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090-20030225-ORA-01-01-BI
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CR 2003/11 (traduction)
CR 2003/11 (translation)
mardi 25 février 2003 à 10 heures
Tuesday 25 February 2003 at 10 a.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez prendre place. L’audience est ouverte et j’appelle pour
commencer M. Bettauer à la barre.
M. BETTAUER :
12. INTRODUCTION AUX EXPOSÉS JURIDIQUES
12.1. Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour,
jusqu’à présent, les Etats-Unis ont exposé les faits pertinents en l’affaire.
12.2. Nous arrivons au point où nous allons présenter notre analyse juridique de la demande
formulée par l’Iran contre les Etats-Unis et de la demande reconventionnelle, tout aussi importante,
formulée par les Etats-Unis contre l’Iran.
12.3. Nous allons suivre l’ordre suivant : tout d’abord, M. Prosper Weil examinera le
contexte juridique de l’affaire, compte tenu de l’arrêt rendu par la Cour dans la phase de l’instance
portant sur les exceptions préliminaires. Il va dire dans quel cadre se situera le débat.
12.4. M. Mathias prendra la parole après M. Weil ce matin pour montrer que la Cour devrait
rejeter la demande de l’Iran en raison du comportement même de cet Etat en ce qui concerne
l’objet du présent différend. Son argumentation s’articulera autour de trois volets. M. Mathias
montrera tout d’abord que, faute d’avoir respecté l’obligation réciproque lui incombant en vertu du
traité de 1955 à l’égard de la liberté de commerce et de navigation des Etats-Unis, l’Iran ne saurait
obtenir ce qu’il demande au sujet de l’action des Etats-Unis. M. Mathias montrera ensuite que
l’Iran ne saurait l’emporter parce que les mesures prises par les Etats-Unis étaient la conséquence
du comportement illicite de l’Iran lui-même. Enfin, M. Mathias montrera que les préjudices
éventuellement subis par l’Iran ont été provoqués par son propre comportement illicite
général ¾ par exemple, le fait qu’il a illégalement mouillé des mines et mené des attaques au
missile.
12.5. M. Murphy commencera ensuite à exposer comment les Etats-Unis analysent le
paragraphe 1 de l’article X du traité. Il montrera que les mesures prises par les Etats-Unis contre
les plates-formes ne contrevenaient pas à l’article X, et ce pour deux raisons. Premièrement,
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aucune activité relevant de la «liberté de commerce» au sens du traité n’avait en fait lieu sur les
plates-formes. Deuxièmement, aucune activité commerciale «entre les territoires des deux Hautes
Parties contractantes» n’a en fait été perturbée par les mesures américaines.
12.6. Je reviendrai à la barre après l’intervention de M. Murphy pour démontrer qu’il n’y a
pas eu violation de l’article X pour deux autres raisons. Je montrerai que, même si les mesures
prises par les Etats-Unis ont peut-être eu certains effets lointains, secondaires, de tels effets subis
par le commerce iranien ne suffiraient pas à fonder une violation du traité. J’expliquerai ensuite
que l’utilisation par l’Iran des plates-formes à l’appui de ses activités militaires offensives empêche
de conclure à la violation, sous l’effet des mesures des Etats-Unis contre lesdites plates-formes, de
la disposition relative à la «liberté de commerce» énoncée au paragraphe 1 de l’article X.
12.7. Demain matin, nous examinerons l’article XX du traité. M. Weil présentera une
analyse exhaustive du sens à donner à cet article XX.
12.8. M. Matheson montrera ensuite que, en vertu de l’article XX, les mesures prises par les
Etats-Unis sont parfaitement compatibles avec les dispositions du traité et qu’elles n’ont pas, en
conséquence, violé le traité même si elles pouvaient par ailleurs contrevenir peut-être à l’article X,
ce qui n’a pas été le cas. M. Matheson montrera également que les mesures prises par les
Etats-Unis relevaient de l’exercice justifié du droit de légitime défense, bien que la Cour n’ait pas à
examiner cette question en l’affaire. M. Matheson clôturera ensuite l’audience du matin.
12.9. Demain après-midi, nous en viendrons à la demande reconventionnelle. M. Murphy
présentera cette demande en examinant les questions de compétence et de recevabilité à la lumière
des arguments présentés par l’Iran dans sa dernière plaidoirie.
12.10. M. Mattler prendra la parole après M. Murphy pour examiner brièvement les faits qui
sont particulièrement pertinents au regard de la demande reconventionnelle, concernant en
particulier la nature des préjudices causés aux intérêts maritimes des Etats-Unis par les attaques
iraniennes contre des navires neutres, notamment américains.
12.11. M. Murphy démontrera ensuite assez en détail en quoi les actes commis par l’Iran ont
enfreint le paragraphe 1 de l’article X du traité.
12.12. M. Taft prendra la parole après M. Murphy pour conclure les plaidoiries des
Etats-Unis dans ce premier tour.
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12.13. Je voudrais signaler encore une chose avant que vous n’appeliez M. Weil à la barre.
C’est un point général qui s’applique à la demande de l’Iran dans tous ses éléments. La charge de
prouver tous les faits nécessaires pour faire valoir sa thèse incombe à l’Iran en sa qualité de
demandeur. Comme la Cour l’a déclaré dans son arrêt sur la compétence et la recevabilité en
l’affaire Nicaragua, «c’est … au plaideur qui cherche à établir un fait qu’incombe la charge de la
preuve» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101).
Il y a tout juste quatre mois, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire de la Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria, la Cour s’est appuyée sur cet élément en le citant
favorablement et a indiqué clairement que «lorsque [la preuve] n’est pas produite, une conclusion
peut être rejetée dans l’arrêt comme insuffisamment démontrée» (Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt,
par. 321, citant l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984,
p. 437, par. 101). Par conséquent, c’est à l’Iran, et à l’Iran seul, de démontrer que les Etats-Unis
ont violé le traité de 1955 en prenant des mesures contraires au paragraphe 1 de l’article X.
12.14. Monsieur le président, voilà qui m’amène à la fin de mon introduction. Je vous prie
de bien vouloir appeler M. Weil à la barre.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Bettauer. Je donne la parole à M. Weil.
Mr. WEIL:
13. THE COURT’S JURISDICTION IN LIGHT OF THE 1996 JUDGMENT ON THE PRELIMINARY
OBJECTION: ARTICLE X, PARAGRAPH 1, OF THE 1955 TREATY
13.1. Mr. President, Members of the Court, in its Judgment of 12 December 1996 on the
Preliminary Objection (I.C.J. Reports 1996 (II), p. 803), the Court took two decisions which define
with the authority of res judicata the framework within which it proposes to rule on Iran’s
Application at the present merits stage:
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¾ First, the Court defined the scope and limits of the jurisdiction conferred on it by Article XXI,
paragraph 2, of the Treaty of Friendship of 1955 between the United States and Iran to rule on
“[a]ny dispute between the High Contracting Parties as to the interpretation or application of
the present Treaty”. The Court decided that it has jurisdiction “to entertain the claims made by
the Islamic Republic of Iran under Article X, paragraph 1, of that Treaty”, which provides:
“Between the territories of the two High Contracting Parties there shall be freedom of
commerce and navigation.”
¾ Secondly, the Court decided that, within the framework of its jurisdiction as thus defined, it
could rule on the “defence on the merits to be used [by the United States] should the occasion
arise” (“defence on the merits”, “should the occasion arise”; these are the terms it uses) on the
basis of Article XX, paragraph 1 (d), of this same 1955 Treaty, which provides: “Le présent
traité ne fera pas obstacle à l’application de mesures . . . nécessaires . . . à la protection des
intérêts vitaux [des Hautes Parties contractantes] sur le plan de la sécurité.” I would
immediately observe that this French translation, used by the Court, of the authentic English
version of the 1955 Treaty is not strictly correct. The English text, which is the authoritative
one, reads as follows: “The present Treaty shall not preclude the application of measures . . .
necessary to protect its [a High Contracting Party’s] essential security interests.” Essential
security interests, “intérêts ‘essentiels’”, is clearly not synonymous with “intérêts ‘vitaux’”
[“vital” interests]: “vital” interests are interests which raise a problem of life or death, “to be or
not to be”; “essential” interests are interests of particular importance, but which do not
necessarily raise issues of life and death ¾ issues of being or not being. In the Persian
language version of the 1955 Treaty, which is equally authentic, I am told that the word used,
assasi, corresponds to the English word “essential”, whereas “vital” would have been rendered
as “hiati”. It is interesting to note in this regard that the Establishment Convention of 1955,
between the United States and France, whose English and French texts are equally authentic,
speaks in English of “essential security interests” and in French of “intérêts essentiels en
matière de sécurité”. On the basis of this precedent and with reference to Article 33 of the
Vienna Convention on the Law of Treaties, I shall permit myself in my speech to use the
expression “essential” interests in preference to the manifestly less correct “vital” interests.
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13.2. Mr. President, the mission which the Court has taken upon itself on the basis of the
jurisdiction clause provided for in Article XXI of the 1955 Treaty thus hinges on two key elements:
on the one hand, paragraph 1 of Article X of the Treaty (which, for the sake of convenience, I will
simply call “Article X”), which lays down the principle of freedom of commerce and freedom of
navigation, and, on the other hand, paragraph 1 (d) of Article XX (which, for the sake of
convenience, I will simply call “Article XX”), which provides that the Treaty shall not preclude
measures necessary for the protection of either party’s essential security interests.
13.3. The United States Government has done me the honour of entrusting me with the task
of arguing the legal aspects of its position on these two issues. I wish to thank it for the trust which
it has placed in me and to assure it, as well as the Court, that I am fully aware of the burden of
responsibility which I bear accordingly.
13.4. As Mr. Bettauer told us just now, my presentation will be in two parts.
¾ This morning I propose to define the parameters of the jurisdiction which the Court held itself
to have in light of Article X of the 1955 Treaty, which lays down the principle of freedom of
commerce and navigation between the territories of the United States and Iran. It was on the
basis of this provision alone, I would remind you, that the Court held itself to have jurisdiction
in its 1996 Judgment to rule upon the actions of which the United States stands accused.
¾ Tomorrow I shall address the “defence on the merits” available to the United States under
Article XX of the Treaty, that is to say, the measures which, according to the terms of that
provision, “the Treaty shall not preclude”, namely measures necessary to protect the essential
security interests of the Party having taken them. After that, Mr. Matheson will show that the
measures of which the United States stands accused come within the terms of that provision,
that Article X accordingly did not preclude them and that they were therefore lawful.
We shall thus establish both, negatively, that the actions of which the United States stands accused
did not contravene the principle of freedom of commerce and navigation laid down by Article X of
the 1955 Treaty and, positively, that those actions were rendered lawful by Article XX of that same
Treaty.
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13.5. Mr. President, we hesitated over the order in which the two elements of this problem
should be addressed. Should we begin by showing that the American actions did not infringe
freedom of commerce and navigation under Article X and then show that, even if this had not been
the case, those measures would have been rendered lawful by Article XX because they were
necessary to protect the essential security interests of the United States? Alternatively, should we
begin by asking ourselves whether the American measures were necessary to protect the essential
security interests of the United States, in which case such measures were lawful without it even
being necessary to consider whether they had respected freedom of commerce and navigation?
13.6. To resolve this problem, we turned to the precedent of the Nicaragua case of 1986,
which involved a provision of the Treaty of Friendship between the United States and Nicaragua
identical to that in our Article XX.
13.7. In that Judgment, the Court stated that, in order to find that a provision of the Treaty
had been breached, it had to be “first satisfied” ¾ and I emphasize the word “first” ¾ that the
conduct complained of had not been necessary to protect the essential security interests of the
United States (I.C.J. Reports 1986, p. 136, para. 272); the Court made it clear that the breach by
the United States of the Treaty of Friendship with Nicaragua was “subject to the question whether
the exceptions . . . concerning ‘measures . . . necessary to protect the essential security interests’ of
a party may be invoked to justify the acts complained of” (op. cit., p. 140, para. 280). The Court
thus appeared to imply that priority should be given to the issue of whether the American measures
complained of were “justified” ¾ that is the word which it employed ¾ by the need to protect the
essential security interests of the United States, and that it was only in the event that this question
called for a negative answer that the Court would have had to consider whether those measures had
breached the other obligations incumbent upon the United States under the 1955 Treaty.
13.8. A simple glance at the 1986 Judgment suffices, however, to show that in fact the Court
proceeded in the reverse order: it began by seeking to ascertain whether the United States had been
in breach of the obligations incumbent upon it, adding that it was only ¾ and I cite its own
words ¾ “[i]n so far as acts of the Respondent may appear to constitute violations of the relevant
rules of law [that] the Court will then have to determine whether there are present any
circumstances excluding unlawfulness . . .” (I.C.J. Reports 1986, pp. 117-118, para. 226).
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13.9. Mr. President, in order to follow the approach thus adopted by the Court in the
Nicaragua case, we shall begin by showing that the United States has not infringed the freedom of
commerce and navigation laid down by Article X. We shall then show that the measures of which
the United States stands accused were “justified” by Article XX. If the Court concludes that the
actions of the United States did not violate the principle of freedom of commerce and navigation
under Article X, it need not then consider whether they were rendered lawful on grounds of
protection of essential security interests under Article XX. Conversely, if the Court concludes that
the United States actions were “justified” on grounds of protection of essential security interests
under Article XX, it need not then to consider whether they contravened the principle of freedom
of commerce and navigation under Article X. Whether reached on the first basis or the second, the
result is the same, namely that the United States did not violate the 1955 Treaty and that its
international responsibility is not engaged vis-à-vis Iran. The order in which the Court will decide
in this case to address these two aspects of the question before it ¾ and accordingly the legal basis
on which it will, as we hope, reject Iran’s claim ¾ lies entirely within its discretion.
13.10. Mr. President, Members of the Court, I shall therefore now turn directly to the
question of the legality under the 1955 Treaty of the actions by the United States. It is apparent
from the operative part of the Court’s 1996 Judgment on its jurisdiction in our case, as illuminated
by the Court’s reasoning, that its mission in the current merits phase is circumscribed by
two principles, both laid down in the 1996 Judgment.
13.11. First principle laid down in the 1996 Judgment: The Court’s jurisdiction to consider
the conformity with the 1955 Treaty of the actions of which the United States stands accused
relates to one provision of the Treaty only: Article X concerning freedom of commerce and
navigation. Of the “three very specific provisions” of the Treaty to the violation of which Iran, in
the final version of its pleadings on the preliminary objection, had “strictly” and “alone” confined
its claim ¾ those are Iran’s words, as quoted by the Court (op. cit., p. 809, para. 13) ¾, the Court
decided that only one was capable of founding its jurisdiction: Article X concerning freedom of
commerce and navigation. The operative part of the 1996 Judgment (op. cit., p. 821, para. 55)
leaves no room for doubt on this point. Accordingly, it is in respect of this provision alone that the
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Court is called upon in the present phase of the proceedings to consider the legality of the United
States actions impugned by Iran. Messrs. Murphy and Bettauer will show in a few minutes that the
United States actions did not violate that provision.
13.12. Second principle laid down in the 1996 Judgment: The Court has no jurisdiction to
rule on the conformity of the United States actions with rules of international law external to the
1955 Treaty, such as the rules of general or customary international law in respect of the
prohibition on the use of force except in self-defence which are expressed in the United Nations
Charter. The 1955 Treaty conferred jurisdiction on the Court to ensure respect for ¾ and thus to
punish any violation of ¾ “the rights of one Party under the Treaty” (those are the exact words of
the Court: I.C.J. Reports 1996 (II), p. 811, para. 21) ¾ in the present case the rights of the Parties
under the provision in Article X guaranteeing freedom of commerce and navigation. Did the
United States violate Article X by any means, through force or otherwise? That is the question the
Court is called upon to answer in the present merits phase, as it stated in its Judgment on the
Preliminary Objection (I.C.J. Reports 1996 (II), pp. 811-812, para. 21). The Court is not called
upon to rule on the legality of the means employed in terms of general international law or of the
Charter. In short, was there, or was there not, a violation of freedom of commerce and navigation
under Article X? That is the question. Was there violation by force or by some other means? That
is not the question.
13.13. It is apparent, moreover, from paragraph 13 of the 1996 Judgment on the Preliminary
Objection that Iran had during the hearings expressed its agreement with this interpretation of the
jurisdictional clause in the 1955 Treaty: “[a]s for general international law”, observed the Court,
“this is not invoked by Iran as such . . .” (I.C.J. Reports 1996 (II), p. 809, para. 13).
13.14. As the Court has vigorously affirmed, Mr. President, it is a principle that “the
establishment or otherwise of jurisdiction is not a matter for the parties but for the Court itself”
(Fisheries Jurisdiction (Spain v. Canada), I.C.J. Reports 1998, p. 450, para. 37). In the present
case the views of the two Parties, as those views emerged during the proceedings on the
preliminary objection, and the decisions of the Court, as apparent from the 1996 Judgment on that
objection, are in perfect accord: the Court’s jurisdiction, the Court’s mission, in the present phase
of the proceedings bears on, and bears solely on, the legality of the United States actions under
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Article X of the 1955 Treaty; that jurisdiction does not extend to the legality of the United States
actions under other rules of international law, notably the rules of general international law or the
Charter.
Legality of the acts of a State and jurisdiction of the Court
13.15. Mr. President, on this point I must immediately express a crucial caveat. As the Court
stated in the Fisheries Jurisdiction case between Spain and Canada: “There is a fundamental
distinction between the acceptance by a State of the Court’s jurisdiction and the compatibility of
particular acts with international law” (I.C.J. Reports 1998, p. 456, para. 55). One must not, says
the Court, “confuse the legality of the acts with consent to jurisdiction” (op. cit., p. 465, para. 79).
This principle was recently confirmed by the Court in its Judgment in the case concerning the
Aerial Incident of 10 August 1999 between Pakistan and India (para. 51). The existence of a right
or an obligation is one thing; the Court’s jurisdiction to ascertain whether it has been respected
and to ensure its enforcement is another.
13.16. The International Law Commission drew attention to this distinction between the
existence of a legal rule, a right or an obligation, on the one hand, and its justiciability ¾ that is,
the Court’s jurisdiction to ensure compliance with it and to sanction a violation of it ¾, on the
other, in the Commentary to its Draft Articles on Responsibility of States for Internationally
Wrongful Acts. As the Court will be aware, the Commission adopted those draft articles in
August 2001 and submitted them to the General Assembly (doc. A/56/10). Professor Crawford has
just written a book entitled “The International Law Commission’s Articles on State Responsibility”
(Cambridge University Press, 2002) on the draft articles, in the drafting of which he played a
crucial role as Special Rapporteur of the Commission. As I have just pointed out, the
Commission’s draft takes care to distinguish between substantive rules governing responsibility on
the one hand, and the Court’s jurisdiction on the other. The proposed articles, writes the
Commission, “do not deal with questions of the jurisdiction of courts or tribunals” (introduction to
the Commentary on Chapter V, para. 8; English version, p. 172; see Crawford, op. cit., p. 162).
Of course, it adds, “States parties to the Statute may recognize as compulsory the Court’s
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jurisdiction . . .” (introduction to the Commentary on Part Two, para. 2; English version, p. 212;
see Crawford, op. cit., p. 191), but they are free not to do so and, if they do not, the Court does not
have jurisdiction to entertain a dispute on the subject.
13.17. Mr. President, in our case the Parties did not do so. They did not broaden the Court’s
jurisdiction to any and all disputes which might arise between them. On the contrary, they
expressly limited the jurisdiction of the Court exclusively to disputes as to the application or
interpretation “of the present Treaty”. The one and only basis for jurisdiction of the Court, the one
and only title of jurisdiction of the Court in our case, is paragraph 2 of Article XXI of the Treaty of
15 August 1955, whereby Iran and the United States ascribe jurisdiction to the Court to entertain
“[a]ny dispute between the High Contracting Parties as to the interpretation or application of the
present Treaty . . .” “[A]s to the interpretation or application of the present Treaty” ¾ not as to the
interpretation or application of another treaty, or of a customary rule, or of a general rule of
international law, or of a provision of the United Nations Charter. This limitation is particularly
striking because, as the Court itself has observed, it is not found in some other treaties of
friendship, which expressly refer to sources other than the treaty, to the Charter, for example; there
is nothing of the sort in the Iran-United States Treaty (I.C.J. Reports 1996 (II), p. 813, para. 27).
The jurisdictional clause in the 1955 Treaty does not confer jurisdiction on the Court in
respect of all disputes arising between the Parties
13.18. By way of objection it might be argued that the 1955 Treaty does not stand alone ¾
exist in a vacuum ¾ and must be read in the light of general international law or regarded as
incorporating certain rules of general international law, in particular those set out in the Charter or
in other instruments such as the Declaration of the United Nations General Assembly concerning
Friendly Relations among States. Accordingly, it might perhaps be claimed that the jurisdictional
clause in the 1955 Treaty cannot be read as excluding the Court’s jurisdiction over disputes
concerning the application of general or customary rules governing the use of force and
self-defence.
13.19. Mr. President, if such an argument were to be accepted, however attractive it may
appear, this would deprive of all effect the principle of consensual jurisdiction so often affirmed
and reaffirmed by the Court. By incorporating in a treaty a clause providing for the Court’s
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jurisdiction over disputes as to the interpretation or the application “of the present Treaty”, the
Parties agreed to the Court’s jurisdiction to settle any disputes which specifically related to the
interpretation or application of the provisions of that Treaty; they did not thereby agree to the
Court’s jurisdiction in respect of all disputes relating to the interpretation or application of
customary rules or rules of general international law on the pretext that such rules were to be
regarded as incorporated into their Treaty. Any decision to the contrary would be to deny the
specific nature of the jurisdictional clauses inserted into the final provisions of numerous treaties
concerning limited and well-defined aspects of relations between the parties (for example, treaties
of a technical nature, commercial or investment treaties). When a government wishes to accept the
Court’s jurisdiction over all disputes, or certain categories of disputes, it can make an optional
declaration of compulsory jurisdiction under Article 36, paragraph 2, of the Court’s Statute. It does
not accept so broad a jurisdiction when it concludes a treaty containing a provision that any dispute
as to the interpretation or application of the present Treaty will be referred to the Court. No
government in the world would continue to agree to the inclusion of such a jurisdictional clause in
a treaty if it feared that this would open the back door for the submission to the Court of all
disputes challenging the conformity of its acts and actions vis-à-vis the entire body of general and
customary rules of international law.
13.20. Such an approach, Mr. President, was moreover previously rejected by the Court in
the Nicaragua case, where, in regard to an identical jurisdiction clause to that of our Treaty, it held
that its jurisdiction could only be accepted over Nicaragua’s claims “in so far as they imply
violations of provisions of this Treaty” (I.C.J. Reports 1984, p. 441, para. 111; similarly, p. 429,
para. 83; emphasis added). The Court again condemned such a position in the present case when,
in its 1996 Judgment on the Preliminary Objection, it dismissed the Iranian argument that the
provision in Article I of the 1955 Treaty that: “there shall be firm and enduring peace and sincere
friendship between the United States . . . and Iran” had the effect of “incorporating” into the Treaty
the provisions of the United Nations Charter and of customary law governing the use of force,
together with General Assembly resolution 2625 (XXV) concerning friendly relations among
States: “Article I [reads the 1996 Judgment] cannot be interpreted as incorporating into the Treaty
all of the provisions of international law concerning [friendly] relations” (I.C.J. Reports 1996,
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p. 814, para. 28). Just as the rules of general international law concerning peaceful and friendly
relations between States have not been “incorporated” into the Treaty and have thus not acquired
the status of conventional provisions, so, the rules of general international law governing the use of
force and self-defence have likewise not been “incorporated” into the Treaty and do not therefore
have the status of conventional provisions. As Professor Crawford expressly acknowledged a few
days ago, in its 1996 Judgment the Court rejected the argument that Article I of the 1955 Treaty
“incorporated by reference into the Treaty the whole of general international law” (CR 2000/5,
p. 33, para. 11).
13.21. Mr. President, in its written pleadings Iran criticized the United States for thus
arguing that it enjoyed a discretionary power to use force against Iran ¾ embodying an
unqualified, extra-legal discretion to use force on whatever occasion ¾ enabling it to escape the
rules of the Charter ¾ evading the Charter entirely (Reply of Iran, pp. 162-164, paras. 7.71-7.74).
Professor Crawford has addressed this theme at some length, accusing the United States of relying
on Article XX of the Treaty in order to claim a broader right to use force, a licence to flout the
Treaty of Amity and the Charter at the same time (CR 2003/7, p. 51, para. 5) and a subjective
discretion to use military force against the territory of the other party (op. cit., p. 55, para. 13;
cf. CR 2003/8, p. 16, para. 30).
13.22. This, we would emphasize, represents a total travesty ¾ a complete distortion ¾ of
the United States position. There must be no misunderstanding here. The United States is not
arguing that the 1955 Treaty gave it carte blanche to violate, to the detriment of Iran, the rules
governing the use of force and self-defence or any other rule of general or customary international
law. The United States is not claiming that the 1955 Treaty dispensed it from compliance with the
rules of general international law or of the Charter, such as the rules governing the use of force and
self-defence. With regard to those rules of general international law, the United States committed
no such violation. What the United States does contend is that, even if it had violated those
rules ¾ which, I repeat, is not the case ¾ the Court would not, on that ground alone, have
jurisdiction to entertain Iran’s Application, because the violation of a rule of international law does
not per se confer jurisdiction on the Court. That distinction between the substance of the law and
jurisdiction, as I recalled a moment ago, was addressed by the Court with particular emphasis in the
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case concerning Fisheries Jurisdiction (Spain v. Canada) and it was more recently confirmed in
the case concerning the Aerial Incident of 10 August 1999 (Pakistan v. India). And it is not simply
because a matter is said to be important ¾ and what could be more important than the use of force
and self-defence? ¾ that the Court, on that ground alone, would have jurisdiction to entertain such
a matter. This was stated by the Court in the case concerning East Timor, where it held that the
importance of the questions raised and the rules of international law brought into play do not by
themselves confer jurisdiction (I.C.J. Reports 1995, p. 105, para. 36). As a Member of the Court
recently observed, in regard to a reservation in a declaration of jurisdiction, “the dispute is
precluded from the jurisdiction of the Court, whatever the scope of the rules which have
purportedly been violated” (Fisheries Jurisdiction (Spain v. Canada), I.C.J. Reports 1998, separate
opinion of Judge Koroma, p. 487, para. 4).
13.23. Mr. President, the situation could not be clearer. The parties to the 1955 Treaty
conferred jurisdiction on the Court to entertain disputes as to the interpretation or application of the
1955 Treaty; the parties did not agree that the Court should be seised of any dispute that might
arise between them as to the interpretation or application of any rule of international, customary or
treaty law, whether specific or general, and regardless of its significance. Paragraph 1 of Article X
of the Treaty is not a general clause of acceptance of the Court’s jurisdiction; it is not another
Article 36. The Court has jurisdiction to establish whether there has been any violation of a norm
embodied in the “present Treaty” ¾ in this case, whether there was any violation of the principles
of freedom of commerce and of navigation as contemplated by its Article X: all violations of that
obligation, regardless of the means used, the Court decided ¾ whether it be an administrative or
legislative decision or the use of force ¾, but those violations alone. If one of the parties violates
the “present Treaty”, whether by force or by any other means, the Court is here to condemn such a
breach: that is its jurisdiction and that is its judicial mission. But the Court would then be
condemning the violation of a rule of the “present Treaty” and not the violation of the rule of
general international law prohibiting the use of force. The standards against which the actions of
the United States must be considered in the present case are the rules of the “present Treaty” ¾
more specifically, the principles of freedom of commerce and of navigation ¾ rather than
customary or general international law.
- 15 -
13.24. Mr. President, there can be no universality. To call upon international justice to do
more than it can and must do does not contribute to peaceful, orderly relations between States; the
Court can and must do only what States agree to ask it to do. As heretofore, the fundamental
principle of international justice remains consensual jurisdiction. The Court will not allow the
growing trust placed in it by States for some years now to be jeopardized by claims of the kind
before it today. If the Court were to move towards a species of universal jurisdiction, States would
hesitate to confer upon it any jurisdiction whatever. Rather than greater jurisdiction and an
enhanced role for the Court, the result would be less jurisdiction.
The limits of the Court’s jurisdiction have finally been accepted by Iran
13.25. Mr. President, Iran eventually accepted all this at the very end of its written pleadings,
following countless hesitations and tergiversations. It may perhaps be helpful briefly to retrace the
steps in this long road towards recognition of what, ultimately, is no more than legally self-evident.
13.26. In its 1992 Application instituting proceedings, Iran asked the Court to adjudge and
declare that, by virtue of its operations against the Iranian oil platforms, the United States
“breached its obligations to the Islamic Republic, inter alia, under Articles I and X (1) of the
Treaty of Amity and international law . . .” (emphasis added). Submissions of a similar kind, but
broadened to cover two other provisions of the Treaty, brought the Memorial of Iran, filed in 1993,
to a close.
13.27. It was while preparing its Observations and Submissions in 1994 that Iran appeared to
have understood that its Application to the Court for a ruling on the compatibility of the American
actions with “international law” ¾ international law in toto ¾ conflicted with the explicit terms of
the jurisdictional clause in the Treaty of Amity and was thus doomed to failure. Modifying its
claim and adjusting its aim, Iran then writes that it must be absolutely clear that its claims are for
violations of the Treaty of Amity (p. 2, paras. 3-4). A little further on in the same document, Iran
explains that it is
“perfectly well aware of the strict limits which are imposed upon the Court by the
compromissory clause in Article XXI (2), given that it restricts its jurisdiction to the
settlement of only those disputes . . . which concern ‘the interpretation or application
of the present Treaty’” (Observations and Submissions of Iran, p. 21, para. 2.02).
- 16 -
Mr. President, these are not my words, but Iran’s, and in writing. And, as Iran explains in that
document, it is solely for breaches of that bilateral Treaty that Iran seeks reparation, for Iran
knows ¾ and clearly spells out ¾ that “questions concerning violations of general international
law and the Charter do not as such fall within the jurisdiction of the Court in the present case,
where the Court may be seized only in connection with the interpretation and application of the
1955 Treaty” (op. cit., p. 22, para. 2.06). In other words ¾ and again, it is Iran which states this, in
writing ¾ “Iran has not asked the Court to judge U.S. conduct on the basis of general international
law and the U.N. Charter” (op. cit., p. 24, para. 2.11).
13.28. In its Judgment of 1996 on the Preliminary Objection, the Court took note of the fact
that Iran had thus ¾ to quote the exact words of the Court ¾ “developed those arguments more
specifically”. The Court noted that Iran “strictly” based its claim on “three very specific provisions
of the . . . Treaty of Amity”. As for general international law, the Court pointed out in that
Judgment, “it is not invoked by Iran as such, but rather ‘in order to identify the content and scope
of the obligations arising from the Treaty’” (I.C.J. Reports 1996 (II), p. 809, para. 13).
13.29. Three years later, in its written Reply of 1999, Iran recognizes that “as the Court has
held, the rules of general international law are not incorporated by reference into the Treaty of
Amity by way of its Article 1” (p. 162, para. 7.71); and Iran states that it now only complains that
the United States “has breached its obligations to Iran under Article X (1) of the Treaty of
Amity . . .”.
13.30. Accordingly, Mr. President, as the Court explained in the 1996 Judgment on the
Preliminary Objection, the sole and only dispute on which it is called upon to rule now is the
dispute “as to the interpretation and application of Article X, paragraph 1, of the Treaty” of 1955
(I.C.J. Reports 1996 (II), p. 820, para. 53). Here is a precise definition by the Court itself,
Mr. President, of the only question the Court, according to its own Judgment of 1996, is called
upon to reply to at this stage in the proceedings: Has the United States, by the actions of which it is
accused by Iran, breached its obligation under Article X, paragraph 1, of the 1955 Treaty to
respect freedom of commerce and freedom of navigation between the territories of the two Parties?
It is the Court’s task, at the present stage in the proceedings, to adjudicate on the legality of the
- 17 -
American actions under Article X of the Treaty of Amity; it is not its task ¾ its task as defined by
the Court itself ¾ to adjudicate on the legality of the American actions under any other rule, of
whatever nature.
13.31. Mr. President, Members of the Court, as I said, Professor Murphy and Mr. Bettauer
will shortly show that the actions of the United States did not infringe the principle of freedom of
commerce set out in Article X of the 1955 Treaty. But, before that, Mr. Mathias is going to show
that, by virtue of its own actions and its own conduct, Iran is in any event disqualified from
alleging a purported breach of this freedom by the United States.
13.32. Thank you, Mr. President, Members of the Court. May I ask you, Mr. President, to
give the floor now to Mr. Mathias.
Le PRESIDENT : Merci Monsieur le Professeur. Je donne maintenant la parole à
M. Mathias.
M. MATHIAS :
14. LA DEMANDE DE L’IRAN DOIT ETRE REJETEE PARCE QUE L’IRAN A VIOLE SES
OBLIGATIONS RECIPROQUES, PARCE QUE LES MESURES PRISES PAR LES
ETATS-UNIS ETAIENT LA CONSEQUENCE DE SES PROPRES ACTES
ILLICITES ET PARCE QUE L’IRAN A EU UN COMPORTEMENT
ILLICITE A L’EGARD DE CE QUI CONSTITUE
LE FOND DU LITIGE
14.1. Merci, Monsieur le président.
14.2. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il m’incombe ce matin de
démontrer que les violations fondamentales par l’Iran du traité de 1955 et ses autres actions illicites
qui ont causé un préjudice aux Etats-Unis ont des conséquences juridiques à l’égard de la
possibilité pour l’Iran d’invoquer le traité de 1955 et de soutenir sa prétention à l’encontre des
Etats-Unis devant la Cour.
14.3. Dans leur duplique, les Etats-Unis ont identifié trois principes liés à la conduite de
l’Iran qui devraient amener la Cour à rejeter la prétention de l’Iran : premièrement, l’Iran a violé
des obligations identiques à celles sur lesquelles il fonde sa requête; deuxièmement, les actes des
Etats-Unis dont il se plaint sont la conséquence de la conduite illicite de l’Iran lui-même; et
- 18 -
troisièmement, l’Iran s’est mal comporté à l’égard de ce qui constitue le fond du litige (duplique,
p. 57-67). Le conseil de l’Iran a tenté la semaine dernière d’écarter ces arguments d’un bloc sous la
rubrique générale des «mains propres» (CR 2003/8, p. 24-40). Je les reprendrai cependant un à un.
14.4. Commençons par le premier : la violation par l’Iran des obligations mêmes que les
Etats-Unis auraient, selon lui, violées. Rejeter la prétention de l’Iran à ce chapitre constituerait une
application du principe juridique fondamental et bien établi de la réciprocité. Pour dire les choses
brièvement, étant donné qu’il a lui-même violé l’article X du traité de 1955, l’Iran ne saurait avoir
gain de cause lorsqu’il prétend que les Etats-Unis ont violé l’obligation réciproque.
14.5. La réciprocité est un principe cardinal du droit international. Avant d’être nommé à la
Cour ce mois-ci, le juge Simma a écrit au sujet de la réciprocité ce qui suit :
«C’est sur les traités … que la réciprocité produit ses plus profonds effets. D’un
point de vue purement formel, la réciprocité régit tout accord international,
indépendamment de son contenu, et sous-tend en conséquence les règles concernant la
conclusion et l’entrée en vigueur des traités, de même que leur application, leur
extinction, leur amendement et leur modification.» (B. Simma, «Reciprocity»,
Encyclopedia of Public International Law, sous la direction de E. Bernhardt, 2000,
vol. IV, p. 30.) [Traduction du Greffe.]
M. Simma écrit que «la réciprocité en tant que principe de droit international» doit s’appliquer
«par-dessus tout à la maxime en vertu de laquelle un Etat qui fonde une prétention sur une norme
donnée du droit international doit accepter d’être lui-même lié par cette règle» (ibid.).
14.6. Les conséquences juridiques de la violation d’une obligation réciproque sont
clairement établies. Lord McNair affirme, à propos de la réciprocité ¾ qu’il considère comme
«l’une des plus importantes … sanctions prévues par le droit international» ¾ qu’«aucun Etat ne
peut prétendre, de la part des autres Etats, en tant qu’obligation contraignante, à une conduite qu’il
n’est pas prêt à considérer comme contraignante pour lui-même» (A.D. McNair, The Law of
Treaties, 1961, p. 573, no
2) [traduction du Greffe]. Sir Gerald Fitzmaurice, qui a examiné la
question de la réciprocité en profondeur dans son quatrième rapport sur le droit des traités, plaide
dans le même sens lorsqu’il affirme qu’«il existe en droit international une règle générale de la
réciprocité en conséquence de laquelle un Etat qui ne s’acquitte pas à un certain égard de ses
obligations internationales … perd à tout le moins le droit d’objecter à l’inexécution par autrui de
- 19 -
l’obligation correspondante» (Annuaire de la Commission du droit international,
A/CN.4/Ser.A/1959/Add.1, 1959, vol. II, p. 70; les italiques sont dans l’original).
14.7. La Cour a appliqué une proposition semblable dans son avis consultatif de 1971 en
l’affaire Namibie, lorsqu’elle a dit, en des termes clairs et non équivoques : «l’un des principes
fondamentaux régissant le rapport ainsi établi sur le plan international est qu’une partie qui renie ou
ne remplit pas ses propres obligations ne saurait être considérée comme conservant les droits
qu’elle prétend tirer de ce rapport» (C.I.J. Recueil 1971, p. 46, par. 91). Dans cette affaire, bien
entendu, le rapport en cause n’était pas celui d’obligations conventionnelles réciproques. Mais
comme nous venons de le voir, le principe est applicable également dans un rapport de ce genre. Si
un Etat ne se comporte pas conformément à l’obligation conventionnelle réciproque qui lui
incombe, il ne saurait se voir reconnaître des droits à l’égard d’une demande fondée sur le prétendu
comportement non conforme de l’autre Etat.
14.8. Dans le contexte conventionnel, ce principe est tantôt évoqué par l’expression latine
exceptio inadimplenti contractus, tantôt appelé exception d’inexécution. Encore que la Cour n’ait
pas appliqué ce principe en utilisant ces termes, il a été abondamment traité dans des opinions bien
connues et souvent citées de juges de la Cour. La semaine dernière, le conseil de l’Iran a parlé de
l’arrêt de la Cour permanente en l’affaire des Prises d’eau à la Meuse (arrêt,
C.P.J.I. série A/B n
o
70). Dans cette affaire, les Pays-Bas demandaient réparation à la Belgique
pour avoir construit une écluse dans des circonstances où les Pays-Bas avaient eux-mêmes
construit une écluse semblable. La Cour a rejeté la requête en se fondant sur son interprétation du
traité pertinent, comme l’a dit le conseil de l’Iran.
14.9. Le juge Anzilotti rédigea une opinion dissidente parce qu’il avait des vues différentes
sur la manière dont il convenait d’interpréter le traité. Dans le cours de son opinion, il eut
l’occasion d’aborder la conclusion subsidiaire de la Belgique qui était qu’«en effectuant certains
travaux d’art contrairement aux prescriptions du traité, la Partie demanderesse a[vait] perdu le droit
d’invoquer celui-ci contre la Partie défenderesse» (ibid., p. 49). M. Anzilotti aurait accepté la
conclusion subsidiaire de la Belgique et rejeté la prétention des Pays-Bas pour ce motif. En
- 20 -
expliquant cette position, il examina d’abord la question de savoir si «la règle de droit sur laquelle
[la conclusion] se fond[ait était] applicable dans les rapports entre Etats» (ibid., p. 50). Il conclut
que oui, pour les raisons suivantes :
«je n’ai vraiment aucun doute que le principe qui est à la base de cette conclusion
(inadimplenti non est adimplendum) soit si juste, si équitable, si universellement
reconnu qu’il doive être appliqué aussi dans les rapports internationaux. Il s’agit en
tout cas d’un de ces «principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées»
que la Cour applique en vertu de l’article 38 de son Statut.» (Ibid.)
Le juge Hudson, dans son opinion individuelle dans la même affaire, nota que «les règles
bien connues sous le nom de principes d’équité ont depuis longtemps été considérées comme
faisant partie du droit international et, à ce titre, elles ont souvent été appliquées par des tribunaux
internationaux». M. Hudson fit expressément référence dans ce contexte au principe exceptio non
adimplenti contractus (ibid., p. 76-77).
14.10. Le principe est toujours largement reconnu. On lit, dans le récent Dictionnaire de
droit international public, ¾ et je cite ¾ : «l’exception d’inexécution constitue l’expression par
excellence du principe de réciprocité» (Dictionnaire de droit international public, publié sous la
direction de Jean Salmon, 2001, p. 473). Un autre ouvrage récent concède que l’exception «a été
reconnue dans une certaine mesure comme un principe opératoire des décisions judiciaires et
arbitrales internationales» (James Crawford et Simon Olleson, «The Exception of
Non-Performance: Links between the Law of Treaties and the Law of State Responsibility»,
Australian Year Book of International Law, vol. 21, p. 2). Dans son commentaire du projet
d’articles sur la responsabilité des Etats, la Commission du droit international explique qu’elle n’a
pas inclus cette exception parmi les circonstances excluant l’illicéité parce que «l’exception
d’inexécution (exceptio inadimpleti contractus) est surtout perçue comme une caractéristique
particulière de certaines obligations réciproques ou synallagmatiques et non comme une
circonstance excluant l’illicéité» (rapport de la Commission du droit international (2001), A/56/10,
p. 173). La Commission ne conteste pas, dans son commentaire, que l’exception existe ou qu’elle
continue de s’appliquer.
14.11. Il ne saurait faire de doute que les obligations qui sont en cause en l’espèce sont des
obligations réciproques. Dans le préambule du traité de 1955, les parties décident spécifiquement
et expressément de conclure le traité «sur la base de l’égalité réciproque de traitement»; de fait, le
- 21 -
traité est entièrement construit autour de ce principe. Les libertés de commerce et de navigation, en
particulier, se prêtent à une mise en œuvre réciproque de la part des parties, puisqu’elles englobent
nécessairement la conduite adoptée à l’égard des territoires des deux parties.
14.12. Il n’est guère douteux non plus que les actions de l’Iran dans le Golfe ont violé les
obligations mêmes qui sont à la base de sa demande, à savoir celles qui sont prévues au
paragraphe 1 de l’article X du traité. M. Murphy montrera en détail mercredi après-midi, à propos
de la demande reconventionnelle des Etats-Unis, que les attaques de l’Iran contre les navires
américains et autres navires neutres dans le Golfe ont fait obstacle à la «liberté de commerce et de
navigation» «entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes».
14.13. En conséquence, la Cour devrait rejeter la demande de l’Iran. Les deux parties étaient
obligées en vertu du traité de 1955 de s’abstenir d’actions qui entravaient la liberté de commerce et
de navigation entre les territoires des deux parties. Ayant mené des activités qui ont entravé ces
libertés, l’Iran ne saurait se voir adjuger ses conclusions à l’égard d’une prétention fondée sur une
violation alléguée de l’obligation réciproque par les Etats-Unis.
14.14. J’en viens maintenant à la deuxième des trois propositions que j’ai énoncées au
début : l’Iran ne peut obtenir gain de cause parce que les mesures dont il fait grief aux Etats-Unis
étaient la conséquence de sa propre conduite, qui était illicite au regard du traité et pour d’autres
motifs.
14.15. Le fondement de cette proposition en droit international est également bien établi.
Sir Gerald Fitzmaurice l’a énoncé en termes généraux, dans son quatrième rapport sur les traités
déjà évoqué : «la première partie ne peut … légitimement se plaindre si sa propre non-observation
préalable du traité a [la]conséquence» dont il se plaint (Annuaire de la Commission du droit
international, A/CN.4/Ser.A/1959/Add.1, 1959, vol. II, p. 67).
14.16. La Cour s’est penchée sur la question qui s’y rapporte lors de l’affaire relative au
Projet Gabèíkovo-Nagymaros (arrêt, C.I.J. Recueil 1997). Dans cette affaire, la Cour, citant la
décision de la Cour permanente de justice en l’affaire relative à l’Usine de Chorzów (compétence,
arrêt no
8, 1927, C.P.J.I. série A n
o
9), a jugé que la Hongrie ne pouvait mettre fin au traité
de 1977, malgré la décision de la Tchécoslovaquie de mettre en service la variante C (ce qui, selon
la Cour, constituait un fait internationalement illicite). Pourquoi la Hongrie ne pouvait-elle mettre
- 22 -
fin au traité ? Parce que la Hongrie elle-même s’était comportée de manière illicite en suspendant
et abandonnant les travaux avant la violation commise par la Tchécoslovaquie. La Cour a dit
qu’elle «ne saurait perdre de vue que la Tchécoslovaquie a[vait] commis l’acte internationalement
illicite consistant à mettre en service la variante C, à la suite du comportement illicite préalable de
la Hongrie elle-même…» (par. 110). Comme le fit remarquer le juge Koroma dans son opinion
individuelle, «[c]’est cette violation initiale» commise par la Hongrie en suspendant et abandonnant
les travaux, «qui a déclenché toute la chaîne de ces événements» (p. 151).
14.17. La Cour a conclu que le comportement illicite préalable de la Hongrie avait pour
conséquence juridique de réduire les moyens de droit dont cette dernière pouvait se prévaloir pour
réagir à l’infraction ultérieure de la Tchécoslovaquie. Plus précisément, la Cour a jugé que «la
Hongrie, par son comportement, avait porté atteinte à son droit de mettre fin au traité» (par. 110;
les italiques sont de nous). Dès lors, la Hongrie ne pouvait invoquer l’infraction de la
Tchécoslovaquie pour dénoncer le traité.
14.18. En liant cette conséquence juridique à la violation préalablement commise par la
Hongrie, la Cour a établi de façon claire que l’application de l’affaire relative à l’Usine de Chorzów
ne se limite pas, comme le conseil de l’Iran l’a laissé entendre la semaine dernière (CR 2003/8,
p. 36, par. 33), au cas où la conduite de l’Etat A empêche précisément l’Etat B de remplir
l’obligation qui lui incombe. La Cour a plutôt jugé que le principe a une application plus large, à
savoir, pour reprendre les termes utilisés par M. Koroma, que la conduite de l’Etat A «déclenche»
la conduite ultérieure de l’Etat B. Autrement dit, si nous devions tenter de paraphraser la décision
de la Cour permanente en l’affaire relative à l’Usine de Chorzów à la lumière de votre décision
ultérieure dans Gabèikovo, «une partie ne saurait opposer à l’autre le fait de ne pas avoir rempli une
obligation … si la première a «déclenché» la violation de cette obligation».
14.19. Il ressort clairement du dossier que les actions de l’Iran ont déclenché les mesures
prises par les Etats-Unis contre les plates-formes, mesures qui sont à la base de la demande de
l’Iran. Les actions de l’Iran, qui constituaient elles-mêmes des violations du traité et étaient
illicites pour d’autres motifs, ont amené les Etats-Unis aux actions qui, selon l’Iran, violaient
l’article X. Pour être plus précis, si l’Iran n’avait pas violé ses propres obligations, les Etats-Unis
n’auraient pas pris ces mesures. Dans ces circonstances, la Cour devrait lier des conséquences
- 23 -
juridiques à la violation de ses obligations par l’Iran, tout comme elle a lié des conséquences
juridiques à la violation commise par la Hongrie dans l’affaire GabËikovo. Dans la présente
espèce, la conséquence juridique appropriée, comme dans l’affaire relative à l’Usine de Chorzów,
est que l’Iran «ne saurait opposer» aux Etats-Unis la prétendue violation de l’article X.
14.20. J’arrive maintenant à la dernière et à la plus générale des trois propositions connexes
que j’ai énoncées au seuil de ma plaidoirie : l’Iran ne saurait obtenir gain de cause parce qu’il s’est
mal conduit à l’égard de ce qui fait le fond du litige. Essentiellement, cela revient à dire que le
comportement manifestement illicite de l’Iran est au cœur même de sa demande. A cet égard, nous
sommes face non seulement aux violations par l’Iran de ses obligations aux termes de l’article X du
traité de 1955, mais aussi à ses violations patentes et continues du droit régissant la guerre et le
recours à la force. L’Iran s’étant comporté de manière illicite en attaquant les navires américains et
autres navires neutres dans les eaux internationales du Golfe et le préjudice dont il demande
réparation étant intrinsèquement lié à son propre comportement illicite et en étant même la
conséquence, l’Iran ne saurait se voir reconnaître un droit à réparation en l’espèce.
14.21. Rappelons que de hauts responsables iraniens ont reconnu que les attaques de l’Iran
étaient incompatibles avec ses obligations internationales. Le dossier de l’affaire établit que le
vice-ministre des affaires étrangères de l’Iran a reconnu que l’Iran violait sciemment le droit
international, lors d’une rencontre avec l’ambassadeur de la Norvège, venu protester contre la
conduite de l’Iran sur instruction de son gouvernement (pièce 198). Le dossier montre aussi de
façon concluante que l’Iran a miné des voies de navigation internationales dans le Golfe, en
contravention flagrante de ses obligations internationales en vertu du droit des conflits armés et des
considérations élémentaires d’humanité (voir par exemple Détroit de Corfou, fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 22, et Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 112, par. 215) et que
l’Iran a également à d’autres occasions employé illicitement la force et violé le droit des conflits
armés.
14.22. Rappelons encore que ce ne sont pas seulement les Etats-Unis qui ont condamné la
conduite illicite de l’Iran. Le Conseil de sécurité des Nations Unies l’a fait. La Ligue des Etats
arabes l’a fait. Les représentants de nombreux autres Etats l’ont fait.
- 24 -
14.23. Dans ces circonstances, l’affaire produirait vraiment, comme l’a dit M. Taft la
semaine dernière, un «effet pervers» si la Cour devait faire droit à la prétention de l’Iran contre les
Etats-Unis (CR 2003/9, p. 10, par. 1.3).
14.24. Selon M. Bin Cheng, le principe selon lequel «un acte illicite ne peut servir de base à
une action en droit», est une manifestation du principe qui veut que «personne ne saurait tirer parti
de son propre tort» (Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and
Tribunals, Grotius, 1987, p. 155). On peut considérer ces principes comme des aspects de la
doctrine générale des «mains propres», sur laquelle le conseil de l’Iran a été si prolixe la semaine
dernière (CR 2003/8, p. 24-40). Comme il l’a noté, cette doctrine est aussi liée à la «bonne foi»
(ibid., par. 3); dans l’affaire qui nous occupe, le défaut de bonne foi dans le comportement de l’Iran
peut aisément être relié à l’application par lui du traité de 1955 et n’est pas présenté comme une
source autonome d’obligation, comme le conseil de l’Iran l’a laissé entendre (CR 2003/8, p. 25,
par. 3).
14.25. L’Iran concède que la doctrine des «mains propres» a été appliquée dans des affaires
où les prétentions formulées par des gouvernements au nom de leurs nationaux ont été rejetées
parce que ces prétentions découlaient d’activités illicites de ces nationaux ou y étaient étroitement
liées (réplique, p. 179). Le conseil de l’Iran soutient que la doctrine est limitée à ce domaine de la
protection diplomatique (CR 2003/8, p. 26-28, par. 6-10), mais la base théorique de cette
affirmation n’est pas claire. L’obligation connexe d’appliquer les traités «de bonne foi» ne se
limite pas à un seul domaine du droit international.
14.26. Le conseil de l’Iran renvoie également à l’examen qu’a fait la Commission du droit
international de l’opportunité de faire état de la doctrine dans son projet d’articles sur la
responsabilité des Etats et à la décision qu’elle a prise de ne pas parler de cette doctrine. Mais la
Commission n’a pas purement et simplement rejeté tous les aspects de la doctrine; sa position a été
plus nuancée. Dans son commentaire, par exemple, elle note que «[l]e principe selon lequel un
Etat ne saurait tirer avantage de son propre fait illicite peut avoir des conséquences dans le domaine
de la responsabilité des Etats, mais il s’agit d’un principe général plutôt que d’une circonstance
particulière excluant l’illicéité» (op. cit., p. 184). Cette phrase de la Commission n’exclut
- 25 -
certainement pas que, dans un cas particulier, le principe puisse «avoir pour conséquence» que
l’Etat commettant le fait illicite se voit débouter pour cette raison. La phrase donne plutôt à penser
que, de l’avis de la Commission, il n’avait pas été établi que le principe avait cet effet général.
14.27. La doctrine des «mains propres» a également été traitée par différents auteurs, et elle
a fréquemment retenu l’attention de juges internationaux, y compris de membres de la Cour, dans
leurs opinions individuelles et dissidentes. A titre d’exemple, le juge Weeramantry, lors des
affaires sur la Licéité de l’emploi de la force, a dit que cette doctrine était un «principe d’équité et
de procédure judiciaire, parfaitement admis dans tous les systèmes de droit, en vertu duquel celui
qui demande son aide à un tribunal doit se présenter devant lui les mains propres» (Licéité de
l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), C.I.J. Recueil 1999, p. 184, opinion dissidente du
vice-président Weeramantry). De même, le juge Ajibola a noté, dans l’affaire relative au
Génocide, que «[un] demandeur [devant le tribunal] doit «avoir les mains propres»» (Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), C.I.J. Recueil 1993, p. 395, opinion individuelle du juge Ajibola). Je constate
qu’aucune de ces affaires ne touchait le domaine spécialisé de la protection diplomatique, auquel le
conseil de l’Iran voudrait confiner l’application de cette doctrine. Et bien entendu, dans l’affaire
GabËikovo, la Cour a fait expressément usage dans son arrêt du principe ex injuria jus non oritur
(par. 133).
14.28. Pour ce qui est de notre troisième proposition, donc, les Etats-Unis pensent que la
demande de l’Iran doit être rejetée eu égard à des principes d’équité et de droit établis, parce
qu’elle découle du comportement manifestement illicite de l’Iran, que ce dernier a lui-même
reconnu.
14.29. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, je résume nos conclusions à ce
stade : le droit international fournit à la Cour, au vu du propre comportement de l’Iran, de ses
violations nombreuses et répétées du traité en cause en l’espèce ainsi que de règles fondamentales
du droit international et de la Charte, les motifs nécessaires pour rejeter la demande de l’Iran. En
particulier, la demande de l’Iran doit être rejetée, premièrement, parce que l’Iran a violé son
obligation réciproque aux termes du traité de 1955, deuxièmement, parce que les actions des
Etats-Unis étaient la conséquence du propre comportement illicite de l’Iran au regard du traité et
- 26 -
d’autres obligations, et troisièmement, parce que la demande de l’Iran découle de ses propres
actions illicites. Comme nous l’avons vu, ces trois propositions sont solidement étayées en droit
international. Le principe fondamental de la réciprocité et l’exception d’inexécution sont les
fondements de la première proposition. Ce sont des principes bien établis du droit international
dont l’application en l’espèce est tout à fait justifiée. La décision de la Cour permanente en
l’affaire relative à l’Usine de Chorzów fournit des arguments clairs et précis en faveur de la
deuxième proposition. Quant à la troisième, les Etats-Unis pensent que la Cour serait fondée à
appliquer les principes de la bonne foi et de l’équité étant donné que la demande de l’Iran ne peut
être dissociée de son propre comportement manifestement illicite dans la présente affaire.
14.30. Qu’il me soit permis, avant de conclure, de souligner trois points importants. En
premier lieu, les mesures de recours à la force qui sont en cause en l’espèce ont été prises par les
Etats-Unis pour riposter à l’emploi illicite et répété de la force par l’Iran. C’est pourquoi la Cour
n’a pas besoin, dans la présente instance, d’évaluer les conséquences d’un fait prétendument illicite
lié à l’usage de la force qui est intervenu en réponse à un fait illicite dans lequel la force n’a pas été
utilisée. Le comportement de l’Iran était un recours illicite à la force et il est tout à fait approprié
que la Cour lui impute les conséquences que les Etats-Unis ont évoquées et qu’elle rejette la
demande de l’Iran.
14.31. En deuxième lieu, il ne saurait être accepté que l’Iran tente de renverser ces
propositions et d’amener la Cour à les opposer aux Etats-Unis. La conduite illicite de l’Iran à
l’encontre des Etats-Unis est antérieure aux mesures américaines sur lesquelles se fonde la
demande de l’Iran et en est la cause directe. Etant donné ces faits, l’Iran ne peut soutenir que la
prétendue violation de l’article X par les Etats-Unis a d’une quelconque manière été l’origine de
ses propres violations. L’Iran ne saurait davantage l’emporter par le moyen plus général des
«mains propres», qui repose soit sur des affirmations erronées à propos de la conduite des
Etats-Unis, consistant notamment à prétendre que les Etats-Unis violent le traité de 1955, soit sur
des allusions à la politique des Etats-Unis (CR 20033/8, p. 38, par. 40).
14.32. Enfin, que la Cour juge en l’espèce que le comportement manifestement illicite de
l’Iran emporte le rejet de sa demande ne reviendrait pas pour elle à poser comme principe général
que tout Etat qui se présente devant elle doit avoir préalablement prouvé la perfection de sa
- 27 -
conduite. Cela confirmerait plutôt qu’il existe des cas, comme celui-ci, où la conduite du requérant
est si gravement illicite à l’égard du fond de l’instance qu’il convient que la Cour écarte sa requête
pour ce motif.
14.33. Dans son opinion individuelle en l’affaire des Prises d’eau à la Meuse, le
juge Hudson s’est arrêté sur cette question. L’affaire sur laquelle il écrivait concernait la prétention
avancée par les Pays-Bas contre la Belgique à propos d’un comportement qui avait aussi été celui
des Pays-Bas, mais son argument est tout aussi applicable à chacun des principes que nous venons
d’examiner. Voici ce qu’écrivait le juge Hudson :
«Le principe général [selon lequel une partie qui, de manière continue,
n’exécute pas [une] obligation, ne devrait pas être autorisée à tirer avantage d’une
non-observation analogue de cette obligation par l’autre partie] est de ceux qu’un
tribunal international doit appliquer avec beaucoup de prudence. On ne saurait
certainement estimer que, pour qu’un Etat pût se présenter devant un tribunal
international afin d’obtenir l’interprétation d’un traité, il faudrait que cet Etat eût
préalablement prouvé qu’il a rempli toutes les obligations assumées par lui en vertu de
ce traité. Et cependant, dans un cas nettement pertinent, et en tenant compte
scrupuleusement des restrictions nécessaires, un tribunal, lié par le droit international,
ne devrait pas reculer devant l’application d’un principe si évidemment juste.» (Ibid.)
14.34. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’affaire dont vous êtes
actuellement saisis est le «cas nettement pertinent» du juge Hudson. Madame et Messieurs, je vous
remercie de votre attention. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre,
après la pause, M. Murphy.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Mathias. L’audience est maintenant suspendue pour
dix minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 35.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne maintenant la parole à M. Murphy.
M. MURPHY :
15. LES ETATS-UNIS N’ONT PAS VIOLE LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE X
PREMIERE PARTIE
Introduction
15.1. Je vous remercie, Monsieur le président. C’est de nouveau un grand honneur pour moi
que de m’adresser à la Cour au nom des Etats-Unis.
- 28 -
15.2. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’objet de mon exposé
d’aujourd’hui est de faire entrer les faits de la présente affaire dans le cadre d’une bonne
interprétation du paragraphe 1 de l’article X. Comme M. Weil l’a expliqué, la Cour ne peut
s’appuyer que sur le paragraphe 1 de l’article X pour examiner le comportement des Etats-Unis en
l’espèce. L’Iran prétend que ce comportement viole l’article X. L’Iran a tort.
15.3. L’Iran a tort pour quatre raisons. Je vais aborder deux d’entre elles, et M. Bettauer
traitera des deux autres. Les deux raisons dont je vais parler sont les suivantes.
15.4. Premièrement, l’Iran n’a pas démontré que les actions menées par les Etats-Unis contre
les plates-formes ont entravé la «liberté de commerce et de navigation» au sens de la définition que
la Cour a donnée de cette formule.
15.5. Deuxièmement, l’Iran n’a pas démontré que les actions menées par les Etats-Unis
contre les plates-formes ont entravé le commerce et la navigation «entre les territoires» de l’Iran et
des Etats-Unis.
A. Les actions menées par les Etats-Unis contre les plates-formes n’ont pas entravé la «liberté
de commerce et de navigation» au sens de la définition que la Cour a donnée de cette
formule
15.6. J’aborde la première raison pour laquelle les affirmations de l’Iran sont dénuées de
fondement, à savoir que les actions menées par les Etats-Unis contre les plates-formes n’ont pas
entravé la «liberté de commerce et de navigation».
15.7. Je commence par le texte du paragraphe 1 de l’article X, qui est projeté à l’écran et qui
figure aussi sous l’onglet no
1 de votre dossier d’audience.
15.8. De toute évidence, comme les plates-formes fixes dont il est question en l’espèce ne
pratiquaient aucune forme de «navigation», l’affirmation de l’Iran n’est pas fondée ¾ et ne saurait
l’être ¾ sur cette partie du paragraphe 1 de l’article X (voir arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 817,
par. 38).
15.9. Or, dans leurs pièces de procédure écrite, les Etats-Unis ont aussi démontré que l’usage
réel qui était fait des ces plates-formes particulières ne relève pas de la «liberté de commerce».
Pour analyser cette question il faut dans tous les cas partir de l’arrêt rendu par la Cour en 1996.
- 29 -
15.10. Qu’est-ce que la Cour a décidé sur cette question en 1996 ? Tout en relevant la
présence du terme «commerce» dans l’article X ¾ qui traite pour le reste du commerce
maritime ¾ la Cour établit que la portée du terme «commerce» n’était pas restreinte au «commerce
maritime», puisque le traité renferme par ailleurs d’autres indications d’une intention des parties de
régler les questions commerciales de manière plus générale (voir arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II),
p. 817, par. 41). En outre, la Cour considère que le terme «commerce» inclut «non seulement les
activités mêmes d’achat et de vente, mais également les activités accessoires qui sont
intrinsèquement liées au commerce» (voir arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 49). Par
conséquent, chaque fois que la liberté d’«un tel commerce» entre les territoires des parties est
«entravée» ¾ la Cour emploie le terme «entravée» ¾, la Cour déclare qu’il y a violation du
paragraphe 1 de l’article X (voir arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 50).
15.11. La Cour identifie ensuite, et cela revêt une importance particulière, les types d’actes
qui seraient de nature à «entraver» la «liberté de commerce». Au paragraphe 50 de l’arrêt, elle
déclare qu’«il faut considérer» que la liberté de commerce «pourrait être effectivement entravée du
fait d’actes qui emporteraient destruction de biens … destinés à être exportés, ou qui seraient
susceptibles d’en affecter le transport et le stockage en vue de l’exportation» (arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 50; les italiques sont de nous). A notre avis, ici, la Cour établit
un critère permettant de déterminer les actes qui pourraient entraver «la liberté de commerce» aux
fins du paragraphe 1 de l’article X, qui est projeté à l’écran et qui figure aussi sous l’onglet no
2 du
dossier d’audience. Pour qu’il y ait violation ou bien 1) l’acte en question doit comporter la
destruction des biens destinés à être exportés; ou bien 2) l’acte en question doit affecter le moyen
de transport des biens destinés à être exportés; ou enfin 3) l’acte en question doit affecter le
stockage des biens destinés à l’exportation.
15.12. Qu’est-ce que la Cour n’a pas décidé en 1996 ? La Cour s’est contentée de conclure,
sur les faits allégués par l’Iran, qu’il y avait une «possibilité» que la liberté de commerce puisse
être entravée (arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 50). Elle s’est contentée de conclure que
les actions des Etats-Unis étaient «susceptibles» d’avoir un tel effet (arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II),
p. 820, par. 51). La Cour n’a conclu en aucune manière qu’il y avait réellement eu entrave. En
- 30 -
fait, elle a dit qu’«[e]n l’état actuel du dossier, la Cour n’[était] certes pas en mesure de déterminer
si et dans quelle mesure la destruction des plates-formes pétrolières iraniennes a eu des
conséquences sur l’exportation du pétrole iranien» (arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 820, par. 51).
15.13. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les éléments que l’Iran a
apportés par la suite n’ont rien changé. En l’état actuel du dossier dont vous êtes saisis, rien ne
prouve que les actions menées par les Etats-Unis contre les plates-formes ont entravé l’exportation
du pétrole iranien et il n’y a pas eu, à proprement parler, violation du paragraphe 1 de l’article X.
15.14. Premièrement, les actions militaires conduites par les Etats-Unis ont-elles causé la
destruction de biens destinés à être exportés ? Il est évident, me semble-t-il, que les plates-formes
en tant que telles n’étaient pas des biens destinés à être exportés. Il est aussi évident que les actions
militaires conduites par les Etats-Unis n’ont pas détruit de pétrole du tout. Le pétrole est demeuré
intact. Mais nous irons jusqu’à dire que les plates-formes ne produisaient elles-mêmes pas un seul
bien destiné à être exporté (duplique, par. 3.42-3.52). Je m’explique.
15.15. Comme l’Iran le reconnaît, le pétrole extrait à partir de ses plates-formes offshore
n’était pas exportable en l’état, à son arrivée à la plate-forme ni au départ de celle-ci (réplique,
par. 3.7-3.10; annexe 212, par. 12-15). J’appelle votre attention sur l’image projetée à l’écran, qui
figure aussi sous l’onglet no
3 du dossier d’audience. Le pétrole brut est tout d’abord extrait du
plateau continental, puis il subit un traitement initial et il est acheminé par oléoduc depuis les
plates-formes jusqu’aux îles de Lavan et de Sirri. Ce processus est reproduit aux étapes 1 et 2 de
l’image. A ce stade seulement le pétrole brut est soumis à un traitement d’envergure, au terme
duquel on obtient un autre produit, lequel peut être exporté en toute sécurité. C’est seulement à ce
stade que, une fois le gaz, l’hydrogène sulfuré et l’eau extraits en quantité suffisante du pétrole
brut, le produit devient moins inflammable et beaucoup plus stable pour pouvoir être exporté. Par
ailleurs, avant d’être exporté, ce nouveau produit serait alors mélangé à du pétrole extrait d’autres
gisements iraniens, comme vous le voyez à l’«étape 3». Etant donné le long processus de
traitement subi par le pétrole une fois qu’il quitte les plates-formes, et vu que les actions menées
par les Etats-Unis n’ont pas détruit le moindre pétrole, l’Iran n’a pas démontré que les dommages
causés aux plates-formes comportaient la destruction d’un bien qui était lui-même destiné à
l’exportation (duplique, par. 3.43-3.48).
- 31 -
15.16. Deuxièmement, les actions militaires conduites par les Etats-Unis ont-elles porté
atteinte au moyen de transport d’un bien destiné à être exporté ? Tout au contraire, le moyen de
transport du pétrole brut à partir du Golfe, c’était justement les pétroliers qui étaient attaqués par
l’Iran et non par les Etats-Unis. Il est vrai, comme l’a fait observer la Cour en 1996, que le pétrole
pompé à partir des plates-formes était acheminé par un oléoduc sous-marin vers des terminaux
situés sur la terre ferme (arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 50). Toutefois, les actions
menées par les Etats-Unis contre les plates-formes étaient limitées à leur «jacket» (partie située
au-dessous de la ligne de flottaison), les oléoducs sous-marins n’étant pas pris pour cible (duplique,
par. 3.49). Les Etats-Unis ont produit la déposition d’Edward Price, ingénieur ayant acquis une
grande expérience de l’extraction du pétrole iranien, qui figure sous l’onglet no
4 du dossier
d’audience. Lisez cette déposition, sous l’onglet no
4, et en particulier le paragraphe 16, vous
constaterez que cet expert affirme catégoriquement que les dommages causés aux «jackets» des ces
plates-formes «n’empêchaient pas l’Iran d’utiliser l’oléoduc sous-marin relié à ces plates-formes
pour transporter» le pétrole extrait (annexe 212, par. 16). Même si le conseil de l’Iran a laissé
entendre qu’un tel transport poserait des difficultés, l’Iran n’a produit absolument aucune preuve à
l’appui de cette assertion. Ainsi, l’Iran n’a pas démontré que les dommages causés aux «jackets»
des plates-formes ont porté atteinte au moyen de transport de biens destinés à être exportés
(duplique, par. 3.49-3.51).
15.17. Enfin, troisièmement, les actions militaires conduites par les Etats-Unis ont-elles porté
atteinte au stockage de biens destinés à être exportés ? Les plates-formes ne disposaient d’aucun
moyen ni d’aucune installation de stockage. L’Iran l’a reconnu lui-même. Le stockage du pétrole
était effectué dans les îles de Lavan et de Sirri (réplique, par. 3.6, concernant Rostam; ibid., vol. IV,
déclaration de M. Alagheband, par. 10, concernant Sirri). Ainsi, l’Iran n’a pas démontré que les
dommages causés aux plates-formes ont porté atteinte au moyen de stockage de biens destinés à
être exportés.
15.18. Revenons un instant à la diapositive indiquant rapidement par quel critère la Cour
détermine les actes qui pourraient entraver «la liberté de commerce». Il est évident que les actes
causant des dommages aux plates-formes n’entrent pas dans la disposition du paragraphe 1 de
l’article X. Les opérations militaires conduites par les Etats-Unis n’ont pas détruit le moindre
- 32 -
pétrole. En fait, les plates-formes pétrolières ne produisaient même pas de produit susceptible
d’être exporté. Elles ne stockaient aucun bien d’aucune sorte. Et les plates-formes ne
transportaient aucun produit destiné à l’exportation. En l’état actuel du dossier dont vous êtes à
présent saisis, il ne serait pas justifié d’étendre la notion de «liberté de commerce» jusqu’aux
plates-formes. Cela équivaudrait à prétendre que la liberté de commerce s’applique non seulement
à un tapis persan tissé pour l’exportation, mais aussi à la paire de cisailles servant à tondre la toison
du mouton iranien, même si ces cisailles sont cassées et hors d’usage. Il ne serait pas raisonnable
de considérer que ces cisailles cassées relèvent de la liberté de commerce. De même, il ne serait
pas raisonnable de considérer que tel est le cas des plates-formes.
B. Les actions menées par les Etats-Unis contre les plates-formes n’ont pas entravé la liberté
de commerce et de navigation «entre les territoires» de l’Iran et des Etats-Unis
15.19. Monsieur le président, avec votre permission je vais aborder la seconde partie de mon
exposé. Le paragraphe 1 de l’article X, ne porte que sur la liberté de commerce «entre les
territoires des deux Hautes Parties contractantes». L’Iran doit non seulement démontrer que les
actions militaires menées par les Etats-Unis ont entravé la liberté de commerce à son égard d’une
manière générale, l’Iran doit aussi démontrer que les actions militaires menées par les Etats-Unis
ont entravé la liberté de commerce entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis.
15.20. Là encore, c’est une question sur laquelle la Cour ne s’est pas prononcée dans son
arrêt de 1996. La Cour a dit, lors de cette phase juridictionnelle de la procédure, qu’elle n’[avait]
pas à se pencher sur la question de savoir si l’article X ne s’applique qu’au commerce «entre» les
parties (arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 817, par. 44). La Cour a simplement accepté l’argument
de l’Iran selon lequel, «dans une certaine mesure», du pétrole était exporté depuis l’Iran vers les
Etats-Unis et selon lequel les actions menées par les Etats-Unis étaient donc «susceptibles» de
violer le paragraphe 1 de l’article X (ibid., p. 817 et 818, par. 38 et 44). Mais la Cour n’a pas
déterminé matériellement si les dommages causés par les Etats-Unis à ces plates-formes avaient eu
en fait des conséquences sur l’exportation de pétrole vers les Etats-Unis (ibid., p. 820, par. 51).
L’étude de cette question a été réservée à l’examen sur le fond (voir CR 2003/6, p. 32, par. 65).
- 33 -
15.21. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la Cour ne peut pas se
permettre d’ignorer les termes «entre les territoires» figurant dans le paragraphe 1 de l’article X.
La Cour a déclaré, dans cette même affaire, qu’en interprétant le traité de 1955, il fallait se
conformer au droit international coutumier (arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 812, par. 23). Or, le
droit international coutumier, tel qu’il est consacré à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le
droit des traités, prévoit qu’il y a lieu d’attribuer un sens à tous les termes d’une disposition d’un
traité, et ce principe se retrouve dans toute la jurisprudence internationale, depuis l’arbitrage rendu
dans l’affaire des Indiens Cayuga jusqu’à la décision de la Cour dans l’affaire de l’Anglo-Iranian
Oil Co. (Voir commission des réclamations anglo-américaines dans l’affaire des Indiens Cayuga,
Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. 6, p. 184 (1926), qui dit que «La meilleure des
solutions consiste, dans tous les systèmes juridiques, à prendre pour principe d’interprétation qu’il
faut interpréter une disposition de manière à lui donner un sens et non à le lui ôter» [traduction du
Greffe]; dans l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co., C.I.J. Recueil 1952, p. 105, la Cour se demande
si «un texte juridique doit être interprété de manière qu’une raison d’être et un sens puissent être
attribués à chacun de ses mots» et elle déclare que c’est là un principe qui «doit s’appliquer en
général quand il s’agit d’interpréter le texte d’un traité».)
15.22. Dans ces conditions, que signifie la formule dont nous parlons ? Le sens ordinaire
qu’on lui donne impose incontestablement une limitation territoriale au commerce visé au
paragraphe 1 de l’article X. Au sens ordinaire, la formule signifie que le commerce ou la
navigation doit avoir pour origine le territoire d’un Etat et pour destination le territoire de l’autre
Etat.
15.23. La lecture de cette disposition dans son contexte confirme ce sens ordinaire. La Cour
se souvient certainement que, dans son arrêt de 1996, elle a fait une distinction entre les
dispositions du traité de 1955 qui contenaient une limitation territoriale et celles qui en étaient
dépourvues. La Cour a dit que les dispositions du traité de 1955 qui contenaient une limitation
territoriale ont une portée plus réduite (arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 34 et 35). Par
conséquent, le paragraphe 1 de l’article X est comparable aux autres dispositions du traité qui, par
- 34 -
exemple, régissent le statut juridique des sociétés de l’une des parties dans le territoire de l’autre,
telles les dispositions énoncées à l’article III du traité. De telles dispositions visent une limitation
territoriale dont la Cour doit tenir compte.
15.24. Je relève à présent que l’Iran semble reconnaître la nécessité de prendre en
considération cette expression, du moins dans la réponse à la demande reconventionnelle des
Etats-Unis. Dans ce contexte, l’Iran déclare qu’«il n’est pas douteux» que le texte du paragraphe 1
de l’article X «impose une portée territoriale et des limites» à son application (réplique, par. 6.47).
Mais, parallèlement, l’Iran, de manière quelque peu déconcertante, affirme que la Cour, dans l’arrêt
rendu en 1986 dans l’affaire Nicaragua, «ne s’est pas préoccupée de vérifier si des activités
commerciales spécifiques se déroulaient» entre les deux pays au moment des actes présumés,
attaques et opérations de minage en l’espèce (réplique, par. 6.50). Nous pensons que l’Iran
interprète à tort cet arrêt de la Cour en omettant de tenir compte des différences de fait entre
l’affaire Nicaragua et la présente espèce. Dans l’affaire Nicaragua, l’existence du commerce entre
les Etats-Unis et le Nicaragua n’était pas mise en question au moment du mouillage de mines et des
attaques contre les installations du Nicaragua. Les navires et les installations en jeu dans cette
affaire-là exerçaient toute leur activité habituelle et l’embargo sur le commerce avec le Nicaragua
n’avait pas été proclamé par les Etats-Unis au moment où ces incidents se sont produits (voir
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond,
C.I.J Recueil 1986, par. 76, 81 et 125). Comme je le montrerai bientôt, ces faits n’existent pas en
l’espèce.
15.25. Un autre aspect important de la limitation territoriale énoncée au paragraphe 1 de
l’article X est qu’il ne suffit pas de constater simplement qu’il existait d’une manière générale un
commerce les territoires des deux Etats au cours de la période en cause, ni même qu’il existait
d’une manière générale un commerce plus précisément pétrolier. La Cour doit plutôt établir
l’existence entre les territoires des deux Etats, au cours de la période en cause, d’un commerce
pétrolier à partir de ces plates-formes en particulier. La nécessité de s’intéresser avant tout aux
exportations de pétrole à partir de ces plates-formes en particulier ressort de manière évidente du
paragraphe 50 de l’arrêt de 1996, dans lequel la Cour se demande très précisément si l’action des
Etats-Unis pouvait porter atteinte à des biens destinés à être exportés ou, plus précisément encore, à
- 35 -
être transportés ou stockés. C’est également évident au paragraphe 51 du même arrêt dans lequel la
Cour anticipe une décision au fond sur la question de savoir «dans quelle mesure la destruction des
plates-formes pétrolières iraniennes a eu des conséquences sur l’exportation du pétrole iranien»
(les italiques sont de nous).
15.26. D’ailleurs, l’Iran partage manifestement ce point de vue lorsqu’à propos de la
demande reconventionnelle il affirme ceci :
«il ne suffit pas aux [Etats-Unis] de se contenter d’alléguer … que d’une manière
générale il y avait commerce entre les parties durant la période pertinente… Les
Etats-Unis doivent aussi prouver que les navires en question participaient aux
relations commerciales entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis.» (Réponse
additionnelle de l’Iran, par. 6.31; les italiques sont de nous.)
15.27. Si l’on considère les faits tels que l’Iran les expose sous l’angle de ce que dit
l’article X, force nous est de conclure que les plates-formes ne se livraient pas à un commerce
«entre les territoires» de l’Iran et des Etats-Unis pendant la période en cause. Cette conclusion
s’impose si l’on examine les deux extrémités géographiques de cette prétendue relation
commerciale et qu’on se pose les deux questions suivantes : premièrement, est-ce qu’un commerce
à partir de ces plates-formes partait du territoire iranien ? Et deuxièmement, est-ce qu’un
commerce à partir de ces plates-formes aboutissait au territoire des Etats-Unis ?
15.28. S’agissant de la première question, on constate immédiatement que les plates-formes
pétrolières ne sont même pas situées sur le territoire iranien. Elles sont situées en dehors de la mer
territoriale de l’Iran, sur son plateau continental, dans sa zone économique exclusive (voir par
exemple mémoire, par. 1.13, 1.17-1.18; réplique, par. 3.4; CR 2003/5, p. 18, CR 2003/6, p. 40;
arrêt de 1996, p. 808, par. 12).
15.29. La Cour peut d’ailleurs le constater elle-même sur la carte qui est projetée à l’écran
(contre-mémoire, carte 1.12), et qui figure également sous l’onglet no
6 du dossier d’audience. Si
nous faisons un gros plan sur la partie où se trouvent les trois plates-formes, puis un autre plus
précis encore, nous pouvons voir quel est leur emplacement exact. Ce gros plan se trouve
également sous l’onglet no
6 du dossier d’audience.
15.30. Les trois plates-formes pétrolières ¾ Rostam, Sassan et Sirri ¾ se trouvent dans la
partie inférieure de la carte. La zone bleu clair le long de la côte iranienne correspond aux
12 milles marins de la mer territoriale de l’Iran.
- 36 -
15.31. Vous pouvez voir que les plates-formes sont toutes trois situées bien en dehors de la
mer territoriale de l’Iran. D’après les informations versées au dossier, Rostam (que l’Iran appelle
Reshadat) se trouve à 55 milles marins du territoire iranien. Sassan (que l’Iran appelle Salman) est
à 69 milles marins du territoire terrestre iranien le plus proche. Et Sirri (que l’Iran appelle Nasr) se
trouve à 17 milles marins du territoire iranien terrestre iranien le plus proche.
15.32. Par conséquent, il est d’emblée assez difficile de considérer que les produits issus de
ces plates-formes partaient du territoire iranien. Mais cette question mise à part, on ne peut dire
qu’un produit fait l’objet d’un commerce «entre les territoires» des deux parties que s’il y a
mouvement de ce produit d’un territoire à l’autre. Or, au moment des actions des Etats-Unis, il n’y
avait, au départ de deux des plates-formes en question, aucun mouvement d’un quelconque produit.
Permettez-moi de vous montrer une diapositive rappelant les dates pertinentes. Vous les trouverez
également sous l’onglet no
7 du dossier d’audience.
15.33. L’aviation iraquienne attaqua la plate-forme de Rostam en octobre 1986 et en
juillet 1987 en la laissant complètement hors d’usage. L’Iran lui-même reconnaît qu’au moment de
l’action militaire menée par les Etats-Unis contre Rostam, en octobre 1987, la plate-forme n’était
pas en service depuis plus d’un an (réplique, par. 3.13). Si la plate-forme de Rostam n’avait pas été
remise en service, il s’ensuit qu’elle ne se livrait à aucun commerce, et encore moins à un
commerce «entre les territoires» de l’Iran et des Etats-Unis. Par conséquent, il ne pouvait y avoir
de «liberté de commerce», susceptible de relever du paragraphe 1 de l’article X.
15.34. L’Iran reconnaît qu’il en allait de même avec la plate-forme de Sassan (voir réplique,
par. 3.14). Les dates qui nous intéressent ici sont celles qui figurent au milieu de la diapositive.
L’Iraq attaqua Sassan en octobre et en novembre 1986, la laissant hors d’usage, et elle n’avait
toujours pas été remise en service dix-huit mois plus tard, au moment de l’action des Etats-Unis, en
avril 1988. Là encore, si la plate-forme de Sassan n’était pas en service, il s’ensuit qu’elle ne se
livrait à aucun commerce, et encore moins à un commerce «entre les territoires» de l’Iran et des
Etats-Unis. Nous affirmons par conséquent qu’il n’existait pas de «liberté de commerce»
susceptible de relever du paragraphe 1 de l’article X.
- 37 -
15.35. Ce qui nous amène à la seconde question : est-ce qu’un commerce partant des
plates-formes pétrolières iraniennes aboutissait au territoire des Etats-Unis ? La seule
installation ¾ je dis bien la seule ¾ dont l’Iran pourrait prétendre qu’elle se livrait à un commerce
quelconque au moment des actions militaires des Etats-Unis est celle de Sirri. Cependant, Sirri ne
se livrait pas au commerce entre les territoires des deux Etats pour la simple raison que, à l’époque
de l’action militaire menée par les Etats-Unis, il n’existait plus le moindre commerce pétrolier entre
l’Iran et les Etats-Unis.
15.36. Les Etats-Unis ont expliqué dans leurs écritures que, près de six mois avant les
actions visant les plates-formes de Sirri et de Sassan, ils avaient interdit les importations de pétrole
et de produit pétrolier iranien. Vous pouvez voir la date de cet embargo à l’écran : le
29 octobre 1987. Je précise à cet égard que l’interdiction ne visait pas l’importation de biens qui
avaient été chargés à bord de navires avant le 29 octobre 1987 et étaient en route vers les
Etats-Unis; ce qui explique que les statistiques présentées à la Cour par les deux Parties fassent
apparaître un très petit volume d’importation pour l’année 1988. Cet embargo signifie donc
qu’après octobre 1987, il n’y eut plus aucun commerce pétrolier significatif partant du territoire de
l’Iran à destination du territoire des Etats-Unis (voir annexe 225), et encore moins un commerce
associé à la seule plate-forme pétrolière qui pompait du pétrole brut au moment des actions
militaires des Etats-Unis.
15.37. L’Iran a admis que telle était bien la situation. Selon ses propres termes, «les
sanctions adoptées en vertu de l’Executive Order 12613 le 29 octobre 1987 ont effectivement mis
fin à toutes les importations de pétrole brut iranien aux Etats-Unis» (réplique, par. 3.22). L’expert
en économie du pétrole cité par l’Iran, M. Peter Odell, l’a également reconnu. Il a ainsi affirmé que
«[l]’interdiction américaine des importations directes de pétrole iranien, décrétée en octobre 1987,
mit un terme brutal aux relations commerciales entre les deux pays.» (Ibid., vol. III, rapport de
M. Peter R. Odell.) Par conséquent, à la date du 18 avril 1988, quand il devint nécessaire que les
Etats-Unis prennent des mesures contre Sirri ¾ ainsi que contre Sassan d’ailleurs ¾, ces
plates-formes n’auraient pu se livrer au commerce «entre les territoires» américain et iranien.
- 38 -
15.38. En conséquence, pour résumer, il ressort des faits de l’espèce que la condition
imposant l’existence d’un commerce entre les territoires des deux pays n’est remplie à aucune des
deux extrémités géographiques. Aucun produit en provenance des plates-formes en cause ne part
du territoire de l’Iran. A cause des attaques iraquiennes, deux des trois plates-formes ne
produisaient plus rien, à fortiori aucun produit faisant l’objet d’un commerce avec les Etats-Unis.
Et dès le début du mois d’octobre 1987, aucun produit d’aucune de ces plates-formes n’entre sur le
territoire des Etats-Unis.
15.39. A ces indications absolument indéniables, que répond l’Iran ? L’Iran développe
trois thèses, dont aucune ne résiste à l’examen.
15.40. La première a trait à la pertinence de l’embargo américain. Le conseil de l’Iran
soutient que l’on ne saurait arguer de l’embargo pour dire que ce dernier empêcherait de porter
atteinte au commerce «entre les territoires», puisque cet embargo, selon l’Iran, était d’ores et déjà
une violation du traité de 1955. Comme l’a affirmé M. Crawford, l’embargo «ne saurai[t] justifier
l’attaque» contre Rostam s’il constituait «une violation du traité d’amitié» (CR 2003/5, p. 38).
M. Pellet a taxé l’embargo d’«illicéité», dont l’adoption ne pouvait, pour reprendre ses termes,
«effac[er] les effets produits par la destruction des plates-formes» (CR 2003/6, p. 37, par. 80).
15.41. Les Etats-Unis ne prétendent pas qu’il y ait eu une violation de l’article X que
l’embargo a ensuite effacée. Les Etats-Unis soutiennent qu’il n’y a tout bonnement jamais eu de
violation de l’article X en partie à cause de l’embargo.
15.42. Mais j’insiste sur un point plus important, qui est que l’Iran ne peut à ce stade
demander à la Cour de conclure que l’embargo violait le traité de 1955 et que, de ce fait, elle n’a
pas à tenir compte de ses conséquences. L’Iran n’a jamais argué devant la Cour de l’illicéité de
l’embargo en l’espèce, comme il l’a lui-même reconnu à diverses reprises (voir, par exemple,
réplique, par. 6.57; CR 2003/5, p. 40, par. 27). Cette question n’a pas été soumise à la Cour, ni par
l’Iran ni par les Etats-Unis. D’ailleurs, aucun document produit en l’espèce n’atteste que l’Iran ait
jamais élevé la moindre protestation auprès des Etats-Unis au sujet de l’embargo. S’ils avaient été
accusés de violer le droit international en imposant cet embargo, les Etats-Unis auraient soulevé
des exceptions préliminaires et auraient, le cas échéant, montré que l’embargo était parfaitement
licite au regard du traité de 1955 pour de nombreuses raisons (voir contre-mémoire, p. 103, note de
- 39 -
bas de page 244). En effet, l’application de l’article XX à un embargo économique soulève des
questions de fait et de droit très différentes de celles dont la Cour a actuellement à connaître.
L’Iran aurait pu articuler un tel grief en l’espèce, tout comme le Nicaragua l’avait fait dans l’affaire
Nicaragua, mais l’Iran a choisi de s’en abstenir; et l’Iran ne devrait pas être autorisé à introduire
aujourd’hui pareil grief par des voies détournées. En outre, les dispositions de l’arrêt rendu par la
Cour en 1986 dans l’affaire Nicaragua qui sont relatives à la licéité de l’embargo américain ne
préjugeraient en aucun cas de la licéité de l’embargo décrété par les Etats-Unis contre l’Iran
puisque, comme M. Matheson l’expliquera dans la suite de notre plaidoirie, les circonstances de
ces deux affaires sont très différentes, tout particulièrement en ce qui concerne l’application de
l’article XX.
15.43. Bref, M. Pellet n’a aucune raison de traiter devant la Cour les Etats-Unis de voleur de
droit commun (CR 2003/6, p. 37, par. 80). Tant qu’une instance judiciaire compétente n’aura pas
apporté la preuve du contraire, l’embargo imposé à l’Iran par les Etats-Unis devra être considéré
comme licite. Et cette mesure licite empêcha tout commerce de produits pétroliers entre les
territoires des deux Etats tout au long de la période durant laquelle elle resta en vigueur. Les
actions menées par les Etats-Unis contre les plates-formes iraniennes n’auraient pu, à cette époque,
entraver un tel commerce pour la simple raison que ce commerce était inexistant.
15.44. La deuxième thèse avancée par l’Iran consiste à dire sur la base d’éléments de preuve
qu’il y avait commerce de produits pétroliers raffinés entre des clients se trouvant aux Etats-Unis et
des fournisseurs se trouvant en Europe occidentale (réplique, vol. III, rapport de Peter Odell).
Toutefois, ces éléments de preuve attestent avant tout l’absence de tout commerce entre le territoire
de l’Iran et celui des Etats-Unis durant la période pertinente. D’ailleurs, l’Iran a maintes fois
évoqué le caractère «indirect» de ce commerce (voir, par exemple, CR 2003/6, p. 36), ce qui cadre
mal avec la métaphore du «pont» reliant les deux Etats qu’a utilisée le conseil de l’Iran pour
illustrer l’interprétation qu’appelle à son avis le paragraphe 1 de l’article X (CR 2003/5, p. 37-39).
15.45. Examinons à présent ces éléments de preuve que produit l’Iran. Dans un rapport
soumis ensuite à la Cour, M. Odell reconnaît qu’il n’y avait plus, en 1988, aucune exportation vers
les Etats-Unis via l’Europe de pétrole brut iranien en raison de l’embargo imposé par les
Etats-Unis (réplique, vol. III, rapport de Peter Odell, tableau 2). Mais M. Odell, procédant par
- 40 -
hypothèses et conjectures, suppose qu’une partie au moins du pétrole brut iranien vendu à des
clients en Europe occidentale au moment de l’embargo était ensuite transformé en produits
pétroliers raffinés, dont une part aurait pu être vendue par de tierces parties à des clients aux
Etats-Unis (réplique, vol. III, rapport de Peter Odell, p. 20).
15.46. On est tenté de plagier le conseil de l’Iran lorsqu’il affirme : «ce rapport n’est
vraiment rien de plus qu’une série d’hypothèses : «auraient pu…»; «ont peut-être été…». Ce ne
sont pas là des éléments de preuve.» (CR 2003/7, p. 27.)
15.47. Mais plus important encore est le fait qu’il ressort clairement du rapport de M. Odell
que la vente de pétrole brut au départ du territoire de l’Iran et à destination du territoire de pays
d’Europe occidentale était dénuée de tout rapport avec le territoire des Etats-Unis. Sitôt que le brut
iranien arrivait en Europe, il était mélangé à d’énormes quantités de pétrole brut de diverses autres
origines ¾ d’autres pays ¾, il était stocké, redistribué, transformé, après raffinage en Europe
occidentale, en un produit entièrement nouveau et doté d’une valeur autrement plus importante, tel
que le fioul.
15.48. Je vous demanderai à présent de bien vouloir vous reporter à l’écran, ou à
l’onglet no
8 du dossier d’audience, où vous pourrez voir en quels termes l’expert de l’Iran,
M. Odell, caractérise le processus :
«La complexité des structures d’approvisionnement, de stockage, de raffinage et
de distribution du pétrole en Europe explique qu’il devient à peu près aussi difficile de
suivre à la trace le périple d’un baril de brut entre son exportation à destination de
l’Europe et son utilisateur final qui le reçoit sous forme de produits dérivés que de
reconstituer le parcours d’un grain de blé entre sa récolte dans le champ d’un certain
agriculteur et sa mise en sac par un certain meunier !» (Réplique, vol. III, déclaration
de M. Odell, p. 7.)
15.49. Tel est bien le cas, en effet, tant et si bien que nous affirmons que la Cour ne pourra
pas constater que le moindre produit iranien soit, après octobre 1987, entré à titre commercial sur
le territoire des Etats-Unis à partire de l’Europe occidentale.
15.50. C’est ce qu’illustre le diagramme que vous voyez à présent projeté à l’écran, qui
figure également à l’onglet no
9 du dossier d’audience. J’ai déjà mentionné les trois premières
étapes. Le pétrole brut en provenance des plates-formes était d’abord extrait, traité et mélangé en
Iran, après quoi ce pétrole brut, devenu exportable, était vendu par l’Iran à des acheteurs en
- 41 -
Europe ¾ c’est la quatrième étape sur le diagramme. Le pétrole brut subissait ensuite une
transformation encore plus poussée en Europe, où il était d’abord mélangé à du brut d’autres
provenances ¾ c’est l’étape cinq ¾, puis raffiné en produits pétroliers, dont le fioul ¾ c’est
l’étape six. A ce stade, les produits pétroliers raffinés comme le fioul pouvaient à leur tour être
vendus, soit pour consommation en Europe soit pour exportation vers d’autres pays, y compris
peut-être les Etats-Unis ¾ c’est la septième étape.
15.51. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, peut-on alors parler de
commerce entre le territoire de l’Iran et celui des Etats-Unis ? Dans son arrêt de 1996, la Cour a
jugé pertinent, pour interpréter le paragraphe 1 de l’article X, de prendre en considération les
normes en vigueur dans le cadre du commerce international et du droit commercial (p. 818,
par. 46). Or, au regard du commerce international et du droit commercial, il ne saurait faire de
doute que le pétrole brut iranien et les produits pétroliers raffinés européens sont des marchandises
fondamentalement distinctes.
15.52. Prenons d’abord le droit commercial international. Dans leur duplique, les Etats-Unis
ont présenté des documents de l’Organisation mondiale des douanes, de l’Union européenne et des
Etats-Unis eux-mêmes pour démontrer que la distinction entre pétrole brut et produits pétroliers
raffinés existe à tous les niveaux ¾ aux niveaux international, régional et national ¾ pour les
besoins de la position tarifaire et des règles d’origine (duplique, par. 3.66-3.68, annexes 226, 227
et 228). Ces documents confirment que le commerce auquel se livraient les acheteurs américains
dans le secteur de l’importation du pétrole à l’époque pertinente consistait à acheter une
marchandise européenne et non pas iranienne.
15.53. Prenons ensuite le droit international privé. Il n’y a pas de connaissement indiquant
que les produits pétroliers européens destinés aux Etats-Unis étaient d’origine iranienne. Aucune
lettre de crédit ne décrit ces exportations comme étant d’origine iranienne. Il n’existe ni contrats de
vente ni contrats d’assurance, ni, d’ailleurs, de contrats d’une quelconque sorte qui montreraient
qu’il s’agissait là de pétrole iranien destiné aux Etats-Unis. Le droit iranien, les tribunaux iraniens,
les vendeurs et les assureurs iraniens n’avaient absolument aucune part à ces transactions entre
l’Europe et les Etats-Unis. Chez ceux qui participent au commerce du pétrole, acheteurs, vendeurs,
assureurs, banquiers, courtiers ou analystes, personne n’aurait considéré l’expédition de pétrole
- 42 -
brut iranien vers l’Europe pour raffinage comme une transaction commerciale entre l’Iran et les
Etats-Unis, indépendamment de la question de savoir si les produits pétroliers issus de l’opération
étaient en fin de compte vendus aux Etats-Unis (duplique, par. 3.71).
15.54. Nous appelons l’attention de la Cour sur la convention des Nations Unies sur les
contrats de vente internationale de marchandises (Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1489,
p. 3). Nous appelons aussi l’attention de la Cour sur la convention internationale pour l’unification
de certaines règles en matière de connaissement (relative au transport de marchandises par mer)
(Nations Unies, Recueil des traités, vol. 120, p. 155). Nous appelons encore l’attention de la Cour
sur les Règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires de la Chambre de
commerce internationale (révision de 1993, publication de la Chambre de commerce
internationale no
500-842-1155-7). Suivant tous ces régimes, le prétendu commerce dont parle
l’Iran «entre» l’Iran et les Etats-Unis serait considéré comme deux transactions au minimum qui
s’exclurait l’une l’autre : l’une entre l’Iran et l’Europe; l’autre entre l’Europe et les Etats-Unis.
15.55. C’est peut-être M. Odell qui explique le mieux cette situation dans la citation
reproduite sous l’onglet no
10 de votre dossier, qui est projetée à l’écran, lorsqu’il décrit de façon
frappante le fonctionnement de l’industrie du pétrole européenne comme étant celui qui est «le plus
à même de «dénationaliser» efficacement le brut traité dans ses installations» (réplique, vol. III,
rapport de M. Odell, p. 7-8). La Cour se souviendra que l’Iran a qualifié l’auteur de ce rapport
comme une «autorité dans le domaine du commerce international du pétrole» (CR 2003/6, p. 49,
par. 47).
15.56. On ne peut pas non plus penser que, lorsqu’ils ont rédigé le traité de 1955, l’Iran et les
Etats-Unis ont voulu que le paragraphe 1 de l’article X vise les transactions intéressant le territoire
d’Etats tiers, en l’occurrence d’Etats européens. En effet, l’argumentation de l’Iran ferait entrer
quasiment toutes les exportations émanant de territoires iraniens ou américains dans le cadre du
paragraphe 1 de l’article X sous prétexte que le produit exporté ou une infime partie de celui-ci
serait susceptible d’être revendu à l’autre partie. Les deux Etats seraient ainsi obligés d’étendre les
garanties prévues au paragraphe 1 de l’article X à la quasi-totalité de leurs partenaires
commerciaux afin d’éviter de faire par accident obstacle aux échanges indirects entre les Etats-Unis
et l’Iran. Il est clair que ni les Etats-Unis ni l’Iran ne visaient un tel résultat; il en va de même de
- 43 -
toutes les parties à ce type de traité. La Cour devrait par conséquent conclure que les ventes de
l’Iran à l’Europe occidentale et les ventes européennes aux Etats-Unis ne relèvent pas du commerce
«entre les territoires» des deux Parties, ce qui serait conforme aux nombreux instruments
internationaux relatifs à cette question.
15.57. Face à ces difficultés, l’Iran avance une troisième argumentation. Il prie la Cour
d’oublier le commerce effectif entre les plates-formes pétrolières et les Etats-Unis et de se pencher
à la place sur le commerce potentiel. Comme l’a expliqué le conseil de l’Iran, l’article X ne
concerne pas tant «une activité commerciale un jour donné» qu’«une liberté de commerce revêtant
un caractère permanent» (CR 2003/5, p. 39, par. 25; voir également CR 2003/6, p. 33-34, par. 70
et 73; «certes, il n’était pas assuré que le pétrole concerné fût effectivement destiné à l’exportation
vers les Etats-Unis. Mais ce point est sans pertinence.»).
15.58. L’Iran affirme à l’appui de cet argument que les plates-formes s’étaient auparavant
livrées à une activité commerciale entre les territoires des deux Etats et qu’elles auraient en
conséquence repris cette activité par la suite (réplique, par. 3.23-3.29 et 6.48; réponse additionnelle,
par. 6.30). Cela est prétendument démontré par un certain nombre d’arrangements contractuels qui
auraient été «conclus avec des compagnies pétrolières américaines avant et après les attaques
lancées par Washington contre les plates-formes iraniennes» (réplique, vol. III, déclaration de
Hosseini, par. 16). Puisque l’action des Etats-Unis est censée avoir porté atteinte à ce potentiel
commercial, selon l’Iran, les Etats-Unis ont par conséquent violé le paragraphe 1 de l’article X.
Cet argument n’est pas fondé, pour plusieurs raisons.
15.59. Premièrement, cette interprétation extraordinairement large de la liberté de commerce
est en porte à faux avec l’arrêt rendu par la Cour en 1996. Dans cet arrêt, comme je l’ai expliqué,
la Cour s’est intéressée aux preuves établissant qu’il y avait véritablement commerce entre l’Iran et
les Etats-Unis. Elle n’a pas interprété la «liberté de commerce» comme englobant toutes les
exportations hypothétiques, possibles et futures. En effet, si la «liberté de commerce» était lue de
façon aussi large, pratiquement tous les actes des Etats-Unis, de quelque nature qu’ils fussent (par
exemple la décision de mettre fin à une aide économique), qui réduiraient la capacité de l’Iran à
utiliser ses infrastructures ou sa terre relèveraient du champ du paragraphe 1 de l’article X parce
que l’acte en question serait susceptible d’empêcher d’affecter les ressources iraniennes au
- 44 -
commerce d’exportation futur. En 1996, la Cour n’a pas interprété l’article X de la façon dont
l’Iran l’interprète à présent et elle ne devrait pas non plus le faire aujourd’hui. Cela reviendrait tout
bonnement à faire comme si l’expression «entre les territoires» n’était pas dans le texte de
l’article X.
15.60. Deuxièmement, l’élément de fait sur lequel l’Iran fonde son argumentation est
parfaitement insuffisant. Même si le conseil de l’Iran affirme que les plates-formes ont autrefois
servi au commerce du pétrole avec les Etats-Unis (CR 2003/5, par. 25), l’Iran n’a pas démontré que
du pétrole en provenance précisément de ces plates-formes était exporté vers les Etats-Unis.
Certes, avant octobre 1987, il y avait des exportations de pétrole iranien à destination des
Etats-Unis, mais l’Iran n’a pas démontré que ce pétrole venait des plates-formes en question. Les
documents de la NIOC présentés par l’Iran au sujet des exportations de pétrole brut depuis les îles
de Lavan et de Sirri énumèrent comme seuls pays destinataires l’Inde, le Japon et Singapour
notamment, mais pas les Etats-Unis (réplique, vol. III, déclaration de Hosseini, par. 10 et 11). Plus
pertinent encore, on constate qu’il n’y a pas de preuve dans le dossier qui établisse que ces
plates-formes-là en particulier allaient participer à l’exportation de pétrole vers les Etats-Unis à un
quelconque moment hypothétique de l’avenir (voir annexe 225). L’Iran a pris la peine de faire
figurer au dossier divers arrangements contractuels, mais aucun d’eux n’identifie ces plates-formes
comme étant à l’origine du pétrole.
15.61. Troisièmement, cet argument est incompatible avec la position qu’adopte l’Iran
lui-même à l’égard de la demande reconventionnelle. L’Iran se donne beaucoup de mal pour
contester que certains navires transportant certaines cargaisons «entre les territoires» de l’Iran
et des Etats-Unis aient vraiment transporté ces cargaisons au moment de l’attaque des Etats-Unis
(réponse additionnelle de l’Iran sur la demande reconventionnelle des Etats-Unis,
par. 6.31, 6.39-6.42 : «ces navires ne se livraient pas au commerce entre les territoires des deux
Parties»). Le fait évident que ces navires ont pu auparavant transporter des cargaisons entre les
deux Etats ou qu’ils auraient pu transporter des cargaisons entre les deux Etats à l’avenir, y compris
des cargaisons de pétrole dans le cadre, justement, des arrangements contractuels cités par l’Iran,
est considéré comme étant totalement dépourvu de pertinence. Si l’Iran estime que l’on doit établir
- 45 -
que certaines marchandises font le voyage entre les territoires des deux Etats, la position de l’Iran
quant à de futures exportations hypothétiques de pétrole iranien, prévisions que rien n’étaie, tient
alors d’autant moins.
15.62. Quatrièmement, l’argumentation de l’Iran repose fondamentalement sur de pures
conjectures et la Cour ne saurait par conséquent s’appuyer sur elle pour conclure à une violation du
paragraphe 1 de l’article X.
15.63. L’Iran soutient par exemple que si les Etats-Unis n’avaient pas attaqué les
plates-formes, il aurait relancé la production des plates-formes endommagées de Rostam et de
Sassan avant que les Etats-Unis n’imposent leur embargo. Or, le fait inéluctable est que pendant
longtemps les plates-formes n’avaient pas été réparées et ne fonctionnaient pas. Affirmer qu’elles
auraient pu être réparées rapidement relève de la pure conjecture.
15.64. En effet, l’Iran n’a pas présenté à l’appui de ce qu’il affirme de preuves
contemporaines des démarches qu’il aurait entreprises pour réparer les plates-formes ni du fait qu’il
était prétendument sur le point de redémarrer la production à partir des plates-formes. S’agissant
de la plate-forme de Rostam, l’Iran ne trouve rien de mieux que de présenter les déclarations brutes
de deux représentants de la NIOC d’après lesquels «selon un calendrier [des travaux]», on
«prévoyait» une reprise de la production normale (réplique, vol. IV, déclaration de Hassani,
par. 16; déclaration de Sehat, par. 16). Ces deux représentants joignent à leurs déclarations des
copies identiques du seul document ¾ je dis bien du seul document ¾ que l’Iran a présenté à
l’appui de son affirmation, à savoir un document intitulé «Mise en service de la production des
plates-formes R-4 et R-7» (réplique, vol. IV, déclaration de Hassani, annexe D; déclaration de
Sehat, annexe C). Ce document n’est apparemment qu’un calendrier d’aménagements et de
réparations à faire. Il n’est pas dit quand ce calendrier des réparations a été établi; il aurait pu l’être
bien avant octobre 1987. Manifestement, rien n’indique qu’aucune de ces réparations ait bien été
faite ou qu’elle ait été faite à temps. Enfin, le document ne donne pas de date pour la reprise
effective de la production pétrolière. Si Rostam avait vraiment été sur le point d’être
opérationnelle, l’Iran aurait sans aucun doute été en mesure de produire des éléments de preuve
plus solides.
- 46 -
15.65. S’agissant de la plate-forme de Sassan, un représentant de la NIOC se borne à
affirmer une fois de plus sans donner de détails dans sa déclaration que les travaux «étaient en voie
d’achèvement lorsque les Etats-Unis lancèrent leur attaque»; mais cette fois-ci l’Iran ne présente
aucun document à l’appui (réplique, vol. IV, déclaration de Emami, par. 6). Là encore, si Sassan
avait vraiment été sur le point d’être opérationnelle, l’Iran aurait certainement été en mesure de
produire des éléments de preuve plus solides.
15.66. Compte tenu des éléments de fait en l’espèce, il est impossible de savoir où les
conjectures peuvent nous mener et c’est là une autre raison pour laquelle la Cour ne devrait pas se
perdre en suppositions. Si l’Iran avait prévu d’achever la réparation des plates-formes de Rostam
et de Sassan, il devait penser que l’Iraq ne les attaquerait pas ensuite. Or, comme l’admet l’Iran,
l’Iraq pouvait très bien attaquer ces deux plates-formes comme il avait déjà fait à maintes reprises
et tenait résolument à ce qu’elles restent hors d’usage (réplique, par. 3.16 et 3.131-3.32;
CR 2003/6, p. 52-53). En fait, il ressort des propres éléments de preuve produits par l’Iran que
l’Iraq a lancé des douzaines d’attaques contre des installations pétrolières iraniennes dans les
secteurs de Lavan et de Sirri jusqu’au milieu de l’année 1988 (voir réplique, vol. IV, déposition de
M. Husseini, annexe B). Tout porte à croire que si les plates-formes avaient été réparées, l’Iraq les
auraient de nouveau attaquées pour les empêcher de produire du pétrole. Donc, s’il faut nous livrer
aux conjectures, pourquoi ne pas supposer alors que l’Iran n’a pas remis ces plates-formes en état
de marche parce qu’il craignait que l’Iraq ne les attaque immédiatement après ? Ou pourquoi ne
pas supposer que l’Iran n’a pas remis ces plates-formes en état de marche parce qu’il n’était pas en
mesure de respecter le calendrier des réparations de toutes les installations que l’Iraq avait
attaquées avant l’action menée par les Etats-Unis ? Ou pourquoi ne pas supposer que l’Iran n’avait
pas besoin des plates-formes pour ses exportations de pétrole à cause des limitations imposées par
le quota que lui avait attribué l’OPEP, comme l’examinera plus tard M. Bettauer ?
15.67. En somme, l’Iran soutient, sans présenter de véritables éléments de preuve à ce sujet,
que les plates-formes de Rostam et de Sassan auraient pu reprendre leur activité et que cette
activité aurait pu se traduire par des exportations à destination des Etats-Unis. C’est un argument
- 47 -
totalement conjecturel, ne reposant sur rien, qui caractérise toute cette thèse de l’Iran selon laquelle
il y avait entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis un commerce auquel les attaques dirigées
contre les plates-formes auraient porté atteinte.
15.68. La Cour doit-elle ajouter foi à de pareilles suppositions ? D’après la jurisprudence de
la Cour, c’est l’Iran qui a la charge de prouver que sa thèse est fondée. De simples suppositions
comme celles-là ne sauraient constituer une base permettant de considérer qu’un Etat a manqué à
ses responsabilités juridiques internationales. En 1989, dans l’affaire ELSI, les Etats-Unis avaient
affirmé que deux sociétés américaines avaient été privées de leur droit de mettre leur filiale en
liquidation régulière, mais une Chambre de la Cour a considéré que le traité pertinent en
l’espèce ¾ un traité semblable sur bien des points à celui de 1955 ¾ n’avait pas été violé car le
manque à gagner de Raytheon était «de l’ordre des pures spéculations» (Elettronica Sicula S.p.A.
(ELSI), C.I.J. Recueil 1989, p. 62, par. 101). A la lumière de l’affaire ELSI, la Cour ne saurait
retenir la thèse de l’Iran, qui estime possible de faire reposer une violation de l’article X sur
l’existence d’un commerce de pétrole «potentiel» avec les Etats-Unis.
Conclusion
15.69. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi de récapituler
brièvement. Les actions militaires des Etats-Unis n’ont causé aucune destruction de pétrole. En
outre, les plates-formes en question dans notre affaire ne produisaient pas une marchandise
exportable, et n’étaient ni un moyen de transport ni un lieu de stockage réservé à un produit
quelconque. Les éléments de fait invoqués par l’Iran au sujet des mesures prises par les Etats-Unis
contre les plates-formes ne satisfont pas aux critères établis par la Cour en 1996 pour que des
mesures de ce type puissent être considérées comme susceptibles de porter atteinte à la «liberté de
commerce».
15.70. L’Iran n’a pas non plus établi que du pétrole brut en provenance de ces plates-formes
faisait bel et bien l’objet d’un commerce «entre les territoires» de l’Iran et des Etats-Unis. En
réalité, il n’y eut jamais un tel commerce de pétrole brut, soit parce que les plates-formes en
question n’étaient pas opérationnelles, soit parce que l’embargo des Etats-Unis sur le pétrole y
faisait obstacle. Tout pétrole brut vendu par l’Iran en Europe était mêlé à du brut en provenance
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d’autres sources; il était raffiné et transformé en un produit entièrement nouveau. Ultérieurement,
certains de ces produits européens sont peut-être entrés aux Etats-Unis, mais seulement à la suite de
transactions commerciales qui, au regard du droit international, n’ont eu lieu qu’entre l’Europe et
les Etats-Unis.
15.71. Au bout du compte, toute la thèse que l’Iran tire de l’article X repose dans son
ensemble sur des conjectures : soit à propos de la quantité de pétrole brut qui part de ces trois
plates-formes pétrolières avant et après les attaques des Etats-Unis; soit à propos de la réparation de
ces plates-formes et du fait qu’il n’y aurait plus d’attaques iraquiennes; soit à propos du
cheminement du pétrole brut iranien en Europe qui, après un long recyclage, parviendrait ensuite
aux Etats-Unis sous forme de produits raffinés.
15.72. En bref, Monsieur le président, la thèse de l’Iran n’a pas plus de consistance que le
minuscule grain de blé de M. Odell. Et c’est pourquoi il est clair qu’elle ne saurait être retenue.
15.73. Je vous remercie, Monsieur le président. Je vous prie à présent de bien vouloir
donner la parole à M. Bettauer pour qu’il poursuive notre exposé.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Murphy. Je donne à présent la parole à
M. Bettauer.
M. BETTAUER :
16. LA CONDUITE DES ETATS-UNIS NE CONSTITUE PAS UNE VIOLATION
DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE X
DEUXIEME PARTIE
Introduction
16.1. Je vous remercie, Monsieur le président. M. Murphy vient d’exposer à la Cour deux
raisons importantes pour lesquelles l’action menée par les Etats-Unis contre les plates-formes
pétrolières ne constitue pas une violation du paragraphe 1 de l’article X. Comme M. Murphy l’a
dit aussi, il y a deux autres raisons importantes qui portent à conclure que l’action des Etats-Unis
n’a pas constitué une violation de cette disposition.
- 49 -
¾ Premièrement, même si l’action des Etats-Unis dirigée contre les plates-formes avait
éventuellement pu avoir des conséquences quelconques pour le commerce pétrolier iranien,
l’Iran n’a pas prouvé et ne peut pas prouver que ces effets secondaires constituent une base
juridique suffisante pour conclure à une violation.
¾ Deuxièmement, il est manifeste que les plates-formes pétrolières ¾ que leur exploitation
traditionnelle ait ou non constitué un «commerce» ¾ servaient en fait à appuyer une activité
militaire offensive ininterrompue qui était dirigée contre les intérêts des Etats-Unis et les
intérêts d’autres Etats également. Cette activité non commerciale ne peut pas se dissimuler
sous la clause de «liberté de commerce et de navigation» du paragraphe 1 de l’article X, ni en
tirer avantage.
Ce sont ces deux points qui font l’objet de mon exposé aujourd’hui.
L’action des Etats-Unis n’a eu aucune conséquence significative ni juridiquement valable sur
le commerce pétrolier de l’Iran
16.2. Mon premier point est que l’Iran non seulement n’a fourni aucune preuve attestant que
l’action militaire des Etats-Unis a fait obstacle aux exportations pétrolières à partir de ces mêmes
plates-formes qui étaient destinées aux Etats-Unis, mais encore n’a présenté aucune preuve
attestant que cette action a porté atteinte à la moindre exportation pétrolière de l’Iran. Par contre,
les Etats-Unis ont fourni des documents démontrant que, en réalité, le niveau général des
exportations pétrolières iraniennes n’a en aucune manière souffert des événements dont il est
question en l’espèce.
16.3. Etant membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’OPEP, l’Iran a
accepté de restreindre sa capacité de production en appliquant certains quotas. En dépit des
dommages subis par ses plates-formes pétrolières à la suite de l’action américaine, l’Iran a continué
à exporter du pétrole à un niveau approchant celui du quota qui lui était appliqué par l’OPEP durant
toute cette période (annexe 212). Même si l’Iran ne pouvait plus se servir des plates-formes
Rostam, Sassan et Sirri pour produire du pétrole, des représentants de l’Iran ont insisté sur le fait
que l’Iran avait toujours la capacité de produire plus de pétrole qu’il ne pouvait en vendre.
M. Aghazadeh, ministre iranien du pétrole, a déclaré, lors de la conférence de presse du
10 décembre 1987, que l’Iran disposait effectivement d’une capacité de production excédentaire,
- 50 -
c’est-à-dire d’un «énorme potentiel pour produire davantage». Il a adopté la même position près de
trois ans plus tard, faisant observer que l’Iran pouvait, le cas échéant, augmenter sa production
pétrolière de 500 000 barils (annexe 212, annexe D). Comme l’Iran a respecté son quota et n’a pas
augmenté ses exportations alors qu’il affirmait être en mesure de le faire, l’Iran ne peut pas
prétendre être victime d’atteintes à ses exportations parce qu’il s’est vu refuser une capacité
excédentaire supplémentaire qui serait restée inexploitée.
16.4. L’Iran a répondu la semaine dernière que l’argumentation des Etats-Unis était «très
curieuse» parce que, à son sens, l’Iran devrait pouvoir choisir entre les sources locales de
production de pétrole brut pour assurer sa production et parce que les Etats-Unis ne sont pas à
même d’invoquer les quotas de l’OPEP parce qu’il s’agit d’engagements contractés par l’Iran avec
des pays tiers. Ces arguments passent à côté de la question. Nous ne faisons valoir aucune
prétention d’ordre juridique concernant les engagements pris par l’Iran dans le cadre de l’OPEP et
nous ne contestons pas non plus le fait que la plate-forme de Sirri ne peut plus servir de source
d’extraction de pétrole brut après l’action menée par les Etats-Unis en avril 1988. Ce que nous
voulons dire, c’est que l’Iran lui-même, dans des déclarations contemporaines officielles, a déclaré
être doté d’une capacité excédentaire de production pétrolière non utilisée. Le fait que l’Iran
possédait une capacité excédentaire peut s’expliquer, en tout ou partie, par le quota de l’OPEP.
Quel que soit le cas de figure, l’Iran n’a tout simplement pas démontré qu’il aurait exporté plus de
pétrole qu’il en a effectivement exporté si les Etats-Unis n’avaient pas mené leur action. A la
lecture des déclarations de M. Aghazadeh, il y a tout lieu de croire que l’Iran n’aurait pas exporté
plus de pétrole.
16.5. Comme il ne peut pas établir qu’il est globalement victime d’atteintes à son commerce
pétrolier, l’Iran tente de montrer que, dans le secteur du pétrole, son commerce extérieur a souffert
de perturbations plus limitées. Par exemple, l’Iran a déclaré que «le pétrole iranien était souvent
vendu dans le cadre de contrats à long terme avant d’avoir été effectivement extrait» (réplique,
par. 3.11). L’Iran est allé jusqu’à prétendre que «le pétrole produit dans ces champs pétrolifères
avait été affecté, par des arrangements contractuels précis, à des clients déterminés (par exemple
- 51 -
certains clients achetaient un nombre déterminé de tonnes de brut Salman, ou de brut Nasr)».
Selon l’Iran, «la destruction des plates-formes interrompait inévitablement ces contrats et
empêchait donc l’Iran d’exercer sa liberté de commerce» (mémoire, par. 3.68).
16.6. Monsieur le président, si ces affirmations sont vraies, alors pourquoi l’Iran n’a-t-il
produit aucun exemple de contrat qu’il n’était pas en mesure d’honorer en raison de l’action
américaine ? Il n’a été présenté à la Cour aucune preuve attestant que l’Iran n’était pas en mesure
d’honorer ses obligations contractuelles ou, en fait, pas en mesure de vendre beaucoup plus de
pétrole qu’il ne l’a effectivement fait durant la période concernée. Comme M. Murphy l’a
expliqué, en outre, une atteinte au commerce de l’Iran avec d’autres pays que les Etats-Unis ne
suffirait pas à appuyer la thèse de la violation du paragraphe 1 de l’article X.
16.7. Il semble donc évident qu’il n’a nullement été porté globalement atteinte aux
exportations pétrolières de l’Iran par suite des dommages infligés aux plates-formes ¾ et qu’il a
encore moins été porté atteinte au commerce entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis.
16.8. D’ailleurs, comme l’Iran semble le reconnaître, s’il y a eu véritablement des
conséquences sur le commerce pétrolier entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis, elles sont
imputables à l’imposition de l’embargo pétrolier des Etats-Unis de 1987, et non à la destruction des
plates-formes qui fait l’objet du litige. L’Iran souligne dans sa réplique les dommages qu’il a
subis à la suite de l’embargo : «lorsque les sanctions ont été imposées par les Etats-Unis en
octobre 1987, l’Iran s’est retrouvé avec une production excédentaire de pétrole brut d’environ
345 000 barils par jour, qui jusqu’alors étaient importés par les Etats-Unis» (réplique, par. 3.24).
Cet élément est cependant dénué de pertinence en l’espèce ¾ comme M. Murphy l’a fait observer
il y a un moment, la licéité de l’embargo américain n’est en l’occurrence pas en cause.
16.9. Le fait que l’Iran n’ait en aucune manière démontré que l’action américaine ait porté
atteinte au commerce irano-américain, sans parler du commerce pétrolier iranien en général, devrait
mettre un terme aux prétentions de l’Iran. Cependant, même si, ne serait-ce que dans l’intérêt de
l’argumentation, nous supposons que l’action des Etats-Unis ait pu avoir un effet minime ou
indirect sur le commerce entre les territoires des deux pays, cet effet serait trop lointain et trop peu
important pour constituer une violation du paragraphe 1 de l’article X.
- 52 -
16.10. Il ne suffit pas d’alléguer simplement qu’il y a un lien entre l’action militaire des
Etats-Unis dirigée contre les plates-formes pétrolières et une prétendue atteinte aux exportations
pétrolières de l’Iran. Même s’il est concevable qu’il y ait un rapport, cela ne suffit pas. Au
contraire, l’Iran doit démontrer que le rapport est direct et important, et qu’il n’est pas lointain.
L’Iran souscrit à ce principe, puisque le conseil de l’Iran a déclaré mercredi dernier que, pour
l’Iran, les Etats-Unis étaient responsables de toutes les conséquences découlant d’une conduite
engageant la responsabilité des Etats «qui ne sont ni excessivement indirectes ni excessivement
éloignées» (CR 2003/8, p. 42, par. 6).
16.11. Il est bien établi que la responsabilité des Etats n’est pas engagée à raison d’effets
hypothétiques, lointains ou sans grande importance. Dans un autre cadre, une instance arbitrale
constituée en vertu de l’accord de libre-échange nord-américain a déclaré ceci :
«Les conséquences éventuelles de la conduite humaine sont infinies, notamment
lorsqu’elles procèdent des actes d’organismes gouvernementaux; mais le bon sens
n’impose pas de trajectoire qui porte inéluctablement cette ligne vers l’infini. Dans
un contexte juridique classique, à un moment donné la ligne se brise; et, pour des
raisons de logique ou de politique sociale ou pour quelqu’autre jugement de valeur, il
est nécessairement imposé une limite qui restreint les conséquences pour lesquelles
cette conduite doit être tenue pour responsable.» (Sentence partielle datée du
7 août 2002, Methanex Corp. c. Etats-Unis d’Amérique, par. 138, 14 World Trade and
Arbitration Materials 109 (2002), également disponible à l’adresse Internet
http://www.state.gov/documents/organization/12613.pdf (le tribunal était présidé par
M. Van Vecten Veeder et les autres membres étaient M. William Rowley et
M. Warren Christopher).) [Traduction du Greffe.]
16.12. La Commission du droit international a été du même avis quand elle a adopté en 2001
son projet d’articles sur la responsabilité des Etats, c’est-à-dire que la responsabilité des Etats n’est
pas uniquement déterminée par l’existence d’un lien de causalité.
16.13. Dans son commentaire sur le projet d’article 31, la Commission déclare que
«l’existence d’un lien de causalité est en fait une condition nécessaire mais non suffisante à la
réparation. Un autre élément contribue à exclure la réparation du préjudice trop «lointain» ou
«indirect»*
pour donner lieu à réparation.» (Rapport de la Commission du droit international,
cinquante-troisième session, Nations Unies, A/56/10, chap. IV E) (2), p. 227 (2001); voir aussi

*
Note du traducteur : en anglais, l’orateur fait une erreur de lecture et prête à la Commission du droit
international l’épithète «inconsequential» au lieu de «consequential» qui a le sens de «indirect». L’orateur emploie les
deux termes au sens courant, «important» pour «consequential», «de peu d’importance» pour «inconsequential» : voir
plus haut, par. 16.09, 16.10 et 16.11. Il étend cette acception au commentaire de la Commission du droit international.
- 53 -
J. Crawford, rapporteur spécial, troisième rapport sur la responsabilité des Etats, Commission
du droit international des Nations Unies, cinquante-deuxième session, p. 15/16, par. 28,
Nations Unies, A/CN.4/507 (2000).)
16.14. De nombreuses juridictions internationales ont expressément adopté le même point de
vue, y compris la Commission mixte des réclamations Etats-Unis–Allemagne, qui a appliqué ce
principe à l’interprétation des traités (Administrative decision N°II (Etats-Unis c. Allemagne),
Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. 7, p. 23, aux pages 29-30 (1923)).
16.15. Alors que l’Iran n’a pas véritablement fourni la preuve d’une atteinte à la liberté du
commerce entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis, même l’atteinte alléguée sans preuve est
manifestement trop éloignée pour étayer valablement sa demande. A y regarder de près, les
allégations de l’Iran reviennent à dire que les interventions militaires des Etats-Unis ont eu quelque
effet minime ou indirect sur les exportations pétrolières iraniennes. Pour les raisons que j’ai
indiquées, il faut rejeter ces allégations.
L’affectation des plates-formes à des activités militaires offensives exclut une indemnisation
au titre du paragraphe 1 de l’article X
16.16. J’aborde à présent le second sujet de cet exposé. La demande que l’Iran formule
contre les Etats-Unis en vertu de la clause relative à la «liberté du commerce» ne tient pas parce
que le fait que l’Iran ait affecté les plates-formes à des fins militaires offensives lui ôte la capacité
de justifier cette demande. Je m’explique.
16.17. L’Iran a maintes fois affirmé que le paragraphe 1 de l’article X devait protéger les
plates-formes contre les dommages puisqu’il s’agissait «d’installations commerciales»
(observations et conclusions de l’Iran sur l’exception préliminaire des Etats-Unis, par. 1.28;
réplique, par. 3.1; CR 2003/8, p. 45, par. 15). Monsieur le président, à l’époque considérée, l’Iran
utilisait les plates-formes pétrolières pour lancer des opérations militaires contre les navires
neutres. J’en ai fait la démonstration hier. En tant que telles, les plates-formes ne peuvent pas être
considérées uniquement, voire essentiellement, comme des installations commerciales, même au
cas où les plates-formes de Rostam et de Sassan ne seraient pas en état de marche. Quel qu’ait été
l’usage civil ou éventuellement militaire, à des fins de défense, qui leur était réservé, elles étaient, à
mon sens, bel et bien affectées à un usage militaire offensif. Il serait injustifié de voir dans le
- 54 -
paragraphe 1 de l’article X la garantie que les activités militaires offensives menées par l’Iran
pouvaient l’être sans qu’il y soit fait obstacle. Une clause garantissant la «liberté de commerce»
entre deux Etats ne peut pas avoir été prévue pour servir d’écran aux activités militaires que l’un de
ces Etats mènerait contre l’autre. Le sens et l’objet de la clause s’en trouveraient complètement
inversés.
16.18. Le fait que Sirri était opérationnelle du point de vue commercial ou que d’autres
plates-formes étaient prétendument en cours de réparation ne change rien à cette conclusion.
D’ailleurs, même si elle considère que les plates-formes étaient utilisées à la fois à des fins
commerciales et militaires au moment de l’action des Etats-Unis, la Cour ne devrait pas voir dans
le paragraphe 1 de l’article X l’idée que toute activité commerciale ou toute finalité commerciale
en sommeil est susceptible de couvrir une activité militaire offensive. Et, en effet, ces installations
servaient d’écran, comme le montrent les consignes pour le déploiement d’observateurs sur des
plates-formes pétrolières dans le golfe Persique que nous avons présentées à l’annexe 115. Comme
nous l’avons vu hier, ces consignes indiquent que les militaires présents sur les plates-formes
«passeront pour des employés de la NIOC (Compagnie nationale iranienne des pétroles) et ne
porteront pas d’uniformes militaires».
16.19. En outre, bien qu’il prétende que ces plates-formes sont des installations
commerciales, comme je l’ai démontré hier, l’Iran les considère comme des installations militaires.
Les pièces soumises par l’Iran lui-même en l’espèce, les plaidoiries de l’Iran lui-même l’attestent.
L’Iran considérait que les plates-formes faisaient partie de son infrastructure militaire, qu’elles
avaient pour objet de suivre les mouvements de tous les navires étrangers se trouvant à proximité,
de donner des indications à leur sujet au quartier général et à d’autres unités militaires, et de
faciliter, appuyer et mener des opérations militaires offensives. Les preuves sont accablantes et ne
laissent tout simplement planer aucun doute.
16.20. En outre, les pièces de l’Iran lui-même ne laissent aucun doute sur le fait que les
plates-formes étaient dotées à la fois d’effectifs et d’équipements propres à des installations
militaires offensives (réplique, vol. IV, déclaration de M. Hassani, par. 25 concernant les
- 55 -
trois plates-formes; déclaration de M. Sehat, par. 20-21 concernant Rostam; déclaration de
M. Salmanian, par. 1 concernant Rostam; déclaration de M. Ebrahimi, par. 5-6 concernant Sassan;
et déclaration de M. Alagheband, par. 12-13 concernant Sirri; CR 2003/6, p. 46, par. 34-35).
16.21. Comme je l’ai déjà indiqué, les Etats-Unis soutiennent que la «liberté de commerce»
ne peut pas être utilisée pour couvrir ce type d’activités militaires offensives. L’Iran fait une
observation similaire au sujet des bateaux de plaisance ou des navires affectés à des recherches
scientifiques (réponse additionnelle, par. 6.9; réplique). Bien entendu, ces navires peuvent être
utilisés à des fins commerciales, à des fins d’agrément ou bien à des fins scientifiques, d’une part,
ou, de l’autre, à des fins militaires ¾ ce qui importe, c’est la manière dont un navire ou une
installation est utilisée, et non la fonction qu’elle remplit normalement. Par conséquent, si des
militaires et du matériel sont en place sur une plate-forme uniquement pour la protéger, cela
conforte la destination commerciale de la plate-forme. Par contre, lorsqu’on déploie du personnel
et du matériel militaires afin de mener des activités militaires offensives contre les navires neutres,
il serait tout à fait contraire à la logique de penser que leurs activités illicites peuvent bénéficier de
l’immunité au titre du paragraphe 1 de l’article X.
16.22. Le principe consistant à prendre en considération l’affectation d’une installation ne
constitue pas une nouveauté. Prenez, par exemple, par analogie, le droit de la guerre. En vertu du
droit international traditionnel et du droit international coutumier, les biens civils ne peuvent pas
faire l’objet d’attaques. Cependant, aux termes du droit international coutumier, un bien civil peut
être attaqué s’il est utilisé en vue d’apporter une contribution effective à l’action militaire (voir
article 52, paragraphe 2 du protocole additionnel aux conventions de Genève [du 12 août 1949
relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux] (protocole I)). De même,
l’annexe à la quatrième convention de La Haye de 1907 stipule que les biens civils peuvent être
pris pour cible s’ils sont affectés à un but militaire (article 27 du règlement concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre, annexé à la quatrième convention de La Haye de 1907; article 5 de
la neuvième convention de La Haye concernant le bombardement par des forces navales en temps
de guerre). Pour des raisons similaires, la Cour doit reconnaître que les plates-formes, même s’il
- 56 -
est établi qu’elles sont de nature partiellement commerciale, ont perdu tout statut dont elles auraient
pu bénéficier au titre du paragraphe 1 de l’article X lorsqu’elles ont été utilisées pour attaquer des
navires des Etats-Unis ou d’autres pays neutres dans le Golfe.
16.23. En somme, les preuves présentées excluent la possibilité d’étendre le champ du
paragraphe 1 de l’article X aux plates-formes pétrolières en cause puisqu’elles servaient à lancer et
à appuyer des interventions militaires offensives contre des navires neutres.
Conclusion
16.24. Monsieur le président, nous arrivons à la fin de notre exposé relatif au paragraphe 1
de l’article X. Je me permets de dire que les Etats-Unis ont démontré aujourd’hui, de même que
dans leurs écritures, que la Cour ne peut énoncer qu’une seule conclusion concernant la demande
de l’Iran qui subsiste en l’espèce, à savoir qu’il n’est pas possible d’imputer de responsabilité aux
Etats-Unis en vertu du paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955. La Cour doit conclure que les
Etats-Unis n’ont pas violé cette disposition pour les raisons exposées dans nos écritures et celles
que M. Murphy et moi-même avons passées en revue devant vous ce matin.
16.25. Monsieur le président, voilà qui conclut l’exposé des Etats-Unis aujourd’hui. Je vous
prierai de bien vouloir donner, demain matin, la parole à mon collègue, M. Weil. Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Bettauer. La Cour suspend maintenant ses travaux et les
reprendra demain matin à 10 heures.
L’audience est levée à 13 heures.
___________

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