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YUGONCA

CR200418(traduction)

CR200418(translation)

Lundi19avril 200à15heures

Monday 19April2004 at 3p.m.8 Le PRESIDENT :Veuillez vous asseoir.L'audience est ouverte. La Cour entendra d'abord

les plaidoiries du Canada. Je donne maintenant la parolee Colleen Swords, agentdu Canada.

Mme SWORDS :

INTRODUCTION

1. Monsieur le président, Madame et Messieursde la Cour, c'est un honneur pour moi de

comparaître aujourd'hui devant vous au nom du Gouvernement du Canada. Je serai assistéepar

Mme Ruth Barr et M. Alan Willis.

2. Le Canada a opposé deuxexceptions préliminairesàla compétence dela Cour et deuxà la

recevabilitéde la demande. Avant de débattreau fond de ces exceptions, cependant,je soulèverai

plusieurs points que rendent incontournables le changement survenu dans la position adoptéepar le

demandeur au vu de ses observations écritesdu 18décembre 2002 et l'absence de contestation des

exceptions préliminaires canadiennes parce dernier.

3. Nous traiterons ensuite de nos deux exceptions d'incompétence. La Cour ne peut pas

fonder sa compétence surla prétendue déclaratiodu 25 avril1999portant acceptation de la clause

facultative parce que cette déclarationest invalide et que le différend est apparu avant que la

déclarationne soit signée. De mêmela Cour ne peut fonder sa compétence sur l'articleIX de la

convention sur le génocide parce que cette convention est inapplicable aux prétentionsdu

demandeuret à leur objet.

4. Enfin, Monsieur le président,nous en viendrons aux deux exceptions que nous avons

opposées à la recevabilité dela demande. Une de ces exceptions tient à ce que les prétendus

éléments nouveaux rattachés aux activitédse maintien de la paix de la Force de sécurité des

Nations Unies sont sans rapport avec l'objet de la demande initiale. Nous réaffirmonségalement

notre exception selon laquelle la demande en son entier est irrecevable en raison de l'absence de

parties dont la présence serait indispensàla poursuite de l'instance.

5. Avant de commencer, il y a une question d'ordre général.Le mémoiredu demandeurest

rempli d'allégationsdes plus graves. Nous sommes ici aujourd'hui pour débattre d'exceptions

préliminaires,et il ne serait donc pàpropos de répondre à ces allégations maintenant. Je doiscependant rappelerà la Cour que ces allégationsne sont pas acceptéespar le Canada; en fait, pour

la plupart, elles sont niées. Et nous nous réservons ledroit d'y répondre au besoin.

L'ABSENC EE DÉNÉGATIONDES EXCEPTIONS

6. Le premier sujet que j'aborderai, donc,est celui de l'historique procéduralde l'affaire et

de l'étatinhabituel du dossierà l'heure actuelle.L'affaire n'est pas en état. Au contraire, les

parties s'entendent maintenant sur plusieursdes points sur lesquels elles s'opposaient avec vigueur

auparavant et les exceptions préliminaires soulevées par le Canan'ont pas étép, our l'essentiel,

contestées.

7. Plus de quatre années se sont écoulées depuis qulea Cour a statuésur la demande en

indication de mesures conservatoires. Plus de trois années se sont écouléesdepuis que les

exceptions préliminaires ontétédéposées. Pendant la majeure partiede ce temps, l'affaire a été

dormante. Elle a pris une orientation radicalement différentea la suite des changements politiques

majeurs survenus en 2000, dans ce qui est aujourd'hui la Serbieet Monténégro, changements qui

ont mené àl'admission de cet Etat comme nouveau Membre des Nations Unies.

8. Voilà le contexte des observations écrites déposéespar le demandeur le

18décembre2002. Le document est extrêmement bref.Sa brièveté ne diminue cependanten rien

sa portée juridique. Il s'agit de la piècede procédure officielle àrl'article 79, paragraphe 5,

du Règlement de la Cour, qui permet à une partie de déposerun ((exposéécrit contenant ses

observations et conclusions», et il s'agit de la seule réponse qui aitjamais étédonnée à nos

exceptions.

9.Le paragraphe a des observations écrites énonquela Serbie et Monténégro n'était pas et

ne pouvait pas avoir été une partieau Statut de la Cour en qualité d'Etat Membre de l'ONU

en 1999. Elle n'a jamais prétendu qu'elle était devenueune partie au Statut de quelque autre

manière. Puisque seuleune partie au Statut peut déposerune déclaration portant acceptationde la

clause facultative, les conséquences logiquesde ce changementde position sont inéluctables.est

donc désormaisadmis de part et d'autre que la déclarationdu 25 avril 1999ne pouvait avoir aucun

fondementjuridique, et partant, que cette déclaration est nulleet n'a aucun effet juridique que ce

soit. 10.Le deuxième paragraphe des observations écrites traite dela convention sur le génocide.

On y lit que le demandeur n'étaitpas liépar la convention lorsque la requête déposée en 1999

-qu'il ne l'a pas étéavant sa notification d'adhésionen mars 2001, laquelle comprenait une

réserve à l'articIX. II s'agit d'un changement de position crucial. Il s'ensuit que, peu importe

ses raisons, bonnes ou mauvaises, le demandeur ne fonde plus la compétence dela Cour en

l'espèce sur l'article Il ne peut pas logiquement le faire tout en continuant de prétendre qu'il

n'étaitpas partàela convention en 1999.

10 11. Cela n'est évidemmentpas le motif pour lequel le Canada a contesté la prétentionqui

fondait la compétencede la Cour sur I'article IX. Notre exception se basait sur l'objet de la

conventionet sur son inapplicabilitétione materiaeàl'objet du différend en l'espèce. Mais cette

divergence de motifs est sans importance. Ce qui compte, c'est le résultat -etlà-dessus, nous

sommes maintenant d'accord, parce qu'il est clair que le demandeur rejette maintenant I'aIXicle

comme fondementde la compétence dela Cour en l'espèce.

12.L'abandon des deux bases de compétence invoquées à l'origine laisseun trou béantau

cceur de la thèse soutenue. L'article 38, paragraphe 2, du Règlement exige qu'un demandeur

indique autant que possible les moyens de droit sur lesquels il prétend fonderla compétencede la

Cour. La Serbie et Monténégro s'estconformée à cette exigence dans sa requête introductiv:

sous la rubrique (Fondements juridiques de la compétence dela Cour)),elle invoquait I'article36,

paragraphe2, du Statut, ainsi que l'articleIX de la convention sur le génocide. Dans les

observations écrites, onnous affirme maintenant, énergiquement,que ni l'un ni l'autre articlesne

s'appliquent. Cette position contredit et supprimeen fait un élémentobligatoire de la requête

initiale, et elle transforme le litige en un litige où le demandeur ne prétendplus que la Cour est

compétente, sur aucunebase. Comme nous l'avons énoncé dans une lettre au greffier datéedu

14janvier de l'année dernière,quels que soientles motifs pour lesquels le demandeur a répudié

l'article K, «il suffit que le demandeur ne se fonde plus sur l'arIXclde la convention sur le

génocide :la compétencede la Cour ne peut alors êtrebasée sulra convention en l'espèce.))

13. Tout ce qui figure dans les observations écrites converge inexorablement vers une

absence de compétence. Pourtant, il n'y a pas eu de désistement. On peut légitimement se

demander pourquoi. Ce refus de prendre la mesure qui découle logiquementde tout ce que laSerbie et Monténégroaffirme maintenant est, nous semble-t-il, inexplicable. Ce refus appelle des

réponses à certaines questions élémentaire:que faisons-nous ici, dès lors que toutes les bases de

compétenceinvoquées originellement ont été abandonnées ? Mais quelle base de compétence, s'il

en est, le demandeur invoque-t-il maintenantpourjustifier la poursuite de l'instance et les débatsde

cette semaine? La difficulté que pose cette question est évidente.

14. L'abandon des bases de compétence invoquées à l'origine ressort clairement des

observations écrites. Mais c'est le silence de ces observations écrites surla plupart des questions

cruciales qui est le plus éloquent. La portée dudocument tient non seulementà ce qu'il dit,mais

aussi à ce qu'il omet de dire. II ne rEfute aucun des arguments de fond que font valoir les

exceptions préliminairesque nous avons di-posées :pas un seul. Rien de ce que nous avons dit

n'est réfutéou contesté. Et, pour couronner le tout, il n'y aaucune contestation des conclusions de

nos exceptions préliminairesde la page 61,ou nous invitons la Courà se déclarer incompétenteen

l'espèceet à juger les demandes irrecevables. Ce point est crucial, les conclusions étantla partie

juridiquement opérantede la pièce de procédure.

15. En bref, nous sommes en présenced'une exception à laquelle la Serbie et Monténégro

n'a pas répliqué,sauf, évidemment, en ce qui concerne les points essentiels sur lesquels le

demandeur a expressément adopté notre position. Ce silence est éloquent. Il équivaut à un

acquiescement à l'essentiel des arguments que nous avons fait valoir, età la mesure que nous

avons demandée à la Cour de prendre dans nos conclusions. Il n'y a aucune raison, Monsieur le

président, pour laquellece silence ne devraitpas être décfuiau d'arguments ne prêtantà aucune

équivoque.

16.Monsieur le président, l'implication clairedu paragraphe 1de l'article 60 du Règlement

de la Cour est que le défaut de contestationd'une thèse est significatif. Cette disposition énonce

que les exposésoraux (cportentsur les points qui divisent encore les parties)). Mais la situation ici

est unique. Il n'y arien qui divise encore les parties. Il à'proprement parler, rienàdébattre.

Pour aider la Courà rendre sa décision,nous devonsnécessairementréaffirmerl'essentiel de notre

thèse. Que cela ne fassepas perdre de vue, cependant, l'implication claire du Règlement:ce qui

n'est pas contesté doit êtreconsidérécomme admis et l'absence de réplique aux arguments etconclusions d'une partie devrait être décisif.La bonne administration de lajustice n'en exige pas

moins.

17. Je prie maintenant la Cour de bien vouloir donner la paroleMme Ruth Barr qui

présentera notrepremièreexception préliminaire.

Le PRESIDENT : Merci, Madame Swords. Je donne maintenant la parole à

Mme Ruth Barr.

Mme BARR :

LA PRÉTENTIONFONDANTLA COMPÉTENCEDELA COUR SUR LA CLAUSEFACULTATIVE

18.Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, c'est pour moi un privilège de

comparaître devant vous aujourd'hui. Je me pencherai maintenant sur la question de la prétendue

déclaration du25 avril 1999.

19.Il y a deux raisons distinctes et indépendantespourlesquelles la compétenceen l'espèce

ne peut être fondésur cette déclaration. La déclarationest nulle et non avenue parce que seule

une partie au Statut de la Cour peut se prévaloirde la clause facultative. En outre, la déclaration

serait inapplicable même sielle était valideéserveratione temporis adoptée parle demandeur

exclut la compétencede la Cour en l'espèceles faits en cause.

QUALITÉ D'ETAT MEMBR EE L'ONU

20. La nullitéde la déclarationa toujours été claire,parties sont maintenant d'accord

sur ce point. Pour pouvoir faire une déclarationen vertu de la clause facultative, un Etat doit être

partie au Statut. Lorsque le demandeur a prétendu faire unedéclaration,il n'était pas partieau

Statut, nàtitre de Membre des Nations Unies àiaucun autre titre. Il s'ensuit que la déclaration

ne peut être valide. La Cour n'étaitpas non plus ouverte au demandeur en vertu de l'article 35,

paragraphe 2.

21. Bien que les pratiques administratives et finanàil'ONU aient étéambiguës, les

termes des résolutionsde 1992 du Conseil de sécurité etde l'Assembléegénérale sont on nepeut

plus clairs. Pour les raisons que nous avons données dans notreexposé écrit,ils excluent la

prétentionque le demandeur ait étédéjàMembre desNations Unies au moment où la Cour a été saisie de la présente affaire en 1999. Les organes compétentsdes Nations Unies ont parlé, ils ont

étéclairs, ils font autorité. Nous faisons respectueusement valoir que ces décisions sont

obligatoiresen raison de l'autoritéque confèreà ces organes l'article 4 de la Charte.

22. Le Conseil de sécurité et l'Assemblég eénérale se sont exprimés à nouveau en octobre et

en novembre 2000 lorsque le demandeur a officiellement présentéune demande d'adhésion, puis

s'estvudûment conférerla qualitéd'Etat Membrepar larésolution55/12 de l'Assemblée générale.

La demande d'adhésionet l'admission comme Etat Membre sont évidemment incompatiblesavec

toute affirmation selon laquelle le demandeur aurait déjàétéMembre. Les parties s'accordent

là-dessus, et les Nations Unies sont en accord avec elles. Le demandeur est devenu un Etat

Membre, et partie au Statut, le 1" novembre 2000, pas avant. Tout ce qu'il a tenté de faireen

qualitéde partie au Statut avant cette daten'a aucun effetjuridique.

23. La Cour est bien évidemmentau fait de tout cela. Elle a examiné l'ensembledu dossier

dans son arrêt du3 février 2003 relatià la demande de revision de l'affaire de l'Application dela

convention sur le génocide. Elle a évoquéla situation sui generis de la Yougoslavie au sein et

vis-à-vis des Nations Unies de 1992 à 2000'. Cependant, la clause facultative n'était pasen cause

dans l'arrêt del'année dernière, etje suisd'avis, Monsieurle présidentq,u'à ces fins, une situation

sui generis ne suffit tout simplement pas. C'est la qualitéd'Etat Membre - Membre dejure -

qui est requise. Il est maintenant admis que la République fédéralede Yougoslavie n'étaitpas

partie au Statut en1999. Et si un Etat n'est pas partie au Statut de la Cour, il ne peut faire une

13 déclaration surla base de l'article 36,paragraphe 2. La déclaration estnulle -ce n'est qu'un bout

depapier sans signification-, car le demandeurn'était pas en droit dela faire.

LA RESERVERATIONETEMPORISFAITEDANSLA DÉCLARATION

24. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, lorsque l'ordonnance sur la

demande en indication de mesures conservatoires a été rendue le 2juin 1999,la Cour n'a pasjugé

nécessaire de statuersur la validitéde la déclaration. D'après elle, la déclaration excluatar ses

termes mêmes toute attribution de compétencem , êmeprimafacie, parce que la déclarationlimitait

'Demande en revision de l'arrêtdu II juillet 1996en l'aflaàl'Applicationde la convention pourla
prévention etla répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovince. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavc.Bosnie-Herzégovine), arrêt (3févrie2r003), par.50 et 71. la compétencequ'elle conférait aux seuls différends nésaprès qu'elle ait étéfaite et que le

différenden l'espèce est apparuavant qu'elle l'ait été.

25. Cette limitation était formulée sous forme de réserveratione temporis, ou de condition

temporelle, dont le demandeur a assorti sa déclarationde sonpropre chef. L'objet d'uneréservede

ce genre a été expliquépar Rosenne, c'est ((d'exclureles différends connus dont1'Etatdéclarantou

les parties au traitése préoccupaient lorsqu'ils ont fait ladéclarationn2[traduction du Canada]. A

l'époqueou la déclaration a été faite, presque à mi-chemin de la campagne de l'OTAN, ce

différend était préexistant.Il s'agissait d'un différend connu. Cela suffit enàodémontrerque la

réserveest applicableen l'espèce.

26.La réserve emprunteun libellé familier,communémentappelé la double exclusion ou «la

formule belge)):«tous les différends surgissant ou pouvant surgiraprèsla signaturede la présente

déclaration,qui ont traità des situations ouà des faits postérieursà ladite signature)). Il y a un

point crucialà noter ici. Les deux éléments de cette réserve représentent chacuu nne condition

essentielle. Ainsi, la compétence est excluesoitque le différendsoit néavant la déclaration, soit

qu'il ait traàtdes situations ouà des faits antérieuràcette date. Par conséquent,si un différend

est apparu àune époque antérieure à la déclaration,il n'est pas nécessaire d'aller plus loin.Point

n'est besoin de déterminers'il atraià des situations ouàdes faits postérieursàla déclaration.

27. Cela contribue àsimplifier les choses dans le cas des différends continusou encoursliés

à des situations ouàdes faits dont certains sont antérieuàsla date critique et d'autres, postérieurs

à cette date. C'est ce qui s'est produit en l'espèce- l'emploi de la force par l'OTANa commencé

environ un mois avant la déclaration eta continuéjusqu'au débud t u mois de juin. En fait, il se

14 poursuivait au moment où la Cour a rendu son ordonnance le 2juin 1999. Mais cela ne changeait

rien. 11suffisait de déterminer la date à laquelle le différend avaitpris naissance. S'il s'était

cristallisé avant la déclaration,l'affaire se terminait

28. Rien ne pourrait illustrer ce point plus clairement que l'ordonnance de la Cour du

2juin 1999 sur la demande en indicationde mesures conservatoires. La Cour y mentionneles deux

éléments dela formule, et déclare,au paragraphe 25 : «il suffitde déterminer si,conformémentau

Rosenne, The Law and PracticetheInternational Court,1920-1996, The Hague, Martinus Nijhoff, 3' éd.,
1997vol. Ip.785. texte de la déclaration,le différend porté devant la Coura «surgi» avant ou aprèsle 25 avril 1999,

date à laquelle ladite déclarationa été signée)). n d'autres mots, on pouvait se limiter -et on

s'est limit- à rechercher la présencedu premier des deux élémentsde la double exclusion, celui

relatif l'origine du différend.

29. Au vu des faits en cause, il n'a jamaisédifficile de situer l'origine du différenddansle

temps. Dans l'ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires, la Cournote, à

son paragraphe 26, que «la requêteest dirigée,dans son essence, contre les ((bombardementsdu

territoire de la République fédéralee Yougoslavie», auxquels il est demandé à la Cour de mettre

un terme». La campagne de I'OTAN a débutéle 24 mars 1999, un mois avant la déclaration.

Suivant l'arrêt rendudans l'affaire des ConcessionsMavrommatis en Palestine, un différend naît

dès qu'il y a ((désaccord surun point de droit ou de fait, opposition de thèses juridiques ou

d'intérêts)?. Cette condition minimalaeétéremplie dès queles frappes aériennes ont commencé,

tel qu'il en ressort notamment des communications au Conseil de sécuritédu 24 mars et des

séancesdu Conseil tenues à la mêmedate ainsi que le 26 mars.

30. Au moins à l'origine, le demandeur a soutenu que le différend pouvait être subdivisn

une multitude d'«actes répréhensiblesinstantanés~~.La Cour n'en n'a pas convenu. Sa décision

concluait, au paragraphe 28, que «la Yougoslavie n'établit pas que des différends nouveaux,

distincts du différendinitial, aient surgi entre les Parties aprèsle 25 avril 1999)).

31.Un coup d'Œil sur la requêtedu demandeur suffit pour voir que tout démembrementdu

litige aurait ététotalement artificiel. La requête porte surl'emploi de la force et sur la campagne

aérienne de I'OTAN en son entier -une campagne continue qui a commencéle 24 mars et s'est

poursuivie jusqu'au 9 juin. Il n'y a pas le moindre indice de l'existence d'une multitude de

différends distincts. L'unicitéet la continuité dudifférend ressortent aussi clairementdu mémoire

15 et des recueils de documents produits au soutien de celui-ci. Ils décrivent une série ininterrompue

d'événements couvrant toutela période allantde mars à juin, sans aucune distinction ni aucune

'Affairedes ConcessionsMavrommatisen Palestine,to2, 1924, C.P.J.I.sérieA no11 p.

Licéitéde l'emploi de la force (Serbie et Mono. Canada), mesures conservatoires, ordonnance du
2juin 1999,C.I.J.Recueil 199924.ar.indicationd'un quelconque changement le 25 avril. Il s'agissait d'un différendunique- global et

indivisible-, et c'est ainsi d'ailleurs quele demandeur l'a décrit.

32. La théoriedes différendsmultiples s'est effacée austade du mémoire, faisantplace àune

nouvelle approche. Le différend, nous a-t-on dit, aurait surgi «en entier)) seulement après le

IOjuin 1999, lorsque seraient venus s'y ajouter des ((éléments nouveaux)), dans le contexte des

opérationsde maintien de la paix des Nations Unies effectuées en vertu de la résolution1244 du

Conseil de sécurité5. Monsieur le présidentm, êmes'ils étaient recevables, cessoi-disantéléments

nouveaux ne permettraient nullement d'échapper à la limitation dans le temps de l'attribution de

compétence à la Cour.

33. Le mémoire du demandeurciteun passage de l'arrêtde la Cour dans l'affaire relativeau

Droit de passage Fond), selon lequel un différend naît lorsque tous ses éléments constitutisont

apparus6. Ilest évident que tousles éléments constitutifsd'un différend relatif àl'emploi de la

force sont en place lorsque la force est employéepar unepartie et que la partie adverseproteste. Et

il est absurde de dire qu'un différend relatàfl'emploi de la force devrait être considércomme

incomplet tantqu'il n'a pas étmis fin àl'emploi de la force.

34. L'argument des éléments nouveaux pose au demandeurun dilemme. Si les éléments

nouveaux liés à l'opérationde maintien de la paix font (partie intégrante))du différend initial,

comme le demandeur l'affirme dans son mémoire,alors ils doivent avoir la mêmedate d'origine

que le différend initial7. Les éléments nouveaux feraient aussi clairement l'objet d'uneexclusion

de compétence que la demande initiale en raison de la réserve ratione temporis apportée à la

déclaration. Si, en revanche, les éléments nouveaux ne font pas partie intégrantedu différend

initial, commenous le prétendons, alorsils sontmanifestementirrecevables.

35. Et non seulement irrecevables, Monsieur le président : l'argument relatif aux éléments

nouveaux mène àun écheveaude contradictions qui mine la prétention d'attributionde compétence

aussi fatalementque la réserveratione temporis elle-mêmee ,n ce qu'il impliqueenparticulier qu'il

n'y avait aucun différend juridique avant la fin des hostilités -contrairement à ce qui étaitde

Mémoire,p. 340, par. 3.2.1.4, et p. 339,1par. 3.2.1
Mémoire,p. 339-340, par. 3.2.13.

' Mémoire,p. 339, par. 3.2.12. notoriété publiqueà l'échelle planétair- et que la requête était donc prématuré au moment où

elle a été déposée.

16 36. Quoi qu'il en soit, cet argument méconnaît unprincipe bien établi :la compétencedoit

être établieau moment de la requête. Rien de ce qui vient s'ajouter après la présentationde la

requêtene peut venir changer la date de naissance du différend. L'exception mentionnéedans

l'affaire relativàl'Application de la convention sur le génocide(exceptionspréliminaires) n'est

absolumentpas pertinent en l'espèce. Cette exception se rapporte àun vice entachant une piècede

procédure auquelil pouvait facilement être remédié ultérieurement. Malie s vice ici n'est pas de

forme, il affecte le fond, il découle d'une réserve faite au fondpar laquelle le demandeur a

volontairement limitéla compétencede la Cour afin de se protéger contre des poursuites non

désirées.

37. En dernière analyse, la question ici est simple. A moins que le demandeur ne soutienne

que l'affaire se rapporteà deux différends séparée st distincts -contredisantla position adoptée

dans son mémoire- se retrouve encore avec un différendnéavant que la déclarationne soit

signée. Ilse retrouve toujours, après toutes ces circonvolutions, avec un différendqui n'est pas du

ressort de la Cour en raison des termes qu'il a lui-mêmemployésdans sa déclaration.

38. Je n'ai rien dit jusqu'a présentau sujet du deuxième élémendte la formule belge, celui

qui a trait aux ((situationsou [aux] faits postérieursla] signature))de la déclaration. 11n'est pas

nécessaire de l'examiner,comme en a jugéla Cour en 1999. Cela dit, je crois que, mêmesi ce

second membre de phrase devait être laseule et unique base d'exclusion de compétencepossible,il

y aurait exclusion tout autant que dans le cas du premier. Tout ce raisonnement est pleinement

développé dans notre exposé écrit auxparagraphes 86 à 90 inclusivement.

39.Merci Monsieur le président. Je priemaintenantla Cour de bien vouloir donner laparole

aM. Alan Willis.

Le PRESIDENT : Merci Mme Ruth Barr. Je donnemaintenant la parole a M. ArthurWillis.

M. WILLIS : LA PRÉTENTIOND'UNE ATTRIBUTIONDE COMPÉTENCEPAR L'ARTICLE IX
DE LA CONVENTIONSUR LEGÉNOCIDE

40. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, c'est pour moi un honneur de

comparaître de nouveau devant cette Cour. Cet après-midi, j'aborderai la prétention d'une

attribution de compétence par l'articleX de la convention sur le génocide-je devrais direà

l'ancienne prétention d'attribution de compétence, puisqu'elle est désormais tacitement

abandonnéepar le demandeur. Je traiterai en premier lieu des allégations de génocideliées à

l'emploi de la force, puis des allégationsnouvellement ajoutées,et fondamentalementdifférentes,

ayant trait aux opérations de maintien dela paix effectuéesen vertu de la résolution1244.

17 LA CONVENTIONSURLEGENOCIDEETL'EMPLOIDE LA FORCE

41. Nous réagissons,cela va sans dire, avec indignation a l'accusation de génocide,le plus

grave de tous les crimes internationaux. Ces accusations sont sans fondement. Nous les rejetons

catégoriquement. Mais nous débattons aujourd'hui d'exceptions préliminaires, limitées a des

questions de compétenceet de recevabilité, nousne pouvons donc pas répondre àces accusations

ici.

42. Monsieur le président, le motif tiréde la convention sur le génocide découled'une

interprétation erronéede la convention. Il s'ensuit que l'articlIX ne peut servir de base

d'attribution de compétence. Les allégations - fondées ou non - n'entrent pas dans les

previsionsde la convention.

43. L'expression queje viensd'utiliser est facilementreconnaissable. Elle renvoie au critère

d'attribution d'une compétence ratione materiae en vertu d'un traité adopté par l'arrêrtendu

en 1996dans l'affaire des Plates-formes pétrolières(exceptionspréliminaires). La Cour -pour

reprendre ses mots- ((doit rechercher si les violatio..allégués ..entrent ou non dans les

previsions du traité)?- en d'autres mots, si leur ((légalitépt tre évaluée))enertu du traité. Il

s'ensuit que la compétence de la Cour ne peut êtreétablie sur la base d'une interprétation

juridiquement erronée duchamp d'application d'un traité.

Plateslformes pétrolières(République islamiqued'Iran c.Etats-Unis d'Amérique),exceptions préliminaires.
arrêt,C.I.J.Recueil 1996,p. 803; les italiquessont de nous. 44. Le critère est simple, mais il a des implications importantes. Il ne suffit pas de se

contenter d'alléguerla violation d'un traitéoù figure une clause compromissoire. Le critère est

relativementrigoureux au stade de l'exception. Ce critère rigoureux est une conséquencelogique

du fondement de toute attribution de compétencea la Cour sur le principe du consentement. La

Cour a maintenu au fil des ans qu'il doit y avoir une ((manifestation non équivoque))d'une

acceptation ((volontaireet indiscutable))de la compétence dela cour9. Dans le cas d'une clause

compromissoire, cette exigence ne peut êtreremplie à moins qu'il ne soit clair qu'on puisse dire

honnêtement que le traité est applicable l'objet de la demande.

45. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il n'y a aucun élément de

preuve reliant le Canada à des violations de la convention. 11n'y a en fait aucune allégationni

prétention qui, si elle était soutenue pardes élémentde preuve, pourrait faire tomber l'affaire dans

le champ d'application de la convention. L'invocation de la convention découled'une conception

erronéede celle-ci.

18 46. Surtout, l'on méconnaît le fait que le génocide,par essence,c'est une intentionet une

destruction - l'anéantissementde populations entières. L'objectif ultimedu crimede génocideest

l'exterminationd'un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel. Cet objectif ultime

est décritpar le droit du génocide commeétantune ((intentionspécifique))ou dolus specialis.C'est

la marque distinctive du crime. L'article II de la convention énumère uneséried'actes prohibés,

mais l'intention de perpétrerun de ces actes ne suffit pas. D'après la disposition liminaire de

l'article II, un acte prohibé ne constitue un génocideque s'il est accompli «dans l'intention de

détruire,en tout ou en partie, un groupenational, ethnique,racial oureligieux comme tel)).

47. La Commission du droit international traite de ce membre de phrase dans son rapport

de 1996sur le Projet de code des crimes contre lapaix et la sécuritéde 1'humanité. Elle souligne

que,pour équivaloir à un génocide,un acte prohibé doitconstituer une mesure s'inscrivant dansle

cadre d'un plan plus général- «une mesure)),pour reprendre ses propres termes, ((concourant à la

Application de la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordon13nseptembre 199C.I.JRecueil 1993par.34. réalisationde l'objectif global de destruction du groupe»'0. Elle fait également observerque

l'intention doit êtrede détruire le groupe en tant que collectivité- «comme entité séparée et

distincte))". M. Schabas, dans son récent traité intitulé Genocide in International Law, exprime

cette idée en des termes plus simples : «Le crime [écrit-il] doit être motivé par la haine du

groupe.»" [Traduction du Canada.]

48. Cela établit une nette distinction entre le génocide et des actes -fût-ce des actes

criminels - perpétrésen vue de la réalisationd'objectifs qui n'incluent pas la destruction d'un

groupe comme tel. Et c'est la, naturellement, la raison pour laquelle la Cour a noté, au

paragraphe 39 de son ordonnance au sujet de la demande en indication de mesures conservatoires

en l'espèce, quele recours ou la menace du recours a la force ne sauraient en eux-mêmes constituer

un acte de génocide. L'objectif doit être la destruction d'une population, et non la destructiond'un

Etat ou l'acquisition d'un territoire ou la coercition d'un gouvernement. La distinction a bien été

relevéedans l'ordonnance relative à la demande en indication de mesures conservatoires rendue

dans l'affaire relative à l'Application de la convention sur le génocidele 13septembre 1993 :la

caractéristique essentielle du génocide,a dit la Cour, est la «destruction intentionnelle d'un

((groupenational, ethnique, racial ou religieux»»I3,et non la disparition d'un Etat souverain ou le

19 fait de modifier sa constitution ou son territoire, ou son annexion, sa partition ou son

démembrement. En d'autres mots, les objectifs ordinaires de la guerre sont à distinguer

fondamentalementdu génocide.

49. Monsieur le président, il n'y a rien dans les pièces qui sont devant vous qui tienne

compte de la disposition liminaire de l'article II, considérée commeune condition d'application

distincte et séparée. Aucunepreuve directe ou indirecte d'une intention génocidaire n'est

administréeni mêmealléguée. Unesimple affirmation d'intention génocidaire,que rien ne vient

soutenir, ne peut, manifestement, suffire. Le mémoirelaisse entendre qu'il faut présumerune

intention génocidaire dès lors que des civils sont exposés à l'anéantissement. C'est erroné

IORapport de la Commission du droit international sur les travauxde sa quarante-huitième session
(6 mai-26juillet 1996) (Nations Unies, doc. Ai51/10inAnnuairede la Commission dudroit international1996, vol. II,.
parti2,p. 45.

"Ibid.
1Schabas, Genocide in InternationalLaw, Cambridge,CambridgeUniversityPress, 2000, p. 255

"Précité, note12,par. 42. juridiquement, car, ainsi, on ne donne aucun effet spécifique à la disposition liminaire de

l'articleI. Et, ce faisant, on méconnaîtle trait spécifique et distinctif ducrime de génocide. Le

mémoire traite le génocide comme s'il s'agissait exactement de la mêmechose qu'un crime

réprimé par le droit des conflits armés, également qualifié de droit international humanitaire.

50. Monsieur le président,ce n'est nullement la mêmechose. Depuis le tout début,on a

insisté surle rôle distinct, enait unique, de la convention sur le génocide. Lorsquele secrétaire

général des Nations Uniesa présentéle premier projet de la convention en 1947, il a fait observer

que le génocidedevaitêtredéfini defaçon à ne pas empiéter «sur d'autres notions qui logiquement

sont et devraient êtredistinctes)>''. Et c'est ainsi qu'il a été défini, par le moyen dlea disposition

liminaire de l'article II. Peu detemps après, en 1951, la Cour a eu l'occasion d'interpréter la

convention dans l'affaire desRiserves, et elle a souligné la nature particulière du génocidee,n des

termes devenus proverbiaux : un crime impliquant le refus du droit à l'existence de groupes

humains entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine.

51. Le traitement réservé au génocidd eans le mémoireest bref et superficiel, mais il permet

de constaterà quel point l'on confond génocide et droit des conflits armé; ny traite l'un et l'autre

comme identique. Nous avons àrépondre à des accusations d'usage d'uranium appauvri. Il s'agit

là d'une question de droit humanitaire et non d'une questionde génocide. Onignore superbement

le passage du récentavis consultatif relatif aux Armes nucléairescitédans l'ordonnance sur la

demande en indication de mesures provisoires prononcéeen l'espèce, à savoir que mêmel'emploi

des armes de destruction massive les plus horribles ne constituerait pas ipsofacto un génocide.

2-0 52. Il n'y aàpeu près riend'autre au sujet de l'intention génocidaire, sice n'est l'allégation

relativeà une série de frappes aériennes contre des usinechimiquesI5. Or, même enla supposant

avérée, c'estlà une allégation de ciblage de civils et de destruction environnementale-des

questions courantes, et typiques, en fait, en droit des conflits armés. S'il étaitvrai que des attaques

exposant des civils à la destruction constituaient ipsofacto un génocide,alors -par exemple-

les crimes visés à la partieIV du protocole 1 constitueraient automatiquement un génocide. Ces

lNations Unies,doc. El447, citédans Schabas,ennote 15,p. 52.
'Mémoire, p.282,par1.6.1et suiv.deux corps de règles distincts auraient exactement le mêmeobjet, auquel ils s'appliqueraient de

manièreidentique.

53. Une telle affirmation est indéfendable. Elle est erroen droit parce qu'elle méconnaît

le fait que, de l'époque despremiers projets de conventionà la jurisprudence récente,la nature

distincte du génocidea toujours étun thème central. Le demandeur a dit dans son mémoirequ'il

avait présenté des preuvesd'une intention génocidaire. Il n'a rien fait de tel. Il a fait des

allégationssans fondement qui pourraient être évaluées seloe droit des conflits armés,non selon

le droit du génocide.

54.Monsieur le président,la tentative d'assimilation du génocideau droit des conflitsarmés

est non seulement mal fondée, elleest dangereuse. Le droit du génocideest distinct, et il doit le

demeurer,parce qu'il estle ((crimeentre tous les crimes)). Il ne doit pas êtredilué, etil ne doit pas

êtrebanalisé par une application abusive.

55. Il reste un dernier point que la tentative de faire valoir l'artiIXe comme base de

compétencesoulève. Il ya une omission extraordinaire dans le mémoire déposé palre demandeur

-l'absence en fait de toute allégation concernant spécifiquement leCanada. On se sert du même

mémoire, à l'encontre de tous les intimés, dans huit affairesséparées. Cedéfaut d'imputationde

quoi que ce soit au Canada a des incidences plusieurs égards, ilest cependant déterminanten ce

qui a trait aux accusations de génocide,et ce, en raison du rôle central que joue l'intention

spécifiquedans le droit du génocide. Une intention, c'est subjectif. Cela relèvedu domaine de

l'esprit humain. Monsieur le président, une intention génocidaire ne peut pas exister dans

l'abstrait, sans rattachemeàtaucun sujet humain. Il est impossible de parler de façon cohérente

d'une intention génocidaire sans identifierles individusqui possèdent supposément cette intention,

et sans formuler d'allégations factuellesqui démontreraientcette intention si elles étaientprouvées.

56. Cela nous amène à certains des éléments indispensablesd'une accusation de génocide,

donttous sont absents en l'espèce. Unetelle accusationprésupposel'attribution d'un étatd'espàit

des personnes identifiables. Et lorsqu'il est question dela responsabilitéd'un Etat relativeàent

un génocide, il serait indispensablede relier ces personnes identifiables aux institutions et aux

organes dont 1'Etatest responsable en droit international. Par ce seul motif déjà,en n'établissant

aucun lien entre les accusations et des organes ou des représentants deatcanadien,notamment ses forces armées,on portait un coup fatàll'accusation de génocidelancée contrenous. Il n'est

pas nécessaire decontinuerà débattrede la nature et de l'étenduede la responsabilitéde 1'Etaten

matière de génocide.

LACONVENTION SUR LE GÉNOCIDE ET L'ARGUMENT DES GÉLÉMENTS NOUVEAUX))

57. J'aborde maintenant les prétentions nouvelles, cellesqui ont àrla Force de maintien

de la paix des Nations Unies au Kosovo, la «KFOR». Ces prétentions sont non seulement

irrecevables, elles sont sans rapport avec l'objet de la convention sur le génocide.

58. Le mémoiredéclineune litanie d'événements tragiques,«de Serbes et d'autres groupes

non albanais tués, blessés et victimes d'un nettoyage ethnique au Kosovo et au ~etohija))'~

[traductior~du Canada]. Mais rien n'y est d-t pas un mot - qui puisse rattacher les méfaitsdes

soi-disant terroristes albanaises actes ouàdes omissions attribuables au Canada ouàses forces

armées. Il n'y a aucune allégationde négligence, de méfait,de complicité ou de manque de

diligence imputéeau Canada ou à ses forces armées. Aucun lien de causalité n'est allégué, ne

fut-ce mêmeque par allusion. Nous l'avons dit dans nos observations écrites,et nous le disons

nouveau :le Canada n'est accuséde rien en ce qui concerne l'opérationde maintien de la paix. Il

n'a àrépondred'aucune accusation, il n'a rieàréfuter.

59. Le demandeur tente de pallier l'absence de toute implication canadienne en affirmant,

premièrement, que les actes de chaque membre de l'OTAN sont imputables à tous les autres

membres de l'OTAN et, deuxièmement, que la KFOR n'est que l'instrument de l'OTAN. Ces

deux propositions sontjuridiquement inexactes. Lorsqu'il s'agit de génocide,il n'y a rien dans les

règles établiesde la responsabilitédes Etats ou dans les traitésapplicables qui puisse rendre

actes de tous les membres de l'OTAN imputables ipsofactoà tous les autres, indépendammentde

leur participationces actes, de leur connaissance de ceux-ci ou de leur consentemeàtceux-ci.

Le second point, soit que la KFOR est un instrument de l'OTAN, est lui aussi mal fondéen droit.

Selon la résolution1244 du Conseil de sécurité,la Force de maintien de la paix des Nations Unies

au Kosovo évolue «sous l'égide de l'organisation des Nations Unies)) avec une participation

22 importante de l'OTAN. Elle comprend plus de trente Etats, dont la majorité n'est pas membre de

1Mémoire,p.352.l'OTAN, et elle est tenue de rendre des comptes au Conseil de sécurité. La KFOR est bien

davantagequ'un instrument de l'OTAN. De toutes les façons, cet argument ne mènenulle part,vu

les faits allégu:rien qui puisse équivaloià une violation de la convention sur le génociden'est

imputé à l'un quelconque de nos partenaires de la KFOR.

60. Dans le mémoire,on trouve un argument subsidiaire selon lequel, si la KFOR n'est pas

sous le commandementet le contrôle de l'OTAN, alors chaque défendeur est responsable des actes

commisdans la régionplacéesous son contrôle. Si cela signifie que chaque participantla KFOR

est automatiquement responsable de tout ce qui pourrait mal tourner dans sa propre région,

indépendammentdetoute intention ou négligenceou complicité,alors l'argument ne trouveaucun

fondement ni en droit international ni dans la convention. Quoi qu'il en soit, tout cela est plutôt

théorique parcequ'il n'y aaucune allégation selon laquellel'un quelconque des incidents évoqués

serait survenu dans une région sousresponsabilité canadienne.

61. L'argument sur ce point revient donc inéluctablement à prétendre qu'envertu de la

convention sur le génocidele Canada est automatiquement responsable des violences ethniques

survenues au Kosovo en raison de sa seule participatiànla Force des Nations Unies. Une telle

prétention ne saurait correspondàeune interprétationjuridiquement juste de la convention.ya

certes, en vertu de l'article premier, une obligation de préveniret de punir le génocide,mais une

contribution au maintien de la paix dans une région déchiréeres conflits ethniques est en soiun

effort de préventiond'un génocide, nonun manquementau devoir qu'impose l'article premier. La

tentative d'assignation du Canada sur le fondement de la convention sur le génocidepour sa

participationà la KFOR se fonde sur une interprétation implicite manifestement absurdeou

déraisonnable ausens de l'article1de la conventionde Viennesur le droit des traités.

L'ÉVAPORATION DUDIFFÉRENDCONVENTIONNEL

62. Il y a une autre raison tout aussi fondamentaleen vertu de laquelle l'arIXcne peut

servir de fondement àla compétence. Le demandeur,comme nous le savons, soutient maintenant

qu'il n'était pas lié parla convention sur le génocidejusqu'à ce qu'il y adhèreen mars 2001.

Monsieur le président,cela est peut-être vrai,peut-êtrefaux. Je n'approfondirai pasla questionici.

Cependant, quoi qu'il en soit, la nouvelle position du demandeur selon laquelle la Serbie et Monténégron'était paspartie à la convention en 1999 a des conséquences déterminantes surla

pertinence de l'articlIX en l'instance. J'ai déjà évoquune de ces conséquences :le demandeur

23 n'invoque plus l'articlIX et il n'en fait plus une base de la compétence de la Cour. L'autre

conséquence a des implications encore plus profondes. En effet, cela veut dire que, pour

l'application de l'article il ne peut pluy avoir de différend juridique entre les partiesau sujet

d'éventuelles violationsde la convention sur le génocide parle Canada en 1999.

63. Un différend au sujet d'un traité suppose qu'une partie formule contre l'autre une

revendication fondéesur le traitéqu'une partie invoque contre l'autre des droits découlant d'un

traité ou réclame de l'autre l'exécution d'obligations découlant du traité. C'est ce que la

République fédérale de Yougoslavia e fait en 1999, et que la Serbie et Monténégro ne fait plus

en 2004. Elle ne peut plus prétendre que le Canadaa manqué àses obligations conventionnelles

envers la République fédérale de Yougoslavie en 1999, parceque sa nouvelle position nie

l'existence même de toute obligation conventionnellde ce genre. Une partie ne peut pas touàla

foisprétendrequ'elle n'étaitpas partie une convention et qu'il y a un différendjuridique au sujet

des obligations existant envers elle en vertu de cette convention. Ces deux affirmations sont

antinomiques. Il s'ensuit que tout «différend» éventuel aux termesde l'article IX s'est purement et

simplement évaporé.

64. Monsieur le président, permettez-moi de conclure :ceci n'est pas -ceci n'a jamais

été- un différend ausujet d'un génocide. C'estun différend au sujet de l'emploide la force et

mettant en cause le droit des conflits armés. On allègue que les frappes aériennesde l'OTAN

auraient intentionnellement exposé descivilsà l'anéantissement et qu'on aurait eu recourà des

armes prohibées. Si cela étaitvrai -ce qui n'est pas le cas- cela équivaudraità un crime de

guerre. Mais cela n'équivaudraitpasà un génocide. Il manque les caractéristiques essentiellesdu

crime de génocide :un objectif ultime consistaàtdétruireun groupe national, ethnique, racial ou

religieux comme tel.

65. Merci Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, je vous demanderais

maintenant d'appeler l'agent du Canadaàconclure notre argument aujourd'hui. Le PRESIDENT :Merci, MonsieurWillis. Je donne maintenant la parole à Mme Swords,

agent du Canada.

Mme SWORDS :

RECEVABILITÉ

66. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, la question de la compétencese

pose la première. S'il y a incompétence, nul besoinde se pencher sur les questions de recevabilité.

Nous avons doncréservé nos exceptions préliminaires en irrecevabilité pour lafin de notre exposé

de ce matin.

24 67. Deux de nos exceptions préliminaires concluent cependant à l'irrecevabilité dela

demande. La première tient à ce que les éléments nouveaux que viena tjouter au litige le mémoire

du demandeur sont irrecevables. Ces élémentsse rapportent à la période ultérieureàla cessation

de l'emploi de la force en juin 1999,aux troubles ethniques au Kosovo après cette époque,et aux

efforts de maintiende la paix de la Force de sécuritdes Nations Unies, la KFOR.

68. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, la demande initiale et les

éléments nouveaux sont aussi différents que le jouret la nuit. Le litige s'en trouverait

complètementtransformé. La demande initiale concerne,d'aprèsles termes de l'intituléchoisi par

le demandeur lui-même,l'obligation de ne pas employer la force en rapport avec les fiappes

aériennes del'OTAN en 1999. Cette qualification est confirmée parla description de l'«Objet du

différend»dans lecorps de la requête. Riende cela n'a échappé à l'attention de la Cour au stadede

l'indication des mesures conservatoires, lorsqu'elle a jugé que la requête était dirigée, dasnsn

essence, contre les ((bombardementsdu territoire de la République fédéralee ~ou~oslavie»".

69. Voilà letableau en termes généraux.Lorsqu'on y regarde de plus près,les distinctions se

multiplient, et aucune d'entre ellesn'est triviale

- l'époqueest différente;

17Licéitéde l'emploi de laforce (Serbie et Monténégroc. Canada), mesures conservatoires, ordonnancedu
2juin 1999, précp,ar. 24.- les parties en cause sont différentes:ily a plus de trente Etats participantà la KFOR, dont un

grand nombre n'ont aucun lien avec l'OTAN, et tous participent à une opération menée sous

l'autorité suprêmd eu Conseil de sécurité;

- le lieu est différen:l'ensemble du territoire de la République fédérale dY e ougoslavie dansle

cas de la demande initiale, et le seul territoire du Kosovo dans le cas des élémentnouveaux;

- et par-dessus tout, l'importance de l'accent maintenant mis sur le maintien de la paix et le

maintien de l'ordre plutôt quesur l'emploi de la force s'impose d'elle-même :dans le langage

ordinaire, la guerre et la paix sonà l'opposél'une de l'autre, et les principes juridiques qui les

régissent sontfondamentalement différents.

70. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, dans l'affaire de Certaines

terres à phosphate à Nauru, la Cour a jugé irrecevables de nouveaux éléments parce qu'ils

représentaientun différendqui étaitnécessairementdifférentparle temps, l'objet et le lieu. Ily a,

à notre avis, un rapprochement à faire entre cette analyse et les distinctions que je viens

d'énumérer-et mêmp elus qu'un rapprochement. En effet, il est difficile d'imaginer une

différenced'objet aussi nette, que rend d'autant plus frappantele changement d'époque,de lieu et

des acteurs en cause.

71. L'objet du litige serait donc complètementtransformépar les éléments nouveaux.Ils

sont ainsi irrecevables selon lajurisprudence de la Cour. En 1998,dans I'Aflaire de la compétence

en matière de pêcheries, la Cour a qualifié ce principe ((d'essentielau regard de la sécurité

juridique et de labonne administration de la j~stice))'~.L'irrecevabilitéde prétentions étrangères

en d'autres mots est loin d'êtreun simple vice de forme. Il est difficile d'imaginer une situation où

cette règletrouverait plus clairementà s'appliquer.

72. Notre deuxième exceptionen irrecevabilité conclutque la présencede tiers qui ne sont

pas parties àla présente instanceest essentielle et exigéepar l'objet même dulitige. La demande

en son entier est donc irrecevable selon le principe établi dansl'affaire de l'Or monétaire. Nous

vous référons aux arguments exposés dann sos observations écrites et les réaffirmons. Dans

aucune autre cause a-t-on laissé ainsi les principaux acteursen-dehors de l'instance. Non

l8Compétenceen matièrede pêcheries(Espagne c. Canada), compétence,C.I.JRecueil1998,par.29.seulement les Etats et les parties absents sont-ils en caus: ils sont au cŒurdu différend. Leur

présence,pour reprendre un terme dont s'est servi la Cour, serait réellement indispensable.

73. Pour résumer les arguments développés aujourd'hui, Monsieur le président,le

demandeur a abandonné toutes les bases de compétencequ'il avait indiquées dans sa requête

initiale en vertu de l'article 38, paragraphe 2, du Règlement de la Cour. Nous invitons la Cour à

tirer les conséquencesde cet abandon.

74. Quoi qu'il en soit, la Cour n'est pas compétentepour statuer sur l'instance introduitepar

le demandeur contre le Canada le 29 avril 1999, que se soit sur le fondement de la prétendue

déclaration du25 avril 1999 ou de l'article IX de la convention sur le génocide. De plus, les

demandes sont irrecevables parce que la présencede tiers essentiels qui ne sont pas parties à

l'instance est exigéepar l'objet du litige etque l'objet du différendorigineldont la Cour a saisie

serait transformé parles demandes nouvelles ayant trait à la période postérieure au10juin 1999.

Sur tous ces points, nous réaffirmons les objections que nous avons fait valoir dans nos

observationsécritesdu 5juillet 2000.

75. Ceci conclu le premier tour de plaidoirie du Canada. J'aimerais remercier la Cour de sa

patience et de son attention.

L'audience est levéeà15 h55.

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