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CR 92/4 (traduction)
CR 92/4 (translation)

vendredi 27 mars 1992
Friday 27 MarCh 1992

;

~.,.,
t...'11 - 2 -

008 Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT: Veuillez prendre

place. La Cour entendra aujourd'hui l'exposé des Etats-Unis dans

l'instance introduite par la Libye contre les Etats-Unis. Je donne donc

la parole à M. Williamson, agent des Etats-Unis d'Amérique.

M. WILLIAMSON : Je vous remercie Monsieur le Président et Messieurs

les Membres de la Cour. Au début de ma plaidoirie, je voudrais exprimer

la très grande considération que le Gouvernement des Etats-Unis porte à

la Cour et confirmer qu'il la reconnaît et l'appuie en tant qu'organe

judidai re principal des Na .i ons Unies. J'ai le privilège et 1 'honneur

de me présenter devant vous pour la première fois et de représenter mon

gouvernement en cette affaire.

La Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste (que

j'appellerai dorénavant, si je puis, la "Libye" ou le "Gouvernement

libyen") a saisi la Cour d'une demande en indication de mesures

conservatoires pour protéger un "droit", invoqué par elle, de traduire

devant ses tribunaux répressifs deux individus accusés d'un attentat

contre Pan Am103, un avion de ligne civil. La Libye soutient que ce

droit nécessite une protection urgente contre les actes de coercition des

Etats-Unis.

Il est pourtant clair que des mesures unilatérales des Etats-Unis ne •

sont pas ce qui préoccupe la Libye,

Le 21 janvier, le Conseil de sécurité de l'Organisation des

Nations Unies a examiné des documents communiqués par les Etats-Unis, le

Royaume-Uni et la France, qui impliquaient la Libye non pas seulement

dans l'attentat à la bombe contre le vol Pan Am103, mais aussi dans

l'attentat à la bombe contre le vol UTA772. Plus de 441 personnes

venant de 32 pays furent tuées lors de ces deux attentats terroristes.

Le Conseil a aussi examiné les dénégations de toute participation émanant

de la Libye, les propositions libyennes d'engager des poursuites et les

0060C/CR 92/4/trad, - 3 -

allégations libyennes selon lesquelles la question devrait être réglée

sous le régime de la convention de Montréal. Le Conseil de sécurité a

répondu en adoptant à l'unanimité sa résolution 731.

La résolution 731 indique clairement que la question posée par les
"009

attentats à la bombe contre les vols Pan Am 103 et UTA772 fait partie

d'un système plus vaste d'appui donné au terrorisme international et ne

constitue pas un cas isolé d'activité criminelle. Le Conseil de sécurité

demande à la Libye, "afin de concourir à éliminer le terrorisme

international", d'apporter une réponse complète et effective aux demandes

des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni, y compris la demande du

Royaume-Uni et des Etats-Unis qui tend à ce que la Libye livre les deux

individus, ainsi que les demandes des trois gouvernements tendant à ce

que la Libye "s'engage de façon concrète et définitive à renoncer à toute

forme d'action terroriste et à tout soutien apporté à des groupements

terroristes" et doive "apporter sans délai par des actes concrets les

preuves d'une telle renonciation".

Avant d'indiquer dans les grandes lignes quelles plaidoiries seront

prononcées au nom de mon Gouvernement, je m'estime tenu de répondre à·ce

qu'a donné à entendre hier l'agent de la Libye, c'est-à-dire que les

Etats-Unis envisagent cette question commeune question nord-sud, ou

commeun différend entre une grande Puissance et un petit pays, La

résolution 731 a été adoptée à l'unanimité. Les quinze membres du

Conseil de sécurité, qui constituaient une coupe représentative,

économique et géographique des membres de l'Organisation des

Nations Unies, se sont tous accordés à estimer que la réponse de la Libye

aux demandes des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France était

."
déplorable. Permettez-moi de vous donner lecture d'une partie du

préambule ainsi que du paragraphe 2 du dispositif de la résolution 731,

0060C/CR 92/4/trad, 4 -

qui n'a pas été mentionnée dans l'exposé de la Libye, je le rappelle.

Dans deux alinéas du préambule le Conseil se déclare :

''profondément préoccupé par ce qui résulte des enquêtes
impliquant des fonctionnaires du Gouvernement libyen ••• liées
aux procédures judiciaires concernant les attentats perpétrés
contre les vols de la Pan American et de l'Union des transports
aériens; ·

et

déterminé à éliminer le terroriste international".

Au paragraphe 2 du dispositif le Conseil :

010 "Déplore vivement le fait que le Gouvernement libyen
n'ait pas répondu effectivement à ce jour aux demandes ••• [des
Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France] de coopérer
pleinement pour l'établissement des responsabilités dans les
actes terroristes susmentionnés contre les vols 103 de la
Pan American et 772 de l'Union des transports aériens."

Il ressort donc clairement de la résolution 731 que, loin de constituer

une question litigieuse bilatérale entre les Etats-Unis et la Libye, une

question nord-sud, ou un différend entre une grande Puissance et un petit

pays, l'attentat à la bombe contre le vol Pan Am, comme le terrorisme en

général, est un problème de portée internationale.

Hier l'agent de la Libye et ses conseils ont aussi donné à entendre

que le différend se limite à la question de livrer deux individus. Ils

ont donné à entendre que, par ailleurs, la Libye a pleinement satisfait ...

aux exigences des Etats-Unis et accédé aux demandes de la France. Il

incombera au Conseil de sécurité de décider si la Libye a apporté une

réponse complète et effective, Pour notre part, nous estimons que la

Libye n'a satlsfait à aucune des demandes des Etats-Unis. Le plus grave,
011

c'est que la Libye n'a pris aucune mesure concrète pour se désolidariser
1'
du terrorisme. Quant à l'allégation selon laquelle la Libye a accédé à
1
la demande de la France, je voudrais faire observer à la Cour que la

France s'est jointe aux Etats-Unis et au Royaume~Un poiur demander une

nouvelle résolution du Conseil de sécurité qui impose des sanctions

0060C/CR 92/4/trad, 5 -

contre la Libye parce que celle-ci ne s'est pas conformée à la

résolution 731. Le Conseil de sécurité est saisi de l'affaire. Le

Secrétaire général a tenté à plusieurs reprises d'obtenir le respect de

la résolution, mais le 3 mars, le jour où la Libye a déposé sa requête

auprès de la Cour, il a rapporté que la Libye ne se conformait toujours

pas à la résolution. Le Conseil examine maintenant la question de savoir

s'il doit imposer des sanctions contre la Libye parce qu'elle ne s'est

pas conformée à la résolution 731.

Après le rejet de ses arguments par le Conseil de sécurité, la Libye

a maintenant présenté ces mêmesarguments devant la Cour mondiale. C'est

la première fois dans l'histoire de la Cour qu'un Etat tente de se servir

d'elle pour défaire l'oeuvre du Conseil de sécurité. L'un des conseils

de la Libye a soutenu que la requête libyenne adressée à la Cour avec la

demande en indication de mesures conservatoires et l'examen de la

question par le Conseil de sécurité sont "complémentaires ... Voilà un

emploi surprenant du mot "complémentaires" étant donné le reste de

1' exposé de ce consei 1. Le conseil de la Libye. a effectivement affirmé

que la Libye ne cherche pas à empêcher le Conseil de sécurité d'examiner,

D12 en vertu du chapitre VI de la Charte, les questions qu'elle tente de
e
porter devant la Cour. Il a pourtant indiqué clairement que la Libye

demande à la Cour d'ordonner aux Etats-Unis et au Royaume-Uni de

s'abstenir d'accomplir, dans le cadre du Conseil de sécurité, aucun acte

susceptible de porter atteinte aux droits invoqués par elle.- -En-d' autres

termes, les Etats-Unis et le Royaume-Uni doivent s'abstenir de jouer un

rôle quelconque dans toute décision par laquelle le Conseil de sécurité

répondrait, en vertu du chapitre VII, à la participation de la Libye à

l'attentat à la bombe contre le vol Pan Am 103, dès lors qu'une telle

réaction porterait atteinte aux droits invoqués par la Libye.

0060C/CR 92/4/trad. - 6 -

Voilà une proposition extraordinaire. Elle est purement et

simplement incompatible avec l'article 35 de la Charte, qui permet à tout

membre de l'Organisation d'attirer 1' atten.tion du Conseil de sécurité sur

un différend, et avec l'article 27, qui se rapporte à la position des

Etats-Unis en tant que membres du Conseil ~e sécurité. Il est manifeste ..

que cette proposition tend à restreindre et non à compléter l'examen de

la question par le Conseil de sééurité,

La demande en indication de mesures conservatoires de la Libye tend

à entraîner la Cour dans des conflits avec le Conseil. Premièrement,

comme on l'indiquera plus tard avec plus de détails, elle demande à la

Cour de partir du principe que la Libye a le droit exclusif d'engager des

poursuites contre les deux individus, tandis que le Conseil a déploré à

l'unanimité que la Libye ait donné à entendre que les poursuites

libyennes constituaient une réponse effective à la demande des

Etats-Unis. Deuxièmement, à ce qu'il semble en raison de l'examen

013 imminent de la réponse libyenne inadéquate par le Conseil de sécurité, la

Libye vient alléguer ici que la Cour doit prendre la mesure

extraordinaire consistant à indiquer des mesures conservatoires qui

porteraient une atteinte grave à un tel examen.

Indépendamment d'une décision imminente du Conseil de sécurité, la

Libye n'a fait état que d'une seule autre justification possible de sa

demande en indication de mesures conservatoires, Elle tente d'établir,

en assemblant des pièces et des morceaux de déclarations dans ·"lesquelles

les responsables des Etats-Unis n'ont "exclu aucune option'', que les

Etats-Unis ont menacé d'employer la force pour contraindre la Libye à

livrer les individus accusés. Gommenous le montrerons plus tard, le

conseil de la Libye a présenté ces déclarations de façon erronée : les

Etats-Unis n'ont formulé aucune menace de ce genre. Nous n'avons pas agi

de façon unilatérale en nous fondant sur les preuves dont nous disposons

0060C/CR 92/4/trad. - 7 -

de la participation de la Libye à un nouvel acte de terrorisme perpétré

contre des ressortissants américains. Bien plutôt nous avons procédé par

l'intermédiaire du Conseil de sécurité pour arriver à une réponse

collective. La Libye anticipe maintenant les actes ultérieurs du Conseil

• et cherche à nous interdire de travailler par l'intermédiaire du Conseil .

Monsieur le Président, 196 Américains ont perdu la vie lors des

attentats terroristes, constituant des violations flagrantes et

révoltantes du droit international qui furent perpétrés contre les vols

Pan Am103 et UTA772. Je suis donc sûr que vous pouvez comprendre

l'indignation des Etats-Unis et, sans aucun doute, des 32 autres Etats

dont des ressortissants furent assassinés, à l'idée que la Libye tente

d'utiliser la Cour pour se protéger contre la condamnation

internationale. Nous comptons que la Cour elle-même ne voudra pas se

laisser utiliser de cette manière.

014 Ce matin, après avoir passé en revue les faits et le cadre général

de la situation, les Etats-Unis démontreront que la demande en indication

de mesures conservatoires de la Libye est dépourvue de tout fondement et

doit être rejetée. Nous démontrerons quatre propositions fondamentales,

dont chacune constitue un motif distinct de rejet de la demande libyenne.

Premièrement, nous démontrerons qu'il est tout à fait inapproprié

que la Libye demande à la Cour de restreindre le Conseil de sécurité ou

de s'ingérer d'une autre manière dans l'exercice de la responsabilité

principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales qui

lui incombe en vertu de la Charte des Nations Unies, ou d'agir de mêmeà

l'égard des Etats-Unis lorsque ceux-ci portent des affaires devant le

Conseil. La réplique des Etats-Unis à l'attentat à la bombe contre le

vol Pan Am 103 tend avant tout à obtenir, en agissant par l'intermédiaire

du Conseil de sécurité de l'ONU, que la Libye cesse de donner son appui

au terrorisme. Commeles représentants de la Libye le reconnaissent

0060C/CR 92/4/trad, - 8 -

maintenant, celle-ci cherche à interdire aux Etats-Unis de demander au

Conseil une nouvelle décision. Cette partie de notre argumentation sera

présentée par l'assistant du conseiller juridique chargé des affaires des

Nations Unies, M. Bruce Rashkow.

Deuxièmement, nous démontrerons que la Libye n'a pas rempli les •

conditions de compétence liminaires qui sont requises pour saisir la CIJ

de l'affaire. Les dispositions de la convention de Montréal subordonnent

la compétence de la Cour à la condition préalable que les parties ne

parviennent pas à se mettre d'accord sur l'arbitrage dans les six mois

qui suivent la date de la demande d'arbitrage présentée par un Etat.

Même à supposer que la Libye ait demandé l'arbitrage d'une manière

015 appropriée par sa lettre du 18 janvier [document 23 de la Libye] et par

la déclaration de son représentant permanent auprès des Nations Unies (en

supposant de surcroît qu'il ait été habilité à parler au nom de la

Libye), six semaines seulement se sont écoulées entre la "demande"

d'arbitrage de la Libye et sa requête à la Cour. A première vue, donc,
016
la convention de Montréal ne fournit aucune base sur laquelle la Cour

puisse fonder sa compétence. Cette partie de notre argumentation sera

présentée par l'ancien conseiller juridique adjoint M. Charles Brower,

qui, soit dit au passage, dirigeait la délégation des Etats-Unis lors de

la conférence dont est issue la convention de Montréal.

Troisièmement, nous démontrerons que la demande ·de la Libye ne

satisfait pas aux critères établis ·qu'applique la Cour lorsqu'il ·s'agit

de prendre la mesure extraordinaire d'indiquer des mesures

conservatoires. Ce faisant, nous montrerons que. l'allégation libyenne

d'une menace de coercition par les Etats-Unis ne repose absolument sur

rien et reste bien loin de ces critères, depuis longtemps reconnus par la

Cour, que sont l'urgence ou la limitation à des mesures conservatoires du

droit de chacun; nous montrerons aussi que le prétendu droit exclusif de

0060C/CR 92/4/trad. - 9 -

la Libye d'exercer l'action publique est illusoire, tandis que les droits

des Etats-Unis contestés par la demande libyenne en indication de mesures

conservatoires sont bien fondés et clairs; nous montrerons que la Cour ne

peut donc exercer sa fonction conservatoire du droit des parties qu'en

rejetant la demande libyenne en indication de mesures conservatoires.

L'assistant du conseiller juridique chargé des affaires du Proche-Orient

et de l'Asie du Sud, M. Jonathan Schwartz, présentera cette partie de

notre argumentation.

017 Le dernier point à démontrer, c'est-à-dire que les demandes

e libyennes doivent être rejetées parce que le Conseil de sécurité est

saisi de la question et s'en occupe, sera présenté par le conseiller

juridique adjoint M. Alan Kreczko. J'achèverai l'exposé des Etats-Unis

par une brève déclaration.

Avant d'aborder ces exposés en droit, je voudrais demander à la Cour

de permettre à M. Kreczko d'indiquer dans quel cadre de fait la requête

de la Libye a été déposée.

Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT Je vous remercie

Monsieur Williamson; M'.Kreczko a la parole.

M. RECZKO:

II , LES DONI'ŒESDE FAIT

Je vous remercie Monsieur le Président et Messieurs les Membres de

la Cour.

C'est un honneur que de me présenter pour la première fois devant la

Cour, Je vais discuter des faits de la présente affaire assez en détail

afin de démontrer pourquoi les Etats-Unis ont décidé qu'elle ne peut être

considérée comme une simple cause criminelle régie par la convention de

Montréal, mais doit être bien plutôt renvoyée devant le Conseil de

sécurité commeun cas de terrorisme international.

0060C/CR 92/4/trad.------- ---- ---------- ---

- 10 -

L'attentat à la bombe contre le vol Pan Am 103

Commele Solicitor General d'Ecosse l'a indiqué hier en détail, le

21 décembre 1988, l'avion du vol Pan Am 103, un transporteur enregistré

aux Etats-Unis, fit explosion au dessus de Lockerbie, Ecosse.

270 personnes perdirent la vie : 11 résidents de la ville écossaise de

Lockerbie, ainsi que 259 passagers et membres de l'équipage, dont

189 ressortissants des Etats-Unis d'Amérique. Parmi les passagers

assassinés comptaient des ressortissants des pays suivants : Royaume-Uni,

Suède, France, Italie, Japon, Inde, Suisse, Canada, Israïl, Argentine,

Irlande, Hongrie, Afrique du Sud, Allemagne, Espagne, Jamaïque,

Philippines, Belgique, Trinité et Bolivie. Parmi les victimes il y avait

des étudiants, des familles, des hommes d'affaires et des fonctionnaires

gouvernementaux. L'Organisation des Nations Unies elle-même perdit un

fonctionnaire très éminent, M. Bernt Carlsson, commissaire pour la

Namibie.

On se rendit aussitôt compte que l'explosion résultait d'un acte de
018
terrorisme. Cet acte a été universellement reconnu comme l'une des

atrocités les plus extrêmes du terrorisme. Il constituait une violation

flagrante du droit fondamental de l'homme à la vie. Le 30 décembre 1988,

le président du Conseil de sécurité publia, au nom du Conseil,· une

déclaration qui exprimait de l'indignation et condamnait énergiquement

1' at tenta t à la bombe contre le vo1 Pan Am 103, ·tout en demandant à tous

les Etats d'aider à traduire devant les tribunaux les personnes

responsables de cet acte criminel. Le 10 juillet 1990 les chefs d'Etat

de sept pays industrialisés publièrent une déclaration qui prenait note

avec une grave préoccupation des attentats à la bombe contre les

vols Pan Am 103 et UTA772 et demandait aux gouvernements qui prêtent

leur aide aux terroristes de mettre fin à cette aide sur le champ

(doc. 1).

0060C/CR 92/4/trad. - 11 -

L'enquête criminelle et ses constatations

Aussitôt après l'attentat à la bombe contre le vol Pan Am 103

l'enquête criminelle la plus ample et la plus complète fut ouverte, Elle

fit appel à des centaines d'enquêteurs et à la coopération de plus de

• 25 Etats •

Après trois ans d'enquête, les Etats-Unis, avec le Royaume-Uni,

eurent accumulé assez de preuves pour être fondés à demander à leurs

pouvoirs judiciaires respectifs de délivrer des actes d'accusation et des

mandats d'arrêt contre deux ressortissants libyens Abdul Basset

Ali Al-Megrahi, fonctionnaire supérieur des services de renseignements

libyens, et Lamen Khalifa Fhimah, ancien directeur du bureau des Libyan

Arab Airlines à Malte. Les éléments de preuve établissent un lien

direct entre ces deux fonctionnaires libyens et la valise qui contenait

la bombe, ainsi que son insertion dans le circuit des bagages qui aboutit

au vol Pan Am 103. Les preuves établissent aussi un lien entre

Al Megrahi et la société suisse qui avait fabriqué les détonateurs à

retardement électroniques perfectionnés utilisés dans l'attentat à la

bombe contre le vol Pan Am 103.

Le 14 novembre 1991 un jury d'accusation des Etats-Unis estima
~19
disposer d.'éléments de preuve suffisants pour formuler contre les deux

fonctionnaires libyens plusieurs chefs d'accusation, y compris

l'association de malfaiteurs et l'assassinat. Des précisions sur ces

accusations sont indiquées dans l'annexe au document du Conseil de

sécurité S/23317.

Je voudrais souligner ici qu'un acte d'accusation aux Etats-Unis ne

décide pas que la culpabilité est établie, mais qu'il existe des raisons

valables de procéder à une arrestation. Quand les deux accusés seront

livrés aux Etats-Unis, ils seront jugés dans un système qui non seulement

adhère aux droits fondamentaux de l'homme, mais aussi les respecte.

0060C/CR 92/4/trad, - 12 -

L'accusé aura droit à un conseil et à être jugé par un jury à l'issue de

débats publics, il ne pourra être contraint de s'incriminer lui-même et

il sera présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été reconnu coupable sans

laisser de place à une incertitude raisonnable.


L'attentat à la bombe contre le vol UTA 772

Tandis que l'enquête relative à l'attentat à la bombe contre le vol

Pan Am 103 se poursuivait, le 19 septembre 1989, l'avion français du

vol UTA772 fit explosion au-dessus du sud-est du Niger. Dans cet

incident 171 passagers et membres de l'équipage trouvèrent la mort, y

compris 7 américains et ressortissants de l'Algérie, du Cameroun, du

Canada, de la République centrafricaine, du Congo, de la France, de la

Grèce, de l'Italie, du Mali, du Maroc, du Royaume-Uni, du Sénégal, de la

Suisse, du Tchad et du Zaïre.

Le 30 octobre 1991, un magistrat français délivra des mandats

d'arrêt contre quatre fonctionnaires libyens dénomméspour leur rôle dans

l'attentat à la bombe contre le vol UTA772 et fit citer deux autres

fonctionnaires libyens supérieurs pour les interroger.

La participation libyenne

Les Etats-Unis ont établi que l'attentat à la bombe contre le vol

Pan Am 103 fut l'entreprise coordonnée de fonctionnaires libyens du

niveau le plus élevé et fait partie de modalités depuis longtemps

récurrentes du comportement de la Libye.

Nous étions persuadés de la responsabilité de la Libye fondée sur le
0~0
rôle central et continu joué par Al-Megrahi dans les activités des

services de renseignements libyens, ainsi que sur ses liens étroits avec

des fonctionnaires du Gouvernement libyen qui furent impliqués dans

021 d'autres actes terroristes. De plus, sur le lieu des débris de l'avion,

0060C/CR 92/4/trad, 13 -

les enquêteurs ont trouvé des fragments d'une plaque de circuit

électronique et il a été déterminé de façon concluante que cette plaque

provenait de l'un des dispositifs d'horlogerie électronique numérique

manufacturés par une société suisse pour le Gouvernement libyen et lui

seul.

De surcroît, l'attentat à la bombe s'est inséré dans un système

récurrent du terrorisme libyen. tes Etats-Unis ont donné publiquement

acte de leur conviction que la Libye a participé à des faits de

terrorisme tels que l'assassinat, en 1980, d'un dissident libyen en

Italie; les attentats de 1985 contre les aéroports de Rome et de Vienne,

où 19 personnes trouvèrent la mort; l'attentat à la bombe de 1986 contre

la discothèque LaBelle à Berlin Ouest; et un attentat de 1988 contre le

navire de croisière grec The City of Poros. Nous serions heureux de

fournir à la Cour des renseignements supplémentaires sur ces exemples de

terrorisme appuyé par la Libye et sur d'autres encore.

Les Etats-Unis ne sont pas seuls à conclure que la Libye a participé

à ces actes terroristes et à d'autres. Nombre d'autres Etats ont pris

des mesures contre la Libye à cause de l'appui qu'elle apporte au

terrorisme. En mars 1990, le Gouvernement éthiopien a expulsé deux

diplomates libyens accusés d'avoir placé une bombe qui explosa dans

l'hôtel Hilton à Addis-Abeba. En présence des preuves de la

participation de la Libye à l'attentat à la bombe contre l'établissement

LaBelle Disco, les ministres des affaires étrangères des 12 pays de la

Communautéeuropéenne (EG) se réunirent pour une session d'urgence à

La Haye le 21 avril 1986 ils décidèrent d'un commun accord que chacun

des 12 pays réduirait le nombre des diplomates Libyens accrédités auprès

de lui, qu'ils restreindrait le nombre des Libyens en Europe occidentale,

rendraient plus exigeantes les conditions des visas accordés aux Libyens

et exerceraient une étroite surveillance sur les Libyens dans leurs pays

0060C/CR 92/4/trad. - 14 -

respectifs. Au cours des semaines suivantes les gouvernements de la

Communauté européenne arrêtèrent les ventes militaires à la Libye et

empêchèrent leurs ressortissants qualifiés d'assurer l'entretien du

matériel libyen. Ils expulsèrent plus de lOO diplomates libyens et

réduisirent sensiblement les liens économiques et commerciaux avec la

Libye.

022 Monsieur le Président, nous n'attirons pas l'attention de la Cour

sur l'ensemble de ces faits pour en débattre avec la Libye, mais afin

d'expliquer pourquoi les Etats-Unis n'ont pas traité la mi.se en

accusation de deux individus simplement comme une question de procédure ~

pénale. Selon nous la Libye avait déjà manifestement adopté la manière

d.'agir qui consiste à dénoncer le terrorisme en public tout en lui

apportant son appui.

Les demandes adressées à la Libye

Le 21 novembre 1991 les Etats-Unis transmirent à la Libye, par

l'intermédiaire de la puissance chargée de protéger leurs intérêts, des

copies de l'acte d'accusation du grand jury qui expose en détail les

chefs d'accusation et les preuves retenues contre les deux fonctionnaires

libyens. Une note de présentation des Etats-Unis fut communiquée avec

l'acte d'accusation; elle déclarait :

"Dans le cadre d'une réponse acceptable, le Gouvernement
des Etats-Unis exige que le Gouvernement libyen remette
Abdel Basset Ali Al-Megrahi et Lamen Khalifa Fhimah aux
Etats-Unis pour être jugés sur les chefs contenus dans l'acte
d'accusation." (Doc. n° 2.)

Le 27 novembre 1991, le ministre des affaires extérieures libyen

accusa réception de ce document et déclara qu'il l'avait traduit et

communiqué au ministère de la justice libyen afin que celui-ci l'examine
..

et donne suite (doc. no 2).

0060C/CR 92/4/trad. - 15 -

Le mêmejour, les Gouvernements américain, britannique et français

invitèrent à la Libye, dans des déclarations séparées et conjointes, de

se conformer aux demandes qui ont déjà été indiquées à la Cour et,

notamment, de s'engager de façon concrète et définitive à renoncer à

toute forme d'action terroriste et à tout soutien apporté à des

groupements terroristes (S/23306 1 S/23307, S/23308 et S/23309). Le fait

que le Gouvernement français ait expressément pris à son compte les

exigences des Etats-Unis établit la fausseté de la conclusion que le

conseil de la Libye s'est efforcé de tirer hier, à savoir que la France a

peut-être envisagé comme inappropriée la demande des Etats-Unis et du

Royaume-Uni tendant à se faire remettre les individus en cause.

023 Les Etats-Unis saisissent le Conseil de sécurité

Etant donné que la Libye persistait à dénier sa responsabilité et à

refuser de livrer les accusés, les Etats-Unis ont procédé à des

consultations avec d'autres pays. Sur la base de ces consultations les

Etats-Unis ont décidé d'oeuvrer pour aboutir à des mesures collectives au

Conseil de sécurité afin d'affronter la menace contre la paix et la

sécurité internationales constituée par les deux attentats à la bombe

contre des avions civils et par la persistance de la Libye -à patronner le

terrorisme international.

Une fois encore, pour les Etats-Uni.s, la question fondamentale posée

par l'attentat à la bombe contre le vol Pan Am 103 était celle de savoir

comment riposter à l'appui que la Libye donne au terrorisme

international. Cependant les Etats-Unis ne sont pas passés de cette
.,.
détermination à des mesures unilatérales. Bien plutôt ils ont cherché

une réaction collective au Conseil de sécurité.

0060C/CR 92/4/trad, - 16 -

Les communications de la Libye au Conseil de sécurité

Malgré cela, avant mêmeque les Etats-Unis ne saisissent le Conseil

de sécurité de cette question la Libye avait directement porté devant lui

son argumentation.

La Libye a soutenu devant le Conseil qu'il s'agissait de l'étroite

question d'établir la responsabilité individuelle d'un acte criminel. La

Libye a plaidé sa cause dans plusieurs lettres adressées au

Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies entre le

17 novembre 1991 et le 18 janvier 1992.

Sa lettre du 17 novembre 1991 (annexe à S/23226) nie catégoriquement

qu'elle ait participé d'aucune manière à l'attentat à la bombe contre le

vol Pan Am 103 ou que les autorités libyennes sachent rien sur ses

auteurs.

Sa lettre du 20 novembre 1991 (annexe à S/23416) informe le Conseil

qu'elle a désigné un juge pour enquêter sur les accusations et qu'elle a

demandé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni de nommer des hommes de loi pour

contrôler l'équité et la correction de l'enquête.

Sa lettre du 8 janvier 1992 (annexe à S/23396) déclare que les deux
024-
juges désignés pour mener l'enquête se sont mis en rapport avec les

autorités judiciaires compétentes des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la

France et que celles-ci ont refusé de satisfaire à la demande desdits

juges de leur communiquer les dossiers de l'enquête.

Sa lettre du 17 janvier 1992 -(annexe à S/23436) transmet une copie

de la résolution adoptée par le conseil de la Ligue arabe, qui,

notamment, demande instamment au Conseil de sécurité de régler le conflit

par voie de négociation, de médiation et de règlement judiciaire

conformément aux dispositions de l'article 33 de la Charte des

Nations Unies.

0060C/CR 92/4/trad. - 17 -

Enfin sa lettre du 18 janvier 1992 (S/23441) déclare que son

magistrat enquêteur a institué des procédure judiciaires pour établir la

présence des deux suspects, entrepris une enquête préliminaire et délivré

un mandat ordonnant la détention des deux suspects à titre provisoire.

La note se plaint que les Etats-Unis et la France n'aient pas coopéré à

ses investigations. Ensuite, pour la première fois, la note invoque la

convention de Montréal et se réfère à l'arbitrage en vertu de

l'article 14, paragraphe 1.

L'action du Conseil de sécurité de l'ONU

le 21 janvier le Conseil de sécurité examina la question. A ce

moment il était saisi de toutes les demandes que la Libye présente

maintenant : la Libye engagerait des poursuites contre les individus; la

Libye ne pouvait extrader les individus; les Etats-Unis n'avaient pas

coopéré à l'enquête libyenne; et l'affaire devait être réglée

conformément à la convention de Montréal et renvoyée à l'arbitrage ou à

la Cour mondiale.

Le Conseil de sécurité était aussi saisi des demandes des

Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni et de leur position selon

laquelle les attentats à la bombe devaient être examinés par le Conseil

de sécurité dans le cadre du problème plus vaste du terrorisme

international.

La réponse du Conseil de sécurité fut claire. Le Conseil adopta à

l'unanimité la résolution 731. M. Williamson a donné lecture d'extraits

du préambule et du paragraphe 2 du dispositif.

Dans la résolution 731, le Conseil, en plus de "déplorer" la réponse

de la Libye aux demandes des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France,

"demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une

réponse complète et effective à ces demandes afin de contribuer à

l'élimination du terrorisme international".

0060C/CR 92/4/trad. - 18 -

Bien que la Libye ait introduit la convention de Montréal dans les

débats du Conseil, la résolution 731 ne la mentionne pas. Aux lieu et

place la résolution 731 entérine les demandes des trois gouvernements.

Elle indique que le Conseil de sécurité n'a pas attribué à la convention

de Montréal une fonction déterminante dans les décisions qu'il prend pour

lutter contre le terrorisme compte tenu des faits de la présente espèce.

Il ressort clairement des observations des représentants des Etats

au Conseil de sécurité qu'à leur avis la question était celle du

terrorisme international. Je citerai trois de ces déclarations (toutes
026

ces citations proviennent du document S/PV 3033).

Le représentant de l'Inde a déclaré :

"J'aimerais souligner ici que le Conseil aborde la
question spécifique du terrorisme international [p. 94-95] .•.
Ma délégation pense par conséquent que des mesures résolues du
Conseil de sécurité doivent faire comprendre aux terroristes,
et surtout aux terroristes internationaux, qu'ils ne trouveront
asile où que ce soit, mais ils seront traqués et punis pour
leurs méfaits." (Ibid.)·

Le représentant de la Russie a déclaré :

"La menace que représentent pour la sécurité et la
stabilité internationales les actes de terrorisme contre
l'aviation civile doit conforter la communauté internationale
dans son désir de prendre les mesures nécessaires pour relever
ce défi transnational. Nous avons appuyé la résolution que
vient d'adopter le Conseil de sécurité, car nous pensons
qu'elle représente un pas dans cette direction." (P. 88.)

le représentant du Venezuela a déclaré :

"Il ne fait aucun doute que la décision du Conseil de

sécurité confère la légitimité et la représentativité
néce~sair àesla résolution, qui pourra être considérée comme
un précédent uniquement en cas d'actes de terrorisme qui
impliquent la participation d'Etats." (P. 99.)

La résolution 731 marque donc le rejet formel de la position

libyenne selon laquelle les attentats à la bombe contre les

vols Pan Am 103 et UIA 772 n'appellent des mesures de la part de la Libye

qu'à titre d'affaire criminelle et elle établit clairement que la

question est bien plutôt celle du terrorisme appuyé par un Etat. Le

0060C/CR 92/4/trad. - 19 -

conseil de la Libye mentionne les déclarations faites par certains Etats

avant l'adoption de la résolution 731, d'où résulte que les individus

pourraient être jugés dans un Etat tiers au lieu de la Libye ou des

Etats-Unis. Le conseil affirme qu'il ressort de ces déclarations que la

résolution 731 n'exige pas que les intéressés soient livrés aux

Etats-Unis. Nous avons deux observations à présenter à ce sujet.

Premièrement, le Conseil de sécudté décidera ce qui constitue une

réponse complète et effective aux demandes des Etats-Unis. Deuxièmement,

mêmeles observations de ces Etats indiquent que le droit invoqué ici par

la Libye- l'action publique en Libye- n'est pas acceptable.

027 L'évolution ultérieure de la situation

La résolution 731 demande au Secrétaire général d'essayer d'obtenir

la coopération du Gouvernement libyen afin qu'il apporte une réponse

complète et effective aux demandes des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de

la France et elle déclare que le Conseil reste saisi de la question.

Dans son premier rapport sur ses efforts (S/23574, en date du

11 février 1992), le Secrétaire général a indiqué que le représentant de

la Libye s'était déclaré prêt à coopérer pleinement avec le Conseil de

sécurité et avait invité le Secrétaire général à établir les moyens de

mettre en oeuvre la résolution 731. Dans son deuxième rapport (S/23672,

en date du 3 mars 1992), le Secrétaire général a relaté des observations

contradictoires présentées par des fonctionnaires libyens au sujet de la

possibilité de livrer les citoyens libyens et il a conclu

"Il résulte de ce qui précède que si les autorités
libyennes ne se sont pas encore conformées a.ux dispositions de
la résolution 731 (1992), elles ont infléchi leur position
depuis le rapport précédent du Secrétaire général en date du
11 février 1992."

Le Secrétaire général avait déclaré que le Conseil souhaiterait peut-être

examiner ce fait au moment de prendre des décisions sur sa ligne d'action

future.

0060C/CR 92/4/trad. - 20 -

Le 24 mars, l'ambassadeur de Libye auprès de l'Organisation des

Nations Unies a indiqué que les individus seraient livrés à la Ligue

a.rabe. Cependant, cet engagement n'a pas été exécuté, malgré la venue

d'une délégation de la ligne arabe à Tripoli le 25 mars.

En présence de l'inexécution libyenne, les Etats-Unis ont entrepris

des consultations avec d'autres membres du Conseil de sécurité des

Nations Unies au sujet d'une deuxième résolution du Conseil. Le 20 mars,

le Gouvernement des Etats-Unis a indiqué qu'il demanderait au Conseil de

sécurité d'imposer des sanctions limitées, obligatoires, contre la Libye,

y compris un embargo aérien, jusqu'à ce qu'elle se conforme aux


dispositions de la résolution 731. Le Conseil examine actuellement cette

proposition.

028 Le compte rendu des efforts déployés par le Conseil de sécurité

présente de l'importance à plusieurs égards :

- Premièrement, il est pertinent du point de vue de la demande

d'arbitrage de la Libye. Moins de trois jours après la demande

d'arbitrage de la Libye, le Conseil de sécurité a adopté une

recommandation pour le règlement du différend, Trois semaines plus

tard, le Secrétaire général a fait savoir que la Libye était prête à

coopérer pleinement avec le Conseil de sécurité et qu.'elle avait invité

le Secrétaire général à établir -des moyens de mise en oeuvre. Encore

trois semaines plus tard, le Secrétaire général a fait état de

positions contradictoires de la Libye, mais il a déclaré que la

position libyenne évoluait.

- Deuxièmement, le dossier démontre que l'activité du Conseil de sécurité

continue à se développer et, à supposer que les déclarations de la

Libye puissent être prises pour ce qu'elles paraissent, que la

situation est peut-être en cours de règlement.

0060C/CR 92/4/trad. - 21 -

- Troisièmement, et c'est là le plus certain, les documents indiquent que

la Libye n'a pas réussi à persuader le Conseil de sécurité que les

poursuites engagées par elle contre les individus étaient appropriées

compte tenu des faits en l'espèce. La Libye demande maintenant à la

Cour de protéger ce prétendu ''droit".

De plus, en apparence, pour protéger ses prétendus "droits", la

Libye a demandé à la Cour d'interdire aux Etats-Unis d'engager aucune

action et, notamment, de saisir le Conseil de sécurité, pour contraindre

la Libye à livrer les personnes accusées et de veiller à éviter toute

mesure qui porterait atteinte aux droits de la Libye en ce qui concerne

la procédure judiciaire engagée par elle.

La demande de la Libye doit être rejetée, car elle ne satisfait pas

aux critères de l'article 41 du Statut de la Cour relatif à l'indication

de mesures conservatoires. Les Etats-Unis entendent démontrer

aujourd'hui que, pour quatre raisons distinctes, les circonstances ne

requièrent pas l'indication de mesures conservatoires.

- Premièrement, les activités par lesquelles le Conseil de sécurité prend
029
ses décisions, y compris la participation des Etats-Unis, ne

constituent pas un objet approprié pour des mesures conservatoires,

- Deuxièmement, la convention de Montréal ne fournit pas à première vue

une base sur laquelle la compétence pourrait être fondée.

- Troisièmement, il n'existe aucun risque urgent d'atteinte irréparable à

des droits qui semblent devoir faire l'objet d'une décision judiciaire,

- Quatrièmement, le Conseil de sécurité reste activement saisi de la

situation,

030 Monsieur le Président, avec la permission de la Cour, M. Rashkow

exposera notre point de vue sur la première proposition, c'est-à-dire que

les activités par lesquelles le Conseil de sécurité prend des décisions

ne constituent pas un objet approprié pour des mesures conservatoires.

Je vous remercie.
0060C/CR 92/4/trad. 22 -

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de PRESIDENT: Je vous remercie

Monsieur Kreczko. La Cout voudrait donner la parole à M. Rashkow.

M. RASHKOW : Merci Monsieur le Président. Avant de commencer,

je voudrais dire quel grand honneur c'est pour moi de représenter mon

Gouvernement devant cette Cour.

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, s'il plaît à la Cour.

Dans sa demande de mesures conservatoires, la Libye prie la Cour

d'interdire aux Etats-Unis d'engager aucune action contre la Libye visant

à contraindre ou obliger celle-ci à remettre les personnes accusées à

une autorité judiciaire, quelle qu'elle soit, extérieure à la Libye et à

veiller à éviter toute mesure qui porterait atteinte de quelque faqon

aux droits de la Libye en ce qui concerne la procédure judiciaire faisant

l'objet de la requête libyenne (demande, p. 3).

031 Jusqu'à hier, mon gouvernement ne parvenait pas à comprendre

exactement ce qu'entendait la Libye par ces demandes pas trop générales

et vagues. Très franchement, nous ne croyions pas que la Libye se

proposait de demander à la Cour d'entraver le Conseil de sécurité dans

l'exercice de sa responsabilité primaire du maintien de la paix et de la

sécurité internationales, y compris le pouvoir du Conseil d'imposer des

sanctions économiques ou autres,

Pourtant, commenous l'avons appris hier matin, voilà exactement ce

que propose la Libye. Commel'a expliqué le conseil de la Libye,

celle-ci demande à la Cour d'ordonner aux défendeurs de s'abstenir

d'entreprendre quelque initiative que ce soit au Conseil de sécurité

qui puisse entraver les droits allégués de la Libye,

La demande de la Libye concerne dans sa forme les action des

Etats-Unis et du Royaume-Uni. Pourtant, il ne faut pas s'y tromper,

cette demande vise directement le Conseil de sécurité, En fait, le

conseil de la Libye a vivement critiqué hier le Conseil de sécurité

0060C/CR 92/4/trad. .""~.

- 23

d'avoir adopté la résolution 731 et d'envisager une autre résolution

imposant des sanctions en application du chapitre VII de la Charte. Le

conseil de la Libye a critiqué le Conseil d'avoir, en adoptant la

résolution 731, fait trop peu de cas des procédures de règlement

pacifique des différends, négligé des éléments importants de droit

international, et essayé de modifier indûment ce que le conseil de la

Libye a qualifié de code de droit international pour l'élimination du

terrori.sme. En tout état de cause, une ordonnance qui interdirait à un

membre du Conseil de sécurité de participer librement à l'activité vitale

du Conseil contrecarre nécessairement les responsabilités de ce membre et

entrave le travail du Conseil de sécurité.

Il n'est pas étonnant que la Libye n'ait présenté aucun ajustement à
032

l'appui de cette proposition extraordinaire. Commele démontre l'étude

de la Charte et de la pratique de cette Cour, une telle proposition est

tout-à-fait contraire au régime créé en vertu de la Charte pour faire

face aux menaces à la paix et à la sécurité internationales.

Conformément à l'article 24, le Conseil de sécurité assume la

responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité

internationales.

La responsabilité particulière du Conseil en pareil domaine a été

reconnue dans la toute première arfaire où cette Cour a été appelée à

connaître d'une question dont étaient saisis simultanément les deux

organes. Dans l'affaire de la Mer Egée, où ·la Cour a repris l'esentiel

d'une résolution du Conseil de sécurité, relative au problème dont elle

était saisie, dans son ordonnance de mesures conservatoires (Plateau

continental de la mer Egée, mesures conservatoires, ordonnance du

11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p. 12), M. Tarazi affirmait dans

son opinion ind.ividuelle que :

0060C/CR 92/4/trad. - 24 -

"On pourrait pourtant se contenter d'affirmer qu'en vertu
de la Charte, le Conseil de sécurité assume une responsabilité
essentielle en vue du maintien de la paix et de la sécurité."
(C.I.J. Recueil 1976, p. 34.)

Par la suite, dans l'affaire du Nicaragua c. Etat-Unis, tout en

confirmant les fonctions purement judiciaires que peut exercer la Cour au

sujet d'une question qui est simultanément soumise au Conseil, la Cour

a souligné la responsabilité principale du Conseil (en vertu de

l'article 24) quant au maintien de la paix et de la sécurité

internationales (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et

contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et

recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 435).

En vertu de l'article 2 de la Charte, la Libye, en sa qualité de
033

Membre des Nations Unies, s'est engagée à assister les Nations Unies dans

toute action entreprise par elles conformément aux dispositions de la

Charte (art. 2, par. 5). De plus, conformément à l'article 24, les Etats

Membres reconnaissent expressément qu'en s'acquittant des devoirs que lui

impose cette responsabilité, le Conseil agit au nom de ses membres.

Ayant reconnu, en vertu de l'article 24, que le Conseil de sécurité,

en s'acquittant de sa responsabilité principale du maintien de la paix et

de la sécurité internationales, agit en son nom, la Libye ne peut

demander à cette Cour d'interdire aux Etats-Unis, ou à d'autres membres

du Conseil, de s'acquitter de cette responsabilité fondamentale en

application de la Charte.

Apparemment, la Libye veut laisser entendre que l'article 36,

paragraphe 3, de la Charte crée au Conseil un devoir absolu de soumettre
.,
cette affaire à la Cour. L'article ~6 prévoit que le Conseil de sécurité

peut, à tout moment de l'évolution d'un. différend ou d'une situation

susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité

0060C/CR 92/4/trad. - 25 -

internationales, recommander les procédures ou méthodes d'ajustement

appropriées. Le conseil de la Libye s'est référé au troisième paragraphe

de l'article 36, qui dispose que le Conseil doit tenir compte du fait

que, d'une manière générale, les différends d'ordre juridique devraient

Il être soumis par les parties à la Cour. Bien entendu, cette disposition

n'oblige pas le Conseil de prendre une telle décision. De plus, comme

l'a fait observer le conseil de la Libye, le Conseil de sécurité

connaissait, en adoptant la résolution 731, la thèse de la Libye, selon

qui cette affaire devrait être soumise à la Cour et non au Conseil .

L'adoption de la résolution 731, à l'unanimité, traduit la décision

mûrement réfléchie du Conseil sur les mesures appropriées dans ces

circonstances.

034 Monsieur le Président, les mesures conservatoires que demande la

Libye interdiraient aux Etats-Unis de saisir le Conseil d'aucune question

concernant la juridiction dont relèveraient les individus accusés d'avoir

participé à l'attentat à la bombe du vol Pan Am 103, afin que le Conseil

prenne des dispositions en vertu du chapitre VII de la Charte. Or, en

application de l'article 35, tout membre des Nations Unies peut attirer

l'attention du Conseil de sécurité ou de l'Assemblée générale sur un

différend ou une situation de la nature visée dans l'article 34.

En demandant l'indication de mesures conservatoires, la Libye

voudrait que cette Cour prive les Etats-Unis du droit que lui confère la

Charte de saisir le Conseil de l'affaire qui..nous occupe aujourd'hui ,"·en

contradiction directe de l'article 35 de la Charte.

Peut-être la Libye demande-t...:.elle aussi à la Cour d •ordonn.er aux
'0
Etats-Unis de s'abstenir de prendre la parole ou mêmede voter au Conseil

sur cette affaire, malgré le droit et la responsabilité que lui-confère

la Charte de le faire.

0060C/CR 92/4/trad. - 26 -

Le conseil de la Libye a analysé les questions de la compétence tant

du Conseil de sécurité que de la Cour, de connaître simultanément de la

mêmeaffaire, ainsi que de la mesure dans laquelle la conclusion à

laquelle parvient l'un de ses organes peut avoir une incidence sur

l'examen de la mêmeaffaire par l'autre. •

Monsieur le Président, je soutiens que les textes invoqués par le
035
conseil de la Libye ne justifient pas la conclusion que la Cour a le

pouvoir d'interdire aux membres du Conseil de sécurité de s'acquitter de

leur responsabilité fondamentale en vertu de la Charte à l'égard de

menaces à la paix et à la sécurité internationales,


Une bonne partie de l'analyse présentée par le conseil de la Libye

porte sur l'autorité qu'a la Cour d'exercer sa fonction judiciaire à

l'égard d'une affaire qui est soumise simultanément à la Cour et au

Conseil. Les Etats-Unis conviennent que les fonctions du Conseil sont de

nature politique et que la Cour exerce des fonctions purement

judiciaires; les Etats-Unis conviennent aussi que la Cour et le Conseil

peuvent légitimement exercer leurs fonctions respectives simultanément à

l'égard de la mêmeaffaire. On voit.mal, cependant, comment on peut

solliciter le fait que deux organes ont des compétences indépendantes

pour en tirer un argument qui permette à l'un de ces organes d'entraver

le fonctionnement de l'autre. Je pense que le Conseil de sécurité serait

stupéfait de l'idée que cette Cour puisse interdire à un Etat de

s •adresser au Conseil ou de participer aux. t-ra-vaux du Conseil en -tant que

membre du Conseil.

Le conseil de la Libye semble faire valoir que la Cour a le pouvoir

d'entraver le fonctionnement du Conseil afin de promouvoir le règlement

pacifique des différends, en faisant bien remarquer dans cette

intervention qu'un recours à la Cour ne doit pas être considéré comme un

acte inamical. Cela peut s'interpréter comme signifiant qu'un recours au

. 0060C/CR 92/4/trad. . t.-;
:._27 -

Conseil de sécurité, pour résoudre un différend ou une situation, n'est

pas un acte amical. Si tel est le point de vue de la Libye, mon

gouvernement et, croyons-nous, la collectivité internationale, n'en

seraient pas du tout d'accord. Un recours au Conseil de sécurité n'est

pas plus un "acte inamical" qu'un recours auprès de cette Cour.

Monsieur le Président, je prie la Cour de se souvenir que dans la
036
résolution 731, le Conseil de sécurité a affirmé que les actes de

terrorisme international ont un effet pernicieux sur les relations

internationales et peuvent compromettre la sécurité des Etats. Le

Conseil a prié le Secrétaire général de prendre certaines mesures en son
••
nom pour obtenir que la Libye se conforme aux demandes des Etats-Unis, du

Royaume-Uni et de la France telles que les décrit la résolution. Le

Conseil a décidé de rester saisi de la question et examine actuellement

cette situation.

Conformément à l'article 39, il incombe au Conseil de sécurité de

constater l'existence d'une menace contre la paix, et de faire des

recommandations pour décider quelles mesures seront prises conformément

aux articles 41 et 42 pour maintenir la paix et la sécurité

internationales. L'article 41 autorise la Conseil à décider quelles

mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent être prises

pour donner effet à ses décisions." Ces mesures peuvent comprendre

l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des

communications ferroviaires, maritimes, aériennes et autres moyens ..de

communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques.

~. Monsieur le Président, il est bien clair que ni la Charte ni la

pratique de la Cour n'offrent de base permettant d'entraver l'exercice

par le Conseil de sa responsabilité principale du maintien de la paix et

de la sécurité internationales. Il est également bien clair que la

convention de Montréal ne constitue, et ne peut constituer, la base d'une

telle décision de la Cour en cette affaire.
0060C/CR 92/4/trad. - 28 -

Monsieur le Président, j'ai terminé mon exposé. Avec votre

autorisation je voudrais céder la parole à mon collègue M. Brower, qui

traitera de ce que la Libye n'a pas établi la compétence de la Cour pour

indiquer des mesures conservatoires.

Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de Président Je vous remercie
037
Monsieur Rashkow; l'orateur suivant est M. Brower.

M. BROWER

IV. LA DEMANDEDE LA LIBYE NE REPOND PAS AUX CRITERES DE LA COUR POUR
L'INDICATION DB MESURES CONSERVATOIRES

Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Cour :

C'est un très grand honneur pour moi de comparaître devant votre •

Cour en qualité de conseil et d'avocat de mon pays dans cette affaire.

Je puis dire aussi que je n'imaginais pas cette situation lorsque,

il y eu 20 ans l'automne dernier, j'ai eu l'honneur de diriger la

délégation des Etats-Unis à la conférence diplomatique de Montréal qui a

rédigé la convention qui nous conduit ici cette semaine.

L'article 41 du Statut de la Cour reconnaît, bien entendu, à la Cour

"le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circonstances l'exigent,

quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à

titre provisoire".

La Cour elle-même a défini deux critères qui doivent être réunis

pour qu'elle indique des mesures conservatoires.

D'abord, les dispositions de l'instrument doivent, prima facie,

constituer une base sur laquelle la compétence peut être fondée;

- deuxièmement, les mesures conservatoires doivent être nécessaires pour
...,.

sauvegarder des droits susceptibles de faire l'objet d'un arrêt,

menacés d'un préjudice irréparable à caractère imminent.

0060C/CR 92/4/trad. - 29 -

La demande de la Libye ne répond ni à l'un ni à l'autre de ces

critères, selon les Etats-Unis. Je vais traiter de la question de la

compétence, puis M. Schwartz vous parlera du second aspect, relatif au

caractère imminent et au préjudice irréparable.

038 A. LES MESURESCONSERVATOIRESDEMABDEESNE DEVR.AIERTPAS ETRE INDIQUEES
PARCE QUE LA LIBYE N'A PAS DEMONTRE PRIMA FACIE QUE LES
DISPDSITIONS DB LA CONVENTIONDB MORTREALCONSTITUENTUNE BASE
POSSIBLE DB COMPETERCK

Plus précisément, je me propose de développer la thèse que la Cour

"ne peut" indiquer les mesures conservatoires que sollicite le demandeur

dans la mesure où "les dispositions invoquées par le demandeur [ne]

semblent [pas] prima facie constituer une base sur laquelle la

compétence de la Cour pourrait être fondée" (Passage par le Grand-Belt

(Finlande c. Danemark), C.I.J. Recueil 1991, p. 15),

En résumé, la position de mon gouvernement est que prima Eacie

cette Cour n'a pas compétence parce que l'article 14, paragraphe 1, de la

convention de Montréal qui, je me permets de le rappeler à la Gour,

constitue la seule base de compétence invoquée par le demandeur en

l'espèce, dispose clairement que cette compétence ne peut prendre

naissance à moins et avant que six mois ne se soient écoulés après la

date de la demande d'arbitrage sans que les parties soien.t parvenues à se

mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage, alors que cette

demande-ci n'a été déposée, bien entendu, que 45 jours - un mois et

demi - après que la Libye ait ·(selon les termes de sa requête

introductive d'instance, p. 2) "[invité) les Etats-Unis à consentir à

.. l'arbitrage conformément à l'article 14, paragraphe 1". De plus, à notre

avis, mêmesi l'on pouvait écarter la période d'attente de six mois,

0060C/CR 92/4/trad. - 30 -

comme l'affirme le demandeur, au cas où le défendeur putatif aurait

expressément refusé l'arbitrage, le demandeur n'a rien allégué ici qui

puisse étayer pareille conclusion en l'espèce.

* * *

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, il est établi sans

conteste dans les décisions de la Cour que pour indiquer des mesures

conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut, "point n'est besoin

pour la Cour •.• de s'assurer de manière définitive qu'elle a compétence 4lt

039 quant au fond de l'affaire" (Passage par le Grand-Belt (Finlande

r::Danemark), mesures conservatoires, C.I.J. Recueil 1991, p. 15). Il

est cependant établi aussi clairement que la Cour "ne peut indiquer ces

mesures que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent

prima Eacie constituer une base sur laquelle la compétence de la Cour

pourrait être fondée" (ibid.).

040 Ces termes proviennent de la décision la plus récente de la Cour sur

une telle question et sont précisément les termes généralement utilisés

par la Cour sur ce point dans ses ordonnances relatives à des demandes

d'indication de mesures conservatoires, à commencer par l'ordonnance
--
prononcée dans l'affaire de la Compétence en matière de pêcheries.

En pratique, dans toutes ces affaires, la Cour a été appelée à

déterminer si les instruments sur lesquels se fondait le demandeur pour

établir la compétence de la Cour prima Eacie lui donnaient

effectivement compétence. Ainsi, dans l'affaire du Personnel
-•'

diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, par exemple, la

Cour a décidé :

"qu'il ressort manifestement des renseignements soumis à la
Cour et des termes .•• des deux protocoles que les dispositions
de cet article fournissent une base sur laquelle la compétence
de la Cour ••• pourrait être fondée" (C.I.J. Recueil 1979,
p. 14). -
0060C/CR 92/4/trad. - 31 -

Cette pratique est également bien décrite dans la déclaration de

sir Hersh Lauterpacht, dans son opinion individuelle relative à l'affaire

de l'Intechandel :

"La Cour peut légitimement agir en application de
l'article 41, pourvu qu'il existe un instrument, telle qu'une
déclaration d'acceptation de la disposition facultative,

émanant des parties au différend, conférant à la Cour
compétence prima Eaeie et ne contenant aucune réserve
excluant manifestement cette compétence."
(C.I.J. Recueil 1957, p. 118~119 l,s italiques sont de moi.)

Ainsi, le libellé mêmedes instruments invoqués est accepté par la Cour

tel quel et la Cour a toujours résisté, jusqu'à présent, aux tentatives

pour lire entre les lignes, au stade des mesures conservatoires.

Dans la procédure actuelle, cependant, je crois important de

souligner que la Cour se trouve devant la situation exactement inverse

l'article 14 de la convention de Montréal, seule base de la compétence

supposée, exclut prima Eaeie la compétence dans les circonstances de

cette affaire, et c'est le demandeur qui, pour affirmer la compétence de

la Cour, invite celle-ci à lire entre les lignes de cet article. Je

rappelle à la Cour que l'article 14, paragraphe 1, dispose que :

"Tout différend entre des Etats contractants concernant
041 l'interprétation ou l'application de la présente convention qui
ne peut pas être réglé par voie de négociation est soumis à
l'arbitrage, à la demande de l'un d'entre eux. Si, dans les

six mois qui suivent cette date de la demande d'arbitrage, les
parties ne parviennent pas à se mettre d'accord sur
l'organisation de l'arbitrage, l'une quelconque d'entre elles
peut soumettre le différend à la Cour internationale de
Justice, en déposant une requête conformément au Statut de la
Cour."

Vous voudrez bien noter les étapes par lesquelles le règlement du

différend doit se faire, progressivement : d'abord, règlement par voie de
..
négociation; puis, si l'on y arrive pas, le différend doit être soumis

à l'arbitrage qui est donc, ainsi, exclusif; ce n'est que si

0060C/CR 92/4/trad. - 32 -

l'organisation de l'arbitrage n'est pas achevée dans les six mois qui

suivent la date de la demande d'arbitrage, que l'on envisage qu'une

partie "peut" soumettre le différend à la Cour.

Ainsi le libellé très clair de l'article 14, paragraphe 1, prévoit

sans équivoque une période de six mois pour l'organisation d'un arbitrage

avant que l'on ne puisse invoquer la compétence de cette Cour. La

condition que l'arbitrage soit demandé, et le délai de six mois écoulé,

n'est pas une simple formalité, c'est une condition préalable claire à la

compétence de la Cour.

Je crois que la logique qui a présidé à l'adoption de cette

disposition des six mois vient encore en renforcer l'application

stricte. Le droit de saisir automatiquement la Cour, après une période

d'attente de six mois, vise manifestement à éviter qu'une application

dilatoire ne prive de son effet la disposition de base relative au

règlement des différends. Ce r·enforcement réfléchi du droit de tenter

d'organiser un arbitrage accroît par déduction le respect qui est dû à ce

droit. Si toutefois, dans le laps de temps prévu de six mois, la Cour

devait examiner la conduite de la partie invitée à se soumettre à

1 'arbitrage, comme le solli.ci te le demandeur, il serait nécessairement

porté atteinte au caractère exclusif de l'arbitrage prescrit. Une

partie, après avoir demandé l'arb1trage, pourrait trop facilement être
042
tentée de changer d'avis pour invoquer la. compétence de cette Cour, à

laquelle, après tout, les parties elles-mêmes~éta cinvnntues, dans

l'article 14, paragraphe 1, de ne faire appel qu'en dernier recours.

Il faut toujours se souvenir que le demandeur lui-même a consenti à

un traité qui prévoit expressément que les différends "concernant

l'interprétation ou l'application" de celui-ci ne peuvent faire l'objet

d'une procédure en bonne forme avant l'expiration d'une période de

six mois et l'organisation d'un tribunal. Ce délai couvrait

0060C/CR 92/4/trad. '·
- 33 -

nécessairement la possibilité que pendant cette mêmepériode de six mois

aucun tribunal ne serait disponible pour connaître d'une demande en

indication de mesures conservatoires. C'est cela dont il était convenu

dans la convention de Montréal. Le demandeur ayant choisi cette voie,

cette Cour doit lui demander de s'y tenir.

Je dirais que, dans ce contexte, le souci que la Cour n'a cessé de

montrer, à juste titre, de protéger l'intégrité du processus arbitral,

une fois que les parties en sont convenues, notamment dans l'affaire

Ambatielos, et plus récemment dans l'affaire de la Sentence arbitrale

du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal), devrait conduire la Cour

à rejeter la requête du demandeur à l'effet que la Cour ne tienne pas

compte de la disposition du délai de six mois que prévoit l'article 14,

paragraphe 1.

Compte tenu de cette analyse, il ne devrait pas être étonnant que

les juges de cette Cour, dont les opinions ont exprimé l'attitude sur ce

point, déclarent qu'une convention comportant ce type de clause

compromissoire exige qu'une période de six mois se soit écoulée avant que

043 puisse naître leur compétence. Ainsi, comme on l'a dit hier après-midi,

l'ancien Président de cette Cour, M. Nagendra Singh, à propos d'une

clause parallèle dans la convention de 1973 sur la prévention et la

répression des infractions contre les personnes jouissant d'une

protection internationale, a déclaré, dans l'affaire qui opposait le

Nicaragua et les Etats-Unis, que "le délai de six mois suivant la·date

de la demande d'arbitrage [est] un préalable indispensable pour

soumettre le différend à la Cour" (opinion individuelle de M. Singh,

C.I.J, Recueil l9Bi, p. 446; les italiques sont de moi). De plus,

M. Morozov a déclaré, dans l'affaire des Otages, que le droit de saisir

la Cour ne prend naissance en vertu de cette mêmedisposition, et je cite

0060C/CR 92/4/trad. - 34 -

encore ooe fois, "que si, dans un délai de six mois, l'autre partie n'a

pas accepté une demande tendant à organiser un arbitrage" (opinion

dissidente de M. Morozov, C.I.J. Recueil 19BO, p. 53; les italiques

sont de moi),

Dans l'affaire soumise à la Cour, la Libye a évidemment introduit sa

demande le 3 mars, soit, je l'ai signalé, seulement 45 jours après avoir,

dans ses propres termes, "[invité} les Etats-Unis à consentir à

l'arbitrage" le 18 janvier- la condition préalable obligatoire de

six mois n'est donc manifestement pas remplie.

Je dirais que la Libye a implicitement reconnu l'empêchement prima

Eacie à l'exercice de la compétence que crée le délai de six mois prévu

dans l'article 14, paragraphe 1. Le représentant permanent de la Libye

auprès des Nations Unies à New York, dans sa déclaration à la séance du

21 janvier 1992 du Conseil de sécurité, qui, comme nous le savons, a

abouti à l'adoption de la résolution 731, a expressément évoqué
044

l'article 14 de la convention de Montréal et a fait la déclaration

ci-après, qui a été citée en partie hier. Je cite :

"Aujourd'hui, devant le Conseil, mon pays demande que. ces
deux pays [les défendeurs en l'espèce] soient invités à ouvrir
sans tarder des négociations avec la Libye sur la procédure à
suivre en vue de l'arbitrage et de la constitution d'un jury
d'arbitrage, Pour permettre un règlement rapide du différend,
nous estimons qu'une date limite proche et définitive doit être
fixée pour ces procédures, après quoi, si aucun accord
n'intervient quant à l'arbitrage, la question pourrait être
renvoyée devant la Cour internationale de Justice."

Et le représentant permanent continue :

"Mon pays est disposé à conclure immédiatement, avec
toutes les parties intéressées, un accord de circonstance
visant à saisir la Cour internationale de Justice dès
l'expiration du court délai, fixé pour conclure un accord .•• "
(Doc. ONUS/PV 3033 (1992), p. 22 et 23.)

Manifestement, cette suggestion du représentant permanent de la Libye, de

fixer une "date limite proche et définitive" après laquelle on pourrait

saisir la Cour, doit être fondée - il n'y a pas d'autre possibilité - sur

0060C/CR 92/4/trad, 35 -

l'hypothèse qu'en l'absence de ce délai la Libye ne pourrait venir ici

avant l'expiration des six mois suivant son invitation à recourir à

l'arbitrage.

Je dirais que la Libye reconnaît encore l'empêchement prima Eacie

que constitue·la clause des six mois de l'article 14, paragraphe 1,

lorsqu'elle demande à cette Cour de le juger inapplicable, et le demande

en se fondant sur une interprétation complexe, tout à fait hypothétique,

je devrais dire tendancieuse, et inexacte des déclarations et des actions

045 des Etats-Unis. Ce faisant, évidemment, le demandeur prie la Cour de

faire ce à quoi elle s'est régulièrement refusée par le passé au stade
e
des mesures conservatoires, et de lire entre les lignes l'instrument

lui-même.

Il convient d'observer qu'en demandant à la Cour de ne pas tenir

compte de la disposition des six mois que comporte l'article 14,

paragraphe 1, la Libye s'est cependant limitée à un argument et à un

seul. Elle demande à cette Cour de conclure que les Etats-Unis ont

effectivement rejeté l'invitation libyenne à l'arbitrage, et elle se

fonde d'abord pour cela, dans sa requête introductive d'instance, sur le

fait que les Etats-Unis "ne répondirent pas officiellement" à la

proposition de la Libye (requête, p. 2) et "l'absence totale de réaction

positive" (ibid., p. 4) des Etats...:unis à cette proposition. Or, le

fait que les Etats-Unis n'aient pas officiellement répondu dans un sens

ou dans 1'autre dans les quarante-cinq jours -de 1' in vi ta t ion de Libye ·n.e

peut pourtant s'interpréter aucunement comme un refus d'arbitrage.

... Et cela d'autant moins si l'on tient compte des agissements

incontestés de la Libye dans ce contexte, qui, comme l'a fait observer

mon collègue M. Kreczko, ont été parfois ambigus, souvent contradictoires

et, à notre sens, d'un opportunisme flagrant. L'invitation sommaire de

la Libye à l'arbitrage a été faite, en effet, le 18 janvier. C'était

0060C/CR 92/4/trad. - 36 -

deux mois entiers après que les défendeurs en l'espèce aient demandé

qu'elle livre les deux ressortissants libyens, et la Cour aura bien

compris maintenant que c'était précisément à la veille - et je dirais en

prévision- de l'adoption par le Conseil de sécurité de la

résolution 731, le 21 janvier.

046 Après l'adoption de la résolution, à savoir le 11 février 1992

-moins d'un mois plus tard - le Secrétaire général, comme le lui

demandait cette résolution, a rapporté que la Libye estimait qu'un

mécanisme devrait être créé pour l'application de la résolution 731, qui

elle-même concernait aussi en partie, bien entendu, les deux

ressortissants. Le Secrétaire général a également rapporté que la Libye

s'était dite prête à coopérer pleinement avec le Conseil de sécurité et

avec le Secrétaire général, et que la Libye avait invité le

Secrétaire général à appeler les parties à mettre en plàce ce mécanisme

d'application de la résolution 731 (doc, Nations Unies, 5/23574, 1992).

Puis, à la suite d'autres démarches diplomatiques encore, le

Secrétaire général a fait savoir, le 3 mars, que dans l'intervalle, les

autorités libyennes semblaient prêtes, entre autres, à envisager la

possibilité de remettre les deux suspects aux autorités françaises ou aux

autorités de pays tiers, en mentionnant Malte ou un pays arabe

quelconque, une fois surmontés les obstacles constitutionnels existants.

Au rapport du Secrétaire général étaient jointes deux lettres du ministre

des relations extérieures de la Libye au sujet de ·cette -questi~n .es

lettres elles-mêmes formulaient d'autres propositions en réponse aux

demandes qui figuraient dans la résolution 731 concernant précisément la

remise des deux suspects libyens, ainsi que d'autres questions. Par

exemple, ces lettres proposaient des mécanismes par lesquels les

Nations Unies participeraient à une détermination du bien-fondé des

accusations avant que les suspects ne soient remis à une tierce partie

0060C/CR 92/4/trad. -.:..37

pour être jugés. En conclusion de son rapport du 3 mars, le

Secrétaire général déclarait, "si les autorités libyermes ne se sont pas

encore conformées aux dispositions de la résolution 731 (1992), elles ont
047
infléchi leur position depuis le rapport précédent du Secrétaire général"

(doc, Nations Unies, S/23672, p. 3). C'était le jour même,évidemment,

le 3 mars, où la requête introductive d'instance a été déposée au Greffe

de cette Cour.

Commela Cour le verra clairement, la position de la Libye dans_

cette procédure est donc que la disposition du délai de six mois qui

figure. à l'article 14, paragraphe 1, de la convention de Montréal ne peut

s'appliquer que si, et seulement dans la mesure où, les Etats-Unis

négocient activement avec la Libye au sujet d'un régime d'arbitrage en

mêmetemps que les deux Parties traitent avec le Secrétaire général de la

résolution 731, y compris [ce qui concerne] les deux ressortissants

libyens.

048 Il convient de relever qu'au milieu de tous ces événements, la Libye

n'a jamais, après l'adoption de la résolution 731 (1992) le

21 janvier 1992 et que ce soit par l'entremise d'une puissance amie ou

par l'intermédiaire du Secrétaire général, renouvelé !'"invitation"

qu'elle avait adressée aux Etats-Unis en vue d'un arbitrage en

application de la convention de Montréal, ni formulé de proposition

quelconque aux Etats-Unis touchant l'organisation d'un arbitrage

éventuel. En pareilles circonstances, nous ·considérons qu'il-- est

absolument impossible de conclure que les Etats-Unis ont catégoriquement

refusé un arbitrage, ou que les Parties ne pourraient s'entendre sur

l'organisation d'un arbitrage dans un délai de six mois (à supposer que

l'arbitrage ait été demandé en bonne et due forme), ou encore que les

Etats-Unis aient, d'une façon quelconque, renoncé à exiger l'observation

0060C/CR 92/4/trad, - 38 -

du délai de six mois, comme ils en ont le droit en vertu du paragraphe 1

de l'article 14 de la convention, délai auquel ils ont subordonné leur

consentement à la juridiction de la Cour lorsqu'ils sont devenus partie à

la convention de Montréal.
..
Enfin, cherchant à présenter les Etats-Unis non pas comme ayant

implicitement rejeté l'arbitrage mais plutôt comme ayant expressément

rejeté l'invitation à l'arbitrage, la Libye se réfère (requête, p. 2) à

la déclaration que le réprésentant des Etats-Unis a faite au Conseil de

sécurité à l'occasion de l'adoption de la résolution 731 le 21 janvier de

cette année. Cette déclaration du représentant permanent des Etats-Unis ~

a été souligné hier aussi bien par M. Brownlie que par M. Salmon.

M. Salmon a qualifié cette déclaration (CR/2, p. 46) -et j'essaierai

maintenant de me joindre aux linguistes qui se trouvaient ici - de "fin

de non-recevoir péremptoire"; c'est l'expression qu'il a utilisée en

049 français, qui a été traduite en anglais par "peremptory dismissal". Tel

est le principal élément de l'argumentation développée par la Libye pour

justifier l'inobservation du délai d'attente de six mois prévu par le

paragraphe 1 de l'article 14.

Toutefois, la déclaration à laquelle se réfère la Libye ne traite

mêmepas de sa proposition tendant à ouvrir un arbitrage en application

de la convention de Montréal, proposition qui, comme nous le savons, n'a

été formulée qu'un jour ou deux avant l'adoption de la résolution 731

(1992) • Ladi te déclaration a été faite à 1-occasion de 1' adopt-ion de la

résolution 731 pour exposer officiellement les vues du Gouvernement des

Etats-Unis quant à la nature et à l'importance de la résolution 731 dans

son ensemble·. Lorsqu'elle est lue dans son contexte, il est parfaitement

clair qu'elle portait sur le rôle qui incombait au Conseil de sécurité

s'agissant de faire face à ce que le représentant permanent des

0060C/CR 92/4/trad. 39 -

Etats-Unis a appelé la "situation extraordinaire" d'un Etat mêléau

terrorisme avec ses agents et aux effets d'un tel comportement sur la

paix et la sécurité internationales. Cette déclaration mérite d'être

citée :

"Il-ne s'agit pas ici d'une question de divergence
d'opinion ou de démarche pouvant faire l'objet de médiation ou
être négociée. Il s'agit, comme le Conseil de sécurité vient
de le reconnaître, d'un comportement qui nous menace tous et
qui met directement en danger la paix et la sécurité
internationales. Le mandat du Conseil de sécurité exige que le
Conseil assume carrément ses responsabilités dans cette
affaire. Il ne doit pas se laisser égarer par les efforts
entrepris du côté libyen pour tenter de faire de cette question
de paix et de sécurité internationales une question de
divergences bilatérales." (S/PV.3033, p. 78.)

Il apparaît en outre que le fait que cette déclaration a bien été

prononcée dans un large contexte politique a été confirmé hier matin par

le dernier orateur à prendre la parole pour le requérant, M. Suy a fait

la déclaration ci-après et, avec l'indulgence de ceux qui ont pour langue

maternelle la langue que je vais utiliser, je citerai cette déclaration

en français, seul texte officiel dont nous disposions (p. 22 de son

texte) :

050 "La résolution 731 (1992) n'a pu obtenir l'unanimité que
parce que les membres y voyaient une manifestation d'une action

générale de 1 'ONUcontre le terrorisme international d'a.ill eurs
parfaitement louable et en conformité avec la politique de la
Libye."

Et c'est dans ce contexte que le représentant permanent des Etats-Unis a

conclu comme suit :

"Il ressort clairement de la résolution que ni la Libye ni­
en fait aucun autre Etat ne peut chercher à dissimuler son
appui au terrorisme international derrière les principes
traditionnels du droit international et de la pratique des
Etats. Le Conseil s'est trouvé devant un cas qui implique
.. clairement la participation d'un gouvernement à des activités
terroristes et pour lequel il n'existe de pouvoir judiciaire
indépendant dans l'Etat incriminé. Face à un comportement de
• cette nature, le Conseil se devait de prendre des mesures pour

faire face aux menaces à la paix et à la sécurité
internationales découlant d'attaques terroristes extrêmement
graves, et il l'a fait avec fermeté, dignité, détermination et

0060C/CR 92/4/trad. - 40 -

courage, En agissant ainsi, le Conseil a envoyé
l'avertissement le plus clair possible, à savoir que la
communauté internationale ne tolérera pas un tel
comportement." (Ibid. , p. 80. )

*

En conclusion, Monsieur le Président et Messieurs de la Cour, je

résumerai comme suit :

Prima Eacie, le paragraphe 1 de l'article 14 de la convention de

Montréal exige l'écoulement d'un délai de six mois suivant une

demande d'arbitrage, en tant que condition préalable à une

juridiction quelconque de la Cour.

Toutefois, la requête dans ~a présente affaire n'a été déposée que

35 jours après !'"invitation" à l'arbitrage que la Libye a

adressée aux Etats-Unis.

-En conséquence, le paragraphe 1 de l'article 14 ne semble pas

"prima Eacie constituer une base sur laquelle pourrait être

fondée la compétence de la Cour".

- Eu égard en particulier au fait, relevé par le Secrétaire général,

que la position de la Libye évoluait et eu égard aux propres

suggestions de la Libye tendant à mettre en place un mécanisme en

vue du transfert des deux accusés, aucune des allégations

formulées devant la Cour par le requérant ne peut justifier la

conclusion qu'une quelconque demande d'arbitrage aurait été

rejetée ou que, pour tout autre raison, l'on peut considérer de

façon concluante qu'au 3 mars 1922, les parties n'étaient pas,

pour reprendre les termes de la convention, parvenues "à se mettre . ~

d'accord sur l'organisation de l'arbitrage" dans le délai requis
- f
de six mois.

Par conséquent, la Cour ne devrait pas donner suite à la demande en

indication de mesures conservatoires présentée par le requérant,

0060C/CR 92/4/trad, ··•
-·'····.""
- 41 -

Je vous remercie, Monsieur le Président et Messieurs de la Cour, de

votre aimable attention et je souhaiterais maintenant céder la parole à

mon collègue M. Schwartz.

Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT: Je vous remercie

de votre déclaration, M. Brower. L'audience sera maintenant suspendue

dix mutes, après quoi je donnerai la parole à M. Schwartz.

L'audience est suspendue de 11 h 45 à 12 h 5.

Le PRESIDENT Veuillez vous asseoir. M. Schwartz a la parole.

M. SCHWARTZ : Merci Monsieur le Président. C'est vraiment un

honneur pour moi d'apparaître devant la Cour aujourd'hui. J'espère

pouvoir vous en remercier en aidant à clarifier une question qui se pose

à propos de la demande en indication de mesures conservatoires : savoir

si, en fait, les mesures demandées doivent être prises d'urgence pour

protéger des droits dont il est vraisemblable qu'ils fassent l'objet d'un

arrêt de la Cour.

Cette question diffère de celle de la compétence prima Eacie de la

Cour. La demande de la Libye doit être rejetée à moins que la Libye ne

puisse aussi montrer que ces mesures conservatoires sont nécessaires pour

protéger des droits qui seraient exposés au risque imminent d'un

préjudice irréparable. Nous soutenons que la Libye ne s'est pas

acquittée de cette tiche.

Il a été dit par la Cour que les mesures conservatoires relevaient

d'un pouvoir "exceptionnel" (Plateau continental de la mer Egée,
-.
C.I.J. Recueil 1916 p. 11; voir aussi Passage par le Grand-Belt
1
..
(Finlande c. Danemark), mesures conservatoires (opinion individuelle de

M. Shahabuddeen), C.I.J. Recueil 1991, p. 29). CommeM. Lachs l'a

0060C/CR 92/4/trad. - 42 -

écrit dans l'affaire dÙ Plateau continental de la mer Egée, "dans une

affaire d'indication de mesures conservatoires, la Cour doit interpréter

ses pouvoirs strictement" (Plateau continental de la mer Egée (opinion

individuelle de M. Lachs), C.I.J. Recueil.l916, p. 20). De telles

mesures sont plus exceptionnelles en droit international qu'en droit ..

interne; comme l'ont déclaré deux anciens membres éminents de cette Cour

"elles sont facilement considérées comme une ingérence à peine tolérable

dans les affaires d'un Etat souverain" j'ai cité l'opinion dissidente

commune de MM.Winiarski et Badawi Pasha dans l'affaire de

l'Anglo-Iranian Oil Co. (Anglo-Iranian Oil Co., mesures conservatoires,

ordonnance du 5 juillet 1951, (opinion dissidente de MM. Winiarski et

Badawi Pasha), C.I.J. Recueil 1951, p. 97).

053 Sensible à ces considérations, la Cour s'est abstenue d'indiquer des

mesures conservatoires à moins que l'urgence de la demande ne soit

démontrée, et que les mesures demandées soient nécessaires pour préserver

d'un préjudice irréparable des droits qui dont il est vraisemblable

qu'ils fassent l'objet d'un arrêt.

1. Les mesures conservatoires demandées ne répondent pas à un besoin
urgent

Je parlerai d'abord de l'urgence.

La Cour a constamment considéré qu'il incombe à l'Etat requérant

d'établir que ses droits risquent vraiment de subir un dommage ou un

préjudice irréparable (affaire du Passage par~e Grand-Belt (Finlande

c. Danemark), C.I.J. Recueil 1991, p. 16; Différend frontalier, mesures

conservatoires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986 1 ..

p. 8, 10; Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,
..
C.I.J. Recueil 1979, p. 19; Essais nucléaires (Australie c. France),

mesures conservatoires, ordonnance du 22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973,

p. 139; et Compétence en matière de pêcheries (République fédérale

0060C/CR 92/4/trad. -•..'~.·~>

- 43

d'Allemagne c. Islande), mesures conservatoires, ordonnance du

17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972). La question de l'urgence est au

coeur de cette analyse. Je n'ignore pas que le conseil de la Libye a

laissé entendre le contraire aujourd'hui, mais la. priorité que le

• Règlement de la Cour assigne à l'examen des mesures conservatoires

présuppose qu'il y a un besoin d'agir d'urgence (Règlement de la Cour,

art. 74). Il en va de même des dispositions selon lesquelles une demande

peut être présentée "à tout moment" (Règlement de la Cour, art. 73).

Dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua

et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), l'ordonnance de

la Cour cite l'urgence comme caractère intrinsèque d'une demande en

indication de mesures conservatoires (C.I.J. Recueil 1984, p. 179).

La décision récente de la Cour dans l'affaire du Passage par le
054

Grand-Belt (Finlande c. Danemark) ne va pas à l'encontre de cette

pratique. En l'espèce, la Cour a considéré que le pont contesté ne

ferait pas obstacle, avant un arrêt définitif, au droit de passage

affirmé par la Finlande, de sorte que la demande n'était manifestement

pas urgente. Rien dans la prise de position de la Cour n'indiquait

qu'elle entendait s'écarter de sa jurisprudence constante selon laquelle

des mesures conservatoires ne sont indiquées que pour faire face à des

actions qui sont en cours ou qui paraissent imminentes (affaire du

Traité sine-Belge, affaire de 1 'Anglo-I rani an. Oil Co., affaire du

Personnel diplomatique et consulaire des ·Etats-Unis à Téhéran,

Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci

(Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), affaire de la. Compétence en

matière de pêcheries et affaires des Essais nucléaires. Il est

intéressant de citer à cet égard l'affaire relative au Procès de

prisonniers de guerre pakistanais dans laquelle la Cour n'a pas fait

droit à la demande de mesures conservatoires simplement parce que le

0060C/CR 92/4/trad. - 44 -

Pakistan avait demandé à la Cour de différer l'examen de l'affaire. La

condition d'urgence n'avait pas été remplie par la partie demanderesse

(Procès de prisonniers de guerre pakistanais, mesures conservatoires,

ordonnance du 13 juillet 1913, C.I.J. Recueil 1973, p. 330). ,,

Pour qu'il soit fait droit à la demande de la Libye, il faut donc

que celle-ci démontre l'urgence de manière convaincante, et ne se

contente pas de simples allégations ou spéculations selon lesquelles

d'éventuels dommages pourraient se produire. Commecela a été indiqué

précédemment, les Etats-Unis ont quelque difficulté à comprendre quelles

actions imminentes la Libye s'efforce de faire interdire. Dans sa

demande écrite, la Libye a allégué que "les Etats-Unis menacent la Libye

de sanctions économiques imminentes et d'autres actions, y compris

l'utilisation éventuelle de la force", C'est sur cette base qu'elle a

demandé que des mesures conservatoires soient prises "de toute urgence"

055 (requête, p. 3). Hier, les représentants de la Libye nous ont dit que

les Etats-Unis menaçaient d'employer la force, mais ils n'ont pas parlé

de sanctions américaines. Le conseil de la Libye s'est borné à

mentionner les efforts des Etats-Unis au Conseil de sécurité. Il nous

faut donc supposer que les thèses de la Libye s'appuient sur les travaux

du Conseil et la prétendue menace d'employer la force.

En ce qui concerne le Conseil, de sécurité, l'allégation de la Libye

est correcte, Les Etats-Unis et d'autres pays demandent en ce moment au

Cense il de sanctionner le fait .,que la Libye ·a omis de prendre des ·mesures

concrètes pour mettre fin au soutien qu'elle apporte au terrorisme.

Cependant, comme l'a expliqué M. Rashkow, l'activité du Conseil, y

compris la participation des Etats membres, n'est pas un objet approprié

pour des mesures conservatoires. Par conséquent, bien qu'il puisse y "'

avoir urgence en ce qui concerne les efforts des Etats-Unis au Conseil,

il ne peut exister aucun préjudice juridique qui puisse être évité au

moyen de mesures conservatoires.
0060C/CR 92/4/trad. •t :

-•.,
.....
- 45

Reste donc l'assertion de la Libye selon laquelle les Etats-Unis ont

entrepris une campagne "de plus en plus explicite" fondée sur des menaces

d'utiliser la force militaire. Les seuls témoignages que la Libye ait

. cités consistent en déclarations publiques aux termes desquelles aucune

• option n'a été adoptée ni exclue. Il a aussi été fait allusion hier à

l'opinion de journalistes et à celle de personnalités de pays tiers. Je

suis donc obligé de constater que'l'accusation portée par la Libye n'est

pas fondée. Ce qui est prouvé c'est que les Etats-Unis ont travaillé

pacifiquement, au Conseil de sécurité, à l'élaboration d'une prise de

position concertée face à l'appui que la Libye apporte au terrorisme,

Cela ressort de la résolution 731 et des efforts en cours en vue de

l'adoption d'une nouvelle résolution.

A l'appui de ses accusations, la Libye cite une interview du

Vice-Président Quayle publiée par le Washington Times le

12 février 1992. En citant cet article, le conseil de la Libye a laissé

de côté la phrase suivante : "Le Vice-Président n'a pas voulu préciser

056 quelles mesures seraient prises, mais a souligné qu'il ne disait pas que

les Etats-Unis envisageaient l'emploi de la force militaire." Cet

article porte le numéro 40 dans la documentation fournie par la Libye,

La Libye cite deux autres articles de presse pour étayer

l'affirmation que des gouvernements étrangers auraient peut-être jugé

possible une action militaire des Etats-Unis contre la Libye. Il ne

m'appartient pas de parler pour d'autres gouvernements, mais il -est

intéressant d'observer que la Libye elle-même semble avoir adopté un

autre point de vue,

Le 27 decembre 1991, l'agence Reuters a déclaré ceci "Faisant

référence aux attaques aériennes contre la Libye ordonnées en 1986 par le

président Ronald Reagan avec l'appui du premier ministre britannique

0060C/CR 92/4/trad. - 46 -

Margaret Thatcher, Kadhafi a dit qu'il ne pensait pas que leurs

successeurs - George Bush et John Major - lanceraient une attaque de ce

gemre."

Le 9 janvier 1992, l'agence Reuters a indiqué que "Un porte-parole

du ministère des affaires étrangères [libyen] aurait dit, selon l'agence "

d'information libyenne JANA, que le pays n'avait pas de raison de

craindre que le conflit avec les Occidentaux au sujet d'une prétendue

participation de la Libye au terrorisme atteigne le niveau d'une

confrontation." Ces dépêches portent les numéros 4 et 5 dans la

documentation fournie par les Etats-Unis •

. Depuis, la Libye n'a rien trouvé d'autre à signaler que la

déclaration précitée du vice-président Quayle pour expliquer pourquoi

elle perçoit maintenant une menace de l'emploi de la force en vue

d'obtenir la remise des deux suspects.

La Libye en tout cas n'a rien produit qui permette de situer cette

affaire dans la mêmecatégorie que celles qui ont donné lieu aux

ordonnances antérieures de la Cour relatives à des conflits militaires en

cours (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,

C.I.J. Recueil 1979, p. 7; Différend frontalier, C.I.J. Recueil 1986 1

p. 3j Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre •

celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), C.I.J. Recueil 1984,

p. 169).

057 Il apparaît donc que ce n'est pas l'imminence d'une action

unilatérale des Etats-Unis, militaire ou autre, mais la ferme résolution

des Nations Unies qui a conduit la Libye à recourir à cette procédure.

2. Les mesures conservatoires demandées ne serviraient pas à préserver
les droits des parties

Je parlerai maintenant, dans la deuxième partie de mon exposé, des

dispositions du Statut de la Cour qui se réfèrent aux mesures

conservatoires du droit de chacun. Non seulement, comme cela a été

0060C/CR 92/4/trad. '1.·····.
- 47 -

démontré, il n'y a pas d'urgence, mais la demande libyenne doit être

rejetée parce qu'elle ne répond pas à cette norme fondamentale.

Rappelons qu'aux termes de l'article 41, les mesures conservatoires

doivent préserver le droit de chacun (les italiques sont de nous). Ce

. ·058 libellé dit bien que les dro.its des deux Parties doivent être pris en

considération. Cela est normal puisque, comme la Cour l'a dit dans

l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co., l'objet des mesures

conservatoires est "de sauvegarder par de telles mesures les droits que

l'arrêt qu'elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement

reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur" (Anglo-Iranian Oil

Co., mesures conservatoires, ordonnance du 5 juillet 1951,

C.I.J. Recueil 1951, p. 93). Le fait que les mesures conservatoires

sont décidées avant que la Cour n'ait confirmé sa propre compétence ou se

soit prononcée sur le fond renforce la nécessité de faire preuve de

circonspection lorsqu'on pèse les effets de mesures éventuelles sur les

droits de chaque Partie.

Trois considérations sont essentielles pour déterminer si les

mesures proposées par la Libye rempliraient cette condition statutaire

premièrement, les mesures se rapportent-elles, en fait, aux droits

• allégués dans la requête introductive d'instance; deux.ièmement, la Libye

a-t-elle établi l'existence possible des droits qu'elle revendique au

titre de la convention de Montréal et, troisièmement, les mesures

demandées préserveraient-elles les droits des Etats-Unis ?

a) Les mesures sont sans rapport avec trois des quatre principaux droits
invoqués dans la requête

En ce qui concerne le premier critère - savoir si les mesures

demandées se rapportent aux droits allégués dans la requête introductive

d'instance - il faut rappeler à quoi tend cette requête. Tout d'abord

elle prie la Cour de dire et juger que la Libye s'est conformée à la

0060C/CR 92/4/trad. - 48 -

convention de Montréal et que les Etats-Unis ne l'ont pas fait (requête,

p. 5, IV a), b)). Il n'y a manifestement pas là matière à mesures

conservatoires. Lorsque le but d'une requête est d'obtenir une

déclaration sur une situation juridique préexistante, aucune action

pendante lite ne saurait porter préjudice à un tel jugement (voir

affaire concernant la Réforme agraire polonaise et la minorité

allemande, ordonnance du 29 juillet 1933, C.P.J.I. série AIB na 58 1

p. 175; affaire relative à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989,
059
mesures conservatoires, ordonnance du 2 mars 1990, C.I.J. Recueil 1990,

p. 64; Statut juridique du territoire du sud-est du Groenland,

ordonnances des 2 et 3 août 1932, C.P.J.I. série AIB n° 48, p. 286-287).

Dans sa requête la Libye prie ensuite la Cour, d'une part, de dire

que les Etats-Unis sont juridiquement tenus de mettre fin à ces

prétendues violations de la convention de Montréal et, d'autre part, "de

mettre fin et de renoncer ••• à toute forme de recours à la force ou à la

menace contre la Libye, y compris la menace de recourir à la force contre

la Libye, ainsi qu'à toute violation de la souveraineté, de l'intégrité

territoriale et de l'indépendance politique de la Libye" (requête, p. 5).

Cette seconde partie de la requête, qui a trait, de manière générale, au·

recours à la force et à "toute violation" de la souveraineté de la Libye •

et de son intégrité territoriale, ne peut pas faire l'objet de mesures

conservatoires. Elle n'entre manifestement pas dans le cadre de la

clause juridictionnelle sur laquelle se fonde la Libye. Si elle

existait, la compétence découlant de l'article 14 de la convention de

Montréal ne s'appliquerait qu'aux différends portant sur l'interprétation

ou l'application de cette convention. On ne saurait se fonder sur elle

- J
pour évoquer, et moins encore interdire, toute forme d'action qui

pourrait éventuellement comporter une menace de recourir à la force ou un

0060C/CR 92/4/trad. recours à la force, ou violer la souveraineté d'un Etat. Et, comme

M. Jiménez de Aréchaga l'a fait observer dans l'affaire de la Mer

Egée :

"Le pouvoir spécifique dévolu à la Cour en vertu de
l'article 41 du Statut vise à protéger les droits qui font

l'objet du procès; il ne consiste pas en un pouvoir de police
en vue d'assurer le maintien de la paix internationale .•• "
(Opinion individuelle de M. Jiménez de Aréchaga,
C.I.J. Recueil 1976, p. 16.)

Reste donc la demande que la Libye adresse à la Cour de dire que les

Etats-Unis ont une obligation à l'avenir de mettre fin à certaines

prétendues violations de la convention de Montréal. Une telle demande

pourrait en principe faire l'objet de mesures conservatoires, mais elle

doit être rejetée parce que le "droit" que la Libye prétend invoquer

contre les Etats-Unis ne figure pas dans la convention de Montréal.

OGO b) La Libye n'a pas établi l'existence possible des droits qu'elle
invoque contre les Etats-Unis au titre de la convention de Montréal

Les Etats-Unis comprennent bien qu'à ce stade préliminaire il est

impossible à la Cour de s'engager dans un examen détaillé du fond, Mais

il ne devrait pas être jugé suffisant que la Libye affirme l'existence de

prétendus droits au titre de la convention de Montréal. Cela voudrait

dire que le seul fait de se référer à des dispositions conventionnelles,

si peu fondée que soit cette référence, permettrait à un demandeur de se

servir de la Cour comme d'un instrument pour faire obstacle à l'exercice

des droits d'autres Etats. CommeM. Shahabuddeen l'a noté dans l'affaire

du Grand-Belt : "Il est improbable que la Cour soit liée par la seule

affirmation de certains droits." (Opinion individuelle de

M. Shahabuddeen, C.I.J. Recueil 1991, p. 30.) Pour reprendre les

termes qu'il a employés, c'est à la Libye d'établir l'existence possible

des droits qu'elle prétend avoir (ibid., p. 36).

Si l'on examine les prétentions de la Libye quant à ses droits, on

voit que ni le texte de la convention de Montréal, ni son objet, ni son

histoire ne confortent ces prétentions.
0060C/CR 92/4/trad. - 50 -

En ce qui concerne le texte, l'éminent conseil du Royaume-Uni a fait

hier à la Cour un exposé rigoureux. Je rappellerai .seulement que

l'article 7 de la convention- dont le conseil de la Libye a dit à la

Cour qu'il était au coeur de la requête libyenne - ne mentionne nulle

part aucun droit.

La Libye a, semble-t-il, confondu l'obligation que lui impose cet

article d'extrader les suspects ou de les poursuivre, avec le ''droit"

acquis d'être la seule partie à exercer sa compétence. En fait, la

convention ne prétend pas dire lequel des Etats devrait avoir priorité

pour exercer sa compétence in casu. Au regard du droit international,

cette compétence peut être reconnue à plusieurs Etats - en l'espèce, les

061 Etats dont des ressortissants ont été tués, l'Etat d'immatriculation de

l'aéronef, ,l'Etat oà la violation s'est produite et celui oà les suspects

sont détenus. La formule "poursuivre ou extrader" a pour but de créer la

certitude que des poursuites seront engagées par l'un ou l'autre de ces

Etats, mais elle ne dit pas lequel. Les travaux préparatoires de la

convention de Montréal le confirment (OACI, conférence internationale

de droit aérien, procès-verbaux et documents, p. 61-62 1 1971). Une

tentative pour établir une telle priorité en matière de compétence a

échoué, de mêmequ'une tentative analogue qui avait été faite lors des

négociations qui aboutirent à la convention de La Haye sur les

détournements d'avions (OACI, conférence internationale de droit

aérien, procès-verbaux et documents, p, 70-74, 1970).

Selon l'interprétation donnée par la Libye, la convention de

Montréal accorderait néanmoins implicitement à !~Eta qtui détient les

terroristes le droit exclusif de les poursuivre, mêmesi cet Etat était

impliqué dans l'acte de terrorisme, en violation de l'article X de la

convention. L'obligation de poursuites effectives, voulue par la

convention, serait ainsi transformée en un droit absolu pour l'Etat

0060C/CR 92/4/trad, - 51 -

complice de faire obstacle aux poursuites. La situation actuelle

démontre à l'évidence les faiblesses de la thèse libyenne. Dans sa

résolution 731, le Conseil de sécurité a trouvé déplorable la proposition

de la Libye tendant à poursuivre elle-même les deux suspects. Il est

impossible de·soutenir que la convention n'offre pas d'autres voies.

On pourrait mêmedire que la requête et la demande de la Libye vont

encore plus loin, en prétendant trouver dans la convention de Montréal un

second droit, totalement implicite lui aussi, qui empêcherait les autres

Etats ne serait-ce que de chercher par des moyens pacifiques à pouvoir

exercer leur compétence à l'égard des auteurs de la violation en

s'adressant au Conseil de sécurité ou par d'autres voies. La Libye ne

cite aucun texte à l'appui du droit ainsi affirmé. Elle qualifie

d'"illégales" les mesures en question (demande, par. 3), mais sans

préciser à quoi elle fait allusion ni quelle pourrait être la source de

l'illégalité. En tout cas, rien dans le texte de la convention ou dans

les travaux préparatoires ne fait référence à aucun droit de cette sorte.

Interpréter la convention de telle manière qu'elle produise des
062
effets aussi surprenants serait très troublant, et pas seulement pour les

parties à cette convention. En effet, ses dispositions sont analogues à

celles d'une large gamme de traités récents portant sur les crimes de

guerre, le terrorisme, les droits de l'homme ou le trafic de la drogue.

Pour l'information de la Cour, j'énumérerai un certain nombre de ces
063
instruments dans le compte rendu écrit de l'audience (quatrième

convention de Genève de 1949, Nations Unies, Recueil des traités,

• 0 vol. 75, p. 287; convention de la Haye de 1970 sur les détournements

d'aéronefs, Nations Unies, Recueil des tcaités, vol. 860, p. 105;

""- convention de 1973 sur la prévention èt à la répression des infractions

contre les personnes jouissant d'une protection internationale,

Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1035 1 p. 167; convention

0060C/CR 92/4/trad. - 52 -

de 1979 relative à la protection physiques des matières nucléaires, AlEA,

INFCIRC/274; convention internationale de 1979 contre la prise d'otages,

A/Rés. 34/146; convention de 1984 contre la torture et autres peines ou

traitements cruels inhumains ou dégradants, A/Rés. 39/46; convention
-
de 1988 pour la représsion d'actes illicites contre la sécurité de la •

navigation maritime, 1988 RDGIP, p. 477; convention des Nations Unies

de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances

psychotropes, E/CONF, 82/15). Le régime juridique créé par ces

conventions a pour but d'assurer des poursuites effectives et non de

garantir à des Etats complices la possibilité d'invoquer une compétence

exclusive à l'égard de toutes les autres parties.

Pour autant que nous le sachions, aucune partie auxdites conventions

n'a jamais invoqué les droits que revendique la Libye, Il y a lieu de

supposer que, si de tels droits implicites devaient aujourd'hui être

découverts, les parties devraient revoir leur adhésion à ces instruments

et que de nouveaux obstacles se présenteraient dans le cas des

conventions qui ne sont pas encore en entrées en vigueur. Les Etats-Unis

soutiennent par conséquent que le simple fait pour la Libye de faire

valoir des droits ne peut pas constituer un fondement pour le recours

extraordinaire qu'est l'indication de mesures conservatoires.

C, Les mesures demandées entreraient directement en conflit avec des
064 droits souverains des Etats-Unis établis de longue date et, par
conséquent, transformeraient radicalement le statu quo

J'ai mentionné trois critères auxquels il convient de se référer

pour déterminer si les mesures proposées sauvegarderaient les droits

r,espectifs des Parties, L'on a vu que la plupart des éléments de l'arrêt

demandé dans la requête de la Libye ne seraient pas sauvegardés par des . ..

mesures conservatoires, et que la Libye n'a pas établi de façon crédible

la possibilité que la convention de Montréal lui confère les droits

0060C/CR 92/4/trad. -. 53 -

qu'elle entend voir sauvegarder. Cela conduit au troisième critère, qui

est de savoir si les mesures proposées sauvegarderaient les droits des

Etats-Unis .

Commel'a dit M. Rashkow, la demande en indication de mesures

conservatoires présentée par la Libye, qui a été précisée lors de ses

plaidoiries orales, a pour but d'empêcher les Etats-Unis d'invoquer leur

droit de recourir au Conseil de sécurité pour que celui-ci examine la

question de l'appui que la Libye continue d'apporter au terrorisme

international. Or, saisir le Conseil de menaces à la paix et à la

sécurité internationales est un droit fondamental de tous les Etats en

vertu de la Charte des Nations Unies. Il semble parfaitement clair, par

conséquent, que les mesures demandées ne sauvegarderaient pas les droits

des Etats-Unis. La demande de la Libye pourrait être interprétée comme

affectant une gamme encore plus large de droits souverains des

Etats-Unis. Prise au pied de la lettre,, cet te demande s'appliquerait à

tout acte licite des Etats-Unis ayant pour motivation subjective

d'influencer la politique de la Libye pour ce qui est du point de savoir

si elle doit remettre les deux suspects pour qu'ils soient poursuivis.

Ainsi interprétée, la demande la Libye conduirait la Cour à se pencher

sur virtuellement toutes les mesures adoptées par les Etats-Unis dans

leurs relations avec la Libye tant que l'affaire demeurera en suspens.

Je n'essaierai pas de répondre d'avance à des questions hypothétiques

dont la liste serait illimitée, mais tiens à réserver le droit de mon

Gouvernement de répondre à tout argument spécifique de la Libye.

A ce propos, mon gouvernement souhaite s'associer aux observations
""
qu'a faites hier l'éminent conseil du Royaume-Uni touchant l'absence de
,..
précédent quelconque, dans la jurisprudence de la Cour, à des mesures

conservatoires de caractère purement général. Lorsque l'Etat requérant

n'établit pas la nécessité de mesures spécifiques, il serait tout à fait

anormal d'imposer à l'autre partie des restrictions de caractère général.
0060C/CR 92/4/trad. - 54 -

En bref, dans sa demande en indication de mesures conservatoires, la

Libye demande à la Cour de faire prévaloir une interprétation nouvelle,

non définie et tout à fait implicite de la convention de Montréal qui

réduirait à néant des droits souverains, continus et bien établis des

Etats-Unis. Un auteur qui a analysé de près la jurisprudence de la Cour

a noté que celle-ci n'a jamais, par le passé, indiqué de mesures

conservatoires en faveur de requérants essayant de protéger de telles

prétentions inédites contre des droits établis; au contraire, "les

requérants se sont fondés sur un statut juridique reconnu de plus ou

m.oins longue date et ont essayé d'obtenir le prononcé de meusres

judiciaires contre les défendeurs qui avaient, de façon unilatérale,

e.ssayé d'altérer ou de violer ledit statut au détriment des requérants"

(J. Sztucki, Interim Measures in the Hague Court, (1983)). J'invite la

Cour à se référer à l'ouvrage de M. Sztucki. Les mesures conservatoires

demandées par la Libye, quelle que soit la façon dont elles sont

066 interprétées, ne sauvegarderaient pas le statu quo qui prévaut entre les

parties, mais aurait au contraire pour effet de transformer radicalement

leurs droits aussi longtemps que l'affaire est en suspens. En pareilles

circonstances, l'on ne peut pas dire, pour reprendre les termes enployés

dans le Statut, qu'il s'agirait de "mesures conservatoires du droit de

chacun". Pour cette raison, et parce que la Libye n'a aucunement établi

que sa demande ait un caractère d'urgence, la demande de la Libye devrait

être rejetée.

Je remercie la Cour de son attention; cela a été pour moi un honneur

que de comparaître devant elle aujourd'hui.

Je voudrais maintenant, Monsieur le Président, céder la parole à
- 4
M. Kreczko pour qu'il poursuive notre plaidoirie.

Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT Je vous remercier,

M. Schwartz, et je donne la parole à M. Kreczko.

0060C/CR 92/4/trad. - 55

v. Le Conseil de sécurité étant activement saisi de la situation, la

Cour ne devrait pas indiquer de mesures conservatoires

M. KRECZKO: Je vous remercie, Monsieur le Président.

• Aux termes de l'article 41 du Statut de la Cour, la Cour statue sur

la question des mesures conservatoires "si elle estime que les

circonstances l'exigent". Dans la plupart des cas, l'exercice de ce

pouvoir discrétionnaire est basé sur les informations dont elle dispose

touchan l~ compétence de la Cour, l'urgence des mesures demandées et la
067
nature des droits à sauvegarder. Commenous l'avons déjà expliqué, la

Libye n'a pas répondu à ces critères établis.

Dans la présente affaire, l'on se trouve en présence d'une

circonstance supplémentaire. En l'occurrence, le Conseil de sécurité,

qui est l'un des organes principaux de l'Organisation des Nations Unies,

se trouve simultanément saisi d'une situation qui a des incidences

directes sur l'affaire portée devant la Cour. En pareilles

circonstances, la Cour doit examiner si son action risque d'entrer en

conflit avec les mesures que le Conseil a adoptées ou envisage

actuellement et, lorsque les circonstances le permettent, doit essayer de

renforcer l'action du Conseil de sécurité.

La Cour a clairement décidé qu'elle-même et le Conseil de sécurité

• peuvent régulièrement exercer leurs attributions respectives en ce qui

concerne le mêmedifférend international ou la mêmesituation (Aetivités

militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua

c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt, compétenee et reeevabilité,

C.I.J. Reeueil 1984, p. 435; Personnel diplomatique et consulaire des

. ' Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 21-22; Plateau

• continental de la mer Egée, demande en indication de mesures
,._.
conservatoires, ordonnance du 11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976,

p. 28 (opinion individuelle de M. Elias)).

0060C/CR 92/4/trad. - 56 -

Le conseil de la Libye soutient apparemment que ce pouvoir

indépendant devrait être utilisé pour s'ingérer dans l'action du Conseil

068 de sécurité. La pratique de la Cour, toutefois, va en sens inverse.
..
Dans l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à

Téhéran, la Cour a accordé la prééminence à l'action du Conseil de

sécurité et a rendu un arrêt pour la renforcer (C.I.J. Recueil 1980,

p. 21-23).

Dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée, la Cour,

refusant d'indiquer des mesures conservatoires, a expressément pris note

de l'action du Conseil de sécurité concernant la question dont elle avait

été saisie (C.I.J. Recueil 1976, p. 12) et a invoqué le devoir

qu'avaient les parties audit différend, en leur qualité de Membres de

l'Organisation des Nations Unies, de respecter les obligations qui leur

incombaient en vertu de la Charte (C.I.J. Recueil 1976, p. 12-13).

Indépendamment des considérations de la Cour, MM.Jiménez de Aréchaga,

Lachs, Elias et Tarazi ont chacun affirmé, dans des opinions

individuelles, l'importance que revêtait l'action du Conseil de sécurité.

Lorsque le moment est venu de statuer sur la demande en indication

de mesures conservatoires, la Cour a appelé l'attention sur la

responsabilité spéciale qui incombait au Conseil de sécurité en ce qui

concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales

"Considérant que la Grèce et la Turquie, toutes deux
Membres des Nations Unies, ont expressément reconnu la
responsabilité du Conseil de sécurité-quant ~u maintien de la
paix et de la sécurité internationales; considérant que, dans
la résolution susmentionnée, le Conseil de sécurité leur a
rappelé, dans les termes reproduits au paragraphe 39 ci-dessus,
les obligations que la Charte des Nations Unies leur impose
pour ce qui est du règlement pacifique des différends;

considérant en outre que, comme la Cour l'a déjà indiqué, ces •
obligations ont un caractère manifestement impératif en ce qui
concerne leur présent différend relatif au plateau continental
069 de la mer Egée; et considérant que l'on ne saurait présumer que
l'un ou l'autre Etat manquera aux obligations que lui impose la
Charte des Nations Unies ou ne tiendra pas compte des
recommandations du Conseil de sécurité qui lui sont adresséss
au sujet du présent différend." (C.I.J. Recueil 1976, p. 13.)

0060C/CR 92/4/trad. ·:_ ;,_·.... 'r-

- 57 -

Commel'ancien président de la Cour, M. Jiménez de Aréchaga, l'a noté

dans son opinion individuelle, la Cour, eu égard aux mesures prises par

le Conseil, a considéré que des mesures conservatoires n'étaient pas

nécessaires au sujet des mesures ou actions militaires des parties de

.. nature à étendre ou à aggraver le différend (opinion individuelle de

M. Jiménez de Aréchaga, C.I.J. Recueil 1976, p, 17). D'autres juges

ont confirmé la. déférence due à l'action du Conseil. Dans son opinion

individuelle, M. Lachs a relevé que la Cour avait réservé à la résolution

du Conseil de sécurité la place qu'elle méritait dans les considérants de

son ordonnance (opinion individuelle de M. Lachs, C.I.J. Recueil 1976,

p. 20). M. Elias a souligné qu'il importait d'incorporer à l'ordonnance

la substance de la résolution du Conseil de sécurité (opinion

individuelle de M. Elias, C.I.J, Recueil 1976, p. 30). M. Tarazi, pour

sa part, a expliqué avec éloquence l'approche suivie par la Cour.

"En effet, s'il est vrai et certain que la Cour est un
organe judiciaire indépendant ••• il n'en est pas moins vrai
qu'elle fait partie intégrante des Nations Unies ••.

Cela étant, la présente Cour, tout en maintenant son
indépendance, ne doit pas négliger de prendre en considération
cette vérité première, à savoir qu'elle fait partie intégrante
de l'ONU. La Charte dont la genèse historique marque une étape
nouvelle dans l'histoire offre des différences essentielles par
rapport aux dispositions de son devancier, le Pacte de la SdN.
Ces différences étaient dues à une situation nouvelle à
• laquelle ont fait face les Etats et les peuples en raison des
suites de la seconde guerre mondiale et des développements qui
l'ont précédée ou en ont précipité le déclenchement.

Il n'est pas nécessaire ici de passer en revue ces
différences. On pourrait pourtant se contenter d'affirmer
qu'en vertu de la Charte le Conseil de sécurité assume une
070 responsabilité essentielle en vue du maintien de la paix et de
la sécurité, La Cour devrait collaborer, si les
circonstances l'exigent, à cette oeuvre fondamentale."
. - (Opinion individuelle de M. Tarazi, C.I.J. Recueil 1976,
p. 33 (c'est nous qui soulignons).)

Eu égard aux longs développements que le conseil de la Libye a consacrés

à la question de savoir si la résolution 731 (1992) est une décision

obligatoire du Conseil de sécurité, il n'est pas inutile de relever que

0060C/CR 92/4/trad, - 58 -

la Cour, dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée, a appuyé

l'action du Conseil de sécurité dans le contexte d'une recommandation non

obligatoire du Conseil.

Monsieur le Président, ces affaires montrent que la Cour s'efforce ...

d'appuyer les efforts déployés par le Conseil de sécurité dans l'exercice

de ses responsabilités. Commel'a écrit M. Rosenne, la Cour, en sa

qualité d'organe principal de l'Organisation des Nations. Unies,

"doit coopérer ~ la réalisation des objectifs de l'Organisation
et s'employer à donner effet aux décisions prises par les
autres organes principaux, et non parvenir à des résultats qui
les priveraient d'effet" (I. S. Rosenne, The Law and Practice
oE the International Court 70 (1965)),

071 Dans ces affaires passées, l'Etat qui avait demandé l'indication de

mesures conservatoires avait parallèlement soumis des demandes

d'assistance au Conseil de sécurité, Commel'a reconnu le conseil de la

Libye, l'affaire dont la Cour est saisie est la première ob le requérant

fait simultanément l'objet de l'action du Conseil de sécurité. Le

conseil de la Libye rejette sommairement cet argument, n'y voyant qu'une

différence technique de pure procédure qui n'affecte aucunement la nature

de la responsabilité qui incombe à la Cour en vertu de la Charte. Cette

différence, toutefois, va beaucoup plus loin. Lorsque le mêmeEtat

saisit le Conseil et la Cour, ces deux organes de l'Organisation des

Nations Unies sont appelés à s'entraider pour réaliser les mêmes

objectifs. En pareille situation, la Cour peut étudier les conséquences

juridiques de ces objectifs et le Cons~il peut ~tudier leurs conséquences

sur le plan politique et sur celui de la sécurité sans guère de risque de

conflit entre leurs actions respectives.

C'est peut-être parce qu'il est conscient du fait que, dans les
..

circonstances appropriées, la Cour s'emploiera à appuyer l'action du

Conseil de sécurité, que le conseil de la Libye fait valoir qu'il demande

à la Cour de "compléter" l'oeuvre du Conseil de sécurité. Toutefois, il

0060C/CR 92/4/trad. 59 -

est difficile de concilier 1' emploi du mot "compléter" - et 1' affirmation

selon laquelle le Conseil et la Cour peuvent agir parallèlement - et la

demande du requérant tendant à ce que la Cour interdise aux Etats-Unis de

participer aux travaux du Conseil.
!
.. En fait,-le requérant invite la Cour à entrer en conflit avec le

Conseil de sécurité de deux façons. Tout d'abord, et c'est là l'aspect

le plus frappant, il demande à la Cour d'interdire à un membre du Conseil

de participer pleinement à ses travaux alors que le Conseil envisage

activement de prendre des mesures en application du chapitre VII de la

Charte des Nations Unies.

Deuxièmement, lorsqu'il a adopté sa résolution 731 (1992), le

Conseil avait entendu les arguments de la Libye, répétés encore

aujourd'hui, selon lesquels la Libye devrait poursuivre les individus en

question et que toute suggestion en sens contraire devrait faire l'objet

d'un arbitrage en vertu de la convention de Montréal ou être soumise à la

Cour internationale de Justice, Le Conseil a déploré ces attitudes, y

voyant un refus de la Libye de donner une réponse effective aux demandes

_des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni. La question de savoir si

'le Conseil a ou non fait sienne la demande de poursuite des Etats-Unis de

préférence à d'autres options, comme des poursuites dans un Etat tiers,

sera déterminée par le Conseil. Néanmoins, il est clair que le Conseil

n' était pas sa t is fait de la suggestion 1i byenne tendan.t à ce que ce soit

la Libye qui poursuive les suspects, Or, ·tel est précisément le prétendu

droit que la Libye demande à la Cour de sauvegarder.

Le conseil de la Libye suggère que l'imposition de sanctions à la
-..
Libye pour son refus d'extrader les suspects pourrait modifier tout un

système juridique basé sur le principe selon lequel les Etats peuvent ou

poursuivre ou extrader, et il demande de quel droit le Conseil peut agir

ainsi. Or, la Libye ne présente pas correctement la situation.

0060C/CR 92/4/trad. - 60 -

Premièrement, si le Conseil impose des sanctions, tout au moins sur la

demande des Etats-Unis, ce sera parce que le fait que la Libye n'a pas

pris de mesures concrètes pour prendre ses distances à l'égard du

terrorisme international, notamment en livrant les deux suspects,

constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales.

Deuxièmement, une telle décision, loin d'entrer en conflit avec lui,

confirmerait l'ordre international existant. Les instruments

internationaux existants confirment clairement que le fait d'appuyer le

terrorisme est illicite et que le terrorisme international peut menacer

la paix et la sécurité. C'est le requérant qui modifierait l'ordre

juridique existant en transformant des instruments multi.latéraux visant à

garantir des poursuites effectives des terroristes en instruments qui

conféreraient une immunité- y compris de l'action du Conseil de

sécurité - aux terroristes qui réussissent à rentrer dans le pays qui les

a parrainés. Rien, dans les conventions contre le terrorisme, ne conduit

à un tel résultat.

073 Conformément à la résolution 731 (1992), le Conseil demeure saisi de

la situation découlant du refus de la Libye de prendre des mesures

concrètes pour mettre fin à son appui au terrorisme. La Cour ne doit pas

se prêter à cette tentative de la Libye de frustrer les mesures que le

Conseil de sécurité pourra prendre dans l'exercice de la responsabilité

qui lui incombe de maintenir la paix et la sécurité internationales.

CommeElsen l'a fait observer dans son ouvrage ·sur la litispendance entre

la Cour et le Conseil

"Alors mêmeque la situation peut faire intervenir un
grand nombre de questions justiciables intéressantes, une . !
décision de la Cour, tandis qu'une procédure se poursuit devant •
le Conseil, peut inutilement compliquer et aggraver la •
situation. En pareille situation, par conséquent, la Cour, au - 4

lieu de promouvoir le règlement pacifique des différends,
risque de mettre en danger le maintien de la paix et de la
sécurité internationales, qui est la raison d'être mêmede
l'Organisation." (T. Elsen, Litispendence between the
International Court of Justice and the Security Council 69
(1986).)
0060C/CR 92/4/trad. -'61-

C'est précisément pour cette raison que les Etats-Unis engagent

instamment la Cour, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui

donne l'article 41, à renforcer l'action du Consei.l de sécurité, comme

•"' elle l'a fait dans l'affaire du Plateau continental de la mec Egée et
Î
.. dans d'autres affaires, et à éviter de ne rien faire qui puisse être

interprété par la Libye ou par d'autres Etats comme allant à l'encontre

' des mesures que le Conseil de sécurité a adoptées dans sa résolution 731

(1992) ou du pouvoir qu'a le Conseil de sécurité de prendre d'autres

mesures en vertu de la Charte pour obtenir l'application de ladite

résolution.

Conclusion

Je vous remercie, Monsieur le Président, et avec votre permission,

M. Williamson exposera maintenant nos conclusions.

Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction.de Président : Je vous remercie,

Monsieur Kreczko, et je donne la parole à l'honorable agent des

Etats-Unis, M. Williamson, pour qu'il présente les conclusions des

·Etats-Unis.

M. WILLIAMSON : Monsieur le Président et Messieurs de la Cour, mon

gouvernement en est ainsi arrivé à la fin de sa réponse formelle à la

demande en indication de mesures conservatoires présentée par la Libye.

En conclusion, je voudrais rappeler le contexte dans lequel la présente

instance a été introduite et les conséquences à prévoir s'.il est fait

droit à la demande de la Libye •

•• Le sabotage du vol 103 de la Pan Am a peut-être été l'exemple le

plus horrible des attaques terroristes dirigées contre des citoyens de

mon pays au cours des dix dernières années. Je dois dire que la lecture,

0060C/CR 92/4/trad, - 62 -

page après page après page, des noms des victimes innocentes de cet acte

de barbarie oblige à partager, ne serait-ce qu'indirectement, la terrible

douleur de leurs familles et de leurs amis.

Des actes comme la destruction du vol 103 de la Pan Am ont de plus

larges ramifications. De tels actes nous affectent tous. En embarquant •·

à bord d'un avion, en souhaitant bon voyage à des proches, en voyant des

avions dans le ciel, l'on est maintenant immanquablement conduit à penser

au risque que des individus sans scrupules aient dissimulé des explosifs

mortels à bord. Mêmeles plus rigoureux des dispositifs de sécurité mis

en place par les aéroports ne suffisent pas à nous rassurer.

Nous avons tous- en tant qu'individus, en tant que compagnies

aériennes et en tant que gouvernements - le droit à la sécurité dans les

voyages. Nous avons aussi le droit, et c'est là un droit inhérent à la

personne humaine, d'être à l'abri du fléau du terrorisme d'Etat. La

communauté mondiale ne peut pas demeurer passive lorsqu'un Etat adopte

pour politique d'appuyer des actes aussi odieux, comme la Libye, nous en

sommes convaincus, le fait depuis de nombreuses années.

C'est pour cette raison que lorsque l'enquête sur la tragédie du

vol 103 de la Pan Am a établi sa cause profonde, les Etats-Unis, de

c'oncert avec le Royaume-Uni et la France, ont décidé d'entreprendre une

action globale. Plusieurs demandes ont été présentées au Gouvernement

libyen pour lui donner l'occasion de renoncer à ses politiques

précédentes et de démontrer d'une façon concrète que son appui au

075 terrorisme avait pris fin. Quelle a été la réponse de la Libye ? Elle a

nié toute responsabilité pour le terrorisme passé, mais a déclaré qu'elle

cesserait d'appuyer le terrorisme. Elle a affirmé ne pas pouvoir donner
..
suite aux demandes, mais a dit ensuite pouvoir le faire. Elle a proposé

que les accusés soient jugés devant la présente Cour, dans des pays tiers

et devant des Juridictions inexistantes. Enfin, lorsqu'elle s'est rendu

0060C/CR 92/4/trad. ~- 63 -

compte que les trois gouvernements avaient l'intention de saisir le

Conseil de sécurité, elle a insisté, pour la première fois, sur le fait

qu'il avait surgi un différend au regard de la convention de Montréal et

• • que ce différend devait être soumis à l'arbitrage.
J
,,. Dans sa résolution 731 (1992), adoptée à l'unanimité, le Conseil de

sécurité a "déploré" cette attitude de la Libye. Il s'est dit

"profondément préoccupé" par ce qui résulte des enquêtes menées sur les

attaques perpétrées contre les vols 103 de la Pan Am et 792 de l'UTA

impliquant la Libye, et il a demandé instamment à la Libye "d'apporter

immédiatement une réponse complète et effective à ces demandes afin de

contribuer à l'élimination du terrorisme international",

Mais, Monsieur le Président, qu'a fait depuis lors la Libye ? Elle

a fait savoir au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies

qu'elle est disposée à mettre en oeuvre cette résolution. Plus

récemment, il nous avait semblé qu'elle àvait informé le Conseil de

'sécurité qu'elle avait décidé de remettre les suspects de la destruction

.du vol 103 de la Pan Am à la Ligue des Etats arabes, mais tel n'est

;apparemment pas le cas. Quoi qu'il en soit, il ne s'est rien passé. En

conséquence, le Conseil de sécurité étudie actuellement la possibilité

d'adopter des sanctions obligatoires en vertu du chapitre VII de la

Charte pour amener la Libye à se conformer à sa résolution précédente.

Au lieu de se conformer à cette réolution, la Libye a introduit la

présente action devant la Cour. Elle a invoqué les voies de recours

extraordinaires que sont les mesures conservatoires. Quel serait le

fondement de ces mesures ? Telles que nous voyons les choses, il
ill •
•.!' s'agirait d'Un "droit" tout à fait nouveau d'exclure la possibilité que
!',
,..
tout autre Etat exerce une compétence pénale à l'égard des suspects, qui

sont des agents des services de renseignement de la Libye elle-même.

076 Quel serait le but de·ces mesures ? Telles que nous voyons les choses,

0060C/CR 92/4/trad, - 64 -

leur but serait, concrètement, d'arrêter les débats du Conseil de

sécurité sur la résolution qu'il envisage d'adopter. Une telle

proposition est tout simplement absurde vu la responsabilité principale

qu'a le Conseil, en vertu de la Charte, de maintenir la paix et la

sécurité internationales.

Lorsque l'on considère que c'est une proposition aussi absurde qui

est au coeur de la demande de la Libye, que la demande de la Libye ne

satisfait à aucun des critères qui doivent tous être réunis pour que

la Cour puisse indiquer des mesures conservatoires, que la Libye, en

fait, demande à la Cour de reconnaître l'existence d'un droit que mêmeun

Etat qui fomente le terrorisme pourrait invoquer et que la Libye demande

à la Cour d'agir à l'encontre d'un autre organe principal de

l'Organisation des Nations Unies plutôt que de collaborer avec lui, force

est de conclure que l'objectif vraiment poursuivi par la Libye doit

simplement être de pouvoir exciper de l'existence d'une autre procédure

devant la Cour comme élément d'une initiative politique visant à faire

échec à la résolution sur les sanctions proposée au Conseil.

Avec tout le respect que je dois à la Cour, il ne me semble pas que

celle-ci devrait permettre que l'on use d'elle de cette façon. La

demande en indication de mesures conservatoires que la Libye a soumise à

la Cour est non seulement contraire à la jurisprudence de la Cour en la

matière, mais encore, s'il y est fait droit, pourrait compromettre le

fonctionnement du système prévu par la Charte des Nations Unies pour le

maintien de la paix et de la sécurité internationales. La Cour peut être

assurée qu'en faisant droit aux demandes de la Libye, elle sera accusée

d'avoir appuyé le défi lancé par la Libye aux résolutions du Conseil de

sécurité. En revanche, en rejetant la demande de la Libye et en

réaffirmant l'importance qu'il y a à ce que les résolutions du Conseil

0060C/CR 92/4/trad. - 65 -

soient suivies d'effet, elle apporterait un appui bienvenu aux vastes

efforts qui ont été entrepris pour acheminer vers le Conseil les menaces

à la paix.

Monsieur le Président et Messieurs de la Cour, je tiens, en mon

propre nom et·au nom des autres membres de la délégation des Etats-Unis,

à vous remercier de nous avoir donné cette occasion de comparaître devant

vous.

En tant que conclusion formelle, je prie la Cour, au nom des
L ~ 7

:Etats-Unis, de refuser la demande en indication de mesures conservatoires

qui lui a été présentée.

Je vous remercie.

Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de Président Je vous remercie,

Monsieur Williamson,

Les Etats-Unis ont ainsi achevé l'exposé de leurs observations

initiales,

Sur la demande du requérant et du défendeur dans chaque affaire, la

jCour doit avoir un deuxième tour de plaidoiries orales dans les deux

!affaires. La Cour se réunira demain à cette fin. L'heure de l'audience
1
sera annoncée le moment venu, dans la mesure où elle dépend de

négociations qui se poursuivent encore actuellement.

L'audience est levée.

L'audience est levée à 12 h 55.

0060C/CR 92/4/trad, ;
"'1 ,-"

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