CR 2000/31 (traduction)
CR 2000/31 (translation)
Vendredi 17 novembre 2000 à 14 heures
Friday 17 November 2000 at 2 p.m. - 2 -
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. We meet today to hear the second
round of oral arguments of the United States of America, and I shall immediately give the floor to
Mr. Thessin, Agent of the Government of the United States of America.
M. THESSIN : Merci, Monsieur le président.
1.1. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, éminents conseils, Mesdames,
Messieurs :
1.2. Mon ami M. Westdickenberg nous a utileme nt rappelé que nous éti ons devant la Cour
mondiale, une cour qui a pour fonction de résoudr e les différends internationaux d’ordre juridique
entre Etats. Pourtant, face aux efforts déployés à de multiples reprises par l’Allemagne pour
argumenter sur les faits, et à ses fréquentes interv entions sur des questions de politique publique,
nous avons souvent eu l’impression de nous trouver devant la Cour suprême des Etats-Unis ou bien
d’assister à des débats de l’assemblée législative de l’Arizona ou du Congrès des Etats-Unis.
1.3. Dans leurs précédentes plaidoiries, les Etats-Unis ont exposé en détail les faits essentiels
et les principes juridiques en jeu dans la présente affaire. Les observations que nous présenterons
aujourd’hui mettront à nouveau l’accent sur ces prin cipes et viendront compléter ces plaidoiries,
notre position restant inchangée.
1.4. Cette affaire devrait, et même doit, êt re tranchée conformément aux principes du droit
international. C’est là la mission de la Cour, sa fonction légitime. Perm ettez-moi de résumer à
nouveau les principes juridiques auxquels nous a vons exprimé notre pleine adhésion dans nos
exposés précédents.
1.5. La compétence de la Cour est fondée sur le protocole de signature facultative concernant
le règlement obligatoire des différends joint à la convention de Vienne sur les relations consulaires.
Cette convention faisait obligation aux autorités compétentes d’informer sans retard Karl et
Walter LaGrand du droit que chacun avait de leur demander d’avertir les fonctionnaires consulaires
allemands de leur arrestation. Les autorités comp étentes n’ont informé ni l’un ni l’autre des frères
de ce droit.
1.6. La convention de Vienne établit des procédures visant à faciliter les relations consulaires
entre Etats. A cet effet, elle accorde aux étrangers un droit de notification consulaire dans certaines - 3 -
circonstances, mais elle n’oblige pas un Etat à offrir aux étrangers qu’il n’a pas informés de ce droit
une voie de recours devant ses tribunaux internes.
1.7. Les Etats-Unis ont donc fourni une satisfaction appropriée en reconnaissant cette
violation du paragraphe1 b) de l’article 36 de la convention sur les relations consulaires, en
exprimant leur profond regret et présentant leurs sincères excuses, en assurant à l’Allemagne que le
respect de cette disposition devait être amélioré et en déployant des efforts considérables pour
éviter que de telles violations se répètent à l’avenir.
1.8. Les faits essentiels ne sont pas cont estés. Un jour de janvier 1982, Walter et
KarlLaGrand ont tué un employé de banque âgé de soixante-trois ans et laissé pour morte une
femme de vingt ans. En décembre 1984, à l’issue de l’audience sur le prononcé de la peine, une
juridiction de première instance de l’Arizona a c ondamné à mort les LaGrand, après avoir pesé les
circonstances aggravantes du crime en regard d es circonstances atténuantes, au rang desquelles
figurait une enfance difficile en Allemagne. Un long processus s’est alors mis en mouvement,
faisant intervenir deux systèmes juridictionnels, le sy stème de l’Etat et le système fédéral, et trois
voies de droit différentes, l’appel du jugement initial et deux recours indirects différents en
habeas corpus. Ces longues procédures ont duré quinze ans. Aucun principe de droit international
n’exige un tel nombre et une telle variété de voies ju diciaires, ni même d’ailleurs l’existence d’un
système juridictionnel fédéral de réexamen des décisions rendues par les tribunaux des Etats.
1.9. L’Allemagne a eu connaissance de la dé tention des frères LaGrand en 1992. Elle est
intervenue en faveur d’une mesure de clémence en février 1999, ma is n’a fait valoir la possibilité
d’un manquement aux dispositions consulaires que deux jours avant l’exécution de Karl LaGrand.
1.10. La position de l’Allemagne est difficile à résumer, ne serait-ce que parce qu’elle est
contradictoire sur plusieurs points essentiels. En fait, il existe un décalage sensible entre les
affirmations générales qu’elle énonce et les demandes spécifiques qu’elle adresse à la Cour.
L’Allemagne ne peut pas jouer sur les deux tableaux.
1.11. Premièrement, l’Allemagne affirme qu’e lle ne demande pas à cette Cour de faire
fonction de cour d’appel pénale. Et pourtant, nous l’avons entendue à maintes reprises demander à
la Cour d’examiner de près ⎯ et de déclarer illicites ⎯ divers aspects de la loi et de la procédure
pénales tant des Etats-Unis que de l’Etat d’Ar izona, ainsi que de porter une appréciation sur un - 4 -
certain nombre d’actes accomplis par les tribunaux, les procureurs et les avocats de la défense. Au
cours de la semaine écoulée, la Cour a été pr iée à nouveau de se pencher sur la valeur des
dépositions faites par les experts au cours du procès, sur la compétence des avocats des LaGrand, et
sur l’adéquation des procédures prévues au niveau des Etats comme au niveau fédéral pour le
réexamen des verdicts de culpabilité et des peines prononcées.
1.12. Deuxièmement, l’Allemagne affirme qu’e lle ne demande pas à la Cour de dire aux
Etats-Unis comment ils doivent procéder pour se co nformer à la convention de Vienne. Pourtant,
elle la prie de déclarer contraires à la conven tion certains aspects du système pénal américain, tels
que les règles de carence procédurale existant au niveau fédéral et au niveau des Etats qui
concernent le moment où les moyens de défense doivent être soulevés et la manière dont ils doivent
l’être, et d’exiger que de nouvelles règles de procédure leur soient substituées. Comme nous
l’avons clairement indiqué, la convention sur les relations consulaires ne prévoit pas de voies de
recours devant les tribunaux internes en cas de défaut de notification consulaire, ni ne demande aux
Etats d’en prévoir. Même si elle imposait l’exis tence de voies de recours internes, il n’en resterait
pas moins qu’une règle exigeant qu’un moyen ait été présenté au moment voulu, telle la règle de la
carence procédurale, est courante dans les systèm es judiciaires. La règle américaine n’empêche
pas non plus que justice soit rendue. Les moyens invoqués avec retard restent recevables si
l’intéressé peut démontrer qu’une atteinte a été por tée à sa cause et qu’une raison valable explique
qu’il n’ait pu le présenter à temps, par exemple l’insuffisance de son avocat. Si la manière dont les
Etats-Unis entendent se conformer à la c onvention doit rester à leur discrétion, ⎯ comme
l’Allemagne prétend le souhaiter ⎯ alors la Cour ne devrait pas accéder à sa demande tendant à ce
qu’elle déclare certains éléments du système américain illicites.
1.13. Troisièmement, l’Allemagne dit que cette affaire ne porte pas sur la peine de mort.
Pourtant, elle tire manifestement et largement ar gument de l’exécution des LaGrand pour soutenir
que les Etats-Unis ont violé leurs obligations dans cette affaire. Des passages entiers de
l’argumentation allemande sont des co ndamnations de la peine de mort et de la façon dont elle est
mise en Œuvre. Si, comme l’Allemagne l’affirme, cette affaire ne porte pas sur la peine de mort, la
Cour ne devrait pas alors accorder de mesures de réparation ni inclure dans sa décision des
conclusions se rapportant spécifiquement à cette peine. - 5 -
1.14. Les procédures dont disposent les Etats-Unis pour assurer, dans les affaires pénales, un
procès équitable et le respect des droits de la défense sont parmi les plus développées et
multiformes qui soient au monde. Leur système de double juridiction offre plusieurs niveaux de
garanties procédurales. Monsieur le président, dans ce système de freins et de contrepoids, dans ce
système de protection en profondeur contre l’inéquité, le défaut de notification consulaire ne saurait
être assimilé à une atteinte fondamentale aux droits de la défense. Pers onne ne peut honnêtement
dire qu’il ait, dans le cas des frères LaGrand, constitué une telle atteinte.
1.15. Ainsi, la Cour peut statuer sereineme nt sur cette affaire en appliquant comme il
convient le droit international, sans céder aux obj urgations de l’Allemagne qui veut la convaincre
d’élargir de façon illégitime le champ de la compét ence de la Cour en cette affaire et de dénaturer
ainsi le sens de conventions internationales. Un e juste décision sur la base du droit international
satisfera pleinement, en effet, aux normes d’équité les plus ha utes applicables aux procédures
pénales. N’oublions pas que ce prétoire est celui de la Cour mondiale.
1.16. Monsieur le président, Madame et Mess ieurs de la Cour, je vous remercie d’avoir
accepté d’avancer le début de cette audience à 14 he ures ainsi que nous le de mandions. En retour,
nous avons l’intention d’être brefs et prévoyons d’en avoir terminé à l’heure du thé. Nous nous
sentons assurés dans notre position et jugeons inutile de la répéter indéfiniment.
1.17. Je propose de procéder comme suit. Avec votre permission, les conseils parleront dans
le même ordre que mardi. Je vous prie donc, Mons ieur le président, de bien vouloir appeler à la
barre l’Attorney General, Mme Napolitano. Merci.
Le PRESIDENT: Merci beaucoup, Monsieur Thessin. Je donne maintenant la parole à
Mme Napolitano.
Mme NAPOLITANO :
1. Introduction
Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour,
2.1. Veuillez me permettre de ré futer brièvement en ma qualité d’ Attorney General de
l’Arizona les remarques d’hier, qui ont présenté une vision dénaturée ⎯je ne peux la qualifier - 6 -
autrement ⎯ du système de justice pénale américai n, et plus particulièrement de son
fonctionnement dans les affaires LaGrand. Pour dire les choses simplement, l’Etat d’Arizona a fait
en 1983 une erreur, une erreur pour laquelle il a pr ésenté ses excuses et à la suite de laquelle un
nombre considérable de mesures correctives ont été prises. La tentative que fait l’Allemagne de
faire de cette erreur la cause déterminante des verdicts de culpabilité et des peines qui ont été
prononcés contre les LaGrand ne trouve d’appui nulle part dans le dossier de l’affaire. Il s’agit
d’un révisionnisme historique sans rapport avec l es faits ni avec les quinze années de procédure
⎯ suivant trois voies judiciaires distinctes ⎯ qui, je le soutiens, ont assuré aux LaGrand toutes les
protections garanties aux accusés encourant la pe ine de mort, qu’ils soient ou non étrangers.
L’Allemagne est mécontente du résultat parce qu’elle veut que la peine de morts soit abolie. Si les
LaGrand avaient été condamnés à la réclusion à perpétuité, je doute que nous serions là
aujourd’hui. Je suis convaincue que cette Cour a ppliquera le droit international comme il se doit,
sans faire intervenir la peine de mort, en dépit des raisonnements déloyaux développés par
l’Allemagne pour qu’il en soit autrement.
Je traiterai brièvement de quatre points.
2. Les preuves de circonstances atténuantes
2.2. Premièrement, les preuves de circonsta nces atténuantes. Hier, l’Allemagne a soutenu
qu’elle avait établi que le défaut d’information des LaGrand sur leurs droits consulaires avait causé
un préjudice effectif à leur défense. Ce rais onnement repose sur l’hypothèse que, si les LaGrand
avaient été informés, ils auraient produit des pre uves de circonstances atténuantes qui leur auraient
évité la peine de mort. Cette hypothèse fait abstract ion, une fois encore, de tous les éléments de
preuve qui ont été présentés au nom des LaGrand. Contrairement à ce que prétend l’Allemagne, ce
qu’elle demande à la Cour amèner ait celle-ci, comme l’a dit l’Alle magne elle-même, à se plonger
dans les réalités concrètes, le "nitty gritty"1, d’une affaire pénale, fonction qui n’est pas celle de la
Cour et qu’elle n’a pas les moyens d’assumer.
2.3 Un rapport pré-sentenciel a été déposé avan t l’audience de détermination de la peine.
Dans ce rapport, l’agent de mise à l’épreuve donnait un aperçu des antécédents sociaux des
1
CR 2000/30, p. 40, par. 6. - 7 -
LaGrand. Il décrivait l’héritage familial des LaGrand, les dysfonctionnements de la famille dont ils
2
avaient souffert dès leur plus jeune âge, et leur placement répété dans divers centres d’accueil . Au
cours de l’audience sur la détermination de la peine, les avocats des LaGrand ont appelé des
experts psychiatriques à témoigner pour étayer les déclarations figurant dans le rapport
pré-sentenciel. Le docteur Gurland a témoigné que Walter était issu d’un foyer désuni et qu’il avait
été placé dans d’autres foyers d’accueil 3. Le docteur a parlé des origines multiraciales de Walter
LaGrand et a dit que Masie LaGra nd, le père adoptif de Walter LaGrand, était la seule figure
4
masculine stable dans sa vie . Le docteur a rappelé à la Cour l es perturbations qu’avaient entraîné
pour Walter LaGrand ses placements successifs dans diverses institutions d’accueil 5. Il a signalé
les violences physiques dont il était l’objet, ses mauvais résultats scolaires et l’ostracisme qu’il
subissait de la part de ses camarades 6. L’avocat de Walter LaGrand a ensuite appelé à témoigner
Patricia LaGrand, la sŒur de Walter, qui est venue confirmer les déclarations du docteur 7.
L’avocat de Karl LaGrand a présenté une défense similaire. L’expert qu’il a cité, le docteur
Meshorer, a témoigné que Karl avait les mêmes an técédents sociaux et avait eu la même enfance
8
que Walter LaGrand .
2.4. L’Etat d’Arizona a-t-il contesté la va leur des circonstances atténuantes invoquées?
Non. L’Arizona a admis qu’elles étaient véridiques. Au cours de l’audience sur la détermination
9
de la peine, le procureur ne les a contestées en aucune façon . L’Allemagne postule donc, ce qui
est tout à fait inédit en droit américain, que le fait que les LaGrand n’ont pu apporter de preuves
supplémentaires d’une circonstance atténuante que le procureur n’a même pas contestée leur a été
de quelque façon préjudiciable.
2.5. L’argument de l’Allemagne selon lequel la Cour doit se pencher sur les éléments qui lui
sont présentés, examiner de quelle manière ils ont ét é pris en considération et décider s’ils auraient
2 Annexe 2 au mémoire de l’Allemagne, p. 283-285.
3 Annexe 5 au mémoire de l’Allemagne, p. 317.
4
Annexe 5 au mémoire de l’Allemagne, p. 318.
5
Annexe 5 au mémoire de l’Allemagne, p. 319.
6 Annexe 5 au mémoire de l’Allemagne, p. 321-323.
7 Annexe 5 au mémoire de l’Allemagne, p.334-350.
8 Annexe 5 au mémoire de l’Allemagne, p. 354.
9
Annexe 5 au mémoire de l’Allemagne, p. 417. - 8 -
changé quelque chose à la condamnation est pr écisément le type d’argument qui est invoqué
habituellement devant les cours d’ appel pénales. Pour conclure qu’ il y a eu atteinte à l’équité par
insuffisance de preuves des circonstances atténuantes, la Cour devrait se montrer en désaccord avec
la cour suprême de l’Arizona, le tr ibunal fédéral de première instance du district de l’Arizona et la
10
cour d’appel fédérale du neuvième circuit . Toutes ces juridictions ont examiné les éléments de
preuve produits à l’appui de circ onstances atténuantes lors de l’audi ence de fixation de la peine et
ont conclu que le tribunal de première instance avait jugé à bon droit que ces éléments n’étaient pas
suffisants pour prévaloir sur les horribles circons tances aggravantes des crimes commis par les
LaGrand.
3. Accès à l’assistance d’un avocat
2.6. Deuxièmement, l’accès à l’assistance d’un avocat. La position de l’Allemagne fait
également abstraction d’un principe essentiel du droit pénal américain. Tous les accusés ou
prévenus ont accès pour leur défense à l’assistance d’un avocat, qui est présumé connaître la loi et
qui décide des moyens de défense à invoquer. Ri en n’empêchait les avo cats des LaGrand de se
renseigner sur la nationalité des LaGrand et de soul ever la question de la notification consulaire.
L’accès à l’assistance d’un avocat est une garantie fondamentale contre les abus des autorités
publiques et fait partie intégrante de notre système de justice pénale.
2.7. Aussi est-il hypocrite d’affirmer comme le fait l’Allemagne que les LaGrand étaient
dans l’impossibilité d’invoquer leurs droits parce qu’ils ne les connaissaient pas. Le droit des
Etats-Unis part de l’hypothèse que les accusés ou pr évenus ne connaissent pas leurs droits. C’est
pour cette raison même ⎯l’ignorance de leurs droits ⎯ que les accusés ou prévenus, aux
Etats-Unis, bénéficient de l’assistance d’un avocat, et de la garantie de cette assistance sera
effective.
2.8. De surcroît, il n’y a absolument rien d’abusif à ce qu’un système judiciaire exige de
l’avocat de la défense qu’il invoque suffi samment tôt les moyens fondés sur un prétendu
comportement fautif, qu’il s’agisse de violations du droit international ou du droit interne. Ce
10Annexe 3 au mémoire de l’Allemagne, p. 300-301 (cour suprême de l’Arizona); annexe 9 au mémoire de
l’Allemagne (tribunal fédéral de première instance),474; annexe 10 au mémoire de l’Allemagne (cour d’appel
fédérale), p. 484. - 9 -
système permet d’examiner les faits et de les prendre dûment en considération. La position
exprimée par l’Allemagne est de na ture à dissuader les avocats de la défense de soulever les
questions à un stade précoce de la procédure et à en traver la bonne administration de la justice.
Elle tend à reconnaître aux ressortissants étrangers des droits supérieurs à ceux des citoyens
américains accusés de crimes identiq ues. Rien dans la convention de Vienne ne va dans le sens
d’un tel résultat ou n’est de nature à le justifier.
4. L’assistance hypothétique de l’Allemagne
2.9. Troisièmement, l’assistance hypothétique de l’Allemagne. L’Allemagne a également
soutenu qu’elle aurait prodigué une aide considérable aux LaGrand. Tout ce que l’Allemagne a pu
présenter comme argument à l’appui de cette affirmation, c’est qu’elle a dépensé à ce jour
100000marks pour l’affaire Apelt. Comme l’atteste le dossier soumis à la Cour, l’assistance de
l’Allemagne en l’affaire Apelt a été extrêmement tardive. Lorsque l’avocat de Michael Apelt a
contacté le consul allemand en 1989, l’Allemagne n’a proposé aucune aide, mais a simplement
demandé à être tenu informée du déroulement de l’affa ire. Je renvoie la Cour à la déclaration sous
serment de M. Villareal qui décrit en détail la manière réelle, et non pas fictive, dont l’Allemagne a
traité la demande d’assistance de Michael Apelt. Cette déclaration se trouve dans les documents
supplémentaires déposés par les Etats-Unis, sous le numéro 6.
2.10. De même, pour ce qui est des LaGrand, l’Allemagne n’a pas évoqué le fait qu’en 1993,
lorsqu’elle a été contactée par l’enquê teur de Karl LaGrand, elle n’a pas réagi en offrant son aide
mais a demandé en quoi la nationalité était pertinente pour la défense de Karl. Je renvoie la Cour à
l’onglet 5 des documents supplémentaires des Etats-Unis. Pour tenter d’expliquer l’ignorance dans
laquelle était l’Allemagne de la portée juridi que de la nationalité allemande des LaGrand,
l’Allemagne fait valoir que la lettre du 17 mars 1993 était adressée à un enquêteur et non à l’avocat
de Karl LaGrand. Un tel propos n’a aucun sens. L’enquêteur travaille pour l’avocat: il est mandaté
par lui. Toute demande d’information provenant de l’enquêteur équivaut à une demande de
l’avocat. En conséquence, l’hypothèse de l’A llemagne selon laquelle elle se serait précipitée pour
défendre les LaGrand est contredite par leurs actes ⎯ ou leur inaction ⎯ dans l’affaire Apelt et par
les faits de l’affaire LaGrand, que rien ne vient contredire. - 10 -
5. Instructions à l’Attorney des Etats-Unis
2.11. Quatrièmement, les instructions à l’ Attorney des Etats-Unis. Je dois, pour finir, réagir
à la suggestion qu’a faite hier M. Donovan au cours du débat sur les mesures conservatoires, dont
M. Matheson traitera de manière plus détaillée. M. Donovan prétend, entre autres affirmations, que
le Gouvernement des Etats-Unis aurait dû donner pour instruction à l’ Attorney des Etats-Unis, le
principal représentant du ministère public fédéral, de saisir la juridiction fédérale en lui demandant
de rendre en urgence à l’encontre de la gouve rneur de l’Arizona une ordonnance empêchant
l’exécution de Walter LaGrand. Cela intéressera peut-être la Cour de savoir que j’étais Attorney
des Etats-Unis pour l’Arizona avant d’être élue Attorney General de cet Etat. A ma connaissance,
il n’existe absolument aucun précédent à l’appui de la mesure suggérée par M. Donovan, et il n’y
en a certainement jamais eu en Arizona. Cette procédure n’est tout simp lement pas envisageable
dans le contexte de la relation existant entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés. Ce n’était
certainement pas une possibilité dans les circ onstances exceptionnelles et urgentes caractérisant
l’affaire LaGrand, urgence due au retard mis par l’Allemagne elle-même à soulever la question de
la notification consulaire.
6. Conclusion
2.12. Monsieur le président, cela conclut mes remarques. Cela a été un grand honneur pour
moi que de me présenter devant vous et de vous expliquer comment toute l’affaire LaGrand s’est
véritablement déroulée. Puis-je vous demander, Monsieur le prés ident, de bien vouloir appeler
maintenant à la barre M. Meron.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Madame l’ Attorney General. Je donne maintenant la
parole à M. Meron.
M. MERON : Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour,
3.1. Je vous remercie de me donner cette occasion de répondre aux arguments présentés hier
par les éminents conseils de l’Allemagne.
3.2. Premièrement, Monsieur le président, la charge de la preuve. Nous apprécions à leur
juste valeur le talent d’orateur de mon savant co llègue M.Simma et celui de M.Donovan. Mais
des procédés rhétoriques comme l’invocation répé tée de «Catch 22», par exemple, ne sauraient - 11 -
prévaloir, me semble-t-il, sur l’autorité de la ju risprudence de la Cour. Comme celle-ci l’a indiqué
dans l’affaire du Nicaragua : «[La Cour] ne saurait … présumer qu’un élément de preuve qui n’est
pas disponible aurait, s’il avait été produit, plaidé en faveur de la cause de l’une des Parties.»
3.3. Deuxièmement, la protection diplomatique . L’érudit coagent de l’Allemagne a déclaré
hier: «cette question n’entre en ligne de comp te que par le truchement de la convention de
Vienne…» Mais la convention de Vie nne traite de l’assistance consulaire ⎯ j’appelle votre
attention sur l’article 5 ― et non de la protection diplomatique. Juridiquement, un monde sépare le
droit du consul d’assister un ressortissant de son pays incarcéré et la question totalement différente
de savoir si l’Etat peut endosser les réclamati ons de ses ressortissants au titre de la protection
diplomatique. Le premier entre da ns le champ de la compétence de la Cour, en vertu du protocole
de signature facultative, non la seconde. Dans son premier exposé, mardi, M. Simma a bien précisé
qu’il parlait de la protection diplomatique au sens classique. Il a fait mention, rappelez-vous, de
l’affaire Mavrommatis.
3.4. Il est dit dans le mémoire, pour expli quer la pertinence de la protection diplomatique:
«Selon les règles du droit international de la pr otection diplomatique, l’Allemagne est également
habilitée à protéger ses ressortissants qu ant à leur droit à être informés…» 11 Ainsi, l’Allemagne
fonde son droit de protection diplomatique sur le droit coutumier. Je tiens à rappeler que la Cour
est saisie de la présente affaire au titre non pas du paragraphe2, mais du paragraphe1, de
l’article36 de son Statut. N’est-il pas évident, Monsieur le président, que quelques droits qu’ait
l’Allemagne en vertu du droit coutumier, ils ne ressortissent pas à la compétence conférée à la Cour
par le protocole de signature facultative ?
3.5. Permettez-moi d’appeler l’attention de la Cour sur le fait que l’éminent coagent de
l’Allemagne n’a pas mentionné, moins encore contesté, la distinction faisant autorité qu’a établie la
Cour dans l’affaire du Nicaragua entre la compétence en matière conventionnelle et la compétence
en matière de droit coutumier. Je conclus: la protection diplomatique ne relève pas de la
compétence de la Cour en l’espèce.
11
Mémoire, par. 4.87. - 12 -
3.6. Troisièmement, l’épuisement des recour s internes. L’éminent coagent de l’Allemagne
semble soutenir deux thèses. Suivant la première , aucune voie de recours ne serait disponible.
Suivant la seconde, la violation de l’obligation d’in former dispenserait de l’obligation d’épuiser les
recours internes.
3.7. En ce qui concerne la première thèse, je souscris, pour commencer, à la position
exprimée par l’Allemagne da ns son mémoire et dans ses plaidoiri es devant la Cour cette semaine,
selon laquelle la protection diplomatique et la possib ilité de faire valoir tous droits individuels sont
effectivement subordonnées à l’épuisement des recours internes.
3.8. L’Allemagne, toutefois, conteste que des recours aient été disponibles. Puis-je inviter la
Cour à porter son attention sur le paragraphe 4.25 du mémoire. L’Allemagne y déclare que le droit
américain «ne prévoit pas de recours effectif contre la violation de l’obligation de
notification … après la condamnation d’un accusé ou d’un prévenu au terme d’un procès avec
jury» [les italiques sont de nous]. Il en découl e deux propositions qui, selon moi, vont de soi. La
première, c’est que l’Allemagne reconnaît qu’il exis tait des recours effectifs à l’échelon de l’Etat.
En effet, au paragraphe4.28 de son mémoire, l’ Allemagne convient que la doctrine dite de la
«carence procédurale» consiste à exiger «l’épuise ment des voies de recours interne au niveau de
l’Etat avant qu’une requête aux fins d’obtention d’une ordonnance d’ habeas corpus ne puisse être
déposée devant les juridictions fédérales». Pour ce qui est de la seconde proposition, l’Allemagne
voudrait que les Etats-Unis d’Amérique offrent des voies de recours supplémentaires à l’échelon
fédéral. Mais l’Allemagne n’est pas ici en terra in solide. Comme je l’ai exposé de façon assez
détaillée dans ma plaidoirie de mardi, le dro it international n’impose aucune voie de recours
supplémentaire au niveau des tribunaux fédéraux. Si aucune voie de recours supplémentaire n’est
prescrite par le droit international, en quoi donc le fait de prescrire des conditions non
discriminatoires pour le réexamen des décisions ser ait-il inadmissible ? J’estime que l’Allemagne
ne saurait réécrire le droit américain ni le dro it international pour y inscrire l’obligation d’un
réexamen supplémentaire à l’échelon fédéral.
3.9. En ce qui concerne la deuxième thèse, suivant laquelle la violation de l’obligation
d’informer dispenserait de celle d’épuiser les recours, l’Allemagne semble vouloir, comme nous
disons familièrement, Monsieur le président, «ma nger à deux râteliers». E lle invoque d’abord la - 13 -
violation du devoir de notification comme le manqueme nt essentiel, la raison d’être de la présente
procédure. Et elle tire ensuite prétexte de cette même violation pour justifier le non-épuisement des
recours internes. Cette tentative n’emporte assurément pas la c onviction. Imaginez un instant que
l’article 10 de la convention eur opéenne des droits de l’homme, qui concerne le droit d’être
informé, soit interprété par la Cour européenne des droits de l’homme comme impliquant un droit
d’être informé relativement à une question particuliè re. Imaginez encore qu’un Etat ait violé ce
droit dans un cas précis. L’Allemagne peut-e lle sérieusement prétendre que les conditions
d’épuisement prescrites par la convention européenne seraient suspendues dans ce cas, même si la
«victime» avait un avocat ?
3.10. J’ai déjà expliqué assez longuement que l es avocats de la défense avaient le devoir de
soulever la question de la violation devant les tr ibunaux de l’Arizona. Puis-je demander à la Cour
d’observer que l’Allemagne n’a pas répondu, ni objecté, à l’argumentation détaillée dans laquelle
nous avons soutenu que l’obligation de soulever la question de la violation de la notification
incombait aux avocats, qu’en droit international l’accusé et son avocat sont considérés comme une
seule et même entité du point de vue de leur positi on juridique, et qu’il ressort clairement de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ⎯seule juridiction internationale à
avoir examiné cette question ⎯ qu’un Etat n’est pas responsable des erreurs ni de la mauvaise
stratégie des avocats. En résumé, les positions adoptées par les avocats ― judicieusement ou
non ― ne peuvent pas excuser le non-épuisement des recours internes. Même si les accusés n’ont
pas conscience de la violation de l’obligation d’informer, ils ont des avocats qui sont censés
connaître le droit (voir par exemple l’affaire Kamasinski c. Autriche).
3.11. Quatrièmement, la pratique. Nous avons fait valoir que, dans sa pratique nationale,
l’Allemagne ne revise pas ni n’annule les condamn ations en cas de manquement à l’obligation de
notification consulaire ― je cite ici un point de mon argumentation ― «au seul motif d’un tel
manquement» 12. Hier les éminents conseils de l’A llemagne nous ont dit que la législation
allemande offrait une possibilité de réexamen, mais seulement, je répète seulement, quand il se
12
CR 2000/28, p. 48, par. 3.46. - 14 -
pouvait qu’il eût été porté atteinte à des droits. Mais quand il a ainsi été porté atteinte à des droits,
on peut également en droit américain faire intervenir la notion de prejudice.
3.12. Mais ce n’est pas là le principal. L’argument essentiel que nous avons avancé, et
auquel l’Allemagne n’a pas répondu, c’est qu’il n’ y a pas eu un seul cas, je souligne, pas un seul
cas, dans la pratique nationale de ce pays où un verdict de culpabilité ou une peine prononcés en
l’absence de notification consulaire aient été annulés ou cassés.
3.13. L’Allemagne, Monsieur le président, fait état de l’existence de lois de caractère général
qui permettraient la revision de la peine en cas d’ atteinte à des droits. Mais l’Allemagne n’a pas
démontré qu’il ait été effectivement fait application de ses lois pour reviser ou annuler des verdicts
de culpabilité ou des peines prononcés en violation de l’obligation de notification consulaire. La
Cour se souviendra que nombre d’affaires de ce genre ont été jugées en Allemagne et que beaucoup
concernaient des citoyens américains condamnés à des peines de prison en Allemagne alors qu’il y
avait eu manquement à l’obligation de notifica tion consulaire. L’Alle magne estime que la loi
qu’elle a citée hier témoigne d’une pratique concor dante. Mais l’invocation dans ce contexte de
lois générales n’est pas plus satisfaisante que le serait l’invocation des dix commandements pour
prouver que nous avons cessé de pécher. Et bien en tendu, les efforts déployés hier par M.Kaul
pour introduire dans la convention les notions de peine et de différence entre la peine capitale et
d’autres sanctions n’ont aucun fondement dans la convention. Cela reviendrait à modifier la
convention.
3.14. En posant des questions de caractère hypo thétique sur la pratique d’autres Etats,
M. Kaul a en fait admis le bien-fondé de notre analyse selon laquelle il n’est pas un seul Etat partie
qui suive l’interprétation que l’Allemagne prétend donner de la convention consulaire. Je répète
notre conclusion, à savoir que la pratique générale des Etats, not amment celle de l’Allemagne et
des Etats-Unis, prouve qu’il y a de la part des Etat s parties un rejet général de l’interprétation de la
convention consulaire que l’Allemagne soutient contre les Etats-Unis. En la présente affaire, qui
repose sur une certaine interprétation de la convention consulaire, l’Allemagne n’est pas parvenue à
établir que son interprétation est devenue une règle de droit international s’imposant aux
Etats-Unis. - 15 -
3.15. Monsieur le président, Madame et Me ssieurs de la Cour, cette affaire est la
cent quatrième inscrite au rôle général de la Cour. Mais dans les annales de celle-ci, elle est tout à
fait unique. La Cour est invitée à dire que les Etats-Unis ont enfreint une proposition procédant
d’une interprétation donnée d’un traité qui n’a de fo ndement ni dans le texte du traité, ni dans la
pratique établie, ni dans l’opinio juris des Etats parties. C'est là une situation tout à fait différente,
me semble-t-il, de celle où un droit de l’ho mme, par exemple, est reconnu dans la conscience
juridique des Etats, même si, hélas, il est souvent bafoué dans la pratique. Loin d’y adhérer fût-ce
rhétoriquement, la pratique des Etats rejette l’in terprétation donnée par l’Allemagne. Il n’y a donc
ici en droit international ⎯ et j’en viens à ma conclusion ⎯ aucune norme, il n’y a aucune norme
internationale que cette Cour, en sa qualité de cour de justice, puisse considérer comme obligatoire
à l’égard d’un Etat partie quel qu’il soit; aucune qu’elle puisse opposer aux Etats-Unis d’Amérique.
Je vous remercie, Monsieur le président. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir
maintenant appeler à la barre Mme Catherine Brown.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Me ron. Je donne à présent la parole à
Mme Catherine Brown.
Mme BROWN: Merci, Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la
Cour.
4.1. Nous avons examiné de façon approfondie la convention de Vienne mardi, aussi n’y
reviendrai-je que brièvement aujourd’hui. Rien de ce qui a été dit hier n’est venu réfuter notre
proposition centrale qui est que l’article36 n’exige pas que l’obligation de notification consulaire
soit intégrée au processus de justice pénale des Etat s parties à la convention ou que toute violation
de l’article 36 donne ouverture à un recours dans le cadre de ce processus. Nous fondons cette
proposition avant tout sur le texte de la convention, sur ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas. Notre
argument, à savoir que les Etats parties ont expr essément prévu l’incorporation au processus pénal
et ouvert des recours lorsque telle était bien leur intention ⎯ par exemple, dans le pacte relatif aux
droits civils et politiques ⎯ mais qu’ils ne l’ont pas fait dans la convention de Vienne, est resté hier
sans réponse de la part de nos amis allemands. - 16 -
4.2. Devant l’absence d’une obligation expresse d’incorporation, l’Allemagne se trouve face
à une tâche particulièrement difficile: elle doit d’une manière ou d’une autre établir un lien
intrinsèque entre une violation de la dernière phrase du paragraphe 1 b) de l’article 36 et les droits
de l’accusé dans le processus pénal. Or, ce lien, elle n’est pas non plus parvenue à l’établir hier.
Elle a plutôt reformulé grosso modo ses affirmations erronées : l’article 36 serait tributaire pour son
application intégrale de l’obligation d’informer le ressortissant (CR 2000/30, p. 19) et l’issue d’une
procédure pénale qui a duré dix-sept ans pourrait être imputée directement au fait que l’accusé n’a
pas été informé de son droit. L’idée avancée hier par M.Westdickenberg que les Etats-Unis ont
confondu des choses qui sont naturellement distin ctes (CR 2000/30, p. 9) ne saurait mieux décrire
ce que fait l’Allemagne elle-mêm e: elle confond les domaines distincts de la notification
consulaire et des poursuites pénales.
4.3. S’agissant de poursuites pénales, un pr ocès équitable est évidemment essentiel quelle
que soit la nationalité de l’accusé. Mais ce ca ractère équitable ne saurait dépendre de la
notification consulaire ou de l’assistance consulaire. Il n’y a aucun droit à l’assistance consulaire
ni aucune norme en ce domaine ; un fonctionnaire consulaire n’est tenu d’aucune obligation de
nature fiduciaire vis-à-vis du ressortissant de son Etat et il n’est pas tenu à son égard des
obligations qui incombent à l’avocat.
4.4. L’article36 joue en revanche un rô le important dans le domaine des relations
consulaires qui lui est propre et de l’accomplissement des fonctions consulaires. Ce n’est pas
dénigrer l’importance de la notifi cation consulaire que de la situ er dans la perspective qui est
légitimement la sienne. Nous a vons toujours reconnu l’importance de la notification consulaire et
le rôle que peut parfois jouer dans une affaire pénale l’assist ance consulaire lorsqu’elle est
demandée et accordée. Mais cela ne signifie pas qu ’il existe entre ces éléments et le système de
justice pénale un lien à ce point intrinsèque que l’issue du procès pénal doit forcément être suspecte
en cas d’inobservation de l’article36. Nous ne disséquons pas l’article36 pour le transformer en
ce que M. Simma appelle : «un agglomérat de droits isolés sans relations entre eux et sans aucune
pertinence aux fins des procédures pénales» ( CR2000/30, p.18, par.2) lorsque nous disons
simplement que ce qui peut parfois être pertinen t n’est pas essentiel et ne doit pas nécessairement
revêtir un caractère intrinsèque. Nous ne dévalo risons certainement pas l’article36 lorsque nous - 17 -
rappelons que la règle dite de la «carence procédurale» qui s’applique dans le contexte des recours
indirects exercés devant nos tribunaux fédéraux à l’égard d’instances introduites devant des
tribunaux d’Etat ne saurait violer cet article; comment pourrait-il en être ainsi alors que ces recours
indirects que les Etats-Unis ouvrent aux accusé s sont très peu répandus dans la pratique
internationale et que les normes internationales applicables n’exigent qu’une seule voie d’appel ?
4.5. Le simple fait que le paragraphe1 b) de l’article36 s’applique à toutes les mises en
détention, y compris celles avant jugement ( CR2000/30, p.18), n’établit pas, pour toutes les
raisons que nous avons exposées mardi, ce lien essentiel ― ce lien intrinsèque ― que l’Allemagne
cherche à établir avec le processus pénal. La détention préventive n’est pas automatique et
l’étranger ne sera pas nécessairement placé en détention avant jugement. Le lien le plus plausible
existant entre l’article 36 et l’instance en justice est la disposition du paragraphe 1 c) de l’article 36
qui autorise les fonctionnaires consulaires à pour voir à la représentation en justice de leurs
ressortissants. L’Allemagne a laissé entendre hi er que la façon dont nous interprétons cette
disposition permettrait à l’Etat de résidence d’élude r l’article 36 en désignant un avocat à l’accusé
(CR 2000/30, p. 19); voilà qui revient à déformer grossièrement notre argumentation. Ce que nous
voulons dire, c’est que ce membre de phrase est, à lui seul, un fil bien trop ténu pour établir entre le
processus pénal et les communications consulaires un lien si étroit qu’il faille rouvrir une procédure
pénale, à quelque stade qu’elle soit parvenue, simp lement parce qu’un fonctionnaire consulaire n’a
pas eu l’occasion de pourvoir à la représentation en justice de quelqu’un qui était en fait représenté
par un avocat.
4.6. Enfin, nous avons été heureux d’appr endre hier que l’Allemagne n’éprouve aucun
intérêt pour la mesure de réparati on que serait la nullité automatique. Mais elle n’a offert aucune
réponse à notre argument quand nous avons dit qu’ exiger une réparation fondée sur le préjudice
soulèverait de graves difficultés liées à l’inviolabilit é des archives consulaires et aux privilèges et
immunités des fonctionnaires consulaires, qui ont également leur place dans la convention de
Vienne sur les relations consulaires.
4.7. La pratique des Etats:hier, nous avons finalement entendu pour la première fois
l’Allemagne tenter de répondre aux observations que nous n’avons cessé de formuler à ce sujet.
Nous lui savons tout particulièrement gré d’avoir confirmé avec franchise que la pratique est d’une - 18 -
manière générale telle que nous l’ avons décrite (CR 2000/30, p. 27). Quant aux autres arguments,
je me permets de dire que, non seulement ils vie nnent trop tard, mais ils pêchent aussi par leur
faiblesse. Nous considérons la pratique des Et ats comme un outil d’interprétation. Nous avons
déjà reconnu que quelques Etats ont incorporé l’arti cle36 à leur droit interne ou ont ouvert dans
celui-ci des recours en cas de violation de ce tte disposition. Mais le fait important, que
l’Allemagne n’a pas du tout réfuté, c’est que la grande majorité des Etats, indépendamment de leur
pratique en ce qui concerne la peine de mort, n’ont pas incorporé cette disposition à leur droit
interne et n’ont pas ouvert de recours au pénal en cas de violation de cette disposition. Cet état de
choses s’inscrit dans la logique du texte de la convention qui n’institue aucune obligation
d’incorporation en droit interne. En bref, la pra tique des Etats confirme notre interprétation de la
convention.
4.8. Enfin, sur la question de la pratique des Etats, il vaut tout particulièrement la peine,
compte tenu de l’importance que l’ Allemagne a accordée hier à l’av is consultatif (OC-16) de la
Cour interaméricaine des droits de l’homme, de si gnaler que l’Allemagne est demeurée muette sur
la pratique des Etats d’Amérique latine. Notre étude sur la pratique des Etats n’a relevé dans cette
partie du monde l’existence d’aucun recours particu lier en cas de défaut de notification. De plus,
rien n’indique que des Etats appartenant au syst ème interaméricain aient modifié leur pratique du
fait de cet avis consultatif. La pratique qui présen te le plus de pertinence dans cette région selon
nous consiste en ce que le Mexique et les Etats-Unis ont c onclu un traité de transfèrement de
prisonniers tout en sachant parfaitement que les Am éricains qui seraient transférés aux Etats-Unis
n’ont pas bénéficié dans bien des cas d’une assistance consulaire en temps utile, mais
continueraient cependant à purger les peines auxque lles ils ont été condamnés au Mexique. C’est
là d’ailleurs la manière selon laquelle les trait és de transfèrement de prisonniers sont toujours
13
appliqués .
4.9. Si nous passons en dernier lieu aux trava ux préparatoires de la convention, je ne crois
pas qu’il ait été dit grand-chose d’intéressant hier , si ce n’est que l’Allemagne a reconnu qu’elle
prônait une «interprétation moderne» de l’article 36 fondée en partie sur le fait que les travaux
13 o
Voir contre-mémoire des Etats-Unis, pièce n 8, p. 12-13. - 19 -
préparatoires témoigne de l’intention de créer des droits individuels (CR 2000/30, p. 21). La Cour
se rappellera que j’ai expressément signa lé mardi que nous acceptons l’évidence ―à savoir que
l’article 36 parle bien de droits de l’individu ―, mais il va sans dire que ce n’est pas là la question
pertinente. La Cour se rappelle aussi que j’avais écourté mon analyse des travaux préparatoires
afin de terminer avant le déjeuner. Si je m’étai s abstenu d’abréger mon exposé, j’aurais noté qu’il
a été en fait question à plusieurs reprises des droits de l’homme dans les débats qui ont abouti à la
version définitive de l’article36. Mais ce qu’a d it des droits de l’homme le représentant de la
Grèce, à quoi l’Allemagne a fait allusion hier (CR 30, p.22), ne saurait faire de la notification
consulaire un droit de l’homme ou un élément du processus de justice pénale 1. Les observations
du représentant de la Grèce ne portaient de toute façon pas sur l’obligation d’informer la personne
mise en détention, obligation qui n’a jamais ét é considérée comme un droit de l’homme. Elles ont
été formulées dans un contexte différent avant qu’on examine la dernière phrase du paragraphe 1 b)
15
de l’article 36 .
4.10. En toute justice, si nous examinons les travaux préparatoires dans leur ensemble, tout
le monde ou à peu près y trouve chaussure à son pied. Mais nous ne trouvons rien qui aille à
l’Allemagne. Les travaux préparatoires ne permettent pas à l’Allemagne d’établir entre la
notification consulaire et l’instance pénale le lien do nt elle a besoin pour étayer sa position. Ils ne
témoignent pas non plus d’un consensus sur le fa it que l’article 36 visait des droits intangibles de
l’individu par opposition à des droits individuels dérivés des droits des Etats. Incontestablement, si
les délégations ont choisi de laisser à l’individu le soin de décider s’il y a lieu d’avertir de sa mise
en détention les fonctionnaires consulaires de son Et at, ce n’était pas parce qu’elles voyaient là des
droits appartenant au premier chef à l’individu, comme M.Simma l’a laissé entendre hier
(CR 2000/30, p. 21). Si tel était le cas, comment pourrait-on expliquer que l’Allemagne et d’autres
Etats ont estimé, après la conférence de Vienne, avoir toute liberté pour négocier des conventions
consulaires prévoyant que le consulat serait av isé indépendamment de la volonté exprimée par
l’intéressé ? On en a un exemple tout particu lièrement intéressant avec la convention européenne
14
Conférence des NationsUnies sur le s relations consulaires, documents officiels, vol.I, p.41, par.33
(17 avril 1963) (onzième séance plénière); p. 366, par. 13 (15 mars 1963) (Deuxième Commission).
15Ibid., p. 86-93 (22 avril 1963). - 20 -
sur les fonctions consulaires de 1967 qui, bien que n’étant pas en vigueur, traite en son article 6 des
mêmes questions que soulève l’article36 de la convention sans jamais mentionner le droit de
l’individu 16.
4.11. L’Allemagne a aussi tenté jusqu’à un cer tain point de traiter la question de la
renonciation (CR 2000/30, p. 19), mais l’effort n’a pa s été très productif. Nous faisions valoir que,
s’il avait été question, pendant les travaux prépar atoires, de donner à l’individu la possibilité de
renoncer à ce droit, c’était bien, comme nous le soutenons, parce que les droits que l’article36
reconnaît à l’individu, quelle que soit leur nature , appartiennent encore en dernière analyse aux
Etats parties à la convention. Dans ces cond itions, la convention n’empêcherait pas un Etat
incapable d’aider ses ressortissants de demander à l’Etat de résidence de ne plus mettre en Œuvre la
dernière phrase du paragraphe 1 b) de l’article 36. Les observati ons de l’Allemagne rappelant que
sa réglementation conférait à ses ressortissants un droit à l’assistance consulaire ne réfute pas la
position que nous défendons sur la convention de Vi enne. Elles ne concernent pas non plus les
droits que posséderaient les ressortissants allemands dans le cadre des systèmes de justice pénale
des Etats de résidence. Il est clair qu’un juge pr ésidant un procès au pénal dans l’Etat de résidence
ne pourrait ordonner à un fonctionnaire consulaire allemand de se présenter devant le tribunal et de
fournir une assistance à un ressortissant allemand à la demande de celui-ci. Mais aux Etats-Unis, le
juge pourrait au moins obliger un avocat à assurer la défense de ce ressortissant. Il s’agit là d’une
différence importante qui influe sur le lien entre la notification consulaire et le processus pénal.
*
4.12. Monsieur le président, j’ai dit mardi que les quelque cent soixante-cinq Etats parties à
la convention de Vienne sur les relations consulaires sont consta mment en train de dialoguer au
sujet de l’obligation de notifica tion consulaire et du droit de communication entre les consulats et
leurs ressortissants et j’ai instamment prié la Cour de respecter ce dialogue et de rejeter par
conséquent l’invitation que lui adressait l’Allemagne de modifier la situation. Si je puis revenir sur
16Voir convention européenne sur les fo nctions consulaires, art.6, STE n 61 (signée le 11 décembre 1967; non
en vigueur). - 21 -
ce thème, je voudrais demander à la Cour d’imagin er ce qu’il adviendrait de ce dialogue si elle
donnait suite à l’invitation de l’Allemagne. Perme ttez-moi de citer rapidement quelques pays qui
viennent d’adhérer tout récemment à la conven tion: l’Arménie en1993, l’Azerbaïdjan en1992,
Bahreïn en 1992, la Barbade en 1992, l’Erythrée en 1997, la Libye en 1998, la Mauritanie qui vient
de le faire cette année, Qatar en1998 et la Thaïlande en1999. Il est incontestable que
quelques-uns au moins de ces pays ont adhéré à la convention parce qu’ils y ont été encouragés par
d’autres Etats. Les Etat s-Unis ont certainement pour habitude d’encourager les adhésions, et ce
dans l’intérêt d’établir un régime uniforme en matière de relations consulaires.
4.13. Dans le cadre d’un dialogue aussi incita tif, on peut vraiment imaginer qu’un Etat qui
envisage d’adhérer à la convention posera quelques questions au sujet de l’article36, peut-être
dira-t-il qu’il craint d’avoir du mal à respecter cette disposition vu la superfi cie de son territoire,
son infrastructure, d’autres circonstances encore. Si l’on venait dire à cet Etat que la Cour
internationale de Justice a déclaré qu’un Etat partie à la convention doit ouvrir dans son système de
justice pénale des voies de recours en cas de viola tion de l’article 36, l’Etat considéré manifesterait
peut-être une certaine surprise. Après réflexion, il poserait peut-être la question suivante: «Vous
voulez dire que, même si nous accordons à un ressortissant étranger un procès parfaitement
équitable assorti de toutes les garanties que nous reconnaissons à nos propres ressortissants, nos
juridictions pénales devront néanmoins déterminer rétroactivement ce qui se serait passé si le
ressortissant en question avait été informé de la faculté qu’il avait d’aviser les fonctionnaires
consulaires de son pays ? Et ce quel que soit le stade auquel la procédure était parvenue ⎯ même
si les voies de recours étaient épuisées ? Même si l’intéressé maîtrise parfaitement notre langue et
a passé presque toute sa vie dans notre pays ? Même s’il savait tout juste qu’il était un ressortissant
étranger, ne parlait pas la langue de son pays et n’avait plus depuis fort longtemps de contact avec
ce pays ?»
4.14.Expliquer que la décision de la Cour ne s’applique d’un point de vue technique qu’à
l’affaire LaGrand opposant l’Allemagne et les Etats-Unis ne constituerait pas, à mon avis, une
réponse satisfaisante à ces questions. Dans la majo rité des cas, les difficultés qu’il y a à respecter
en tous points l’article36 et l’importance que les Etats attachent à l’intégrité de leur système de
justice pénale les empêcheraient tout simplement d’être en faveur d’un tel régime. J’irai même - 22 -
jusqu’à affirmer que bon nombre des Etats qui s ont actuellement parties à la convention n’y
auraient pas adhéré ⎯ du moins pas sans exprimer des réserves ⎯ s’ils avaient su que c’était là ce
qui les attendait. Je prierai de nouveau la Cour de se rappeler que la décision qu’elle rendra en
l’espèce sera inévitablement lourde de conséquen ces et de rejeter l’invitation que lui adresse
l’Allemagne de donner à la conven tion de Vienne sur les relations consulaires une interprétation
moderne que les quelque cent soixante-cinq Etats qui y sont parties n’avaient jamais envisagée.
4.15. Monsieur le président, ainsi se termine mon exposé, je prie la Cour de bien vouloir
donner la parole à M. Mathias.
The PRESIDENT: Thank you, Ms Brown. I now give the floor to Mr. Mathias.
M. MATHIAS :
5.1. Monsieur le président, Madame et Messi eurs les Membres de la Cour, examinons une
dernière fois les conclusions de l’Allemagne.
5.2. Pour ce qui est de la première conclu sion, l’Allemagne n’est plus revenue sur ses
allégations de violation de l’artic le5 ou des autres aspects du paragr aphe1 de l’article36. Nous
prions donc la Cour de rejeter cette première conclusion pour autant que l’Allemagne prétend avoir
été privée de la possibilité d’assurer une assistance co nsulaire. Pour ce qui est du lien de causalité,
l’Allemagne n’a pas prouvé, comme la charge lui en incombait, que l’exécution des frères
LaGrand, présentée comme sujet de chacune des deux premières conclusions de l’Allemagne et
comme fondement d'une partie de sa quatrième conc lusion, ait été causée par une violation de la
convention de Vienne. Mme l’ Attorney General Napolitano a parlé des faits relatifs à cet
argument. Mardi, nous avons cité le troisi ème rapport du Rapporteur spécial actuel de la
Commission du droit international sur la respons abilité des Etats, selon lequel la relation de
causalité entre la violation du pa ragraphe1 de l’article36 et l’exécution des frères LaGrand est
«indirecte et contingente». Rien de ce qui a ét é dit hier n’a montré ce lien de causalité, qui fait
toujours défaut. M. Meron a démontré que la C our n’avait pas compétence, en vertu du protocole
de signature facultative, pour connaître du droit à la protection diplomatique que revendique - 23 -
l’Allemagne, et la Cour devrait donc rejeter aussi la prétention de l’Allemagne qui figure toujours
dans la première conclusion de celle-ci au su jet du droit de protecti on diplomatique de ses
ressortissants.
5.3. Pour ce qui est de la deuxième conclusi on qui porte sur l’interprétation du paragraphe 2
de l’article 36, le conseil de l’Allemagne n’a apparemment pas compris la position des Etats-Unis.
Le conseil a dit, hier, que «de l’avis des Etats-Un is d’Amérique, le paragraphe2 n’ajouterait rien
au paragraphe1». Mais ce n’est évidemment pas vrai. Les Etats-Unis considèrent que le
paragraphe2 a un sens très clair, qui ressort non seulement du texte lui-même mais aussi des
travaux préparatoires. Le paragraphe 2 signifie, comme dit le texte lui-même, que les droits visés
au paragraphe 1 doivent s’exercer da ns le cadre des lois et règlements de l’Etat de résidence, étant
entendu, toutefois, que ces lois et règlements doive nt permettre la pleine réalisation des fins pour
lesquelles les droits sont accordés en vertu de l’ article. Ainsi, par exemple, les communications
entre le poste consulaire et les détenus sont assujetties au droit local, mais ce droit doit permettre la
pleine réalisation des fins pour lesquelles le dro it de communication est prévu. De même, et nous
ne faisons ici que citer un exemple emprunté aux travaux préparatoires, les lois et règlements
17
relatifs aux visites dans les prisons relèveraient de cette disposition . Tel serait le cas aussi pour
des lois et règlements relatifs, par exemple, aux droits des détenus en matière de courrier ou de
communications téléphoniques. Les Etats-Unis reconnaissent donc une signification bien claire et
spécifique au paragraphe2. Cette significa tion présente l’avantage supplémentaire d’être
confirmée par le texte et par les travaux préparatoires, ce qui n’est pas le cas pour l’interprétation
que propose l’éminent conseil de l’Allemagne.
5.4. La deuxième conclusion de l’Allemagne de vrait être rejetée parce qu’elle se fonde sur
une interprétation erronée du paragraphe2 de l’ar ticle36, qui ferait complètement disparaître le
contexte de cette disposition ⎯ l’exercice d’un droit en applicatio n du paragraphe 1. Les conseils
de l’Allemagne ont longuement parlé hier du paragr aphe2 de l’article36, mais sans trouver dans
les textes la confirmation de leur thèse, selon laquelle le droit interne doit ouvrir des voies de
recours en cas de violation des droits visés au para graphe 1, au lieu de laisser la faculté d’exercer
17 o
Contre-mémoire, p. 65-66 et note n 82. - 24 -
les droits visés au paragraphe1. Ils n’ont p as non plus développé leurs affirmations non étayées,
18
selon lesquelles soit la doctrine de l’effectivité , soit la doctrine de l’interprétation dynamique
appuierait cette réécriture du texte de la convention.
5.5. J’en viens à la quatrième conclusion. Tout d’abord, je parlerai de la question de
compétence que les Etats-Unis ont soulevée. Les Etats-Unis ont affirmé que le protocole de
signature facultative ne donne pas à la Cour compétence pour exiger une assurance ou une garantie.
L’Allemagne affirme que cette thèse :
«conduirait à des résultats absurdes. Les clauses ou les protocoles additionnels de
signature facultative concernant le règlem ent des différends relatifs aux traités ne
pourraient pas remplir leur rôle puisque l’on ne pourrait pas traiter de manière
adéquate, ni même traiter du tout, les cas d’infraction.»
Mais nous avons tenté de bien faire comprendre qu e notre argument juridictionnel ne s’applique
pas à la compétence d’ordonner la cessation d’une violation ou d’ordonner une réparation et se
limite à la question des assurances et garanties. M. Simma, qui nous a assuré qu’il était bien éveillé
pendant ces longues séances de Genève, doit admettr e que la Commission du droit international a
considéré de manière claire et réfléchie que les assurances et les garanties sont conceptuellement
différentes de la réparation. En effet, elles s ont «tournées vers l’avenir»; elles concernent un
comportement futur, et non le dommage causé par l’infraction 19. Aussi, l’argument de M. Simma,
selon lequel, si elle décidait qu’elle n’avait pas compétence, en vertu du protocole de signature
facultative, pour exiger des assurances et des garan ties, la Cour ne pourrait pas s’acquitter de son
rôle parce qu’elle ne pourrait pas traiter «de ma nière adéquate, ni même traiter du tout» les cas
d’infraction est-il par essence fallacieux. Nous so mmes certains que la Cour pourrait juger qu’elle
n’a pas compétence en matière d’assurances et de garanties sans perdre aucunement sa compétence
d’ordonner la réparation ou la cessation d’une violati on. Ce n’est pas faire honneur à la Cour que
de suggérer le contraire. En outre, M. Simma ve ut-il dire que la Cour n’a pas traité comme il
convient les cas d’infraction, tout au long de so n histoire, puisque la Cour n’a jamais jugé
nécessaire d’ordonner des assurances et des garanties ― ni même conclu qu’elle était en mesure de
le faire ?
18
Voir par exemple G.Fitzmaurice, Law and Procedure of the International Court of Justi, p.357 (citant
l’affaire des Traités de paix).
19Voir par exemple, A/CN.4/507/Add.1, par. 168. - 25 -
5.6. Mon argument suivant découle de ce que je viens de dire. Bien que le conseil de
l’Allemagne ait lourdement insisté sur la popul arité dont bénéficiaient les assurances et les
garanties parmi les membres de la Commission du droit international, je crois que son exposé a
confirmé un certain nombre de points significa tifs, que je me contenterai de mentionner
rapidement. Premièrement, il a confirmé qu’ il n’y a pas d’exemple sauf, peut-être, une lex
specialis dans le domaine des droits de l’homme, où une cour ait ordonné des assurances ou des
garanties. Deuxièmement, son silence a confirmé le point connexe, à savoir que le projet d’article
sur les assurances et les garanties représente un essai de développement progressif du droit, et ne
procède pas de la codification du droit coutumie r. Comme nous l’avons vu, la première phrase du
20
commentaire que l’Allemagne faisait sur ce sujet en 1997 en exprimant des doutes sur la base des
garanties en droit coutumier, va dans le même sens.
5.7. Le conseil de l’Allemagne a remar qué que toutes les règles secondaires créent des
obligations «qui s’ajoutent» aux obligations créées pa r les règles primaires. Mais des questions se
posent dans ce contexte : les assurances prévues dans la pratique diplomatique fort limitée des Etats
sont-elles censées créer des obligations de nature juridique, et le droit international coutumier
confirme-t-il la création d’une telle obligation, lo rsque celle-ci ne s’impose pas en ce qui concerne
le dommage causé par l’infraction? Qui plus est, puisque la teneur des assurances dans tous les
cas découle de la teneur de l’obligation primaire, il existe un risque de conflit lorsque, comme c’est
le cas en l’espèce, la réparation de la violation d’une obligation primaire peut s’inspirer de
considérations particulières, telles que la pratique des Etats partie s à la convention consulaire, dont
Mme Brown a parlé. Aucun régime spécial de cet ordre ne s’appliquerait à une obligation
contractée dans le cadre des assurances fournies.
5.8. Je ne crois pas que le conseil ait expliqué comment des garanties peuvent simultanément
être une réparation et ne pas être une réparati on, mais c’est un point que je qualifierais de
théorique, parce que de toute manière l’Allema gne n’a pas prouvé qu’elle avait droit à des
assurances en la présente espèce.
20
A/CN.4/488, par. 104. - 26 -
5.9. Pour ce qui est des observations que les Etats-Unis ont formulées récemment sur la
responsabilité des Etats devant la Sixième Co mmission, le conseil de l’Allemagne a essayé
d’attribuer quelque signification au fait que ces interventions n’ont pas porté sur nos
préoccupations relatives au projet d’article 30. Cette omission n’a aucune signification particulière.
Comme nous l’avons indiqué dans notre exposé devant la Sixième Commission, nous entendions
nous concentrer sur les deux principales questions théoriques que soulève encore le projet d’articles
― les contre-mesures et les violations graves. Il s’agit là de questions complexes et difficiles, et
nous avons décidé de les traiter assez à fond et de réserver expressément notre position à l’égard
des autres questions que posent ces articles pour les dé velopper par écrit. Nous pensions être plus
utiles à la Commission en procédant de cette ma nière, car cela lui donnerait dès que possible notre
point de vue sur les questions de principe les plus difficiles. L es assurances et les garanties, qui
posent manifestement un problème qui nous touche t out particulièrement en la présente espèce,
n’ont pas sur le plan des principes une portée aussi vaste.
5.10. Permettez-moi d’analyser brièvement la nature des assurances concrètes que demande
l’Allemagne en la présente espèce. Ses conseils indiquent que la quatrième conclusion n’est pas
censée constituer une obligation catégorique. C’est bien sûr une bonne nouvelle pour nous. Même
s’ils affirment que les travaux de la Commission à ce sujet auraient dû nous faire comprendre que
nous l’avions mal interprétée, ce n’est pas au ssi clair pour nous à l’examen du «commentaire»
21
relatif à cet article, adopté en première lecture ainsi que du texte du projet d’article actuel. Quoi
qu’il en soit, la conclusion nous semble avoi r été rédigée sous une forme catégorique, et
l’Allemagne ne l’a pas modifiée.
5.11. Ce que l’Allemagne dema nde précisément dans sa quatriè me conclusion, s’il ne s’agit
pas d’une garantie absolue, n’a toutefois pas ét é suffisamment tiré au clair. Les conseils de
l’Allemagne ont dit qu’il fallait prendre certaines me sures préventives. Est-ce que la distribution
de 400 000 fiches, destinées aux fonctionnair es chargés du maintien de l’ordre public ― intitulées
«instructions pour l’arrestation et la mise en détention de ressortissants étrangers» ― et je le répète,
ces 400 000 fiches ont été distribuées ― est-ce que cela constitue une de ces mesures préventives ?
21
A/CN.4/SER.A/1993/Add. 1. (deuxième partie), p. 84. - 27 -
Est-ce que la création d’un nouveau poste d’encadrements au département d’Etat ― dont le
titulaire est directement chargé de veiller à ce que l’information concernant le droit à la notification
consulaire soit donnée sans retard ― est-ce que cela constitue une de ces mesures préventives?
Les Etats-Unis ont entrepris un vaste programme à long terme pour mieux s’acquitter de leur
obligation d’informer. Dans ce contexte, les critiques de l’Allemagne ne représentent pas la
situation telle qu’elle est et ne sont pas non plus fondées.
5.12. Pour les Etats-Unis, les assurances qu ’ils ont déjà données à l’Allemagne dispensent la
Cour de décider si l’Allemagne doit bénéficier d’assurances appropriées supplémentaires au titre de
la violation par les Etats-Unis de leur obligatio n d’informer les frèresLaGrand de leur droit à
notification consulaire en vertu du paragraphe 1 de l’article36. Aussi, pour ce qui est de la
quatrième conclusion, nous considérons qu’elle devrait être rejetée intégralement, comptetenu au
moins des facteurs suivants: le statut incertain des assurances au regard du droit international; la
portée mal définie des assurances que réclame l’A llemagne dans cette conclusion; l’absence d’une
violation fondamentale en dehors de celle de l’obligation d’informer; l’absence de preuves
concernant les exemples présentés tardivement de violations supplémentaires de l’obligation
d’informer; l’imprécision du texte de la conclusion au sujet des assurances relatives à la prétendue
violation du paragraphe 2 de l’article 36; l’ingérence injustifiée dans le droit interne des Etats-Unis
qu’entraînerait la conclusion; et l’absence de tout fondement dans la convention de Vienne
justifiant une assurance portant expressément sur la peine de mort.
5.13. Monsieur le président, Madame et Messie urs les Membres de la Cour, les conseils de
l’Allemagne ont échafaudé tout un édifice d’arguments et de doctrine à l’appui de leur réclamation.
Mais c’est un mirage. Et, comme l’auteur-composite urBobDylan le chantait: «Ce qui a l’air si
grand de loin n’est pas si imposant de près.» La Cour constatera sans doute qu’il en va de même
pour les conclusions de l’Allemagne, voire pour l’argumentation de l’Allemagne dans sa totalité.
5.14. Je vous remercie de votre courtoisie et de votre attention. Monsieur le président,
voudriez-vous appeler à la barre M. Trechsel ?
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Mathias. I give the floor now to Mr. Trechsel. - 28 -
TMRr.CHSEL:
6.1. Thank you. Mr. President, Members of the Court, listening to our distinguished
opponents yesterday morning, I had the impr ession that there had been a misunderstanding ⎯
Mr.Simma said the same thing. Like the previous speakers, I shall do what I can to correct the
impression which might have been created of a "dialogue of the deaf".
6.2. Judging by certain of the speeches, it might be thought that we entirely rejected the
guarantees under Article36 of the Vienna Conven tion. How else can one explain the renewed
citation of United Nations Human Rights Commission document No.2000/65 on the death
penalty? I, for my part, warmly welcome this initiative. Nor have we opposed the effective
application of Article 36.
6.3. On a personal note, I wish to repeat th at I support any initiative that could reduce the
number of executions, and I shall not be satisfied as long as that number remains above zero.
6.4. However, I consider myself a jurist speci alizing to some extent in human rights, not a
human rights activist. Even if it is not always easy, we must be guided by legal reasoning. For
example, the European Commission of Human Right s declared inadmissible the application by
Mr. Kirkwood, who was to be extradited to the United States where he risked the death penalty 22;
it was a difficult decision, but one required by la w. Yesterday, the Co-Agent of the German
Government felt it necessary to make some personal comments about me which I found regrettable.
I wish simply to state that I do not accept the labels of "fundamentalist" or advocate of a
Begriffsjurisprudenz, and that I am not motivated by the id eas he ascribes to me. Moreover, this is
not a case in which your august Court is called upon to take a stand for or against human rights.
The Court's task is confined to stating what oblig ations were assumed by States when they ratified
the Vienna Convention and, in particular, whet her the Convention requires them to provide for
specific remedies in the event of a violation.
6.5. Much as we may have admired the chiaroscuro on the Re mbrandt canvases in the
Mauritshuis, we reject it when it is applied in or der to draw a simplistic distinction between two
types of right: human rights and the rights of States. We consider it proper and important to
22 o
Application n 10479/83, Kirkwood v. United Kingdom, decision of 12 February 1984, DR 37, pp. 158 et seq. - 29 -
establish further distinctions. For example, I would distinguish human rights from humanitarian
law, but also from the rights of minorities, without of course seeking to diminish the importance of
23
one or the other . I see no point in putting everything into the same pot in order to cook up a
minestrone ai diritti dell'uomo of international individual rights. Our aim is to strengthen human
rights by recognizing their special character. It is no accident that Article 2, paragraph 3 (a), of the
International Covenant on Civil and Political Right s (like similar regional instruments) accords the
right to an effective remedy to any person claiming that his rights have been violated. The German
Government appears to attach no importance to this provision, since it claims that the same rule
must be applied to the Vienna Convention, which contains no such provision.
6.6. For the reasons put forward on Tuesday, especially those associated with the principle of
reciprocity, we maintain our position that, wh ile the Vienna Convention does indeed accord
individual rights, the rights in question are not human rights.
6.7. Professor Simma expressed his surprise yest erday at hearing me cite a great deal of
"Strasbourg" case-law. I must say that his surprise surprises me. In the world today there are two
human rights courts. One of them has produced two judgments on the merits and 16 advisory
opinions, the other some 1,200 judgments, not to mention some 35,000 decisions of the European
Human Rights Commission. We can, after all, only cite the case-law which exists. We well
understand that Germany bases itself on OC/16, the single pillar of its argument, but the pillar is
not strong enough, for the simple reason that its foun dation is not solid. The intention is perfectly
laudable, but even here the end cannot justify all means of whatever kind.
6.8. We have demonstrated, by citing to you, inter alia, a number of legal decisions from
various countries, that the Vienna Convention has hith erto not been regarded as a rule of criminal
procedure whose violation could support an appeal. We note that Germany has not been able to
cite against us a single judgment to the opposite effect.
6.9. Finally, allow me if you will, Mr. President, Members of the Court, to make a comment
on what I said to you regarding the remedies in German procedural criminal law. Paragraph 337 of
the Code of Criminal Procedure and the rul es governing the application for review called Revision,
23
See in this connection my contribution to the work dedicated to the memory of Rolv Ryssdal. - 30 -
have been quoted to you again, as I did myself last Tuesday. Mr. President, Members of the Court,
this is an ordinary form of appeal in the sense th at it must be submitted within a certain time-limit
and inter alia prevents the judgment from becoming res judicata. In the LaGrand case, it was not
while domestic remedies were being exhausted that th e rule of procedural default was applied. It
was applied when the judgment had already been final for some time, at the stage of the habeas
corpus proceedings. There are no such proceedings in German law. Thus in German law in an
analogous situation there would have been no remedy at all, rather than a re medy that was subject
to the rule of procedural default. It seems to me that the Court should be informed of this fact, even
though it should rather have been Germany's duty to do this.
6.10. This, Mr. President, Members of the Court, brings me to the end of my remarks and I
would ask you, Mr. President, to give the floor now to Professor Matheson.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Trechsel. I now give the floor to Mr. Matheson.
M. MATHESON :
7.1. Monsieur le président, Madame et M essieurs les Membres de la Cour, je traiterai
brièvement de l’argumentation de l’Allemagne relative à l’effet de l’ordonnance par laquelle la
Cour a indiqué des mesures conservatoires. La Cour se souvient que mardi, nous avons soulevé
quatre points fondamentaux dont chacun, indépendamme nt, devrait inciter à conclure qu’elle doit
refuser d’accorder les meures demandées par l’Alle magne dans la présente instance sans qu’il soit
nécessaire de répondre à la question générale de sa voir si elle a ou non le pouvoir d’indiquer des
mesures conservatoires ayant un caractère contraignant.
7.2. Premièrement, nous avons fait valoir mardi qu’en l’espèce les mesures indiquées par la
Cour, de par leur libellé lui-même, n’avait pas ce caractère contraignant. Dans sa démonstration de
jeudi, l’Allemagne n’a pas essayé de prétendr e que le libellé de l’ordonnance lui donnait un
caractère contraignant. Ce n’est pas étonnant car le libellé utilisé dans la version anglaise de
l’ordonnance, c’est-à-dire la version qui fait fo i, manifestement, ne crée pas ce caractère
contraignant.
7.3. Le conseil de l’Allemagne a bien trouvé que notre argument ressemblait au «titre d’un
mauvais roman» mais s’est borné à suggérer que les mesures conservatoires doivent toujours avoir - 31 -
un caractère contraignant, quel que soit leur lib ellé, parce que les tribunaux ne peuvent pas
ordonner des mesures qui n’ont pas ce caractère. Voilà qui n’est vraiment pas convaincant.
Comme nous l’avons montré en détail mardi, les tribunaux internationaux ont bel et bien ordonné
des mesures conservatoires libellées en termes noncontraignants, qui n’étaient d’ailleurs pas
conçus pour être contraignants. Entre autr es exemples, on pourrait citer les ordonnances rendues
o 24
par le Tribunal international du droit de la mer le 11 mars 1998 dans l’affaire du Saiga n 2 et le
25
27août1999 dans l’affaire du Thon à nageoire bleue ainsi que les mesures provisoires que la
Cour européenne des droits de l’homme a ordonnées dans l’affaire CruzVaras c. Suède 2. Dans
cette dernière affaire, la Cour européenne a déclaré que «les termes mêmes de la demande adressée
en l’espèce reflèteraient son caractère non contraignant » et que «la question de la force obligatoire
des mesures provisoires indiquées par les juridicti ons internationales prête à controverse et il
27
n’existe pas de règle juridique uniforme» .
7.4. Il n’y a pas de raison pour que la Cour ordonne des mesures conservatoires sous une
forme obligatoire. Comme nous l’avons démontré, un tribunal peut fort bien choisir d’exprimer ce
qu’il attend sous une forme nonc ontraignante, particulièrement si, comme dans la présente
instance, les mesures en question portent unique ment sur les fonctions essentielles de souverain
qu’exercent les Etats ou bien sont indiquées ex parte au tout début d’une procédure dans laquelle
les faits sont complexes et où on dispose de très peu de temps pour analyser la situation. En
24http://www.un.org./Depts/los/ITLOS/ Saiga2-Order.htm. Le dispositif de l’ordonnance ne contient qu’un
paragraphe qui ordonne à l’une des parties de s’abstenir d’une certaine action et un autre paragraphe qui recommande aux
deux parties de prendre une certaine mesure. Le fait qu e l’une des mesures soit une simple recommandation a été
spécialement souligné.
25 http://www.un.org./Depts/los/ITLOS/Order-Tuna34. htm. Voir C2R000/29, p. 47, pa7r..10
(14 novembre 2000).
26Cour européenne des droits de l’homme, Série A n 201 (20 février 1991).
27Ibid., par. 92 et 101. - 32 -
revanche, comme nous l’avons fait observer en dé tail mardi, lorsqu’un tribunal reconnaît qu’une
28
mesure qu’il prescrit est obligatoire, il l’exprime sous une forme contraignante .
7.5. Par conséquent rien, à notre avis, ne pe rmet de conclure que l’ordonnance de la Cour
dans la présente affaire a créé des obligations co ntraignantes. A elle seule cette constatation
autorise à refuser d’admettre, comme le demande l’Allemagne, que les Etats-Unis ont enfreint les
obligations juridiques liées à l’ordonnance.
7.6. Deuxièmement, nous avons fait valoir mardi que, quel que soit le caractère juridique de
l’ordonnance de la Cour, en fait, les Etats-Unis s’y sont conformés en ce qu’ils ont procédé à toutes
les démarches qu’ils pouvaient compte tenu des ci rconstances extrêmes dans lesquelles ils ont dû
agir. Jeudi, l’Allemagne a cité une liste de mesures qui à son avis, auraient pu et auraient dû être
prises au cours de la période de moins de trois heures qui s’est écoulée entre la réception de
l’ordonnance de la Cour et l’exécution prévue. On a prétendu que le président aurait pu, par décret,
ordonner à l’Arizona de ne pas procéder à l’ex écution ou aurait pu engager une procédure à cette
fin contre l’Arizona devant une juridiction fédérale.
7.7. Je sûr que la Cour comprendra que des mesures d’une telle importance et d’une telle
complexité sur le plan constitutionnel ne pouva ient absolument pas être envisagées sérieusement
dans un laps de temps de trois heures, encore mo ins mises en Œuvre dans ce délai. L’Allemagne a
paru vouloir dire qu’il est relativement couran t que le pouvoir fédéral intervienne dans les
procédures pénales des Etats, par exemple en ordonnant à un Attorney des Etats-Unis d’intenter une
procédure d’urgence contre le gouverneur d’un Etat devant une juridiction fédérale. Rien ne
pourrait être plus éloigné de la vérité et nous ne connaissons aucun précédent de ce genre. Une
telle mesure nécessiterait certainement une décision au plus haut niveau du pouvoir fédéral, qui ne
serait prise qu’à la suite d’un débat approfondi.
28
Voir CR 2000/29, p. 45, par. 7.6 (14 novembre 2000). Ma rdi, nous avons cité un certain nombre d’exemples,
entre autres certaines mesures conservatoires décidées par la Cour dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du
Congo. L’Allemagne a prétendu que notre citation contredisait notre position selon laquelle les mesures conservatoires
décidées par la Cour n’ont généralement pas un effet obligatoire, mais cela n’est pas exact. Comme nous l’avons fait
observer mardi, la Cour a déclaré que les Parties «doivent» l’une et l’autre prendre toutes mesures nécessaires pour se
conformer aux diverses obligations exista ntes en vertu du droit internationallibellé contraignant indiquait que les
Parties étaient d’ores et déjà tenues de remplir ces oblions internationales. De toute façon, quelles que soient les
raisons qui ont conduit la Cour à lieller l’ordonnance dans l’affaire duCongo de façon à lui donner un caractère
obligatoire, cela montre à l’évidence que la Cour emploie un libellé impératif lorsqu’elle reconnaît le caractère
obligatoire de la mesure, par opposition au libellé non-obligatoire de l’ordonnance dans la présente instance. - 33 -
7.8. L’Allemagne a aussi soutenu que la cour suprême des Etats-Unis aurait pu et aurait dû
ordonner immédiatement un sursis à l’exécution lo rsqu’elle a reçu l’ordonnance de la Cour.
L’Allemagne prétend qu’il aurait été simple pour la cour suprême, laquelle était saisie de trois
procédures différentes concernant diverses questions relatives à l’affaire LaGrand, d’adopter, sans
prendre quasiment le temps de la réflexion, l’ex traordinaire mesure que représente le sursis à
exécution, s’agissant d’une exécu tion décidée par un Etat, en se fondant sur des mesures
conservatoires qui n’avaient pas de caractère contraignant à première vue. L’Allemagne semble
aussi croire que la cour suprême aurait dû passer immédiatement outre à ses propres précédents sur
la question de la compétence que lui impar tit la Constitution des Et ats-Unis et aurait dû
immédiatement ouvrir une voie de recours qu’interdisa it le droit des Etats-Unis. Il serait abusif de
s’attendre à voir la cour suprême agir de cette façon dans ces circonstances extrêmes.
7.9. Etant donné que la cour suprême a écarté les demandes dont elle était saisie et que le
Gouvernement des Etats-Unis n’a pas considéré que l’ordonnance de la Cour internationale de
Justice avait un caractère juridiquement contraignant, il est également abusif d’estimer que le
gouverneur de l’Arizona a agi contrairement à des obligations juridiques internationales en refusant
29
de surseoir à l’exécution au cours de ces toutes dernières heures mouvementées .
7.10. Troisièmement, nous avons dit mardi qu’en raison du retard injustifié que l’Allemagne
a mis à demander des mesures conservatoires, attendant à cette fin le dernier moment, il n’y a pas
lieu de lui accorder ce qu’elle demande au suje t cette ordonnance. Jeudi, l’Allemagne n’a pas
répondu sur ce point. Elle n’a pas cherché à nouveau à défendre les raisons pour lesquelles elle
avait déposé sa demande à un moment aussi extraordin aire ni le retard inexplicable qu’elle avait
mis à soulever la question de la notification consul aire auprès des Etats-Unis ou à saisir la Cour de
l’affaire. Elle n’a pas essayé de répondre à notre thèse à ce sujet : nous avons dit qu’en agissant
29En fait, pour les raisons indiquées par l’ Attorney General Mme Napolitano, mardi, le gouverneur de l’Arizona
avait déjà refusé d’accorder le sursis demandé par lammission des grâces le 2 mars et il aurait fallu une nouvelle
recommandation pour que le gouverneur puisse accorder un sursis à la suite de l’ordonnance de la Cour du 3 mars. Pour
cela, il aurait fallu réunir à nouveau la commission des grâces, et assurer la participation des victimes. Vu les délais
limités et les distances (l’Arizona a un très vaste territpossibilité de le faire en si peu de temps est loin d’être
évidente. - 34 -
ainsi l’Allemagne avait causé un préjudice sérieux ta nt aux Etats-Unis qu’à la Cour elle-même et
qu’elle n’a pas respecté les règles de conduite de la Cour concernant l’équité de la procédure,
l’égalité des parties et la bonne administration de la justice.
7.11. Voilà qui devrait suffire à décider la Cour à ne pas donner suite à la demande de
l’Allemagne sur ce point. Agir autrement reviendrait à encourager de manière abusive à déposer à
la dernière minute toute requête de ce genre sans que le retard soit justifié. Un tel précédent,
susceptible d’inciter d’autres requérants à se compor ter de la sorte pourrait avoir un effet sensible
et regrettable sur le fonctionnement de la Cour et sur les droits des parties qui la saisissent. On peut
par exemple se demander ce qui se passerait si cela devait se produire à un moment où la Cour
plénière n’est pas en session.
7.12. En dernier lieu, nous avons fait valoir mardi que la Cour pouvait statuer pleinement et
de manière adéquate sur le fond de l’affaire sa ns qu’il soit nécessaire de résoudre la question de
l’effet de l’ordonnance en indication de mesures c onservatoires. Nous avons rappelé que la Cour
n’avait jugé ni nécessaire ni approprié d’accorder de telles mesures de réparation quand il est arrivé
que l’une des parties n’exécute pas une ordonnance en indication de mesures conservatoires et, sur
le fond, il n’est ni nécessaire, ni utile d’accorder ces mesures en l’espèce. Si la Cour fait droit à
l’une quelconque des autres demandes de l’Allemagne , elle lui accordera largement réparation de
l’exécution de Walter LaGrand et, si elle décide de ne pas satisfaire ces autres demandes, il serait
pour le moins anormal qu’elle fonde sa décision sur le fond exclusivement sur la prétendue
violation d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires.
7.13. L’Allemagne a soulevé cette question dans sa plaidoirie de jeudi mais permettez-moi
de dire que ses observations passaient à côté. D’après son argumentation, le tort qui lui a été fait en
raison du défaut de notification consulaire a ét é aggravé par l’exécution de son ressortissant.
Certes, comme la Cour le sait, nous avons reconnu que le manquement à l’obligation de
notification consulaire constituait de notre part une violation de la convention de Vienne mais nous
n’acceptons en revanche pas que l’exécution cons titue une violation de la convention ni une
«aggravation» du manquement. De toute façon, nous ne voyons pas comment cette revendication - 35 -
qui touche au fond de l’affaire impose ou justifie de la part de la Cour une mesure de réparation
supplémentaire censée correspondre à l’effet de son ordonnance en indication de mesures
conservatoires.
7.14. En bref, nous soutenons que les circonstances en l’espèce se prêtent très mal, de la part
de la Cour, à une recherche de solution concernant un problème important et fort ancien, qui est de
savoir dans quelle mesure elle a le pouvoir d’ indiquer des mesures con servatoires ayant force
obligatoire. Les circonstances dont je parle sont notamment les suivantes: le retard avec lequel
l’Allemagne a déposé sa requête, ce qu’elle a fait à la toute dernière minute, et, jeudi, elle n’a pas
tenté de justifier ce retard; le caractère non obligat oire du libellé de l’ordonnance, que là encore
l’Allemagne n’a pas tenté de réfuter jeudi; la brièveté absurde du délai laissé aux Etats-Unis
d’Amérique pour agir; enfin, l’absence de tout beso in réel de résoudre cette question en l’espèce.
Nous estimons que dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de rechercher si les Etats-Unis
d’Amérique ont violé des obligations juridiques en ce qui concerne l’ordonnance en indication de
mesures conservatoires.
7.15. Pour être bien clairs, nous répétons que si la Cour estime malgré tout devoir statuer
maintenant sur la question générale de savoir si les mesures qu’elle indique sont contraignantes en
vertu de son Statut, les Etats-Unis renouvellent alors l’argumentation détaillée qu’ils ont présentée
à ce sujet dans leur contre-mémoire. Contrairemen t à ce qu’a dit l’Allemagne, il n’y a pas eu de
notre part de «retraite stratégique» à ce sujet. Ce la étant, nous estimons que la Cour peut et doit
rejeter la demande de réparation formulée par l’ Allemagne sans qu’il soit nécessaire pour elle de
résoudre cette question plus générale.
7.16. Ainsi prend fin mon intervention. Je re mercie la Cour de son attention. Je suggère
maintenant que la Cour demande à l’agent des Etat s-Unis d’Amérique, M. Thessin, de conclure la
réfutation des Etats-Unis d’Amérique. Je vous remercie.
Le PRESIDENT: M. Matheson, je vous reme rcie. Je donne mainte nant la parole à
M. Thessin.
M. THESSIN : Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, - 36 -
Dans ses dernières remarques, M.Westdickenberg a rappelé hier les crimes de Karl et
Walter LaGrand et les souffrances des victimes et de leurs proches. Le meurtre brutal commis par
les LaGrand sert en réalité de toile de fond à cette affaire.
Cela étant, l’affaire proprement dite ne concerne ni ce meurtre brutal, ni la sentence
prononcée par les autorités de l’Etat d’Arizona . Elle est limitée au différend qui oppose
l’Allemagne et les Etats-Unis d’ Amérique au sujet de la conven tion de Vienne sur les relations
consulaires. Or la convention de Vienne sur les relations consulaires n’offre pas de base de droit
international sur laquelle l’Allemagne pourrait s’appuyer pour critiquer le système de justice pénale
tel qu’il a été appliqué aux Etats-Unis d’Amérique dans l’affaire LaGrand.
Les Etats-Unis ont cependant admis qu’ils étaient responsables de la seule violation dont
cette Cour est saisie, la violation de l’obliga tion que leur imposait à l’égard de l’Allemagne
l’alinéa b) du paragraphe1 de l’article 36 de la convention d’informer Karl et WalterLaGrand de
leur droit à la notification de leur consulat. En conséquence, la conclusion finale des Etats-Unis
d’Amérique est la suivante :
Les Etats-Unis d’Amérique prient respectueusement la Cour de dire et juger :
1. Qu’ils ont violé l’obligation dont ils étaient tenus envers l’Allemagne en vertu de l’alinéa b)
du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires en ce
que les autorités compétentes des Etats-Unis n’ont pas informé sans retard de leurs droits Karl
et WalterLaGrand ainsi que l’exigeait cet article et que les Etats-Unis ont présenté leurs
excuses à l’Allemagne pour cette violation et sont en train de prendre des mesures concrètes
visant à empêcher qu’elle ne se reproduise; et
2. Que toutes les autres demandes et conclusions de la République fédérale d’Allemagne sont
rejetées.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, je vous remercie de
votre attention. Ainsi prend fin la plaidoirie des Etats-Unis d’Amérique.
Le PRESIDENT: Monsieur Thessin, je vous remercie. The Court takes note of the final
submissions which you have read on behalf of the United States of America, as it took note - 37 -
yesterday of the final submissions presented by Mr.Westdickenberg, Agent of Germany. I shall
now give the floor to Judge Koroma, who would like to ask a question.
M. KOROMA : Monsieur le président, je vous re mercie. Au cours de cette audience et dans
ses conclusions, l’Allemagne a affirmé qu’en appliquant des règles de droit interne, en l’occurrence
la doctrine de la carence procédurale, les Etats- Unis d’Amérique ont violé leur obligation de
permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles sont accordés les droits visés à l’article 36 de
la convention sur les relations consulaires. Ma question est la suivante: La position de
l’Allemagne est-elle que l’application de la doctrine de la carence procédurale constitue en soi une
violation de la convention ? Je vous remercie, Monsieur le président.
The PRESIDENT: Thank you. The text of this question will of course, as usual, be
transmitted in writing to the Parties. I would now take this opportunity to recall that, if it so
desires, the United States may after the closur e of these oral proceedings present comments upon
the new documents produced by Germany on 26 October 2000 and submit documents in support of
its comments.
The Court has set 8 December as the deadlin e for the submission of these observations and
comments. Written replies to the questions put by Judges Higgins and Koroma should also be
provided by 8 December.
This brings us to the end of this series of hear ings devoted to the oral arguments in the case.
On behalf of myself and of the court, I should li ke to thank the Agents, counsel and advocates of
both Parties for their presentations.
In accordance with practice, I will ask the Ag ents to remain at the Court's disposal too
provide any additional information it may require. With that proviso, I now declare closed the oral
proceedings in the LaGrand Case (Germany v. United States of America). - 38 -
The Court will now retire for deliberation. The Agents of the Parties will be advised in due
course of the date on which the Court will deliver its Judgment.
As the Court has no other business before it today, the session is closed.
The Court rose at 3.35 p.m.
___________
Translation