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090-20030305-ORA-01-01-BI
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090-20030305-ORA-01-00-BI
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CR 2003/17 (traduction)
CR 2003/17 (translation)
mercredi 5 mars 2003 à 10 heures
Wednesday 5 March 2003 at 10 a.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit
aujourd’hui pour entendre la réplique orale des Etats-Unis d’Amérique. Les Etats-Unis plaideront
ce matin et cet après-midi. Je donne à présent la parole à M. Taft, l’agent des Etats-Unis
d’Amérique.
M. TAFT : Je vous remercie, Monsieur le président.
23. EXPOSE LIMINAIRE
23.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les Etats-Unis présenteront
aujourd’hui leur réplique orale aux arguments formulés par l’Iran en l’espèce. Comme la Cour l’a
rappelé, l’objectif du deuxième tour n’est pas de répéter la thèse qui a déjà été exposée. Ce n’est
pas notre intention. Nous nous bornerons plutôt à répondre aux points soulevés directement par
l’Iran dans ses exposés et à éclaircir les aspects de la position américaine que l’Iran a déformés. La
Cour nous a également rappelé que les parties ne sont pas tenues d’utiliser tout le temps qui leur est
alloué pour leur deuxième tour de plaidoirie. Nous pensons achever nos exposés entre 16 h 30 et
17 heures cet après-midi.
23.2. Monsieur le président, la démonstration que les Etats-Unis feront aujourd’hui se
déroulera de la manière suivante. M. Bettauer examinera tout d’abord les questions de fait.
Comme je l’ai indiqué il y a douze jours dans mon exposé liminaire, les faits en question ne sont
guère complexes et ils sont d’ailleurs de notoriété publique depuis de nombreuses années. Mais
l’Iran a coutume d’omettre des faits essentiels et de nier la responsabilité de ses actes, ce qui nous
oblige à éclaircir un bon nombre de points du dossier.
23.3. M. Bettauer sera suivi de M. Murphy, qui parlera du paragraphe 1 de l’article X du
traité de 1955. En substance, l’Iran a présenté deux interprétations différentes de cette disposition
lors de ses exposés. Il a ensuite envisagé la disposition sous une certaine acception pour
l’appliquer au comportement des Etats-Unis, lors de l’examen de sa propre demande, mais il l’a
envisagée sous une toute autre acception pour l’appliquer à son propre comportement lors de
l’examen de la demande reconventionnelle des Etats-Unis. M. Murphy montrera que, quand on
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applique correctement et uniformément l’article X aux demandes des deux Parties, on voit bien que
l’Iran a violé les obligations découlant de cette disposition tandis qu’aucune violation de la sorte
n’a été démontrée concernant les Etats-Unis.
23.4. Cet après-midi, M. Mathias répondra à différents arguments que les conseils de l’Iran
ont formulés au sujet de la position des Etats-Unis, qui est que l’Iran est empêché de faire
triompher sa demande par son propre comportement.
23.5. Après M. Mathias, M. Weil répondra aux questions soulevées par les conseils de l’Iran
sur le cadre théorique de l’article XX du traité. M. Matheson examinera ensuite l’applicabilité de
l’article XX et du droit de légitime défense aux faits de l’affaire.
23.6. Enfin je conclurai les exposés des Etats-Unis.
23.7. Voilà les points que nous traiterons aujourd’hui. Je pense qu’ils recouvrent toutes les
questions soulevées par l’Iran qui intéressent véritablement notre espèce. Reste cependant un
certain de nombre de questions qui, bien qu’elles n’intéressent pas l’affaire, ont été soulevées par
l’Iran lors de ses exposés ¾ à plusieurs reprises pour certaines ¾, et puisque l’Iran nous a
vivement reproché ¾ également à plusieurs reprises ¾ de ne pas y répondre, je vais dire à présent
un mot de ces questions.
23.8. Premièrement, l’Iran rappelle souvent qu’à l’époque des opérations américaines contre
les plates-formes pétrolières qui font l’objet de sa demande, mais aussi pendant de nombreuses
années auparavant, il était en guerre contre son voisin l’Iraq ¾ une guerre sauvage, qui selon lui
mettait en jeu la survie nationale de l’Iran; une guerre pendant laquelle des armes chimiques ont été
utilisées contre lui. Il dit, également à plusieurs reprises, que les Etats-Unis ont soutenu l’Iraq dans
cette guerre.
23.9. Peut-être s’agit-il simplement d’une manœuvre destinée à inspirer la sympathie, voire
d’une tentative visant à embarrasser les Etats-Unis, étant donné le comportement adopté ensuite par
l’Iraq. Mais en évoquant aussi souvent le soutien des Etats-Unis à l’Iraq et leur collaboration avec
cet Etat, l’Iran semble parfois vouloir aller plus loin. L’Iran insinue que, puisque la politique des
Etats-Unis consistait prétendument à soutenir l’Iraq, les Etats-Unis étaient devenus peu ou prou une
sorte de partenaire de l’Iraq contre l’Iran pendant la guerre. Par cette tactique, l’Iran espère de
toute évidence obtenir une sorte d’acquiescement de la Cour aux attaques iraniennes contre les
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navires américains. Que la Cour n’ait aucun doute sur ce point. Les Etats-Unis n’étaient pas un
Etat belligérant mais un Etat neutre, et ils ne manifestaient leurs inclinations politiques qu’en
respectant parfaitement leur statut neutre. Dans ces conditions, comme M. Bothe l’a reconnu, les
besoins de l’Iran lors de sa guerre contre l’Iraq ne sauraient justifier d’aucune façon les attaques
iraniennes contre les navires neutres. Que l’Iraq fût initialement l’agresseur dans cette guerre et
que les Etats-Unis et l’Iran divergent politiquement au sujet de ce conflit n’a aucune pertinence non
plus aux fins de l’espèce. Il n’est pas question ici de la guerre entre l’Iran et l’Iraq et peu importe
que l’Iran ait tant envie de créer cette impression. Et il n’est pas question de se pencher sur le
comportement de l’Iraq pendant la guerre, qui fut sans doute déplorable la plupart du temps. Ce
dont il est question dans notre affaire, c’est des attaques que l’Iran a menées dans le Golfe contre
les navires neutres, notamment américains, et de l’action des Etats-Unis visant à mettre fin à ces
attaques.
23.10. Deuxièmement, l’Iran répète souvent que les Etats-Unis se sont révélés farouchement
hostiles à l’Iran tout au long des années quatre-vingt. L’Iran demande à la Cour d’en déduire que si
les Etats-Unis s’en sont pris aux plates-formes, ce n’était ni pour protéger leurs intérêts essentiels
en matière de sécurité, ni pour exercer leur droit de légitime défense, mais tout simplement parce
qu’ils étaient hostiles à l’Iran. Selon la version iranienne, la prétendue hostilité des Etats-Unis
balaye n’importe quels autres droits que pouvaient leur conférer le traité ou le droit international
général. C’est absurde. Un Etat ne peut pas priver un autre Etat du droit d’exercer la légitime
défense en se contentant de dénoncer son hostilité. Non ¾ les véritables questions que la Cour
devra trancher en examinant l’article XX du traité sont celles-ci : les intérêts vitaux des Etats-Unis
en matière de sécurité étaient-ils menacés ? Et les mesures prises pour protéger ces intérêts
étaient-elles nécessaires ? Que les Etats-Unis ou l’Iran, voire les deux, aient créé entre eux un
climat de suspicion ou d’animosité ne nous dit absolument pas si les mesures prises par les
Etats-Unis étaient nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité ou
nécessaires à leur légitime défense. La Cour ne doit pas se laisser distraire par ce point qui
préoccupe tant l’Iran.
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23.11. Troisièmement, l’Iran a fait une déclaration théâtrale à la fin de son premier tour de
plaidoirie et l’a renouvelée lundi : l’opération des Etats-Unis contre les plates-formes en 1988 a eu
lieu le jour même, le 18 avril, où l’Iraq a lancé une grande offensive pour reprendre la péninsule de
Fao qui était alors occupée par les Iraniens. L’Iran donne à entendre, sans citer la moindre preuve,
que l’opération et l’offensive ont été coordonnées par l’Iraq et les Etats-Unis. Mais comme la Cour
le sait, le moment choisi pour lancer l’opération américaine avait en fait été dicté par l’attaque de
l’Iran contre le Samuel B. Roberts, laquelle avait eu lieu le 14 avril, tout juste quatre jours plus tôt.
Le conseil de l’Iran a déclaré que la simultanéité de l’opération américaine et de l’offensive
iraquienne n’était pas le fruit du hasard, mais cette affirmation est dénuée de tout fondement. Cela
étant, même si elle était vraie, elle n’en serait pas moins sans intérêt pour les questions à régler en
l’espèce. Les Etats-Unis ont le droit de se défendre et de prendre des mesures pour protéger leurs
intérêts vitaux sur le plan de la sécurité au sens de l’article XX, et ce droit n’est pas fonction du
programme des opérations de guerre que l’Iraq adopte pour telle ou telle journée. Aussi la Cour
devrait-elle faire également abstraction de cet argument.
23.12. Quatrièmement, l’Iran a réussi à évoquer assez souvent la tragédie du 3 juillet 1988,
lorsqu’un navire de guerre des Etats-Unis abattit en vol un avion de ligne commercial iranien qu’il
avait pris par erreur pour un avion ennemi. Cet accident terrible, qui eut lieu plus de deux mois
après la deuxième opération des Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières, n’a manifestement
rien à voir avec ces opérations ni avec la présente affaire. Cet accident montre cependant que l’Iran
et les Etats-Unis ont adopté une attitude radicalement différente à la suite d’attaques contre des
aéronefs civils ou des navires neutres. Les Etats-Unis exprimèrent immédiatement leurs profonds
regrets et firent part de leur sympathie et de leurs condoléances aux passagers, à l’équipage et à
leurs familles après l’incident. Ils proposèrent d’indemniser les familles des victimes, ce qu’ils
firent. Ce ne sont pas les méthodes de l’Iran, comme nous l’avons vu. La différence la plus
importante entre cet incident et les attaques de l’Iran ne tient toutefois pas au comportement que les
Etats-Unis et l’Iran ont adopté après coup. La plus grande différence est que l’avion de ligne fut
abattu par accident, alors que les attaques de l’Iran contre les navires étaient intentionnelles.
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23.13. Voilà quatre questions de fait que l’Iran a cherché à introduire en l’affaire et qui, tout
simplement, n’y sont pas à leur place. Il y en a d’autres, mais il serait vain de s’y attarder ici. Il est
temps d’en venir aux questions que la Cour doit véritablement considérer pour se prononcer en
l’affaire. M. Bettauer va prendre la parole, Monsieur le président, si vous voulez bien l’appeler
maintenant à la barre. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Taft. Je donne à présent la parole à
M. Bettauer.
M. BETTAUER :
24. L’IRAN ETAIT RESPONSABLE DES ATTAQUES CONTRE DES NAVIRES APPARTENANT AUX
ETATS-UNIS ET A D’AUTRES PAYS NEUTRES ET SE SERVAIT DES PLATES-FORMES
POUR CONDUIRE CES ATTAQUES, CE QUI A DECLENCHE L’ACTION
MILITAIRE DES ETATS-UNIS CONTRE LES PLATES-FORMES
Introduction
24.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, vous avez à présent entendu
deux versions radicalement différentes des événements qui se sont produits dans le Golfe avant
l’action menée par les Etats-Unis contre les plates-formes qui est en cause. L’une de ces versions
est étayée par de nombreux éléments de preuve, des preuves matérielles, des photographies, des
récits de témoins oculaires, des rapports contemporains d’organisations indépendantes du transport
maritime, des documents iraniens et des déclarations publiques et privées de hauts fonctionnaires
iraniens qui constituent des aveux à leurs dépens. Cette version est d’ailleurs étayée par les
décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies, par la Ligue arabe ainsi par que de nombreux
Etats qui firent des déclarations ou effectuèrent des démarches appelant l’Iran à cesser d’attaquer
des navires appartenant aux Etats-Unis et à d’autres pays neutres. Les Etats-Unis ont donc présenté
à la Cour une version des événements qu’ils ne sont pas les seuls à défendre. Ils ont présenté à la
Cour une version des événements qui est uniformément acceptée dans le monde entier ¾ à
l’exception d’un seul pays.
24.2. Ce pays n’est autre que l’Iran. Il a présenté à la Cour une version des événements
fondée sur l’hypothèse et la conjecture. Pour reprendre les propres termes de l’Iran, il s’agit d’une
version des événements soutenue par des «auraient pu…» et des «ont peut-être été…», et rien de
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plus que de pures et simples affirmations mensongères. Dans sa réplique orale, l’Iran a continué
dans la même voie. Or cette façon de procéder ne peut ébranler des fondements qui reposent sur
des éléments de preuve solides, acceptés comme tels par tous les pays et toutes les organisations
concernés, à l’exception de l’Iran.
24.3. Monsieur le président, dans l’exposé de sa réplique, l’Iran a fait valoir que les mines
mouillées dans tout le Golfe n’étaient pas iraniennes, que les missiles qui ont frappé des navires des
Etats-Unis n’étaient pas iraniens, et que les plates-formes ne servaient pas à lancer des attaques
contre des navires neutres appartenant aux Etats-Unis et à d’autres pays. L’Iran dit que l’action
américaine contre les plates-formes visait à causer le plus de dégâts économiques possibles et à
aider l’Iraq dans son effort de guerre. La réponse de l’Iran est fondée sur une série de conjectures
et de théories extravagantes destinées à montrer que l’Iraq aurait pu être responsable des attaques
précises qui sont en cause.
24.4. Monsieur le président, ces allégations sont dénuées de fondement et ne sauraient être
retenues. Notamment parce qu’elles ne résistent pas à une description des événements étayée par
des preuves et non des conjectures, des preuves qui sont versées au dossier de l’affaire. Je
répondrai successivement aux divers arguments de l’Iran.
La responsabilité de l’Iran dans les attaques à la mine
24.5. Je commencerai par les incidents liés aux mines. Dans ses pièces écrites, l’Iran a nié
catégoriquement être responsable du mouillage de mines portant atteinte à la navigation
commerciale dans le Golfe et il n’a, semble-t-il, pas changé de position. Au contraire, le conseil de
l’Iran a laissé entendre que les Etats-Unis n’avaient pas suffisamment tenu compte d’une
éventualité qui est que l’Iraq aurait pu être responsable de la pose des mines en question
(CR 2003/15, p. 34-35).
24.6. Mais, Monsieur le président, comme M. Mathias l’a démontré, ce sont bien des mines
appartenant à l’Iran et non à l’Iraq qui ont été découvertes à l’endroit même de chacune des
attaques, ou à proximité. Les forces navales américaines et koweïtiennes ont découvert dix mines
iraniennes au total amarrées dans le chenal en eau profonde qui conduit au terminal koweïtien
d’Al Ahmadi, sur Sea Island. C’est là que le Maréchal Tchouikov a heurté une mine (CR 2003/9,
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par. 3.27-3.28). La marine des Etats-Unis a découvert treize mines iraniennes au total amarrées au
large de l’île iranienne de Farsi, près de l’endroit où le Bridgeton fut touché (CR 2003/9, par. 3.29).
Des marins britanniques et français ont découvert au moins cinq mines iraniennes amarrées au
large de Fujayrah, ainsi que quatre autres crapauds portant des numéros de série caractéristiques
des mines iraniennes, toujours au même endroit (CR 2003/9, par. 3.30). C’est là que le
Texaco Caribbean et l’Anita ont heurté des mines. Des marins américains, belges et néerlandais
ont découvert sept mines iraniennes au total et quatre crapauds supplémentaires de mines
iraniennes à proximité des hauts-fonds de Shah Allum dans la partie centrale du Golfe
(annexes 37, 47, 65). C’est à cet endroit que le Samuel B. Roberts a rencontré un champ de mines.
24.7. Le fait de découvrir des mines iraniennes sur le lieu même de chacune de ces attaques,
ou à proximité, établit clairement la responsabilité de l’Iran pour chacune d’entre elles et ne se
borne pas à démentir formellement l’Iran quand ce dernier prétend qu’il n’a pas mouillé de mines
dans des zones du Golfe où croisaient des navires neutres. L’Iran n’a pas produit la moindre
preuve qui établirait que l’Iraq était responsable des ces attaques. Au contraire, il a présenté à la
Cour trois théories invraisemblables à ce sujet.
24.8. En premier lieu, l’Iran a laissé entendre que les mines qui ont endommagé les navires
auraient très bien pu être des mines mouillées par l’Iraq dans la partie septentrionale du Golfe qui
se seraient libérées de leur crapaud et auraient dérivé vers le sud. L’Iran cite les notes publiées par
le General Council of British Shipping qui soulignaient la présence de mines flottantes dans le
Golfe et indiquaient que la région de l’île de Farsi, où le Bridgeton fut touché, était peut-être
l’endroit où les navires neutres risquaient le plus de rencontrer ces mines flottantes (CR 2003/15,
p. 35). Il cite également un article sur le sujet figurant dans la Lloyd’s List.
24.9. Les sources citées par l’Iran n’étayent pas cette théorie. Le General Council of British
Shipping et le service d’information maritime du Lloyd’s attribuent à l’Iran non seulement la
responsabilité de l’attaque à la mine contre le Bridgeton, mais également celle des attaques à la
mine contre le Maréchal Tchouikov, le Texaco Caribbean et l’Anita (annexes 2, 9). Quel qu’ait pu
être le risque, ces sources n’estimaient pas que les mines flottantes avaient le moindre rapport avec
ces attaques.
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24.10. Plus simplement cependant, le type de dégâts causés à ces navires ainsi qu’au
Samuel B. Roberts ne correspond pas aux dommages qu’aurait provoqués une mine flottante. Pour
énoncer pareille conclusion, il suffit de lire la déclaration de Jacques Fourniol, l’expert de l’Iran
lui-même. Dans un commentaire général sur son rapport, M. Fourniol déclare ce qui suit :
«Cette étude est principalement consacrée aux mines à orin à contact. Les
mines de fond à influence et les mines dérivantes ne sont pas au cœur du débat. En
effet, le type de dommage infligé aux différents bâtiments touchés ne [peut] résulter
que de l’impact d’une mine à orin à contact.» (Rapport de M. Jacques Fourniol,
vol. VI, réplique, p. 3.)
Les «différents bâtiments» évoqués dans le rapport de M. Fourniol sont notamment le
Maréchal Tchouikov, le Bridgeton, le Texaco Caribbean, et le Samuel B. Roberts. En définitive,
l’expert de l’Iran lui-même rejette donc la théorie iranienne selon laquelle des mines flottantes
auraient pu être à l’origine des dégâts causés à ces navires. En réalité, toutes les mines que ces
bâtiments ont heurtées étaient des mines amarrées. De surcroît, en établissant que les dégâts causés
aux navires en cause étaient du type de dommages produits par des mines amarrées, l’expert de
l’Iran contredit totalement M. Bothe lorsque celui-ci laisse entendre que des doutes subsistent quant
au type de dommages causés par les mines, lequel serait, selon lui, à prendre en considération pour
reprendre la méthode suivie par la Cour dans l’affaire du Détroit de Corfou. Comme nous l’avons
montré, l’analyse de la Cour dans ladite affaire incite à statuer aux dépens de l’Iran au vu des
preuves de mouillage de mines présentées à la Cour en l’espèce (CR 2003/13, p. 25-26).
24.11. La deuxième théorie de l’Iran est que l’Iraq est responsable du mouillage des mines
en cause. A cet égard, l’Iran signale un seul incident, en juin 1984, date à laquelle un pétrolier
libérien aurait selon lui heurté une mine iraquienne à proximité du détroit d’Ormuz. A partir de cet
incident isolé, plus de trois ans avant les attaques à la mine qui font l’objet de la présente espèce,
l’Iran n’hésite pas à postuler, sans l’ombre d’une preuve, que l’Iraq était capable de mouiller des
mines partout dans le Golfe et à n’importe quel moment, et à insinuer qu’il avait mouillé les mines
précisément en cause ici (CR 2003/15, p. 36).
24.12. Avant tout se pose la question de l’exactitude du rapport cité par l’Iran. Le service
d’information maritime du Lloyd’s, qui enregistrait sur une liste toutes les attaques de navires dans
le Golfe signalées par les deux parties pendant la guerre Iran/Iraq, ne fait état d’aucune attaque de
la sorte. Il signale bien des attaques à la mine menées par l’Iraq dans la région de
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Bandar Khomeini, à l’extrême nord du Golfe, qui sont également mentionnées dans les sources
citées par l’Iran (annexe 9). Trois de ces incidents se sont produits en 1982 et l’un d’entre eux
en 1984. Mais rien de tout cela ne donne à penser que l’Iraq ait eu recours aux mines de manière
systématique pour attaquer des navires, ni qu’il l’ait fait au moment ou à l’endroit précis où ont eu
lieu les attaques en cause.
24.13. Plus important encore, lorsqu’il donne à entendre que c’est l’Iraq qui était responsable
de ces attaques, l’Iran laisse de côté le fait que ce sont des mines iraniennes et non des mines
iraquiennes qui ont été découvertes sur les lieux ou à proximité de chacune de ces attaques. Dans
sa réplique, l’Iran a prétendu qu’il avait envoyé ses propres dragueurs de mines à Khor Fakkan, où
le Texaco Caribbean et l’Anita avaient été touchés, mais jamais il ne déclare avoir trouvé des
mines iraquiennes dans ce secteur (CR 2003/15, p. 36). L’Iran n’a présenté à la Cour aucune
preuve à l’appui de sa théorie quand il dit que ce sont des mines iraquiennes qui seraient à l’origine
de toutes les attaques à la mine en cause dans la présente affaire.
24.14. Enfin, le troisième et dernier moyen de défense de l’Iran consiste à donner à entendre
à la Cour que l’Iraq aurait pu s’emparer des mines iraniennes et les mouiller en divers endroits du
Golfe pour laisser croire que l’Iran était responsable des dommages qu’elles causaient aux navires
CR 2003/7, p. 19). L’Iran n’a pas produit la moindre preuve d’aucune sorte ni aucun rapport
indépendant pour étayer cette supposition ou pour donner des raisons de croire que l’Iraq ait jamais
agi de la sorte. A l’appui de cette théorie, il se contente de présenter uniquement la déclaration de
son spécialiste des mines, M. Fourniol, selon lequel, «l’Iraq a … pu récupérer» des mines
iraniennes en différents endroits du chenal de Khor Abdullah (rapport de M. Fourniol, par. 1.32).
Pour ce faire, il aurait fallu que l’Iraq trouve les mines, les désarme sur place, puis les réarme et les
mouille, tout cela clandestinement. La difficulté et le danger inhérents à une telle opération
expliquent pourquoi les services de déminage font exploser sur place les mines qu’ils trouvent
plutôt que d’essayer de les récupérer. Comme ce sont trente-cinq mines iraniennes, pas moins, qui
furent découvertes sur le lieu même des attaques en question ou à proximité, l’Iraq aurait eu à
réussir ce tour de force non pas une ou deux fois, mais à de multiples reprises. Naturellement,
comme je l’ai dit, il s’agit ici de pures conjectures. L’Iran n’a présenté à la Cour aucune preuve à
l’appui de l’hypothèse.
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24.15. Aucune des théories iraniennes ne peut donc être prise au sérieux. Comme la Cour l’a
vu, toutes les sources bien informées dans la région du Golfe ont conclu que l’Iran était responsable
des attaques à la mine contre le Maréchal Tchouikov, le Bridgeton, le Texaco Caribbean, l’Anita, et
le Samuel B. Roberts, et tous les éléments de preuve disponibles étayent cette conclusion. Des
conjectures infondées ne sauraient tenir lieu de preuves.
24.16. J’en arrive maintenant à la responsabilité incombant à l’Iran dans les attaques au
missile, et notamment l’attaque au missile contre le Sea Isle City. Là encore, l’Iran a donné à
entendre que la Cour devrait tenir l’Iraq et non l’Iran pour responsable de cette attaque. Et de
nouveau, cette suggestion repose sur des spéculations infondées que les preuves contredisent.
Comme M. Neubauer l’a expliqué, des témoins oculaires ont vu ce missile arriver du territoire sous
contrôle iranien de la région de Fao, tout comme ils avaient déjà observé une série de missiles
iraniens lancés depuis cette zone au cours des mois précédents. L’analyse de fragments de missiles
provenant de ces précédents tirs a permis d’établir qu’il s’agissait de missiles HY-2 à lanceur
terrestre (CR 2003/9, par. 4.19). Ainsi que M. Moore l’a expliqué, les images satellite montrent
bien que l’Iran a déployé des missiles HY-2 dans la région de Fao au moment de l’attaque et qu’il
disposait à cet endroit de sites de lancement à partir desquels ils pouvaient lancer ces missiles.
M. Moore a également montré que l’Iraq n’aurait pas pu lancer le missile qui toucha le
Sea Isle City depuis le territoire qu’il contrôlait (CR 2003/9, par. 5.27-5.34).
24.17. Comment réagit l’Iran face à ces preuves ? Il déclare tout d’abord que les Etats-Unis
n’ont pas démontré que l’Iran disposait ne fût-ce que d’un seul site de lancement de missiles
opérationnel dans la région de Fao. Ce faisant, l’Iran ne tient tout simplement pas compte des
preuves disponibles. En effet, M. Moore vous a montré un site iranien de lancement de
missiles HY-2, où l’on voyait un missile sur son lanceur occupant l’un des pas de tirs du site, prêt à
être lancé. Cette image est maintenant projetée à l’écran (dossier d’audience, classeur 1,
onglet no
46L). Je ne sais pas quelle définition l’Iran donne du terme «opérationnel» mais un site
pourrait difficilement être plus opérationnel que celui-là. De surcroît, M. Moore nous a montré que
l’Iran avait déployé du matériel de lancement de missiles HY-2 à proximité, dans d’autres sites
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iraniens de lancement de la région de Fao, à des endroits où le matériel pouvait rapidement être mis
en place. Ces images ne laissent aucun doute sur le fait que l’Iran possédait des sites de lancement
de missiles opérationnels dans la région de Fao.
24.18. Dans sa réplique, lundi, l’Iran a encore une fois affirmé que les sites qu’il contrôlait
dans la péninsule de Fao furent «détruits» par les bombardements et qu’ils étaient par conséquent
inutilisables pour lancer des missiles (CR 2003/15, p. 27). Ainsi que M. Moore l’a démontré, on
distingue clairement sur les images les pas de tir en forme de trous de serrure des sites de
lancement, et il n’y a aucune trace visible de dégâts causés par des bombes. Regardons encore une
fois l’une des diapositives qui démontrent que les sites de l’Iran étaient actifs et n’avaient pas été
bombardés, vous voyez ici clairement des véhicules circuler sur la route menant aux sites au
moment des attaques, contrairement aux précédentes allégations de l’Iran devant la Cour. Les sites
de lancement de missiles iraniens étaient parfaitement capables de lancer le missile qui a touché le
Sea Isle City (dossier d’audience, classeur 1, onglet no
46I).
24.19. Faisant fi de toutes ces preuves, l’Iran cherche à convaincre la Cour que l’Iraq est
d’une manière ou d’une autre responsable de l’attaque contre le Sea Isle City. Le conseil de l’Iran
a déclaré lundi que la déclaration d’un témoin oculaire qui avait observé la trajectoire du missile
confortait la théorie de l’Iran selon laquelle l’engin avait été lancé par l’Iraq (CR 2003/15, p. 28).
Il n’en est rien.
24.20. Le témoin oculaire koweïtien déclare qu’il a observé «un missile en vol entre l’île de
Faylakah et d’Auhat se dirigeant vers le sud sud-est … venant de la direction de la péninsule
de Fao et se dirigeant vers le terminal de Sea Island» (annexe 82). Cette déclaration décrit la
trajectoire du missile par rapport à quatre repères terrestres principaux qui étaient certainement bien
connus de l’observateur : la péninsule de Fao, l’île de Faylakah, l’île d’Auhat et le terminal de
Sea Island. Ces points de référence facilement identifiables établissent très précisément la direction
du missile et constituent certainement une indication plus fiable qu’une lecture de boussole
imaginaire.
24.21. Lundi, le conseil de l’Iran a montré une carte présentant la trajectoire que le missile
aurait pu prendre s’il avait été tiré du territoire iraquien ou d’une frégate iraquienne croisant dans
les eaux situées à l’arrière de l’île de Bubiyan et il a donné à entendre que cette trajectoire était
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compatible avec la déclaration du témoin oculaire. Vous voyez maintenant cette carte projetée à
l’écran. La Cour constatera que cette trajectoire n’est absolument pas compatible avec la
déclaration. Tout d’abord un missile suivant cet itinéraire ne pourrait pas avoir l’air d’être lancé à
partir de la péninsule de Fao. Celle-ci est beaucoup plus à l’est du site de lancement indiqué sur la
carte. Ensuite, un missile suivant cet itinéraire ne passerait pas «entre l’île de Faylakah et l’île
d’Auhat». Cette trajectoire suppose que le missile survole la partie occidentale de l’île de
Faylakah, très nettement à l’ouest de l’île d’Auhat.
24.22. Naturellement, l’itinéraire suggéré par le conseil de l’Iran n’est pas celui que l’expert
de l’Iran, M. Briand, a déclaré que le missile aurait pris s’il avait été lancé depuis l’Iraq. Il a
affirmé que le missile aurait pu avoir été tiré depuis le territoire iraquien avant d’exécuter un virage
brusque à la suite duquel il aurait semblé venir de la région de Fao et serait passé entre l’île de
Faylakah et l’île d’Auhat, comme l’ont effectivement décrit les témoins oculaires. Mais, ainsi que
M. Moore l’a expliqué à la Cour, les limites du système de téléguidage du missile HY-2 rendent
impossible l’hypothèse du virage brusque avancée par M. Briand (CR 2003/9, par. 5.31-5.34).
24.23. Tant la trajectoire fictive proposée par le conseil de l’Iran lundi que celle de
M. Briand présentent une autre faille : l’Iraq n’avait pas de site de lancement de missiles dans la
région à partir duquel il aurait pu lancer le missile. Le conseil de l’Iran a de nouveau affirmé lundi,
en s’appuyant sur la déclaration de l’expert iranien M. Youssefi, que l’Iraq disposait d’un tel site
(CR 2003/15, p. 28). Pourtant, ainsi que M. Moore l’a déjà démontré à la Cour, les images satellite
des Etats-Unis prises au moment de ces attaques ne montrent aucun site de lancement de missiles,
ni à l’emplacement précis indiqué par M. Youssefi, ni à proximité (CR 2003/9, par. 5.29-5.30).
L’Iraq a bien construit un site de lancement de missiles à proximité de cet endroit en 1989, mais
aucun site de ce type sous contrôle iraquien n’existait au moment des attaques dans un quelconque
lieu de la région de Fao. La carte présentée lundi par le conseil de l’Iran situe en effet le prétendu
site de lancement de missiles de l’Iraq à un emplacement différent, très à l’ouest de la péninsule
de Fao. Là encore, l’Iran n’a fourni aucune preuve de la présence d’un site iraquien de lancement
de missiles à cet endroit-là aussi, mais les Etats-Unis ont produit des éléments de preuve
photographiques décisifs figurant dans le dossier qui montrent qu’il n’y avait pas de site à cet
emplacement (annexe 262, pièce jointe T).
- 14 -
24.24. Pour résumer, compte tenu de la trajectoire suivie par le missile, des limites de son
système de téléguidage et de l’absence de sites de lancement iraquiens dans la région, seul l’Iran
pouvait être responsable de l’attaque contre le Sea Isle City.
24.25. La Cour ne doit pas non plus accorder le moindre crédit à une autre hypothèse de
l’Iran qui est que l’Iraq aurait pu lancer les missiles par voie aérienne (CR 2003/15, p. 25). Il n’est
pas possible de confondre les missiles HY-2 à lanceur terrestre qui ont été utilisés dans l’attaque
contre le Sea Isle City et dans la précédente série de tirs réalisés par l’Iran depuis la région de Fao
avec des missiles à lanceur aérien. Comme M. Neubauer l’a expliqué, les missiles HY-2 à lanceur
terrestre sont équipés d’un système de téléguidage et d’un dispositif de fixation de cellule différents
de ceux des missiles à lanceur aérien (CR 2003/9, par. 4.21). Les missiles qui ont été lancés du
terminal de Sea Island entre janvier 1987 et octobre 1987 n’ont pu être tirés que depuis le sol.
Lundi, le conseil de l’Iran a parlé de missiles Silkworm à lanceur aérien (CR 2003/15, p. 25), mais
il ne pouvait s’agir que d’autres missiles de la famille des Silkworm qui peuvent être lancés depuis
l’espace aérien et non du missile HY-2 qui ne peut pas être lancé de cette façon (annexes 85 et 86).
24.26. De surcroît, le missile HY-2 n’aurait pas pu être lancé à partir de n’importe quel
bâtiment iraquien de surface car la taille du HY-2 et ses composants électroniques n’étaient
compatibles avec les possibilités de lancement de missiles d’aucun de ces navires (Jane’s Fighting
Ships (1985-1986); annexe 85).
24.27. En tout état de cause, la théorie de l’Iran selon laquelle l’Iraq serait responsable de ces
attaques n’aurait aucun sens. L’Iran affirme que l’Iraq cherchait à «internationaliser» le conflit
Iran/Iraq, et qu’il aurait ainsi eu des raisons d’attaquer des navires faisant commerce avec le
Koweït et l’Arabie saoudite même si ces derniers étaient favorables à l’Iraq pendant la guerre
(CR 2003/15, p. 29). Mais, à supposer que ce fût le cas, cela n’aurait pas constitué pour autant une
raison suffisante pour que l’Iraq lance systématiquement des missiles en direction du terminal
d’Al Ahmadi sur Sea Island, qui était le principal terminal d’exportation pétrolier du Koweït. Ce
faisant, il aurait risqué de toucher le terminal lui-même, ce qui dans le même temps aurait mis fin à
sa capacité à s’assurer les recettes pétrolières dont l’Iraq, aux dires de l’Iran, était étroitement
- 15 -
tributaire. Une telle attaque n’aurait pas constitué une manière de gagner à moindre coût des alliés
dans la guerre contre l’Iran mais serait revenue au contraire à fermer l’une de ses principales
mannes économiques.
24.28. Il n’est pas surprenant que l’Iran ait été incapable de trouver la moindre source qui
soit convaincue que l’Iraq était, en définitive, responsable de l’attaque au missile contre le
Sea Isle City. Dans sa déclaration, l’un des spécialistes iraniens des missiles, M. Briand, se borne à
dire que l’Iraq aurait pu tirer les missiles en cause, mais sans affirmer qu’il l’a fait effectivement
(rapport de M. Jean-François Briand, vol. VI, réplique, par. 2.13). Ainsi que les Etats-Unis l’ont
montré, le service d’information maritime du Lloyd’s, le General Council of British Shipping,
l’association des armateurs norvégiens, l’Association internationale des armateurs indépendants de
pétroliers, des analystes du Jane’s Intelligence Review et de nombreuses autres publications
attribuent tous la responsabilité de cette attaque à l’Iran. En outre, quand un autre missile fut lancé
de la région de Fao une semaine plus tard et toucha le terminal d’Al Ahmadi lui-même, sur
Sea Island, la responsabilité de l’Iran n’a laissé à nouveau aucun doute. Le président égyptien
qualifia cette attaque au missile d’«agression iranienne contre le Koweït» et la condamna «avec la
plus grande vigueur» (annexe 191). Bref, que l’Iran fût responsable de ces attaques était à l’époque
reconnu universellement. Les multiples théories d’ordre conjectural que propose l’Iran sont
dénuées de fondement et se révèlent purement et simplement fausses; elles ne fournissent à la Cour
aucune base lui permettant, pour l’heure, de douter de la responsabilité de l’Iran.
La condamnation universelle des attaques iraniennes
24.29. J’aborderai maintenant la question suivante, qui concerne les efforts diplomatiques
déployés pour convaincre l’Iran de mettre fin à ses attaques, et la vaine tentative faite ici par l’Iran
pour discréditer ces démarches.
24.30. Je commencerai avec la résolution 552 du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont
les dispositions pertinentes sont actuellement projetées à l’écran et figurent également sous
l’onglet no
2 du dossier d’audience. L’Iran a laissé entendre lundi que cette résolution 552 du
Conseil de sécurité des Nations Unies pouvait ne pas s’entendre comme une véritable
condamnation des attaques lancées par l’Iran contre des navires neutres. Cela ne tient pas debout…
- 16 -
Nos contradicteurs ont choisi de ne s’intéresser qu’au seul paragraphe 4 et prétendent qu’il ne
faisait pas explicitement référence à l’Iran. Mais examinons le libellé de ce paragraphe ¾ il est des
plus explicites. La condamnation des «attaques lancées récemment» exprimée au paragraphe 4 du
dispositif et l’exigence de voir cesser «ces attaques» visent clairement les «attaques lancées par
l’Iran contre des navires marchands» dont il est question à l’alinéa du préambule qui en fait état.
Le texte vise expressément une plainte formulée par les Etats du Golfe au sujet des attaques lancées
par l’Iran contre des navires neutres.
24.31. Et, pour dissiper tout doute à cet égard, permettez-moi de projeter à l’écran deux
passages extraits de déclarations formulées dans le cadre du débat qui eut lieu au Conseil de
sécurité le jour où cette résolution fut adoptée. Comme vous pouvez le constater sur la diapositive,
qui figure aussi sous l’onglet no
3 du dossier d’audience, le représentant de la France indique que
son pays trouve «bien fondée» la plainte attribuant à l’Iran la responsabilité des attaques, et
demande la condamnation de ces attaques. Sur la diapositive suivante, qui figure sous l’onglet no
4
du dossier d’audience, vous voyez la déclaration du président du Conseil de sécurité qui est le
représentant du Royaume-Uni. Celui-ci reprend à son compte l’idée que l’Iran est responsable des
attaques, il qualifie ces attaques de «condamnables», «injustifiées» et il les taxe de «violations
patentes du droit international».
24.32. Lundi, l’Iran a exhorté la Cour à ne pas ajouter foi à l’idée universellement admise
que la responsabilité de ces attaques lui incombait, en alléguant que les Etats qui condamnaient les
actions qu’il menait contre des navires neutres n’agissaient ainsi que par allégeance à l’Iraq, dans le
contexte de la guerre qui opposait ce pays à l’Iran (CR 2003/15, p. 20). Selon la thèse de l’Iran, les
treize membres du Conseil de sécurité qui ont voté pour la résolution 552 avaient pris fait et cause
pour l’Iraq. Et il en allait de même des quelque trente-cinq pays qui ont protesté contre les attaques
iraniennes ou les ont condamnées (CR 2003/10, par. 8.2).
24.33. L’idée avancée par l’Iran d’un alignement, sous une forme ou sous une autre, de tous
ces pays sur l’Iraq est, bien évidemment, absurde. Ces pays ne protestaient pas contre les attaques
iraniennes par souci d’aider l’Iraq, ils protestaient parce que ces attaques menaçaient leurs intérêts
vitaux ¾ tuant ou blessant leurs ressortissants, détruisant leurs navires et leurs biens,
compromettant l’accès au pétrole dont leur économie était tributaire. L’Iran n’a strictement aucun
- 17 -
argument valable pour tenter ainsi d’amoindrir l’ampleur et la portée de l’opinion de la
communauté internationale lui attribuant la responsabilité des attaques contre des navires neutres
de même que les vives inquiétudes exprimées au sujet de ces attaques.
24.34. Il est à noter que l’Iran n’avait cure des inquiétudes ainsi exprimées. La réponse de
son vice-ministre des affaires étrangères à la protestation élevée en février 1988 par la Norvège au
sujet des attaques iraniennes contre des navires norvégiens en fournit une parfaite illustration.
Comme la Cour le sait, il ressort de l’exposé de M. Mattler que le vice-ministre des affaires
étrangères a admis que l’Iran était responsable des attaques en question, précisant que les navires
avaient été pris pour cible parce qu’ils transportaient des cargaisons à destination et en provenance
du Koweït ou de l’Arabie saoudite, reconnaissant que ces attaques étaient contraires au droit
international et que les forces iraniennes avaient tout particulièrement visé des parties des
bâtiments où se trouvaient des membres de l’équipage. En outre, le vice-ministre iranien des
affaires étrangères a clairement fait savoir que l’Iran était résolu à continuer de lancer de telles
attaques dès que l’occasion s’y prêterait (CR 2003/10, par. 8.38).
24.35. Ne se souciant guère des conséquences que ces attaques pouvaient avoir sur les
intérêts d’Etats tiers, l’Iran met en doute les motivations des Etats qui ont cherché à protéger leurs
intérêts. L’Iran a maintes fois affirmé que si les Etats-Unis avaient décidé de faire passer sous leur
pavillon des pétroliers koweïtiens, c’était non pas dans le dessein de protéger ces pétroliers contre
de nouvelles attaques iraniennes mais dans celui de soutenir l’effort de guerre iraquien
(CR 2003/15, p. 14). On peut supposer qu’il pense la même chose des initiatives comparables
prises parallèlement par l’Union soviétique et le Royaume-Uni. L’Iran soutient également qu’en
lançant leurs actions militaires contre les plates-formes pétrolières, les Etats-Unis avaient pour
«véritable» motivation non pas d’éviter que lesdites plates-formes continuent d’être utilisées pour
attaquer des navires neutres et de protéger ainsi leurs intérêts vitaux en matière de sécurité, mais
d’asphyxier l’économie iranienne et d’empêcher l’Iran de gagner la guerre qui l’opposait à l’Iraq.
24.36. Monsieur le président, l’Iran peut mettre en doute les motivations des Etats-Unis
autant qu’il lui plaira, les faits parlent d’eux-mêmes. Avant que les Etats-Unis lancent leurs actions
contre le complexe pétrolier de Rostam, l’Iran attaque quatre navires américains en moins de
trois mois : le Bridgeton, le Texaco Caribbean, le Sungari et le Sea Isle City. Ces attaques ont lieu
- 18 -
alors que les Etats-Unis prennent de nombreuses initiatives diplomatiques ¾ dont l’envoi de cinq
notes diplomatiques à l’Iran en cinq mois ¾ pour écarter la menace que les attaques iraniennes font
peser sur leurs intérêts (CR 2003/10, par. 8.30). L’Iran attaque quatre autres bâtiments américains
dans les mois qui précèdent les actions contre les complexes de Sirri et de Sassan, mouillant
notamment, entre autres mines, celle que devait heurter le Samuel B. Roberts juste avant le
lancement des opérations américaines (CR 2003/10, par. 8.35, 8.41). Il ne saurait faire de doute
que ces attaques menaçaient les intérêts essentiels des Etats-Unis et, en particulier, la sécurité de
leurs ressortissants, de leurs navires et de leurs biens. De même les raisons qui peuvent inspirer
aux Etats-Unis ou à n’importe quel autre Etat l’adoption de telles mesures en vue de protéger ces
intérêts n’ont rien de mystérieux. Je pense m’être suffisamment attardé sur ce sujet lors du premier
tour de plaidoirie et n’entends pas répéter ici la même explication (CR 2003/10, par. 10.34-10.40).
24.37. Monsieur le président, c’est dans ces circonstances, dans ce «contexte», que se situent
les actions américaines contre les plates-formes pétrolières offshore de l’Iran. Les Etats-Unis n’ont
pas voulu utiliser la force contre l’Iran. Ils ne s’y sont résolus qu’une fois avortés les nombreux
efforts tentés pour écarter par des moyens pacifiques la menace que constituaient pour leurs intérêts
les attaques iraniennes. Lundi, l’Iran a qualifié de «menaces» la série de notes diplomatiques
adressées par les Etats-Unis à l’Iran dans le dessein d’expliciter les inquiétudes que leur causaient
les attaques iraniennes (CR 2003/15, p. 22). L’Iran n’a pas précisé sous quelle forme il eut été
préférable que les Etats-Unis expriment ces inquiétudes au sujet des attaques et du préjudice
qu’elles portaient à d’importants intérêts américains.
24.38. Dans ces notes, les Etats-Unis faisaient état de ces inquiétudes en des termes très
clairs (voir dossier d’audience, livre II, onglets no
9, 10, 13, 14). Ils rappelaient qu’ils étaient
depuis longtemps attachés au principe de la liberté de navigation et de la libre circulation du pétrole
dans le Golfe. Ils se disaient inquiets de la menace que les attaques iraniennes faisaient peser sur
des marins, des navires et des biens américains. Ils indiquaient sans équivoque que leurs navires
étaient neutres et ne représentaient aucun danger pour l’Iran. Ils exhortaient l’Iran à mettre fin à
ses attaques.
- 19 -
24.39. Mais, comme la Cour ne le sait à présent que trop, l’action diplomatique des
Etats-Unis n’a pas mis fin aux attaques iraniennes; et, finalement, ces attaques rendirent nécessaire
l’intervention américaine contre les plates-formes pétrolières.
Les plates-formes pétrolières étaient utilisées à des fins militaires offensives
24.40. J’en viens maintenant, Monsieur le président, au rôle des plates-formes dans les
attaques lancées par l’Iran contre des navires neutres, notamment américains. Dans sa réplique,
l’Iran a répété lundi à la Cour en termes catégoriques que ses plates-formes pétrolières étaient
utilisées à des fins exclusivement commerciales et ne prenaient aucune part aux opérations
militaires offensives (CR 2003/16, p. 26). Ces déclarations sont inexactes, et elles sont contredites
par le poids des éléments de preuve produits par les Etats-Unis en l’espèce.
24.41. Comme cette question est importante, je vais rappeler en quoi consistent ces éléments
de preuve sans entrer dans le détail. Il y a les témoignages de personnes qui virent les hélicoptères
décoller de la plate-forme de Rostam et attaquer les navires à bord desquels elles se trouvaient. Il y
a également des données émanant de services d’information maritime fiables, tels que
l’Association internationale des armateurs indépendants de pétroliers («INTERTANKO») et le
Jane’s Defence Weekly, qui font tous deux état d’au moins quatorze attaques lancées par l’Iran
contre des navires neutres, au moyen d’hélicoptères, depuis la plate-forme de Rostam. Il y a les
informations rapportées par le General Council of British Shipping et la Norwegian Shipowners
Association [association des armateurs norvégiens] qui renseignent sur la façon dont les
plates-formes de Rostam, de Sirri et de Sassan sont utilisées pour lancer des attaques contre des
navires neutres. Il y a enfin les analyses de certaines compagnies de transports maritimes qui
concluent à l’utilisation par l’Iran de ses plates-formes pour attaquer des navires et qui prennent la
décision onéreuse de modifier l’itinéraire suivi par leurs navires dans le Golfe, afin qu’ils croisent à
une distance aussi éloignée que possible des trois plates-formes iraniennes. Il ressort clairement de
l’ensemble de ces éléments que, sur la vocation exclusivement commerciale de ses plates-formes,
l’Iran raconte à la Cour une histoire mensongère (CR 2003/10, par. 10.6-10.16).
- 20 -
24.42. Parmi ces éléments de preuve figurent encore les propres documents, communications
et dossiers militaires de l’Iran ¾ qui, tous, confirment que les plates-formes étaient utilisées à des
fins militaires. Ces documents révèlent que les plates-formes faisaient partie du groupe
d’intervention mixte opérationnel côtier 1 des forces navales iraniennes. Ils révèlent que les
plates-formes étaient chargées de recueillir des renseignements sur les mouvements de tous les
navires étrangers transitant par le Golfe et de transmettre ces informations aux autorités militaires
iraniennes. Ils révèlent que les plates-formes étaient en communication avec l’armée iranienne. Ils
révèlent que les plates-formes surveillaient les déplacements des navires commerciaux américains
croisant dans le Golfe, y compris ceux du Sea Isle City, pétrolier battant pavillon des Etats-Unis, et
qu’elles en rendaient compte à l’armée iranienne. Les documents révèlent également que l’Iran a
cherché à dissimuler le rôle militaire joué par ses plates-formes en demandant aux membres de son
personnel militaire de ne pas se présenter en uniforme et de se faire passer pour des employés de
compagnie pétrolière (CR 2003/10, par. 10.17-10.33).
24.43. Le nombre d’attaques iraniennes qui eurent lieu dans les environs immédiats des
plates-formes vient également confirmer que l’Iran s’en servait à des fins militaires offensives (voir
dossier d’audience, livre II, onglet no B5).
24.44. En dépit de l’ingéniosité dont fit preuve l’Iran pour dissimuler les faits, le monde ne
fut pas dupe, à l’époque, des allégations par lesquelles il affirmait que les plates-formes pétrolières
étaient exclusivement destinées à des fins commerciales. De même la Cour ne s’en laissera-t-elle
pas accroire aujourd’hui, parce que les éléments de preuve ne laissent pas l’ombre d’un doute sur le
fait que l’Iran utilisait ses plates-formes aux fins d’attaquer des navires.
L’action menée en avril 1988 par les Etats-Unis était nécessaire
24.45. Je voudrais à présent revenir sur un des arguments que le conseil de l’Iran a proposé à
nouveau lundi dernier. Le conseil de l’Iran a de nouveau dit qu’il faut rejeter l’explication que
donnent les Etats-Unis de l’action qu’ils menèrent contre les plates-formes de Sassan et de Sirri
le 18 avril 1988 au motif que lesdites actions ont coïncidé avec une offensive iraquienne contre
- 21 -
l’Iran et que, selon la lecture que le conseil de l’Iran fait d’un article rédigé par une personne qui
s’est trouvée au cœur des événements, les plates-formes «n’étaient pas la principale cible visée par
les Etats-Unis» (CR 2003/15, p. 39-40).
24.46. Le principal argument de l’Iran semble consister à affirmer que, puisqu’elle coïncidait
avec une offensive iraquienne majeure, l’action menée contre Sassan et Sirri devait être destinée à
soutenir l’effort de guerre iraquien et non à protéger les intérêts vitaux des Etats-Unis en matière de
sécurité (CR 2003/15, p. 39). Cet argument ne repose que sur des conjectures, conjectures qui ne
cadrent pas avec les faits. Pourquoi les Etats-Unis sont-ils intervenus le 18 avril 1988 ? Il est
manifeste que leur opération fut motivée par des événements sans aucun rapport avec l’effort de
guerre iraquien. Je tiens à relever qu’il n’a été fait état d’aucune opération iraquienne notable,
fût-elle offensive ou défensive, à l’époque de la première action américaine, le 19 octobre 1987.
En revanche, ce que les événements du 19 octobre et du 18 avril ont en commun, c’est d’avoir été,
l’un et l’autre, précédés par une attaque iranienne contre un navire américain et, plus précisément,
contre un navire prenant part aux efforts déployés par les Etats-Unis en vue de protéger les navires
neutres dans le Golfe. Ce sont ces attaques qui rendirent nécessaire la réaction des Etats-Unis
contre les plates-formes (CR 2003/10, p. 43-47).
24.47. L’Iran demande également à la Cour de rejeter l’explication que donnent les
Etats-Unis de leur action militaire du 18 avril au motif que les plates-formes de Sirri et Sassan
n’auraient pas été les cibles visées et qu’en conséquence, cette action ne pouvait être nécessaire à la
protection de leurs intérêts vitaux en matière de sécurité (CR 2003/15, p. 39-40). L’Iran fonde cet
argument exclusivement sur un article du capitaine J. B. Perkins III (annexe 132).
24.48. La phrase citée par l’Iran est projetée à l’écran et figure sous l’onglet no
5 du dossier
d’audience. L’Iran insiste beaucoup sur la lecture qu’il donne de cette phrase. Il y a deux manières
d’interpréter cette proposition ¾ qui est tirée de l’article, et non de l’ordre lui-même. D’après
l’une des interprétations ¾ c’est celle de l’Iran ¾ la dernière clause ¾ «s’il n’était pas possible de
couler un navire» ¾ renvoie à l’ensemble des plates-formes citées dans la phrase; d’après l’autre
interprétation, cette dernière clause renvoie uniquement à la plate-forme de Rahkish, indication qui
précède immédiatement ladite clause. Pour diverses raisons, c’est cette seconde interprétation qu’il
y a lieu de retenir.
- 22 -
24.49. Tout d’abord, si l’opération des Etats-Unis n’avait requis pour être menée à bien que
le naufrage du Sabalan, le capitaine Perkins n’aurait pas prêté aux opérations des objectifs
multiples ¾ en usant du pluriel.
24.50. Ensuite, le capitaine Perkins explique dans son article que plusieurs groupes de
navires étaient affectés à chacune des trois cibles initiales, le Sabalan, Sassan et Sirri ¾ ce qui
n’aurait pas été le cas si les plates-formes de Sassan et de Sirri n’avaient été que des cibles de
substitution. En outre, les trois groupes commencèrent leurs opérations au même moment. Si l’on
suit la thèse de l’Iran, deux de ces groupes agissaient en violation des ordres reçus puisqu’ils
auraient dû attendre de savoir si l’on trouvait le Sabalan avant d’intervenir contre les plates-formes.
Or, il n’en est rien.
24.51. L’interprétation de l’Iran ne cadre pas non plus avec un article dont les auteurs prirent
également part à l’opération menée par les Etats-Unis contre les plates-formes. Dans cet article, le
capitaine de vaisseau Bud Langston et le capitaine de corvette Don Bringle indiquent que les divers
aéronefs militaires américains s’étaient vu confier une mission d’appui aux unités navales
américaines «pour soutenir l’action de surface initiale menée contre les plates-formes pétrolières
iraniennes dans le golfe Persique et en vue de couler un important navire de guerre iranien»
(annexe 133, p. 54).
24.52. En résumé, l’interprétation qu’il convient de donner à l’article du capitaine Perkins est
celle que corroborent les déclarations du vice-amiral Less (annexe 48) et du général Crist
(annexe 44), ainsi que celles du capitaine de vaisseau Langston et du capitaine de corvette Bringle
¾ à savoir que les plates-formes furent d’emblée les cibles désignées des opérations américaines.
24.53. Le conseil de l’Iran laisse également entendre que l’explication que les Etats-Unis
donnent de leur action du 18 avril 1988 ne cadre pas non plus avec le fait que le Sabalan ne fut
pas ¾ tant s’en faut ¾ le seul navire endommagé ce jour-là. Toutefois, les forces des Etats-Unis
n’ouvrirent le feu sur d’autres bâtiments iraniens qu’après que ceux-ci s’en furent pris à des unités
navales ou aériennes militaires et civiles américaines (annexe 132, p. 69-70; déclaration du
vice-amiral Less, annexe 48, par. 19; déclaration du général Crist, annexe 44, par. 18; service
national de Téhéran (en langue persane), 16 h 30 TU, 18 avril 1988, FBIS LD181719).
- 23 -
24.54. Avant d’en finir avec cette question, je voudrais parler d’un dernier point. L’Iran n’a
eu de cesse de citer le secrétaire à la défense Weinberger qui a dit que «près de la moitié de la
marine iranienne» avait été détruite par les forces américaines le 18 avril 1988. Avant lundi
dernier, les Etats-Unis ne croyaient pas que l’Iran cherchait, en ressassant cette phrase, à faire
accroire à la Cour que cette déclaration de M. Weinberger était plus qu’une formule de pure
rhétorique. L’Iran n’a fourni aucun élément de preuve dont il ressortirait effectivement qu’au total,
les actions menées par les Etats-Unis le 18 avril 1988 auraient frappé une proportion un tant soit
peu importante ¾ mais certainement pas 50 % ! ¾ de ses unités navales. Pourtant, le conseil de
l’Iran a affirmé par deux fois au moins, lundi dernier, que les Etats-Unis avaient effectivement
détruit «la moitié de la marine iranienne», omettant même d’employer la locution «près de» utilisée
par Weinberger (CR 2003/15, p. 41; CR 2003/16, p. 29). Nous avons vérifié. Selon l’édition de
1989-1990 du Jane’s Fighting Ships ¾ source accessible au public qui fournit des statistiques pour
l’année 1988 ¾, la marine iranienne comptait alors environ deux cent cinquante navires, allant du
sous-marin au patrouilleur côtier en passant par des contre-torpilleurs et des frégates. A l’évidence,
il est aberrant d’assimiler le naufrage de trois navires et la mise hors d’état de nuire d’un autre
bâtiment à la destruction de la moitié de la flotte iranienne. Et, en tout état de cause, cette
assimilation est dépourvue de pertinence en l’espèce.
Conclusion
24.55. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la Cour ne doit pas se laisser
abuser par l’Iran. Les tentatives par lesquelles l’Iran cherche à se dédouaner de toute responsabilité
à l’égard des attaques menées systématiquement contre les navires neutres, notamment américains,
dans le Golfe sont vouées à l’échec. Le conseil de l’Iran lui-même ne souscrit pas à la version
iranienne des faits. Permettez-moi de vous lire ce qu’écrit M. Momtaz dans un ouvrage intitulé The
Iran-Iraq War (1980-1988) and the Law of Naval Warfare, publié en 1993 ¾ le passage apparaît à
présent sur votre écran et figure également sous l’onglet no
6 du dossier d’audience :
«Cherchant à tarir les principales sources de revenus de l’Iran et à le contraindre
à accepter ses propositions de paix, l’Iraq attaqua des pétroliers qui se dirigeaient vers
des terminaux iraniens ou en revenaient. L’Iran fut obligé de réagir en attaquant des
navires neutres, perturbant ainsi les exportations de pétrole d’autres pays dans
l’ensemble du golfe Persique. L’Iran invoquait alors le principe de l’indivisibilité de
- 24 -
la sécurité dans le golfe Persique pour justifier ses actes. De fait, les avocats de cette
nouvelle politique, dépourvue de tout fondement juridique, nourrissaient l’espoir que
les victimes finiraient par faire pression sur l’Iraq pour qu’il mette un terme à ses
attaques.» (P. 63; les italiques sont de nous.) [Traduction du Greffe.]
24.56. Monsieur le président, l’opinion de M. Momtaz qui se dégage de ce passage cadre
avec les nombreuses preuves que je viens de passer en revue. L’Iran a mené une campagne
d’attaques brutale dans le Golfe contre des navires neutres, notamment américains. Les Etats-Unis
se sont abstenus de recourir à la force et ont résolument cherché à mettre fin à ces attaques par la
voie diplomatique, mais en pure perte. L’Organisation des Nations Unies, la Ligue arabe et de
nombreux autres pays s’associèrent à leurs efforts, également en vain. Les attaques de l’Iran ne
firent que persister et s’intensifier. Ces attaques conduisirent les Etats-Unis à intervenir
militairement contre les plates-formes pétrolières, lesquelles étaient utilisées de manière flagrante
aux fins des attaques iraniennes.
24.57. Telle est la véritable histoire ¾ la seule qui concorde avec les éléments de preuve
produits devant la Cour.
24.58. Monsieur le président, M. Murphy parlera après moi, mais vous souhaiterez peut-être
prendre la pause maintenant puisque son exposé sera le dernier de la matinée. Je vous remercie,
Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Bettauer. Je pense qu’il est temps de faire la
pause, après quoi je donnerai la parole à M. Murphy. L’audience est suspendue pour
quinze minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 15 à 11 h 30.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne maintenant la parole à M. Murphy.
M. MURPHY : Je vous remercie, Monsieur le président.
25. APPLICATION AUX FAITS DE L’ARTICLE X DU TRAITE DE 1955 AU REGARD DE LA DEMANDE
DE L’IRAN ET DE LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DES ETATS-UNIS
25.1. Monsieur le président, les Etats-Unis ont écouté attentivement les plaidoiries du
Gouvernement de l’Iran concernant l’application du paragraphe 1 de l’article X aux faits de
l’espèce, tant à l’égard de la demande de l’Iran que de la demande reconventionnelle. Les
- 25 -
Etats-Unis estiment qu’aucun des arguments avancés par le Gouvernement de l’Iran n’ébranle la
position des Etats-Unis (voir CR 2003/11, p. 35-60; CR 2003/13, p. 10-44). En réalité, si tant est
que l’argumentation iranienne ait un effet quelconque, elle étaye la thèse des Etats-Unis.
25.2. Mon exposé comprendra quatre parties. Premièrement, je parlerai des points sur
lesquels les Parties se rejoignent aux fins de l’interprétation du paragraphe 1 de l’article X.
Deuxièmement, j’appliquerai systématiquement ces plages d’accord à la demande de l’Iran et à la
demande reconventionnelle des Etats-Unis; j’expliquerai à cette occasion pourquoi la demande de
l’Iran ne doit pas aboutir et pourquoi la demande reconventionnelle doit être accueillie.
Troisièmement, j’examinerai différentes questions soulevées par l’Iran lundi dernier à l’appui de la
demande qu’il fonde sur l’article X. Enfin, j’examinerai différents arguments avancés par l’Iran
vendredi dernier contre la demande reconventionnelle des Etats-Unis.
I. Comment les Parties interprètent le paragraphe 1 de l’article X
25.3. J’en viens à la première partie de mon exposé. Monsieur le président, les deux Parties
sont fort heureusement d’accord sur des aspects fondamentaux de l’interprétation qu’il faut donner
du paragraphe 1 de l’article X.
25.4. Premièrement, les Parties s’accordent à dire que la Cour doit constater l’existence d’un
«commerce» précis, ou celle d’un «commerce et [d’une] navigation» précis, dont la «liberté»
n’aura pas été respectée par la Partie adverse (CR 2003/11, p. 36-37, par. 15.6-15.12; CR 2003/13,
p. 24-28; CR 2003/14, p. 45, par. 3). En effet, les Parties admettent l’une et l’autre que parler du
commerce et de la navigation ne doit pas renvoyer au commerce et à la navigation en un sens
abstrait mais à un commerce et à une navigation qui existent effectivement et qui doivent par
conséquent pouvoir se rattacher à certaines activités déterminées de commerce ou de navigation
(CR 2003/11, p. 36, par. 15.11; CR 2003/14, p. 51, par. 17; p. 53, par. 20). La Cour a également
fait sienne cette idée dans son arrêt de 1996 (par. 50 et 51; elle a anticipé une décision sur le fond
portant sur la question de savoir «dans quelle mesure la destruction des plates-formes pétrolières
iraniennes a eu des conséquences sur l’exportation du pétrole iranien»; les italiques sont de nous).
- 26 -
25.5. Par conséquent, sous l’angle de la demande de l’Iran, la Cour doit s’intéresser à la
question de savoir s’il existait un commerce à partir des trois plates-formes pétrolières dont la
liberté aurait été entravée par les actes des Etats-Unis. Sous l’angle de la demande
reconventionnelle des Etats-Unis, la Cour devra se demander si des bâtiments neutres se livraient à
un commerce et à une navigation dont la liberté aurait été entravée par les mines, les missiles, les
canonnières et les attaques menées par l’Iran dans le golfe Persique, le détroit d’Ormuz et le
golfe d’Oman.
25.6. Deuxièmement, les Parties s’accordent à dire que, pour déterminer s’il y a eu entrave
au «commerce» au sens du paragraphe 1 de l’article X, la Cour doit principalement examiner s’il y
a eu : premièrement, un acte emportant destruction de biens destinés à être exportés;
deuxièmement, un acte susceptible d’en affecter le transport; ou troisièmement, un acte susceptible
d’en affecter le stockage en vue de l’exportation (CR 2003/11, p. 36-37, par. 15.10-15.12;
CR 2003/15, p. 44, par. 5).
25.7. Troisièmement, les Parties estiment toutes deux que la Cour doit constater qu’il y avait
véritablement commerce et navigation «entre les territoires» (CR 2003/11, p. 39-41; CR 2003/13,
p. 28-31; CR 2003/14, p. 45, par. 3; p. 50, par. 13). Comme le conseil de l’Iran l’a fort justement
fait remarquer, «le paragraphe 1 de l’article X ne garantit pas la liberté de commerce ni de
navigation en général … mais la liberté de commerce et de navigation au niveau bilatéral entre les
territoires des [deux] parties» (CR 2003/14, p. 47, par. 6).
25.8. Quatrièmement, les Parties sont généralement d’accord sur ce que signifie le commerce
«entre les territoires» des deux Etats. L’Iran et les Etats-Unis s’accordent à dire que cette
disposition sous-entend le déplacement d’un produit d’un pays à l’autre (CR 2003/11, p. 40;
CR 2003/15, p. 46) («le produit concerné … doit partir du territoire de l’une des Parties … pour
être acheminé vers l’autre»). L’Iran a en outre précisé lundi que le produit peut soit être transporté
directement d’un Etat à l’autre, soit transiter par un ou plusieurs Etats tiers (CR 2003/15, p. 47,
par. 14). Même si l’on accepte l’explication que donne l’Iran au sujet du transit, il en ressort
clairement que c’est le même produit qui doit être expédié d’un territoire et arriver en fin de compte
sur l’autre territoire.
- 27 -
25.9. Cinquièmement, les Parties sont d’accord sur le fait que la Cour n’a pour l’instant pris
aucune décision sur ces points en l’affaire. C’est-à-dire que, comme M. Pellet l’a noté, la Cour n’a
pas décidé en 1996 si, en fait, les attaques américaines contre les plates-formes ont effectivement
entravé le commerce entre l’Iran et les Etats-Unis (CR 2003/15, p. 44; voir le CR 2003/11, p. 37,
par. 15.12), tout comme la Cour en 1998 n’a pas décidé, en fait, si les attaques iraniennes contre
des navires neutres ont effectivement entravé le commerce ou la navigation entre l’Iran et les
Etats-Unis. C’est sur ces points que la Cour doit statuer à présent.
25.10. Enfin, les Parties estiment toutes deux qu’il incombe à chacune d’elles la charge de
prouver que le commerce ou la navigation sur lesquels sa demande est fondée ont été entravés entre
les territoires des deux Etats (CR 2003/11, p. 11-12, par. 12.13; CR 2003/14, p. 44-45, par. 2). Si
finalement l’une des Parties ou bien les deux ne parviennent pas à présenter à la Cour des preuves
suffisant à établir que le commerce ou la navigation ont véritablement été entravés entre les
territoires de l’Iran et des Etats-Unis, la Cour doit rejeter la demande.
II. Quand cette analyse est appliquée systématiquement, la demande de l’Iran
échoue et la demande reconventionnelle aboutit
25.11. J’en viens à la deuxième partie de mon exposé. Bien que d’accord sur ces aspects
essentiels du paragraphe 1 de l’article X et sur la charge de la preuve, les Parties sont évidemment
en désaccord sur la façon dont la Cour doit appliquer le paragraphe 1 de l’article X aux faits de
l’espèce. Selon nous, une application systématique du droit aux faits invoqués par l’Iran et par les
Etats-Unis doit amener la Cour à adopter les conclusions suivantes.
25.12. En ce qui concerne sa demande, l’Iran n’a pas démontré précisément qu’il existait
véritablement un commerce de pétrole brut iranien à partir des trois plates-formes pétrolières en
question vers les Etats-Unis à l’époque des attaques américaines contre elles ou par la suite. Ou
bien les plates-formes (celles de Rostam et de Sassan) n’étaient pas en service — je dis bien
n’étaient pas en service— au moment des attaques, ou bien les plates-formes (celles de Sirri et de
Sassan) ont été attaquées alors qu’avait été décrété un embargo sur l’exportation de pétrole brut
d’origine iranienne à destination des Etats-Unis (CR 2003/11, p. 41-44, par. 15.27-15.38). Par
conséquent, il était impossible que l’action américaine dirigée contre les plates-formes porte
atteinte au commerce du pétrole entre les territoires des deux Etats, puisque ce commerce n’existait
- 28 -
pas. En outre, l’Iran n’a pas démontré que les attaques américaines avaient effectivement porté la
moindre atteinte à un quelconque «commerce» assuré par les plates-formes iraniennes, puisque
lesdites plates-formes ne produisaient pas elles-mêmes de bien susceptible d’être immédiatement
exporté et que les attaques n’ont visé ni les moyens de transport ni les moyens de stockage de biens
destinés à l’exportation (CR 2003/11, p. 37-39, par. 15.13-15.18).
25.13. A l’inverse, les Etats-Unis ont démontré qu’il existait effectivement et activement un
commerce d’exportation et d’importation de produits autres que le pétrole entre les territoires des
deux Etats tout au long de la période pertinente, et qu’une partie non négligeable de ce commerce
se faisait par la voie maritime ¾ l’Iran n’a pas contesté ces faits (voir les annexes 139-140,
p. 164-165). Les preuves qui vous sont présentées montrent par exemple qu’en 1988, les
Etats-Unis ont exporté vers l’Iran des engrais et du matériel associé pour une valeur de
50,7 millions de dollars et que ces produits ont tous été transportés des Etats-Unis vers l’Iran par
bateau (voir l’annexe 165, p. 789). La même année, les Etats-Unis ont importé d’Iran pour une
valeur de 1,7 million de dollars des fruits frais et secs qui pour l’essentiel ont été transportés d’Iran
aux Etats-Unis par bateau (voir l’annexe 39, p. 552). En outre, les Etats-Unis ont démontré que les
bâtiments naviguant depuis des ports ou les eaux territoriales des Etats-Unis jusqu’aux ports ou aux
eaux territoriales d’Iran étaient manifestement menacés par les actes de l’Iran, même s’ils ne
traversaient les eaux territoriales iraniennes que pour un passage inoffensif avant de gagner une
autre destination (CR 2003/13, p. 28-29, par. 21.18-21.20). Ainsi, les preuves montrent qu’il
existait bien entre les territoires des deux Etats un commerce et une navigation auxquels les
attaques iraniennes contre la navigation maritime pouvaient porter atteinte. Et, comme je
l’expliquerai brièvement tout à l’heure, les éléments de preuve dont nous disposons démontrent que
ce commerce et cette navigation ont effectivement été entravés.
25.14. Avant d’examiner de plus près les observations de l’Iran sur la demande et la
demande reconventionnelle au regard de l’article X, je dois formuler des observations générales sur
deux points évoqués par le conseil de l’Iran vendredi dernier. Tout d’abord, les Etats-Unis ne
soutiennent pas que du pétrole iranien partait vers des Etats tiers puis, à un moment donné, arrivait
aux Etats-Unis (CR 2003/14, p. 49, par. 13). Les Etats-Unis estiment qu’aucun produit susceptible
de passer pour un produit pétrolier iranien n’est jamais entré aux Etats-Unis pendant la période
- 29 -
pertinente, ce qui signifie qu’il n’existait pas de commerce du pétrole entre les deux Etats. Ensuite,
en ce qui concerne la demande reconventionnelle, nous n’affirmons pas que le paragraphe 1 de
l’article X prévoit une liberté générale de commerce et de navigation «indépendamment de la
destination des navires ou de leur cargaison» (CR 2003/14, p. 50, par. 13). Les preuves dont
disposent les Etats-Unis démontrent en réalité qu’il existait une navigation et un commerce actifs
directement entre les deux Etats : cela ressort de statistiques détaillées et des rapports de
compagnies maritimes établis au cours de la période pertinente.
III Les actions des Etats-Unis n’ont pu entraver aucun commerce de pétrole brut
iranien entre les trois plates-formes et les Etats-Unis
A. L’exportation de pétrole brut iranien n’a pas été concrètement entravée
25.15. J’en viens à la troisième partie de mon exposé qui portera sur certains arguments
particuliers avancés par l’Iran au sujet de sa demande fondée sur l’article X du traité de 1955. Les
Etats-Unis sont notamment frappés par le fait que l’interprétation que retient l’Iran du paragraphe 1
de l’article X au regard de la demande reconventionnelle compromet totalement sa propre
demande.
25.16. Le conseil de l’Iran a par exemple expliqué que :
«dans le contexte d’une garantie générale de liberté comme celle qui ressort du
paragraphe 1 de l’article X, il est nécessaire d’identifier une atteinte concrète ou un
obstacle concret au commerce ou à la navigation protégés avant que la responsabilité
ne soit engagée. Il ne suffit pas de formuler une allégation générale, qui n’est pas
étayée par un cas véritable d’atteinte au commerce maritime protégé.» (CR 2003/14,
p. 51, par. 17.)
Lorsqu’ils examinent la demande reconventionnelle, les conseils de l’Iran se demandent
principalement à cette fin si des navires précis transportant des cargaisons précises se déplaçaient
entre l’Iran et les Etats-Unis (CR 2003/14, p. 16-22).
25.17. Mais quelle «atteinte concrète» ou «obstacle concret» au commerce protégé fonde la
demande de l’Iran ? Comme nous l’avons démontré au premier tour, les attaques contre les
plates-formes n’ont détruit aucun bien destiné à l’exportation. Ces attaques n’ont eu aucun effet
sur les moyens de transport ou de stockage desdits biens (CR 2003/11, p. 37-38, par. 15.14-15.18).
Le conseil de l’Iran a répondu lundi que notre argument reposait sur un postulat erroné, que nous
ne nous occupions pas de savoir si le produit était susceptible d’être exporté (CR 2003/15, p. 44-45,
- 30 -
par. 7-8 («susceptible d’être exporté»). Or, c’est précisément ce que nous voulons dire : le pétrole
extrait des plates-formes n’était pas ¾ n’était pas ¾ susceptible d’être exporté; il devait subir
différents traitements sur le territoire iranien avant de devenir un produit différent; ce n’était que ce
produit différent qui était alors susceptible d’être exporté. Les actions des Etats-Unis n’ont donc
pas concrètement constitué une entrave au commerce protégé. M. Pellet tente d’étendre la notion
de «produit susceptible d’être exporté» à tous les éléments qui entrent dans la production du bien.
Selon son analyse, des cisailles cassées sont bien protégées par l’article X (voir le CR 2003/11,
p. 39, par. 15.18), parce que ces cisailles pourraient un jour être réparées, servir à tondre les
moutons dont la laine pourrait être transformée en tapis, lequel pourrait être exporté, cette
exportation pouvant se faire en direction des Etats-Unis. Mais la Cour ne devrait pas faire une
interprétation si large de l’article X.
25.18. Le conseil de l’Iran a également affirmé lundi qu’en attaquant la partie supérieure des
plates-formes, les Etats-Unis avaient rendu impossible le transport de pétrole du gisement
jusqu’aux îles de Lavan et de Sirri par oléoduc sous-marin (CR 2003/15, p. 40, par. 35; p. 45-46).
Or, un élément de preuve présenté à la Cour qui émane d’un ingénieur connaissant bien les
plates-formes pétrolières offshore iraniennes indique le contraire et n’est pas contesté. Cet élément
de preuve ¾ qui n’a pas pu échapper à l’Iran puisque nous l’avons également reproduit dans le
dossier d’audience du premier tour ¾ montre que les attaques lancées contre la partie supérieure
des plates-formes «n’empêchaient pas l’Iran d’utiliser l’oléoduc sous-marin relié à ces
plates-formes pour transporter» le pétrole extrait (annexe 212, par. 16). Les conseils de l’Iran se
contentent de répondre à cela en exprimant leur propre opinion qui, si elle est toujours intéressante,
n’en constitue pas pour autant un élément de preuve. Ainsi, même si l’on considère que le pétrole
extrait des plates-formes est un bien exportable, rien ne justifie de dire que les attaques contre la
partie supérieure des plates-formes ont constitué une entrave concrète aux flux pétroliers.
25.19. En outre, puisque les plates-formes de Rostam et de Sassan ne fonctionnaient pas, leur
attaque n’a pu en aucune façon constituer une «entrave concrète» ou un «obstacle concret» au
commerce, sans parler du commerce avec les Etats-Unis. La plate-forme de Sirri, elle,
fonctionnait, mais ne se livrait à aucun commerce avec les Etats-Unis en raison de l’embargo sur le
pétrole imposé par cet Etat; par conséquent, l’attaque contre cette plate-forme n’a pas non plus
- 31 -
constitué un «obstacle concret» ou une «entrave concrète» au commerce avec les Etats-Unis.
L’Iran insiste toujours beaucoup sur l’histoire générale de l’exportation du pétrole iranien en
direction des Etats-Unis, mais il n’a aucunement démontré que du pétrole brut provenant de ces
plates-formes ait jamais été transporté par navire ou par un autre moyen vers les Etats-Unis.
B. Soit les plates-formes étaient hors d’usage, soit l’embargo américain les empêchait de
produire des biens à exporter aux Etats-Unis
25.20. Le conseil de l’Iran a aussi répété lundi que les plates-formes de Rostam et de Sassan
étaient sur le point d’être réparées, car c’est ce que confirmait «un rapport de travail de l’époque et
des déclarations sur la foi du serment du personnel de la NIOC qui était effectivement présent sur
les plates-formes et en avait la charge au moment des attaques» (CR 2003/15, p. 32, par. 23; voir
aussi CR 2003/15, p. 49-50). Or, Monsieur le président, cela est tout bonnement faux. Aucune des
deux déclarations sous serment produites par l’Iran concernant l’achèvement prétendument
imminent des réparations n’a été faite par une personne qui se trouvait sur ces plates-formes, et
encore moins par une personne qui s’y trouvait à l’époque des attaques (voir réplique, vol. IV,
dépositions de MM. Hassani et Sehat). Quant au «rapport de travail de l’époque» joint aux deux
déclarations, il nous est difficile de savoir s’il était «de l’époque» ou non puisqu’il n’est pas daté.
Peut-être est-ce là un rapport de travail, mais apparemment il s’agit simplement d’un calendrier de
réparations ne correspondant pas à une date précise de reprise de la production de pétrole.
25.21. L’Iran veut donc nous faire croire que ces plates-formes-là allaient justement être
opérationnelles au moment où les Etats-Unis ont lancé leurs attaques, en s’appuyant non pas sur
des pièces justificatives sérieuses datant d’octobre 1987 ou d’avril 1988, mais sur deux déclarations
sous serment datant de près d’une douzaine d’années après les faits, datant de 1999, pour les
besoins du présent litige. Les preuves produites par l’Iran sont insuffisantes pour que la Cour
puisse se prononcer, et il est absurde que l’Iran cherche ainsi à éluder la charge de la preuve en
soutenant que les Etats-Unis n’ont pas produit de rapports des services de renseignement pour
prouver que quelque chose n’existe pas.
25.22. L’Iran a également évoqué lundi l’élément de fait que constitue l’embargo des
Etats-Unis sur le pétrole. L’Iran convient que la Cour ne saurait se prononcer sur la licéité de cet
embargo, du moins en ce que la Cour l’évoquerait dans le dispositif de son arrêt (CR 2003/15,
- 32 -
p. 50-52). L’Iran semble convenir en outre que l’embargo des Etats-Unis est bien un fait, un fait
dont la Cour peut tenir compte en prenant sa décision (ibid., p. 52, par. 26). Pour bien poser le
problème, imaginons le scénario suivant. Supposons que les Etats-Unis imposent en 1980, au
début de la guerre Iran/Iraq, un embargo aux deux pays, l’Iran et l’Iraq. Supposons que les
Etats-Unis maintiennent ensuite cet embargo jusqu’à aujourd’hui. Dans cette hypothèse, l’action
menée par les Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières iraniennes en 1987 et 1988 ne pourrait
être considérée comme une violation du paragraphe 1 de l’article X puisque, de fait, il n’y a entre
les deux Etats aucun commerce auquel l’action aurait pu porter atteinte. Tel serait alors forcément
le cas, vu la manière dont les Parties s’accordent à interpréter le paragraphe 1 de l’article X ¾ un
point que j’ai déjà examiné. Ce commerce de pétrole n’aurait tout simplement pas d’existence dans
les faits. L’Iran pourrait alors tenter de contester la licéité de l’embargo des Etats-Unis lui-même
au motif qu’il aurait porté atteinte à ce commerce, mais il faudrait alors examiner tous les éléments
de fait et de droit relatifs à l’imposition d’un embargo en réaction à la guerre Iran/Iraq, et non les
éléments de fait et de droit relatifs aux attaques des plates-formes.
25.23. Si l’on suit ce raisonnement en la présente espèce, la Cour doit constater l’existence
de l’embargo en tant qu’élément de fait, un embargo qui faisait obstacle au commerce de pétrole
entre les deux Etats pendant la période considérée. Cet élément de fait est précisément le type
d’information que la Cour n’avait pas à sa disposition en 1996 et dont elle doit tenir compte
pour déterminer «dans quelle mesure la destruction des plates-formes pétrolières iraniennes
a eu des conséquences sur l’exportation du pétrole iranien» (Plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 820, par. 51). Les Etats-Unis ne demandent pas à la Cour de se
prononcer sur la licéité ou l’illicéité de l’embargo : d’ailleurs, la Cour ne dispose pas des éléments
de fait et de droit à cette fin. En revanche, les Etats-Unis demandent à la Cour de considérer
l’embargo comme un élément de fait, conformément à sa jurisprudence antérieure (CR 2003/15,
p. 52, note de bas de page 67), et d’en tenir compte pour déterminer s’il a été effectivement porté
atteinte au commerce à partir des deux plates-formes. Les conseils de l’Iran peuvent bien qualifier
ce raisonnement de cynique, mais c’est la situation dans laquelle la Cour se trouve vu la demande
dont l’Iran l’a saisie.
- 33 -
25.24. L’Iran a dit également que l’embargo a été levé en «1990-1991» (CR 2003/6, p. 37,
par. 81) donnant à entendre qu’au moins à partir de cette époque il y avait un commerce de pétrole
entre l’Iran et les Etats-Unis. Or, cela est inexact. En 1991, les Etats-Unis ont décidé de prévoir
certaines exceptions à l’embargo limitées à certains besoins précis (Federal Register, vol. 56,
p. 11100, 15 mars 1991). Ces exceptions ont permis la délivrance au cas par cas d’un petit nombre
de permis d’importation de pétrole iranien, les revenus tirés des transactions étant déposés sur le
compte de sécurité créé par les accords d’Alger en vue de garantir le paiement des
dommages-intérêts que le Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran peut dans ses sentences
ordonner à l’Iran de verser aux Etats-Unis. Grâce à cette exception, l’Iran a pu s’acquitter
partiellement de son obligation, jusque-là non remplie, de reconstituer le compte de sécurité.
En 1991, l’embargo n’était donc pas levé et, de manière générale, le commerce de pétrole entre
l’Iran et les Etats-Unis n’avait pas repris. En outre, l’action des Etats-Unis n’a eu manifestement
aucun effet sur la capacité de l’Iran à produire le faible volume de pétrole correspondant aux
permis.
25.25. Comme le montrent les arguments avancés par l’Iran lundi, le seul moyen ¾ le
seul ¾ pour l’Iran de plaider que les attaques des plates-formes ont porté atteinte à un commerce
quelconque avec les Etats-Unis est de faire une «allégation [de caractère] général» portant sur un
vague commerce de pétrole ¾ ou sur la «liberté» de ce commerce de pétrole (voir CR 2003/15,
p. 47) ¾ à partir de ces plates-formes, précisément le type d’allégation générale qui, comme l’Iran
l’a dit vendredi, ne peut se défendre au titre du paragraphe 1 de l’article X (CR 2003/14, p. 51,
par. 17 : «[i]l ne suffit pas de formuler une allégation générale, qui n’est pas étayée par un cas
véritable d’atteinte au commerce maritime protégé»). L’allégation générale de l’Iran est double :
elle porte sur les exportations de pétrole brut iranien qui se dirigent vers l’Europe pour repartir
ensuite à destination des Etats-Unis et sur les éventuelles exportations futures de pétrole iranien
vers les Etats-Unis. Permettez-moi d’examiner brièvement ces deux points l’un après l’autre.
- 34 -
C. L’Iran n’est pas parvenu à prouver que du pétrole iranien exporté pendant l’embargo
américain transitait par l’Europe pour gagner ensuite les Etats-Unis
25.26. Au cours du premier tour de plaidoirie, les Etats-Unis ont examiné en détail
l’allégation de caractère général émanant de l’Iran au sujet des exportations de pétrole brut iranien
se dirigeant vers l’Europe (CR 2003/11, p. 45-48, par. 15.44-15.56). Je ne répéterai pas ces
arguments aujourd’hui. Mais je constate bel et bien que l’un des conseils de l’Iran a dit lui-même à
plusieurs reprises vendredi qu’un navire transportant une cargaison de pétrole qui ne pouvait pas
faire escale dans les ports des Etats-Unis avec cette cargaison ne faisait pas de commerce entre les
territoires de l’Iran et des Etats-Unis (CR 2003/14, p 18, par 29; p 19, par 32; p. 20, par 35; p 21,
par. 41). Or, à compter du 29 octobre 1987, les navires transportant du pétrole brut iranien vers
l’Europe ne pouvaient pas non plus faire escale dans les ports des Etats-Unis avec une telle
cargaison, et il ne pouvait plus être importé de pétrole iranien aux Etats-Unis à partir de pays tiers.
Par conséquent, quand on ajoute à cet élément de fait un autre élément de fait qui est que la
plate-forme de Rostam ne produisait pas une goutte de pétrole brut au moment où les Etats-Unis ont
mené leur action à son encontre, l’Iran a reconnu lui-même de facto qu’il n’y avait pas de
commerce de pétrole brut entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis à l’époque des attaques
américaines.
25.27. Un conseil de l’Iran a dit clairement et sans équivoque qu’un navire qui «transporte
des marchandises originaires d’Abu Dhabi aux Etats-Unis … ne se livre pas … à une activité
commerciale entre les territoires des Hautes Parties contractantes» (CR 2003/14, p. 46-47, par. 6).
Or, si tel est le cas, un navire parti d’Europe qui fait route vers les Etats-Unis avec, à son bord, des
marchandises d’origine européenne ne participe donc pas au commerce «entre les territoires» de
l’Iran et des Etats-Unis. Et si l’on suit la même logique, un navire qui part d’Iran pour l’Europe
avec, à son bord, des marchandises d’origine iranienne destinées à la vente en Europe ne participe
pas non plus au commerce «entre les territoires» de l’Iran et des Etats-Unis.
25.28. Nous avons établi que le pétrole brut d’origine iranienne n’a rien à voir avec les
produits pétroliers raffinés issus d’Europe : il ne s’agissait pas de produits d’origine iranienne qui
«transitaient» par l’Europe. Si l’expression «entre les territoires» veut dire que les biens doivent
soit être transportés directement d’un Etat à l’autre, soit «transiter» par des Etats tiers (voir
- 35 -
ci-dessus, par. 25.8), alors nous avons démontré que, dans le milieu international des affaires,
personne ne considérerait les importations aux Etats-Unis de produits pétroliers raffinés en
provenance d’Europe comme des importations de produits d’origine iranienne qui n’ont fait que
«transiter» par l’Europe (CR 2003/11, p. 47-48, par. 15.51-15.54). L’Iran n’a pas réagi à cet
argument. Il ne nous reste donc que la seule voix de l’expert en pétrole de l’Iran, qui nous dit que
le pétrole brut iranien est «dénationalisé» une fois qu’il est arrivé en Europe (réplique, vol. III,
rapport de M. Odell, p. 7-8). Bref, si l’on suit l’interprétation du paragraphe 1 de l’article X que
donne l’Iran lui-même, nous avons zéro commerce «entre les territoires» pour les navires partant
d’Iran pour l’Europe, et zéro commerce «entre les territoires» pour les navires partant d’Europe
vers les Etats-Unis. Peut-être existe-t-il quelque part une vieille chanson de carnaval qui dit :
«Deux fois zéro égale zéro, et ce sera toujours zéro !» (Voir CR 2003/7, p. 32, par. 10.)
25.29. Du reste, l’Iran a souligné vendredi que «[l]e traité dont il s’agit est bilatéral». La
question du commerce avec des Etats tiers ne se pose donc pas en l’espèce (CR 2003/14, p. 47,
par. 6). Si tel est le cas, les ventes de produits pétroliers raffinés opérées entre un vendeur
européen et un acheteur américain n’ont alors aucune pertinence aux fins du paragraphe 1 de
l’article X.
D. L’Iran ne saurait faire valoir une violation de l’article X en se fondant sur des
suppositions concernant l’avenir potentiel du commerce de pétrole
25.30. Les Etats-Unis ont déjà examiné en détail l’allégation de caractère général faite par
l’Iran au sujet des exportations potentielles de pétrole brut iranien aux Etats-Unis (CR 2003/11,
p. 48-52, par. 15.57-15.68; p. 54-57, par. 16.2-16.15). Je ne répéterai pas ces arguments
aujourd’hui, sauf pour répondre à ceux que l’Iran a formulés lundi. D’un côté, l’Iran dit que le
paragraphe 1 de l’article X «n’est pas [fondé] sur une réalité de l’instant; elle implique une faculté
pour l’avenir» (CR 2003/15, p. 47, par. 15 (Pellet)). De l’autre, l’Iran reconnaît qu’il faut trouver
un exemple d’atteinte concrète au commerce (ibid., p. 47-48, par. 16). Or les conseils de l’Iran ne
peuvent toujours pas faire état de la moindre transaction consistant à exporter à destination des
Etats-Unis du pétrole brut à partir de l’une ou l’autre de ces plates-formes à laquelle l’action menée
par les Etats-Unis contre lesdites plates-formes aurait porté atteinte. C’est simple : aucune pièce
justificative à cet effet n’a été versée au dossier. Pour reprendre ce que dit M. Crawford de la
- 36 -
demande reconventionnelle, l’Iran «[doit] être en mesure d’indiquer des cas précis d’entraves
précises aux libertés protégées par le paragraphe 1 de l’article X» (CR 2003/14, p. 53, par. 20).
Cela, l’Iran ne l’a pas fait. En outre, l’Iran «ne peut améliorer son cas en répétant sans cesse»
(ibid., par. 19), tranquillement, que les actions des Etats-Unis ont porté atteinte au libre commerce
entre l’Iran et les Etats-Unis. Bref, pour reprendre une nouvelle fois les termes de nos
contradicteurs, «[le] fait [que l’Iran] ne [parvienne] pas à identifier des cas précis de pertes ou de
dommages subis par ce commerce … laisse penser que [sa thèse] est dans son ensemble dépourvue
de fondement» (CR 2003/14, p. 52, par. 18). L’Iran n’ayant pas été en mesure d’apporter de
preuves détaillées montrant que les opérations menées par les Etats-Unis ont porté atteinte au
commerce du pétrole en provenance de ces plates-formes, la Cour doit là encore rejeter sa thèse
(voir Compétence en matière de pêcheries, C.I.J. Recueil 1974, p. 204, par. 76).
25.31. L’un des conseils de l’Iran a fait remarquer vendredi que la Cour ne peut se prononcer
que sur la base des informations qui lui sont soumises (CR 2003/14, p. 58, p. 32). Or, au vu des
informations dont elle dispose en l’espèce, l’Iran n’a pas établi à l’appui de sa thèse la moindre
violation du paragraphe 1 de l’article X pour ce qui est du commerce entre les Etats-Unis. Sur ce
point essentiel, la thèse de l’Iran doit être rejetée en bloc pour insuffisance de preuves. Pour
reprendre une nouvelle fois une formule heureuse de M. Crawford, à supposer même qu’un tel
commerce de pétrole brut «[aurait] pu exister», une décision établissant la responsabilité d’un Etat
ne saurait être fondée sur de simples suppositions (CR 2003/14, p. 58, par. 32).
25.32. Sa jurisprudence montre que la Cour peut très bien rejeter les demandes qui sont
fondées sur des suppositions ou qui sont loin des faits : on observera par exemple quelle position la
Cour a adoptée il y a déjà longtemps en l’affaire Ambatielos (Ambatielos, fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1953, p. 18 : «il ne suffit pas que le gouvernement qui présente la réclamation
établisse un rapport lointain entre les faits de la réclamation et le traité» [dont ce gouvernement
invoque la clause compromissoire]) ou bien on évoquera la décision plus récente d’une Chambre de
la Cour, celle rendue en 1989 en l’affaire ELSI (Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI), arrêt,
C.I.J. Recueil 1989, p. 62, par. 101 : certaines prétentions étaient alors «de l’ordre des pures
spéculations»). La jurisprudence du Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran va dans le même
sens : la position défendue avec succès devant cette juridiction par l’Iran lui-même ¾ à vrai dire, la
- 37 -
NIOC elle-même pour ce qui est du préjudice prétendument causé par des produits fabriqués avec
du pétrole brut iranien exporté ¾ est qu’il faut rejeter de telles demandes au motif que le droit se
refuse à remonter toute une suite d’événements au-delà d’un certain point (voir par exemple
Hoffland Honey Co. v. Nat’l Iranian Oil Co., sentence no
22-495-2, Iran-U.S. Cl. Trib. Rep., vol. 2,
p. 42 (26 janvier 1983); le Tribunal rejette en l’occurrence la réclamation qu’un ressortissant des
Etats-Unis présentait contre la NIOC pour le préjudice que lui auraient causé des produits
chimiques utilisés pour l’agriculture qui étaient fabriqués avec du pétrole brut iranien exporté).
E. Les plates-formes ne sauraient bénéficier de la protection offerte par l’article X puisque
l’Iran les a utilisées pour mener des offensives militaires
25.33. Il me reste deux points à examiner concernant les prétentions de l’Iran fondées sur
l’article X. Malgré les protestations iraniennes, les plates-formes pétrolières ¾ indépendamment
de la question de savoir si leur exploitation normale relevait du «commerce» ¾ servaient aussi en
réalité à appuyer une activité militaire offensive dirigée en permanence contre les intérêts des
Etats-Unis et ceux d’autres Etats. A supposer que les Etats-Unis aient établi ce point à la
satisfaction de la Cour, ces activités non commerciales ne sauraient être protégées par la clause du
paragraphe 1 de l’article X relative à la «liberté de commerce et de navigation» ni bénéficier de
ladite clause (voir CR 2003/11, p. 57-59).
25.34. Quant à la question de l’indemnisation de l’Iran, nous nous en tenons aux
observations que nous avons formulées pendant le premier tour (CR 2003/13, p. 43-44, par. 21.66).
Il me faut toutefois corriger certains propos tenus par l’agent de l’Iran lundi. M. Zahedin-Labbaf a
affirmé que certaines compagnies pétrolières américaines avaient invoqué le traité de 1955 afin
d’obtenir réparation devant le Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran du manque à gagner lié à
l’exploitation future des plates-formes dont il est précisément question en l’espèce (CR 2003/16,
p. 33-34, par. 4). Or, c’est tout simplement faux. Le Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran n’a
jamais, dans aucune affaire, accordé de dommages-intérêts au titre d’un manque à gagner lié à la
production de pétrole d’une plate-forme offshore. Il y a bien une affaire dans laquelle ce tribunal a
indemnisé un manque à gagner dû à une expropriation d’équipement pétrolier, mais même là, le
- 38 -
manque à gagner se limitait à une période de sept mois ayant pris fin le 1er mai 1981, soit plus de
six ans avant les opérations menées contre les trois plates-formes pétrolières (voir Sedco I, décision
n
o
309-129-3, Iran-U.S. Cl. Trib. Rep., vol. 2, p. 15, par. 86).
IV. Par ses attaques contre les navires neutres dans le Golfe,
l’Iran a violé le paragraphe 1 de l’article X
A. Compétence et recevabilité
25.35. Monsieur le président, si vous le voulez bien, je vais passer maintenant à la
quatrième partie de mon exposé, qui répondra à l’intervention que l’Iran a faite vendredi dernier sur
la demande reconventionnelle des Etats-Unis. Commençons par la compétence et la recevabilité :
les arguments avancés vendredi par l’Iran ne révèlent aucune faille dans la position des Etats-Unis,
à savoir que la Cour a réglé en 1998 la question de sa compétence à l’égard de leur demande
reconventionnelle ainsi que diverses questions relatives à sa recevabilité (voir CR 2003/13,
p. 10-17). Il est vrai que les Etats-Unis, dans des lettres antérieures à l’ordonnance de 1998,
avaient prié la Cour d’examiner uniquement le rapport de connexité entre la demande
reconventionnelle et la demande de l’Iran. Mais il est également vrai que l’Iran, dans ses propres
lettres à la Cour, a prié cette dernière d’examiner des questions de compétence et de recevabilité
plus étendues (voir les lettres de l’Iran en date du 2 et du 27 octobre 1997, et la demande de l’Iran
en date du 18 novembre 1997 tendant à ce que les Parties soient entendues au sujet de la demande
reconventionnelle des Etats-Unis en application du paragraphe 3 de l’article 80 du Règlement). En
fait, la Cour a effectivement tranché dans son ordonnance de 1998 la question de la compétence et
de la recevabilité (voir C.I.J. Recueil 1998, p. 204, par. 36, où la Cour affirme être «compétente
pour connaître de la demande reconventionnelle des Etats-Unis» et p. 206, par. 46, où la Cour
conclut que «la demande reconventionnelle présentée par les Etats-Unis dans leur contre-mémoire
est recevable comme telle et fait partie de l’instance en cours»). Les Etats-Unis estiment par
conséquent qu’aucune exception à la compétence de la Cour soulevée par l’Iran ne saurait être
réexaminée maintenant. A cet égard, nous souhaitons faire trois observations fondamentales.
25.36. Premièrement, l’Iran continue de donner à entendre que la demande reconventionnelle
est irrecevable au motif qu’un règlement pourrait encore être trouvé par voie de négociations. Pour
parler franchement, Monsieur le président, ce n’est pas là un argument sérieux. Nous avons déjà
- 39 -
fait le tour de cette question au cours des présentes audiences (CR 2003/13, p. 15-16,
par. 19.21-19.24). L’interprétation que donne l’Iran des critères imposés par la clause
compromissoire est incompatible avec la position que la Cour a adoptée sur cette question en 1996,
dans la présente affaire, relativement à la demande de l’Iran. L’interprétation de l’Iran est
également incompatible avec les conclusions auxquelles la Cour est parvenue sur la même question
en 1984 dans l’affaire Nicaragua (voir C.I.J. Recueil 1984, p. 427-429, par. 81 et 83, où la Cour
déclare recevable la demande présentée par le Nicaragua au titre du traité de 1956, bien que les
Etats-Unis aient fait valoir que «le Nicaragua n’a[vait] jamais seulement soulevé, dans ses
entretiens avec les Etats-Unis, la question de l’application du traité [ACN] aux allégations de fait
ou de droit contenues dans sa requête»; voir également contre-mémoire (compétence et
recevabilité), C.I.J. Mémoires, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), vol. II, p. 55, par. 182). A la lumière de la jurisprudence de
la Cour, la demande reconventionnelle des Etats-Unis ne saurait être considérée comme irrecevable
au motif que de nouvelles négociations auraient pu être tentées en vue de régler cette demande.
25.37. Deuxièmement, l’Iran continue d’affirmer que les Etats-Unis ne sont pas en droit de
soumettre à la Cour de nouvelles informations en sus de celles qui figurent dans la demande
reconventionnelle telle que celle-ci a été présentée en 1997. Là encore, cet argument n’est pas
sérieux. Notre demande porte sur le fait que l’Iran a violé l’article X par différents actes commis
dans les années quatre-vingt. Nous avons produit des preuves de cette violation dans le cadre de la
procédure écrite devant la Cour, de même que l’Iran, tout au long de ses pièces écrites à la Cour, a
produit des preuves dont il pensait qu’elles pouvaient préciser et étayer sa demande. Il n’y a rien
d’irrecevable dans le fait de produire ainsi des éléments additionnels jusqu’au stade actuel de la
procédure, ou même plus tard quand il s’agira de déterminer les réparations.
25.38. Troisièmement, l’Iran maintient que la compétence ratione materiae de la Cour pose
problème du fait qu’une partie des éléments de preuve produits par les Etats-Unis concerne des
navires ne battant pas pavillon américain. L’Iran soulève cet argument à la fois pour contester la
compétence et pour démentir qu’il y ait eu violation du paragraphe 1 de l’article X. Je répondrai
sur ce point tout à l’heure lorsque j’examinerai la question de savoir s’il y a eu violation du
paragraphe 1 de l’article X. Pour l’heure, qu’il me suffise de rappeler que la demande
- 40 -
reconventionnelle des Etats-Unis ¾ comme nos plaidoiries l’ont déjà clairement montré ¾ vise à
protéger les droits et intérêts d’ordre juridique des Etats-Unis et de leurs ressortissants
(CR 2003/14, p. 20-21). Les Etats-Unis n’interviennent pas en tant que «garant universel» des
droits des autres Etats ou des ressortissants de ces Etats tiers (voir CR 2003/14, p. 27, par. 13), et ils
n’invoquent pas non plus des droits erga omnes (voir CR 2003/14, p. 31, par. 24). Au contraire, ce
sont leurs propres droits et intérêts que les Etats-Unis cherchent à protéger au titre de l’article X;
des intérêts qui sont d’ailleurs précisément ceux que cet article X vise à préserver. En outre, les
Etats-Unis fondent leur demande sur des actes illicites de l’Iran; ils ne prétendent pas à une
quelconque réparation pour des actes commis par d’autres Etats, tel l’Iraq.
B. Les faits qui fondent la demande reconventionnelle
25.39. Laissons maintenant de côté les questions de compétence et de recevabilité pour
examiner les questions liées aux faits qui fondent la demande reconventionnelle. Ces faits ont été
amplement décrits à la Cour dans les pièces écrites et dans les plaidoiries (voir CR 2003/13,
p. 17-23; CR 2003/17, par. 24.1 et suiv.). Je n’y reviens donc pas. Je voudrais cependant faire
deux observations d’ordre général, ainsi qu’une autre plus limitée.
25.40. La première observation générale concerne la façon dont l’Iran traite les éléments de
preuve qui sous-tendent la demande reconventionnelle. Vendredi dernier, un de ses conseils est
allé jusqu’à dire qu’un fait au moins devant la Cour était «avéré» ¾ je dis bien «avéré» ¾, à savoir
que la menace pesant sur la navigation commerciale dans le Golfe venait de l’Iraq (CR 2003/14,
p. 12, par. 8). Il a ajouté que «les observateurs de l’époque savaient parfaitement qui, des
deux belligérants, empêchait la libre navigation dans le golfe Persique» et que ce belligérant était
l’Iraq (CR 2003/14, p. 14, par. 16).
25.41. Monsieur le président, en quoi peut-on dire que la Cour se trouve là devant un fait
«avéré» ? La Cour s’est vu soumettre un nombre considérable de preuves émanant de sources pour
lesquelles c’était l’Iran qui menaçait la navigation commerciale dans le Golfe et y entravait la
liberté de commerce. Nos éléments de preuve montrent que différentes compagnies de navigation
réputées ont dénoncé les attaques de l’Iran contre des navires neutres et ont pris des mesures en
conséquence (voir CR 2003/9, p. 20-26; CR 2003/10, p. 27-33). Nos éléments de preuve
- 41 -
comprennent des témoignages de membres d’équipage de navires marchands attaqués par l’Iran,
qui ont par exemple certifié avoir vu des hélicoptères décoller de la plate-forme iranienne de
Rostam puis tirer des missiles sur des navires neutres (voir notamment la duplique des Etats-Unis,
par. 1.23). Nos éléments de preuve montrent que de nombreux gouvernements ont dénoncé les
attaques de l’Iran contre des navires neutres et ont réagi face à ces attaques. Ils se sont plaints des
attaques de l’Iran auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies, comme M. Bettauer l’a
souligné ce matin (voir annexes 181, 193, 201, 202). Le Conseil de sécurité a condamné les
attaques de l’Iran en ces termes :
«Le Conseil de sécurité, ayant examiné la lettre en date du 21 mai 1984 dans
laquelle les représentants de l’Arabie saoudite, de Bahreïn, des Emirats arabes unis, du
Koweït, de l’Oman et du Qatar [S/16574] se plaignaient des attaques lancées par l’Iran
contre des navires marchands à destination ou en provenance des ports
d’Arabie saoudite et du Koweït … [c]ondamne les attaques lancées récemment…»
(Annexe 27.)
La Ligue arabe a condamné les attaques de l’Iran (annexe 182 : «[les membres de la conférence]
ont exprimé leur appui au Koweït qui affronte les menaces et les agressions du régime iranien»).
Le Conseil de coopération du Golfe a condamné les attaques de l’Iran (annexe 183 : «[le Conseil] a
passé en revue … l’agression de l’Iran contre des navires en provenance ou à destination des ports
des pays membres du CCG … et a expressément condamné ces attaques»).
25.42. Il y a-t-il quoi que ce soit dans ces éléments de preuve qui permette de conclure qu’il
est «avéré» ou que l’on savait «parfaitement» que l’Iraq et seulement l’Iraq menaçait les navires
neutres dans le Golfe ? S’il est un fait avéré en l’espèce, Monsieur le président, c’est que tout le
monde voyait dans les attaques de l’Iran une menace pour la navigation commerciale dans le Golfe.
Que les actions de l’Iraq aient ou non été perçues elles aussi comme une menace, la Cour n’est
saisie de cette question-là. Quand l’Iran dit que la condamnation de ses attaques participait de
quelque gigantesque conspiration mondiale, son argument sonne faux. D’ailleurs, les propres
représentants du Gouvernement iranien eux-mêmes ont fait à l’époque des déclarations qui
montrent que l’Iran se félicitait de ce que ces attaques menacent la navigation commerciale, parce
que c’était précisément là leur objet (CR 2003/13, p. 19, par. 20.4).
- 42 -
25.43. La seconde remarque d’ordre général concerne la nature de certains moyens de preuve
produits devant la Cour. Lundi, le conseil de l’Iran a qualifié la Lloyd’s List de «l’une de ces
prétendues 'sources indépendantes faisant autorité'» sur lesquelles s’appuient les Etats-Unis
(CR 2003/15, p. 35, par. 9). On ne voit pas bien si l’Iran conteste la véracité de ces sources, ce qui
serait étrange puisqu’il utilise lui-même les mêmes sources et y ajoute foi dans ses pièces de
procédure (voir par exemple CR 2003/15, p. 41, par. 37). Toutefois, nous tenons à rappeler que la
Cour s’est fondée sur des sources telles que la Lloyd’s List dans ses décisions, par exemple dans
l’affaire Nicaragua lorsqu’elle a dit que le mouillage de mines par les Etats-Unis avait porté
atteinte à des navires (voir par exemple C.I.J. Recueil 1986, p. 14, par. 77; voir aussi Keith Highet,
«Evidence, the Court, and the Nicaragua Case», American Journal of International Law, vol. 81,
1989, p. 49-50). Par conséquent, la Cour semble considérer que de telles publications émanant de
sources faisant autorité et dignes de foi ont force probante.
25.44. J’ai une observation plus limitée à formuler sur les faits, elle concerne le
Texaco Caribbean. Vendredi dernier, à deux reprises, les conseils de l’Iran ont déclaré que les
preuves produites devant la Cour attestaient que le pétrole brut transporté par le Texaco Caribbean
appartenait à une société norvégienne de navigation (CR 2003/14, p. 20-21, par. 37; p. 57, par. 30).
Je suis convaincu que les conseils de l’Iran ne tentent pas d’induire la Cour en erreur sur ce point,
mais qu’ils ont tout simplement du mal à faire face aux multiples éléments de preuve que les
Etats-Unis ont produits devant la Cour à l’appui de leur demande reconventionnelle. Précisons
bien ce que ces éléments nous disent. Dans leurs affirmations relatives à l’identité du propriétaire
de la cargaison du Texaco Caribbean, les conseils de l’Iran n’appellent l’attention de la Cour que
sur l’annexe 25 des observations et conclusions de l’Iran sur l’exception préliminaire des
Etats-Unis, versée au dossier en juillet 1994. L’annexe 25 est un extrait d’une publication de 1987
intitulée Middle East Economic Survey (voir aussi réponse additionnelle, 24 septembre 2001,
par. 4.18-4.19). Cet extrait est assorti d’une note de bas de page indiquant que la propriété de la
cargaison du Texaco Caribbean est «entourée de mystère» et qu’un porte-parole de Texaco, dont le
nom n’est pas précisé, a déclaré que le Texaco Caribbean «avait pour instruction de se rendre dans
le nord de l’Europe avec un chargement appartenant à» une société norvégienne.
- 43 -
25.45. Toutefois, la présentation de preuves devant la Cour n’a pas pris fin en 1994. Dans
leur duplique déposée en mars 2001, les Etats-Unis lèvent en quelques sortes le voile du «mystère»
entourant le propriétaire du Texaco Caribbean et sa cargaison. L’annexe 211 des Etats-Unis est la
déposition, datée de février 2001, de M. Robert Phillips, juriste de première classe chez
Texaco Inc., qui travaillait dans cette société ou dans l’une de ses filiales depuis 1972. Dans sa
déposition, M. Phillips déclare que, le 10 août 1987, le Texaco Caribbean était affrété en coque nue
par une filiale de Texaco. Il affirme plus loin sans ambiguïté que le pétrole brut iranien transporté
par le Texaco Caribbean appartenait à Texaco International Trader Inc., société des Etats-Unis
constituée conformément à la législation du Delaware et filiale à 100 % de Texaco Inc., elle-même
constituée conformément à la législation du Delaware.
25.46. Dans la dernière pièce relative à la demande reconventionnelle, l’Iran n’a rien fait
pour réfuter la véracité de cet élément de preuve. Il ne fait aucun doute, par conséquent, d’après les
éléments soumis à la Cour, que la cargaison du Texaco Caribbean appartenait aux Etats-Unis.
C. Il existait des activités commerciales et maritimes directes entre les deux Etats auxquelles
les actes de l’Iran ont porté atteinte en violation du paragraphe 1 de l’article X
25.47. Après avoir examiné les faits sur lesquels repose la demande reconventionnelle,
j’aborde maintenant certains points concernant l’application à ces faits de l’article X du traité
de 1955.
25.48. La Cour le sait, les Etats-Unis affirment dans leur demande reconventionnelle que
l’Iran a violé le paragraphe 1 de l’article X pour ce qui est de la liberté de commerce et de
navigation. Nous l’avons démontré mercredi dernier (CR 2003/13, p. 12-13, par. 19.12-19.14), et,
dans sa réponse, l’Iran n’a pas contesté que ces deux libertés étaient en cause, il a admis qu’elles
étaient en cause (voir, par exemple, CR 2003/14, p. 46, par. 5 où l’Iran dit : «en admettant que la
liberté de navigation constitue en elle-même un objet de la demande reconventionnelle»).
25.49. Ainsi, même si l’Iran semble accepter à présent que la demande reconventionnelle
porte à la fois sur la liberté de commerce et sur la liberté de navigation, sa défense repose presque
exclusivement sur la question de la liberté de commerce. C’est pourquoi, les trois conseils de l’Iran
se sont tous donné beaucoup de mal vendredi pour déterminer si la cargaison de certains navires
relevait du commerce entre l’Iran et les Etats-Unis. Pourtant, aucun de leurs arguments ne porte
- 44 -
sur la question de la navigation entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis. Tous les navires
cités dans la demande reconventionnelle des Etats-Unis ainsi que ceux qui croisaient dans la région
jouissaient, en vertu du traité de 1955, du droit de passage innocent dans les eaux territoriales
iraniennes lorsqu’ils faisaient route à destination ou en provenance des Etats-Unis. Et pourtant,
l’Iran les a contraints à naviguer hors de ses eaux territoriales et à emprunter un chenal étroit où ils
risquaient d’être attaqués par l’Iran, et ils ont été obligés de prendre des mesures de protection
exceptionnelles. Les actions ainsi menées par l’Iran ont privé ces navires de la liberté de
navigation entre les territoires des deux Etats. Par ailleurs, les bâtiments de guerre des Etats-Unis
chargés d’escorter ces navires désormais formés en convois jouaient pour cette navigation ainsi
protégée un rôle auxiliaire et, à ce titre, étaient eux-mêmes protégés par le paragraphe 1 de
l’article X.
25.50. De même, ces actions violaient la liberté de commerce entre les territoires de l’Iran et
des Etats-Unis, que les marchandises fussent originaires d’Iran ou d’autres Etats du Golfe, dès lors
qu’elles devaient traverser les eaux iraniennes à destination ou en provenance des Etats-Unis.
Nous avons passé en revue à votre intention, au premier tour de plaidoirie et dans les pièces écrites,
les moyens innombrables et considérables par lesquels il était porté atteinte à cette «liberté de
commerce», c’est-à-dire les dommages causés aux navires, les risques accrus de la navigation, les
retards, la hausse des primes d’assurance, le coût des aménagements à apporter aux navires,
l’augmentation des coûts de main-d’œuvre (CR 2003/13, p. 20-21, par. 20.7-20.14; p. 28-29,
par. 21.18-21.20). Dans l’affaire Nicaragua, la Cour a reconnu la pertinence des entraves de ce
type pour dire que les Etats-Unis avaient violé la «liberté de commerce et de navigation» (voir, par
exemple, C.I.J Recueil 1986, p. 47-48, par. 79-80 : «certaines compagnies de navigation ont cessé
de desservir les ports nicaraguayens»; «l’explosion de ces mines a causé des dommages personnels
et matériels et créé des risques ayant entraîné la hausse des taux d’assurance maritime»).
25.51. En outre, dans l’affaire Nicaragua, la Cour n’a pas jugé nécessaire de déterminer lors
de l’examen au fond si les navires ayant heurté des mines transportaient alors des marchandises
entre les Etats-Unis et le Nicaragua. Le conseil de l’Iran tente de mettre de côté les conclusions
énoncées dans l’affaire Nicaragua en affirmant que le «minage de ports» n’est pas de même nature
que le minage en l’espèce (CR 2003/14, p. 47-48). A l’évidence, au Nicaragua, le minage n’était
- 45 -
pas limité aux ports, il s’étendait aux eaux territoriales. Qui plus est, la portée de la décision de la
Cour dans cette affaire est plus large que ne le laisse entendre l’Iran. Dans l’affaire Nicaragua,
l’existence du commerce maritime et de la navigation entre les deux Etats et l’obstacle particulier à
ce commerce que constituait le mouillage de mines par les Etats-Unis dans des eaux utilisées pour
le commerce et la navigation ont suffi pour que, lors de l’examen au fond, il soit fait droit à la
demande que le Nicaragua fondait sur le traité. En l’espèce, la Cour ne doit pas faire moins en ce
qui concerne le mouillage de mines et les attaques par l’Iran.
25.52. Dans son exposé de lundi, M. Momtaz a critiqué les Etats-Unis pour avoir dit que
l’Iran avait créé pendant la guerre une zone «d’exclusion», par opposition à une simple «zone de
guerre», que les navires neutres, a-t-il ajouté, pouvaient traverser. M. Momtaz a dit que les navires
lorsqu’ils choisissaient un autre itinéraire, le faisaient de leur propre gré et qu’il n’y avait donc pas
à proprement parler d’«exclusion». Avec tout le respect dû à la Cour, quel que soit le nom que l’on
donne à une zone, il est évident que les navires ne se dirigeant pas vers l’Iran ne pensaient pas avoir
une grande liberté de «choix» à cet égard. Nos éléments de preuve sont pleins d’informations
signalant que des navires ont évité cette zone pour se soustraire aux attaques de l’Iran.
25.53. Par ailleurs, considérons certains extraits d’observations formulées sur cette zone par
M. Momtaz lui-même, publiées en 1993 (voir D. Momtaz, «Commentary on Iran», The Iran-Iraq
War (1980-88) and the Law of Naval Warfare, dir. de publ., A. de Guttry et de N. Ronzitti, 1993,
p. 19-20); ces extraits sont projetés à l’écran et figurent sous l’onglet no
7 du dossier de plaidoiries.
Dans ce commentaire, M. Momtaz déclare que «certains pays riverains du golfe Persique ayant
manqué à leur devoir de neutralité, l’Iran a attaqué plus ou moins ouvertement des pétroliers à
destination et en provenance de ces pays» (ibid.) [traduction du Greffe]. L’attitude adoptée par
l’Iran, à l’évidence, n’invite pas réellement à pénétrer dans sa «zone de guerre». Dans le même
commentaire, M. Momtaz déclare ensuite que si un tel navire voulait traverser la zone de l’Iran, il
devait demander au préalable l’autorisation de l’Iran et lui communiquer des informations sur la
destination, l’heure de départ, l’itinéraire, la vitesse et le moyen d’identification visuelle (ibid.,
p. 20). Là encore, comme l’Iran attaquait «plus ou moins ouvertement» ces navires, communiquer
à l’Iran autant d’informations sur la traversée n’aurait pas été une «option» raisonnable. Enfin,
M. Momtaz dit dans ce commentaire que, même s’il n’avait pas interdit l’accès à cette zone, l’Iran
- 46 -
déclinait toute «responsabilité en cas de dommage subi lors de sa traversée. Ainsi avertis, les
navires qui persistaient à traverser la zone le faisaient à leurs risques et périls.» Dans ces
circonstances, Monsieur le président, les conditions de passage dans la zone de guerre de l’Iran ne
laissaient aux navires neutres pas vraiment de «choix». Les navires le savaient, et ils sont restés à
l’écart.
D. Pertinence de la nationalité des navires que les Etats-Unis citent en exemple à la Cour
pour démontrer que l’Iran portait atteinte à la liberté de commerce et de navigation
25.54. Dans sa réponse de vendredi dernier, l’Iran a continué d’insister tout particulièrement
sur la nationalité des différents navires que les Etats-Unis citent en exemple à la Cour pour
démontrer que l’Iran portait atteinte à la liberté de commerce et de navigation. J’ai quelques
observations à formuler à cet égard.
25.55. Premièrement, pour prouver qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article X, les
Etats-Unis n’ont pas besoin d’établir un lien de nationalité avec les navires qui ont été victimes
d’une atteinte à la liberté de commerce ou de navigation. Le conseil de l’Iran a admis ce point en
reconnaissant qu’«un navire d’un Etat tiers pourrait se livrer à des activités commerciales et à une
navigation protégées en vertu du traité, l’atteinte à la liberté dont bénéficie ce navire pouvant alors
constituer une violation du paragraphe 1 de l’article X» (CR 2003/14, p. 49, par. 11). Toutefois, il
a présenté ensuite les navires d’un Etat tiers comme les «bénéficiaires indirects» du régime de
protection prévu par le traité. Malgré tout le respect dû à la Cour, la question n’est pas là. Les
Etats-Unis eux-mêmes ont bénéficié directement de la possibilité donnée aux navires, qu’ils battent
pavillon des Etats-Unis ou d’un autre pays, de se livrer à la navigation et au commerce directement
entre les eaux des Etats-Unis et celles de l’Iran, qu’ils aient ou non à entrer dans les ports iraniens.
Les actes de l’Iran ont porté atteinte à ce régime dont bénéficiaient directement les Etats-Unis.
25.56. Deuxièmement, même si l’on estime que l’Iran a jusqu’à un certain point raison
d’accorder autant d’importance au pavillon du navire, il y a une sorte de contradiction dans la
manière dont l’Iran traite la question dite du «lien substantiel». S’agissant des pétroliers
réimmatriculés aux Etats-Unis, l’Iran veut savoir qui est le propriétaire réel du pétrolier. L’Iran dit
que les Etats-Unis n’ont pas de «lien substantiel» avec les pétroliers et que par conséquent ils ne
peuvent présenter de réclamation fondée sur le dommage causé aux pétroliers réimmatriculés.
- 47 -
Toutefois, pour d’autres navires qui appartiennent indubitablement aux Etats-Unis, directement ou
par le truchement de filiales détenues à 100 %, mais qui battent pavillon de complaisance, l’Iran dit
que les Etats-Unis ne peuvent présenter de réclamation parce que le navire ne bat pas pavillon des
Etats-Unis. On ne peut tout bonnement pas adopter une telle position. Mais surtout, les Etats-Unis
avaient bel et bien différents types d’intérêts dans tous ces navires, et ces intérêts étaient protégés
par le paragraphe 1 de l’article X.
25.57. Troisièmement, lorsqu’il soulève la question de la nationalité du navire ou de sa
cargaison, l’Iran ne se demande pas réellement s’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article X.
L’Iran se demande plutôt si les Etats-Unis ont subi un dommage du fait des attaques iraniennes
contre les navires cités en particulier par les Etats-Unis à la Cour. Les intérêts que ces navires
représentent pour les Etats-Unis sont énumérés dans le tableau projeté à l’écran, qui figure aussi
sous l’onglet no
8 du dossier de plaidoirie.
25.58. Sur ce tableau, vous voyez que les trois premiers navires, le Bridgeton, le
Sea Isle City et le Roberts, battaient pavillon des Etats-Unis, par conséquent les intérêts des
Etats-Unis consistent notamment ici à protéger des navires battant pavillon des Etats-Unis. Mais ce
n’étaient pas les seuls intérêts investis dans ces navires, puisque ces navires appartenaient soit au
gouvernement soit à des ressortissants des Etats-Unis, et que des ressortissants des Etats-Unis se
trouvaient à bord des navires au moment des attaques et des dommages.
25.59. Les cinq navires suivants ¾ le Lucy, le Esso Freeport, le Diane, le Sungari et le
Esso Demetia ¾ appartenaient à une société des Etats-Unis, soit directement soit par le biais d’une
filiale. Ainsi, les intérêts des Etats-Unis s’étendaient alors aux intérêts des propriétaires auxquels il
était porté atteinte, mais comme il y avait aussi des ressortissants américains et des marchandises
américaines à bord de plusieurs de ces navires, les intérêts des Etats-Unis s’étendaient aussi aux
préjudices causés à ces intérêts-là.
25.60. Le dernier navire du tableau est le Texaco Caribbean. L’Iran nous en a un peu parlé
parce qu’il l’a désigné comme le seul et unique navire qui, à son avis, pratiquait commerce et
navigation entre l’Iran et les Etats-Unis. Ce matin, M. Bettauer a répondu à l’affirmation erronée
de l’Iran qui dit qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve attestant que l’Iran a miné le
- 48 -
Texaco Caribbean, alors que, comme je l’ai déjà dit, le Texaco Caribbean était affrété en coque
nue par une filiale d’une société des Etats-Unis et transportait des marchandises appartenant aux
Etats-Unis.
25.61. L’Iran affirme que ces différents intérêts ne sont pas protégés par le traité de 1955. Je
vais à ce sujet compléter brièvement notre exposé initial sur cette question, en formulant quelques
observations sur l’affaire ELSI et sur l’affaire Nicaragua.
25.62. L’Iran affirme à tort que, dans l’affaire ELSI, la seule disposition conventionnelle
pertinente «autorisait les ressortissants, sociétés et associations de chacune des parties à ’acquérir,
détenir et céder des biens immobiliers ou des intérêts dans ces biens’ dans les territoires de l’autre
partie…» (réponse additionnelle, par. 5.71). En fait, trois dispositions conventionnelles étaient
pertinentes dans cette affaire-là, en particulier une disposition de caractère général, aux termes de
laquelle chacune des parties était tenue de faire bénéficier les ressortissants de l’autre partie «de la
protection et de la sécurité les plus constantes pour leurs personnes et leurs biens, et [elles
jouiraient] entièrement [à cet égard] de la protection et la sécurité exigées par le droit international»
(traité d’amitié, de commerce et de navigation, art. V, par. 1, 2 février 1948, Etats-Unis-Italie,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 20, p. 43). La Chambre de la Cour a alors accepté que ces
dispositions protègent les sociétés des Etats-Unis contre les mesures prises par un gouvernement
étranger à l’égard de biens détenus à 100 % par une filiale étrangère appartenant elle-même à des
sociétés des Etats-Unis. De surcroît, la Chambre n’a pas retenu l’argumentation de l’Italie à
l’époque, qui est celle de l’Iran en l’espèce, en faveur d’une conception étroite et stricte de la
protection des intérêts des propriétaires. La décision de la Chambre ne découlait pas non plus
uniquement du fait que la filiale était constituée dans l’Etat défendeur.
25.63. En l’état actuel du dossier, la manière dont la Cour a statué dans l’affaire ELSI est
d’autant plus convaincante. La disposition du traité qui est en cause en l’espèce, laquelle garantit la
«liberté de commerce et de navigation» entre les deux parties, ne porte pas sur la protection des
«droits» de propriété ou des «intérêts» de ressortissants. Elle porte sur des libertés autorisant à
exercer certaines activités entre les deux Etats, qui sont indépendantes de questions relatives à la
nationalité des navires; refuser la jouissance de ces libertés porte atteinte aux Etats-Unis et à leurs
ressortissants.
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25.64. De même, le point de vue adopté par la Cour dans l’affaire Nicaragua corrobore la
compétence de la Cour à estimer, en se fondant sur les atteintes portées aux navires
indépendamment de leur nationalité, qu’il y a eu violation du traité de 1955. En l’affaire
Nicaragua, dans sa requête, le Nicaragua affirmait que les Etats-Unis avaient porté atteinte au
«commerce maritime international» nicaraguayen en mouillant des mines. Plutôt que d’identifier
les différents navires, et à fortiori les navires battant précisément pavillon nicaraguayen, la requête
déclarait simplement que les mines avaient touché cinq «navires de commerce étrangers», tandis
que de «nombreux autres [avaient] annulé, par crainte des mines, des voyages qui étaient prévus au
départ ou à destination du Nicaragua» ¾ voilà tout ce que dit la requête ¾ (voir requête, par. 3,
dans C.I.J. Mémoires, vol. I, p. 3-4 :
«Les forces dirigées par les Etats-Unis ont annoncé qu’elles avaient miné les
ports principaux du Nicaragua… Cinq navires de commerce étrangers ont déjà été
endommagés par l’explosion de mines et de nombreux autres ont annulé, par crainte
des mines, des voyages qui étaient prévus au départ ou à destination du Nicaragua. A
la suite de cette atteinte à la liberté des mers, la capacité du Nicaragua d’assurer ses
importations essentielles et de se livrer au commerce maritime international pacifique
se trouve fortement diminuée.»)
25.65. Par la suite, le Nicaragua n’a identifié aucun navire particulier durant toute la durée de
la phase des mesures conservatoires de l’affaire, et il n’en a pas identifié non plus durant toute la
phase consacrée à la compétence et à la recevabilité. S’il avait fallu identifier des navires battant
pavillon nicaraguayen lors de la phase de la compétence pour accueillir la demande fondée sur le
traité, la Cour l’aurait probablement dit dans son arrêt de 1984, mais elle n’a rien dit de tel.
25.66. Ce n’est que lors du dépôt de son mémoire sur le fond que le Nicaragua a identifié de
manière précise, au paragraphe 98, preuves à l’appui, neuf navires endommagés par des mines ou
attaqués par des vedettes. Si l’on accepte les théories du conseil de l’Iran, on devrait s’attendre à ce
que tous ces navires battent nécessairement pavillon nicaraguayen. Or, sur ces neuf navires, il y en
a un qui est néerlandais, deux qui sont panaméens, un qui est soviétique, un qui est japonais et un
qui est libérien. Il y avait aussi cinq navires battant pavillon nicaraguayen, qui se sont tous révélés
être des bateaux de pêche ¾ le type même de bateau qui est, selon l’Iran, exclu d’une disposition
conventionnelle protégeant la «liberté de commerce et de navigation».
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25.67. Dans ces conditions, si l’on adopte la position que l’Iran adopte face à la demande
reconventionnelle des Etats-Unis, on se serait attendu à ce que la Cour, en l’affaire Nicaragua,
rejette l’élément de preuve constitué par les neuf navires puisqu’ils battaient pavillon étranger ou
qu’ils étaient expressément exclus de la disposition conventionnelle pertinente. La Cour ne s’est
cependant pas prononcée dans ce sens. Au contraire, la Cour a relevé que les navires arborant
pavillon étranger avaient été endommagés par des mines (par. 79), a établi que «l’explosion de ces
mines avait causé des dommages personnels et matériels» (par. 80), et considéré comme justifiée la
demande du Nicaragua en raison à la fois des dommages subis par ses navires et des pertes
économiques qui en étaient résultées indirectement pour son commerce, et ensuite, dans son
dispositif, la Cour a jugé qu’en mouillant les mines, les Etats-Unis avaient enfreint la disposition du
traité sur la «liberté de commerce et de navigation».
25.68. Dans une certaine mesure, le conseil de l’Iran a admis que, dans l’affaire Nicaragua,
lors de la phase du fond, il n’avait pas été considéré comme indispensable d’établir avec précision
quel était le statut des navires endommagés. Il a fort justement fait observer que l’arrêt rendu dans
l’affaire Nicaragua n’avait pas résolu un certain nombre de questions qui se posent quant à
l’étendue de la protection prévue au paragraphe 1 de l’article X. Il a déclaré qu’en l’occurrence ces
questions «avaient été renvoyées à la phase de l’affaire qui devait porter sur une évaluation
chiffrée, lors de laquelle devait être examinée la question de savoir si des navires particuliers se
livraient au commerce ou à la navigation entre les deux Etats» (CR 2003/14, p. 48, par. 9). Les
Etats-Unis conviennent que l’examen détaillé de questions relatives à la nationalité et au régime de
propriété ne devrait en l’espèce intervenir que lors de la phase relative à la demande
reconventionnelle lorsque la Cour en sera au stade de l’indemnisation.
E. Les lois de la guerre
25.69. Monsieur le président, pour autant que les Etats-Unis puissent en être certains, le
conseil de l’Iran a déclaré lundi que l’Iran reconnaissait à présent que les attaques dirigées contre
des navires transportant du pétrole en provenance de ports koweïtiens et saoudiens n’étaient pas
licites au regard des lois de la guerre (CR 2003/15, p. 54, par. 3). Nous sommes heureux de cette
concession car elle coupe court à toute nouvelle discussion sur l’argumentation longue et erronée
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développée par l’Iran au chapitre VII de sa dernière pièce de procédure (voir réponse additionnelle,
par. 7.1 : «les attaques alléguées auraient été licites au regard des règles applicables du droit de la
guerre sur mer»). J’ai bien noté que des divergences de vues persistaient entre les conseils de l’Iran
sur certaines questions relatives au droit de la guerre sur mer. D’un côté, M. Bundy estime que le
fait pour les Etats-Unis de convoyer des navires battant pavillon des Etats-Unis constituait une
dénégation de «droits fondamentaux de l’Iran en tant qu’Etat belligérant», droits habilitant l’Iran à
procéder à des fouilles et à des arraisonnements (CR 2003/15, p. 14, par. 21), alors que, d’un autre
côté, dans ses articles, M. Bothe déclare sans aucune ambiguïté que l’arraisonnement et la fouille
«ne sont pas applicables aux navires marchands battant pavillon neutre qui sont escortés par un
convoi de navires de guerre neutres» (Michael Bothe, «The Law of Neutrality», in The Handbook
of Humanitarian Law in Armed Conflicts, Dieter Fleck, dir. de publ., 1995, p. 508) [traduction du
Greffe]. La-dessus au moins, M. Bothe a parfaitement raison.
F. La réparation sollicitée dans la demande reconventionnelle
25.70. J’en arrive donc à la dernière partie de mon exposé, qui porte sur la question de la
réparation présentée dans la demande reconventionnelle. Vendredi dernier, le conseil de l’Iran a
déclaré que la question de «l’indemnisation» constituait l’enjeu principal de l’affaire et que les
Etats-Unis devaient fournir la preuve d’une perte ou d’un préjudice subi avant de pouvoir conclure
à la violation d’une obligation internationale (CR 2003/14, p. 50-52, par. 15-18).
25.71. Il n’appartient pas aux Etats-Unis d’apprécier ce que l’Iran souhaite ni la manière
dont il justifie sa demande. En revanche, dans leur demande reconventionnelle, les Etats-Unis
demandent «réparation» pour la violation imputable à l’Iran, et cette réparation ne se limite pas à
une simple indemnisation financière. En effet, depuis la date du dépôt de leur demande
reconventionnelle, les Etats-Unis ont toujours dit qu’ils demandaient réparation «selon des formes
et un montant» à déterminer par la Cour. D’autres formes de réparation, telles que la satisfaction,
cadrent parfaitement avec la demande présentée par les Etats-Unis à la Cour. Les Etats-Unis n’ont
pas lieu de prouver dès à présent à la Cour quelles réparations leur sont dues à la suite de la
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violation par l’Iran du paragraphe 1 de l’article X. Plus précisément, les Etats-Unis ne sont pas
tenus à ce stade de dire à quelle indemnisation ils peuvent prétendre ni d’en présenter une
évaluation chiffrée.
25.72. En outre, le droit de la responsabilité des Etats n’impose pas au demandeur de prouver
l’existence de dommages avant d’établir l’existence d’un fait internationalement illicite. Dans la
mesure où l’on est fondé ici à invoquer le projet d’articles de la Commission du droit international
sur la responsabilité des Etats, son article 2 notamment est très clair : il y a fait internationalement
illicite lorsqu’un comportement est, premièrement, attribuable à l’Etat défendeur et, deuxièmement,
lorsque ce comportement constitue une violation d’une obligation internationale dudit Etat. Bref,
l’article 2 n’énonce pas de troisième condition prescrivant qu’il faut établir l’existence d’un
préjudice. Si l’on s’écarte des articles proprement dits pour s’intéresser au commentaire de la CDI,
on constate que ce dernier prévoit le cas où une obligation primaire impose l’existence préalable
d’un dommage pour qu’il y ait violation. Mais le paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955
n’énonce pas d’obligation primaire en ce sens. En outre, le commentaire de la CDI lui-même cite
la décision de la Cour en l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire, manifestement pour
illustrer les types d’obligations pour lesquelles il n’est pas nécessaire d’établir l’existence du
préjudice subi. Dans cette affaire-là, la Cour a estimé, entre autres, que l’Iran avait violé le
paragraphe 4 de l’article II du traité de 1955 en permettant à des militants iraniens de prendre des
otages américains. La Cour a dit que le manquement à l’obligation de protéger les otages qui est
imputable à l’Iran constituait violation de l’obligation incombant à l’Iran en vertu du paragraphe 4
de l’article II d’assurer aux ressortissants américains «de la manière la plus constante … protection
et … sécurité» en territoire iranien. Par conséquent, la Cour a conclu à une violation du traité
même dont elle se trouve à présent saisie sans exiger des Etats-Unis qu’ils prouvent au préalable
avoir «subi un préjudice résultant directement de la violation» (CR 2003/14, p. 51, par. 15 c)).
25.73. En tout état de cause, à supposer même qu’il faille passer par le critère de l’Iran pour
prouver qu’il y a eu violation, l’Iran semblait vouloir dire qu’il suffisait, pour qu’il soit conclu à
l’existence d’une violation, d’un seul exemple valable d’entrave au commerce et à la navigation
protégés (CR 2003/14, p. 17, par. 24; p. 52, par. 18). En effet, le conseil de l’Iran semble admettre
que, pour autant qu’il existe au moins un exemple valable, la Cour peut formuler une constatation
- 53 -
générale de responsabilité et reporter à plus tard l’examen de tous les actes précis qui ont entravé le
commerce et la navigation ainsi que des dommages qui en ont résulté (CR 2003/14, p. 58, par. 32 :
«les Etats-Unis ne pouvaient que donner de nouveaux exemples pour mieux étayer leur demande
fondée sur une violation du paragraphe 1 de l’article X, si cette violation avait déjà été établie»).
Les Etats-Unis ont bel et bien donné plusieurs exemples précis de ces atteintes, et l’Iran semble
admettre que l’incident du Texaco Caribbean ait constitué une telle atteinte, pour autant que la
Cour estime que l’Iran a été responsable du mouillage de la mine heurtée par le Texaco Caribbean.
Dans ces conditions, la Cour devrait assurément conclure à une violation du paragraphe 1 de
l’article X même si elle ne fait appel qu’au critère préconisé par l’Iran.
25.74. Le conseil de l’Iran s’est longuement attardé sur la question de savoir si les Etats-Unis
peuvent prétendre à indemnisation pour avoir organisé des patrouilles dans le Golfe et parce qu’il
leur a fallu subir une hausse des coûts du transport maritime dans le Golfe, et sur la question de
savoir s’il est possible de se faire indemniser quand il faut verser des primes d’assurance pour
risque de guerre (CR 2003/14, p. 59-62). Je ne vais pas débattre de ces questions car elles sont
aussi de celles qu’il faut examiner lors d’une phase consacrée aux réparations. Je note cependant
que, lors de l’examen au fond dans l’affaire Nicaragua, la Cour a pris acte des preuves présentées
par le Nicaragua concernant une hausse des taux d’assurance maritime et a ensuite conclu que le
mouillage de mines avait «créé des risques ayant entraîné la hausse des taux d’assurance maritime»
(C.I.J. Recueil 1986, p. 47-48, par. 79-80). La Cour n’a pas écarté ces éléments de preuve comme
étant sans pertinence pour la décision qu’elle avait à prendre lors de l’examen au fond ni pour la
phase ultérieure à consacrer aux réparations.
25.75. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’application du
paragraphe 1 de l’article X aux faits en la présente instance porte à conclure que la demande de
l’Iran devrait être rejetée et la demande reconventionnelle des Etats-Unis accueillie. Telle est la
conclusion de mon exposé. Je vous remercie de votre attention. Monsieur le président, je vous prie
de bien vouloir donner la parole, après la pause-déjeuner, à M. Mathias qui poursuivra la plaidoirie
des Etats-Unis.
- 54 -
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Murphy. Votre intervention termine l’audience de ce
matin. L’audience reprendra à 15 heures cet après-midi. L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 50.
___________

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