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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
Uncorrected Non -corrigé

CR 99/24 (translation) CR 99/24 (traduction)
Tuesday 11 May 1999 at 4.30 p.m. Mardi 11 mai 1999 à 16 h 30

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. La Cour est à présent réunie pour
entendre les conclusions des Etats-Unis dans l'affaire relative à lacéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c.
Etats-Unis d'Amérique), et j'ai le plaisir de donner maintenant la parole à l'agent des Etats-Unis, M. David
Andrews.

M. ANDREWS : Je vous remercie, Monsieur le président.

1.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c'est encore une fois un honneur pour moi que de
me présenter devant vous au nom des Etats-Unis. Avec moi se trouvent aujourd'hui : M. Michael Matheson,
conseiller juridique adjoint principal auprès du département d'Etat; M. John Crook, conseiller juridique assistant
pour les questions concernant les Nations Unies; M. Allen Weiner, conseiller juridique de l'ambassade des
Etats-Unis aux Pays-Bas; et M. David Koplow, conseil général adjoint au ministère de la défense. Je voudrais
signaler aussi la présence de notre ambassadeur aux Pays-Bas, Mme Cynthia Schneider.

1.2. Vous avez entendu les représentants des autres Etats défendeurs vous exposer longuement les faits liés aux
événements du Kosovo. Nous n'essaierons pas de reprendre tous ces faits, bien qu'ils revêtent, dans notre cas
également, une importance évidente pour la bonne compréhension de la situation : à ce titre, il y a lieu de
penser que la Cour en tiendra compte. Par conséquent, dans le temps limité qui nous est imparti aujourd'hui,
nous nous emploierons à faire connaître à la Cour notre point de vue sur les aspects essentiels de
l'argumentation présentée à l'encontre des Etats-Unis.

1.3. Nous estimons pour commencer, comme d'autres Etats défendeurs, qu'il importe de ne pas laisser l'examen
des accusations qu'a formulées le demandeur détourner notre attention des atrocités commises par les forces se
trouvant sous son contrôle à l'encontre de la population du Kosovo. La communauté internationale a déjà
dûment pris acte de ces agissements et y a réagi avec indignation et consternation.

1.4. C'est ainsi que, le 30 mars, le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, M. Annan, s'est

déclaré «profondément indigné par les informations faisant état d'une campagne brutale et systématique de
nettoyage ethnique, conduite par des forces militaires et paramilitaires serbes dans la province du
Kosovo» (communiqué de presse SG/SM/6942, 30 mars 1999) [traduction du Greffe]. Le 31 mars,
Mme Arbour, procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, a écrit aux autorités serbes pour
leur rappeler les obligations qui leur incombent en vertu du droit international et les avertir que les crimes
relevant de la compétence du Tribunal engagent leur responsabilité personnelle (Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie, communiqué de presse n CC/PIU/391-E, 31 mars 1999) [traduction du Greffe]. Le 2

avril, Mme Ogata, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a déclaré :

«les atteintes généralisées aux droits de l'homme commises par les forces de sécurité yougoslaves
doivent cesser, et cesser tout de suite. Les expulsions de masse et la destruction des papiers
d'identité constituent des violations flagrantes du droit international et sont des actes moralement
odieux.» (Communiqué de presse, 2 avril 1999.) [Traduction du Greffe.]

1.5. L'ampleur et la gravité de ces agissements ont été abondamment documentées par les autorités
internationales. Selon les informations publiées par la Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés,
plus de 700 000 personnes ont fui le Kosovo depuis mars 1998 (HCR, point d'actualité sur la crise du Kosovo, 8
mai 1999). Des milliers d'autres sont déplacées à l'intérieur du Kosovo (exposé d'information de la Haut-
Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés au Conseil de sécurité, 5 mai 1999). Celles qui ont fui le
Kosovo ont fourni aux représentants des organismes de défense des droits de l'homme des témoignages
cohérents faisant état de tueries et d'attaques commises par les forces serbes et comportant le recours à
l'artillerie pour vider les villages (HCR, point d'actualité sur la crise du Kosovo, 8 mai 1999). D'autres

personnes signalent qu'elles ont été contraintes sous la menace des armes de quitter leurs foyers (HCR,communiqué de presse, 2 avril 1999). Comme la Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés l'a
déclaré au Conseil de sécurité le 5 mai, les réfugiés signalent que «les civils sont victimes de violences,
d'expulsions forcées de leur domicile, de déportations et d'arrestations arbitraires» [traduction du Greffe] .

D'après elle, la cause essentielle de la crise des réfugiés du Kosovo «est la violence systématique et intolérable
exercée contre une population tout entière» (exposé d'information de la Haut-Commissaire des Nations Unies
pour les réfugiés au Conseil de sécurité, 5 mai 1999) [traduction du Greffe] .

1.6. Ayant épuisé tous les moyens possibles de trouver une solution pacifique à la crise par de laborieux efforts
de négociation, le Conseil de l'Atlantique Nord a décidé d'autoriser l'emploi de la force pour amener la
République fédérale de Yougoslavie à mettre un terme à ses agissements illicites au Kosovo et à rétablir la
situation antérieure. Les opérations de l'OTAN ont pour cible des objectifs militaires dont l'importance est
vitale pour la poursuite de la campagne serbe au Kosovo. Toutes les précautions sont prises pour réduire au

minimum le nombre des victimes civiles. Lorsque des erreurs se sont produites, comme dans le cas du tragique
incident concernant l'ambassade de Chine, pour lequel les Etats-Unis ont exprimé leurs profonds regrets,
l'OTAN a reconnu l'erreur et pris des dispositions pour éviter qu'elle ne se répète.

1.7. Comme vous l'avez déjà entendu, les actions des membres de l'alliance de l'OTAN trouvent leur
justification dans plusieurs facteurs, qui sont :

- la catastrophe humanitaire qui s'est abattue sur la population du Kosovo lorsqu'une campagne

brutale et illicite de nettoyage ethnique a forcé des centaines de milliers de personnes à fuir leurs
foyers et gravement mis en danger leur vie et leur bien-être;

- la menace aiguë que les agissements de la République fédérale de Yougoslavie font peser sur la
sécurité des Etats voisins, et notamment la menace que représentent pour eux l'afflux massif de
réfugiés et les incursions armées sur leur territoire;

- les graves violations, par les forces se trouvant sous le contrôle de la République fédérale de

Yougoslavie, des obligations découlant du droit international humanitaire et relatives aux droits de
l'homme, notamment les meurtres, disparitions, viols, vols et destructions de biens à grande
échelle; enfin

- les résolutions du Conseil de sécurité, qui ont établi que les agissements de la République fédérale
de Yougoslavie constituent une menace pour la paix et la sécurité de la région et ont exigé, en
application du chapitre VII de la Charte, qu'il y soit mis fin.

1.8. Dans ces conditions, si l'OTAN n'avait pas agi immédiatement, un préjudice irréparable aurait été causé à
la population du Kosovo. Les membres de l'OTAN ont refusé de rester les témoins passifs d'une nouvelle
campagne de nettoyage ethnique au coeur de l'Europe.

1.9. Et voici qu'à présent la République fédérale de Yougoslavie a intenté des actions contre divers pays de
l'OTAN. Le procès qui est fait aux Etats-Unis s'appuie sur la convention sur le génocide. Monsieur le président,
étant donné la façon dont l'Etat demandeur se comporte au Kosovo, un tel procès apparaît comme un exploit, où
l'hypocrisie et le cynisme prennent des proportions orwelliennes. Inutile de dire que les Etats-Unis rejettent
totalement la description donnée par le demandeur, dans sa requête et sa demande en indication de mesures

conservatoires, des actions des Etats-Unis et de l'OTAN.

1.10. Aujourd'hui, nous expliquerons à la Cour pourquoi elle ne peut pas et ne doit pas ordonner de mesures
conservatoires à l'encontre des Etats-Unis. Pour commencer, M. Crook passera en revue la jurisprudence de la
Cour établissant que des mesures conservatoires ne peuvent être indiquées que si la Cour a d'abord constaté
qu'il existe, au moins prima facie , une base sur laquelle fonder sa compétence. Il expliquera que cette base
prima facie fait défaut dans le cas présent, où le demandeur entend fonder la compétence sur la convention sur
le génocide. Les Etats-Unis ont ratifié cette convention avec une réserve dépourvue de toute ambiguïté qui
exclut la possibilité de les assigner devant cette Cour sans leur consentement exprès dans chaque cas. Les Etats-

Unis n'ont pas consenti à ce procès et, en l'absence d'un tel consentement, la Cour est manifestement
incompétente. M. Cook expliquera en outre que, bien que le demandeur invoque formellement dans sa requête
la convention sur le génocide, il ne formule en fait à l'encontre des Etats-Unis aucune allégation étayée entrant
dans le champ d'application de cette convention et ne produit donc, en tout état de cause, aucun élémentconstituant une base sur laquelle la Cour pourrait se déclarer compétente.

1.11. M. Matheson indiquera ensuite pourquoi, selon nous, il serait totalement inapproprié de la part de la Cour

d'accorder des mesures conservatoires, même si elle apparaissait prima facie compétente. Il expliquera que,
même en pareil cas, l'indication de mesures conservatoires relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour, et que
de telles mesures ne doivent être ordonnées que si elles sont appropriées et exigées par les circonstances. Il
montrera que pareilles mesures ne peuvent être indiquées que pour protéger des droits garantis par l'instrument
qu'invoque le demandeur pour fonder la juridiction de la Cour et qu'en l'espèce les mesures demandées sont, en
fait, dépourvues de tout lien avec la convention sur le génocide. Il montrera en quoi la crainte que les forces des
Etats-Unis ou d'autres pays de l'OTAN n'aient commis ou ne viennent à commettre un génocide en République
fédérale de Yougoslavie est totalement dépourvue de fondement. Enfin, il fera valoir que de telles mesures sont
inappropriées parce que le demandeur, eu égard à son comportement illicite au Kosovo, ne saurait prétendre

former un recours devant la Cour.

1.12. Je reviendrai ensuite présenter le résumé des thèses des Etats-Unis et leurs conclusions. Monsieur le
président, en ayant ainsi terminé avec cette introduction, je prie maintenant la Cour de bien vouloir inviter
M. Crook à présenter le point de vue des Etats-Unis concernant la compétence de la Cour.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Merci, Monsieur Andrews. Monsieur Crook, je vous en
prie.

M. CROOK :

I. Introduction et exposé général

2.1. Je vous remercie. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c'est de nouveau un honneur
pour moi que de me présenter devant cette Cour. Disposant de peu de temps, j'essaierai de limiter mon exposé à
l'essentiel. Je ne donnerai pas lecture des citations étayant mon raisonnement, mais elles figurent dans le texte
que nous avons fourni au Greffe.

2.2. Le point central de mon argumentation, Monsieur le président, est que la Cour n'a pas compétence pour

connaître des demandes présentées contre les Etats-Unis par la République fédérale de Yougoslavie. La Cour
ne peut donc pas indiquer à l'encontre des Etats-Unis les mesures conservatoires que celle-ci demande. Selon le
Statut, la juridiction de la Cour a pour fondement le consentement des parties. Le principe fondamental est que
la Cour ne peut exercer sa juridiction dans une affaire mettant en cause un Etat sans le consentement de cet
Etat. «[E]n l'absence d'un accord bien net entre les Parties à cet effet, [la Cour] n'est pas compétente pour traiter
au fond ... la présente affaire.» (Affairembatielos (compétence), arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 39; voir aussi
N. Singh, The Role and Record of the International Court of Justice , p. 179 (1989) (rappelant le «principe
primordial du consentement, sur lequel tant la Cour que le droit qu'elle applique reposent») [traduction du
Greffe].)

2.3. Or, les Etats-Unis n'ont pas consenti à la présente procédure. Lorsqu'ils sont devenus partie à la convention
sur le génocide, les Etats-Unis ont formulé au sujet de l'article IX une réserve dépourvue d'ambiguïté précisant
que le consentement exprès des Etats-Unis à la juridiction de la Cour serait nécessaire dans chaque affaire
fondée sur la convention qui les mettrait en cause. La République fédérative socialiste de Yougoslavie n'a pas
objecté à cette réserve, qui lie donc les Parties dans la présente affaire.

2.4. Les Etats-Unis n'ont pas donné le consentement exigé par leur réserve, et ils ne le feront pas. Il n'y a donc

pas compétence sur la base de la convention et la Cour n'est pas habilitée à indiquer les mesures conservatoires
demandées par la République fédérale de Yougoslavie. Je reviendrai plus tard au cours de mon exposé sur
différents aspects de cette réserve.

2.5. Reconnaissant apparemment la faiblesse du moyen juridictionnel invoqué qui se fonde sur la convention, le
demandeur invoque également le paragraphe 5 de l'article 38 du Règlement de la Cour, dans un effort pourimproviser une compétence. Comme la Cour le sait fort bien, le paragraphe 5 de l'article 38 permet à un Etat
demandeur de déposer une requête en anticipant une future acceptation de compétence de la part de l'Etat
défendeur. Tant que cette acceptation n'a pas été donnée, aucun acte de procédure ne peut être effectué et

l'affaire ne peut être inscrite au rôle général de la Cour. Les Etats-Unis n'ont pas consenti à la juridiction de la
Cour au titre du paragraphe 5 de l'article 38 et n'ont pas l'intention de le faire. En conséquence, la Cour n'a
aucunement compétence, que ce soit prima facie ou autrement, si ce n'est pour se déclarer incompétente pour
connaître des questions soulevées dans la requête.

II. Le droit applicable aux mesures conservatoires

2.6. J'examinerai à présent certaines des conditions auxquelles est subordonnée l'indication de mesures

conservatoires. Ainsi que la Cour nous l'a clairement enseigné, les mesures conservatoires ont un caractère
exceptionnel et il n'y a pas lieu d'en indiquer dans toutes les affaires. La Cour a souligné ce point à maintes
reprises :Plateau continental de la mer Egée, mesures conservatoires, ordonnance du 11 septembre 1976,
C.I.J. Recueil 1976, p. 11, par. 32;Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires ,
ordonnance du 29 juillet 1991 C.,.J. Recueil 1991 , p. 12 (Opinion individuelle de M. Shahabuddeen).

2.7. Une condition préalable à toute indication de mesures conservatoires est que la Cour doit être prima facie
compétente. Comme la Cour l'a expliqué dans ses ordonnances indiquant des mesures conservatoires en
l'affaireCameroun c. Nigéria , la Cour n'a pas besoin de «s'assurer d'une manière définitive» de sa compétence

quant au fond avant d'ordonner des mesures conservatoires. Mais «elle ne peut cependant indiquer ces mesures
que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle la
compétence de la Cour pourrait être fondée». Voir, par exemple, l'affaire relative à la Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), mesures conservatoires, ordonnance du
15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996, p. 21, par. 30; Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993,
p. 11, par. 14.

2.8. Que faut-il faire pour établirprima facie la compétence ? Cette exigence d'une compétence prima facie

signifie que la Cour doit tenir pleinement compte du sens et de l'effet ordinaires des tous les instruments
juridiques en rapport avec cette compétence. En l'espèce, la Cour doit prendre en considération à la fois le texte
de l'article IX de la convention sur le génocide et les termes sans ambiguïté de la réserve des Etats-Unis
concernant cet article. Il ne suffit pas que le demandeur cite simplement l'article IX, en faisant abstraction de la
réserve des Etats-Unis. La Cour a connaissance de cette réserve et doit, à ce stade de la procédure, en tirer
toutes les conséquences pour apprécier si elle est prima facie compétente (voir Hersch Lauterpacht, The
Development of International Law by the International Court, p. 112 (1958).)

L'article IX et la réserve des Etats-Unis

2.9. Je ne citerai pas ici l'article IX, dont le libellé est désormais familier à la Cour. La ratification de la
convention sur le génocide par les Etats-Unis, en décembre 1998, a été assortie de plusieurs réserves et
déclarations interprétatives (Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général. Etat au 31
décembre 1997, doc. ST/LEG/SER.E/16, p. 93). La première réserve des Etats-Unis permet d'établir que la
Cour n'est pas compétente en la présente affaire. Cette réserve est ainsi conçue :

«En ce qui concerne l'article IX de la convention [base invoquée par le demandeur pour fonder la

compétence en l'espèce], pour qu'un différend auquel les Etats-Unis sont partie puisse être soumis à
la juridiction de la Cour internationale de Justice en vertu de cet article, le consentement exprès des
Etats-Unis est nécessaire dans chaque cas.»

2.10. Les conseils du demandeur n'ont pas mentionné hier cette réserve dans leurs exposés mais elle est au
centre de la question de la compétence dans l'instance introduite contre les Etats-Unis. La réserve des Etats-
Unis est claire et sans ambiguïté. Les Etats-Unis n'ont pas donné le consentement exprès qu'elle requiert. Ils ne
donneront pas ce consentement. Par conséquent, il n'y a pas de compétence, ni prima facie ni autrement.

2.11.La République fédérative socialiste de Yougoslavie n'a pas formulé d'objection à la réserve, ni pendant les
douze mois qui ont suivi sa notification par le Secrétaire général, ni par la suite. Selon les principes bien connus
du paragraphe 5 de l'article 20 de la convention de Vienne sur le droit des traités, le demandeur est lié par laréserve. Le paragraphe 5 de l'article 20 dispose en effet :

«[U]ne réserve est réputée avoir été acceptée par un Etat ... [s'il n'a] pas formulé d'objection à la

réserve ... à l'expiration des douze mois qui suivent la date à laquelle [il] en [a] reçu notification...»

Donc, comme il n'existe pas d'objection pertinente à la réserve des Etats-Unis de la part de la République
fédérative socialiste de Yougoslavie, cette réserve doit maintenant, pour reprendre les termes de la convention
de Vienne, être «réputée avoir été acceptée» entre les Parties à la présente affaire.

2.12. Une objection eût-elle existé, elle aurait eu une ou deux conséquences, selon ses termes. Dans les deux
hypothèses, l'article IX ne serait pas en vigueur entre les parties et la Cour ne serait pas compétente. Selon le

paragraphe 3 de l'article 21 de la convention de Vienne sur le droit des traités, une objection à la réserve des
Etats-Unis à l'article IX pourrait avoir pour effet d'empêcher l'entrée en vigueur, entre les parties, soit de la
convention, soit de l'article IX (voir : convention de Vienne sur le droit des traités, art. 21, par. 3; I. Sinclair,
The Vienna Convention on the Law of Treaties, p. 62 (2 éd., 1984). Mais ni dans un cas ni dans l'autre,
l'article IX de la convention sur le génocide n'offrirait dans la présente affaire une base sur laquelle la
compétence de la Cour pourrait être fondée.

Les réserves et la convention sur le génocide

2.13. Je traiterai maintenant brièvement de trois points concernant la validité et l'effet de la réserve des Etats-
Unis. Le demandeur n'en a pas parlé hier mais ils méritent d'être mentionnés au cas où ils seraient soulevés
pendant les délibérations de la Cour.

2.14. Le premier point est que la convention sur le génocide admet des réserves. La Cour l'a clairement indiqué.

Comme cette Cour le sait, le droit moderne des réserves aux traités découle pour une grande part de l'important
avis consultatif rendu par la Cour en 1951 au sujet de cette même convention ( Réserves à la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif C.I,J. Recueil 1951, p. 15). Il peut être utile
de rappeler brièvement l'origine de cet avis consultatif de la Cour, qui confirme que les réserves à la convention
sur le génocide sont admises. Plusieurs des premières ratifications de la convention étaient assorties de réserves.
En fait, quand l'Assemblée générale a demandé l'avis consultatif, l'article IX faisait l'objet d'au moins
huit réserves. Certains Etats ont objecté à certaines ou à la totalité des réserves à la convention et soutenu que
leurs objections empêchaient toute entrée en vigueur de la convention sur le génocide à l'égard de l'Etat auteur
de la réserve. D'autres Etats étaient en désaccord avec eux sur ce point.

2.15. L'Assemblée générale a demandé l'avis de la Cour. Répondant à cette demande, la Cour a rendu un
important avis qui est la pierre angulaire du droit moderne des réserves tel qu'il est reflété dans la convention de
Vienne sur le droit des traités. La Cour a établi un régime, adopté dans la convention de Vienne, qui autorise
d'une manière générale les réserves aux traités multilatéraux tels que la convention sur le génocide, afin
d'encourager une adhésion aussi large que possible à ces instruments.

2.16. La Cour a souligné que l'exclusion de la convention sur le génocide des Etats y ayant fait des réserves,
«outre qu'elle restreindrait le cercle de son application, serait une atteinte à l'autorité des principes de morale et

d'humanité qui sont à sa base» ( idem , p. 24). Il ne fait aucun doute que, dans le cas des Etats-Unis, la possibilité
de faire des réserves était déterminante pour que les Etats-Unis puissent devenir partie à cette convention.

2.17. Le deuxième point que je voudrais mentionner est que la réserve des Etats-Unis relative à l'article IX n'est
pas contraire à l'objet et au but de la convention. La possibilité de porter les différends devant la Cour n'est pas
au centre de l'ensemble du système de la convention, dont les éléments essentiels sont la définition du crime de
génocide et la création de l'obligation de traduire en justice et de punir les responsables de ce crime.

2.18. Quatorze autres Etats ont conclu que de telles réserves étaient appropriées et ont fait, sous une forme ou
une autre, une réserve à l'article IX. Plusieurs autres encore qui avaient formulé précédemment de telles
réserves les ont maintenant retirées. Les Etats qui maintiennent actuellement des réserves au sujet de l'article IX
de la convention appartiennent à toutes les régions du monde : ce sont l'Albanie, l'Algérie, l'Argentine, Bahreïn,
la Chine, l'Espagne, les Etats-Unis, l'Inde, la Malaisie, le Maroc, les Philippines, le Rwanda, le Venezuela, le
Viet Nam et le Yémen.2.19. En outre, nous avons, en prévision de cette audience, procédé à une étude rapide de la fréquence des
réserves faites à d'autres traités multilatéraux à propos de dispositions conférant juridiction à la Cour. Notre
étude n'est en aucune manière exhaustive, mais nous avons identifié de telles réserves, passées ou actuelles, de

la part de quarante-six Etats, dont l'Algérie, le Brésil, la Chine, les Etats-Unis, la Hongrie, Madagascar, la
Russie et le Venezuela. Il existe donc un important corps de pratique des Etats établissant que de telles réserves
ne sont pas contraires à l'objet et au but du traité.

2.20. Mon troisième point, Monsieur le président, a trait à l'éventualité où une partie conclurait qu'une réserve à
un traité est contraire à l'objet et au but de celui-ci : quelles en seraient les conséquences ? Comme je l'ai
indiqué précédemment, lorsque des Etats déposent des réserves, les autres parties en apprécient librement la
portée. S'ils le veulent, ils peuvent objecter à la réserve.

Les parties qui objectent ou bien n'auront pas de relations conventionnelles avec l'Etat ayant fait la réserve (si
l'Etat qui objecte estime celle-ci incompatible avec l'objet et le but du traité) ou bien auront avec elle de telles
relations, sauf pour ce qui est des dispositions visées par la réserve.

2.21. C'est la voie que pouvait choisir la République fédérale de Yougoslavie. Elle aurait pu faire objection à la
réserve des Etats-Unis. Elle a choisi de ne pas le faire. D'autres Etats ont, eux, fait dans les délais des objections
à la réserve des Etats-Unis concernant l'article IX. Les Pays-Bas, par exemple, ont fait une telle objection et
déclaré qu'en conséquence ils n'avaient pas de relations conventionnelles avec les Etats-Unis dans le cadre de la

convention sur le génocide ( Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général. Etat au
31 décembre 1997, doc. ST/LG/SER.E/16, p. 96). Les Etats-Unis ne sont pas d'accord avec les Pays-Bas sur la
caractérisation que ceux-ci ont faite de leur réserve. Cependant, l'absence qui en découle de relations
conventionnelles entre les Etats-Unis et les Pays-Bas au titre de la convention est le résultat prescrit par le droit
international lorsque des Etats n'acceptent pas une réserve. C'est la règle reconnue par la Yougoslavie, l'un des
premiers pays à avoir ratifié la convention de Vienne sur le droit des traités. Puisque la République fédérative
socialiste de Yougoslavie n'a pas objecté à la réserve des Etats-Unis, le demandeur en la présente affaire est lié
par cette réserve.

2.22. Monsieur le président, je conclurai mon examen de la réserve des Etats-Unis en soulignant un point. Les
Etats-Unis n'ont pas consenti à la compétence de la Cour en la présente affaire. Même si on contestait la validité
de la réserve des Etats-Unis à la convention, le résultat juridique concernant la compétence de la Cour serait le
même. Les Etats-Unis n'ont pas consenti à la compétence de la Cour en l'espèce et, en l'absence d'un tel
consentement, la Cour n'est pas compétente pour continuer en la matière.

2.23. Il existe d'autres sérieux arguments allant à l'encontre de la compétence prima facie de la Cour au titre de
la convention sur le génocide, mais, compte tenu de l'heure, je me contenterai de déclarer que nous sommes
d'accord avec les arguments des autres défendeurs montrant que la Cour n'est pas prima facie compétente en

vertu de la convention. Je souscris en particulier aux arguments qu'ont fortement fait valoir de nombreux autres
défendeurs ici en ce qui concerne l'absence d'un lien juridique suffisant entre les accusations portées contre les
Etats-Unis dans la requête et la prétendue base de compétence en vertu de la convention sur le génocide. Un tel
lien, dont la nécessité est clairement établie dans la jurisprudence de la Cour, fait défaut en l'espèce.

2.24. J'ai montré que la Cour ne saurait être prima facie compétente, pour ce qui est de l'instance introduite
contre les Etats-Unis, étant donné que les conditions précises que les Etats-Unis ont énoncées dans leur réserve
à la convention sur le génocide n'ont pas été remplies. Il n'existe aucune base de compétence susceptible de

permettre à la Cour d'écarter la réserve des Etats-Unis et de conclure que les Etats-Unis ont consenti à sa
compétence alors que tel n'est manifestement pas le cas.

2.25. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie pour votre courtoisie et votre
attention. Je vous invite maintenant, Monsieur le président, à donner la parole à M. Matheson pour lui permettre
de montrer pourquoi, même si elle était prima facie compétente, la Cour ne saurait indiquer de mesures
conservatoires.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur Crook. Monsieur Matheson,
vous avez la parole.M. MATHESON :

3.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c'est de nouveau un honneur pour moi que de me
présenter devant vous au nom des Etats-Unis.

3.2. M. Crook a montré que la Cour ne saurait indiquer de mesures conservatoires en l'espèce étant donné
qu'elle n'est pasprima facie compétente à l'égard de la requête dont elle est saisie. J'expliquerai maintenant
pourquoi nous estimons que, même si la Cour était prima facie compétente, l'indication de mesures
conservatoires de sa part, conformément à la demande du requérant, serait entièrement inappropriée.

Modalités de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour

3.3. Il y a lieu de souligner d'emblée que, même si la Cour est amenée à estimer, dans une affaire déterminée,
qu'elle estprima facie compétente, l'indication de mesures provisoires relève de son pouvoirs discrétionnaire
qu'elle ne doit exercer que lorsqu'il est approprié de le faire et que les circonstances l'exigent. Comme
M. Bedjaoui l'a déclaré dans l'affaire de la Convention de Montréal de 1971 :

«Ce pouvoir que la Cour tient de l'article 41 de son Statut est certes tout à fait discrétionnaire et la
Cour doit se livrer à une libre évaluation des «circonstances» pour savoir si celles-ci «exigent»
l'indication de mesures conservatoires.» ( Questions d'interprétation et d'application de la
convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de Lockerbie, mesures
conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992 , opinion dissidente de
M. Bedjaoui, p. 39, par. 15.)

Comme la Cour l'a déclaré dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée, l'indication de mesures

conservatoires relève d'un «pouvoir exceptionnel» dont l'exercice présuppose que «les faits de la cause fassent
apparaître le risque d'un préjudice irréparable aux droits en litige» (Plateau continental de la mer Egée, mesures
conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1976, p. 11, par. 32). Il n'y a donc lieu d'indiquer
des mesures conservatoires que lorsque le demandeur a fait valoir des éléments de fait suffisants et des raisons
décisives justifiant que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d'accorder de telles mesures.

Des mesures conservatoires ne peuvent aller au-delà de la convention sur le génocide

3.4. Il découle de ce que la Cour elle-même a déclaré que des mesures conservatoires ne peuvent être indiquées
que pour protéger des droits garantis par l'instrument en vertu duquel la Cour est censée être compétente. C'est
ainsi, par exemple, que dans l'affaire relative à l'pplication de la convention sur le génocide , la Cour a estimé
que, «ayant établi qu'il existe une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, à savoir l'article IX de la
convention sur le génocide», la Cour en conséquence «ne devrait pas indiquer de mesures tendant à protéger les
droits contestés autres que ceux qui pourraient en définitive constituer la base d'un arrêt rendu dans l'exercice
de la compétence ainsi établie prima facie » (Application de la convention pour la prévention et la ré pression du
crime de génocide, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 342, par. 36).

3.5. Telle est précisément la situation, s'agissant de l'instance introduite par le demandeur contre les Etats-Unis.
Or, si la Cour étaitprima facie compétente en l'espèce - mais nous n'estimons pas qu'elle le soit - elle ne
pourrait l'être qu'au titre de la convention sur le génocide. La Cour ne devrait donc pas envisager de mesures
provisoires pour protéger des droits non garantis par cet instrument. Elle ne devrait pas, autrement dit,
envisager de mesures non directement liées à des actes de génocide.

Les mesures demandées ne sont pas liées à des actes de génocide

3.6. En fait, les mesures demandées par le demandeur n'ont rien à voir avec les droits garantis par la convention
sur le génocide. La demande formulée contre les Etats-Unis l'a été «pour violation de l'obligation de ne pas
recourir à l'emploi de la force» - et non pas pour violation de la convention sur le génocide. La demande se
réfère longuement aux obligations des Etats-Unis de ne pas recourir à la menace ou à l'emploi de la force, de ne
pas s'immiscer dans les affaires intérieures d'un autre Etat, de ne pas porter atteinte à la souveraineté d'un autre
Etat, de protéger les civils et les biens de caractère civil, de ne pas utiliser des armes prohibées, et ainsi de suite.La seule mesure spécifique demandée est la suivante :

«Les Etats-Unis d'Amérique doivent cesser immédiatement de recourir à l'emploi de la force et

doivent s'abstenir de tout acte constituant une menace de recours ou un recours à l'emploi de la
force contre la République fédérale de Yougoslavie.»

3.7. Ce n'est tout simplement pas là une demande en indication de mesures conservatoires tendant à protéger
des droits en vertu de la convention sur le génocide, qui est la base de compétence alléguée. Il s'agit plutôt d'une
demande en indication de mesures visant à protéger des droits en vertu d'une série d'autres instruments
internationaux et d'autres obligations internationales qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour, s'agissant
de l'instance introduite contre les Etats-Unis, comme la Charte des Nations Unies, les conventions de Genève

de 1949 et le droit coutumier des conflits armés. Il ne saurait donc être fait droit à cette demande.

3.8. En fait, la demande en indication de mesures conservatoires est remarquablement analogue à un certain
nombre de demandes contre lesquelles la République fédérale de Yougoslavie s'est vigoureusement élevée dans
l'affaire de l'plication de la convention sur le génocide et que la Cour a rejetées comme ne relevant pas des
droits protégés par cet instrument. La Cour a alors estimé que des mesures visant la menace et l'emploi de la
force, la violation de la souveraineté, la violation des règles des conflits armés et l'ingérence dans les affaires
intérieures d'un autre Etat devaient être rejetées étant donné que

«la Cour ... doit se borner à l'examen des droits prévus par la convention sur le génocide pouvant
faire l'objet d'un arrêt de la Cour rendu dans l'exercice de sa compétence aux termes de l'article IX
de cette convention» ( Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) mesu,es conservatoires, ordonnance du
8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 20, par. 38; mesures conservatoires, ordonnance du 13
septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 344, par. 39).

Le conseil de la République fédérale de Yougoslavie avait fait valoir dans cette affaire que «les mesures

proposées ... ne tombent sous le coup d'aucune des dispositions de la convention» et n'étaient donc pas
appropriées au titre d'une indication de mesures conservatoires ( Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, compte rendu d'audience, 2 avril 1993, 15 heures, p. 33). Il en
est également de même en la présente affaire.

3.9. En fait, le demandeur n'a fait aucune allégation crédible selon laquelle les forces des Etats-Unis ou d'autres
forces de l'OTAN auraient commis des actes de génocide ou seraient censées commettre. Il n'a présenté aucune
base cohérente permettant d'attribuer à l'un ou l'autre des Etats défendeurs l'intention requise par la convention
sur le génocide, à savoir celle de «détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou

religieux, comme tel». Les actions des Etats-Unis et de l'OTAN sont des opérations militaires conventionnelles
n'ayant pas le moins du monde pour objectif de détruire un tel groupe, en tout ou en partie.

3.10. Les seules allégations de la requête pouvant avoir, quant au fond, un lien quelconque avec la convention
sur le génocide figurent dans quelques brèves phrases évoquant le fait de soumettre des groupes non identifiés à
des conditions d'existence devant entraîner leur destruction physique. La suggestion selon laquelle les
opérations de l'OTAN viseraient d'une certaine manière à détruire un groupe national ou ethnique est
entièrement dénuée de fondement.

3.11. Dans les exposés oraux qu'ils ont fait hier, les représentants de la République fédérale de Yougoslavie ont
affirmé que les opérations de l'OTAN visaient à imposer des conditions d'existence nuisibles à l'ensemble de la
nation yougoslave par le biais de frappes contre son système de fourniture d'électricité et l'utilisation de
munitions contenant de l'uranium appauvri. Ils ont suggéré que ces opérations impliquaient l'intention de
détruire un groupe national. Une telle justification de l'accusation de génocide est tout simplement ridicule. Des
attaques proportionnées visant les infrastructures, comme le système de fourniture d'électricité, qui contribuent
à l'effort militaire, sont des aspects ordinaires de la guerre contemporaine et ne sauraient aucunement être
considérés comme des actes de génocide. Par ailleurs, les munitions contenant de l'uranium appauvri font

communément partie de l'arsenal des Etats-Unis en vue d'être utilisées contre des véhicules blindés, ce qui
n'implique aucunement une intention de génocide.

3.12. En fait, les forces de l'OTAN prennent toutes les précautions possibles lors des opérations en cours pourréduire au minimum le nombre de victimes civiles. Le fait que, dans une zone de conflit, les civils courent le
risque de dommages collatéraux et peuvent souffrir des conditions difficiles résultant du conflit ne saurait servir
de base à une accusation valable de génocide. Le fait que des opérations militaires sont dirigées contre un autre

Etat ne permet pas, en se fondant sur la convention sur le génocide, de taxer lesdites opérations d'actes délibérés
de destruction d'une nation tant que telle. S'il pouvait y avoir un doute sur ce point, il a été dissipé par la
déclaration interprétative qu'ont formellement présentée les Etats-Unis lors de leur ratification de cette
convention et à laquelle la République fédérative socialiste de Yougoslavie ni aucun autre Etat n'ont opposé
aucune objection : «les actes commis au cours de conflits armés sans l'intention expresse énoncée à l'article II
ne sont pas suffisants pour constituer un génocide au sens de la présente convention».

Absence de base factuelle pour des mesures conservatoires

3.13. De plus, la Cour ne devrait pas indiquer de mesures conservatoires, lorsque les éléments de fait justifiant
que la Cour indique de telles mesures font défaut. En l'espèce, aucun élément de preuve fiable n'a été présenté à
l'appui de l'allégation que les Etats-Unis ou aucun autre pays de l'OTAN auraient commis ou commettraient des
actes de génocide contre la République fédérale de Yougoslavie.

3.14. Lorsque, dans des affaires précédentes, la Cour a été amenée à indiquer des mesures conservatoires, la
partie ayant demandé de telles mesures a produit des preuves réelles à l'appui de son allégation que ses droits en
vertu de l'instrument considéré étaient réellement menacés. C'est ainsi, par exemple, que dans l'affaire des

Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour a noté que le demandeur avait
produit à l'appui de ses accusations différents types de preuves (affaire des Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique) mesure, conservatoires, ordonnance du
10 mai 1984, C.I.J. Recueil 1984, par. 29). Dans l'affaire de l'pplication de la convention sur le génocide, les
éléments de preuve produits par le demandeur à l'appui de sa demande en indication de mesures conservatoires
étaient si volumineux que le défendeur a protesté contre «le flot incessant de documents parfois fort
longs» (affaire relative à l'pplication de la convention sur le génocide, mesures conservatoires, ordonnance du
13 mai 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 336, par. 20).

3.15. En la présente espèce, en revanche, le demandeur n'a présenté qu'une série de photographies des prétendus
résultats d'opérations militaires conventionnelles ainsi qu'une relation obscure de prétendus incidents ayant fait
des victimes civiles. Il n'a rien produit pour établir que ces actions avaient été prises dans l'intention requise par
la convention sur le génocide. Si la Cour n'a pas, lors de la phase préliminaire actuelle de la présente affaire, à
se prononcer définitivement sur le bien-fondé, au regard des faits, des allégations du demandeur, elle ne peut
cependant pas et ne devrait pas indiquer de mesures conservatoires sur la seule base d'accusations non
confirmées. Le demandeur a fermement invoqué la convention mais cela, à lui seul, ne saurait suffire à la Cour
pour exercer son pouvoir exceptionnel d'indiquer des mesures conservatoires.

3.16. Dans l'affaire de l'pplication de la convention sur le génocide , la Cour n'a indiqué de mesures
conservatoires que lorsque, «au vu des éléments d'information à sa disposition», elle a été «convaincue qu'il
existe un risque grave» d'autres actes de génocide ( Application de la convention sur le génocide, mesures
conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, par. 48). En la présente espèce, une telle décision serait justifiée à
propos des actions perpétrées par la République fédérale de Yougoslavie au Kosovo mais certainement pas au
sujet des actions correspondantes des forces de l'OTAN.

Des mesures conservatoires sont inappropriées en raison du comportement du demandeur

3.17. Enfin, l'indication de mesures conservatoires contre les Etats-Unis et les autres défendeurs serait
inappropriée étant donné que le demandeur ne se présente pas les mains nettes devant la Cour. Après s'être livré
à une campagne intensive de nettoyage ethnique et à d'autres atrocités au Kosovo, le demandeur se présente en
effet ainsi maintenant devant la Cour pour demander une protection contre les conséquences de ses propres
actes illicites.

3.18. Le principe selon lequel une partie en litige ne saurait tenter de tirer parti de ses propres actes illicites est

bien établi en droit international (voir B. Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts
and Tribunals , p. 149-158 (nouvelle édition de 1987). Ce principe est souvent exprimé par l'adage latin nullus
commodum capere de sua injuria propria (nul ne saurait tirer parti de son propre acte illicite). De nombreuses
décisions arbitrales reflètent la réticence des tribunaux internationaux à indemniser des parties dont lecomportement dans le différend en question est entachée d'illicéité (voir par exemple, Tippets, Abbett,
McCarthy, Stratton c. TAMS-AFFA, 6 Iran-USCRT, p. 219, 228 (1994); Prises d'eau à la Meuse,
o
C.P.J.I. série A/B n 70, p. 77). Comme elle doit examiner toutes les circonstances pertinentes lorsqu'elle
envisage d'indiquer des mesures conservatoires, la Cour devrait aussi bien tenir compte de ce principe.

3.19. L'indication, par la Cour, de mesures conservatoires contre les Etats défendeurs en raison des actions
qu'ils ont entreprises pour mettre un terme à la série d'atrocités perpétrées par le demandeur reviendrait à
récompenser un criminel et à le mettre à l'abri des conséquences de ses propres crimes. Toute mesure
conservatoire qui ne tiendrait pas compte du comportement du demandeur constituerait une grave injustice
susceptible d'avoir des conséquences déplorables pour le peuple du Kosovo.

3.20. Pour ces raisons décisives, nous sommes fermement d'avis que l'indication de mesures conservatoires
conformément à la demande du requérant serait entièrement inappropriée en l'espèce, même si la Cour était
amenée à conclure qu'elle est prima facie compétente, ce qui, selon nous, n'est certainement pas le cas.

3.21. Monsieur le président, je remercie la Cour de son attention. Je vous suggère maintenant de bien vouloir
inviter l'agent des Etats-Unis, M. Andrews, à conclure l'exposé des Etats-Unis. Je vous remercie.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur Matheson. J'invite
maintenant M. Andrews à présenter la dernière partie de l'exposé des Etats-Unis.

M. ANDREWS : Je vous remercie, Monsieur le président.

4.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, nous avons montré pourquoi la Cour ne peut pas
et ne devrait pas indiquer de mesures conservatoires contre les Etats-Unis comme l'a demandé le requérant.
Nous avons montré que la Cour n'est pas prima facie compétente en l'espèce, que les Etats-Unis n'ont
manifestement jamais consenti à la compétence de la Cour au titre de la convention sur le génocide, et il résulte
de cela qu'il y a lieu d'écarter toute indication de mesures conservatoires à leur encontre. Nous avons montré
que, même si la Cour était prima facie compétente, l'indication de mesures conservatoires contre les Etats-Unis

et - notamment des mesures comme celles que demande le requérant - serait entièrement inappropriée eu égard
aux circonstances de la présente affaire.

4.2. La demande formulée contre les Etats-Unis n'est, bien entendu, qu'une des dix demandes formulées contre
divers Etats membres de l'OTAN. Dans ce contexte plus large, nous invitons la Cour à considérer que, ainsi que
nous l'avons montré, l'indication de mesures conservatoires relève d'un pouvoir discrétionnaire qui doit être
exercé compte tenu de tous les facteurs pertinents. Il est donc essentiel que la Cour examine soigneusement les
effets possibles d'une telle décision sur les efforts internationaux actuels tendant à résoudre la crise du Kosovo
et à protéger le peuple du Kosovo.

4.3. La Cour est sans doute au courant de l'importante réunion que viennent de tenir en Allemagne les ministres
des affaires étrangères de ce que l'on appelle le G-8, comprenant la Russie, le Japon et six pays de l'OTAN. Le
6 mai, ce groupe a adopté les six principes généraux suivants sur le règlement de la crise du Kosovo : cessation
immédiate de la violence et de la répression au Kosovo; retrait des forces militaires, paramilitaires et de police
yougoslaves du Kosovo; déploiement au Kosovo d'éléments civils et de sécurité internationaux efficaces,
dûment approuvé par l'Organisation des Nations Unies; établissement d'une administration provisoire au
Kosovo comme le Conseil de sécurité le décidera; retour sûr et librement consenti de tous les réfugiés; et
engagement d'un processus politique tendant à l'établissement d'un cadre politique provisoire au Kosovo.

4.4. Dans la situation complexe actuelle qui évolue constamment, nous suggérons que l'indication de mesures
provisoires contre l'un quelconque des Etats défendeurs pourrait être mal perçue et produire des effets non
escomptés. Il n'y a manifestement pas de commune mesure entre les actions des forces de l'OTAN, d'une part,
et les atrocités perpétrées par les forces contrôlées par la République fédérale de Yougoslavie - qui ont rendu la
riposte de l'OTAN nécessaire -, d'autre part. Ces opérations de l'OTAN sont les seules qui tendent actuellement
à limiter les actions des forces relevant du contrôle de la République fédérale de Yougoslavie au Kosovo. Desmesures conservatoires contre les Etats de l'OTAN pourraient être interprétées comme visant à restreindre ou à
contester le bien-fondé des dites opérations. De telles mesures pourraient accroître au lieu de limiter, le risque
d'actes de génocide et rendre plus difficile une solution diplomatique à cette crise. La Cour n'entend

certainement pas favoriser un tel processus.

4.5. Nous demandons donc instamment à la Cour d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui revient
manifestement à la phase actuelle de la procédure, et de s'abstenir d'indiquer des mesures conservatoires contre
les Etats défendeurs dans les différentes affaires considérées.

4.6. Ici prend fin, Monsieur le président, l'exposé oral des Etats-Unis. Notre conclusion est la suivante : la Cour
devrait rejeter la demande d'indication de mesures conservatoires formulée par la République fédérale de

Yougoslavie.

4.7. Nous remercions la Cour pour l'attention qu'elle a prêtée à nos arguments. Nous avons été honorés de nous
exprimer devant elle, et lui en savons gré.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie beaucoup Monsieur Andrews. Cela

conclut la première série de plaidoiries dans l'affaire opposant la Yougoslavie et les Etats-Unis. La Cour se
réunira de nouveau demain à 10 heures et la Yougoslavie disposera d'une heure pour répondre aux déclarations
des défendeurs. La Cour va suspendre son audience jusqu'à 15 heures pour permettre aux défendeurs de
préparer leurs réponses aux conslusions de la Yourgoslavie. Chacune des Parties disposera de 15 minutes pour
répondre à son tour et nous espérons achever demain soir le second tour des plaidoiries. Si les membres de la
Cour ont des questions à poser, ils pourront les formuler demain.

La Cour suspend maintenant ses audiences jusqu'à demain à 10 heures.

L'audience est levée à 17 h 15.

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