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INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Uncorrected Non-corrigé

CR 2000/23 (translation) CR 2000/23 (traduction)
Wednesday 28 June 2000 at 4 p.m. Mercredi 28 juin 2000 à 16 heures

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte et je donne maintenant la parole à
S. Exc. l'honorable M. Bart M. Katureebe, agent de la République de l'Ouganda.

M. KATUREEBE : Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, je tiens à dire que
c'est un honneur pour moi que la Cour m'ait donné la possibilité de répondre à la requête de la République
démocratique du Congo et aux allégations formulées devant la Cour à l'encontre de mon pays.

Permettez-moi avant tout, Monsieur le président, de vous assurer que l'Ouganda manifeste pour la Charte des
Nations Unies, la Charte de l'Organisation de l'unité africaine ainsi que les autres conventions régionales et
internationales auxquelles il est partie un respect et un attachement sans faille. Laissez-moi vous dire aussi que

l'Ouganda n'a aucune revendication territoriale, quelle qu'elle soit, sur une région quelconque de la République
démocratique du Congo.

L'histoire nous dit que les turbulences politiques qui agitent la République démocratique du Congo depuis son
indépendance en 1960 ont eu des conséquences néfastes sur l'Ouganda et sur d'autres pays limitrophes, créant
ainsi une menace pour la paix et la sécurité dans la région des Grands Lacs. Des groupes armés cherchant à
déstabiliser l'Ouganda ont souvent tiré parti de l'absence de toute autorité étatique dans certaines zones reculées
de la République démocratique du Congo et ont parfois pu trouver refuge sur le territoire de la République
démocratique du Congo. C'est ainsi que, par exemple, en novembre 1996, des rebelles anti-ougandais ayant pris

le nom de Forces démocratiques alliées (FDA), qui comptaient plus de trois mille hommes, ont envahi
l'Ouganda en passant par le poste frontière de Mpondwe et ont cherché avec sauvagerie à s'emparer de la ville
de Kasese, dont l'importance est cruciale, et de la piste d'envol et d'atterrissage qui la jouxte. Après des combats
très durs et de lourdes pertes en vies humaines, ces hommes sont rentrés à leurs bases situées sur le territoire de
la République démocratique du Congo, d'où ils ont continué, avec d'autres groupes rebelles ougandais, à lancer
des attaques contre l'Ouganda. Ce sont ces groupes qui ont attaqué et tué des touristes étrangers à Bwindi et ce
sont les mêmes groupes qui ont massacré des étudiants au collège technique de Kicwamba où quatre-
vingts étudiants ont été brûlés vifs dans leur résidence.

Quand le gouvernement actuellement en place en République démocratique du Congo a pris le pouvoir
en 1997, il a rapidement admis qu'il se heurtait à un grave problème de sécurité et s'est déclaré disposé à tenter
de le résoudre avec le Gouvernement ougandais. Cette attitude s'explique, car le nouveau gouvernement venait
d'hériter de structures étatiques très faibles et n'avait donc pas les moyens de réduire seul les groupes armés de
dissidents ougandais qui avaient installé des bases sur le territoire congolais, avec le soutien exprès de l'ancien
dictateur Mobutu Sese Seko, aux fins de déstabiliser l'Ouganda. Après toutes les consultations nécessaires, les
deux pays ont signé un protocole par lequel ils ont convenu de mener des opérations conjointes afin d'améliorer
la sécurité dans la région. Voilà comment des forces de sécurité ougandaises se sont trouvées sur le sol de la
République démocratique du Congo : ce n'était pas une invasion, elles étaient là sur invitation.

Pendant les quelques premiers mois qui ont suivi la signature de ce protocole, les opérations organisées
conjointement par les forces de sécurité ougandaises et congolaises sont parvenues à contenir la menace liée
aux groupes armés rebelles. Mais l'arrangement a été suspendu par une nouvelle guerre civile, qui a éclaté en
République démocratique du Congo au mois d'août 1998. Cette guerre civile était due à un désaccord intérieur
au sein même de la vaste coalition qui avait pris le pouvoir à Mobutu l'année précédente.

Malheureusement, le Gouvernement de la République démocratique du Congo a perdu beaucoup de temps à

tenter de nier qu'il était aux prises avec une rébellion interne. Il s'est en fait employé à imputer la responsabilité
de la guerre à ses voisins qu'il a accusés d'avoir envahi la République démocratique du Congo.

Pendant que l'on perdait ainsi du temps à nier des faits pourtant évidents, la guerre civile qui avait débuté dans
la ville frontalière orientale de Goma a peu à peu gagné d'autres régions, si bien qu'il est devenu encore plus
difficile pour le Gouvernement de la République démocratique du Congo de maintenir ne serait-ce qu'une
sécurité minimale le long de sa frontière avec l'Ouganda. La situation a encore empiré du fait que, cherchant
désespérément à trouver des alliés pour lutter contre ses adversaires de l'intérieur, le Gouvernement de laRépublique démocratique du Congo a rassemblé à sa suite tout un assortiment de groupes terroristes, dont ceux
qui avaient été coupables du génocide au Rwanda en 1994, et des groupes antigouvernementaux ougandais
comme l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), les Forces démocratiques alliées (FDA), ainsi que des forces

restées fidèles à l'ancien dictateur, Idi Amin. En même temps, le Gouvernement de la République démocratique
du Congo a commencé à exiger que l'Ouganda retire ses soldats du territoire de la République démocratique du
Congo, exigence à laquelle l'Ouganda ne pouvait pas obéir sans mettre gravement en danger sa propre sécurité.
En effet, non seulement la sécurité s'était dégradée à la suite de la guerre civile du côté congolais de la frontière
commune, mais encore les groupes rebelles d'Ouganda étaient désormais réorganisés et réarmés par le nouveau
gouvernement au pouvoir en République démocratique du Congo, ainsi que par la République du Soudan.
L'Ouganda n'avait donc pas d'autre choix que de garder ses soldats sur le territoire de la République
démocratique du Congo pour répondre à la menace que posaient ces groupes rebelles bénéficiant de soutiens
extérieurs en l'absence de toute manifestation d'autorité étatique de la part de Kinshasa, contrairement à ce qui
avait été envisagé dans le protocole conclu entre le Gouvernement de la République démocratique du Congo et

la République de l'Ouganda.

Entre le mois d'août 1998 et le mois de juillet 1999, des conflits multiples ont éclaté sur tout le territoire de la
République démocratique du Congo. D'où une menace à la sécurité de toute la région des Grands Lacs, qui a
finalement suscité un certain nombre d'initiatives diplomatiques. Celles-ci ont progressivement abouti à
l'organisation d'une négociation régionale multilatérale sous la présidence globale de M. Fredick Chiluba,
président de la Zambie. Ces négociations, approfondies et difficiles, eurent pour résultat que le Gouvernement
de la République démocratique du Congo reconnut pour la première fois être aux prises avec des adversaires
intérieurs qui formulaient des revendications politiques légitimes à prendre par conséquent en considération.

Cette importante concession a permis d'intégrer ces groupes au processus de négociation. Les parties opposées
ont ensuite régulièrement progressé sur la voie d'un accord, signé le 10 juillet 1999, qui est désormais
communément appelé l'accord de Lusaka.

Cet accord de Lusaka, qui a été signé par l'ensemble des principales parties au conflit, a reçu l'aval de
l'Organisation des Nations Unies, de l'Organisation de l'unité africaine, et de la communauté internationale dans
son ensemble parce qu'il représentait un progrès considérable sur la voie du rétablissement de la paix, non
seulement en République démocratique du Congo, mais dans toute la région des Grands Lacs. D'ailleurs, le

premier alinéa du préambule de cet accord de Lusaka renvoie expressément à l'article 52 de la Charte qui porte
sur les accords régionaux destinés à régler les affaires «qui se prêtent à une action de caractère régional».

L'accord de Lusaka traite des trois grandes questions qui sont au c_ur du conflit, c'est-à-dire des moyens de
contenir les groupes armés rebelles, de la création d'une nouvelle armée nationale composée de l'armée
gouvernementale et des groupes d'opposition armés, et du retrait des soldats étrangers. L'accord de Lusaka
porte en outre création d'une commission militaire mixte et d'un comité politique chargé de surveiller la mise en
_uvre de l'accord.

Depuis la signature de cet accord de Lusaka, l'Ouganda a coopéré sans réserve avec l'Organisation des
Nations Unies et avec la commission militaire mixte à la mise en _uvre dudit accord sous tous ses aspects. Il a
accueilli sur son territoire les 11 et 12 octobre 1999 la toute première réunion de la commission militaire mixte
qui a permis de bien préparer le terrain en vue du désengagement militaire. Il a participé à toutes les réunions
ultérieures de cette commission militaire mixte, de même qu'à toutes les réunions du comité politique qui a,
quant à lui, été constitué par les anciens belligérants pour faciliter la mise en _uvre de l'accord.

Du 5 au 8 avril 2000, l'Ouganda a accueilli une réunion cruciale de ce comité politique au cours de laquelle il a

été adopté un plan de désengagement militaire établi conjointement par la mission d'observation des
Nations Unies en République démocratique du Congo et la commission militaire mixte. Si ce plan de
désengagement avait été exécuté, le conflit serait sur le point de prendre fin.

Mais deux grands obstacles ont jusqu'à présent empêché de mettre en _uvre ce plan de désengagement de
Kampala du 8 avril 2000. Le premier obstacle tient au fait que les observateurs des Nations Unies se voient
refuser le droit de circuler librement, en particulier dans les régions contrôlées par le Gouvernement de la
République démocratique du Congo. C'est ce qui est clairement indiqué aux paragraphes 34, 35 et 36 du
troisième rapport adressé par le Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de sécurité à la date du

12 juin 2000.Le second obstacle important à la mise en _uvre de l'accord de Lusaka tient au fait que le dialogue national
piétine alors qu'il était censé permettre la réconciliation et favoriser la création d'institutions nationales qui
répondent aux aspirations du peuple congolais. Là encore, le Secrétaire général, aux paragraphes 57, 58 et 59 de

son rapport, indique de façon extrêmement claire que le Gouvernement de la République démocratique du
Congo a joué un rôle subversif d'un bout à l'autre de l'exercice. Au cours des deux dernières semaines, le
président Kabila a annoncé que le Gouvernement de la République démocratique du Congo mettrait fin à toute
coopération avec M. Ketumile Masire, l'ancien président du Botswana qui avait été désigné pour faciliter le
dialogue national. La police a ensuite, à Kinshasa, condamné par des planches l'entrée du bureau de M. Masire
et dispersé ses collaborateurs. Le 22 juin 2000, le Conseil de sécurité des Nations Unies a publié une
déclaration dans laquelle il dit «déplorer le manque de coopération du Gouvernement de la République
démocratique du Congo».

Manifestement, c'est le Gouvernement de la République démocratique du Congo qui est responsable au premier
chef des retards apportés à la mise en _uvre de l'accord de Lusaka.

Au moment où a été remise à la Cour la requête introductive d'instance du 23 juin 1999, le Gouvernement de
l'Ouganda et le Gouvernement de la République démocratique du Congo étaient d'ores et déjà, avec d'autres
Parties au conflit, en train de participer activement à des négociations directes visant à résoudre ce conflit et à
mettre en place un cadre de paix pour la région. Cet objectif a été finalement réalisé quand l'accord de Lusaka a
été signé. C'était donc à notre avis agir de mauvaise foi de la part du Gouvernement de la République
démocratique du Congo que de continuer à chercher d'autres moyens de règlement du conflit, d'autant que ce

gouvernement continue de participer pleinement aux réunions de la commission militaire mixte et du comité
politique, et continue également de réaffirmer son attachement aux dispositions de l'accord de Lusaka.

En signant l'accord de Lusaka, les six pays et trois groupes rebelles participant au conflit sur le territoire de la
République démocratique du Congo ont cessé d'être des belligérants et sont devenus des partenaires collaborant
ensemble à la mise en oeuvre de l'accord. Pour l'Ouganda par conséquent, toutes les initiatives visant à trouver
d'autres modes de solution du différend procèdent de la mauvaise foi et sont finalement des moyens de saper
tout le processus de paix.

De son côté, l'Ouganda a cherché à remplir toutes les obligations lui incombant en vertu de l'accord de Lusaka.
S'agissant des événements de Kisangani, l'Ouganda s'est pleinement conformé aux résolutions de l'Organisation
des Nations Unies sur la question et a retiré tous ses soldats de la ville. Je tiens à confirmer que l'armée
ougandaise se trouve actuellement dans un endroit appelé Banalia, qui est situé à 120 kilomètres de Kisangani,
et que c'est la Mission d'observateurs des Nations Unies au Congo qui assure désormais la sécurité de la ville.

La République de l'Ouganda est disposée à retirer toutes ses troupes du territoire de la République
démocratique du Congo, conformément à l'accord de Lusaka et aux résolutions pertinentes du Conseil de

sécurité des Nations Unies.

Eu égard aux faits que je viens d'évoquer, l'Ouganda rejette toutes les allégations figurant dans la requête
introductive d'instance dont la Cour est saisie. L'Ouganda rejette également les affirmations sur lesquelles se
fonde la demande en indication de mesures conservatoires. Tant ladite requête que ladite demande reposent sur
des allégations absurdes que n'étaye pas le moindre élément de preuve présenté à la Cour. Par exemple, la
République démocratique du Congo a soutenu devant la Cour, lors de son exposé d'hier, que le Gouvernement
ougandais utilise le VIH comme arme de guerre. Voilà une allégation des plus honteuses, et il est regrettable

qu'elle ait été formulée devant cette Cour. Il y a d'autres allégations extravagantes d'abus des droits de l'homme
qui auraient été commis dans des régions où les forces de défense populaire de l'Ouganda n'ont jamais mis les
pieds, mais dont on rend aujourd'hui l'Ouganda responsable. Dans son exposé, la République démocratique du
Congo a formulé encore une autre allégation, qui est que l'Ouganda aurait participé au pillage des ressources du
Congo. Je tiens à déclarer catégoriquement que l'Ouganda n'a jamais participé à la moindre action visant à
s'approprier des biens du Congo et que l'Ouganda n'a jamais non plus tiré matériellement profit de la présence
de ses forces en République démocratique du Congo. D'ailleurs, l'Ouganda a appuyé sans réserve l'action
menée par le Secrétaire général des Nations Unies pour constituer un groupe d'experts qui serait chargé
d'enquêter sur la prétendue exploitation illégale des ressources naturelles de la République démocratique du
Congo. Je tiens à répéter que ces accusations dirigées contre l'Ouganda sont dénuées de tout fondement et que

l'Ouganda les rejette. Je tiens aussi à déclarer catégoriquement que nous ne sommes nullement en train de
poster massivement des soldats sur notre frontière commune avec la République démocratique du Congo, ni suraucune autre frontière quelconque avec les Etats limitrophes.

L'Ouganda demande par conséquent instamment à la Cour de rejeter la demande en indication de mesures

conservatoires, de façon que les Parties puissent faire porter tous leurs efforts sur la mise en _uvre de la
résolution du Conseil de sécurité et l'exécution des obligations découlant de l'accord de Lusaka qui est
aujourd'hui accepté sur le plan régional et sur le plan international comme étant le moyen le plus valable de
mettre fin au conflit actuel dans la République démocratique du Congo.

Monsieur le président, si la Cour me le permet, je souhaiterais que vienne à présent à la barre mon collègue,
M. Ian Brownlie, Q. C., qui va traiter de la question de la recevabilité de la demande en indication de mesures
conservatoires.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, M. Katureebe. I now give the floor to Mr. Ian Brownlie, Q.C.

M. BROWNLIE : Merci, Monsieur le président.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j'ai le privilège de me présenter devant vous au nom
de l'Ouganda.

J'ai pour tâche, cet après-midi, de soumettre quatre propositions :

Premièrement, étant donné les circonstances, la demande de la République démocratique du Congo est
irrecevable, et ce au motif que la Cour est empêchée en droit d'exercer ses pouvoirs en vertu de l'article 41 du
Statut.

Deuxièmement, et à titre subsidiaire, même si la Cour se déclarait compétente en vertu de l'article 41, des

considérations liées à l'exercice de la fonction judiciaire militeraient contre l'indication de mesures
conservatoires.

Troisièmement, la Cour ne devrait pas accorder de mesures conservatoires parce que l'Etat demandeur ne s'est
pas conformé aux règles normales et nécessaires relatives à l'équité de la procédure.

Quatrièmement, la Cour n'est pas saisie des questions de fond en tant que telles, mais il n'en est pas moins vrai
que tous les actes du Gouvernement ougandais ont été conformes aux principes de la Charte des Nations Unies.

Mon premier argument est donc que la Cour est empêchée en droit d'exercer ses pouvoirs en vertu de
l'article 41 et que la demande est par conséquent irrecevable.

Selon moi, le texte qui fait autorité en la matière est constitué par les arrêts de la Cour elle-même sur les
demandes de la Libye dans les affaires de Lockerbie . Ainsi, dans l'ordonnance du 14 avril 1992, à propos de la
demande concernant la plainte contre le Royaume-Uni, la Cour a refusé d'exercer le pouvoir que lui confère
l'article 41 du Statut. En d'autres termes, la Cour a traité la question comme ayant un caractère pré-préliminaire

et à tous égards préalable.

Les principaux motifs sur lesquels la Cour a fondé son refus d'exercer sa compétence en vertu de l'article 41
étaient les suivants. Selon les termes employés par la Cour :

«39. Considérant que la Libye et le Royaume-Uni, en tant que Membres de l'Organisation des
Nations Unies, sont dans l'obligation d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité
conformément à l'article 25 de la Charte; que la Cour, qui, à ce stade de la procédure, en est à

l'examen d'une demande en indication de mesures conservatoires, estime que prima facie cette
obligation s'étend à la décision contenue dans la résolution 748 (1992); et que, conformément à
l'article 103 de la Charte, les obligations des Parties à cet égard prévalent sur leurs obligations en
vertu de tout autre accord international, y compris la convention de Montréal;

40. Considérant que si, à ce stade, la Cour n'a donc pas à se prononcer définitivement sur l'effet
juridique de la résolution 748 (1992) du Conseil de sécurité, elle estime cependant que, quelle qu'ait été la situation avant l'adoption de cette résolution, les droits que la Libye dit tenir de la
convention de Montréal ne peuvent à présent être considérés comme des droits qu'il conviendrait
de protéger par l'indication de mesures conservatoires.» ( C.I.J. Recueil 1992 , p. 15.)

Ces paragraphes figurent aussi dans l'autre ordonnance datée du même jour, c'est-à-dire dans l'ordonnance
relative à la demande concernant la plainte contre les Etats-Unis ( C.I.J. Recueil 1992 , p. 126-127, par. 42
et 43).

Dans ces ordonnances de 1992, la Cour a décidé qu'elle ne pouvait exercer ses pouvoirs en vertu de l'article 41.
En conséquence, elle n'a abordé aucune question de compétence ou de fond.

Monsieur le président, les auteurs classiques interprètent cette décision de la même façon (voir par exemple
Daillier et Pellet,Droit international public , 6eéd., 1999, p. 867 et Merrills, International Dispute Settlement ,
3 éd., 1998, p. 249-250). Et la Cour a conclu expressément que les droits revendiqués dans les affaires de
Lockerbie «ne peuvent à présent être considérés comme des droits qu'il conviendrait de protéger par l'indication
de mesures conservatoires». Et telle est assurément aussi la situation en l'espèce.

L'objet de la demande en indication de mesures conservatoires est identique, pour l'essentiel, aux questions
abordée par la résolution du 16 juin du Conseil de sécurité.

Le texte de la demande se fonde directement sur le texte de la résolution (voir en particulier le paragraphe 1 de
la demande) et semble spécifiquement axé sur des événements survenus à Kisangani. En outre, le poids accordé
à la résolution du Conseil de sécurité est d'autant plus significatif que la demande se caractérise par sa brièveté
et son manque de précision. La résolution, et en particulier les trois premiers paragraphes de son dispositif, sont

également axés sur des événements survenus à Kisangani.

En conséquence, la demande a dans l'ensemble le même objet que la résolution du Conseil de sécurité et les
principes invoqués par la Cour dans les affaires de Lockerbie de 1992 doivent selon moi s'appliquer.

J'en ai terminé avec l'argument fondé sur la résolution du Conseil de sécurité et sur les affaires de Lockerbie et
je vais maintenant passer à certaines autres considérations qui sont présentées à titre subsidiair. Ces
considérations reposent sur le fait que, même si la Cour avait une compétence prima facie en vertu de

l'article 41, des préoccupations de réserve et de sagesse judiciaire militent vigoureusement contre l'exercice du
pouvoir discrétionnaire de la Cour en matière d'indication de mesures conservatoires.

La première de ces préoccupations est essentiellement une question de bon sens. Comme nous l'avons vu, la
demande congolaise a le même objet que la résolution du Conseil de sécurité. L'Ouganda accepte la résolution
qui, en tout état de cause, a été adoptée conformément aux dispositions du chapitre VII de la Charte et est donc
contraignante. Conformément à la résolution, l'Ouganda a retiré toutes ses forces de Kisangani.

Il en résulte que, même si la Cour retient une compétence prima facie en vertu de l'article 41 du Statut, la
demande se trouve en pratique rendue superflue. Dit simplement, elle a perdu tout motif.

La deuxième considération a trait au cadre existant de règlement des différends que constitue l'accord de
Lusaka du 10 juillet 1999 et le plan de désengagement de Kampala du 8 avril 2000. Ces instruments seront
analysés de manière plus complète par mon confrère, Paul Reichler. Aux fins présentes, ce qu'il faut prendre en
compte, c'est que tous les Etats pertinents et les autres parties intéressées ont expressément consenti à ce que le
règlement des questions pendantes se fasse exclusivement en recourant aux modalités définies par l'accord de

Lusaka et par le processus de paix ultérieur.

L'accord de Lusaka représente, comme le reconnaît effectivement la résolution du Conseil de sécurité, le
mécanisme régional pertinent pour assurer l'ordre public. Ainsi, le préambule de la résolution du Conseil de
sécurité comprend notamment les alinéas suivants :

«Réaffirmant son appui résolu à l'accord de cessez-le-feu de Lusaka (S/1999/815) et insistant pour
que toutes les parties honorent les engagements pris dans cet accord, Déplorant les retards enregistrés dans l'application dudit accord et du plan de désengagement de
Kampala en date du 8 avril 2000, et soulignant qu'il importe de donner une nouvelle impulsion au
processus de paix afin de le faire progresser.

Se déclarant profondément préoccupé par le manque de coopération du Gouvernement de la
République démocratique du Congo avec le facilitateur du dialogue national choisi avec l'aide de
l'Organisation de l'unité africaine, et notamment par le fait que des délégués ont été empêchés de se
rendre à la réunion préparatoire de Cotonou tenue le 6 juin 2000,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Se félicitant que les membres du comité politique de l'accord de cessez-le-feu aient participé à ses
séances des 15 et 16 juin 2000.»

Il est clair que le Conseil de sécurité envisage le renforcement de la paix et de la sécurité régionales dans le
cadre de l'accord de Lusaka. L'accord joue en fait le rôle qui incomberait à des mesures conservatoires. Il y a
certes un problème de mise en _uvre mais cela serait également vrai de toute mesure conservatoire qui pourrait
être indiquée.

Monsieur le président, je puis maintenant passer à ma troisième proposition selon laquelle la Cour ne devrait
pas indiquer de mesures conservatoires parce que l'Etat demandeur ne s'est pas conformé aux règles normales et
nécessaires relatives à l'équité de la procédure.

Monsieur le président, les circonstances de cette demande sont très inhabituelles. La Cour n'a pas encore reçu le
mémoire de l'Etat demandeur - il n'y a pas lieu de s'en plaindre mais c'est un fait, et très pertinent du point de
vue de la connaissance que la Cour a de l'affaire. La requête est bien entendu disponible mais, comme
l'honorable Attorney-General l'a fait observer, les allégations qu'elle contient ne concernent pas l'Ouganda ou

ses forces armées. De plus, la demande elle-même comporte des lacunes sur des points de fond et n'est étayée
par aucun élément de preuve.

Il y a aussi le problème de la notification voulue à l'Etat défendeur. La demande a été publiée le 19 juin et
l'argumentation du Congo présentée avant-hier.

Enfin, pour ce qui est de l'équité de la procédure, il y a la question fondamentale que soulève le contenu de
l'accord de Lusaka. Cet instrument a été signé par six Etats qui sont tous - et non uniquement de l'Ouganda -

liés par les dispositions relatives au désengagement. Parmi ces six Etats figure le Rwanda. De plus, la résolution
du Conseil de sécurité du 16 juin demande à toutes les parties - toutes les parties -de mettre fin aux hostilités
et mentionne à plusieurs reprises les forces rwandaises.

Mais l'Etat demandeur a jugé bon, dans cette procédure, de réserver un traitement particulier à l'Ouganda. Et,
dans ce contexte, il convient peut-être de se référer non seulement aux règles relatives à l'équité de la procédure
mais aussi au principe de l'affaire de l'r monétaire .

Toutes ces considérations soulèvent de sérieuses questions concernant l'équité en la procédure. Il est à présumer
que, pour des raisons liées à l'exercice de la fonction judiciaire, la Cour évitera le risque d'enfreindre ces règles.
Le Statut et le Règlement de la Cour se fondent manifestement sur l'hypothèse que ces règles sont applicables
(voir l'article 53 relatif aux Etats qui ne se présentent pas, ainsi que les articles 61 et 62). On peut également se
référer au Règlement de la Cour, par exemple l'article 76, paragraphe 3.

En conclusion, sur l'équité de la procédure, qui constitue une question se rapportant à l'exercice de la fonction
judiciaire, il faut rappeler que sir Gerald Fitzmaurice a reconnu que les objections fondées sur l'exercice de la
fonction judiciaire peuvent s'appliquer à la compétence préliminaire de la Cour et, plus précisément, à

l'indication de mesures conservatoires (voir son opinion individuelle dans l'affaire du Cameroun septentrional,
C.I.J. Recueil 1963, p. 103-104).

Monsieur le président, eu égard aux circonstances exceptionnelles qui caractérisent la procédure en l'espèce, ma
quatrième proposition revêt une importance particulière. L'Ouganda a le droit, en tant qu'Etat défendeur,
d'exprimer clairement sa position sur les questions de fond. Cette position est la suivante : toutes les actions desforces armées ougandaises ont été conformes aux principes de la Charte des Nations Unies.

Mon savant confrère, M. Reichler, exposera les difficultés auxquelles s'est trouvé confronté le Gouvernement

de l'Ouganda tant avant qu'après l'effondrement du Gouvernement congolais, y compris les activités de bandes
armées opérant à partir du territoire congolais. En faisant face à ces menaces à son intégrité territoriale et à sa
sécurité, l'Ouganda a agi conformément à l'article 51 de la Charte. Après tout, c'est un fait que l'utilisation de
bandes armées contre un autre Etat peut constituer un acte d'agression et il est possible de se référer à cet égard
à l'article 3 de la résolution de l'Assemblée générale sur la définition de l'agression adoptée par consensus
en 1974 (voir par exemple Digest of United States Practice in International Law , 1974, par Arthur W. Rovine,
p. 696-698, texte du projet de définition adopté par le comité spécial).

Je voudrais également me référer à la déclaration relative aux principes du droit international touchant les
relations amicales et la coopération entre les Etats adoptée par consensus le 24 octobre 1974. Cet instrument
comprend les paragraphes suivants :

Premièrement :

«Chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser ou d'encourager l'organisation de forces
irrégulières ou de bandes armées, notamment de bandes de mercenaires, en vue d'incursions sur le

territoire d'un autre Etat.»

Et deuxièmement :

«Chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de guerre civile ou des
actes de terrorisme sur le territoire d'un autre Etat, d'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son
territoire des activités organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque les actes mentionnés
dans le présent paragraphe impliquent une menace ou l'emploi de la force.»

Vu le temps imparti, on peut indiquer deux autres sources sans entrer dans les détails. Voici la première : la
Cour a englobé les activités de bandes armées dans la notion d'agression armée dans son arrêt concernant
l'affaire duNicaragua C.(.J. Recueil 1986, p. 94, 126-127). Quant à la seconde, on trouve une analyse très
intéressante dans Dinstein, War, Aggression and Self-defence (Cambridge, 1988, p. 181, 188-190, 221-229).

Dans le contexte du droit relatif à l'utilisation de la force, il convient de donner une autre précision. Dans
l'éventualité où la Cour devrait examiner les questions sur le fond, il y aurait lieu de tenir compte des

dispositions de l'accord de Lusaka et, en particulier, de l'article II, aux termes duquel :

«Dès l'entrée en vigueur du présent Accord, les Parties s'engagent à trouver immédiatement des
solutions aux préoccupations de la République démocratique du Congo et des pays voisins en
matière de sécurité.»

En outre, en vertu des dispositions du chapitre 12 dudit accord, il est exigé de :

«chaque pays :

a) De ne pas armer, entraîner, héberger sur son territoire ou apporter une forme quelconque d'aide
aux éléments subversifs et aux mouvements d'opposition armés, dans le but de déstabiliser les
autres pays; ...»

En arrivant à la conclusion du présent exposé, je tiens à revenir sur mes thèmes principaux, à savoir : d'abord la
Cour est empêchée d'exercer les pouvoirs qui sont les siens en vertu de l'article 41 du fait de la résolution 1304

du Conseil de sécurité et, deuxièmement, même si elle se déclarait compétente au titre de l'article 41, des
considérations de réserve judiciaire militeraient contre l'indication de mesures conservatoires.

L'autre jour, les conseils du Congo n'ont pas cherché à expliquer pourquoi la Cour ne devrait pas tenir compte
des ordonnances de Lockerbie de 1992. Ces décisions se rapportaient à une résolution adoptée en vertu du
chapitre VII de la Charte. On peut trouver une décision analogue touchant le chapitre VI dans l'ordonnance
rendue dans l'affaire de la Mer Egée C.(.J. Recueil 1978, p. 3, par. 39 à 41). Pour moi, ce sont là d'importantsprécédents.

J'aborde maintenant, une fois encore, la question de la réserve judiciaire. L'exposé présenté au nom du Congo

n'a fait que justifier davantage les griefs que j'ai formulés au nom de l'Ouganda, portant sur le point que l'Etat
demandeur ne s'est pas conformé aux règles relatives à l'équité de la procédure.

Monsieur le président, nos éminents adversaires n'ont présenté à la Cour ni documents pertinents, ni éléments
de preuve. A aucun stade, il n'a été fourni d'élément de preuve, ni avec la requête, ni avec la demande, pas
davantage au cours de la procédure orale et, toujours pas, dans le mémoire. Quand le professeur Corten s'est
référé, à titre exceptionnel, à des éléments de preuve, il l'a fait par la voie d'une déclaration admettant qu'un
retrait des forces armées ougandaises avait été publiquement annoncé et avait commencé. La requête, il est vrai,

était accompagnée de deux «Livres blancs» établis par le Gouvernement congolais. Mais ces «Livres blancs»
portent sur la période qui s'achève le 15 avril 1999. En revanche, la demande renvoie à la période qui s'ouvre
le 5 juin de l'année en cours.

Aussi, à mon avis, l'Etat demandeur n'a pas commencé à administrer la charge de la preuve qui lui incombe ni à
s'acquitter des responsabilités qui sont les siennes, en tant que demandeur, sur le plan procédural.

Monsieur le président, la présente demande n'est qu'un faisceau d'omissions, d'anomalies et d'extravagances

juridiques. L'absence de références au rôle du Rwanda n'est qu'un exemple de ces extravagances. Autre
exemple : l'absence de tout lien précis entre la demande et la revendication originelle. Celle-ci ne porte, bien
entendu, pas sur un conflit entre les forces armées ougandaises et rwandaises.

Le professeur Corten s'est efforcé de convaincre la Cour que la demande répond au critère d'urgence ou au
risque de dommage irréparable (CR 2000/20, p. 28-31). J'estime que ces conditions ne sont pas remplies, à tout
le moins pour les raisons suivantes.

D'abord le Gouvernement ougandais a agi conformément à la résolution du Conseil de sécurité, et la demande
est par conséquent devenue superfétatoire.

En deuxième lieu, la demande et les déclarations faites au nom du Congo renvoient à un grand nombre
d'allégations qui ont été présentées sans aucune indication de période ou de date. La requête a été présentée le
23 juin 1999. Comment peut-il donc y avoir urgence alors que le Congo a attendu près d'un an avant de déposer
une plainte ?

En conclusion, au nom du Gouvernement ougandais, je vais préciser certains points pour dégager clairement les
plus importants.

Le premier point est le suivant : même si la Cour devait exercer le pouvoir qui est le sien d'indiquer des mesures
conservatoires, cela ne préjugerait en rien de la question de sa compétence pour traiter au fond de cette affaire
et ne porte nullement atteinte au droit du défendeur de récuser la compétence de la Cour (voir l'affaire de
l'nglo-Iranian Oil Co. C.,.J. Recueil 1951 , p. 93).

Second point : le Gouvernement ougandais affirme que l'examen de tous les effets qu'a sur le fond du différend
la résolution du Conseil de sécurité en date du 16 juin soulève une importante question de droit sur laquelle il
est impossible de se prononcer à ce stade en l'absence d'une décision sur le fond dans les affaires de Lockerbie .

Monsieur le président, je tiens à vous remercier, vous et vos collègues, de votre patience coutumière au long de
ce qui vient d'être une période très chargée pour la Cour et, avec votre permission, je voudrais vous demander
de bien vouloir appeler à la barre mon collègue M. Reichler.

The PRESIDENT : Thank you very much, Professor Brownlie. I now give the floor to Mr. Paul Reichler.

M. REICHLER :

Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres de la Cour, j'ai l'honneur de comparaître devant vous
en qualité de conseil et d'avocat de la République de l'Ouganda.Mon exposé portera sur trois points.

Le premier point est que, comme vient de le dire mon estimé collègue Ian Brownlie, l'accord de Lusaka institue

un mécanisme global pour assurer l'ordre public, et il a été signé par les chefs d'Etat de six pays africains et par
les dirigeants de trois groupes rebelles congolais. Il s'agit en conséquence d'un accord international
contraignant, et c'est lui qui doit régir les relations entre les Parties au conflit dans la République démocratique
du Congo, et au sein de ces Parties et, en particulier, entre la République démocratique du Congo et l'Ouganda.

Le deuxième point est que les parties à l'accord de Lusaka, y compris la République démocratique du Congo et
l'Ouganda, continuent d'exprimer leur plein appui à l'accord et leur volonté d'en respecter les dispositions. Le
Conseil de sécurité et le Secrétaire général ont déclaré à maintes reprises que l'accord de Lusaka constitue la

seule voie viable pour instaurer la paix en République démocratique du Congo, et pour instaurer la paix entre la
République démocratique du Congo et ses voisins, et ils ont exhorté toutes les parties à le respecter
intégralement;

Le troisième point, le dernier, sera que les mesures conservatoires précises que demande la République
démocratique du Congo sont en contradiction directe avec l'accord de Lusaka et avec les résolutions du Conseil
de sécurité ? y compris la résolution 1304 du 16 juin 2000 ? exigeant le respect de l'accord. Les mesures
conservatoires demandées par la République démocratique du Congo porteraient une atteinte, peut-être
irréparable, au mécanisme institué par l'accord pour assurer l'ordre public. En conséquence, même si la Cour

devait se déclarer compétente pour examiner la requête en indication de mesures conservatoires de la
République démocratique du Congo, elle serait obligée de refuser ces mesures. Premier point.

L'accord de Lusaka (dont une copie figure sous la cote 1 dans le dossier de l'Ouganda) n'est pas un simple
accord de cessez-le-feu, mais un cadre complet et détaillé de mesures visant à donner une solution pacifique à
deux conflits armés qui ont entre eux des liens étroits : le conflit interne entre le Gouvernement de la
République démocratique du Congo et les trois forces d'opposition armées congolaises, et le conflit externe
entre la République démocratique du Congo et certains de ses voisins, notamment l'Ouganda. Dans son
préambule, l'accord reconnaît expressément que «le conflit en République démocratique du Congo a une

dimension à la fois interne et externe», et le dispositif traite de ces deux dimensions.

Pour résoudre les luttes internes, l'accord fait obligation au Gouvernement de la République démocratique du
Congo et à l'opposition armée congolaise (par. 19 et 20) de participer à un dialogue national entre toutes les
forces sociales et politiques congolaises, sous l'autorité d'un facilitateur neutre désigné par l'Organisation de
l'unité africaine; et, par le dialogue national, de mettre en place un nouvel ordre politique en République
démocratique du Congo, y compris un Gouvernement national issu d'élections démocratiques, libres et
équitables.

Pour résoudre les conflits externes entre la République démocratique du Congo et ses voisins, l'accord fait
obligation aux parties de désarmer et de démobiliser tous les groupes armés opérant en République
démocratique du Congo qui livrent des attaques à travers la frontière et commettent des actes de terrorisme
contre les pays voisins, y compris l'Ouganda. Le paragraphe 22 dispose expressément :

«Un mécanisme sera mis en place pour désarmer les milices et les groupes armés... Dans ce
contexte, toutes les Parties s'engagent à localiser, identifier, désarmer et rassembler tous les
membres des groupes armés en République démocratique du Congo.»

L'accord établit une commission militaire mixte, composée d'officiers supérieurs représentant chacune des
parties, et il attribue à cette commission un rôle spécial dans le désarmement des groupes armés irréguliers
opérant à partir du territoire congolais; l'annexe A de l'accord, au paragraphe 9.1, dispose ce qui suit :

«La commission militaire mixte, avec l'assistance des Nations Unies et de l'OUA, élaborera et
mettra immédiatement en _uvre les mécanismes pour la poursuite, le cantonnement et le
recensement de tous les groupes armés qui se trouveraient en République démocratique du Congo,

à savoir, les ex-forces armées rwandaises (ex-FAR), l'ADF, l'UNRF II, les milices Interhamwe, le
FUNA, le FDD, le WNBF, l'UNITA...»

De ces huit groupes qui devront être désarmés, quatre (l'ADF, l'UNRF II, le FUNA et le WNBF) sont composésde rebelles anti-ougandais qui livrent régulièrement des attaques meurtrières à travers la frontière contre
l'Ouganda, à partir de bases situées à l'est du Congo.

Comme l'a dit aujourd'hui l'agent de l'Ouganda, M. Katureebe, l' Attorney General du pays, ce sont les activités
de ces groupes armés contre l'Ouganda qui expliquent la présence de forces ougandaises dans l'est du Congo.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix au moins, l'est du Congo est un refuge pour des bandes armées qui
cherchent à déstabiliser le Gouvernement ougandais ou à le renverser. Ces groupes armés, qui professent leur
loyauté à l'égard de l'ancien dictateur en exil, Idi Amin, sont devenus en 1996 un danger important pour
l'Ouganda. Armés et entraînés par le Gouvernement soudanais, et s'étant vu offrir par l'ancien président Mobutu
un refuge dans la région est du Congo, ils se sont multipliés ? leur nombre atteignait 6 000 ? et ils ont causé des
ravages dans l'ouest de l'Ouganda, attaquant de grands centres de population comme Kasese, tuant des
centaines d'Ougandais et contraignant des dizaines de milliers d'autres à fuir de chez eux. Les protestations

adressées par l'Ouganda au président Mobutu sont restées sans réponse.

Les forces congolaises qui ont renversé le président Mobutu en mai 1997 étaient menées par M. Kabila, l'actuel
président. Au début des combats, l'armée du président Mobutu abandonna l'est du Congo, n'y laissant aucune
présence ni autorité du gouvernement central. A l'invitation de M.Kabila, les forces ougandaises pénétrèrent
dans la région est du Congo pour collaborer avec son armée en vue de mettre fin aux activités des rebelles anti-
ougandais.

Les forces ougandaises restèrent dans la région est du Congo après que M. Kabila fut devenu président en mai
1997, toujours à l'invitation de celui-ci. Le gouvernement central de Kinshasa, qui était occupé à créer une
nouvelle armée et une nouvelle police, n'était pas capable d'exercer l'autorité dans cette région lointaine du
pays. L'arrangement ainsi conclu avec le président Kabila fut consigné par un accord écrit daté du 27 avril 1998
(cote 4), qui reconnaît expressément l'existence de bandes armées menant des activités militaires de part et
d'autre de la frontière ougando-congolaise, et qui prévoit que les forces armées ougandaises et congolaises
agiront de concert en République démocratique du Congo pour mettre fin à leurs activités.

Cet accord a été appliqué de façon satisfaisante, et les attaques des rebelles contre l'Ouganda ont sensiblement

diminué jusqu'en août 1998, date à laquelle le président Kabila retira brusquement son invitation aux forces
ougandaises. Le contexte est important. Une nouvelle rébellion congolaise avait éclaté contre le président
Kabila et son gouvernement. Pour vaincre les rebelles, le président conclut une nouvelle alliance avec le
Soudan, qui envoya des forces à l'est du Congo et renforça et recommença à fournir en matériel les rebelles
anti-ougandais qui s'y trouvaient toujours. Cela constituait une menace grave pour la sécurité de l'Ouganda.
L'Ouganda ne pouvait attendre les bras croisés qu'on l'attaque. Il renforça donc ses troupes et les redéploya à
l'est du Congo, pour combattre les forces soudanaises et les groupes rebelles anti-ougandais renforcés. Sous la
cote 20 du dossier de l'Ouganda, la Cour trouvera un document interne de l'armée ougandaise décrivant
plusieurs attaques menées par les rebelles opérant à partir du Congo en 1998 et en 1999, dont deux des attaques

dont a parlé tout à l'heure l'agent de l'Ouganda.

L'Ouganda n'a aucun intérêt territorial en République démocratique du Congo. Il est, plus que toute autre partie
au conflit, impatient de rapatrier ses troupes. Contrairement à ce qui a été affirmé, cette guerre est un
cauchemar économique pour l'Ouganda. Les dépenses qu'il a faites pour entretenir ses troupes en République
démocratique du Congo pendant plusieurs années sont énormes. Mais l'Ouganda n'avait pas le choix. Il y a un
vide politique complet dans la région est du Congo. Le gouvernement central n'y exerce aucune espèce
d'autorité. Et il n'y a personne d'autre pour contenir les rebelles anti-ougandais ou garantir la sécurité de la
frontière ougandaise.

Les parties à l'accord de Lusaka, le Conseil de sécurité et le Secrétaire général reconnaissent tous que la
présence des troupes ougandaises et autres troupes étrangères en République démocratique du Congo est liée à
la présence à l'est du Congo de bandes armées qui cherchent à déstabiliser et à renverser les gouvernements
voisins, et que la clé du retrait de ces troupes étrangères est le désarmement et la démobilisation de ces bandes.

«[Le Conseil] constate que le désarmement, la démobilisation, la réinstallation et la réinsertion
(DDRR) figurent parmi les objectifs fondamentaux de l'accord de cessez-le-feu de

Lusaka.» (Déclaration du Conseil de sécurité datée du 26 janvier 2000, cote 10.)

«Le problème des groupes armés est particulièrement sérieux et délicat. Il est au c_ur des conflits dans la sous-région, ces groupes menaçant la sécurité de tous les Etats concernés. Aucune paix
durable ne pourra être instaurée tant qu'il n'aura pas été réglé.» (Rapport du Secrétaire général en
date du 15 juillet 1999, cote 12.)

Ces considérations essentielles sont reflétées dans le calendrier de mise en _uvre présenté dans l'accord de
Lusaka, qui prévoit le retrait de la République démocratique du Congo de toutes les forces étrangères, y
compris les forces ougandaises, mais seulement après que les groupes armés identifiés au chapitre 9 de
l'annexe A auront été désarmés. L'accord dispose, dans son paragraphe 12, que :

«Le retrait définitif de toutes les forces étrangères du territoire national de la République
démocratique du Congo sera effectué conformément au calendrier figurant à l'annexe B du présent

accord et au programme de retrait qui sera arrêté par l'Organisation des Nations Unies, l'OUA et la
commission militaire mixte.»

Le calendrier du retrait des forces étrangères de l'annexe B visé au paragraphe 12 est le suivant :

premièrement : cessation des hostilités, prévue au jour-J,

deuxièmement : désengagement des forces, fixé au jour J + 14,

troisièmement : redéploiement des forces sur des positions défensives en République démocratique du Congo,
fixé au jour J + 15,

quatrièmement : dialogue national au sein des forces politiques et sociales congolaises, dont le déroulement est
prévu entre le jour J + 45 et le jour J + 90,

cinquièmement : désarmement des groupes armés, qui devra être terminé au jour J + 120 jours,

sixièmement : déploiement de la mission de l'ONU pour le maintien de la paix, fixé au jour J + 120,

septièmement : retrait ordonné des forces étrangères fixé d'un commun accord au jour J + 180 jours.

C'est ainsi que dans l'accord de Lusaka la République démocratique du Congo et ses voisins sont convenus que

les troupes étrangères ne quitteraient pas le territoire de la république immédiatement ou unilatéralement, mais
y demeureraient jusqu'au désarmement des groupes armés, nommément désignés dans l'accord, dont les actions
avaient provoqué en premier lieu l'entrée des forces étrangères en République démocratique du Congo.

De plus, les parties à l'accord de Lusaka étaient convenues au paragraphe 11.4 a) de l'annexe A que toutes les
forces étrangères «rester[aient] en place» (c'est-à-dire en République démocratique du Congo) jusqu'à leur
retrait conformément au calendrier figurant à l'annexe B dont je viens de parler. Les parties ont également
confié aux forces étrangères en République démocratique du Congo la mission de procéder, jusqu'à leur retrait,
au désarmement des groupes armés dans leurs zones respectives d'opération.

«Les Parties assument pleinement la responsabilité de veiller à ce que les groupes armés opérant
avec leurs troupes ou sur les territoires qu'elles contrôlent se conforment aux processus devant
mener au démantèlement de ces groupes en particulier.» (Par. 22.)

*

* *

Selon le calendrier fixé à l'annexe B, la première mesure à prendre après la fin des hostilités est celle du
désengagement des forces. Un plan officiel de désengagement de toutes les forces armées en présence en
République démocratique du Congo a été accepté le 8 avril 2000 à Kampala. L'accord de désengagement de
Kampala (qui se trouve sous la cote 2 des documents de l'Ouganda), signé par toutes les parties à l'accord de
Lusaka, prévoyait le désengagement des forces qui reculeraient de 30 kilomètres et leur redéploiement ultérieur
sur des positions défensives en République démocratique du Congo. La mission d'observation desNations Unies en République démocratique du Congo (connue sous l'acronyme «MONUC») a été chargée
d'établir des plans précis de désengagement et de redéploiement pour chacune des quatre régions ainsi qu'un
calendrier de mise en _uvre de chaque plan. Fait important à signaler, le plan de désengagement de Kampala

précise ce qui suit en son paragraphe 10 a): «Aucune partie ne doit être placée en situation de désavantage
tactique du fait du désengagement.» [Traduction du Greffe] Et de nouveau ce qui suit en son paragraphe 2 b) :
«Les Parties reconnaissent et conviennent qu'elles doivent s'acquitter sur un pied d'égalité en République
démocratique du Congo des obligations mises à leur charge en vertu du présent plan.» [Traduction du Greffe.]
Il s'agit partant d'un principe fondamental du plan qui prévoit que le désengagement des forces se fera de façon
égale, mutuelle, réciproque et simultanée et non pas de façon unilatérale ou d'une manière mettant un Etat en
situation de désavantage tactique par rapport aux autres.

Le 26 juin, le conseil de la République démocratique du Congo a indiqué que la principale mesure demandée

par son client en l'espèce est une ordonnance prescrivant le retraitimmédiat etunilatéral de toutes les forces
ougandaises de la République démocratique du Congo. Or il ressort clairement de l'analyse qui précède et plus
particulièrement du texte des accords respectifs que la mesure sollicitée par la République démocratique du
Congo est fondamentalement incompatible avec l'accord de Lusaka et l'accord de désengagement de Kampala
qui énoncent des obligations solennelles librement contractées par les parties, y compris par la République
démocratique du Congo. Comme nous venons de le montrer, la République démocratique du Congo a
expressément accepté dans ces accords que le retrait des forces étrangères, y compris celles de l'Ouganda, ne
serait ni immédiat ni unilatéral. La République démocratique du Congo a accepté que le retrait des forces
étrangères se ferait selon un calendrier précis et en fonction de la survenance d'une série de faits bien
déterminés, notamment le désarmement et la démobilisation des forces armées irrégulières sur le territoire

congolais. De plus, tout retrait ou désengagement en application des accords doit être mutuel, réciproque et
simultané et ne doit pas s'effectuer d'une manière qui placerait une partie en situation de désavantage tactique.

Vu l'importance et la pertinence, au regard de la présente instance, de l'accord de Lusaka et de l'accord de
désengagement de Kampala, on ne peut que s'étonner de constater que les conseils de la République
démocratique du Congo n'ont même pas fait état, pendant toute l'heure et demie qui leur a été attribuée le
26 juin, de l'existence de ces accords et encore moins de leur pertinence au regard de la présente instance.

*

* *

Je passerai maintenant à mon deuxième point, qui est l'engagement pris par les parties et l'Organisation des
Nations Unies de mettre pleinement en _uvre l'accord de Lusaka comme étant «le seul mécanisme viable» pour
aboutir à la paix en République démocratique du Congo et dans la région en cause :

Les efforts déployés par la République démocratique du Congo pour passer sous silence l'accord de Lusaka en
l'espèce s'opposent nettement à la déclaration faite tout récemment le 15 juin par son ministre des affaires
étrangères, M. Ndombasi, devant le Conseil de sécurité : «Nous sommes en faveur de l'accord de Lusaka et
nous demandons sa mise en _uvre pleine et entière.» [Traduction du Greffe] (Cette déclaration se trouve sous la
cote 14 des documents de l'Ouganda.)

Cette déclaration reprenait la position défendue le 17 mai 2000 devant le Conseil de sécurité par M. Mwanga
Kapanga, le représentant permanent de la République démocratique du Congo auprès de l'Organisation des

Nations Unies :

«Il est certes regrettable que les armées de l'Ouganda et du Rwanda se soient une nouvelle fois
livrées entre elles à de farouches combats dans la ville de Kisangani... Mais il est certain que toutes
ces activités ne sont pas d'une envergure telle à mettre le processus de paix initié à Lusaka en
danger.» (Cette déclaration se trouve sous la cote 15.)

Le 16 juin, le comité politique établi par l'accord de Lusaka, qui se compose des principaux ministres des

Gouvernements de toutes les parties à l'accord, dont le ministre des affaires étrangères de la République
démocratique du Congo, a publié une déclaration qui :

« réaffirmait l'attachement des parties à l'accord, seul moyen viable de trouver une solution pacifique et durable au problème du Congo. A cette fin, le Comité a informé le Conseil [de
sécurité] que l'accord, bien qu'il ait été violé à plusieurs reprises, a généralement été
respecté.» [Traduction du Greffe.]

Le Secrétaire général et le Conseil de sécurité ont résolument approuvé et appuyé l'accord de Lusaka :

«On ne répétera jamais assez toutefois que l'Accord de cessez-le-feu de Lusaka est porteur de
l'espoir le plus tangible du règlement du conflit en République démocratique du Congo et
représente, en l'état actuel des choses, le seul moyen viable pour y parvenir» Rapport du Secrétaire
général, 17 janvier 2000, par. 86. (Cette déclaration se trouve sous la cote 13.)

«l'Accord de cessez-le-feu de Lusaka ... représente la base la plus viable pour la résolution du
conflit en République démocratique du Congo» (résolution 1279 du Conseil de sécurité,
30 novembre 1999, sous la cote 7).

Depuis la signature de l'accord de Lusaka le 10 juillet de l'année dernière, le Conseil de sécurité a adopté cinq
résolutions distinctes dans lesquelles il appuie pleinement l'accord et exhorte les parties à s'y conformer :

- la résolution 1258 du 6 août 1999,

- la résolution 1273 du 5 novembre 1999,

- la résolution 1279 du 30 novembre 1999,

- la résolution 1291 du 24 février 2000, et, tout récemment,

- la résolution 1304 du 16 juin 2000.

Ces résolutions se trouvent sous les cotes 5 à 9.

La résolution 1304 du 16 juin, qui se trouve sous la cote 5, est celle dans laquelle le Conseil a exprimé jusqu'à
présent son appui le plus résolu à l'accord de Lusaka. Voici ce qu'elle dit dans son préambule :

«Le Conseil de sécurité ,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Réaffirmant son appui résolu à l'Accord de cessez-le-feu de Lusaka ... et insistant pour que toutes
les parties honorent les engagements pris dans cet accord,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1.Demande à toutes les parties de mettre fin aux hostilités sur tout le territoire de la République
démocratique du Congo et de s'acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de l'Accord de
cessez-le-feu et des dispositions pertinentes du Plan de désengagement de Kampala en date du
8 avril 2000.»

Le 26 juin, M. Corten a fait valoir que la Cour était compétente pour rendre une ordonnance indiquant les
mesures conservatoires demandées par la République démocratique du Congo, et notamment le retrait immédiat
et unilatéral des forces ougandaises de la République démocratique du Congo malgré l'existence d'une
résolution du Conseil de sécurité portant directement sur le même sujet car, pour reprendre ce qu'il a dit, la
demande présentée par la République démocratique du Congo «est parfaitement compatible» - parfaitement
compatible - «avec les exigences du Conseil de sécurité» (CR 2000/20, p. 33).

Or la demande de la République démocratique du Congo invitant la Cour à ordonner le retrait immédiat et
unilatéral des forces ougandaises de la République démocratique du Congo va directement à l'encontre de la

résolution 1304 du Conseil de sécurité. Le paragraphe pertinent est le paragraphe 4 qui exige que l'Ouganda etle Rwanda

«retirent toutes leurs forces du territoire de la République démocratique du Congo sans plus tarder,

conformément au calendrier prévu dans l'Accord de cessez-le-feu et le Plan de désengagement de
Kampala en date du 8 avril 2000».

Je m'arrête ici un instant sur ce paragraphe clé.

Le 26 juin, lorsque M. Corten a parlé de ce même paragraphe à la Cour, il s'est arrêté après les mots «sans plus
tarder», donnant ainsi un effet tout à fait différent à ce paragraphe Il a déclaré que celui-ci exigeait «que
l'Ouganda retire ses troupes non seulement de Kisangani mais aussi de l'ensemble du territoire congolais, et

ceci sans plus tarder». Point final. (CR 2000/20, p. 33.)

Toutefois le sens du paragraphe 4 est différent pour autant que l'on ne cherche pas à interpréter le texte du
dispositif pour servir les intérêts de l'une des Parties à la présente instance; en voici le texte :

«retirent leurs forces du territoire de la République démocratique du Congo sans plus tarder
conformément au calendrier prévu dans l'accord de cessez-le-feu et le plan de désengagement de
Kampala en date du 8 avril 2000».

Ainsi cette résolution exige non pas un retrait immédiat mais un retrait conforme au calendrier fixé dans
l'accord de Lusaka et dans le plan de désengagement de Kampala. D'ailleurs un projet de résolution présenté au
Conseil de sécurité par la République démocratique du Congo demandait le retrait immédiat des forces
ougandaises et un autre projet de résolution fixait un délai de quatre mois pour effectuer ce retrait. Ces deux
projets de résolution ont été rejetés par le Conseil en faveur du calendrier de retrait dont étaient convenues les
Parties dans l'accord de Lusaka.

N'ayant pas réussi à obtenir du Conseil de sécurité l'adoption de son projet de résolution, la République
démocratique du Congo a saisi la Cour le 19 juin c'est-à-dire le premier jour ouvrable après l'adoption par le
Conseil de la résolution 1304 et demandé à la Cour d'ordonner la mesure même que le Conseil avait rejetée.

Revenons maintenant au texte du paragraphe 4. J'aimerais attirer l'attention de la Cour sur le sous-paragraphe 4
b) qui stipule ce qui suit :

«que chaque étape du retrait accompli par les forces ougandaises et rwandaises fasse l'objet d'une

action réciproque de la part des autres Parties conformément au même calendrier».

Ainsi, le Conseil de sécurité a refusé non seulement le retrait immédiat pour lui préférer le calendrier de retrait
fixé dans l'accord de Lusaka mais aussi le retrait unilatéral pour lui préférer le retrait réciproque des forces de
toutes les Parties au conflit, conformément à l'accord de Lusaka.

Comme l'a démontré M. Brownlie, l'existence même d'une résolution du Conseil de sécurité au titre du
chapitre VII qui concerne directement la question d'une demande de mesures provisoires prive la Cour de toute

compétence pour examiner une telle demande. En tout état de cause, la Cour ne peut pas examiner les mesures
conservatoires demandées par la République démocratique du Congo parce qu'elles vont directement à
l'encontre de la résolution 1304 du Conseil de sécurité.

J'en arrive maintenant à mon troisième et dernier point et je vais conclure mon exposé en démontrant pourquoi
même si la Cour devait examiner la demande de la République démocratique du Congo, elle ne devrait indiquer
aucune des mesures conservatoires particulières proposées par la République démocratique du Congo. J'ai déjà
o
parlé de la demande n 2 tendant à ce que la Cour indique une mesure en vertu de laquelle l'Ouganda serait
immédiatement et unilatéralement obligé de cesser toutes activités militaires sur le territoire de la République
démocratique du Congo et de retirer ses forces. Je pense avoir amplement démontré que la demande de la
République démocratique du Congo va directement à l'encontre de l'accord de Lusaka et de la résolution 1304
du Conseil de sécurité.

o
La demande n 1 demande à la Cour d'indiquer une mesure en vertu de laquelle l'Ouganda seraitimmédiatement et unilatéralement obligé de retirer toutes ses forces de la ville de Kisangani. La réponse qui
s'impose à cette question est quel est son objet. L'Ouganda a déjà effectué le retrait de ses forces de Kisangani
conformément à un accord de désengagement rédigé par la mission d'observation de l'Organisation des

Nations Unies et signé par l'Ouganda et le Rwanda le 21 mai 2000 (cote 3 du dossier des juges). En signant cet
accord, l'Ouganda a accepté de retirer ses troupes sur des positions déterminées situées à plus de 100 kilomètres
au nord de Kisangani et le Rwanda a accepté de retirer ses troupes sur des positions déterminées situées à plus
de 100 kilomètres au sud de Kisangani. Voir aussi sous la cote 3 de votre dossier les ordres écrits des
commandants ougandais et rwandais enjoignant à leurs forces respectives de se retirer de Kisangani pour
occuper les positions convenues.

Il est vrai que des combats ont éclaté entre les forces ougandaises et rwandaises le 5 juin au moment où elles
commençaient leur désengagement mais ces combats ont complètement cessé le 10 juin et le désengagement a

repris. Le 16 juin, le comité politique établi à la suite de l'accord de Lusaka et comprenant parmi ses membres
le ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo a informé le Conseil de sécurité
(cote 16) que tous les combats avaient cessé et que le retrait des troupes de Kisangani était en cours. Le 20 juin
un envoyé spécial du Secrétaire général, M. Kamel Morjane, a déclaré publiquement que les troupes
ougandaises et rwandaises avaient quitté Kisangani (cote 17). Le 22 juin, le cabinet du Président ougandais a
annoncé officiellement que le 21 juin, l'arrière des troupes ougandaises qui avaient quitté Kisangani se trouvait
à Lindi Bridge à plus de 100 kilomètres au nord de Kisangani (cote 18)

Dans cette même annonce le Président ougandais indiquait que cinq des bataillons qui avaient occupé

Kisangani (plus de trois milles hommes) s'étaient repliés vers l'Ouganda. Aujourd'hui, comme l'a indiqué
M. l'Attorney géneral de l'Ouganda, il n'y a plus un seul soldat ougandais à Kisangani ou à proximité. Les
forces ougandaises les plus proches se trouvent à 120 kilomètres.

Le 26 juin, le professeur Corten a soutenu que la promesse de l'Ouganda de retirer ses troupes de Kisangani ne
devait pas être considérée comme suffisant pour empêcher la Cour d'ordonner le retrait de ces troupes. Il a
accusé l'Ouganda de violer ses promesses de retrait antérieures. Son argument, avec tout le respect que je lui
dois, manque de pertinence. Il ne s'agit pas de promesses de retrait, aussi fiables soient-elles, mais bien d'un
retrait et d'un redéploiement effectifsqui ont déjà été menés à bien . Le dégagement demandé par la République

démocratique du Congo n'est pas promis car il est déjà un fait avéré et vérifié par l'envoyé spécial du Secrétaire
général.

Dans ces conditions, l'ordonnance demandée par la République démocratique du Congo est non seulement
injustifiée et inutile mais elle est aussi préjudiciable à l'Ouganda car elle ne s'appliquerait qu'à lui et non pas au
Rwanda ou à toute autre partie à l'accord de Lusaka ou à l'accord de désengagement de Kampala. Par son aspect
unilatéral, elle irait aussi à l'encontre de la résolution 1304 du Conseil de sécurité qui elle aussi exige le retrait
des forces de Kisangani mais qui est tout aussi obligatoire pour le Rwanda que pour l'Ouganda.

Les demandes trois et quatre de mesures conservatoires se ressemblent. Elles demandent à la Cour d'ordonner à
l'Ouganda de faire cesser la perpétration de crimes de guerre ou d'autres actes de violence contre des citoyens
congolais ainsi que tout acte faisant obstacle à l'exercice des droits fondamentaux de la personne.

Ce qui est ressorti avec une netteté particulière lorsque la République démocratique du Congo a présenté sa
thèse le 26 juin, c'est l'absence totale d'éments de preuve pouvant étayer ses demandes en indication de
mesures conservatoires. Elle n'a pas présenté un seul document ou rapport témoignant de ce que l'Ouganda

aurait commis le moindre des actes dont il a été accusé le 26 juin. L'Ouganda a été accusé de crimes aussi
odieux et barbares que ceux d'utiliser le sida comme arme de guerre, de forcer des milliers d'enfants à prendre
part au combat, de «blanchir l'argent de la drogue», de massacrer des villages entiers, de commettre des viols,
des assassinats, des pillages et même de massacrer des animaux mais on n'a pas présenté à la Cour la moindre
indication de dates, d'heures, de lieux ni le moindre détail, le moindre témoignage oculaire ou la moindre
preuve documentaire pour étayer ces allégations. Même si ces crimes ont été commis, ce qui n'est pas prouvé, il
n'y a absolument rien qui démontre la responsabilité de l'Ouganda ou la présence de troupes ougandaises à
proximité lorsque ces actes ont été commis.

La crédibilité de ces accusations non prouvées est en outre démentie par la requête déposée par la République
démocratique du Congo le 23 juin 1999. Ce document indique des dates et des emplacements pour toute une
liste d'exactions prétendument commises par l'Ouganda. Or, comme l'a déclaré aujourd'hui l'agent del'Ouganda, l'Attorney général Katureebe, les forces ougandaises n'ont jamais opéré dans les régions où ces
prétendues exactions auraient été commises.

Le fait que la République démocratique du Congo n'ait pas produit le moindre élément de preuve pour étayer
l'une quelconque de ces accusations contre l'Ouganda est d'autant plus significatif qu'elle a eu huit mois pour
préparer son mémoire sur le fond qui doit être déposé le 21 juillet. Si, à ce stade tardif, elle n'a pas présenté à la
Cour le moindre élément de preuve pour appuyer sa demande d'indication en mesures conservatoires, on est
fortement tenté de croire que ces éléments n'existent pas.

Il est aussi intéressant de constater que pour ce qui est de la protection des droits de l'homme à laquelle
l'Ouganda est attaché, la résolution 1304 du Conseil de sécurité disposait déjà ce qui suit dans son

paragraphe 15 : «demande à toutes les Parties au conflit de la République démocratique du Congo de protéger
les droits de l'homme et de respecter le droit international humanitaire».

La cinquième demande d'indication en mesures conservatoires de la République démocratique du Congo tend à
ce que la Cour ordonne que l'Ouganda cesse l'exploitation illégale des ressources naturelles de la République
démocratique du Congo. Là non plus il n'y a pas un seul document, un seul rapport ni le moindre élément de
preuve qui ait été présenté à la Cour pour étayer cette allégation qui a été répétée à de multiples reprises le
26 juin par divers conseils de la République démocratique du Congo. Là aussi, la République démocratique du
Congo a déposé sa requête il y a un an. Elle a donc disposé d'une année pleine pour recueillir des éléments de

preuve à l'appui de ses allégations mais elle n'en a pas soumis un seul à la Cour pour tenter de justifier sa
demande de mesures conservatoires. Comme l'a dit l'agent de l'Ouganda aujourd'hui, l'Ouganda nie
catégoriquement ces allégations.

En outre, ce problème, comme les autres, a déjà été entièrement réglé par le Conseil de sécurité, et en
l'occurrence avec l'accord de la République démocratique du Congo. Le 11 mai le Secrétaire général a
recommandé l'établissement d'un groupe d'experts chargés d'effectuer une enquête et de faire des
recommandations concernant les allégations d'exploitation des richesses de la République démocratique du
Congo par toutes les forces étrangères. Le 17 mai, le Représentant permanent de la République démocratique

du Congo écrivait ceci au Président du Conseil de sécurité : «mon Gouvernement marque son accord à la
proposition faite par le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies sur la création d'un groupe
d'experts ... adressée au Conseil» (cote 19).

Le 2 juin le Conseil de sécurité demandait au Secrétaire général de mettre en place immédiatement un groupe
d'experts chargés de lui présenter au bout de trois mois un rapport intérimaire et un rapport définitif assorti de
recommandations à la fin de son mandat [de six mois]. La résolution 1304 du Conseil de sécurité du 16 juin
exhortait les parties à «coopérer pleinement avec le groupe d'experts ... dans le cadre de son enquête et de ses
visites dans la région».

Comme l'a indiqué aujourd'hui l 'Attorney general , l'Ouganda a promis sa pleine coopération pour l'enquête
menée par le groupe d'experts.

La sixième et dernière demande de la République démocratique du Congo tende à ce que la Cour ordonne à
l'Ouganda de respecter pleinement le droit de la République démocratique du Congo à la souveraineté, à
l'indépendance politique et à l'intégrité territoriale. Aucun élément n'a été présenté pour justifier la nécessité ou
le caractère approprié d'une telle mise en demeure unilatérale visant exclusivement l'Ouganda.

Comme l'a dit aujourd'hui l'agent de l'Ouganda, celui-ci respecte pleinement la souveraineté, l'indépendance
politique et l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo comme il est déjà tenu de le faire en
vertu de la Charte des Nations Unies et de celle de l'Organisation de l'unité africaine. L'Ouganda n'a aucune
visée territoriale sur la République démocratique du Congo et il ne souhaite pas non plus voir compromise la
souveraineté ou l'indépendance de ce pays. Les forces ougandaises se trouvent dans le Congo oriental pour
exercer le droit de l'Ouganda à se défendre et comme le stipule l'accord de Lusaka, pour faire obstacle aux
activités des groupes rebelles qui ont profité du vide politique et de l'absence d'autorité du gouvernement

central dans la région pour attaquer l'Ouganda à partir de sanctuaires congolais.

Le maintien de la présence de forces ougandaises dans la République démocratique du Congo est pleinement
conforme aux dispositions de l'accord de Lusaka dont l'annexe A, paragraphe 11 demande aux forcesétrangères, comme je l'ai déjà dit, de «rester sur place» jusqu'au retrait conformément au calendrier indiqué à
l'annexe B. L'Ouganda a toujours déclaré qu'il appliquerait scrupuleusement l'accord de Lusaka et plus
spécifiquement qu'il se conformerait scrupuleusement aux dispositions de cet accord concernant le retrait des

forces étrangères. L'agent de l'Ouganda a réitéré cette prise de position aujourd'hui.

En conclusion, les mesures conservatoires demandées par la République démocratique du Congo ne reposent
sur aucune base juridique ou factuelle.

Pour clore mon exposé, je tiens à remercier la Cour de son écoute attentive et demande à l'agent de l'Ouganda
de conclure en présentant à la Cour les conclusions officielles de l'Ouganda. Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Thank you, Mr. Reichler. Je donne la parole à S. Exc. l'agent de la République de l'Ouganda.

M. KATUREEBE : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour. Au nom de la République de
l'Ouganda, j'ai l'honneur de présenter les conclusions ci-après :

Plaise à la Cour de dire et juger,

En premier lieu, que les circonstances de l'affaire ne sont pas de nature à exiger de la Cour qu'elle exerce le
pouvoir que lui confère l'article 41 de son Statut d'indiquer des mesures conservatoires.

En deuxième lieu, à titre subsidiaire, qu'il existe de toute façon des considérations de poids liées à l'exercice de
la fonction judiciaire qui empêcheraient la Cour d'indiquer les mesures conservatoires demandées par la
République démocratique du Congo.

En troisième lieu, qu'au nombre desdites considérations figure le fait que les mesures demandées sont

incompatibles avec les obligations découlant de l'accord de Lusaka qui sont confirmées aux paragraphes 1 et 4
de la résolution 1304 du Conseil de sécurité.

Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie.

Thank you. This brings to an end the oral hearings as organized after consultation with the Parties. It remains
for me to thank the Agents and Counsel of the two Parties for the assistance they have given to the Court by
their oral observations and for the spirit of courtesy which they have shown during these two hearings. In
accordance with practice, I will ask the Agents to remain available to the Court. Subject to this, I am going to
declare the present oral proceedings closed.

The Court will give its Order on the request for the indication of provisional measures as soon as possible. The
date on which this Order will be delivered in a public sitting will be notified to the Agents of the Parties in due
course. The Court is adjourned.

The Court rose at 5.30 p.m.

___________

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