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CR 2003/2 (traduction)
CR 2003/2 (translation)
Mardi 21 janvier 2003 à 11 h 30
Tuesday 21 January 2003 at 11.30 a.m.
- 2 -
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte pour le premier tour de
plaidoirie des Etats-Unis d’Amérique et je donne immédiatement la parole à M. William Taft,
agent des Etats-Unis d’Amérique.
M. TAFT :
I. INTRODUCTION
1.1. Je vous remercie , Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour,
Mesdames et Messieurs les conseils
C’est un honneur pour moi de me présenter devant la Cour au nom des Etats-Unis
d’Amérique. Je suis accompagné aujourd’hui de représentants aussi bien du département d’Etat
que du département de la justice des Etats-Unis d’Amérique, dont un certain nombre m’aideront à
exposer la réponse des Etats-Unis à la demande en indication de mesures conservatoires présentée
par le Mexique, en attendant la décision de la Cour sur le fond de l’affaire qu’il lui a soumise. En
outre, parmi les conseils qui plaideront devant vous aujourd’hui figure sir Elihu Lauterpacht, Q.C.,
qui est bien connu de la Cour.
1.2. Nous sommes en ce qui nous concerne fermement opposés à l’acceptation de la
demande du Mexique. Cette demande est dépourvue de tout fondement de fait ou de droit. Elle ne
démontre en rien qu’elle est nécessaire ni pour préserver des droits résultant de la convention de
Vienne sur les relations consulaires1
ni parce que l’urgence de la situation l’exige. De même, les
vastes mesures conservatoires sollicitées constitueraient, si elles étaient accordées, une ingérence
absolue dans le système de la justice pénale tel qu’il fonctionne aux Etats-Unis.
1.3. Monsieur le président, nous sommes également d’avis que faire droit à la demande du
Mexique équivaudrait de la part de la Cour à s’écarter manifestement et de façon considérable de
l’arrêt qu’elle a elle-même rendu dans l’affaire La Grand2
. La Cour a examiné dans ladite affaire
les conséquences du manquement par une partie aux obligations auxquelles elle est tenue en vertu

1
Convention de Vienne sur les relations consulaires et protocoles de signatures facultatives, faite à Vienne le 24
avril 1963 (ci-après dénommée la «convention de Vienne»).
2
Affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt du 27 juin 2001 (ci-après dénommée
«LaGrand»).
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de l’article 36 de la convention sur les relations consulaires et de l’aboutissement dans pareil cas
d’une procédure pénale à la déclaration de culpabilité et à la condamnation à une lourde peine de
l’accusé. La Cour a dit qu’en pareil cas les Etas-Unis devraient, en mettant en œuvre les moyens
de leur choix, permettre le réexamen et la revision du verdict de culpabilité et de la peine en tenant
compte de la violation commise.
1.4. La requête et la demande en indication de mesures conservatoires du Mexique vont
directement à l’encontre de l’approche prudente qu’adopte ainsi la Cour sur les questions en cause.
Le Mexique cherche essentiellement à obtenir un remède différent de celui du «réexamen» et de la
«revision» de la décision rendue dans toute affaire pénale où le jugement de première instance a
abouti à une condamnation à la peine capitale. Il soutient, de fait, qu’une violation de l’article 36
entache automatiquement de nullité toute procédure judiciaire interne des Etats-Unis ¾ un résultat
auquel votre Cour s’est gardé d’aboutir dans l’affaire LaGrand. Les Etats-Unis s’opposent à un
remède qui n’est de toute évidence pas conforme au critère du «réexamen» et de la «revision» fixé
dans l’affaire La Grand et qui ne respecte pas les droits souverains propres de notre pays.
1.5. La demande en indication de mesures conservatoires du Mexique va bien au-delà de ce
qui a été exigé tant dans l’affaire relative à la convention de Vienne que dans l’affaire LaGrand.
Examinons la demande de près.
Le Mexique prie la Cour d’indiquer que :
«a) le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique prenne toutes les mesures
nécessaires pour faire en sorte qu’aucun ressortissant mexicain ne soit exécuté;
b) le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique prenne toutes les mesures
nécessaires pour faire en sorte qu’aucune date d’exécution ne soit fixée pour
aucun ressortissant mexicain;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ;et que
d) le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique fasse en sorte qu’il ne soit pris
aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits des Etats-Unis du Mexique ou
de leurs ressortissants en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait
prendre sur le fond de l’affaire.»
1.6. Il s’agit là de demandes extraordinairement vastes. Elles requièrent de votre Cour une
profonde ingérence dans l’ensemble du système de la justice pénale des Etats-Unis, ce en dépit du
sage refus qu’a montré la Cour dans l’affaire LaGrand d’agir en tant que cour d’appel en matière
- 4 -
pénale. Ainsi, le Mexique cherche à obtenir de la Cour que celle-ci commence à dicter des
décisions en manière pénale. Aucun droit de cette nature que le Mexique demande à la Cour de
préserver en indiquant des mesures conservatoires ne saurait être tiré des dispositions de l’article 36
dont se prévaut le Mexique.
1.7. Bien entendu, nous reconnaissons que, aux termes de son Statut, la Cour a le pouvoir
d’indiquer «si elle estime que les circonstances l’exigent» quelles mesures conservatoires «du droit
de chacun doivent être prises.»3
Aux fins d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour indiquer des
mesures conservatoires, la Cour a retenu quatre éléments qui doivent être pris en considération.
Tout d’abord, la Cour doit estimer que les mesures sollicitées sont réellement conformes aux
critères qui en autorisent l’indication. Elle doit déterminer que l’indication de mesures
conservatoires est nécessaire pour éviter que le droit d’une partie ne subisse un préjudice
irréparable. Elle doit estimer que la question revêt une urgence. Enfin, elle doit dans le même
temps prendre en compte les droits respectifs de l’une et l’autre parties pour se prononcer sur la
question de savoir si les circonstances exigent ou non l’indication de mesures conservatoires.
Comme nous le démontrerons ce matin devant la Cour, ces conditions ne sont pas satisfaites par la
demande du Mexique.
1.8. Premièrement, comme je l’ai déjà indiqué, le Mexique demande à la Cour de créer des
droits qui vont bien au-delà de ceux que recouvre l’interprétation que la Cour donne de l’article 36.
Et il demande à la Cour de ce faire par le biais de la procédure obligatoire d’une demande en
indication de mesures conservatoires.
1.9. Deuxièmement, le Mexique n’a démontré l’existence d’aucun risque réel de préjudice
irréparable. La Cour a examiné avec grand soin dans l’affaire LaGrand la question des remèdes à
apporter à des violations de l’article 36. Les Etats-Unis font exactement ce que la Cour a jugé
devoir être fait en cas de violations des droits consulaires dans des affaires concernant des crimes
passibles de la peine capitale, en prenant dans chaque cas connu d’eux des mesures visant au
réexamen et à la revision des décisions rendues, quand l’obligation de la notification consulaire n’a
pas été respectée. Même si le Mexique mentionne verbalement la décision rendue en l’affaire

3
Statut de la Cour internationale de Justice, art. 41, par. 1.
- 5 -
LaGrand, il n’a pas été en mesure ¾ et ne saurait être d’ailleurs en mesure ¾ de démontrer que les
Etats-Unis n’ont pas mis en œuvre ou ne mettront pas en oeuvre les moyens de réparation prescrits
par la Cour dans l’affaire LaGrand. Les Etats-Unis suivent dans ce domaine la pratique définie par
la Cour dans ladite affaire.
1.10 La Cour a clairement indiqué dans l’affaire LaGrand que les Etats-Unis pourraient
mettre en œuvre des moyens de leur choix pour permettre ce réexamen et cette revision. A la suite
de l’affaire LaGrand, nous avons choisi des moyens qui ont permis d’assurer un réexamen et une
revision dans chaque cas, lorsqu’une violation de la notification consulaire s’est produite et qu’une
peine capitale devait être appliquée. Je puis donner l’assurance à la Cour que les Etats-Unis
continueront à mettre en œuvre ces mesures, qui se sont jusqu’ici révélées efficaces dans chaque
cas et il n’y a aucune raison de penser qu’elles ne le seront pas dans les cas futurs. Des assurances
telles que celles que je donne en ce moment à la Cour se sont avérées suffisantes dans le passé pour
répondre à des demandes en indication de mesures conservatoires.
1.11. Troisièmement, le Mexique n’a pas démontré qu’il y a urgence. Votre Cour n’envisage
des mesures conservatoires que lorsque le risque que le droit de l’une des parties ne subisse un
grave préjudice est imminent. Le Mexique ne peut démontrer l’existence de pareil risque
imminent, parce que la procédure dans chacune des cinquante quatre affaires est en train de suivre
son cours aux Etats-Unis. Aucune date d’exécution n’a été fixée pour l’un quelconque des
ressortissants mexicains. De fait, depuis le dépôt de la présente requête par le Mexique, trois des
cinquante quatre personnes figurant sur la liste qu’il a soumise ont vu leur peine capitale commuée
en des peines moins lourdes4
. Les autres affaires suivent leur cours à travers un système judiciaire
complexe, qui fonctionne sans entrave.
1.12. Certes le Mexique présente quelques faits concernant les cinquante quatre affaires,
mais ces faits sont dénués de toute pertinence quant à l’urgence de la situation. En vérité, l’absence
de pertinence est si manifeste que la Cour ne saurait tirer de manière probante les conclusions
sollicitées. Le résumé de la situation tel que soumis par le Mexique appelle toutefois plusieurs

4 Chicago Tribune du 12 janvier 2003, http:www.chicagotribune.com/news/local/chi-030112032jan12,1,
2995903.story ?coll=chi%2Dnews%Dhed. (lien valable à dater du 12 janvier 2003.); voir aussi le New York Times
du 12 janvier 2003, http:www.nytimes.com/2003/01/12/ national/12DEAT.html ? pagewanted=print&position=top (lien
valable à dater du 18 janvier 2003).
- 6 -
observations. Certaines affaires semblent tout simplement ne pas comporter de violations de
l’article 36. En outre, pour un certain nombre d’affaires, y compris celles dans lesquelles
l’existence d’une violation reste peu claire, le Mexique a eu ou aura l’occasion de soulever tout
manquement à l’obligation de la notification consulaire aux stades soit du procès en première
instance soit de l’appel. Enfin, dans tous les cas, la possibilité d’un réexamen et d’une revision
reste ouverte. Après que les tribunaux se seront prononcés sur toutes les questions qui leur auront
été soumises de manière appropriée, il y aura les procédures de recours en grâce, et comme le
gouverneur de l’Illinois vient de le démontrer au début de ce mois, par les mesures de clémence
accordées par lui, la possibilité du réexamen et de la revision de tous les aspects d’une affaire
demeure.
1.13. Quatrièmement, en présentant sa requête, le Mexique méconnaît les droits importants
qui sont ceux des Etats-Unis. Aux termes de l’article 41, la décision que rend la Cour sur les
mesures conservatoires doit tenir compte du droit de l’une et l’autre des parties. La Cour doit par
conséquent dans le même temps prendre en considération le droit de l’une et l’autre parties avant
de décider s’il y a lieu ou non d’indiquer des mesures conservatoires. Cependant, les mesures
conservatoires sollicitées par le Mexique, non seulement ne permettraient de préserver aucun droit
que le droit international confère au Mexique, mais elles porteraient gravement préjudice au droit
des Etats-Unis, par une profonde ingérence dans le fonctionnement du système de la justice pénale
des Etats-Unis.
1.14. Les Etats-Unis jouissent d’un important droit souverain, celui de faire fonctionner leur
système de justice pénale de manière équitable et efficace, et d’édicter des règles visant à l’équité,
par lesquelles se trouve défini le moment où des accusés peuvent exciper d’arguments portés à leur
connaissance.
1.15. Monsieur le président, une décision de la Cour sur une question comme celle de
l’étendue des remèdes qu’offre votre Cour dans les cas de violations de la convention de Vienne
doit être certaine et définitive. La demande que le Mexique soumet aujourd’hui à la Cour
balayerait ¾ si elle était acceptée ¾ cette certitude et ce caractère définitif que la Cour a conférés
à la décision rendue en l’affaire LaGrand. Cette demande devrait dès lors être rejetée. Monsieur le
président, je voudrais soulever deux points d’ordre administratif : conformément à la pratique, les
- 7 -
conseils des Etats-Unis ne donneront pas lecture ¾ et je n’ai pas donné lecture ¾ de l’intégralité
des citations faites à l’appui de notre argumentation mais, ces citations figurent intégralement dans
les textes remis à la Cour et je demande qu’elles soient ainsi reprises dans le compte rendu de
l’audience. Par ailleurs, nous nous référerons au cours de cette matinée à des documents qui ont été
déposés à la Cour et fournis à l’agent du Mexique, tard hier soir, et je voudrais que la Cour le sache
et ait lesdits documents à portée de main.
1.16. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je voudrais maintenant vous
présenter les conseils des Etats-Unis, en résumant de manière succincte les exposés que nous ferons
au cours de ce premier tour de plaidoirie.
1.17. Monsieur le président, je vous demanderai pour commencer d’appeler à la barre
M. Stephen Mathias du département d’Etat des Etats-Unis, qui fera un exposé sur le droit
applicable en l’espèce et montrera que la demande présentée par le Mexique devrait être rejetée,
parce que le Mexique cherche à préserver des droits qui, tel que la Cour l’a déjà déterminé, ne
peuvent pas être tirés par les parties de la convention de Vienne, ni directement ni indirectement,
pour remédier à une violation.
1.18. Nous inviterons ensuite la Cour à entendre la plaidoirie de Mme Catherine Brown du
département d’Etat, qui montrera que la demande présentée par le Mexique devrait être rejetée sur
la base d’un autre motif, à savoir que le Mexique n’a pas été en mesure de démontrer qu’il existe le
risque que ses droits ne subisse un préjudice irréparable, ni qu’il y a urgence.
1.19. Après l’exposé de Mme Brown, nous vous inviterons à entendre la plaidoirie de
M. James Thessin, du département d’Etat également, qui montrera que si l’on prenait dans le même
temps en considération le droit de l’une et l’autre parties, il en ressortirait clairement que la Cour
devrait refuser d’indiquer des mesures conservatoires.
1.20. Enfin, je vous demanderai d’appeler à la barre sir Elihu Lauterpacht, qui conclura ce
premier tour de plaidoirie au nom des Etats-Unis.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur l’agent et je donne maintenant la parole a
M. Stephen Mathias.
- 8 -
M. MATHIAS:
II. LES PRECEDENTS JURIDIQUES APPLICABLES
2.1. Merci, Monsieur le président. C’est un honneur pour moi que de comparaître une fois
de plus devant la Cour au nom des Etats-Unis. Monsieur le président, Madame et Messieurs les
Membres de la Cour, ma tâche ce matin consistera à rappeler les critères juridiques appliqués par la
Cour lorsqu’elle examine une demande en indication de mesures conservatoires, ainsi qu’à
examiner la situation au regard de la convention de Vienne sur les relations consulaires telle qu’elle
fut interprétée par la Cour dans l’affaire LaGrand. A la lumière de ce droit applicable, mes
collègues et moi-même mettrons en évidence les lacunes de la requête du Mexique.
A. Les conditions auxquelles est subordonnée l’indication de mesures conservatoires
2.2. Le pouvoir de la Cour à cet égard est défini au paragraphe 1 de l’article 41 de son
Statut : «La Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles
mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire.» L’auteur d’une
étude faisant autorité en la matière a souligné que ce pouvoir est «à la fois discrétionnaire et
exceptionnel» et qu’il doit «être utilisé avec prudence et modération»5
.
2.3. La Cour a défini plusieurs critères qu’elle estime pertinents pour déterminer si «les
circonstances … exigent» l’indication de mesures conservatoires.
2.4. Pour commencer, l’existence d’une compétence prima facie a toujours été considérée
comme une condition nécessaire6
. Les Etats-Unis ne prétendent pas soulever maintenant la
question de savoir si la Cour a compétence prima facie, tout en se réservant le droit de contester la
compétence de la Cour au stade opportun de la procédure. Pour l’heure, nous nous concentrerons
sur quatre points.

5
J. Sztucki, Interim Measures in The Hague Court, p. 61 (1983); italiques d’origine.
6
Voir par exemple Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République
démocratique du Congo c. Rwanda), mesures conservatoires, ordonnance du 10 juillet 2002, par. 58 (ci-après «Congo c.
Rwanda») : la Cour «ne peut indiquer ces mesures que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima
facie constituer une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée» (citant l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires,
ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 19, par. 35). Voir également l’affaire relative à la Frontière terrestre
et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), mesures
conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996, par. 30, et celle relative au Passage par le Grand-Belt (Finlande
c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, par. 14.
- 9 -
2.5. Premièrement, la Cour exige que les droits dont la protection est demandée par le biais
d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires soient des droits qui relèvent de la
compétence de la Cour dans la procédure principale. Dans la récente affaire des Activités armées
sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Rwanda), la Cour a rappelé que
«lorsqu’elle a établi qu’il existe une telle base de compétence, [elle] ne saurait toutefois indiquer de
mesures tendant à protéger des droits contestés autres que ceux qui pourraient en définitive
constituer la base d’un arrêt rendu dans l’exercice de cette compétence»7
.
2.6. Deuxièmement, il est essentiel que l’Etat demandeur démontre qu’en l’absence
d’ordonnance, ses droits risquent de subir un préjudice irréparable. Dans la récente affaire relative
au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, la Cour a fait observer que son pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires «présuppose qu’un préjudice irréparable ne doit pas être causé aux droits en litige
dans une procédure judiciaire»8
.
2.7. Troisièmement, la question doit être urgente. Egalement dans l’affaire relative au
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, la Cour a souligné «que de telles mesures ne sont justifiées que
s’il y a urgence»9
.
2.8. Enfin, la Cour doit examiner les droits respectifs des deux parties avant de décider de la
manière dont elle va exercer son pouvoir discrétionnaire. Ce faisant, la Cour ne doit pas se
contenter d’examiner les droits de l’Etat demandeur susceptible d’être protégés par des mesures
conservatoires, mais également ceux de l’Etat défendeur. De fait, le juge Koroma a souligné «la

7 Congo c. Rwanda, ordonnance du 10 juillet 2002, par. 58 (citant l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du
8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 19, par. 35); voir également Abdul Koroma, «Provisional Measures in Disputes
between African States before the International Court of Justice», in L'ordre juridique international, un système en quête
d'équité et d'universalité, Liber Amicorum Georges Abi-Saab, Laurence Boisson de Chazournes et Vera Gowlland-Debbas (dir. de
publ.), 2001 (ci-après «Koroma») : «pour que la Cour soit en mesure d’examiner la demande, elle doit vérifier si elle a été dûment
saisie d’une affaire et qu’elle est fondée à pouvoir conclure à sa compétence prima facie. En outre, il doit y avoir un lien suffisant
entre les droits que la demande tend à protéger et ceux qui doivent être déclarés protégés lors de l’instance au principal».
8 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), ordonnance du 8 décembre 2000,
par. 69; voir également l’affaire relative au Statut juridique du Groënland oriental (Norvège c. Danemark), C.P.J.I. 1932 série A/B,
n° 48, p. 276 et 284 (ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 août).
9 Mandat d’arrêt, ordonnance du 8 décembre 2000, par. 69; voir également l’affaire relative au Procès de prisonniers de
guerre pakistanais, mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 1973, par. 13 («il résulte de la nature même d’une demande en
indication de mesures conservatoires que la Cour soit priée de statuer d’urgence»).
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nécessité, pour la Cour, de mettre en balance, d’une part, le préjudice existant et potentiel qui
risque de survenir ou qui est dénoncé, et, d’autre part, les dommages qui risquent d’être subis si des
mesures sont indiquées et appliquées»10
.
2.9. Dans la présente procédure, chacun de ces quatre points justifie à lui seul le rejet de la
demande en indication de mesures conservatoires du Mexique11. Premièrement, la convention de
Vienne ne reconnaît pas les droits que le Mexique cherche à sauvegarder par sa demande en
indication de mesures conservatoires. Deuxièmement, le Mexique ne peut démontrer que ces droits
risquent de subir un préjudice irréparable puisqu’il est déjà en train de bénéficier du remède ¾ en
l’occurrence un réexamen ¾ que la Cour a jugé approprié aux cas de violations de la nature de
celles dont le Mexique fait état. Troisièmement, le Mexique n’a aucunement démontré que les
circonstances de l’espèce présentaient un caractère d’urgence justifiant les vastes mesures
conservatoires qu’il sollicite. Quatrièmement, l’ordonnance en indication de mesures
conservatoires qui est demandée ici constituerait une ingérence sans précédent et totalement
injustifiée dans les droits souverains des Etats-Unis puisqu’elle irait bien au-delà de la protection
des droits que le Mexique tire de la convention.
2.10. Mes collègues et moi-même développerons ces quatre points. Mais avant de revenir
dessus, j’aimerais passer rapidement en revue la jurisprudence de la Cour concernant le champ
d’application de la convention de Vienne, qui constitue le principal contexte de l’instance
actuellement devant la Cour.
B. Les critères applicables de la convention de Vienne
2.11. Les demandes du Mexique se fondent sur les obligations juridiques découlant de
l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires. Dans l’affaire LaGrand

10 Koroma, supra, p. 594 : «D’où le besoin pour la Cour de mettre en balance le préjudice potentiel qui constitue
une menace ou le préjudice existant dont il est tiré grief et le dommage qui risque d’être causé si une mesure est indiquée
et respectée.»
11 Affaire relative au Plateau continental de la mer Egée, mesures conservatoires, ordonnance du
11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p. 16 (opinion individuelle du juge Jiménez de Aréchaga : «[p]our que des
mesures conservatoires soient accordées, il faut que toutes les circonstances pertinentes soient réunies … pour les refuser, il
suffit qu’une seule de ces circonstances fasse défaut»).
- 11 -
(Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a analysé de manière approfondie les remèdes
susceptibles de réparer des violations de l’article 36 dans les affaires où de lourdes peines sont en
jeu.
2.12. Il est important de garder à l’esprit les dispositions les plus pertinentes de l’article 36.
L’alinéa b) du paragraphe 1 dispose que «[s] i l’intéressé en fait la demande, les autorités
compétentes de l’Etat de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l’Etat d’envoi
lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis
en état de détention préventive ou toute autre forme de détention». Cet alinéa b) dispose également
que les autorités de l’Etat de résidence «doivent informer sans retard l’intéressé de ses droits aux
termes du présent alinéa». Autrement dit, lorsqu’un ressortissant étranger est arrêté ou placé en
détention, les autorités compétentes doivent lui faire savoir sans retard qu’il a le droit de demander
que les fonctionnaires consulaires de son pays soient notifiés de son arrestation ou de sa détention.
L’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), ainsi que la Cour le sait bien, a établi les
remèdes à apporter en cas de violation des obligations de procédure que je viens d’énoncer.
2.13. Jusqu’à l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), les Etats-Unis, à
l’instar de la grande majorité des Etats Parties, partaient du principe que le remède dû à un autre
Etat pour violation des obligations en matière d’assistance et de notification consulaire découlant
de l’article 36 consistait en des excuses diplomatiques officielles accompagnées de la promesse
d’améliorer l’observation des dispositions en question. Dans l’affaire LaGrand (Allemagne
c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a estimé que des excuses ne constituaient pas un remède
suffisant dans tous les cas, et que lorsque des peines sévères avaient été infligées à des
ressortissants allemands privés de leurs droits en matière d’assistance et de notification consulaire,
les Etats-Unis «devraient permettre» le réexamen et la revision, par les moyens de leur choix, de la
déclaration de culpabilité et de la peine en tenant compte de la violation commise. Il est important
de noter que la décision de la Cour concernant la quatrième conclusion de l’Allemagne en l’affaire
LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique) ¾ portant sur l’application, à l’avenir, de la
convention de Vienne à l’égard de ressortissants allemands¾ diffère considérablement du remède
plus large qui avait été demandé par l’Allemagne.
- 12 -
2.14. Une chose est certaine : par ses termes, l’arrêt LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis
d’Amérique) s’applique uniquement aux ressortissants allemands, et «n’est obligatoire que pour les
Parties en litige et dans le cas qui a été décidé»12. Néanmoins, le président indiqua séparément que
la Cour, dans le cas où d’autres différends lui seraient soumis à l’avenir, n’appliquerait pas une
interprétation différente de la convention à des ressortissants d’autres Etats ou dans des affaires
concernant d’autres peines. En conséquence, la pratique des Etats-Unis à l’égard de tous les
ressortissants étrangers ¾ qu’ils soient Allemands, Mexicains ou autres ¾ s’est alignée sur l’arrêt
de l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), dans les cas précis dont les Etats-Unis
ont eu connaissance. L’agent des Etats-Unis vient d’assurer à la Cour que, puisque des cas
supplémentaires ont été portés à leur attention, les Etats-Unis continueront de prendre les mesures
qui ont garanti aux intéressés un réexamen et une revision, dans toutes les affaires depuis l’affaire
LaGrand. Bien entendu, un réexamen de ce genre peut aboutir ou non à un nouveau remède.
Réexaminer et reviser une déclaration de culpabilité et une condamnation ne peut consister qu’en
une chose : examiner chaque cas individuellement, de bonne foi, en tenant compte de la violation
commise, en vue de décider si une modification de la déclaration de culpabilité ou de la
condamnation est opportune ou non.
2.15. Je pense qu’il convient ici de dire quelques mots sur le remède demandé par le
Mexique ¾ le rétablissement du statu quo ante ¾ ainsi que sur la manière dont ce concept devrait
être appliqué dans une affaire comme celle-ci. La Commission de droit international, dans ses
commentaires sur les projets d’articles sur la responsabilité des Etats, a examiné l’application du
remède consistant à rétablir le statu quo ante dans des circonstances comme celles de l’espèce,
dans lesquelles l’obligation qui a été violée est une obligation de procédure liée à l’exercice de
pouvoirs importants par l’autre Etat. La Commission a ainsi souligné que «le rétablissement de la
situation antérieure dans de tels cas ne devrait pas donner à l’Etat lésé plus qu’il n’aurait été en
droit d’avoir si l’obligation avait été respectée»13. Elle a ainsi reconnu que dans de telles
circonstances, il ne convient pas d’assimiler le rétablissement à un simple retour en arrière visant à

12 Statut de la Cour internationale de Justice, art. 59.
13 Commentaires sur le projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, in
«Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session», Nations Unies,
doc. cinquante-sixième session, supplément no
°10, Nations Unies, doc. A/56/10 (2001), p. 236.
- 13 -
restaurer dans tous les détails le statu quo ante. Au contraire, la Commission, dans ses
commentaires, fait référence à la décision de la Cour en l’affaire LaGrand et fait observer que le
remède adopté par la Cour, à savoir un réexamen et une revision, «constitue une forme de
rétablissement qui tient compte du caractère limité des droits en cause»14
.
III. LES CONDITIONS REQUISES POUR L’INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
NE SONT PAS REMPLIES EN L’ESPECE
A. Les mesures conservatoires demandées par le Mexique visent à protéger de prétendus
droits qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour
3.1. Maintenant, Monsieur le président, je vais examiner en détail les quatre principales
raisons pour lesquelles la requête du Mexique doit être rejetée. La première et la plus
fondamentale est que le Mexique cherche à protéger des droits qui échappent à la compétence de la
Cour.
3.2. Ainsi que je l’ai souligné, la Cour, même lorsqu’elle a compétence prima facie a l’égard
du différend qui lui est soumis, doit limiter les mesures conservatoires qu’elle indique aux mesures
qui sont nécessaires pour protéger des droits relevant de cette compétence15
.
3.3. En l’occurrence, c’est au Mexique qu’il appartient de montrer que les mesures qu’il
demande sont nécessaires pour protéger les droits qu’il tire de la Convention de Vienne. Or, le
Mexique n’a pas démontré et n’aurait pu démontrer que les vastes mesures qu’il sollicite ¾ à
savoir que le Gouvernement des Etats-Unis prenne toutes les mesures requises pour garantir
qu’aucun ressortissant mexicain ne soit exécuté ou ne voie son exécution programmée ¾ sont
nécessaires pour protéger les droits qu’il tire de la Convention de Vienne.
3.4. Monsieur le président, le Mexique affirme qu’il cherche à sauvegarder les droits qu’il
tient de l’article 36 «tel qu’interprété avec autorité par la Cour … en l’affaire LaGrand (Allemagne

14 Ibid., note 518.
15Voir par exemple l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, par. 36
(«ayant établi qu'il existe une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, à savoir l'article IX de la convention
sur le génocide, et n'ayant pu conclure que d'autres bases avancées pourraient prima facie être retenues comme telles, ne
devrait pas indiquer de mesures tendant à protéger des droits contestés autres que ceux qui pourraient en définitive
constituer la base d'un arrêt rendu dans l'exercice de la compétence ainsi établie prima facie»). La Cour a également
constaté que «c'est à la Bosnie-Herzégovine, qui a déposé une seconde demande en indication de mesures conservatoires,
qu'il incombe de montrer que ces nouvelles mesures sont nécessaires pour la protection [des] droits [découlant de la
cinvention sur le génocide]» et que la Bosnie n’a pas montré cela (ibid., par. 39).
- 14 -
c. Etats-Unis d’Amérique)»
16. Cependant, le Mexique ne cherche aucunement à établir un lien
entre les mesures conservatoires qu’il demande et le remède aux violations de l’article 36 qui fut
établi dans cette affaire-là . Au contraire, le Mexique fait abstraction de la conclusion de la Cour en
l’affaire LaGrand, selon laquelle un examen et une revision constituent un remède approprié; au
lieu de cela, il demande des mesures conservatoires sans se soucier de savoir si semblable remède a
déjà été accordé dans une quelconque affaire. Il est manifeste, à cet égard, que la portée de sa
demande est excessive.
3.5. La demande du Mexique dépasse également à un autre égard le champ d’application des
droits qu’il cherche à protéger. Pour l’essentiel, le Mexique, dans sa requête, demande à la Cour
d’ordonner aux Etats-Unis de modifier leur législation interne afin que celle-ci offre un recours
additionnel dans les cas de violation de l’article 36. Il est clair, cependant, comme il fut d’ailleurs
reconnu en l’affaire LaGrand, que le choix des moyens doit être laissé aux Etats-Unis. Puisque les
mesures demandées par le Mexique visent à protéger un droit qui consisterait à avoir accès à un
recours supplémentaire en vertu de la législation des Etats-Unis, autrement dit un droit que le
Mexique ne tire pas de la Convention de Vienne, ces mesures vont au-delà de la compétence de la
Cour en l’espèce.
3.6. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, je vous remercie.
Je vous demande maintenant de bien vouloir appeler à la barre ma collègue, Mme Brown, qui vous
montrera pourquoi la demande du Mexique doit également être rejetée au motif qu’il n’y a pas de
préjudice irréparable ni de caractère d’urgence.
Le PRESIDENT : Je vous remercie beaucoup. Je donne maintenant la parole à
Mme Catherine Brown.
Mme BROWN :
3.7. Merci Monsieur le président. Madame et Messieurs les Membres de la Cour, c’est pour
moi un honneur que de me présenter devant vous au nom des Etats-Unis d’Amérique. Ainsi que
M. Mathias vient de l’indiquer, j’aurai pour tâche ce matin de montrer comment le Mexique a

16Requête introductive d’instance déposée par le Gouvernement des Etats-Unis du Mexique, 9 janvier 2003,
par. 5 (ci-après «la requête du Mexique»).
- 15 -
manqué de démontrer qu’étaient réunies deux des quatre conditions requises par la Cour avant de
pouvoir indiquer toute mesure conservatoire : le préjudice irréparable et l’urgence.
B. Les droits du Mexique ne risquent pas de subir un préjudice irréparable
3.8. Monsieur le président, l’incapacité du Mexique à démontrer que les droits qui lui sont
reconnus par la convention de Vienne pourraient subir un préjudice irréparable apparaît clairement
à l’examen de deux points. Tout d’abord, la Cour, en l’affaire LaGrand, a déjà établi que le
remède constitué par le réexamen et la revision fournissait un remède suffisant en cas de violation;
tel est d’ailleurs ce que le Mexique a demandé ¾ un remède suffisant ¾ pour toute violation de
l’article 36. En second lieu, les Etats-Unis ont toujours assuré ¾ et tel est encore le cas
aujourd’hui ¾ de telles procédures de réexamen et de revision dans les affaires concernant des
ressortissants mexicains. J’examinerai ces points l’un après l’autre.
1. La Cour a déjà dit que le remède constitué par le réexamen et la revision était un remède
suffisant, ce qui rend impossible toute demande au titre d’un préjudice irréparable
3.9. Concernant le premier de ces points, il ne saurait être sérieusement affirmé qu’il existe
en l’espèce une menace de préjudice irréparable susceptible d’être causé aux droits reconnus au
Mexique en vertu de l’article 36 de la convention de Vienne. La Cour a dit, en l’affaire LaGrand,
que, dans les cas de violation de l’article 36 et de condamnation à des peines sévères dont la peine
de mort, le remède était constitué par le réexamen et la revision de la condamnation et de la peine.
Ainsi que l’agent des Etats-Unis l’a assuré à la Cour, les Etats-Unis ont agi et continueront à agir
dans le respect de l’arrêt LaGrand en recourant aux mesures qui ont jusqu’à présent permis
d’assurer le réexamen et la revision dans toutes les affaires portées à notre attention depuis l’arrêt
LaGrand. Dans ces conditions, toute conclusion de la Cour selon laquelle les droits du Mexique
souffriraient un préjudice irréparable en l’absence d’une ordonnance en indication de mesures
conservatoires aurait nécessairement pour corollaire que le remède prévu par l’arrêt LaGrand,
suffisant pour des ressortissants allemands, ne le serait pas pour des ressortissants mexicains. Il
- 16 -
s’agirait précisément de l’interprétation «a contrario» que le président de votre Cour a écartée17
.
En bref, l’arrêt LaGrand est intrinsèquement incompatible avec le droit à un remède tel que le fait
valoir le Mexique, et qu’il a clairement décrit ce matin comme supposant per se un résultat.
2. Les Etats-Unis autorisent le réexamen et la revision dans des affaires concernant des
ressortissants mexicains
3.10. Concernant le second point, et contrairement à ce qu’a affirmé le Mexique, les cas
précis qu’a soulevés celui-ci auprès du Gouvernement des Etats-Unis depuis l’arrêt LaGrand
démontrent le souci qui a été celui des Etats-Unis de permettre le réexamen et la revision,
conformément à l’arrêt LaGrand, dans les affaires où des ressortissants mexicains encouraient des
peines sévères. Afin de bien comprendre cela, il importe de corriger l’impression erronée qu’a
créée le Mexique et qui sous-tend son affirmation selon laquelle les Etats-Unis n’ont pas permis un
réexamen effectif des condamnations et des peines18. Cette affirmation reflète la position du
Mexique, à savoir qu’un tel réexamen ne saurait s’effectuer dans le cadre d’une procédure de
recours en grâce, même si la Cour, dans l’arrêt LaGrand, a expressément laissé aux Etats-Unis le
choix des moyens à mettre en œ uvre pour permettre un tel réexamen et une telle revision19. La
procédure du recours en grâce a en effet été décrite par notre Cour suprême comme une procédure
solidement ancrée dans le système judiciaire anglo-saxon. Elle vient compléter le système
judiciaire américain lui-même, et constitue un moyen approprié de réexamen et de revision des
verdicts de culpabilité et des peines. Cela s’explique en partie par le fait que cette procédure de
grâce autorise le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité et des peines même après
l’achèvement de la procédure judiciaire et à la lumière d’informations qu’un tribunal pourrait ne
pas avoir eu la possibilité d’examiner au motif qu’elles n’auraient pas été présentées en temps
opportun. Mais cela s’explique aussi en partie par le fait que les pouvoirs conférés aux entités de
l’exécutif susceptibles d’accorder la grâce sont extrêmement étendus.
3.11. Dans notre système fédéral, le président des Etats-Unis a le pouvoir de gracier toute
personne condamnée pour crime fédéral. Il peut commuer une sentence, ou gracier totalement un

17 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 2001, déclaration du président Guillaume.
18 Requête du Mexique, par. 58-60.
19 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, par. 128 7).
- 17 -
condamné et ordonner sa remise en liberté. Au niveau des Etats, un pouvoir similaire existe parfois
exercé par le gouverneur de l’Etat, et parfois exercé conjointement par celui-ci et une commission
des grâces; bien que la procédure varie légèrement d’un Etat à l’autre, les gouverneurs et les
commissions des grâces disposent d’un pouvoir discrétionnaire étendu, tant en ce qui concerne les
éléments de preuve qu’ils examinent qu’en ce qui concerne les mesures qu’ils peuvent prendre. Le
Mexique a retiré hier sa demande en indication de mesures conservatoires à l’égard de trois de ses
ressortissants, précisément parce que cette procédure venait tout juste de permettre la commutation
des condamnations à mort prononcées à leur encontre. Mais il a manqué ce matin de donner acte
du fait que toutes ces commutations reposaient en partie sur la violation de l’article 36 de la
convention de Vienne ou que cette décision démontrait clairement que le recours en grâce non
seulement constituait une voie de droit importante, mais encore pouvait entraîner des ajustements
dans les peines prononcées20. La procédure de grâce a également permis le réexamen et la revision
de verdicts de condamnation et de peines à la lumière de la violation de l’article 36 de la
convention de Vienne dans deux affaires, concernant respectivement M. Valdez et M. Suarez, qui
ont été mentionnées ce matin et que j’examinerai brièvement. Cette procédure peut encore être
actionnée dans chacun des autres cas que le Mexique a énoncés dans sa requête.
3. Il y a eu réexamen et revision dans les deux seules affaires où une exécution était
imminente
a) L’affaire Valdez
3.12. L’un des deux cas qui viennent d’être mentionnés, et qui ont été discutés ce matin par
Mme Babcock, est celui de M. Gerardo Valdez Maltos, condamné à mort par l’Etat de l’Oklahoma
pour meurtre. Bien qu’il ait été condamné en 1989, le Mexique ne semble avoir eu connaissance
de son cas qu’en avril 2001, juste avant que la date de son exécution ne soit fixée au 19 juin 2001.
A cette époque, aucune voie de recours d’ordre judiciaire ne semblait plus devoir lui être ouverte,
mais il invoqua la grâce en demandant à la commission des grâces et des libérations conditionnelles
de l’Oklahoma de commuer sa peine de mort en une peine d’emprisonnement à perpétuité. Avant

20 Lettre de M. Santiago Oñate, agent du Mexique au greffier, en date du 20 janvier 2003. Voir Chicago Tribune
newspaper, 12 janvier 2003, http://www.chicagotribune.com/news/local/chi-0301120328jan12, 1,2995903.story?coll=
chi%2Dnews%2Dhed (lien valide au 12 janvier 2003); voir aussi New York Times, 12 janvier 2003, http://www.nytimes.
com/2003/01/12/national/12DEAT.html?pagewanted=print&position=top (lien valide au 18 janvier 2003).
- 18 -
l’affaire LaGrand, et en réponse à des représentations qui lui avaient été adressées par le Mexique,
le conseiller juridique du département d’Etat avait demandé à la fois à la commission des grâces et
au gouverneur de cet Etat, M. Frank Keating, de prendre en compte le défaut de notification
consulaire lors de l’examen du recours en grâce de M. Valdez21. Copie de ces lettres a été
communiquée à la Cour. Après que la commission eut recommandé la commutation de la peine de
mort en une peine d’emprisonnement à perpétuité, le gouverneur ordonna qu’il soit sursis à
l’exécution de M. Valdez précisément afin de pouvoir disposer de davantage de temps pour
examiner cette question.
3.13. C’est peu après, le 17 juin 2001, que fut rendu l’arrêt de la Cour en l’affaire LaGrand.
A la lumière de cette décision, les Etats-Unis estimèrent que la demande qu’ils avaient auparavant
adressée au gouverneur n’était pas suffisante. Cet arrêt était toutefois si récent que les Etats-Unis
n’avaient pas encore eu la possibilité de l’examiner en détail et de déterminer la manière d’y
donner suite, qu’il s’agisse d’affaires concernant des ressortissants allemands ou d’affaires
concernant des ressortissants d’autres pays. Le conseiller juridique adressa donc au gouverneur
Keating la troisième des lettres qui ont été portées à la connaissance de la Cour, dans laquelle il
attirait son attention sur l’arrêt LaGrand, et faisait observer que celui-ci était toujours en cours
d’examen, le priant toutefois d’examiner «en particulier la question de savoir si la violation de
l’article 36 avait eu un effet préjudiciable sur la déclaration de culpabilité de M. Valdez ou sa
condamnation»22. Cette demande montrait que les Etats-Unis n’avaient pas l’intention de limiter
les réexamens et les revisions à la lumière de l’arrêt LaGrand au seul cas de ressortissants
allemands.
3.14. Le gouverneur Keating prit au sérieux la demande du conseiller juridique et, outre qu’il
examina les éléments qui lui avaient été présentés par le Mexique et par M. Valdez, rencontra
personnellement des fonctionnaires du Gouvernement mexicain. Il décida toutefois en dernier lieu
de rejeter le recours en grâce, et expliqua directement au président Fox sa décision. Dans une lettre
dont il a communiqué la teneur à la Cour, il indiqua au président Fox ce qui suit : «à la lumière de

21 Lettre de M. Taft à la commission des grâces et des libérations conditionnelles de l’Oklahoma, 5 juin 2001;
lettre de M. Taft au gouverneur Keating en date du 13 juin 2001.
22 Lettre de M. Taft au gouverneur Keating en date du 11 juillet 2001.
- 19 -
la décision rendue en l’affaire LaGrand j’ai réexaminé la déclaration de culpabilité et la
condamnation de M. Valdez en tenant compte de la violation reconnue de l’article 36 … ainsi que
des informations communiquées par les … représentants de votre gouvernement». Le gouverneur
en concluait toutefois que, vu l’ensemble des circonstances de l’espèce, tout préjudice qu’aurait pu
subir M. Valdez était relativement négligeable et contrebalancé par d’autres facteurs tels que la
nature particulièrement odieuse de son crime23. Si Mme Babcock a ce matin rejeté cette décision,
tout en se félicitant de la recommandation de la commission en tant que celle-ci se fondait sur la
notion de défaut de procédure, il est clair que le véritable grief du Mexique concerne le résultat et
non la procédure elle-même.
3.15. Il ne saurait faire de doute que, avant de parvenir à une décision, le gouverneur Keating
a pleinement apprécié l’importance des questions de droit international intervenant en l’espèce. En
raison de ce qu’il a appelé «le poids extrême de ces questions pour le Gouvernement mexicain
et … les questions complexes de droit international qui ont été soulevées», il ordonna un nouveau
sursis de trente jours avant l’exécution24 de manière à accorder au Mexique un délai supplémentaire
pour rechercher des solutions juridiques et diplomatiques à cette affaire». Ce sursis supplémentaire
donna à M. Valdez, assisté par le Gouvernement mexicain, une véritable possibilité d’actionner un
recours devant la Cour d’appel de l’Oklahoma, qui a jugé que M. Valdez devait pouvoir se
présenter à une nouvelle audience en vue du prononcé de la peine, audience qui est à présent
prévue pour le 28 avril 2003.
3.16. Si le Mexique a loué ce matin cette décision, la présentation qu’il en a faite dans sa
requête est malheureusement erronée. Il importe de relever que, tout en concluant que des
considérations touchant au droit interne des Etats-Unis empêchaient d’accorder directement un
remède sur la base de la convention de Vienne ou de l’arrêt LaGrand, la cour d’appel n’en a pas
moins examiné de manière approfondie la question de savoir si le défaut de notification consulaire
avait effectivement causé un préjudice à M. Valdez. La cour a en outre expressément invoqué le
fait que le Mexique avait présenté des circonstances atténuantes susceptibles d’être prises en

23 Lettre du gouverneur Frank Keating au président Fox, en date du 20 juillet 2001. Bien que cette lettre ne le
précise pas, M. Valdez avait torturé sa victime plusieurs heures avant de la tuer et de brûler son corps dans son barbecue.
24 Ordonnance 2001/28 du 19 août 2001.
- 20 -
compte lors du prononcé d’une peine à l’encontre de M. Valdez. Le fait que les avocats de
M. Valdez aient manqué de réunir les éléments de preuve qui auraient pu intervenir lors de la
première audience de prononcé de la peine a permis d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience
au cours de laquelle les éléments réunis par le Mexique pourront être examinés. Il est clair que la
violation de la convention de Vienne et l’incapacité dans laquelle s’est de ce fait trouvé le Mexique
de présenter ses éléments de preuve ont eu une incidence sur la décision de la cour d’appel de
l’Oklahoma.
3.17. C’est ainsi que M. Valdez a pu bénéficier de deux mécanismes de réexamen et de
revision, l’un dans le cadre de la procédure de grâce, l’autre dans le cadre d’une procédure
judiciaire qui a permis d’accorder un remède sous forme de la tenue de nouvelle audience de
prononcé de peine. Les trois organes de décision concernés ¾ la commission des grâces, le
gouverneur et la cour d’appel ¾ ont examiné la question de la violation de l’article 36, et tant le
gouverneur Keating que la cour d’appel l’ont fait spécifiquement à la lumière de l’arrêt LaGrand.
b) L’affaire Suarez
3.18. Le Mexique n’a pas non plus décrit de manière exhaustive le cas de
M. Javier Suarez Medina, déclaré coupable et condamné à mort en 1989 pour le meurtre d’un agent
de police infiltré. Contrairement à ce qui avait été le cas pour M. Valdez, dans l’affaire Suarez, la
violation de l’article 36 fut connue du Gouvernement mexicain dès 1989. Aucune tentative ne fut
faite, toutefois, pour rechercher un réexamen judiciaire au titre du défaut de notification consulaire
avant août 2002, une semaine avant la date prévue pour l’exécution, le 14 août. Cette demande de
recours judiciaire fut rejetée au motif qu’elle n’avait pas été déposée dans des délais raisonnables.
3.19. Le 22 juillet, toutefois, M. Suarez avait également déposé un recours en grâce auprès
de la commission des grâces et des libérations conditionnelles du Texas. Dans une lettre détaillée
adressée à cette commission, lettre qui a été communiquée à la Cour, le conseiller juridique
examinait l’affaire LaGrand et demandait à la commission de réexaminer la condamnation et le
prononcé de la peine à l’encontre de M. Suarez à la lumière de la violation de l’article 36,
- 21 -
confirmée par le département d’Etat25. Cette lettre montre que, à ce moment-là , les Etats-Unis
avaient eu le temps d’examiner en détail l’arrêt LaGrand et avaient décidé de ne pas restreindre son
application aux seuls ressortissants allemands.
3.20. Il ne fait là non plus aucun doute que cette question fut prise très au sérieux par la
commission. Le Gouvernement du Mexique eut la possibilité de rencontrer le président de cette
commission le 8 août 2002, de discuter avec lui du recours en grâce de M. Suarez et de lui
présenter ses vues sur l’incidence du défaut de notification consulaire. La teneur de cet entretien
fut communiquée à tous les membres de la commission, qui reçurent également copie des
documents présentés par le Mexique26
.
3.21. Le 13 août 2002, la commission décida de ne pas recommander la commutation de la
peine de mort de M. Suarez en une peine d’emprisonnement à perpétuité. En droit texan, le
gouverneur ne peut accorder la grâce que si celle-ci a été recommandée par la commission. La
procédure de recours en grâce s’achevait donc avec la décision de la commission. Le lendemain, le
président de la commission expliqua, dans une lettre adressée au conseiller juridique, lettre qui a
été communiquée à la Cour, la démarche suivie par la commission lors de l’examen du recours en
grâce de M. Suarez27. Ainsi que la Cour peut le constater à la lecture de cette lettre, la commission
examina toutes les informations communiquées par le Mexique et par M. Suarez; elle avait toute
latitude, pour peu qu’elle jugeât cette action appropriée, pour recommander au gouverneur
d’accorder le remède supplémentaire demandé.
3.22. Le Mexique, c’est vrai, espérait que la commission parviendrait à une décision
différente, mais l’obligation de réexamen et de revision, telle qu’elle a été énoncée par la Cour dans
l’arrêt LaGrand, ne constitue pas une obligation de résultat. Elle autorise à modifier l’issue de la
procédure si l’organe de recours conclut qu’une telle modification est justifiée. Il ne saurait donc

25 Lettre de M. Taft à M. Gerald Garrett, président de la commission des grâces et des libérations conditionnelles
du Texas, en date du 5 août 2002. M. Taft adressa le lendemain une seconde lettre à la commission, par laquelle il
communiquait à celle-ci copie d’une note diplomatique du Gouvernement du Mexique (lettre de M. Taft à M. Garrett en
date du 6 août 2002).
26 Voir la lettre de M. Gerald Garrett à M. Taft en date du 7 août 2002.
27 Lettre de M. Gerald Garrett à M. Taft en date du 14 août 2002.
- 22 -
faire aucun doute qu’au travers de cette procédure de recours en grâce, les Etats-Unis ont permis un
réexamen de la condamnation et de la peine de M. Suarez à la lumière de la violation de
l’article 36, conformément à l’arrêt LaGrand.
4. Les Etats-Unis continuent à permettre des procédures de réexamen et de revision
a) L’affaire Moreno Ramos
3.23. Un autre cas, celui de M. Roberto Moreno Ramos, demeure en suspens au Texas;
l’intéressé fut reconnu coupable et condamné à mort en 1993 pour le meurtre de sa femme et de ses
deux enfants. M. Moreno a maintenant épuisé toutes les voies de recours judiciaire habituelles,
mais aucune date n’a encore été fixée pour son exécution et un recours en grâce peut encore être
déposé. Comme dans le cas de M. Suarez, la violation apparente de l’article 36 était connue des
fonctionnaires mexicains de nombreuses années avant que ne fût entreprise une quelconque
tentative pour la soulever devant un tribunal. De plus, le Mexique avait eu connaissance de
l’affaire dès avant le procès de M. Moreno, et avait ainsi eu la possibilité de lui dispenser une
assistance judiciaire tout au long du procès et de la procédure à l’issue de laquelle a été prononcée
la peine. Dans ces conditions se pose la question ¾ qui pourra être examinée lors de la phase au
fond ¾ de savoir s’il s’agit là d’une affaire entrant dans le cadre de celles pour lesquelles la Cour a
estimé qu’était nécessaire un réexamen et une revision28. Il est clair en effet que l’objet de
l’article 36 a été respecté, puisque le Mexique a été en mesure d’apporter une assistance lors du
procès.
3.24. Indépendamment de ces diverses questions, la procédure de recours en grâce demeure
ouverte à M. Moreno29
.
b) Les autres cas
3.25. Monsieur le président, les Etats-Unis n’ont pas été en mesure d’examiner l’ensemble
des autres cas cités dans la requête du Mexique. Nous avons des raisons de penser que les faits qui

28 Voir arrêt LaGrand, par. 74 :
«Il s’ensuit que, lorsque l’Etat d’envoi n’a pas connaissance de la détention de l’un de ses
ressortissants parce que l’Etat de résidence n’a pas effectué sans retard la notification consulaire
requise … l’Etat d’envoi se trouve dans l’impossibilité pratique d’exercer, à toutes fins utiles, les droits
que lui confère le paragraphe 1 de l’article 36.»
29 Voir la lettre de M. Taft à M. Juan Manuel Gómez-Robledo en date du 5 novembre 2002.
- 23 -
y sont décrits et ont été rapportés aujourd’hui concernant certaines de ces affaires ne sont pas tout à
fait exacts. Toutefois, si nous nous bornons au texte de la requête du Mexique, il apparaît
clairement que celui-ci a manqué de démontrer que ses droits risquaient de subir un préjudice
irréparable dans l’un quelconque de ces cas, étant donné qu’il n’a pu démontrer qu’il n’y avait pas
eu et qu’il n’y aurait pas réexamen et revision soit dans le cadre de la procédure judiciaire, soit
dans le cadre de la procédure de recours en grâce, soit dans l’un et l’autre cadre. Il ressort en fait
de la requête elle-même que, dans nombre de ces cas ¾ jusqu’à douze peut-être ¾ la question
soulevée a déjà été examinée au moins dans le cadre judiciaire, quoique le Mexique n’en soit pas
satisfait, puisque les juridictions concernées ont conclu, au fond, à l’absence de préjudice30. Dans
quasiment toutes ces affaires, des possibilités judiciaires de réexamen et de revision sont encore
recherchées31. Dans d’autres, le réexamen judiciaire peut ne pas être possible au motif,
inexplicable, qu’aucun recours judiciaire n’a été formé quand bien même la violation de l’article 36
était connue, ainsi que cela est le cas pour deux affaires que j’ai déjà mentionnées32. En outre, dans
chacun de ces cas, un réexamen et une revision demeurent possibles dans le cas d’une procédure de
recours en grâce. Cela est vrai même des cas à l’égard desquels les Etats-Unis contesteront, lors de
l’examen au fond, l’existence de toute violation de l’article 3633. Cela est également vrai d’au
moins seize personnes dans le cas desquelles le Mexique a lui-même reconnu avoir été notifié en
temps utile de la possibilité d’apporter une assistance consulaire lors du procès, de telle sorte qu’il
aurait non seulement pu être pleinement remédié, lors du procès, à une quelconque violation de
celui-ci, mais qu’en outre l’objet de l’article 36 a en tout état de cause été respecté34
.

30 Si l’on reprend la requête du Mexique, il semblerait qu’il s’agisse des cas de MM. Ayala (no
2), Juarez Suarez
(no
10), Alvarez (no
29), Hernandez Llama (no
33), Leal Garcia (no
35), Maldonado (no
36), Medillin Rojas (no
38),
Plata Estrada (no
40), Rocha Diaz (no
42), Loza (no
52), et Torres Aguilera (no
53). Le cas de M. Vargas (no
26) pourrait
également être inclus dans cette liste.
31 Cela semble être vrai de la quasi-totalité des cas, à l’exception de celui de M. Moreno (no
39) et, peut-être, de
celui de M. Plata Estrada (no
40).
32 Tel semble être le cas de M. Benavides Figueroa (no
3).
33 Tels seraient les cas de MM. Esquivel Barrera (no
7), Juarez Suarez (no
10) et Maturino Resendiz (no
37), qui
semblent avoir été notifiés de leurs droits dans les jours ayant suivis leur arrestation.
34 Tel semble être le cas de MM. Ramirez Villa (no
20), Hernandez Llanas (no
33), Maldonado (no
36),
Moreno Ramos (no
39), Ramirez Cardenas (no
41), Rocha Diaz (no
42), Tamayo (no
44), Fong Soto (no
48),
Hernandez Alberto (no
50) et Reyes Camarena (no
54). Bien que les représentations faites par le Mexique soient
ambiguës, il semblerait que les fonctionnaires consulaires mexicains ait eu connaissance des cas de MM. Flores Urban
(no
46), Solache Romero (no
47), Hernandez Alberto (no
50) et Torres Aguilera (no
53) bien avant leur procès. Les cas de
M. Mendoza Garcia (no
17) et de M. Vargas (no
26) semblent répondre au même schéma.
- 24 -
3.26. Conclure à l’existence d’un préjudice irréparable causé aux droits du Mexique en dépit
de ces mesures reviendrait, ainsi que je l’ai dit au début de mon intervention, à adopter un point de
vue en contradiction totale avec les motifs invoqués par la Cour dans l’arrêt LaGrand et
incompatible avec ceux-ci. Cela reviendrait en effet à affirmer que le réexamen et la revision d’une
condamnation et d’une peine tels que prévus dans l’arrêt LaGrand ne constituent après tout pas un
remède suffisant en cas de défaut de notification consulaire au titre de la convention, ou que le
remède applicable aux ressortissants mexicains ne serait pas le même que celui applicable aux
ressortissants allemands. La possibilité d’une telle interprétation «a contrario» ne saurait être
autorisée par la Cour, pas davantage qu’elle ne devrait pouvoir constituer un motif pour conclure à
l’existence d’un préjudice irréparable.
C. Le Mexique a manqué de démontrer qu’une quelconque urgence motiverait l’indication
de mesures conservatoires avant que la Cour n’ait pu examiner l’affaire au fond
3.27. Permettez-moi d’aborder maintenant brièvement la question de l’«urgence». Nous
contestons en effet tout caractère d’urgence. Nous affirmons qu’une telle urgence fait défaut parce
qu’aucun des cas sur lesquels le Mexique a appelé l’attention de la Cour ne comporte d’élément
permettant de conclure à l’existence d’une menace imminente de préjudice irréparable. En d’autres
termes, il faudrait établir non seulement qu’un ressortissant mexicain se trouve sur le point d’être
exécuté, mais encore que sa condamnation et sa peine n’auraient pas fait l’objet d’un réexamen et
d’une revision à la lumière de la violation de l’article 36. Or, tel n’est tout simplement pas le cas.
3.28. Tout d’abord, le Mexique convient qu’aucune date n’a encore été fixée pour
l’exécution de l’un quelconque de ses ressortissants. Il est admis qu’aucune date d’exécution ne
sera jamais fixée pour trois de ces cas35. En ce qui concerne les cinquante et un autres cas, le
Mexique ne laisse entrevoir la possibilité d’une exécution dans un avenir proche que pour
trois d’entre eux. Plus précisément, le Mexique laisse entendre que, dans ces trois cas, une
exécution pourrait intervenir au cours des six mois à venir36
.

35 Il s’agit des cas de MM. Caballero Hernandez (no
45), Flores Urban (no
46) et Solache Romero (no
47).
36 Demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Gouvernement des Etats-Unis du Mexique,
par. 5 (ci-après «demande du Mexique») : «Au cours des six prochains mois, trois ressortissants mexicains … risquent
d’être exécutés à moins que la Cour n’indique des mesures conservatoires.»
- 25 -
3.29. En réalité, il n’est nullement certain que l’un quelconque des trois intéressés soit en fin
de compte exécuté, puisque plusieurs mois seront encore nécessaires pour mener à terme les
procédures en cours avant qu’une exécution ne puisse intervenir. En outre, dans chacun de ces cas,
une procédure de recours en grâce demeure possible. Pour deux d’entre eux, des procédures
d’appel sont encore pendantes, et tous trois ont encore au moins la possibilité de procéder à un
recours en grâce auprès de l’exécutif de leur Etat. L’affirmation du Mexique selon laquelle une
ordonnance en indication de mesures conservatoires constituerait le seul moyen d’empêcher ces
exécutions est donc incorrecte.
3.30. Le Mexique a également présenté des affirmations erronées quant à un éventuel
calendrier des exécutions pour les cas en question. C’est ainsi que, alors que le Mexique affirme
que M. Cesar Fierro (no
30) «pourrait … être exécuté dès le 14 février 2003»37, il a par ailleurs
indiqué au département d’Etat (par courrier électronique) que, en réalité, «il est peu probable que la
date de l’exécution soit fixée avant la mi-avril».
3.31. Le Mexique affirme que l’exécution de M. Roberto Moreno (no
39), dont j’ai abordé le
cas plus haut, pourrait intervenir «dès avril 2003». En réalité, d’après les informations dont nous
disposons, une quelconque exécution dans le cas de M. Moreno ne pourrait intervenir moins de
quatre-vingt-onze jours suivant l’émission d’une ordonnance portant fixation de sa date,
ordonnance qui n’a pas encore été rendue. Etant donné que le procureur doit encore à ce jour
demander l’émission d’une telle ordonnance, et qu’il est probable que le juge tiendra préalablement
une audience, la fin du mois d’avril, voire le mois de mai, semble constituer la date la plus proche à
laquelle pourrait être prévue l’exécution de M. Moreno.
3.32. Le troisième de ces cas, celui de M. Osvaldo Torres (no
53), est encore pendant devant
une cour d’appel fédérale. L’état de la procédure en cette affaire, joint au délai applicable pour les
divers recours encore possibles, font que, en réalité, il est quasiment impossible qu’une date puisse
être fixée pour l’exécution de M. Torres avant 2004, si tant est qu’il y ait lieu d’en fixer une. En

37 Demande du Mexique, par. 7.
- 26 -
outre, selon le droit de l’Oklahoma, toute exécution doit être précédée par un délai d’au moins
trente jours ¾ qui peut aller jusqu’à soixante jours ¾ entre l’émission de l’ordonnance et la date
de l’exécution.
3.33. Ainsi, dans ces trois cas, l’exécution n’est nullement imminente. Il en va de même des
quarante-huit autres cas, à l’égard de chacun desquels la possibilité d’un recours en grâce demeure
en outre ouverte. Dans la quasi-totalité d’entre eux, les efforts tendant à obtenir l’ouverture d’une
procédure judiciaire de réexamen et de revision à la lumière de la violation alléguée se poursuivent.
Aussi l’issue de ces différentes affaires demeure-t-elle matière à spéculation.
3.34. Ce qui, en revanche, n’est nullement matière à spéculation est que les Etats-Unis sont
prêts, à l’égard de l’ensemble de ces cas, à continuer à recourir aux mesures qui ont donné leurs
fruits par le passé en vue d’aboutir à un réexamen et à une revision dans le cadre d’une procédure
de recours en grâce si un tel réexamen et une telle revision n’intervenaient dans le cadre d’une
procédure judiciaire. Tel est le remède indiqué par l’arrêt LaGrand, et il exclut toute possibilité de
conclure à l’existence d’un quelconque caractère d’urgence dans la demande du Mexique.
3.35. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, je vous remercie
de votre attention. Monsieur le président, je vous demanderai maintenant de bien vouloir appeler à
la barre M. Thessin.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Madame Brown. Je donne la parole à M. Thessin.
M. THESSIN :
D. Les droits respectifs des Parties ne permettent pas l’indication
de mesures conservatoires
3.36. Merci, Monsieur le président. C’est pour moi un grand honneur que de me présenter à
nouveau devant la Cour aujourd’hui. Je suis ici ce matin pour rappeler que l’article 41 du Statut
guide la Cour non pas pour préserver uniquement les droits revendiqués par le demandeur, mais
pour prendre des mesures «conservatoires du droit de chacun». Lorsque l’on soupèse les droits de
chacune des Parties, la balance ne penche décidément pas en faveur de la demande du Mexique en
l’espèce. Les mesures conservatoires qu’il propose ne visent à préserver aucun droit du Mexique
- 27 -
ou de ses ressortissants qui soit menacé de manière imminente, elles constituent plutôt une
violation grave et injustifiée du droit souverain des Etats-Unis à administrer son propre système de
justice pénale.
1. Le Mexique cherche à porter gravement atteinte à la souveraineté des Etats-Unis pour
préserver de prétendus droits qui n’ont aucun fondement en droit international
3.37. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, M. Mathias a expliqué que le
Mexique recherchait un remède qui n’a pas de fondement dans la convention de Vienne; il ne
cherche pas à faire valoir un droit que lui confère ce traité. Dans l’affaire LaGrand, la Cour a
défini les remèdes disponibles en cas de manquement à l’obligation de notification consulaire; il ne
s’agit pas de faire cesser les exécutions, mais de procéder à un réexamen et une revision des
verdicts de culpabilité et des peines. Les violations alléguées par le Mexique sont de la même
nature que celles de l’affaire LaGrand. En conséquence, le Mexique n’a nullement le droit de
demander des remèdes à la portée plus large que le réexamen et la revision.
3.38. Cette faille dans l’exposé du Mexique est soulignée par le fait que, en dépit de ses
allégations, il n’a fourni aucune preuve concluante pour montrer que le remède ¾ le réexamen et la
revision ¾ n’est pas apporté alors qu’il existe. La Cour n’indique pas des mesures conservatoires
sur la base de spéculations. Dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt, la Cour a rejeté la
demande en indication de mesures conservatoires au motif que la Finlande n’apportait aucune
preuve que la construction d’un pont lui porterait préjudice d’un point de vue économique38
.
Même dans des affaires où la vie humaine est en jeu, une logique identique prévaut. Dans l’affaire
du Génocide, la Cour a refusé d’indiquer certaines mesures conservatoires demandées par la
Yougoslavie car celle-ci n’avait présenté «aucun élément de preuve crédible» des actes de génocide
allégués39. En l’absence d’éléments de preuve que les Etats-Unis n’ont pas permis ou ne
permettront pas aux ressortissants mexicains d’exercer les droits qu’ils tirent de la convention de

38 Affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du
29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, par. 29.
39 Affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, par. 43 et 52.
- 28 -
Vienne, ou qu’ils ne permettront pas un réexamen et une revision conformes aux décisions de la
Cour en cas de violations, la Cour devrait aller dans le sens de ces jugements et rejeter la demande
du Mexique.
3.39. Face aux tentatives du Mexique visant à préserver des droits inexistants ou non
prouvés, il y a les droits essentiels et fondamentaux des Etats-Unis. Le Mexique prétend que
l’incidence sur les droits des Etats-Unis des mesures qu’il demande «serait de peu de
conséquences»40. Monsieur le président, rien n’est plus éloigné de la vérité. Les Etats-Unis, et, de
fait, chaque Etat au sein de leur union fédérale, ont intérêt à ce que leur système de justice pénale
¾ un système qui s’applique à plus de 280 millions de personnes ¾ soit administré de manière
ordonnée. Cela va jusqu’à l’application des sentences lorsque toutes les revisions sont achevées et
confirmées, à l’issue de procédures judiciaires longues et structurées et après les auditions d’appel
à la clémence.
3.40. Or, ces intérêts seraient mis de côté indéfiniment par la demande du Mexique. Le
Mexique voudrait que la Cour se prononce sur un groupe entier de personnes, contrairement aux
cas Breard ou LaGrand pour lesquels la Cour fut priée d’intervenir dans des affaires concernant un
seul individu clairement défini. Les mesures demandées par le Mexique porteraient gravement
atteinte au droit souverain des Etats-Unis de gérer et administrer son système de justice pénale41
.
Or, l’ordonnance demandée ne préserverait pas simplement le statu quo. Elle constituerait une
intrusion injustifiée de la Cour dans de nombreuses procédures pénales, d’une manière qui
interromprait et bloquerait la bonne gestion par les Etats-Unis de leur système judiciaire.
3.41. Une telle intrusion fait également totalement abstraction des droits que confère aux
Etats-Unis la convention de Vienne elle-même, comme cela a été confirmé par l’affaire LaGrand.
Le paragraphe 2 de l’article 36 de la convention de Vienne reconnaît expressément le droit des
Etats-Unis à définir dans leur propre législation interne la façon dont les droits tirés du traité
pourront être exercés par les ressortissants étrangers, pour autant que soit permise la pleine

40 Demande du Mexique, par. 13.
41 Affaire relative à la Convention de Vienne, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, déclaration du
juge Koroma examinant la «nécessité, pour la Cour, de rester dans les limites de la compétence qui l’habilite à régler les
différends entre Etats, qui, selon moi, s’étend au respect de la souveraineté d’un Etat vis-à-vis de son système de justice
pénale».
- 29 -
réalisation des fins pour lesquelles les droits sont accordés42. Dans l’affaire LaGrand, la Cour a
établi clairement que «le choix des moyens doit revenir aux Etats-Unis» aux fins de la mise en
œ uvre du traité43. La demande du Mexique porterait gravement et fâcheusement atteinte à ces
droits.
3.42. Dans ces conditions, après avoir examiné les droits respectifs des Parties, la Cour
devrait conclure, comme elle l’a fait dans les affaires Lockerbie, qu’indiquer les mesures
conservatoires demandées «serait de nature à porter atteinte aux droits [qui] sembl[ent] prima facie
avoir [été] conférés [aux Etats défendeurs]»44. Elle doit sur ce seul fondement rejeter l’ordonnance
demandée par le Mexique.
3.43. Si vous me le permettez, j’ouvrirai ici une petite parenthèse concernant la mise en
œ uvre de toute ordonnance en indication de mesures conservatoires. Le Mexique tente
abondamment d’établir qu’il ne fait «aucun doute que les Etats-Unis ont la capacité de faire
appliquer une ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour»45. Il est
pour le moins inhabituel de débattre du droit interne du défendeur dans une demande en indication
de mesures conservatoires. En l’espèce, cela montre bien que le Mexique reconnaît le caractère
démesuré de ce qu’il demande. Mais la façon dont les Etats-Unis traitent une ordonnance de
mesures conservatoires dans son droit interne n’a pas d’incidence sur les remèdes que le droit
international fournit aux parties en vertu de la convention de Vienne. C’est pourquoi nous ne
débattrons pas avec le Mexique des principes juridiques en jeu dans la mise en œ uvre des
obligations imposées aux Etats-Unis par le droit international. Je ferai simplement remarquer que
la relation entre le Gouvernement fédéral des Etats-Unis et ses Etats est marquée par une grande
perméabilité, caractérisée par la délégation aux Etats de certaines prérogatives, notamment la
gestion du droit pénal.

42 Convention de Vienne, art. 36, par. 2 : «les droits … doivent s’exercer dans le cadre des lois et règlements de
l’Etat de résidence, étant entendu, toutefois, que ces lois et règlements doivent permettre la pleine réalisation des fins
pour lesquelles les droits sont accordés en vertu du présent article».
43 LaGrand, arrêt, par. 125.
44 Affaire relative à des Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires,
ordonnance du 14 avril 1992, par. 41; Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), mesures
conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, par. 44.
45 Demande du Mexique, par. 24.
- 30 -
3.44. En la présente espèce, le Mexique demande un «résultat requis» qui consiste en ce que
soit ordonnés des sursis indéfinis aux exécutions de tous les ressortissants mexicains. Or cette
demande met directement en cause cette relation fédérale. Cela présente un contraste saisissant
avec les mesures indiquées par la Cour dans l’affaire LaGrand, où elle a expressément ignoré la
création d’une «obligation de résultat»46. La Cour a fait judicieusement remarquer qu’elle
n’entendait pas exiger des Etats-Unis qu’ils exercent des pouvoirs qu’ils n’avaient pas47. De la
même façon, lorsque le Paraguay demanda que soient prises toutes «les mesures nécessaires pour
faire en sorte» qu’il n’y ait pas exécution dans l’affaire relative à la Convention de Vienne sur les
relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour, dans son ordonnance, refusa
d’imposer ce poids aux Etats-Unis, et préféra leur demander de prendre «toutes les mesures dont ils
dispos[aient]» pour garantir que l’exécution n’ait pas lieu tant que la Cour n’aurait pas rendu sa
décision définitive en l’instance48
. A contrario, les ordonnances demandées par le Mexique en la
présente espèce pourraient mettre à rude épreuve les limites de l’autorité fédérale, voire même
passer outre.
3.45. Pour l’heure, il apparaît clairement que le Mexique cherche une obligation de résultat.
Les mesures qu’il propose visent à mettre en œ uvre immédiatement ¾ sans se préoccuper de
savoir si un «réexamen et une revision» ont été effectués ou le seront ¾ une interdiction absolue de
condamner les ressortissants mexicains aux Etats-Unis à la peine capitale, sans tenir compte du
droit des Etats-Unis. Une critique du raisonnement de la Cour en l’affaire LaGrand découle
nécessairement de la demande du Mexique. Contrairement à l’Allemagne dans l’affaire LaGrand,
le Mexique souhaite l’annulation de toutes les déclarations de culpabilité et condamnations, quelles
que soient leur validité et sans se préoccuper de ce que signifie la violation de l’article 36 pour la
déclaration de culpabilité ou la condamnation. Pour résumer, le Mexique cherche précisément à
obtenir le remède orienté vers un résultat précis que la Cour a refusé d’adopter dans l’affaire
LaGrand. Et c’est par l’intermédiaire des mesures conservatoires demandées qu’il cherche à
obtenir son remède radical.

46 LaGrand, arrêt, par. 111.
47 Ibid., par. 115.
48 Affaire relative à la Convention de Vienne sur les relations consulaires, ordonnance, par. 9 et 44.
- 31 -
3.46. La Cour a reconnu implicitement dans l’affaire LaGrand que le réexamen et la revision
ne conduisaient pas nécessairement à un renversement du verdict ou de la peine. Elle a clairement
reconnu que les violations de l’article 36 ne peuvent être évaluées que grâce à un examen attentif
des faits et circonstances propres à chaque affaire. L’obligation imposée aux Etats-Unis par la
convention de Vienne en cas de violation du droit à la notification consulaire est une obligation de
réexamen et de revision, et non une obligation de résultat.
3.47. Pour résumer, je dirai que les mesures conservatoires demandées porteraient gravement
atteinte au droit souverain des Etats-Unis et mettraient en cause d’importants intérêts du
fédéralisme, sans préserver aucun droit garanti par le droit international au Mexique ou à ses
ressortissants.
2. La Cour ne doit pas agir en tant que cour universelle d’appel en matière criminelle
3.48. Jusqu’ici, dans notre débat sur les facteurs qui pèsent sur le pouvoir discrétionnaire de
la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, je me suis concentré exclusivement sur les droit de
chacune des Parties. Cependant, il existe manifestement d’autres facteurs pertinents. La Cour a
pris soin d’indiquer que sa fonction n’est pas «d’agir en tant que cour d’appel en matière
criminelle»49. Pourtant, le Mexique voudrait que la Cour examine chacun des cas où un
ressortissant mexicain est condamné à la peine capitale aux Etats-Unis dès lors qu’un manquement
à l’obligation en matière de notification consulaire est allégué.
3.49. Le Mexique a soumis à la Cour les cas de cinquante-quatre individus différents; chacun
de ces cas permet d’invoquer des violations de droits en matière consulaire, que ce soit en première
instance, en appel ou dans le cadre de procédures incidentes. Ce n’est pas à la Cour de réexaminer
chacune de ces procédures. La Cour a déjà déterminé le remède applicable en droit international, et
les Etats-Unis le mettent en œ uvre.
3.50. Monsieur le président, pour conclure, la question de savoir quelle réponse la Cour
devrait apporter à la demande en indication en mesures conservatoires du Mexique va bien au-delà
des droits et des remèdes prévus par la convention de Vienne. Fondamentalement, cette question
en entraîne une autre d’ordre plus général, celle de la relation entre les mesures conservatoires et

49 Voir, par exemple, Ibid., p. 257, par. 38; LaGrand, ordonnance, p. 15, par. 25.
- 32 -
les questions de droit déjà tranchées par la Cour. Faire droit à la demande du Mexique signifierait
que tout Etat insatisfait par le raisonnement de la Cour dans une affaire à laquelle il n’était pas
partie pourrait battre ce raisonnement en brèche, effectivement et temporairement, par le biais de
mesures conservatoires alléguant des droits différents de ceux identifiés dans la décision de la
Cour. Autoriser une telle démarche reviendrait à ôter à la Cour sa raison d’être, qui est de déclarer
le contenu du droit international, ce que les Etats attendent d’elle. Par voie de conséquence, pour
répondre à la question de savoir si les «circonstances» appellent des mesures conservatoires, les
Etats-Unis estiment que le conflit existant entre les mesures demandées et les décisions
rigoureusement motivées de la Cour suffit en soi pour que la Cour refuse d’indiquer pareilles
mesures. Je vous remercie, Monsieur le président. Je vous prie à présent d’appeler à la barre
sir Elihu Lauterpacht.
Le PRESIDENT : Je vous remercie beaucoup, Monsieur Thessin. J’appelle à la barre
sir Elihu Lauterpacht.
Sir Elihu LAUTERPACHT : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour.
4.1. Il m’appartient de conclure l’exposé de la réponse des Etats-Unis en dressant un bref
récapitulatif et un aperçu de certains aspects essentiels des arguments qui viennent d’être présentés.
4.2. Même si cela semble évident, je dois commencer par préciser que la présente requête
doit être examinée dans le cadre et dans les limites du fond de l’affaire telle que présentée par le
Mexique. Les paramètres de l’affaire (y compris les éventuelles procédures incidentes) ont été
fixés par la requête du Mexique en date du 9 janvier et en particulier par son paragraphe 281. Ils
constituent l’objet de l’affaire. Le Mexique demande à la Cour de déclarer cinq éléments. Même
s’il est important de les avoir à l’esprit, je ne les répéterai pas maintenant.
4.3. Je vais toutefois rappeler les quatre principaux points de la demande en indication de
mesures conservatoires du Mexique.
4.4. Le Mexique prie les Etats-Unis de
1) prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’aucun ressortissant mexicain ne
soit exécuté;
- 33 -
2) prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’aucune date d’exécution ne soit
fixée pour aucun ressortissant mexicain;
3) porter à la connaissance de la Cour toutes les mesures qu’ils auront prises en application des
deux premiers points; et
4) faire en sorte qu’il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits du Mexique
ou de leurs ressortissants en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait prendre sur le
fond de l’affaire.
4.5. Ces demandes appellent un certain nombre de commentaires.
4.6. Tout d’abord ¾ cela va de soi ¾ cette affaire ne concerne pas la peine de mort. Il n’est
pas demandé à la Cour d’approuver ou de désapprouver l’existence de la peine capitale comme
norme du droit des Etats-Unis, ou du Mexique, ou de n’importe quel autre Etat. Tous les
sentiments, divers, attachés à ce sujet, doivent par conséquent être mis de côté. C’est ce qu’a dit la
Cour dans les deux affaires relatives à la Convention de Vienne sur les relations consulaires
(Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), (C.I.J. Recueil 1998, p. 257) et LaGrand (Allemagne
c. Etats-Unis d’Amérique) (C.I.J. Recueil 1999, p. 15).
4.7. Deuxièmement, la Cour n’a pas affaire en l’espèce à une question concernant la
responsabilité du Gouvernement des Etats-Unis à l’égard du comportement des Etats de la
fédération. Le Gouvernement fédéral des Etats-Unis admet être responsable au plan international
des violations qu’il commet ou que commettent les autorités des Etats de la fédération à l’égard de
traités auxquels les Etats-Unis sont partie. Par conséquent, la présentation systématique par le
Mexique, dans sa requête et dans les exposés de ce matin, des obligations des Etats-Unis à l’égard
des Etats qui les constituent (19-21) est dépourvue de pertinence et n’appelle pas d’autres
commentaires.
4.8. Troisièmement, il est important de noter que la requête initiale ne concernait pour
l’essentiel que le traitement réservé à cinquante-quatre ressortissants mexicains dénommés. Seule
est faite une vague référence, tout à fait subsidiaire, aux ressortissants mexicains en général, à
l’alinéa 4 du paragraphe 281. La Cour devrait donc, dans la présente procédure d’urgence, ne se
- 34 -
pencher que sur la situation des cinquante-quatre ressortissants mexicains effectivement dénommés.
Elle ne devra pas s’occuper de la situation des ressortissants mexicains en général : ils ne sauraient
être l’objet de la présente requête.
4.9. Quatrièmement, la question principale qui se pose à la Cour sur le fond de l’affaire est
celle des conséquences juridiques du fait allégué que les Etats-Unis n’auraient pas rempli leurs
obligations découlant de la convention sur les relations consulaires. Pour sa part, le Mexique
prétend qu’il a droit à une restitutio in integrum, une réparation qu’il décrit comme la restauration
de la situation telle qu’elle existait avant l’arrestation, la détention des ressortissants mexicains et
avant les procédures menées à leur encontre ainsi que les déclarations de culpabilité et les peines
prononcées contre eux. Il s’agit là d’une répétition de l’argument soutenu par le Paraguay dans
l’affaire Breard (C.I.J. Recueil 1998, p. 256) et par l’Allemagne dans l’affaire LaGrand
(C.I.J. Recueil 2001, p. 10). La Cour n’a admis cet argument dans aucun des deux cas. En effet,
aux paragraphes 125 et 128, alinéa 7, de l’arrêt LaGrand, la Cour a déclaré que, selon des moyens
dont le choix reviendra aux Etats-Unis ¾ j’insiste particulièrement sur ce point ¾ «les Etats-Unis
d’Amérique devront, en mettant en œ uvre les moyens de leur choix, permettre le réexamen et la
revision du verdict de culpabilité et de la peine en tenant compte de la violation des droits prévus
par la convention». Par conséquent, la Cour internationale de Justice a décidé que la réparation
consistant en un réexamen et une revision est suffisante; or, c’est justement cette réparation que les
Etats-Unis prévoient.
4.10. Il s’ensuit que, du point de vue de l’objet admissible d’une requête en indication de
mesures conservatoires, la requête du Mexique ne saurait aboutir à quoi que ce soit. A cet égard, le
Mexique enfonce une porte ouverte. Il serait tout à fait déplacé que la Cour ordonne aux
Etats-Unis de prendre des mesures consistant à «réexaminer et à reviser» des affaires, alors que
c’est déjà ce qu’ils font ou ce qu’ils peuvent faire en temps opportun dans un cas donné.
4.11. Il ne devrait pas y avoir de malentendu sur ce point. L’agent des Etats-Unis a déjà
garanti à la Cour que ceux-ci continueront à employer les mesures qu’ils appliquent depuis l’affaire
LaGrand. Jusqu’ici, ces mesures ont permis un réexamen et une revision dans chaque affaire. Il
n’y a pas lieu de penser qu’elles ne seront pas efficaces à l’avenir. Le fait que le réexamen et la
revision puissent parfois ne pas aboutir à une annulation de la procédure en première instance ou à
- 35 -
la commutation ou au report de la peine de mort est, comme la Cour l’a reconnu, dépourvu de
pertinence. Ce qui importe, c’est qu’un «réexamen et une revision» aient lieu. Comme l’a dit la
Cour, «[c]ette obligation peut être mise en œ uvre de diverses façons. Le choix des moyens doit
revenir aux Etats-Unis.» (Par. 125.)
4.12. A ce stade, il peut être utile de rappeler à la Cour le principal aspect de la décision
qu’elle a rendu en l’affaire des Essais nucléaires ((Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974,
p. 253). Dans cette affaire, l’Australie a demandé à la Cour 1) de déclarer que la poursuite des
essais atmosphériques d’armes nucléaires dans l’océan Pacifique n’était pas compatible avec les
règles applicables du droit international et 2) d’ordonner à la France de ne plus faire de tels essais.
En juillet 1974, la Cour a tenu des audiences sur la compétence et la recevabilité. Tant avant
qu’après ces audiences, de hauts fonctionnaires français, parmi lesquels le président, firent des
déclarations expliquant que la France avait cessé ses essais atmosphériques nucléaires. Ces
déclarations ont amené la Cour à conclure que le litige avait cessé d’exister. La demande soutenue
par l’Australie était par conséquent devenue sans objet. Il s’ensuivait qu’«aucune autre
constatation n’aurait de raison d’être» (C.I.J. Recueil 1974, p. 271, par. 56). Après avoir cité
l’affaire du Cameroun septentrional, la Cour a déclaré qu’elle ne «voy[ait] donc pas de raison de
laisser se poursuivre une procédure qu’elle sa[vait] condamnée à rester stérile» (ibid., par. 58).
«Stérile» ne signifiant pas que l’on n’aboutirait à rien, mais qu’il n’y avait plus de raison de
poursuivre la procédure.
4.13. Les Etats-Unis sont conscients que la présente affaire n’a rien à voir avec celle des
Essais nucléaires, mais un parallèle important peut être établi entre les deux. En l’affaire des
Essais nucléaires, l’assurance donnée par la France satisfaisait les demandes de l’Australie. Dans
l’affaire qui nous concerne, les Etats-Unis ont indiqué qu’au vu de l’état actuel de la situation et du
droit et de la pratique aux Etats-Unis, aucun des Mexicains actuellement condamnés à mort ne sera
exécuté sans qu’il y ait eu un réexamen et une revision du verdict de culpabilité et de la peine ayant
tenu compte de tout manquement aux obligations découlant de l’article 36 de la convention.
Certes, l’état du droit aux Etats-Unis, tel qu’il a été exposé, ne satisfait pas au critère de la restitutio
in integrum invoqué par le Mexique. Mais ce n’est pas là le critère du mode de réparation qui doit
s’appliquer en cas de violation de l’article 36. La Cour a clairement indiqué dans l’arrêt LaGrand
- 36 -
que le critère approprié est que les Etats-Unis «devront, en mettant en œuvre les moyens de leur
choix, permettre le réexamen et la revision du verdict de culpabilité et de la peine en tenant compte
de la violation des droits prévus par la convention».
4.14. Les Etats-Unis, comme il a déjà été précisé, satisfont à ce critère par divers moyens,
notamment la procédure d’appel et le réexamen dans le cadre de l’exercice du droit de grâce.
Même si la portée du premier de ces moyens est limitée par le concept de la «carence procédurale»,
tel n’est pas le cas du second. En outre, et il faut le répéter, pour satisfaire à la condition du
«réexamen et [de] la revision», il n’est pas nécessaire d’annuler tous les verdicts de culpabilité et de
recommencer le procès après avoir fait bénéficier l’accusé de l’assistance consulaire. La fonction
du «réexamen et [de] la revision» n’est pas de transformer en innocent un accusé dont la culpabilité,
au regard des critères normalement applicables aux accusés possédant la nationalité américaine, est
incontestable et vérifiable. Le «réexamen et la revision» qui ¾ je ne saurais trop insister sur ce
point ¾ est le critère indiqué par la Cour pour la mise en œ uvre de l’article 36, n’entraînent pas
automatiquement l’annulation du verdict de culpabilité. Dès lors que la procédure s’est déroulée
équitablement et a tenu compte du fait que l’accusé n’a pas bénéficié de l’assistance consulaire, on
ne saurait contester que la culpabilité et la peine ont été prononcées à bon droit.
4.15. A ce stade, il est également important de rappeler la valeur attachée par la Cour aux
assurances données dans le contexte particulier d’une demande en indication de mesures
conservatoires. Dans l’affaire du Grand-Belt déjà mentionnée, la Cour a refusé à l’unanimité
d’indiquer de telles mesures au motif que le Danemark avait donné des assurances que le canal ne
serait pas bloqué pendant l’instance et que la Finlande n’avait pas établi que la construction du pont
à elle seule porterait atteinte à ses droits50
.
4.16. J’en viens à présent à un bref examen de certains défauts de la demande du Mexique.
4.17. En premier lieu, la demande est viciée par l’exagération. La pratique aux Etats-Unis y
est qualifiée de «violation systématique» de l’article 36 de la convention, comme si les Etats-Unis
avaient décidé puis continué sciemment de ne pas agir conformément à leurs obligations juridiques.
L’éminent agent du Mexique a répété cette allégation ce matin. Aucune preuve n’est produite à

50 Affaire relative au Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), ordonnance du 29 juillet 1991,
p. 27-38.
- 37 -
l’appui de cette affirmation. Au contraire, la Cour a pris note en l’affaire LaGrand du programme
vaste et détaillé mis en œ uvre par les Etats-Unis pour assurer le respect de l’article 36 de la
convention. En réalité, j’ai appris que les autorités mexicaines reçoivent régulièrement des
notifications, et tellement souvent d’ailleurs d’après mes informations qu’elles ont du mal à y
donner suite.
4.18. En deuxième lieu, la demande en indication de mesures conservatoires ¾ c’est le
second défaut ¾ est prématurée. L’exposé des faits contenu dans la demande, et dont dépend
nécessairement la validité de celle-ci, montre qu’il n’y a pas urgence. Les temps employés pour les
verbes dans la demande révèlent eux-mêmes la nature incertaine et hypothétique de ces
allégations : «[l]’exécution de M. Fierro pourrait intervenir… L’exécution de plusieurs autres
ressortissants mexicains pourrait avoir lieu…» : notez les mots «pourrait intervenir» et «pourrait
avoir lieu» et non «interviendra» ou «aura lieu». Autre exemple : «[d]ans l’éventualité d’un rejet
de cette demande, il est à prévoir que les procureurs du Texas demandent rapidement au tribunal
compétent de cet Etat de fixer une date pour l’exécution de M. Fierro Reyna» : là encore, «il est à
prévoir [qu’ils] demandent» et non «ils demanderont». Dernier exemple : «[s]elon la suite qui sera
donnée par la Cour suprême à la demande de M. Fierro, ce dernier pourrait donc être exécuté dès
le 14 février 2003» : notez le mot «selon»; là encore, on lit «pourrait … être exécuté» et non «sera
exécuté». La thèse du Mexique repose entièrement sur des hypothèses, et non sur des certitudes.
4.19. Contrairement aux affaires Breard et LaGrand, il n’existe dans aucun des cas
mentionnés dans la demande de danger imminent d’exécution. Il s’ensuit que cette demande ne
présente pas un caractère d’urgence. Or, dans le système procédural de la Cour, aucune règle
n’impose que des demandes préventives soient présentées au tout début de l’instance dans l’attente
de situations qui se produiront ou non à l’avenir. Comme le prévoit l’article 75 du Règlement de la
Cour, une demande en indication de mesures conservatoires peut être présentée «à tout moment»
au cours de l’instance. La Cour a précisé à propos de cette disposition que la demande doit être
présentée «en temps utile» (LaGrand, C.I.J. Recueil 1999, p. 15, par. 19). Mais cela ne veut pas
dire qu’une demande en indication de mesures conservatoires doit être présentée avant que ces
mesures ne soient légitimement perçues comme nécessaires. Par ailleurs, comme l’énonce le
paragraphe 3 de l’article 75, «[l]e rejet d’une demande en indication de mesures conservatoires
- 38 -
n’empêche pas la partie qui l’avait introduite de présenter en la même affaire une nouvelle demande
fondée sur des faits nouveaux».
4.20. Il va sans dire que les intérêts du Mexique seront mieux servis en l’espèce si l’affaire
peut être rapidement tranchée sur le fond. Or, les Etats-Unis n’ont trouvé aucune indication dans la
requête du Mexique, ou dans ses plaidoiries aujourd’hui, que cet Etat souhaite accélérer le cours de
la procédure en produisant un mémoire dans les meilleurs délais. Toutefois, les Etats-Unis seront
quant à eux prêts, compte tenu de la relative simplicité des questions de fond principales lorsqu’on
les examine à la lumière de l’arrêt LaGrand, à déployer tous leurs efforts pour répondre dûment et
promptement à toute conclusion écrite du Mexique.
4.21. En troisième lieu, la Cour aura observé que sur les huit pages que contient la requête du
Mexique, deux pages  c’est-à -dire un quart de la requête, rien de moins¾ sont consacrées à une
dissertation sur la législation des Etats-Unis. Apparemment le Mexique veut-il démontrer par-là
que si la Cour devait rendre une ordonnance en indication de mesures conservatoires, les
Etats-Unis auraient les moyens d’en assurer l’application (par. 22-30). De l’avis des Etats-Unis, il
n’est guère besoin de solliciter le temps de la Cour pour examiner cette dissertation. Celle-ci n’a
aucune pertinence, pour les raisons que le Mexique donne lui-même. Le Mexique reconnaît que
«le choix des moyens» appartient aux Etats-Unis (demande, par. 30). Cela implique
nécessairement qu’il n’appartient pas à la Cour de choisir les «moyens», parmi ceux qui existent
aux Etats-Unis, d’assurer l’application de la convention sur les relations consulaires.
4.22. Le vice fondamental que comporte la position du Mexique apparaît dans l’affirmation
qui vient clore sa dissertation sur la législation américaine, selon laquelle la Cour «devrait préciser
de façon explicite le résultat exigé», à savoir «qu’aucun ressortissant mexicain ne doit être exécuté
aux Etats-Unis tant que la Cour n’aura pas statué au fond sur les prétentions du Mexique» (ibid.).
Voilà des propos bien trompeurs. La Cour a déjà dit en l’affaire LaGrand qu’elle n’impose aucune
obligation de résultat, mais une obligation de moyens. L’obligation des Etats-Unis consiste à
«réexaminer» et à «revision». Cette obligation ne nécessite pas de s’assurer que l’exécution n’ait
lieu dans aucun des cas qui seront réexaminés et pour lesquels il a été décidé au terme de la
procédure que la peine capitale devait être maintenue.
- 39 -
4.23. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’en arrive à ma dernière
observation.
4.24. La procédure établie dans le Règlement de la Cour sous l’intitulé «Mesures
conservatoires» doit être appliquée avec le même soin et la même rigueur, à tout le moins, que tout
autre aspect de la procédure de la Cour. Il s’agit d’une procédure destinée à protéger un demandeur
qui fait valoir des droits et des intérêts menacés par un danger réel et imminent. Il ne s’agit pas
d’un biais permettant à un Etat demandeur d’attirer hâtivement l’attention de l’opinion publique sur
une plainte qui ne résistera sans doute pas à l’analyse lorsque la Cour l’examinera au fond. Il ne
s’agit pas d’une procédure qui peut être utilisée à des fins de publicité pour prendre brièvement
l’avantage sur la scène politique, indépendamment des faiblesses ou du fond de l’affaire. En
l’espèce, les Etats-Unis soutiennent que la Cour ne manquera pas de déceler la faiblesse de la
tentative du Mexique, visant à remplacer le critère de «réexamen» et de «revision» clairement
défini dans l’affaire LaGrand par des moyens dont le choix appartient aux Etats-Unis, par un
critère bien plus large et qui a déjà été rejeté par la Cour. Monsieur le président, Madame et
Messieurs de la Cour, je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, sir Elihu. Ceci met un terme à la plaidoirie des
Etats-Unis pour ce matin et met aussi un terme au premier tour de plaidoirie dans la présente
affaire. Le deuxième tour de plaidoirie aura lieu cet après-midi, et commencera à 15 heures par les
Etats-Unis du Mexique. Je vous remercie, la séance est levée.
La séance est levée à 13 h 10.
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