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CR2002118(traduction)

CR2002118(translation)

Jeudi4 mars2002à10heures

Thursday14March2002 at 10a-m. Le PRESIDENT :Veuillez vousasseoir. La séanceestouverte. Nous entamonsaujourd'hui

le deuxièmetour de plaidoiries pour la République FédérleuNigéria. Je donne immédiatement

laparole auchef RichardAkinjide San, coagentde la République Fédéralu Nigéria.

M. AKINJIDE :

1. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, j'aànouveau le privilègede

m'adresser àla Cour au débutde ce second tour de plaidoiries et de plaider pour laRépublique

fédéraledu Nigéria. Comparaîtredevant lajuridiction la plus puissante et la plus prestigieuseau

monde est pour moi un grand honneur. Je suis associé à cette affaire depuis ses débuts,en

mars 1994.

2. Avant d'entamer ma plaidoirie,j'aimerais signaler la présencedans cette Couà,ma

gauche, de S.M. l'obong du Calabar et de S.M. la reine ainsi que de son principal etubul de

Bakassi, qui est assàla gauche de Sa Majesté. Leur titrecomplet estle suiva:S.M. Edidem,

M. Nta Elijah Henshaw VI, obong du Calabar,roi par traité, souverainnaturel et grand patriarche

universel des Efik, et, immédiatementgauche de Sa Majesté,S.M. Madame Grace Henshaw,et,

immédiatement à la gauche de celle-ci, S. A. R. Etuborn, Okon Etim Okon Asuquo III, qui est

l'etinyinakamba de Bakassi.

3. Monsieur le président, j'aimerais tout d'abord m'arrêtesrur certaines observations

formuléespar le coagent du Cameroun lorsqu'il a ouvert le second tour de plaidoiries du

Cameroun. Si vous le permettez, je résumeen anglais. D'une part, le coagent du Cameroun

reproche à notre équipe den'avoir pas ((jouéle jeu» de l'audience publique et de répéterdes

élémentsqui figurent dans les écritures du Nigéria. D'autre paritl, dit que nous apportons des

éléments nouveauxqui sont fort surprenants. Il nous reproche de nous contredire et de tenter

d'amener la Cour à ne pas statuer sur la requête du Cameroun. Il dtue nous prétendonsêtre

cohérentssans l'êtreet que nos incohérencesfont évoluerl'instance de telle sorte qu'à certains

égards, nospositionsserapprochent. 4. Monsieur le président,toutes ces observationsme laissentassez perplexe. LeNigériaest

convaincude lanécessité deprésenterlesfaits la Courpour l'aideà statuer. Nous avonstentéde

lefaireavec laplus grande franchiseet nous laisseronsa Courle soin de déciderde lavaliditéde

nos conclusions. Le Nigérian'a rien àcraindre de l'examen de sa cause par la Cour. Une des

1 9 caractéristiquesfrappantes de la procédureorale, c'estqu'elle montreclairement quelcréditil faut

accorder aux affirmations de chacune des Parties. Sous ce terme de crédit,je n'entends pas,

Monsieur le président,dénoncer certainesquestions mineures, comme une statistique inexacte ou

deux - ce sontdes erreurs qu'il est toujours possiblede rectifier. Non, je veux parier dela bonne

foi des Parties. Je crois sincèrementque la Cour, quandelle analyseratout ce qui a tt écrit,

concluraque leNigéria n'apas failli cet égard. En revanche, les avocats du Nigéria onàdde

multiplesreprisesmontrer qu'ily a des questions au sujetdesquelles le Cameroun sembletantôt ne

pas reconnaître la véritéet inventer denouvelles allégations,tantôt, dans certains cas, éludertout

simplementla vérité. J'évoquerai certainedse ces questions aujourd'hui. Mescollègues citeront

d'autresexemplesdans leursexposés.

5. Et pourtant, c'estleCameroun quitente de présenterleNigériacommeun paysauquel on

ne peut faire confiance et qui ne respecte pas sa parole. Cette attitude a étéon ne peut plus

manifeste à la fin de l'intervention de l'éminentagent du Cameroun, mardi dernier. 11a fait

entendre clairement qu'en réalité,le Cameroun ne saurait rester seul facece avec le Nigéria

sans faire appelà la présencede tierces parties pour garantir «un échange loyal». Voilà une

affirmationétonnante,Monsieurle président,et elleaprofondément peinl'équipenigériane.

6. La Cour n'aura pas manqué d'observerque,heureusement, les autresvoisins du Nigéria

ne semblent pas souffrir de la même maniede la persécution. Les traités concluspar ie Nigéria

avec la Guinéeéquatorialeet Sao Tomé-et-Principe,par exemple, démententle Cameroun quand

ce dernier affirme que le Nigéria estun voisin impossible. Et pourtant, le Cameroun ne peut

supporter de voir ces exemples témoignerde la part du Nigéria d'encouragerla coopération

internationale. Nous sommesaccusés d'avoirutiliséla menace,voire pire,pour forcernos voisins

à se soumettrà ces traités. 7. Monsieur leprésident,Madameet Messieursde la Cour,la Guinéeéquatoriale pourra dire

ce qu'ilen est dans son cas quand elle va intervenir la semaine prochaine. Sao Tomé-et-Principe

ne comparaît pas devant la Cour, et le Cameroun semble le regretter. Le Nigériale regrette *

également. Si SaoTomé-et-Principeétaitintervenu, il aurait pu diàela Cour que les deux pays

ont négocié une desplus grandes zonesde développement communes aumonde, dans laquelle les

ressourcesseront partagéessuivantun rapportde 60pour 40,c'est-à-dire60 pour leNigéria,qui

compteau moins 120millions d'habitants,et 40 % pour SaoTomé-et-Principe,dont la population

est d'environ120000 personnes. Cette générositéde la part du Nigériane répond pas l'image

d'unEtatou d'unvoisin pratiquant l'intimidation.

2 0 8. Outre lestraitésqueje viens de citer, Monsieurle président,le Nigéria,et cela a été dit, a

négocié un traitéde frontièremaritime avec la Républiquedu Bénin,le pays limitrophe situéà

l'ouest. Quand onverra à quelrésultatces négociationsont abouti, le Nigériane pense pas devoir

êtreaccuséd'avoir forcéson voisin, beaucoup plus petit que làiaccepter un marché injusteou

inéquitable.

9. Quant auxautres frontièresduNigéria,je signale queleNigériaet le Béninse sont dotés

d'une commission mixtede délimitation quise réunit régulièremenett enregistre de réelsprogrès

danslavoie de la solution desproblèmesrelatifs leurfrontièrecommune. Il en va de même pour

la Républiquedu Niger, le pays limitrophe du Nigériaau nord. La commission nationale de

délimitationdes frontièresrègle les problèmes de délimitatioen tirant parti de la technologie

moderne,notamment le GPS et les imagessatellites. Les cartes qui sont utilisées àol'échelle

1/50000 et sont pour la plupartdes cartesétabliespar le Directorateof Overseas Survey(DOS) et

par l'Institut géographiquenational (IGN). Les villages qui sont situés la ligne))créent des

problèmes,mais ils sont résoluà l'amiabledans une atmosphèreconstructive,dénuée de crainte,

bienqueles deuxpopulationssoient detaillestrèsdifférentes. *

10. Monsieur le président, quelest donc le problèmedu Cameroun ? Au lieu de s'asseoir

autourd'une table avecle Nigéria,il a crubon de saisir la Couret d'engager les deux Parties dans

une longue procédure assortie d'énormed sépens. Au bout du compte, il demande à la Cour

d'organiser une sorte d'arbitrage faisantappel l'interventionde tierces parties. Monsieur le président,mes collègues vont répondrede façon plus détailléea ces propositions. Je tiens

simplement à faire savoir que, pour le Nigéria,il est stupéfiantque le Cameroun soit désormais,

semble-t-il,dans l'incapacitéde faire confiance non seulementauNigériamaisaussiissue dela

présente procédure, u oins ence qui concernelafrontièreterrestreet la frontièremaritime.

11.Cela dit,j'aimerais évoqueàprésentcertainesquestionslitigieusesqui ont soulevées

au cours de la procédure,etje le fais non seulementen tant que membre de l'équipe juridiquedu

Nigériadepuis ledébutde l'instance,en mars 1994,mais aussi en tant qu'ancienrney-General

et ministrede lajustice de la Républiquefédérdu Nigériasous le dernier gouvernement civil,

celuidu présidentShehu Shagari,qui a éau pouvoir de 1979 1983.

12. Je crois pouvoir dire, Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, que

lorsque le présidentShagari a accédéau pouvoir, nos relations avec notre voisin camerounais

étaientcordiales. Les négociations relativesaux questions de frontière,dontj'ai citéune bonne

partie quand la Cour s'est saisiede la deuxièmeexceptionpréliminairedu Nigéria, progressaient

2 1 grosso modo comme elles l'avaient toujours faitIl y avait des commissions mixtes d'experts

techniques,des réunionspolitiqueset les deux partiesadoptaient ensemble des mesures proàres

créerla confiance. Les progrèsétaientpeut-êtreassezlents, maiscela s'expliquaiten partie par le

fait que rien ne signalait le moindre problèmeréelle long de notre longue frontière terrestre

commune.

Bakassi

13.Tout cela a changéradicalementen mai 1981. L'incident du 16mai 1981 a étéévoqué

d'emblée au débu dte la présente procédure.Le Nigériaa démontréàmon sens au-delà de tout

doute raisonnable que l'agresseurétaitle Cameroun et, pourtant, le Cameroun continue d'essayer

de présenterl'incident sous un jour différent. La seule chose dont je suis sûr, Monsieur le

président, Madameet Messieurs de la Cour, c'est de l'effet que cet incident a produit sur le

gouvernementdu présidentShagari. Ce gouvernementfut galvanisé. Le Nigéria avaitun voisin

qu'il avait auparavantconsidércomme amical et qui,toutà coup, tendait des embuscadesà ses

forces armées ettuait ses soldats. Au Nigéria, l'indifut trèsforte. Le cabinet du président

Shagari se réunitd'urgence.l s'agissait,de la part du Cameroun,d'une provocation caractérisée qui aurait pu avoir des conséquences graves. Mais, finalement, le Nigéria nes'est pas laissé

provoquer. Nous avons décidéde donnerau Camerounla possibilitéde s'excuser. Le Camerouna

eu la sagesse de saisir cette occasion. Mais un tournant étaitfranchi. En ce qui me concerne, en

ma qualitéde ministre de lajustice etd'Attorney-General,j'ai décidd'étudierde plus près la

situationjuridique de notre frontièrecommune. J'aiordonné des recherchesapprofondies. Elles

étaient toujoursen cours lorsque, fin 1983, le gouvernement du présidentShehu Shagari fut

renverséparlesmilitaires.

14.En effectuant ces recherches,je me suis rendu compte en particulier que le Cameroun

pouvait revendiquerle titre sur Bakassi en se fondant sur le traité de 1913. En mêmetemps,je

savais qu'il y avait là quelque chose de profondément anormal. Les Nigérians considéraient

Bakassi comme faisant partie du Nigériaet, à ma connaissance, l'avaient toujours considérée

comme telle. Bakassi étaithabitée pardesNigérianset gouvernée pardes Nigérians faisantpartie

de l'administration locale dans cette région. A ma connaissance, il n'y avait pas eu de

revendicationcamerounaiserelativeàBakassi commetelle. Au cours des annéesqui ont suivi, en

particulier pendant l'élaboratdes piècesécritesdu Nigéria,j'ai eu connaissancede l'existence

d'une ou deux notes de protestation, mais je peux dire en toute franchise qu'à l'époque où

j'exerçais les fonctions d'Attorney-General, Bakassin'avait pas étéconsidéréecomme un

problèmejusqu'en mai 1981.

2 2 15.Monsieur le président,il paraîtd'autant plus étonnantdans ces conditions,avec le recul,

que le Camerounait accordé,au cours de cette procédure,autant d'importancela déclaration de

Marouade 1975.

16.Si vous lepermettez,j'aimerais vousdonnermon sentiment personnelen ce qui concerne

Maroua, etje pense que ce sentiment est partagépar de nombreuxNigérians. La déclaration de

Maroua date du le'juin 1975. Moins de deux mois plus tard, enjuillet 1975pour êtreprécis,le

général Yakubu Gowoé n taitrenversparun coup dYEtat ilitaire sansaucuneeffusionde sang. 17. Assez rapidement, les Nigériansont commencé à mettre en doute la validité de la

déclarationde Maroua et, en particulier, la capacité qu'avaitle généralGowon en vertu de la

constitution de lier le Nigériapar cette déclaration. La situation au regard de la constitution sera

exposéeplus en détaildans la suitede nos plaidoiries. Ce qui est clair, toutefois,c'est qu'en,

dans la ville nigérianede Jos, leNigériaavait fait savoirtouà fait clairement au Camerounqu'il

ne considéraitpasMaroua commeobligatoirepour lui. Le Camerouna admis cepoint de vue.

18.Monsieur le président,Madameet Messieurs les membres de la Cour,je dois vous dire

que leNigériaavait beaucoupde raisons pratiques de ne pas considérerla déclaration de Maroua

comme un instrument contraignant, et ce, tout à fait indépendammentdes questions d'ordre

constitutionnel. Un coup d'Œil à la carte projetéesur l'écran,qui se trouve égalementsous

l'onglet 1du dossierd'audience, suffitpourcomprendrece qui inquiètele Nigéria[croquis 1 :carte

de l'estuairede laCrossRiverICalabar].

19.Monsieurle président, la Coura vu et revu différentesversionsde cettecarte au cours de

la présenteprocédure. Quatregrandes rivièresse jettent dans l'estuaire dela Cross River :cette

rivièreelle-mêmel,a Calabar, laKwa et IyAkwayafé.L'estuaire donneaccès àCalabar,unegrande

ville duNigériaqui a failli endevenirlacapitale,maisc'est finalementLagosquia été choisie àsa

place. Le Nigéria y a unebase navale importante. Desnavires de la marine nigériane entrentet

sortent quotidiennementde l'estuaire. Celui-ciest large d'une vingtaine dekilomètres:autrement

dit, tout navire qui le remonte ou le descendse trouve largementportéede tir de l'une ou l'autre

des rives.

20.Les conséquencesen sont évidentes, Monsieur le président.Le Nigéria peut-il envisager

sérieusement de voirune bonnepartie de saflotte sillonnerrégulièremenut n étroitchenal enétant

portéede tir de l'artillerie camerounai?eD'un point de vue pratique, d'un pointde vue militaire,

ce n'esttout simplementpas concevable.

21 Or, telle serait en pratiquela situationsi la déclarationde Maroua devaitêtreconsidérée

commeattribuantau Camerounla souverainetésurBakassi.

22.Le Nigériareconnaîtque pour leCameroun sepose leproblème del'accès à I'Akwayafé.

Ce cours d'eau constitue, sur la majeure partie de son parcours, un segment important de la

frontièreterrestre.l sembleraitdonc logiqueque leNigériaet le Cameroun aienttous deuxaccès,dans la mêmemesure, à la rivièrequi sépareleurs territoires. Mais en réali,a majoritédes

navires camerounaisqui entrent dans l'estuairede la CrossRiver se rendeàtCalabar. Raressont

ceux qui remontent lYAkwayafél,aquelle n'est d'ailleurs navigableque sur une cinquantaine de

kilomètresavant les premiers rapides. La raison en est probablement qu'il n'est pas nécessaire

d'aller ailleurs qu'à Calabar puisque cette ville, avec tous ses marchés, constituele plus grand

centre commercial dela région.

23. Le Nigéria nevoit en principe aucune objection à ce que 17Akwayafé soit ouverte au

trafic fluvial ordinaire du Cameroun, ou mêmeà des naviresd'autres nationalitéà,conditionde

pouvoir les soumettre aux contrôles qui s'imposent. Je crois savoir que laur, dans la récente

affaire deI'llede Kasilill/Sedudu(Botswana/Namibie),a pris l'initiatived'autoriser lesbateauxde

tourisme namibiens à emprunter le chenal méridionaldu Chobe, situéen territoirebotswanais. Un

arrangementanaloguequi consisterait à autoriserl'accèà lYAkwayafé ne poseraitaucun problème

au Nigéria.

23. J'aiindiquétoutà l'heureavoir faitentreprendredes recherchessur lestatutjuridique de

la frontièrentre le Nigéria etle Cameroun. Ces recherchesm'ont permisde réunir une quantité

considérable de preuvesdocumentaires. Cependant, commeje l'ai égalementexpliqué,en raison

de la chute du gouvernement,je n'ai pas eu l'occasion d'approfondir beaucoup laquestion. Je

pense néanmoins quedeux remarques méritentd'êtrefaites ici. La première estque même àce

stade précocedes recherches,j'ai étamené àexaminer lespremiers accords de protectorat,et que

j'aiété frappe par la même évidence que sirArthur Watts, qui nous l'a expriméede manièresi

explicite.Le juriste de commonlaw que je suis ne sauraitchercher a ((reconstituer lachaîne du

titre» des roet chefs du Calabarjusqu'à l'Allemagne,enpassant par laGrande-Bretagne. Queje

sache, le principe de droit romain nemo dut quod non habet est un concept élémentaieanstout

systèmejuridique. Ensuite,je souhaite faire remarquer que malgrétout le respect que j'ai pour

mon éminentprédécesseur aux fonctions d'Attorney-General,M. T. O.Elias, et pour sa réputation

de spécialistedu droit international,je ne peux savoir quels documents il avaàtsa disposition

lorsqu'il a rédigé l'opiniqui nous a été rapportée.Or, l'opinion d'un avocatn'est valableque

dans lamesureoù ses informationsle sontaussi. 25. Après le coup dYEtatmilitaire, fin 1983, j'ai étécontraint de m'exileà l'étranger

pendant une dizaine d'années. Je suivais de loinen loin la situationkassi, sans constater de

changementvisible. Pour autant quej'en eusse connaissance,les Nigérianscontinuaientd'y vivre

paisiblement. Certes, les gendarmescamerounais reprenaient occasionnellement leurs actesde
2 4
harcèlement, mais,dans un sens, il n'y avait là rien de nouveau. Cesgendarmes camerounais

étaientnotoirement mal payés,alors que les NigériansrésidanàBakassi, ou même dans d'autres

régions frontalières,travaillait uret menaient,en comparaison, une vie prospère.

26. Monsieur le président, il sufit de voir les pêcheurspartir dYAtabongOuest pour

comprendre que ce sont là des gens sérieux;nous avons dénombréune centaine de grandes

pirogueslorsde notrevoyage sur place, en 1997.A Atabong,sur la partie continentale,onvoit non

seulement de grands bacs qui transportent des passagers en provenance et à destination des

Atabongsde Bakassi-c'est-à-dire AtabongOuest et AtabongEst -, mais égalementdes bateaux

qui livrent d'énormes quantités de poisson; celles-ci sont ensuite chargéesdans des camions

frigorifiques qui les transportent vers l'intérieurdes terres. Le poisson est, et a toujo,ns étéu

élémend tebase de l'alimentationnigériane.

27. En revanche, d'après ce quem'ont racontéles pêcheurs nigérians quej'ai interrogés,

leurs collègues camerounais ne sont pas nombreux à travailler le long de cette côte. A

AtabongOuest, on voit des pêcheursvenus d'aussi loin que le Ghana, le Béninou le Togo, qui

pêchenten toute libertéaux côtés des Nigérians, aussbien dans les eaux autour de Bakassi que

dans lescours d'eau intérieursde lapresqu'île. Onvoit rarement despêcheurscamerounais,voire

jamais. Mais lorsqu'il en vient, les Nigérians ne leur tirent pas dessus. On ne peut

malheureusement pas en dire autant de nos voisins, comme le Nigéria l'a montrédans ses

demandesreconventionnelles;et quandje parle de «nosvoisins)),je veux dire le Cameroun. Quoi

qu'il en soit,cette communautébien organiséequi menaitune vie paisibleet relativementprospère

près de la frontière nigérianeest devenue, au fil des ans, une cible toute désignéepour les

fonctionnaires camerounais résolus à recourir aux méthodestraditionnelles pour arrondir leurs

revenus certainementdérisoires. 28. La Cour a vu des photographies de Bakassi présentéespar le Nigéria. Elle a vu

égalementnotre brève vidéo. Elle se fait sans doute maintenant une idéeplus précise de la

topographie locale. Leconseil du Camerouna critiquélesdescriptionsde la végétation de Bakassi

donnéespar le Nigéria dans ses différentes écritureset dans ses plaidoiries du premier tour. Il a

égalementdoutéque la région puissefaire vivreautant de gensque leNigérial'affirme.

29. Il est regrettable, mais probablement guère surprenant, que le Cameroun, tout en

prétendant administrerle territoire, n'ait produitaucune preuvevisuelle de ses activités,présentes

ou passées, à Bakassi. Si le Cameroun avait pu constater de visu la façon dont se répartitla

population à Bakassi,iln'aurait pasfait les commentairesquenous avonsentendus.

30. Le conseil du Cameroun a procédé à une évaluationapproximative de la superficie de

Bakassi et en a tirédes comparaisons amusantesentre cette presqu'île, les Pays-Baset Manhattan.

Ce qui est intéressant, c'estque son analogie avec Manhattan étaitprobablement plusjuste que

celle avec les Pays-Bas,qui, selon lui,ont la plusforte densitéde population d'Europe.l n'estpas

besoin de sortir très loin de La Haye pour constater -on peut mêmele voir dans la ville

elle-même- queles maisons sont vastes, que beaucoup ont des jardins, et que, dans les

campagnes, ellessont souvententourées pardeshectares de serreset de champsdetulipes.

31.Monsieurle président,Madameet Messieursde laCour, Bakassi ne ressemblepas àcela.

Les maisons, souventconstruitesen matériauxlégers tels quebambou et palmes, sont littéralement

colléesles unes aux autres. Il est souvent difficile de distinguer où s'arrêteune maison et où

commence la suivante. Le sol est si rare qu'il est nécessaire d'enutiliser chaque mètre carré

disponible. Dansles villages construitsen partiesur l'eau,onvoit desmaisons surpilotis borderla

rive sur 1kilomètre,voire plus, et derrièreelles,d'autres maisons s'aligner en rangs serrés. Vous

voyez l'un de ces villages sur la photographieprojetée à l'écran,qui se trouve égalementsous

l'onglet2 du dossier d'audience [photographie2 :village sur pilotis]. Dans chaque maison habite
?

un pêcheur,avec sa ou ses femmes, ses enfants,ses parents ou beaux-parents,et peut-être encore

d'autres membresde sa famille élargie,commec'est la tradition enAfrique. Même à Manhattan,

les gens ne sont pasentasséscomme çales unssur les autres,si ? 32. Monsieur le président,Madameet Messieurs les Membres de laCour, il en va de même

pour l'occupation du sol dans les localités situées en terrain sec, comme les Atabong

- Atabong Ouest et Atabong Est - et Abana. Ces villages sont construits surdes promontoires

sablonneuxpeu élevés.Leurs rues sonttellement étroitesqu'en étendanltes bras, on peut toucher

les bâtiments qui les bordent de part et d'autre. Voilàquoi ressemblent les villages dans les

mangroves.

33. Certesà mesureque l'onremontevers lenord, lesvilles, commeArchibong,cessentde

se trouver en terrain de mangrovesla Cour l'aura constatésur la cartede Bakassiqui lui a été

montréesi souvent. C'est ce qui explique que vous ayez pu voir sur la vidéoqui vous a été

projetée,de vastes étenduesde verdurebien dégagées proximitédes écoles.

34. Lorsqueje suis retournéau Nigériafin 1993, la situationBakassi s'étaià l'évidence

considérablement dégradéeE . n fait, elle s'était tellement aggrque le gouvernementjugea

nécessaire. commenous le savons, d'y dépêche dres détachementsde l'arméepour protégerla

populationlocaleet réprimerles troublesqui avaientéclatécause desrevendications concurrentes

de 1'Etatde Cross River et de celui d'AkwaIbom-tous deux situésau Nigéria. On ne peut en

aucun cas qualifier cette mesure d'invasion, comme le Cameroun se plaît taàtle faire. Il y a

toujours eu dca troupes nigérianescantonnéesdans la région, ainsi que le prouve l'incident

de 1981. Leun effectifs ont étérenforcésfin 1993, parceque la souveraineténigérianesur la

presqu'îledc BaAassisemblaitmenacée.

35. l est tout simplement incompréhensible, pourle Nigéria,que le Cameroun revendique

comme sienne l'importante population nigériane qui vit à Bakassi. Monsieur le président,le

Cameroun s'estplu à répéterpendant la présenteprocédurequ'il offraittoujours l'«hospitalàté»

un grand nombre de Nigérians sur son territoire. Pourquoi en voudrait-il davantage ? En

particulier, pourquoi voudrait-ild'unvaste groupede Nigériansmanifestementtrèsattachésàleur

nationalitéetàleurs liensavec le Nigéri? Il me semble que, s'il étaitfait dàoses prétentions,

leCamerounne ferait ques'attirerdesproblèmesavec lapopulationdeBakassi.

36. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, le Cameroun a affirméa un

moment donnéque si le Nigériaavait «occupé»Bakassi, c'étaitparce qu'il en convoitait les

ressources minérales.C'est laméconnaîtrela chance énormequ'a leNigéria dedisposerde riches ressourcesen hydrocarbures dans le delta du Niger, ainsi que dans les fonds marins qui faisaient

autrefois partiede ce delta. Le Nigérian'a vraiment aucunbesoin-pas plus que les compagnies

pétrolières n'enont certainement envie d'exploiter les zones proches du massif basaltiquedu

montCameroun, où le pétroleet le gaz sont relativement rareset, de surcroît, coûteuxextraire.

Lacruellevéritéest que larégionde Bakassi n'a pas,et n'ajamais eu, un fort potentiel dece point

devue.

37. Les chiffies produits par le Cameroun lors de son dernier tour de plaidoiriesnous ont

montrél'énormedifférence quiexiste entre ses réserves pétrolières ectelles du Nigéria. C'est

évidemmenttrès dommage pour le Cameroun. Cependant, mêmesi les gisements que recèle

peut-êtrele sous-sol de ~akaksi se révélaientun jour exploitables, il est difficile d'imaginer

qu'elles puissentchanger grand-choseau volumedesréservescamerounaises. Les gainsthéoriques

quecela peut supposer pourle Cameroundoiventêtremis enbalance avec lesbouleversementsqui

risqueraientd'en résulterpour la vie de plusieurs milliers de Nigériansde lagénéraactuelle et

desgénérationfsutures.

38. Monsieur le président,mon exposésur Bakassi s'arrêtelà. Avec votre permission,

cependant,j'aimerais aussivous parler brièvement du lacTchad.

2 7 Lelac Tchad

39. Monsieur le président,Madameet Messieursde la Cour, les prétentionsduCamerounsur

l'ancien litdu lac Tchad et sur certaines îles dans ce qui reste aujourd'hui du lac épousentune

structuresimilaire cellesqu'il aformuléesen ce qui concerneBakassi. Comme l'a si clairement

et sibrillammentexpliquéM. Brownlie,il s'agit d'unerégionsur laquelle letitre n'a pasencoreété

déterminé. Lep sarties qu'enrevendiquele Nigériasont habitéespar une population d'agriculteurs

et de pêcheursprincipalement originaires du Nigéria,et pas du tout du Cameroun. En 1997,

lorsquenousnous sommesrendusa Darakavec l'équipe juridique, nous n'avonspas manqué d'être t

impressionnéspar le fait que nous étionsentourésnon pas par quelques Nigériansmais bien,

littéralement,par des centaines d'entre eux lorsque nous sous sommes rendus à pied vers le

principal villagede l'île. Sur laphotoqui apparaîtécranet qui se trouveaussi sousl'onglet3 de

votredossier,on peut voirla fouleDarak; ce sonttous desNigérians. [Image :la fouleàDarak.] 40.Darak est un grandcentre habitéet, pour laconduitede ses affairespubliques,s'enremet

aux autoritésnigérianes tant au plan local qu'auplan de 1'Etatou au plan général. C'escase

pourtousles villagesque nousavonsvisitéslorsquenousnous sommesrendusdans cetterégiondu

lit du lacTchad. Quiconquetraverse la régionpourraconstater sans peine que chaque village se

considère relevelantdu Nigériaet, ainsique'a montrénotre compte rendu surl'administrationde

cetterégion,c'est leNigériaqui assurela sécuritél,essoins de santéet l'éducation des populations

etlèvelesimpôts.

41.Encore une fois,Monsieur leprésident,Madameet Messieursde la Cour, rien n'a jamais

amenéleNigéria à douter de sa propresouverainetésurcette régionjusqu'à ce que, dans la note de

protestationdu Cameroundu 11avril 1994,celle-ci soitqualifiéede régi((illicitementoccupée)).

Là encore, les forces camerounaises locales s'étaientlivrées des tentatives sporadiques de

prélèvemendt'impôts, etmême àunetentative d'occupationmilitaire. Or, cette opération militaire

du Camerounne semble pas avoir été précédée d'initiatives diplomatiques. Si eouvernement

camerounais avait vraimentétpréoccupé par ce qu'ilqualifie aujourd'huid'occupation illégitime,

on se serait attenàule voiréleverdesprotestationsouà tout le moins,àce que ses représentants

soulèvent la question devant la CBLT. L'équipejuridique du Nigéria a parcouru les

procès-verbauxdes réunionsde la CBLT depuis la créationde cette dernière:la Cour les aà sa

dispositionet tout un chacunpeut lesconsulter. Le Camerounn'y soulèvenulleartla question de

l'occupation illicite.Onlit au contraireque les forcesde sécuritépatrouillentconjointetvec

les forcesnigérianes,en unbel effortdecoopérationrégionale.

28 42. Encore une fois, comme pour Bakassi, on ne parvient pas à comprendre pourquoi le

Cameroun souhaite absorber cette population nigériane importante qui, pour l'instant, est

administréeà partir du Nigériaavec efficacitéet sans aucun coût pour le Cameroun. Dans l'état

actueldesconnaissances,cettezone précisedu lacTchadne présente mêmp eas l'attraitdu pétrole.

43. On ne peut, par ailleurs, s'empêcher derelever la teneur du rapport soumis

en novembre1999 à la Commission des droits de l'homme de Nations Unies par le rapporteur

spécial. LeNigéria averséce documentau dossier. LaCour a peut-êtrerelevé enparticulier,dans ce rapport, la situation de non-droit constatéepar le rapporteur dans le nord du Cameroun.

Monsieur le président,Madameet Messieurs de la Cour,je me permets de penser que l'existence

de groupesarmésopérantsousles ordresde chefs locaux n'augurerien de bon pour lemaintien de

l'ordre ausein dela populationnigérianede Darak et des villagesenvironnants.
i

Autres questions

44. J'en viensà présent,trèsbrièvement, auxautres aspects de cette affaire. Le conseil du

Nigéria adémontréd , e manièreparfaitement calmeet précise,que les prétentionsdu Cameroun

dans la présenteinstance reposaient surdesfanfaronnadeset desaffirmationssans fondement. Il a

montréque le Cameroun, au cours même de la procédure, confrontéàla dureréalitédesfaits avait

dû reculer. Pour citer les paroles mémorablesprononcéespar sir ArthurWatts le dernierjour du

premiertourdesplaidoiriesduNigéria :

(([Mlaintenantque le Camerouna renoncé à revendiquerTipsan,qu'il a renoncé

a ses demandes en matièrede responsabilité portantsur des incidents isolés,qu'il a
tentéde renoncer à la requêtepar laquelle il veut faire préciserdéfinitivement la
frontière terrestre, et qu'il a renoàctoute une sériede ses précédentes lignes de
délimitation maritime,ce ne sont plus que des lambeauxde thèsequi lui restent à
défendre.»(CR 2002114,p. 31,par.26.)

45. Les propositions qu'a formuléesl'agent du Cameroun mardi et que j'ai évoquéea su

débutde ma plaidoirie semblentplutôt confirmer l'avis de sirArthurau sujet des prétentionsdu

Cameroun.

Frontièreterrestre

46. Dois-je rappelerà la Cour que, malgréla cinquièmeexception préliminairedu Nigéria,

elle a étésaisie de toute la question de la frontièreterrestre essentiellement sur la base d'un

différendalléguéau sujet delafrontièreàTipsan, différend quià présent,apparaît inexistant.

29 47. Lors de notre visite sur le terrain en 1997, nous nous sommes égalementrendus à

certains endroitsde la frontièreterrestre. Nous avions espévisiter nous-mêmes Tipsanm , ais le

trajetà partir deYola s'est révélsi longque nous n'avons pas pu aller plus loin que Toungo, à

environ 24 milles avant Tipsan. L'état de laroute était telque, si nous avions continué,nous

serions arrivés lanuit tombée. Nous n'avons donc pas pu prendre de photos à cette occasion,

contrairement au conseil du Cameroun. Toutefois, comme le sait la Cour par les exceptionspréliminaires,nous nous sommes bien rendus à Lip et la Partie adverse nous a pris pour un

commando nigérian. Nousavons pris des photos des collines qui entourent Lip et celles-ci

permettent de voir àquel point leterrain est complexe et l'endroit reculé. Commevous le voyez

sur la photoà l'écranet sousl'onglet4 devotre dossier,il s'agit d'unterrain accidenté.Et I"onvoit

à présentl'imagequi représenteles collinesau-delà de Lip. [Graphique4 : les collinesau-delà de

Lip.] Monsieur le président,le trajet jusque Lip et retour a pris deuxjours. Tout ce queje puis

dire, en tant que non-initié,c'est qu'aprèsavoir vu certains de ces endroits, jeis à l'idée de

voir une commission de délimitation procéder àune démarcationsans disposer d'indicationclaire

tirée d'un traitéde délimitationquant à l'endroit où il convient de commencer et de terminer

l'opération de démarcation.

Responsabilitéétatique

48. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, le Cameroun a affirmé à de

multiples reprises que des incidents avaienteu lieu sur la frontière;or aprèsenquête, ceux-ci se

sont révélé ns'être guèrelus que des«volsde bétail)). LeNigéria a totalementbattu en brèche les

demandes en matièrede responsabilitéétatiqueformuléespar le Cameroun dans son mémoireet

dans ses observations sur les exceptions préliminairesdu Nigéria. Il a entièrement démonté les

autres demandes contenues dans la répliquedu Cameroun ainsi que celles que le Cameroun a

formuléesparlasuite,par courrieret autresmoyens.

49.Monsieur le présidentj,'ai parléde crédibiliau débutde cette plaidoirie. Je mepermets

d'affirmerque leCamerouna un sérieuxproblèmede crédibilité ence qui concerneces demandes.

Frontière maritime

50. Je ne prétends pas êtreun expert en matière de frontières maritimes. Alors que

j'assumais les fonctions d'Attorney-Generalet de ministre de lajustice, j'ai sipendant quatre

ans commechef de la délégation nigériane au sessionsde négociationde la conventiondudroit de

la mer,etj'ai signéce traité ainsique l'actefinalMontegoBay au nom du Nigéria. Sij'ai bien

compris les demandes du Cameroundans leur forme actuelle, elles auraient pour effet d'empiéter

sur des gisements pétroliersnigérians exploités delongue date. Si l'on devait y donner suite,

Monsieur le président,Madameet Messieursde la Cour, le Nigériaserait probablementconfrontéde la part des opérateurspétrolierà des demandes d'indemnisationse chiffrant en milliards de

dollars. Le Nigériane peut l'admettre sans réagir. Celaétant,nous avons aussi vu, par les

plaidoiries de M. Crawford, que les demandesdu Camerounne s'inspirentd'aucun précepte connu

du droit internationaldes délimitationsmaritimes. II se peut dèslors que les craintes nigérianesa

cet égardne soientpas fondées.

Conclusion

51.Monsieur le président, MadameetMessieursde la Cour,avant de conclurema plaidoirie

et d'informer la Cour de la façondont leNigéria entend userdutemps qui luireste pour ce second

tour,je me permettrai de signalerque S.M. l'obong de Calabar,quej'ai présenté au débutde ma

plaidoirie, aidera l'équipenigériane répondre à certaines des questions posées parM. le juge

Kooijmans. L'obong est le grand patriarchedesEfik. La perte de Bakassi serait un événement

gravepour leNigéria :pour l'obong deCalabar,la perte serait,proportionnellement, beaucoup plus

importanteencore.

52. Aprèsma plaidoirie, M. Ian Brownlie traiterade Bakassi aprèsl'indépendance,ce qui

clôturera l'audiencedece matin.

53. Cet après-midi,M. Alistair Macdonald abordera ànouveau la frontière terrestre. Il sera

suivi de sir Arthur Watts, qui parlera égalementde la frontièreterrestre, ainsi que de Bakassi

avant 1960. M. Ian Brownlieclôturera l'audience de l'après-midin intervenantsur le lacTchad.

54. Monsieur le président, Madameet Messieursde la Cour, l'audience dedemain s'ouvrira

avec une plaidoirie de M. Georges Abi-Saab sur la responsabilitédes Etats. Ce sujet sera à

nouveau abordépar sir Arthur Watts, qui sera suivi de M. James Crawford, pour les demandes

reconventionnelles. MM. Abi-Saab et Crawford traiteront ensuitede la frontièremaritime, et

l'agentdu Nigéria clôtureranosplaidoiries.

Monsieur le président,Madame et Messieursde la Cour,je vous remercie de votre attention- *

et vousprie de donner la parolà M. Brownlie. Merci beaucoup.3 1 Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je passe maintenant la parole au professeur

Ian Brownlie.

M.BROWNLIE :Je vousremercie, Monsieurleprésident.

BAKASS APRÈS L'INDÉPENDANCE
1.Monsieur le président,MadameetMessieursde laCour, c'est une foisde plusun honneur

pour moi que de me présenter devantla Cour à l'occasion de ce second tour de plaidoiries.

Monsieur le président,je suis intervenu en qualité deconseildevant cette Cour dans le cadre de

plus de trenteaffaires.l ne fait pas de douteque certainesont plus d'importance que d'aut-es

en ce qu'elles mettenten jeu des ressources pétrolièresou l'emploi de la force par exemple. La

présente espèce figureàtous égardsparmi lesplus importanteset ce, essentiellementparce qu'elle

concerneleshabitants - etj'insiste, les habitantsde Bakassi.

2. Comme l'a indiquél'éminent agend tu Nigériaau cours du premier tour, cette affaire est

considérée parle Nigériacomme l'«affaire de Bakassi)). Indépendammentdes ressourcesqu'elle

peut receler,Bakassi est la patrieséculairedesEfik et desiat,et 156000Nigériansy habitenten

permanence-et je dis bien:en permanence. Les attachesavec le Nigériafont partie intégrante

de l'identitéet de la culture des Efiket des Effiat.

3. De ce fait, toute modification de la situation actuelle qui aurait pour effet de placer la

populationde Bakassi,composéede ressortissants nigérians decultureefik, dansun environnement

étranger,serait fondamentalementinjusteet susciteraitbeaucoupde rancŒur.

4. Monsieur le président,la présente espècese distinguede toutes les autresaffairesportées

devant la Cour en ce sens qu'elle concerne un territoire auquel est rattachéun groupe ethnique

donné,etqu'elle portede ce faitautant surunecommunautéque sur unterritoire entant quetel. Et

ce facteuressentieljoue un rôle déterminant ence qui concernele fondement du titre invoquépar

leNigéria.

5. Comme je le montrerai, le fondement du titre nigérian, à savoir la consolidation

historique, est d'autant pluspertinentqu'il tient compte du facteur humain enjeu dans la présente

espèce. Laposition nigériane :l'argumentation

6. Monsieur le président,il serait utile que je récapituleen quelques points l'essentiel dela

position nigériane.

3 2 7. Premièrement,la demande du Cameroun est exclusivementfondée surun instrument

conventionnel,à savoirle traitéde 1913.

8. Deuxièmement,pour leNigéria,letraitéde 1913n'a pas été appliqué en ce qui concerne

Bakassi, et il n'a pas pu avoir pour effet de réaliserle prétendutransfert de souveraineté à

l'Allemagne.

9. Troisièmement, compte tenude ce qui précède,le Nigériaa conservéun titre originelsur

Bakassi; l'autre titreinvoquéparleNigéria,fondé surla consolidationhistorique,vient en apporter

confirmation.

10.Quatrièmement,le Nigéria, optantpour une autre voie,fait valoir que même à supposer

que le traité de1913ait étéapplicableà Bakassi, le Nigérian'en serait pas moins détenteurd'un

titre fonde sur la consolidationhistorique,processus qui a modifiéle titre conventionneldans des

conditionsconformesaudroit.

11.Cinquièmement, il est communémen atdmis qu'un titre conventionnel peut êtremodifié

ou transféréar des voies légales.Ce qui peutsemblerune évidence,mais que confirment,entout

étatde cause. nombred'éminents auteurs.

12.Dans un article publiéen 1957,sirGeraldFitniaurice fait observer que la révisiond'un

traité peut découler dela pratique ou d'une conduite :je me réfêre ica iu British YearBook,

volume 33. 1957.p. 225.

13. Dans un projet d'article adopté en 1964, l'article68, la Commission du droit

international reconnuque l'applicationd'untraitépouvaitêtremodifiép earla pratique ultérieure.

Le libellé dece projeta étreprisà l'article68du projetfinal d'articlesde 1966.

14. Au cours du premier tour de plaidoiries, j'ai cité l'opinion deMichel Virally selon

laquelle la consolidation historiqueun titre peut produire un effetjuridique, et prévaloirmême

sur un titreantérieurrésultat'untraité(Recueildes Cours,vol. 183(1983-V),p. 147-148). 15. L'opinion de M. Virally est à rapprocher de la sentence rendue par M. Huber dans

l'affairedel'Ilede Palmas (RUA, II,p. 845 et suiv.), dontje citerai un passage:lé

«Si, d'autrepart, l'onadopte le point de vue que la découvertene crée pasun
titre définitifde souveraineté, mais seulemenun titre imparfait, un tel titre existe, il

est vrai, indépendammentde toute manifestation extérieure. Cependant, d'aprèsle
point de vue qui a prévaluau moins depuis le xlxe siècle, un titre imparfait de
découvertedoit êtrecomplétédans un délairaisonnablepar l'occupationeffectivede la
régionque l'on prétend avoir découverte.Ce principe doit êtreappliqué dansla
présenteaffaire, pour les raisons précédemment données en c quiconcerne lesrègles
déterminant l'applicationde systèmesjuridiques successifs (droit dit intertemporel).
Or aucun acte d'occupationni, sauf pour une période récente,aucun exercice de

souveraineté àPalmas,par l'Espagnen'aété allégué.Mais, même en admettant que le
titre de l'Espagne existait encore comme titre imparfait en 1898 et qu'on doive le
considérercomme compris dans la cession opérée en vertu de l'article3 du traitéde
Paris, un tel titre imparfait ne pourrait prévaloirsur l'exercicecontinu et pacifique de
l'autoritépar un autre Etat; car un tel exercice peut prévaloirmêmesur un titre
définitifantérieurrevendiquépar un autreEtat.)) (P. 846.)

16. Dans ce mêmeordre d'idées, un titrehéritéen vertu de l'utipossidetis juris peut être

modifiéou transférépar des voies légales,telles que l'acquiescement. J'ai déjà indiqué que la

Chambre avait résolument soutenu cepoint de vue en l'affaire du Dzflérendfi.ontalierterrestre,

insulaire et maritime. Sontnotamment pertinents à cet égardles paragraphes67, 80, 81, 169,176,

17.Ainsi, Monsieur le président, Madameet Messieursde la Cour,quand bien même,pour

les besoins de l'argumentation, on accepterait de considérerle traitéde 1913 comme valable et

intégralementmis en Œuvre, leNigérian'en seraitpas moinsdétenteurd'un titre légitime envertu

En
de la consolidation historique du titre qui est notamment intervenue depuis l'indépendance.

d'autres termes, le titre nigériann'est pas nécessairementsubordonnéau statut juridique du traité

18. C'est à dessein que j'insiste sur le fait que le titre issu de la consolidation historique

depuis l'indépendancedu Nigériaexiste par lui-même, le conseil du Cameroun ayant dénaturé la

positionduNigéria ausecond tourdeplaidoiries.

19.M. Shaw a ainsi affirméque letitre nigérian procède exclusivementdu titre originel des

rois et chefsdu Vieux-Calabar(CR 2002116).Telle n'est pasla position duNigéria, laquelleaété

explicitéeàtrois reprise:dans soncontre-mémoire,danssa duplique, enfin dans l'exposéquej'ai

présenté aupremiertourde plaidoiries. 20. M. Shaw a également prétendu qu'ence qui concerne la consolidation historique,notre

argumentation n'a d'autre fondemenq tue le traitéde 1884,mais une foisencore,telle n'est pas la

position du Nigéria. Le titre issu de la consolidation historique dans la périodequi a suivi

l'indépendanceexiste entant quetel et de manièreautonome.

Les origines, en droit,u concept de consolidation historique du titre

21 A ce stade, il est nécessairede rappeler les origines précises,en droit, du concept de

consolidation historiquedu titre. Le Nigériales a retracéesen détaildans son contre-mémoire,

(p. 221-223)et dans saduplique(p. 85-90). Ceconceptfigureen bonne placedansla doctrine. Ce

3 4 sont lesécrits de Charlesde Visscherqui en fournissent l'exposle plus completà commencerpar

Théorieset réalitésendroit intemationalpublic, lreédition,1953. La quatrièmeéditionfrançaise

de cet ouvrage a été publiée en 1970. Une éditionanglaise de la premièreéditionfiançaise est

parue en 1957,dans latraductionduprofesseur Corbett. Dumême auteurc ,itons égalementl'étude

intituléeProblèmes d'interprétatiojudiciaire endroit internationalpublic publiéeen 1967, etla

monographie intituléeLes efectivités du droit internationalpublic, parue la mêmeannée. Et

chacun sait que si le terme «effectivité»est devenu un terme consacré, c'esten grande partieà

CharlesdeVisscher qu'on le doit.

22. Ici, il convient de souligner que ce concept n'apparaît pasex nihilo dans la doctrine,

mêmeen 1953. Plutôt, il y revêtla forme d'une réflexionsur les divers aspects des grandes

décisions,de la jurisprudence connue de tous, relatives à l'acquisition dutitre territorial. En

formulant le concept de consolidation historique, Charlesde Visscher et d'autres auteurs

analysaientle processusmis en Œuvrepour réglerce type de différendsd'unemanièreplus précise

et plus fineque ne l'avaitfait auparavant ladoctrine.

23. Ainsi, ce concept ne marquepas une solution de continuitédans le droit, pas plus qu'il

n'impliquele rejet d'uneexpérienceutile. Maisil correspondbien àunecertaineévolutiondansla e

théoriedu droit, évolutionqu'a reconnue un ancien présidentde la Cour. Voici ce qu'écrivait

sir RobertJennings dans sa monographie intituléeTheAcquisition of Territory in International

Law,publiéeen 1963 : «Mais la notion de consolidation historique est plus qu'une simple réforme
terminologique. Elle ouvre la portà un mode d'acquisition de titre qui se distingue
ou du moins peut se distinguer de manière subtiledes enseignements anciens sur
l'occupation et la prescription. La prescription, nous l'avons vu, est fondéesur une

possession paisibleet effective-une possession à titre de souverain s'étendantsur
unetrèslongue période.Mais unetelle possessionpeutne pas être manifestedansune
situationcontroversée. Elle doit par conséquent êtrerouvée et,pour les besoins de
cette démonstration,un grand nombre d'indices peuvent se révéleprertinents- tout
particulièrementl'attitude dYEtatstiers, car la commune renomméeest toujours un
facteur important s'agissant de droits fonciers. Mais la notion de consolidation

transcende celle des indices de possession souveraine;car ces facteurs de commune
renommée,de reconnaissance, etc., deviennent alors,si j'ai bien compris, non pas
simplement des indices d'une situationapte à faire jouer la prescription, mais
deviennenteux-mêmed ses éléments déterminantsdu processus de créationd'untitre.
Permettez-moi de vous rappeler [c'est sirRobert Jennings qui parle] les propos de
M.de Visscher. L'usageétabli«en est le fondement)),mais ne fait que traduire un

ensembled'intérêtse dte relationsqui tendentpar eux-mêmes à rattacher un territoire
ou unespace maritime à unEtat déterminé(les italiquessont de moi).Et de nouveau:
«Ce sont ces intérêtset relations, variables d'une espèce à une autre, et non
l'écoulement d'unpeériode préfixe, d'ailleurs inconnue droit international,qui sont
3 5 pris directement en considérationparlejuge pour apprécier inconcret0 l'existenceou
la non-existenced'uneconsolidationpar titres historiques.)) (Italiquesde l'auteursauf
indicationcontraire;les notesde bas de pageont été omises.)[Traduction du GrefSe.]

(P.25.)

24. Ce qu'il convient de retenir,c'est que l'«usageétabli))«ne fait que traduire un ensemble

d'intérêtetde relations qui tendent par eux-mêmesà rattacherun temtoire ou un espace maritime

à un Etar determinéo. C'est égalementsur cet aspect de la question que sir RobertJennings a

insistédan, soncours généra àl l'Académiede La Haye en 1967 (Recueildes Cours, vol. II, 1967,

25. Le texte de la neuvième édition de l'ouvrage Oppenheim en 1992, publiésous la

direction dr sirRobert et de sir Arthur Watts, témoigne égalementde la reconnaissance par

sir Roben Jennings de ce concept et de ses implications. Les auteurs confirment le caractère

évolutifdu concept de consolidationhistoriquedans le passagesuivant:

«Consolidation de titres historiques. Il reste que la notion de manifestation
continue et paisible est une notion complexelorsqu'elle est appliquéeaux relations
soupleset multiformesentre un Etat et sonterritoire ou d'autres Etats. Les multiples
facteurs que peut recouvrir cette notion ont étéclassésforàpropos par Charles de
Visscher sous une rubrique intitulée demanièretrès commode «Consolidation par
titres historiques)),dontil précise:ue

«Le longusage établi, quien est le fondement, ne faitque traduire
un ensemble d'intérêts et de relations qui tendent par eux-mêmes à
rattacher unterritoireou un espacemaritimeàun Etat déterminé.Ce sont ces intérêts etrelations, variables d'une espèceà une autre, et non
l'écoulement d'une période préfixe, d'ailleursinconnue du droit
international,qui sont pris directement enconsidérationpar lejuge pour
apprécierinconcret0l'existenceou la non-existenced'une consolidation
partitres historiques.))

Munkrnan,dans une étude importante consacréa eux critères appliquéspar les
tribunaux pour régler les différends territorie,n a identifiéun certain nombr:la
recomaissance, l'acquiescementet la forclusion;la possession et l'administration;les
attaches des habitants du territoire contesté;les considérationsgéographiques;les
considérationséconomiques;et les considérationshistoriques. Il a édità proposde
ces divers facteurs que: «La reconnaissance est le moyen principal par lequel la

communauté internationales'est efforcéede réconcilierl'illicéitéou le doute avec la
réalité politiquet l'impératifde certitude.)) [Traductiondu Greffe.] (Les notes de
bas de pageont étéomises.) (9'édition,vol.1,sous ladirection de sirRobertJemings
et sir ArthurWatts, 1992,p. 709-710,par. 272.)

26. Or donc, Monsieur le président, la consolidation historique du titre constitue le

fondement juridique des prétentionsnigérianessur Bakassi. Ce concept est bien connu des

spécialistesdu droit international depuisprès de cinquante ans, et a été cautiopar d'anciens

membres de la Cour;faut-il le rappeler, Charles de Visscher, que l'on peut considérer commele

pèrede ce concept,y a lui-même siégé.

27. Face aux prétentionsnigérianes,les conseilsdu Cameroun se sontmontrésétonnamment

peu enclins àdiscuter de ce concept ouà indiquer clairementsi, oui ou non, ils le reconnaissent.

Dans sa réplique, 1'Etat demandeur a toutefois mis en doute l'existence du principe de

consolidation historique, cà quoi le Nigéria adûment répondudans sa duplique (p. 85-90), en
3 6

citant des auteurs de renom ainsi que la première sentencerendue en l'affaire de l'arbitrage

Erythréemérne(n 1998) (ILR,vol. 114,p. 117,par.450-451).

28. Monsieur le président,Madameet Messieursde laCour, il convientde se demanderd'où

vient le malaise que trahit l'attitude du Cameroàl'égard d'unconcept bien établi. Tient-il au

fait que le Cameroun n'est pas en mesure de produire les élémentsde preuve nécessaires ?

Pourquoi le Cameroun n'a-t-il pas réponducomme il se doit aux éléments depreuve «amassés»,

pourreprendre unterme cher à M. Mendelson,dansla duplique duNigéria ?

29. Les conseils du Cameroun ont cherché à résoudrele problèmede trois façons. La
,
premièrea consisté à faire abstractionde la questionde la consolidation historiquà examiner

celle de la prescription, dont le Nigérian'a excipéà aucun moment dans ses plaidoiries. La - 23 -

deuxième méthod- e la plus prisée- a consistésimplement à refuser de parler des élémentsde

preuve avancéspar le Nigéria. Malheureusement, la délégation nigériane quitteraLaHaye sans

avoirlamoindre idéede ce qu'auraitpu répondrele Cameroun àcesujet.

30. La troisième tentativefaite par le Cameroun pour résoudre leproblèmea consisté à

laisserentendre que le conseil duNigérialui-même ne souscrivaitpas à ce concept. Ainsi,M. Cot

a citéle passage suivant de la cinquième éditionde mon ouvrage : «it isprobably conjking to

overemphasize,and to lump together, thispenumbra of equities by discovering the concept of

consolidation» [c'est probablement créerla confusion que d'accorder trop d'importance, et

d'englober dans lamêmeappréciation,sous le couvert du concept de consolidation, toute une

massede considérationsde droit] (CR 2002115, p.33-34,par. 12).

31. On ne saurait se contenter de cette citationpartielle. Car l'ouvragePrinciplesof Public

InternationalLawconfère à ceconcept toute l'importancequi lui est due. Ainsi, sous la rubrique

((Consolidationhistorique du titre))il est d'abord fait référenàel'affaire anglo-norvégiennedes

Pêcherieq sui està l'origine de ladoctrine,puis letexte continuecomme suit:

((Charlesde Visscher a expliquéainsiladécision,puis l'a priseen exemple pour
illustrer((l'intérftndamental que présented, upoint devuede l'ordre etde la paix,la
stabilité des situationsterritoriales)),laquelle ((expliquela place que tient dans le droit
international la consolidation par titres historiques)). Il [Charlesde Visscher]
poursuit :

«Cette consolidation,qui peut présenterun intérêt pratiqupeour les

territoires non encoreaménagés définitivementen régimed'Etatainsi que
pour certains espaces maritimestels que les baies,n'estpas assujettieaux
conditions spécifiquementrequises pour d'autres modes d'acquisition du
territoire. Le long usage établi,qui en est le fondement, ne fait que
traduire un ensembled'intérêe tst de relationsqui tendent par eux-mêmes
à rattacher un territoire ouun espacemaritimeà un Etatdéterminé.))))

Etje poursuivaisdans mon ouvrage

«La «consolidation» se distingue de la prescription, de l'occupation et de la
reconnaissance, dans la doctrine de de Visscher. L'importance des élémentsqu'il
regroupe sous le terme «consolidation» ne fait aucun doute. Dans la partie qui
précède, ces élémentsont étéexaminés auregard des problèmesde titre relatif et du
principe de l'effet utile. Ce qui est au cŒurde la question, ce sont la possession

paisible et l'acquiescement oula tolérancedYEtatstiers (mais de Visscher a sa propre
conception de l'acquiescement). En outre, des facteurs spéciaux,notamment des
intérêts économiquep s,euvent êtrepris en considérationpar une juridiction ayant
affaire à des faits relativement équivoques. Toutefois, c'est probablement créerla
confusionque d'accorder trop d'importance, etd'engloberdans la même appréciation,
sous le couvert du concept de consolidation, toute une masse de considérationsde
droit.))Etje terminaisen ajoutant :

«Outre l'importancedu conceptde consolidation,on ne saurait nier lerôlejoué
par des considérationsd'ordre socio-économiqueet autres considérations «non
juridiques)) dans l'application par lestribunaux des principes juridiques les plus
orthodoxes.» (Les notes de bas de page ont étéomises.) (Principles, éd.,1998,

p. 162-163 .)[Traduction du Greffe.]

32. Cette explication est la mêmeque celle qui est donnéedans la premièreéditionde

l'ouvrage,publiéeen 1966,auxpages 154 à 156. En outre,je regrette de dirà la délégationde la

partie adverse que la façon dont cet ouvrage traite la question n'a pas dissuadéles éditeurs

étrangers,et la conception de la consolidation historique qui y est exposéeest aujourd'hui

disponible en portugais,en russeet enjaponais, et le serabientôt enchinois eten coréen.

33. Un autre aspect de la question appelle un commentaire. Dans la mesure où les conseils

du Cameroun ont accepté de faire face aux problèmes, ils ont donné l'impression que la

consolidationhistorique du titre se limitait aux effectivités., ce n'est pas le cas. Comme les

piècesprécédentes du Nigéria l'ontmontré,cette notion comporte plusieursélémentsjuridiques,

commesuit :

i) Letitre origineldescités-EtatsduVieux-Calabar.

ii) Le comportementet les attachesethniquesde la populationde la presqu'île deBakassi.

iii) Les nomsefik et effiatdesvillagesde Bakassi.

iv) L'administration de Bakassi en tant que partie intégrantedu Nigéria pendantla période

allant de1913jusqu'à la datede l'indépendance.

v) L'exercice de l'autorité surles villages et clansde Bakassi par les chefs traditionnelsqui

sont basés àCalabarou bien ontd'une autrefaçon prêté allégeanceau Nigéria.

vi) L'exercice de leur compétencepar les juridictions de droit coutumier en vertu de la

législation nigériane.

vii) L'implantation fortanciennederessortissantsduNigéria dans larégion.Et enfin,

viii)Les manifestationsde souverainetépar leNigériaaprès l'indépendance en 1960.

Ces éléments sont examinésen détaildans la dupliquedu Nigéria,aux pages90 à 175. Je me suis

penchésurcertainsd'entre euxlors de mesexposésdupremier tour. Monsieurle président,si vous

êtesd'accord, nous pourrions peut-être prendr le pause-cafémaintenant. Le PRESIDENT :Merci beaucoup, Monsieur Brownlie. La Coursuspend sa séance pour

une dizainede minutes.

L'audienceest suspenduede II h20 àII h30.

Le PRESIDENT :Veuillezvous asseoir. La séance est reprise etje redonne la parole au

professeur Ian Brownlie.

M. BROWNLIE :Mercibeaucoup.

L'étatdes preuves

34. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, comme le Cameroun évite

fréquemmentla controverse, l'étatdes preuves présentequelques anomalies. Ainsi, le Cameroun

ne s'est pas donnéla peine de répondrecomme il convient aux abondantes preuves d'effectivités

présentéesdans la duplique et,a nouveau, au premier tour. Lors du second tour, M.Mendelson a

soutenuavec témérité que le Nigérias'était abstenu de traiter de certaines questionsconnsu'il

avait évoquéesau premier tour. Ces questions seront traitéesen temps voulu, mais comme

M. Mendelsons'estabstenu dansson exposédu secondtour de traiter d'unetrès grande partiedes

argumentsavancéspar leNigériaau premiertour, ilest stupéfiantde l'entendre seplaindrede cette

façon.

35.M. Mendelson n'anotammentpasrépondu auNigéria sur lep sointssuivants:

a) L'absencede preuve d'unepossession paisiblepar leCameroun, absencequi a été démontrée,

et l'examencritique des piècesde cetEtat.

b) Lesélémentsde preuve détaillésoncernantle systèmede maintiende l'ordre publicàBakassi.

c) Lespreuves relatives aux attachesdelapopulationde Bakassi.

4 Lespreuves détailléesconcernant l'enseignementpublic.

e) Lespreuves détaillées concernantle régimefiscal.

Lespreuves détailléesconcernantla santépublique.

36.Monsieurle président,il serait aiséd'allonger cette liste.3 9 De nouvelles preuvesqui confirmentle titredu Nigériasur la presqu'îlede Bakassi

37. Je dois à présentapporter de nouveaux éléments de preuve qui confirment le titre du

Nigériasur la presqu'île de Bakassi. Dans une premièrecatégoriede preuves supplémentaires,

nous avons les liens ethniques entre la population des villages de Bakassi et celle du temtoire

principalduNigéria.

38. Dans le contexte de la consolidation historique, les directeurs de publication

dYOppenheim signalent l'importance des «attaches des habitants du territoire contesté)).

[Traduction du Greffé.](Vol. 1,p. 709-710,par. 272.)

39.Et il faut eneffet s'intéressàl'histoirede l'implantationdans la régiondes populations

autochtones du sud-estdu Nigériapour savoir comment la doctrine de la consolidation historique

du titre peut s'appliquerà la situation sociale et ethnique dans la presqu'île de Bakassi. Cela

permettra de mieux comprendre quel rôle les tribus efik eteffiat ontjoué dans l'implantationet

aussi dansla mise enplace de l'administrationlocale Bakassi.

40. Les principales tribus installéesdans la régiondu Vieux-Calabar après 1700 étaienett

sont encore les Efik et lesffiat (dossier desjuges, onglet no5). La carte des groupes ethniques

reproduite dans la duplique (figure3.1) que nous projetons en ce moment à l'écran indiqueles

régions habitéespar ces deux tribus. Les Efikétaienthistoriquementet sont encore aujourd'huile

peuple dominant, par leur nombre et par leur influence, dans la régionsituéeau nord de Bakassi

alors queles Effiat prédominentà l'ouest delapresqu'île.

41.La traditionorale ofie de nombreuxrécitsconcernant lespremièresmigrations desEfik

avant leurarrivéeauVieux-Calabar,et ces récitssontexaminésde manièreassezapprofondiedans

une étudede A. K.Hart intituléeReport of the Enquiry into the Dispute over the Obongship of

Calabar [Rapport d'enquêtesur le différendr'elatif aux fonctions d'obong], publiée 1964. Les

Efik se sont progressivement installésle long de la côte,sont devenus pêcheuet commerçantset

ont fini par créeren quelque sorteun empiremaritime formé decités-Etatsle long detoute la côte

du golfe de Guinée, depuis le delta du Niger jusqu'au Rio del Rey et jusqu'à d'autres

établissementssituésplus loin encore. 42. Un bon nombre de leurs villes -Duke Town, Creek Town, Henshaw Town, Obutong

Town-étaient regroupées au cŒurde la régionqui prit le nom de Vieux-Calabar. Ony trouvait

aussi d'autres établissementsefik, tel queceluiArsibonYsTown (Archibong)(prèsde la lisière

septentrionale de la presqu'île de Bakassi). L'île modernede Tom Shot, située à l'ouest de

l'estuaire de la Cross River, et Jamestown sont depuis toujours des établissementseffiat.

Jamestownest situéejusteau nordde Tom Shotet s'appelait auparavantTom ShotTown. Lechef

de cette ville étaitun certainJamesBassey, d'oùlenomdonné à la vill:Jamestown.

4 (b 43. Les Efik regroupésau sein de cette remarquablestructure politiquefonctionnaientselon

un systèmepatriarcal de ((maisons):chacunedes communautésquej'ai citées avait son propreroi

ou chef, élupar cette maison. L'oligarchie au pouvoir faisait bloc au sein d'une société très

organisée dontil a déjà étquestionau coursde cette procédure, la sociétkpe, quijouait unrôle

important dans la vie religieuseet civile de la structure politique efik et conserve encore un rôle

important aujourd'hui. Les activitéslocales de la sociéekpe gravitentautour de la maisondes

palabres. Toutes les villes principalesde larégionounsanctuaireappeléla maisondes palabres,

c'est le cas notamment de Calabar, de Jamestown, dYIkotNakanda, d7Archibong, d7Abanaet

d'AtabongOuest (dossierdesjuges, onglet no6).

44. Les Efiat présentent dessimilitudesculturelleset sociales avec les Efik. Les deuxtribus

ont en particulier recours 1'Ekpecomme mode d'administration de la société. Laprincipale

maison des palabres ekpe des Effiatet le siègedu chef du clan des Effiat se trouàeJarnestown

dans 1'Etatd'Akwa Ibom. Lespopulations des villages du sud de Bakassi considèrentcet endroit

comme leur foyer ancestral et les contacts sont encore nombreux entre les populations demeurant

de part et d'autre de l'estuaire de la rivièreCross.l n'en reste pas moins que les Effiat sont

différents des Efik.Ils se sontinstallàl'originedans les régionsfluvialeà l'ouest del'estuaire

de la rivièreCross. Ils sont devenus principalementdes pêcheurs etont ensuite traversél'estuaire

et créédesvillages de pêcheurslelong des coursd'eau de Bakassi, villagesqui, au cours du dernier

siècle,sontdevenuspermanentset ont vu leurnombre s'accroître. Citonsparmices villages Abana

ainsi qu7AtabongEst et AtabongOuest. 45. Au fur etàmesure que s'accroissaitlapopulationsur le territoire continentaldu Nigéria,

les pêcheurset les agriculteurs de la régionsituéeau sud dealabar, aux alentours dYIkanget

dYIkotNakanda, ont étéde plus en plus nombreux à traverser lYAkpaYafé. Ils se sont installés

dans les villages existantsrchibonget dYAkwaet ont créé denouveaux foyersde peuplement

tels queIne Akpa Ikang,Mbenmonget Nwanyo. Les villagesont reçu le nomde leur fondateurou

celui du lieu d'origine des premiers habitants. Le mot «Ine» en langue efik désigneun

établissementde pêche. C'est ainsi quYIneAkpa Ikang et Ine Ikang étaient l'unet l'autre des

villages de pêcheurs portant lenom de personnes originairesdYIkanget quYIneEffiom est un

villagede pêcheursfondépar le chefde la familleEffiom(dossier desjuges, onglet).

46. Les tout premiers foyersde peuplementefik dans larégionsont implantéspour laplupart

à l'extrémité septentrionalde Bakassi. Il est fait étatd3Arsibon's Town, qui est devenue

Archibong,dès 1786dans lejournal dYAnteraDuke. Le prince AsibongEdem III, descendantdu

duc Ephraïm de Calabar, a repeupléArchibong au débutdu XIXesiècle, faisantde la localitésa

proprecolonie familiale.

4 11 47. La partie méridionalede Bakassi a par contre étéprincipalement peuplée par les

habitantsde villages situàl'ouestde l'estuaire de la rivCross qu'ils ont franchieaprèsavoir

quittéleur régionnataletraditionnelleaux alentoursket,d'Oron et de Jarnestown;ils ont fondé

des établissements Bakassi qui leur servaient de base pour leurs activitéssaisonnièresde pêche.

La localité7Abana,par exemple, avait étéétabliesur un terrain donné parle roi Orok Bassey

Duke à ses deux beaux-frères,NtuenUmo et Ebe,qui étaientvenus d7EsukMba (dans 1'Etatactuel

dYAkwaIbom) il y a une centaine d'années. Abanaétait devenule centre principal de ce que les

colonialistesappelaient lesishTowns))[villagesde pêcheurs].Les autoritéscolonialesonttenté

de créerun tribunal indigèneAbana,mais lapopulations'y est opposée, faisantvaloir qu'ily en

avait déjà un à Jamestown. S'est alors instituée la pratique de donner à ces nouveaux

établissementsà Bakassi le nom des familles effiat qui les utilisaient comme base pour leurs

activitésde pêchec,ommecelui dYIneAtayo auquelfutdonnéle nom de la familleAtayo quiavait

fondéle village. On employait parfois le nomdufondateuret parfoisaussi le nomde la ville dont

il étaitoriginaire. 48. Lenom Atabong Ouest vientde l'établissement importandtYAtabong Beach qui est situé

sur le continent. Atabong en langue effiat signifie «lieu où pousse la canne)) et le village

d'Atabong Ouest à Bakassi a été construitavec la canne cultivéeà Atabong Beach et dans ses

environs, sur le continent.Il y aà Atabong Beach un marchéau poisson en plein essor où les

pêcheursde Bakassi viennent vendre une partie de leurs prises. C'est un nŒudroutier à partir

duquel s'effectuele transportdu poisson vers l'ensembleduNigéria. Autre exemple:Utan signifie

«sable»,etIne Utan désigne,par conséquent,unvillagede pêcheurs construisturle sable. C'estce

mode de peuplement et de dénominationdes villagesqui expliqueque les noms de lieux à Bakassi

serattachentau nom de foyersde peuplementsituésplus à l'ouestet aunord-ouestet nonà l'estou

au sud-est. On trouvera dans les tableaux figuranà la fin du chapitre3 du contre-mémoireune

liste des établissements sitàéBakassi accompagnéed'une traduction de leurs noms ainsi quede

renseignementssur lespersonnesquiles ont créés.

49. On trouve à la page98 de la dupliqueun tableau des villages spécifiquementefiat qui

sont situéssur le territoire delacollectivitélocalede Mbo (danstatd'Akwa Ibom)ainsi quedes

villages de Bakassi qui leur sontapparentés. Le nom des fondateursde ces villages est également

indiqué dansce tableau. Ces renseignements ont été fournis parle chef actuel du clan effiat,

l'obong OkonEffiong Etifit, et le vice-président de la collectivité locale de Mbo,

M.Asuquo Okon Bassey.

50. Ces noms et ces attaches ne trouvent manifestementpas leur origine dans le nom d'un

établissementou d'une familledu Camerounni dansaucun autre lien avecle Cameroun.

4 2 51. Il est clair que la création de villagesà Bakassi par des ressortissants nigérians

appartenantaux tribusefik et effiat a progressé régulièrementpendttut le XXesiècle. Ce mode

de peuplement a suscité lamise en place d'une administrationde plus en plus étofféprenanten

charge ces villageset leur population.Les rivalitésinternes au sein de 1'Etat nigérianau sujet de Bakassi

52. Un incident récent révélateur de rivalités interesettant aux prises deux Etats de la

fédérationduNigériaau sujet de Bakassi apporte encoreunepreuve desattaches deshabitantsde la

presqu'île avec les populations et les circonscriptions politiques de la partie continentale du

Nigéria.

53. Voici le contexte. Les villages situésdans la partie septentrionale de Bakassi ont

toujoursété administré psar uneautorité localedifférente decelle qui administreles villages situés

dans la partie méridionale, mais ilsse trouvaient tous groupésdans la même sous-régiod nu

Nigéria.Après que1'Etatde CrossRiver eut été scindé en 1987en deuxEtats de plus petite taille,

AkwaIbom et CrossRiver, les villagesont été administrés pardes autorités localesdifférentesau

seinde deuxEtats nigériansdistincts. La collectivité localepabuyodans 1'Etatde Cross River

administrait désonnais les villages du nord de la presqu'île tandis que les collectivitéslocales

d'EfFiath4boet d'Okobo, dans 1'Etatd7AkwaIbom,administraient les villages situés ausud de la

presqu'île. Je vous renvoiel'ongletno8 dansvotredossier.

54. Ce partage de l'autoritéadministrativea crééune certaine confusion quant au point de

savoir laquelle de ces deux collectivitéslocales devraitadministrer l'ensemble dela presqu'île de

Bakassi. Chacun des deux Etats a fait valoir que la presqu'île de Bakassi relevaitde sa sphère

d'administration pourun certain nombrede raisons liées
àlatradition,àla culture eà l'économie.

Les administrateursmilitairesdes deux Etats ontcherchéde plus en plus activement renforcer la

présencenigériane àBakassipar lebiais d'activitésadministrativesétatiques.

55. Cette rivalité entreles Etats s'est poursuiviejusqu'en 1996,annéede la promulgationdu

décret portantcréationd'Etats et adoption de dispositionstransitoires (CMN, annexe202).C'est

ainsi que fut crééla collectivitélocale deBakassiayant pour chef-lieubana, qui fut intégréà

1'Etatde CrossRiver. Cettedécisiona contribué àdissiper la confusionqui régnaiàl'intérieurdu

Nigériasur la question de savoir lequel des deux Etats est légitimementhabilitéà exercer son

autoritésur l'ensemblede lapresqu'île deBakassi. 56. En 1999, les questions litigieuses continuant d'opposer I'Etat de CrossRiver à celui

d'AkwaIbom, la Cour suprême du Nigériaen a été saisie:SuitnoSC/124/1999 betweenAttorney

General ofCross River State and Attorney General of Akwa Ibom Stateand 5 others [instance

noSC112411999entre l'Attorney Generalde 1'Etatde Cross River et l'Attorney Generalde 1'Etat

d'Akwa Ibom ainsi que cinq autres personnes]. Cette action en justice de grande ampleur fait

ressortir l'intéptrofond que manifestentd'importantes circonscriptionspolitiquesnigérianespour

la régionde Bakassi. Il a récemmentétécrééune commission présidentielle qui aétéchargée

d'étudiercette questionet ellea remisson premierrapport.

57. Cette évolutionpolitiqueàl'intérieurduNigériamet forcémenten évidencele lien entre

lesaffairesde lapresqu'îlede Bakassiet la politiqueintérieuredesrégionslimitrophesduNigéria.

Le maintien de I'ordre public est assuréplus fermement dans la régionde Bakassi par les
forcesde sécurité nigériane es décembre1993

58. Plusieurs problèmes majeurs sesont posésà l'administration de lapresqu'îlede Bakassi

à lafin des annttesquatre-vingtet au débutdes années quatre-vingt-dix,et il faut examiner quelles

ont étéalors les réactions du Nigéria car elles aident à prouver qu'il exerçait l'autorité

administratke et la souverainetédans larégion.

59. Lc Goub-emementnigériana déjàindiquéqu'il y a toujours eu une présence militaire

nigérianesur 13presqu'îlede Bakassi. En outre,lamarine nigérianea unebase àJarnestown,surle

continent.àpartirde laquelledes naviressont régulièremenetnvoyésen patrouillele longdes petits

cours d'eau cq\creeks)>)t des côtes de la presqu'île de Bakassi. Malgréla présencedes forces

nigérianes.il> a parfois eu des incursionsd'agentscamerounaisqui n'étaient pasdétectées parce

que la régionest relativement isolée et queles marécagesde mangrove et les«creeks»permettent

de se cacher. Ces incursions ont souvent donnélieu à des plaintes de la part des communautés

nigérianes,et certaines de ces plaintes ontéévoquées lordsupremier tour deplaidoiries. Quand

on arrive en 1993, une autre menace pèse sur l'ordre public : le conflit territorial opposant

deuxEtats nigériansau sujet de lapresqu'îledeBakassi, conflitdontje viensde parler. 60. Le 31décembre1993,le Gouvernementnigérianenvoie un détachement desesforces de

sécuritédans les villages nigériansYAbanaet dYAtabongqui sont situésdans la presqu'île de

Bakassi. Le butde cette opérationa étexposé dansla lettre du4 mars 1994adressée auprésident

duConseil desécuritépar le Gouvernementnigérian :

«Sur instructions de mon gouvernement et me référant à la lettre datée du
28 février 1994qui vous a été adressépear le représentantpermanent du Cameroun
(S/1994/228), j'ai l'honneurde vous faire part des informations suivantes : le
31 décembre1993, un détachement de militairesnigérians a étéenvoyédans les
4 4 villages de pêcheursnigériansd'Abanaet d'Atabongdans la presqu'îlenigérianede
Bakassi afin d'éviter des affrontemenviolents entre lespartisans du rattachementde
ces villages à 1'Etatnigériand'Akwa Ibom, et ceux du rattachement à lYEtatde

Cross River. Cette action préventivea eu les résultats escomptés. Toutefoiaprès
que le Gouvernement camerounais a exprimé sa préoccupation au sujet des
mouvements de troupes nigérianes,je me suis rendu à Yaoundé sur instructionsdu
chef de l'Etatnigérian,le général ani Abacha, pourexpliquer au présidentPaul Biya
les raisons de cette action nigériane. Au début de l'année 1994,le ministre
camerounais des relations extérieuress'est égalementrendu à Abuja, porteur d'un

message du présidentBiya au chef de l'Etatnigérian. Les deux parties se sont alors
engagées à réglerpacifiquementces questions.)) (Cm, annexe 347.) [Traducti dun
Greffe.]

61. Les mêmespréoccupationsont étéexpriméesdans une lettre adressée le20 avril 1994

par le haut commissariatnigérianàLondres au Foreign Office et au CommonwealthOffice ainsi

qu'àtoutes les missions diplomatiquesaccréditéesauprèdse la cour de Saint-Jameset toutes les

organisations internationales ayant leur siège Londres (DN, annexe29; voir aussi EPN,

annexe80).

62. Le problème desécuritéparticuliedront il est fait étatdans ces lettres s'expliquepar le

conflitinterneopposantdeuxEtats de laRépubliquefédérale duNigériaau sujet de lapresqu'îlede

Bakassi,etj'ai déjàexaminécet aspectde la question.

63. Cela étant,il existait une autre préoccupationimportante quijustifiait aussi les mesures

prises. Les chefs de clan des groupes de villages de la presqu'île deBakassi confirment queles

gendarmescamerounaisse sont systématiquement livrés à des actes de harcèlement dansla région

de Bakassi pendantet après la guerre civile,rtir de 1970. Ces actes deharcèlementsont relatés

en détailaux pages 267à269 du contre-mémoire duNigéria (par.10.157-10.161). 64. Le harcèlements'est prolongéde manièreépisodiquejusqu'en 1993. Dans une note

du 26avril 1993,leGouvernementnigériana protestéen cestermes

((L'ambassadede la République fédérad leu Nigériaprésenteses compliments

auministèredes relations extérieuresde la Républiquedu Cameroun et a l'honneurde
porter à son attention des rapports qu'elle a reçus précisant que des gendarmes
camerounaisont harcelédes citoyens nigérians demeurantdans les zones contestées
de la presqu'îlede Bakassi. Le26 février1993,à Abana,dans la collectivitélocalede
Mbo (Etat d7AkwaIbom), unecentaine de gendarmesont envahi les pêcheries de la
région, harcelantet terrorisant les habitants nigérians. L'ambassade tientà faire

remarquer que ces actes de harcèlement incessantsn'augurent pas bien de nos
relations bilatéraleset souhaite que le ministère rappelleà l'ordre les forces de
répressiondu gouvernementen place. Cette situationsuscite de vives inquiétudeset
préoccupationsau Nigéria, aussi l'ambassade tient-elle ce que le ministère prenne
les mesures nécessairespour y mettre fin dans l'intérêt réciproqudees deux pays.»
(CMN,annexe356.) [Traduction duGreJS ce.

65. Ces actes de harcèlement systématiqueest les atrocités commisespar les gendarmes et

soldatscamerounaisont fait l'objetd'uneplainte formuléedans la lettre adresséele 4 mars 1994au

présidentdu Conseil de sécurité parle Gouvernement nigérian (CMN, annexe 347). Dans cette

lettre, il est fait étatde six incidents graves en 1991, de six autres en 1992 et de treize autres

enregistrésà nouveau jusqu'en septembre 1993. Il est également fait mention d'actes de

harcèlement, d'actesde pillage et de meurtres dans la lettre du20 avril 1994 émanant duhaut

commissariatnigérian à Londres(voirDN,annexe29).

66. La lecture du rapport du 15 avril 1988 qui a été remis augouverneur de 1'Etatde

CrossRiver (DN, annexe 30) permet de se faire une idée dela répressionsystématique exercée

aprèslafin de la guerre civile nigériane.Dans ce document quiest intitulé«Rapport sur les actes

de violenceet d'intimidation systématiques commis par legsendarmes camerounais à l'encontrede

la populationd7Atabong»,onrelèvenotamment cequi suit :

((1.Pendant la guerre civile nigériane,la troisièmedivision de fusiliers marins
dirigéepar le général de brigade Benjamin Adekunla e établià Atabong une base

militaire commandéepar feu le commandant Isaac Adaka Boro. Les gendarmes
camerounaisn'ont pas oséde ce fait se livrerà des incursions en territoire nigérian.
Après leretrait du commandant Boroet de ses hommes d7Atabongle 10mars 1968,
lesgendarmescamerounaissontarrivés àcet endroitle 19mars 1988. Depuis lors, la
population d7Atabonget, à vrai dire, tous les habitants de la presqu'île de Bakassi
n'ont plusconnu lapaix.

[Voir dossierdesjuges, onglet 9.1 3. Blocuséconomique :Les gendarmes camerounaisempêchentmaintenant les
autochtonesdYAtabongA , bana, EdemAbasi, Ine Odiong,Ine Atayo et IneAkpak, qui
demeurent tous dans la presqu'île de Bakassi, de venir vendre leurs poissons,
écrevisseset crevettesauNigériapour les forcerplutôtà aller lesvendre au Cameroun
et ainsi étrangleréconomiquementle Nigéria. Ils fontégalementtout ce qui est en

leurpouvoir pour intimidernos ressortissantset les empêcherd'utiliser leira, notre
monnaienationale, àlaplace du fianc CFA. Ils vont mêmjeusqu'à saisirles billets en
naira de nos ressortissants et les brûler. Tous ces actes des gendarmes camerounais
s'assimilentàun blocus économiqueetvisent ànousasphyxier économiquement, d'où
lararetédu poisson etdesécrevissessurnos marchés.

5. Violences, brutalités,viols et meurtre: Les gendarmes camerounaiss'en
donnent à cŒurjoie; ils attaquent, frappent, violent et tuent les nôtres. Un certain
Etim AdemOkong dYAtabonga été battu à mort par des gendarmes camerounais en
1969. Le 16janvier 1973, uncertainMbuk Serekea été battuau risque d'y laisser la

vie par des gendarmes camerounais, il est demeuré inconscient pendanttrois jours.
Tout récemment,un certain Etim Effiong Ekopa été victime de graves bmtalitéspar
des gendarmescamerounaisau point lui aussi d'yperdre presque la vie. A la date du
présent rapport,M. Etim Effiong Ekop est toujours dans le coma. Cinq soldats
nigériansont étésauvagement tuéspar des gendarmes camerounais dans la même
région.Et deux pêcheurs ont étéassassinésdesangfroid dansla mêmerégion pardes

gendarmescamerounais.

Nous, la populationde la région,n'avons cesséd'adresserde vives protestations
au Gouvernement fédéran ligérianau sujet des atrocités et des actesde vandalisme
commispar leCameroun.» [Traductiondu Greffe.]

Puis vientla conclusion:

((6.Conclusion : Les gendarmescamerounaisont fait subir aux Nigériansde la
presqu'île de Bakassi et, d'ailleurs, aux gensdYAtabongdes souffrancesinouïes qui
nous affectent très profondément. Nousne voulons pas être soumis à l'autoritédu
Gouvernementcamerounaisrépressifet despotiquequi fait preuve d'autoritarisme. Il
n'y a absolument pas de liberté de parole, deliberté d'expression, de liberté
d'association ni de libertéde circulation, toutes libertés dont nous jouissons au

Nigéria. Aussi en appelons-nous à vous pour convaincrele président et leconseil de
gouvernement des forces armées d'interveniret de nous délivrerde ces vandales
camerounais.» [Traductiondu Grefe.]

67. Ce rapport est en fait un appel lancéau gouverneurde 1'Etatde Cross River par le chef

traditionnelde la communauté,le chef OkonEtim OkonAsuquo, membredu conseil des Etuboms

à Calabaret chef du clan AtaiEma dYAtabongOuest. Les mesures prisespar lesforces nigérianes

en 1993faisaient suiteà ces appels. Depuis mai 1968,les populationsde Bakassi ontadresséde

nombreuses pétitionset j'en ai déjàexaminécertaines lors de mon intervention aupremiertour de

plaidoiries. 68. Il y a lieu de rappeàela Courque les forces de police et de sécurnigérianes avaient

participé plusieursfois depuis l'indépendance au maintide l'ordre public Bakassi (voirCMN,

par. 10.59 et suiv., et par. 25.08 et suiv.). Les forces arméesnigérianesont dû riposter, dans

l'exercicede leurdroit de légitimedéfense,auxincursionsdes forcesarméescamerounaises.C'est

ce qu'a reconnule Gouvernement camerounais,par exemple, dans le bulletin de renseignements

réservéà la diffusion interneau sujet d'incidents datantde 1984-jeme réfèreà l'annexe269 du

mémoiredu Cameroun, p. 2223. Des documents internes camerounais mentionnent aussi la

présencede fusiliersmarins nigérians Abanaen 1990et en 1993(voirMC, annexe 332).

La positionduCameroun concernantle statuquo administratif

69. Les sources officielles camerounaises viennent corroborer la fragilité du titre

camerounaisfondésur une prétendue possession de Bakassi depuis l'époqu de l'indépendance.

70. Vers les annéesquatre-vingt, les initiatives camerounaisestendantemettre en cause le

statu quo dans la régionn'avaient donné que des résultatstrès médiocres,comme on peut le

constater dans les archives officielles du Cameroun. Peut-êtrela Cour se rappelle-t-elle que,lors

de mon exposédu premier tour,j'ai évoqué l'arrêté préfectoral 1975par lequel le Camerouna

tenté de remplacerlestoponymesefik existants(CR200219).

71. Onze ans après, un fonctionnaire camerounais a émisle grief suivant dans une lettre

datéedu 4 novembre 1986 :

47 «En ce qui concerne votre circonscription, de nombreuses pêcheriesont été

rebaptisées mais lesnouveaux noms sont rarement ceux qu'utilisent les étrangerset
même certains des Camerounaisqui s'ysont installés.

Il semblerait également que de nouvelles localitésaient été crééesou
découvertessans avoir été encore rebaptisées:par exempleIneAkariba,en référence
à votre lettredu 11octobre 1983portantla cote G.40.05.I/ID/45/293.

Leprésent avisvous est donctransmis pour informationet aux fins des mesures
à prendre. Veuillez indiquerà ce bureau les mesures que vous aurez prises.)) (Cm,
annexe 224.) [Traductiondu GrefSe ].

72. Je continue avec un rapport émanantd'un comitéde développementqui s'est réunile

15octobre 1988 pour examiner des questions relatives à certains secteurs de Bakassi (RC,

annexe 180). Il est précisdans la préfacedu procès-verbal quele retard apportà l'ouverturede

cetteséance«étaitdû à l'absencede transportmaritime...» 73. Dans ce procès-verbal,un fonctionnaire camerounais expose notamment les graves

carencesdont souffrent lesinfrastructuresdans les domainesdu logement,des services sociaux,du

systèmede santéenparticulier.

74.Tout cela,Monsieurleprésident,date de 1988. Mon troisième exempleest un document
!

officiel camerounaisdatéde 1992(CMN, annexe 186)'plus exactementdu 21janvier 1992,et qui

est ainsi libellé

«Par messageradio citéen référencel,e chef de service provincialde la sûreté
nationale du Sud-Ouest à Buéavous rend compte de la situation à la pêcheriede

Jabane.

Selon cemessage, l'écolecommunautaireouverte et dirigée parlacommunauté
natale de Jabane(Cameroun)reçoit des subventions d7AkpabuyoLocal Government,
la commune de l'Etat d'Akwa-Bomau Nigéria. Initialement construiteen matériaux
provisoires, cet établissement estentrain d'êtreréfectionné enmatériauxdéfinitifs.
Lesenseignantssonttous originairesduNigéria. Lasituationreste suivie.

Le poste pense que cette situation devrait êtreportée à la connaissance du
MINEDUC,duMINATet du secrétairegénérad le la présidencede laRépublique.))

75.Voilà un documentéloquent. Il faut le lire en parallèle avecl'annexeRC 180,où il est

fait mention, en 1988, du ((faibletaux des inscriptions dans l'unique école primaire7Idabato».

Monsieur le président,le document de 1992confirme la situation d'ensemble, quiest la suivante:

trente ans aprèsl'accession du Cameroun à l'indépendanceet la prétenduetransition sur lavoie de

la souverainetécamerounaise, le systèmed'enseignement publicétaitlargement aux mains des

autoritéspubliquesnigérianes.

4 8 La nationalité deshabitants de Bakassi, élément dutitre par consolidation historique

76. Comme le Nigéria l'aindiquédans son contre-mémoire, l'existence d'implantations

anciennesde ressortissantsde 1'Etatdemandeurjoue indubitablementun rôle depremier plan dans

la constitution d'un titre par consolidationhistorique. est utile sur ce point de rappeler ce que

disait sirGerald Fitzmauricedans les coursqu'il adonnésà La Hayeen 1957

((L'affinitéraciale ou nationale entre la population de 17Etatdemandeur et les
habitants dutemtoire revendiquéne saurait en soiconstituerun fondementjuridique à
un titre. A l'instardes facteurs historiques, cet élémentpourrait servàrétayerune
action reposant sur d'autres bases, ou servir d'élémentde preuve; par exemple, il pourrait servirà démontrerque certaines activitésont étémenéesanimo occupandi
dans l'intentionde revendiquer la souveraineté. Maiss,urtoutsi leterritoireest ou est
passésous le contrôle effectifd'un autre Etat, les affinités racialesou nationales ne
sauraient remplacer le contrôle effectif ou la continuité,ni conférerpar elles-mêmes
un titre.))

Puis sir Gerald ajout:

((D'autresconsidérations entrentenjeu lorsqu'il s'agit nonpas simplement
d'aflnités raciales ou nationales, mais bel et bien de ressortissants de I'Etat
demandeurcar,si despersonnes s'installantsur un territoirepossèdentunecertaine
nationalité,ilpeut s'agird'unélémenq tui, mêmse'iln 'estpasforcément déterminant,
atteste de l'existenced'un contrôle efîectifpar leur Etat d'origine.))
(Recueil des
coursde l'Académie de droit internationalde LaHaye, t. 92, 1957,vol. II, p. 149; les
italiquessont demoi.) [Traductiondu Greffe.]

77. D'aprèslajurisprudencedestribunauxinternationaux,l'implantationderessortissantsest

un élémentpertinentb ,ien que nullement déterminant.Le tribunal spécial d'arbitrageinstituédans

le cadre de l'affaire de larontièreentre le Guatemalaet le Honduras, avait pour mission de

déterminerla ligne correspondant à I'uti possidetis de 1821. Le tribunal était expressément

autoriséà modifier cetteligne afin de prendreen compte les «droits»acquis par l'uneet l'autre des

parties au-delà de ladite ligne.l étaitdonc implicitementhabilitéà prendre en compte les droits

qui découlaientde la possession effective, notamment sous la forme d'implantations. Selon les

termes dutribunal

«Les critèresque le tribunal doit appliquerdans l'exercice de ce mandat sont
indiqués noirsur blanc. Il ne revient pas au tribunal de fixer des limitesterritoriales,
dans l'optique d'unedémarcation appropriée dtuerritoire qui seraitopéréuniquement
en fonction de caractéristiques géographiques ou de futurs intérêts militairesou
économiques,indépendammentde l'évolutionhistorique. Le traiténe saurait être
interprétécommehabilitant le tribunal àétablirune frontière définitivà partir d'une
vue idéalistesans tenir compte du peuplement du territoire et des droits acquis

résultantde l'activitéde chacune des Parties. Pour autant qu'elles puissent être
considéréescomme compatibles avec ces droits acquis, les frontières naturellesqui
découlent des caractéristiques géographiquespeuvent êtreprises en compte.))
(ArbitragerelatifàlaFrontièreentre leGuatemalaetle Honduras(1933), ILR, vol. 7,
p. 122;les italiquessont de nous.) [Traductiondu Greffe.]

78. J'en viensmaintenant à l'affaire du Dzfférendfrontalierterrestre, insulaire etmaritime.

Le passage suivant de l'arrêrendu parla Chambremontrebien qu'elle reconnaîtla pertinencedes

preuves de peuplement :
4 9
«A propos des preuvesdes effectivitésfournies par le Honduras,on trouve tout
d'abord quelques élémentsde correspondance diplomatique.. . [Suivent là des
éléments non pertinents.] Deuxièmement,une abondante documentationa étéfournie
dans une annexe à la répliquedu Honduras pourdémontrer quele Honduras peut

aussi s'appuyersur des arguments d'ordre humain, qu'il y a «des établissements humains»où viventdes ressortissantshonduriensdansdes zones en litige de tousles
sixsecteurs, et que diverses autoritjudiciaires et autres du Honduras ont exercéet
exercent encore leurs fonctions dans ces régions.)) (C.I.J. Recueil 1992, p. 516,
par. 180;les italiques sont demoi.)

79.Plus loin dans l'arrê,ntrouve un énoncévoisin (C.I.J.Recueil1992,p. 516,par. 265).

80. Dans le contexte dela consolidation historique,l'existence d'implantations anciennesde
8

ressortissantsde 1'Etaten causerevêt une forceprobante considérable.

Le rôle de l'acquiescementet de la reconnaissancepar rapport à la consolidation historique
du titre

81.Monsieur leprésident, ilnous faut àce stade considérer lesquestions d'acquiescementet

de reconnaissance dans le contexte de la consolidation historique du titre. Au premier tour,

M.Mendelsona affirmé, à l'appuide sa thèse,que la conduitedu consulgénérae lt autres consuls

du Nigériavalait acceptation ou reconnaissance du titre camerounais. (CR 2002/5, p. 20-24,

par. 9-16.)

82. M. Mendelson dit avec force que le Cameroun «n'a pas soutenuque les consuls avaient

le pouvoir dereconnaître au Camerounun titre territorial))(CR2002/5, p. 24, par. 16). Le conseil

du Cameroun répète ensuitele même argumenten le maquillant légèrementen ((pratique

administrative))procédantdu comportementdes fonctionnairesdes deuxEtats. Mais, Monsieurle

président,le nouvel intitulé nechangerien au fond duproblème.

83. Rien, en droit international, ne permet de fonder le postulat qu'énonce ainsi le

Cameroun. Les activités dontil tire argument correspondent aux actes d'un fonctionnaire

subalternequi sont sans rapportavecla questionde la souveraineté.Lesfonctionnairesconsulaires

ne sont pas mandatéspour s'occuper de titres territoriaux. Les obligations des fonctionnaires

consulaires revêtentun caractèregénéral qui donne lieu, dans un passage de l'ouvrage classique

de Hall approuvépar M.Clive Pany, l'éminent directeurde publication du British Digest of

InternationalLaw, à ladescription ci-après:

«Les consuls sont des personnes nommées par un Etat pourrésider àl'étranger
et autoriséespar le gouvernementdu pays étranger à résidersur sonterritoire afin de
protégerles intérêtdses sujets de 1'Etatqui les a nommés, d'une part,et, de l'autre,
afin d'accomplirau nom de cet Etat certainsactes qui sont importantspour celui-ci ou
pour ses sujets maisqui sont sans intérptour le paysétranger,soitque ces actes ne le
concernent pas soit qu'ilsne le touchentque d'une manièrelointaineou indirecte. La
5 8 plupart des fonctions des consuls relèvent de cette seconde catégorie.))
(Hall,
InternationalLaw(4e éd.,1895)'p. 330-33 1.) [Traductiondu GrefSe.] 84. Le traitéfaisant autoritéde MM. Patrick Daillier et Alain Pellet donne des fonctions

consulaires une description semblable pour l'essentiel (Droit international public,éd.,1999,

p.737-738) : «Les consulset les postesconsulairesne sontpas chargésd'un rôle de représentation

politique. Leursfonctionsrevêtentuncaractèrepurement administratif.))

85. La définition de MM. Dallier et Pellet met l'accent sur le caractère purement

administratifdes fonctions consulaires. Les fonctions du consul généralse limitentà des actes

administratifs ordinaires n'ayant absolument rienà voir avec les questions de frontière. En

l'espèce, les fonctionnaires consulaires n'étaient nullementhabilités, que ce soit de manière

expresseoutacite, àseprononcersurdes questionsde souveraineté.

86. Danssa réplique(p. 319,par. 5.264)' leCamerounfait étatd'une visitede l'ambassadeur

duNigéria à Atabong Ouesten 1986. Le seul document invoqué à cet égard(RC,annexe 149)est

un itinéraire devisite établipar le personneldu consul génàrBuéa.Rien n'indique quelavisite

à Atabong Ouesta effectivementeu lieuet on ne connaîtpas nonplus l'originede cet itinéraire.

87. Mais,Monsieurle président, l'argumentdu Camerounrelatif aux consuls doit êtrmis en

perspective. Comme nous l'avons vu, il s'agit d'un argument qui repose sur le concept de la

reconnaissance par le comportement. Aussi cette reconnaissance doit-elle êtreplacéedans le

contexte généraldu titre invoquépar le Nigéria, celui dela consolidation historique du titre. De

l'avis du Nigéria,il ne suffit pas de faire valoir certains comportements contradictoires et isolés

pour court-circuiter un tel titre, ce a plus forte raison lorsque l'ensemble deséléde preuve

militent contreces comportements contradictoires. Le conseil du Camerouna invoqué l'affairedu

Temple de Préah Vihéar(voir le CR200215, p. 19, par. 3) ainsi que le principe de la

reconnaissancepar le comportement.

88. Faceà cet argument relatifaux consuls, notonsque lerecoursàdes principes prochesde

lareconnaissanceou de l'estoppelappelle,en principe, uneextrêmeprudence. C'estune choseque

de déterminerletitre surle site inhabitéd'un temple historiquepar le biais de la reconnaissanceou de l'acquiescementlorsquel'on n'a pas beaucoupd'activités étatiques faire valoir,mais c'en est

une autre que d'appliquer ce principe à une zone où la population est établie de manière

permanente, où l'identité ethnique est fortancienne et que, de surcroît, les preuves d'activités

étatiquesabondent.
.
5 1 89. Ce fut CharlesdeVisscher qui souligna le rôle particulier quejoue le principe de la

reconnaissancedans le contextede la consolidationhistorique. Je cit(àl'exceptiondes notes de

basde page) lapage 252de son ouvrageclassique,publiéen 1955 :

«Le long usageétabli, qui en estle fondement,ne fait que traduireun ensemble
d'intérêtest de relations qui tendent par eux-mêmesà rattacher un territoire ou un
espacemaritime àun Etat déterminé. Ce sont ces intérêtest relations,variablesd'une
espèce àune autre, et non l'écoulementd'une périodepréfixe,d'ailleurs inconnue du
droit international' qui sont pris directement en considérationpar le juge pour
apprécierin concret0 l'existence ou la non-existence d'une consolidation par titres

historiques.

Par ce côté, celle-cidiffère de la prescriptionacquisitive proprementdite, tout
comme par la circonstance qu'elle peut s'appliquer à des territoires dont
l'appartenance antérieureà un autre Etat ne saurait êtreétablie. Ellediffêrede
l'occupationpar le fait qu'elle peut être admisepour certains espaces maritimesaussi
bien que pour le domaine terrestre. Enfin, elle se distingue de la reconnaissance

internationale- et c'est là le point pratiquement le plus important- par la
circonstance qu'elle peut être réputéaecquise non pas seulement par acquiescement
proprement dit, acquiescementdans lequel le facteurtemps peut nejouer aucun rôle,
mais plus aisémentpar une absence d'opposition suffisamment prolongée, soit pouer
domaineterrestre de la part des Etats intéresàcontesterla possession,soit pour les
espacesmaritimes de la part de la généralides Etats.)) (Théories etréalitésen droit
internationalpublic, 19552' éd.,Ed. A. Pédone.)

90. Dans la présenteespèce,leprétendueffetdes actesdes consulsdoit êtrmis en regarddu

schémagénérad le l'acquiescement camerounais,pour lequelj'ai fournideséléments de preuveau

premiertour.

Les autres formesqu'auraitpu prendrelarevendicationdutitre surBakassi

91. Le Nigéria afondésa revendication sur la consolidation historique du titre parce que

c'est un principe juridique généralemenrteconnu. Mais il aurait pu luidonner d'autres formes

juridiques, dont les effets auraient étésimilaires, sinon identiques,eux de la consolidation
1

historique. 92. La solution de rechange quasi évidentepour le Nigériaaurait été d'invoquer l'exercice

continu et pacifique de sa souveraineté ainsi que I'acquiescement du Cameroun à ladite

souverainetédu Nigériasur la presqu'îlede Bakassi. Ce sont essentiellementces facteurs quiont

motivéla décision del'arbitre Huber en I'affaire de I'Ile de Palmas (Recueil des sentences

arbitrales,vol. II,p.831).

93. Dans un grand nombre d'affaires bien connues, la juridiction saisie a dû mettre les

((manifestationsde souveraineté))dans les deux plateaux de la balance et rendre une décisionqui

tienne comptedes activitésconcurrentes des Etats demandeurs. C'est au fond l'approche quela

Cour a adoptéedans l'affairedes Minquiers et Ecréhous(C.I.1 Recueil 1953, p. 47). Dans cet

arrêtl,a Cour a déclaréque :«[c]e qui,de l'avis de laCour, a une importancedécisive,...[ce sont]

lespreuves se rapportant directement à la possessiondes groupesdes Ecréhouset des Minquiers.))

(Ibid, p.57.)

94. Et dans le mêmearrêt,la Cour a observéque sa tâche était«[d']apprécie ..la valeur

relativedes prétentionsdesdeuxParties à la souverainetésur lesEcréhous...»(Ibid.,p. 67.)

Réfutation dequelques arguments en particulier

95. hl~m\ieurle président, Madame et Messieursde la Cour,je vais à présentrépondretout

particulièremrnta certainesaffirmationsque leCamerouna formuléeslorsdu secondtour.

96. C'ea ainsi que M. Mendelson a énoncé plusieurs affirmations concernant la prétendue

acceptation du titre camerounais par le Nigéria (CR2002116,p.38 et suiv.). Dès le premier

paragraphede son argumentation, M.Mendelson a,dans un éland'optimisme réservé au prétoire,

trahila fragilitcde ses fondementsjuridiques.

97. Premièrement,leconseil utilisele termeacceptation[acknowlegment]pour désigner à la

foisla reconnaissanceet 17acquiescement.Mais, Monsieurleprésident,iln'existe aucune catégorie

juridique correspondant àl'acceptation. Deuxièmement, lareconnaissanceest un processuspublic

etleCamerounse fonde surplusieursépisodesfaisantappel à desdocumentsinternes. 98. Le conseil du Cameroun affirme égalementque toute acceptationpar le Nigériaexclut

définitivementtout titre nigérianéventuel. Aucun principe de droit ne conforte ce raisonnement.

Le conseil du Cameroun ne cherche pas à bien situer le contexte juridique, c'est-à-dire une

revendicationque le Nigériafait reposer sur la consolidationhistorique dutitre. Le Nigéria nefait
4
pasappel auxeffectivitésen les dissociant detous lesautres élémentsdepreuve.

99. En tout cas, si nous devons échanger les manifestationsréelles et publiques

d'acceptation, alorsla Courprendra sansaucun douteacte de l'acceptation deM. Mendelson,quia

admis, lors du premier tour de plaidoiries, que le Nigériaavait fourni plus de preuves de sa

possession et de son titre que le Cameroun. L'acceptationfigure au compte rendu, elle a été

donnéedevant la Cour, par un conseil qui avait l'autorité requisel,'agent du Camerounassisàses

côtés.

100. J'en viens à présent à certains points plus précisde l'exposéde M. Mendelson. La

premièrefois qu'il évoqueune prétendue acceptation,il parle de la note diplomatiquedu Nigéria

du 27 mars 1962. Je ne vais pas considérercet épisode,car mon ami M. Crawford s'en chargera

demainmatin.

101. M.Crawford examinera égalementl'argument deM. Mendelson relatif aux permis

d'exploitationdeshydrocarbures(CR 2002116, p.39-40,par. 17-18).

102.Ensuitele conseildu Camerouna invoquéles actesdes consulsnigérians(CR2002116,

p. 40-41, par. 19).J'ai déjàétudié cpoint moi-mêmiel y a un instant.

103. Il y a cependant sur cette question un point supplémentairequeje dois évoquer. Dans

l'affaire duGolfe du Maine, la Cour a donnéson avis sur l'aspect juridique de l'activitédes

fonctionnairessubalternes. Voici ce qu'ellea dit

«LaChambre estime que lestermes de la((lettreHoffman))ne peuvent pas être
opposésau Gouvernement des Etats-Unis. La réserveexpriméepar M. Hofian,
suivant laquelle il n'étaitpas habilità engager les Etats-Unis, ne concernait, il est
vrai, quel'emplacementd'une lignemédiane;la lignemédiane entantque méthode de
délimitationne paraissaitpas êtreen cause, mais rien n'indique quecette méthodeait
étéadoptée à l'échelongouvernemental. . M. Hoffman, comme son homologue

canadien d'ailleurs, agissait dans le cadre de ses attributions techniques, et il ne
paraissait pas avoir étaverti de ce que la question de principeque pouvait mettre en
jeu l'objetde la correspondancen'étaitpas régléee,t que les arrangements techniques
qu'il devait adopter avec ses correspondantscanadiens ne devaient pas préjugerla
position desEtats-Unis dans les négociations ultérieureesntre gouvernements. Mais
cette situation, propreà l'administration interne des Etats-Unis, ne permet pas au Canada de s'appuyer surle contenu d'une lettre d'une fonctionnairedu Bweau of
Land Management du département de l'intérieur, relative à un aspect technique,
comme s'il s'agissait d'unedéclarationofficielledu Gouvernementdes Etats-Unissur
les limites maritimes internationales de ce pays» (C.I.J. Recueil 1984, p. 307,
par. 139).

104. Pour moi, il existe une analogie frappanteentre les activités ddans cet extrait et

celles du consul généralou autres consuls, lesquelsaccomplissaient leurs tâches administratives

sans soupçonnerque par leurs actes, ils risquaientd'entraver le règlementde grandes questionsde

principequi étaientpendantes entre lesdeuxgouvernements.

105. J'en viensà présentà la lettre de M.Elias, que M.Mendelson a invoquéelors de sa

première intervention (CR200215, p. 24-25, par. 17-20). Lors du second tour, le conseil du

Cameroun a dit à la Cour que ladite lettre revêtait«une très grande importance)). (CR 2002116,

p. 41, par.0).

106. Monsieur le président, j'ai bien connu M. Elias et c'était un très bon ami de

M. Waldock,qui fut mon guide. Le chef RichardAkinjide a renduhommage àM. Elias cematin.

Ce n'est pasla réputationde M. Elias qui est en cause. La questionest de savoir quellevaleur il

faut attribueà sa lettre en tant qu'élémentereuve. Le conseil du Cameroun considèrequ'elle

était((dotéed'une éloquence fort convaincante)).Et c'est le cas. C'étaitun avis de caractère

confidentiel, qui relevait des démarchesdu Gouvernementnigérian. Cette lettre a divulguéeà

la presse, ou est tombée entre sesmains, et ressort donc aujourd'hui dans les plaidoiries du

Cameroun.

5 4 107. Le conseil du Cameroun produit à présent cette lettre comme une preuve de

reconnaissance et d'acquiescement. Mais cette lettre n'a rien à voir avec une quelconque

transaction publiqueni avec une correspondanceéchangée aveleCameroun. Il est impossible d'y

voir unepreuve dereconnaissanceet d'acquiescement.

108.Monsieur leprésident,comme le chef RichardAkinjide l'a soulignéi,l faut apprécierle

contexte et la valeurjuridique d'un teldocumentpar rapporttout l'ensembledes preuveset des

thèses juridiques dont nous disposonsactuellement.Il serait fâcheux, voire grotesque, que cette

communicationfasseobstacle àla positionque leNigériaveut adopterpubliquementou à celle que

la Courveut adopter dans la présenteinstance. 109. Sur cette mêmetoile de fond, on ne s'étonnera donc pasde constater que, lors de la

premièreétapede l'arbitragerelatif auxIles de la mer Rouge, le tribunal arbitral a refuséque des

documents internes lui soientprésentécommedes élémentsde preuve. Letribunal a dit

((L'intérêmtanifesté autrefois pour ces îlespar la Grande-Bretagne, l'Italie et
dans une moindremesure,par la Franceet par les Pays-Basest un élémenitmportant

du matériau historiqueprésentéau Tribunal par les Parties, d'autant que celles-ci ont
eu accès aux archives de l'époque, notamment aux premiers documents des
gouvernements britanniques de l'époque. Ce matériau est pour une bonne part
intéressantet utile. Il convient toutefoisde formuler unemise en garded'un caractère
général:certains des élémentsse présententsousla forme de notes de service puisées
dans les archives du ministèredes affaires étrangères, leForeign Office britannique

comme il s'appelaità l'époque,et aussi parfoisdans les archives du ministèreitalien
desaffairesétrangères.

Le Tribunal n'a pas oublié quedes notes de service ne représententpas
nécessairementle point de vue ou la politique d'un gouvernement et peuvent n'être
que le point de vue personnel qu'un fonctionnaire s'est senti obligé d'expràmun
autre fonctionnaireà ce moment-là : il n'est pas toujours facile de démêlerles

éléments purementpersonnels dans ce qui ne constitue après tout que des notes
internes. privéeset confidentiellesau moment où elles sont rédigées.)()Sentence du
9 octobre 1998, par. 94.) [Traductiondu Bureau international de la CPA.]

110. En conclusion, je voudrais insister sur le fait qu'accorder une quelconque portée

juridiqueàla lettredeM. Elias,et la placeren regard desélémentsdpreuve considérablesmilitant

en faveur d'une souveraineténigérianeet présentésà la Cour, aboutiraiàun résultatabsurde du

point desuejuridique etàunedéformationrhétorique.

111. J'en arrive à présentà la lettre du 6juin 1985 émanantde M.K. B. Olukolu, du

ministèrenigerian de la justice, et évoqupar M. Mendelson lors du secondtour de plaidoiries

(CR 2002 '6. p.4 132, par. 21-25).

112.Cette lettre a semble-t-il éécrite parun fonctionnaire subalterne du ministèrede la

justice,a un moment où le poste d'Attorney-Generalétaitvacant. M.Olukolu étaitdirecteur

5 5
adjoint dudépanementde droit internationalet comparé du ministèrde lajustice, mais levéritable

auteur dudocumentdemeureinconnu.

113. Monsieur le président, toutesles observations d'ordre juridique que l'on pourrait

formulerà l'égard de lalettrede M. Elias sont valablespour celle de M. Olukolu. Le fait que ce

dernier n'occupait pas unepositionhiérarchique aussiélevée que celle du présiEtliasne saurait

faire de différencequantl'appréciationjuridique qu'l a lieu d'endonner. 114. 11va de soi que les mêmesconsidérationspeuvent également s'appliquer à l'autre

document mentionnépar M. Mendelson, daté lui du 6 juin 1986, et émanant semble-t-il du

ministèrede lajustice (annexeMC 279). L'auteurdecedocumentestégalement inconnu.

115. Pour conclure surla portéejuridique decestrois documents internesque fait valoir le

Cameroun,je rappelleraiune fois de plus l'avis exprimépar la Chambre de la Cour dans l'affaire

du GolfeduMaine.Sila Cour n'a pas estiméque la lettrede M. Hoffmanpouvait êtreinvoquée à

l'encontre du Gouvernement des Etats-Unis dans le cadre d'une correspondance entre les

Etats-Uniset le Canada,commentle Camerounpeut-ilespérerque laCour accordeune quelconque

valeurjuridique à desdocumentsinternesquisont paressencemême confidentiels?

116.Il convient égalementde garderà l'espritquede tels documentsministérielsbénéficient

de l'immunitéétatique.

117.M. Mendelson a ensuite traitéla question des élémentsde preuve cartographiques.

Dans son interventiondu deuxièmetour, le conseil a répondu à des passages de ma plaidoirie du

premiertour (CR 200219,p. 47-49, par. 143-154). M.Mendelsona tout d'abord veillé àne choisir

que quelques-unesdesquestionsque j'avais soulevées.Puis il a évide formulerdes observations

sur tous les points de nature juridique (CR2002116,p. 43-44, par. 143-154). En définitive,le

conseil duCameroun s'estabstenude traiterles questionssuivantes :

- en premierlieu, lelien entre les carteset le véritablefondementdutitre invoqué parleNigéria,

autrementdit, laconsolidationhistorique;

- en deuxièmelieu,larelation entre les carteset le statu quoéconomiqueet social régnant surle

terrain;

- en troisièmelieu,lapertinencedes précédentsjudiciaires, don ctertains émanentde la Cour,en

matièred'élémentd se preuvecartographiques;

- en quatrièmelieu,laportéedes cartes réunies;

5 6 - en cinquièmelieu, l'origine des cartes, qu'elles aient étéréalispar des experts ou non; et

enfin,

- la portée juridique des articlespubliés en 1965dans le Gazetteer par le directeur du service

géographiquefédéran ligérian. 118. Monsieur le président, le conseil du Cameroun n'a pas répondu sur les aspects

juridiques de mon analysede la pertinence deséléments de preuve en l'espèce. En particulier,tout

comme ses collègues,il se révèleincapable de relier ses observations au fondement véritabledu

titre invoquépar leNigéria.
C

La populationde la presqu'îledeBakassi

119.Nos éminentsadversairesn'ont pas uneconnaissancetrèsprécisede la géographie dela

régionde Bakassi, comme le Nigérial'a montré à la Cour lors du premier tour de plaidoiries.

Selon le Cameroun, la population de Bakassi s'élèverait à 4046 habitants (CR2002115, p.26,

par. 28).

120.LeNigéria considère que ce chiffie n'est pasvraisemblable. En tout étatde cause,il est

inévitable que des chiffresse rapportant à la régionde Bakassi incluent parfois des données

concernant d'autres régionsou, a l'inverse, ne couvrent pas certaines régionsfaisant partie de

Bakassi. A l'époque où laduplique a étérédigée,le Nigéria aétablile chiffre provisoire de

100000habitantsenviron.

121. Avant les audiences, l'équipedu Nigéria a effectuéun calcul en se fondant sur les

données fourniespar la commissiondémographiquenationale (NationalPopulationCommission)

du Nigéria. Ces chiffres ont été établisàpartir d'une liste détaillde villages et d'un étatdes

territoires de clans considérés commerelevant de Bakassi. De ces donnéesressort un total de

156000, chiffre quia étéprésenté àla Cour lorsdes présentesaudiences.

122. Après avoir vérifiéde nouveau les chiffres portant sur les territoires des clans, le

Nigéria a acquisla certitude que lehiffie de 156000 était fiable. Celui-ciest calcuàpartir des

territoires des six clansde Bakassiévoquédansladuplique.

123.Il est pour le moins significatif que le Cameroun ait jugébon d'accorder une telle

importance à la questionde la population. Comptetenu de laconnaissanceapprofondiedeBakassi

que possèdele Nigéria,le chiffre de 4046 avancépar le Cameroun a l'air ridicule. Monsieur le ', président,les chiffres sont une chose, les élémenuridiques pertinents en sont une autre. Or les

éléments pertinentsdu point de vuejuridique sont les suivantsen premier lieu,la populationest

nombreuseet nigériane, etnon camerounaise. Le conseil du Cameroun l'a reconnu. En deuxième

lieu, la population est permanente. Et en troisième lieu,c'est avec le territoire continental du

Nigériaqu'ellepossèdedes attachesclaniqueset ethniques.

7
Le traitementdes effectivitésparle Cameroun

124.Monsieur le président,tandis que j'approche de la fin de mon exposé,il me semble

nécessairede revenir sur la questiondes effectivités.Etat demandeur est naturellement librede

déciderde sastratégieet de sa tactique. Mais cetteprérogativeestsoumiseàcertaines contraintes,

notammentledevoir d'aider laCour.

125. Le Cameroun, en la personne de son conseil, a purement et simplement refusé

d'examiner lespreuves des effectivités. Or, cellesi nt éjugéesnon négligeables.Elles sontle

fmit dutravailconsidérabledeplusieursfonctionnairesnigérians,tels queM. AlhajiDahim Bobbo,

directeur générale la commissionnationale desfrontièresdu Nigéria, etMme NellaAndem-Ewa,

Attorney-General de 17Etatde Cross River. Le Gouvernement nigériana reçu l'assistance d'un

cabinet d'avocats londoniende renom, D. J. Freeman, qui, rompu aux questions de délimitation,a

notammentcontribuéau succèsde l'une desparties à la dernièreaffaire de délimitationde frontière

àlaquelleila participé.

126.L'application aveclaquelleleNigérias'estattaché àaider la Cour en luifournissantdes

éléments de preuve a aboutià des résultatséloquents. Or, quelle a éla réactiondu Cameroun ?

Celle-ci s'estmanifestée soustrois formes différentes, ettout d'abord par un rejet désobligeantet

une désinvolture parfaitement orsde propos.

127.Sadeuxièmeréaction aété d'invoqued res excusesd'ordre techniquepourne pas traiter

des effectivités: Ainsi, lorsdu premiertour, M.Mendelson a fait valoir que dans la mesure où le

Cameroun exerçait sa souveraineté sur la basedu principe de l'uti possidetisjuris, les effectivitésne pouvaientjouer qu'un rôle de confirmation(CR2002/4, p. 35, par. 1). Les deux choses n'ont

rien à voir, car l'uti possidetis n'empêche paleNigéria d'invoquerle changement légitime.Au

cours de la même interventiond , 'autres excusesont étéproduites, tellesque le curieux argument L

selon lequel les effectivités ne rempliraientpas les conditions requises encas de prescription, &

notionque leNigérian'ajamais invoquée.

128.En outre, Monsieur le président,si le Cameroun sefonde sur l'utipossidetis ou sur le

traitéde 1913,pourquoi n'invoquerait-ilpas lespreuves d'effectivitésen tant que confirmationdu

titre? Il s'agirait là d'une démarchelogique. Pourquoine l'a-t-il pas fai? Est-ce parce que les

preuvesdeseffectivitésrequises n'étaienttout simplementpasdisponibles ?

129.Satroisièmeréactiona consisté à ignorerles preuvesdes effectivités.Lespreuvesde la

présencenigérianeont été passées soussilence dansla répliquedu Cameroun, puis à nouveaulors

du premier tour de plaidoiries,et enfin par M.Mendelsonlorsdu secondtour. Je rappellerai à la

Cource qu'ila déclarélorsdu premiertour :

«Car il se trouve que, dans sa duplique, le Nigéria persiste à ignorer les
objectionsjuridiques bien réellesque le Camerounoppose à son approcheet s'obstine
à multiplier les exemples d'effectivitésnigérianespour tenter de démontrerqu'il
exerce la souverainetésur la presqu'îlede Bakassi en raison de ce qu'il prétend être
une «consolidationhistoriquedu titre)). C'est pourquoije vais vous démontrer quele

Nigéria cherche à situer ses effectivités (et cellesdu Cameroun) dans un cadre
juridique aussi tendancieux que trompeur, et qu'en outre, les faits sur lesquels il
s'appuie n'ontpas l'importance qu'ilvoudraitleur donner. La fiabilitéd'unepartie au
moinsdes éléments de preuve apportéspar leNigéria estégalementdiscutable,mais il
est inutilede s'attardersur cepoint, mêmesinous enavions letemps.»

Aquoi il a ajoutéunpeu plustard :

((Enfin, nous estimons que ces effectivités camerounaises sont plus que
suffisantespour démentirles affirmationsdenos adversaireslorsqu'ils prétendent que
le Cameroun a acquiescé à l'exercice de l'autorité souverainepar le Nigéria. Je ne

reviendrai pas en détail,dans le court délaiqui m'est imparti, sur les éléments
prouvant les effectivitéscamerounaises :onen trouve de nombreux exemplesdans le
mémoire,et plus encoredans laréplique.))(CR2002/4,p. 36, par.2.)

Nous disposionspourtant de davantagede tempslorsdu secondtour. Maisle Camerounn'a pasdit

grandchose. 130.Toutes les référencesà des points de détailsontànouveau été évitées.Le Nigériaa

présentéune critique détailléedes preuves camerounaises lors du premier tour (CR 200219).

M. Mendelson a-t-il trouvé letemps de traiter ces détailslors du second?toMalheureusement

non. Aucune analyse des éléments de preuve n'a donc été entreprisni au premier, ni au second

tour(CR200211 6, p. 45-51).

La prééminence des preuves dela souveraineté nigériane fondée sur la consolidation
historiquedu titre

131.Monsieur le président,j'aborde lepointde mon argumentationrelatif aux éléments de

preuve de la présencenigériane àBakassi depuis l'indépendance.Je rappelleraiàla Cour, si vous

me le permettez, quels sont les élémentsconstitutifsdu processus de consolidation historiquedu

titre en cequiconcerne lapresqu'îledeBakassi :

i) Letitre origineldes cités-Etatsdu Vieux-Calabar.

ii) Lecomportementet les attaches ethniquesde la populationde lapresqu'îlede Bakassi.

iii) Lesnoms efiket effiat desvillages depêcheurs de Bakassi.

iv) L'administration deBakassi en tant que partie intégrante du Nigéria pendantaériode

allantde 1913jusqu'à la datede l'indépendance.

v) L'exercice de l'autoritésur les villages et clans de Bakassi par les chefs traditionnels,

établisàCalabar,ou ayant prêtéallégeanceau Nigéria.

5 9 vi) L'administration de la justice par des juridictions de droit coutumier en vertu de la

législationnigériane.

vii) L'établissement dlongue datede ressortissants nigériadans larégion,et,pour finir,

viii) Lesmanifestationsde souverainetéde lapart du Nigériaaprèsl'indépendancen 1960.

132.Le titre origineldesités-Etatsdu Vieux-Calabarn'est pasune composante nécessaire

de la souveraineté maisrevêtun rôle de confirmation.La mêmeobservation est valable pour les

élémentdsepreuve relatifsàla périodeallant de 1913jusqu'à ladate de l'indépendance.

133. Le Cameroun n'a pas contestéles preuves produites par le Nigériapour étayer les

différents élémentpsrésentés ci-dessus.Les preuves des effectivitésn'ont pas étévalablement

remises en question et le Cameroun ne gagnera rien à prétendreque ces preuves doivent être laisséesde côté simplement parce qu'inl e daignepas reconnaître le statutjuridique du titre fondé

sur laconsolidation historique. En écartantle fondement mêmede la revendicationnigériane,le

Camerouna choiside prendreun risquerhétorique. 1

134.S'agissantdes effectivitésl,es plaidoiries du Cameroun révèlent néalitéune évolution
I'
radicale de sa démarchejuridique. Dans le mémoire, mais égalementdans la réplique, le

Gouvernementdu Camerounreconnaissaitla valeurjuridique des effectivités.Toutefois, à la suite

de la parution de la duplique nigériane,sa politique s'est quelque peu infléchie. C'est ainsique,

durant les plaidoiries, le conseil du Cameroun a soutenu, en un langage assez obscur, que, pour

diverses raisons,les preuvesdes effectivitésnigérianes étaiendténuédepertinencejuridique.

135. Dans l'ensemble, les élémentsde preuve font apparaître une prédominance de

l'administration nigériane dans la région et témoignent des attaches ethniques et sociales

entretenues avec le continent nigérianainsi que de l'existence, aprèsl'indépendance,d'un statu

quo administratif et social nigérian quele Cameroun a finalement tentéd'ébranlerpar différents

moyens,y compris le recours à la force.

136. Monsieur le président,il faut le souligne:les éléments militant en faveurdes thèses

nigérianesl'emportent,et leCamerouna échoué dans sa tentativede remettreen question la valeur

juridique des différentescatégoriesdepreuves.

137. Il est remarquable que le Cameroun invoque des éléments depreuve qui sont non

seulement problématiques parnature,mais également accessoires. On ne peut qu'en conclure,à la

lumière des élémentsde preuve qui l'emportent, à la validation du titre par consolidation

historique.

138. Monsieur le président, à supposer que, pour les besoins de la démonstration,les

questionssur lesquellesleCamerouninsiste pesamment,telles que la déclaration deMaroua ou les

éléments de preuve cartographiques,soient pour leur part tranchéesau profit du Cameroun, les

6 0 éléments depreuve essentiels demeureraient toujours favorables au titre nigérian. Il serait

parfaitementillogique d'éluderles principaux éléments de preuve pour s'eremettreàdes moyens

tantaccessoiresque, pour cequi estde la déclarationde Maroua,problématiquesd'unpoint de vue

juridique.Conclusions

139. En conclusion, le Nigériaestime détenirle titre sur Bakassi au motif qu'il y a eu

consolidation historique depuisson indépendanceet ce, que l'on admette que le traitéde 1913n'a

pas étémis en Œuvreou, à l'inverse,que l'onadmettequ'il a été appliqué mas odifiépar la voie

légaleque constituele processusde consolidationhistorique du titre. Monsieur le président,voilà

qui conclut mon exposéde cematin. Je voudraisvous remercierune fois encore pour la patience

dontvous-même et vos collèguesavezfait preuve.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur Brownlie. Ceci met un terme effectivemenà

la séancede ce matin. La Cour reprendra ses travaux cet après-midi15 heures. La séanceest

levée.

L'audienceestlevéeà 13heures.

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