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CR 95/14 (Traduction)
CR 95/14 (Translation)

jeudi 16 février 1995
Thursday 16 February 1995 -2-

- - Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La Cour reprend aujourd'hui

ses audiences dans l'affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie)

pour poursuivre le deuxième tour des plaidoiries. Il appartient à

l'Australie,Etat défendeur, de commencer à présenter sa thèse ce matin,

pour poursuivre et en terminer cet après-midi, comme convenu. Je donne

donc la parole à l'agent de l'Australie,qui commencera les exposésoraux

de celle-ci. M. Griffith, s'il vous plaît.

M. GRIFFITH : Monsieur le Président,Messieurs de la Cour.

~'~ustraliedresse maintenant lebilan, à la fin des plaidoiries du

~ortugal. Bien que les conclusions finalesde celui-ci répètent celles

qu'il présentait déjà dans son mémoire et sa réplique, nous nous

retrouvons devant une affaire qui n'est plus en fait que l'ombre des

réclamations présentées à l'origine dans les écritures. Selon

l'argumentation écrite, l'Australien'avait pas le droit de traiter du

tout avec l'Indonésie à propos de la zone en litige du «Timor Gap», mais

était tenue en revanche detraiter exclusivement avec le Portugal,

puissance administrante,et avec lui seulement.

Nous voyons le Portugal répondre sur deux plans à la démonstration

qu'a faite l'Australie de l'impossibilitéet de l'invraisemblance desa

thèse fondamentale. D'abord, le plan du silence. C'est-à-direcelui de

l'incapacitéde saisir les questions sous leur aspect fondamental.

Lorsque le Portugal veut bien traitereffectivement despoints en litige,

il ne fait que réaffirmer des positions dont il a été démontré qu'elles

étaient intenables. Ensuite, il y a les contradictions internes deses

exposés oraux, telles que les avocats du Portugal se sont - de nouveau -

présentés devant la Cour pour proposer une série de positions et

d'alternatives - selon une échelle décroissante,et parfois incohérente -

apparemment comme autant de positions de repli. Ce qui est réellement

abandonné, c'est la revendication du droit totalement exclusifde - 3 -

traiter, dont le Portugal disait auparavantqu'il était prescritpar les

résolutions du Conseil de sécurité et de llAssembléegénérale. Avec le

Portugal, à chaque jour sa thèse, à chaque jour ses données.

Plusieurs lignesont été lancées en directionde la Cour, avec des

hameçons et des appâts divers, comme si le Portugal avait entreprisde

recueillir en pêchant à la traîne la majorité des voix de la Cour. C'est

d'ailleurs à peu près comme cela qu'il pêche au large du Sahara

occidental. Nous savonsqu'il le fait dans le cadre d'accords conclus,

non avec la puissance administrante reconnue comme telle par

l'organisation desNations Unies, mais avec llEtat qui exerce sa

puissance souveraine. La Cour doit êtrestupéfaite devant

l'inconséquencedu Port-ugal qui veut donner de lui-même l'image du

gardien désintéressé desressources naturelles d'un peuple qu'il a

abandonné il y a plus de vingt ans, alors qu'il participe à

l'exploitationde ressources naturelles (d'unemanière que l'on a

récemment entendue qualifiée de «pillage»),en infraction avec le

principe même qu'il invoque pour étayer ses prétentions contre

l'Australie.

Monsieur le Président, l'argumentationportugaise a ceci de difficile

qu'elle ne cesse de changer. Auparavant,le Portugal prétendaitavoir la

capacité exclusive de traiter avec les autres Etats à propos du Timor

oriental. Il dit maintenant :

- que les Etats peuvent traiter avec l'Indonésiesur d'autres questions

que celles desressources non renouvelablesdu territoire (CR 95/12,

p. 12, M. GalvFioTeles; CR 95/12,p. 36-37, M. Dupuy; voir également

CR 95/12, p. 69, 71 et 79, M. Correia) ; il ajoute

- que les Etats peuvent traiter avec l'Indonésiepourvu qu'ils consultent

le Portugal ou les représentantsdu peuple du Timor oriental (CR 95/12, -4-

p. 13, M. GalvZioTeles; CR 95/13, p. 38, Mme Higgins; CR 95/13, p. 40,

M. Galvao Teles); la nouvelle versionest

- que les Etats peuvent conclure avec l'Indonésiedes accords concernant

le Timor oriental pourvu que ces accords soient applicables à

l'ensemble du territoire indonésienet pas seulement au Timor oriental

(CR 95/13, p. 27 et 28, Mme Higgins) ; on apprend cependant

- que les Etats peuvent traiter avec l'Indonésiepourvu qu'ils le fassent

dans le cadre de relations non officielles et non sur la base d'une

reconnaissancede jure (CR 95/12, p. 26, M. Dupuy); et le Portugal

d ajouter de manière décousue

- que les Etats peuvent traiter avec l'Indonésie sur la base d'une

«reconnaissance explicite de facto», mais non sur la base d'une

reconnaissance de jure (CR95/13, p. 37, Mme Higgins).

Ces assertions manquent tout simplementde logique. Mais il y a eu

tant de changementsqu'il est difficile de croire qu'aucun de ces

arguments est invoquéde bonne foi.

Nous avons entendu beaucoup parleraes données de la présente

affaire, dont le Portugaldit qu'elles dlctent son statut de puissance

administranteet commandent à la Cour d'accepter la valeur déterminative

des résolutions que l'Assembléegénérale et le Conseil de sécurité ont

adoptées entre 1975 et 1982. Mais, Monsieur le Président, quelles sont

vraiment les données de la présente affaire ? Permettez-moide vous

proposer les suivantes.

1. L'Australie et son peuple ont le droit d'exercer leur propre

souveraineté et d'explorer leurs propres ressourcesmarines dans la

zone du «Timor Gap».

2. Le Portugal a abandonné le territoiredu Timor oriental il y a près de

vingt ans. Il n'exerce pas, et ne peut exercer, les compétences - 5 -

souveraines de 1'Etat côtier, compétencesqu'il ne recouvrera

probablement jamais.

3. Depuis également une vingtaine d'années, l'Indonésie exerce les

compétences souveraines de 1'Etat dont les côtes font face à

l'Australie sur les eaux de la haute mer entre celle-ci et le Timor

oriental.

4. La Cour ne peut pas se prononcer sur la délimitation des droits

territoriaux de l'Australiesur l'ensemblede la zone.

5. En 1989, cela faisait six ansque l'ONU connaissait le traité, et
'1 1

aucun de ses organes, ni principal ni subsidiaire,n'a jugé que

celui-ci était incompatible avec ledroit à l'autodétermination du

peuple du Timor oriental.

6. C'est au Portugal qu'il appartient de démontrer qu'il existe, en droit

international,des normes qui empêchent effectivement l'Australie

d'agir en qualité d'Etat côtier en ce qui concerne ses prétentions sur

les eaux de la haute mer, conformément au traitéde 1989.

Quelles sont les données de notre adversaire ? Fondamentalement,le

Portugal ditqu'il y en a deux. La première, la plus importante pour le

peuple du Timor oriental, est le fait que ce pays n'est pas autonome et

qu'il a droit à se déterminer librement.

Mais, Monsieur le Président,personne ne le conteste.

Dans le premier exposé oral de sa réponse, le Portugal a voulu encore

une fois accuserllAustraliede faire exactement lecontraire de la

politique qu'elle nla cessé d'affirmer,qui est de reconnaître et de

soutenir le droit à l'autodéterminationdu peuple du Timor oriental. Il

a même cherché à produire devant la Cour l'équivalentd'une preuve orale.

M. Ramos-Horta a dû traverser le prétoireet s'asseoir derrière l'avocat

qui lisait ce qui était:censément une citation rapportée dans ce célèbre - 6 -

témoin de l'histoire qu'est The Northern Territory News (CR 95/12,

p. 11).

Monsieur le Président, si l'on a mentionné laréférence à la

déclaration de M. Ramos-Horta selon laquelle <C'est la première fois que

j'entends l'Australie seprononcer pour l'autodétermination»(CR 95/12,

p. 70) pour faire croire que l'Australiene soutenait pas auparavantle

droit du peuple du Timor oriental à l'autodétermination,la Cour sait

très bien que cela n'est pas vrai. Que l'on considère comme favorableou

défavorable à l'Australie le passage extrait de The Frightened Country de

Renouf (p. 438 à 449) qui figure dans notre dossier deplans et de
'?12
documents, et qui a été cité pour la première fois par le Portugal le

premier jour des plaidoiries (CR
95/2, p. 26), ce passage établit une

chose; à partir de 1974, l'Australie s'est vigoureusementet à plusieurs

reprises prononcée en faveur dudroit des Timorais à se déterminer

librement en connaissancede cause. La position australiennea été

exposée sans détour à l'Indonésie,clairement expliquée à l'Organisation

des Nations Unies, répétée par lespremiers ministres et les ministres

des affaires étrangèresde l'Australieet fait d'ailleurs encore l'objet

de communiqués publics surla politique australienne. La Cour nous a

suivi à travers les déclarations surcette politique, tant dans les

écritures que dansles plaidoiries. Et, elle n'aura pas oublié que cette

politique a été maintenue après que l'Australiea reconnu la souveraineté

de jure de l'Indonésieau début des négociationsdevant conduire au

traité. En 1983 par exemple, le ministre desaffaires étrangères de

l'époque a réaffirmé que l'Australieétait

«préoccupéede voir qu'un acte d'autodétermination
internationalement contrôléet accepté n'avait pas eu lieu,

et exprimé l'espoir que l'Indonésieet le Portugal «seront à même [.-.] de parvenir à un règlement durable decette
question, règlement qui tiendra compte desmeilleurs intérêtsde
la population du Timor oriental>. (Mémoire,annexe 111.44,
volume V, p. 269, par. 194)

Monsieur le Président,Messieurs de la Cour.

Point n'est besoin de répéterce qui a été très clairement dit de la

position de l'Australiesur cette question de l'autodétermination.

Pourtant, comme le Portugal mentionne expressément (CR 95/12, p. 24,

M. Dupuy) la réponse donnéepar le ministre des affaires étrangères à une

question orale posée au Parlement australien le 7 février 1995 (le

Portugal en a remis une copie à la Cour), il nous faut laisser la porte

ouverte, porte que le Portugal essaie encore unf eois de fermer, en

, r:*(3 citant à notre tour le passagede cette réponsedu sénateur Evans que n'a
-.
pas lu M. Dupuy (CR 95/12, p. 24). Car le ministre des affaires

étrangères disait aussi. :

«Pour ce qui est du Timor oriental, l'Australie reconnaît que
son peuple a bien le droit de déterminer lui-même son destin,

c'est-à-direde choisir effectivement comment il sera gouverné.
Telle est la position de l'Australiedepuis les événements de 1975,
et elle ne s'est jamais inversée.»

Le ministre desaffaires étrangères a également fait valoirun

argument évident (maisque le Portugal n'admet pas), à savoir que

l'autodéterminationpeut déboucher sur des résultats différents - dont

l'apparitiond'un nouvel Etat indépendantn'est que l'une des

illustrations - qui comprennent«certaines formes d'associationavec un

autre Etat ou à l'intérieurde cet Etat, ou une certaine autonomie à

l'intérieurd'un autre Etat». Cela aussi le Portugal fait semblant de

l'ignorer. Mais cela fait partie intégrantedu droit à

l'autodétermination. Le Portugal continuede postuler une équivalence

entre d'une part l'autodéterminationet d'autre part l'exercicedu droit - 8 -

correspondantpar le peuple du Timor oriental jouissant de l'indépendance

en tant qulEtat souverain distinct.

Devrons-nous le répéter aujourdlhuiencore à l'intentiondu

Portugal ? L'Australie reconnaît que le peuple du Timor orientala le

droit de se déterminer lui-même selon le chapitre XI de la Charte des

Nations Unies. Le Timor oriental resteun territoire non autonome sous

le couvert du chapitre XI. L'Australiea reconnu cet état de choses bien

avant que le Portugalne le fasse en 1974. Elle a réaffirmé sa position,

tant avant qu'après avoir reconnu la souverainetéde llIndonésie. Elle

le réaffirme maintenant. Les indignations du Portugal sont un grief sur

lequel nous refusons le débat avec lui, une question que le Portugal

souhaiteraitque l'Australie conteste pour rendre son affaire plus

théâtrale.

Le fait est que lareconnaissance de la souverainetéde l'Indonésie

sur le Timor orientalet les transactionsavec l'Indonésie à propos du

Timor oriental ne sont pas incompatiblesavec le statut de territoire non

autonome de celui-ci. Elles ne sontpas non plus incompatiblesavec le

droit du peuple du Timor oriental à l'autodétermination.

Monsieur le Président, peut-être la Cour jugera-t-elleutile, dans

l'arrêt dans lequel elle débouterale Portugal de ses prétentions contre

l'Australie,de relever ce sur quoi les deux Parties s'entendent, à

savoir le droit du peuple du Timor oriental à l'autodéterminationqui est

reconnu par toutes les deux. C'est la Cour qui en décidera. Mais, sur

le plan des convenances judiciaires,il ferait mauvais effetd'inclure ce

genre de considérationdans une décision vide d'objet, prise sur une

question que l'on a présentée comme opposable à l'Australiemais sur

laquelle il n'y a ni désaccord ni différend. Pour les points qui ne sont -9-

pas en litige, la Cour ne devrait pas envisager de prendre des décisions

contre l'Australie.

La deuxième donnée du Portugal, si l'on en croit du moins les

écritures de celui-ci, parce qu'elle semble maintenant fondamentalement

abandonnée ou si modifiée qu'on ne la reconnaîtplus, est qu'en vertu des

résolutions du Conseil de sécurité de 1975et de 1976 et des résolutions

de l'Assemblée générale prisesentre 1975et 1982, le Portugal a été

investi du statut de <puissanceadministrante~,statut dont la Cour doit

admettre qu'il donne au Portugal le droit exclusif, à llexclusion de tout

autre Etat, de traiter pour le compte du peuple du Timor oriental.

L'Australie a démontré qu'il était impossible de tirerde ces

résolutions une «donnée» pareille : nous parlerons en détail aujourd'hui,

dans nos conclusions finales, des tentatives qu'a faites le Portugal pour

modifier saposition de manière à faire porter son argumentation

uniquement sur les accords touchant auxressourcesmarines non

renouvelables. Mais laCour peut maintenant êtrecertaine d'une chose :

si le Portugal n'a pas établi de façon probante la donnée qu'il allègue,

son argumentationne peut plus tenir.

Bien entendu, l'Australiesoutient que la thèse portugaise ne tient

pas de toute manière, parce que l'Indonésieest absente alors que sa

présence est indispensablequand il s'agit de revendicationsqui, non

seulement amènent à qualifier sa conduite,mais comportent aussi une

contestation fondamentaledirecte de la validité d'un traité conclu entre

elle-même et l'Australie.

L'une des caractéristiquesles plus étonnantesde l'argumentation

portugaise est le faitqu'elle se centre constamment,qu'elle s'obnubile

sur les droits du Portugal et du Timor oriental, en oubliant presque que

l'Australieen a aussi. Ceux qui ont écouté les avocats du Portugal - 10 -

pendant les trois semaines de plaidoiriesqui viennent de s'écouler

seront pardonnés s'ils n'ont pas compris que l'Australie est un Etat

côtier, ayant des titres juridiquestout à fait précis sur les ressources

de la zone faisant l'objet du traité de 1989.

Que les titres australiensaient été contestés,d'abord par le

Portugal puis par l'Indonésie,cela ne fait aucun doute. Le problème que

devait résoudrel'Australieconsistait à conclure un accord qui lui

permettrait d'exploiter sans risque ses propresressources, c'est-à-dire

sans que ne protestent ni ne provoquent de constantes tracasseries les

autorités représentantle littorald'en face, celui du Timor oriental.

La solution qu'a trouvée l'Australieest le traité conclu avec

1 Indonésie à propos du «Timor Gap».

La solution du Portugal à ce problème très réela dégénéré de plus en

plus jusqu'à être irréelle. Sa première idée était qu'il fallait

conclure un traité avecle Portugal, opération parfaitementvaine. Il y

a eu ensuite l'idée que l'Australieaurait du éviter de conclure quoi que

ce soit et maintenir son exploitation en deça de la limite des

200 milles. Un autre avocata proposé la limite de l'axe médian. Le

fait que ses assertions supposentque l'Australieabandonne certains

titres qu'elle fait valoir depuis vingt ans n'a pas du tout gêné le

Portugal ! Et pendant le deuxièmetour de plaidoiries, nous avonseu

droit à une énième idée pertinente : l'Australieaurait dû consulter le

Portugal avantde conclure le traité avec l'Indonésie (CR 95/12, p. 13,

M. GalvZo Teles; voir également CR 95/13, p. 38, Mme Higgins; ibid.,

p. 40, M. Galvao Teles).

Peut-être la proposition la plus irréellede toutes est celle qui est

faite non à l'Australiemais à la Cour. Car l'on vient dire à la Cour

qu'elle ne peut procéder à une délimitation, maisqu'elle doit postuler - 11 -

l'existence d'une ligne de démarcation demanière à conclure qu'il est un

secteur des ressources du Timororiental qu'en vertu du traité,

l'Australieaffirme son droit de «piller%. La Cour décidera cequ'elle

entend faire de ces demandes conflictuelles.

Si la Cour est elle aussi perplexe devantces propositions irréelles

et ineptes du Portugal, alors peut-être pardonnera-t-ellela note

d'irritationqui point dans la réponse de l'Australie.

Lors de notre premiertour de plaidoiries,nous avons expliqué le

dilemme auquell'Australieétait confrontée. Que devait faire

l'Australiedans cette situation extrêmement inhabituelle,créée en

grande partie par l'irresponsabilitédu Portugal - je veux parler du

comportementqui a été celui du Portugal lorsqu'il a abandonné le

territoire en 1975, prgmaturémentet sans essayer sérieusementde

résoudre le conflit interne ?

Ce qu'a fait l'Australieest qu'elle a conclu un arrangement

provisoire qui n'était pas une délimitation,et qui ne visait pas à lier

le Timor orientalsi celui-ci accédait à l'indépendance.

Le fait est quesi.l'Australievoulait commencer à explorer et

exploiter ses ressources, elle n'avait pas vraiment d'autre solution,

étant donné le différend bien réelqui l'opposait à l'Indonésie. Toutes

les autres solutionssuggérées par le Portugal - l'abstention,des

arrangements officieuxne constituantpas un traité, un traité avec le

Portugal - sont, franchement,tout à fait irréalistes. Elles postulent

soit que l'Indonésiepouvait êtredupée, soit que l'Australiepouvait

tout simplement renoncer à ses droits. Monsieur le Président, on ne peut

faire de tels postulats dans le monde réel.

La plaidoirie du Portugal a été marquée par une autre particularité

qui appelle des observations. Le Portugal voudrait faireaccroire à la - 12 -

Cour que c'est par altruisme qu'il intente la présente action. Sonseul

intérêt, dit-il, est le peupledu Timor oriental. Néanmoins, l'altruisme

du Portugal sembleinversementproportionnel à la distance qui sépare un

peuple de ce pays. Il adopte une norme ence qui concerne le Sahara
7
occidental, dont je reparlerai bientôt, mais il attend de l'Australie

qu'elle adopte une norme tout à fait différente en cequi concerne un

peuple éloignédu Portugal - un territoire où le Portugal n'a aucun

intérêt économiquepropre en jeu. A l'évidence,le Portugal faitdeux

poids deux mesures.

En dernière analyse, on voit mal où précisément, pour le Portugal,

passe la limite entre légalitéet illégalité. Ayant dit que le seul

problème qui se pose est celui de savoir dans quelle mesure un Etat peut

tenir compte d'une effectivité seule, et dans quelle mesureil ne peut le

faire (CR 95/12, p. 13, M. GalvZo Teles), le Portugal ne cherche pas à

définir cette mesure. M. Dupuy dit une chose; Mme Higgins en dit une

autre. Le Portugalse contente d'identifierun certain nombre de

facteurs qui, combinés, établissent une différence entre la conduite de

l'Australieet les précédents surlesquels cettedernière fait fond, y

compris la propreconduite du Portugal par rapportau Sahara occidental.

En affinant sa théorie de cette manière pour faire une distinction entre

tous les précédents, le Portugal ne faitqu'adapterun principe du droit

international pourqu'il soit applicable à la conduite spécifique de

l'Australie.

Un autre trait marquantest le silence du Portugal en réponse à

certaines questionsposées par l'Australieet certains arguments

juridiquesmajeurs de celle-ci.

Et nous notons qu'absolumentaucune informationn'a été fournie à la

Cour quant à l'aide et l'assistancehumanitaire qu'aurait fournies le - 13 -

Portugal au Timor oriental, en dépit de l'invitationadressée par

l'Australieau Portugal pour qu'il fournisse de tels renseignements à la

Cour (CR 95/7, p. 31, M. Tate). Pour le Portugal, l'invocationd'un

principe et d'un statut devant la Cour est plus importante que

l'assistanceet l'appui effectifs à un peuple avec lequel il revendique

des liens fraternels depuis plus de quatre siècles. En 1975, ces quatre

cents ans de fraternité (CR 95/2, p. 46) n'avaient produit aucune

infrastructure civiliséeet seulement treize kilomètres de route

nl g goudronnée,un taux d'analphabétisme de 90 pour cent et moins de 10 pour
C

cent de diplômés de l'enseignement supérieur.Apparemment, le Portugal

n'a depuis lors fourni aucune assistance financière significative.

Certaines chosesne changent jamais. Par contraste, comme l'a exposé M.

Tate (CR 95/7, p. 29-30), l'Australiea fourni une assistance financière

et humanitaire importanteau Timor oriental.

Ce silence du Portugal a aussi marqué ledeuxième tour de ses exposés

oraux. Le Portugal était certessoumis à des contraintes de temps, mais

on aurait pu s'attendre à ce qu'il réponde à l'analyse de l'Australieen

ce qui concerne,par exemple, le statut d'une puissance administrante,

présentée parM. Staker, ou l'exercice par l'Australiede ses propres

droits sur ses resssourcesnaturelles,présentée par M. Pellet et

M. Bowett. Au lieu de cela, le Portugal changede sujet. Il laisse, par

son silence, nombre des arguments de l'Australiesans réponse.

Le Portugal n'explique pas si c'est parce qu'il accepte ces

arguments, ou si c'est parce qu'ayant modifié sa propreargumentaiton,il

considère qu'ils ne sont plus pertinents. La Cour devra tirer ses

propres conclusions.

Quelles que soient lesraisons qui ont amené le Portugal à intenter

la présente action - et, à cet égard, on ne peut que spéculer -, une - 14 -

chose est absolument certaine : c'est, tout simplement,que le Portugal

tente de persuader laCour de rendre une décision dontil sait, et dont

l'Australie sait (et dont la Courdoit se rendre compte), qu'aucunautre

organe de l'Organisationdes Nations Uniesne souhaite la prendre. On

peut dire avec une certitude absolueque si le Portugal devait soumettre

le traité de 1989 à l'un quelconque des organes politiques de

l'organisationdes Nations Unies - le Comité des Vingt-Quatre,

l'Assembléegénérale ou le Conseil de sécurité, peu importe -, aucun

d'entre eux ne censurerait l'Australieau motif qu'elle aurait violé le

droit à l'autodéterminationen concluant ce traité. Il n'y a pas là de
11 911
«donnée».

La stratégie délibérée duPortugal consiste à utiliser la Cour pour

prononcer à l'encontrede l'Australieune condamnationdont il sait

qu'aucun organe de l'organisation des NationsUnies ne la prononcerait.

Ce que le Portugala l'intentionde faire avec un tel arrêt, s'il

l'obtient,est une question intéressante. Les chances d'influencer

l'Indonésie sont, on peut le supposer, nulles. L'exécution d'un tel

arrêt par l'Australienon seulement raviveraitle différend entre

l'Australieet l'Indonésie,mais encouragerait aussicette dernière à

exploiter unilatéralementles zones qui, en vertu du traité, relèvent de

l'autorité conjointe des deux pays.

L'Australie soupçonne le Portugal d'avoir un autre objectif, à savoir

celui d'utiliser un tel arrêt dans le cadredes organes politiques de

l'organisationdes Nations Unies. Il le leur brandiraau visage comme un

blâme, comme censurant l'indifférencedont ils ont fait preuve ces

quelque quinze dernières années. Produira-t-ildes effets pratiques

autres que de pénaliserl'Australie ? Le résultat que l'on peut prédire - 15 -

avec une certitude absolue est qu'il n'aidera pas du tout le peuple du

Timor oriental.

Monsieur le Président,Messieurs de la Cour,llAustralierépondra à

l'argumentationdu Portugal comme suit :

M. Bowett examinerales résolutions du Conseil de sécurité et de

llAssernblée générale, ainsi que le traité.

M. Burmester traitera de la qualité pour agir et du statut de

puissance administrante.

M. Crawford examinera alors les questions de reconnaissance et

d'autodétermination.

M. Pellet s'occupera ensuite des questions de responsabilité,et

examinera le principe de l'Or monétaire.

M. Crawford reviendra pour examiner lesquestions d'opportunité

judiciaire, et en particulier celleque soulève l'affaire du Cameroun

septentrional.

Je ferai ensuite mon résumé et donnerai lecture des conclusions

finales de l'Australie.

Monsieur le Président, je vous serais obligé de donner maintenant

la parole à M. Bowett.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Griffith. Je donne la parole à

M. Bowett.

M. BOWETT : Je vous remercie, Monsieur le Président.

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, tant que je n'avais pas

entendu la réponse du Portugal, je ne me rendais pas compte combien

l'Australie s'était montrée lassante dans cetteaffaire.

L'Australie est «négative» (CR 95/13, p. 9) : cela signifie que nous

ne cessons de dire «non» aux arguments du Portugal. - 16 -

L'Australie est obsédée par les esanctionsw (CR 95/13, p. 8, 34) :

cela signifie que nousne cessons de rappeler avecinsistance que

l'Australie,elle aussi, a des droits, et que l'Australie ne saurait en

être privée par de simples inférences tirées des résolutiond se

l'organisationdes Nations Unies. Pour arriver à ce résultat, il

faudrait que le Conseil de sécurité adopte des sanctionscontre

l'Australieen vertu du chapitre VI1 de la Charte des Nations Unies.

Le Portugal a demandé instamment à la Cour de situer la présente

affaire dans une étrange perspective. A l'entendre,seul le Portugalet

le peuple du Timor orientalont des droits : l'Australien'a que des

devoirs. Je ne parviens pas à me rappeler une seule déclarationfaite au

nom du Portugal où l'on ait reconnu que llAustraliea des droits autant

que des devoirs, sauf quelques mots en ce sens de M. Dupuy (CR 95/12,

p. 36).

Je suis persuadé que la Courn'adoptera pas cette perspective.

L'Australie est un Etat souverain, dont une côte débouche sur la région

maritime du «Timor Gap». Quels que puissent être les droits du

territoire du Timor oriental, l'Australie a ces droits elle aussi. Le

rp,A
-;L. ! Timor oriental a droit à l'intégritéterritoriale : d'accord, mais

l'Australie y a droit aussi. Le Timor orientala droit à la souveraineté

permanente sur ses ressources naturelles : d'accord, mais il en va de

même pour l'Australie.

La vérité, en l'espèce, c'est donc qu'il y a deux territoiresqui se

font face - 1'Etat souverain d'Australieet le territoire non autonome du

Timor oriental - avec des droits égauxsur leurs ressources en mer, et

que l'un deux, l'Australie,a besoin de s'entendreavec son voisind'en

face pour aller de l'avant dans l'explorationet l'exploitation. - 17 -

L'Australiene pose aucun problème. En revanche le Timor oriental en

pose certainement un, car le Portugal, puissance administrante,est

dépossédé; l'Indonésieexerce maintenantle pouvoir et probablement le

gardera. J'insiste sur ce dernier point, car il fait l'importancedes

résolutions de l'organisation des NationsUnies. La résolution 34/40 de

1'~ssembiéegénérale en date du 21 novembre 1979, ne réaffirmaitplus les

résolutions antérieures. Elle marquait l'annonce d'une attitude

nouvelle, qui ne demandaitplus le retrait indonésien, mais s'en

remettait au Secrétaire généraldu soin de négocier avec le Portugal,

l'Indonésieet le peuple du Timor oriental les modalités dela protection

du droit de ce peuple a l'autodétermination.

A l'organisation aesNations Unies, l'interprétationaustralienne de

la situation, c'était que l'Indonésieétait là pour de bon. La Cour ne

manquera pas de se faire elle-même une opinion sur le point de savoir si

l'Australiea eu raison d'aboutir à cette conclusion,bien qu'il

n'appartiennepas à la Cour de substituer sonpropre jugement politique à

celui d'un Etat Membre.

Il est étrange que ces jugements politiques soient dépourvus de

pertinence pour Mme Higgins. Elle soutient, de façon mécanique

(CR 95/13, p. 22-23), cpe les résolutions antérieuresn'ont pas été

rapportées, qu'elles valent donc encore et qu'une diminution du nombre

dlEtats qui les ont votées est un «phénomène politique» sansportée

juridique. On voudrait que lavie soit aussi simple !

Je le répète, selon l'appréciationpolitique de l'Australie,qui

avait suivide près tout ce qui se passait à l'Organisationdes

Nations Unies, l'Indonésieétait là pour de bon et, soit dit en passant,

beaucoup dlEtats partageaient cetavis. Mme Higgins n'est pas d'accord,

et elle en a le droit. Elle estime quenous sommespeut-être partis pour - 18 -

un effort de longue haleine comme dans le cas dela Namibie, mais qu'en

définitive l'autodéterminationl'emportera (CR 95/13, p. 22).

L'avenir nous le dira, mais à partir de 1979 l'Australieest arrivée

à la conclusion que l'organisationdes Nations Unies n'avait pas la

volonté politiqued'imposer un changement.

Une fois arrivée à cette conclusion,quelle solutionl'Australie

pouvait-elle choisir ? Comme je l'ai dit au cours du premier tour, il y

en avait trois. Premièrement, négocier avec le Portuga l opération

parfaitement vaine. Il semble que même le Portugal reconnaisse

maintenant la futilité de la chose. Pendant laprocédure orale, la Cour

l'aura remarqué, nous n'avons guère entendu parlerde l'allégation

initiale du Portugal, selon laquelle l'Australieétait tenue en droit de

négocier avec lui. Nous pouvons donc écarter cette solution.

Une deuxième solutionconsistait à ne rien faire, et c'est cela qu'en

réalité le Portugal dit maintenant quel'Australieaurait dû faire.

D'après le Portugal, l'abstentionest la solution.

Or, pourquoi l'Australie devrait-elle s'abstenir ? Elle considèrede

bonne foi que lazone qui s'étend jusqulà la fosse de Timor est le

plateau australien. Quelle règle de droit obligeaitl'Australie à

s'abstenir de négocier des accord pratiquesde caractère provisoire,

devant lui permettre d'exercer son droit d'explorer et exploiter ses

ressources ? En réalité, le paragraphe 3 de l'article 83 de la

convention de 1982 conduisait à la conclusion opposée : en cas

d'impossibilité de parvenir à un accord de délimitation,il recommande

que l'Australie cherche quelque arrangementprovisoire. De surcroît,

nous ne parlons pas ici d'abstentiontemporaire. Si l'Indonésieétait là

9 3 3 pour de bon et si 1'Australiene pouvait pas traiter avec1 'Indonésie,

l'«abstention»exigée de l'Australiedevait durer indéfiniment. - 19 -

Nous avons beaucoup entendu parlerdes droits du Timor oriental. Que

dire des droits de l'Australie,ceux d'explorer et exploiter les

ressources de son propre plateau continental ? Ces droits méritentde

compter autantque cew. du Timor oriental. La Cour ne saurait simplement

fermer un oeil et ne voir que les droits d'un côté, le Timor oriental.

Aussi, c'était inévitable, l'Australiea-t-elle fait le seul choix

réaliste et licite, celui de négocieravec l'Indonésie,et est-elle

arrivée de la sorte au traité de 1989.

Qu'y a-t-il à reprendre à ce traité ? Quand on essaye de démêler

l'argumentationdu Portugal, le tableau est obscur et confus.

L'une des deux parties - l'Australie ou l'Indonésie - n'était

peut-être pas habilitée à conclure ce traité ? 11 ne le semble pas. La

qualité dlEtat côtier de l'Australiene fait pas de doute et le Portugal

déclare que la qualitéde l'Indonésien'est pas litigieuse en l'espèce,

bien que, logiquement,si le Portugal revendiquele droit exclusifde

représenter le territoire pourun traité de ce genre, cela doit signifier

que le Portugal déniea l'Indonésiela capacité requise pource faire.

Y a-t-il quelque chosed'illicite dans les dispositions, la teneur

même du traité ? D'apirèsle Portugal, il semblerait queoui. Le thème

récurrent du «pillage»,qui revient dans les plaidoiries du Portugal, ne

peut signifier qu'une seule chose : le Portugal considère le traité comme

un moyen de voler les ressourcesdu Timor oriental, contrairementau

droit du peuple de celui-ci à exercer sa souverainetépermanente sur ses

ressources naturelles. Tel est l'essentielde la réclamation du

Portugal. Cela pose des problèmesde toutes sortes.

En tout premier lieu, comment le Portugal peut-il compter que la Cour

acceptera ce point de vue, si la Cour ne peutpas tracer elle-même la

délimitationdu plateau continental ? Comment peut-on juger que les - 20 -

ressources d'une partie quelconquede la zone de coopération

appartiennentau Timor oriental s'il n'y a pas de délimitationet si la
. 324

Cour ne peut en établir aucune ?

Deuxièmement, comment la Cour peut-elle faire droit à cette

contestation du traité fondée sur unerègle de jus cogens sans juger que

le traité est nul ? Et si elle statue en ce sens, expressémentou

tacitement, commentpeut-elle le faire sans entendrel'Indonésie,l'une

des parties au traité ?

Troisièmement, si la Cour devait accepter l'argumentationdu

Portugal, quels moyens proposerait-ellepour assurer le respect et

l'exercice du droit de l'Australied'explorer et exploiter les ressources

de son plateau ?

L'Australie a l'impression que le Portugal place la Cour dans une

situation impossible. De plus, si la Cour doitdéclarer nul ce traité

- et malgré ses dénégations,c'est en réalité cela que le Portugal

demande à la Cour de faire - où s'arrêtera ce processus de révision ?

Jamais auparavantla Cour n'a réduit à néant un accord de délimitation,

ni un accord de coopérationpour une explorationet une exploitation

conjointes, tel que celui dont il s'agit. La Cour a toujours laissé aux

Etats côtiers l'entière liberté de déterminer «l'équité»de la situation.

Si la Cour conteste «l'équité>> du traité de 1989 au motif qu'il permet à

l'une des parties, l'Australie,de «piller» des ressourcesqui ne lui

appartiennentpas, la Cour ne lepeut, semble-t-il,que pour l'un des

motifs suivants :

1. il existe une lignede délimitation,sous-entenduedans le

raisonnement de la Cour, qui ne coïncide pas avec ladivision des

ressources convenueentre les parties, ou - 21 -

2. l'Indonésien'a pas la capacitérequise pour consentir un tel

traité au nom du peuple du Timor oriental.

De ces deux motifs, le second est impossible. Le Portugal ne

l'invoquepas actuellementet la Cour ne peut pas statuer sur la capacité

de l'Indonésie sans que celle-ci soit partie à l'instance. Il ne nous

9 (7 K reste donc que le premier. Or, ce premier motif est sans précédent. Il
'1L J

n'est pas du tout fonction du statut du Timor oriental commeterritoire

non autonome : c'est un moyen de contestationqui pourrait s'appliquer à

n'importe quel traité de délimitation.

Je vais anticiper l'objectionselon laquelle, quand deux Etats

côtiers concluentun traité - qu'il s'agisse d'un accord de délimitation

ou d'un accord de coopérationpour une mise en valeur conjointe - ils

donnent l'un et l'autre leur consentementet cela exclut toute

contestation ultérieurepar l'un ou l'autre. Mon «scénario» est donc

irréel.

Pourquoi le présent traitéest-il différent ? L'Indonésie et

l'Australieont donné 1,eurconsentement. Le Portugal, sans doute,

répondra que l'Indonésiene pouvait pas donner son consentementau nom du

Timor oriental. Cela, bien entendu, révèle le fond véritable de la

réclamation du Portugal. C'est une réclamation contre l'Indonésie,et

elle consiste à dire que l'Indonésien'avait pas la capacité requisepour

représenter le territoiredu Timor orientalet qu'elle a en lloccurrence

cédé à l'Australie,de façon illicite, des ressources appartenantau

Timor orientai.

Dans tout ce que jlai dit jusqu'ici les résolutions adoptéespar

l'Organisationdes Nations Uniesn'ont tenu que trèspeu de place. Leur

importance tient à ce qu'elles annoncent clairement, à partir de 1979,

que l'Organisationdes Nations Uniesn'allait pas expulser l'Indonésiedu - 22 -

territoire du Timor oriental :c'était à l'Australiede s'adapter à cet

état de choses.

Lundi, l'Australiea été fortement critiquéepar Mme Higgins pour

n'avoir pas accepté «les effets déterminatifs» (CR 95/13, p. 14) des

résolutions de l'ONU. La critique est hors de propos, et elle est

inexacte. L'Australie admet que le Portugal a été désigné comme

puissance administrante. L'Australie admet que le Timor orientalest un

territoire non autonome relevantdu chapitre XI de la Charte. Nous

acceptons les effets de ces déterminations.

926 Ce qu'il s'agit de définir, c'est l'effetde ces déterminationspour

l'Australie. Signifient-elles,nécessairement,que le Portugal possède

le pouvoir exclusif de conclure des traités, ou qu'il a qualité pour agir

en la présente instance ? Signifient-ellesqu'aucun traité ne peut être

conclu avec l'Indonésie ? Voilà les questionsqui se posent et il est de

fait que les résolutions,pour décisoiresqu'elles puissent être, n'y

apportent pas de réponse. Cela est vrai, que l'on cherche des décisions

obligatoires ou des recommandations.

Voilà pourquoiMme Higgins doit se fonder surde simples inférences.

Les résolutions,dit-elle, confirment le statutdu Portugal «avec toutes

les implications que cela comporte pour la recevabilité» (CR 95/13,

p. 14); elles confirmentles titres du peuple du Timor oriental «avec

toutes leurs implicationsquant au fond» (CR 95/13, p. 15). L'ennui,

c'est que les propositionsdu Portugal dépendentde ces «implicationsset

non des termes des résolutionsmêmes. L'Australiepeut accepterl'effet

décisoire de résolutions, clairement formulé. Elle ne saurait accepter

ces «implications»,que le Portugal tented'inférer des résolutions.

Il ressort avec clarté, des plaidoiries du Portugal, que celui-ci

n'allègue pas maintenant que lesdites résolutionsont imposé à - 23 -

l'Australieune obligat.ion directe ou expresse de ne pas traiter avec

l'Indonésie. Les obligations susceptiblesd'incomber à l'Australie ne

sont ni plus, ni moins, que les obligations qui résultent pour tous les

Etats de :

a) la position arrêtée,. ou la udonnéew, selon laquellele Portugal est la

puissance administrante;

b) la position arrêtée selon laquellele territoire du Timor oriental

reste un territoire non autonome;

c) la position arrêtéeselon laquelle son peuple a droit à se déterminer

librement.

La question est de savoir quelles obligations résultent deces

décisions. Une fois encore, il s'agit d'obligationsqui incombent à tous

les Etats et non à l'Australie seulement.

L'idée que tous les Etats sonttenus, de façon générale, de traiter

avec le seul Portugalet non avec l'Indonésieparaît avoir été

abandonnée. Mis en présence du fait qu'une trentaine dqEtats, ou plus,

ont conclu avec l'Indonésiedes traités manifestementapplicables au

Timor oriental, le Portugal réponden disant

«Ah, mais il s'agit là d'autre chose : ces traités n'ont aucune
incidence sur les ressources nonrenouvelables du Timor oriental
et n'entrent donc pas en conflit avec lasouverainetépermanente
du peuple timorais sur ses ressources naturelles.»

Selon les termes de Mme Higgins, ces traités n'ont rien à voir «avec les

ressources naturelles duTimor oriental» (CR 95/13, p. 26).

Ainsi, quand on conclut des traités avecl'Indonésie,on n'encourt

parfois aucun reproche. Le Portugal n'invoque plus de droit exclusifde

conclure les traités en général, il parle seulement des traités qui

touchent aux ressourcesnon renouvelables. Selonles termes de

M. Correia, le droit du Portugal de conclure des traités, son monopole du - 24 -

jus tractuum, n'existe que asur des questions qui se rapportent

directement à des ressources naturelles importantes et non renouvelables

et à l'intégrité territoriale, (CR 95/12, p. 73).

Les conséquences de cette restriction sont claires.

Premièrement, cette aobligationde traiter avec le Portugal à

l'exclusionde tout autre Etat» ne lie en pratique que luAustralie. En

effet, aucun autre Etat ne peut être dans le cas de négocier

l'exploitationdes ressources naturelles non renouvelables. Seule

l'Australie,semble-t-il,en tant qulEtat côtier faisant face, se trouve

dans cette situation.

Deuxi&ement, étant donné quuun traité avec le Portugal serait

dépourvu de tout objet, cela signifie que l'Australiedoit s'abstenir.

Comme je l'ai déjà dit, il importe de saisir l'essence de l'argumentation

du Portugal. Les droits du Timor oriental priment tout :les droits de

l'Australiesont vides de sens. L'Australie doit s'abstenir.

En pratique, cela signifie que, tant que le territoire restenon

autonome, et cela peut durervingt, cinquante, ou deux centans,

l'Australiedoit s'abstenir. Elle doit se passer de traité et ses

propres droits souverainsne peuvent êtreni exercés, ni protégés.

Le Portugal hésite à présenter la situation en des termes aussi crus.

Il attaque plutôt le traitédont il s'agit à cause de ses clauses, ou de

sa teneur. On nous dit que le traité enfreintle statut et

l'inviolabilitédu territoire; et, ensuite, qu'il porte atteinte au droit

à l'autodéterminationdu peuple du Timor oriental, ainsi qu'à son

corollaire, le droit à la souveraineté permanente surles ressources

naturelles. Ce n'est pas tant que cette atteinteaffecte telle ou telle

disposition concernantl'Australie,qu'elle enfreint les décisions,ou

«données» contenues dans les résolutions. - 25 -

Prenons cette première allégation. Letraité viole-t-il vraiment le

statut du territoire en tant que territoire nonautonome, ou viole-t-il

son intégrité territoriale ? Permettez-moiquelques observations.

Premièrement, on ne saurait dire que, parce que le territoire est non

autonome, aucun traité ne peut être conclupour régir l'exploitationde

ses ressourcesoff-shore. Il est courantque des Etats concluent des

traités de cette naturepour les territoiresplacés sous leur dépendance.

Deuxi&nement, ce traité identifie en fait très clairementles droits

propres au Timor oriental. Grâce aux délimitations de 1971 et 1972 de

part et d'autre, on peut différencier exactement la zone sur laquelle le

Timor oriental a des revendications,bien que celles-ci se traduisent en

droits de participer auxbénéfices d'exploitation. Si le traite

amalgamait simplement cette zoneoff-shore à celle de l'Indonésie,de

sorte qu'il ne soit pas possible de distinguer l'aire relevant des droits

des Timorais de celle qui appartient à l'Indonésieelle-même, la

situation pourraitêtre différente. Mais en l'occurrence,
929

l'identificationne pose aucun problème.

C'est pourquoi les craintes exprimées par mon bonami, M. Dupuy,

sont, si je puis me permettre, hors de propos. 11 s'inquiète de ce que

le traité de 1989 ne soit pas spécifiqueet fasse disparaître l'identité

distincte du peuple et du territoire du Timor oriental (CR 95/12, p. 34)

Mais en fait, en raison du «Gap» et parce qu'il est si bien défini, il

n'y a aucune difficulté à identifier la zone correspondant à la côte du

Timor oriental. En fait, le traité lui-même, dans son préambule, définit

le secteur du plateau comme situé entre l'Australie septentrionaleet le

Timor oriental. Une identification future est donc assez simple.

Troisièmement, l'allégation selon laquellel'Australieaurait commis

une infraction ou une violation n'a été faite que par lePortugal. Aucun - 26 -

organe de l'organisationdes Nations Unies, aucun autre Etat Membre, ni

même le Secrétaire général n'ont jamais formulé pareille allégation -

alors même que la responsabilité première de protéger les intérêts de la

population de territoiresnon autonomes incombe à l'Assembléegénérale.

Passons maintenant à la seconde allégation, à savoir que le traité

viole le droit du peuple du Timor oriental à disposer de lui-même, parce

qu'il aliène ses ressources,contrairement à son droit de souveraineté

permanente à l'égard de ressources naturelles. C'est l'allégationde

«pillage». C'est ce qui différencie ce traité, apparemment,de ceux qui

portent sur la protection des investissements,ou le transport aérien, ou

la double imposition, ou même, nous dit-on, des accords conclusentre la

Communauté européenneet le Maroc sur la pêche au large des côtes du

Sahara occidental. Ce n'est donc pas le fait que lesressources aliénées

appartenaient à un territoirenon autonome comme le Sahara occidental.

Ce qui est odieux dans ce traité, ciest quril envisage l'aliénationde
- 3 0
ressources non renouvelablesappartenant au Timor oriental. Le pétrole

est différent du poisson !

Eh bien, Monsieur le Président, cette argumentation appelle un

certain nombre de commentaires.

Premièrement, le grief initial était quel'Australieavait concluun

traité avec l'Indonésie,et non avec le Portugal. Il doit être clair

désormais que legrief réel est différent. En effet, que d'autres Etats

concluent des traités avec l'Indonésie,et concernant leTimor oriental,

cela ne semble pas condamnable.

Deuxièmement, il n'est pas possible que le Portugal se fonde

seulement sur le droit à la souverainetépermanente à l'égard de

ressources naturelles. Les poissons au large des côtes du Sahara

occidental sont des ressources naturelles. Il faut que les ressources - 27 -

soient non renouvelablespour que le principe s'applique : c'est donc un

principe nouveau, inventé pour l'occasion,et ne visant que l'Australie,

mais non, bien entendu, le Portugal.

Troisièmement, commentpeut-on supposer que les ressources

appartiennentau Timor oriental plutôt qu'à l'Australie ?

Ce dernier point mériteun examen plus serré. Je l'ai dit, une telle

décision présumeune délimitation implicite dela part de la Cour.

Puis se pose un autre problème. Si la Cour conclut, comme le

Portugal le lui demande, que le traité de 1989 viole le droit du peuple à

l'autodétermination - ou à la souveraineté à l'égard des ressources

naturelles - cela revient à dire :

a) que le traité de 1989 n'est pas un arrangementprovisoire valableau

sens du paragraphe 3 de l'article 83 de la convention de 1982 sur le

droit de la mer; et

b) que non seulement l'Australie,mais aussi l'Indonésie,a violé une

norme de jus cogens en concluant ce traité.

Conclure que ltAust:ralie a illicitementpris les ressources du Timor

oriental c'est conclure que l'Indonésieles a illicitementcédées.

Il y aurait ensuite une autreconclusion, à savoir :

C) que tant que le Timor oriental n'aura pas accédé à l'indépendance,

l'Australien'a aucun espoir de conclure un accord sur l'exploitation

des ressources off-shore dans le secteur du Timor Gap. Les droits

souverains de l'Australiedoivent resteren suspens pour une période

indéfinie.

Et enfin, derrière l'arrêt se trouverait uneconclusion implicite,

mais que l'arrêt ne pourrait exprimer, à savoir :

d) que la Cour a tracé une ligne théoriquede délimitation. - 28 -

Monsieur le Président, jlen ai terminé. Puis-je vous demander de

bien vouloir appelerM. Burmester à la barre ?

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Bowett. J'appelle M. Burmester à

la barre.

M. BURMESTER :

LA QUALITE DE PUISSANCE ADMINISTRANTE

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.

Le rôle du Portugal à l'égard du Timor orientalest au centre de la

présente procédure. Les deux Parties en conviennent.11 ressort

toutefois du deuxièmetour de plaidoiries, que M. Correiaa consacrées

lundi à cette question, qu'il existe encore à son sujet de grandes

divergences de vues entre le Portugalet l'Australie. Ma tâche

aujourd'hui consiste à clarifier la position de l'Australievis-à-vis de

la qualité du Portugal en tant que puissance administrante - tant au

regard du fond qu'au regard de son intérêt pour agir.

Le Portugal soutient qu'en sa qualité de puissance administrante

désignée du Timor oriental, il a certaines obligationsd'aider le peuple

du Timor oriental à réaliser son autodétermination - il dit avoir pour

«obligation juridique principale, en qualité de puissance administrante,

de défendre le droit du peuple du Timor oriental à l'autodéterminationet

à l'indépendance* (CR 95/12, p. 70-71).

Le Portugal en conclut que cetteobligation va de pair avec les

pouvoirs nécessairespour préserver intactesles ressources naturelles du

territoire «lesquellespourraient assurerla viabilité de l'indépendance

si tel est l'avenir politique que le peuplea choisi» (CR 95/12, p. 71).

Il en conclut aussi qu'il a, soit en vertu de sa qualité objectivede

puissance administrante,soit en vertu de sa position telle qu'elle est - 29 -

définie dans les résolutionsde l'Organisationdes Nations Unies, la

capacité de représenter lepeuple du Timor oriental dans une procédure

judiciaire concernantLa méconnaissanceet la violation, par un Etat

tiers, des droits fondamentaux de ce peuple.

L'Australie réfute chacunede ces conclusions.

Je note en passant que si le Portugal continue de fairevaloir sa

capacité de puissance administrante au plein sens du terme, son

argumentation semblemaintenant être essentiellement centrée sur le titre

de seul Etat ayantl'obligationde défendre et de représenter les

intérêts du peuple du Timor oriental. Sonrôle, à cet égard, est «d'une

importance centrale» (ibid., p. 47); il constitue le «cordon ombilical»

qui attache le Timor oriental à la communauté internationale (ibid.,

p. 53).

Pourtant, si l'on en croit M. Dupuy, le Portugal lui-même n'a aucune

visée sur les ressourcespétrolières du Timor Gap (CR 95/13, p. 73); il

ne s'intéresse - comme son agent l'a précisé - qu'au peuple du Timor

oriental (ibid., p. 741 .

Cependant, le Portugal continued'affirmer qu'il a des droits propres

de puissance administrantequi l'autorisent à engager une procédure

judiciaire au sujet des ressources du territoire. Il n'en est, de toute

évidence, rien. Comme je l'ai indiqué à la Cour l'autre jour, le

Portugal ne possède aucune capacité en tant qu1Etat côtier de négocieret

de conclure un traitérelatif aux ressourcesnaturelles du Timor

oriental. Rien de ce qu'affirme le Portugal, n'infirme cette conclusion.

Tout ce qu'il fait valoir, c'est sa qualité présumée de puissance

administrante -qualité qui à l'évidencen'équivaut pas à celle d'un Etat

souverain sur une partie de son territoire. - 30 -

Je vais maintenant examiner les argumentations du Portugal quant à sa

qualité de puissance administrante, y compris son droit de représenterle

peuple du Timor oriental. Si vous le voulez bien, je traiterai d'abord

deux questions préliminaires.

a) La relation entre les chapitres XI et XII de la Charte

Le Portugal soutientqu'il n'y a entre les territoiresrelevant du

chapitre XI et les territoires soustutelle relevantdu chapitre XII de

la Charte aucune différencequi tire à conséquence (CR 95/12, p. 54-56).

Mais il cite seulement des sources qui établissent que le droit à

l'autodéterminationest le même pour lesdeux types de territoires.

Soit. Toutefois cette proposition n'autorise absolument pas à mettre sur

un pied d'égalité les pouvoirs et droits d'une autorité chargée de

l'administrationen vertu d'un accord de tutelle conclu au titre du

chapitre XII et les pouvoirs d'une puissance administrante,qualité qui

n'est définie nulle part.dans la Charte ni dans aucun accord

juridiquement contraignant. Pour les raisons déjà indiquées par

l'Australie,on ne sauraitprésenter les pouvoirs des deux Etats comme

équivalents. Le chapitreXI prévoit une déclarationunilatérale faite

par chaque Etat Membre - il ne confère pas de qualité par la voie d'un

contrat tel que l'accord prévu au chapitre XII : l'éminent juriste

2-34 internationalque le Portugal invoque reconnaît cette distinction
,-.-

(Bedjaoui,<Commentairede l'article 73» dans Cot/Pellet, la Charte des

Nations Unies, 2'Gd., 1991, p. 1072) .

Plus particulièrement,on est surpris de constater queMme Higgins

suppose manifestementque l'Assembléegénérale peut, par une simple

majorité, priver une puissance administrante de son autorité surun

territoire, de la même manièrequ'elle peut priver de l'exercice de la

tutelle une autorité chargée de l'administrationd'un territoire placé - 31 -

sous ce régime (CR 95/13, p. 11). C'est là, selon moi, la seule

interprétation possible desa déclaration selon laquelle l'Organisation

des Nations Unies, si elle avait eu l'intention de priverle Portugalde

ça qualité de puissance administrante «aurait engagé les procéduresde

l'organisation pour ce fairew. En fait, comme M. Staker l'a clairement

montré, l'organisationdes Nations Unies ne s'est jamais arrogé le

pouvoir de mettre fin au droit d'un Etat d'exercer son autorité sur un

territoire relevantdu chapitreXI (CR 95/10, p. 59-60). Ni même au

regard du Portugal d'avant 1974.

L'Assembléegénérale peut exiger d'une puissance administrante

qu'elle adopte certainesmesures - elle ne saurait toutefoislui retirer,

ou lui conférer, une autorité gouvernementaleou territorialedécoulant

du droit internationalgénéral. Le Portugal ne possède évidemment ni

l'une ni l'autre à l'égard du Timor oriental.

b) L'analogie avec les pouvoirs des organisations internationales

Le Portugal cherche à établir une analogie avec le pouvoir présumé

d'une organisation internationaled'intenter des actions internationales

lorsque l'exercice de ses fonctions le requiert, et il affirme qu'il faut

présumer qu'une puissance administranteest investied'un pouvoir

analogue d'intenter une action pour protéger lespopulations d'un

territoire dont elle est responsable (CR 95/12, p. 73-74). Mais cette

analogie est fausse. Une puissance administranten'est pas une personne

artificielle. Comme Etat, elle a des droits propres et la capacité de

les défendre, notamment en intentant une action judiciaire. Dès lors

qu'elle cherche à défendre non ses droits propres, mais les droits d'un

peuple à l'autodétermination,sa capacité d'intenterune action dépend du

point de savoir si elle est en fait le représentantautorisé et effectif - 32 -

de ce peuple, habilité à défendre ces droits particuliers. Il n'y a pas

lieu de recourir à des pouvoirs implicites - la question est de savoir

si, dans un cas donné, la puissance administrante possèdela qualité

nécessaire. L'Australie affirme qu'en ce qui concerne les ressourcesdu

Timor oriental, le Portugal n'a ni capacitépropre, ni aucune qualité de

représentation. Lepeuple timorais l'avait récusé en tant que

représentant,avant décembre 1975, et la sentence arbitrale, rendue en

l'affaire Guinée-Bissau c. Sénégal, confirme qu'il ne saurait dans ces

conditions représenter le peupledu Timor oriental en matière de

ressources maritimes. Les conclusions dégagées dans cetteaffaire

interdisent absolument depenser qu'un Etat peut, en vertu seulement de

sa qualité de puissance administrante,représenter le territoire en

général. Lundi dernier, le Portugaln'a absolument pas fait mention de

cette décision.

Les résolutions de l'organisationdes Nations Unies

Dans sa réplique à l'analyse faite par l'Australie,du rôle du

Portugal, tel qu'il ressort des résolutionsde l'Organisationdes

Nations Unies, le Portugal cherche à attribuer une importance énorme au

fait qu'il est dénommé la puissance administrante (The Administering

Power) dans plusieurs de ces résolutions. La question qu'il faut poser

est la suivante :pourquoi l'organisationdes Nations Unies mentionne-t-

elle le Portugal comme étantla puissance administrante, bienqu'il

n'exerce aucun contrôleeffectif sur le territoire ?

Le Portugal apporte une seule réponse(CR 95/12, p. 57), à savoir

qu'cil y avait intérêts pour l'Organisationdes Nations Unies de

conserver au Portugal ces obligations,pouvoirs et droits qui pouvaient

«être exercés utilement»même dans une situation où le Portugaln'a plus - 33 -

aucun contrôle effectif. LePortugal semble considérerque la qualité de

puissance administrante est directement liée à celle de xpartie
9 \d6
-
intéressée~au sens des résolutions. Si le Portugal estune partie

intéressée,affirme-t-il,c'est uniquement en raison del'xobligation

historique» qu'il a contractée envers le peupledu Timor oriental, et des

obligations, pouvoirset droits de puissance administrantequi sont les

siens et qu'il demeure tenu d'exercer (ibid.,p. 67).

Mais il est possible d'apporter d'autres réponses, tout aussi

valables, à la question de savoir pourquoi le Portugal est dénommé

puissance administrante.

Par exemple, il peut s'agir d'un simple rappel d'un fait historique;

cela explique pourquoi le Portugala continué d'être une partie

intéressée au règlement. de la question, malgré sa disparition totale de

la scène. Cela ne laisse aucunement entendre que lePortugal a capacité

de conclure des traités au regarddu territoire.

De plus, quoi que dise le Portugal, il est tout aussi plausible que

la qualificationde «puissanceadministrante»n'implique absolument pas

que le Portugal ait les pouvoirs et les droits de jouer un rôle

primordial et actif dans la protection des droits souverains du Timor

oriental. Une telle interprétationest étayée par une lecture de

l'ensembledes résolutions. Elle est égalementconfirmée par un examen

du cas de la Rhodésie du Sud, sur lequel le Portugaltente de se fonder.

Alors, le Royaume-Uni,puissance administrantedésignée, n'était

aucunement présentsur le territoire - comme ici le Portugal. Mais

l'analogie s'arrête là. Dans le cas de la Rhodésie du Sud, le Conseil de

sécurité et l'Assembléegénérale ont souligné à maintes reprises

l'illégalitédu régime minoritaire. Ils ont adopté des sanctions

contraignantes. L'Assembléegénérale a expressément demandé à la - 34 -

puissance administranted'assumer un certain nombre de tâches (voir

appendice A au contre-mémoirede l'Australie,p. 162-1841. Le Conseil de

sécurité a expressément prié leRoyaume-Uni d'étouffer la rébellion

(résolution217, (1965) du Conseil de sécurité). Dans sa résolution 328

(1973),le Conseil de sécuritéa déclaré que le Royaume-Uni «en tant que

puissance administrante,a la responsabilité principalede mettre un

terme au régime illégal de la minorité raciste, et a demandé au

Gouvernement du Royaume-Uni de prendre toutesmesures efficaces pour

réaliser les conditions propres à permettre au peuple du Zimbabwe

d'exercer librement et pleinement son droit à l'autodéterminationet à

l'indépendance (voir contre-mémoirede l'Australie,par. 250-2511.

La puissance administrante absentea été reconnue comme étant le

principal Etat concerné et a été expressément chargéed'entreprendre

certaines tâches particulières. Ici, aucune directive en ce sens n'a été

donnée. Alors, il s'agissait évidemment d'une rébellion interne - telle

était aussi la situation au Timor oriental avantdécembre 1975. Ce

n'est manifestementpas dans ce contexte que l'ONU examine la question

depuis lors. On ne saurait l'oublier, lorsqu'on considère le rôle du

Portugal dans l'exercice des fonctionsqu'il pourrait avoiren tant que

puissance administrante. Ici, la situation ressemble davantage à celle

du Sahara occidental. Dansce cas les résolutionsde l'Organisationdes

Nations Unies se réfèrent habituellement aux deuxparties - le Maroc et

le Front populaire de libération. Elles ne mentionnent aucunement la

puissance administrante : l'Espagne a renoncé à ce rôle en tant que

telle, bien qu'elle continue de figurer parmi lespuissances

administrantes dansles publications desNations Unies. Si

l'argumentationdu Portugal relative à sa qualité et sa capacité de

puissance administranteétait fondée, l'Espagne conserverait le droit, - 35 -

voire l'obligationd'engager une procédure judiciaire contreles Etats

membres de la Communautéeuropéenne pourle motif qu'ils traitent des

ressources du Maroc !

Qu'il me soit permis de revenirsur les résolutions relativesau

Timor oriental, pour autant qu'elles concernent le rôle du Portugal, afin

de déterminer si elles apportent confirmation de ce rôle principal que le

Portugal revendique dans ladéfense des droits du peuple du Timor

oriental et de ses propres droits de puissance administrante.Les
, .
conseils de l'Australie l'ont déjà analysé (CR 95/7, p. 45-52; CR 95/9,
-'38

p. 11-13), et montré que le Portugaln'a aucun rôle de ce type. Il se

trouve dans une situation qui ne diffère aucunement de celle de

l'Indonésie. Le Portugal réplique qu'il n'en est rien et invoque les

résolutions,et notamment deux caractéristiquesde celles-ci. La

première est le considérant de la résolution 37/30 (1982) aux termes

duquel l'Assembléegénérale a à l'esprit que «le Portugal, puissance

administrante,s'est pleinement et solennellement engagé à soutenir le

droit du peuple du Timor oriental à l'autodétermination».

Mais ce considérantne peut guère conférer des pouvoirsau Portugal.

11 peut tout au plus être interprété commel'expressionde la

satisfaction de l~Assernblée générale devant le faitqu'en 1982 le

Portugal reconnaissaitenfin pleinement son rôle de participant à la

recherche d'une solution selon des modalités qui permettraient de

réaliser l'autodétermination - rôle qui n'envisageaitplus aucun retour

du Portugal dans le territoire. En 1981, l'Assembléegénérale avait

demandé au Portugal, dans le paragraphe 3 du dispositif de sa résolution

36/50, de coopérer avec l'Organisationdes Nations Unies envue de

garantir le plein exercicedu droit à l'autodétermination. L'alinéa du

préambule de la résolution 37/30 (1982), invoqué par le Portugal, prend - 36 -

acte de la réaction du Portugal à cette demande. En ce qui concernele

dispositif de cetterésolution, tout ce que l'Assembléegénérale

envisageait en 1982 était que le Secrétaire général entame des

consultations avec toutes les parties directement intéressées. A la

différence du Royaume-Uni dans le cas de la Rhodésie duSud, le Portugal

n'était pas prié de prendre des mesures lui-même. Un recours au

dictionnaire pour déterminer les sens du verbe asoutenirw,employé dans

un alinéa du préambule, emporte difficilementla conviction que les

pouvoirs dont le Portugal affirme qu'ils dérivent et découlent de ce

verbe, existent effectivement.

La deuxième caractéristiqueinvoquée par le Portugal, au regard des

résolutions de l'Organisationdes Nations Unies, est l'existencede

différences notables, dans les résolutionsadoptées par l'Assemblée

générale en 1980 et 1981, entre les références au Portugal et celles

j 7 faites aux autres parties intéressées (CR 95/12, p. 66). L'intérêt du
-..- .-

Portugal est spécifique. Mais en définitive il n'en est ainsi queparce

qu'il est la puissance administrante. Le Portugal invoque égalementla

résolution 384 (1975) du Conseil 6e sécurité et la demande qui y est

adressée au Portugal, en tant que puissanceadministrante,de coopérer

afin de permettre au peuple du Timor orientald'exercer son droit à

l'autodétermination. Le Portugal reconnaît toutefois que cette

résolution ne précise pas quel comportementil devra adopter - il

appartient au Portugal d'en décider (CR 95/12, p. 64). Mais une décision

tendant à adopter un comportementdonné, comme d'intenter une action

judiciaire,ne saurait conférer au Portugal des droits qu'il ne possède

plus.

Monsieur le Président, comme je l'ai longuement indiquél'autre jour,

le Portugal continue de donner une image faussedu rôle que - 37 -

l'Organisationdes Nations Unies entend lui réserver en se présentant

comme protagoniste. Il s'agit là de la puissance administrantequi a

déguerpi aux premiers signes detroubles internes, qui ensuite, pendant

plusieurs années, n'a plus voulu avoir à faire au Timor orientaiet n'a

manifesté un regain d'intérêt quetout récemment. M. Griffith a exposé

l'autre jour les faits à cet égard. Les résolutions de llOrganisation

des Nations Unies entémoignent et ne militent aucunement en faveur de la

thèse du Portugal selon laquelleil a le droit d'engager une action

judiciaire ou une quali.téfaisant obligation à l'Australiede traiter

avec lui au regard des ressourcesdu Timor oriental.

Le Portugal fait valoir que laqualification, dansl'ensemble des

résolutions,des représentants du Timor orientalcomme séparés et

distincts de ceux du Pcirtugalen sa qualité de puissance administrantene

prive pas cetEtat de sa capacité de représenteret de défendre les

intérêts du Timor oriental. Il distingue la représentation politiqueau

sein des organesdes Nations Unies et la «représentation générale du

territoire que le Portugal assume dans le domaine des relations

internationales»ou le droit du Portugal de «représenter le territoiredu

Timor oriental dans le domaine des relations interétatiques»ou «sa

4 rJ capacité généraleen tant qulEtat, membre de la communauté

internationale, de s'acquitterdes obligations qui lui incombent en sa

qualité de puissance administranten (CR 95/12, p. 63).

Le Portugal renonce à sa souveraineté sur le Timor oriental. Maisen

même temps il persiste à affirmer qu'en sa qualité de puissance

administrante,il a une capacité généraled'agir sur le plan

internationalau regard du Timor oriental. Il ne saurait gagner sur les

deux tableaux. En tout état de cause, la capacité qu'il affirme avoir ne

procède à l'évidencepas des résolutionsde l'organisationdes - 38 -

Nations Unies, car celles-ci n'accordentmanifestement pasune telle

capacité. Celle-ci ne peut procéder que de l'existencede quelque

«qualité objective, de puissance administrantequi aurait survécu

intacte, malgré l'abandon d'un territoire et le rejet, par son peuple, de

l'autorité de 1'Etat. Le Portugal l'admet en définitive. Mme Higgins

affirme qu'il faut attribuer à l'expression«puissance administrante»

son «sens normal, (CR 95/13, p. 12; voir également CR 95/12, p. 69).

C'est éluder la question, non y répondre.

Pour l'ensemble des raisons que j'ai déjà indiquées,l'Australie

soutient que la dénomination «puissance administrante»définit les droits

et obligations envers l'organisationdes Nations Unies. Elle ne

détermine en rien les pouvoirset les droits d'un Etat au regard du

territoire destiné à exercer son droit d'autodétermination. Ces pouvoirs

et ces droits ne peuvent être déterminés quepar le droit international

général. S'agissant du Timor oriental, le Portugal ne peut invoquer

aucun élément à l'appui du maintien des pouvoirsqu'il détiendrait s'il

exerçait un contrôle effectif ou s'il avait été chargé d'accomplir

certaines tâches, comme le Royaume-Uni dans le cas de la Rhodésie du Sud.

Le Portugal voudrait faireaccroire à la Cour que s'il ne saurait parler

au nom du peuple lorsqulil s'agit de négociationsportant sur les

modalités et la date de l'exercicede son droit à l'autodétermination,il

peut néanmoins continuerde conclure des traitésau nom de ce peuple, y

compris des traités concernant ses ressources.Voilà ce qui s'appelle

une qualité séparée et distincte ! La puissance administrante
341

Monsieur le Président, comme je l'ai montré, les résolutions de

l'Organisationdes Nations Uniesne sont d'aucun secours au Portugal pour

ce qui concerne ses droits. Il ne lui reste donc qu'un seul argument à

faire valoir à l'appui de sa revendication,et d'une qualité pour agir et

d'une qualité opposable à l'Australie : l'argument selon lequel il existe

une qualité objective de puissance administrante;et M. Staker a fait à

ce sujet un exposé assez détaillédevant la Cour. Dans son deuxième tour

de plaidoiries, le Portugal n'en a guère dit mot. Je sais bien que dans

ce contexte, on ne saurait arguer que «qui ne dit mot consent», mais le

silence indique néanmoins l'absence d'arguments solides opposables aux

conclusions de l'Australie. Tout ce que le Portugal sepropose de faire

c'est de «rester dans le paysage» (CR 95/12, p. 53). Ce faisant, le

Portugal attendprobablement de l'Australiequ'elle en fasse autant, sans

pouvoir exploiter des ressources maritimes qu'elle revendique de longue

date. Telle semble être en tout cas la position de Mme Higgins

(CR 95/13, p. 38). L'Australien'a qu'à s'abstenir.

Quel que puisse être, dans le cadre desorganes des NationsUnies, le

rôle du Portugal au regarddu Timor oriental, affirmer que dans les

activités extérieures à l'organisationles Etats sont juridiquement tenus

de traiter avec tel Etat et non avec un autre parce quel'organisation

qualifie le premierde puissance administranteest tout autre chose. Le

Portugal n'a apporté aucune justification à l'appui de sa thèse. Le fait

est simplement que rien, dans les résolutionsdu Conseil de sécurité et

de l'Assembléegénérale relatives au Timor oriental, n'indiqueque tous

les Etats doivent traiter exclusivemena tvec le Portugal ou que le

Portugal a le droit et la capacité exclusifs de traiter avec d'autres

Etats au regarddu Timor oriental. Le Portugal ne saurait se contenter - 40 -

d'affirmer qu'il faut attribuer à l'expression apuissance administrante»

son sens anormal* sans démontrer quelest son sens normal. Le Portugal

ne saurait affirmer que l'Australie cherche à contester que l'Assemblée

générale reconnaîtle Portugal comme puissance administrante investie des

droits et responsabilitésanormaux* prévusau chapitre XI, sans démontrer

quels sont les droits et responsabilitésd'une puissance administranteen

vertu de ce chapitre. Comme je l'ai indiqué, ils ne sont à l'évidence

pas les mêmes que ceux del'autorité chargée de l'administration dansle

cadre du régime de tutelle prévuau chapitre XII.

Réduite à son minimum, la revendicationpar le Portugal du droit de

représenter le peuple du Timor orientalet de celui d'engager la présente

procédure devient protestation : «et qui d'autre que nous ?», et

insinuations : laisser le Portugal sans recours équivaudrait à l'empêcher

de s'acquitter de ses obligations de protéger le peupledu Timor

oriental. Le Portugal présume simplement que l'autodéterminationne

saurait en quelque sortese réaliser s'il n'y joue pas le rôle principal.

Il se présente lui-même comme étant l'«élémentessentiel» (CR 95/3,

p. 72), un «instrumentprivilégié», entretenant une«relation

symbiotique* avec le peuple du Timor oriental pourréaliser ses droits

(CR 95/3, p. 70). En conséquence,toute atteinte à la qualité du

Portugal estassimilée à une atteinte au droit du peuple du Timor

oriental à l'autodétermination (CR 95/4, p. 53). Toutefois,

l'autodéterminationn'est pas fonction de l'existence d'une puissance

administrante jouant un tel rôle. L'Organisationdes Nations Unies peut

faire avancer le processus d'autodéterminationsans aucune intervention

de la puissance administrante,comme en témoigne le cas du Sahara

occidental depuis 1975. Et l'Organisationdes Nations Unies peut adopter

des mesures effectives, propres à favoriser l'autodétermination même si - 41 -

la puissance administrantes'oppose activement contreces efforts, comme

en témoigne aussi le cas des territoires sous administration portugaise

avant 1974.

L'Organisation des Nations Unies a qualifié le Portugalde «partie

directement intéresséex* mais n'a jamais donné à entendre que le rôle du

Portugal était «d'une importance centrale% ou qu'il était essentiel^.

L'Organisationdes Nations Unieselle-même, en sa qualité de gardienne du

droit relatif à l'autodétermination,dispose à l'évidence des moyens

nécessaires pour intervenir si elle le juge nécessaire pour protéger les

intérêts du peupledu Timor oriental. Rien n'empêche l'Assemblée

générale ou le Conseil de sécurité d'adopter des résolutionsexigeant des

Etats Membres qu'ils prennent des mesuresspécifiques. Le Portugal n'est

pas le seul, ni même le principal, instrument de l'autodéterminationau

Timor oriental.

Comme je l'ai souligné dans mon exposéla semaine dernière, de bonnes

intentions de la part d'une puissance coloniale évincée ne suffisent pas

à lui conférer une qualité. Le Portugal ne sauraitprétendre que les

événements de 1975 ne se sont pas produits et qu'en fait il cherche à

protéger des droits sur des ressources à l'égard desquelles il a un titre

légitime. Ce n'est, à l'évidence,pas le cas. Non plus qu'il n'a aucun

motif fondé de faire grief à l'Australied'avoir manqué de respecter sa

qualité de puissance administrante. Il est une puissance coloniale

évincée. Rien de plus.

Monsieur le Président, j'en arrive ainsiau terme de mon exposé; le

moment pourrait être propice à une pause. - 42 -

Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Burmester. La Cour fera une

pause de quinze minuteset l'audience est suspendue.

L'audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 55.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. J'appelle à la barre M. James

Crawford.

M-CRAWFORD : Monsieur le Président,Messieurs de la Cour

Introduction

1. Dans cette partie de la réplique, je traiterai des arguments

relatifs à l'autodéterminationet à la reconnaissance. Cet exposé ne se

substitue en aucune manière à la longue analyse de ces questions que je

vous ai présentée dans le premier tour de plaidoiries (CR 95/9,

p. 20-68), car la plus grande partie de ce que j'ai dit alors n'a même

pas été mentionnée par le Portugal dansson deuxième tour de plaidoiries.

Je traiterai de quelquespoints spécifiquesavancés par lesconseils du

Portugal, spécialementMM. Dupuy et Correia et Mme Higgins, en saisissant

cette occasionpour récapituler l'argumentationde l'Australie sur ces

questions.

2. Mme Higgins a commencé son analyse en accusantl'Australiede

procéder à une adéconstruction»du droit international;la chose, selon

elle, était décourageante à entendre (CR 95/13, p. 8, 28). Elle voyait

chez l'Australieune conceptiondu droit internationaldans laquelle les

obligations étaient entièrementdépendantes de sanctions(CR 95/13,

p. 81, et elle faisaitsuivre cette assertion de la répétition à

ving-neuf reprises du mot «sanction». C'était une tactiquehabile, car

elle pouvait par un effet de répétition faire naître insidieusement un

faux sentiment d'incertitude à propos de ce qu'est réellement la thèse de - 43 -

l'Australie. Dans mon exposé sur l'autodéterminationet la

reconnaissance,ce mot n'a jamais été employé. M. Burmester l'a,

incidemment, employé unefois, (CR 95/10, p. 19). M. Bowett l'a utilisé,

en faisant valoir quele Conseil de sécurité s'était délibérément abstenu

d'adopter des sanctions contre l'Indonésie,pas même la sanction de

non-reconnaissance (CR 95/10, p. 27). Cela est bien entendu exact, comme

l'a admis Mme Higgins (CR 95/13, p. 32). M. Bowett a aussi montré que

l'organisationdes Nations Uniesne pouvait pas priver l'Australiede ses

droits souverains autrement quepar une sanction (CR 95/10, p. 32-33) ;

Mme Higgins n'a jamais abordé cette question.

3. Mais M. Bowett a aussi montré que l'organisationdes Nations Unies

n'a jamais imposé l'obligationde ne pas reconnaître l'Indonésieou de ne

pas traiter avec elle, même dans une résolution adoptéeau titre du

Chapitre VI (CR 95/10, p. 26-31). Il ne s'agit pas ici d'une question de

sanctions,mais d'obligation. L'Australiedit qu'en tant qulEtat tiers,

elle n'est tenue d'aucune obligation de ne pas traiteravec l'Indonésie

qui découlerait du principe d'autodétermination. Laissant de côté les

questions de recevabilité,la Cour ne peut conclure en faveur du Portugal

que si elle décide que l'Australieest tenue d'une telle obligation. Les

sanctions sont une question tout à fait distincte, qui concerne

l'exécutiondes obligat.ions.Mais ces obligations doivent d'abord

exister, et c'est sur ce point que portait la thèsede l'Australie. - 44 -

Résumé des arguments de l'Australie

4. Cette parodie de la thèse australiennes'est accompagnée d'une

méconnaissance de sa véritable nature.Peut-être serait-il donc utile que

je la résume.

5. L'Australie conteste que les Etatstiers soient tenus en droit

international généralde l'obligationautomatique de ne pas reconnaître

un Etat qui contrôle et administre un territoiredont le peuple a droit à

l'autodétermination,et de ne pas traiter avec cet Etat. Il n'existe

aucune obligation automatique dene pas reconnaître cet Etat ou de ne pas

traiter avec lui, même s'il refuse au peuple le droit à

l'autodétermination. L'Australie était disposée à reconnaître le

Portugal et à traiter avec lui quandil contrôlait et administrait le

Timor oriental, bien qu'il ait violé le droit à l'autodétermination

durant toute cette période. Il en est de même avec l'Indonésie,qu'elle

viole ou non ce droit - question dont le Portugal admet que la Cour ne

peut pas décider dans laprésente instance. En outre, la qualification

du territoire concernépar le droit internen'est pas déterminante. Le

- 146 peuple du Timor orientalpossédait et possède un droit international

d'autodétermination. Il le possédait quand le Timororiental était une

province portugaise,et l'Australieconsidère que les événements survenus

depuis 1975 n'y ont rien changé.

6. L'Australie admet que les organes compétents des Nations Unies

peuvent enjoindre aux Etats tiers de ne pas traiter avec un Etat qui

exerce l'autorité sur un territoire mais viole le droit à

l'autodéterminationdu peuple de ce territoire. Ces organes peuvent,

agissant au nom des Etats Membres - comme dans lecas de la Rhodésie du

sud, de la Namibie, de Chypre-Nord - enjoindre aux Etats Membresde ne

pas reconnaîtreune entité qui contrôle fermementun territoire. Mais - 45 -

ils ne l'ont pas fait dans le cas présent. L'Australieva plus loin

- plus loin sans doute qu'il n'est besoin. Ellemontre que les organes

pertinents des Nations Uniesn'ont même pas recommandé que les Etats

Membres ne reconnaissentpas l'Indonésie ou ne traitent pas avec elle.

Elle va encore plus 1oi.n. Elle montre qu'aucun organe des NationsUnies,

y compris le Secrétairegénéral, le Comité des Vingt-Quatre,ou même le

Comité des droits de l'hommen'a fait grief à l'Australiede sa conduite

dans le cas du traité de 1989. Aucune obligation, aucune relation,

aucune plainte. La question des sanctionsn'est seulement qu'une

question marginale. En somme, pour autant que l'Organisation des

Nations Unies s'est el1.e-même exprimée, il n'est rien qui puisse faire

l'objet de sanction, et dans la mesure trèssignificativede son silence,

il n'existe aucune obligation endroit internationalgénéral (voir

également CR 95/9, pages 22 à 23, pararagraphe 7 pour un résumé de la

position de l'Australie).

La réponse du Portugal

7. Certes, il est exact que l'argumentationpar laquelle le Portugal

répond s'est sensiblementmodifiée au cours de la procédure orale. Il

concède maintenant que les Etats peuvenr traiter avec l'Indonésie

(CR 95/12, p. 12, M. GalvZo Teles; CR 95/13, p. 27, Mme Higgins). Ce qui

auparavant était une violation imprescriptibl est devenu une

«reconnaissanceexprimée de facto», qui est acceptable (CR 95/13, p. 37,

Mme Higgins). Mais, à partir de ce point, l'argumentationdiverge

davantage. Ayant renoncé à sa prétention antérieure au monopole du

pouvoir de conclure des traités concernantle Timor oriental - une

renonciationqui était inévitable étant donné que beaucoup dlEtats

concluent des traitéscpi sont expressémentapplicables au Timor oriental - 46 -

- le Portugal doit trouver une autre théorie(CR 95/12, p. 71,

M. Correia) .

8. Cette théorie, selon M. GalvZo Teles, est la suivante. Les Etats

peuvent traiteravec l'Indonésie,mais sous réserve que simultanémentils

n'excluent pas le Portugal. Il a dit :

~what Australia did was not merely to negotiate and conclude an
agreement with Indonesia. What it did was to exclude any

negotiation with Portugal, to dispense with it, to act indeed
against its explicit wishes, formally expressed in its capacity
as administering Power-w (CR 95/12, p. 13.)

9. Ayant échoué dans ses prétentions au monopole, le Portugal

revendique maintenant un droit de veto. Voilà qui est extraordinaire.

Les Etats qui ont conclu avec l'Indonésiedes accords tendant à éviter la

double imposition et d'autres accords qui sont expressémentapplicables

au Timor oriental n'ont pas sollicité l'autorisationdu Portugal. Le

Portugal n'accorde pas son enihil obstat» ni son <imprimatur»aux textes

de ces traités avec l'Indonésiepubliés dans le Recueil des traités de

l'Organisationdes Nations Unies. Le Portugal ne s'esc même jamais

soucié d'élever une objection à la conclusion de traités multilatéraux

concernant le Timor oriental, comme d'autres Etats l'ont fait dans des

cas analogues.

10. Qu'il me soit permisde répéter une évidence. La pratique que

M. Burmester,M. Staker et moi-même avons analysée dansle premier tour

de plaidoiries - la pratique des Etats tiersde traiter avec llEtat qui

exerce l'autorité effective dansun territoire qui relève du chapitre XI

en l'absence de toute demandecontraire de l'Organisationdes

Nations Unies - implique l'exclusionde l'autre Etat réclamant. Les

r)4 8 Etats ne sollicitentpas llautorisationdes Comores avant de traiter avec

la France pour ce qui concerne Mayotte et si ils traitent avec les

Comores, je doute qu'ils sollicitent l'autorisationde la France. Les - 47 -

Etats ne sollicitent pas l'autorisation del'Espagne avant de traiter

avec le Maroc pour ce qui concerne le Sahara occidental - au contraire,

comme je le montrerai, c'est l'Espagne qui demande l'autorisationdu

Maroc ! Les Etats nloritpas sollicité l'autorisationdu Portugal avant

de traiter avec Goa entre 1962 et 1974. Ils ne sollicitentpas

maintenant l'autorisationdu Portugal pourtraiter avec l'Indonésie.

Personne ne traite avec:le Portugal pour ce qui concerne le Timor

oriental, hormis le cas de la médiation du Secrétaire général, dans

laquelle llIndonésieest également impliquéeet qui s'effectue sans

conditions préalables.

11. La théorie du veto ne marche visiblementpas. Aussi le Portugal

est-il obligé de se rabattre sur une théorie différente. Il serait plus

exact de parler de plusieurs théories différentes qui présentent

toutefois des éléments communs. Je pourraiscompter quatrede ces

théories : 1) que les actes conventionnelsde l'Australiecorrespondaient

à une reconnaissancede jure; 2) que ces actes étaientincompatiblesavec

le statut de territoire non autonome dü Timor oriental; 3) que ces actes

étaient incompatiblesavec le statutde puissance administrante du

Portugal; 4) que ces actes correspondaient à une conduite incompatible

avec le droitdu Timor oriental à la souveraineté surses ressources

naturelles. M. Bowett a déjà traitédu quatrième argument, mais il me

faudra parler de chacurides trois autres.

12. Certes, ainsi que Mme Higgins l'a admis (CR 95/13, p. 9), des

questions de recevabilitéet des questionsde fond se posent pour chacune

de ces nouvelles argumentations duPortugal, et de même que dans le cas

de ses assertionsanté1:ieures plus catégoriques,ces questions sont

étroitement liées. Je traiteraibrièvement desquestions de recevabilité

en analysant chacun des arguments du Portugal. 1) Les actes conventionnelsde I~Au~traliecorrespondaient à une
9 49 reconnaissancede jure

13. Le Portugal allègue que les actes conventionnels de l'Australie

correspondaient à une reconnaissance de jure - pour reprendre les termes

de M. GalvZo Teles : cil s'agit de conduites de l'Australieprises sur

une base de jure ..» (CR 95/12, p. 14; voir aussi p. 12). Ce point a été

traité par Mme Higgins, qui a été particulièrement claire :

«Reconnaître l'intégrationde jure en l'absence d'acte

d'autodétermination ... engager la responsabilité à cet égard ...
Passer du silence, de rapports concernant les nécessités
humaines, vu même d'une reconnaissance expriméede facto à une
reconnaissance dejure, revient à l'évidence à franchir la
limite à partir de laquelle une conduite contribue à retarder la

réalisation du droit à l'autodétermination.»(CR 95/13,
p. 36-37).

a) Quant au fond

14. La première remarqueest que la requête portugaise porte sur la

conduite qui a été celle de l'Australieen négociant, concluant et

commençant d'appliquer le traité. Elle ne concerne pasl'acte de

reconnaissancepar l'Australie,en tant que distinctde l'acte de la

conclusion du traité. La requête a été pleinement analysée dans le

premier tour de plaidoiries de l'Australie,auquel je me réfère ici

(CR 95/7, p. 66-67, M. Crawford). La même position a été reprise

- nécessairement,puisque la requête définitl'objet du différend - dans

les conclusionsportugaises, qui ont été répétées sans changementlundi

(CR 95/3, p. 76-78, M. Cascais).

15. En outre, jusqulà lundi - là aussi comme l'avait fait observer

l'Australie (CR 95/9, p. 34, M. Crawford) - le Portugal nes'était pas

plaint que la reconnaissance australienne avait été prématurée. Son

grief était que l'Australieavait reconnu l'Indonésie

- l'autodéterminationétait,disait-il, un empêchement imprescriptible - 49 -

(CR 95/5, p. 26, Mme Higgins). Un des inconvénientsdes exposés oraux

- la Cour pensera peut-être que ce n'en est qu'un parmi beaucoup

d'autres ! - est que les arguments d'une partie peuvent donner de

n I- m. nouvelles idéesaux conseils de l'autre partie. Et voilà en effet que
35"
M. ~upuy dit maintenant;, pour la première fois, que la reconnaissance

australienne était prématurée (CR 95/12, p. 38, en parlant de «ce peuple

envahi » .

16. Mais la conciusion du traité en 1989 ne constituaitpas une

reconnaissance prématurée. Beaucoupd'autres Etats avaient déjà reconnu

llIndonésie,et traité avec elle en sa qualité dlEtat exerçant de manière

permanente l'autorité sur le Timor oriental. Et absolument rienne

prouve que la conclusion du traité, effectivement, «contribue à retarder

la réalisation du droit à l'autodétermination». Dix ans auparavant,

l'Organisationdes Nations Unies était parvenue à la conclusion qu'elle

devrait cesserde demander le retraitde l'Indonésie. S'il y eut jamais

un acte qui «contribue [à] retarder la réalisation du droit à

l'autodétermination~(C:R95/13, p. 37, Mme Hlggins), c'est bien le fait

que l'organisation desNations Uniesn'ait pris aucune mesure décisive.

Cette carence est bienantérieure à 1989; à vrai dire, elle est

immédiatement postérieure à 1975.

17. Monsieur le Président, je demanderai simplement à la Cour de bien

vouloir se reporter sur ce point à mon exposé antérieur sur les sources

internationalesqui font autoritéau sujet de la non-reconnaissancepour

motif dlautodéterminati.on.Je me suis reporté à l'avis consultatif sur

la Namibie, aux projets d'articles de la Commission du droit

international, à la responsabilité desEtats et à la déclaration touchant

les relations amicales (CR 95/9, p. 52-60). J1ai soutenu qu'aucune de

ces sources ne corrobor-ait la position adoptée ici par le Portugal, et - 50 -

que c'était les seules sources internationales que j 'aie pu trouver sur

ce sujet. Le Portugal n'a tout simplementpas essayé de répliquer à

cette argumentation.

18. Par contre, Mme Higgins a dit qu'une fois que l'Assemblée

générale avait appliqué l'étiquette «territoirenon autonome^, il ne

restait rien de plus à faire; le droit internationalentrait ensuiteen

action, prenait le relais et faisait le reste (CR 95/13, p. 30-31). La

répétition de résolutionsétait parfaitement inutile (CR 95/13,
351
p. 23-24). Monsieur le Président, quiconque a suivi les efforts déployés

pour obtenir que l'Assembléegénérale n'adopte que tous les deux ans

certaines de ses résolutions - ce qu'on a appelé la biennalisation du

débat - ne pourra pas lecroire un instant. A entendre Mme Higgins, on

pourrait croire qu'il suffirait quellAssembléegénérale prête attention

à une situation à peu près tousles dix ans - auquel cas, de toute

manière, il serait grand temps d'adopter une résolution surTimor, la

dernière remontant à treize ans.

19. Le seul commentaire qui me reste à faire concernela distinction

entre la reconnaissancede jure et la reconnaissancede facto. Il existe

une certaine discordance surce point. D'un côté, Mme Higgins semble

dire qu'une «reconnaissance expriméede facto» aurait été acceptable

(CR 95/13, p. 37). D'autre part, selon M. Dupuy, cela aurait seulement

constitué une moindre illégalité (CR 95/12, p. 27, «le moindre mala). Il

convient de noter qu'aucune résolution de l'Organisationdes

Nations Unies énonçant la règlede non-reconnaissancen'a jamais établi

de distinction entrela reconnaissance de facto et la reconnaissancede

jure. S'il existe un corps substantielde droit de la non-reconnaissance

qui est d'application tacite,il est en désaccord à la fois avec

Mme Higgins et M. Dupuy. 20. Monsieur le Président, cette confusionqui règne même dans les

rangs du Portugal le dernier jourde ses plaidoiries est, soyons

équitable, le reflet de la confusion de la doctrineet de la pratique de

la reconnaissancede facto et de jure. Elles sont dans un état de

désordre et d'incohérence,malgré les tentativesqui sont faites pour

mettre un peu d'ordre (par exemple,H. Lauterpacht,Recognition in

InternationalLaw, Cambridge, CUP, 1946, p. 329 à 348; J. Verhoeven, La

reconnaissance internationale dansla pratique contemporaine,Paris,

Pedone, 1975, p. 629 à 647). Pour reprendreles termes de

Charles Rousseau, «if [by speaking of a de facto recognition] oneis

saying that the recognition is the establishmentof a fact, this is no

more than the repetitionof a truism, as any recognitioninvariably has

that characteristic» (C:.Rousseau, Droit internationalpublic, 1977,

vol. 3, p. 522; L. Delbez, Principes généraux du droit international

public, 1964, p. 164 (<:To speak of a de facto recognition is to employ a

meaningless expression. ») . De même, Ian Brownlie déclare :

«S'il existe une distinction [entrela reconnaissancede
jure et de facto] elle semble dénuée de pertinence juridique.

Il est certain que les éléments de prudence juridiqueet
politique contenusdans l'épithète de facto ... sont rarement
considérés significatifs.» (1. Brownlie, Principles of Public
InternationalLaw (4e éd., Clarendon Press, Oxford 1990,

p. 94).)

L'opinion courante est que la reconnaissancede facto est applicable à

des situationspar exemple transitoires, incertaines,encore instables.

Mais les incertitudesde la pratique sont tellesqu'il est impossible de

dégager une règlegénérale. Ainsi que le conclut Verhoeven, dans la

meilleure étude modernedu problème :

«one must give up the idea of providing any single explanation
for the distinction betweende facto and de jure recognition.
Short of sacrificing the reality of the internationalrelations
to the theoretical realityof abstract systems, one has to
accept the large r;!umbeof different meaningsgiven to the tem ade facto recognition,, depending upon what suits the intentions
of sovereign entities .» (J. Verhoeven, La reconnaissance

internationale dansla pratique contemporaine,Paris, Pedone,
1975, p. 631.)

21. Je sais que Mme Higgins n'aime pas que l'on se réfère à «la

réalité des rapportsinternationaux». Mais la conclusionde Verhoeven

contredit manifestement le seuil subtilqu'elle peut voir entre

areconnaissance expriméede facto» et reconnaissancede jure (CR 95/13,

p. 37). Et la nette distinctionqu'elle essaie d'imposer n'est qu'un

autre aspect de sa conception selon laquelle ledroit internationaldans

ce domaine possède un caractèreautonome, indépendant, directement

applicable, automatique - j'ai failli dire, imprescriptible. Sa

conception contredit à nouveau celle de M. Dupuy qui, dans le premier

tour de plaidoiries du Portugal, a préféré le flou, la subtilité, la

finesse - en l'occurrence,les degrés dansl'illégalité (CR 95/12,

p. 27). Mais le problème est ici que - laissant de côté, ainsi que l'a

fait soigneusementle Portugal dans son second tour de plaidoiries, les

domaines bien circonscritsdu jus cogens et des crimes des Etats - les

degrés dans l'illégalitésont dénués de pertinence, à supposer même que

la notion puisse avoir un sens. Si l'Australiea agi d'une manière

illégale, ce n'est pas à M. Dupuy qu'il appartiendraitde dire qu'elle

aurait pu faire pire !

22. Ainsi, les concessions apparentesqu'aurait faites le Portugal

sur ce point slévanouissent,et l'on se trouve devantune panoplie de

pratiques des Etats, de reconnaissancesde facto, d'actes conventionnels

sans le consentement duPortugal - le tout étant illégalselon le

Portugal, mais impliquant dans tous les cas pour la thèse du Portugal les

diverses difficultés quel'Australiea analysées dans son premier tour de

plaidoiries et qui ont provoqué les concessionsapparentes qui ont été

faites lundi. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir la résponse. - 53 -

Les multiples exemplesde la pratique des Etats qui s'accommodent de la

présence de l'Indonésieau Timor oriental - tout en reconnaissant,en

même temps, que le peuple du Timor orientala le droit à

l'autodétermination,montrent que le Portugalne détient aucune position

privilégiée, et que les Etats tiersne sont tenus d'aucune obligation

automatique en vertudi1principe d'autodétermination dene pas

reconnaître la disparition effectivedu Portugal de la scène. En

d'autres termes, les Etats tiersne sont pas tenus par le droit

international de refuser de reconnaître de jure l'autorité qu'exerceun

Etat sur un territoire relevant du chapitre XI. Si l'exercice ultérieur

du droit à l'autodétermination par lepeuple du territoire conduit à son

indépendance,la situation devient alors différentedu point de vue de la

reconnaissance. La reconnaissancede jure ne signifie rien de plus.

23. Donc, en concluant le traité de 1989 avec 1'Indonésie,

l'Australiea constaté que l'autorité de celle-ci sur le territoire

s'était consolidée et n'avait plus un caractèreseulement temporaire

L'Assembléegénérale était précédemment parvenue à la même conclusion,et

avait cessé de demander le retraitde l'Indonésie,et à fortiori son

retrait immédiat. Sur quelle base la Cour, faisant abstraction du

jugement des organes politiques,et dans une instance à laquelle

l'Indonésien'est pas partie, pourrait-ellerevenir sur cette

appréciation ?

24. En outre, il était nécessaire pourllAustralied'agir ainsi

en 1989, si elle voulaits'assurer l'exploitationde son propre plateau

continental. Le fait pour llAustraliede conclure le traité de 1989 sans

rien dire d'une reconnaissanceaurait été un geste dépourvude

signification, commeM. Bowett l'a montré. b) Quant à la recevabilité

25. Ayant examiné la question quant au fond, j'aborde maintenant la

question de la recevabilité envisagée parrapport à la reconnaissance de

jure. La question est celle de la recevabilité dela thèse concernantla

reconnaissance de jure qui était associée à la conclusiondu traité de

1989 et ce que celle-ci impliquait. Le Portugal souligne encore qu'il

n'invoque pas le manquement à l'obligationde ne pas reconnaître une

situation créée par l'emploi de la force, bien qu'il s'agisse d'am fait

illicites (CR 95/12, p. 15, GalvZo Teles). Comme M. GalvZo Teles l'a

indiqué, «[ce] fait illicite majeur ... se trouve en dehors del'objet de

l'instance» (ibid.) . On se demande, néanmoins,comment ce «fait illicite

majeur» est compatible avec une reconnaissance exprimée de facto». Le

Portugal ne donne aucune explication.

26. Sa position maintesfois affirmée par le Portugal à l'égard de

l'emploi de la force met la Cour devant le plusextraordinaireembarras,

question sur laquellel'Australie reviendra cet après-midi.

27. Ainsi, pour étayer sa thèsede l'illégallitéde la reconnaissance

de jure que comporte le traité de 1989 et qu'exprime la conclusion de

celui-ci, le Portugal doitdémontrer que le principede

. '55 loautodéterminationfait obligation à loAustraliede ne pas reconnaître
.-.
loIndonésie,quatorze ans après son occupation du territoire, dix ans

après que l'Organisationdes Nations Unies a cessé de demander son

retrait. J'examinerai à part les arguments fondéssur le statut de

territoire non autonome du Timor oriental et la qualification du Portugal

de «puissance administrante»;il s'agit de moyens distincts dans

l'argumentation du Portugal. Mais pour ce qui est de la reconnaissance

de jure, le fondement absolument nécessaired'une obligation de

non-reconnaissance - une «condition préalable» - serait la démonstration - 55 -

du fait que l'Indonésieviolait en 1989 le droit du peuple timorais à

l'autodétermination.

28. Cela ne serait pas suffisantpour fonder une obligation de

non-reconnaissance. Il faudrait aussidémontrer que l'obligationpour

les tierces parties de favoriser l'autodéterminationexigeait qu'elles ne

reconnaissentpas la souverainetéou les prérogatives de la puissance

publique exercéespar llEtat en question, ce qui, comme je l'ai montré,

n'est pas le cas en l'absence de politique collective de

non-reconnaissanceadoptée ou recommandéepar l'organisationdes

Nations Unies (CR 95/9, p. 64-67).

29. Mais il serait nécessaire demontrer que 1'Etat qui exerçait la

souverainetéviolait le droit à l'autodéterminationen 1989. S'il ne le

violait pas, s'il agissait conformémentau principe de

l'autodétermination,aucun problème ne se poserait - selon la propre

thèse du Portugal. Mais il est évident que la Cour nepeut pas dire que

leIndonésieviolait le droit à l'autodéterminationen 1989. Il s'agit

d'une conditionpréalable au sens du principe de 1 Or monétaire tel que

l'a analysé la Cour dans l'affaire de Nauru, et cela signifie que cette

présentation de sa thèse par le Portugalest irrecevable.

2. Les actes conventionnels de l'Australie étaient incompatibles avec le
'J-2 6
statut de territoire non autonome du Timor oriental (et avec le droit
de son peuple à l'autodétermination)

30. Monsieur le Président, le deuxième argument sur lequel le

Portugal appuie sa thèse tient à ce que l'Australien'aurait pas reconnu

le statut de territoire nonautonome du Timor oriental ni le droit de son

peuple à l'autodétermination. a) Quant au fond

31. L'Australie a déjà expliqué pourquoi, en droit international,le

peuple du Timor oriental a conservé un droit à l'autodétermination

après 1975, et pourquoi, selon l'Australie,il n'a pas perdu ce droit

malgré les événements survenuspar la suite (CR 95/9, p. 42-43). Le

Portugal a expressément admis cette explication(CR 95/8, p. 9,

M. Galvao Teles). Par contre, il a été muet sur l'autre argument de

l'Australie,selon lequel le Timor oriental demeureun territoire non

autonome relevantdu chapitre XI parce que son peuple continue de

posséder un droit à l'autodétermination (CR 95/9, p. 62-64). C'est le

point de vue adopté par la résolution 1541, dans laquelle ces deux

questions sont corrélatives,qui ne parle pourtant pasdu «statut» de

puissance administrante.

32. Ce qui s'est passé ensuitea été remarquable. Le conseil du

Portugal s'est tout simplementabstenu d'examiner l'argumentation

rigoureuse et classique présentée par l'Australiedans son premier tour

de plaidoiries à propos de la position juridique de 1'Etat exerçant des

«droits souverains»sur un territoire relevantdu chapitre XI (CR 95/9,

p. 31-48, M. Crawford, p. 69-87, M. Burmester; CR 95/10, p. 8-21,

M. Burmester, p. 45-75, M. Staker) . Ce que dit le droit international

général de l'autorité de llEtat était, ont-ils affirmé est «nettement en

dehors du sujet dans la présente instance>>(CR 95/12, p. 49, M. Correia)

Ils ont tout simplement et successivement niéque le conceptd'autorité

souveraine fût le moindrement applicable à un territoire relevantdu

-7 chapitre XI (par exemple, CR 95/12, p. 34-35, M. Dupuy, p. 44-51,

M. Correia) . La vérité m'oblige à dire qu'ils ont accepté l'implication

logique de ce point de vue, à savoir que l'Assembléegénérale peut, par

un vote à la majorité (y compris une majorité de 50 voix contre 46, avec - 57 -

50 abstentions),retirer à des Etats leur autorité territoriale sur des

territoires relevant du chapitre XI (CR 95/12, p. 35, M. Dupuy),

CR 95/13, p. 55, 67, M. Correia). Par exemple, Mme Higgins s'est référée

aux procédures employées par l'Organisation des Nations Unies pour

retirer à un Etat comme le Portugalson statut de puissance administrante

(CR 95/13, p. 11). Et M. Dupuy a dit que les territoiresnon autonomes

étaient l'exact équivalent des territoires sous tutelle - pour lesquels

ce pouvoir existe - les uns et les autres étant «placés sous le contrôle

étroit et finalisé des NationsUnies, (CR 95/12, p. 35; voir de même

CR 95/12, p. 55, 67, M. Correia) ;et pour un examen antérieur de ce

point, voir CR 95/9, p. 41-42, 60, M. Crawford).

33. Cette interpretationétait utile, car elle corrobore la thèse du

Portugal selon laquellel'acte de reconnaissancepar l'Australieque

comporte le traité de 1989, exprimé en termes de «souveraineté»,était

logiquement incompatibleavec le statutde territoire non autonome du

Timor oriental ou le droit de son peuple.& l'autodétermination. Mais

l'Australie fait va1oi:ret exercé sa souveraineté,ou son autorité

souveraine, sur chacun de ses territoiresrelevant du chapitre XI, tout

en respectant le droit des peuples concernéset en conduisant chacun

d'eux à exercer normalement sondroit à l'autodétermination,aboutissant

à l'indépendance ou à :l'autonomie.Dans le même esprit, elle a reconnu

la souverainetéd'autres Etats sur leurs colonies, tout en favorisant à

leur égard l'applicationdu chapitre XI et du principe de

l'autodétermination. La terminologie étaitcohérente, la position

constante. Que d'autres puissent choisird'autres définitions est ici

indiférent et n'introduit absolument pasde contradictionlogique,

absolue ou autre. 34. Monsieur le Président, l'éviction du paradis du chapitre XI de

l'autorité souveraine par le Portugalest un peu moins révolutionnaire

qu'il n'y paraît; en effet, ayant chassé l'idée par la porte, l'avocat du

Portugal l'a laissée rentrer, sous un piètre déguisement,par la fenêtre

Ainsi, M. Correia,par exemple, a dit que l'autorité d'un Etat sur un

territoire relevant du chapitreXI constitue un «statut objectif ... en

droit international, (CR 95/12, p. 45), un *statut objectif et

général, (CR 95/12, p. 72). Il a ajouté que les puissances

administrantes sont«des Etats indépendants qui conserventleurs

attributs d'Etat lorsqulilsagissent dans la sphère internationalepour

les territoires non autonomesde l'administrationdesquels ils sont

responsablesw (CR95/12, p. 44). Il a par la suite relevé que les

puissances administrantesconservaient

«la capacité d'assumer des obligations internationalesau regard
du territoire non autonome, conjointementavec tous les autres
attributs de l'immédiatetéinternationalegénérale, propre aux

Etats qui sontdes sujets à part entière du droit
international, (CR 95/12, p. 61).

35. Point n'est besoin de reprendre l'analyse de cette question, que

j'ai présentée lors du premiertour des plaidoiries(CR 95/9, p. 31-48).

L'Australie reconnaît à la fois la souveraineté indonésienneet le droit

à l'autodétermination dupeuple du Timor oriental, comme elle avait

auparavant reconnula souverainetéportugaise et le droit à

l'autodétermination dupeuple du Timor oriental. C'est là une manière

acceptable et compréhensibled'aborder ces questionset qui n'est en rien

contradictoire, commeje l'ai démontré. Si d'ailleursM. Correia

préférait que nousemployions un autre termeque «souveraineté»,c'est

chose possible. Il propose l'expressionsuivante :

«statut objectif ... en droit international ... [recouvrant] la

capacité d'assumer des obligations internationalesau regard du
territoire non autonome, conjointementavec tous les autres attributs de l'immédiatetéinternationalegénérale, propre aux
Etats qui sont dessujets à part entière du droit international»

(CR 95/12, p. 45, p. 61).

Je ne pense pas que l'emploi de sa terminologie puisse avoirdes
959
conséquencesvraiment néfastes. Les manuels de droit internationaln'en

seront que plus longs, ainsi que les plaidoiries devantcette Cour. Ce

qui pourrait bien êtredes conséquencestrès néfastes. Avec le temps, on

en viendra sans aucun doute à parler d'<immédiatetéinternationalenou

même dlaimmédiateté»tout court. Quelle que soit la dénomination,le

fond du droit resterainchangé, et c'est ce qui importe.

36. D'ailleurs,parler au sujet du Timor orientald'«immédiateté

internationale»,pour reprendre les mots de M. Correia, ne saurait

produire lesrésultats qu'il recherche. Le Portugal ne semble pas

entretenir une relation très «immédiate»avec le Timor oriental. Si les

Etats sont dotés à l'égard des territoiresnon autonomesde la «capacité

d'assumer des obligations internationalesau regard du territoire non

autonome, conjointement avectous les autres attributs de l'immédiateté

internationalegénérale, propre aux Etats qui sont des sujets à part

entière du droit international»,il est à relever que le Portugal n'a pas

manifesté son immédiateté depuisdécembre 1975, et qu'il n'a pas assumé

depuis lors uneseule obligationinternationale à l'égard du Timor

oriental. Le Portugal a cessé de manifester son immédiateté sur le

continent en août 1975, et son immédiatetésur Atauro n'a pas survécu

plus d'un jour à l'interventionindonésienne - après laquelleil s'est

immédiatementretiré. Ainsi, le glissement sémantique de M. Correia ne

nous mène nulle part. b) Quant à la recevabilité

37. S'agissant de la recevabilité,l'Australien'a pas manqué de

reconnaître et de respecter le droitdu peuple timorais à

l'autodétermination. Enfait, elle a reconnu la réalité de l'autorité

publique qu'exerce l'Indonésie sur le territoire, reconnaissancequi

- sous la forme que conteste le Portugal, à savoir le traité de 1989 -

est largement postérieure à la décision de l'Organisation des Nations

Unies de ne pas demander le retrait de l'Indonésie. En l'absence d'une
O60

déclaration d'illicéité des organes compétents des Nations Unies assortie

de l'obligationde non-reconnaissance,la conduite australienrie ne peut

être tenue pour une violation du droit internationalque si la Cour peut

déterminer, entre autres choses, que la présence de l'Indonésieen 1989

était illicite (CR 95/7, p. 73-75, M. Crawford; CR 95/8, p. 20-21,

M. Pellet). Le Portugal n'a fait aucune tentative en ce sens,

reconnaissant sansdoute que le principe dégagé dans l'affaire de l'Or

monétaire l'en empêchait. Cette façon de présenter la cause portugaise

est tout aussi irrecevable.

3) La conclusion du traité par l'Australie était incompatible avec le
statut de puissance administrante du Portugal

a) Quant au fond

38. Monsieur le Président,une grande partie de ce que j'ai dit

précédemment sur le statut du territoire du Timor oriental s'applique

également au statut du Portugal en cant que puissance administrante,

question qui, en tout état de cause, a déjà été abordée par M. Burmester

ce matin.

39. Il me faut simplement préciser unechose à propos d'une

observation faitelundi dernier par M. Dupuy. Celui-ci a dit que

l'Australien'osait pas répéter son allégation «furtive» selon laquelle - 61 -

l'Indonésiepourrait être lapuissance administrante du Timor oriental

(CR 95/12, p. 34) .

40. Monsieur le Président, les allégations furtivesne sont pas de

mise dans les plaidoiries devantla Cour. L'Australie affirme qu'il est

loisible à l'Assembléegénérale de déterminer ou de reconnaître,aux fins

de l'article 73, quel Etat assume ou a assumé la responsabilitéde

l'administrationdu Timor oriental. Elle pourrait bien jugerque c'est

l'Indonésie. Il y a des textes de l'organisationdes Nations Unies qui

vont dans ce sens. Je pense au rapport de M. Gros Espiell sur Le droit à

1 'autodétermination : application des résolutions de 1 'Organisation des

Nations Unies (H. Gros Espiell, UN E/CN.4/Sub.2/405/Rev.l(1980),p. 14,

par. 90). Lors du premier tour des plaidoiries, nous avonscité ce

rapport, que le Portugaln'a pas mentionné.

b) Quant à la recevabilité, dans l'optique du statut de puissance
administrante du Portugal

41. Il n'y a pas non plus grand-chose à ajouter à propos de la

recevabilité. J'ai délà analysé l'échec des tentatives portugaises de

remplacer le statut juridiquegénéral des Etats à l'égard des territoires

relevant du chapitre XI par un statut uniquede puissance administrante,

qui trouverait son origine dans l'organisationdes Nations Unies, et qui

se perpétuerait de lui-même (voir par. 32-36 ci-dessus). Aux fins de

l'Organisationdes Nations Unies, le statut de puissance administrante

existe, quelle que soit sa valeur - tantôt grande, tantôt minime comme

dans le cas de l'Espagne à l'égard du Sahara occidental (pour constater

que l'Espagne continue d'être mentionnée au titre de l'article 73 e), se

reporter au document des Nations Unies, A/AC.109/1196du

lerjuillet 1994). Ce statut ne coïncide pas nécessairement avecla

souveraineté,ou l'autorité souveraine,ou, si l'on préfère l'expression - 62 -

de M. Correia, avec *luimmédiatetéinternationale*sur un territoire

conformémentau droit internationalgénéral. Si tel était lecas,

l'Assembléegénérale pourrait, par un scrutin majoritaire, décider du

sort de territoires relevant du chapitre XI; or, c'est une chose qu'elle

ne peut pas faire (CR 95/9, p. 60-61, M. Crawford).

42. Il s'ensuit que le Portugal doit démontrer queson titre de

puissance administrante coïncide avecl'exercice d'une autorité

gouvernementale réellesur le Timor oriental;or, l'Assembléegénérale

n'a jamais dit une chose pareille, ni en 1979, ni en 1982 ni à fortiori

en 1989. Qui plus est, et quoi qu'en dise le Portugal, il existe bien,

en réalité, un différend entre le Portugalet l'Indonésiesur le point de

savoir lequel des deuxjouit de ce «statut objectif et général»

(CR95/12, p. 72, M. Correia) . Il ne peuvent êtredeux à le détenir.

43. Ainsi, pour établir lebien-fondé de son grief, le Portugaldoit

tout d'abord démontrer qu'en 1989, l'Indonésien'avait pas l'autorité

qu'elle revendique et exerce sur le Timor oriental, et, plus

particulièrement,qu'elle n'était pas habilitée à conclure le traité. A

l'évidence, il s'agit là d'une condition préalable, selon le principe

dégagé dans l'affaire de l'Or monétaire, qui frappe d'irrecevabilitécet

aspect de la thèse du Portugal.

La pratique des Etats tiers dans les différends sur des questions
d'autodétermination

Monsieur le Président, es sieurse la Cour.

44. Il découle de ce qui a été dit ce matin que, même si la Cour

atteignait la phase de l'examen au fond de la plainte que le Portugala

formée contre l'Australie,elle ne saurait faire droit aux demandes de

celui-ci. Cette conclusion est nettement corroboréepar la pratique des - 63 -

Etats tiers en cas de demandesconcurrentesen matière

d'autodétermination.

45. La Cour se réjouira d'apprendre que je ne passerai pas à nouveau

en revue les différents exemples de pratique étatique que l'Australi ae

cités dans ses plaidoiries précédentes - notamment Mayotte, les îles

Falkland, Gibraltar ou Goa (CR 95/9, p. 79-82; CR 95/10, p. 11-15,

M. Burmester). Le désarroi deMme Higgins, lundi dernier, s'expliqueen

partie par son apparente difficulté à saisir la distinctionentre les

obligations d'un Etat qui administre ou contrôle effectivementun

territoire relevant du chapitre XI (qu'ilfigure ou non sur les listes du

Comité desVingt-Quatre) et la situation des Etatstiers. Les Etats qui

administrentou contrôlent effectivementun peuple titulaire dudroit à

l'autodéterminationsoritdans une situation tout à fait différente. Pour

ces Etats, on ne sauralt parler de «minimalisme» (CR 95/13, p. 33, Mme

Higgins) .

46. En fait, comme la pratique étatique leconfirme, en l'absence

d'une déclaration de présenceillicite et de la promulgation des

obligations que cela suppose par les organes compétentsdes

Nations Unies, les Etat:stiers ne sont pas tenusde s'abstenir de traiter

avec un Etat qui exerce un contrôle effectif sur un territoire relevant

du chapitre XI, qu'il ait été ou non désignécomme puissance

administrantepar llAssembléegénérale, et qu'il respecte ou non le droit

à llautodétermination. Le Portugal affirme que dans de tels cas, il y a

obligation automatiquede ne pas reconnaître et de ne pas transiger

(CR 95/13, p. 30, Mme Higgins) . 11 ressort de la pratique que cela n1est

tout simplementpas vrai. Comme M. Burmester l'a démontré, la situation

de la Rhodésie du Sud était nettementdifférente, définiepar des

résolutionsde l'organisationdes Nations Uniesrépétées en termes - 64 -

clairs, y compris des résolutions duConseil de sécurité imposant la

non-reconnaissance,et marquée par le respect général de ces résolutions.

Il ne reste rien à ajouter sur ce point.

47. En revanche, on ne peut passer sous silence lamanière dont le

Portugal a utilisé l'accord de pêche conclu en 1992entre la Communauté

européenne et le Maroc. L'Australien'a pas invoqué cet accord pour

établir que le Portugal avaitun comportement illicite (voir CR 95/9,

p. 82-87; CR 95/10, p. 8-11, M. Burmester),même si le Portugal

s'empresse de dire <Ce n'est pas moi, c'est la Communauté européenne !s

L'Australie a invoqué cet accord et ceux qui l'ont précédé pour démontrer

que les Etats tiers concluent bel et bien des traités avec un Etat en

possession d'un territoire relevant du chapitreX mais qui n'en est pas

la puissance administrante aux yeux de l'Organisationdes Nations Unies

et que ces traités portent sur les ressources naturelles duterritoire en

question. Le Portugal argue contrel'Australieque ces transactionssont

automatiquementillicites,même en l'absence d'une résolution des Nations

Unies en ce sens. C'est pourtant ce que fait la Communautéeuropéenne,

sans s'attirer les critiquesd'autres Etats ni de l'Organisationdes

Nations Unies. Voilà un bel exemple de la pratique étatique, d'autant

plus que le Portugal en est le partenaire consentant. En outre, le

Portugal - ou la Communauté européenne - n'a pas pour justification,

contrairement à l'Australie,de chercher à protéger lestitres qu'il

prétend avoir depuis longtempssur les ressources en question. Leseul

droit de pêche qu'a la Communauté européenne dans ces parages lui a été

octroyé par le Maroc.

48. Comment le Portugal réagit-il devant un exemple aussi éloquent ?

M. Correia a cherché à mettre l'accord de 1992 à part, en invoquant pas

moins de sept motifs (CR95/12, p. 77-82). - 65 -

49. Premièrement, il a affirmé qu'en raison des règles dela

Communauté européenne, le Portugal ne pouvait pas s'opposer à la

conclusion de l'accord (CR 95/12, p. 77-78). C'est vrai, mais sans

conséquence : le Portugal l'a approuvée.

50. Deuxièmement, il a affirmé que la Communauté européenne«n'a agi

au mépris d'aucune volonté expriméede la puissance administrante du

Sahara occidental, (CR 95/12, p. 781, c'est-à-direl'Espagne. Partant,

on se demande pourquoi la Communauté européennea pris la peinede

traiter avec le Maroc ! L'Espagne était satisfaite de pouvoir pêcher

dans les eaux du Sahara occidental,tout comme ellel'avait été

d'extraire le phosphate du Saharaoccidental,bien que l'on doute qu'elle

agisse dans l'un ou l'autre cas en sa qualité de puissance administrante

du Sahara occidental. Pour le Portugal, la «volonté exprimée»aurait

apparemment été suffisante. A chacun ses convoitises,pour paraphraser

M. Dupuy (CR 95/12, p. 41). En fait, la Communauté européenne a entamé

de nouvelles négociationsavec le Maroc en vue d'un nouvel accord, qui

s'appliquerait à partir du le'mai 1995. La Cour est certainement

curieuse de voir commentcet accord traitela question du Sahara

occidental !

51. Troisièmement, M. Correia a dit qu'il y avait dans lesaccords de

pêche conclus par la Communauté une «certaine ambiguïté» quant à leur

portée territoriale (CR 95/12, p. 78). Je m'étonne qu'il se soucie

autant des termes des accords, puisque, quand il s'agit d'autre chose, le

Portugal considère les traités commd ee simples faits; et le fait est que

les chalutiers de la Communauté européenne ont été autorisés à pêcher, et

ont pêché, dans les eaux du Sahara occidental, sous le couvert des

accords successifsconclus avec leMaroc. Par exemple, il y a eu en 1980

un incident impliquantun navire portugais, ce qui a en fait amené le - 66 -

Portugal à reconnaître la République sahraouie (voirRevue générale de

droit international public, 1980, p. 197) ! Mais l'ambiguité étudiée des
9 5 5
accords précédentsest en tout état de cause entièrement dissipée par

l'accord de 1992, comme M. Burmester l'a démontré (CR 95/9, p. 86).

Cet accord est parfaitement clair :il s'applique aux eaux du Sahara

occidental et au port de Dakhla, situé au Sahara occidental.

52. Quatrièmement, M. Correia a affirmé que même dans cecas,

l'accord de 1992 ne visait pas expressément le territoire du Sahara

occidental,ni le Sahara occidentalen tant que province du Maroc

(CR 95/12, p. 78). Certes, l'accord ne mentionne pas nommément le

territoire du Sahara occidental. Mais il se réfère bien à une partie du

territoire du Sahara occidental, à savoir le port de Dakhla, qualifié

dans le texte françaisde «port marocain», de la même façon et dans les

mêmes termes que Casablanca. En portugais - M. Correia voudra bien

excuser ma prononciation - l'accord parle des «portos marroquinos».

53. Je voudrais également citer à ce propos le traité d'amitié, de

bon voisinage et de coopération conclu le 30 mai 1994 entre le Maroc et

le Portugal. Le préambule de cet instrumentqualifie les relations entre

les deux Etats de «toujours significatives, profondes et enrichies par

des rapprochementsfructueux». L'article 6 se réfère aux «populations»

respectivesdes Hautes Parties contractantes,et il prévoit en

particulier «la coopération dans le secteur des pêches maritimes et de

ses activités connexes» (article 6 a)). Dans la mesure où, au moment de

sa conclusion, «la coopération dans le secteur des pêchesmaritimes*

entre le Portugal et le Maroc était exclusivement régie en droit

communautairepar l'accord de 1992 de la Communautéeuropéenne, qui

s'étendait explicitement auxeaux du Sahara occidental,on ne peut que

présumer que les «populations»mentionnées dansl'article 6 de l'accord - 67 -

bilatéral de 1994 incluaient la<population» de ce territoireet que

*[les] activités connexes» se dérouleront, entre autreslieux, dans le

*porto marroquinos de Dakhla. L'accord bilatéral de 1994 (article 6)

fait fort peu de place à llualtérité» (voir cependantCR 95/12, p. 15,

M. Galvao Teles; CR 95/13, p. 36, Mme Higgins).

54. Cinquièmement, M. Correia a accusé l'Australiede «tronquer» le

texte parce qu'elle n'avait pas joint une certaine page où il était dit

qu'un membre portugaisdu Parlement européen était rapporteur de la

commission parlementairequi avait critiqué l'accord de 1992 (CR 95/12,

p. 81). En fait, M. Burmester a fait allusion à ce rapport, mais en

disant qu'il «ne rentrerai [tl pas dans les détails, (CR 95/9, p. 86). Je

regrette fort que nous ayons traité de détail l'interventionde Mme Belo.

Celle-ci a écrit notamment, au nom de la commission du développementet

de la coopération,que l'accord «implique que la pêche est possible

jusqu'à la frontière avec la Mauritanie située à plus ou moins 21'2

(Communautéeuropéenne,document FR/RR/218/21814,p. 18). Assurément,

Mme Belo ne pensait pas qu'il y avait une «certaine ambiguïté». Il

s'agit manifestement des eauxsituées au large du Sahara occidental.

55. Sixièmement,se référant aux proposde Mme Higgins et

M. GalvZo Teles, M. Correia a fait observer que la «licéité» de l'accord

de 1992 ne pouvait pas êtredéterminée en l'instance (CR 95/12, p. 79,

renvoyant au CR 95/51, p. 36, 66. Le renvoi auraitdû se lire CR 95/4,

p. 36, 66). Cela est la preuve que le Portugal reconnaîtexpressément le

principe dégagé dans l'affaire de l'Or monétaire, mais qu'il se trompe au

demeurant sur l'argumentationaustralienne. L'Australie cite l'accord

comme un exemple de pratique étatique, dans lequel des Etats ont fait,

dans le silence des critiquesinternationaux,ce que le Portugal - et lui

seul - reproche en l'occurrence à l'Australie. L'important ici, c'est - 68 -

que la pratique étatiqueest ce que les Etats font, dans la sphère

internationale. En dépit des arguments deMme Belo, la Communauté

européenne a ratifié l'accord inconditionnellementet unanimement, cequi

8 6 7 est un élément important de la pratique étatique.Mme Belo aide même à

définir la pratique de la Communauté européenne,puisqu'il est clair que

son opinion a été écartée. Nonobstantses arguments, la pratique en

question a été délibérément suiviepar douze Etats. L'attention des

Etats membres de la Communauté européenne a été attirée sur la

difficulté,mais ils ont décidé qu'il convenait néanmoins de ratifier

l'accord, et ce, sans poser de conditions. Aucune protestation

internationale,ni critique de la part de l'organisationdes

Nations Unies. Rien ne permet de penser que la conduite de la Communauté

est illicite.

56. Le Portugal, semble-t-il,n'en est pas d'accord. M. Correia

renvoie à des propos tenus par MmeHiggins et par M. Galvao Teles, qu'il

présente comme fondéssur l'affaire de luor monétaire (CR 95/12, p. 79;

CR 95/4, p. 36, 66). Ce que M. Galvao Teles a dit, citant Mme Higgins,

était légèrement différent : il a affirmé que les accords conclusentre

la Communauté européenneet le Maroc «ne sont pas soumis à l'examen de la

Cour et on ne peut pas présumer que leur conclusion ait été licite2

(CR95/4, p. 66; les italiques sontde moi). Ainsi, la Cour est invitée

à ne pas présumer la licéité d'un accord délibérémentconclu, après les

mises en garde de Mme Belo, entre les douze Etats membres de la

Communauté et le Maroc et que n'a critiqué aucune des instances

européennes.

57. Monsieur le Président, ailleurs Mme Higgins reproche à

l'Australie d'invoquer la présomption de l'affaire Lotus, à savoir que la

conduite de 1'Etat est licite sauf preuve du contraire (voirLotus, 1927, - 69 -

C.P.J.I. série A no 10, p. 18; CR 95/13, p. 13, Mme Higgins). Le Portugal

renverse cette présomption :les relations entre Etats sont présumées

illicites. Le Portugal invoque ce précédent pour l'appliquer à une

relation à laquelle il a consenti et qui, à en juger par les négociations

actuelles avec le Maroc, semble se poursuivre.

58. Septièmement, désespérément malengagé, M. Correia change encore

de direction, et toute l'équipe avec lui. On voit apparaître un nouveau

terme dans son argument : enon renouvelablex. Utilisé six fois par le
3 5 8

Portugal au cours du deuxième tour de plaidoiries, c'est l'un des rares

termes dont la fréquence a augmenté par rapport aux cinq audiences

précédentes (CR 95/12, p. 36 (deux fois), p. 72, 79 (deux fois);

CR 95/13, p. 27); nous pourrons établir surdemande une statistique

complète. La distinction est claire : l'Australie traite des ressources

non renouvelablesdu Timor oriental, alors que le Portugalet la

Communauté européenne ne traitent «que» des ressources renouvelables du

Sahara occidental (CR 95/12, p. 79). C'est là, selon lui, que gît la

différence.

59. Avant de me demander si différence il y a, j'aimerais formuler

deux observations : l'une sur la recevabilité, l'autre sur le fond.

* Quant à la recevabilité, l'Australiene reconnaît pas qu'elle

exploitera les ressources non renouvelablesdu Timor oriental. Elle a

revendiqué ces ressourcesbien avant 1975et continue de le faire. Le

Portugal reconnaît quela Cour ne peut pas déterminer à qui ces

ressources appartiennent;elle n'est pas priée de procéder à une

délimitation,même provisoire. Je renvoie à ce que M. Bowett a dit ce

matin à ce sujet.

* Quant au fond, observons l'incidencede cet argument sur ce que

Mme Higgins a appelé le corpus automatique de droit positif de - 70 -

l'autodétermination. Au début du premier tour de plaidoiries,ce

corpus automatique de droit positifavait pour conséquence nécessaire

et logique que l'Australie ne pouvait pas traiter au sujet du Timor

oriental avec un autre Etat que le Portugal (CR 95/2, p. 53,

M. GalvZo Teles, huitième proposition;voir également CR 95/4, p. 14,

25, M. Correia). Apparemment,on nous dit maintenant quel'Australie

pourrait traiter avecl'Indonésieau sujet des ressourcesrenouvelables

du Timor oriental, mais qu'elle devrait d'abord consulter le Portugal

avant de régler aucune de ses revendicationssur les ressourcesnon

renouvelables (CR 95/13, p. 38 («L'Australien'a pas consulté le

Portugal au sujet du traité»),Mme Higgins) . C'est à cela que l'on

constate le recul de l'argumentationdu Portugal.

60. Mais, Monsieur le Président, la distinction que M. Correia fait

entre ressources renouvelableset ressources non renouvelablesest

inopérante, et ce pour trois raisons :

* Premièrement,parce que la pratique étatique invoquée parl'Australie

ne concerne pas seulementles ressources renouvelables. Par exemple,

l'Espagne fait le commerce desphosphates du Sahara occidental sans

avoir jamais été critiquée par l'organisationdes Nations Unies

(CR 95/10, p. 11, M. Burmester) ni par le Portugal, pour autant que

nous sachions. Lorsque la communauté internationaleveut empêcher que

des Etats tiersne fassent des affaires avec les ressources non

renouvelablesd'un territoire non autodéterminé,elle le fait en des

termes très explicites, comme ce fut le cas pour l'uranium de la

Namibie ou le chrome de la Rhodésie du Sud.

* Deuxièmement, les ressources halieutiques ne sontrenouvelablesque si

elles sont exploitéesde façon viable, et tout indique que ce n'est pas

ainsi que procède la pêche ibérique au largedu Sahara occidental. Je - 71 -

renvoie en particulier à une dépêche du 20 novembre 1994 de l'agence de

presse Reuter, qui annonce la résiliation précoce del'accord de 1992,

sur les instances duMaroc, en raison des dommages causés aux

ressources halieutiques lelong de ce que le rapport décrit comme «3500

kilomètres de la côte atlantique du Maroca. Or, le littoral atlantique

marocain ne fait 3500 kilomètres que si on le prolonge jusqu'à la

frontière mauritanienne. Ladépêche se termine sur la réflexion du

porte-parole d'un groupe d'armateur marocains :~0n nous pille., La

Cour est maintenant très au courant de la notion de pillage. Il s'agit

ici d'un pillage rentable. En 1990, toujours selon la même source, les

bateaux de pêche de la Communauté européenneont pris 618 000 tonnes de

poisson représentant 514 millions de dollars - soit plus d'un

demi-milliardde dollars en un an; l'Espagne a pêché 90 pour cent de ce

tonnage, le Portugalenviron 10 pour cent. Il est vrai que ces

chiffres valent pour l'ensemble de la côte. Apparemment, les autorités

marocaines ne tiennent pas de statistiques à part pour la pêche au

large du Sahara occidental. Desexemplaires du rapport de l'agence

Reuter ont été mis à la disposition de la Cour.

* Troisièmement, le droit internationalne fait pas d'opposition

distinctive entre ressources naturelles renouvelablee st non

renouvelables. Leprincipe de la souveraineté permanente surles

ressources naturelles,que le Portugal invoque, s'appliqueaussi bien

aux premières qu'aux secondes. La résolution 1803 (XVII)de 1962 de

l'Assembléegénérale relative à la souveraineté permanentesur les

ressources naturellesparle d'un bout à l'autre de «richesseset

ressources naturelles»et de «ressourcesnaturelles». Il ne fait aucun

doute que le Conseil de sécurité et llAssembléegénérale auraient

utilisé les mêmes termes généraux dans leurs résolutions sur le Timor - 72 -

oriental, si l'un ou l'autre de ces organes avait jugé utile des'y

référer au principe de la souveraineté permanente sur les ressources

naturelles, ce qui n'est pas le cas. En essayant d'introduire

maintenant cette distinction, le Portugalélague son argumentation,

retaille sa thèse pour l'ajuster à son comportement,le tout en

dernière minute. La Cour en tirera les conclusions qui s'imposent.

61. On peut tirer de tout cela deux enseignements,Monsieur le

Président. Premièrement,la présente instance s'est caractériséepar

l'attitude moralisatrice que le Portugala adoptée vis-à-vis de

l'Australie. Mais le Portugal n'est le champion de cette haute moralité

que lorsqu'il s'agit de la présente affaire. Il ne respecte pas lui-même

les normes de conduite qu'il fixe à l'Australie. Deuxièmement, la

pratique même du Portugal étayelargement la position de l'Australie

quant à la situation des Etats tiers en matière d'autodétermination. Un

Etat ne peut prôner consciencieusementune certaine conception dudroit

371 internationalqu'il contredit lui-même et concinue en même temps de

l'enfreindrepar un comportementdélibéré.

Conclusion

62. Mme Higgins, dans un passage auquel je me suis déjà référé, a

affirmé que les arguments australienssur la reconnaissanceet

l'autodéterminationétaient décourageants à entendre (CR 95/13, p. 28).

Une audience de la Cour internationalede Justice n'est pas le lieu pour

exprimer des sentimentspersonnels (voir néanmoinsCR 95/3, p. 8,

M. Dupuy; CR 95/12, p. 76, M. Correia). Mais on peut comprendre ce

découragement. En l'absenced'un régime de non-reconnaissancecoordonné

par l'organisationdes Nations Unies, la pratique des Etats tiers à

l'égard de territoiresnon autodéterminésn'est pas particulièrement - 73 -

édifiante, et le Portugal ne fait rien pour améliorer le tableau.

L'histoire montre que le souci qu'inspire au Portugal la préservation des

ressources naturelles des territoires relevant du chapitre XI est

d'autant plus vif que c:esterritoires sont plus lointains.

63. A l'opposé, il est utile de rapprocher cette pratique decelle

que suivent les Etats quand l'Organisationdes Nations Unies a

effectivement appelé à une non-reconnaissanceet effectivement qualifié

d'illicite la présence d'une administrationdonnée, comme ce fut le cas

pour la Namibie, Chypre-Nord,la Rhodésie du Sud et les bantoustans. Par

exemple, Chypre-Nord,que Mme Higgins a mentionnée, a fait l'objet de

résolutions explicites duConseil de sécurité, fondées sur une

constatation dlillégali.téformelle et énonçant explicitementl'obligation

de non-reconnaissance;ces résolutionsont d'ailleurs été respectées

(voir cependant CR 95/1.3,p. 24, Mme Higgins). On a ainsi atteint un

haut niveau de coordination. De manière générale, les Etats se sont

abstenus de traiter avec les administrations illégales selonles

modalités proscrites, et ceux qui l'ont fait ont essuyé des critiques.

C'est même ces critiquesqui, dans les casde la Rhodésie du Sud et de la

Namibie, ont provoqué de nets changementsde position cher certains
, 2

grands Etats. La leçon à tirer est que la non-reconnaissancecollective

coordonnéepar llOrgani.sationdes Nations Uniespeut être efficace, bien

qu'elle puisse prendre du temps. La coordination lui donne ce temps

parce qu'elle empêche la cristallisationde la situation qui se

produirait autrementsi.les Etats étaientlaissés à eux-mêmes pour

décider chacun de son côté.

64. D'ailleurs, la Cour peut jouer un rôle appréciable en évaluant,

affirmant et précisant lesconséquencesde l'action collective entreprise

par les organes des Nations Uniesau nom des Etats Membres. Je renvoie à - 74 -

ce que j'ai dit l'autre jour à propos de l'affaire de la Namibie

(CR 95/9, p. 52-55).

65. Mais c'est une erreur de présumer que quelque chosea été

fait - en prenant pour argent comptant laprescription juridique

irréfragableet éternelle de Mme Higgins - lorsqu'il est évident que rien

n'a été fait. L'Organisationdes Nations Uniesa cessé en 1975 de

prendre les décisionsdont le Portugal a besoin pour faire valoir ses

prétentions contrel'Australie,c'est-à-diredes décisions rendant la

présence indonésienne illiciteet obligeant donc les EtatsMembres à ne

traiter qu'avec le Portugal, et non avec l'Indonésie. Par la suite,

l'Assembléegénérale a reculé de plus en plus, jusqu'à ne plus rien dire

après 1982.

66. Il s'agissait là d'un calcul délibéré des organes politiques. Le

Portugal cherche à faire fond uniquement sur les aspects favorables à sa

thèse, tout en ignorant les aspects négatifs, bien plus nombreux - par

exemple, le fait que la conduiteou la présence indonésiennen'a pas été

déclarée illi'cite, ou que les Etats tiersn'ont pas été appelés à ne pas

reconnaître l'Indonésieou à ne pas traiter avecelle. Vu la carence de

l'organisationdes Nations Unies - manifeste en 1979 - la question de la

non-reconnaissancetombe sous le coup du droit internationalgénéral.

Or, comme je l'ai montré, le droit internationalgénéral n'impose aux

373 Etats tiers aucune obligationde ne pas traiter avec1'Etat qui exerce

une autorité réellesur un territoire relevantdu chapitre XI, même si

cette autoritépeut être contestée par un autre Etat, voire par

l'Assembléegénérale elle-même (commedans le cas de Mayotte ou du Sahara

occidental) .

67. Dans les circonstances dela présente affaire, rien, parmi les

autres aspects de la conduite de l'Indonésiequi auraient pu donner lieu - 75 -

à une obligation de non-reconnaissance ou de mise en quarantaine en 1989,

n'a été établi; ces aspects sont contestés même au sein des différents

groupes de Timorais et le Portugal reconnaîtclairement et à juste titre

que la Cour ne saurait se prononcer à leur sujet. Il s'ensuit que la

thèse portugaise fondée sur la non-reconnaissanceest inopérante à la

fois pour des raisons de fond et pour des raisons de recevabilité.

68. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, ainsi s'achèvent

pour ce matin les exposés de l'Australie. Je vous prierais de bien

vouloir appeler cet après-midi M. Pellet à la barre, qui traitera plus

avant des questions relatives à l'affaire de l'Or monétaire et de la

responsabilité des Etat:s.

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de

votre attention.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Crawford. La Cour

reprendra ses audiencescet après-midi à 15 heures.

L 'audience es: levée à 13 neures.

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