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CR 95/9 (Traduction)
CR 95/9 (Translation)

mercredi 8 février 1995
Wednesday 8 February 1995 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La Cour va reprendre ses
008

audiences pour entendre les plaidoiries de l'Australieet j'appelle à

la barre M. Burmester pour qu'il achève son intervention commencée hier.

M. BURMESTER : Monsieur le Président,Messieurs de la Cour. Lorsque

je me suis arrêté hier, jlavais dit que, pour déterminer si le Portugal

avait qualité pour agir, il était nécessaire de comprendreles

circonstances dans lesquellesil a continué d'être appelé puissance

administranteet d'exercer ce statut.

1.1. La conduite du processus d'autodétermination

Dans le cas du Portugal, un tel examen fait apparaître une capacité

juridique très circonstancielleet très limitée, particulièrement

pour ce qui est du droit d'organiser et de conduire le processus

d'autodétermination. Si le Portugal ne possède pas ce devoir particulier,

il est difficile de concevoir l'existenced'un quelconque droit et intérêt

juridique concernantle territoire.

Privé par voie d'abandon des pouvoirs et des droits qui sont ceux

d'un administrateurnormal et effectif, le Portugal prétendqu'il conserve

les pouvoirs et les droits nécessaires pour organiser et conduire le

processus d'autodéterminationmenant à la décolonisation du Timororiental

et que ces droits appartiennentau Portugal (réplique du Portugal,

par. 4.25). C'est là en fait, dit-il, sa principale fonction. Mais

cette affirmationest sans fondement.

M. Griffith a analysé lundi le rôlelimité qu'a exercé le Portugal

à l'égard du territoire en 1974 et 1975; et son comportement inconsistant

depuis cette date. Pour cequi concernel'exercice du droit à

l'autodétermination,le Portugal est une Partie intéresséeparmi plusieurs,

et il n'est pas le représentantdu peuple du Timor oriental. Néanmoins, le Portugal prétend avoir le droit et la responsabilité

(et je cite le paragraphe5.46 du mémoire du Portugal) de :

«la conduite du procédé ... capable de mettre en place un choix

libre et conscient des populations intéresséesw.

Le Portugal dit égalementque :

«l'organisationdu processus de libre choix entre dans
le cadre des pouvoirs d'administration, du moins tant que, et
dans la mesure où ltAssembléegénérale se limite à un rôle de
supervision et ne trouve pas de motifs pour dicter elle-même
la marche à suivre* (mémoire du Portugal,par. 5.46; les

italiques sont de nous).

Ainsi, le Portugal admetlui-même qu'une puissance administrante

peut ne pas avoir dans tous les cas la responsabilité de réaliser

l'autodétermination. Pourtant, au paragraphe suivant de son mémoire

(par. 5.471, le Portugal procède à une description irréelle du rôle

qu'il croit être appelé à jouer dans ladécolonisation du Timororiental,

assignant en même temps un rôle limitéet passif de simple supervision

aux organes compétentsde l'Organisationdes Nations Unies.

Voici la description irréelle que donne le Portugal des droits

qui lui appartiennent,et je cite le mémoiredu Portugal (par. 5.47) :

«Dans la grande majorité descas, la détermination du
moment et des circonstancesoù doit se faire laconsultation

populaire a incombé à la puissance administrante. Celle-ci,
après s'être entendue avec les représentants du peuple
du territoirequant à la marche à suivre, a informé les
Nations Unies de sa décision d'effectuer un acte de consultation

populaire dansle territoire. En même temps, 1'Etat
administrantadresse aux NationsUnies l'invitationde
superviser ou d'observer l'acte. La participation des
Nations Unies sousla forme de supervisionou d'observation
dépend, en principe, de la demande ou de l'invitationde

la puissance administrante.» (les italiques sontde nous).

C'est là une descriptiond'une inexactitude extravagantedu rôle

du Portugal à l'égard du Timor oriental - un territoire dontil est

absent depuislongtemps. Dans le cas du Timor oriental, en particulier,

l'Assembléegénérale ne s'est pas comportée commesi le Portugal -4-

pouvait conserver la latitude de poursuivre ses propres procédurespour

l'exercice du droit à l'autodétermination.

Certes, il est exact qu'en 1974 le Portugala pris des mesures

destinées à permettre au processus d'autodétermination de commencer

(CR 95/2, p. 24). Mais quel que soit son désir, il n'est pas en mesure

de poursuivre ce rôle maintenant. Il a abandonné le territoire et toute

capacité de faire se réaliser l'autodétermination.

Jusqu'en 1974, il s'est opposé à tous les efforts qui visaient à

déterminer la volonté des habitants deses colonies. Quand sa position

a changé en 1974, l'Organisationdes Nations Uniess'en est félicitée et

a invité le Portugal à prendre des mesurespour assurer la pleine mise

en oeuvre de la résolution 1514 (XV). Cependant, il devait le faire

en liaison avec les mouvements de libération nationale enleur qualité

d8«interlocuteursattitrés» en vue du transfert totaldes pouvoirs

aux représentants des peuples intéressés (résolution 3294 (XXIX)

du 13 décembre 1974.

Les autorités portugaises à Lisbonne ont promulguéune loi no 7/75

du 17 juillet 1975, qui était spécialement destinée à régir le processus

de décolonisationdu Timor oriental et «définissantla procédure

d'autodétermination duterritoire et la structure de gouvernementpendant

la période transitoirede trois ans». Ainsi, comme il le reconnaît

dans son mémoire, le Portugal a organisé «le processus

d'autodéterminationpar un acte unilatéral» (mémoire duPortugal,p. 15,

par. 1-22].

Cependant, un mois et demi après l'adoptionpar un acte unilatéral de

cette loi et du statut qui lui était annexé, l'administrationportugaise,

qui ne bénéficiait d'aucun soutien, reçut de Lisbonne instruction dese

retirer sur l'île d1Atauro, ce qu'elle fit. Ensuite, en décembre, elle -5-

reçut instructionmême de partir de là, ce qu'elle fit également. Par

la suite, elle n'a absolument pasété capable d'effectuer un acte

d'autodéterminationou de protéger l'intégritédu territoire. Le

Portugal n'a pas été laissé librede prendre ses propres dispositions

pour réaliser l'autodétermination. Il a été tout à fait obligé

d'accepter la réalité des mouvementsde libération. Dès que l'Indonésie

est apparue à l'horizon, le Portugal s'est retiré précipitamment. Il a

laissé le peuple du Timororiental déterminerlui-même son avenir.

M. Griffith a décrit plus en détail les circonstances de cet abandon.

Le Portugal ditqu'il n'a jamais eu l'intentiond'abandonner

ses pouvoirs en qualité de puissance administrante (CR 95/3, p. 62).

Pourtant, les faits montrent le contraire. Il a dit à l'Organisation

des Nations Unies que c'était à elle qu'il appartenait de trouver une

solution. Si la politique du Portugal est aujourd'hui d'essayer

d'obtenir un rôle majeur dansl'autodétermination dupeuple du Timor

oriental, les droits qu'il a abandonnés précédemment ne peuvent pas se

trouver rétablis pour autant. Le fait qu'en 1984 le FRETILIN ait renoncé

à sa proclamation d'indépendanceet reconnu à nouveau le Portugal comme

puissance administrante(CR 95/3, p. 54) ne peut pas conférer au Portugal

des droits qu'il avait précédemmentperdus. Le fait d'être appelé

puissance administranten'est pas en soi la démonstrationqu'il possède

les droits nécessaires. Cela est confirmé par la manière dont

l'organisationdes Nations Uniess'est comportée à l'égard du Portugal.

L'Organisationdes Nations Uniesn'envisage pas pour le Portugal, dans le

processus d'autodétermination,un rôle d'«élément essentiel» ou

d'«instrumentpertinent»,pour reprendre les termesdu conseil du

Portugal,malgré tout ce que prétend le Portugal(CR 95/3, p. 72). 1.2 Le traitement par l'organisation des Nations Unies du rôle
du Portugal à l'égard du Timor oriental

L'Organisationdes Nations Uniesa tiré les conséquences de

l'ineffectivitédu Portugal en reconnaissantqu'il n'était plus le

représentant légitime du peupledu Timor oriental. Elle n'a pas chargé

le Portugal de la responsabilité d'organiseret de conduire le processus

d'autodétermination. Le Portugal pourrait alors être à la fois juge et

arbitre dans le différendqui l'intéresse. Le Portugal, à cet égard,

n'est rien de plus qu'une «partie intéressée,. Et ce fait implique une
01 2
-
limitation afonctionnelle»importante - une limitation dont le Portugal

admet lui-même la possibilité.

L'Assemblée générale a établi un mécanisme qui constitue le préalable

nécessaire pour la réalisation du droit à l'autodétermination dans lecas

présent, à savoir le règlementdu différend sous-jacent. A cette fin,

l'Assembléegénérale a encouragé et favorisé desconsultations,et le cas

échéant des négociations, entre les deux Etatsintéressés. Le dernier

mot sur la question - dès 1982 - a été la demande faiteau Secrétaire

général dans le premier paragraphede la résolution 37/30 :

adtentamerdes consultationsavec toutes lesparties directement
intéressées,en vue de rechercher les moyens permettant de
parvenir à un règlement globaldu problème, et de faire rapport
à ce sujet à l'Assembléegénérale».

Le paragraphe 2 du dispositif de cette résolution confie«l'application

de la présente résolution»non au Portugal,mais au Secrétaire général

assisté par le Comité desVingt-Quatre. Nous avons traité dansdes

exposés précédentsde la situation créée par ce mandat donné au

Secrétaire général.

Le Portugal qui estun des Etats intéressés nepeut donc pas tirer

de la résolution 37/30 des droits qui lui seraient propres pour ce qui

concerne le processus d'autodéterminationet lui conféreraient «qualité -7-

pour agir» à l'égard de l'Australiedans la présente espèce. Au plus,

la résolution 37/30 peut donner au Portugal le droitd'être consulté et

de participer aux négociations envue de uparvenir à un règlement global

du problème». Ce droit du Portugal n'est manifestement pas destiné à lui

conférer un quelconque rôle d'interdiction des actesde l'Australie

concernant leTimor oriental.

f-13 Si le statut de «partieintéresséewdu Portugal lui donnait qualité
-.
pour agir, cela signifierait quetoutes les parties à un différend

concernant l'autodéterminationqui posséderaient ce statut pourraient,

avant la reconnaissancepar l'organisationdes Nations Unies d'un acte

d'autodétermination,intenter des actions contre tout autreEtat qui

traiterait avec les autoritésqui exercent l'autoritéeffective sur le

territoire concerné. Ce pourrait être unesource d'instabilitéet de

confusion pour la surveillance qu'exerce l'Organisation des Nations Unies

sur le processus d'autodétermination. Sans aucun doute, c'est pour cette

raison que le Portugal insiste continuellement sus ron statut de

puissance administrante à l'Organisationdes Nations Unies. Cependant,

permettre qu'une simple désignation confère qualité pour agir sans tenir

compte des fonctionsréelles qu'assure un Etat peut également êtreune

source d'instabilité. Ce serait un bouleversement totaldu fondement des

normes qui régissent la qualité pour agir - à savoir, qu'un Etat

demandeur doit être capablede justifier d'un droit suffisant qui lui

appartient en propre. Qu'une simple désignation puisse conférer qualité,

sans égard à la capacité effectived'un Etat constitueraitune subversion

de cette norme de prudence.

Il est inutileque je rappelle à la Cour que le Portugaln'exerce

aucun pouvoir d'administrationsur le territoire en question. Il ne

s'agit pas d'une puissance administrantequi agit pour protéger le - 8 -

territoire et les intérêtsd'un peuple sur lequel il exerce l'autorité.

11 ne s'agit pas d'une puissance administrante qui agit pourprotéger,

contre un autre Etat qui l'a chassé, l'intégritédu territoire à l'égard

duquel il assurait des responsabilités. Nous nous trouvonsdevant

une ancienne puissance coloniale quicherche, près de vingt ans après

avoir abandonné son dernier lien avec le territoire et rejeté ce rôle,

à revendiquer le droit de réaliser et de défendre le droit à

l'autodétermination. Et cela, à l'égard d'un peuple sur lequel elle

n'exerce aucune forme d'autorité et qui lui-même lui a refusé tout rôle

de ce genre au moment où elle s'est retirée volontairement.

Dans ces conditions, le Portugal ne possède en son nom propre aucun
01 4

droit qui lui donne qualité pour agir dans la présente espèce.

II. Le Portugal n'est pas le dépositaire des droits
du peuple du Timor oriental

Le deuxième volet de l'argumentationdont se sert le Portugalpour

définir les droits sur lesquels serait fondée sa qualité pouragir est

que le Portugal «se considère toujours dépositaire des droits dupeuple

du Timor orientala (requête introductived'instance,par. 141, de telle

sorte qu'en introduisant la présente instance, le Portugal prétend

assumer aun service public international»en qualité d'agent ou de

représentantdu peuple du Timor oriental (requête introductive

d'instance,par. 1).

La réponse immédiate à cette prétention est que le Portugal ne peut

pas être le représentantni le dépositairedes droits de l'importante

partie de la population du Timororiental et des partis politiques qui

sont favorables à l'intégration à l'Indonésie. Mais nous devons examiner

ce point d'un peu plus près. -9-

On peut admettre la possibilitéen principe de circonstancesoù

des tiercesparties ont le droit d'engager une instance pour défendre les

droits d'une autre partie quine peut pas les faire valoir directement

Ce pourrait en particulier être le cas danscertaines situations

coloniales comme celles des affairesdu Sud-Ouest africain où une

autorité administranteest encore en mesure d'exercer la <mission sacrées

et peut être censée avoir été chargéede cette tâche par le peuple lui-

même. Au contraire de ce que prétend lePortugal, ses demandes actuelles

contre l'Australiene relèvent d'aucun principe de ce genre.

Il ne s'agit pas non plus d'une puissance administranteou

d'une autorité administrantequi posséderait une capacité effective de

C? 5 représenter les intérêtsd'une entité séparéeet distincte titulairedu

droit à l'autodéterminationpour ce qui concerne l'objet de la demande.

Les prétentions du Portugal à représenter le peupledu Timor orientalen

cette affaire, étant donné son absence de présence dans le territoire et

son abandon de toute prétention à l'administrerou à jouer un rôle

effectif à l'égard du territoire oude ses ressources maritimes,ne sont

pas plus fondées qu'une prétention similaire à sa représentationde la

part d'un autre Etat. Pourtant, le Portugal nie qu'il revendique sa

qualité pour agir au nom du peuple du Timor orientalen n'invoquant que

sa qualité dlEtat Membre de l'organisationdes Nations Unies (réplique

du Portugal,p. 246,par. 8.14) .

Pour affirmerqu'il a qualité pour représenter le Timor oriental,

le Portugal invoquedes affaires concernant des protectoratsou d'autres

entités séparées. Il accorde beaucoupde poids à ces affaires (réplique

du Portugal,par. 8.06-8.08;CR 95/6, p. 51-52). L'Australiemontre dans

sa duplique que ces exemples ne sont pas pertinents (duplique de

l'Australie,par. 128-129). Dans tous les cas invoqués par le Portugal, - 10 -

llEtat qui intentait l'action à titre de représentant exerçaitl'autorité

étatique et il n'y avait pas de différend quant à sa capacité de

représentation. Cen'est pas le cas en l'espèce. L'affairedu Droit de

passage sur territoire indien invoquée parle Portugal concernait un

différend territorial,non une action exercée en qualité de représentant.

Et, de manière significative,la Cour s'est dans cette affairelimitée à

envisager la périodedurant laquelle le Portugal a effectivement contrôlé

le territoire.

Ce qui est important ici, c'est d'examiner quelles fonctions

particulières sont exercées par 1'Etat en cause ou ont été confiées à cet

Etat. Dans le cas du Timor oriental, les fonctions limitées qu'exerçait

le Portugal en 1995 ne vont pas jusqu'à lui permettre d'intenter une

action en justicecomme une puissance colonialequi aurait conservéson

autorité sur le peuple de son territoire colonialou la responsabilitéde

ce peuple.

En définitive, la seule circonstance quele Portugal invoque comme

prouvant qu'il a qualité pour représenterle peuple du Timor oriental

dans la présente affaireest qu'il serait la puissance administrante.

Mais, en soi, comme nous l'avons déjà montré par desarguments que

nous développerons ultérieurement,cela ne confèrepas ni n'emporte

capacité généralede représenter un peuple. Une telle capacité est

subordonnée à la situation particulière de1'Etat en cause et aux

responsabilités fonctionnellesqui lui sont accordées, et ne peut

résulter de la simple assertionde son statut de puissance administrante.

11 se pourrait néanmoins qu'alors même qu'une large proportion dela

population n'accepte pas le Portugal commeson représentant,les

résolutions de l'Organisationdes Nations Unies aient sous une forme ou

sous une autre cédé ou transféré au Portugal lesdroits du peuple du - 11 -

Timor oriental ou lui aient autrement reconnu de tels droits. Toutefois,

c'est en vain qu'on lit les résolutionsde l'organisation des

Nations Unies sur le Timororiental poury trouver une telle délégation,

cession ou reconnaissance desdroits du peuple du Timor orientalen

faveur du Portugal.

Au contraire, toutes les résolutionsadoptées par 1'Assemblée

générale depuis 1976, en particulier lesrésolutions 36/50 de 1981 et

37/30 de 1982, font une distinctiontrès claireentre le Portugal et les

représentants dupeuple du Timor oriental. La résolution 36/50 de

l'Assembléegénérale, en son paragraphe 3, demande :

«à toutes les parties intéressées, à savoir le Portugal, en

sa qualité de puissance administrante,et les représentants
du peuple du Timor oriental, ainsi que l'Indonésie,de coopérer
pleinement avec l'organisationdes Nations Unies envue de
garantir au peuple du Timor oriental le plein exercice de son
droit à l'autodétermination ».

Loin d'investir le Portugal des droitsdu peuple du Timor oriental,

les résolutions désignentles représentantsdu peuple du Timor oriental

comme une partiedistincte, pleinement capablede défendre ses propres
4-' 7i

droits et agissant pour son propre compte, séparément du Portugal. Et

ces représentants l'ont fait régulièrement,au Comité desVingt-Quatre et

ailleurs. L'Assemblée générale,dans le préambule des résolutions 36/50

de 1981 et 37/30 de 1982, rappelle qu'elle a entendu «les

déclarations ... du représentantdu Frente Revolucion~riode Timor Leste

Independente»,le mouvement de libération du Timor oriental, et de divers

pétitionnairesdu Timor oriental.

Une conclusion similairepeut être tirée de l'examen de la

résolution 384 du Conseil de sécurité, en date du 22 décembre 1975, qui

est l'une des pierres angulairesde l'argumentationdu Portugal. Elle ne - 12 -

contient ni transfert ni délégation, expresseou tacite, des pouvoirs et

droits du peuple du Timor orientalau profit du Portugal

Loin de contenir une délégation depouvoirs et de droits au profit du

Portugal, la résolution 384 du Conseil de sécurité critiqueavec une

sévérité sans précédentla conduite du Portugal en tant que puissance

administrantedu territoire. Dans le préambule de la résolution, le

Conseil de sécurité regrette expressément

«que le Gouvernement portugaisne se soit pas pleinement
acquitté des responsabilitésqui lui incombenten tant que

puissance administrante du Territoire aux termes du chapitrX eI
de la Charte.*

Il serait outré et cynique d'interprétercette critique sévère du rôle du

Portugal en tant que puissance administrante commecontenant une

délégation implicite de droits. Ce que ces mots disent et veulent dire

réellement n'est pas que le Portugal doitconserver tous ses droits de

puissance administrante,mais que lorsqu'il avait la qualité de puissance

administrante,il ne s'est pas correctementacquitté de ses

responsabilités à ce titre

Etant donné les antécédentsdu Portugal en tant que puissance

administrante du territoire, il est difficile d'accepter l'argument

avancé dans la réplique (par. 8.15 et 8.16) selon lequel le statutdu

Portugal en tant que ureprésentant international du peuple du Timor

orientaln découle de cla mission sacréen assignée au Portugal par

l'article 73 de la Charte.

Deux ans plus tard, en 1977, l'Assembléegénérale, au paragraphe 5 de

sa résolution 32/34, élargissait les fonctions du représentantspécial du

Secrétaire général enlui confiantcertaines attributions enmatière de

conciliationqui consistaient à :

«établir le contact avec les représentants du Frente
Revolucion&riode Timor Leste Independenteet du Gouvernement indonésien, ainsi que les gouvernementsdes autres Etats

concernés. »

Dans cette résolution, le Portugal n'est même pas mentionné, même

s'il est inclus dans la catégorie des «autres Etats concernés», là encore

séparément des représentants du FRETILIN.

Enfin, au paragraphe 5 de la résolution 37/30 de l'Assemblée

générale, adoptée en 1982, la dernière en la matière, le Secrétaire

général est prié, par l'intermédiaire de son représentant spécial,

d'«engager des consultation avec toutes les parties directement

concernées, en vue de rechercher comment parvenir à un règlement global

du problème».

Ainsi, l'Organisationdes Nations Unies conserve l'intégralitéde la

fonction de représentation et de défense des droitsdu peuple du Timor

oriental, et il n'y a aucune reconnaissancede ces droits en faveur du

Portugal. Le Portugal est seulement l'un des Etats directement concernés

et n'a de droits qu'à l'égard du Secrétaire généralet ces droits sont

limités à une participationaux processus de conciliation et de

négociation actuellementen cours.

Le Portugal argue que le peuple du Timor oriental acceptela qualité

de puissance administrantedu Portugal et appuie l'introductionpar ce

dernier de la présente instance (répliquedu Portugal, par. 3.13-3.18;

CR 95/3, p. 53), mais il n'en est pas ainsi. La position adoptée à

l'égard du Portugal et du peuple du Timor oriental à l'Organisationdes

Nations Unies contredit le Portugal. M. Griffith a donné des détails sur

ce point lundi. Le Portugal reconnaîtque jusqu1en 1984, le peuple du

Timor oriental n'avait reconnu aucun rôle au Portugal (répliquedu

Portugal, par. 3.14). Depuis lors, il y a eu des déclarationsde divers

représentants et pétitionnaires,en particulier une lettre de 1991 du - 14 -

chef du mouvement de résistance du Timor. Au regard du droit, des appels

lancés unilatéralement à un Etat pour qu'il défende les intérêtsd'un

peuple ne peuvent être assimilés à une délégation effective de pouvoirs à

cet Etat afin qu'il saisisse la Cour internationale deJustice. D'autant

plus que l'organisation des Nations Unies n'est jamais revenue sur sa

conclusion selon laquellele Portugal n'était pas le représentant

légitime du peuple du Timor oriental.

La réponse à la question de savoir si lePortugal a bien une telle

qualité dépend de son droit de représenter lepeuple, et cela doit être

déterminé par un examen objectif de la situation du Portugal. Le

Portugal ne peut se conférer un droit qu'il n'aurait pas autrement en se

faisant envoyer une lettre, même par le dirigeant d'un mouvement de

libération. Pour les raisons exposées, l'organisationdes Nations Unies

ne recomaît pas un tel droit. Comme l'illustrentles efforts déployés

dernièrementpar le Secrétaire général, un dialogue incluant toutes les

parties du Timor orientalest en train de s'instaurer. Ceci confirme une

nouvelle fois que lePortugal ne peut parlerau nom du peuple du Timor

oriental. Seul ce peuplepeut le faire.

Le Portugal argue quelui refuser qualité pour représenter le peuple

du Timor oriental laissecelui-ci sans recourspour défendre ses droits.

Il n'en est pas ainsi. L'Organisationdes Nations Uniespeut le faire

- y compris en saisissant la Cour. C'est ce que montrent les affaires de

Namibie et du Sahara occidental

-'" rJ Nous pouvons conclure, sur cette deuxième partiede l'argumentation
-.L
du Portugal, que la prétention de ce dernier à être le dépositairedes

droits du peuple du Timor orientalest sans fondement aucun. En

conséquence,le Portugal n'a pas de ius standi vis-à-vis de l'Australie

aux fins de la présente instance,sur la base de ces prétendus droits du - 15 -

peuple du Timor oriental. Non seulement lademande est formée contre la

«mauvaise»partie, mais elle est faite par un demandeur qui n'a pas le

droit ou la capacité juridique nécessaires.

Monsieur le Président, ainsi s'achève l'exposé des arguments de

l'Australiesur la recevabilité. M. Crawford présentera la position de

l'Australiequant au fond de l'affaire.

Le PRESIDENT : Merci MonsieurBurmester. Je donne la parole à

M. Crawford.

Mr. CRAWFORD : Thank you very much Mr. President,Members of the

Court.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Burmester. Je donne

maintenant la parole à M. Ceawford.

M. CRAWFORD : Monsieur le Président,Messieurs de la Cour.

Introduction et présentation générale de l'argumentation au fond

1. L'Australie en vient maintenant au fondde la présente affaire.

Comme l'a expliqué M. Griffith dans son interventionliminaire, il ne

s'agit pas ici de sa thèse principale. L'argumentationprésentée sur le

fond de la démarche du Portugal ne l'est qu'à titre subsidiaire,pour le

cas où les arguments relatifs à la compétence et à la recevabilité

n'atteindraientpas leur but. Les difficultés que posent à la Cour les

questions abstraites formulées - avec quel byzantinisme - par le

Portugal, sont considérables. De l'avis de l'Australie,elles sont

insurmontables. Pour statuer sur la demande du Portugal, dans les termes

tortueux dans lesquelscelui-ci l'a formulée, la Cour doit se lancer dans

une opération «éloignéede la réalité» (voir l'affairedu Cameroun

septentrional,C. 1.J. Recueil 1963, p. 33) . Et pourtant, comme l'agent

du Portugal l'a bien expliqué la semaine passée (CR 95/2, p. 17), la

décision que rendra la Cour sera considérée à l'extérieurde cette - 16 -

enceinte commeportant sur des questions beaucoup plusgénérales, sur des

questions réelles, mettant directement en cause un Etat tiers.

2. Il y a une façon bien simple de sortir du labyrinthe complexq eue

le Portugal a construit pour la Cour - et que l'on pourrait aussi

qualifier de puzzledont il manquerait la moitiédes pièces, ou peut-être

de jeu d'échec à trois dimensionsqui n'aurait pas de roi. La Cour n'est

pas obligée de s'amuser, de pratiquer des jeux imaginaires. Elle peut

simplement jugerque l'affaire n'est pas recevablepour les raisons que

l'Australie a déjà exposées.

3. Cela dit, l'Australien'en saisira pas moins l'occasion qui lui

est offerte de répondre à l'argumentation au fond du Portugal, dans toute

la mesure du possible dans les mêmes termeset avec les mêmes mots, y

compris les doublesnégations, les négations simpleset même les

affirmations s'il devait y en avoir.

4. L'argumentationde l'Australiesur cet aspect de l'affaire peut se

diviser en trois rubriques principales. Il y a d'abord le faisceau

d'arguments qui portent sur Ilautodéterminationet les questions

connexes, et sur les prétendues conséquencesde la qualification du

Portugal comme puissance administrante. Un deuxième groupe d'arguments

concerne le droit qu'a l'Australied'engager des négociationspour

protéger ses ressourcesmarines, et la violation alléguéedu principe de

la souveraineté permanente surles ressources naturelles. Enfin, un

troisièmegroupe de considérationsconcerne l'opportunitéjudiciaire de

la plainte portugaise, considérationspour lesquelles les mesures mêmes

que demande le Portugal à la Cour sont fortéclairantes. Autodétermination du Timor oriental et position du Portugal en tant que
e «puissance administranteo

5. J'aborde donc le premiergroupe d'arguments,qui concerne

l'autodétermination,la reconnaissanceet les conséquencesprésumées de

la qualification du Portugal comme«puissanceadministrante».

6. Lundi dernier, la Cour a entendu l'ambassadeurTate exposer la

position du Gouvernement australien à l'égard de l'autodéterminationdu

peuple du Timor oriental (CR 95/7, p. 23-32). Peut-être ne sera-t-ilpas

inutile, au moment d'aborder cette partie des plaidoiries australiemes,

de rappeler quelle est cette position quant au fond.

7. L'Australie reconnaît que le peupledu Timor oriental continue

d'avoir le droit à l'autodétermination. Quant à savoir comment le

territoire peut réaliser cette autodétermination, c'est au bout du compte

une question qu'il appartient aux organes compétents de l'ONU de

résoudre, en collaborationavec les «parties directement intéressées».

L'expression «partiesdirectement intéressées»a été utilisée par

l'Assembléegénérale pour désigner à la fois le Portugal et l'Indonésie,

ainsi que lesreprésentants dupeuple du Timor oriental. Mais elle n'a

jamais visé l'Australie,et ne la vise toujourspas. L'Australie est

disposée à se conformer à toute décision que prendraient les organes

compétents de llONü sur l'avenir du territoire,et fera tout ce qu'elle

pourra pour seconder le Secrétaire général dans sa recherche d'un

règlement. Elle a fourni une aide humanitaire généreuse au peuple du

Timor oriental. Mais, Etat tiers n'ayant jamais eu à assumer de

responsabilité dansl'administrationdu Timor oriental, elle ne peut

guère faire plus sur le plan de l'assistancepratique, et le droit

internationaln'exige rien de plus d'elle. Aucun organe de l'ONU n'a

,PF.7 fait de recommandationaux tiercesparties, ni ne leur a demandé de ne
- --.3 - 18 -

pas traiter avec l'Indonésie à propos du Timor oriental. Il n'y a pas eu

de décision des NationsUnies exigeant que lestierces parties

s'abstiennent. En l'absence d'une telle recommandationou d'une telle

décision, il n'y a pas obligation dene pas traiter avec l'Indonésie,qui

est l'autorité fermement établie qui contrôle de fait le territoiredu

Timor orientai.

8. Dans cette partie de sa plaidoirie sur lefond, l'Australie

montrera comment la position qui vient d'être résumée est entièrement

fondée en droit international, conforme à la pratique des Etats, y

compris, chose intéressante, à celle du Portugal.

9. Monsieur le Président, comme jele signalais hier, le Portugal

n'invoque pas, j'y insiste, l'emploi de la force par l'Indonésiecomme

fondement de ses griefs dans la présente instance. Il nie

«que le différend qui est porté devant la Courest relatif à
l'interventionmilitaire indonésienneau Timor oriental et à ses
conséquences sur le droit du peuple du Timor oriental à disposer
de lui-même» (réplique,par. 9.02).

Il évoque deux catégoriesd'obligationsde non-reconnaissance : une

«première» catégorie qui a trait à l'autodéterminationet au caractère

non autonome du territoire, et une «deuxième» catégorie,les «obligations

de l'Australiede ne pas reconnaître une situationde fait créé par la

forces (réplique,par. 2.19). Il affirme particulièrement que«la

requête portugaise ne vise que la violation,par l'Australie,des

obligations de la première catégorie» (réplique,par. 2.20; italiques

dans le texte). Il insiste pour dire que «le Portugal ne demande pas à

la Cour de se prononcer sur l'illicéitéde cette occupation

[indonésienne]»(ibid.). Il ajoute encore qu'«il n'est pas demandé à la

Cour de juger de la position indonésiennerelative à l'occupation
724

militaire» (réplique,par. 5.79). Il répète que «le Portugal ne se place - 19 -

pas du point de vue de l'obligationde non-reconnaissancede situations

résultant de l'emploi illicite de la force, en tant que telles»

(réplique,par. 6.30; voir égalementpar. 7.28).

10. Cette position, clairementet explicitementdéfendue dans les

écritures, a été réaffirméedevant la Cour la semaine dernière(voirpar

exemple CR 95/2, p. 57-68, M. Galvao Teles; CR 95/5, p. 68-70, M. Dupuy;

CR 95/6, p. 29, M. Galvao Teles). L'affaire doit être jugée, ont-ils

tous souligné, en laissant tout à fait de côtéles moyens par lesquels

l'Indonésies'est acquis le territoire.

11. Le Portugal a certainementde bonnes raisons d'adopter une telle

position. D'abord, le Conseil de sécurité,premier responsableen ces

matières, a été décidémentbien circonspectdans la manière dont il a

qualifié les agissements indonésiens, si on peut encoreparler de

«circonspectionw à propos d'un silence de près de vingt années. Ensuite,

on ne peut pas demander à la Cour, engagée dansun procès entre

l'Australieet le Portugal,de déterminerla légalité, la qualification

et les conséquencesd'activitésréaliséespar un Etat tiers il y a

presque vingtans, impossibilité quele Portugal admet clairement dans

ses plaidoiries.

12. Il y a d'ailleurs unedisparité frappante entrela manière dont

le Portugal qualifie le comportement del'Indonésieet la manière dont le

Conseil de sécurité et l'Assembléegénérale qualifient ce même

comportement. Le Portugal parle de «l'invasionindonésienne» (CR 95/2,

p. 16, M. Cascais), d'«invasionmilitaire» et de conquête manu militari

(CR 95/2, p. 22, M. Correia), d'<<invasion indonésiennemassive» liée à

une <politiquede génocide» contre le peuple du Timor oriental (ibid.,

p. 28, M. Correia) , de 1' «agresseur»indonésien (ibid., p. 30,

M. Correia), de son «invasionarmée» (ibid., p. 49. M. Correia), de son «occupation illégale» (CR95/3, p. 9, M. Dupuy), de son «occupationet de
'325
son intervention illégales»(CR 95/4, p. 15-23, Mme Higgins).

13. Par contraste, le Conseil de sécurité, dans les cinq mois qu'il a

consacrés au Timor oriental, a parlé une seule fois de «l'intervention

des forces armées de l'Indonésie» (résolution 384 (1975)),et s'est

toujours référé pour le reste à la «situationexistantew (résolution389

(1976)). Dans ses premières résolutions, l'Assembléegénérale parlait de

l'«interventionmilitaire des forces arméesindonésiemesw (résolution

3485 (XXX), par. 1, 4; résolution 31/53, huitième alinéa du préambule),

bien que, là encore, l'expressionait disparu après1976. Aucun de ces

deux organes n'a jamais employé lestermes «invasion», uconquêtew,

«agression»ni «génocide». Aucun d'eux n'a jamais qualifiéd'«illégales

l'occupationindonésienne. Et tout cela avant le tournantpolitique

notable de 1979, date après laquelle l'Assembléegénérale a complètement

cessé de réclamer leretrait de l'Indonésie (voirCR 95/7, p. 51-52,

M. Griffith).

14. Il est intéressantde ce point de vue derappeler la description

faite du conflit par Hector Gros-Espiell dansle rapport faisant autorité

qu'il a présenté à la sous-commissionde la lutte contre lesmesures

discriminatoireset de la protection des minorités en 1980.

M. Gros-Espiellvoyait dans les événements de 1975 «un débat complexe au

cours duquel s'affrontèrentles thèses des Gouvernements portugais et

indonésiens (H. Gros-Espiell,Le droit à 1'autodétermination -

Application des résolutions de 1'Organisation des Nations Unies, ONU,

E/CN.4/Sub.2/405/Rev.l,1980, p. 54, par. 24). La formule résume bienla

position généralede l'ONU face à la situation au Timor oriental.

15. Mais, en l'espèce, cette position présenteun dilemme

fondamental. Si la présentation des événementspar le Portugal est - 21 -

juste, l'inactionde l'ONU, le fait qu'elle n'ait pas pris de mesure, est

inexplicable. Mais l'ensemblede la demande du Portugal, tant sur le

plan de la recevabilitéque sur le fond, dépend des conséquences

effectives des qualificationsde 1'ONü. L'effet de choc de la demande du

Portugal tient à ce que le comportementde l'Indonésieest ouvertement

présenté commegénocide, agressif, visant à réprimer un peuplepar la

force. Les effets juridiques de la plainte dépendent entièrement des

résolutionsde l'ONU, laquelle s'abstient sciemment d'utiliser ce genre

d'épithètes. Le Portugal s'appuie sur les résolutions de l'ONU pour

obtenir un résultat que justement cesrésolutions se sont délibérément

abstenues de promouvoir.

16. On peut penser, puisque le Portugal ne demande pas à la Cour

d'examinerune questionayant trait à l'emploi illégal de la force par

llIndonésie,qu'il est inutile d'approfondirle sujet. Mais le Portugal

ne peut s'esquiver aussi facilement. L'applicationdes principes qui

régissent le recours à la force n'amène pas nécessairement à la

conclusion qu'en 1989, à l'époque où le traitéa été conclu, l'Australie

était tenue de ne pas reconnaîtrela légalité de l'autorité indonésienne

sur le Timor oriental. L'applicationde ces principes à des situations

concrètes ne se fait pas automatiquement. Le Bangladesh a été reconnu en

tant qulEtat nonobstant les critiques ques'attirait l'Inde de la part de

l'ONU pour avoir employé la force dans le Bengale oriental.L'acquisition

de Goa a été reconnue par des Etats tiers bien avant que lP eortugal ne

la reconnaisse lui-même,nonobstant le recours à la force par l'Inde.

M. Correia a voulu mettre le cas de Goa à part, au motif qu'il s'était

présenté pendant la dictature portugaise (CR 95/3, p. 61). Mais

l'argument est d'une insuffisance patente : le droit internationalmet

tous les Etats à l'abri du recours à la force par autrui, quelle que soit - 22 -

G27 la forme de leur gouvernement (voir1'affaireNicaragua, arrêt, C. 1.J.

Recueil 1986, p. 14 et suiv.; voir égaiementcontre-mémoire,

par. 350-359; duplique, par. 217-230). Le fait que le gouvernementd'un

Etat ne soit pas démocratiquene justifie pas le recours unilatéral à la

force.

17. En outre, la stratégie du Portugal soulèved'énormes difficultés

pour la Cour au moment de l'examen au fond. Au point que l'Australie

- que l'on m'excuse de le répéter - pense que la Cour ne devrait pas

juger l'affaire au fond : la manière dont la thèse portugaiseest

formulée fait que le problèmeposé prend un caractère irréel, artificiel,

sans rapport avec la réalité, comme cette même Cour ledisait, pour

d'autres raisons, dans l'affaire du Cameroun septentrional(C.I.J.

Recueil 1963, p. 33). Comme le Portugal accepte que la Cour ne statue

pas sur la base du recours illicite à la force par l'Indonésie,recours

que l'ONU n'a jamais qualifiéd'illégal ou d'illicite, l'affaire doit

être jugée avec le postulat que l'Indonésiea pu, d'une manière ou d'une

autre, imposer son autorité au territoire licitement - ou en tout cas non

illicitement - au moins au regard des règles régissant lerecours à la

force. Mais commentla Cour peut-elle dire quelleposition auraienteue

les Etats, ou quelle position auraitprise l'ONU dans cette éventualité ?

Le Conseil de sécuritéet l'Assembléegénérale étaient déjà bienassez

réservés. M. Correia a parlé «de la terre de tant de tombes anonymes,

des murs de tant de prisons, des soldats de l'envahisseurqui montent la

garde devant les pluspetits villages» (CR 95/2, p. 22) et c'est une

situation que nous condamnons,où qu'elle apparaisse. Le Conseil de

sécurité l'a décrite comme une «situation toujours tendue» si cela peut

se dire au Timor oriental (résolution 389(19761,huitième alinéa du

préambule), après quoi il a complètement cesséde s'y intéresser. Qui
Q38 - 23 -

peut imaginerce que les organes compétents de l'ONU auraient dit s'ils

étaient partisde cette même hypothèseque le Portugal soumet

explicitementau jugement de la Cour, celle d'un déni du droit à

l'autodéterminationnon accompagné d'un recours illicite à la force ?

18. La question se ramène à ceci. Le Portugal demande à la Cour de

s'inspirer de l'évaluationque l'Organisationdes Nations Unies a faite

de l'ensemble de la situation, tout en prétendant ne pas s'appuyer du

tout sur un aspect juridique déterminantde cette situation même. Il met

donc la Cour dans une position intenable. Comment peut-elle évaluer le

sens, les effets juridiques,ou même la validité, de résolutions dans

lesquelles lasituation est considérée dansson ensemble, alors que le

Portugal dit que la Cour ne peut même pas prendre en considérationla

règle la plus importantequi pourrait s'appliquer ?

19. C'est pour cette raison, et pour les difficultés du même ordre

avec le principe dégagé dans l'Or monétaire qui ont déjà été analysées,

que la première conclusion de l'Australieest que la requête du Portugal

est irrecevable. Le Portugal cherche, par un effort d'abstraction, à

éviter d'impliquer un Etat tiers, mais il ne peut y parvenir qu'en

demandant à la Cour de répondre à des questions sans rapport avec la

réalité. Menacé d'être empalé sur la corne de l'Or monétaire, il se

jette en désespoir de cause sur la corne du Cameroun septentrional.

C'est un dilemme sans issue.

20. Supposons cependant - pour pousser le raisonnement - que la Cour

ait à faire la gymnastiquementale qu'exige d'elle la thèse portugaise.

Commençons par considérerla question dontle Portugal dit que la Cour

doit trancher. Elle peut se formuler ainsi : l'Australie avait-ellele

droit de conclure le traité de 1989 avec l'Indonésie ? Il faut y

répondre sans considérer si l'Indonésiea pris possessiondu Timor0 2 9 oriental licitementou non, ni si l'Australieétait ou non tenue de

reconnaître la souveraineté indonésienne,ou de ne pas traiter avec

l'Indonésie,en raison des moyens utilisés par celle-ci pour imposer son

autorité au territoire en 1975. Telle est donc la question, et telles

sont les limites de la liberté d'action de la Cour s'agissant d'y

répondre.

L'autodétermination et le traité de 1989

21. En abordant cet aspect du problème, la première chose qu'il faut

dire est que la teneur et les effets du traité de 1989 ne sont pas, en

tant que tels, incompatibles avecle droit à l'autodétermination du

peuple du Timor oriental. Le traitén'empêche ni n'interdit l'exercice

de ce droit.

22. D'ailleurs, l'Australiene prétend pas -et le Portugalnon

plus - que le traité serait opposable à un Timor orientalqui deviendrait

indépendant (duplique de l'Australie,deuxième partie, chap. 3). Il

appartiendraitaux autorités du Timororiental, dans l'éventualitéoù

celui-ci serait indépendant,de décider soitde confirmer le traité ou

d'en négocier un autre, soit même de chercher un accord sur la

délimitation du plateau continental entre les deux Etats.

23. Comme je le signalais hier, le Portugalne s'en prend pas dans

ses écritures aux effets ni au contenu du traité en tant que tels, mais

simplement au fait que le traité a été conclu avec un autreEtat que

lui-même (CR 95/8, p. 63-64). En d'autres termes, le traité ne violerait

pas le droit à l'autodéterminations'il avait été conclu avec le Portugal

(voir par ex. réplique, par. 5.09). Celui-ci reconnaît que la chose

serait également vraiemême si le traité ne garantissait nullementque le

Portugal consacrerait aux populationstimoraises unecertaine proportion

des revenus éventuels del'exploitationdu plateau continental,et même -25 -

si le Portugal étaitlui-même en infraction avecle principe de

llautodétermination à l'égard du Timor orientaldepuis la mise en
0 30
applicationde ce principe et, en tant que Membre del'ONU, depuis 1955.

24. Dans ses exposésoraux, le Portugal a quelque peu modifié sa

position, et s'en est pris au traité lui-même,malgré les graves

difficultésque cette façonde procéder soulèvesur le plan de la

recevabilitéde l'ensemblede l'affaire (CR 95/8, p. 48, renvois aux

exposés précédents). Mais pour les raisons que j'ai exposées hier et

qu'il n'est pas nécessairede répéter, on n'a absolument aucune raisonde

mettre en doute la position adoptée par lePortugal dans ses écritures

(CR 95/8, p. 63-64). Le Portugal auraitpu conclure légalement

avant 1975 letraité en cause, et il n'y a donc pas de conflit entre le

principe de l'autodéterminationet le contenu du traité. La pratique des

Etats confirmepleinement cetteconclusion,comme M. Burmester le

montrera.

L'autodéterminationet la conclusiondu traité de 1989

25. Cela n'empêche pas le Portugal de soutenir que la conclusiondu

traité par l'Australieétait illégale. Elle était illégale parce que

l'Australietraitait avecun autre Etat que lePortugal à propos du Timor

oriental. Le Portugal prétend quel'Australiea ainsi violé son droit

exclusif de représenter le territoire. Le grief du Portugal,et si je ne

me suis pas trompé dans l'analyseque je viens de faire de saposition,

son seul grief, est que le traité de 1989n'a pas été conclu avec

lui-même (on en trouvera une confirmation dans CR 95/2, p. 13-14, 33-34,

M. Correia).

26. Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, dans la suite de ma

plaidoirie ce matin, je traiterai des principes juridiques intéressant

cet argument. M. Burmester examinera ensuite lapratique des Etats et - 26 -

décisions pertinentes del'Organisationdes Nations Unies confirmant que

les Etats sont libres de traiter avecllEtat qui contrôle effectivement
33 1
un territoire relevant du chapitreXI, qu'il s'agisse ou non de 1'Etat

désigné comme puissance administrantepar l'Organisationdes Nations

Unies, sauf lorsque celle-ci l'interdit expressément. M. Bowett

examinera alors les résolutionspertinentes de l'Organisationdes Nations

Unies pour montrerqu'aucune décision en ce sens n'a été prise. Enfin,

M. Staker montrera quela qualification de puissance administrante d'un

territoire donnéepar l'organisationdes Nations Unies à un Etat n'a pas

les effets juridiques quevoudrait lui attribuer le Portugal, et ne

signifie certainement pasque tous les Etats doivents'abstenir de

traiter avec un autre Etat en ce qui concerne le territoire en question.

Souveraineté, reconnaiesance et autodétermination

27. Avant d'aborder le cas précisdont la Cour est saisie, il peut

être utile de rappeler brièvement,en ce qui concerne la souveraineté

territorialeet la reconnaissance du changement de souveraineté,la

situation qui existait en 1945, lorsque la Charte des Nations Unies a été

adoptée, mais en laissant de côté, comme le Portugaladmet que la Cour

doit le faire, les questions relatives à l'emploi de la force. Les

principes étaientles suivants :

1) la souveraineté desEtats s'étend aux territoires d'outre-merqu'ils

ont conquis et annexés, qui leur ont été cédés ou qu'ils ont acquis

d'une autre manière. Par ailleurs, de nombreux territoires coloniaux

n'étaient pas contrôlésen vertu du droit de souveraineté,mais en

vertu de traitésde protectorat ou d'arrangements analogues,comme l'a

reconnu la Cour dans l'affaire des Ressortissants des Etats-Unis au

Maroc (C.I.J. Recueil 1952, p. 185). Ainsi, si certains territoires qui étaient alors connuspour être du type colonial étaientsous la

souveraineté du colonisateur,il n'en était pas de même pour d'autres;

-7 A 2) les Etats tiers avaient le droit de reconnaître le changement de
9 :> ,L
souveraineté surles territoires unefois que ce changement était sûr

et effectif, sans avoir à apprécier qui avait tortou raison du

souverain déposé ou du nouveau prétendant. End'autres termes, il n'y

avait pas d'obligationjuridique de non-reconnaissancedu changement

territorial;

3) les Etats tiers avaient le droitde traiter avec 1'Etat exerçant le

contrôle effectif et sûr d'un territoire,encore que c'est une autre

question de savoir si les arrangements ainsi passés auraientlié un

successeurou été opposables à celui-ci;

4) la reconnaissanceofficielle d'un changement territorial,comme celle

de nouveaux Etats ou gouvernements,était facultativeet motivée par

des considérations politiques.

28. Sans doute cette situation a-t-elle changé à divers égards

lorsque la Charte desNations Unies est entrée en vigueur. Les règles

touchant l'emploi de la force que contientla Charte jouentun rôle

important en matière de reconnaissance. Mais, comme nous l'avons vu, le

Portugal n'invoque pas et ne peut invoquer ces règles dans la présente

affaire (CR 95/8, p. 49-50; et ci-dessus,par. 9-10).

29. A bien d'autres égards toutefois, la situation juridique n'a pas

changé. En particulier, la reconnaissanceest toujours considéréecomme

une décision essentiellementpolitique, qui doit être prise à la lumière

des éléments particuliers de la situation. En outre, alors que dans le

cadre du Pacte de la Société des Nations une certaine action collective

sanctionnait immédiatement et quasi automatiquementune violation du

Pacte, la Charte stipuleque l'action collective doit êtreprescrite ou - 28 -

recommandéepar les organes de l'organisation des Nations Uniesagissant

dans l'exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires. Le chapitre VI1

autorise le Conseilde sécurité à agir dans une situationoù il constate

l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un

acte d'agression. Mais il n'exige pas que le Conseilde sécurité agisse

- 33 et, qu'on le veuille ou non, force est de constater que le Conseilde

sécurité n'est intervenu que dans certaines des nombreuses situations

dont on aurait pu penser qu'elles appelaient une action au titre du

chapitre VII. Dans le cadre de la Charte, le Conseil de sécurité agit -

ou n'agit pas - dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire,et pourtant

les réactions desEtats membres dépendent essentiellemend te son action.

30. Il est vrai que la Cour a sans doute le pouvoir de porter des

appréciationssur les résolutions du Conseil de sécurité, comme M. Pellet

l'a fait observer hier (CR 95/8, p. 24). Mais personne n'a jamais

suggéré que ce pouvoir d'appréciation s'étendait à l'inactiondu Conseil

de sécurité, ni que la Cour peut se placer à l'avant-gardede la sécurité

collective dans des situationsoù le Conseilde sécurité n'a pas, quelle

qu'en soit la raison, voulu agir. La situationest-elle différente en ce

qui concerne la décolonisation,domaine dans lequel llAssembléegénérale

est l'organe compétent, en quelque sorte le «chef de file» ? Sûrement

pas, comme le montre lapratique de la Cour, que jlanalyseraidans un

instant.

31. Dans le monde réel, l'interventionindonésienneau Timor oriental

a soulevé des questionstouchant l'emploi de la force ainsi que, ou plus

encore, l'autodétermination. Mais le Conseilde sécurité n'a jamais

qualifié la situation au Timor orientalde menace contre la paix ou de

rupture de celle-ci - et moins encore d'acte d'agression - et il a cessé

de s'occuper de cette situation quelquesmois après l'intervention - 29 -

indonésienne. L'Assemblée générale acertes maintenuplus longtempsla

question à son ordre du jour, mais l'appui des Etats à son action a

fortement déclinéet, à partir de 1989, elle aussi a cessé de demander à

l'Indonésiede se retirer. Malgrécela, le Portugal soutientque les

Etats tiersavaient, et ont encore,une obligation automatique,

perpétuelle et imprescriptiblede non-reconnaissance (CR 95/5, p. 26,

Mme Higgins). Cet argument est sans rapport avec les normesde la

Charte, où la réaction des Etats membres est engénéral liée à celle des

organes compétents,ni avec les normes sous-jacentesdu droit

international.

32. Il faut soulignerce point. En droit international,en l'absence

d'une directive du Conseil de sécurité, lesEtats peuvent décider de

reconnaître une nouvellesituation de faits'ils estiment que la

situation s'est stabiliséeet sans aborder lesquestions que pose

l'emploi de la force, comme le Portugal insiste pour quela Cour le

fasse. La reconnaissance a toujours été essentiellementun acte

politique. Charles de Visscher disait queles actes de reconnaissance

étaient «en droit ... des actes souverainementlibres», et on pourrait

multiplier detelles citations (C. De Visscher, Les effectivitésen droit

internationalpublic, 1967, p. 39; voir également contre-mémoirede

l'Australie,par. 350-359; duplique de l'Australie,par. 214-216,

226-228). En l'absence d'action collective - et il n'y en a pas eu ici,

ni dans le cadre des organes compétentsdes Nations Unies ni ailleurs -

cette décision relevait nécessairementde chaque Etatpris

individuellement.

33. Il faut également souligner que le Portugal ne se plaint pas que

la décision ait été prise prématurément. C'est le fait même qu'elle ait

été prise dont il se plaint. Ainsi, Mme Higgins a déclaré ceci : «L'autodéterminationest une norme de jus cogens, qui
ignore la prescription et relève très précisément de la

catégorie des faits auxquelsle principe ex injuria jus non
oritur s'applique,privant ainsi les effectivités de toute
pertinence juridique ... Ni le passage du tempsni le contrôle
que l'Indonésie exerce présentementsur le Timor orientaln'ont

porté atteinte au droit des populationsdu Timor oriental à
l'autodétermination,ou aux conséquences juridiques de cedroit
pour les tierces parti es.^ (CR 95/5, p. 26.)

34. La première observationqu'il faut faire est que l'Australie

reconnaît, elle aussi, que le peuple du Timor orientala droit à disposer

de lui-même. Ce qui m'occupe, c'est la question des droits territoriaux

du ~ortugal sur le Timor oriental, ce qui n'est pas la même chose

- encore qu'il soit possible que dans l'esprit deMme Higgins les deux

questions soient identiques puisqu'elle parle des «droit concomitants,

juridiquement reconnus,du peuple du Timor orientalou la qualité du

Portugal» (CR 95/5, p. 26). Appliquons donc cettenotion

d'imprescriptibilité aux droits du Portugal et, pour en vérifier le

bien-fondé, supposons que la situation actuelle au Timor oriental se

prolonge pendant un certain nombre d'amées, accompagnéepeut-être

d'entretiens intermittentsentre les secrétaires générauxsuccessifs, le

Portugal et l'Indonésie. C'est une hypothèse très réaliste.

L'acquiescement,qui existe déjà, du statu quo territorial serait alors

renforcé. Mais l'argument du Portugal s'appliquerait encore : il serait

inchangé,perpétuel. L'argument duPortugal s'appliquerait à la

conclusion de ce traité, non seulement en 1989, mais en 1999, en 2009 et

ainsi de suite - tant que les dixrésolutions des Nations Unies adoptées

entre 1975 et 1982 n'auraient pas été abrogées. Voilà ce que signifie

l'imprescriptibilitédans la présente affaire. A la capacité bien connue

dlEtats tiers de reconnaîtreune nouvelle situationfermement établie, le

Portugal veut substituer le veto d'une ancienne puissance coloniale. - 31 -

35. Dans la pratique, il est douteux quela non-reconnaissancede

l'usage même illicitede la force puisseavoir des conséquencesaussi

permanentes. Vient le moment - qui peut être long à venir - où il faut

regarder la réalité en face. Cela est particulièrement vraien l'absence

d'une politique délibéréede non-reconnaissancecollective - comme le

montre l'affaire de Goa. De plus, ce n'est pas l'usage illicite de la

force par l'Indonésieque le Portugal invoque, mais le droit à

l'autodétermination,auquel, selon lui, son statut dlEtat habilité à

exercer, de par sa possession de jure, l'autorité souveraine sur le Timor

oriental - ou, pour reprendre lestermes de l'Assemblée générale,sa

«domination coloniale» - est inséparablementlié. Il soutient qu'une

obligationpermanente et imprescriptiblede non-reconnaissancedécoule

automatiquement,pour le monde entier, d'une atteinte à

l'autodéterminationpar un Etat quelconque.

36. Certes, il est vrai qu'il y a eu une évolutionsubstantielledans

le domaine de l'autodétermination,notamment en ce qui concerne les

territoires de type colonial,même si ceux-ci ne sont pas les seuls à

avoir droit à l'autodétermination. Comme l'a observé la Cour en ce qui

concerne l'autodéterminationdes territoires sous mandatdans l'avis

relatif à la Namibie, «le corpus juris gentium s'est beaucoup enrichis

(C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32, par. 53). Mais la Coura considéré que

l'évolutionultérieure du droit internationalen ce qui concerne les

territoires non autonomes résultait pourl'essentielde l'application des

normes de la Charte par les organes politiques, et en particulier par

llAssembléegénérale. Sans doute le principede l'autodétermination

découle-t-ilde la Charte elle-même (encorequ'il ne soit pas fait

expressémentréférence à ce principe, ni à l'«indépendance»,au

chapitre XI). Mais comme la Cour l'a fait remarquer dans son avis - 32 -

consultatif relatifau Sahara occidental :<Le droit à

llautodéterminationlaisse à l*Assembléegénérale une certaine latitude

quant aux formes et aux procédés selon lesquels cedroit doit être mis en

oeuvre. » (C.I.J. Recueil 1975, p. 36, par. 71.) aCarta ipsa loquiturs,

a dit M. Dupuy avec humour (CR 95/3, p. 13). Mais la Cour ne semble pas

avoir été du même avis.

37. En outre, les <formes et procédés, auxquels la Cour s'est référée
Q37

dans l'affaire du Sahara occidentalne sont pas considérés dans une

perspective étroite. La façon dont ledroit à l'autodétermination

s'applique résulte essentiellement, entout état de cause, de la pratique

de l'Assembléegénérale. Ce qui est crucial, même en ce qui concernela

Cour, c'est de considérer «les principes fondamentauxrégissant la

politique de décolonisationde 1IAssembléegénérale»

(C.I.J. Recueil 1975, p. 34, par. 60). Cela est vrainon seulement au

niveau du principegénéral, mais aussi pour l'applicationdu principe

dans chaque casparticulier. En ce qui concerne un territoire donné, le

contenu spécifiquedu principe doit être recherché, dans la mesure du

possible, dans «les résolutions qui concernentplus spécialement la

décolonisationdu» territoire concerné, et dans «les diverses façonsdont

les résolutions de l'Assembléegénérale ... ont traité» de la situation

de ce territoire comparé à d'autres (C.I.J. Recueil 1975, p. 34,

par. 60). La Cour a toujours tenu compte «des circonstances

particulièresde l'affaire» telles qu'elles ont été appréciées par les

organes politiques compétents(cf. Certaines terres à phosphates à Nauru,

C.I.J. Recueil 1992, p. 253, par. 30).

38. 11 y a de bonnes raisons quela Cour s'en tienne dans la mesure

du possible au jugement délibéré des organes politiques en matière

d'autodétermination,tout en conservant biensûr le pouvoir - 33 -

d'appréciationjuridique de ces actes politiques. Une raisonimportante

de renvoyer la politique de décolonisation à l'Assembléegénérale réside

dans la grande diversité descas; depuis 1945, la décolonisationa

concerné une grandepartie de la planète et la majorité des membres de

l'actuelle communauté internationale. Les territoires concernés - une

centaine environ - étaient extrêmementdifférents par leur taille, leurs

ressources et leur histoire politique et juridique, et cette diversité a
-38

indéniablementinflué sur le traitementdes cas particuliers (voir

également contre-mémoirede l'Australie, par. 320, citation de

39. Une des ces différences revêt ici une importance particulière

Les territoiresrelevant du chapitreXI présentaient des différences

marquées dans leurstatut juridiqueinterne vis-à-vis de la métropole.

Le chapitre XI s'est appliqué à des territoiresayant de nombreux statuts

juridiques différents au regard du droit Interne - colonies ou

départements,provinces ou protectorats. Leur statut en droit interne

n'a jamais été considéré comme décisif : un Etat ne peut se soustraire à

ses obligationsinternationalesen invoquant son droit interne. Ainsi,

le statut mentionné au chapitre XI est un statut international,

indépendantdes classificationsdu droit interne.

40. Cela ressort clairement de l'un des textes les plus importants

dans ce domaine, la déclarationrelative aux principes dudroit

international touchant les relations amicales et la coopération entre les

Etats conformément à la Charte des NationsUnies, qui figure en annexe à

la résolution 2625 de l'Assembléegénérale. Sous le titre «Le principe

de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer

d'eux-mêmes»,la déclaration sur les relations amicales précisece qui

suit : cLe territoire d'une colonie ou autre territoire non

autonome possède, en vertu de la Charte, un statut séparéet
distinct de celui du territoire de 1'Etat qui l'administre ...B
(Résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale, 24 octobre 1970,
annexe : déclaration relativeaux principes du droit

international touchantles relations amicaleset la coopération
entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies,
principe 5, par. 6.)

Mais ce statut juridiqueindépendant témoigne précisément dela

permanence du droit à l'autodéterminationdu peuple du territoire. 11 ne

concerne aucunementla souveraineté de 1'Etat qui contrôle et administre

le territoire,ni le statut constitutionnelinterne du territoire en

question.

41. D'une part, les Etats n'ont pas perdu leurautorité souveraine

- si autorité souveraineil y avait - sur les territoiresrelevant du

chapitre XI qu'ils administraientlorsqu'ils sont devenus Membres des

Nations Unies, mais ils ont été réputésaccepter le principe évolutif de

l'autodétermination,qui en vint à être considéré commeun droit des

peuples concernés (cf. Namibie, avis consultatif, C. I.J. Recueil 1971,

p. 31, par. 53; Sahara occidental, avis consul tatif, C.1.J. Recueil 1975,

p. 31, par. 55).

42. D'autre part, les territoiresvisés au chapitre XI n'ont pas

cessé d'être des territoires non autonomes simplement parcequ'ils

étaient appelés provinceou département, ou autre nom d'une unité

constitutive d'un Etat donné. La classificationd'un territoire dans la

catégorie «province» (le Timor orientalétait une province du Portugal

avant 1974) ou entité analogue de 1'Etat administrantn'est donc pas du

tout décisive.

43. 11 est vrai qu'aux termes de l'article 73 el il convient de tenir

compte de «considérationsd'ordre constitutionnel»pour déterminer

l'étendue de l'obligationde communiquer des renseignements concernant - 35 -

les territoires visésau Chapitre XI. Mais cela confirme le point en

question,puisqu'il ne s'agit pas de la question de savoir siun

territoire relève du chapitre XI mais de savoir quels renseignements

doivent êtrecommuniqués. Lorsque, dans le chapitre XI, on juge les

«considérationsd'ordre constitutionnelwpertinentes, on le dit

expressément.

44. Ainsi, les critères régissant l'applicationde

l'autodéterminationaux territoires visésau chapitre XI - critères

élaborés par l'Assemblée générale - ne dépendent pas de la question de

savoir si un Etat exerce ou n'exerce pas sa souverainetéou son autorité

souveraine sur ledit territoire. Le terme«souveraineté»est utilisé

pour désigner la compétence ou l'autoritégénérale qu'ont les Etats,
C 4 0
indépendammentdu consentementou de l'autorisationd'un autre Etat, de

gouverner et de contrôler un territoiredonné et d'exclure les autres

Etats de ce territoire. Cette compétence est exercée par le

gouvernement,et elle est soumise bien entendutant au droit

internationalgénéral qu'aux obligations conventionnelles. Il faut la

distinguer des pouvoirs qu'exerce un Etat protecteur surun protectorat

et de ceux d'un Etat présent sur le territoire avec le consentementdu

souverain. Pour les besoinsde la cause actuelle, il importe peu que

l'on se réfère à la possession ou à l'exercicede la souveraineté. Peu

importe égalementque l'on se réfère à la souverainetéou aux pouvoirs

souverains. C'est la distinction entre un Etat possédant ou exerçant ces

pouvoirs et un Etat qui ne les possède pas ni ne les exerce qui est

importante ici (voiraussi dupliquede l'Australie,par. 264-267).

45. Ainsi, le droit à l'autodéterminationde tel ou tel peuple ne

dépend pas de la question de savoir si 1'Etat qui contrôle et gouverne ce

peuple le fait dans l'exercicede la souverainetéou de pouvoirs - 36 -

souverains ou à un autre titre. Cela apparaîtclairement dans les termes

employés au chapitre XI lui-même, qui s'appliqueaux Etats membres qui

ont, ou qui assument ultérieurement,ala responsabilitéd'administrerw

des territoires non autonomes. Peuimporte que ces aresponsabilitéswne

correspondent pas forcément à la souverainetéou n'impliquentpas

l'exercice de la souveraineté. Une telle exigence aurait exclu de

nombreux territoires detype colonial du champ d'applicationdu

chapitre XI.

46. Cela ressort aussi de la résolution-clef del'Assembléegénérale

(résolution 1541 (XV) de 1960) qui définit les critères applicablespour

déterminer quels territoiressont des territoiresnon autonomes. Cette

résolution fut d'ailleurs adoptée face au refus intransigeantdu Portugal

C, . d'admettre qu'aucun de ses territoiresd'outre-mer fût soumis au

chapitre XI. Avant d'énumérer les territoiresportugais, l'Assemblée

générale a développé les principes«qui doivent guider les Etats membres

pour déterminer si l'obligationde communiquer des renseignements,prévue

à l'alinéa e) de l'article 73 de la Charte leur estapplicable ou non».

La résolution se réfère aux territoires «du type colonial ... dont les

populations ne s'administrentpas complètementelles-mêmes» (principe 1).

Un territoire géographiquement séparé et ethniquementou culturellement

distinct du pays qui l'administreest à priori non autonome; cette

présomption est confirméesi, entre autres, le territoireet son peuple

sont <[placés] arbitrairement ... dans une position ou un état de

subordination, (principesIV, V) . Quant à savoir s'il existe une

position ou un état de subordination, c'est surtout une question de fait.

La qualification juridique duterritoire selon le droit de llEtat

administrantpeut être pertinente maisn'est pas décisive. La résolution

n'indique nulle part que de tels territoires soient exclusivemenc teux - 37 -

qui se trouvent soumis à la souverainetéterritoriale de 1'Etat

administrant.

47. Pendant que je traite des critères pour l'applicationdu

chapitre XI et de leur relation avec la présence ou l'absence d'une

autorité souveraine,je m'arrête pour relever la différence entre

les territoires non autonomes, qui relèventdu chapitre XI, et les

territoires sous tutelle,qui relèventdu chapitre XII. Leconseil

du Portugal a eu tendance à identifier lesuns aux autres, en vue

d'appliquer au Timor oriental les règles relatives à l'attributionde

l'autorité territorialequi s'appliquentaux territoires sous tutelle et,

par analogie, aussi aux territoires sous mandat (par exemple CR 95/3,

p. 63, M. Correia; CR 95/4, p. 46, Mme Higgins). Or, sur un certain

plan, ces différentescatégories de territoiresont été traitéesde la

même manière et, dans la mesure où elles subsistent,le sont encore :

par un processus de développement,le principe de l'autodéterminationest
?jLj 2

devenu applicable à toutes, comme la Cour l'a fait observer dans

l'affaire des Conséquences juridiques pour les Etats de la présence

continue de 1 'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)

(C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 52). Ce principe toutefois

s'appliquait commeune obligation imposée aux Etats responsablesde

l'administrationde territoires déterminés;il ne modifiait pas les

arrangements attributifssous-jacents. Dans le cas contraire, la

procédure adoptée pour identifier les territoires relevant du

chapitre XI, et qui consiste pourl'Assembléegénérale à demander aux

Etats d'indiquer lesquels de leurs territoires correspondent à la

descriptiondonnée au chapitre XI, serait inexplicable. Il s'agissait

d'une procédure totalement différente de celle adoptée pour attribuer

les mandats et les territoires sous tutelle. L'identité de ces derniers - 38 -

n'a jamais faitde doute ! On peut dire en bref que le chapitreXI était

une déclaration,qui imposait une obligation relative à l'exercicede

pouvoirs étatiques existants, alors que le chapitre XII était une

délégation, le fondementmême du titre de l'autorité administrante. En

vertu du chapitreXII, l'Assembléegénérale était investie de pouvoirs de

disposition importants,y compris, dans des cas spéciaux, le pouvoir de

mettre fin à la tutelle pour violation. La Cour n'a jamais indiqué que

l'Assembléegénérale avait aussi le pouvoir de mettre fin à l'autorité

gouvernementale d'un Etat sur un territoire relevantdu chapitre XI.

Cette autorité gouvernementale procédait du droit international général

et d'une reco~aissance générale.

48. Je viens d'examiner le statut des territoires relevant du

chapitre XI et leur droit à l'autodétermination,ainsi que les relations

entre ce statut et les concepts de reconnaissanceet d'autorité

souveraine qui existent en droit général. Je passe maintenant à la

question de l'extinctiondu statut de territoire non autonome.

49. Une fois qu'il est admis qu'un peuple a le droit de disposer

de lui-même, ce droit subsiste jusqu'à ce que ce peuple devienne

indépendant,ou accepte volontairementl'intégration à un Etat, ou à un

autre statut tel que la libre association. Ce principe fondamentala été

explicité dans une série de résolutions de l'Assembléegénérale, qui

déterminaient dansquel cas on pouvait considérer qu'un territoire

relevant du chapitre XI était parvenu au point où il s'administrait

complètement (voir en particulier la résolution 742 (VIII)de l'Assemblée

générale, du 27 novembre 1953). Les critères de la cessation du statut

non autonome ont été définis dans la résolution 1541 (XI),qui se fondait

sur les résolutionsantérieures,y compris, bien entendu, la

résolution 1514 (XV) elle-même. De même, le paragraphe de la déclaration - 39 -

relative aux relations amicalesque je viens de citer poursuit en ces

termes :

ece statut séparé et distinct en vertu de la Charte existe aussi
longtemps quele peuple de la colonie ou du territoire non autonome
n'exerce pas son droit à disposer de lui-même conformément à la

Charte et, plus particulièrement, à ses buts et principes» (voir
avis relatifau Sahara occidental, C.I.J. Recueil 1975, p. 32-33,
par. 57-58).

50. Bien entendu, les critères régissant l'extinctiondu statut non

autonome ne s'appliquentpas d'eux-mêmes,pas plus que les critères

permettant d'identifier les territoiresayant ce statut. Ils ne sont pas

d'applicationautomatique, ni ne prennent effetd'eux-mêmes. Chaque cas

particulier doit être jugé compte tenu de la situation qui lui est

propre, comme la résolution 1541 (XI)l'a expressémentreconnu. Au

niveau de la communauté internationale,le protagoniste principalen

l'occurrencea été l'Assembléegénérale, conseillée par le Comité des

Vingt-Quatre - comme la Courl'a aussi reconnu dansl'affaire du Sahara

occidental (ibid.,p. 33-34, par. 59-60) .

51. Il peut être utile que je résume l'argumentationdéveloppée

1) premièrement, la présente affairene pose pas la question de la

reconnaissanced'un territoire acquis par l'emploi illicite de la

force, car le Portugal se défend expressément de se fonder d'aucune

manière sur les principes relatifs à l'emploi illicite de la force

En tant qulEtat demandeur, c'est au Portugal qu'il incombe de

préciser et d'établir son argumentation;

2) deuxièmement,et conséquemment,la Cour doit aborder laprésente

affaire en partant du principe que la présenceindonésienneau Timor

oriental n'est pas illicite. Elle n'a jamais été déclarée illicite - 40 -

par un organe compétent de l'ONU et, à l'évidence,la Cour ne saurait

statuer en ce sens dans la présente instance;

3) troisièmement, sion part de ce principe, l'affaire est irrecevable,

car ou bien la Cour doit déciderque la présenceindonésienneest

illicite, et pour cette raisonne peut donc être reconnue - ce

qu'elle ne peut évidemment pas faire dans la présente instance,

en l'absence de décision pertinente del'ONU - ou bien elle doit

aborder la situation en se fondant sur une série de suppositions

hypothétiques, éloignées de la réalité. Il n'y a tout simplement

pas de moyen terme;

4) quatrièmement,cependant, si on fait l'effort d'imaginationque

demande le Portugal, rien n'indique, ni dans la pratique des Etats,

ni dans l'attitude de l'Assemblée générale,qu'en général les Etats

aient l'obligationde traiter exclusivement,s'agissantd'un

territoire relevant du chapitre XI, avec 1'Etat administrantdéposé.

La question de savoir si cet Etat conserve ou perd son autorité

souveraine n'est pas tranchéepar la Charte, à la différence de celle

de l'autorité administrantedans le cadre destutelles visées au

chapitre XII. C'est le droit international général qui régit

la situation d'un Etat administrantun territoire relevantdu

chapitre XI. Or le droit généralde la reconnaissance n'oblige

pas les Etats tiers à continuer à reconnaître l'ex-puissance

administrante définitivementdéposée d'un territoire relevant

du chapitre XI;

5) cinquièmement,la qualificationd'un territoire commenon autonome,
545

ou de son peuple comme titulaired'un droit à l'autodétermination,

ne peut être effectuée par référenceau droit interne, ou à la

qualificationdu territoire dont il s'agit en droit interne. Un - 41 -

peuple peut avoirle droit de disposer de lui-même bien qu'un Etat

revendique et exerce l'autorité souveraine à son égard et soit

reconnu par d'autres Etats à ce titre;

6) en sixième et dernier lieu, dès lors qu'un peuple est considéré comme

titulaire du droit à l'autodétermination,ce droit subsiste jusqulà

ce qu'il s'éteigne de l'une des manières indiquées dans les

résolutions 1514 (XV) et 1541 (XV) .

Le droit à l'autodétermination du peuple du Timor oriental subsiste

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.

52. Je passe à l'argumentationdu Portugal sur ces questions.

Le Portugal reconnaît quenombre d'autres Etats ont conclu, avec

l'Indonésie, des traités applicablesau territoire du Timor oriental

en tant que territoireindonésien. Il dit toutefois que ladifférence

essentielle tient à ce que l'Australie a reconnu la souveraineté de

l'Indonésie sur le territoire dans le cadredu processus de négociation

et de conclusion du traité de 1989 (répliquedu Portugal, par. 6.14-6.15).

Le Portugal dit qu'en agissant de la sorte l'Australie a traité avec un

Etat autre que la puissance administrante «en des termes qui concrétisent

un déni au Portugal de la qualité de puissance administrante et un déni

au Timor oriental de la qualité de territoire non autonome» (réplique

du Portugal, par. 6.15).

53. La première observation à formuler, c'est que la qualification

d'unique donnée par le Portugalau comportement de l'Australie est

factuellement inexacte. Les Etats qui ont conclu avec l'Indonésie

des traités visant à éviter la double impositionapplicables au Timor

oriental en tant que territoire indonésienont par là reconnu la

F: 1./ souveraineté indonésienne sur le Timor oriental. L'Inde, la Malaisie,
-,.A!-J - 42 -

Singapour et la Thaïlande ont tous déclarésans ambiguïtéqu'ils

considèrent le peuple du Timor orientalcomme ayant déjà exercé son droit

à l'autodéterminationen faveur de l'intégration à l'Indonésie (voir

contre-mémoirede l'Australie,p. 79-81 et p.
83-86 pour des précisions).

De telles déclarationsne sont rien d'autre que des déclarationsde

reconnaissance de la souveraineté indonésiennesur le Timor oriental.

Chacun de ces Etats a conclu avec l'Indonésieune convention visant à

éviter la double imposition applicableau Timor oriental à une date

postérieure à cette reconnaissance (voircontre-mémoirede l'Australie,

annexes, p. A79-A80). En d'autres termes, chacun de ces Etats a traité

avec luIndonésie à propos du Timor oriental enpartant de l'hypothèseque

l'Indonésieexerçait la souverainetésur le Timor oriental. Quant à

savoir pourquoi ces traitésne «concrétisent»pas - pour utiliser la

terminologie du Portugal - cette reconnaissance,cela reste tout à fait

obscur (réplique duPortugal, par. 6.15).

54. De plus, cela n'est pas clair non plus du point de vue de

l'argumentationdu Portugal lui-même. Le Portugal déclare :

«La reconnaissance,par l'Australie,de l'incorporation
du Timor oriental dans unEtat tiers implique ... la

non-reconnaissancedu territoire du Timor oriental entant
que territoirenon autonome» (mémoire du Portugal, p. 72,
par. 2.25).

Pourtant, comme je l'ai montré, l'autodéterminationet la souveraineté

sont des questions par essence distinctes. Un territoire soumis à

l'autorité souveraine d'un Etat donné, au sens reconnu de ce terme (voir

par. 271, peut néanmoins être un territoire non autonome au sens du

chapitre XI et son peuple peut avoir droit à l'autodétermination. Le

fait que le territoire soit désigné commeune province, un département ou

un autre élément constitutifde llEtat administrantn'est pas décisif. 55. L'autodéterminationest un droit pour le peupledu Timor oriental
947

pour une raison primordiale,qui est simple :il possédait ce droit

avant 1975 et ne l'a pas perdu à cause des événements de 1975. Aucune

des conditions de l'extinctiondu statut non autonome définiesdans les

résolutions 1514, 1541 ou 2625 n'ont été satisfaites en 1975. De l'avis

de l'Australie,ces conditionsne sont toujours pas remplies aujourd'hui.

Il est vrai qu'il s'en faut de beaucoup que l'avis de l'Australie à ce

sujet soit déterminant, puisqu'elle n'a en l'occurrence ni autorité

spéciale ni droit de regard particulier. Les tentativesde médiation du

secrétaire généralont pour but principal de permettre l'exercice du

droit à l'autodéterminationpar voie d'accord entre les parties

directement intéressées.

56. Aux fins qui nous occupent l'argument est le suivant :

le rôle de tierces parties dans l'exercicede l'autodéterminationest

nécessairement incidentou marginal, comme l'indique la référence par

l'Assembléeaux «parties directement intéressées». Certains Etats,

y compris des Etats influents dansla région, estiment que la

consultation menée par l'Indonésie en 1976 satisfaisaitbien aux

conditions régissantl'exercicedu droit à l'autodétermination. D'autres

ne sont pas d'accord. Cette question ne saurait être tranchée sur une

base bilatéralepar des Etats tiers à titre individuel. Pour prendre un

exemple, il n'est pas possible que le peuple du Timor orientalait exercé

son droit à l'autodéterminationen 1976 vis-à-vis de la Malaisie, mais

non vis-à-vis du Canada. Les opinions que des tiercesparties peuvent

avoir à ce propos sont dépourvuesde toute pertinence, ce problème

relevant des organes compétents de l'organisationdes Nations Unies.

Sans doute le Portugalpréférerait-ilvoir ces organes exercer leurs - 44 -

pouvoirs autrement qu'ils ne l'ont fait en réalité. Mais c'est là

une tout autre affaire.

57. L'Assemblée générale avait donc une bonne raison d'affirmer

le droit du peuple du Timor oriental à l'autodéterminationdans les

résolutions adoptéespendant la période qui va jusqu'en 1982. Toutefois,

l'amenuisement de l'appui recueilli à llAssembléepar ces résolutions

n'était pas sans signification. Quoiqulen dise Mme Higgins, les

résolutions ne sont pas des lois, qui restent en vigueur jusqu'à leur

abrogation (voirCR 95/5, p. 17). Elles sont l'expression de la position

d'un organe collectif et reflètent les vuesde ceux qui les rédigent et

votent pour elles. Le fait est que nombre des membres de l'Assemblée

- ils formaient en 1982 une nette majorité - se sont de mieux en mieux

rendu compte que l'autodétermination dupeuple du Timor oriental ne

pouvait s'accomplir qu'avec la coopération avec l'Indonésie. Il s'agit

là d'une réalité que l'Australie n'a rien fait pour susciter, causer ou

créer et qu'elle ne peut rien faire, à elle seule, pour modifier.

Monsieur le Président, le moment serait bien choisi pour la cause.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford. J'estime comme vous que

le moment est bien choisi pour une pause de quinze minutes. L'audience

est suspendue.

L'audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 40.

Le PRESIDENT : Veuillez prendre place. Monsieur Crawford.

M. CRAWFORD : Merci, Monsieur le Président. - 45 -

La question de la non-reconnaissance

Monsieur le Président,Messieurs de la Cour.

58. Je passe maintenant à l'argumentdu Portugal selon lequel

l'Australiea manqué à une obligation de non-reconnaissanceen concluant

949 le traité de 1989. Il s'agit ici de savoir si les Etatstiers étaient
-.
tenus de ne reconnaître aucun acte susceptible deporter atteinte au

droit à l'autodéterminationdu peuple du Timor oriental.

59. Aux fins de la présente argumentation, il faut admettre - et

je l'ai déjà démontré - qu'en soi la conclusion du traité de 1989 n'était

pas contraire au droit à l'autodétermination dupeuple du Timor oriental

et ne niait pas ce droit. Il n'appartenaitpas à l'Australiede décider

comment, ou quand, ce peuple devait êtreautorisé à déterminer son propre

avenir; le traité ne l'empêchaitpas de le faire, ni ne limitait ses

options, que ce fût avant ou après toute décision qu'il aurait pu être

autorisé à prendre. On peut admettre que la question de

l'autodéterminationdu Timor orientals'est compliquée encoredavantage

à la suite de l'intervention indonésienne.En 1975, le peuple du Timor

oriental a échangé involontairementla «domination»du Portugal (pour

qualifier la position du Portugal, comme le fait l'Assembléegénérale

même après la révolution de 1974) contre le pouvoirde l'Indonésie.

Cependant, c'était à l'Organisationdes Nations Unies qu'il incombait

d'évaluer les effets du comportementde l'Indonésieet de celui du

Portugal à l'époque. Or, ni le Conseil de sécurité, ni l'Assemblée

générale, n'ont utilisé l'expression «domination» à propos de

l'Indonésie. Ils ne se sont pas non plus servis des termes «colonial»,

ou «étranger». Le Conseil de sécurité a parlé d'«interventions

(résolution 384 (1975) du Conseil de sécurité),et a ensuite utilisé

l'expressionassez neutre de «situation tendue» (résolution 389 (1976) - 46 -

du Conseil de sécurité). L'Assemblée généralea employé le terme

«interventionmilitaire, (résolution 3485 (XXX) de l'Assembléegénérale,

du 12 décembre 1975), puis elle l'a affaibli en parlant de «la situation

dans le territoires (résolution 37/30 de l'Assembléegénérale, du

23 novembre 1982). Aucun des deux organes n'a qualifié l'occupation

indonésienne de «crime», terme utilisé auparavantpar l'Assemblée

générale pour qualifier les activités du Portugal dans ses possessions

coloniales.

60. Comme M. Griffith l'a démontré lundi, il semble que l'incursion

indonésienneait pu avoir pour cause le retrait portugais de l'île de

Timor proprementdite. Quoi qu'il en soit, l'Indonésien'a certainement

pas causé le retrait portugais de cette île, lequel eut lieu en août 1975

et fut définitif. De plus, tout indique quele départ précipitédes

Portugais dlAtauro, un jour après llincursion,n'a pu constituer que

le résultat prémédité d'une politique d'abandon du territoire : «une

stratégie de fuitedevant ses propres responsabilités»,pour employer

le langage de M. Dupuy (CR 95/5, p. 66). Quant Mme Higgins a parlé de

«la prétendue annexion du Timororiental [et du] retrait matériel

consécutif du Portugal de ce territoire»,elle a commis une grave erreur

dans la chronologie des événements(CR 95/5, p. 26; les italiques sont

de nous) .

61. La Cour ne saurait statuersur de telles questions de causalité

dans la présente instance, bien qu'elle puisse prendre note de leur

existence. La questionest plutôt de savoir si, dans les circonstances

de la présente affaire, il existait, à la charge des Etatsmembres de

l'Organisationdes Nations Unies, une obligation automatiqueet continue

de ne pas reconnaîtreles autorités indonésienneset de ne pas traiter

avec elles, parce que leur présence contredisaitou empêchait - 47 -

l'autodéterminationdu peuple du Timor oriental. L'Australieadmet

qu'une telle obligationaurait pu être imposée par lesorganes compétents

de l'Organisationdes Nations Unieset, en particulier,par le Conseilde

sécurité. Pourtant, elle ne l'a pas été, comme l'établiraM. Bowett.

62. Le Portugal donne cependant à entendre que le droit international

comble automatiquementcette lacuneet impose à tous les Etats

l'obligation,continue et de durée indéfinie, de ne pas traiter avec les

autorités indonésiennes. Selonce point de vue, le droit international

coutumier ditce que le Conseilde sécurité et l'Assembléegénérale se

sont délibérément abstenus dedire : il ne parle pas en leur nom mais à

leur place. Et il continue à parler, semble-t-il,pendant des années,

des décennies, indéfiniment (voirCR 95/5, p. 26, Mme Higgins).

63. Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, il n'y aurait guère

d'intérêt à vous entraîner, à ce stade de l'argumentation,dans un exposé

détaillé des ouvragessur le caractère automatiquede la

non-reconnaissance - si vous me permettez d'employer cette formulation -

et sa relation avec les mesures prisesen vertu de la Charte. De toute

manière, la plupart des auteurs analysent des exemples où des mesures ont

été prises en vertu de la Charte, où une politique concertée de

non-reconnaissancea été adoptée. Il est significatifque dans d'autres

cas - celui de Goa, par exemple - où il n'y a eu ni politiqueni mesures

de ce type, la reconnaissanceinternationaledu changement est venue, et

assez rapidement. PourGoa, elle a précédé la reconnaissance,par le

Portugal, de la souverainetéde l'Inde bien que, dans son argumentation

en l'espèce, le Portugal laisse entendre que cette reconnaissance

n'aurait jamais dû être exprimée - et dans le casde Goa il y a eu

recours à la force. - 48 -

64. La Cour a aussi été remarquablementsilencieuse sur le problème

qui s'est posé dans l'affaire du Droit de passage sur territoire indien

(C.I.J. Recueil 1960, p. 61, encore qu'il ne soit que juste d'ajouter que

sa tâche n'était pas facilitée dans cette affaire - non plus qu'elle ne

l'est en l'espèce - par la manièrerestrictivedont le Portugal a décidé

de formuler les questions (voir ibid., p. 30-31). Et la Cour n'a non

plus été appelée à examiner ce problème dansl'affaire du Sahara

occidental (C.I.J.Recueil 1975, p. 12).

65. Cependant il est trois sources faisant autorité auxquelles il

convient de se reporter pour déterminer si une obligation automatique de

non-reconnaissancepeut incomber à des Etats tiersau regard de

.,..-3 situations où 1'autodéterminationest refusée. C'est évidemment partir

de l'hypothèseque la Cour peut décider qu'il y a refus de

l'autodétermination,comme en l'espèce, car nous traitons du fond. Ces

trois sources faisant autorité sont : premièrement, l'avis consultatif

rendu par la Cour sur la question des Conséquences juridiques pour les

Etats de la présence continue de 1 'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest

africain), deuxièmement,les travaux encore inachevésde la Commission du

droit international surles crimes dlEtat et, troisièmement,la

déclaration de 1970 relative aux principes dudroit international

tranchant les relations amicaleset la coopération entre les Etats

conformément à la Charte des Nations Unies. Je les aborderai l'une après

1'autre.

1) L'avis consultatif sur la Namibie

66. La première et la plus importantede ces sources est l'avis

consultatif rendu par la Cour sur la question des Conséquences juridiques

pour les Etats de la présence continue de 1 'Afrique du Sud en Namibie - 49 -

(C.I.J. Recueil 1971, p. 16). En l'espèce, la Cour avait affaire à une

situation sur laquelle aussibien l'Assembléegénérale que le Conseilde

sécurité s'étaientprononcés, et en des termes sans équivoque. L'un et

l'autre avaient déclaré illégale la présence continue del'Afrique du Sud

en Namibie, et l'un et l'autre avaient demandéaux Etats Membres comme

aux Etats non membres, de ne reconnaîtreni la légalité de

l'administration sud-africaineni ses actes.

67. En examinant lesconséquences pour lesEtats de cette situation

illégale, la Cour donnait suite, dans une large mesure, à des

résolutions, notamment des résolutions de l'Assembléegénérale, qui adans

des cas déterminés relevant de sa compétence ... [avaient]le caractère

de décisions ou procédLaient1 d'une intention d'exécution» (ibid., p. 50,

par. 105). Quant au Conseil de sécurité, il était essentiel - pour

l'avis consultatifde la Cour - qu'il ait, dans sa résolution 276 ,1970,

qualifié d'illégale la présence continuede l'Afrique du Sud en Namibie

(ibid., p. 52, par. 111). Ayant fait cette constatation,la Cour a

poursuivi :

«Ce serait une interprétation insoutenabled'affirmer que,

lorsque le Conseil de sécurité fait une telle déclarationen
vertu de l'article 24 de la Charte au nom de tous les Etats
Membres, ceux-ci sont libres de ne faire aucun cas de
l'illégaliténi même des violations du droit qui en résultent.

En présence d'une situation internationalementillicite de cette
nature, on doit pouvoir compter sur les Membres des Nations
Unies pour tirer lesconséquencesde la déclaration faiteen
leur nom...» (Ibid., p. 52, par. 112.)

68. Après avoir examiné laforce juridique de cette décision à la

lumière de l'article 25, la Cour a conclu

«que les décisions prises par le Conseil de sécurité ... ont été
adoptées conformément aux buts et principes de la Charte et à
ses articles 24 et 25. Elles sont par conséquentobligatoires

pour tous les Etats Membresdes Nations Unies, qui sont ainsi
tenus de les accepter et de les appliquer.» (Ibid., p. 53,
par. 115.) 69. Dans son examen ultérieurde la portée des obligations des Etats

Membres et des Etats non membres, la Cour est toujours partie de ce

principe (voirpar exemple ibid., p. 54, par. 117 et 119). La Cour a en

particulier déclaré quec'était précisément en raison de cette

conclusion,qui découlait de la déclaration contraignante d'illégalité

formulée par le Conseil de sécurité dans sa résolution 276, que les Etats

membres avaient «l'obligationde reconnaître l'illégalitéet le défautde

validité du maintien de la présence sud-africaineen Namibiew (ibid.,

p. 54, par. 119) - et dans ce passage la Cour s'est expressément référée

à la conclusion antérieure que je viens deciter, et qui faisait étatde

la déclaration expresse d'illégalité prononcée par le Conseil de sécurité

(avis consultatif,par. 115).

70. Et la Cour d'ajouter :

«Quant à savoir exactementquels actes sont permis ou
autorisés, quelles mesures sontpossibles ou applicables,
quelles sont cellesqui devraient êtreretenues, quelle portée
il faudrait leur donner et par qui elles devraient être

appliquées, ce sont là des questionsqui relèventdes organes
politiques compétentsdes Nations Unies, agissant dans le cadre
des pouvoirs conféréspar la Charte. Ainsi, il appartient au
Conseil de sécuritéd'indiquer toutes autres mesures devant

faire suite aux décisions qu'il a prises en ce qui concerne la
question de la Namibie.» (Ibid.,p. 55, par. 120.)

71. Dans la partie restante de son avis la Cour

CS' [est]born[éel à exprimer un avis sur les rapports avecle
Gouvernement sud-africainqui, en vertu de la Charte des Nations
Unies et du droit internationalgénéral, doivent êtreconsidérés

comme incompatiblesavec la déclaration d'illégalitéet
d'invalidité formulée au paragraphe 2 de la résolution 276
(1970), parce qu'ils peuvent impliquerune reconnaissance du
caractère légal de la présence sud-africaineen Namibie.»

(Ibid.,p. 55, par. 121; les italiques sont de nous).

C'est sur cette base, et sous la forme expresse- d'un avis - avis dispensé

dans le cadre d'un avis ! - que la Cour a ensuite énoncé les importantes

obligations de ne pas reconnaître la présence illégalede l'Afrique du - 51 -

Sud en Namibie, qui incombaientaux Etats Membres (ibid., p. 55-56,

par. 122-1271 .

72. En l'espèce, comme dans d'autres affaires de décolonisation,la

Cour a par conséquent appliquéet interprété à titre complémentaire, en

un sens, le droit international. Le droit internationala été interprété

et appliqué en vue d'appuyer et de favoriser lesdécisions faisant

autorité des organespolitiques compétentsde l'organisation des

Nations Unies. Et la Cour a estimé que les conséquences juridiquespour

les Etats, s'agissantde la non-reconnaissanceet de ses conséquences,

devaient être dérivées de ces décisions. Riendans l'avis consultatif ne

donne à entendre qu'à défaut de résolutionsdu Conseil de sécurité

préconisant lanon-reconnaissance,il aurait existéune obligationde

non-reconnaissancedécoulant automatiquementdes règles du droit

international (maisvoir l'opinion individuellede M. Dillard,

p. 165-167; M. Petrén exprimant uneopinion dissidente surce point,

p. 134-137).

73. Si, comme le Portugal le faitvaloir, il existe une obligation

automatique et générale de non-reconnaissance,comment lesorganes de

l'ONU peuvent-ils la restreindre,la nuancer ou la rejeter ? Ces organes

ont un rôle essentiel à jouer dans l'applicationdes normes pertinentes

- mais commentsont-ils autorisés à les écarter ? L'avis consultatif sur

-.'i 5 la Namibie milite clairementen faveur de la thèse selon laquelle la

non-reconnaissancen'est pas une obligationautomatique.2) Les travaux de la Commission du droit internationalsur les crimes
d'Etat

74. Je passe maintenant à la deuxième source autorisée susceptible

d'être pertinente pour la question de la non-reconnaissance, à savoir le

projet d'articles de la CD1 sur la responsabilité des Etats. Je

traiterai succinctementce point pour lasimple raison que si ce projet

d'articles constitue la seule source internationale autorisée que j'ai pu

trouver pour une obligation automatiquede reconnaissance dansle

contexte de la violation du droit à l'autodétermination,le Portugalne

l'invoque pas ni même ne le mentionne.

75. L'article 19 de la première partiedu projet d'articles, tel

qu'il a été adopté en premièrelecture, énumère les faits qui peuvent

être considérés comme des crimes dlEtat (en fait, llexpressionemployée

est «crime international»mais pour les besoinsde l'espèce je me

référerai au «crime dlEtat», pour éviter touteconfusion avec la question

tout à fait distincte des crimes internationaux commis par des

particuliers) .

76. La définition fondamentaled'un crime d8Etat est donnée au

paragraphe 2 du projet d'article 19, qui vise «une violation par un Etat

d'une obligation internationalesi essentielle pour lasauvegarde

d'intérêts fondamentaux de la communauté internationale quesa violation

est reconnue commeun crime par cette communauté dans son ensemble». Le

paragraphe 3 donne quelques indications quantau contenu de cette

définition. Mais ces indications sont très limitéescar le paragraphe 3

est formulé «sous réserve des dispositionsdu paragraphe 2», qui est la

définition fondamentale, «et d'après les règles du droit internationalen

vigueur» . - 53 -

77. Compte tenu de ces réserves - et elles sont importantes - le

paragraphe 3 b) précise :

«un crime international peut notamment résulter

b) d'une violation grave d'une obligation internationale
d'importance essentiellepour la sauvegarde du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes,comme celle interdisant
l'établissementou le maintien par la force d'une domination
coloniale. ..>>

78. Monsieur le Président, la notion de acrime internationald'un

Etat» est sujette à controverse. Son contenu, sa portée, sa mise en

application sont des questionsqui demeurent pour l'instant en suspens.

La Commission du droit internationaln'a pas encore adopté - en fait son

comité de rédaction n'a même pas examiné - des articles spécifiant, soit

les conséquences juridiquesd'un crime international,soit les procédures

à suivre pour déterminer si un tel crime a été commis. On ne saurait

présumer que le textequi sera en définitive adopté ressemblerabeaucoup

à ceux qui ont été proposés. En fait, une telle présomptionne peut

jamais être faite, dans le cas de la Commission du droit international.

79. Je devrais néanmoins évoquer un projet d'article 14 de la

deuxième partie, proposé par un précédent rapporteur spécial,

M. Riphagen. Cet article dispose notamment :

u2. Un crime international commis par un Etat fait naître
pour chaque autreEtat l'obligation :

a) de ne pas reconnaître commelégale la situation créée par
ledit crime. ..»

L'exécutionde cette obligation,en principe automatique, est «soumis[e],

mutatis mutandis, aux procédures prévuespar la Charte des Nations Unies

en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité

internationales» (par. 3 .

80. Sous sa forme actuelle, le texte proposé, qui n'a jamais été

adopté par la Commission du droit international,ne créerait - pour les - 54 -

Etats tiers - d'obligationautomatique de non-reconnaissance, au titre

des crimes dlEtat, que si les cinq constatationsou conclusions suivantes

étaient formulées, à savoir :

1) qu'il y a eu une «violation [par l11ndonésie1d'une obligation

internationaled'importanceessentielle pour la sauvegarde du droit

des peuples à disposer d'eux-mêmes,comme celle interdisant

l'établissement ou le maintien par la force d'une domination

coloniale»;

2) que l'Indonésie continuait de maintenir sadomination coloniale parla

force en 1989;

3) que les crègles du droit international en vigueur» reconnaissent

effectivement que les violationsde cette obligation constituent des

crimes dlEtat;

4) que la violation était «grave»;

5) que mutatis mutandis - je suis désolé, mais je ne sais pas ce que cela

veut dire - «les procédures prévuespar la Charte des Nations Unies en

ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité

internationales»ne requièrent pas une solution différente.

81. Quant à savoir qui établirait tous ces fait, le projet d'articles

ne le dit aucunement et ni M. Riphagen ni son successeur,

M. Arangio-Ruiz,n'ont proposé d'articlespour régler ce problème. Cela

peut-il être déterminépar un Etat, ou deux Etats ? Certainement pas :

comment pourrait-on statuer bilatéralementsur des questions et des

obligations juridiquesqui intéressent directementet par définition la

communauté internationale desEtats dans son ensemble ?

82. Il reste à voir quelle solution la Commission du droit

international proposera en définitive pour régler les difficultés de

fond. La question est si floue, et les divergences de vues sur la notion - 55 -

même de crimes dlEtat bien trop nombreuses, pour que l'on puisse se

prononcer sur l'issue. Dans le cadre essentiellement bilatéral de

l'article 36, paragraphe 2, du Statut, tributaire en définitivede

l'acceptationdes Etats parties, la Cour peut uniquement - sauf le
358

respect que je lui dois - se fonder sur des règles existantes,qu'il

s'agisse de la recevabilitéou du fond.

83. Quant à la recevabilitéde la présente requête, la Cour, en vertu

du principe formulé dans l'affaire de l'Or monétaire, ne saurait se

prononcer sur des questions comme celle de savoir si le comportement de

l'Indonésieau Timor orientala entraîné et continue d'entraîner la

violation d'une obligation internationaled'importance essentielle pour

la sauvegarde du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Non plus que

la Cour n'est en mesure d'établir si la violation était «grave> en

l'occurrence - à supposer même que ces formules expriment le droit

internationalen vigueur. Enfin, il est difficile de déterminer ce que

cette formulation signifiepar rapport à la Charte des Nations Unies.

84. De surcroît, peut-on concevoir,du point de vue de

l'administrationde la justice, que la Cour dise sil'Indonésiea commis

un crime à l'égard du Timor oriental, sans entendre cetEtat ? La Cour

internationalede Justice ne juge pas par contumace ! Le principe

formulé dans l'affaire de l'Or monétaire s'applique aux cas ordinaires de

responsabilitédes Etats. Il s'applique nécessairementa fortiori si le

comportementd'un Etat peut être qualifiéde crime.

85. Mais si la Cour devait trancherde telles questions, elle

devrait incontestablement le faire en tenant compte de l'attitude

- exprimée par des actes et des déclarations - de la communauté

internationale,c'est-à-direde l'ensembledes Etats agissant par

l'intermédiairedes mécanismes institutionnels de l'Assemblée généraleet - 56 -

du Conseil de sécurité. Rien ne sert de se perdre en hypothèses sur ce

que la «communautéinternationale, auraitpu faire; la Cour ne peut que

se référer à la volonté déclaréede la communauté internationaletelle

qu'elle existe. Et le fait demeure que la communauté internationalen'a

pas condamné la présence de l'Indonésieau Timor oriental comme
054
constituant LUIcrime dlEtat ou un acte d'agression,ou comme étant

illégale ou comme entraînant une domination coloniale.Elle n'a pas,

depuis 1978, réclamé le retrait immédiatdes forces indonésiennes du

territoire (ce qui serait le corollaire inéluctabled'une telle

condamnation). Depuis 1979 la communauté internationale,qui est divisée

sur le point de savoir ce qu'il convient de faire, s'est contentée de

préconiser des négociations entresles parties directement intéressées

3) Déclaration relative aux principes du droit international touchant
les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément
à la Charte des Nations Unies (1970)

86. Enfin, j'en viens à la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée

générale intitulée«Déclarationrelative auxprincipes du droit

internationaltouchant les relationsamicales et la coopération entre les

Etats conformément à la Charte des NationsUnies», à laquelle la Cour

s'est référée dans son avisconsultatif en l'affaire du Sahara occidental

(C.I.J. Recueil 1975, p. 33, par. 58). Au titre du principe de l'égalité

de droits des peupleset de leur droit à disposer d'eux-mêmes,tout ce

qui est dit aux présentes fins est que

«Tout Etat a le devoir de favoriser, conjointementavec
d'autres Etats ou séparément,la réalisation du principe de
l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d'eux-mêmes,conformément aux dispositionsde la Charte, et

d'aider l'Organisationdes Nations Unies à s'acquitterdes
responsabilitésque lui a conférées la Charte en ce qui concerne
l'applicationde ce principe, afin de : ... b) mettre rapidementfin au colonialismeen tenant dûment comptede
la volonté librement exprimée des peuples intéressés.,

87. J'examineraidans un instant l'argumentationdu Portugal

concernant le«devoir de favoriser». Ce qui importe icic'est que même

ce devoir assez flou, tel qu'il est défini dans ladéclaration sur les

relations amicales, est nuancé par la restriction <conformémentaux

dispositions de la Charte», et précisé seulement par le rappel d'une

. 36 0 obligation rd'aider l'organisationdes Nations Unies,. Il n'est

nullement fait mention d'une obligation automatiquede non-reconnaissance

découlant de situations susceptiblesde violer le principe

d'autodétermination.

Conclusion quant à la non-reconnaissance

88. Il ressort de cet examen des sources faisant autorité qu'il

n'existe aucun critère sur la base duquel uneobligation automatiquede

non-reconnaissancepourrait être invoquéeen l'espèce, compte tenu des

termes dans lesquelsle Portugala formulé son argumentation relative à

la non-reconnaissanceet des hypothèsesqu'elle implique nécessairement.

Il manque le fondement essentield'une telle obligation - en d'autres

termes, une décision des organes compétents de l'organisationdes

Nations Unies déclarant illégaleou assimilant à un crime la présence de

l'Indonésieau Timor oriental.

89. La raison pour laquelle la non-reconnaissanceprésuppose une

telle politique commune est évidente, tant au niveau des principes qu'à

celui de la pratique.

90. Au niveau des principes, la situation est que l'Assemblée

générale n'est investie d'aucune autorité de disposition,c'est-à-dire

d'un pouvoir de décider, à quelque majorité quece soit, qu'un Etat ou un

autre peut ou non exercer sa souverainetésur un territoire. Bien - 58 -

entendu, l'Assembléegénérale peut exprimer sur la question une opinion,

qui est digne de respect, et d'un respect particulier si elle bénéficie

de l'appui général des Etats Membres, mais c'est là tout autre chose. En

revanche, l'Assemblée est investied'importants pouvoirsde disposition à

l'égard des territoires placés sousmandat et sous tutelle. Elle peut

aussi, dans certains cas, se voir conférer ces pouvoirs parvoie d'accord

entre les Etats intéressés, comme cefut le cas à propos de l'avenir de

la Libye dans le cadredu traité de paix conclu avec l'Italie en 1947.

Mais cette exceptionne fait que soulignerqu'elle manque de tels

pouvoirs dans d'autres cas, y compris au titre du chapitre XI de la

Charte.

&.6'! 91. D'autre part, les Etats parties doivent coopérer avec l'Assemblée

générale, et celle-ci a un rôle très importantde coordinationde la

pratique des Etats. Par exemple, elle peut, en demandant aux Etats de ne

pas reconnaître certaines situationsde fait, empêcher celles-ci de se

consolider. Les résolutions de l'Assemblée généralequi bénéficientdu

soutien général des Etats Membres et sont observées peuvent prendre

l'autorité d'énoncé officiel de la situation juridique. Mais une

résolution adoptée par 50 voix pour, 46 voix contre et 50 abstentions

(comme l'a été la résolution 37/30 de 1982; contre-mémoirede

l'Australie,p. A971 reflète seulementla division de la communauté

internationale,et ne peut pas être considérée comme faisant autorité en

droit international général.

92. La nécessité d'une base collective explicite pour la

non-reconnaissance,sous la forme d'une résolution du Conseil de sécurité

ou de l'Assembléegénérale, apparaît égalementsur le plan pratique. En

ordre dispersé, des actes de non-reconnaissancedes divers Etats seront

inefficaces. En outre, il est irréalisteet injuste d'imposer à des - 59 -

Etats tiers lesinconvénientstrès considérablesde la

non-reconnaissance,tant sur le plan économique que du point de vue de

leurs relations aveclBEtat visé, sans leur donner une assurance que leur

attitude serasuivie généralement,et que les risques et les charges de

la non-reconnaissanceseront partagés. C'est la logique de l'action

collective, la raison d'être de l'Organisation des NationsUnies. C'est

aussi la justificationprofonde de la position adoptée par la Cour dans

l'affaire de la Namibie, où la décision des organes compétentsa été

considérée comme une déclaration faiteau nom de tous les EtatsMembres,

qui les engage à une action collective - dont le contenu à son tour

«[relève1 des organes compétents des NationsUnies, agissant dans le

cadre des pouvoirs conféréspar la Charte» (Namibie,avis consultatif,

C.I.J. Recueil 1971, par. 120). Et le corollaire de ce raisonnementde

la Cour est qu'en ce domaine, l'absence d'une telle détermination,d'une

volonté d'agir de la part des organes compétents, signifiequ'il n'existe

pas de fondementpour une obligationde non-reconnaissance. En pareilles

circonstances,il doit appartenir à chaque Etat d'apprécier de bonne foi

comment répondre à la réalité d'une situation particulière.

Les conséquences pour la présente espèce

93. Comme je l'ai déjà montré, la distinction entrela persistance du

droit d'un peuple à l'autodéterminationet la persistancedu statut d'un

ancien Etat administrant ne pose aucune difficultd é'analyse. L'autorité

souveraine et l'autodéterminationsont des notions séparées

- juridiquement, historiquement, fonctionnellement.Le Portugal voit le

droit à l'autodétermination dupeuple du Timor orientalet le maintien de

sa propre autoritésouveraineau Timor oriental, de quelque nom qu'on

l'appelle,comme en corrélation logique, mais il n'y a aucune raisonde - 60 -

partager ce point de vue. A partir du moment où le droit à

l'autodétermination s'appliquait auTimor oriental - comme il le faisait

bien avant 1975 - sa persistance était indépendantedes droits ou de la

position du Portugal. Le chapitre XI n'a pas pour objet de consoliderle

statut juridique du colonisateur. Si, comme le Portugal le prétend, les

deux notions - le statut du Portugal et le droit du peuple du Timor

oriental - sont liées entre elles epar nécessité logique absolues

(CR 95/2, p. 36, M. Correia), le droit à l'autodéterminationdevient

alors un droit subordonnéet dérivé. Tel n'est pas le cas; le peuple du

Timor oriental conserveson droit à l'autodétermination, quoique pense

ou fasse le Portugal.

94. Dans d'autres contextes, le Portugal admet la possibilité de

cette disjonction. Parexemple, le peuple du Sahara occidental continue

de posséder un droit à llautodéterminationquelle que puisse être

l'attitudede l'Espagne (CR 95/3, p. 62-63, M. Correia). Il n'a

certainementpas perdu ce droit parce que l'Espagne a abandonné le

territoire,pas plus que lepeuple du Timor orientaln'a perdu le sien

parce que le Portugal l'a de facto abandonné. L'Espagne ne disposait

pas, et ne dispose pas, des droits du peuple du Sahara occidental.

95. Mais un Etat, s'il peut abandonnerun territoire,ne se dégage

pas pour autant de toute responsabilité juridique - un point sur lequel

les Parties sont ici d'accord. L'Espagne figure encoredans les

documents de l'organisationdes Nations Unies commeautorité

administrante théorique du Saharaoccidental,et elle ne peut pas

purement et simplement se démettre de ce statut. Ce qui montre deux

choses : premièrement, qu'il appartient à l'organisationdes

Nations Unies de décider, par un vote à la majorité, qui est pour ce qui

la concerne ll«Etat administrant»,et deuxièmement, que lefait d'être - 61 -

désigné comme apuissanceadministrante~aux termes du chapitre XI peut

impliquer des pouvoirs et des droits très limités. Ce n'est pas

l'équivalent de la souveraineté territoriale;sinon, l'Assembléegénérale

pourrait, par un vote à la majorité, attribuer ou transférer la

souveraineté,et ce qu'elle ne peut certainement pasfaire. Mon collègue

et - j'espère que la Cour me pardonnera uneremarque personnelle -

brillant ancien étudiant, M. Staker,développera ces points demain.

Monsieur le Président,Messieurs de la Cour.

96. En conséquence,l'Australiea agi conformémentau droit

internationalen reconnaissant à la fois que l'Indonésieexerce la

souveraineté surle Timor oriental et que le peuple du Timor oriental

conserve son droit à l'autodétermination. Enoutre, étant donné son rôle

antérieur au Timor oriental, rien n'empêche de reconnaîtreque le

Portugal conserve un rôle résiduelen tant que puissance administrante

, désignée au fins du chapitre XI, tout à fait de la même manière que
_I<-

l'Espagnepour le Saharaoccidental. Mais les droitsdu peuple et les

droits de l'ancien colonisateurne doivent pas êtreconfondus, et le fait

d'être inscrit comme puissanceadministranten'implique aucun pouvoir

spécifique d'administration,et encore moinsaucune autorité territoriale

substantielle.

97. Je conclurai,Monsieur le Président, en disant que l'autorité

territorialesur les territoires auxquelss'applique le chapitre XI est

déterminéepar le droit internationalgénéral, et non par délégationde

l'Assembléegénérale. L'Australien'a pas enfreint le droit

international à l'autodéterminationen négociant et en concluant le

traité de 1989. Indiscutablement,l'Indonésieest tenue - au même titre

que le reste du monde - de respecter le droit à l'autodéterminationdu

peuple du Timor oriental. Mais le Portugal admet quele respect par - 62 -

l'Indonésie de cette obligationn'est pas, et ne pouvait pas être,

l'objet de la présente instance.

Le cdevoir de favoriser, l'autodétermination

98. Cela m'amène à un autre argument avancé parle Portugal, à savoir

que l'Australie a failli à son devoir de «favoriserwl'autodétermination

du peuple du Timor oriental. Le Portugal prétend qu'en concluant le

traité de 1989, l'Australiea failli à son obligation de «favoriser>

l'autodétermination(voirpar exemple réplique du Portugal, par. 6.17; et

CR 95/2, p. 26) .

99. On ne trouve dans la Charte des Nations Unies aucune obligation

expresse qui serait faite auxEtats individuellementde favoriser

l'autodéterminationde territoires sur lesquels ils n'exercent eux-mêmes

aucun contrôle. L'obligationgénérale de solidaritéénoncée au

paragraphe 5 de l'article 2 de la Charte vise seulementl'assistance à

donner à l'organisationdes Nations Unies «dans toute action entreprise

par elle conformément aux dispositionsde la présente Charte». Un

.?5 5 commentaire récentde la Charte conteste que le paragraphe 5 de

l'article 2 puisse créer «une obligation généralepour les Etats Membres

de donner assistance à l'Organisation»et soutient qu'il doit avoir «un

champ d'application restreint»,essentiellement dansle contexte du

chapitre VI1 (B. Simrna(éd.) , The Charter of the United Nations. A

Commentary, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 129-130) .

100. Ce point est un peu plus développé - assez peu à vrai dire -

dans le paragraphe que j'ai déjà cité de la déclaration touchant les

relations amicales (ci-dessus,par. 86). Ce paragraphe comprend

deux éléments. Premièrement, il énonce que chaqueEtat a le devoir «de

favoriser, conjointementavec d'autres Etats ou séparément,la - 63 -

réalisationdu principe de l'égalité des droits des peuples et de leur

droit à disposer d'eux-mêmes». Deuxièmement, il évoque l'aide à

ll~rganisationdes Nations Unies, dans des termesqui font écho aux

dispositions du paragraphe 5 de l'article 2 de la Charte dont ils sont

manifestement tirés. J'ai déjà traitédu deuxième élément. Quant au

premier, l'obligationde favoriser la réalisationdu principe, il

convient de faire plusieurs observations. Premièrement, une obligation

de «favoriser»la mise en oeuvre d'un principe est une obligation

extrêmement généraleet élastique. On ne peut favoriser quelque chose

que dans les limites deson pouvoir et de sa responsabilité,et la

manière dontun Etat peut individuellementfavoriser un principe doit

essentiellement être laissée à son appréciationet à sa discrétion.

C'est sans doute pour cetteraison que ce paragraphe met l'accent sur

«conjointment avec d'autres Etats ou séparément»,et en particulier sur

la coopérationavec l'Organisationdes Nations Uniesdans une action

collective.

101. En particulier,Monsieur le Président, rien n'indique dans la

déclaration touchant lesrelations amicalesque des Etats tiers

individuellementseraient tenus de poursuivre une action individuelle en

l'absence de toute initiative conjointeou collective capablede mettre

en oeuvre le principe de l'autodéterminationdans un cas donné. Les

Etats ont beaucoup de responsabilités diverseset des ressources

limitées. Une obligation généralede favoriser^ une chose à l'égard de

laquelle un Etat ne possède aucune autorité ou responsabilité spécifique

et un pouvoir réduit ou nul, ne peut pas être interprétée comme exigeant .

des initiatives individuelles coûteuses lorsque l communauté

internationaleelle-même a choisi une autrevoie. Et tel est le cas dans

la présente affaire. - 64 -

102. Cette vérité est parfaitement exprimée parle chapitre XI de la

Charte. Ce sont avant tout les Etats Membres «qui ont ou qui assument la

responsabilitéd'administrer»des territoires non autonomesqui doivent

mettre en oeuvre le principe del'autodéterminationpour ces territoires.

Individuellement,les Etats tiers ne peuvent guère faire beaucoup à cet

égard - et à fortiori, ils ne peuvent guère être individuellementrequis

de faire beaucoup.

103. En ce qui concerne l'action collective,aucun organe de

l'organisationdes Nations Unies n'a réclamé l'aide de tierces parties

comme l'Australie. En 1975 et 1976, le Conseil de sécurité a demandé à

tous les Etats de respecterle droit à l'autodéterminationdu peuple du

Timor oriental, comme l'a fait l'Assembléegénérale dans sa résolution

3485 (XXX)du 12 décembre 1975, un appel expressémentréitéré en 1976,

1977 et 1978. Par la suite, l'Assemblée générales'est adressée aux

«parties intéressées»,en 1979, puis «aux parties directement

intéressées» de 1980 à 1982. Après 1982, ce fut le silence.

104. Comme M. Bowett le montrera, il ne peut être question d'aucune

infraction ni d'aucun manquement de l'Australieaux dispositions des

diverses résolutionsde l'Organisationdes Nations Unies, ni d'ailleurs

d'aucune résolution d'un de ses organes subordonnés commele Comité des

Vingt-Quatre. Dans ces conditions, le Portugal ne peutpas s'appuyer sur

les dispositions généraleset génériques du paragraphe 5 de l'article 2

de la Charte ou de la déclaration touchant lesrelations amicalespour

étendre la portée de l'obligationde favoriser. Il s'agit

essentiellementd'une obligation de coopération avec l'Organisation des
-*; 7
.,.- Nations Unies et il est de fait qu'après 1982, le paragraphe 5 de

l'article 2, quelle que soit la manière dont on l'interprète, au niveau

des organes principauxde l'Organisationdes Nations Unies, ne pouvait - 65 -

qu'amplifierun silence. L'Assembléegénérale a observé le silence à

propos de Timor, et le Portugal, redoutant lesconséquencesd'un autre

vote à l'Assemblée,s'est associé à ce silence.

105. Tant au niveau individuel qu'au niveau collectif, l'Australiea

fait tout ce qu'exigeait d'elle l'obligation de afavorisers

l'autodétermination,comme M. Tate l'a montré. J'ajouterai que je ne

retrouve pas la moindre traced'une coopérationde l'Australie avec

l'Indonésiepour supprimerl'exercicedu droit à l'autodéterminationdu

peuple du Timor oriental - en supposant même que la Cour puisse juger

dans le cadre de la présente instance que l'Indonésie est coupable d'une

telle suppression, ce que manifestementelle ne peut pas faire.

106. Ni le Secrétairegénéral, ni aucun autre organe de

l'Organisationdes Nations Unies, ni aucun autre Etat, n'ont jamais

suggéré non plus que l'Australieait enfreint cette obligationde

favoriser. Le grief est d'origine strictement portugaise, unpeu comme

une appellation d'origine. Quand il s'agit de griefs, l'Australie se

voit requise de traiter exclusivementavec le Portugal !

La souveraineté permanente sur les ressources naturelles

107. Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, je n'ai pas traité

dans cet exposé de l'argumentationdu Portugal fondéesur le principe de

la souveraineté permanente surles ressourcesnaturelles. Mes collègues,

-.i. MM. Pellet et Bowett, le feront demain, en examinant les demandes

respectives des partieset des non-partiesaux droits sur le plateau

continentaldans la région.

108. Il me suffira pour le moment de rappeler ce que jlai dit hier 3

propos de la recevabilité (CR 95/8, p. 53-54, 63-64). Plus encore que

les autres aspects de la présente affaire, ce problème est

indissolublement lié à des questionsdont le Portugaladmet que la Cour - 66 -

ne peut pas décider; la délimitation du plateaucontinental,la

détermination de l'absence de titre valide de l'Indonésiesur celui-ci,

l'observationpar l'Indonésiede ce principe dansson application du

traité, etc.

109. En ce qui concerne le fond, comme je l'ai dit, l'Australie est

d'accord comme l'admet le Portugal dans ses écritures qu'il ne serait pas

incompatible avec le principe de la souveraineté permanentede conclure

avec 1'Etat administrant un territoire un accord sur les richesses et les

ressources naturelles, y compris un accord comme le traité de 1989 (voir

par exemple répliquedu Portugal, par. 5.82). Et si cela est légitime,

la seule questionest de savoir s'il est compatible avec le principede

souveraineté permanente de traiteravec l'Indonésieplutôt qu'avec le

Portugal. C'est exactement la même question que celle que je viens

d'examiner à propos de l'autodétermination. La thèse du Portugal fondée

sur la souveraineté permanente surles ressourcesnaturelles ne fait que

reprendre la question sous une autre forme (voir contre-mémoirede

l'Australie,par. 377; duplique de l'Australie,par. 270-271). Je n'ai

donc rien à ajouter sur ce sujet, mais M. Burmester y reviendra dans son

examen de la pratique pertinente desEtats, y compris lapratique du

Portugal lui-même.

110. Je demande donc à la Cour de bien vouloir appelerM. Burmester à

la barre pour poursuivre cet exposé de l'argumentationde l'Australie

relative à l'autodéterminationet à la reconnaissance.

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de

votre patience.

Le PRESIDENT :Merci, M. Crawford. Je donne la parole à

M. Burmester. M. BURMESTER :

L1autodétermination

Monsieur le Président,Messieurs de la Cour.

M. Crawford a présenté les principesjuridiques essentiels relatifs à

la thèse du Portugal selon laquelle l'Australie,en ne traitant pas avec

le Portugal, a enfreint le droit à l'autodétermination. Ma tâche sera

d'analyserplus en détail la pratiquedes Etats et les décisions de

l'Organisationdes Nations Unies afinde démontrer que lesEtats placés

dans une situation semblable à celle où se trouve l'Australie sont

libres, en l'absence de toute décision contraire, de traiter avec 1'Etat

qui exerce le contrôlede fait sur un territoire auquels'applique le

chapitre XI. Je me propose d'examiner les trois principales questions

suivantes :

a) le rôle spécial assumépar les organes politiques de l'Organisation

des Nations Unies dans la mise en oeuvre de l'autodétermination;

b) la pratique des Etats quand ils traitent avec despuissances

administrantesou autres autorités territorialescomme si celles-ci

avaient compétencepour conclure desaccords à des fins telles que

l'exploitationde ressources maritimes;

C) le fait que l'obligationpour les Etatsde favoriser

l'autodéterminationen général ne leur impose pasde s'abstenir de

protéger leurspropres intérêtsnationaux, ce qui ressort clairement

de la pratique des Etats.

Le rôle des organes de llOrganisation des Nations Unies

Le droit à l'autodéterminationest énoncé en termes généraux dansle

paragraphe 2 de l'article 1 et dans l'article 55 de la Charte. Comme

nous l'a dit M. Dupuy, ces dispositions sontdevenues un principe

important de droit international(CR 95/3, p. 13-14). Mais M. Dupuy a - 68 -

passé sous silencela manière dont ce principe avait été mis en pratique.

Et aucun des conseils du Portugal n'a analysé en détail la pratique des

Etats pour montrer ce que représente ce principedu point de vue des

obligations spécifiques pourles Etats. Il semble croire qu'il suffit

d'établir l'existencedu principe. Mais il doit aussi montrer les

obligations précisesqui en découlent pour les Etats. Il ne l'a pas

fait.

Depuis 1945, l'Assembléegénérale de l'organisation des

Nations Unies, en traitant de nombreuses situations de décolonisation, a

établi un principe juridiquedont la mise en oeuvre est tributaire de

l'Organisationdes Nations Unies elle-même. M. Crawford a appelé

l'attention sur l'importance que l'Organisation des Nations Unies accorde

la nécessité de tenir comptedes conditions particulières à chaque

territoire concernélorsqu'il s'agit de déterminer lesmodalités de

l'exercice du droit à l'autodétermination. Des résolutions importantes,

comme la déclaration sur l'octroi de l'indépendanceaux pays et aux

peuples coloniaux (résolution 1514 XV du 14 décembre 1976) ont énoncé

seulement des principes généraux. L'acquis pratique considérable que

reflète le grand nombre de résolutions traitant desnombreuses situations

différentes de décolonisation représente la traduction de ces principes

dans la réalité.

Comme nous l'a aussi dit M. Dupuy, l'Assemblée généralea décidé de

surveiller l'applicationde la déclaration en créant, d'abord par sa

??? résolution 1654 XVI du 27 novembre 1961, un comité qui a été ensuite
.:i 1

appelé le Comité desVingt-Quatre (CR 95/3, p. 18). Avant celui-ci, il

existait un comité des renseignements relatifsaux territoiresnon

autonomes. L'oeuvre de ces deux comités et les nombreuses résolutionsde

l'Assembléegénérale sur l'autodéterminationconstituent un ensemble - 69 -

considérable de pratiquesqui ne saurait êtreignoré. L'examen de cette

expérience montre que si le droit à l'autodéterminationest constamment

réaffirmé, l'Assembléegénérale prend toujours en considérationles

particularités historiques, géographiques et politiques de chaque cas

pour déterminer commentil doit s'y appliquer. Il n'existe aucune

solution universelle - qu'il s'agisse du statut politique final ou de la

méthode suivie pour assurer l'exercicede ce droit par un peuple

particulier. Au contraire, cetterègle de droit international,ainsi que

Hans Blix l'a fait remarqué, est tributaire,pour être appliquée

correctement, d'institutions internationaleq sui apprécient la situation

et appliquent larègle (voircontre-mémoirede l'Australie,par. 322;

voir aussi Vera Gowlland-Debbas,CollectiveResponses to Illegal Acts in

InternationalLaw, 1990, p. 145.)

Monsieur le Président, je rappellerai à la Cour ainsi que l'a déjà

fait M. Crawford, l'avis consultatifen l'affaire du Sahara occidental

(contre-mémoirede l'Australie,par. 319), qui reconnaissait à

l'Assembléegénérale «une certaine latitude» quant aux formes et aux

procédés selon lesquelsce droit doit être mis en oeuvre. Dans l'affaire

du Sahara occidental, la Cour a admis que l'on pouvait légitimement

utiliser différentes méthodes,en cas de circonstancesspéciales,pour

déterminer la volonté des populationset donner ainsi effet aux principes

(C.I.J. Recueil 1975, p. 33) .

J'examineraimaintenant quelques aspects de cette importante

pratique.

La nature diverse des territoiresnon autonomes se reflète dans les

différentesapplicationsqui sont faitesde la règle dans descas

,-:Y p, particuliers. Il y a de petits territoires commeGoa ou Ifni. Il y a
:.-:.1

ceux qui font l'objet de revendicationsde souveraineté concurrentes - 70 -

fondées sur des liens historiquespassés, comme les îles Falkland

(Malouines)et le Sahara occidental. Ailleurs, c'est la réintégration

qui est réclamée, comme pour Gibraltaret Mayotte. Et ce ne sont 12 que

des exemples - la liste des catégoriesn'est pas close.

L'examen de la vaste expérience de l'organisation des Nations Unies

en la matière conduit à une conclusiontrès claire : l'anciennepuissance

coloniale d'un territoire qui a vocation à l'autodéterminationne peut

pas attendre qu'on lui reconnaisse le droit de conserver une souveraineté

ou un contrôle, à moins que le peuplen'en décide ainsi par unacte de

libre choix. L'on a vu des exemples où l'option choisie qui n'allait pas

jusqu'à l'indépendance,comme la libreassociation,voire l'intégration.

Un examen de la pratiquede l'Organisationdes Nations Unies révèle

que l'Assembléegénérale a assumé trois fonctions différentesen matière

d'autodétermination :

a) décider quels territoiressont couverts par ce droit;

b) prendre des décisions sur l'exercice de ce droit en ce qui concerne

des territoiresdonnés; et

c) prendre des décisions surles mesures à appliquer par les Etats

Membres - généralement dans le cadre de situationsmettant en jeu

le droit à l'autodétermination.

Il est admis que leTimor oriental est couvert par ledroit à

l'autodéterminationmentionné au premier point. Par conséquent, il me

sera suffisant, aux fins du présent exposé, de me concentrer sur les

deuxième et troisième points. Concernant l'exercice du droit à

l'autodéterminationau Timor oriental, l'Assemblée généralen'a pris

aucune décisionsur les modalités d'exercice de ce droit. Dans mon

exposé précédentsur la qualité pour agir, jtai démontré que le Portugal

revendique un rôle de protagonistedans ce processus. Mais c'est une méprise. En attendant l'issue des négociationsmenées par le Secrétaire

073
général, il est impossiblede dire commentet quand le droit à

l'autodéterminationau Timor oriental s'exercera. L'indépendancepeut

être l'une des issues. Mais il y a d'autres possibilités. Le rôle du

Portugal étaitincertain. Dans l'entre-temps, l'Indonésieest l'autorité

gouvernementale dece territoire.

J'en arrive maintenant à la troisième fonction : le rôle de

l'organisationdes Nations Uniesdans la déterminationdes mesures que

doivent prendre des Etats.

Monsieur le Président, le rôle centralde l'Assembléegénérale à cet

égard est démontré par excellence parl'adoption des «plans d'action pour

l'applicationintégrale de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance

aux pays et aux peuples coloniaux».

Le premier plan était contenu dansla résolution 2621 (XXV) du

12 octobre 1970. Le plan suivant était inclus dans la résolution 35/118

du 11 décembre 1980, soit un mois après l'adoptionde la résolution 35/27

portant exclusivementsur la questiondu Timor oriental. Ce plan

d'action prévoit explicitement,par exemple, que les Etats Membres

s'efforceront d'adopterdes mesures propres à «mettre un terme à tous

nouveaux investissementsétrangers en Afrique du Sud et à tous nouveaux

prêts financiers à ce pays» (par. 5 du plan). Il est dit que les Etats

Membres s'opposeront «à toutes les activités et dispositions militaires

des puissances colonialeset occupantes dans lesterritoires sous

domination colonialeet raciste» (par. 9). Les Etats Membres sont

appelés à décourager ou prévenir l'afflux systématique dans les

territoires sous domination colonlale d'immigrantset de colons (par. 8).

L'Afrique du Sud est expressémentmentionnée, de même que la nécessité de

sanctions et d'un embargo sur les armes (par.16). Le paragraphe 17 du plan témoigne du rôle centralet de la

responsabilité globale de llAssembléegénérale dans la mise en oeuvre du

droit à l'autodétermination. Je cite les passages essentiels :

«17. Le Comité spécial continuera à veiller à ce que tous
les Etats appliquent intégralement laDéclaration ... Lorsque la
résolution 1514 (XV) de l'Assembléegénérale n'aura pas été
appliquée intégralement à un territoire, l'Assemblée conservera

la responsabilité de ce territoire jusqulà ce que tous les
pouvoirs aient été transférés à la population du territoire ...
et que sa population ait eu lloccasiond'exercer librement son
droit à l'autodéterminationet à l'indépendance conformément à

la Déclaration. Le Comité spécial est chargé par le présent
Plan d'action :

e) D 'aider 1 'Assemblée générale à prendre les dispositions,
en coopérationavec les puissances administrantes,pour
que 1'Organisation des Nations Unies soi t présente dans
les territoirescoloniaux, de manière à lui permettre de

participer à l'élaborationdes dispositions relatives aux
modalités d'applicationde la Déclaration et d'observer
ou de superviser les dernières phases du processus de
décolonisation dans cesterritoires.» (Les italiques

sont de nous.)

Ainsi, dans un plan d'action joint à une résolution adoptée sans avoir

été mise aux voix, llAssembléegénérale reconnaît quela manière dont le

droit à l'autodéterminationest assuré dans un territoire donné ne dépend

ni de la puissance administrante,ni des Etats pris individuellement,

mais bien d'elle-même;et des directives spécifiques sont adressées

aux Etats concernant descas particuliersd'autodétermination

Or, si l'on recherche des mesures, directives, critiquesou autres

déclarations de l'Assembléegénérale relativesau Timor oriental, après

l'adoptionde ce plan, on ne trouve pratiquementrien. Deux résolutions

ont été adoptées en 1981 et 1982, respectivement. Puis c'est le silence.

Comme on l'a déjà relevé, l'Assembléegénérale n'a aucunement critiqué

les mesures prises parl'Australieau sujet du traité. Cependant, c'est

cette action de l'Australieque le Portugaldistingue pour en faire la critique, et dont il prétend qu'elle est contraire au droit international
0?5
et au droit à l'autodéterminationdu peuple du Timor oriental. On

s'attendrait à ce que l'Assembléegénérale, dans l'exercice de son rôle

central qu'elle s'est attribué dans son plan d'action, commente l'action

australienneet donne des directives aux autresEtats en rapport avec une

telle action si elle avait jugécelle-ci inquiétante. Or, elle n'en a

rien fait.

A de nombreuses reprises, l'organisation des Nations Uniesa invité

les Etats à prendre des mesures précises dans des cas

d'autodétermination. Par exemple, la résolution 47/82 du 15 mars 1993

a été adoptée sur l'«importance,pour la garantie et l'observation

effectives des droits de l'homme, de la réalisation universelle dudroit

des peuples à l'autodéterminationet de l'octroi rapide de l'indépendance

aux pays et aux peuples coloniaux». Elle ne se contente pas d'appeler

les Etats à l'action en des termes généraux, mais contientdes appels

précis à l'action : on en dénombre troisen rapport avec la Palestine,

huit au sujet de l'Afrique du Sud, un concernant Comoreset Mayotte, et

un relatif à la Namibie. Mais pas un mot sur le Timor oriental. Ce

silence est significatif. C'est de ce silence que Mme Higgins voudrait

voir la Cour tirer desconclusions,fondées sur des inférences logiques

et nécessaires.

Au cours des dernières années, l'Assembléegénérale a adopté chaque

année une série de résolutions relativesau droit à l'autodétermination

et à l'application de la déclaration. Dansbon nombre de ces

résolutions, l'Assembléea relevé certaines actionsparticulières

commises par les puissances administrantee st d'autres Etats. Elle

ne s'est jamais fondée surde simples inférences. Comme exemple du rôle central de l'Organisation des Nations Unies

dans la supervision de la mise en oeuvre du processus

d'autodétermination,on peut prendre la résolution de 1993 sur

l'applicationde la déclaration (rés.48/52 du 10 décembre 1993).

Je cite maintenant quelques paragraphes du dispositif :

«6. Demande à tous les Etats, en particulier aux puissances
administrantes,ainsi qu'aux institutions spécialiséeset autres
organismes des Nations Uniesde donner effet, dans leurs
domaines de compétence respectifs, aux recommandations du Comité
spécial tendant à l'applicationde la Déclaration et des autres

résolutions de llOrganisationdes Nations Unies enla matière;

10. Prie le Comité spécial de continuer à rechercher
les moyens d'assurer l'applicationimmédiate et intégrale de

la Déclaration ... et, en particulier :

a) De faire des propositions précises pour 1'élimination des
dernières manifestations du colonialisme et de lui en rendre

compte lors de sa quarante-neuvième session;

b) De faire des suggestions concrètes pour aider le Conseilde
sécurité à étudier les mesures à prendre en vertu dela Charte
touchant lesfaits nouveaux qui surviendraient dansles

territoires coloniauxet qui risqueraientde menacer la paix
et la sécurité internationales.»

Une fois de plus, l'Assembléegénérale affirmele contrôle centralisé

et la direction qu'elle exerce pour ce qui est dela détermination

des actions requises desEtats dans des casd'autodétermination.

Pour des territoirestels qu'Anguilla,les Bermudes, les îles Vierges

britanniques, Guamet Montserrat, l'Assembléegénérale adopte

régulièrement une résolutionpar laquelle elleadresse à la puissance

administrante pertinentedes directives précises concernant chacunde

ces territoires particuliers(voir par exemplerésolution A/48/51 du

10 décembre 1993). Ces résolutions invitent la puissance administrante

en question à prendre les mesures particulièresque requièrent les

circonstances du territoire. Toutefois, lorsque cela estnécessaire,

elles appellent aussi expressément les Etats Membreset les gouvernements - 75 -

territoriauxpertinents à prendre des mesuresrelatives à certaines

activités particulières. Par exemple, concernanA tnguilla, l'Assemblée

générale s'est félicitée, en 1992, (résolution 47/27) de la décision du

gouvernement territorialde protéger et préserver les ressourcesmarines

et de contrôler les activités illicites de pêche étrangère.

De même, l'Assembléegénérale adoptetous les ans une longue

résolution sur les activités des intérêtsétrangers, économiques et

autres, qui font obstacle à l'applicationde la déclarationsur l'octroi

de l'indépendanceetc. (voir par exemple résolution 48/46 du

10 décembre 1993). Ces résolutions appellentles Etats, en termes

généraux, à prendre des mesurespropres à prévenir des activités

économiquesnuisibles aux intérêts despeuples des territoiresnon

autonomes. Lorsquoil est nécessaire d'exhorter des Etats à prendre des

mesures particulières,il en est ainsi fait. Par exemple, en 1991, la

résolution 46/64 a expressément condamnéla collaborationavec le régime

d'Afrique du Sud sous la forme de nouveaux investissementset de

fournituresd'armes, et a appelé les gouvernements à prendre des mesures

efficaces contreles compagniespétrolières en vue de mettre fin à

la fourniture de pétrole à l'Afrique du Sud.

Si l'on passe en revue les travaux desdernières années à la fois de

l'Assembléegénérale et du Comité spécial desVingt-Quatre, on est frappé

par plusieurs aspects :

- l'attentiondétaillée et approfondieaccordée aux situations de

décolonisationpartout dans lemonde;

- le fait que ces deux organes aient accepté que ce soit e-ux,en dernier

ressort, qui assument la responsabilitéde supervision pourveiller à

ce que la résolution 1514 (XV) soit effectivementappliquée; - 76 -

- le fait qu'ils soient prêts, le cas échéant, à condamner des actions

particulières, ou à adresser des recommandationsou exhortations aux

puissances administranteset à d'autres Etats; et

- le fait qu'aucune inférence ou déduction logiquen'est tirée de quelque

affirmation généraledu droit à l'autodéterminationque ce soit.

Dans certains cas, reconnaissantle lien entre la paix et la

sécurité, d'une part, et la décolonisation,d'autre part, le Conseil de

-i78 sécurité a ordonné à certains Etats de prendre certainesmesures

précises. En annexeA à son contre-mémoire,l'Australiea cité des

exemples de résolutions de l'organisation des Nations Unies appelant

expressément des Etats tiers à agir dans un contexted'autodétermination.

Mais la pratique ne permet de tirer qu'une seule conclusion : en

l'absence de directives spécifiques,il n'est pas demandé aux Etats de

s'abstenir de traiter avec un Etat impliqué dans un différend relatif à

l'autodétermination,particulièrement side telles relations sont avant

tout destinées à protéger ou favoriser leurs intérêts.

Comme M. Griffith l'a déjà rappelé à la Cour, tout au long de

l'examen des questions relatives à l'autodétermination,depuis 1989, ni

1'~ssembléegénérale ni le Comité spécial des Vingt-Quatrene se sont

prononcés sur le traité du «Timor Gap». Et ce n'est pas qu'ils

l'ignoraient. Le Portugal a très rapidement portéce traité à la

connaissance de l'Organisationdes Nations Unies. Dans une lettre du

9 novembre 1988 adressée au président du Comité spécial des Vingt-Quatre,

il affirmait que :

ale Gouvernement de la ~épubliipe d'Indonésien'est pas habitué
à prendre des engagements concernant un territoire qu'il occupe
illégalement ... et qui relève de la responsabilité du Portugal
en sa qualité de puissance administrante». - 77 -

Le Portugal a demandé à ce que ce texte soit distribué commedocument

officiel du Comité spécial. C'est ainsi qu'il a été distribué dans un

document en date du 15 mars 1989 sous la cote A/AC.109/981 (mémoire du

Portugal, vol. V, annexe 111.17, p. 194). Le Portugal a adressé d'autres

lettres au Secrétaire général des NationsUnies, en le priant de les

faire distribuercomme documents officiels.

Ni le Comité spécial des Vingt-Quatre,ni l'Assembléegénérale n'ont

en rien marqué leur accordavec la position du Portugal. Tout en étant

parfaitement au courant de la négociation et de la conclusion d'un traité

entre l'Australieet l'Indonésie,ces organes n'ont exprimé aucune

critique, et, à fortiori,pris de mesures à ce sujet. Ils n'ont jamais

laissé entendreque la conduite de l'Australie faisait obstacle aux

efforts de médiation du Secrétaire généralentre les parties concernées,

ou au droit de ce peuple à l'autodétermination.

Tous les ans, le Comité spécial desVingt-Quatre se contente de

prendre note de l'informationrelative au Timor oriental et de convenir

d'inscrire cette question à l'ordre du jour de l'année suivante, sous

réserve de toute directive de l'Assembléegénérale. Et d'année en année,

aucune directiven'est prise. Pour ce qui est de l'Organisationdes

Nations Unies, seul le Secrétairegénéral, dans le cadre de ses

consultationstel que défini par la dernière résolution de fond sur ce

sujet, de 1982, pourrait déciderd'une action relativeau Timor oriental.

En revanche, des directives explicitesont été données aux Etats dans

certains cas d'autodétermination,y compris des cas dans lesquels des

revendicationsconcurrentesde souveraineté s'opposaient. C'est ce à

quoi j'en arrive maintenant. - 78 -

Les arrangements conclus avec les autorités territoriales

Monsieur le Président, j'en arrive à la deuxième questionmentionnée

au début de mon exposé, à savoir la pratique des Etats dans leurs

rapports avec les autorités territoriales, dansle respect du droit à

l'autodétermination. L'examen de cette pratique confirme à quel point

le silence de l'organisation des Nations Unies est révélateur ence qui

concerne la fixation de limites à l'action des Etats.

L'Organisationdes Nations Unies a reconnu la nécessitépratique,

pour les Etats, de traiter et être en rapport avec les autorités

pertinentes des territoiresnon autonomes. En fait, l'Organisation

des Nations Unies a identifié, dans des cas précis, certains types

particuliers de rapports, comme les ventes d'armes ou les investissements

étrangers, et a cherché à les entourerde restrictions. Le caséchéant,
280

l'Organisationdes Nations Uniesa expressémentappelé les Etats à

s'abstenir d'entrer en relation avec un Etat donné à l'égard d'un

territoire particulier. Ainsi, dans le cas de la Namibie, les relations

conventionnelleset économiques,de même que d'autres formes

d'opérations,qui supposaient que l'Afrique du Sud agisse au nom de

la Namibie, ont été proscrites (résolution 301 du Conseil de sécurité).

Lorsque, comme pour la Namibie, l'Assembléegénérale est disposée à

exercer elle-même un contrôle, elle peut adresser aux Etats des demandes

de portée plus généralepour qu'ils cessent leursrapports avec

l'autorité qui exerce son contrôle. Ou bien, comme dans le casd'un

certain nombre de colonies portugaises en Afrique, l'organisationdes

Nations Unies peut reconnaître desmouvements de libération comme

représentants des peuples de certains territoiree st ordonner aux Etats

d'assurer une représentation deces mouvements dansleurs opérations

relatives à des questions touchant à ces territoires (voir,par exemple, - 79 -

la résolution 2918 (XXVII),p. 176 de la duplique australienne,et la

résolution 3113 (XXVIII),p. 178). Dans la résolution 3294 (XXIX)de

1974, cinq mouvementsnommément désignés ont ainsi étéreconnus (mémoire

du Portugal, annexe 11.8). Ces résolutions ont égalementappelé

expressément tous les Etats à prendre certaines mesures pour entraver

la domination portugaise sur ces territoires. Lorsqu'elle le juge

nécessaire, l'organisationdes Nations Unies s'adresse clairement et

directement aux Etats au sujet de leurs rapports avec 1'Etat qui exerce

l'administrationd'un territoire. Mais dans d'autres situations,elle ne

lance pas de tels appels, certainement parcequ'elle est consciente que

les intérêtsdu peuple concerné ne sont pas servis au mieux par la

cessation de toute relation avec 1'Etat qui exerce son contrôle.

En cas de conflit de souveraineté,la situation des territoires

non autonomesn'est pas différente à cet égard de la situation d'une

puissance administrante obstructionniste. Bien entendu, le Timor

oriental doit être considéré sous cet angle comme un exemple de

souveraineté contestée, et il s'apparentesur ce point au cas du Sahara

occidental, de Gibraltar, des îles Falkland (Malvinas)et de Mayotte.

Un Etat, l'Indonésie,contrôle le territoire. Un autre, le Portugal,

prétend que ce contrôle est illégitime et cherche à affirmer son droit

exclusif d'agir au nom de ce territoire. Si l'on examine la manière

dont les Etatstiers agissentdans des situations de ce genre, on ne peut

tirer qu'une conclusion : lorsque celaest nécessaire pour protéger leurs

intérêts économiques, les Etats traitent avec 18Etat qui exerce son

contrôle s'agissant de questions qui touchentau territoire. Dans aucun

de ces cas, l'organisationdes Nations Uniesn'a donné d'instructions

pour prévenir ces rapportsentre Etats. En revanche, dans le casde

Chypre, une déclaration a été faite selon laquelle la fondation d'un Etat - 80 -

distinct de Chypre-Nord n'était pas valide, et le Conseil de sécurité a

explicitement appelétous les Etats à ne pas reconnaître la soi-disant

République turque deChypre-Nord (voir l'annexe A au contre-mémoire

australien,p. 189). Mais lorsque l'on examine les situations

d'autodétermination,on trouve que ce silenceest révélateur : en

l'absence de tout appel en sens contraire, c'est avec l'autorité

territoriale qui exerce son contrôle que lesEtats traitent, s'agissant

des ressources des territoiresnon autonomes. 11 ressort clairementde

la pratique des Etats que ceux-ci ne considèrent pas que le silencede

l'organisationdes Nations Unies est dépourvu de signification. Qu'il

nous soit donc permisd'examinerplus avant ces casde souveraineté

contestée, dans lesquels l'Organisationdes Nations Unies a gardé le

silence.

Au sein même de l'Organisationdes Nations Unies, il est reconnu que

de tels différends sont réglés au mieux par des négociations directes

entre les principales partiesau différend, sous les auspices du

Secrétaire général. Lorsquoun tel processus est en cours, le Comité

des Vingt-Quatre ne prend en général aucune mesurede fond.

Dans le cas des îles Falkland(Malvinas),le Comité a adopté une

décision réaffirmant que «le règlement pacifiqueet négocié du conflit

r;r.
., de souveraineté ... est le moyen de mettre fin à la situation coloniale

particulière propreaux Iles Falkland (Malvinas)». Il a réaffirmé

également son appui au Secrétaire généralpour sa mission de bons offices

(A/49/23 (partieVIII)). La dernière résolution del'Assemblée sur les

Iles Falkland (Malvinas)remonte à 1988 (résolution 43/25). Elle ne

faisait pas interdiction auxEtats de traiter avec le Royaume-Uni. En

l'absence de telles directives, les Etats traitentavec l'administration

pertinente qui exerce le contrôle sur le territoire,y compris à l'égard - 81 -

des ressources de celui-ci. Et tel est le cas, quelle que soit l'issue

éventuelle du conflit de souveraineté.

Le Sahara occidental

Monsieur le Président, la situation du Sahara occidentalrevêt

un intérêt toutparticulier en la présente instanceet j'ose espérer que

la Cour me pardonnera de l'examinerde façon un peu plus détaillée.

Dans ce domaine, on doit se montrer prudentlorsqu'il s'agit de tirer

des conclusions juridiques dela pratique d'un Etat pour les étendre à

une autre situation, dans la mesure où chaque territoire présente des

caractéristiquesbien particulières. Néanmoins, l'exemple qui présente

le plus d'analogies avec la situation du Timor oriental,parmi les autres

territoires appelés à exercer leurdroit à l'autodétermination,est sans

doute celui du Sahara occidental. Le cas du Sahara occidental montre

qu'en attendant la résolution finale d'un différend, les Etats tiers ne

sont pas empêchés de conclure desarrangementspratiques avec1'Etat qui

exerce le contrôle effectif surle territoire. L'Assembléegénérale n'a

pas critiqué de tels arrangements (y compris ceux qui portentsur les

ressources).

Je ne me propose pas de retracer l'historiquedu différend du Sahara

occidental. Mais ceconflit a une composanteportugaise. Et c'est sans

doute pourquoi le conseil du Portugal a cherché à contester hâtivementla

pertinence des accordsde pêche conclusen 1988 et 1992 entre le Marocet
3. 3
la Communauté Européenne(CR 95/4, p. 66). Les paragraphes 211 et 213

de la duplique décrivent en partie la toile de fond de ce différend.

Avant 1975, l'Espagne était reconnue par l'organisationdes Nations Unies

comme «la puissance administrante»de ce territoire non autonome (qui

s'appelaitalors Sahara espagnol). Cependant, l'Espagne a mis fin à sa - 82 -

présence au Sahara occidental enfévrier 1976. En 1979, le Maroc a

prétendu faire de cettezone une nouvelle province du Royaume duMaroc.

Cette prétentionn'a jamais été admise par l'Assembléegénérale qui,

dans des résolutions ultérieures,a affirmé à maintes reprises que la

résolution 1514 (XV) continuait de s'appliquer au Sahara occidental,

et qui a réaffirmé le droit du peuple du Sahara occidental à

l'autodéterminationet à l'indépendance. Aucune résolution del'un

quelconque des organes de llOrganisationdes Nations Unies n'a jamais

cherché à mettre fin au statut de l'Espagne en tant que puissance

administrante du territoire, nidésigné un Etat autre que l'Espagne comme

puissance administrante. De fait, la dernière foisque l'Assemblée

générale a mentionné l'Espagne dans une résolution relativeau Sahara

occidental - la résolution 3458A (XXX)de décembre 1975 - elle s'est

expressément référée à l'Espagne comme à la «puissanceadministrante»qui

assumait «la responsabilité ...en ce qui concerne la décolonisation du

territoire».

Plus récemment, le Secrétaire générala entrepris des consultations

dans l'exercice de ses bons offices entre le Marocet le Front Polisario

Les modalités d'un référendum sur l'autodéterminationfaisaient partie

des questions en discussion (voir le plus récent documentde travail

préparé par le Secrétariat duComité des Vingt-Quatre,A/AC109/1194 du

29 juin 1994). Mais les modalités d'un référendum n'ont pas été fixées

(voir CR 95/5, p. 25). En même temps, cette question a été examinée

régulièrement à la fois au sein du Conseil de sécurité (résolutions621,
L.84

1988; 658, 1990; 690, 1991; 725, 1991; 809, 1993) et à l'Assemblée

générale (voirpar exemple 47/25, 1992; 48/49, 1993). Tel n'est

assurément pas le cas du Timor oriental. - 83 -

Depuis 1976, le Maroc exerce son contrôle sur l'ensemble de la partie

exploitable du territoire. Un gouvernement concurrent, établi par le

Polisario - la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) - a été

reconnu par de nombreux Etats et il est membre de l'OUA. Cependant,

l'Organisation des Nations Unies n'a pas appelé les Etats à ne pas

traiter avec le Maroc, et n'a pas imposé d'autres sanctions à son

encontre. Ainsi, bien que l'Organisation des Nations Unies ait rejeté

la prétention du Maroc selon laquelle le peuple avait décidé en faveur

de son incorporation, et qu'elle ait critiqué la présence du Maroc sur

le territoire, et bien que certains Etats aient reconnu la RASD, les

Etats n'ont pas été appelés à ne pas traiter avec le Maroc.

Or, en l'absence de tels appels, les Etats ont fait affaires avec

le Maroc en tant qulEtat exerçant le contrôle effectif sur le territoire,

concernant les ressources naturelles de celui-ci. Au nombre de ces Etats

figure le Portugal. Oui, je le répète, le Portugal est au nombre de ces

Etats !

Je me permets de renvoyer la Cour en particulier aux accords de pêche

conclus entre la Communauté européenne et le Maroc, qui sont en vigueur

depuis 1988 et qui entendaient clairement inclure les eaux relevant

du Sahara occidental (duplique australienne, par. 212). Ces accords

s'étendent aux ressources situées dans les eaux du Sahara occidental.

En fait, deux accords de pêche ont été conclus entre la Communauté

européenne et le Maroc, l'un en 1988, l'autre en 1992. Le texte de

ces accords, qui figure au Journal Officiel des Communautés européennes,

a été mis à la disposition de la Cour.

Il ressort clairement de l'article 1" de l'accord de 1988 que

celui-ci s'applique aux activités de pêche des vaisseaux battant le

pavillon de l'un des Etats membres de la Communauté dans les «eaux - 84 -

relevant de la souveraineté ou de la juridiction du Maroc,. On peut

dire qu'il s'agit là d'une formulationquelque peu ambiguë. Mais toute

ambiguïté disparaît quandon entre dans lesdétails. Je prie en

particulier la Cour de se reporter au point G de l'annexe 1, qui fait

partie intégrante del'accord (art. 14). Celui-ci dispose que :

«Les zones de pêche accessibles aux navires de la Communauté

sont les eaux visées à l'article 1" de l'accord et à l'article le'
du protocole no 1 et à l'article le' du protocole no 2 situées
au-delà de.. .»

Sont ensuite énumérées diverses limites pour différents types de

navires. Le protocoleno 2 est dénué de pertinence aux présentes fins.

Si l'on se reporte au protocole no 1, la possibilité de pêcher est définie

par référence aux zonesau nord et au sud du parallèle 30° 40' N. Le

dossier que nous avons mis à la dispositionde la Cour contientune carte

pour illustration,que la Cour trouverapeut-être utile pour suivre cette

partie de mon argument. Dans les eaux au sud du parallèle 30° 40' N,

l'accord restreint la capture de certaines espèces entre les deux

parallèles, mais par celle d'autres espèces. En d'autres termes, pour

certaines espèces, la pêche est autorisée de manière générale au sud du

parallèle 30° 40' N. Pour d'autres espèces, la pêche est limitée entre

les parallèles 30° 40' N et 2E0 44' N. L'accord n'a donc aucun sens s'il

ne s'applique pas, au sud du parallèle 28O 44' N, aux eaux situées au

large du Sahara occidental contrôlépar le Maroc. D'ailleurs, il était

généralement compris à l'époque que ces eaux étaient couvertes par

l'accord (voir la duplique de l'Australie,note 350, p. 118).

En réponse à une question concernant la suspension unilatéralepar le

Maroc des opérations depêche au largede la côte du Sahara en 1990, la

Communauté européennea dit qu'elle ne pouvait pas «prendre position sur

les frontières géographiques» (traduction du Greffe) de la zone couverte - 85 -

par le traité, en particulier concernantles eaux au large de la côte du

Sahara occidental (réponse à une question de M. Marin, 22 novembre 1990,

Journal Officiel des Communautéseuropéennes, 23 mars 1993, C79/20). Le

Portugal cherche à s'en prévaloir (CR 94/4, p. 66). Mais il ne s'agit

que d'un voile de fumée. Tout le monde sait que les navires de certains

Etats européens pêchaient dans les eauxau large du Sahara occidental

en vertu de l'accord de 1988.

Cette tentativede camoufler l'évidence,aussi possible soit-elle

eu égard aux accords précédents de 1976 et 1977 avec le Portugal et

l'Espagne, et à l'accord de 1988 avec la Communauté européenne, ne

résiste pas à un examen de l'accord de 1992. L'article le' de l'accord de

1992 définit à nouveau les eaux pertinentes comme celles sur lesquelles

le Maroc exerce sa souveraineté ou sa juridiction. Néanmoins,l'accord

dit maintenant clairementque cette expression signifieen fait ce que

tout le monde avait compris cequ'elle signifiait. Au point H de

l'annexe 1 de cet accord, consacré à l'inspectiondes vaisseaux, se

trouve une disposition relativeaux escales desvaisseaux dans un certain

nombre de ports. Le texte dispose que : «une fois par an maximum ...

tout navire autorisé à pêcher doit, sur demande de l'autorité marocaine,

se présenter dans l'un des ports marocainsindiqués». Les ports énumérés

sont : Agadir, Casablanca, Dakhla et Tanger. Or, Dakhla se trouve bien

entendu au Sahara occidental (Journalofficiel, 31.12.92, doc. 407/10).

L'examen de l'accord par la Commission européenne confirme aussiavec

certitude que l'accord s'applique aux eaux du Sahara occidental. En

fait, une certaine oppositionet une certaine gêne se sont manifestées

pour cette raisonau Parlement européenlors de l'examen de l'accord. Je

ne rentrerai pas dans les détails maisje renvoie la Cour à la

déclaration explicative annexéeau rapport relatif à l'accord destiné au - 86 -

Parlement européen. Un exemplaire en a été fourni à la Cour. Cette

déclaration contient un appel lancé par le comité du développement et de

la coopération pour que :

«La Commission et le Conseil obtiennent du royaume duMaroc
la garantie quoil n'appliquera pas les dispositions de l'accord
sur les pêches qui le lie à la Communauté qui concernent les

eaux territoriales du Sahara occidental et le port de Dakhla
tant que le processus d'autodétermination sur la base d'un
référendum organiséet supervisé par l'organisationdes Nations
Unies ne sera pas achevé.> (PE 202.501, 4 décembre 1992.)

Il n'a pas été tenu compte de cet appel et l'accord a été signé après

avoir été approuvé à l'unanimitépar le Conseil, et il est entré en

vigueur (reg. 3954/92 du 19 décembre 1992). En vertu de cet accord, des

navires de pêche principalement espagnolsmais aussi portugaispêchent

dans les eaux qui se trouvent au large du Sahara occidental.

Ainsi, tous les membres de l'Union européenne, y compris le Portugal,

font exactement ce qu'aux dires du Portugal aucun Etat ne devrait faire.

Ils traitent avec un Etat autre que celui que l'Organisationdes

Nations Unies a désigné comme puissance administrante.

Cette conduiteest l'argument le plus puissanten faveur de

l'Australiedans la présente affaire.

Monsieur le Président, je vais m'arrêter pour aujourd'hui.

Le PRESIDENT : Merci, M. Burmester. La Cour reprendra ses audiences

demain à 10 heures. L'audience est levée

L'audience est levée à 13 heures.

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