M. Perez (cas no
51).
- 69 -
n’aurait d’ailleurs pu, à cet égard, être plus explicite, lorsqu’il indique que la «clarté» des
dispositions du paragraphe 1 de l’article 36 «ne laisse en rien à désirer» quant au fait que ces
dispositions «crée[nt] des droits individuels»110. Et pourtant, dans le cas de six ressortissants
mexicains, les tribunaux américains ont refusé d’ouvrir une voie de droit sur ce fondement111
.
3. Absence de voie de droit
247. Alors que la Cour n’avait eu à connaître dans l’affaire LaGrand que d’une doctrine de
droit interne énonçant la règle de la carence procédurale, qui était celle qui lui avait été soumise, les
principes énoncés dans son arrêt ont une portée plus large, en ce qu’ils requièrent des Etats-Unis
qu’ils permettent un réexamen effectif des condamnations et des peines par le biais de leur droit
interne. Il s’agit là d’un point important, car, outre le fait que les tribunaux américains continuent
d’appliquer la règle de la carence procédurale, ils ont également privé le paragraphe 1 de
l’article 36 de tout contenu indépendant, de toute substance véritable, de toute «signification
juridique», en jugeant, de manière systématique, qu’une violation du paragraphe 1 de l’article 36
n’ouvrait aucune voie de droit à un ressortissant mexicain.
248. Ainsi que l’a expliqué mon collègue M. Donovan, le Mexique et les Etats-Unis ont des
points de vue radicalement distincts quant au contenu des droits énoncés au paragraphe 1 de
l’article 36, ce qui explique sans aucun doute pourquoi nous différons tout aussi radicalement quant
aux conséquences de leurs violations. Alors que le Mexique estime que les droits tirés du
paragraphe 1 de l’article 36 sont des droits essentiels, et leur méconnaissance grave, notamment
lorsque des condamnations pénales sévères sont en jeu, les Etats-Unis ne considèrent la violation
du paragraphe 1 de l’article 36 que comme secondaire et estiment que les droits de la défense ont
été pleinement respectés dès lors qu’il n’y a pas eu violation de la Constitution des Etats-Unis. En
conséquence, les tribunaux américains refusent d’ouvrir toute voie de droit pour violation de cette
disposition, estimant que les ressortissants mexicains ne peuvent avoir subi de préjudice du fait de
l’absence d’information, de notification ou d’assistance consulaires. C’est ainsi que, tant lors du
procès, que lors des pourvois en appel ou d’autres procédures postérieures à la condamnation, les

110 LaGrand, par. 77.
111 M. Hernandez Llanas (cas no
34); M. Loza (cas no
52); M. Maldonado (cas no
37); M. Medellin (cas no
38);
M. Plata (cas no
40); M. Solache (cas no
47).
- 70 -
tribunaux américains empêchent les ressortissants mexicains «de remettre en cause de façon
efficace … leurs condamnations et leurs peines» si ce n’est «sur la base du droit constitutionnel
des Etats-Unis»
112
.
249. Permettez-moi, Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour,
afin d’étudier les conséquences de cette jurisprudence, de me lancer, l’espace d’un bref moment,
dans une analyse conjecturale. Je vous demande d’essayer de vous mettre à la place de quelqu’un
de très différent, d’imaginer que vous êtes non pas d’éminents juristes, non pas des Membres de la
Cour internationale de Justice mais, au contraire, de simples ressortissants de vos pays, plutôt
pauvres, sans beaucoup d’éducation, et ne parlant pas l’anglais, ce qui est le cas de tous les détenus
visés par la requête du Mexique. Imaginez, si vous le pouvez, vivre une arrestation, un procès se
terminant par votre condamnation à la peine de mort, et tout cela sans l’aide de quelqu’un comme
M. Uribe ou Mme Babcok ou de qui que ce soit d’autre des services consulaires. Imaginez, si vous
le voulez bien, qu’après avoir passé quelques temps dans le couloir de la mort au Texas, par
exemple, vous appreniez finalement ¾ par hasard ¾ que vous aviez le droit de faire contacter
votre consulat au moment de votre arrestation; que vous appreniez que les fonctionnaires
consulaires de votre pays ont pour habitude d’assister vos compatriotes arrêtés pour un crime au
titre duquel ils risquent d’être condamnés à mort. Vous apprenez en même temps que ces
fonctionnaires vous auraient prêté assistance s’ils avaient eu connaissance de votre arrestation;
qu’ils auraient négocié avec le ministère public dès le début ¾ et auraient, selon toute probabilité,
empêché que celui-ci ne requière la peine de mort à votre encontre. Dans le cas contraire, ils
auraient trouvé pour vous un avocat spécialisé dans ce type d’affaire, contrairement à l’avocat
commis d’office par le tribunal, avocat qui manquait très probablement du talent ou de l’expérience
de son confrère. Ils vous auraient également aidé à engager des experts pour le procès. Ils vous
auraient assisté dans la recherche d’éléments de preuve susceptibles de faire reconnaître l’existence
de circonstances atténuantes lors du prononcé de la peine. Mais vous avez été privé de toute cette
assistance et de cette protection, simplement parce que, en violation du paragraphe 1 de l’article 36
de la convention de Vienne, aucune autorité américaine ne vous a fait savoir que vous aviez le droit

112 LaGrand, par. 91; les italiques sont de nous.
- 71 -
à ce que votre consulat soit informé de votre situation. Monsieur le président, Madame et
Messieurs les Membres de la Cour, je vous le demande, au moment d’apprendre tout cela,
n’auriez-vous pas eu l’impression que vos droits auraient été compromis du fait de cette violation
par les Etats-Unis ?
250. Et bien, les tribunaux américains affirment sans en démordre que vous n’auriez subi
dans de telles circonstances aucun préjudice. Pourquoi ? Pour la simple raison que les droits
garantis par l’article 36 ne font pas partie des droits à un procès équitable garantis par la
Constitution des Etats-Unis. C’est pourquoi la violation de tels droits est sans conséquence et
n’exige aucune réparation. Pour reprendre les mots d’un juge fédéral américain : «il n’a jamais été
conclu ¾ et il ne pourra jamais être raisonnablement conclu ¾ à un préjudice dans une affaire où
un ressortissant étranger, après que les droits tirés de la jurisprudence Miranda ont été portés à sa
connaissance et qu’il les a compris, a renoncé à ceux-ci»113
.
251. Cette doctrine est à l’origine de graves conséquences pour les ressortissants mexicains,
l’une d’entre elles étant que les juridictions d’Etat ¾ comme leurs homologues fédérales ¾
refusent d’ouvrir, après condamnation, des voies de droit à des ressortissants mexicains invoquant
des violations de la convention de Vienne, de telle sorte que s’appliquent également des règles de
carence au niveau fédéral. Ainsi que la Cour d’appel de l’Etat de l’Ohio l’a indiqué en refusant
d’ouvrir une voie de droit à José Loza : «à supposer même que la convention de Vienne sur les
relations consulaires crée des droits individuels …, elle ne crée certainement pas de droits
constitutionnels»114
.
252. Cette attitude de la justice a également de graves conséquences au niveau du procès. En
effet, même à ce niveau-là — auquel les Etats-Unis affirment avec instance que toute demande
fondée sur une violation de la convention de Vienne doit être invoquée sous peine de ne pouvoir
l’être, par application de la règle de la carence, à un stade ultérieur de la procédure —, les
tribunaux refusent d’ouvrir la moindre voie de droit pour violation de la convention. Pour ne
prendre qu’un exemple, dans sept cas de ressortissants mexicains décrits dans le mémoire, les

113 US v. Rodriguez, 68.F. Supp. 2d 178, 183-84 (EDNY 1999); voir également CMEU, par. 6.81.
114 Ohio v. Loza, 1997 WL 634348 (Ohio. App. 12 Dist., 13 octobre 1997) (citant Murphy v. Netherland, F.3d 97,
100 (4e
circ. 1997) (refus d’accorder un habeas corpus à Mario Murphy, ressortissant mexicain)).
- 72 -
tribunaux américains ont refusé de conclure à l’inadmissibilité de déclarations dans lesquelles
l’accusé s’était lui-même mis en cause et qui avaient été obtenues en violation de l’obligation
qu’ont les Etats-Unis de fournir sans délai une information consulaire115; tel est, dois-je ajouter, le
même résultat que celui auquel sont parvenus les tribunaux à chaque fois qu’ils ont eu affaire à un
ressortissant étranger. Ainsi qu’un tribunal fédéral l’a récemment noté lors d’une affaire dans
laquelle un ressortissant mexicain, accusé d’un délit fédéral en rapport avec des substances illicites,
avait demandé à ce que ses aveux soient déclarés inadmissibles au motif que les autorités
américaines ne l’avaient pas informé des droits qu’il tenait de la convention de Vienne, «tous les
tribunaux de circuit qui ont eu à connaître d’une telle question ont conclu que l’inadmissibilité ne
constituait pas un remède approprié à une violation de l’article 36»116. Résumant les motifs l’ayant
conduit à estimer qu’il ne pouvait y avoir de remède en pareil cas, le tribunal a poursuivi : «la
convention de Vienne n’entend pas créer des droits comparables à ceux garantis aux quatrième,
cinquième et sixième amendements de la Constitution des Etats-Unis». Ainsi une voie de droit
peut-elle être ouverte en cas de violation de la Constitution mais non en cas de violation de la
convention de Vienne.
253. Les Etats-Unis soutiennent que «[le Mexique] a tort de laisser entendre que les «lois et
règlements» des Etats-Unis doivent accorder à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 le statut
de garantie constitutionnelle pour satisfaire à la réserve que cet article énonce dans son
paragraphe 2117. Le Mexique ne laisse rien entendre de tel. De fait, les Etats-Unis n’ont pas
compris son raisonnement : il ne s’agit pas d’une question de nomenclature, mais il s’agit de savoir
ce que la convention de Vienne telle qu’elle a été interprétée dans l’arrêt LaGrand exige. La
convention de Vienne ne fait pas obligation aux Etats-Unis d’ajouter les droits relatifs à
l’information consulaire à sa Constitution. Ce que le paragraphe 2 de l’article 36 exige des
Etats-Unis, c’est qu’ils permettent que puissent être «rem[ises] en cause de façon efficace» les
«condamnations» et les «peines» de ressortissants étrangers en attachant des «conséquences
juridiques» à la violation du paragraphe 1 de l’article 36.

115 Juárez Suárez, #10; Mendoza, #17; Hernandez, #34; Solache, #47; Alvarez, #30; Gomez, #33; Ramirez Villa,
#20.
116 United States v. Mandujano, no CR-03-178(2) JRTFLN (D. Minn. Aug. 22, 2003).
117 CMEU, par. 6.82.
- 73 -
D. Les Etats-Unis ne peuvent trouver excuse dans leur droit interne
254. Le fait que le système judiciaire américain n’ait jusqu’à présent rien changé — et, ainsi
que les Etats-Unis l’ont reconnu, n’ait pas seulement commencé à le faire — à son inobservance
des obligations découlant du paragraphe 2 de l’article 36 laisse apparaître la vérité dans toute sa
nudité : les Etats-Unis continuent tout simplement à refuser d’accepter la portée de la condition
énoncée au paragraphe 2 de l’article 36. Ils continuent à placer leur droit interne au-dessus de leurs
obligations internationales d’assurer la pleine réalisation de l’article 36 ainsi qu’un réexamen et une
revision effectifs tel que l’a requis cette Cour dans l’arrêt LaGrand.
255. Au paragraphe 1.9 de leur contre-mémoire les Etats-Unis affirment que, depuis que
votre Cour a rendu son arrêt dans l’affaire LaGrand, «[l]orsque l’article 36 n’a pas été respecté, les
Etats-Unis ont pris des mesures, dans le cadre de leur droit interne, pour permettre le réexamen et
la revision du verdict de culpabilité et de la peine compte tenu de ce fait»118
.
256. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le Mexique affirme que le fait
que les Etats-Unis invoquent précisément ce membre de phrase «dans le cadre de leur droit
interne» constitue la principale raison pour laquelle ils continuent à violer le paragraphe 2 de
l’article 36. Les Etats-Unis voudraient vous faire accroire que, s’ils continuent à ne pas permettre
qu’il puisse être remédié aux violations de la convention de Vienne, c’est là une conséquence
inévitable de l’existence même de leur droit interne et de leur structure fédérale. Ce qui est clair,
c’est que les Etats-Unis ne sont pas habilités à élever leurs doctrines de droit interne et leur système
fédéral de gouvernement au-dessus des obligations juridiques internationales que la convention de
Vienne leur impose à l’égard du Mexique — car telle est bien la signification de la condition
précitée.
257. En réalité, et cela vaut la peine d’être remarqué, les Etats-Unis insistent une fois de plus
sur le fait que le but essentiel du paragraphe 2 de l’article 36 était d’assurer le respect des lois et
réglementations en vigueur dans le pays de résidence, ce qui, selon eux, ne saurait justifier aucune
ingérence dans les lois et procédures pénales de l’Etat de résidence119
.

118 Voir également la transcription des procédures orales du 21 janvier 2003.
119 CMEU, par. 6.97 et 6.98.
- 74 -
258. En dernière analyse, les Etats-Unis ont reconnu tous les faits pertinents — qu’il s’agisse
en général du traitement passé et futur réservé à de telles réclamations ou plus particulièrement du
sort juridique réservé par leur droit interne aux ressortissants mexicains. Ces faits, qui ne sont ni
contestés ni contestables, démontrent de manière très claire que, en cette époque d’après LaGrand,
les tribunaux américains continuent à n’attacher aucune «conséquence juridique» aux violations du
paragraphe 1 de l’article 36 et refusent toujours aux ressortissants mexicains la possibilité de
«remettre en cause de façon efficace … leurs condamnations et leurs peines» en invoquant des
violations du paragraphe 1 de l’article 36. Monsieur le président, les Etats-Unis n’autorisent pas le
réexamen et la revision dans le cadre de leur système judiciaire. Au contraire, ainsi que M. Taft en
a informé la Cour en réponse à la question qu’avait posée cette dernière lors des audiences
consacrées à la demande en indication de mesures conservatoires au mois de février dernier, les
Etats-Unis ont «délibérément choisi de concentrer [leurs] efforts sur des recours devant les
commissions des grâces»120
.
259. Les procédures de recours en grâce, par lesquelles les Etats-Unis espèrent clairement
blanchir leur système judiciaire défectueux, ne constituent pas, ainsi que nous l’expliquera
Mme Babcock après la pause du déjeuner, une solution.
E. Conclusion
260. Monsieur le président, ainsi se conclut mon exposé.
Le PRESIDENT : merci Madame Wilmore. Cela marque la fin de notre séance de ce matin.
La Cour reprendra l’audience à 15 heures.
L’audience est levée à 13 h 15.
___________

120 Transcription des procédures orales du 21 janvier 2003.

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