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090-20030228-ORA-01-01-BI
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CR 2003/14 (traduction)
CR 2003/14 (translation)
vendredi 28 février 2003 à 10 heures
Friday 28 February 2003 at 10 a.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit
aujourd’hui pour entendre la fin du premier tour de plaidoirie de la République islamique d’Iran
concernant la demande reconventionnelle des Etats-Unis. Je donne donc maintenant la parole à
M. Sellers.
M. SELLERS : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour.
RÉPONSE DE L’IRAN À LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
DES ETATS-UNIS ¾ QUESTIONS DE FAITS
A. Introduction
1. Je traiterai brièvement ce matin les aspects factuels de la demande reconventionnelle des
Etats-Unis. M. Pellet se penchera ensuite sur les questions de compétence et de recevabilité que
soulève cette demande reconventionnelle, questions qui n’ont pas été tranchées au fond par la Cour
dans son ordonnance du 10 mars 1998. Après l’intervention de M. Pellet, M. Crawford examinera
la question de savoir si l’une quelconque des prétendues actions iraniennes peut être considérée
comme une violation du paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié.
2. Les Etats-Unis ont formulé leur demande reconventionnelle dans les termes suivants :
«en attaquant les navires dans le Golfe [Persique] en recourant à des mines et à des
missiles et en menant d’autres actions militaires dangereuses et nuisibles pour le
commerce maritime, la République islamique d’Iran a enfreint les obligations qui
étaient les siennes envers les Etats-Unis au titre de l’article X du traité de 1955»
(contre-mémoire, conclusions, p. 180).
Les Etats-Unis ont évoqué les cas spécifiques de navires dont ils affirment qu’ils battaient leur
pavillon ou appartenaient à des intérêts américains, et qu’ils auraient été attaqués par l’Iran en
violation du paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié. Toutefois, comme semblait l’indiquer le
conseil des Etats-Unis mercredi après-midi, la demande reconventionnelle des Etats-Unis ne couvre
pas exclusivement, voire pourrait ne pas couvrir du tout, les prétendus dommages causés à ces
navires en particulier. La demande d’indemnisation s’étend apparemment aux primes d’assurance
contre les risques de guerre, aux surcoûts ayant grevé les activités de fret et même aux dépenses
engagées pour le déploiement de forces militaires dans le golfe Persique, prétendument aux fins de
protéger ces navires (CR 2003/13, p. 13 et duplique, par. 6.52).
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3. Je commencerai par examiner le principal postulat sur lequel repose la demande
reconventionnelle des Etats-Unis, à savoir que c’est l’Iran qui porte la responsabilité des menaces
et des attaques contre le commerce protégé par traité dans le golfe Persique. Je me pencherai
ensuite sur les incidents spécifiques évoqués dans la demande des Etats-Unis.
B. Le contexte général
4. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les Etats-Unis ont, ces deux
dernières semaines, qualifié par deux fois de «à tous égards, consternant» le comportement de
l’Iran allégué dans le cadre de leur demande reconventionnelle (CR 2003/9, p. 55; CR 2003/10,
p. 11). Des chiffres ont été avancés faisant état de cent, parfois même deux cents, attaques
iraniennes contre des navires prétendument neutres, ayant causé la mort d’un nombre de personnes
estimé à soixante-trois (ibid., p. 55). Ces attaques ont été présentées comme revêtant un caractère
systématique. Les conseils des Etats-Unis n’ont cessé de mettre la Cour en garde contre toute
conclusion favorable à l’Iran en l’espèce, arguant que rendre pareille conclusion reviendrait à faire
passer à d’autres agresseurs un message laissant entendre qu’elle «pourrait être disposée à les
protéger contre les conséquences de leur comportement illicite et à soutenir leur cause en déclarant
coupables ceux qui ont cherché à faire cesser leur agression» (ibid., p. 19, par. 1.41). Enfin, l’Iran
a été accusé de donner libre cours à son imagination, de passer sous silence des faits supposément
essentiels, et d’altérer la vérité. Les Etats-Unis ont promis de «[combler] les lacunes et [de
corriger] les déclarations erronées qui entachent la version des faits que l’Iran a présentée à la
Cour» (ibid., p. 12, par. 1.13). Silence, imagination et altération. Monsieur le président, Madame
et Messieurs de la Cour, permettez-moi de montrer ce qu’il en est en ce qui concerne la demande
reconventionnelle des Etats-Unis.
5. Tout d’abord, qu’est-il advenu de l’Iraq dans les plaidoiries des Etats-Unis ? Il n’en est
quasiment jamais question, pas plus que de la guerre terrible qui faisait rage au moment des faits.
L’Iran a produit un rapport du Secrétaire général d’où il ressortait que c’était l’Iraq qui, en
agressant et en occupant le territoire iranien pendant toute la durée du conflit, était à l’origine et
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portait la responsabilité de celui-ci. Le Secrétaire général s’exprimait ainsi au sujet non pas d’une
partie seulement, mais de l’ensemble du conflit, et notamment de la situation dans le golfe
Persique. Les Etats-Unis ne font aucune mention du rapport du Secrétaire général.
6. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il ne s’agissait pas là d’un conflit
banal. L’Iraq occupa des régions renfermant une part importante des infrastructures pétrolières
iraniennes et le préjudice économique qu’il porta à l’Iran fut estimé à 1000 milliards de dollars. Ce
fut l’une des guerres les plus coûteuses du XXe
siècle. Il y eut plus de trois cent mille morts du côté
iranien.
7. Et qu’en est-il du soutien apporté par les Etats-Unis à l’Iraq dans le cadre de cette
agression illicite, menée en violation flagrante des lois de la neutralité ? Les Etats-Unis n’en ont
pas soufflé mot. Monsieur Bundy a expliqué en quoi consistait ce soutien. Je ne reviendrai pas sur
ses explications, si ce n’est pour relever qu’il ressort clairement du dossier que les Etats-Unis ont
fourni à l’Iraq des renseignements et une aide militaire directe pour conduire des attaques, lui
transmettant entre autres, quasiment en temps réel, des informations sur les opérations militaires
iraniennes ¾ ce qu’ils n’ont, au reste, pas nié. Les Etats-Unis ont même permis à l’Iraq de se
procurer des produits dont il s’est servi dans le cadre d’attaques à l’arme chimique, alors même
que, comme le notait récemment un commentateur, «Washington savait que l’Iraq lâchait des
'cargaisons entières' d’armes chimiques sur les positions iraniennes» (Los Angeles Times,
16 février 1998). Quelque cent cinquante mille Iraniens souffrent aujourd’hui encore des
conséquences de ces attaques iraquiennes à l’arme chimique. Et l’on vient nous parler de
comportement consternant, et de messages trompeurs adressés aux agresseurs !
8. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est en tenant compte de
l’agression iraquienne, du soutien que lui ont apporté les Etats-Unis, et des efforts déployés par
ceux-ci en vue d’ébranler le régime iranien que vous devrez statuer sur les faits et les éléments de
preuve qui vous ont été soumis. Et c’est à la lumière de ces éléments ¾ que les Etats-Unis ont,
dans leur quasi-totalité, passés sous silence ¾ que vous devrez considérer la situation qui prévalait
dans le golfe Persique en 1987 et 1988, sur laquelle est fondée la demande reconventionnelle des
Etats-Unis. Car les Etats-Unis, là encore, ou bien se gardent de l’évoquer ou bien la dénaturent
radicalement. Comme je vais le montrer, le même scénario d’agressions iraquiennes, de soutien
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américain à l’Iraq, et d’efforts déployés par les Etats-Unis pour affaiblir l’Iran s’applique aux
événements qui se sont déroulés dans le golfe Persique. Les conseils des Etats-Unis auront beau
déployer tous leurs talents de rhéteurs, il n’en restera pas moins avéré que la menace pesant sur la
navigation commerciale ¾ et, plus que tout, sur le commerce entre les Parties à la présente
instance ¾ émanait de l’Iraq, et que l’Iraq était à cet égard aidé par les Etats-Unis.
9. Permettez-moi de revenir sur certains éléments clés de la situation dans le golfe Persique
qui en apportent la preuve. Premièrement, c’est l’Iraq qui a porté la guerre dans le golfe Persique.
Le conseil des Etats-Unis l’a reconnu au stade de la compétence (CR 96/12, p. 23), mais il n’en a
pas été question dans les dernières plaidoiries. Reste que ¾ et les sources des Etats-Unis le
confirment ¾, pour la seule période allant de 1981 à 1984, l’Iraq a lancé contre des navires dans le
golfe Persique un nombre d’attaques estimé à cinquante-six (contre-mémoire, annexe 9). Les
navires pris pour cibles étaient de nationalités diverses, notamment saoudienne, britannique,
libérienne, panaméenne et bien d’autres. Ces attaques s’intensifièrent après 1984, et se
poursuivirent tout au long du conflit.
10. Deuxièmement, comme l’a notamment signalé M. Freedman, la décision iraquienne de
porter la guerre dans le golfe Persique ¾ et de rendre, ce faisant, la navigation périlleuse ¾ semble
avoir été prise à l’instigation, ou à tout le moins avec l’aide, des Etats-Unis. Comme le relevait un
commentateur : «Des spécialistes américains de politique étrangère ont aidé l’Iraq à mettre au point
la stratégie que l’on a par la suite appelée 'guerre des pétroliers', prônant avec force des attaques
iraquiennes contre le trafic maritime à destination et en provenance de l’Iran.» (Réplique,
annexe 3, p. 166 et rapport Freedman, par. 19, note de bas de page 17.) En d’autres termes, les
Etats-Unis ont apparemment encouragé les attaques iraquiennes contre le commerce iranien, y
compris contre le commerce pouvant exister entre l’Iran et les Etats-Unis.
11. Troisièmement, contrairement à ce que prétendent les Etats-Unis, l’Iran a maintes fois
apporté son soutien aux efforts diplomatiques destinés à protéger la navigation dans le
golfe Persique, que ce soit en autorisant des navires à battre pavillon des Etats-Unis, ou en
convenant que le golfe Persique devait rester à l’écart du conflit. Il était de toute évidence dans
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l’intérêt de l’Iran de promouvoir de tels efforts puisque son commerce, notamment avec les
Etats-Unis, dépendait du golfe Persique. Une lettre adressée par le représentant de l’Iran aux
Nations Unies en 1986 l’illustre clairement :
«Je désire rappeler que, depuis le déclenchement des attaques iraquiennes
contre des navires empruntant le golfe Persique, nous avons annoncé à plusieurs
reprises, dans différentes enceintes internationales, notre désir de coopérer de toutes
les manières possibles avec le Secrétaire général des Nations Unies et/ou d’autres
organisations internationales compétentes afin de préserver la liberté et la sécurité de
la navigation dans le golfe Persique.» (Contre-mémoire, annexe 2, p. 30.)
12. Toutefois, les propositions en faveur d’une condamnation des attaques iraquiennes et
d’une action multilatérale ou parrainée par l’Organisation des Nations Unies en vue de protéger la
navigation marchande restèrent lettre morte, parce l’impression était que le Conseil de
sécurité ne les approuverait pas. La raison majeure en était l’opposition des Etats-Unis.
Javier Pérez de Cuéllar, qui était alors Secrétaire général, nota que les Etats-Unis étaient
«farouchement hostiles à l’Iran, et n’étaient donc pas enclins à appuyer au Conseil de sécurité des
mesures pouvant être favorables à Téhéran» (réplique, annexe 6, p. 178). De fait, comme le notait
le représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l’Organisation, sir Anthony Parsons : «il n’y
[eut] pas … de condamnation internationale directe des attaques iraquiennes ni la moindre tentative
sérieuse en vue d’amener ou de contraindre l’Iraq à y mettre fin» (observations et conclusions de
l’Iran, annexe 16, p. 19).
13. Quatrièmement, il ne fait aucun doute que l’Iraq lança des attaques contre des navires
dans l’ensemble du golfe Persique, loin de sa zone d’exclusion, et même lorsque ces navires
commerçaient avec ses alliés présumés. L’Iran a évoqué plusieurs incidents de cette nature dans la
partie de son premier tour de plaidoirie consacrée à sa demande. Ces incidents n’étaient pas isolés,
ils se poursuivirent tout au long du conflit, depuis son début en 1980 jusqu’en 1988. L’Iran
reviendra sur ces faits lundi.
14. Cinquièmement, l’Iran se servit pour mener à bien ses attaques de mines, de missiles
Exocet et autres, dont des Silkworm, ainsi que d’autres armes sophistiquées. Comme l’indique le
rapport de deux experts produit par les Etats-Unis, «les Iraquiens [avaient] des armes de destruction
alors que les Iraniens n’[avaient] que des armes de harcèlement…» (contre-mémoire, annexe 18,
p. 6). Les sources américaines elles-mêmes confirment que la majorité des attaques lancées dans le
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cadre de la guerre des pétroliers est imputable à l’Iraq, et que l’essentiel des dommages, pertes en
vie humaine et blessures fut, de loin, le fait de l’Iraq. L’Iran examinera également plus en détail
cette question lundi.
15. Sixièmement, les Etats-Unis apportèrent un soutien à la fois direct et indirect aux
attaques iraquiennes contre la navigation. En d’innombrables occasions, les forces militaires
américaines violèrent la souveraineté territoriale et l’espace aérien de l’Iran, interceptant ses
aéronefs et ses navires de guerre au mépris du droit international. Les Etats-Unis procédèrent
aussi, à plusieurs reprises, au brouillage électronique des communications de l’Iran (voir, par
exemple, mémoire, annexes 31 et 48). Les Etats-Unis n’ont pas récusé les éléments qui en
apportent la preuve. Outre qu’elles étaient contraires au droit international, ces actions
empêchaient l’Iran d’user de son droit de légitime défense pour s’en prémunir. Plus important, les
forces navales américaines aidaient, ainsi que le notait un auteur, «les Iraquiens à choisir leurs
cibles» (réponse additionnelle, annexe 3).
16. Septièmement, les observateurs de l’époque savaient parfaitement qui, des
deux belligérants, empêchait la libre navigation dans le golfe Persique. Je citerai de nouveau
sir Anthony Parsons : «l’Iran n’avait aucun intérêt à mettre en péril les voies maritimes
qu’empruntaient toutes ses exportations et la plupart de ses importations» (observations et
conclusions de l’Iran, annexe 16, p. 19-20). Le sénateur Sam Nunn, qui présidait alors la
commission des forces armées du Sénat, relevait en 1987 : «les menaces contre la liberté de
navigation émanent de l’Iraq, allié du Koweït» (mémoire, annexe 32, p. 1467); déjà, à l’époque, il
mettait en lumière l’incongruité de la position des Etats-Unis en affirmant : «De plus, l’Iran exporte
plus de pétrole que le Koweït, et pourtant les Etats-Unis n’ont exprimé aucune préoccupation au
sujet de la liberté de circulation du pétrole iranien.»
17. Huitièmement, et dernièrement, les Etats-Unis utilisèrent la force contre l’Iran à plusieurs
reprises, faisant sauter trois plates-formes pétrolières commerciales, détruisant la moitié de la flotte
iranienne, et abattant un aéronef civil iranien. Cinquante-six Iraniens furent tués par les forces
américaines dans la seule journée du 18 avril 1988, le jour même où était lancée une offensive
iraquienne décisive. Le 3 juillet 1988, deux cent quatre-vingt-dix personnes de nationalités
diverses trouvèrent la mort lorsque les forces américaines détruisirent en vol un appareil civil.
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Aucun des incidents portés à la connaissance de l’Iran ne se solda jamais par des pertes en vies
humaines américaines, si ce n’est l’attaque contre l’USS Stark ¾ qui fut le fait de l’Iraq ¾ et, en
particulier, aucun des incidents spécifiques sur lesquels se fonde la demande reconventionnelle des
Etats-Unis.
18. Monsieur le président, les Etats-Unis ont mentionné à plusieurs reprises que d’autres
Etats avaient dépêché leurs forces dans le golfe Persique. C’est exact, mais ce faisant, ils visaient
seulement à protéger le trafic maritime et non à aider l’Iraq. Aucun d’entre eux ne jugea
nécessaire, à un quelconque moment, de recourir à la force contre l’Iran, et, de fait, aucun d’eux
n’y eut recours. Seuls les Etats-Unis ont agi de la sorte. A cet égard, la patrouille Armilla,
détachée par le Royaume-Uni, est caractéristique. Dans un rapport adressé à la commission des
affaires étrangères de la Chambre des communes, elle était décrite comme participant d’une
tentative de «désescalade», et sa ligne de conduite «discrète» était mise en contraste avec les actes
de provocation américains (voir Ronzotti et de Guttry, The Iran-Iraq War, 1993, p. 296). La
patrouille Armilla ne mena aucune action armée, ni en prétendu état de légitime défense ni à un
quelconque autre titre, non plus d’ailleurs qu’aucun navire militaire de pays autres que les
Etats-Unis.
19. Les Etats-Unis n’en prétendent pas moins qu’ils étaient fondés à recourir à la force pour
protéger les navires neutres, objectif que permirent d’atteindre les actions contre les plates-formes;
celles-ci auraient entraîné une diminution du nombre des attaques et, finalement, leur cessation
après la destruction des plates-formes de Salman et de Nasr en avril 1988. Monsieur le président, à
la vérité, les menaces qui pesaient sur le trafic maritime neutre étaient imputables aux attaques
iraquiennes, au soutien américain dont elles bénéficiaient, et au refus manifesté par les Etats-Unis
de donner suite aux efforts internationaux visant à les condamner ou à protéger de quelque autre
manière la navigation. Ces menaces prirent fin ¾ à la suite non pas de la destruction des
plates-formes pétrolières, mais de l’adoption de la résolution 598 en juillet 1987 et de la conclusion
d’un cessez-le-feu en août 1988.
20. Nombre des faits que je viens d’évoquer ne sont pas contestés par les Etats-Unis.
D’autres sont simplement passés sous silence ou écartés au motif qu’ils seraient dépourvus de
pertinence. Ils revêtent pourtant une importance cruciale pour l’examen de la demande
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reconventionnelle des Etats-Unis. Le fait est que les menaces pesant sur le commerce dans le
golfe Persique, et, plus que tout, sur le commerce entre l’Iran et les Etats-Unis, qui sont à l’origine
de la demande reconventionnelle de ces derniers, étaient dues non pas à l’Iran mais à l’Iraq.
C. Incidents spécifiques
21. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant aux
incidents spécifiques cités comme exemples dans la demande reconventionnelle des Etats-Unis. Je
les traiterai, dans mon exposé, par ordre chronologique. Toutefois, avant de me lancer dans cette
description, je pense qu’il serait utile à la Cour de les considérer sous certains angles.
22. Dans leur demande reconventionnelle initiale, formée le 23 juin 1997, les Etats-Unis
mentionnaient sept incidents, qui mettaient en jeu les navires suivants : le Bridgeton, le Texaco
Caribbean, le Sea Isle City, le Lucy, l’Esso Freeport, le Diane et l’USS Samuel B. Roberts
(contre-mémoire, par. 6.08). Il semble qu’ils aient eu après coup l’idée d’ajouter à cette liste deux
navires ¾ le Sungari et l’Esso Demetia ¾, ce qu’ils ont fait dans la duplique (par. 6.06). En note
de bas de page, ils s’y réservaient en outre le droit de développer plus avant tous les faits et
arguments pertinents concernant d’autres navires exploités par des entreprises américaines qu’ils
n’auraient pas encore cités non toutefois sans évoquer nommément le Grand Wisdom, le
Stena Concordia et le Stena Explorer (duplique, par. 6.05, note de bas de page 404). M. Pellet
examinera la recevabilité des diverses demandes tardives des Etats-Unis.
23. Il est également utile de prendre en considération les caractéristiques des navires évoqués
dans la demande reconventionnelle. L’un, l’USS Samuel B. Roberts, était un navire de guerre. La
demande reconventionnelle concernait aussi initialement deux pétroliers koweïtiens
réimmatriculés, le Sea Isle City et le Bridgeton. Je reviendrai brièvement sur les opérations de
réimmatriculation dans un instant. Les autres navires qui y étaient mentionnés battaient pavillon
panaméen, libérien et bahamien. Les Etats-Unis affirment, toutefois, que ces navires appartenaient
à des intérêts américains, à l’exception du Texaco Caribbean qu’ils présentent comme un navire
affrété en coque nue à une entreprise américaine et transportant une cargaison américaine
(duplique, par. 6.06). Ces allégations quant à la propriété des Etats-Unis sont toutefois infondées,
comme le montrera l’Iran.
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24. Aucun de ces navires ne prenait part au commerce entre les Etats-Unis et l’Iran,
exception faite du Texaco Caribbean. Celui-ci transportait du brut iranien d’Iran vers Rotterdam
et, comme nous l’avons expliqué lors du premier tour de plaidoirie, pouvait, d’après le rapport
d’expert de M. Peter Odell, être considéré comme impliqué dans le commerce entre l’Iran et les
Etats-Unis. La majorité des navires participaient en réalité au commerce entre le Koweït ou
l’Arabie saoudite et des pays tiers. M. Crawford reviendra sur cette question.
25. Néanmoins, comme je l’ai déjà noté, il est question de deux pétroliers koweïtiens
réimmatriculés. En décembre 1986, la Kuwait Oil Tanker Company exprima le souhait de voir
certains de ses navires passer sous pavillon des Etats-Unis. La réimmatriculation de onze pétroliers
koweïtiens qui s’ensuivit fut perçue alors comme un nouvel exemple d’alignement flagrant des
Etats-Unis sur l’Iraq et le caractère entièrement artificiel de l’opération se vit confirmer par la suite.
En ce qui concerne cet alignement politique sur l’Iraq, un rapport de novembre 1987 destiné à la
commission des affaires étrangères du Sénat des Etats-Unis indiquait que le Koweït avait «choisi
de servir d’entrepôt à l’Iraq et ainsi d’allié de facto de ce pays» (mémoire, annexe 28). Le rapport
poursuivait en ces termes : «[P]our contribuer au financement de l’effort de guerre iraquien, [le
Koweït a] fourn[i] des milliards de dollars tirés des recettes pétrolières. De façon claire et
indubitable, le Koweït a pris parti.» (Ibid.; voir également le mémoire, annexes 31 et 51.)
M. Momtaz a, lors du premier tour de plaidoirie, évoqué le War Relief Crude Oil Agreement
(accord relatif au pétrole brut pour l’aide en temps de guerre), aux termes duquel le produit des
ventes de pétrole brut extrait de la zone neutre était remis à l’Iraq (mémoire, annexes 25, 26 et 27).
Ce fait était de notoriété publique à l’époque. Ainsi, si les Etats-Unis fermaient les yeux sur les
attaques lancées par l’Iraq contre des navires de différentes nations commerçant avec l’Iran, ils se
montraient prêts à protéger le commerce avec le Koweït, alors même qu’il n’était pas moins patent
que celui-ci servait à financer l’effort de guerre iraquien. Une fois encore, ces faits n’ont
quasiment pas été mentionnés par les Etats-Unis.
26. Outre qu’elles traduisaient un alignement sur l’Iraq, les opérations de réimmatriculation
étaient tout à fait artificielles. La propriété de la société écran américaine spécialement créée à cet
effet, à laquelle fut transféré sur papier le titre sur les navires, demeurait en réalité celle de la
Kuwait Oil Tanker Company, qui n’exerçait aucune activité aux Etats-Unis. Dans ce contexte, il
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est significatif de constater que la cour d’appel des Etats-Unis pour le troisième circuit a jugé que
les lois internes ne pouvaient s’appliquer aux navires ainsi réimmatriculés en raison a) du but
politique et du caractère temporaire de ces opérations, et b) du fait que le caractère étranger des
navires demeurait inchangé. Comme le relevait la cour d’appel : «La formalité technique
consistant à céder les navires à une société américaine à des fins politiques n’a en aucune manière
modifié le caractère totalement étranger des activités de transport maritime et des fonctions des
matelots.» (Réponse additionnelle, annexe 7, p. 2031 et 2036-2037.)
27. Mercredi, le conseil des Etats-Unis a cherché à faire valoir que cet arrêt de la cour
d’appel montrait en réalité que «les onze pétroliers étaient régulièrement immatriculés aux
Etats-Unis», citant à l’appui de cette affirmation le prononcé suivant : «les onze pétroliers
réimmatriculés répondaient parfaitement à la définition d’un navire américain qui est donnée dans
le Fair Labor Standards Act (FLSA) [loi sur les normes d’équité en matière d’emploi]». Or, avec
tout le respect qui lui est dû, la cour d’appel ne pouvait trancher la question de savoir si les navires
étaient régulièrement immatriculés aux Etats-Unis sur la base d’un «lien authentique» avec ceux-ci,
car cette question relève du droit international.
28. Toutefois, les vues de la cour d’appel sur certaines questions de fait se révèlent
instructives et pertinentes pour notre propos. La cour notait ainsi : «l’assujettissement à la FLSA ne
peut être constaté en l’absence d’un quelconque lien démontrable avec l’économie américaine»
(ibid., p. 2017). La cour constatait : «si ces navires arboraient le pavillon américain, c’était pour
signifier qu’ils étaient en droit de bénéficier de la protection militaire des Etats-Unis. Un tel
symbolisme ne peut se substituer valablement à la participation à l’économie américaine au sens de
la FLSA.» (Ibid., p. 2035-2036), ajoutant : «quand bien même ces onze navires [parmi lesquels
figuraient le Bridgeton et le Sea Isle City] battaient pavillon américain, les biens transportés, les
formes de commerce auxquelles ils se livraient et les matelots qu’ils employaient étaient tous
étrangers» (ibid., p. 2036) [traduction du Greffe].
29. A cette époque, le département d’Etat chercha à justifier les opérations de
réimmatriculation en indiquant que ces navires ne commerçaient pas avec l’Iran ou l’Iraq. Je cite :
«le trafic maritime ne se déroule pas 'depuis et vers' l’un des pays belligérants» (M. Sofaer,
New York Times, 16 août 1987). A cet égard, il importe de noter, comme l’avait aussi fait la cour
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d’appel, que les pétroliers réimmatriculés ne participaient ni ne pouvaient être considérés comme
participant «au commerce» avec les Etats-Unis, l’accord que ceux-ci avaient passé avec le Koweït
interdisant à ces bâtiments toute escale dans les ports américains (réponse additionnelle, annexe 7,
p. 2019-2020). Ce fait va à l’encontre de la thèse des Etats-Unis selon laquelle ces navires auraient
dû ou pu être protégés par traité, aux termes du paragraphe 1 de l’article X, lequel a trait au
commerce entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes. M. Crawford examinera plus
en détail cette question.
30. Hormis l’USS Samuel B. Roberts et les deux navires réimmatriculés, les autres bâtiments
ne trahissaient extérieurement aucune relation avec les Etats-Unis, qui n’entretenaient d’ailleurs
avec eux aucun autre lien.
31. Monsieur le président, j’en viendrai maintenant aux incidents spécifiques. Comme je l’ai
déjà indiqué, je les traiterai par ordre chronologique. Je commencerai donc avec l’incident du
Bridgeton.
Le Bridgeton (24 juillet 1987)
32. Le Bridgeton, pétrolier koweïtien réimmatriculé, heurta une mine à environ 18 milles
marins au sud-ouest de l’île de Farsi le 24 juillet 1987. Le navire, qui était sur son lest, venait des
Pays-Bas et se rendait au Koweït. Il ne participait pas au commerce entre le territoire des
Etats-Unis et celui de l’Iran; d’ailleurs, aux termes de l’accord de réimmatriculation passé avec le
Koweït que je viens d’évoquer, toute escale dans des ports américains lui était interdite.
33. S’agissant de l’incident lui-même, les Etats-Unis indiquèrent, à l’époque, qu’ils n’étaient
pas sûrs de la provenance de la mine heurtée par le Bridgeton. Trois semaines environ après
l’incident, on pouvait lire dans le Financial Times : «Washington … a déclaré [que les Etats-Unis]
n’useraient pas de représailles puisqu’ils n’étaient pas certains de l’identité du responsable»
(mémoire, annexe 57). Toutefois, les Etats-Unis affirment en l’espèce que la mine fut délibérément
placée sur le passage du Bridgeton par une vedette manœuvrée par des gardiens de la révolution
iranienne. Ils ne prétendent pas que le Bridgeton ait été pris dans un champ de mines : il s’agissait
d’une mine unique. Le seul élément donnant à penser que l’attaque était imputable à l’Iran figure
dans un rapport de la CIA en date de juillet 1987, qui fait référence à la prétendue déclaration d’un
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gardien de la révolution iranienne dont le nom n’est pas précisé. D’après ce rapport, la vedette
s’est approchée «à la faveur de la nuit» à un demi-mille du Bridgeton et a mouillé une mine unique
sur son trajet (contre-mémoire, annexe 46). Il s’agit d’une allégation émanant d’un informateur
anonyme dont on ignore les sources. Les Etats-Unis n’en tinrent apparemment aucun compte à
l’époque, puisqu’elle est bien antérieure à la déclaration qu’ils formulèrent sur les incertitudes
entourant la responsabilité de l’incident. Mais, quand bien même on y ajouterait foi, ce rapport ne
vient pas étayer l’accusation des Etats-Unis. Tout d’abord, le Bridgeton fut touché à 7 heures du
matin, heure à laquelle le jour est déjà levé, en juillet, dans le golfe Persique. La mine n’aurait pu
être mouillée à un demi-mille du Bridgeton que quelques minutes avant la déflagration, et ne
pourrait dès lors avoir été posée «à la faveur de la nuit». Ensuite, un expert français spécialiste de
l’utilisation des mines, le capitaine Fourniol, dont le rapport a été joint en annexe à la réplique de
l’Iran, a jugé indéfendable l’hypothèse selon laquelle l’Iran aurait ainsi pu mouiller des mines
uniques sur le passage de navires : le transport et le maniement d’une mine sur une embarcation
aussi petite auraient été quasiment impossibles; et le temps que requiert la mine pour s’armer aurait
nécessité qu’elle soit mouillée au minimum à 6 kilomètres du navire concerné, distance à laquelle il
aurait été impossible de prendre pour cible un navire particulier. Les conclusions du
capitaine Fourniol n’ont pas été contestées par les Etats-Unis.
34. L’Iran reviendra lundi sur les accusations des Etats-Unis concernant le mouillage de
mines. Je me contenterai ici de rappeler les conclusions du General Council of British Shipping,
une source invoquée par les Etats-Unis, qui fait état de la présence de mines flottantes dans le
golfe Persique, en précisant :
«Au début de la guerre, des mines ont été mouillées par les deux Parties à
l’entrée du Golfe [Persique] [plus exactement, l’extrémité nord du Golfe]. Certaines
d’entre elles auraient de temps à autre dérivé… La zone de l’île de Farsi est [la zone]
dans laquelle ces mines risquent le plus de toucher des navires neutres.»
(Contre-mémoire, annexe 2, p. 48.)
Le Bridgeton fut touché non loin de l’île de Farsi. Sur les cent soixante-seize mines trouvées dans
le golfe Persique pendant le conflit, l’on estime à quatre-vingt-sept le nombre de ces dispositifs
flottants (exception préliminaire des Etats-Unis, annexe, note de bas de page 57).
35. Je voudrais également relever qu’il n’y eut aucun blessé dans l’incident du Bridgeton.
Le navire put même poursuivre son chemin pour réparation, en dépit des avaries subies.
- 14 -
Le Texaco Caribbean (10 août 1987)
36. Le Texaco Caribbean, navire panaméen, heurta de même une mine le 10 août 1987, dans
le golfe d’Oman. Il avait quitté l’île iranienne de Larak, et transportait du brut iranien en direction
de Rotterdam lorsqu’il fut touché (voir réponse additionnelle à la demande reconventionnelle de
l’Iran, par. 4.16-4.21).
37. Dans leur contre-mémoire, les Etats-Unis ont initialement avancé que le navire
appartenait à des intérêts américains, mais ils n’ont produit aucune preuve à l’appui de cette
affirmation (par. 6.08.2). Dans leur duplique, ils ont reconnu que le navire appartenait en réalité à
des intérêts panaméens, mais ont soutenu qu’il avait été affrété à une entreprise américaine
(duplique, par. 6.06, note de bas de page 409). Toutefois, les documents versés au dossier par les
Etats-Unis montrent qu’en réalité, le navire avait aussi été affrété à une compagnie panaméenne
(duplique, annexe 211). Enfin, les Etats-Unis ont revendiqué la propriété du pétrole brut chargé à
bord du navire, mais, une fois encore, sans étayer leurs allégations. Selon des sources de Texaco,
le navire avait en réalité été sous-loué «pour un seul voyage par la société norvégienne de
navigation et de négoce Seateam et 'avait pour instructions de se rendre dans le nord de l’Europe
avec un chargement appartenant à cette société» (observations et conclusions de l’Iran sur
l’exception préliminaire des Etats-Unis, annexe 25).
38. Monsieur le président, ce navire transportait du pétrole brut iranien. Presque tous les
navires commerçant avec l’Iran passaient dans cette zone du golfe d’Oman. Les Etats-Unis ont
omis de signaler que l’Iran éleva auprès du Conseil de sécurité des protestations au sujet de cet
incident (mémoire, annexe 58).
39. Les Etats-Unis ont également omis de mentionner que, dans la semaine qui suivit
l’incident, les forces navales iraniennes participèrent aux efforts de déminage dans le
golfe d’Oman, détruisant plusieurs mines (observations et conclusions de l’Iran sur l’exception
préliminaire des Etats-Unis, annexe 27). Les Etats-Unis ont certes évoqué des déclarations
formulées par S. Exc. Ali-Akbar Hashemi-Rafsanjani, indiquant que l’Iran était en mesure de
mouiller des mines, mais ils se sont gardés de rapporter les commentaires qu’il formula après
l’incident du Texaco Caribbean : «A Khawr Fakkan [la région du golfe d’Oman où le navire fut
touché] ¾ c’était notre voie, donc on ne peut pas dire que les Iraniens ont posé des mines, parce
- 15 -
que nous utilisions nous-mêmes cet itinéraire ¾ une mine a heurté notre propre navire en premier.»
(Contre-mémoire, annexe 55.)
40. Une fois encore, personne ne fut tué ni blessé au cours de cet incident, pourtant qualifié
mercredi de «désastre» par les Etats-Unis.
Le Sea Isle City (16 octobre 1987)
41. L’incident suivant concerne le Sea Isle City. Monsieur le président, les deux Parties l’ont
évoqué, et nous y reviendrons lundi prochain lorsque nous nous pencherons sur les attaques menées
en octobre 1987 contre les plates-formes. Le Sea Isle City était toutefois, à l’instar du Bridgeton,
un pétrolier koweïtien réimmatriculé et, en tant que tel, il ne pouvait faire escale dans des ports
américains. En conséquence, il ne participait, ni ne pouvait participer, au commerce entre les
deux Hautes Parties contractantes.
Le Lucy (15 ou 16 novembre 1987)
42. Le Lucy, pétrolier libérien, aurait été attaqué alors que, sur son lest, il faisait route du
Japon vers l’Arabie saoudite le 15 ou le 16 novembre 1987 ¾ les témoignages divergent quant à la
date (réponse additionnelle à la demande reconventionnelle de l’Iran, par. 4.37-4.39).
43. Le navire appartenait à une compagnie non pas américaine, comme l’affirment les
Etats-Unis, mais libérienne (duplique, annexe 242). Une fois de plus, il n’y eut ni morts ni blessés.
Et, après des réparations mineures à Doubaï, le navire poursuivit sa route au bout de quelques
jours.
L’Esso Freeport (16 novembre 1987)
44. L’Esso Freeport, navire bahamien, aurait été attaqué le 16 novembre 1987, alors qu’il
transportait du brut saoudien en direction des Etats-Unis. Là encore, le navire n’appartenait pas,
contrairement à ce que les Etats-Unis ont initialement soutenu, à des intérêts américains, mais à une
société bahamienne (réponse additionnelle à la demande reconventionnelle des Etats-Unis,
par. 4.43-4.45)
45. Il n’y eut ni blessés ni pertes en vie humaine, et le navire ne subit que des dégâts mineurs
(duplique, annexe 245).
- 16 -
Le Diane (7 février 1988)
46. Le Diane, bâtiment libérien, aurait été attaqué le 7 février 1988 alors qu’il effectuait un
transport de brut saoudien d’Arabie saoudite vers le Japon. Le navire appartenait à une compagnie
libérienne, et non américaine. Là aussi, le navire fut à même de poursuivre sa route au bout de
quelques jours et, une fois de plus, il n’y eut à déplorer ni morts ni blessés (réponse additionnelle à
la demande reconventionnelle des Etats-Unis, par. 4.43-4.45).
L'USS Samuel B. Roberts (14 avril 1988)
47. Le conseil de l’Iran reviendra plus en détail sur l’incident mettant en jeu
l’USS Samuel B. Roberts lundi prochain. Qu’il nous suffise de préciser que ce navire participait à
l’opération de convoyage de pétroliers koweïtiens réimmatriculés. Il ne participait assurément pas
à une initiative destinée à protéger le commerce entre l’Iran et les Etats-Unis. Bien au contraire,
comme le confirment diverses sources ¾ telles que les déclarations d’officiers supérieurs
américains alors présents dans le golfe Persique ¾, de tels navires de guerre américains aidèrent
directement ou indirectement l’Iraq à perturber le commerce dans le Golfe (voir également
mémoire, annexe 55).
D. Remarques finales
48. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi de récapituler :
l’un des navires était un bâtiment militaire, deux autres étaient des pétroliers koweïtiens
réimmatriculés, et les navires restants n’étaient pas américains mais de diverses autres nationalités.
Un seul de ces navires participait au commerce entre les deux Etats. Les Etats-Unis n’ont pas
démontré que l’un quelconque des autres navires aurait jamais auparavant ou par la suite, participé
à ce commerce. Ils n’ont pas non plus démontré que des navires se livrant à un commerce protégé
par traité en auraient jamais été empêchés par l’Iran.
49. La demande reconventionnelle des Etats-Unis est tout simplement fondée sur un postulat
erroné, selon lequel les menaces pesant sur le commerce entre les Etats-Unis et l’Iran étaient
imputables à ce dernier. Outre le fait que rien n’aurait pu être plus éloigné des intérêts iraniens, il
ressort clairement du dossier ¾ comme l’a montré l’Iran ¾ que cette menace émanait de l’Iraq,
- 17 -
sinon des Etats-Unis eux-mêmes qui étaient disposés à l’aider à mener ces attaques de bien des
façons, à la fois directes et indirectes.
50. Monsieur le président, voilà qui clôt ma plaidoirie. Je vous serais reconnaissant de bien
vouloir appeler maintenant à la barre M. Pellet.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Sellers. Je donne à présent la parole à
M. Pellet.
Mr. PELLET:
UNITED STATES COUNTER-CLAIM ¾
THE COURT’S LACK OF JURISDICTION AND THE CLAIM’S INADMISSIBILITY
1. Mr. President, Members of the Court, the counter-claim, at least before this Court, is a
curious legal institution. Having its sole basis in Article 80 of your Rules, it is an incidental
proceeding ¾ which the United States somewhat tends to forget ¾ and in many respects an
inchoate one, even ¾ if I dare say so ¾ something of a “limping” one.
2. First, because it places the parties on an unequal procedural footing, as has often been
pointed out1
, including in the present case2
.
3. Secondly, because the Order of 10 March 1998 did not settle all of the preliminary issues
involved in the counter-claim. In my very humble opinion, the Court could already have done so at
that stage; however, in its wisdom, it decided otherwise and confined itself to finding that “the
counter-claim presented by the United States in its Counter-Memorial is admissible as such and
forms part of the current proceedings”3
. “Admissible as such”. That means that the 1998 Order did
not decide the issues of admissibility not falling directly within the terms of Article 80 of the Rules,
nor the issues of jurisdiction arising out of the specific United States claims (whereas, as was

1
See, for example, Charles De Visscher, Aspects recents du droit procédural de la Cour internationale de Justice,
Pedone, Paris, 1966, pp. 114-116.
2
See the separate opinions of Judges Oda (I.C.J. Reports 1998, pp. 211 et seq.) and Higgins (pp. 221 et seq.) and
the dissenting opinion of Judge Rigaux (p. 224).
3
I.C.J. Reports 1998, p. 206, para. 46 (A) ¾ emphasis added. See CR 2003/13, p. 10, para. 19.2 (Murphy).
- 18 -
pointed out4
, the Court proceeded differently in regard to the Application itself in its Judgment on
the Preliminary Objection of 12 December 1996).
4. As a result, it is at a very late stage of the proceedings, that in which we now find
ourselves, that we have to address the issues of jurisdiction and admissibility which were not
settled in 1998. Mr. President, until the day before yesterday we had indeed believed that there was
here a point on which the Parties were in agreement, since, in its Statement on Iran’s Request for a
Hearing in relation to the Counter-Claim, the United States had argued that Article 80 of the Rules
had “a limited purpose”5
and was not a basis for the Court to address the issues of jurisdiction and
admissibility raised by Iran, which, in the United States view, went “far beyond the limits of
Article 80 (3)”6
; and the United States concluded: “in any case, the only issue proper for
consideration by the Court now is whether there is sufficient connection between claim and
counter-claim . . . All remaining questions presented in the U.S. counter-claim should now be
joined to the original proceedings”7
. Professor Murphy’s speech on Wednesday afternoon
dispelled this impression: there he stated8
that the Court had ruled on the issues of jurisdiction and
admissibility in respect of the counter-claim in its 1998 Order, and he claimed that Iran was asking
you to “revisit” your decision9
. That is not so, Members of the Court. We are asking you simply to
rule on the points ¾ and there are a number of them ¾ on which you did not decide, in accordance
with the clear position (then) taken by the United States, which cannot, as it is now doing, blow
cold after previously blowing hot and urging you to take the position which you took.
5. It is these preliminary issues which I shall address this morning. They concern the Court’s
jurisdiction to entertain the counter-claim and the latter’s admissibility, in so far as these were not
settled by the 1998 Order. Let me make myself clear: in Iran’s view, these are indeed preliminary
issues, which means that if, as we believe, the Court’s jurisdiction is not established, or if the claim

4
See separate opinion of Judge Higgins (I.C.J. Reports 1998, pp. 221-223).
5
P. 4, para. 7.
6
Ibid., p. 4, para. 6; Order of 10 March 1998, I.C.J. Reports 1998, p. 200, para. 22.
7
P. 24, para. 45.
8CR 2003/13, p. 11, Section A (Murphy).
9
Ibid., p. 12, para. 19.11; see also p. 13, para. 19.16 and p. 17, para. 19.26 (Murphy).
- 19 -
is not admissible on grounds other than those relating to Article 80 of the Rules, the Court cannot
adjudicate upon the merits of the claim10
.
6. I shall endeavour first of all to show that the United States had no title to introduce its
counter-claim (I). I shall then address two further problems of jurisdiction and admissibility which
the Court also failed to settle in its 1998 Order (II).
I. The United States has no title to introduce its counter-claim
7. Mr. President, it is clear, and Iran does not dispute it, that by its Order of 10 March 1998,
the Court recognized that it had “a certain measure of jurisdiction” to entertain the United States
counter-claim, even if it did not expressly state its position on this point in the Order’s operative
paragraph. We accept that this follows from paragraph 36 of the Order, in which it is stated that
the Court “has jurisdiction to entertain the United States counter-claim in so far as the facts alleged
may have prejudiced the freedoms guaranteed by Article X, paragraph 1”
11. But it must be
understood that it is thus far, and only thus far.
8. However, the United States claims go far beyond that limit and do not fall within the
scope of Article X, paragraph 1, of the 1955 Treaty.
9. I will mention only in passing the submissions in the American Rejoinder, which ask the
Court to adjudge and declare that “the Islamic Republic of Iran breached its obligations to the
United States under Article X of the 1955 Treaty”12 ¾ “of Article X”, whereas they should have
written “of Article X, paragraph 1”. However, we note that the United States has doubtless
realized its mistake in this regard ¾ errare humanum est ¾, for it did not pursue that argument in
its Rejoinder, or, the day before yesterday, in oral argument. No doubt the United States final
submissions will be amended accordingly. At all events, Members of the Court, you cannot uphold
any submissions falling outside the terms of paragraph 1 of Article X.

10See, in particular: Judgment of 28 February 1939, Panevezys-Saldutiskis Railway case (Preliminary
Objections), P.C.I.J., Series A/B, No. 76, p. 16; see also Shabtaï Rosenne, The Law and Practice of the International
Court of Justice, 1920-1996, Nijhoff, The Hague, 1997, Vol. II, p. 898.
11I.C.J. Reports 1998, p. 204 (emphasis added).
12P. 227.
- 20 -
10. A parenthesis on this point, Mr. President. Iran does not dispute ¾ and has never
disputed13 ¾ that Article X, paragraph 1, can and must be interpreted in light of the other
paragraphs of that Article, and indeed of the other Articles of the Treaty, which clearly form part of
the “context” within the meaning of the general rule of interpretation laid down in Article 31 of the
Vienna Convention.
11. Furthermore, there is one point on which it is clear that the United States persists in its
error ¾ perseverare diabolicum . . . This persistent error concerns your jurisdiction ratione
personae. Thus, in line with its determination to be the world’s policeman, the United States sets
itself up as proxy prosecutor and claims to defend the interests of States which are not parties to
these proceedings, and of private interests with which the United States can claim no link of
nationality. I shall address these two points in turn.
A. The Court has no jurisdiction to rule on the rights of third States not parties to the
proceedings
12. “No one”, Mr. President, “is entitled to plead by proxy” ¾ and most certainly not before
this Court, whose jurisdiction, as Professor Weil authoritatively reminded us last Tuesday14, is
limited by the consent of the parties. In this case that consent was given by Article XXI,
paragraph 2, of the 1955 Treaty of Amity, that is to say in a bilateral treaty concluded between Iran
and the United States, of which, moreover, pursuant to your 1996 Judgment, only the first
paragraph of Article XX is applicable.
13. Yet, as self-appointed defender of international legality, the United States is claiming to
defend not ¾ at least, not only ¾ its own rights but those of all “neutral” States (the word is
repeated at least ten times in Mr. Taft’s opening speech of last Friday15); “neutral”, or purported to
be. But whatever it may think, the United States is not the universal guarantor of international law
(as it conceives it to be; and its conception is often a somewhat singular one). The United States
can only invoke its own rights, including ¾ and I will return to this ¾ the right to “ensure in the

13See Reply, p. 189, para. 8.6 (thirdly); see also Rejoinder, p. 203, para. 6.24.
14See CR 2003/11, pp. 12-25, passim (Weil).
15See CR 2003/9, pp. 10-19, passim.
- 21 -
person of its nationals respect for the rules of international law”; but in no circumstances in the
person of foreign States or of the latter’s nationals, or of ships flying their flag, that is to say the
flag of a foreign State.
14. The Court cannot “allow the equivalent of an ‘actio popularis’, or right resident in any
member of a community to take legal action in vindication of a public interest”16. And while it is
true that this dictum, couched in overly absolute terms in the 1966 Judgment on South West Africa,
was subsequently to some extent qualified, in particular in the Barcelona Traction case, the
principle remains valid in all cases where the State in question cannot rely on the violation of an
obligation erga omnes and most certainly so in the case of the violation of obligations deriving
exclusively from a bilateral treaty. It is only in the contrary case that “all States can be held to have
a legal interest in the protection [of the rights thereby violated]”17
.
15. But that is certainly not the case here where, as Professor Weil quite correctly stated
(though Iran had already written the same thing18):
“[t]he Court’s jurisdiction to consider the conformity with the 1955 Treaty of the
actions of which the United States [and, incidentally, Iran] stands accused relates to
one provision of the Treaty only: Article X [paragraph 1] concerning freedom of
commerce and navigation”19
.
And it would never occur to anyone to consider that that freedom, which is moreover “between the
territories of the two High Contracting Parties”, and conventionally guaranteed in a bilateral treaty,
constitutes one of those “obligations erga omnes” envisaged by the celebrated dictum of the Court
in 1970, any more than it is an obligation owed to “a group of States including [purportedly, the
United States]” or to “the international community as a whole”20
.

16Judgment of 18 July 1966, South West Africa, Second Phase, I.C.J. Reports 1966, p. 47.
17Judgment of 5 February 1970, I.C.J. Reports 1970, p. 32, para. 33.
18See, for example, Reply, p. 189, para. 9.6 or Further Response, p. 47, para. 5.9; cf. CR 2003/11, p. 23-25
(Weil).
19CR 2003/11, p. 16, para. 13.11 (Weil).
20See Article 48 of the Draft Articles of the International Law Commission on State Responsibility for
Internationally Wrongful Acts appended to General Assembly resolution 56/83 of 12 December 2001.
- 22 -
16. Yet what do we see in this case? First that the United States, as I have said, claims to set
itself up as the defender of freedom of commerce and navigation in the Gulf in general21; indeed, it
even goes so far as to seek from you reparation of the “significant costs it incurred in deploying
additional forces to the Gulf to protect maritime commerce by escorting vessels [not U.S. vessels,
just vessels], clearing minefields and other activities”22 (not alleged Iranian-laid minefields or
Iranian activities, just “minefields and other activities”). In so doing, the United States forgets yet
again that it is not Iran which launched the war of aggression in which the Americans sided with
the aggressor; nor was it Iran which launched the tanker war, just as the United States fails to
demonstrate any relationship of cause and effect between the acts for which it seeks reparation and
the alleged breaches of Article XX, paragraph 1. You clearly have no jurisdiction, Members of the
Court, to rule upon claims so vague and lacking in any link with the Treaty on which your
jurisdiction is founded.
17. Somewhat more specifically, the United States also seeks to act on behalf of various
States whose rights, in its view, were violated by acts which it attributes to Iran, namely the
Bahamas, Panama, the United Kingdom and Liberia, whose vessels were allegedly victims of
Iranian “attacks”. It sent these four States notes in which it asked them to confirm that they had “no
objection to the United States presenting the above claim to the International Court of Justice”. Of
course, it stated that it would in so doing be acting “on behalf of the [alleged ¾ American ¾]
owners of the vessels”23; but, in taking this initiative, the United States knew full well that in
respect of their rights it was substituting itself for the States concerned. Its Rejoinder admits as
much, moreover:
“This confirmation [that is, the confirmation by the respective four States] is
significant, for where the Court has found the nationality of the injured entity to be of
relevance in precluding a claim, it has done so out of concern that the rights of the
State of nationality be respected.”24

21See, for example, Rejoinder, p. 116, para. 4.05 or CR 2003/9, p. 16, para. 1.26 (Taft).
22Rejoinder, p. 226, para. 6.52. See also Ann. 261, United States General Accounting Office, Burden Sharing:
Allied Protection of Ships in the Persian Gulf, in 1987 and 1988, September 1990.
23See Counter-Memorial, Ann. 179.
24P. 213, para. 6.34, emphasis added.
- 23 -
18. The Government of Liberia made no mistake about this; its response to the request
ingenuously states that it “interposes no objections to the United States Government representing
Liberia in this matter, provided this will incur no financial burdens to the Government of Liberia.
However,” it adds, “whenever damages are awarded in the said matter by the Court, that the
Government of Liberia be equitably benefited.”
25 That, Mr. President is a somewhat original
conception ¾ a kind of “diplomatic protection between States”. But we would be wrong to deride
this: in substance, and despite the “misunderstanding” of which Professor Murphy accuses it26, the
Liberian Government is right: it is indeed Liberia’s rights which the United States is seeking to
assert ¾ as it has itself admitted.
19. Where the Governments of Liberia and the United States are however mistaken is in the
belief that such representation is even possible: the 1955 Treaty, which is the sole basis for
jurisdiction in this case, places obligations on Iran not vis-à-vis Liberia (or the Bahamas, or
Panama, or the United Kingdom) but solely in relation to the United States. Even if, ratione
materiae, those other States could claim the same rights as the Respondent, which is not the
case ¾ we are arguing here on the basis of a bilateral treaty ¾ the Court would still have no
jurisdiction in their regard ratione personae, and such “authority” as they may have granted to the
United States to represent them does not change a thing.
20. Furthermore, the mere fact that the United States felt it necessary to seek this authority
from them clearly shows that it knew that it was not defending “its own rights”, or the rights of its
nationals, but the rights of foreign entities, whose claims could only be espoused by the State of
which they were nationals. This brings me to the next point in my statement:
B. The United States cannot seek reparation for injury suffered by foreign entities
21. Mr. President, the United States knows full well that what might be called the
“globalizational route” is barred: it can act only to assert its own rights, its legally protected
interests, not those of foreign States. And it goes to immense lengths to convince you that, in

25Rejoinder, Ann. 258, emphasis added.
26CR 2003/13, p. 13, para. 19.15.
- 24 -
approaching the matter in this roundabout manner, via the “direct”, immediate, victims of the
internationally wrongful acts which it ascribes to Iran, it is making a claim in its own right.
22. First of all, it contends: “this counter-claim is not dependent on an espousal of claims
held by U.S. nationals. The United States itself has directly suffered by Iran’s breach of its
Article X, paragraph 1, treaty obligations” because, it says, “[w]hile many of the Iranian attacks
were against vessels that were not flying a U.S. flag, that fact does not preclude the United States
from asserting that it has . . . suffered injury by Iran’s failure to abide by a treaty that protects U.S.
owned vessels and U.S. cargo”27. This assertion completely disregards the fundamental distinction
between a mere interest on the one hand and a right on the other.
23. It is clear that an American owner of a vessel or of cargo has an “interest” in seeing that
the latter effectively benefit from the freedom of commerce guaranteed by Article X, paragraph 1,
of the 1955 Treaty. But it does not in the least follow that the Court has jurisdiction to entertain
any claim by that owner within the framework of the United States counter-claim: it does not
matter whether or not the United States seeks formally to espouse those claims. At all events, the
United States is not entitled to claim on account of any injury which its nationals may have
suffered, whether as vessel or cargo owners, as a result of acts imputed to Iran. If there was indeed
a violation, it was not committed against the United States, which therefore cannot invoke it as the
injured State, or on any other basis28
.
24. Here again, it is helpful to refer to the Court’s position in the Barcelona Traction case. In
its 1970 Judgment, the Court stated that when a State complains of the violation of an obligation
other than one erga omnes (and we have seen that no such obligation is involved here):
“[i]n order to bring a claim in respect of the breach of such an obligation, [that] State
must first establish its right to do so, for the rules on the subject rest on two
suppositions” [and the Court states those conditions, suppositions, its Advisory
Opinion in the case concerning Count Bernadotte]:
‘The first is that the defendant State has broken an obligation
towards the national State in respect of its nationals. The second is that
only the party to whom an international obligation is due can bring a

27Rejoinder, p. 212, para. 6.34.
28See Article 42 of the International Law Commission Draft Articles on Responsibility of States for
Internationally Wrongful Acts (see note 20, supra) and supra, para. 15; see also Riad Daoudi, La représentation en droit
international public, LGDJ, Paris, 1980, p. 299.
- 25 -
claim in respect of its breach.’ (Reparation for Injuries Suffered in the
Service of the United Nations, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1949,
pp. 181-182.)”29
25. In other words, it has to be determined whether a right of the United States was violated
as a result of the alleged infringement of rights of United States nationals who owned a vessel
which did not have United States nationality30. “Thus it is [still paraphrasing the 1970 Judgment]
the existence or absence of a right, belonging to [the United States] and recognized as such by
international law, which is decisive for the problem of [the] capacity [of the United States].” “This
right”, added the Court, quoting the Judgment rendered by its predecessor in the case concerning
the Panevezys-Saldutiskis Railway,
“is necessarily limited to intervention [by a State] on behalf of its own nationals
because, in the absence of a special agreement, it is the bond of nationality between
the State and the individual which alone confers upon the State the right of diplomatic
protection, and it is as a part of the function of diplomatic protection that the right to
take up a claim and to ensure respect for the rules of international law must be
envisaged” (Panevezys-Saldutiskis Railway, Judgment, 1939, P.C.I.J., Series A/B,
No. 76, p. 16)”31
.
26. I am quite aware, Mr. President, that the United States maintains that it is not acting
primarily on the basis of diplomatic protection32 ¾ and I can understand that, because it would
then be entering into an area fraught with legal obstacles from its point of view. Yet, as the Court
recalled, that is the only basis on which the United States can take up these claims. The
United States must therefore show that it suffered direct injury from specific acts attributable to
Iran; the very vague allegations of general injury resulting from insecure conditions of navigation
in the Gulf cannot take the place of an act giving rise to the responsibility which the United States
imputes to Iran. Clearly, all that is left therefore is diplomatic protection and, in truth, there is
nothing illogical in that, since, at least as far as the specific injuries invoked by the United States
are concerned, these were, according to the United States, suffered by United States nationals (and
in one case, to which I shall return, by a warship flying its flag33). But it is apparent in this case
that the conditions sine qua non for diplomatic protection are not satisfied:

29Judgment of 5 February 1970, I.C.J. Reports 1970, p. 32, para. 35.
30See ibid., pp. 32-33, para. 35.
31Ibid., p. 33, para. 36.
32See Rejoinder, pp. 211-212, paras. 6.32 and 6.34.
33See infra, para. 38.
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¾ local remedies were not exhausted, or even attempted; and
¾ the persons injured by the alleged internationally wrongful acts attributed to Iran and capable
of giving rise to a claim did not have United States nationality.
27. Mr. President, who suffered the injury which the United States contends resulted from
the alleged Iranian attacks? Vessels. Which vessels? Professor Murphy remained prudently vague
on this point on Wednesday afternoon:
“Some vessels were U.S.-flagged and thus the U.S. interest includes concern
for ¾ among other things ¾ the nationality of the vessel. Other vessels attacked or
mined by Iran were owned or operated by U.S. companies. Some vessels contained
cargos owned by U.S. nationals. Many other vessels were simply engaged in
commerce and navigation between Iran and the United States.”34
28. Well and good ¾ but, concretely, the United States, subject to a problem of admissibility
ratione temporis which I will address shortly, supports its assertions with seven “examples”: a
United States warship, the Samuel Roberts; two Kuwaiti vessels reflagged as American, the
Bridgeton and the Sea Isle City; a Panamanian oil tanker, the Texaco Caribbean, two Liberian
vessels, the Lucy and the Diane; and the seventh example, the Bahamian Esso Freeport.
29. Let us begin, with your indulgence, Mr. President, with the last four. They were not
flying the United States flag. When these proceedings began, the United States claimed that all
these vessels were owned by United States legal or natural persons35. That is not true: in fact, each
belongs to a company having the nationality of the State of the vessel’s flag36. Furthermore, as far
as the cargoes are concerned, the Lucy was empty when damaged37; the Texaco Caribbean, it
would appear, had been chartered by a Norwegian company at the relevant time38, and the Esso
Freeport and the Diane were carrying Saudi crude oil39; yet the United States initially ascribed
ownership of all these cargoes to North American interests40
.

34CR 2003/13, pp. 31-32, para. 21.28.
35See Counter-Memorial, pp. 165-166, para. 6.08 -2, 4, 5 and 6; Rejoinder, pp. 186-187, para. 6.06, pp. 186
and 187, except p. 184 for the Texaco (“Panamanian owned”) and CR 2003/13, pp. 20-21, paras. 20.09 and 20.10.
36See Further Response to the United States’ Counter-Claim of Iran, pp. 31-32, para. 4.18 (Texaco); p. 40,
para. 4.39 (Lucy); p. 41, para. 4.45 (Diane); and p. 40, para. 4.42 (Esso Freeport).
37See ibid., p. 39, para 4.37.
38See ibid., p. 32, para. 4.19 and Ann. 25.
39Ibid., p. 31, paras. 4.40 and 4.43.
40See Counter-Memorial, p. 166, para. 6.08; Rejoinder, pp. 186-187, para. 6.06.
- 27 -
30. All of this shows that the United States is often somewhat . . . casual in its presentation of
the facts. However, the crucial point is that the nationality of the owners of vessels or of any cargo
transported thereby, as regards the right to bring an international claim, is of no importance
whatsoever: only the flag State is entitled to file such a claim.
31. The United States claims the contrary, basing its argument on jurisprudence consisting of
two old decisions41: the 1903 decision by the American-Venezuelan Commission concerning the
steamer Alliance42 and the Arbitral Award of 5 January 1935 in the case of the I’m Alone43. The
first of those cases is of little help to the United States: the decision was based on the fact that the
nationality of the flag had been acquired fraudulently. The second case is more supportive of the
United States arguments, since the arbitrators considered that Canada was not entitled to receive
compensation for the destruction of the I’m Alone or of its cargo by the United States, because that
Canadian-flagged vessel belonged exclusively to United States interests ¾ however, and this may
not have been sufficiently emphasized in the written pleadings ¾ it was a very singular case: the
United States had sunk a vessel belonging to its own nationals, United States citizens; moreover,
the responsibility of the United States was acknowledged and Canada received compensation and
redress for the injuries suffered by the crew.
32. Basically, the Award given in the case of the I’m Alone reflects the theory invoked by the
Court in the Barcelona Traction case to the effect that “the State of the shareholders [here the
shipowners] has a right of diplomatic protection when the State whose responsibility is invoked is
the national State of the company”44. But no one is claiming that the four vessels I am referring to
were Iranian . . . Accordingly, the so-called rule invoked by the United States that it was entitled to
seek redress for damage suffered by those tankers is not founded on any precedent. On the
contrary, in refusing to exercise its diplomatic protection over foreign vessels, the United States
Department of State invoked “the general rule with regards to vessels, that their national character

41Rejoinder, p. 213, para. 6.35; see also CR 2003/13, pp. 32-33, para. 21.31 (Murphy).
42RIAA, Vol. IX, pp. 141-142. For a definitive interpretation of the award, see G. H. Hackworth, Digest of
International Law, US Government Printing Office, Washington, 1941, Vol. II, p. 757.
43RIAA, Vol. III, p. 1616.
44I.C.J. Reports 1970, p. 48, para. 92.
- 28 -
is determined by their flag”45. The jurisprudence is firmly established to that effect despite
Mr. Murphy’s denials46:
¾ in the Saiga (2) case, the International Tribunal for the Law of the Sea found the Application of
Saint Vincent and the Grenadines admissible, basing its judgment exclusively on the vessel’s
nationality acquired by registration and dismissing Guinea’s arguments based on effective
control47;
¾ as I have already shown48, the Barcelona Traction Judgment is in clear opposition to
Mr. Murphy’s argument; and whilst it is true that the Court provided for conventional
exceptions to the principle it laid down49, I fail to see how such an exemption would be offered
by Article X of the 1955 Treaty ¾ or indeed by any of its other provisions;
¾ the ELSI case, on the other hand, was a very different one, since the Application was filed
against the State of the company’s nationality ¾ which comes back to the situation that I
mentioned just now concerning the I’m Alone50; furthermore, in the ELSI case, the matter was
in fact governed by a treaty stipulation; that is not true of the present case.
33. The United States is thus unable to claim any title to exercise its protection over the
Texaco Caribbean, the Lucy, the Esso Freeport or the Diane, nor can its protection apply to the
shipowners, who were not in fact United States citizens, as Iran has shown. But even if they had
been, that would not have changed anything at all unless the nationality of the flag was obtained
unlawfully, which the United States is not claiming.
34. What then can be said, Mr. President, of the Bridgetown and the Sea Isle City, the two
Kuwaiti vessels that were “reflagged” or “re-registered” (both words, “repavillonnés” and
“réimmatriculés”, are apparently used in French), by the United States?

45The Under Secretary of State (Grew) to Vogelsang, Brown, Cram and Feely, 2 July 1924, MS. Department of
State, File 612.11245 Tiblow Mills Co. cited in G. H. Hackworth, op. cit., p. 755; see also pp. 756-757.
46CR 2003/13, p. 33, para. 21.32.
47Judgment of 1 July 1999, I.T.L.O.S. Reports 1999, paras. 55 to 88.
48See supra, para. 24.
49Judgment of 5 February 1970, I.C.J. Reports 1970, p. 47, para. 90.
50See supra, note 44.
- 29 -
35. In the case of those vessels, by contrast, the lawfulness and genuineness of their
nationality give rise to more than just doubts, it being established that they belonged to Kuwaiti
interests51. Iran does not dispute that the re-registration may be lawful in principle; provided, that
is, that it corresponds to the reality and that the reasons therefor are legitimate. Neither of those
conditions are met in this case. As Iran demonstrated in its Further Response and as Mr. Sellers
reminded us just now52
,
¾ first, there was never any “genuine link”53 between the United States and the two vessels in
question: no American interests were ever associated in any form whatsoever with the
company that became the new owner of the vessels; those vessels were prohibited not only
from trading with the United States but even from docking in any of that country’s ports; and
specific legislation had been opportunely enacted in order to exempt the fictitious owners of the
vessels from compliance with United States labour law; and secondly,
¾ the entire operation was set up for the avowed purpose of concealing the true nationality of the
reflagged vessels, because Kuwait was known to be a de facto ally of Iraq, which the
United States was seeking to assist whilst retaining its status as a neutral State.
36. Fictitious nationality, manifestly acquired by fraus legis, as in the present case, is not
opposable to third parties. The reflagging of the Bridgeton and the Sea Isle City was carried out for
the sole purpose of enabling both those vessels to substitute the safer status of “American” vessel
for their existing rationality, which was at the time hazardous (because of Kuwait’s alignment with
Iraq). To paraphrase the Nottebohm Judgment (which Iran has never claimed to be transposable
per se to ships, contrary to what Professor Murphy implied54), Iran “is not required to recognize a
nationality thus granted”, and accordingly the United States is not entitled to bring a claim on
account of damage suffered by those vessels, irrespective of their origin55
.

51See the Report of the United Nations Secretary-General, S/16877/Add. 5; Counter-Memorial of the
United States, Ann. 168, pp. 9 and 14.
52Pp. 56-62, paras. 5.41-5.48.
53See Arts. 5, para. 1, and 10 of the Geneva Convention on the High Seas of 29 April 1958 and Arts. 91, para. 1,
and 94 of the United Nations Convention on the Law of the Sea of 10 December 1982.
54CR 2003/13, p. 34, para. 21.34; cf. Further Response, p. 60, para. 5.50.
55See Judgment of 6 April 1955, I.C.J. Reports 1955, p. 26.
- 30 -
37. This is all the more true in that the re-registration of the Kuwaiti vessels was, from the
outset, intended to be temporary (being referred to as “temporary reflagging”)56 and that, two years
after that fictional measure, the opposite process was commenced with a view to reflagging them as
Kuwaiti57. Accordingly, the admissibility of any claim submitted in 1997 by the United States on
the basis of the damage suffered by those two vessels is, in any event, barred by the lack of
continuity in their claimed United States nationality58
.
38. This only leaves us, Mr. President, with the Samuel B. Roberts. At last we find a vessel
which is unquestionably American and in respect of which, in principle, the United States is
certainly entitled to seek compensation for damage caused by an internationally wrongful act. But
it is not quite so simple: the Samuel B. Roberts is a warship; under Article X, paragraph 6, of the
1955 Treaty, “[t]he term ‘vessels’ . . . does not, except with reference to paragraphs 2 and 5 of the
present Article, include . . . vessels of war”. “Except with reference to paragraphs 2 and 5 of the
present Article”, which clearly means by contrast, a contrario, that paragraph 1 of Article X has to
be interpreted as excluding warships. And I do not think one can seriously argue that there is no
exclusion of military vessels from that paragraph simply because it does not use the word
“vessels”59. Unless, Mr. President, the Americans make a habit of navigating without ships? As I
hardly need recall, it is that paragraph alone which establishes the jurisdiction of the Court to
entertain the counter-claim of the United States.
39. Just as the Americans have no title of any kind to institute a claim for reparation in
respect of injury suffered by a third State, so likewise they cannot espouse claims resulting from
damage to foreign vessels or to their own vessels of war.
40. Mr. President, doubtless being aware of the legal obstacles which stand in the way of an
individual examination by the Court of each of the incidents that it has presented, the United States
has explained that these are simply examples, among others, and that its counter-claim relates not
to those incidents ¾ or rather not to those incidents alone ¾ but to the general damage caused to

56See United States Court of Appeals of the Third Circuit, Judgment, 29 April 1991, Cruz et al. v. Chesapeake
Shipping Inc. et al., Annex 7 to the Further Response, p. 2017.
57Ibid., p. 2023.
58See Further Response, pp. 62-63, paras. 5.54-5.56.
59CR 2003/13, pp. 26-27, para. 21.10 (Murphy).
- 31 -
freedom of commerce and navigation by the acts imputed to Iran60. But those incidents are
nonetheless included in the claim. Yet none of them is justiciable ¾ all fall outside the jurisdiction
of the Court. I do not know how they would sing it at the Cologne carnival61, but this curious
arithmetic is certainly troublesome: five (foreign vessels) + two (illegally re-registered
vessels) + one (vessel of war) = zero; zero entitlement to bring a claim. It would certainly be
astonishing if any other facts were forthcoming to justify your jurisdiction: it may be presumed
that the “examples” given by the United States are the “best” that its skilled and resourceful
counsel have been able to come up with.
41. However, Members of the Court, it is not sufficient for there to be a basis of jurisdiction
on paper ¾ in this case Article 21, paragraph 2, of the 1955 Treaty ¾ for this Court to be validly
seised; nor is it sufficient for a counter-claim to have a “direct connection” with the principal
claim, and therefore to be “admissible as such”, for its admissibility to be assured in all respects. It
is further necessary for claimants to establish that, in relation to the other party, they have “a legal
right or interest in the subject matter of their claim, such as to entitle them” to the decisions they
seek, or in other words, that they are parties to whom the other State “is answerable under the
relevant instrument”62. In the present case, the United States no doubt has an interest, but it has
failed to establish that such interest is a legal interest entitling it to seise the Court.
42. In other words, it has failed to establish the existence of any title or cause of action, and
all the so-called examples it has given for this purpose have turned out to be legally misconceived.
Members of the Court, it appears to us that what we have here is an absolute bar to your
jurisdiction. That bar is fundamental, but it is not the only one.
Monsieur le président, il me faut encore vingt minutes ou même plus pour terminer.
Souhaiteriez-vous que je continue ou préféreriez-vous avoir la pause maintenant?

60See inter alia, CR 2003/13, p. 32, paras. 21.29-21.30 (Murphy).
61See CR 2003/7, p. 32, para. 10 (Bothe).
62Judgment of 18 July 1966, South West Africa,(Ethiopia v. South Africa) Second Phase, I.C.J. Reports 1966,
p. 34, para. 48; see also on the subject of another type of incidental proceedings (interventions); Judgment of
14 April 1981, Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), Application for Permission to Intervene, I.C.J.
Reports 1981, p. 19, para. 93; Judgment of 21 March 1984, Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta),
Application for Permission to Intervene, I.C.J. Reports 1984, p. 9; Chamber, Judgment of 13 September 1990, Land,
Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras), Application to Intervene, I.C.J. Reports 1990, p. 114,
para. 52.
- 32 -
Le PRESIDENT: Je vous remercie beaucoup. L’audience est suspendue pour 10 minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 30.
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Monsieur Pellet, veuillez continuer s’il vous plaît.
Mr. PELLET: Je vous remercie Monsieur le président. Mr. President, after showing that the
United States had no interest entitling it to bring a claim in the present case, I would now like to
turn to two other issues of jurisdiction and admissibility that were not settled by the 1998 Order.
II. The other issues of jurisdiction and admissibility not settled by the 1998 Order
43. By keeping strictly to the terms of Article 80, paragraph 1, of the Rules of Court, your
1998 Order thus left unanswered a number of other issues relating either to the jurisdiction of the
Court or to the admissibility of the United States counter-claim. I will address, in succession but
briefly, two belatedly preliminary objections that may be raised against that counter-claim; the first
is general and acts as a bar to the claim as a whole; the second is partial and only relates to certain
aspects of the claim:
(1) the counter-claim was brought in disregard of the provisions of Article XXI, paragraph 2, of
the 1955 Treaty; and further,
(2) the United States cannot broaden the actual subject-matter of its claim beyond the submissions
set out in its Counter-Memorial.
1. The counter-claim was brought in disregard of the provisions of Article XXI, paragraph 2,
of the 1955 Treaty
44. Iran’s Application and the United States counter-claim were filed in 1992 and 1997
respectively, on the basis of Article XXI, paragraph 2, of the 1955 Treaty of Amity. Under that
provision:
“Any dispute between the High Contracting Parties as to the interpretation or
application of the present Treaty, not satisfactorily adjusted by diplomacy, shall be
submitted to the International Court of Justice, unless the High Contracting Parties
agree to settlement by some other pacific means.”
- 33 -
45. As Professor Murphy pointed out on Wednesday63, the Court, in its Judgment of
12 December 1996 on the Preliminary Objection of the United States, confined itself to stating that
“several of the conditions laid down by this text” had been met, including, inter alia, the fact that it
had not been “possible to adjust [the dispute submitted to it] by diplomacy”64. But, although the
United States had raised a preliminary objection, it did not relate to this point and, moreover, the
Application had been filed in 1992, at a time when relations between the two countries were
particularly bad, and any peaceful settlement seemed out of the question, so that the “dispute [was]
also clearly one not ‘satisfactorily adjusted by diplomacy’” within the meaning of Article XXI of
the Treaty65
.
46. But the problem is different with respect to the counter-claim:
¾ first, it was filed five years later, at a time when relations between the two countries were
certainly not good, but when efforts to find solutions to the pending legal problems were
beginning to bear fruit; also, prior to the counter-claim, the case concerning the Aerial Incident
of 3 July 1988 had been withdrawn by an Order of 22 February 1996, following an agreement
between the parties66;
¾ secondly, unlike the United States, Iran immediately reacted positively by asserting that it had
not been opposed, and was still not opposed, to negotiations; and, notwithstanding what
Mr. Murphy said last Wednesday67, in its Order of 1998, the Court did not reject Iran’s
argument: it noted Iran’s position68 but, confining itself strictly to the issue of the admissibility
of the counter-claim “as such”, it refrained from ruling on this point;
¾ third and last, it is patent that, as Iran had indeed argued in response to the counter-claim69, not
only were negotiations not excluded, they were actually initiated between the two States on the
very matters covered by the counter-claim.

63CR 2003/13, p. 16, para. 19.24.
64I.C.J. Reports 1996 (II), p. 809, para. 16.
65See Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America),
Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 428, para. 83; see also United States Diplomatic and
Consular Staff in Tehran, Judgment, I.C.J. Reports 1980, p. 27, para. 51.
66I.C.J. Reports 1996 (I), p. 9.
67CR 2003/13, p. 15, para. 19.22
68I.C.J. Reports 1998, p. 194, para. 6 and p. 196, para. 12.
69See ibid.
- 34 -
47. As the exchange of letters reproduced in Annex 24 to Iran’s Reply shows, Iran responded
positively to the American proposal for negotiations. The Agent of the Islamic Republic of Iran
wrote on two occasions70 to his American counterpart: “my Government would be ready to accept
your proposal for negotiations”. That was clear. The reply from the Agent of the United States to
the first of these letters ¾ “you decline the U.S. proposal” ¾ was also clear; and it was because
Iran had proposed a global negotiation on the legal problems between the two countries relating to
the oil platforms case that Mr. Matheson reacted in this way. The American Agent did not reply to
the second letter from Mr. Zahedin-Labbaf. That, Mr. President, is how the United States
negotiates!
48. Nevertheless, negotiations were possible, Iran was prepared to take part in them and it
was the United States which declined to do so. The United States cannot therefore shelter behind
its own refusal to open the negotiations envisaged in Article XXI, paragraph 2, of the 1955 Treaty
and seise the Court on this basis. Iran encountered the same United States veto as did Nicaragua,
which led Sir Robert Jennings to find that the Nicaraguan Application could properly be submitted
to the Court71. Professor Murphy referred to that opinion on Wednesday72, but draws the wrong
conclusions from it, overlooking the fact that it is Nicaragua, in other words the victim of the
American refusal, which seised the Court and not the author of that fin de non-recevoir, the
United States, as is the case here.
2. The United States cannot broaden the actual subject-matter of its claim beyond the
submissions set out in its Counter-Memorial
49. There is one final argument against ¾ but only in part, unlike the points I have just
made ¾ the admissibility of the United States counter-claim.
50. Mr. President, under Article 80, paragraph 2, of the Rules, “a counter-claim shall be
made in the Counter-Memorial of the party presenting it, and shall appear as part of the
submissions of that party” [emphasis added]. It follows that the claims of the party relying on

70See ibid., the letters from Mr. Zahedin-Labbaf, Agent of the Islamic Republic of Iran, to Mr. Matheson, the then
Agent of the United States, dated 3 April and 12 June 1997.
71Separate opinion appended to the Judgment of 26 November 1984, I.C.J. Reports 1984, p. 556.
72CR 2003/13, pp. 15-16, para. 19.23.
- 35 -
them are fixed at this stage and cannot subsequently be the subject of any substantial change.
Notwithstanding my opponent’s denials73, the United States makes at least two such changes.
51. First, it adds to its original allegations concerning the violation by Iran of the freedom of
commerce guaranteed by Article X, paragraph 1, accusations (equally lacking in substance, I would
add) relating to alleged breaches of the freedom of navigation between the territories of the
Contracting Parties. Second, and above all, the United States, which, in its Counter-Memorial74
limited the “examples” of breaches of freedom of maritime commerce to the seven vessels I
mentioned a short while ago, has gradually, surreptitiously, attempted to add new ones.
52. For example, in its Rejoinder, it cites two new incidents, concerning vessels claimed to
be American, the Sungari and the Esso Demetia75
, and mentions three others in a footnote76: the
Grand Wisdom, the Stena Concordia and the Stena Explorer. Again, throughout the oral
proceedings, counsel of the United States have mentioned the first two of these vessels on a
number of occasions77
.
53. I hasten to add that, as can be seen on the table being projected behind me (and which is
found under tab 24 in the judges’ folder), they are no more likely to provide justification for claims
than the seven vessels I presented a short while ago. Three fly Liberian flags, one of them
Panamanian, and one British.
54. The fact nevertheless remains, Mr. President, that the United States cannot thus, several
years after the time-limit laid down by the Rules, add fresh claims to those originally made ¾ if
only because it is obviously not acceptable to contend, as Mr. Murphy does78, that: “[i]f the Court
proceeds to a damages phase, it will be perfectly equipped to determine which types of damages in
what time frame are justified as a matter of law”! It is in the Counter-Memorial that the
counter-claim must be fixed. And it is in light of the claim as thus formulated that the Court may

73CR 2003/13, pp. 13-15, paras. 19.16-19.20 (Murphy).
74Counter-Memorial of the United States, pp. 164-167, para. 6.08.
75Pp. 184 and 188.
76P. 183, footnote 404.
77See CR 2003/9, p. 25, para. 2.37 (Sungari) and p. 26, para. 2.39 (Esso Demetia) (Beaver); CR 2003/9, pp. 37 et
seq. (Sungari) (Neubauer); CR 2003/13, p. 20, para. 20.09 (Sungari) and p. 21, para. 20.11 (Esso Demetia) (Mattler);
see also p. 20, para. 20.07 for a general reference to the Rejoinder (Murphy).
78CR 2003/13, p. 15, para. 19.20.
- 36 -
not only determine whether there is sufficient connection with the claim of the applicant State, as it
did in the 1998 Order, but also consider whether, in light of the injury claimed, it has jurisdiction to
rule on the merits, which it must now do, and which it can only do by verifying that the author of
the claim can show a legally protected interest ¾ rely on a right belonging to it ¾ enabling it to
seise the Court.
55. To sum up, Mr. President:
1. In its 1998 Order, the Court ruled on matters relating to the direct connection required by
Article 80, paragraph 1, of its Rules; but it did not rule on other objections raised by Iran with
respect to its jurisdiction and the admissibility of the counter-claim; it must now do so.
2. Such jurisdiction as the Court may have is limited to Iran’s alleged responsibility for violation
of the freedom of commerce guaranteed under Article X, paragraph 1, of the 1955 Treaty and
is, in any event, excluded as regards all claims which the United States has sought to present
after 23 June 1997, the date fixed for the filing of its Counter-Memorial.
3. In any case, the counter-claim is inadmissible in its totality, since the United States refused,
contrary to the provisions of Article XXI, paragraph 2, of the Treaty, to conduct negotiations
to settle the dispute, at a time when Iran had clearly manifested its desire to engage in them.
4. The United States has not established, even prima facie, that it has a legal interest capable of
providing a legal basis for the Court’s jurisdiction: it cannot protect private interests relating
to damaged vessels, since those vessels do not possess its nationality, or do so only
fictitiously; and it cannot act on behalf of third States or of the international community as a
whole ¾ and certainly not in a case narrowly circumscribed by the 1996 Judgment and the
1998 Order to the issue of whether a commercial clause in the 1955 Treaty has been breached.
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56. To paraphrase what my respected colleague and friend, Professor Weil, said in his oral
presentation here last Tuesday79, what Iran contends, is that, even if it had breached the freedom of
commerce guaranteed by Article X, paragraph 1, of the 1955 Treaty (which is not the case), the
Court would not, for that reason alone, have jurisdiction to rule on the counter-claim of the United
States, unless the latter can show a locus standi, entitling it to avail itself of the jurisdictional clause
in Article XXI, paragraph 2. It has not done so, nor, certainly, can it do so.
This, Members of the Court, brings my statement for this morning to a close. Thank you for
your attention. Et je me permets, Monsieur le président, de vous prier de donner la parole à
M. Crawford, qui clôturera notre présentation de ce matin.
Le PRESIDENT : Merci Monsieur Pellet. Je donne maintenant la parole à M. Crawford.
M. CRAWFORD :
3. LE FOND DE LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DES ETATS-UNIS
AU REGARD DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE X DU TRAITÉ
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, comme l’a indiqué M. Sellers, il
me revient d’examiner le fond de la demande reconventionnelle des Etats-Unis. Je propose de le
faire en quatre volets. Premièrement, je traiterai du fondement juridique de la demande
reconventionnelle, qui est le paragraphe 1 de l’article X du traité. Les Etats-Unis tentent, aux fins
de leur demande reconventionnelle, de ne pas tenir compte de la clause restrictive «entre les
territoires des Hautes Parties contractantes». Comme je le montrerai, cela n’est pas légitime.
Deuxièmement, je traiterai des faits qui sont à l’origine de la demande reconventionnelle, à la fois
s’agissant des navires particuliers dont les Etats-Unis allèguent qu’ils ont subi un préjudice du fait
d’actes commis par l’Iran en violation du paragraphe 1 de l’article X, et s’agissant des allégations
plus générales formulées par les Etats-Unis. Je poserai la question de savoir si, sur la base des faits
présentés à la Cour, il y a lieu de conclure à une violation de cette disposition. Troisièmement,
j’examinerai l’étendue des demandes en réparation que les Etats-Unis pourraient légitimement
formuler si une violation du paragraphe 1 de l’article X était établie, en particulier en ce qui

79CR 2003/11, pp. 21-22, para. 13.22.
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concerne les dépenses militaires et l’augmentation des primes d’assurance pour risque de guerre.
Quatrièmement, et enfin, je formulerai quelques brèves observations sur la question de la
responsabilité globale à l’égard des demandes et des demandes reconventionnelles qui sont
soumises à la Cour, en réponse à certaines des observations faites par l’agent des Etats-Unis au
début de la semaine.
2. Avant d’en venir à ces questions, j’insisterai sur le fait qu’il incombe à chaque Partie de
s’acquitter de la charge de la preuve à propos de ses propres demandes. C’est ce que la Cour a
déclaré en l’affaire Cameroun c. Nigéria, la première affaire récente dans laquelle elle a traité du
fond d’une demande et d’une demande reconventionnelle en matière de responsabilité
internationale. Il me semble que je puis dire sans trop me tromper que vous avez rejeté les
demandes et demandes reconventionnelles en matière de responsabilité internationale de façon
plutôt sommaire, en déclarant que (je cite plus ou moins intégralement) : «aucune des Parties
n’apporte de preuves suffisantes des faits qu’elle avance ou de leur imputabilité à l’autre Partie» et
que la Cour «ne saurait par suite accueillir ni les conclusions du Cameroun ni les demandes
reconventionnelles du Nigéria fondées sur les incidents invoqués»80. Je ferai simplement
remarquer que dans l’affaire Cameroun c. Nigéria, les demandes et demandes reconventionnelles
en matière de responsabilité internationale étaient simplement incidentes par rapport à l’instance
principale, qui concernait les frontières terrestres et maritimes; j’imagine ¾ du moins j’espère —
que c’est une des raisons pour lesquelles la Cour a traité de ces questions de façon assez sommaire.
La présente affaire porte quant à elle essentiellement sur la responsabilité de l’Etat. Mais le fait
que la Cour rappelle les règles de la charge de la preuve reste pertinent, — et cela s’impose — que
la demande en matière de responsabilité internationale soit autonome (comme c’est le cas en
l’espèce) ou qu’elle soit simplement accessoire (comme c’est le cas en l’affaire Cameroun c.
Nigéria).

80 Arrêt du 10 octobre 2002, par. 324; voir également le paragraphe 322.
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A. Le fondement de la demande reconventionnelle : le paragraphe 1
de l’article X du traité de 1955
3. J’en viens au seul fondement de la demande reconventionnelle des Etats-Unis (et de la
demande de l’Iran). Il s’agit bien sûr du paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié : «Il y a aura
liberté de commerce et de navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes.»
On relève deux éléments clés : le premier est qu’il y aura liberté de commerce et de navigation; le
second est que cette liberté doit exister «entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes».
Il faut comparer cela aux autres dispositions de l’article X qui, selon les deux Parties, ne sont pas
en cause en l’affaire mais sont pertinentes aux fins de l’interprétation. Donc, le paragraphe 3 de
l’article X permet aux navires de chacune des Hautes Parties contractantes de se rendre librement
avec leur cargaison dans les ports de l’autre partie même s’ils font commerce avec des Etats tiers.
Le paragraphe 3 n’exige pas que le commerce ou la navigation se fasse entre les territoires des
Hautes Parties contractantes. Le paragraphe 4 s’applique aux navires qui transportent des produits
«à destination ou en provenance [des] territoires» de l’autre Haute Partie contractante. J’insiste sur
le «ou» disjonctif. Le paragraphe 5 permet aux navires en détresse de chacune des parties de
chercher refuge dans le port ou le havre le plus proche de l’autre partie : ces navires peuvent très
bien faire commerce et/ou naviguer exclusivement entre des Etats tiers; une fois encore, il n’est pas
exigé qu’ils se livrent à un commerce entre les territoires des Hautes Parties contractantes ni qu’ils
naviguent entre ceux-ci.
4. Par conséquent, la portée territoriale de chaque paragraphe important de l’article X est
différente. Les nuances précisées par écrit dans chaque paragraphe ont manifestement été
soigneusement étudiées et doivent donc produire leur effet. Le paragraphe 1 de l’article X prévoit
une liberté générale et doit, en tant que tel, être interprété largement; néanmoins, la liberté qu’il
prévoit est une liberté «entre les territoires des Hautes Parties contractantes».
5. Les Etats-Unis soutiennent que l’Iran a changé sa position sur ce point depuis le dépôt de
son mémoire81. La vérité est que ¾ car il a été plus d’une fois question de vérité dans cette
affaire ¾ les deux Parties ont précisé et modifié leurs positions à la lumière de l’arrêt rendu par la

81 CR 2003/13, p. 30-31, par. 21.23-21.24.
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Cour en 1996 et en tenant compte des arguments avancés par la Partie adverse. A cet égard, il ne
faut pas oublier que l’argumentation initiale de l’Iran portait tout autant, si ce n’est plus, sur les
articles premier et IV du traité que sur le paragraphe 1 de l’article X, ce qui explique en partie le
fait que l’Iran ait d’abord insisté sur le droit international général et sur la Charte — normes qui,
comme nous l’avons dit, se trouvent aussi exprimées dans l’article premier. Mais à présent, l’Iran
concentre son argumentation sur le paragraphe 1 de l’article X, qui constitue le seul fondement que
peuvent invoquer pour leurs demandes l’une et l’autre Parties. La situation s’en trouve
considérablement simplifiée. Elle se résume à ceci : conformément à la décision rendue par la
Cour en 1996, la liberté de commerce est envisagée dans un sens large, mais ce commerce doit tout
de même s’effectuer entre les territoires des Hautes Parties contractantes. Il ne vous avait pas été
demandé en 1996 d’examiner la liberté de navigation ¾ toutefois, à supposer que la liberté de
navigation constitue en elle-même un objet de la demande reconventionnelle, il n’en reste pas
moins qu’il doit s’agir de navigation entre les territoires des Hautes Parties contractantes. Telle est
la situation, et les exercices d’éloquence de prétoire auxquels se livrent les Etats-Unis pour
disséquer les premières pièces de la procédure écrite sont dépourvus de pertinence.
6. Le paragraphe 1 de l’article X parle de «liberté de commerce et de navigation».
Apparemment, il s’agit de libertés distinctes, que vous avez désignées dans votre ordonnance de
1998 par le pluriel, comme l’a à juste titre fait remarquer M. Murphy82. Par conséquent, il pourrait
y avoir navigation entre les territoires des Hautes Parties contractantes sans qu’il n’y ait de
commerce entre lesdits territoires, même s’il ne pourrait pas y avoir de navigation sans
embarcation ! Par exemple, un bateau de plaisance pourrait se rendre d’un port américain à un port
iranien : il se livrerait alors à de la navigation mais pas à du commerce. A côté de cela, il pourrait y
avoir commerce entre les territoires des Hautes Parties contractantes sans qu’il n’y ait de navigation
entre eux. Dans l’un ou l’autre cas, nous devons nous demander si le commerce ou la navigation
en question se fait entre les territoires des Hautes Parties contractantes. Si tel est le cas, ce
commerce ou cette navigation est protégé par le paragraphe 1 de l’article X; si tel n’est pas le cas,
cette disposition ne s’applique pas. Ainsi, par exemple, un navire américain qui se rend du port

82 C.I.J. Recueil 1998, p. 204, par. 36; voir le CR 2003/13, p. 12-13, par. 19.13 (Murphy).
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d’un Etat tiers vers le port d’un autre Etat tiers ¾ disons d’Abu Dhabi au Koweït ¾ ne se livre pas
à une activité commerciale protégée par le traité au sens qui intéresse notre affaire, bien qu’il
puisse se prévaloir du paragraphe 5. Il en va de même s’il se rend du Koweït ou d’Abu Dhabi aux
Etats-Unis. Et s’il transporte des marchandises originaires d’Abu Dhabi aux Etats-Unis, il ne se
livre pas non plus à une activité commerciale entre les territoires des Hautes Parties contractantes.
Le traité dont il s’agit est bilatéral. Le paragraphe 1 de l’article X ne garantit pas la liberté de
commerce ni de navigation en général ¾ la liberté de commerce et de navigation dans le
golfe Persique, par exemple ¾ mais la liberté de commerce et de navigation au niveau bilatéral,
entre les territoires des parties.
7. Cette analyse est tout à fait conforme à la décision rendue par la Cour en 1996 sur
l’exception préliminaire. La Cour a interprété la liberté de commerce au sens large, sans la limiter
à l’achat ou à la vente de marchandises mais en y incluant «les activités accessoires qui sont
intrinsèquement liées au commerce»83. La Cour a également déclaré qu’il n’était pas nécessaire de
s’attarder sur l’interprétation de l’expression «entre les territoires des Hautes Parties contractantes»,
puisque les Parties «ne contest[aient] … pas que les exportations de pétrole de l’Iran vers les
Etats-Unis se soient ¾ dans une certaine mesure ¾ poursuivies au moins jusqu’à une date
postérieure à la destruction du premier ensemble de plates-formes pétrolières»84
.
8. Il est vrai que dans l’affaire Nicaragua, la Cour n’a pas accordé beaucoup d’importance au
fait que la même expression était utilisée à l’article XIX du traité d’amitié, de commerce et de
navigation de 1956 entre les Etats-Unis et le Nicaragua. Deux mesures prises en violation de
l’article XIX étaient alléguées : le minage de ports et l’embargo. En ce qui concerne l’embargo, la
Cour a insisté non pas sur le paragraphe 1 mais sur le paragraphe 3 de cet article du traité.
L’embargo interdisait aux navires nicaraguayens d’entrer dans les ports américains, peu importe
qu’ils arrivent du Nicaragua ou d’un Etat tiers. Ainsi, la Cour en a déduit que «l’embargo
constituait une mesure en contradiction avec l’article XIX du traité d’amitié, de commerce et de
navigation de 1956»85, sans s’attarder autrement sur l’interprétation du paragraphe 1. En ce qui

83 C.I.J. Recueil 1996, p. 819, par. 49.
84 Ibid., p. 817-818, par. 44.
85 C.I.J. Recueil 1986, p. 140, par. 279.
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concerne le minage des ports, la Cour a simplement déclaré qu’il constituait «une mesure en
contradiction manifeste avec l’article XIX, paragraphe 1, du traité de 1956 qui garantit la liberté de
navigation et la liberté de commerce»86. Cela se comprend parfaitement : les ports faisaient par
définition partie du territoire du Nicaragua; ils étaient largement utilisés pour le commerce et la
navigation entre les deux Etats; ils ont été minés en temps de paix et sans la moindre justification.
Pour ces raisons, ces mesures étaient manifestement contraires à la liberté de commerce et de
navigation prévue entre les territoires des Hautes Parties contractantes. La Cour pouvait donc
rendre un arrêt déclarant la violation de l’article XIX sans aller plus loin. La décision rendue par la
Cour en l’affaire Nicaragua va dans le sens d’une interprétation large de la notion de liberté de
commerce et de navigation. Mais elle ne suffit pas pour autant à fonder l’idée que l’expression
«entre les territoires des Hautes Parties contractantes» doit être ignorée.
9. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la décision que vous avez rendue
sur le fond de l’affaire Nicaragua appelle deux observations supplémentaires. La première est que,
de toute évidence, cette décision n’a pas résolu un certain nombre de questions qui se posaient
concernant le champ de la protection qu’offre le paragraphe 1 de l’article XIX du traité. En effet,
ces questions avaient été renvoyées à la phase de l’affaire qui devait porter sur une évaluation
chiffrée, lors de laquelle devait être examinée la question de savoir si des navires particuliers se
livraient au commerce ou à la navigation entre les deux Etats. Ce qui est tout à fait clair, c’est que
si une violation avait été constatée par la Cour, cette violation n’aurait pas bénéficié aux navires qui
n’avaient jamais eu à se rendre au port nicaraguayen miné, même si les primes d’assurance
appliquées aux navires dans les eaux nicaraguayennes avaient augmenté à la suite des
incidents ¾ comme on pourrait s’y attendre. Il semble également clair que l’on ne pourrait pas
dire d’un navire nicaraguayen, partant d’un port du Nicaragua à destination d’un port chilien, par
exemple, et qui ne transporte pas de marchandises à destination ou en provenance des Etats-Unis,
qu’il se livre à une activité commerciale ou de navigation protégée par le traité. Ainsi, toute une
série de questions restait en suspens s’agissant de l’étendue des réparations à verser. On peut
imaginer ce que les Etats-Unis auraient eu à dire sur ces questions.

86 C.I.J. Recueil 1986, p. 139, par. 278.
- 43 -
10. Cela m’amène à ma seconde observation. La Cour sait que la phase portant sur une
évaluation chiffrée des réparations n’a jamais eu lieu. Le Nicaragua a déposé des pièces écrites; les
Etats-Unis ne se sont pas présentés. L’affaire n’a jamais abouti à une audience, pour des raisons
que vous connaissez. La Cour n’a donc jamais statué sur les conséquences de sa conclusion
générale selon laquelle le minage des ports contrevenait au paragraphe 1 de l’article XIX du traité
de 1956. Par conséquent, la Cour n’a jamais, entre autres choses, statué sur les effets de cette
conclusion à l’égard de navires appartenant à des ressortissants d’Etats tiers, ni de navires
américains se déplaçant des ports en cause à destination d’Etats tiers.
11. Les Etats-Unis font observer qu’un navire d’un Etat tiers pourrait se livrer à des activités
commerciales et à une navigation protégées par le traité, l’atteinte à la liberté dont bénéficie ce
navire pouvant alors constituer une violation du paragraphe 1 de l’article X87. L’Iran est d’accord
sur ce point. Mais la raison en est que le paragraphe 1 de l’article X s’appliquerait au navire en
raison des termes mêmes de cette disposition, mais pas du fait que le traité confère des droits au
Libéria ou au Panama, ni à leurs ressortissants et sociétés, par exemple. Si, par exemple, l’Iran
avait insisté pour que les exportations iraniennes vers les Etats-Unis soient faites exclusivement par
des navires immatriculés aux Etats-Unis ou en Iran, les Etats-Unis auraient alors pu se plaindre.
Mais cela ne signifie pas pour autant que les Etats tiers et les navires relevant d’Etats tiers
bénéficient eux-mêmes de droits en vertu du traité; ils sont simplement les bénéficiaires indirects
d’un régime de liberté de commerce et de navigation établi à un niveau bilatéral entre les territoires
de l’Iran et des Etats-Unis, et créant des droits entre ces deux Etats exclusivement.
12. L’explication en est claire et simple. Les seuls droits créés par un traité bilatéral sont
ceux des Etats parties audit traité. Rien n’indique que le traité de 1955 devait conférer des droits
ou imposer des obligations à des Etats tiers, possibilité qui est envisagée dans la convention de
Vienne sur le droit des traités. Les Etats-Unis ne semblent en vérité pas soutenir le contraire.
13. La Cour aura constaté que les Etats-Unis, s’ils accusent l’Iran d’incohérence88, oscillent
eux-mêmes entre interprétation large et interprétation étroite du paragraphe 1 de l’article X, selon
qu’ils traitent de la demande ou de la demande reconventionnelle. Lorsqu’il s’agit de la demande

87 CR 2003/13, p. 32, par. 21.30.
88 Voir par exemple le CR 2003/13, p. 30-31, par. 21.23-21.25.
- 44 -
de l’Iran, ils considèrent le paragraphe 1 de l’article X comme une question bilatérale dont on peut
faire fi, et, lorsqu’il s’agit de leur demande reconventionnelle, comme une garantie générale. A
l’égard de la demande de l’Iran, les Etats-Unis adoptent une interprétation étroite en disant que
l’une des raisons pour lesquelles les plates-formes n’étaient pas protégées par le paragraphe 1 de
l’article X est que le pétrole qui s’y trouvait était d’abord expédié vers un autre lieu (dans l’île de
Sirri ou de Lavan), d’où il était souvent expédié vers le port d’un Etat tiers, avant d’arriver, en fin
de compte, aux Etats-Unis89. En revanche, lorsqu’il s’agit de la demande reconventionnelle, les
Etats-Unis parlent tout simplement de la «liberté de navigation dans le Golfe» et même, d’ailleurs,
hors du Golfe, indépendamment de la destination des navires ou de leur cargaison. L’Iran demande
pour sa part à la Cour d’adopter une interprétation cohérente des deux libertés, en partant de
l’hypothèse, comme je le fais, que l’une et l’autre sont en cause en l’espèce. Mais, quelle que soit
l’interprétation retenue par la Cour, celle-ci devra donner effet à tous les termes qui figurent au
paragraphe 1 de l’article X, y compris l’expression «entre les territoires des deux Hautes Parties
contractantes». Il s’agit là de deux libertés bilatérales conférées par un traité bilatéral; elles sont
expressément accordées dans un cadre géographique restreint.
14. Cette analyse concorde avec la notion d’Etat lésé telle que définie à l’article 42 des
articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat. L’article 42, qui
s’inspire largement de l’article 60 de la convention de Vienne sur le droit des traités, prévoit
notamment que :
«Un Etat est en droit en tant qu’Etat lésé d’invoquer la responsabilité d’un autre
Etat si l’obligation violée est due :
a) à cet Etat individuellement…»
L’alinéa b) de l’article 42 définit la notion d’Etat lésé dans le cas où l’obligation est due à un
groupe d’Etats ou à la communauté internationale dans son ensemble. Manifestement, comme l’a
déclaré M. Pellet, l’alinéa b) n’a rien à voir avec la présente affaire; l’article 48, qui traite des
obligations d’intérêt général, est aussi sans pertinence en l’espèce. Ce qui nous intéresse en
l’espèce, c’est le cas élémentaire d’une obligation envers un Etat pris individuellement. Le
commentaire des articles de la Commission du droit international confirme d’ailleurs qu’il s’agit là

89 Voir par exemple le CR 2003/11, p. 41-44, par. 15.27-15.38; p. 45-47, par. 15.45-15.50.
- 45 -
du cas le plus évident dans lequel un Etat peut invoquer la responsabilité d’un autre Etat au titre de
ses propres droits. Comme l’explique le commentaire, un Etat peut «avoir un droit individuel à
l’exécution d’une obligation, de la même manière qu’un Etat partie à un traité bilatéral a un tel
droit vis-à-vis de l’autre Etat partie»90. Il s’agit d’un droit individuel de l’Etat en question; aucun
autre Etat n’est concerné, seules les relations entre les deux Etats en soi sont en cause,
conformément aux dispositions du traité.
15. Par conséquent, trois éléments doivent être démontrés pour que la violation du
paragraphe 1 de l’article X en vertu de laquelle un Etat peut demander réparation soit établie :
a) premièrement, qu’il y avait commerce ou, selon le cas, navigation, entre les territoires des
Hautes Parties contractantes;
b) deuxièmement, que la liberté de ce commerce ou de cette navigation a été entravée de façon
injustifiée par l’Iran ¾ j’inclus l’article XX dans le cadre de la justification;
c) troisièmement, que l’Etat demandeur lui-même a subi un préjudice résultant directement de la
violation. A cette fin, les pertes effectivement subies par les ressortissants ou les sociétés de
l’Etat demandeur sont prises en compte mais sous réserve des règles de la protection
diplomatique exercée par l’Etat à l’égard desdits ressortissants ou sociétés. M. Pellet a
examiné ces règles; je n’y reviendrai pas.
16. Comme la Cour le sait, il existe depuis un certain temps déjà un débat autour de la
question de savoir si l’Etat demandeur doit avoir effectivement subi une perte avant de pouvoir
introduire une demande en responsabilité de l’Etat, ou si la question de la perte effective relève
essentiellement du problème de la réparation. Cette question s’est posée dans l’arbitrage du
Rainbow Warrior entre la Nouvelle Zélande et la France. Le Tribunal arbitral y avait répondu en
s’appuyant sur la notion de préjudice moral91. Dans ses travaux sur la responsabilité de l’Etat, la
Commission du droit international a refusé de prendre position sur ce point, en expliquant qu’il

90 Commission du droit international, commentaire de l’article 42 (par. 5), dans J. Crawford, The International
Law Commission’s Articles on State Responsibility (CUP, 2002), p. 257.
91 1990, Recueil des sentences arbitrales des Nations Unies, vol. XX, p. 266-267, par. 107-110.
- 46 -
n’existe pas de règle générale sur la question de savoir si un dommage ou un préjudice effectif est
nécessaire pour qu’il y ait violation92. La Commission a conclu au lieu de cela que la réponse
dépendait de l’interprétation qui est faite de l’obligation particulière en cause.
17. En l’espèce, l’obligation est celle qui découle du paragraphe 1 de l’article X du traité
d’amitié. Pour l’Iran, dans le contexte d’une garantie générale de liberté comme celle qui ressort
du paragraphe 1 de l’article X, il est nécessaire d’identifier une atteinte concrète ou un obstacle
concret au commerce ou à la navigation protégé avant que la responsabilité ne soit engagée. Il ne
suffit pas de formuler une allégation générale, qui n’est pas étayée par un cas véritable d’atteinte au
commerce maritime protégé. Cela ne suffit pas d’insinuer des effets effrayants ou de vagues
menaces, comme M. Mattler a tenté de le faire93. Les Etats-Unis affirment par exemple que des
mesures de fermeture du détroit d’Ormuz émanaient de sources iraniennes94. Même si, dans
l’intensité et la furie de la guerre, des menaces ont pu être proférées, il est manifeste que rien n’a
jamais été entrepris pour les traduire dans les faits : en effet, l’Iran a officiellement fait connaître au
Secrétaire général qu’il ferait tout son possible pour garder le détroit ouvert95. Bien sûr, la
fermeture du détroit aurait pu constituer une violation du paragraphe 1 de l’article X; mais c’est là
pure conjecture. En bref, aucune mesure concrète n’a été prise à cet égard concernant le commerce
et la navigation protégés, et, par conséquent, il n’y a pas eu violation du paragraphe 1 de l’article X.
18. Toutefois, en pratique, il importe peu en l’espèce que la Cour considère les dommages
comme l’essentiel de la violation ou comme un élément fondamental pour la détermination de la
réparation. En effet, cette affaire concerne essentiellement la réparation, c’est-à-dire les
dommages. A cet égard, il ne suffit pas que les Etats-Unis affirment que les navires d’Etats neutres
ont subi des préjudices en raison de la guerre du Golfe. Ils doivent indiquer les violations du
paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié qui ont été commises et les dommages subis par les
Etats-Unis en raison de ces violations. M. Murphy a soutenu que tout ce que la Cour devrait faire à
ce stade, c’est de formuler une déclaration générale contre l’Iran, en reportant toutes les autres

92 Commission du droit international, commentaire sur l’article 2 (par. 9), dans Crawford, p. 84.
93 CR 2003/13, p. 17-23, passim.
94 CR 2003/10, p. 26, par. 8.51.
95 CR 2003/5, p. 46, par. 9 (Momtaz).
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questions à la prochaine phase de l’affaire96. Bien évidemment, l’Iran est également d’avis que le
détail des questions concernant l’évaluation chiffrée devrait être examiné à la phase suivante,
comme je l’ai dit97. Or, les Etats-Unis ne sauraient échapper à la charge de la preuve qui pèse sur
eux en tant qu’auteurs de la demande reconventionnelle en se contentant de répéter que l’Iran a
entravé la liberté de navigation «dans le Golfe»98. Il ne fait pas de doute que le paragraphe 1 de
l’article X concerne une liberté générale qui existe dans les relations bilatérales des parties, et
qu’un Etat qui formule une demande ou une demande reconventionnelle peut choisir de le faire en
des termes généraux. Néanmoins, la demande doit à tout le moins être étayée au regard du droit
précis sur lequel elle se fonde, de l’obligation précise qui n’aurait pas été respectée. En l’espèce,
l’obligation est limitée au commerce et à la navigation entre les territoires de l’Iran et des
Etats-Unis. Or, les Etats-Unis n’ont donné aucun exemple valable d’entrave au commerce et à la
navigation protégés ¾ sauf peut-être dans un seul cas. Le commerce et la navigation entre l’Iran et
les Etats-Unis n’étaient pas une simple abstraction; il s’agissait d’activités réelles et continues. Le
fait qu’ils ne parviennent pas à indiquer des cas précis de pertes ou de dommages subis par ce
commerce, cette navigation, laisse penser que la demande reconventionnelle dans son ensemble est
dépourvue de fondement, qu’elle est formulée simplement comme une mesure stratégique visant à
obtenir un règlement qui renvoie les Parties dos à dos, ou pour inciter la Cour à contrebalancer une
demande par l’autre dans ce que nous pourrions appeler, en tenant compte d’un précédent récent,
un arrêt qui renvoie les Parties dos à dos.
19. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, si tout ce qu’un Etat parvient à
faire lorsqu’il allègue une entrave à une liberté générale est de formuler une demande en des termes
généraux, on doit effectivement se demander s’il a bien établi qu’il existait une violation. Si un
Etat soutient que le comportement d’un autre Etat fait obstacle à la liberté de commerce avec le
territoire de ce dernier, alors celui-ci a droit d’obtenir que des exemples valables soient produits. Si
l’Etat demandeur ne parvient pas à fournir d’exemples probants, on peut certainement en déduire
qu’il n’a pas démontré le bien-fondé de sa thèse générale. Il ne peut améliorer son cas en répétant

96 CR 2003/13, p. 43, par. 21.65.
97 CR 2003/8, p. 40, par. 2.
98 Voir, par exemple, le CR 2003/13, p. 20, par. 20.7; p. 22, par. 20.15-20.16; p. 26, par. 21.10.
- 48 -
sans cesse à haute voix que la liberté de commerce avec des Etats tiers a de toute façon été
entravée, ou qu’il existait dans cette région bouleversée des problèmes produisant un «effet
effrayant» sur le commerce. Or, c’est précisément ce à quoi se sont livrés les Etats-Unis en faisant
sans cesse allusion à la liberté de navigation dans le golfe Persique ¾ un terme général ¾ et aux
Etats neutres ¾ un autre terme général. Le paragraphe 1 de l’article X ne vise pas le commerce
entre les territoires de parties tierces. Il ne protège pas la liberté de commerce et de navigation
dans le golfe Persique dans son ensemble, indépendamment de l’origine et de la destination des
navires et des cargaisons en cause. Cette disposition ne permet pas non plus aux Etats-Unis
d’introduire des demandes (différentes de celles émanant de leurs propres ressortissants) au nom
d’Etats tiers, même si ces Etats tiers se livraient peut-être à un commerce protégé par le traité.
20. En bref, pour étayer leur argumentation à ce stade, pour rendre leur demande
reconventionnelle crédible même comme base d’un arrêt déclaratoire formulé en des termes
généraux, les Etats-Unis doivent être en mesure d’indiquer des cas précis d’entraves précises aux
libertés protégées par le paragraphe 1 de l’article X. Il est intéressant de constater que leurs efforts
pour ce faire ont été presque totalement vains, comme je vais le montrer. Certes, le principe d’un
jugement simplement déclaratoire en matière de responsabilité internationale est bien établi, et la
Cour bénéficie d’une certaine liberté quant aux termes par lesquels elle déclare la responsabilité.
Mais, comme vous l’avez souligné dans les affaires de la Compétence en matière de pêcheries et
notamment dans l’affaire qui a opposé la République fédérale d’Allemagne à l’Islande, il vous est
difficile de formuler une déclaration abstraite au sujet de la réparation, indépendamment de
l’examen de véritables faits. Dans cette dernière affaire, la Cour a refusé de rendre un jugement
déclaratoire concernant l’indemnisation au titre d’une série de cas bien établis de dommages subis
par des navires de pêche. La Cour a déclaré :
«La Cour ne peut accorder indemnité qu’en s’appuyant sur une conclusion
concrète concernant l’existence et le montant de chacun des préjudices invoqués. Sa
décision doit se fonder sur des motifs précis et des justifications détaillées concernant
les actes commis et tenir compte des faits relatifs à chaque incident ainsi que de leurs
conséquences dans les circonstances pertinentes. Ce n’est que par un examen des
preuves que la Cour peut s’assurer que chacune des conclusions concrètes est fondée
en fait et en droit.»99

99 C.I.J. Recueil 1974, p. 204, par. 76.
- 49 -
Cela se passait en fait au stade du fond. La Cour a refusé de statuer sur la demande au stade du
fond. Comme je l’ai dit, il y avait dans cette affaire des preuves solides du fait que des navires de
pêche allemands avaient été endommagés dans les eaux islandaises sans justification apparente. De
fait, les preuves étaient bien plus solides que celles présentées en l’espèce en ce qui concerne des
entraves injustifiables aux libertés dont bénéficieraient des navires américains en vertu du traité.
En tout état de cause, la Cour a rejeté la demande tendant à ce qu’une réparation soit déclarée due
dans l’affaire Allemagne c. Islande; elle a refusé d’accorder une telle déclaration in abstracto.
21. Face à l’allégation très générale et répétée selon laquelle l’Iran a fait obstacle à la liberté
de commerce et de navigation «dans le Golfe» ¾ c’est-à-dire dans le golfe Persique dans son
ensemble ¾, la Cour ne peut que déclarer que cette liberté n’est pas protégée par le paragraphe 1.
Si les Etats-Unis tentent de justifier leur demande en présentant des exemples d’entraves, qu’elles
concernent des navires particuliers ou des catégories précises de comportement préjudiciable
(augmentations dans les primes d’assurances, coûts des patrouilles maritimes), la Cour devra poser
les trois questions que j’ai identifiées à l’égard de chacun des exemples avancés. Si aucun des
exemples ne rentre dans le cadre de la protection prévue au paragraphe 1 du traité, la Cour aura
toute raison alors de déclarer que les Etats-Unis n’ont pas établi le bien-fondé de leur demande
générale, et que celle-ci doit être rejetée dans sa totalité. Cela découle du principe fondamental
selon lequel l’auteur de la demande reconventionnelle doit établir le bien-fondé de sa thèse. La
Cour ne devrait pas, par la déclaration générale que demande M. Murphy, exonérer les Etats-Unis
de n’être pas parvenus à prouver de façon appropriée que les libertés effectivement protégées par le
paragraphe 1 ont effectivement été entravées.
B. Une ou plusieurs violations du paragraphe 1 de l’article X ont-elles été établies ?
22. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je m’interrogerai maintenant sur
la question de savoir si les Etats-Unis ont démontré la véracité d’une seule de leurs allégations
concernant les violations du commerce ou de la navigation protégés. Je les traiterai l’une après
l’autre, en posant pour chacune d’elles les trois principales questions que j’ai retenues.
- 50 -
a) Les douze navires expressément mentionnés par les Etats-Unis dans leurs pièces écrites
23. Commençons par les douze navires. A titre d’exemples de navires attaqués en violation
du paragraphe 1 de l’article X, les Etats-Unis mentionnent les noms de douze bâtiments.
Sept d’entre eux figuraient à l’origine dans la demande reconventionnelle, cinq ont été évoqués
ultérieurement, dont trois dans une note de bas de page100
.
24. Je commencerai par les sept navires qui figuraient à l’origine dans la demande
reconventionnelle. M. Sellers et M. Pellet les ont tous deux déjà évoqués, et je serai donc bref.
J’examinerai séparément le cas du Samuel B. Roberts, le seul navire de guerre qui appartienne
indiscutablement aux Etats-Unis.
Voulez-vous que je parle plus lentement, Monsieur le président ?
Le PRESIDENT : Je me permets de vous interrompre un instant. Mesdames et Messieurs les
interprètes, je vous signale qu’il n’y a pas d’interprétation vers le français.
M. CRAWFORD : Je suis soulagé d’apprendre que, pour une fois, je ne suis pas responsable
de l’interruption.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford, vous pouvez continuer.
M. CRAWFORD : Comme je viens de le dire, je commencerai par traiter des sept navires
qui figuraient à l’origine dans la demande reconventionnelle. J’examinerai séparément
l’USS Samuel B. Roberts, le seul navire de guerre qui appartenait indiscutablement aux Etats-Unis.
25. La première question à se poser est de savoir si, parmi les six navires marchands, certains
participaient au commerce ou à la navigation entre l’Iran et les Etats-Unis au moment de l’incident
en question. Pour ce qui est du commerce, un seul d’entre eux s’adonnait à une telle activité : le
Texaco Caribbean, qui transportait du pétrole brut iranien depuis l’Iran jusqu’aux Pays-Bas. Pour
les raisons que nous avons exposées et qui figurent dans le rapport du professeur Odell101, l’Iran
reconnaît que cette cargaison de pétrole, ou tout au moins une partie importante de celle-ci, entrait
dans le cadre des échanges d’hydrocarbures entre l’Iran et les Etats-Unis, et que par conséquent le

100 Voir contre-mémoire, par. 6.08 et duplique, par. 6.06 et note de bas de page 404.
101 Réplique, vol. III.
- 51 -
Texaco Caribbean se livrait bien à un commerce entre les territoires des deux Parties, même s’il
s’arrêtait à Rotterdam. Quant aux autres navires, aucun d’entre eux ne transportait de marchandises
dont l’origine ou la destination, directe ou indirecte, aurait été l’Iran et aucun d’entre eux ne
naviguait à destination ou en provenance de l’Iran. Aucun d’entre eux n’est donc protégé par le
traité. Les bateaux naviguant sur lest ne participaient pas non plus à la navigation entre les
deux pays. Il était en outre strictement interdit aux deux navires réimmatriculés de pénétrer sur le
territoire des Etats-Unis en raison de leur changement de pavillon : non seulement, ils ne se
livraient pas de fait à un commerce protégé, mais ils en étaient empêchés par les conditions mêmes
de leur réimmatriculation. Le seul navire marchand qui résiste à cette première phase de notre
analyse est donc le Texaco Caribbean.
26. Je passerai maintenant au Samuel B. Roberts qui, comme M. Pellet l’a déjà montré, est
exclu du champ d’application du paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié en vertu du
paragraphe 6 de l’article X. Je supposerai toutefois, pour les besoins de l’argumentation, que tel
n’est pas le cas et qu’aux termes du traité, les navires de guerre bénéficient de la liberté de
commerce et de navigation. Naturellement, le Samuel B. Roberts ne se livrait pas au commerce, et
il ne naviguait pas non plus entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis. Il est vrai qu’un très
grand nombre de navires de guerre des Etats-Unis violèrent les eaux territoriales iraniennes pendant
la guerre, mais il n’y a aucune preuve que le Samuel B. Roberts ait fait partie de ceux-ci. Il n’a
jamais pénétré sur le territoire iranien. L’argument des Etats-Unis semble être qu’il protégeait la
liberté de commerce et de navigation et se livrait donc à des «activités accessoires qui [étaient]
intrinsèquement liées au commerce» au sens de votre arrêt de 1996102. En réalité, rien n’indique
dans votre arrêt que vous entendiez par là les navires de guerre se livrant à des activités d’escorte,
puisque vous aviez fait précéder ce membre de phrase par l’expression «des activités commerciales
en général». Vous avez dit :
«La Cour conclut de tout ce qui précède qu’il serait naturel d’interpréter le mot
'commerce' au paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 comme incluant des
activités commerciales en général ¾ non seulement les activités mêmes d’achat et de
vente, mais également les activités accessoires qui sont intrinsèquement liées au
commerce.»

102 C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 49.
- 52 -
27. Les Etats-Unis ne sauraient bien sûr prétendre que les navires de guerre se livrent à des
activités commerciales. En revanche, ils semblent dire que, puisque la liberté de commerce était en
danger et que l’USS Samuel B. Roberts aidait à protéger le commerce, attaquer ce navire revenait
par conséquent à gêner la liberté de commerce et de navigation dont bénéficiaient les navires qu’il
escortait103. On peut répondre à cet argument de diverses manières ¾ mais la plus claire et la plus
irréfutable est que, au vu des éléments dont nous disposons, aucun des navires escortés ne se livrait
à la navigation ou au commerce entre les Etats-Unis et l’Iran ¾ en d’autres termes, aucun d’entre
eux ne participait au commerce protégé par le traité. Par voie de conséquence, aucune activité
accessoire du Samuel B. Roberts ne pouvait être protégée non plus, quand bien même le
paragraphe 1 de l’article X permettrait de retenir l’argument concernant les navires escorteurs.
28. A l’exception du Texaco Caribbean, les six autres navires évoqués par les Etats-Unis ne
passent donc pas le premier obstacle au stade du fond. Il en va exactement de même pour les cinq
autres navires évoqués tardivement par les Etats-Unis dans leurs pièces écrites ultérieures. On ne
saurait prétendre valablement qu’un seul d’entre eux soit couvert par le paragraphe 1 de l’article X,
puisqu’aucun ne se livrait au commerce ou à la navigation entre l’Iran et les Etats-Unis.
29. La deuxième question à se poser consiste à savoir si le Texaco Caribbean ¾ désormais
seul rescapé de la flotte des navires énumérés dans les pièces écrites des Etats-Unis ¾ a fait l’objet
d’une violation du paragraphe 1 de l’article X. Il y a lieu de noter plusieurs choses à cet égard :
tout d’abord, il n’y a aucune preuve directe que la mine heurtée par lui était iranienne;
deuxièmement, l’Iran émit des protestations à la suite de l’incident de la mine; troisièmement,
l’Iran obtint de l’Etat côtier concerné la permission d’aider aux activités de dragage de mines dans
la zone minée; et quatrièmement, ni le propriétaire du bateau ni celui de la cargaison ne
réclamèrent quoi que ce soit à l’Iran. Dans ces conditions, aucun élément ne permet d’attribuer à
l’Iran la responsabilité des dégâts limités causés par la mine104
.

103 CR 2003/13, p. 27, par. 21.12 (M. Murphy). Les Etats-Unis s’appuient sur cet argument dans leur duplique,
p. 196-197, par. 6.17; voir la réponse de l’Iran dans sa réponse additionnelle à la demande reconventionnelle des
Etats-Unis, p. 77, par. 6.16.
104 Voir réplique, par. 10.19-10.22; réponse additionnelle à la demande reconventionnelle des Etats-Unis,
par. 4.16-4.21.
- 53 -
30. Dès lors, la troisième question ne se pose même pas : la Cour n’est pas tenue de
déterminer l’étendue des dommages subis par les Etats-Unis du fait de la violation du paragraphe 1
de l’article X, puisqu’il n’y a pas eu violation. Et quand bien même cela aurait été le cas, l’Iran a
montré dans ses pièces écrites que le Texaco Caribbean appartenait à des intérêts panaméens et
transportait un chargement appartenant à des intérêts norvégiens105. Laisser entendre que les
Etats-Unis ont subi la moindre perte à la suite de l’incident à la mine est tout simplement dénué de
fondement.
31. Pour conclure, sur les douze navires évoqués par les Etats-Unis, onze n’étaient pas
couverts (même arguendo) par le paragraphe 1 de l’article X. Pour ce qui est du dernier, il n’y a
pas eu violation du traité et, en tout état de cause, aucune perte pour les Etats-Unis n’a été établie.
b) Le droit que se réservent les Etats-Unis d’ajouter de nouveaux navires à leur liste
32. J’en arrive à présent à la deuxième catégorie d’allégations formulées par les Etats-Unis,
encore plus vague que la première. Elles consistent à prétendre que le transport maritime entre
l’Iran et les Etats-Unis était affecté dans son ensemble par des activités illicites de l’Iran, et à cet
égard, les Etats-Unis se réservent le droit de donner d’autres exemples de navires participant au
commerce maritime entre les territoires des Hautes Parties contractantes qui auraient été touchés
par de prétendues attaques illicites106. M. Pellet a déjà traité la question de la recevabilité de cette
réserve; mais laissons pour un instant la recevabilité de côté. Mon argument est plus simple : les
Etats-Unis ne pouvaient que donner de nouveaux exemples pour mieux étayer leur demande fondée
sur une violation du paragraphe 1 de l’article X, si cette violation avait déjà été établie. Or, en
l’espace de deux tours de pièces écrites et d’un tour de plaidoirie, les Etats-Unis n’ont été en
mesure de fournir aucun autre exemple, pas même dans de nouvelles notes de bas de page. On
serait en droit de se demander, quinze ans après la fin du conflit, quand ces nouveaux exemples
apparaîtront et pourquoi ils n’ont pas encore été dévoilés. La Cour peut seulement se prononcer sur
la base des informations qui lui sont soumises et, en l’occurrence, aucune violation du paragraphe 1
de l’article X n’a été établie s’agissant de navires participant au commerce et à la navigation entre

105 Voir réponse additionnelle à la demande reconventionnelle des Etats-Unis, par. 4.18-4.19.
106 Voir duplique, note de bas de page 404.
- 54 -
les territoires des Etats-Unis et de l’Iran. C’est la principale raison pour laquelle la demande
reconventionnelle des Etats-Unis doit être intégralement rejetée, faute de preuves. Même si de tels
navires «ont pu exister», une décision portant sur la responsabilité d’un Etat ne saurait être fondée
sur des suppositions.
33. Il n’est donc pas nécessaire que je vous décrive en détail les nombreuses mesures
positives prises par l’Iran pour essayer de garantir la sécurité des navires se dirigeant vers des ports
iraniens, parmi lesquelles le transbordement du pétrole jusqu’à l’île de Sirri pour éviter que les
pétroliers étrangers ne soient exposés aux attaques aériennes de l’Iraq, les mesures générales mises
en œuvre dans sa zone de guerre (à laquelle les Etats-Unis donnent l’appellation inexacte de «zone
d’exclusion»), ainsi que les mesures de dragage de mines. M. Momtaz abordera certaines d’entre
elles lundi.
34. Il n’est pas davantage nécessaire d’examiner les moyens de défense ouverts à l’Iran en
cas de violation du paragraphe 1 de l’article X, notamment la légitime défense, l’exercice légitime
¾ et j’insiste sur l’adjectif légitime ¾ des droits du belligérant et, pour finir, le paragraphe 1 d) de
l’article XX. De toute évidence, c’est seulement au vu des circonstances d’une espèce donnée, et
non sur un plan général, qu’il est possible d’examiner si de tels moyens de défense existent, et dans
quelle mesure. C’est une raison supplémentaire pour laquelle la Cour ne saurait juger qu’il y a eu
violation du paragraphe 1 de l’article X au vu d’allégations vagues au caractère général. Tant que
ces allégations n’ont pas été précisées, les moyens de défense ouverts à un Etat qui tentait de se
défendre lui-même contre l’agression constante de l’Iraq ne peuvent être examinés. Or, elles n’ont
pas été précisées. La Cour ne peut se prononcer sous réserve d’une justification ultérieure. Une
justification ne pouvant reposer sur de vagues allégations, il n’y a pas lieu de se prononcer à cet
égard. La demande des Etats-Unis relative au traitement des navires marchands doit donc être
rejetée.
- 55 -
c) La demande des Etats-Unis relative aux patrouilles américaines et aux coûts accrus du
transport maritime
35. Deux autres allégations formulées par les Etats-Unis et présentant un caractère général
doivent toutefois être examinées brièvement : l’Iran serait responsable des activités de patrouille et
de convoyage organisées par les Etats-Unis dans le golfe Persique ainsi que de l’augmentation des
primes d’assurance et d’autres frais similaires supportés par le transport maritime.
36. En réalité, il faut ici établir une distinction entre, d’une part, le fait d’établir une violation
et, d’autre part, le fait d’évaluer le montant des réparations pour une violation déjà établie. Si l’Iran
avait violé d’une manière ou d’une autre le paragraphe 1 de l’article X, des questions pourraient
naturellement se poser quant aux coûts accrus qui en résulteraient directement pour le propriétaire
ou l’affréteur américain du navire. Dans l’affaire du SS Wimbledon, par exemple, l’affréteur
français devait faire un important détour par Dantzig du fait du refus de l’Allemagne de l’autoriser
à transiter par le canal de Kiel : il eut droit à recouvrir les coûts induits par le retard et le
changement d’itinéraire, c’est-à-dire «les dépenses … [en] rapport avec le refus de passage», même
si aucune perte indirecte supplémentaire ne put faire l’objet d’un recouvrement107. Mais dans cette
affaire-là, la violation d’un article précis du traité de Versailles avait déjà été établie. Dans la
présente espèce, en revanche, pour les raisons que j’ai déjà indiquées, les Etats-Unis n’ont été en
mesure de fournir qu’un seul exemple concret de navire couvert par le paragraphe 1 de l’article X,
navire à l’égard duquel ils ne peuvent même pas prouver qu’il y a eu violation ou que des pertes
ont été subies.
37. Pour ce qui est de la demande des Etats-Unis relative aux frais engagés pour les
opérations de convoyage, je serai très bref. Même s’il était en principe possible que les coûts de
convoyage et les autres frais similaires encourus par les navires militaires donnent lieu à
recouvrement ¾ ce qui n’est pas le cas, pour les raisons que j’expliquerai tout à l’heure ¾, encore
faudrait-il montrer que les opérations de convoyage participaient au commerce et à la navigation

107 1923, C.P.J.I. série A n° 1, p. 31-32.
- 56 -
protégés par le traité, et que les dépenses encourues résultaient directement de la violation par
l’Iran de ce dernier. Les Etats-Unis n’apportent pas le moindre commencement de preuve de ces
faits.
38. Premièrement, bien évidemment, les activités de convoyage menées par les Etats-Unis
concernaient, sans exception, des navires qui transportaient des cargaisons destinées à des pays
autres que l’Iran, en provenance ou à destination de ports non iraniens. Il n’y a aucune preuve
qu’un seul navire protégé par le traité ait fait partie de ces convois. Deuxièmement, l’activité des
Etats-Unis en général était accessoire par rapport à la guerre dans son ensemble, et en particulier
par rapport à la guerre des pétroliers lancée par l’Iraq. Il n’y avait tout simplement aucun lien
causal entre une quelconque violation par l’Iran du paragraphe 1 de l’article X et les activités de
convoyage organisées par les Etats-Unis. Troisièmement, un grand nombre des navires escortés
soutenaient directement ou indirectement l’effort de guerre iraquien, situation qui ne saurait être
imputable à l’Iran.
39. S’agissant des frais supplémentaires encourus par le transport maritime dans le golfe
Persique, les mêmes arguments sont valables. Premièrement, aucun des exemples fournis par les
Etats-Unis ne concerne des navires protégés par le paragraphe 1 de l’article X, et leur demande
n’entre donc pas dans le cadre de la présente instance. Deuxièmement, ces frais étaient en tout état
de cause bien plus le résultat du conflit dans son ensemble que le résultat d’une activité de l’Iran.
Et troisièmement, ces frais furent supportés par les navires en cause dans le cadre de leurs activités
générales; ces navires couraient peut-être des risques (à un moment où le marché du transport
maritime mondial était saturé), mais ils étaient en mesure de facturer des tarifs beaucoup plus
élevés en raison de la zone de guerre. Le transport maritime n’avait pas déserté le golfe Persique;
pendant un mois moyen, le nombre mensuel moyen de navires ayant à cette époque traversé le
golfe Persique est supérieur au nombre total de navires endommagés par des opérations militaires
pendant toute la guerre. Ces décisions furent prises en fonction de critères commerciaux par les
transporteurs et les compagnies de transport maritime, et il en alla de même pour les bénéfices;
Dans le petit nombre de cas où des dégâts avaient été effectivement causés, des demandes
d’indemnisation furent présentées aux compagnies d’assurance ¾ nous n’en connaissons pas la
nationalité ¾ et les dossiers furent clôturés. Pas un seul Etat (jusqu’à ce que cette demande
- 57 -
reconventionnelle soit ¾ tardivement ¾ présentée) n’a pensé que de tels coûts pussent être mis à
la charge de l’Iran, et, pour autant que nous le sachions, aucun Etat n’a introduit d’instance contre
l’Iran en vue d’obtenir réparation au titre des coûts qu’ils auraient encourus pour prévenir des
attaques ou s’assurer contre elles. Dans ces conditions, ces demandes ne sauraient être retenues
pour étayer une violation du paragraphe 1 de l’article X, quand bien même elles auraient concerné
d’hypothétiques navires couverts par cette disposition et pour lesquels les Etats-Unis auraient,
toujours par hypothèse, le droit de demander réparation.
C. Etendue des réparations
40. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour. Compte tenu de ce que je viens
de dire, il serait superflu d’examiner en détail les questions de l’étendue des réparations qui seraient
dues aux Etats-Unis si ceux-ci avaient établi la violation du paragraphe 1 de l’article X. Ils ne l’ont
pas fait. Je voudrais toutefois formuler une ou deux observations générales, qui concernent le fait
que, lorsqu’un Etat a pris, de sa propre initiative, des mesures préventives ou de précaution, les
pertes indirectes subies par lui ne sauraient donner lieu à réparation.
41. A cet égard, le principe fondamental est clair : conformément au droit international, il
n’y a pas indemnisation dès lors que le demandeur lui-même est à l’origine du préjudice financier.
Cette thèse a en fait été défendue en 1969, par un jeune conseil promis à un bel avenir ¾ je regrette
qu’il ne soit pas présent parmi nous ¾ au cours de sa plaidoirie dans l’affaire de la
Barcelona Traction. Je fais bien sûr allusion à M. Prosper Weil, qui avait établi, à juste titre, que la
pratique de l’arbitrage international «considère comme non susceptibles de réparation les dépenses
occasionnées à la victime par des mesures de protection que la victime elle-même a cru devoir
prendre librement et de sa propre initiative»108. C’est d’ailleurs un principe déjà ancien. Dans
l’affaire de l’Alabama109, les Etats-Unis avaient initialement demandé réparation au titre non
seulement des pertes directes, mais également des «dépenses engagées par la nation dans la
poursuite de croiseurs [confédérés]» [traduction du Greffe], ainsi qu’au titre de toute une série de
dépenses indirectes. Le Tribunal avait rejeté ces demandes et jugé que les dépenses engagées par

108 C.I.J. Mémoires, 1958, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, vol. IX, p. 546.
109 Moore, International Arbitrary Digest, vol. IV, p. 4112-4115.
- 58 -
la nation dans la poursuite de croiseurs «ne pouvaient être correctement distinguées des dépenses
générales de la guerre livrée par» [traduction du Greffe] les Etats-Unis et ne seraient donc pas
examinées110. Dans l’affaire concernant les Réclamations britanniques dans la zone espagnole du
Maroc, Max Huber avait soutenu que les requérants ne pouvaient exiger de réparation pour des
pertes encourues du fait de leur décision, prise à titre de précaution, de cesser de cultiver leurs
terres par crainte d’actes de pillage, dans le climat d’insécurité générale qu’auraient fait régner les
autorités espagnoles. Le passage pertinent est rédigé en ces termes :
«Même si l’on pouvait attribuer … aux autorités du protectorat la responsabilité
pour l’insécurité, les dommages dont il s’agit ne constitueraient pas des dommages
directs, mais des dommages indirects, leur cause immédiate étant la décision du
propriétaire de renoncer à une culture dont les chances de succès ne lui paraissaient
pas suffisamment grandes pour les risques à courir.»111
Et je renvoie la Cour à l’examen général de ce problème par Mme Brigitte Stern, dans son ouvrage
qui est devenu un classique112
.
42. Des principes similaires s’appliquent aux primes d’assurance pour risques de guerre, qui
sont universellement considérées comme non susceptibles de donner lieu à réparation, même si une
violation est établie, et à fortiori comme ne pouvant servir de fondement indépendant à une
demande. L’argumentation se passe de commentaires : les primes d’assurance, y compris pour
risques de guerre, font partie des coûts d’exploitation et sont compensées, souvent dans des
proportions très élevées, par l’augmentation des montants facturés. Réaliser des bénéfices en
temps de guerre est un métier ancien, peut-être honorable, mais le fait qu’un aspect particulier de
ces transactions doive par la suite être considéré indépendamment des autres aspects, telle que
l’augmentation des montants facturés, et être imputé à l’un des belligérants, est une idée étrange,
qui n’a jamais été retenue par les tribunaux arbitraux.
43. C’est ainsi que dans l’affaire Eastern Steamship Lines c. Allemagne, le demandeur
réclamait le remboursement des primes d’assurance pour risques de guerre en prétendant que, s’il
avait contracté une telle assurance, c’était en conséquence directe de l’acte illicite commis par la

110 Ibid., p. 4115.
111 Recueil des sentences arbitrales, vol. II, 615, p. 658.
112 B. Boellecker-Stern, Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, Paris, Pedone, 1973,
p. 344-351.
- 59 -
marine allemande en coulant un certain nombre d’autres vaisseaux de l’Eastern Steamship Lines.
Le Tribunal rejeta cet argument, au motif suivant :
«En raison de cette crainte [de voir couler d’autres navires], le président de la
compagnie demanderesse, agissant de sa propre initiative et dans l’exercice,
assure-t-il, de la prudence commerciale, a contracté une assurance contre le risque de
perte. Ce n’est pas l’Allemagne qui a contracté cette assurance, mais le
demandeur.»113
[Traduction du Greffe.]
Divers tribunaux arbitraux mixtes devant lesquels avaient été portées des affaires similaires
concernant les primes d’assurance pour risques de guerre sont parvenus aux mêmes conclusions 114
.
D. Les responsabilités des Parties
44. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je ne peux conclure l’exposé de
ce matin sans évoquer brièvement l’observation formulée mercredi par l’agent des Etats-Unis,
M. Taft, dans sa déclaration finale. En l’espèce, il a appelé l’Iran à assumer la responsabilité de ses
actes ¾ sur la base de l’argumentation des Etats-Unis. Apparemment, il serait inutile que vous
vous prononciez. Il a implicitement opposé la volonté des Etats-Unis de reconnaître les faits au
refus de l’Iran d’en faire autant. C’est là, si je puis me permettre, un raisonnement puissant115
.
45. Cet exposé était aussi, je ne dirai pas «partisan», mais totalement partial. Car, devant la
Cour, sur quoi reposerait le refus par l’Iran d’assumer sa responsabilité ? C’est l’Iran qui, après
mûre réflexion, a saisi la Cour de cette demande soigneusement circonscrite. Il a été conseillé par
sir Derek Bowett, à ma connaissance le meilleur conseil international à n’avoir jamais été membre
de la Cour. A l’époque, l’Iran était pleinement conscient de l’article 80 du Règlement de la Cour.
Il a introduit l’instance essentiellement au titre de l’article premier du traité d’amitié, disposition
qui, sous la forme des diverses dispositions qui l’ont précédée depuis les années 1820, régit les
relations entre les Etats-Unis et l’Iran, ainsi que me l’a rappelé M. Movahed. L’Iran a affirmé que
l’article premier, adopté au lendemain de la Charte, contenait et garantissait, quant aux relations
entre l’Iran et les Etats-Unis, les règles de conduite établies dans la Charte. Ce sont les Etats-Unis

113 Recueil des sentences arbitrales, vol. VII, 71, p. 73. La décision est examinée par M. Weil dans les Mémoires
relatifs à l’affaire de la Barcelona Traction : Mémoires, vol. IX, p. 546-547.
114 US Steel Products Co. c. Allemagne, Costa Rica Union Mining Co. c. Allemagne, South Porto Rico Sugar Co.
c. Allemagne, Recueil des sentences arbitrales, vol. VII, 44, p. 62-63. Voir aussi : affaire Helmer c. Etat allemand
(Tribunal arbitral mixte franco-allemand), Recueil des décisions des TAM, vol. VI, 791, p. 792; affaire Dix, Recueil des
sentences arbitrales, vol. IX, 119; Giulini c. Allemagne, Recueil des TAM, vol. VI, 406.
115 CR 2003/13, p. 51-52 (M. Taft).
- 60 -
qui ont tenté de se soustraire à votre juridiction. Ce sont les Etats-Unis qui ont présenté ¾ et ils
ont été entendus ¾ que l’article premier ne produisait aucun effet matériel et qui ont réussi à
persuader la Cour de se limiter, dans l’examen de cette demande, à la seule base constituée par le
paragraphe 1 de l’article X du traité ¾ ce qui suffit toutefois aux fins recherchées par l’Iran.
L’Iran s’en est remis à la décision de la Cour, considérant que, au cours des terribles années 1980
à 1988, il avait causé moins de tort aux Etats-Unis que ceux-ci ne lui en avaient causé. C’est l’Iran
qui tente d’obtenir une décision, et ce sont les Etats-Unis qui tentent de s’y soustraire. Ce sont les
Etats-Unis qui ont présenté ces demandes reconventionnelles, lesquelles, alors qu’elles auraient pu
être examinées à la lumière de l’article premier du traité, sur la base duquel l’Iran était prêt à se
présenter devant la Cour, ne peuvent certainement pas l’être à la lumière du paragraphe 1 de
l’article X. Comme je l’ai dit, à la différence de l’affaire Cameroun c. Nigéria, il n’est question en
l’espèce que de responsabilité. L’Iran est prêt à en supporter les conséquences, y compris en
application de l’article 80 du Règlement de la Cour.
46. Or, quand il s’agit de reconnaître les faits, de devoir faire face à un jugement, les
Etats-Unis n’ont pas le monopole de la vertu. Permettez-moi de mentionner deux faits, l’un peu
important, l’autre plus significatif. La Cour aura observé le premier; c’est peut-être un détail.
Voici : les Etats-Unis continuent d’employer le nom que les plates-formes pétrolières portaient
avant 1980. Les plates-formes appartiennent à l’Iran, mais, apparemment, ce sont encore les
Etats-Unis qui doivent choisir les noms : les Etats-Unis ont considéré les plates-formes comme les
leurs pour les désigner et les détruire. Voilà pour le fait mineur. Le fait majeur, le voici : la
deuxième série d’attaques contre les plates-formes pétrolières, présentée cette semaine par les
Etats-Unis comme une opération impartiale et entièrement indépendante, n’ayant eu aucune
incidence sur la guerre et lancée le plus loin possible de manière à garantir neutralité et équilibre116
,
fut pourtant lancée le jour même de la deuxième grande offensive iraquienne de la guerre ¾ la
première ayant été l’invasion initiale de 1980. Les Etats-Unis ignoraient-ils que, le jour même où
ils détruisaient les plates-formes de Nasr et de Salman et une partie non négligeable de la marine
iranienne, l’Iraq avait prévu cette offensive? N’avaient-ils pas connaissance des plans iraquiens ?

116Voir par exemple CR 2003/12, p. 43-44, par. 18.32 et 18.33 (M. Matheson).
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Au premier tour de plaidoirie des Etats-Unis, il n’a pas été dit un mot de ce fait, pas un seul mot.
Et pourtant l’Iran, qui vous prie de vous prononcer sur la demande et la demande
reconventionnelle, est accusé de ne pas reconnaître les faits.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur Crawford.
Ici s’achève l’audience de ce jour. Je tiens à remercier les Parties pour leurs exposés
présentés au cours de ce premier tour de plaidoirie. La Cour se réunira de nouveau le lundi
3 mars 2003, de 10 heures à 13 heures et de 15 heures à 16 h 30 pour le second tour de plaidoirie de
la République islamique d’Iran sur ses propres demandes. A l’issue de ces audiences, l’Iran
présentera ses conclusions finales sur ses demandes.
De leur côté, les Etats-Unis présenteront leur réponse orale, sur les demandes de l’Iran et sur
leur demande reconventionnelle, le mercredi 5 mars, de 10 heures à 13 heures et de 15 heures à
18 heures. Mercredi, à la fin de l’audience de l’après-midi, les Etats-Unis présenteront leurs
conclusions finales sur les demandes de l’Iran et sur leur demande reconventionnelle.
L’Iran conclura alors son second tour de plaidoirie sur la demande reconventionnelle des
Etats-Unis le vendredi 7 mars, de 10 heures à 11 h 30 et présentera ses conclusions finales
concernant cette demande.
Chacune des Parties disposera donc au total de deux séances complètes de trois heures pour
l’ensemble de sa réplique orale. Je tiens toutefois à vous rappeler que, en application du
paragraphe 1 de l’article 60 du Règlement de la Cour, les exposés doivent être aussi succincts que
possible. J’ajouterais que le second tour de plaidoirie a pour objectif de permettre à chaque Partie
de répondre aux arguments avancés oralement par l’autre Partie. Par conséquent, ce second tour ne
doit pas être une répétition de déclarations antérieures. Il va donc sans dire que les Parties ne sont
pas tenues d’utiliser tout le temps de parole qui leur est alloué. Je vous remercie.
L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 50.
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