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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
Uncorrected Non-corrigé

CR 99/34 (translation) CR 99/34 (traduction)
Wednesday 12 May at 4.35 p.m. Mercredi 12 mai à 16 h 35

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : La Cour reprend maintenant les plaidoiries dans l'affaire
opposant la Yougoslavie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. Je donne la parole à

l'agent du Royaume-Uni, sir Franklin Berman.

Sir Franklin BERMAN : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j'essaierai de vous épargner
des répétitions inutiles, quoi que l'on ne puisse l'éviter entièrement puisque le demandeur a choisi d'introduire
dix instances distinctes, en se fondant cependant sur un ensemble de faits et d'arguments qui pour l'essentiel
sont les mêmes. Je voudrais appeler brièvement l'attention sur le fait que le demandeur s'est vu accorder un

temps de parole supplémentaire évalué aussi généreusement qu'il a lui-même interprété en sa faveur la plupart
des textes juridiques invoqués devant la Cour; en revanche, les défendeurs ne disposent que d'un temps limité
pour répondre et d'un délai vraiment très court pour préparer cette réponse. Je peux cependant vous assurer que
le Royaume-Uni pourra conclure sa plaidoirie dans le même sens qu'il l'a fait hier, d'autant plus que le
demandeur n'a guère fait d'efforts, même pendant le temps de parole supplémentaire dont il a disposé ce matin,
pour répondre au Royaume-Uni ni sur le fond de son argumentation, ni sur certains points spécifiques qui
revêtent une importance cruciale au stade actuel de la procédure.

Je commencerai par le contenu des mesures conservatoires demandées. Une des omissions les plus flagrantes

du demandeur est, Monsieur le président, selon nous, le fait qu'il n'a pas dit un seul mot pour justifier au fond
les mesures conservatoires qu'il demande ni pour en démontrer concrètement le caractère urgent.

Nous sommes également frappés que rien n'ait été répondu à l'argument du Royaume-Uni quant à l'effet que les
mesures demandées auraient si la Cour devait les indiquer. Je répète donc que de telles mesures auraient pour
effet de laisser à la République fédérale de Yougoslavie toute liberté pour mener jusqu'au bout sa campagne
planifiée de nettoyage ethnique. Et il ne s'agit pas simplement, je le répète, de l'effet qu'auraient ces mesures,
mais de l'effet recherché. Je ne dis rien 1à de nouveau , Monsieur le président, Madame et Messieurs de la

Cour, et vous trouverez ce raisonnement à la page 15 du compte rendu original de l'audience d'hier.

Je voudrais également faire observer, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, que, dans son
intervention, le Royaume-Uni a cité un exposé d'information de la Haut-Commissaire des Nations Unies pour
les réfugiés qui contient des chiffres éloquents sur la situation humanitaire au Kosovo et la situation des
réfugiés kosovars, à propos desquels aucune explication véritable n'a été fournie. On s'est honteusement
contenté de chercher à nous faire croire que la crise des réfugiés avait été provoquée par l'action militaire de
l'OTAN. L'Attorney-general avait cependant donné lecture à la Cour d'un passage de l'exposé de la Haut-
Commissaire dans lequel celle-ci explique, chiffres précis à l'appui, que cette crise n'est pas nouvelle et avait

déjà atteint des proportions massives l'année dernière (CR 99/23, p. 12).

Le document intégral, Monsieur le président, auquel la Cour pourra se reporter, puisque nous en avons fourni le
texte hier, contient aussi la description par Mme Ogata d'une crise encore plus massive qui se serait développée
début mars, et pour quelle raison ? En raison du fait qu'on ne s'est pas opposé à temps à la violence
«systématique et intolérable exercée contre une population tout entière», selon les termes mêmes de
Mme Ogata. Et cette violence est bien entendu le fait, Monsieur le président, et je m'inspirerai ici de mes
adversaires, des agents et autres responsables de la République fédérale de Yougoslavie, à savoir ses forces
armées et sa police, ce qu'on n'a même pas tenté sérieusement de dénier.

Je ne m'étendrai pas, Monsieur le président, sur les conditions requises pour que la Cour puisse indiquer des
mesures conservatoires. Nos adversaires se sont manifestement abstenus de traiter cette question, ce qui
signifie, je présume, qu'ils reconnaissent le bien-fondé des arguments avancés par le Royaume-Uni à ce sujet.
Leur seule contribution en la matière semble être une suggestion selon laquelle il reviendrait non pas au
demandeur de montrer que ces conditions ont été remplies mais au défendeur de montrer qu'elles ne l'ont pas
été.Ce renversement de la situation est inacceptable. On ne saurait trouver dans la jurisprudence de la Cour aucun
élément à l'appui de ce raisonnement, qui caractérise malheureusement toute l'argumentation présentée à la
Cour par le demandeur. Pour ne citer qu'un exemple, le professeur Brownlie prétend, de façon stupéfiante, que

le défendeur, dans une procédure portant sur une demande en indication de mesures conservatoires, doit, pour
s'opposer à la demande, établir lebien-fondé de ses thèses sur le fond de l'affaire. Je dois donc me répéter à
nouveau, Monsieur le président, et je vous prie de m'excuser de cette répétition. Aucune des trois conditions
requises pour justifier une indication de mesures conservatoires n'est remplie : il n'y a pas compétence prima
facie, pas de menace à des droits susceptibles de faire l'objet d'un arrêt de la Cour, et les mesures demandées
sont inspirées par des motifs purement politiques et n'ont pas de rapport avec des droits de nature juridique qui
pourraient donner lieu de façon appropriée à contestation devant la Cour.

Si vous permettez, Monsieur le président, je voudrais demander à M. Greenwood de faire quelques brèves

observations sur la question de compétence. Avec votre permission, je dirais ensuite quelques derniers mots
qui, je vous le promets, seront extrêmement brefs, sur la question de l'abus de procédure et la doctrine des
mains nettes.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur Franklin.
Monsieur Greenwood, vous avez la parole.

M. GREENWOOD : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, Madame et Messieurs de
la Cour, je ferai, si vous le permettez, quatre observations au sujet de ce que la République fédérale de
Yougoslavie a dit ce matin sur la question de la compétence. Je vous promets que ces observations seront très
brèves. J'essaierai également de faire en sorte qu'elles soient pertinentes.

Premièrement, en ce qui concerne la capacité de la République fédérale de Yougoslavie de faire une déclaration
en vertu de la clause facultative, le Royaume-Uni souscrit aux arguments présentés plus tôt cet après-midi par
plusieurs autres Etats défendeurs, notamment l'Allemagne, la Belgique et le Canada, montrant que la
République fédérale de Yougoslavie n'a pas la qualité de Membre de l'Organisation des Nations Unies.

Monsieur le président, la thèse que nous avons entendue ce matin selon laquelle la République fédérale de
Yougoslavie serait un Membre de l'Organisation des Nations Unies n'est absolument pas compatible avec
l'opinion très clairement exprimée par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale que la République fédérale

de Yougoslavie devrait présenter une demande d'adhésion. Rien d'autre, Monsieur le président, n'a besoin d'être
dit à cet égard.

Deuxièmement, Monsieur le président, s'agissant de l'interprétation de la déclaration faite par la République
fédérale de Yougoslavie, celle qui a été avancée ce matin par mon éminent ami, M. Corten, n'est nullement
étayée par l'arrêt de la Cour dans l'affaire relative à la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c.
Canada). Au paragraphe 49 de cet arrêt, la Cour a déclaré, et je cite : «la Cour interprète donc les termes
pertinents d'une déclaration, y compris les réserves qui y figurent, d'une manière raisonnable et naturelle, en
tenant dûment compte de l'intention de l'Etat concerné à l'époque où ce dernier a accepté la juridiction

obligatoire de la Cour». Mais, Monsieur le président, on ne nous a pas suggéré ce matin de rechercher le sens
naturel et raisonnable des mots mais bien l'intention telle que le demandeur l'affirme maintenant devant la Cour
et qui dominerait tout le reste. Ce n'est pas là, Monsieur le président, une application de l'arrêt rendu dans
l'affaire Espagne c. Canada, mais plutôt de la célèbre maxime de Humpty Dumpty dans Alice au pays des
merveilles, à savoir que, lorsque j'emploie un mot, il signifie exactement ce que je veux qu'il signifie.

La République fédérale de Yougoslavie a choisi d'assortir son acceptation de la compétence obligatoire de la
Cour d'une limite temporelle. La manière dont cette limite temporelle est formulée est parfaitement claire. Le
demandeur ne saurait maintenant éviter les conséquences de cette limite en arguant que chaque bombe lâchée

ou chaque coup de feu tiré constitue un différend distinct dont la Cour peut connaître, sans que celle-ci ait à
tenir aucunement compte des événements qui ont provoqué l'action militaire.

L'explication fournie par M. Corten ce matin ne justifie d'autre part nullement le fait que la demande enindication de mesures conservatoires présente une litanie d'événements, mettant en cause le comportement des
défendeurs, qui tous ont dû se produire avant le 25 avril de l'année en cours.

M. Corten ne saurait éluder ce problème en affirmant audacieusement que lorsqu'elle a fait sa déclaration, la
République fédérale de Yougoslavie avait précisément pour intention de porter ce qu'elle appelle le différend
actuel devant la Cour. Cette audacieuse affirmation constitue au contraire une très importante concession,
comme l'éminent agent de l'Espagne vient clairement de le montrer. L'acceptation par le Royaume-Uni de la
juridiction obligatoire de la Cour est, à cet égard, rédigée dans des termes presque identiques à ceux de
l'acceptation de cette juridiction par le Royaume d'Espagne. Elle exclut les différends pour lesquels toute autre
partie n'a accepté la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice qu'à l'égard ou aux fins du
différend. Cela correspond exactement à ce que nous avons entendu ce matin de la bouche de M. Corten.

Troisièmement, Monsieur le président, le demandeur n'a pas apporté ce matin de réponse quelconque au point
expressément soulevé hier devant la Cour par l'Attorney-general et moi-même, à savoir que la compétence au
titre de la clause facultative est exclue entre la République fédérale de Yougoslavie et le Royaume-Uni par la
clause de douze mois contenue dans l'acceptation par le Royaume-Uni de la juridiction obligatoire. On est
inévitablement amené à conclure, à notre avis, que le demandeur n'a apporté aucune réponse car il n'avait
aucune réponse à proposer à la Cour.

Enfin, Monsieur le président, en ce qui concerne l'argument du professeur Brownlie selon lequel la convention

sur le génocide offre une base de compétence à la Cour, il importe, selon nous, de bien voir les conséquences
auxquelles cet argument mènerait. A nos yeux, un Etat ne saurait être autorisé à se présenter devant la Cour, à
prétendre sans aucun fondement qu'un défendeur a violé une convention multilatérale, à demander au défendeur
de répondre à de telles allégations et à solliciter ensuite l'indication de mesures conservatoires en faisant valoir
l'existence d'un différend concernant l'interprétation ou l'application de cette convention. Une telle approche
revient à nier les critères de compétence fondant le pouvoir conféré à la Cour par l'article 41 de son Statut. En la
présente espèce, Monsieur le président, les conséquences seraient particulièrement graves tant en raison de
l'importance de la convention sur le génocide que du fait, qu'au lieu de chercher à établir l'intention, qui est une
caractéristique essentielle du crime de génocide, le professeur Brownlie se contente d'une présomption
d'intention; en fait, une double présomption. Il dit, en effet, que, comme une action militaire fait inévitablement

des victimes civiles, un Etat entreprenant une telle action doit être réputé avoir eu l'intention de tuer des civils.
Puis, comme l'Etat est censé avoir eu l'intention de tuer des civils, il doit être également réputé avoir eu
l'intention de détruire un groupe national en tant que tel. Selon une telle analyse, toute guerre serait un
génocide, ce qui reviendrait à tourner en dérision l'un des accords humanitaires les plus importants qu'ait
adoptés la communauté internationale.

Je voudrais maintenant, Monsieur le président, vous demander de bien vouloir donner la parole à l'éminent
agent du Royaume-Uni pour lui permettre de présenter notre conclusion finale.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, professeur Greenwood. sir Franklin,
vous avez la parole.

Sir Franklin BERMAN : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il doit vous apparaître
maintenant clairement, à la suite de nos exposés, que la thèse que vous a présentée la République fédérale de
Yougoslavie est truffée de toute une série de failles et de lacunes. Il doit également vous apparaître clairement,
je pense, après avoir entendu les arguments qui ont été développés devant vous ces deux derniers jours, que les
requêtes introduites contre les dix défendeurs sont truffées de toute une série de failles et de lacunes. Tout cela,
Monsieur le président, ne peut que mener à la conclusion, avancée hier ici, que ces requêtes reviennent un abus
de procédure devant la Cour. Telle était la situation telle qu'elle se présentait hier, mais on peut faire valoir
aujourd'hui ce même point de vue avec encore plus de force car c'est l'accumulation de toutes ces failles

manifestes et l'absence quasi totale d'effort pour y remédier, alors même que ces failles ont été soigneusement
mises en lumière et commentées sur le plan du droit, qui mènent inexorablement à la conclusion que la présente
instance doit être considérée comme un abus de la procédure devant la Cour, un abus qui discrédite la justice
internationale. A ce seul titre, les requêtes méritent d'être rejetées d'emblée.Je souhaiterais enfin, Monsieur le président, dire un dernier mot sur la doctrine des mains nettes. Là aussi vous
aurez relevé l'absence frappante de tout commentaire à ce sujet bien que ce point ait été soulevé hier dans
nombre d'exposés oraux. Rien cependant ne nous a été dit de la raison pour laquelle un demandeur s'estime en

droit de se présenter devant la Cour et de lui demander assistance sans qu'il soit tenu aucun compte de son
propre comportement, qui est cependant directement lié à l'objet proclamé de sa requête. Aucun commentaire
n'a été fait à cet égard, Monsieur le président, bien que l'Attorney-general, qui regrette son absence cette après-
midi, soit venu en personne devant la Cour, avec toute l'expérience d'une longue carrière dans le système
juridique de mon pays, pour expliquer pourquoi la doctrine des mains nettes doit être considérée comme un
élément essentiel de l'intégrité du processus judiciaire et donc être prise en considération et appliquée par la
Cour en tant que principe général du droit au sens de l'article 38 de son Statut. L'absence de réponse à cet
argument est aussi un élément dont la Cour devrait tenir compte dans son examen de la requête et pour se
prononcer à son sujet.

Ainsi s'achèvent, Monsieur le président, les plaidoiries faites au nom du Royaume-Uni. Il ne me reste qu'à dire
que le Royaume-Uni réitère la conclusion formelle qu'il a présentée hier et qui a été remise par écrit depuis au
Greffe, et vous prie de rejeter formellement d'emblée la demande en indication de mesures conservatoires
présentée à la Cour par la République fédérale de Yougoslavie.

Je vous remercie, Monsieur le président.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, sir Franklin. Ainsi s'achèvent les
exposés oraux du Royaume-Uni dans l'affaire opposant la Yougoslavie et le Royaume-Uni.

L'audience est levée à 16 h 50.

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