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CR 2002/26 (traduction)
CR 2002/26 (translation)
Jeudi 21 mars 2002 à 16 h 55
Thursday 21 March 2002 at 4.45 p.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte et je vais maintenant donner
la parole à la République fédérale du Nigéria pour le deuxième tour de plaidoiries sur l’objet de
l’intervention de la Guinée équatoriale et pour les conclusions finales. Je donne dès l’abord la
parole au professeur Crawford.
M. CRAWFORD :
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, dans nos exposés successifs, mon
ami Georges Abi-Saab et moi-même avons exhaustivement examiné la question de la frontière
maritime et le contenu de l’intervention de la Guinée équatoriale. Le Nigéria se félicite de cette
intervention, et n’a rien d’autre à ajouter aux remarques formulées hier par l’agent et le conseil de
la Guinée équatoriale.
2. Les remarques faites cet après-midi par le Cameroun appellent, en revanche, quelques
brèves observations. Celles-ci ont trait d’une part au fond de la demande du Cameroun, et d’autre
part à la compétence de la Cour à l’égard de cette demande, dans la mesure où celle-ci empiète sur
des zones revendiquées par la Guinée équatoriale.
3. En ce qui concerne le fond de la demande, vous remarquerez que le Cameroun n’en a, de
manière tout à fait significative, pas soufflé mot cet après-midi. Et ce n’est certes pas parce que la
Guinée équatoriale serait restée muette à ce sujet, car elle ne l’a pas été, loin s’en faut. La Guinée
équatoriale n’est pas intervenue en la présente espèce à seule fin de présenter un argument relatif à
la compétence; une lettre adressée à la Cour ¾ analogue à celle envoyée par l’Arabie saoudite ¾
eût suffit à cet égard. La Guinée équatoriale a décrit sa pratique pétrolière. Elle a exposé ses
prétentions maritimes. Elle a fait valoir que le Cameroun n’avait pas élevé la moindre protestation
contre une quelconque activité de la Guinée équatoriale en deçà de la ligne médiane. Le Cameroun
n’ayant pas démenti ce fait, vous pouvez être assurés de sa véracité. La pratique du Cameroun à
l’égard de la Guinée équatoriale est ainsi tout à fait comparable à sa pratique à l’égard du Nigéria,
vis-à-vis duquel le Cameroun n’a pas non plus élevé la moindre protestation au sujet de la zone
intéressant la Cour.
4. La Guinée équatoriale a produit une série de cartes camerounaises d’époques différentes,
dont certaines très récentes, qui toutes montrent que le Cameroun s’en est tenu à la ligne médiane.
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Bien que cette conduite soit éminemment significative, le Cameroun n’y a pas fait la moindre
allusion cet après-midi. De sorte qu’une fois de plus, on peut la considérer comme admise.
5. Dans ce contexte, il me faut faire une parenthèse et vous montrer la carte de la concession
de Moudi produite mardi par le Cameroun. M. Colson a indiqué que la zone de chevauchement des
concessions, représentée ici en jaune, ne recouvre que des puits équato-guinéens ¾ les trois puits
de Tsavorita forés au milieu des années quatre-vingt-dix et aujourd’hui en activité. Ces puits ont
été forés sans que le Cameroun élève de protestation. Vous constaterez que lorsqu’elles dépassent
la ligne médiane vers le sud, les limites de la concession camerounaise ne sont plus représentées
sur cette carte par une ligne continue mais par des pointillés. Et ce, parce que la compagnie
pétrolière qui a établi la carte à l’origine était parfaitement au courant de la revendication de la
Guinée équatoriale. Les concessionnaires camerounais, Perenco et Total/Mobil apparemment,
étaient pleinement conscients que toute tentative d’exploiter les gisements au sud de la ligne
de facto établie de longue date risquait de donner lieu à contestation, d’où les pointillés que l’on
voit à présent à l’écran. Et ils n’ont pas exploité ces gisements. Le Cameroun n’a pas non plus
protesté lorsque les puits de Tsavorita ont été forés. Telle est la situation dans la réalité, aussi
éloignée soit-elle du tableau qu’en a brossé le Cameroun au cours de la procédure.
6. Soit dit en passant, la présentation de cette carte au cours du dernier tour de plaidoiries est
une nouveauté. Cette carte ne figurait pas auparavant dans le dossier, mais nous sommes heureux
qu’elle ait été produite, et le Nigéria consent formellement à ce qu’elle y soit versée. Elle montre
que le Cameroun était parfaitement au fait de la situation en ce qui concerne cette zone, bien qu’il
ait affirmé le contraire  vous vous rappellerez en effet qu’au premier tour de plaidoiries, le
Cameroun ignorait tout de ces puits. L’industrie pétrolière est si développée, si importante dans
cette région que les Etats concernés ¾ qui tous en retirent des revenus considérables ¾ ne peuvent
manquer  et ne manquent pas  d’en conna ître tous les tenants et aboutissants. C’est seulement
la Cour que le Cameroun cherche à maintenir dans l’ignorance.
7. J’en viens à présent à la zone jaune ¾ cette fameuse «banane jaune» où se situe le point
triple selon la Guinée équatoriale. Le Nigéria partage cet avis, car tout incite à le penser. Vous
voyez ici une carte qui vous est familière : elle représente les installations des trois Etats, et figure à
l’onglet 95 du dossier que nous avons présenté lors du premier tour. Ces installations n’empiètent
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pas les unes sur les autres, il n’y a pas de chevauchement. A moins que la Cour ne confisque des
puits non contestés à un Etat pour en faire don à un autre, cette carte règle quasiment le problème
au nord de Bioko. Quels puits la Cour va-t-elle attribuer au Cameroun, Ekanga, Tsavorita ?
Lesquels ? Le Cameroun ne vous le dit pas.
8. Je vous rappelle une fois de plus l’arrêt rendu en l’affaire Tunisie/Jamahiriya arabe
libyenne, et la façon dont, en cette espèce, il a été tenu compte des installations existantes. La carte
pertinente est actuellement projetée à l’écran; elle figure à l’onglet 44 du dossier que nous avons
présenté au second tour.
9. Venons-en maintenant à la prétendue ligne équitable du Cameroun. La théorie sur
laquelle elle repose, celle de l’affectation globale, est d’un intérêt crucial pour la Guinée
équatoriale. En principe, cette théorie devrait aussi consacrer les droits de ce pays; un système
d’affectation globale devrait établir les droits de tous les Etats du golfe de Guinée, mais le
Cameroun se refuse à expliquer comment cela se ferait, même en principe. On ne peut inférer de sa
méthode quels droits seraient dévolus à la Guinée équatoriale. Cette théorie est maintenant
moribonde et aucun des conseils du Cameroun n’a cherché aujourd’hui à la ranimer. Le Cameroun
n’ayant rien dit au sujet de la méthode d’affectation globale, je n’ai, quant à moi, rien à ajouter.
10. Monsieur le président, j’examinerai maintenant brièvement la théorie défendue par le
Cameroun en ce qui concerne votre compétence, et je m’appuierai pour ce faire sur sa propre carte.
A la vérité, nous avons ici un problème parce que le Cameroun professe à cet égard deux théories
distinctes : l’une défendue par M. Mendelson et, apparemment, par l’agent; l’autre par M. Pellet.
M. Mendelson a déclaré lors du second tour, et c’est également, si j’ai bien compris, ce qu’a
soutenu M. Kamto, que cette délimitation n’impliquait pas nécessairement l’attribution au
Cameroun d’un quelconque point situé au sud-est de la ligne. Elle servait simplement à tenir le
Nigéria à distance. C’est la ligne d’exclusion. Vous avez aujourd’hui entendu M. Pellet désavouer
M. Mendelson. La délimitation maritime, a-t-il indiqué, a une portée objective et si la Cour retient
ce tracé, tous les points situés immédiatement au sud de la ligne relèveront de l’espace maritime
camerounais. Il est vrai, a-t-il ajouté, que vous n’avez pas à spécifier la largeur de cet espace mais
il vous faut déterminer qu’il y en a un, sans quoi vous n’attribuez rien. La délimitation maritime a
une portée objective, a-t-il affirmé. C’est à ce titre que le traité de 2000 s’applique, selon lui, au
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Cameroun, car il crée une situation objective. Mais s’il crée une situation objective, si cet
argument est fondé, alors il s’ensuit, aussi certainement que deux et deux font quatre, que le point
situé immédiatement au sud-est du point H2
appartient au Cameroun. C’est ce que prétend
M. Pellet. Or ce point est fort raisonnablement revendiqué par la Guinée équatoriale. Non
seulement il est revendiqué par la Guinée équatoriale, mais il abrite un gisement équato-guinéen : il
s’agit du gisement d’Ekanga, qui rapporte beaucoup d’argent. Ce n’est pas de droits abstraits que
nous parlons mais de droits très concrets. Les enjeux dont il s’agit sont bien réels. Le Cameroun
revendique le gisement d’Ekanga, puis il affirme qu’il n’est pas porté atteinte aux droits de la
Guinée équatoriale. La Cour vit dans la réalité, pas dans l’illusion. La théorie de M. Pellet part du
principe que la Cour peut rendre un avis consultatif pour déterminer précisément, avec exactitude,
l’étendue des droits de la Guinée équatoriale. Certes, M. Pellet a tenté de présenter cette assertion
sous une forme négative. Il a déclaré qu’il vous fallait déterminer avec exactitude ce que ne sont
pas les droits de la Guinée équatoriale. Mais nous savons tous que déterminer précisément ce que
ne sont pas les droits de la Guinée équatoriale revient bel et bien à déterminer ce qu’ils sont et ce,
immédiatement au sud de cette ligne. L’avis rendu par la Cour en l’affaire de la Carélie orientale
n’a jamais été infirmé. Certes, dans l’affaire relative aux Traités de paix, la Cour était saisie d’un
cas quelque peu différent, ayant trait à la légitimité de l’activité d’un organe des Nations Unies,
bien que la question concernât aussi les droits des Etats. Pensez-vous que la Cour puisse être
habilitée, par une décision de l’Assemblée générale prise à la majorité, à donner son avis
consultatif sur la question de savoir qui, de la Guinée équatoriale ou du Cameroun, a souveraineté
sur une zone maritime donnée ? Ce serait faire fi de l’exigence du consentement énoncée dans le
Statut de la Cour, et j’imagine bien l’attitude de M. Pellet lors des négociations qui s’ensuivraient
avec la Guinée équatoriale lorsque ce point serait formellement soulevé : «Ah,» trancherait-il d’un
ton sans appel, «la Cour a déterminé exactement l’étendue de vos droits, il ne vous reste plus qu’à
vous incliner». Or en réalité, la juridiction maritime instaurée entre deux Etats n’a pas dans un
premier temps la portée objective que lui prête M. Pellet. Si elle est objective, alors la compétence
de la Cour s’éteint inéluctablement au point H2
, pour les raisons que j’ai exposées. Mais elle n’est
pas d’emblée objective, et ce, pour deux raisons. D’abord ¾ et à cet égard il y a peut-être une
différence entre territoire terrestre et espace maritime ¾ ledit espace est défini dans un premier
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temps par voie de négociations entre deux Etats côtiers qui concluent entre eux un marché. Il est
évident que ce marché ne saurait être opposable ni bénéficier à des Etats tiers. Il est vrai que les
prétentions raisonnables et les droits légitimes des Etats de la région seront présents en toile de
fond. La Cour peut les apprécier. Mais le marché lui-même sera conclu entre deux Etats. A moins
d’être reconnu ou consacré par la pratique après un certain temps, il reste une simple transaction
bilatérale, et l’accord de 2000 n’est rien d’autre. Comme je l’ai indiqué l’autre jour, le Nigéria n’a
pas conclu de marché au nom du Cameroun en ce qui concerne Ekanga, et la Guinée équatoriale est
en droit de mettre en œuvre l’accord d’exploitation dans cette zone, de part et d’autre de la ligne. Il
s’ensuit inéluctablement, selon nous, que la compétence de la Cour s’arrête au point H1
, parce qu’il
s’agit du point jusqu’auquel, vous l’avez entendu, la Guinée équatoriale maintient ses prétentions.
La revendication erga omnes de la Guinée équatoriale va jusqu’à la ligne médiane. Ce pays a pour
l’heure renoncé à cette revendication, mais seulement à l’égard du Nigéria, et nous verrons par la
suite si cette renonciation a définitivement pris effet à l’égard du Nigéria.
11. Jusqu’à présent, nous avons évoqué le point H1
, et le Nigéria admet  et j’ai admis au
premier tour de plaidoiries  que le segment H-H1
relève de votre compétence. La Guinée
équatoriale ne revendique aucune zone située au nord de sa ligne d’équidistance. Et vous pourriez
vous prévaloir de votre compétence pour décider de donner à la Guinée équatoriale l’ensemble de
l’espace maritime situé à l’est du segment H-H1
, mais bien sûr, comme nous l’avons montré, il ne
vous appartient absolument pas de le faire au fond. D’abord, en ce qui concerne le point H qui
apparaît à l’écran  la Cour doit savoir que j’ai dû préparer cet exposé pendant la
pause-café  vous y constaterez la présence d’installations, plates-formes, oléoducs et puits
nigérians établis de longue date; ils ont été mis en place dans les années quatre-vingt sans donner
lieu à la moindre protestation : revendiquer le point H est en contradiction flagrante avec la
pratique des Parties. S’il s’agissait d’une revendication faisant appel à la prescription, cela suffirait
dans cette zone, mais il ne s’agit bien évidemment pas d’une revendication faisant appel à la
prescription; il ne peut être ici question de prescription car il n’y a pas de titre préexistant du
Cameroun, quoi qu’il en dise. Ainsi, le point H est exclu en tant que tel pour les raisons que j’ai
exposées. Si le point H est exclu, la revendication relative au segment H-H1
est dépourvue de
fondement, parce que l’orientation de cette ligne procède de la méthode d’affectation globale du
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Cameroun, qui est entièrement discréditée. Il ne reste plus à M. Kamto qu’à invoquer une ligne
d’équidistance au nom de je ne sais quels arguments.
12. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, ma dernière observation porte
sur les appels de plus en plus pressants du Cameroun en faveur de l’«équité». «Qui veut être traité
équitablement doit agir équitablement», dit-on; ce qui implique, entre autre, une parfaite franchise
envers la Cour sur ce que l’on cherche à obtenir. Le Cameroun n’a pas été franc à l’égard de la
Cour en ce qui concerne la frontière maritime. En dépit de nombreuses sollicitations, il a
refusé et de nouveau aujourd’hui  de vous indiquer en quoi consistent ses prétentions. Une
méthode d’affectation globale suppose une revendication implicite à l’égard de la
Guinée équatoriale. Le Cameroun refuse de vous dire en quoi elle consiste. Il sait en quoi elle
consiste mais il refuse de vous le dire. Il n’a pas été franc. Une ligne, en soi, n’a aucune largeur et
ne recouvre aucune ressource. Seule une zone délimitée par une ligne peut être considérée comme
équitable. Une «ligne équitable» est une contradiction dans les termes. Le Cameroun n’a jamais
pris la peine de vous indiquer en quoi consiste sa revendication et pour cause : elle représente, en
substance et en fait, une revendication contre des Etats tiers et dans cette mesure, elle est bien
évidemment irrecevable; elle est aussi irrecevable en ce qui concerne le Nigéria, pour les raisons
que nous avons exposées. La Cour a bien entendu compétence au nord de la ligne d’équidistance,
mais pas pour ce qui est d’attribuer la ligne elle-même, car la méthode sous-jacente produit un
résultat manifestement irrecevable.
13. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, au nom de la République
fédérale du Nigéria, permettez-moi de vous remercier de l’attention que vous nous avez
courtoisement prêtée pendant cette longue et difficile affaire. Face à un torrent d’accusations,
d’accusations fort peu étayées et ne s’embarrassant guère de détails, nous avons cherché à rétablir
un semblant d’équilibre et à éviter de sombrer dans la rhétorique. J’espère que nous y sommes
parvenus. Dans le cas contraire, je vous présente nos excuses.
Monsieur le président, puis-je vous demander d’appeler à la barre l’agent du Nigéria,
M. le ministre Musa Abdullahi, qui résumera l’argumentation du Nigéria et présentera ses
conclusions ?
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Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur. Je donne maintenant la parole à
Monsieur l’agent du Nigéria.
M. ABDULLAHI :
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, nous avons entendu l’éminent
agent du Cameroun nous faire un long discours politique. Il nous a dressé comme d’habitude, si je
puis dire, un tableau exagéré des relations entre nos deux Etats. Vous aurez constaté les allusions
abusives à la guerre, aux blessures toujours béantes, et ainsi de suite.
2. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le Nigéria ne croit pas opportun
de formuler encore de nouvelles observations de ce type dans une instance portée devant la Cour.
Nous sommes devant la plus haute juridiction de droit international, le principal organe judiciaire
de l’Organisation des Nations Unies dans l’exercice de sa compétence. Au cours de cette
procédure, le Nigéria a présenté sa thèse en se fondant sur sa position juridique. Nous n’allons pas
nous abaisser, comme le Cameroun, jusqu’au niveau auquel son éminent agent a tenté de nous
mener. Pour ce genre de débat, nous trouverons une tribune mieux adaptée. Cet après-midi, dans
ce prétoire-ci, je me contenterai de récapituler l’argumentation juridique que le Nigéria a présentée
à la Cour internationale de Justice.
3. Nous ne souscrivons évidemment pas au tableau dressé par l’agent du Cameroun mais,
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le Nigéria croit devoir se réserver le droit
de répondre par écrit à l’agent du Cameroun car celui-ci, de l’avis du Nigéria, ne s’est pas contenté
de récapituler la thèse du Cameroun, il est allé beaucoup plus loin.
4. Permettez-moi simplement de faire une observation au sujet de Bama, dont l’agent du
Cameroun a parlé dans son exposé. Il a dit que Bama est la ville natale de l’ancien chef de l’Etat
du Nigéria, le général Sani Abacha, et qu’il s’agit d’une ville camerounaise. Monsieur le président,
le Bama que nous connaissons, le Bama qui est la ville natale de notre ancien chef de l’Etat, est
situé au Nigéria et n’a jamais été situé au Cameroun. La Cour comprendra que le général
Sani Abacha n’a jamais été Camerounais. Nous n’avons jamais dit non plus que mon éminent ami,
qui devrait être d’origine nigériane, est un Nigérian. Il est Camerounais.
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5. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il m’incombe à présent de
récapituler la thèse du Nigéria. Cette procédure porte certes sur d’autres questions mais elle
concerne avant tout des individus  des communaut és nigérianes importantes, bien établies,
actives, qui habitent avant tout la presqu’île de Bakassi mais également le long de la frontière
terrestre et dans la région du lac Tchad. Il est stupéfiant de constater que le Cameroun présente les
faits relatifs à ces communautés comme étant généralement sans pertinence pour les décisions que
la Cour doit prendre sur leur avenir.
6. Par exemple, le Nigéria a présenté à la Cour un grand nombre de preuves concernant
Bakassi dans la période qui a suivi l’indépendance, preuves pour une grande part sous forme de
documents. Le Cameroun, lui, au cours de la procédure orale, ne s’est appuyé sur quasiment aucun
document relatif à l’administration de Bakassi; il n’en a cité que cinq.
La presqu’île de Bakassi
7. Une population bien établie de cent cinquante-six mille Nigérians, composée
essentiellement de pêcheurs et de petits agriculteurs des tribus efik et effiat, fortement liée à la
structure sociale traditionnelle de Calabar, vit dans la presqu’île de Bakassi. Cette communauté fait
intensément allégeance au Nigéria. Elle n’a aucune relation avec le Cameroun.
8. Dans cette procédure, le Cameroun cherche à inverser un statu quo qui règne de longue
date à Bakassi et dont la nature est très clairement démontrée. Si le Cameroun obtient gain de
cause, les conséquences pratiques pour la population locale seront dramatiques. Les preuves nous
indiquent que les habitants feraient un très mauvais accueil à toute tentative du Cameroun visant à
prendre le contrôle de Bakassi, et que le Cameroun ne respecterait ni les droits de l’homme ni les
droits civils de la population.
Les fondements de la prétention du Nigéria sur la presqu’île de Bakassi sont antérieurs à
l’indépendance
9. Le Nigéria revendique un titre originel sur Bakassi en se fondant sur l’entité des rois et
chefs du Vieux-Calabar. Ceux-ci jouissaient de la personnalité internationale. Ils recevaient des
consuls, ils concluaient des traités, et ces traités étaient nombreux. L’un d’eux est le traité de
protection qu’ils ont conclu en 1884 avec la reine de Grande-Bretagne.
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10. Monsieur le président, ce traité doit être interprété conformément à l’énoncé même de
ses dispositions. Il s’agissait exclusivement d’un traité de protection. Il n’y a rien dans ses
dispositions qui accorde à la Grande-Bretagne la souveraineté sur les territoires des rois et chefs du
Vieux-Calabar, ni qui fasse de ces territoires une colonie britannique. Le traité n’autorisait pas la
Grande-Bretagne à aliéner la moindre parcelle des territoires des rois et chefs. Ce traité fut la
source et la base de tous les actes de la Grande-Bretagne pendant plus de soixante-quinze ans. Il
est resté «exécutoire et en vigueur» jusqu’à l’indépendance du Nigéria en 1960.
11. S’agissant de l’argument tendant à dire que le traité anglo-allemand de 1913 aurait cédé à
l’Allemagne des territoires appartenant aux rois et chefs du Vieux-Calabar, ledit traité ne pouvait
tout simplement pas avoir cet effet. Nemo dat quod non habet. Les dispositions en cause sont
illicites et inopérantes. Il n’est pas non plus démontré qu’elles aient jamais été mises en œuvre
avant la première guerre mondiale. Entre 1913 et 1960, date de l’indépendance du Nigéria, aucune
circonstance juridique n’aurait pu rendre ces dispositions légalement applicables.
12. Le traité de protection de 1884 a continué d’être en vigueur et de lier le Royaume-Uni
tout au long des périodes du mandat et du régime de tutelle. Les liens entre Bakassi et le reste du
Nigéria, administratifs et juridiques notamment, n’ont jamais été rompus ni suspendus. Bakassi a
en pratique été administrée à partir du Nigéria et comme faisant partie intégrante du Nigéria.
Concrètement, l’autorité était toujours exercée par les détenteurs traditionnels du pouvoir à
Bakassi, à savoir les rois et chefs du Vieux-Calabar et leurs successeurs en titre, l’obong de Calabar
et son conseil des etuboms. Personne n’avait légalement le pouvoir de céder unilatéralement le titre
sur Bakassi. Les rois et chefs et leurs successeurs légitimes ont continué de détenir ce titre. A
partir de l’indépendance du Nigéria, c’est-à-dire depuis 1960, la presqu’île relève, sur le plan
international, du Nigéria en tant que successeur du Vieux-Calabar. De 1884 à nos jours, les
relations entre les chefs traditionnels du Vieux-Calabar et Bakassi sont restées paisibles, solides,
sans solution de continuité.
Bakassi après l’indépendance
13. Le Cameroun revendique Bakassi en se fondant exclusivement sur des sources
conventionnelles, c’est-à-dire sur les dispositions du traité de 1913, qui n’ont pas été mises en
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œuvre et qui sont inopérantes. Le Nigéria, quant à lui, a conservé un titre originel sur Bakassi et
l’autre titre qu’il invoque, fondé sur la consolidation historique, vient en apporter confirmation.
14. Mais le Nigéria opte aussi pour une autre justification. Il est communément admis qu’un
titre conventionnel peut être modifié ou transféré par des voies licites. De même, un titre hérité en
vertu de l’uti possidetis juris peut être modifié ou transféré par des voies licites, telles que
l’acquiescement. Quand bien même on accepterait, de façon purement théorique, de considérer le
traité de 1913 comme valable et intégralement mis en œuvre, le Nigéria n’en serait pas moins
détenteur d’un titre légitime sur Bakassi en vertu de la consolidation historique du titre, enregistrée
notamment depuis l’indépendance. Ce qui signifie que le titre nigérian n’est pas nécessairement
subordonné au statut juridique du traité de 1913.
15. Monsieur le président, le Nigéria, pour défendre son titre sur Bakassi, plaide trois
fondements, distincts mais intimement liés. Le premier correspond à l’occupation de longue date
de ce territoire par le Nigéria et par des ressortissants nigérians, qui constitue une consolidation
historique du titre et confirme le titre originel dévolu au Nigéria au moment de l’indépendance en
1960. Vient en deuxième lieu la possession paisible par le Nigéria en qualité de souverain, et
l’absence de toute protestation de la part du Cameroun. Il faut citer en troisième lieu les
manifestations de souveraineté du Nigéria, en même temps que l’acquiescement du Cameroun à la
souveraineté nigériane sur Bakassi.
16. Ces trois fondements du titre valent tant individuellement que conjointement. En
particulier, le titre fondé sur la consolidation historique ainsi que sur l’acquiescement pendant la
période écoulée depuis l’accession à l’indépendance du Nigéria constitue un titre indépendant sur
Bakassi qui se suffit à lui-même.
17. Jusqu’en 1968 au moins, et en fait par la suite aussi, le Nigéria était possesseur paisible
de Bakassi et le Cameroun acceptait ce statu quo. Le Cameroun n’a jamais exercé de possession ni
de contrôle paisible de la presqu’île dans son ensemble. La première note camerounaise qui est
directement liée à la question de la souveraineté sur Bakassi date du 13 octobre 1980, soit une
vingtaine d’années après l’indépendance. Selon moi, les preuves que le Cameroun a données lors
de ses plaidoiries pour démontrer qu’il a exercé sa possession et son contrôle sur Bakassi ne sont
vraiment pas convaincantes, si je puis me permettre.
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18. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le Cameroun n’a jamais réussi à
contester victorieusement les preuves fournies par le Nigéria concernant la consolidation historique
de son titre sur la presqu’île de Bakassi. Et en tout cas, les preuves démontrent non seulement la
prépondérance écrasante de l’administration nigériane à Bakassi, mais également les attaches
d’ordre ethnique et social avec le territoire principal du Nigéria et l’existence, après
l’indépendance, d’un statu quo administratif et social en faveur du Nigéria, statu quo que le
Cameroun a tenté d’ébranler par divers moyens, y compris le recours à la force.
19. L’important, c’est que les preuves en faveur du Nigéria prédominent et que le Cameroun
ne parvient pas à contester victorieusement les divers types d’éléments de preuve. Il faut d’ailleurs
relever que le Cameroun invoque des éléments de preuve qui sont non seulement problématiques
par nature, mais manifestement accessoires. On ne peut que conclure, grâce aux éléments de
preuve qui prédominent, à la validation du titre par consolidation historique.
20. En outre, Monsieur le président, à supposer même que les questions sur lesquelles le
Cameroun insiste lourdement, telles que la déclaration de Maroua ou les preuves cartographiques,
soient pour leur part tranchées au profit du Cameroun  ce dont le Nigéria doute beaucoup  la
masse des éléments de preuve serait toujours favorable au titre nigérian. Il serait parfaitement
illogique d’éluder les principaux éléments de preuve pour s’en remettre à des moyens tant
accessoires que, pour ce qui est de la déclaration de Maroua, problématiques du point de vue
juridique.
21. Bakassi n’a jamais été terra nullius. Pour le Nigéria, la situation juridique semble être en
substance la même que dans l’affaire des Minquiers et des Ecréhous, tout du moins à certains
égards. Les éléments constitutifs du processus de consolidation historique du titre en ce qui
concerne la presqu’île de Bakassi sont le titre originel des cités-Etats du Vieux-Calabar, le
comportement et les attaches ethniques de la population de la presqu’île de Bakassi, les noms efik
et effiat des villages de pêcheurs de Bakassi, l’administration de Bakassi en tant que partie
intégrante du Nigéria pendant la période allant de 1913 jusqu’à la date de l’indépendance,
l’exercice de l’autorité sur les villages et clans de Bakassi par les chefs traditionnels, établis
à Calabar ou ayant prêté allégeance au Nigéria, les activités de la société ekpe, l’administration de
la justice par des juridictions de droit coutumier en vertu de la législation nigériane, l’établissement
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de longue date de ressortissants nigérians dans la région et les manifestations de souveraineté de la
part du Nigéria après l’indépendance en 1960. Ces éléments sont minutieusement examinés dans la
duplique du Nigéria.
22. Jusqu’en 1972, le Gouvernement du Cameroun a acquiescé à l’administration nigériane
établie de longue date dans la région de Bakassi. Puis, à partir de 1972, il y a eu diverses initiatives
camerounaises, en particulier le projet de rebaptiser les villages, lequel prouve manifestement qu’il
n’existait pas au préalable d’administration camerounaise. Sur le terrain, le Cameroun a mené
certaines activités isolées qui n’ont pas abouti à établir son contrôle effectif ni exclusif dans la
région. Le Cameroun n’a jamais eu la possession paisible de la région. Cette politique
expansionniste tardive ne pouvait pas  et n’a pas pu  effacer les effets de l’acquiescement
antérieur.
23. Les preuves attestent que les Parties à la présente affaire ont considéré les questions de
délimitation maritime comme distinctes, les découplant de tout litige éventuel relatif à la presqu’île
de Bakassi. La configuration générale des espaces situés au large, telle qu’elle a été fixée dans les
années 1960, a été respectée par chacune des Parties qui l’ont même étendue, et par la
Guinée équatoriale, à la suite d’un minimum de discussions et de désaccords. Le lien entre les
activités terrestres et les activités maritimes n’a pas été établi. C’est pourquoi les négociations
relatives à la frontière côtière dans les années soixante-dix et quatre-vingt ont porté essentiellement
sur des questions d’accès maritime. Les échanges de vues n’ont absolument pas porté sur la
presqu’île de Bakassi.
La frontière terrestre
24. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’examinerai maintenant la
frontière terrestre entre le lac Tchad et Bakassi. Dans sa requête additionnelle, le Cameroun a prié
la Cour de bien vouloir la préciser définitivement. En réalité, le Cameroun demande à la Cour
deux choses : en premier lieu, de confirmer que la frontière terrestre est délimitée par les quatre
instruments de délimitation directement pertinents et en second lieu, de définir cette frontière
terrestre avec exactitude.
- 14 -
25. Le Cameroun a voulu par la suite renoncer à cette seconde demande. Or, comme l’a
montré le Nigéria en rappelant ce que la Cour a déclaré dans l’affaire de la Barcelona Traction,
après avoir formulé cette demande dans sa requête additionnelle, le Cameroun n’avait plus le droit
d’en dessaisir la Cour sans le consentement du Nigéria. Or, le Nigéria a de très bonnes raisons de
ne pas donner ce consentement. S’agissant d’un certain nombre d’endroits précis et limités, ces
instruments de délimitation présentent des imperfections inhérentes, ou ont été rendus incertains
par l’attitude du Cameroun à leur égard. Vingt-deux secteurs, que le Nigéria a isolés, restent à
préciser. La position du Nigéria a toujours été claire : il admet que les instruments de délimitation
pertinents ¾ qu’il a d’emblée identifiés et acceptés ¾ délimitent effectivement la frontière
terrestre entre le Nigéria et le Cameroun, sous réserve d’une interprétation des dispositions relatives
à ces vingt-deux secteurs en suspens qui rende la délimitation praticable.
26. Il est nécessaire mais aussi souhaitable si l’on veut assurer la stabilité de la frontière
internationale de confirmer que la frontière est régie par les instruments pertinents mais la Cour
devra également préciser que les dispositions imparfaites ou incertaines peuvent être interprétées de
manière fiable et conforme aux intentions des instruments de délimitation. Il s’agit en outre de
préalables indispensables à tous les arrangements que les parties adopteront aux fins de la
démarcation de leur frontière commune, et il s’agit aussi de permettre entre-temps aux populations
locales d’avoir une idée précise du tracé de la frontière.
27. Le Cameroun a dans un premier temps nié que la délimitation opérée par les différents
instruments puisse d’une manière ou d’une autre être insuffisante ou incertaine. Il a soutenu que
tous les problèmes pourraient être réglés au stade de la démarcation. Mais pendant ces plaidoiries,
le Cameroun a abandonné cette position pour admettre tardivement ce que le Nigéria fait valoir dès
le départ, à savoir que les instruments de délimitation sont imparfaits sous plusieurs aspects. Il est
à la fois déplorable et regrettable que le Cameroun se soit néanmoins abstenu de fournir à la Cour
le moindre concours sous forme de renseignements et d’arguments pour l’aider à remédier aux
imperfections des instruments de délimitation.
28. Même si le Cameroun n’a pas fait valoir son point de vue sur ce sujet suffisamment en
détail, le Nigéria a, quant à lui, soumis à la Cour ¾ en particulier dans sa réplique ¾ une
argumentation très complète, tant juridique que pratique, technique et cartographique sur chacun
- 15 -
des vingt-deux secteurs où la délimitation est incomplète ou incertaine. C’est le Cameroun qui a le
premier saisi la Cour d’une requête visant à déterminer la frontière avec exactitude; le Nigéria a
ensuite fourni à la Cour tout le matériau nécessaire pour lui permettre de s’acquitter de sa tâche,
pour la totalité des vingt-deux secteurs où la délimitation est imparfaite ou incertaine et reste à
régler.
29. A ce propos, je tiens à souligner que l’agent du Cameroun a expressément accepté la
semaine dernière que vous puissiez trancher les questions non résolues de la délimitation le long de
la frontière. Il a déclaré que «si vous estimiez que certains des problèmes soulevés … par le
Nigéria devaient être tranchés à votre niveau, [le Cameroun] n’y [verrait] pas le moindre
inconvénient. [Son] unique souci est que la frontière soit précisée définitivement.» (CR2002/17,
p. 65, par. 5). Même s’il ne vous aide pas beaucoup à vous acquitter de votre tâche, le Cameroun
accepte donc expressément que vous vous en chargiez. Le Nigéria pour sa part estime non
seulement que vous pouvez le faire, mais également que vous le devez, et ce pour chacun des vingtdeux
secteurs qu’il a isolés.
Le lac Tchad
30. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant au
lac Tchad. Les 33 villages qui sont en litige dans cette région en la présente espèce ont une
population totale d’environ 60 000 personnes. Cette région faisait partie de l’Emirat de Bornou
(maintenant partie intégrante du Nigéria) bien avant que les puissances coloniales n’entrent en
scène au XIXe
siècle. De solides attaches continuent d’exister avec Borno, ainsi que le Nigéria l’a
prouvé dans ses écritures. Dans ces 33 villages est établie une population nigériane stable,
administrée de longue date par le Nigéria, et qui vit essentiellement de la pêche et de l’agriculture.
Ces communautés éprouvent un profond sentiment de loyauté à l’égard du Nigéria.
31. Lorsqu’il revendique son titre sur ces villages, le Nigéria ne défend pas seulement son
intégrité territoriale, mais aussi une importante population nigériane et sa façon de vivre. Le
Cameroun cherche à revenir sur un statu quo dont l’existence est clairement établie. S’il obtient
gain de cause, cela aurait des conséquences pratiques très graves pour cette population. Il est
probable que les mesures que prendrait le Cameroun pour asseoir son autorité seraient extrêmement
- 16 -
mal accueillies par les habitants. Il y a par ailleurs tout lieu de craindre que les Camerounais ne
respecteraient pas les droits civils et les droits de l’homme de la population. Les craintes du
Nigéria sont d’autant plus vives que des groupes armés privés opèrent à proximité, du côté
camerounais, sous les ordres de chefs locaux. L’existence de ces groupes armés a été signalée par
le rapporteur spécial auprès de la Commission des droits de l’homme en novembre 1999, ainsi que
l’a rappelé le chef Richard Akinjide dans son intervention.
32. Les zones du lac Tchad situées au nord et à l’est du point extrême de la frontière terrestre
à l’embouchure de l’Ebedji constituent un territoire sur lequel le titre reste indéterminé. Ceci
s’entend sans préjudice d’un titre nigérian sur tel ou tel secteur, titre fondé sur la consolidation
historique et sur l’acquiescement.
33. Le titre revendiqué par le Nigéria sur certains secteurs du lac Tchad se fonde sur la
consolidation historique et l’acquiescement. Le Nigéria le détient indépendamment de la situation
en ce qui concerne les travaux de délimitation poursuivis sous les auspices de la commission du
bassin du lac Tchad. La délimitation résultant des travaux de la commission n’est pas définitive et
obligatoire pour le Nigéria et la pratique des Etats riverains confirme qu’il n’existe pas
actuellement de délimitation définitive.
34. Les trois fondements de la revendication nigériane concernant le titre sur Darak et
les 32 autres localités sont les suivants : une occupation de longue durée par le Nigéria et par des
ressortissants nigérians, laquelle constitue une consolidation historique du titre; l’administration
effective par le Nigéria agissant en tant que souverain, et l’absence de protestations; enfin, des
manifestations de souveraineté par le Nigéria, parallèlement à l’acquiescement du Cameroun à la
souveraineté nigériane sur Darak et les autres villages du lac Tchad.
35. Ces trois fondements du titre valent tant individuellement que conjointement. De l’avis
du Gouvernement nigérian, chacun d’eux serait à lui seul suffisant.
36. Si quelques-uns de ces villages se trouvent à l’ouest ou au sud de la démarcation
provisoire des frontières du lac Tchad réalisée par l’IGN, la plupart d’entre eux sont situés à l’est
de cette ligne. La position juridique du Nigéria repose sur le postulat fondamental selon lequel le
titre sur les villages en question appartient au Nigéria indépendamment du statut actuel de la
délimitation en tant que telle.
- 17 -
37. Le village le plus ancien, Katti Kime, a été fondé voici quarante-trois ans et le plus
récent, Murdas, il y a seize ans. La plupart de ces villages existent depuis vingt à quarante ans.
38. Les pêcheurs et agriculteurs qui ont fondé ces communautés vaquaient à leurs
occupations ouvertement et pacifiquement, et le système administratif mis en place après
l’établissement de ces villages par le gouvernement local de Ngala était lui aussi ouvert et
pacifique. A aucun moment avant le début de la procédure actuelle, le Gouvernement camerounais
n’a émis de réserves ni de protestations à ce sujet.
39. Les éléments constitutifs du processus de consolidation historique du titre sur les villages
du lac Tchad peuvent être résumés en six points. Tout d’abord, le comportement et les attaches des
habitants de ces villages attestent le lien exclusif qui les unissent à l’Etat de Borno au Nigéria. En
second lieu, les liens historiques de cette région témoignent largement de l’influence géopolitique
et économique prépondérante de l’Emirat de Bornou (et de ses successeurs) sur les rives du
lac Tchad et en particulier dans sa partie méridionale. Troisièmement, la tradition historique de
cette région se trouve renforcée et complétée par le pouvoir politique contemporain et par le rôle
conféré par la Constitution aux souverains traditionnels nigérians et, dans cette région en
particulier, à Son Altesse royale le shehu de Borno. Quatrièmement, ces villages sont habités par
des ressortissants nigérians. Cinquièmement, ils sont administrés en tant que partie intégrante du
Nigéria depuis fort longtemps. Enfin, le Cameroun a acquiescé à l’exercice paisible de la
souveraineté par le Nigéria.
40. Il faut bien comprendre que le processus de consolidation historique du titre sur les
villages revendiqués par le Nigéria n’a pas eu pour effet de déplacer le titre définitif du Cameroun
ou de tout autre Etat riverain.
41. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, par contraste avec les preuves
avancées par le Nigéria, les éléments produits par le Cameroun au sujet des activités de cet Etat
dans la région présentent de graves insuffisances. Le Cameroun n’a pas produit la moindre preuve
en ce qui concerne 15 des villages revendiqués par le Nigéria. Au sujet de six autres villages, il n’a
produit que deux documents. De plus, bon nombre de documents présentés par le Cameroun ne
portent que sur des activités envisagées.
- 18 -
42. Lors de l’examen des éléments soumis à la Cour concernant les activités étatiques, il ne
faut pas oublier que le Cameroun n’a jamais élevé de protestations au sujet de l’administration des
villages par le Nigéria avant 1994. Ce silence des autorités camerounaises est particulièrement
significatif si l’on songe que les activités étatiques du Nigéria étaient menées de manière
entièrement publique, ouverte et notoire, qu’elles se déroulaient en terrain découvert.
43. En ce qui concerne l’acquiescement, le Nigéria a, durant des périodes variables et dans
certains cas depuis quarante ans, joui de la possession paisible de ces villages du lac Tchad qui ont
toujours été administrés comme faisant partie de l’Etat nigérian de Borno. Le Cameroun n’a
jamais, avant la note du 11 avril 1994, formulé de protestations ni de revendications au sujet des
villages du lac Tchad actuellement en litige. Le Cameroun n’a jamais exercé de possession paisible
ni mis en place de système administratif dans la région. L’immixtion du Cameroun en 1987 a été
de courte durée et n’a donné lieu de la part de celui-ci à aucune revendication à l’égard de la
région.
La frontière maritime
44. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’en arrive à la frontière
maritime.
45. Manifestement, en ce qui concerne la frontière maritime, le Cameroun a improvisé, dans
ses écritures comme au cours de la procédure orale, et sa position n’a aucun rapport avec le point
de vue, quel qu’il soit, qu’il a pu adopter lors de ses négociations avec ses voisins, le Nigéria et
Guinée équatoriale, avant 1994. Cette position est sans aucun rapport avec la pratique ou le
comportement des Parties.
46. Le Cameroun formule une revendication maritime qui, pour une part importante de la
délimitation est irrecevable et qui méconnaît totalement le droit international de la mer tel qu’il est
établi ainsi que la méthodologie arrêtée de longue date par la Cour pour la délimitation des espaces
situés au large des côtes. Je n’ai pas le temps d’énumérer toutes les faiblesses de la conception
camerounaise, mais les insuffisances sont notamment les suivantes :
i) il s’agit pour une grande partie de la frontière d’une ligne d’exclusion et non pas d’une
délimitation entre deux Etats côtiers, comme le conseil du Cameroun l’a enfin
- 19 -
expressément admis cette semaine. Or, la Cour ne saurait tracer de frontière maritime
unilatérale;
ii) la ligne revendiquée par le Cameroun obéit à un partage occulte des espaces maritimes
dans l’ensemble du golfe de Guinée, procédure que la Cour a expressément rejetée dans
ses précédentes décisions. Quand le Cameroun présente lui-même ladite ligne, clarté,
cohérence et franchise lui font défaut. En particulier, il refuse de dire à la Cour sur quelle
étendue exacte porte sa revendication;
iii) telle qu’elle est présentée, la ligne revendiquée par le Cameroun ne correspond à aucune
revendication réelle sur un quelconque espace maritime bien défini. Il est par conséquent
impossible d’établir si la revendication est équitable. Une simple ligne ne saurait être
équitable, mais c’est tout ce que le Cameroun dit revendiquer;
iv) la ligne revendiquée par le Cameroun impose à la Cour de statuer sur les droits de deux
Etats qui ne sont pas parties à l’instance, la Guinée équatoriale et Sao Tomé-et-Principe.
Ces deux Etats ont exactement la même position en principe, bien que le premier soit
intervenu mais non le second. La Cour n’exerce pas sa juridiction à l’égard de ces deux
Etats et ne doit pas procéder à une délimitation qui lui impose d’établir l’étendue exacte
des espaces maritimes revendiqués par l’un comme par l’autre;
v) les seules questions maritimes qui ont fait l’objet de discussions entre le Nigéria et le
Cameroun, et du reste entre le Cameroun et la Guinée équatoriale, ont porté sur la
délimitation entre le principal territoire continental et l’île de Bioko, aux fins de
déterminer en particulier l’emplacement du point triple;
vi) étant donné les dispositions contraignantes de la convention des Nations Unies sur le droit
de la mer qui impose de délimiter les zones maritimes par voie d’accord, la Cour devrait
rejeter purement et simplement toute nouvelle revendication maritime qui n’a aucun
rapport avec la pratique ni avec de précédentes prétentions de la partie présentant la
revendication nouvelle, et qui n’a jamais fait non plus l’objet de la moindre tentative de
négociation.
47. De l’avis du Nigéria, la Cour devrait à la place commencer par tracer une ligne
d’équidistance à partir du point d’intersection de la frontière terrestre et de la côte, et examiner s’il
- 20 -
existe des circonstances spéciales ou pertinentes imposant de procéder à un ajustement de ladite
ligne. C’est-à-dire, dans ces conditions, que la ligne de délimitation maritime partira du
Rio del Rey en direction du sud et du sud-ouest jusqu’au point d’intersection avec la ligne
d’équidistance revendiquée par la Guinée équatoriale, laquelle est expressément et fermement
établie en vertu de l’accord conclu en 2000.
48. Le Nigéria est fermement convaincu, même si le Cameroun refuse d’adhérer à ce
principe, que les installations pétrolières et les puits forés en l’absence de toute protestation d’une
autre partie représentent une circonstance pertinente en matière de délimitation maritime et doivent
être pris en considération quand il est procédé au tracé de la frontière. La Cour elle-même s’est
prononcée en ce sens. A la différence du Cameroun, le Nigéria a fourni des renseignements
détaillés pour permettre à la Cour de prendre en considération ces installations et ces puits situés en
pleine mer. Par ailleurs, comme je l’ai dit, ces questions ne revêtent qu’une importance secondaire
par rapport aux territoires terrestres peuplés; les espaces marins sont une zone de ressources et il ne
faut pas que ce soit les ressources qui déterminent l’avenir des hommes.
49. Le Nigéria prend acte avec satisfaction des renseignements complémentaires que la
Guinée équatoriale a présentés à la Cour quand elle est intervenue. Ces renseignements
corroborent parfaitement ce que le Nigéria dit de la pratique des parties et des revendications
maritimes formulées lors des négociations antérieures au dépôt des écritures. Le Nigéria constate
que le Cameroun ne prétend plus que l’accord de l’an 2000 a été imposé par la force, ladite
prétention ayant été qualifiée de totalement fausse par l’agent de la Guinée équatoriale. Le Nigéria
regrette d’ailleurs que le Cameroun n’ait pas également retiré, comme il aurait fallu, d’autres
prétentions infondées tendant à rendre le Nigéria coupable de coercition, de fraude et de duperie.
La responsabilité des Etats
50. J’en arrive, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, aux questions de
responsabilité étatique. Le Cameroun présente le Nigéria comme un Etat agressif, coupable
d’organiser des attaques injustifiées contre le Cameroun, coupable d’«invasion» et d’«occupation»
du territoire camerounais. Le Nigéria regrette ces excès de langage de la part du Cameroun.
- 21 -
Peut-être cette rhétorique a-t-elle sa place dans le domaine politique, mais elle ne l’a certainement
pas dans cet auguste prétoire, devant la Cour internationale de Justice.
51. Ces excès sont d’autant plus regrettables qu’ils ont fort peu de lien avec les faits. Il
s’était instauré un statu quo à Bakassi et au lac Tchad et, d’ailleurs, tout au long de la frontière
terrestre. Le Cameroun a bien cherché à faire valoir une revendication sur Bakassi, mais il sait très
bien que le dossier prouve incontestablement que ce statu quo résulte de l’omniprésence du Nigéria
dans les régions que le Cameroun a cherché à contester. C’est l’Etat qui recourt à la force pour
perturber le statu quo qui commet le fait internationalement illicite, ce n’est pas l’Etat qui préserve
le statu quo.
52. C’est le Cameroun et non pas le Nigéria qui a toujours été à l’origine des troubles
perturbant le statu quo. Il n’a tout simplement pas été possible de trouver pour quel motif
quelconque en droit le Nigéria aurait engagé sa responsabilité internationale en se rendant coupable
d’«invasion» ou d’«occupation». Et, dans les faits, le nombre des victimes est assez éloquent.
Comme l’a montré le conseil du Nigéria pour la presqu’île de Bakassi depuis 19901
, les documents
nigérians versés au dossier imputent au Cameroun trente morts nigérians, dont vingt-sept civils, et
cent dix-sept blessés, dont cent six civils. En outre, huit maisons d’habitation et quatre bateaux ont
été détruits ou endommagés, sans compter d’autres dommages aux biens qui sont également
importants. Pour la Partie adverse, les documents versés au dossier par le Cameroun imputent au
Nigéria trois morts et treize blessés et il s’agirait exclusivement de militaires. Pour qui recourt à
l’inflation verbale, le fossé qui existe entre les deux bilans montre clairement qui fut l’«agresseur».
Dans son dernier exposé sur les demandes reconventionnelles du Nigéria, mardi matin 19 mars, le
Cameroun n’a pas contesté le tableau d’ensemble qui ressort de ces chiffres2
.
53. Mis à part cet élément fondamental qui est un élément de fond, nous arrivons à la
question des preuves. La responsabilité internationale, qu’il ne faut certes pas prendre à la légère,
ne peut pas faire exclusivement l’objet d’allégations et d’affirmations. Il faut prouver qu’elle est
engagée ¾ non pas simplement au moyen de n’importe quel élément de preuve déjà ancien, il faut
des preuves convaincantes qui confortent clairement l’allégation.

1
CR 2002/14, p. 57, par. 31 (Crawford), et CR 2002/20, p. 37, par. 10 (Crawford).
2
CR 2002/22, p. 55-59 (Thouvenin).
- 22 -
54. D’un bout à l’autre de cette affaire, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la
Cour, le Cameroun nous a montré avec éclat, à maintes reprises, quelle attitude il adopte vis-à-vis
des éléments de preuve. Ceux qu’il fournit sont si peu fiables, si insuffisants, que le Cameroun
lui-même a préféré éviter d’étudier en détail les diverses allégations distinctes qu’il formule sur les
incidents qui, d’après lui, engageraient la responsabilité internationale du Nigéria. Le Cameroun a
abandonné ses prétentions individuelles et choisi de ne pas en faire des griefs distincts et
autonomes relatifs à la responsabilité du Nigéria. Le Cameroun a simplement voulu s’en servir
pour conforter ses principales allégations touchant la responsabilité du Nigéria, lesquelles
reviennent concrètement à soutenir qu’il y a eu invasion et occupation de territoires camerounais.
Mais même quand ils sont invoqués à cet effet, les incidents en question doivent encore être
prouvés, au moyen d’éléments de preuve fiables, suffisants. Les éléments produits par le
Cameroun ne sont ni fiables ni suffisants.
55. Le Nigéria a également démontré que les allégations du Cameroun consistant à soutenir
que le Nigéria n’a pas respecté l’ordonnance en indication de mesures conservatoires que la Cour a
rendue en 1996 sont infondées.
56. En somme, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, en ce qui concerne
toute cette question, le Cameroun n’est parvenu ni en droit ni en fait à énoncer un motif quelconque
pour lequel le Nigéria aurait engagé sa responsabilité internationale à l’encontre du Cameroun. Les
prétentions du Cameroun en ce sens doivent être rejetées.
Les demandes reconventionnelles
57. J’en arrive pour finir aux demandes reconventionnelles. A la différence du Nigéria, le
Cameroun a bel et bien engagé sa responsabilité internationale à l’encontre du Nigéria en lançant
des attaques contre les populations civiles et contre des particuliers appartenant à la population
civile. La prétendue revendication du Cameroun sur Bakassi et sur d’autres territoires ne constitue
nullement une exception de droit à cette demande. Le bilan statistique des morts et des blessés à
Bakassi depuis 1990, entre autres éléments de preuve, confirme clairement la véracité des thèses du
Nigéria.
- 23 -
Préservation de la stabilité et du statu quo
58. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la présente affaire porte sur la
stabilité et la préservation du statu quo, que ce soit dans la région de Bakassi, le long de la frontière
terrestre, dans la région du lac Tchad, ou dans les espaces maritimes du golfe de Guinée. Les
questions litigieuses qui se posent en matière de responsabilité étatique ou de demandes
reconventionnelles portent, elles aussi, sur la stabilité et la préservation du statu quo. Pour nos
adversaires, les faits n’ont pas d’importance, et pourtant ils en ont vraiment beaucoup. Et les faits
prouvent que, dans toutes les zones contestées, le statu quo est nigérian, et qu’il est fort ancien.
59. Quand le Cameroun cherche à faire du Nigéria le perturbateur, celui qui porte atteinte au
statu quo, ses tentatives ne sont pas seulement contredites par les preuves, elles sont absurdes. Le
Nigéria ne peut qu’être perdant si le statu quo est perturbé, comme seraient perdants aussi les
dizaines de milliers de villageois nigérians installés paisiblement dans les zones contestées. Des
régimes fort anciens reposant sur la stabilité et l’ordre seraient gravement compromis.
60. Dans mon exposé liminaire, à l’ouverture de la présente procédure orale, j’ai évoqué
certaines des nombreuses organisations régionales et des actions internationales de maintien de la
paix dans le cadre desquelles le Nigéria joue un rôle dirigeant et constructif. Je ne reviens pas sur
les détails, mais je tiens à signaler que la création de plusieurs organisations régionales, comme la
commission du bassin du lac Tchad elle-même et la commission du golfe de Guinée, est due au
départ à des initiatives du Nigéria. Depuis quarante ans, depuis l’indépendance, le Nigéria a pour
politique constante de favoriser la coopération internationale dans l’intérêt de la paix et du progrès,
non pas simplement sur le plan local mais aussi sur le plan régional et sur le plan international.
61. Avant de conclure, Monsieur le président, je précise que le Nigéria, après avoir déjà
répondu oralement à un bon nombre des points soulevés par certains membres de la Cour dans les
questions qu’ils ont posées, va développer par écrit ses réponses et les soumettra pour le 4 avril au
plus tard.
62. Monsieur le président, je tiens à dire à nouveau avant d’en terminer que mon
gouvernement vous adresse ainsi qu’au vice-président et à Madame et Messieurs de la Cour ses
remerciements sincères, qu’il adresse également au greffier, au Greffe et à tout le personnel du
- 24 -
Greffe, en particulier les interprètes et les traducteurs, pour la patience et la courtoisie qui lui ont
été manifestées d’un bout à l’autre de cette longue et complexe affaire.
63. Je donne à présent lecture des conclusions que le Nigéria présente officiellement
conformément à l’article 60, paragraphe 2 du Règlement de la Cour.
La République fédérale du Nigéria prie respectueusement la Cour :
1) en ce qui concerne la presqu’île de Bakassi, de dire et juger :
a) que la souveraineté sur la presqu’île appartient à la République fédérale du Nigéria;
b) que la souveraineté du Nigéria sur Bakassi s’étend jusqu’à la frontière avec le Cameroun
décrite au chapitre 11 du contre-mémoire du Nigéria;
2) en ce qui concerne le lac Tchad, de dire et juger :
a) que la délimitation et la démarcation proposées sous les auspices de la commission du
bassin du lac Tchad, n’ayant pas été ratifiées par le Nigéria, ne s’imposent pas à lui;
b) que la souveraineté sur les zones de la région du lac Tchad définies au paragraphe 5.9 de
la duplique du Nigéria et indiquées aux figures 5.2 et 5.3 en regard de la page 242 du
texte original (y compris les agglomérations nigérianes énumérées au paragraphe 4.1 de la
duplique du Nigéria) appartient à la République fédérale du Nigéria;
c) qu’en tout état de cause, du point de vue juridique, le processus qui s’est déroulé dans le
cadre de la commission du bassin du lac Tchad, et qui devait conduire à la délimitation et
la démarcation de l’ensemble des frontières dans le lac Tchad, est sans préjudice du titre
sur telle ou telle zone de la région du lac Tchad qui revient au Nigéria du fait de la
consolidation historique du titre et de l’acquiescement du Cameroun;
3) en ce qui concerne les segments intermédiaires de la frontière terrestre, de dire et juger :
a) qu’il relève de la compétence de la Cour de préciser définitivement le tracé de la frontière
terrestre entre le lac Tchad et la mer;
b) que l’embouchure de la rivière Ebedji, qui marque le point de départ de la frontière
terrestre, se trouve au point où le chenal nord-est de la rivière se jette dans la formation
appelée «Pond» sur la carte reproduite à la figure 7.1 de la duplique du Nigéria, point qui
est situé par 12o
31’ 45’’ de latitude nord et 14o
13’ 00’’ de longitude est (selon le
référentiel d’Adindan);
- 25 -
c) que, sous réserve des interprétations proposées au chapitre 7 de la duplique du Nigéria, la
frontière terrestre entre l’embouchure de l’Ebedji et le point situé sur le thalweg de
l’Akpa Yafe qui fait face au point médian de l’embouchure de l’Archibong Creek est
délimitée par les instruments frontaliers pertinents, à savoir :
i) les paragraphes 2 à 61 de la déclaration Thomson-Marchand, confirmée par l’échange
de lettres du 9 janvier 1931;
ii) l’ordonnance adoptée en conseil du 2 août 1946 relative au Nigéria (protectorat et
Cameroun) (article 6, paragraphe 1) et sa deuxième annexe;
iii) les paragraphes 13 à 21 de l’accord de délimitation anglo-allemand du 12 avril 1913;
et
iv) les articles XV à XVII du traité anglo-allemand du 11 mars 1913; et
d) que les interprétations proposées au chapitre 7 de la duplique du Nigéria, ainsi que les
mesures connexes présentées dans ladite duplique pour chacun des endroits où la
délimitation prescrite par les instruments frontaliers pertinents est imparfaite ou
incertaine, sont confirmées.
4) en ce qui concerne la frontière maritime, de dire et juger :
a) que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la revendication maritime du
Cameroun à partir du point où la ligne que celui-ci revendique pénètre dans les eaux sur
lesquelles la Guinée équatoriale fait valoir des prétentions à l’encontre du Cameroun, ou
subsidiairement que cette demande du Cameroun est irrecevable de ce fait;
b) que la demande du Cameroun relative à une délimitation de la frontière maritime basée
sur le partage global des zones maritimes dans le golfe de Guinée est irrecevable, et que
les Parties sont tenues, en application des articles 74 et 83 de la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer, de négocier de bonne foi en vue de parvenir à un
accord sur une délimitation équitable de leurs zones maritimes respectives, une telle
délimitation devant tenir compte, notamment, de l’obligation de respecter les droits
existants de prospection et d’exploitation des ressources minérales du plateau continental
accordés par l’une ou l’autre des Parties avant le 29 mars 1994 sans qu’une protestation
- 26 -
écrite ait été élevée par l’autre ainsi que les revendications maritimes raisonnables d’Etats
tiers;
c) subsidiairement, que le Cameroun n’est pas fondé en droit à revendiquer une délimitation
de la frontière maritime basée sur un partage global des zones maritimes dans le golfe de
Guinée et que cette demande est rejetée;
d) que, dans la mesure où la demande du Cameroun concernant la frontière maritime peut
être jugée recevable en la présente instance, la revendication par le Cameroun d’une
frontière maritime à l’ouest et au sud de la zone de chevauchement des concessions, telle
qu’indiquée à la figure 10.2 de la duplique du Nigéria, est rejetée;
e) que les eaux territoriales respectives des deux Etats ont pour frontière la ligne médiane
située dans le Rio del Rey;
f) que, au-delà du Rio del Rey, les zones maritimes respectives des Parties seront délimitées
par une ligne tracée conformément au principe de l’équidistance, jusqu’au point le plus
proche où cette ligne rencontre la frontière établie avec la Guinée équatoriale suivant la
ligne médiane à environ 4o
6’ de latitude nord et 8o
30’ de longitude est ;
5) en ce qui concerne les demandes du Cameroun en matière de responsabilité étatique, de dire et
juger :
que, pour autant que le Cameroun maintient toujours chacune de ces demandes et que celles-ci
sont recevables, ces demandes ne sont fondées ni en fait ni en droit; et
6) en ce qui concerne les demandes reconventionnelles du Nigéria telles que formulées dans la
sixième partie du contre-mémoire du Nigéria et au chapitre 18 de la duplique du Nigéria, de
dire et juger :
que le Cameroun est responsable envers le Nigéria à raison des griefs exposés dans chacune de
ces demandes, le montant de la réparation due à ce titre devant être déterminé par la Cour dans
un nouvel arrêt à défaut d’accord entre les Parties dans les six mois suivant la date du prononcé
de l’arrêt de la Cour.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je tiens à vous remercier de votre
patience et de votre écoute.
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Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l’agent. La Cour prend acte des conclusions
finales dont vous avez donné lecture au nom de la République fédérale du Nigéria, comme elle l’a
fait, plus tôt dans l’après-midi, pour les conclusions finales présentées par l’agent de la République
du Cameroun.
Je souhaiterais rappeler que toutes réponses additionnelles données par écrit aux questions de
MM. Fleischhauer, Kooijmans et Elaraby devront être fournies à la Cour le 4 avril 2002 au plus
tard. Je rappellerai également que, conformément à l’article 72 du Règlement de la Cour, les
observations qu’une partie désirerait formuler au sujet des réponses écrites fournies par l’autre
partie devront être transmises dans les quinze jours suivant la réception desdites réponses.
Ceci nous amène à la fin de ces cinq semaines d’audiences.
Je tiens à adresser mes remerciements, pour leurs interventions, aux agents, aux conseils et
aux avocats des deux Parties et de la République de Guinée équatoriale.
Conformément à la pratique, je prierai les agents de rester à la disposition de la Cour pour
tous renseignements complémentaires dont elle pourrait avoir besoin. Sous cette réserve, je déclare
close la procédure orale en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)).
La Cour va maintenant se retirer pour délibérer. Les agents des Parties et de l’Etat
intervenant seront avisés en temps utile de la date à laquelle la Cour rendra son arrêt.
La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, la séance est levée.
L’audience est levée à 18 heures.
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