Non-Corrigé
Uncorrected
CR 2008/4
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THHEGUE
ANNÉE 2008
Audience publique
tenue le jeudi 24 janvier 2008, à 15 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président,
en l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale
(Djibouti c. France)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2008
Public sitting
held on Thursday 24 January 2008, at 3 p.m., at the Peace Palace,
President Higgins presiding,
in the case concerning Certain Questions of Mutual Assistance in Criminal Matters
(Djibouti v. France)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : Mme Higgins,président
Al-Kh.vse-prh,ident
RanMjva.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Buergenthal
Owada
Simma
Tomka
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skoteiskov,
GuMilMu.me
juYessuf, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Presieitgins
Vice-Presi-nhtasawneh
Judges Ranjeva
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Buergenthal
Owada
Simma
Tomka
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc Guillaume
Yusuf
Registrar Couvreur
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République de Djibouti est représenté par :
S. Exc. M. Siad Mohamed Doualeh, ambassadeur de la République de Djibouti auprès de la
Confédération suisse,
comme agent ;
M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,
comme agent adjoint ;
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,
comme conseil et avocat ;
M. Djama Souleiman Ali, procureur général de la République de Djibouti,
M. Makane Moïse Mbengue, docteur en droit, chercheur, Hauser Global Law School Program de
la faculté de droit de l’Université de New York,
M. Michail S. Vagias, Ph.D. Cand. à l’Université de Leyde, chercheur, Greek State Scholarship’s
Foundation,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),
Mme Souad Houssein Farah, conseiller juridique à la présidence de la République de Djibouti,
comme conseils.
Le Gouvernement de la République française est représenté par :
Mme Edwige Belliard, directeur des affaires ju ridiques du ministère des affaires étrangères et
européennes,
comme agent ;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université ParisX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies, associé de l’Institut de droit international,
M. Hervé Ascencio, professeur à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
comme conseils ;
M. Samuel Laine, chef du bureau de l’entraide pénale internationale au ministère de la justice,
comme conseiller ; - 5 -
The Government of the Republic of Djibouti is represented by:
Mr. Siad Mohamed Doualeh, Ambassador of the Republic of Djibouti to the Swiss Confederation,
as Agent;
Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,
as Deputy Agent;
Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Faculty of Law of the University of Florence,
as Counsel and Advocate;
Mr. Djama Souleiman Ali, Public Prosecutor of the Republic of Djibouti,
Mr. Makane Moïse Mbengue, Doctor of Law, Researcher, Hauser Global Law School Program,
New York University School of Law,
Mr.MichailS.Vagias, Ph.D. Cand. Leiden Univ ersity, Scholar of the Greek State Scholarships
Foundation,
Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),
Ms Souad Houssein Farah, Legal Adviser to the Presidency of the Republic of Djibouti
as Counsel.
The Government of the French Republic is represented by:
Ms Edwige Belliard, Director of Legal Affairs, Ministry of Foreign and European Affairs,
as Agent;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre, Member and former Chairman of
the United Nations International Law Commi ssion, Associate of the Institut de droit
international,
Mr. Hervé Ascencio, Professor at the University of Paris I (Panthéon-Sorbonne),
as Counsel;
Mr.Samuel Laine, Head of the Office of Inte rnational Mutual Assistance in Criminal Matters,
Ministry of Justice,
as Adviser; - 6 -
Mlle Sandrine Barbier, chargée de mission à la direction des affaires juridiques du ministère des
affaires étrangères et européennes,
M. Antoine Ollivier, chargé de mission à la di rection des affaires juridiques du ministère des
affaires étrangères et européennes,
M. Thierry Caboche, conseiller des affaires étrangères à la direction de l’Afrique et de l’océan
Indien du ministère des affaires étrangères et européennes,
comme assistants. - 7 -
MsSandrine Barbier, Chargée de mission, Director ate of Legal Affairs, Ministry of Foreign and
European Affairs,
Mr.Antoine Ollivier, Chargé de mission, Directorate of Legal Affairs, Ministry of Foreign and
European Affairs,
Mr.Thierry Caboche, Foreign Affa irs Counsellor, Directorate for Africa and the Indian Ocean,
Ministry of Foreign and European Affairs,
as Assistants. - 8 -
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit
aujourd’hui pour entendre le premier tour de pl aidoiries de la République française. Je donne
maintenant la parole à l’agent de la France, Mme Belliard.
Mme BELLIARD :
1. Madame le président, Messieurs les juges, c’est pour moi un grand honneur de représenter
aujourd’hui mon pays devant votre Cour.
2. A l’heure d’engager les plaidoiries orales de la République française dans la présente
affaire, je tiens à souligner la confiance du Gouvernement français dans la sagesse de votre haute
juridiction et dans la justice de vos décisions , confiance que reflète son acceptation de votre
compétence dans cette affaire. Je remercie également MM.les professeursHervéAscensio et
Alain Pellet, qui, après moi, exposeront l’argumentation de la République française.
3. La République de Djibouti peut être assur ée que la force avec laquelle la France entend
exposer ses arguments et défendre la licéité des actes ou des comportements dont il lui est fait grief
aujourd’hui ⎯ loin de porter atteinte aux liens historiques et amicaux entre nos deux pays ⎯ sera à
la hauteur du respect mutuel dont ont toujours été empreintes nos relations bilatérales. Surtout, la
France nourrit l’espoir que la présente pro cédure permette de dissiper certaines des
incompréhensions qui, de part et d’autre, ont pu naître. Je suis convaincue qu’un tel objectif ne
peut être mieux servi qu’en s’attachant à désigner et à nommer, avec la plus grande précision, les
désaccords, parfois tus, qui ont pu donner lieu à des malentendus. Notre présence commune devant
vous aura, j’en suis sûre, pour effet de renforcer et fortifier l’amitié qui préside traditionnellement
aux relations entre nos deux pays.
4. Permettez-moi toutefois, Madame le président, de faire, dès à présent, quelques brèves
remarques préalables au nom de ma délégation. Les conseils qui me succéderont cet après-midi à
la barre comme moi-même, sommes pleinement conscients de l’importante mission que vous
confère votre statut d’«organe judiciaire principa l des NationsUnies». Dans l’exercice de votre
compétence contentieuse, et pour paraphraser diffé rentes dispositions du chapitre II du Statut de la
Cour, vous êtes appelés à régler, conformément au droit international, les différends d’ordre
juridique que vous soumettent les Etats et ayant pour objet l’interprétation d’un traité, tout point de - 9 -
droit international, la réalité de tout fait qui , s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ou encore la nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’un
engagement international.
5. Je n’ai donc nul besoin d’expliquer ici que votre Cour ne saurait être appelée à établir la
matérialité de faits faisant l’objet d’enquêtes criminelles au sein des Etats, non plus que leur
incrimination au regard du droit pénal national ou encore les responsabilités individuelles liée
s à de
tels actes. Si je rappelle les caractéristiques bien connues de votre juridiction, c’est avant tout pour
signifier notre attachement, qui est partagé, j’en su is sûre, de l’autre côté de la barre, à ce que la
Cour puisse remplir sereinement sa fonction à l’égard du différend juridique qui oppose nos deux
Etats.
6. Vous n’êtes probablement pas sans savoir que les investigations judiciaires relatives au
décès de Bernard Borrel, ainsi que les multiples autres procédures qui se sont ajoutées à celle-ci par
la suite, ont connu un très fort retentissement mé diatique tant en France qu’à Djibouti. Nos
contradicteurs y ont trouvé parfois matière à se plaindre, parfois confirmation de leurs critiques à
l’encontre des autorités françaises. Bien trop soucieuse de la liberté de la presse et de son
indépendance, je ne crois pas que ce soit ici le lieu pour commenter les commentaires.
7. Il n’est également un mystère pour personne dans cette enceinte, que la marche de la
justice, jugée parfois excessivement longue, n’obé it toujours pas au rythme que voudrait voir
adopté l’opinion publique ni ne satisfait toujours asse z rapidement le légitime besoin de vérité des
individus directement touchés. Aussi est-il particulièrement important à mes yeux, dans de telles
situations, que chacun prenne le soin ne pas confondre les compétences respectives de chaque
institution et que la rigueur juridique préval e toujours quelles que soient les revendications
multiples et parfois contradictoires exprimées au nom de la justice.
8. A cet égard, il en va de l’idée même que nous nous faisons de la justice que l’instruction
relative au décès de BernardBorrel puisse être conduite en toute indépendance, nonobstant les
«questions d’entraide judiciaire en matière pénale» entre la France et Djibouti, selon la désignation
justement choisie par la Cour pour la présente procédure. Mais il importe également, et
réciproquement, que cette dernière procédure se poursuive en ne se référant à l’affaire actuellement - 10 -
instruite par les juridictions internes que dans la stricte mesure nécessaire au règlement de la
contestation élevée par la République de Djibouti à l’encontre de la France.
9. C’est dans un tel esprit qu’il me revient ma intenant d’exposer le contexte général dans
lequel le présent différend a été porté devant vous et, surtout, l’objet précis de ce différend dont la
seule définition constituera, j’en suis intimem ent persuadée, une étape importante vers son
règlement. Je conclurai ma présentation en récapit ulant les différentes procédures judiciaires en
cours actuellement en France et auxquelles ont fait référence les deux Parties lors des différentes
phases de la procédure, étant entendu, comme je vien s de le rappeler, qu’il ne s’agit nullement de
porter devant vous des affaires pour lesquelles les juridictions internes sont compétentes.
Le consentement de la France à la soumission du différend à la
Cour
10. Madame le président, la République de D jibouti a porté devant votre Cour la présente
affaire en sachant qu’aucune base de compétence ne lui permettait d’attraire la France devant votre
haute juridiction. Dans sa requête, datée du 9 janvier2006, la République de Djibouti indique en
effet qu’elle entend fonder la compétence de la Cour, en application de l’ar ticle 38, paragraphe 5,
du Règlement de la Cour, sur le consentement exprès que pourrait donner la République française à
soumettre au jugement de la Cour le différend visé dans ladite requête 1.
11. Je souhaite souligner ici que la France, ap rès avoir examiné la requête, a souverainement
décidé de consentir à la compétence de la Cour da ns la présente affaire «en application et sur le
seul fondement de l’article 38, paragraphe 5», du Règlement de la Cour. La République française
l’a fait savoir par la plume de son ministre des affaires étrangères, dans une lettre adressée au
greffier de la Cour le 25 juillet 2006.
12. En se présentant aujourd’hui volontairement devant vous, la France accomplit une
démarche à bien des égards exceptionnelle. Pour la deuxième fois, à quelques années d’intervalle,
la France donne ainsi la preuve de l’estime dans laquelle elle tient votre haute juridiction. En effet,
l’importance qu’attache mon gouvernement à un te l acte ne doit pas être uniquement mesurée à
l’aune des questions, parfois très techniques, toucha nt à la coopération judiciaire pénale entre Etats
et qui sont en jeu dans la présente affaire. La République française, en acceptant de voir trancher
1
Requête en date du 9 janvier 2006, p. 16, par. 20, (ci-après «requête»). - 11 -
ces questions par la Cour, entend bien sûr manifester toute la confiance que lui inspire votre haute
juridiction pour mener à bien sa fonction juridictionne lle et parvenir ainsi au règlement définitif du
présent différend. Mais il importe également de voir dans cette décision la manifestation de
l’attachement de mon pays aux principes qui fondent le développement harmonieux des relations
internationales: le respect du droit interna tional, l’exécution de bonne foi des engagements
internationaux et le règlement pacifique d es différends entre Etats selon les voies les plus
appropriées.
13. Aussi est-ce dans cet esprit que la Fr ance a répondu positivement à la demande de
Djibouti de s’en remettre au jugement de votre Cour. De l’avis de mon gouvernement, le débat
ordonné, rigoureux et dépassionné que permet votre prétoire ainsi que la décision parfaitement
motivée à laquelle vous parviendrez à l’issue de cette procédure permettront de régler le différend
qui oppose nos deux pays.
14. Je ne peux que rejoindre la République de Djibouti lorsque celle-ci exprime, dans son
mémoire, la nécessité de préserver les liens de coop ération et d’amitié qui existent entre nos deux
pays 2 et dont le litige qui nous occupe risquait de men acer la solidité et la sincérité. J’ajouterai
cependant que, pour mon pays, cet objectif dépass e largement sa proclama tion solennelle dans le
traité d’amitié et de coopération que nous avons conclu en 1977: bien plus que sur une simple
disposition juridique, notre coopéra tion et notre amitié sont fondées sur une histoire, une langue
communes ainsi que sur des échanges approfondis dans les domaines les plus variés.
15. Fidèle à ces valeurs, la France ne vient toutefois pas devant votre Cour pour obtenir la
confirmation qu’elle s’est scrupuleusement pliée aux exigences générales d’une coopération de
bonne foi entre deux pays amis. Ceci, vous en conv iendrez aisément, ne relève pas de la mission
d’une Cour de justice, fût-elle la Cour mondial e. La République française se présente devant vous
aux fins de voir établi, de manière incontestable, qu’aucun des griefs précis d’ordre juridique élevés
devant vous contre elle ne peut être accueilli.
16. Cela m’amène à présent, Madame le président, à examiner l’objet précis du différend que
la République française a accepté de soumettre à votre juridiction.
2
Mémoire de Djibouti, p. 12, par. 12 (ci-après «MD»). - 12 -
L’exacte définition des termes du différend soumis à la Cour
17. Madame le président, il me paraît utile d’in sister sur l’importance que revêt, aux yeux de
la République française, la définition exacte du litige qui vous est soumis. Il en va tout d’abord, en
effet, de l’extension précise de votre compétence en la présente affaire et je sais que vous prendrez
le plus grand soin, avant de vous prononcer, de vous assurer des pouvoirs exacts que vous ont
conférés les deux Parties à cet égard. Mais il en va de même, par ailleurs, de la présentation
objective des faits concrets sur lesquels vous êt es appelés à vous prononcer. Je commencerai par
dire quelques mots sur ce second point avant de revenir, plus brièvement, sur le premier.
1. La définition de l’objet du différend
18. La définition du différend, la définition de son objet même, ne pose à priori aucune
difficulté si l’on se penche sur la première pièce de procédure déposée par la République de
Djibouti. Dès la page 4 de la requête introductiv e d’instance, en son paragraphe2, le demandeur
expose en effet, en le qualifiant comme tel, l’«obj et du différend», à savoir le refus de la France de
transmettre aux autorités djiboutiennes le dossier de l’affaire Borrel.
19. Il reviendra au professeur Hervé Ascensio de démontrer que la vi olation alléguée de la
convention qui nous lie dans le do maine de l’entraide judiciaire en matière pénale avec Djibouti
n’est nullement avérée et qu’aucune autre oblig ation internationale pesant sur la République
française n’a pu être violée à l’occasion du refus de transmettre le dossier sollicité par les autorités
judiciaires djiboutiennes. A ce stade, je voudrais simplement relever, pour le regretter, que la
précision donnée à la définition du différend, dès le s premières lignes de la requête, soit ensuite
altérée dans le mémoire déposé par Djibouti le 15 mars 2007.
20. En effet, je crois déceler dans les écritures de nos contradicteurs des éléments
susceptibles de fausser la bonne compréhension du différend qui, Madame le président, Messieurs
les juges, vous est aujourd’hui soumis. Il s’agit, tout d’abord, dans leurs écrits et sous couvert de la
description des «origines du différend entre la République de Djibouti et la République française» 3,
d’une très large présentation de la procédure judiciaire suivie depuis 1995 et relative aux causes du
décès de Bernard Borrel. Il ne me paraît pas nécessaire de revenir plus amplement, à cet égard, aux
3
MD, p. 15. - 13 -
considérations que je viens d’exposer concernant le strict départ qu’il convient d’opérer entre les
procédures relevant de la compétence de juridictions internes, d’une part, et la procédure que nous
suivons actuellement devant votre Cour, d’autre part. Le demandeur a cependant, à diverses
reprises lors de ses plaidoiries orales, formulé de façon récurrente et quelque peu surprenante des
4
critiques et des jugements de valeur à l’égard des juridictions françaises , critiques sur lesquelles il
nous faudra donc revenir, mais qui s’avèrent, de façon générale, hors sujet. En effet, nous avons
noté, avec surprise, les développements d’un conseil de Djibouti contestant la compétence des
5
juridictions françaises dans d’autres affaires impliquant des ressortissants djiboutiens . Je ne pense
pas qu’il soit nécessaire de répondre longuement à c es critiques. D’une part, le demandeur se dit
6
conscient «qu’une telle question échappe» à votre compétence . D’autre part, jamais, jusqu’à
mardi dernier, les personnes mises en cause ou la Partie adverse n’avaient cru bon d’exciper de
l’incompétence du juge français. Il est vrai qu’une telle contestation n’aurait eu guère de chance de
prospérer: l’information ouverte du chef de suborna tion de témoin relève bien de la compétence
des juridictions françaises dès lors que Mme Bo rrel, ressortissante française, s’était constituée
partie civile dans cette affaire. Je relèverai donc simplement que les intéressés, conscients sans
doute de la fragilité de telles argumentations, n’ont jamais contesté la compétence de la juridiction
française saisie, non plus qu’ils n’ont fait valoir que les faits reprochés pou rraient relever de leurs
activités officielles.
21. Par ailleurs, il n’a pas échappé à la Cour que la République de Djibouti a consacré de
longs développements de son mémoire, et encore lo rs des plaidoiries de ces derniers jours, à se
justifier de sa «pleine et en tière coopération de bonne foi» dans l’exécution de différentes
7
commissions rogatoires internati onales relatives à l’affaire Borrel . Cette présentation est tout
entière orientée vers la conclu sion selon laquelle, en refusant d’exécuter la commission rogatoire
internationale délivrée par l’autorité judiciaire djiboutienne, la France aurait manqué en quelque
4
CR 2008/3, p. 10-12, par. 12-16 (Condorelli).
5
Ibid.
6 Ibid., p. 12, par. 16.
7 Voir MD, p. 17-25, par. 31-56. Voir aussi CR 2008/1, p. 16, par. 10, p. par. 13 (Doualeh) et p. 61, par. 24
(Condorelli) ; CR 2008/2, p. 29, par. 2-3 (van den Biesen). - 14 -
sorte à une obligation de réciprocité 8. En accumulant les preuves de sa bonne coopération, le
demandeur escompte établir un défaut de coopération de la part de la France et ainsi lui imputer la
violation de ses engagements internationaux. Une te lle stratégie, qui pourrait être rapprochée de la
peinture «impressionniste» pour laquelle le sentime nt de l’observateur ne résulte pas de la
figuration exacte mais davantage de la suggestion, ne saurait, à mes yeux, emporter la conviction
de la Cour.
22. Comme je vous l’ai déjà dit, je laisserai le soin à M. Ascensio de réfuter de manière
exhaustive les arguments proprement juridiques soulevés par les représentants de Djibouti,
s’agissant tant des violations alléguées du traité d’amitié et de coopération conclu en1977 entre
nos deux pays que de celles, pas davantage avérées, de la convention d’entraide judiciaire en
matière pénale de 1986. Ce faisant, je crois, Madame le président, que la présentation parfois
biaisée de notre litige qui est donnée par le demandeu r ne détournera pas la Cour de l’examen
objectif des conditions générale s auxquelles doivent répondre les demandes d’entraide, de la
procédure exacte qui doit être suivie pour y donne r une suite, et des motifs comme des formes, au
titre de la convention d’entraide de 1986, qui perm ettent aux autorités d’un pays de refuser d’y
faire droit. Un tel examen ne devrait plus laisser planer de doute sur notre plein respect de nos
obligations ainsi que sur notre bonne foi.
23. Le 19octobre1995, Bernard Borrel, magi strat français détaché en qualité de conseiller
technique du ministre de la justice de la République de Djibouti, est retrouvé sans vie non loin de la
capitale de Djibouti. Une information judiciaire est alors ouverte, à la demande du ministère
public, auprès du tribunal de grande instance de Toulouse, lieu de domiciliation de la famille
Borrel, et bien évidemment personne n’a jamais contesté la compétence des juridictions françaises
pour connaître des circonstances et des causes de la mort d’un ressortissant français. Cette
information judiciaire, initialement ouverte en «r echerche des causes de la mort», voit son objet
précisé, un an et demi plus tard, lorsque Mme Elis abeth Borrel, la veuve de Bernard Borrel, dépose
elle-même plainte. Par cette plainte, MmeBorrel se constitue partie civile dans la procédure en
cours au motif que son époux aurait été assassiné. En conséquence, la procédure est devenue une
8
MD, p. 25-30, par. 57-69. - 15 -
information contre personne inconnue ⎯ couramment appelée procédure «contre X» ⎯ visant des
faits d’assassinat commis sur la personne de Bernar d Borrel. Ce type de procédure contreX est
employé lorsque le procureur, au terme de sa pr opre enquête, n’a pas été en mesure d’identifier
avec une probabilité suffisante les auteurs de l’infraction.
24. Telle est la procédure pénale, toujours en cours à l’heure actuelle, dont la République de
Djibouti a demandé la communication du dossier su r le fondement de la convention d’entraide
judiciaire en matière pénale conclue le 27septe mbre1986 entre nos deux pays. Les véritables
«faits» du présent différend peuvent dès lors être résumés très succinctement, allant de la
délivrance d’une commission rogatoire internationale par la juge d’instruction du tribunal de
première instance de Djibouti, le 3novembre 2004, au rejet de cette demande par la juge
d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, Mme Sophie Clément, le 8 février 2005, et à
la communication, le 31mai2005, aux autorités djiboutiennes du refus d’exécuter la commission
rogatoire internationale. Nous reviendrons, ce soir et demain, pl us en détail sur chacune de ces
étapes ayant conduit, pour reprendre les termes de la requête, au «refus des autorités
gouvernementales et judiciaires françaises d’exéc uter une commission rogatoire internationale
concernant la transmission aux autorités judiciai res djiboutiennes du dossier relatif à la procédure
d’information relative à l’ Affaire contre X du chef d’assassinat sur la personne de Bernard
Borrel» 9. C’est là, en effet, l’objet même du différend qui nous occupe.
25. Permettez-moi néanmoins, Madame le président, de faire remarquer, dès à présent, que la
façon dont le demandeur présente ces différentes ét apes ne contribue pas toujours à bien en faire
comprendre la signification juridique précise.
26. En premier lieu, la Partie requérante paraît confondre différentes démarches entreprises
par ses autorités aux fins d’obtenir la comm unication du dossier de l’affaire Borrel avec la
délivrance formelle de la commission rogatoire inte rnationale par le juge d’instruction djiboutien,
qui seule peut être prise en compte conforméme nt à la convention de 1986 et conduire à l’examen
par les autorités de l’Etat requis de la demande d’entraide. Une telle commission rogatoire
internationale n’a pu en effet être émise ⎯ après que des indications furent d’ailleurs fournies aux
9
Requête, p. 4, par. 2. - 16 -
autorités djiboutiennes à cette fin ⎯, qu’une fois ouverte une informa tion judiciaire au tribunal de
grande instance de Djibouti. D’après le texte de la commission rogatoire internationale en date du
10
3 novembre 2004 , une information judiciaire a bien ét é ouverte conformément à un réquisitoire
du procureur de la République de Djibouti en date du 20octobre2004 et ce afin, non seulement,
d’ouvrir une information contre X du chef d’assassi nat sur la personne de Bernard Borrel, mais
également, je cite le mémoire, afin de «décerne r une commission rogatoire internationale aux fins
11
de demander la communication» du dossier Borrel .
27. De cette première étape, l’introduction form elle de la demande d’entraide, il me semble
que deux enseignements doivent être tirés. Tout d’abord, cela va sans dire, mais aussi beaucoup
mieux en le disant : la demande de communication du dossier ne peut être considérée comme ayant
été valablement formée avant le 3 novembre 2004. Aussi, l’insistance mise par nos contradicteurs
à souligner que des assurances auraient déjà été données par le Gouvernement français que le
dossier Borrel serait transmis à Djibouti, n’est-elle rigoureusement d’aucune portée. Sauf à
méconnaître purement et simplement les procédures d’entraide judiciaire établies par voie
conventionnelle et subordonnées au respect des législations intern
es de chaque Etat, il ne pouvait
être envisagé que le dossier soit transmis avant même que la demande en fût faite.
28. Le second point, en lien avec le précédent, qu’il importe de souligner ici, concerne
l’attitude des autorités française s précédemment à la délivrance de la commission rogatoire
internationale. Tous les éléments pertinents à la présentation de la demande d’entraide ont été
fournis aux autorités djiboutiennes, dans l’esp rit de coopération qui doit d’ailleurs toujours
prévaloir dans nos relations, et il paraît extrêmem ent paradoxal d’en tirer argument, comme le fait
la République de Djibouti, pour imputer à la France une violation de ses obligations
internationales 12. Au demeurant, bien loin de la «rupt ure unilatérale» de la coopération alléguée
par le demandeur, les étapes suivantes de la pro cédure témoignent bien au contraire de ce que la
France s’est pliée à ses obligations.
10
MD, annexe 20, p. 131.
11
Ibid.
12MD, p. 40, par. 100. - 17 -
29. La seconde étape, décisive au regard du di fférend qui vous est soum is, consiste dans la
procédure ayant mené à la décision de la juge d’instruction, le 8 février 2005, de rejeter la demande
de communication du dossier de l’affaire Borrel. Sans empiéter sur les explications qui vous seront
données plus tard par le professeur Hervé Ascensio, je voudrais tout d’abord attirer l’attention de la
Cour sur le délai raisonnable de trois mois dans lequel la demande d’entraide a pu être examinée
par la juge d’instruction chargé de l’affaire Borre l. Par ailleurs, et quel que soit le tableau que
voudrait dresser la Partie adverse, laissant accroire que la demande aurait pu être immédiatement
satisfaite, il ne pouvait faire de doute qu’une telle demande d’une part nécessitait l’intervention du
juge d’instruction disposant du dossier et, d’autr e part, pouvait soulever des difficultés au regard
des intérêts essentiels de la nation compte tenu des pièces classifiées que comporte le dossier
d’instruction. Le demandeur ne pouvait ignorer aucun de ces deux paramètres, dont il a d’ailleurs
été averti. En tout état de cause, il ne peut faire de doute qu’en refusant de transmettre le dossier de
l’affaire Borrel, les autorités françaises n’ont commis aucune viol ation de la convention de 1986
qui prévoit, dès l’article 2, que, je cite :
«L’entraide judiciaire pourra être refusée :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
c) si l’Etat requis estime que l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte
à sa souveraineté, sa sécurité, à son ordr e public ou à d’autres de ses intérêts
essentiels.»
30. Le droit de refuser, à certaines conditi ons, de communiquer le dossier paraît ainsi
clairement incontestable au regard de la conven tion de 1986 et le demandeur n’a pas renouvelé
oralement l’idée contraire qu’il avait suggéré tout au long de ses pièces écrites. Par un
raisonnement nouveau par rapport à la requête co mme au mémoire, les demandeurs soutiennent
maintenant, de façon surprenante, que la lettr e du 27janvier2005 du directeur de cabinet du
ministre de la justice constituait en réalité la réponse ⎯ positive ⎯ à la commission rogatoire
internationale. M.HervéAscensio reviendra plus longuement sur ce nouvel argument en vous
exposant la procédure interne applicable à l’ex amen d’une demande d’entraide et le rôle
incontournable du juge d’instruction, dans l’affaire qui nous occupe, pour décider de la
transmission ou non du dossier dont il a la charge. - 18 -
31. Le demandeur ne peut pas davantage étab lir un manquement des autorités françaises lors
de la troisième étape de la procédure. Ici en core le raisonnement de Djibouti n’est pas exempt
d’imprécisions: l’Etat requérant argue d’une part que la demande d’entraide ne pouvait en aucun
cas être refusée mais allègue d’autre part et si multanément que les autorités françaises ont violé
leur obligation de motivation de tout refus d’entraide judiciaire.
32. Les éléments abondent qui tous témoignent de la parfaite inform ation dont ont disposé
les autorités djiboutiennes sur le motif d’un tel refus. Formellement, dans une lettre datée du
31 mai 2005, le directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère français de la justice a
informé l’ambassadeur de Djibouti en France de la décision du juge d’instruction, en se référant
notamment à l’article 2, litt. c), de la convention autorisant le refus d’entraide judiciaire. Il est vrai
que la République de Djibouti explique aujourd’hui ne jamais avoir reçu une telle lettre. Une telle
affirmation ne manque toutefois pas de surprendr e lorsqu’on lit dans la re quête du 9janvier2006
que «le juge d’instruction refuse la transmission du dossier Borrel aux autorités judiciaires
djiboutiennes au motif que «la transmission de ce dossier est contraire aux intérêts fondamentaux
de la France» 13. Cette seule indication pourrait suffire à discréditer les allégations d’ignorance de
la Partie adverse. Toutefois, la République française ne manquera pas dans la suite de ces
plaidoiries de présenter à la Cour l’ensemble des éléments attestant de la parfaite information de la
République de Djibouti quant au motif du rejet de sa demande de communication du dossier de
l’affaire Borrel.
33. Madame le président, le différend qui vous est soumis peut se résumer, factuellement,
aux trois étapes que je viens d’évoquer. Dès lors , aucune difficulté ne devrait se poser pour en
cerner les limites. Pourtant, les plaidoiries de nos contradicteurs ⎯ et nous l’indiquions déjà dans
nos écritures ⎯ excèdent largement ces limites. Ceci m’amène au second point pour lequel
j’estime important de préciser l’objet exact du différend qui vous a été soumis, et sur lequel je
pourrai être plus brève.
13
Requête, p. 10, par. 13. - 19 -
2. Les limites de l’objet du différend
34. A vrai dire, le flou entretenu sur l’obje t précis et nettement circonscrit du différend qui
nous oppose ne porterait nullement à conséquence s’il suffisait d’apporter quelques observations et
clarifications complémentaires. Il suffirait même de s’en remettre aux termes très clairs de la
requête djiboutienne. Surtout, l’examen proprement juridique des allégations de l’Etat requérant
devrait suffire à en montrer les nombreuses faiblesses. Il était néanmoins important, à mes yeux,
de rappeler que mon gouvernement n’a pas accepté de soumettre à l’appréciation de la Cour
l’ensemble de la procédure suivie dans l’affaireBorrel, ni à fo rtiori d’autres procédures pénales
internes, ce qu’au demeurant il n’était pas en position de faire eu égard tant aux limites statutaires
de votre compétence qu’au principe de l’indépenda nce de l’autorité judiciaire inscrit dans notre
Constitution. Il est vrai que l’agent de la Répub lique de Djibouti a cru devoir s’interroger : faut-il
14
parler de «l’affaire Borrel» au singulier ou «des affaires Borrel» ? Je rappelle que derrière les
aspects juridiques de ce dossier, il s’agit de l’assas sinat d’un homme et de la souffrance d’une
famille et qu’il convient devant votre Cour de s’en tenir au seul et unique dossier relatif à cet
assassinat : celui instruit près le tribunal de grande instance de Paris et dont la communication a été
demandée par les autorités judiciaires djiboutiennes.
35. Quoi qu’il en soit des opinions de la Partie adverse quant au déroulement des
investigations criminelles, sans pertinence ici, il serait en revanche contraire au consentement
donné par mon gouvernement, d’en élargir indûment la portée en s’appuyant sur la formulation de
demandes qui sont sans lien avec l’objet du différe nd, comme tente de le faire le demandeur.
Au-delà, ce ne serait pas seulement le consentement donné par la France en l’espèce qui serait en
jeu mais également l’attractivité de l’article38, paragraphe 5, du Règlement de la Cour qui serait
remise en cause si l’interprétation du consenteme nt donné à la compétence de la Cour sur le
fondement de cet article s’écartait des termes mêmes de l’acceptation.
36. Il en va ainsi des conclusions du demande ur relatives à de prétendues violations par les
autorités françaises de leurs obligations de prévenir les atteintes à la personne, à la liberté ou à la
dignité d’une personne jouissant d’une protection internationale. Ces conclusions, à peine étayées
en fait dans la requête par la me ntion des convocations du chef de l’Etat djiboutien, du chef de la
14
CR 2008/1, p. 17, par. 12 (Doualeh). - 20 -
sécurité nationale et du procureur de la République pour être entendus devant des juges français,
sont à l’évidence dépourvues de lien avec le fait de savoir si les autorités françaises ont pu, au
regard des règles gouvernant l’entraide judiciaire entre la France et Djibouti, refuser de
15
communiquer le dossier de l’informati on judiciaire dans l’affaire Borrel . En développant son
argumentation relative à de telles conclusions dans son mémoire 16 et, plus encore, dans ses
17
plaidoiries , le demandeur n’est pourtant pas parvenu à justifier leur inclusion dans le présent
litige.
37. Sur ce point, comme nous avons eu l’occasion de le souligner dans notre
contre-mémoire 18, il convient pourtant de lire exactement les termes de la lettre du ministre
français des affaires étrangères par laquelle votre co mpétence a été reconnue. Celui-ci a pris soin
d’ajouter au fait que la République française accepta it la compétence de la Cour pour connaître de
la requête, qu’une telle acceptation ne valait que, «pour le diffé rend qui fait l’objet de la requête et
19
dans les strictes limites des demandes formulé es dans celle-ci par la République de Djibouti» .
Or, si certaines des demandes relatives aux atteint es aux immunités du président de la République
de Djibouti ou d’autres personnalités officielles fi gurent incontestablement dans la requête, elles
sont manifestement dénuées de tout lien avec l’ objet du différend, sauf à considérer, une fois
encore, que le demandeur cherche à remettre en cause, ensemble, la procédure relative aux causes
du décès de BernardBorrel et les autres procédures qui lui sont connexes et que tel est là le
véritable objet du différend ⎯mais ce n’est ce qui ressort ni de la description de «l’objet de la
requête» par la requête elle-même, ni de ce que la République française a accepté.
38. Le professeurAlainPellet démontrera, avec t out le talent qui est le sien, qu’une telle
conception extensive de la compétence conférée à votre Cour dans la présente instance ne peut être
admise au regard des règles et principes gouvernant la compétence de votre haute juridiction. D’un
point de vue plus général, il est toutefois symptomatique de constater comment, en additionnant des
allégations sans rapport avec la question d’entraide qui devrait seule nous occuper, le demandeur
15Requête, p. 10, par. 13.
16
Voir MD, p. 13, par. 14.
17
CR 2008/1, p. 30, par. 22 (Condorelli).
18CMF, p. 11-16, par. 2.13.-2.26.
19MD, annexes, p. 13, annexe 2 ; les italiques sont de nous. - 21 -
tend à accréditer l’idée d’une brusque «rupture unila térale de la confian ce réciproque et de la
20
coopération» ⎯ce sont ses termes ⎯ attribuable aux autorités françaises. Si la France déplore
évidemment que l’on ait pu parfois prêter à l’Etat français l’objectif de «déstabiliser un pays», en
21
l’occurrence Djibouti , comme cela est dit dans sa requête, et que l’on ait pu penser que la
confiance et la coopération entre la République française et la République de Djibouti étaient
rompues, de telles affirmations n’établissent nullement que la France a refusé d’exécuter une
commission rogatoire internationale en violation de ses obligations internationales et, en premier
lieu, de la convention bilatérale d’entraide de 1986.
39. Dans le souci de ne laisser aucune des allégations du demandeur sans réponse, nous
prendrons toutefois soin, dans la suite de nos pl aidoiries, d’examiner les faits que Djibouti a cru
bon de porter à la connaissance de la Cour, allant même parfois au-delà des limites ratione
temporis du consentement donné par la France à la juridiction de la Cour. Nous reviendrons en
particulier sur les différentes allégations du de mandeur selon lesquelles nous aurions, à plusieurs
reprises, porté atteinte, ou manqué, à notre devoir de prévenir les atteintes à la personne, à la liberté
ou à la dignité d’une personne jouissant d’une protection internationale. Nous reviendrons ainsi sur
les différents actes pris dans le cours de procé dures pénales, tels que les invitations à déposer
adressées au chef de l’Etat djiboutien, et la convocation comme témoins assistés de personnalités
officielles djiboutiennes. Nous montrerons que ces actes :
⎯ soit ne sont nullement de nature à porter atte inte aux immunités dont jouit, personne ne le
conteste, le président de la République de Djibouti,
⎯ soit ne peuvent en tout état de cause constituer la violation alléguée du droit international dès
lors que les personnes visées ne bénéficient pas, et cela n’est guère contestable, d’immunités en
vertu du droit international.
40. C’est donc à des fins d’exhaustivité ⎯ bien que parfois uniquement à titre subsidiaire ⎯
que l’ensemble des allégations soulevées par l’Etat requérant feront l’objet d’une réfutation précise
au cours de nos plaidoiries. Aussi, compte tenu de la démarche djiboutienne visant à une
généralisation du différend à un ensemble de procédures judiciaires liées à l’affaire Borrel, paraît-il
20
MD, p. 25.
21Requête, p. 10, par. 11. - 22 -
utile, dans un souci de clarté à l’égard de la C our, de récapituler brièvement les procédures dont il
sera fait mention d’ici la fin de notre premier tour de plaidoiries.
Rappel des procédures pénales en cours
41. Madame le président, je n’ai guère besoin de m’appesantir sur la seule procédure pénale
en cause dans le différend qui doit nous occuper. Le demandeur a consacré déjà de longs
22
développements au déroulement de cette procédure dans son mémoire , y compris en donnant à la
Cour maints détails concernant les investigations judiciaires menées sur le fond de cette affaire. Le
demandeur a également produit, au nombre des documents additionnels présentés le
21novembre2007, certaines pièces sa ns grande utilité dans le diffé rend qui nous occupe. Il ne
nous a guère paru pertinent, dans nos pièces écrites, de nous étendre au-delà du strict nécessaire sur
la chronologie de cette procédure. Et je ne re viendrai pas, à l’heure des plaidoiries orales, sur
23
celle-ci ; les éléments pertinents figurent dans notre contre-mémoire . J’ai exposé en outre devant
vous, il y a quelques instants, les différentes étapes de la procédure d’entraide judiciaire ayant
conduit au refus de communiquer le dossier de cette affaire aux autorités judiciaires djiboutiennes.
Il convient uniquement de rappeler ici que les deux invitations à déposer comme témoin (et non pas
24
comme témoin assisté, comme l’a finalement concédé Djibouti à l’audience) , adressées en 2005
et en 2007 à M. Ismaël Omar Guelleh, président de la République de Djibouti, l’ont été par la juge
d’instruction chargée de l’affaire Borrel et dans le cadre de son information. Ces deux invitations,
comme il sera démontré, n’entrent pas dans l’objet du différend porté devant votre Cour.
42. Différentes autres informations judiciair es ouvertes devant des juridictions françaises
doivent par ailleurs être mentionnées, dans la mesure où il y sera fait référence dans la suite de nos
plaidoiries. Ainsi, les convocations comme témoins assistés, puis les mandats d’arrêt délivrés à
l’encontre du procureur de la République et du chef de la sécurité nationale de Djibouti relèvent-ils
d’une information judiciaire distincte conduite par un juge d’instruction près le tribunal de grande
instance de Versailles pour des faits de subornati on de témoins. Les mandats d’arrêt ont été
décernés le 27 septembre 2006 par la chambre d’instru ction de la cour d’appel de Versailles, après
22
MD, p. 15-25, par. 20-56.
23
CMF, p. 4, par. 1.3-1.5.
24CR 2008/1, p. 37, par. 13 (Van den Biesen). - 23 -
que les deux intéressés eurent refusé de déférer à une première convocati on en qualité de témoins
assistés dans cette affaire. Le procès doit s’ouvrir devant le tribunal correctionnel de Versailles à
compter du 13mars prochain, offrant d’ailleurs, je le signale en passant, une nouvelle possibilité
aux personnes mises en cause de faire un plein usage des droits de la défense qui leur sont reconnus
devant les juridictions françaises. Mais, devant votre Cour, et tout en n’ayant aucun doute sur le
fait que, dans l’exercice normal de leurs fonctions, les intéressés ne peuvent prétendre au bénéfice
d’immunités quelconques au regard du droit international, nous nous attacherons avant tout à
souligner que les mandats d’arrêts incriminés par Djibouti excèdent la compétence ratione temporis
de la Cour dans la présente affaire en ce qu’ils sont postérieurs à l’acceptation de la requête de
Djibouti par la France. A cet égard, nous ne pouvons qu’être préoccupés à l’idée que la
République de Djibouti puisse voir, dans toute procédure liée de près ou de loin à l’affaire Borrel et
qui mettrait en cause à l’avenir des ressortissants djiboutiens, le «réceptacle», selon le mot de
l’agent de Djibouti 25, de nouvelles prétendues violations du droit international.
43. Par ailleurs, une procédure, désormais cl ose sur un non-lieu, était menée près le tribunal
de grande instance de Toulouse, à la suite d’une plainte de MmeElisabethBorrel du chef de
diffamation publique à raison d’un article publié dans le journal djiboutien La Nation. C’est au
cours de cette information que l’ambassadeur de Djibouti en France fut invité à témoigner, le
21 décembre 2004, comme cela a été mentionné dans le mémoire du demandeur. Bien qu’elle ne
soit pas visée expressément dans les conclusions de ce dernier, nous formulerons de brèves
observations au sujet d’une telle invitation à témoigner en aucun cas attentatoire aux immunités
dont jouit l’ambassadeur de Djibouti en France.
44. Comme nous l’indiquions dans notre c ontre-mémoire, une qua trième information
judiciaire doit être mentionnée. Ouverte, à la suite d’une plainte de Mme Elisabeth Borrel du chef
de «commentaire tendant à exercer des pressions en vue d’influencer la décision d’une juridiction
d’instruction ou de jugement», cette procédur e concerne une déclaration du porte-parole du
ministère des affaires étrangères en date du 29janvier2005 relative au souhait de Djibouti
d’obtenir copie du dossier d’inst ruction de l’affaire Borrel. Cette procédure a notamment donné
25
CR 2008/1, p. 17, par. 12 (Doualeh). - 24 -
lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 19 octobre 2006 confirmant la compétence du juge
d’instruction aux fins de décide r de la transmission ou non d’un dossier d’instruction en réponse à
une commission rogatoire internationale 26.
45. Pour conclure, je voudrais faire quelques très brèves remarques :
⎯ Je ne peux que partager avec les demandeurs l’ affirmation selon laquelle tout Etat, quel qu’il
soit, doit respecter les obligations qui s’imposent à lui en droit international, la France comme
Djibouti, Djibouti comme la France. De mê me, tout Etat se doit d’avoir une justice
indépendante et ceci, je crois, n’est remis en cause ou mis en doute par aucune des Parties
devant votre Cour. La France, respectueuse d’ un tel principe, ne saurait évidemment en tirer
parti pour s’exonérer de ses obligations internati onales, mais je ne veux pas croire que la
République de Djibouti nous demande de réduire à néant un tel principe au mépris de notre
convention bilatérale d’entraide judiciaire et en méconnaissance totale des procédures prévues
par notre législation nationale à laquelle la convention renvoie.
⎯ Je relève en revanche, avec surprise et regret , que l’agent du Gouvernement de la République
de Djibouti a soutenu que la République française ne respecterait pas le principe d’égalité entre
Etats. Je répondrai simplement que la présence conjointe de nos deux Etats aujourd’hui devant
votre Cour en est le parfait démenti.
⎯ Je voudrais enfin constater avec vous la curieuse attitude des conseils de Djibouti et qui a
consisté, sur chacun des points qu’ils soulèvent, à adopter une argumentation en décalage, pour
ne pas dire plus, avec le raisonnement tenu pr écédemment dans leur mémoire, et ceci alors
même que la République de Djibouti était lib re, après avoir pris connaissance de notre
contre-mémoire, de demander un second échange de pièces écrites. Cette attitude, confirmée
par la révision substantielle des conclusions fina les du demandeur, peut être illustrée à l’aide
des trois exemples suivants :
1) S’agissant de la compétence de la Cour et al ors même que Djibouti para issait, dans sa requête,
réduire l’objet du différend à la seule question du refus de transmission du dossier de l’affaire
Borrel, nos contradicteurs démultiplient cette affaire, soumettant potentiellement à votre Cour
26
CMF, annexe XI. - 25 -
tout développement futur de procédures j udiciaires présentant un lien quelconque de
rattachement avec Djibouti. C’est là, il me semble, une singulière approche lorsque l’on entend
initialement se fonder sur la procédure nettement circonscrite de l’article 38, paragraphe5, du
Règlement de la Cour.
2) Ensuite, s’agissant des demandes excédant manifestement la compétence de la Cour, le
demandeur, soucieux dans son mé moire de défendre une immunité absolue et personnelle du
procureur de la République et du chef de la sécurité nationale, paraît désormais se retrancher
derrière l’immunité de l’Etat.
3) Enfin, s’agissant du cŒur du différend qui doit nous occuper, la République de Djibouti
soutenait initialement, contre toute évidence, que la France n’était pas en droit de refuser
d’exécuter la commission rogatoire internationa le émanant de la République de Djibouti.
Toutefois, à l’issue de son premier tour de pl aidoiries, le demandeur, sans doute peu sûr de son
bon droit, soutient désormais que la France aurait accepté d’exécuter la commission rogatoire
avant de se rétracter. Mais quels que soient les divers scenarii très changeants ainsi avancés par
le demandeur, la procédure d’entraide judiciaire ayant conduit au refus de transmettre le dossier
a été parfaitement conforme tant à notre lé gislation interne qu’aux prescriptions de la
convention de 1986.
46. J’achèverai mon exposé, Madame le président, Messieurs de la Cour, en vous remerciant
pour l’attention que vous avez bien voulu y porter . Après moi prendront successivement la parole,
si vous le voulez bien, M. le professeur Alain Pellet, qui vous exposera nos observations
concernant la compétence de la Cour et la recev abilité de la requête de la République de Djibouti
dans la présente instance et M. le professeur HervéAscensio qui abordera le fond du différend
soumis à votre Cour. M.Pellet reprendra la parole demain sur les prétendues atteintes aux
immunités des représentants de Djibouti ainsi que sur les demandes de réparation formulées par le
demandeur.
47. Je vous prie de bien vouloir donner mainte nant la parole au professeur Alain Pellet et je
vous remercie. - 26 -
Le PRESIDENT : Je vous remercie Madame Be lliard et Monsieur le professeur Pellet, vous
avez la parole.
M. PELLET : Merci beaucoup Madame.
A PROPOS DE QUELQUES QUESTIONS RELATIVES À LA COMPÉTENCE DE LA C OUR
ET À LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
1. Madame le président, Messieurs les juges, même lorsque l’on a le privilège d’être un
habitué de votre prétoire, plaider pour son propre pays est toujours un peu spécial, un peu
«émouvant» et un peu «stressant» peut-être. Et ce l’est tout spécialement lorsque l’affaire en cause
soulève, comme c’est le cas de celle-ci, des problèmes juridiques et moraux importants.
2. C’est d’ailleurs en partie parce qu’elle ne voulait pas laisser planer le doute sur les
véritables tenants et aboutissants de l’affaire ⎯que Mme Belliard vient de rappeler ⎯ que la
France a, pour la seconde fois, accepté de se pr ésenter devant vous sur le seul fondement de
l’article38, paragraphe5, du Règlement de la Cour. Ce faisant, elle a voulu vous permettre,
Madame et Messieurs les juges, de connaître de l’affaire que la Républi que de Djibouti vous a
soumise par sa requête introductive d’instance du 4janvier2006. De cette affaire, mais d’elle
seule.
3. Or, ce qui nous soucie un peu c’est que nos adversaires, tout en se disant conscients que
«l’étendue ratione materiae de la compétence de la Cour est rigoureusement limitée» 27, tentent
d’élargir celle-ci au-delà du consentement donné par la France à l’exercice de votre juridiction.
Comme l’a souligné la Cour permanente, «c’est la requête qui indique l’objet du différend; le
mémoire, tout en pouvant éclaircir les termes de la requête, ne peut pas dép asser les limites de la
demande qu’elle contient» ( Administration du prince von Pless (exception préliminaire),
o
ordonnance du 4 juillet 1933, C.P.J.I. série A/B n 52, p. 14) ; et cela vaut à fortiori s’agissant de la
phase orale. Tout en se référant à cette jurisprudence 2, le demandeur n’en élargit pas moins cet
objet, subrepticement mais clairement.
27
MD, p. 13, par. 18.
2Voir CR 2008/1, p. 24, par. 9 (Condorelli). - 27 -
4. Celui-ci, je me permets de le rappeler, résu lte de la lettre du ministre français des affaires
29
étrangères au greffier de la Cour en date du 25 juillet 2006 ⎯cette lettre figure dans le petit
dossier que nous avons préparé, à la fois en françai s et en anglais, dans sa traduction anglaise, sous
l’onglet «compétence». Il y est dit très expressément :
«La présente acceptation de la compétence de la Cour ne vaut qu’aux fins de
l’affaire, au sens de l’article 38, paragraphe 5 [du Règlement de la Cour], c’est-à-dire
pour le différend qui fait l’objet de la requête et dans les strictes limites des demandes
formulées dans celle-ci par la République de Djibouti.» 30
Il est difficile d’être plus clair.
5. Je ne pense pas, Madame le président, qu’il soit utile de m’appesantir sur le principe
fondamental qui gouverne la juridiction de la Cour , fondée sur le consentement des Etats en litige.
Comme elle l’a répété à l’envi, «[l]a Cour ne peut exercer sa juridiction à l’égard d’un Etat si ce
n’est avec le consentement de ce dernier» 31 (Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France,
Royaume-Uni et Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil1954 , p. 32). Cette règle cardinale
est, évidemment, d’application générale, mais sa mise en Œuvre stricte s’impose de manière
d’autant plus pressante que nous sommes dans l’ hypothèse de l’article38, paragraphe5, du
Règlement. On ne peut pas dire que cette dis position ait recueilli, jusqu’à présent, la faveur des
Etats et une interprétation laxiste du principe du consensualisme ne manquerait pas de décourager
les bonnes volontés.
6. Il va de soi que ce n’est pas parce que Djibouti a cru pouvoir se réserver «le droit de
modifier et de compléter» sa requête ⎯conformément à une très mauvaise habitude prise par les
Etats qui vous saisissent ⎯ que la France doit être réputée avoir donné par avance son
29
MD, annexe 2.
30Les italiques et le soulignement sont de nous.
31Voir aussi, par exemple, Droits de minorités en Haute-Silésie (écoles minoritaires), arrêt n 12, 1928, C.P.J.I.
série A n 15, p. 22 ; Usine de Chorzów, fond, arrêt n o13, 1928, C.P. J.I. sérieA no17, p. 37-38 ; Interprétation des
traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950,
p. 71; Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c.Iran), excep tion préliminaire, arrêt, C.I.J.Recueil1952 , p. 102-103 ;
Ambatielos (Grèce c.Royaume-Uni), fond, arrêt, C.I.J.Recueil1953 , p. 19 ; Plateau continental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J.Recueil1984 , p. 22, par. 34 ; Certaines terres à phosphates à
Nauru (Nauru c.Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1992 , p. 260, par. 53 ; Timor oriental
(Portugal c.Australie), arrêt, C.I.J.Recueil1995 , p.101, par.26; Frontière terrestre et mar itime entre le Cameroun et
le Nigéria (Cameroun c.Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1998 , p.312, par.79; Plates-formes
pétrolières (République islamique d’Iran c.Etat s-Unis d’Amérique), fond, C.I.J.Recueil2003 , p. 183, par. 42 ; Activités
armées sur le territoire du Congo ( nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c.Rwanda),
compétence de la Cour et recevabilité de la requête, C.I.J. Recueil 2006, p. 31-32, par. 64 et 65, p. 39, par. 88 et p. 51-52,
par. 125. - 28 -
consentement à une extension de votre compétence qui résulterait d’un élargissement des demandes
de l’Etat requérant. Elle l’a d onné pour l’affaire, telle qu’elle a été présentée dans la requête, et
certainement pas telle que Djibouti en viendrait à la modifier conformément au «droit» (mais je
mets le mot entre guillemets) qu’elle s’est «réservé».
7. Et il ne peut faire aucun doute que les conclusions finales dont son agent a eu la courtoisie
32
de nous donner la primeur mardi élargissent considérablement, quoique ses adroits conseils en
disent, l’objet de la présente affaire. Pour des raisons de principe, la France ne saurait l’admettre.
8. Ces tentatives d’élargissement rampant de la juridiction de la Cour concernent ou ont
concerné la base même de sa compétence et l’objet du différend, à la fois ratione materiae et
ratione temporis.
9. Je me bornerai, pour l’essentiel, à l’examen de ces deux derniers poi nts, puisque, par la
voix de l’un de ses avocats, la République de Djibouti a fait savoir, lundi dernier, d’une manière
qui se disait claire mais qui m’a paru un peu c ontournée, qu’elle maintenait «fermement son point
de vue» sur la possibilité d’autres fondements à la compétence de la Cour en la présente affaire,
33
tout en préférant «ne pas insister maintenant sur cet aspect» . Ceci,
⎯ après que, au paragraphe 23 de sa requête, Djibouti a indiqué se réserver le droit ⎯ nos
adversaires se réservent beaucoup de droits ⎯ «d’avoir recours à la procédure de règlement
des différends prévue par les conventions en vigueur entre elle-même et la République
française, telle la convention sur la préventi on et la répression des infractions contre les
personnes jouissant d’une protection internationale du 14 décembre 1973» ;
⎯ et, après que, dans son mémoire, Djibouti a tenu «à déclarer formellement qu’elle se
réserve … le droit [encore !] d’invoquer le cas échéant d’autres instruments internationaux liant
les Parties qui seraient eux aussi pertinents pour fonder la compétence de la Cour aux fins du
présent différend» 34, mais sans, cette fois, mentionner la convention de 1973, et je le
comprends.
32CR 2008/3, p. 36-37 (Doualeh).
33
CR 2008/1, p. 21, par. 4 (Condorelli) ; voir aussi p. 29, par. 20.
34MD, p. 13, par. 15. - 29 -
10. En effet, aux termes de son article 2, cette convention c oncerne (exclusivement) les faits
intentionnels :
«a) de commettre un meurtre, un enlèvement ou une autre attaque contre la personne
ou la liberté d’une personne jouissant d’une protection internationale ;
b) de commettre, en recourant à la violence, contre les locaux officiels, le logement
privé ou les moyens de transport d’ une personne jouissant d’une protection
internationale une attaque de nature à mettre sa personne ou sa liberté en
danger…»,
et la menace ou la tentative de commettre ces actes ou le fait d’y participer en tant que complice.
11. Il n’est ni «plausible» (voir, Ambatielos (Grèce c.Royaume-Uni), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1953, p.18), ni, d’ailleurs, allégué, que so it en cause l’intention de commettre un
meurtre contre un officiel djiboutien ou une attaque mettant en danger une personne protégée par la
convention. Et il est tout à fait évident que les faits de la présente affair e n’entrent pas dans ses
«prévisions» (voir, Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran cE . tats-Unis
d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J.Recueil1996(II) , p.810, par.16, et p.820,
par.53; voir aussi l’opinion individuelle de Mme Higgins, ibid., p.847 et suiv.). Au surplus, la
clause juridictionnelle de l’article13 de la c onvention de 1973, que Djibouti a citée dans sa
35
requête , impose des préalables à la saisine de la Cour qui, d’évidence, ne sont pas réalisés en
l’espèce : des négociations au sujet d’un différend en tre les parties «concernant l’interprétation ou
l’application de la…convention» ⎯qui n’a jamais été fût-ce évoquée entre la France et
Djibouti ⎯ et l’échec d’une demande d’arbitrage, que l’Etat demandeur n’a, bien sûr, jamais
formulée.
12. Quant à d’hypothétiques autres traités inno mmés qui pourraient établir la compétence de
36
la Cour dans la présente affaire, comme la France l’a indiqué dans son contre-mémoire , de deux
choses l’une: ou bien ces traités (pour l’instant toujours mystérieux) n’ajoutent rien à la
compétence de la Cour de céans et on voit mal à quoi leur invocation avancerait Djibouti, ou bien
35
Ibid., par. 23.
36CMF, p. 10, par. 2.7. - 30 -
ils lui permettraient d’élargir la compétence de la haute juridiction et les conclusions
supplémentaires formulées sur cette base ne sauraient être recevables à ce stade 37.
13. L’évocation d’autres bases de compétence que le consentement donné par la France dans
le contexte de l’article38, para graphe5, du Règlement est tellement fantaisiste, que l’on peut se
demander pourquoi les conseils de Djibouti ont, cependant, éprouvé le besoin de s’y livrer avant de
faire, à demi-mot, machine arrière au début de la procédure orale. La réponse est peut-être donnée
par les prétentions finales de la demanderesse qui, quoiqu’elle en ait dit en plaidoiries, vont au-delà
des demandes formulées dans sa requête dans le cadre de l’objet du différe nd, tel que celle-ci le
définit. C’est cette tentative d’élargissement de l’objet du différend soumis à la Cour que je me
propose d’aborder maintenant en distinguant, co mme je l’ai dit, les chefs d’incompétence ratione
materiae, d’une part, ratione temporis d’autre part. Mais auparavant, quelques mots sur les
principes applicables.
1. Le principe fondamental : l’Etat demandeur ne saurait élargir l’objet du différend
14. Quel que soit le titre de compétence invoqué par la Partie demanderesse, le principe
fondamental est clair et fermement établi : l’Etat demandeur ne saura it élargir l’objet du différend.
Dans la présente instance, cet objet est décrit de la manière suivante dans la requête de Djibouti et
ce petit passage figure lui aussi dans votre dossier :
«L’objet du différend porte sur le refus des autorités gouvernementales et
judiciaires françaises d’exécuter une commission rogatoire internationale concernant
la transmission aux autorités judiciaires djiboutiennes du dossier relatif à la procédure
d’information relative à l’ Affaire contre X du chef d’assassinat sur la personne de
Bernard Borrel et ce, en violation de la conventio n d’entraide judiciaire en matière
pénale entre le Gouvernement de République de Djibouti et le Gouvernement de la
République française du 27septembre1986, ainsi qu’en violation [et je vous
demande, Madame et Messieurs les juges, de garder ces mots en mémoire] d’autres
obligations internationales pesant sur la République française envers la République de
Djibouti.» 38
37Voir, Administration du prince von Pless, ordonnance du 4février1933, C.P. J.I. sérieA/B no52, p.14;
Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. sérieA/B n78, p. 173 ; Certains emprunts norvégiens (France
c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 25 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrê t, C.I.J. Recueil 1984, p.427, par.28; Certaines
terres à phosphates à Nauru (Nauru c.Australie), excep tions préliminaires, a rrêt, C.I.J. Recueil 1992, p.266-267,
par. 67-70 ; Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000, p. 33,
par. 49.
38Requête, par. 2. - 31 -
15. Lors de sa plaidoirie de lundi dernier, le professeur Condorelli a admis que l’«on peut
sans doute…reprocher à la requête de Djibouti une formulation imparfaite pour ce qui est des
lignes figurant sous la rubrique «objet du diffé rend», puisque ces lignes se bornent à évoquer «le
refus des autorités gouvernementales et judiciaires françaises d’exécuter une commission rogatoire,
etc.»». Et il a concédé qu’«[i]l est vrai, en effet, qu’il n’y est pas fait référence aux atteintes aux
immunités, privilèges et prérogatives du chef de l’ Etat djiboutien et d’autres hauts responsables du
demandeur» 3.
16. Or, Madame le président, contrairement à ce que la Partie adverse s’emploie à faire
croire, cette limitation de l’objet du différend par la requête au refus d’exécution de la commission
rogatoire internationale du 3 novembre 2004, n’est en aucune manière une simple maladresse
relevant d’une inadvertance :
⎯ en premier lieu, il serait peut-être possible d’admettre la thèse de la maladresse si elle s’était
produite une fois ; mais ce n’est pas le cas : défini comme je l’ai dit, dans la requête, l’objet du
différend est reproduit, presque à l’identique, da ns le mémoire et cité à nouveau, cette fois
entre guillemets et sans changement, dans l’introduction, par M. l’agent de la République
40
Djibouti, des plaidoiries de ce pays lundi dernier ⎯ errare humanum est, sed perseverare… ;
la République de Djibouti persévère dans ce que son conseil appelle une «maladresse», alors
même qu’elle s’en est visiblement aperçue ;
⎯ en second lieu en effet, elle persévère «presque » mais pas complètement, en ce sens qu’elle
tente de rattraper ce qu’elle pense, ex post, avoir été une erreur dans la définition de l’objet de
la requête, car son mémoire introduit deux petits mots nouveaux dans la définition de l’objet du
différend ; il y est dit ⎯ je lis la formulation du mémoire, ma is en la résumant dans la mesure
où son libellé est identique à celui du passage correspondant de la requête et je signale que les
deux définitions de l’objet du litige par Djibouti dans sa requête d’abor d, dans son mémoire
ensuite sont reproduites dans le dossier des juges sur une page unique. Ceci vous permettra
plus facilement, Madame et Messieurs les juges, de chercher l’erreur :
39
CR 2008/1, 21 janvier 2008, p. 26, par. 15 (M. Condorelli).
40CR 2008/1, p. 10. - 32 -
«L’objet du différend porte sur le re fus des autorités… françaises d’exécuter
une commission rogatoire internationale c oncernant la transmission…aux autorités
judiciaires djiboutiennes du dossier relatif à… l’«Affaire contre X du chef
d’assassinat sur la personne de Bernard Borrel» , et ce en violation de la convention
d’entraide judiciaire [… de] 1986, ainsi que» ⎯ et c’est là qu’interviennent les deux
mots nouveaux : « sur la violation connexe [«sur la violation connexe» au lieu de «en
violation»] d’autres obligations internati onales pesant sur la République française
envers la République de Djibouti.» 41
17. C’est que, entre-temps, la France avait accep té la compétence de la Cour en précisant
«pour le différend qui fait l’objet de la requête » , et la rencontre de la requête (qui définit son
objet) et de l’acceptation de cet objet par la Fran ce noue le contentieux et constitue à la fois le
fondement et la limite de la compétence de la Cour ⎯ ce que, du reste, la République de Djibouti
semble admettre 43. Dès lors, il n’était pas (et il n’est pas) loisible au demandeur de modifier l’objet
de sa requête. Le mémoire de Djibouti s’efforce clairement, même si subtilement, d’élargir cet
objet, tel qu’il est défini au paragraphe2 de celle-ci, en amorçant une extension à d’autres
violations que celle qui serait constituée par le refus de donner suite à la commission rogatoire
internationale de novembre 2004 ; et l’on prétend maintenant que ces violations sont «connexes» et
sont «de trois types» 44.
18. Cette commission rogatoire internationale ⎯dont le refus constitue le seul objet du
différend soumis à la Cour par Djibouti ⎯ fait suite à la demande de transmission des «éléments du
45
dossier Borrel instruit au cabinet de Mme la vice-présidente Sophie Clément» présentée par le
procureur de la République de Djibouti, très présent dans cette affaire, le 17 juin 2004. Cette
commission rogatoire internationale a été forme llement délivrée (avec l’assistance des autorités
46
françaises), le 3 novembre 2004 .
19. C’est donc le refus des autorités de la République de donner suite à cette commission
rogatoire internationale (et seu lement ce refus), qui constitue l’objet du différend, tel que Djibouti
l’a décrit dans sa requête et pour lequel la France a accepté la compétence de la Cour. Il s’agit là,
41 Les italiques sont de nous. Voir CR 2008/3, p. 35, par. 2 (Doualeh).
42
Cf. la lettre du ministre fra nçais des affaires étrangères du 25 juillet 2006, MD, annexe 2 ⎯les italiques et le
soulignement sont de nous.
43
Voir CR 2008/1, p. 23, par. 8 ; ou p. 24-25, par. 11 (Condorelli).
44
Voir CR 2008/1, p. 19, par. 17 (Doualeh) et CR 2008/3, p. 36, par. 3 (Doualeh).
45 MD, annexe 16 ; voir MD, p. 26, par. 59.
46 MD, annexe 20 ; voir requête, par. 12, et MD, p. 28, par. 64. - 33 -
pour reprendre l’expression de l’arrê t de 1998 dans l’affaire de la Compétence en matière de
pêcheries, de l’«action spécifique ayant donné naissance au différend» ; c’est elle qui noue le litige
que la Cour est appelée à trancher et pour leque l le consentement donné par la France «dans les
strictes limites des demandes formulées» par Djibouti dans sa requête établit sa compétence.
20. Comme la Cour l’a dit à plusieurs reprises ⎯ et cette jurisprudence a été rappelée lundi
par le professeur Condorelli, une déclaration par la quelle un Etat accepte la juridiction de la Cour
«doit être interprétée telle qu’elle se présente, en tenant compte des mots effectivement employés»
(Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c.Iran), exce ption préliminaire, arrêt, C.I.J.Recueil1952 ,
p. 105 ; Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 454, par. 47), et appliquée «telle qu’elle est» ( Certains emprunts norvégiens
(France c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p.27). Il s’agit de dégager, pour reprendre la
formule de mon contradicteur (avec lequel je suis d’accord ⎯ sur ce point), l’«accord sur un objet
unique et précis identifiant avec exactitude la s phère de compétence de votre haute juridiction» 47.
La France a accepté votre compétence, Madame et Messieurs les juges, «pour le différend qui fait
l’objet de la requête». Le sens de cette acceptation es t clair ; les mots pour la formuler sont clairs ;
sa portée est claire.
21. Il me faut cependant ajouter deux choses en réponse à ce qu’a dit M.Condorelli lundi
dernier.
22. En premier lieu, dans le cas de figure qui nous intéresse, c’est-à-dire dans le cadre de
l’application de l’article 38, para graphe 5, du Règlement, ce n’est pas tant l’intention de l’Etat
demandeur ⎯sur laquelle la Partie adverse met l’accent presque exclusivement ⎯ qui importe,
que le consentement du défendeur ; c’est l’accepta tion de ce dernier qui constitue le fondement de
la compétence de la Cour et, comme l’a rele vé le professeur Condorelli, ce consentement pourrait
être limité, partiel48. Je ne pense pas que ce soit le cas ici; mais que ceci constitue ou non une
limitation à la compétence de la Cour, le fait est que la France s’est expressément référée à l’objet
de la requête et a clairement limité son acceptation à cet objet.
47
CR 2008/1, p. 23, par. 8 (Condorelli).
48CR 2008/1, p. 25, par. 11 (Condorelli). - 34 -
23. En second lieu, mon contradicteur tente de tourner la difficulté en essayant de faire
prévaloir les demandes de la République de Djibouti sur l’objet de la requête tel que celle-ci le
définit, et que la France a accepté aux fins du présent différend. S’appuyant sur ces demandes, le
professeur Condorelli affirme : «En somme, l’in tention inscrite dans la requête est
indiscutablement celle de soumettre à la Cour un différend se décomposant en plusieurs demandes,
et donc plus large que la seule qu estion de la violation par la Fran ce de ses obligations en matière
d’entraide judiciaire.» 49 Telle était peut-être l’intention de Djibouti, Madame le président, mais
celle de la France était de limiter son acceptation de la compétence de la Cour à l’objet de la
requête ⎯et ce n’est que dans la mesure où ces de ux volontés se rencontrent que la Cour peut
exercer sa juridiction.
24. Pour prétendre le contraire, M. Condorelli se fonde sur la fin de la phrase par laquelle le
50
ministre des affaires étrangères a accepté le 25 juillet 2006 la compétence de la Cour au nom de
la France. Il y est précisée que «[l]a présente acceptation de la compétence de la Cour ne vaut …
[que] pour le différend qui fa it l’objet de la requête et dans les strictes limites des demandes
formulées dans celle-ci par la République de Dji bouti». Sans qu’il soit nécessaire d’échafauder de
vastes théories, cela signifie, conformément au sens naturel et ordinaire des mots ⎯ soigneusement
pesés ⎯ figurant dans la lettre du ministre, que la Fr ance a limité son consentement à la requête
telle qu’elle définit son propre objet et aux demandes qui y sont formulées. A ces dernières, à
condition qu’elles entrent dans l’objet de la requête ; à celui-ci, dans la mesure où il se traduit par
des demandes formulées dans la requête.
2. Les limites de la compétence de la Cour ratione materiae
25. Ratione materiae, votre compétence, Madame et Messieurs de la Cour, s’étend donc
(mais ne s’étend que) au refus français de donner su ite à la commission rogatoire internationale de
novembre2004 en violation prétendue de la conven tion de 1986, mais pas à d’autres violations
prétendument connexes. Et il y a là plus qu’une nuance : Djibouti avait limité l’objet de sa requête
au refus de donner suite à la commission rogato ire internationale de novembre2004, présenté
49
CR 2008/1, p. 27, par. 16 (Condorelli).
50MD, annexe 2. - 35 -
comme contraire à la convention de 1986 et à «d’a utres obligations internationales pesant sur la
République française» ⎯ il s’agissait d’une violation ⎯le refus de transmettre le dossier dans le
cadre de la commission rogatoire internationale ⎯ d’obligations découlant de plusieurs sources.
Maintenant, nos adversaires en tendent ajouter de nouvelles violations (au pluriel) à celle alléguée
initialement et dont elles seraient prétendument conne xes. C’est, à l’évidence, un élargissement de
l’objet de la requête. D’un fait internationale ment illicite prétendu, constitué par la violation
conjointe d’obligations fondées sur des sour ces diverses, on passe à plusieurs faits
internationalement illicites ⎯et, comme Djibouti sait bien qu’il s’agit de quelque chose de
complètement différent, on couvre ces violati ons, nouvellement invoquées, du manteau commode
de la «connexité».
26. Mais, Madame le président, il ne suffit pas de postuler l’existence d’une «connexité», il
faut l’établir. Et, il ne suffit certainement pas que «[l]a requête [ait fait] en outre état de l’émission,
par les autorités judiciaires françaises, de convoca tions à témoigner adressées au chef de l’Etat
djiboutien et à de hauts fonctionnaires djiboutiens…» ⎯comme l’a souligné M.l’agent de
Djibouti 51, pour qu’elle le soit. La Cour ne saura it se satisfaire, à cet égard, de simples
affirmations.
27. Nous ne contestons pas bien sûr que certaines des conclusions du mémoire remplissent
cette condition. Tel est certainement le cas de celles figurant aux paragraphes 1 et 5 des demandes
52
djiboutiennes , qui portent directement sur la co mmission rogatoire internationale ⎯ d’ailleurs,
fait significatif, le paragraphe 1 ⎯ je parle du mémoire ⎯ reprend le libellé de la requête : le refus
français d’accueillir la commission rogatoire serai t contraire à la conven tion de 1986, au traité
d’amitié de 1977 et aux «autres règles de droit inte rnational applicables au présent cas» ; la France
a accepté la compétence de la Cour à cette fin. Mais ce n’est pas le cas s’agissant :
⎯ de la deuxième conclusion, qui porte sur les «convocations en tant que témoins assistés du chef
de l’Etat djiboutien et de hauts responsables djiboutiens, ainsi que [s ur] l’établissement de
mandats d’arrêt internationaux contre ces derniers» ; ce n’est pas non plus le cas
51
CR 2008/1, p. 10 (Doualeh).
52MD, p. 67-68. - 36 -
⎯ de la sixième qui invite la Cour à décider que «la République française doit retirer et mettre à
néant» ces convocations à témoigner pour subornation de témoins dans l’affaire Borrel ; ni non
plus
⎯ de la septième qui formule une demande semblable à propos des mandats d’arrêt.
28. Et les mêmes constatations s’imposent à propos des paragraphes 3 à 8 des conclusions
que M.l’ambassadeur Doualeh a lues à la fin du pr emier tour des plaidoiries de Djibouti, qui ne
relèvent pas de l’objet de la re quête tel que le demandeur l’a défi ni et tel que le défendeur l’a
accepté.
29. C’est que ni les convocations (dont certain es sont imaginaires – nous y reviendrons), ni
les mandats d’arrêt visés par ces conclusions n’ont de rapport avec la commission rogatoire
internationale du 3nove mbre 2004. Celle-ci porte ⎯ exclusivement ⎯ sur les «éléments du
dossierBorrel instruit au cabinet de Mme la vice-présidente Sophie-Clémentdu chef d’assassinat
53
contre X, dans la mort de Bernard Borrel» . Comme la France l’a expliqué dans son
54
contre-mémoire , et comme Mme Belliard l’a rappelé tout à l’heure, cette affaire est juridiquement
et factuellement distincte
⎯ et de l’information ouverte du chef de subornatio n de témoin, qui est instruite depuis 2003 par
Mme Belin et M. Bellancourt, juges d’instruction au tribunal de grande instance de Versailles,
⎯ et de la procédure ouverte du chef de diffamati on instruite dans un premier temps par un juge
d’instruction de Toulouse à la suite d’une plainte de Mme Borrel en 2002, dépaysée l’année
suivante devant le tribunal de grande instance de Paris et instruite ensuite par M.Baudouin
Thouvenot qui a rendu une décision de non-lieu le 16 janvier 2007, confirmée par la chambre
55
d’instruction de la cour d’appel de Paris le 24 avril 2007 .
30. Or c’est dans le cadre de la première de ces deux affaires ⎯ celle de la subornation de
témoin ⎯ et non dans celle instruite par MmeClément et visée par la commission rogatoire
internationale de2004 que les convocations à témoins et les mandats internationaux concernant
MM. Saïd et Souleiman, que visent les conclusions djiboutiennes, ont été délivrés. Sans lien avec
53
MD, p. 28, par. 64 ; voir aussi MD, annexe 20.
54
CMF, p. 4-7.
55CMF, annexe X. - 37 -
l’objet de la requête pour laquelle la France a accepté la compétence de la Cour, ces demandes,
Madame et Messieurs les juges, ne peuvent qu’être écartées in limine litis pour incompétence.
31. Pour tenter d’échapper à cette conséquence, la Partie djiboutienne prétend que
«l’ouverture d’une procédure pour subornation de té moin contre de hauts responsables djiboutiens
auprès du tribunal de Versailles…a joué un rôle direct et déterminant sur la décision de refus
d’exécuter la commission rogatoire» car, dans la décision du 8février2005 56 de «la juge
d’instruction du tribunal de grande instance de Paris en charge de l’ «affaire Borrel», …est
évoquée, comme première raison qui justifierait le dit refus, la présence dans le dossier de
documents relatifs à l’information ouverte au tr ibunal de Versailles pour subornation de témoin
contre le procureur de la République et le chef de la sécurité nationale de Djibouti» 57(c’est
M. Condorelli qui l’a dit, et il a plus de souffle que moi !). Cette affirmation appelle trois brèves
observations :
⎯ dans son soit transmis du 8 février 2005, la juge d’instruction précise expressément qu’il s’agit
d’«une autre information suivie à Versailles» ;
⎯ du reste, lors de sa dernière plaidoirie, M e van den Biesen est convenu de ce que le dossier qui
nous concerne – « the file» as he put it, is «only the file with respect to the death of Bernard
Borrel, currently being instructed under the respons ibility of Judge Clément» this file alone «is
part of the present case», while the «other three may not be considered to be part of the present
case before this Court» 58 ⎯les trois autres dossiers: y compris, donc, celui relatif à la
subornation de témoins ; et
⎯ même s’il est certainement justifié, ce n’est, en tout état de cause, pas sur ce motif du
détournement de procédure que la juge d’instruction se fonde pour estimer que l’exécution de
la demande est de nature à porter atteinte à des intérêts essentiels de l’Etat français en
application de l’article 2, litt. c) de la convention de 1986.
32. Je le rappelle : c’est Djibouti qui a défini l’objet de sa requête ; et la France a consenti à
votre juridiction, Madame et Messieurs de la Cour, «dans les limites strictes» ainsi définies ⎯ ce
56
CMF, annexe XXI.
57
CR 2008/1, p. 30, par. 22 et CR 2008/2, p. 57, par. 4 (Condorelli).
58CR 2008/3, p. 20, par. 12 (van den Biesen). - 38 -
sont deux consentements, croisés, qui, dans la mesure où ils coïncident, établissent votre
59
compétence. Contrairement à ce qu’insinue la Partie adverse , la France n’entend évidemment pas
se soustraire à la compétence de la Cour dans les strictes limites dans lesquelles elle l’a acceptée.
Et elle a pleine confiance que la portée de son consentement, que rien ne l’obligeait à donner, et
qu’elle n’a pas souhaité donner au-delà des bornes indiquées par la lettre de son ministre des
affaires étrangères du 25 juillet 2006, ne sera pas déformée.
Madame le président, voulez-vous que je termine ou que je m’arrête là pour une pause ?
The PRESIDENT: It would probably be convenient if you finished your section, which I
imagine is about 10 minutes more? Do you think it is more?
M. PELLET: It would probably be 15 minutes. But 15 minutes is all right for me ⎯ if you
can endure that?
The PRESIDENT: It may not be all right for us . We shall then take our small break now.
La séance est levée pour quelques minutes.
L’audience est suspendue de 16 h 25 à 16 h 40.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir.
M.PELLET: Thank you very much. Donc, avant cette sacro-sai nte pause, j’avais
développé la question des limites de la compétence de la Cour ratione materiae . Je vais
maintenant m’intéresser aux limites de la compétence de la Cour ratione temporis.
3. Les limites de la compétence de la Cour ratione temporis
33. En effet, pour surplus de droit, je me permets d’attirer votre attention,
Madame le président, sur un autre aspect des plaidoiries de Djibouti qui pose des problèmes graves
de compétence ⎯cette fois dans une optique ratione temporis. L’Etat demandeur vise en effet
expressément dans ses conclusions lues mardi dernier par son agent :
59
Voir CR 2008/1, p. 29, par. 20 (Condorelli). - 39 -
⎯ «les convocations à témoin assisté et les mandats d’arrêts émis à l’encontre du procureur
général de la République de Dji bouti et du chef de la sécurité nationale de la République de
Djibouti» 60pour subornation de témoins le 27 septembre 2006 61; et
⎯ l’invitation à déposer, adressée au préside nt de la République de Djibouti par
Mme la juge Clément le 14 février 2007 62.
34. Non seulement les mandats d’arrêt de sep tembre2006 sont relatifs à l’affaire de la
subornation de témoins et donc, comme je l’avais m ontré avant la pause, sans rapport de connexité
avec la commission rogatoire internationale de novembre2004, dont le refus par la France d’y
donner suite est l’unique objet de la présente instance . Mais encore, tous ces actes, postérieurs à la
requête (qui date du 4janvier2006), n’entrent mani festement pas dans cet objet et, par suite, ne
sont évidemment pas couverts par le consen tement donné par la République française.
L’incompétence de la Cour pour en connaître est tout aussi manifeste.
35. A cet égard, je crains que le professeur Condorelli se soit fourvoyé en se plaçant non pas
sur le terrain de la compétence ratione temporis mais sur celui de l’impossibilité pour un Etat de
transformer un différend porté devant la Cour par requête «par voie de modifications apportées aux
conclusions en un autre différend dont le caractère ne serait pas le même» 63; ce terrain n’est
nullement spécifique à l’incompétence ratione temporis, mais renvoie, en réalité, à l’incompétence
ratione materiae. Je n’y reviens pas.
36. S’agissant de l’incompétence ratione temporis en elle-même, comme l’écrit
l’ambassadeur ShabtaïRosenne, «[t]ime is a fact or that influences the Court’s jurisdiction in
several ways … Ratione materiae it is necessary that the events wh ich gave rise to the reference to
the Court occurred during the space of time in resp ect to which jurisdiction had been conferred on
64
the Court» . Bien que la question se soit posée jusqu’à présent essentiellement en ce qui concerne
60 Voir CMF, annexe VII.
61 Voir CMF, annexe VII.
62 Voir CR 2008/3, conclusions, p. 36, par. 3 ; voir aussi MD, p. 48, par. 127 ; p. 49, par. 128 et p. 50, par. 132.
63
Voir CR2008/1, p.31, par.24 (Condorelli, citant Société commerciale de Belgique , arrêt, 1939, C.P.J.I.,
série A/B n 78, p. 173) ; voir aussi la jurisprudence citée supra, note 14.
64 e
The Law and Practice of the International Court of Justice, 1920-2005 , Nijhoff, Leiden/Boston, 4 éd., 2006,
vol.II, p.562. Voir aussi sir GeraldFitzmaurice, The Law and Procedure of the In ternational Court of Justice ,
Grotius Publications Limited, Cambridge, 1986, vol. II, p. 435. - 40 -
les faits antérieurs à l’acceptation de la juridic tion de la Cour, on peut, à cet égard, paraphraser ce
qu’a dit la Cour permanente dans l’affaire des Phosphates du Maroc, «[d]es situations ou des faits
postérieurs à [l’expression du consentement de la France à la compétence de la Cour] ne
déterminent la juridiction obligatoire que si c’ est à leur sujet que s’est élevé le différend»
o
(Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, sérieA/Bn 74, p. 24; voir aussi Compagnie d’électricité de
Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, série A/B n o78, p. 82). Or, à l’évidence, le litige que la Cour est
appelée à trancher aujourd’hui conformément au consentement qu’a donné la France ne s’est pas
élevé au sujet des mandats d’arrêt ou d’une préte ndue convocation à témoin qui sont postérieurs au
dépôt de la requête.
37. Permettez-moi, Madame et Messieurs les juges, de vous inviter à réfléchir aux
conséquences qu’aurait la thèse de Djibouti si, par impossible, vous deviez la suivre :
⎯ Comme l’a rappelé l’agent de la France, tout à l’heure, le 13mars prochain, le tribunal
correctionnel de Versailles va examiner l’affaire de la subornation de témoins, dans le cadre de
laquelle le procureur de la République et le chef de la sûreté nationa le de Djibouti ont fait
l’objet de mandats d’arrêt; si le jugement qui sera rendu à l’issue de ces audiences n’a pas
l’heur de plaire à la République de Djibouti, la Cour va-t-elle accepter de nouvelles conclusions
du demandeur à ce sujet ?
⎯ Si, demain, ou dans un an, ou dans dix, un juge djiboutien formule une nouvelle demande
d’entraide judiciaire ou lance une nouvelle commission rogatoire, liée ⎯plus ou moins
étroitement ⎯ à l’«affaire Borrel» et si, pour une ra ison quelconque, la France refuse d’y faire
droit pour un motif fondé sur l’article2 de la convention de1986 (ou pour une autre raison
valide en droit international), Djibouti pourra-t-elle à nouveau saisir la Cour en se prévalant du
consentement donné par la France en 2006 ? Où cela va-t-il s’arrêter ?
⎯ Si, à l’avenir, l’instruction suivie au cabinet de MmeClément débouche sur une demande
d’audition de témoin, simple ou assisté, d’une personne dont les autorités djiboutiennes
estimeraient qu’elle a agi en tant qu’organe de l’ Etat dans le cadre de ses fonctions, votre Cour
pourrait-elle en connaître sur le fondement du c onsentement exprimé par la France en2006?
Ce n’est tout simplement pas raisonnable. - 41 -
⎯ Plus généralement, l’extension qu ’opère l’Etat requérant de la compétence de la Cour, tant
ratione materiae que temporis , sur le fondement d’une «c onnexité» improbable postulée
permettrait à un demandeur de procéder «par accrétion» à des élargissements successifs de
votre juridiction, pratiquement sans limites et de manière évidemment incompatible avec le
principe du consensualisme consacré par votre jurisprudence constante 65.
38. Pour toutes ces raisons, Madame le président, Messieurs de la Cour, sans revenir, je le
répète ⎯ même si c’est évident ⎯, sur le consentement qu’elle a donné à votre compétence pour
connaître de la requête de Djibouti, et dans les strictes limites de l’objet de celle-ci et des demandes
qui y sont formulées et qui rentrent dans cet objet, la République fran çaise pense que vous ne
pouvez vous prononcer :
⎯ ni sur les conclusions de l’Etat demandeur qui portent sur un objet autre que celui défini,
clairement et restrictivement, dans la requête ⎯à savoir le refus de donner suite à la
commission rogatoire internationale du 3ovembr2 e004 (et cela concerne les
paragraphes3à8 des conclusions de Djibouti, que l’agent de cette Partie, a lues à l’audience
de mardi après-midi 66) ;
⎯ ni sur les demandes visant des faits ou des comportements de la République française
postérieurs au dépôt de la requête, c’est-à-dire au 4janvi er2006 (et cela concerne, en
particulier, les mandats d’arrêt du 20octobr e2006 et l’invitation à déposer adressée au
président de la République de Djibouti le 14février2007; à l’égard de ces trois actes
l’incompétence de la Cour est établie à la fois ratione materiae et ratione temporis).
39. J’en ai presque terminé, Madame le prési dent ; mais, avec votre permission, je voudrais
faire une dernière remarque, de nature à la fois générale et technique.
40. Dans l’affaire des Phosphates du Maroc , la Cour permanente a retenu l’exception
préliminaire de la France fondée sur des considérations ratione temporis et décidé en conséquence
que «la requête présentée…par le Gouvernement italien [n’était] pas recevable» ( Phosphates du
Maroc, arrêt, 1938, C.P.I.J. série A/B n o74, p. 29). Et c’est en ayant ceci à l’esprit que, dans les
conclusions de son contre-mémoire, la France a prié la Cour «de bien vouloir 1) déclarer
65
Voir supra, notes 14 et 44.
66CR 2008/3, p. 36-37 (Doualeh). - 42 -
irrecevables les demandes de la République de Djibouti formulées dans son mémoire et qui
dépassent l’objet déclaré de sa requête» 67. Au demeurant, on peut estimer que c’est autant, sinon
plus, d’incompétence que d’irrecevabilité qu’il s’ag it; et je conviens que même le précédent
de 1938 n’est pas limpide puisque, dans l’avant-dernie r paragraphe des motifs de son arrêt, la Cour
permanente indique qu’en conséquence du bien-fondé de l’exception préliminaire ratione temporis
de la France «elle n’a pas juridiction pour se prononcer sur ce différend» ( Phosphates du Maroc,
arrêt, 1938, C.P.I.J. série A/B n o 74, p. 29 ; les italiques sont de nous).
41. Certes, «[n]ous savons bien», comme on l’a fait remarquer récemment, à propos d’une
autre affaire «que les questions de compétence, les questions de recevabilité et les questions de
fond ne sont pas des catégories séparées de façon hermétique» ( Différend territorial et maritime
(Nicaragua cC . olombie), exceptions préliminaires , arrêt du 13 décembre 2007, opinion
individuelle de M. le juge Ronny Abraham, par. 6). Certes aussi, comme le dit l’auteur de la même
opinion, que les motifs que j’ai avancés constituent «une cause d’incompétence… ou un cas
d’irrecevabilité de la demande …, à vrai dire, ne fait guère de différence» ( ibid., par. 61) : dans les
deux cas la Cour est empêchée de se prononcer au fond. Il n’en reste pas moins que les objections
de la France à l’encontre de l’exercice par la C our de sa juridiction tiennent à ce qu’elle n’y a pas
consenti; or, conformément à la jurisprudence do minante de la Cour rappelée en grands détails
dans l’arrêt du 3février2006 da ns l’affaire opposant la République démocratique du Congo au
Rwanda 68, le consentement conditionne sa compétence et non la recevabilité de la requête. Comme
la Cour l’a indiqué avec vigueur dans ce même arrêt :
«sa compétence repose sur le consentement des parties, dans la seule mesure reconnue
par celles-ci …, et …, lorsque ce consentement est exprimé dans une clause
compromissoire insérée dans un accord international [mais la même chose est vraie à
67CMF, p. 73.
68 o o
Cf. Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2, 1o24, C.P.J.I. série A n 2, p. 11-15 ; Interprétation du
statut du territoire de Memel, fond, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B n. 327-328 ; Compagnie d’électricité de Sofia et
de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. sérieA/Bn77, p. 78-80 ; Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c.
Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 344-346 ; Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil
1984, p.427-429, par.81-83; Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 88-90, par. 42-48 ; Questions d’interprétation et d’application de la convention
de Montréal de 1971 résultant de l’in cident aérien de Lockerbie (Jamahiri ya arabe libyenne c. Royaume-Uni),
exceptions préliminaires, a rrêt, C.I.J.Recueil1998 , p. 16, par. 16-19 ; p. 24, par. 39-40 ; Questions d’interprétation et
d’application de la convention de Montréal de1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe
libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1998 , p.121-122, par.15-19; p.129,
par 38-39. - 43 -
fortiori s’agissant d’une requête «acceptée» au titr e de l’article38, paragraphe 5], les
conditions auxquelles il est éventuellement soumis doivent être considérées comme en
constituant les limites. De l’ avis de la Cour, l’examen de telles conditions relève en
conséquence de celui de sa compétence et non de celui de la recevabilité de la
requête.» ( Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002)
(République démocratique du Congo c.Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 39, par. 88.)
42. En conséquence, la France sera conduite à préciser, dans ses conclusions finales, qu’elle
prie la Cour de constater à la fois son incompét ence et l’irrecevabilité de la requête. Par loyauté
pour la Partie adverse et afin de lui permettre de formuler les observations qui lui sembleraient
utiles à cet égard, nous avons préféré l’indiquer dès à présent.
43. Cette précision met un point final à mon intervention de cet après-midi, que je vous
remercie, Madame et Messieurs de la Cour, d’av oir écoutée avec votre bienveillance coutumière ;
et je vous prie, Madame le président, de bien vouloir donner la parole au professeur
HervéAscensio, qui parlera des prétendues violat ions du traité de1977 et de la convention
d’entraide judiciaire de 1986.
The PRESIDENT: Merci, Monsieur le prof esseur Pellet; je donne la parole à M.le
professeur Ascensio.
M. ASCENSIO :
LES PRÉTENDUES VIOLATIONS DU TRAITÉ D ’AMITIÉ ET DE COOPÉRATION DU 27 JUIN 1977
ET DE LA CONVENTION D ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE
DU 27 SEPTEMBRE 1986
Madame le président, Messieurs les juges, c’est un grand honneur pour moi d’apparaître
pour la première fois devant votre Cour et de surcroît de m’y exprimer au nom de la République
française, dont je suis un citoyen.
1. Il m’incombe de répondre aux moyens de droit sur lesquels la République de Djibouti
s’est fondée pour alléguer que la République française aurait violé ses obligations internationales
par son refus d’exécuter une commission rogatoire internationale. La commission rogatoire en
cause est celle demandant la transmission d’une copie du dossier relatif à la procédure
d’information instruite au tribunal de grande instance de Paris, contre X, du chef d’assassinat sur la
personne de Bernard Borrel. Par commodité, ce do ssier sera désigné dans cette plaidoirie comme - 44 -
le «dossier Borrel». Toutefois, il faut souligne r, comme l’a d’ailleurs fait très clairement la
69
République de Djibouti dans son mémoire et à nouveau dans ses plaidoiries, que le différend
porté devant votre Cour ne concerne pas le fond de cette affaire, ni la procédure d’instruction en
cours, mais seulement le refus des autorités françaises d’exécuter la commission rogatoire
internationale mentionnée. C’est la Républi que de Djibouti elle-mêm e qui, dans sa requête
introductive d’instance, a ainsi circonscrit l’objet du différend. Cela a été rappelé tout à l’heure par
le professeur Pellet.
2. Dans son mémoire comme dans ses plaidoi ries, la République de Djibouti a invoqué deux
moyens de droit au soutien de son allégation de vi olation du droit international à propos du refus
d’exécuter cette commission rogatoire, et deux m oyens seulement. Elle a soutenu que la France
aurait violé, d’une part, une obligation générale de coopération contenue dans le traité d’amitié et
70
de coopération entre la République française et la République de Djibouti du 27juin1977 et,
d’autre part, les règles et procédures d’entraide judiciaire prévues par la convention d’entraide
judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République de Djibouti et le
71
Gouvernement de la République française du 27 septembre 1986 . Par conséquent, pour répondre
aux arguments développés par la République de Djibouti, il convient de démontrer que la
République française n’a pas violé le traité d’amitié et de coopération de 1977 (I) et qu’elle n’a pas
davantage violé la convention d’entraide judiciaire de 1986 (II).
I.L’ ABSENCE DE VIOLATION DU TRAITÉ D ’AMITIÉ ET DE COOPÉRATION DU 27 JUIN 1977
3. Madame la présidente, Messieurs les juges, le traité d’amitié et de coopération du
27 juin 1977 n’a aucunement été violé du fait du refus de transmettre le dossier Borrel aux autorités
djiboutiennes. Pour qu’il en aille autrement, il faudrait que la France ait manqué à une obligation
juridique susceptible de concerner l’exécution d es commissions rogatoires internationales. Or, il
est impossible de discerner une telle obligation dans le traité. Dire cela ne signifie évidemment pas
que le traité ne comporte aucune obligation juridique. Si la République de Djibouti a besoin d’être
rassurée à ce propos, elle peut se reporter au paragraphe 3.7 du contre-mémoire français, dont je me
69MD, p. 10, par. 5.
70
MD, p. 38 et suiv.
71MD, p. 42 et suiv. - 45 -
limite à citer la première phrase: «Des obligations juridiques apparaissent dans le traité soit pour
certains domaines de coopération sans rapport avec la coopération judiciaire en matière pénale, soit
pour mettre en place une commission conjointe.» 72
4. A vrai dire, il n’est pas certain que la Répub lique de Djibouti soit d’un avis très différent.
Elle ne discerne, elle non plus, aucune obligation juridique précise résultant des termes mêmes du
traité et invocable dans la présente affaire. Voilà pourquoi elle est obligée d’imaginer une
«obligation générale de coopération» aux effets juridiques aussi vastes qu’imprécis.
5. Cette obligation générale, nous dit-elle dans son mémoir e, résulterait de la lecture
combinée du préambule et de certains articles de la convention, à la lumière de l’objet et du but de
cette convention. Pour consolider son interpréta tion, la République de Djibouti mentionne encore
certains principes généraux, appliqués en relation avec le traité. Dans les plaidoiries, la méthode
est quelque peu différente. Elle consiste à pioche r des expressions au fil du traité pour en déduire
qu’une obligation doit forcément résulter de tout cela mis bout à bout.
6. Une telle argumentation, Madame et Messieurs de la Cour, revient à admettre tout
bonnement que cette «obligation gé nérale de coopération», avec les effets juridiques que la
République de Djibouti entend lui faire produire, n’exis te pas dans le traité lui-même. Dès lors, il
n’y a pas eu violation par la France de ce traité. Pour vous en convaincre, il me faut expliquer quel
est le contenu du traité de 1977, avant de discuter l es effets, à la vérité fort hypothétiques, allégués
par la République de Djibouti.
A. Le contenu du traité d’amitié et de coopération
7. Le traité d’amitié et de coopération entr e la France et Djibouti a été conclu peu après
l’accession à l’indépendance de la République de D jibouti. Il s’agissait pour les deux Etats de
poser les grands principes et les objectifs de leur coopération future, «avec quelque solennité» est-il
73
écrit dans le contre-mémoire , car cela aussi a son importance. Aussi ne faut-il guère s’étonner du
nombre limité des obligations juridiques qui y figurent, pas plus que de leur imprécision.
72
CMF, p. 19, par. 3.7.
73CMF, p. 20, par. 3.9. - 46 -
8. Pour établir l’existence d’une «obligati on générale de coopérati on», la République de
74
Djibouti a mentionné dans son mémoire le préambule, ainsi que les articles1, 2 et 4 du traité .
Lors des plaidoiries, les mêmes articles ont ét é cités, ainsi que les articles3, 5 et 6 75. La
République de Djibouti nous invite ainsi à analyser l’intégralité du traité ou presque, ce qui fort
heureusement peut être fait assez rapidement.
9. Le préambule du traité, l’article1 et l’artic le2 ne contiennent pas d’obligation juridique.
Ils posent seulement de grands principes et expriment une volonté politique commune de
poursuivre de vastes objectifs. L’article6 du tra ité confirme cette analyse puisqu’il prévoit la
création d’une commission de coopération afin de «veiller à la mise en Œuvre des principes et à la
poursuite des objectifs définis dans le présent traité», on ne saurait mieux dire.
10. Votre Cour s’est interrogée sur la portée juridique d’énoncés analogues dans l’affaire des
Plates-formes pétrolières. Il s’agissait alors d’interpréter l’ article premier du traité d’amitié, de
commerce et de droits consulaires entre l’Iran et les Etats-Unis d’Amérique. La Cour a estimé que
cet article devait : «être regardé comme fixant un objectif à la lumière duquel les autres dispositions
du traité doivent être interprétées et appliquées» ( C.I.J. Recueil 1996 , p.814, par.28). Tel est
également le cas pour le préambule et les articles 1 et 2 du traité d’amitié et de coopération entre la
France et Djibouti. Ils fixent seulement des objec tifs à la lumière desquels les seules obligations
juridiques figurant effectivement dans le traité doivent être interprétées et appliquées.
11. Or, le traité ne pose aucune obliga tion juridique qui imposerait l’exécution d’une
commission rogatoire internationale. L’article3 est relatif à la stabilité monétaire et au
développement économique, ce qui est, l’on convie ndra, sans rapport avec l’entraide judiciaire.
L’article4 du traité pose certes une obligation de coopération. Mais le champ d’application de
cette obligation ne couvre pas la coopération judiciai re en matière pénale. Seuls les domaines «de
la culture, des sciences, de la technique et de l’éducation» sont visés. Elle n’est donc pas
applicable à la présente affaire.
74
MD, p. 39, par. 93 et 94.
75CR 2008/1, p. 55, par. 8, par. 9, et p. 57, par. 14 (Condorelli). - 47 -
12. Concernant l’article5 maintenant, la Ré publique de Djibouti a, dans ses plaidoiries,
76
souligné l’utilisation du futur, dans cette disposition . Mais la conjugaison n’est pas tout ; il faut
aussi s’intéresser au verbe ! En l’occurrence, il est difficile de prétendre que les verbes «favoriser»
et «encourager» traduisent autre chose qu’une obligation de comportement assez lâche.
13. De plus, la coopération favorisée est celle d’«organismes nationaux publics et privés» et
d’«institutions économiques, sociales et culture lles», expressions qui ne visent nullement les
autorités judiciaires. Enfin, le domaine de l’article 5 ne peut s’étendre au-delà du domaine du traité
lui-même. Or, l’objet du traité d’amitié et de coopération de1977 ne couvre pas la coopération
judiciaire en matière pénale. Le préambule ne mentionne que les «domaines politique, militaire,
économique, monétaire, culturel, social et technique» et aucun article n’évoque la coopération
judiciaire.
14. A ce propos, une remarque incidente doit être faite. La France a tenu à reproduire
l’intégralité du traité en annexe XII à son contre-mémoire, elle figure également dans votre dossier,
à l’annexe 3. Elle a souhaité le faire car le préambule avait été omis dans l’exemplaire produit par
la République de Djibouti en annexe 1 de sa requête. Il est ainsi loisible d’observer dans le
préambule la limitation du traité de 1977 à d es domaines qui n’incluent pas la coopération
judiciaire en matière pénale.
15. La volonté des Etats de ne pas inclure la matière pénale est d’ailleurs confirmée, du côté
français, par la procédure suivie lors de la ratif ication. Dans sa plaidoirie, le professeur Condorelli
a commenté l’instrument de ratification français 77, lequel comporte des formules tout à fait
usuelles. Il est plus important de relever que le traité a été ratifié par le président de la République
sans qu’il y ait eu besoin d’une autorisation parlemen taire. Or, si le traité avait comporté des
obligations juridiques précises dans le domaine pénal, une telle autorisation eût été requise par
l’article53 de la Constitution française. Cet ar ticle prévoit que ne peuvent être ratifiés ou
approuvés qu’en vertu d’une loi certains types de traités, notamment ceux «qui modifient des
dispositions de nature législative». Or, la matière pénale entre dans le domaine de la loi
conformément aux termes de l’article 34 de la Constitution française. Un exemple d’application de
76
CR 2008/1, p. 55, par. 9 (Condorelli).
77CR 2008/1, p. 54, par. 7 (Condorelli). - 48 -
l’article 53 de la Constitution, est du reste fourni par la procédure suivie lors de la ratification de la
convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre Djibouti et la France du
27 septembre 1986.
16. Cette limitation de l’objet du traité de 1977 vaut également pour l’article6, qui par
ailleurs se limite à mettre en place une commission de coopération pouvant faire des
recommandations aux deux gouvernements. L’artic le6 a dès lors une fonction relativement
modeste, ce qui n’a pas empêché le conseil de la Ré publique de Djibouti d’en tirer des effets tout à
fait extraordinaires, alors que cette commission, d’après la Partie demanderesse elle-même, ne s’est
plus réunie depuis fort longtemps 78.
17. L’article6 démontrerait que le traité de 1977 ««chapeaute» tous les autres accords
79
bilatéraux» . Ceci ne correspond à aucune réalité. Il n’ existe aucune disposition dans le traité
de1977 et aucune disposition dans la convention d’entraide judiciaire en matière pénale de1986
établissant un lien juridique entre les deux instruments. A fortiori, aucune disposition n’établit
évidemment la moindre forme de hiérarchie entre eux.
18. L’interprétation des termes du traité par la République de Djibouti vise surtout à créer
une impression générale, pe rmettant de suggérer que le traité pe ut produire quelque effet dans la
présente affaire. Cet effet n’est nullement généré par la violation d’une obligation juridique qui y
serait contenue. D’ailleurs, l’agent de la Républ ique de Djibouti l’admet à demi-mot lorsqu’il
énonce la liste des conclusions et demandes de la Partie demanderesse à l’issue de son premier tour
de plaidoiries. Concernant le traité de 1977, il évoque une violation par la France de «l’esprit et
80
[du] but de ce traité ainsi que des obligations en découlant» . Il reste à voir de quelle manière, en
l’absence d’obligation précise du traité qui serait viol é, la Partie demanderesse entend malgré tout
faire produire un effet au traité de 1977 dans la présente affaire.
B. Les effets du traité allégués par la Partie demanderesse
19. Madame le président, lors des plaidoiries, la Partie demanderesse a assuré que «la France
invoque… à tort dans son contre-mémoire l’ obiter dictum célèbre de [la] Cour en l’arrêt
78CR 2008/1, p. 57, par. 15 (Condorelli).
79
CR 2008/1, p. 57, par. 14 (Condorelli).
80CR 2008/3, p. 37, par. 4, point 8 (Doualeh). - 49 -
81
Nicaragua de 1986» . Il s’agissait du passage de cet arrêt d’après lequel il doit exister une
distinction «entre la grande catégorie des actes inamicaux et la catégorie plus étroite d’actes tendant
à faire échouer le but et l’objet d’un traité». Qu ant à ces derniers, la Cour estimait qu’il était
nécessaire de les rattacher à des «domaines précis», afin «de manifester une amitié effective» et
non «une amitié en un sens vague et général» ( C.I.J. Recueil 1986, p. 137, par. 273). La référence
à cet arrêt ne serait pas ⎯ ou plus ⎯ nécessaire car la République de Djibouti n’invoquerait
nullement l’idée selon laquelle des obligations juridiques résulteraient non pas des articles du traité,
82
mais de son objet et de son but .
20. Il me paraît cependant fort utile de ga rder en tête l’enseignement de la Cour car,
désormais la République de Djibouti cherche à u tiliser les termes vagues et généraux d’«amitié» et
de «coopération», et quelques autres encore, pour faire produire au tra ité de 1977 des effets
juridiques que son contenu ne justifie certainement pas.
21. Le conseil de la République de Djibouti mentionne ainsi, dans sa plaidoirie, l’hypothèse
de «comportements inamicaux» qui, si l’on suit bi en, alliés au principe du respect mutuel entre
Etats, pourraient engendrer une violation «des oblig ations de coopération prescrites par le traité
83
de 1977» . Il prétend ensuite que certaines violatio ns, qualifiées de «graves», de la convention
d’entraide judiciaire de 1986 pourraient constituer en même temps une violation du traité de 1977,
84
tandis que le phénomène ne se produirait pas pour une violation «d’importance réduite» . D’après
lui, il conviendrait également de prendre en considération un «contexte global» qui serait
85
«caractérisé par d’autres actes gravement inamicaux» . Il ajoute enfin comme dernier ingrédient,
je cite, «la portée de la référence à l’«égalité» et au «respect mutuel» qui est due entre les Parties
lors de la mise en Œuvre de la coopération dans l’ensemble des domaines couverts par le traité
81CR 2008/1, p. 58, par. 17 (Condorelli).
82CR 2008/1, p. 58, par. 17 (Condorelli).
83
CR 2008/1, p. 60, par. 21 (Condorelli).
84
CR 2008/1, p. 60, par. 22 (Condorelli).
85CR 2008/1, p. 60, par. 23 (Condorelli). - 50 -
de 1977» . Tout cela constituerait un «poi nt de vue assurément défendable», «in abstracto»
87
précise-t-il, sans que l’on sache d’ailleurs quel est le point de vue in concreto .
22. L’objectif de cette succession d’expressions embrouillées est de permettre d’avancer une
idée unique: le traité de 1977 pourrait avoir été violé «si la Cour…qualifie la conduite de la
France de violation grave de la convention de 1986» 88. Tel est donc le genre de violation du traité
d’amitié et de coopération allégué par la République de Djibouti désormais.
23. Il nous semble que la Cour devrait s’inspirer de sa jurisprudence dans l’affaire Nicaragua
et écarter une telle tentative de faire naître la responsabilité sur la base d’une accumulation de
termes vagues et généraux. Au surplus, aucune disposition du traité de 1977 et aucune disposition
de la convention d’entraide judiciaire de 1986 ne fait apparaître la moindre référence de l’une à
l’autre. La violation de la seconde ne saurait donc avoir le moindre effet sur la première, d’autant
que leurs objets sont différents et que les seules obligations juridiques concernant l’entraide
judiciaire en matière pénale liant les Parties figurent dans la convention du 27 septembre 1986.
II. L’ABSENCE DE VIOLATION DE LA CONVENTION D ’ENTRAIDE JUDICIAIRE
EN MATIÈRE PÉNALE DU 27 SEPTEMBRE 1986
24. Madame le président, Messieurs les jug es, il convient maintenant d’aborder le second
moyen de droit invoqué par la République de Dji bouti. Il porte sur la mise en Œuvre de la
convention du 27septembre1986 à l’occasion de l’ examen par les autorités françaises de la
commission rogatoire internationale demandant la transmission d’une copie du dossier Borrel.
25. Force est de constater que la présenta tion de ce moyen de droit par la Partie
demanderesse a considérablement é volué entre la phase écrite et celle des exposés oraux. Cela a
conduit à une modification substantielle des conc lusions, qui a été exposée par l’agent de la
République de Djibouti à l’issue du premier tour de plaidoiries de Djibouti. La thèse juridique
défendue à titre principal est désormais la suiv ante: «[L]a République française a violé ses
obligations … en n’ayant pas mis en Œuvre son engagement en date du 27 janvier 2005 à exécuter
86CR 2008/1, p. 61, par. 24 (Condorelli).
87
CR 2008/1, p. 61, par. 25 (Condorelli).
88CR 2008/1, p. 61, par. 25 (Condorelli). - 51 -
la demande de commission rogatoire de la Ré publique de Djibouti en date du 3 novembre 2003» 89
⎯ en réalité il s’agit d’ailleurs du 3 novembre 2004. La République de Djibouti met ainsi en avant
le rôle déterminant d’une lettre émanant du directeu r de cabinet du ministre de la justice, lettre
considérée comme marquant l’acceptation définitive pa r la France de la demande djiboutienne de
transmission du dossier Borrel, conformément aux dispositions de la conve ntion de 1986 et plus
particulièrement de son article 14.
26. A titre subsidiaire, la République de Djibouti soutient que la France aurait violé ses
obligations en vertu de l’article 1 de la convention en raison de s on refus illicite de transmettre le
dossier Borrel, refus contenu dans une lettre du 6ju in2005 ou, et c’est là la seconde conclusion
subsidiaire, dans une lettre du 31 mai 2005 ⎯ces différentes lettres figurent dans votre dossier.
L’illicite résulterait du fait que le motif du refus d’ entraide aurait été, et continuerait à être,
insuffisamment explicité.
27. De telles conclusions sont évidemment dépendantes de la façon dont la République de
Djibouti interprète la convention de 1986 et dont elle applique ses dispositions à la demande de
transmission du dossier Borrel. Là aussi, l’évolut ion a été considérable entre la requête et le
mémoire d’une part, les exposés oraux d’autre part. Il est vrai que, dans leurs plaidoiries, les
conseils de la Partie demanderesse ont cherché à définir des points d’accords et des divergences
subsistant entre les deux Etats. Il s’agissait sa ns doute d’appliquer l’article 60 du Règlement de la
Cour, selon lequel les parties doivent, dans leurs exposés oraux, se concentrer sur les points qui les
divisent 90. Il va sans dire que la République française entend, elle aussi, se concentrer sur de tels
points. Mais les analyses juridiques menées pa r les conseils de Djibouti avaient aussi pour
fonction, ne nous le cachons pas, de pr ésenter à la Cour un raisonnement juridique
presqu’entièrement nouveau.
28. Dès lors, il est indispensable de préciser dans quelle mesure ce raisonnement est
compatible avec les obligations figurant dans la co nvention d’entraide judiciaire de 1986 et de se
demander s’il permet de soutenir que la France a manqué à l’une de ses obligations internationales,
à l’occasion de l’examen par ses autorités de la commission rogatoire demandant la transmission du
89
CR 2008/3, p. 36, par. 1 (Doualeh).
90CR 2008/2, p. 9, par. 3 (Condorelli). - 52 -
dossier Borrel. La réponse peut d’ores et déjà être fournie à votre Cour: aucune des thèses
désormais avancées par la Partie demanderesse ne pe rmet de conclure, en droit, à une violation de
la convention de 1986 par la France. Cela est vrai aussi bien pour l’argumentation conduisant à la
conclusion principale de la République de Djibouti (A) que pour celle conduisant à ses conclusions
subsidiaires (B).
A. L’argumentation principale de la Partie demanderesse
29. L’argumentation principale de la Par tie demanderesse consiste à soutenir que la
convention de1986 a été violée en raison du re fus de donner suite au supposé engagement
constitué par la lettre du 27 janvier 2005. Or, aucune violation de ce genre n’est advenue. Il suffit,
pour s’en convaincre, de rappeler brièvement que lles sont les dispositions pertinentes de la
convention, avant de rappeler la procédure mise en Œuvre par la République française à la suite de
la demande djiboutienne de transmission du dossier Borrel.
1) Les dispositions pertinentes de la convention d’entraide judiciaire
30. Madame le président, l’in terprétation faite désormais par la République de Djibouti des
dispositions de la convention de 1986 s’est indéniablement rappr ochée de celle exposée par la
France dans son contre-mémoire.
31. Le rapprochement le plus remarquable réside dans le fait que l’artic le 2 de la convention
n’est plus ignoré, alors que la République de Djibouti n’en disait pas un mot dans sa requête, pas
plus que dans son mémoire. Cet article est cel ui qui permet à un Etat de refuser l’entraide
judiciaire, et c’est précisément en application de l’article2 que la France a refusé d’exécuter la
commission rogatoire djiboutienne demandant la transmission du dossier Borrel. La République de
Djibouti a ainsi dû se rendre à l’évidence: si l’ar ticle1 de la convention prévoit que les Etats
s’accordent l’entraide judiciaire «la plus large po ssible», cela signifie que, malgré tout, il est des
cas où cela est impossible. Ces cas sont précisément ceux qui sont distingués à l’article2 de la
convention et j’utilise ici le verbe «distinguer» dans l’un de ses sens en français, à savoir que
l’article2 établit une distinction en énumérant tr ois cas, correspondant à trois motifs différents et
tous trois licites de refuser l’entraide. - 53 -
32. La République de Djibouti a également admis que l’article 2 faisant partie du titre intitulé
«Dispositions générales» de la c onvention concerne donc toutes les formes d’entraide judiciaire, y
compris les commissions rogatoires internationa les, dont il est plus précisément question aux
articles 3 à 5 de la convention.
33. Un autre point d’accord peut encore être discerné à propos du refus d’entraide permis par
l’article2. La République française considère en effet que, sous réserve bien entendu du respect
des conditions de forme prévues à l’article 13 et des hypothèses couvertes par le droit international
général comme l’abus de droit ou le détournement de pouvoir, un tel refus, pour être conforme à la
convention, ne peut avoir pour motif que l’un de ceux énumérés dans cet article. Contrairement à
ce qu’a soutenu la République de Djibouti dans ses plaidoiries, le contre-mémoire était dénué de
toute ambiguïté à ce propos.
34. Enfin, la République française est pa rfaitement d’accord avec l’idée exprimée par le
professeur Luigi Condorelli d’après laquelle «les disp ositions principales jouant un rôle direct aux
91
fins du litige qui les oppose [les deux Etats] sont les articles 1 (par. 1), 2, 3 (par. 1) et 17.»
Peut-être faudrait-il seulement ajouter que la République de Djibouti a également mentionné
l’article 14 de la convention et qu’elle en a fait une application sur laquelle il conviendra de revenir
un peu plus loin dans cette plaidoirie.
35. Toutefois, malgré ces différents poi nts d’accord, des divergences substantielles
subsistent. Le conseil de la République de Djibouti a lui-même dressé une liste de ces
divergences: «l’interprétation des articles 1, 2 litt. c) et 17 de la convention et, bien entendu, du
92
rapport existant entre leurs prescriptions relatives» . Par rapport aux articles jouant, selon le
même conseil, un rôle direct dans le présent litige, on constate qu’un seul article a été écarté de la
liste: l’article3. Or, c’est préci sément à propos de l’article3 et de son application qu’il faut, au
contraire, faire prioritairement des remarques. Et je dis prioritairement car son interprétation et sa
mise en Œuvre sont au cŒur de l’argumentation soutenue à titre principal par la République de
Djibouti. En effet, le seul moyen pour elle de soutenir que la lettre du 27 janvier 2005 constitue
91
CR 2008/2, p. 8, par. 2 (Condorelli).
92CR 2008/2, p. 9, par. 3 (Condorelli). - 54 -
une acceptation pure et simple de la demande d jiboutienne est d’ignorer la procédure interne
française, et donc d’escamoter l’article 3.
36. L’article 3, paragraphe 1, est la dis position principale de la convention parmi celles
consacrées spécifiquement aux commissions rogatoires internationales. Il dispose :
«L’Etat requis fera exécuter, conformément à sa législation , les commissions
rogatoires relatives à une affaire pénale qui lui seront adressées par les autorités
judiciaires de l’Etat requérant et qui ont pour objet d’accomplir des actes d’instruction
ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents.»
37. L’article 3 renvoie donc expressément à la procédure interne pour la mise en Œuvre des
demandes d’entraide. Dans son mémoire, la Ré publique de Djibouti prét endait que la procédure
93
interne n’était qu’une simple m odalité d’exécution de la demande et que l’article3 de la
convention poserait une «obligation de résultat» 94. Cela revenait à subor donner systématiquement
la procédure au résultat. A l’inverse, sel on l’interprétation donnée par la France de cette
disposition, la conformité à la procédure interne est l’un des éléments essentiels de l’obligation. Il
s’agit même d’une des principales ga ranties offertes par la conventi on. Le résultat recherché, la
transmission des éléments demandés, ne peut avoir lieu qu’à l’issue de la procédure interne. Dire
cela n’est pas faire preuve de formalisme mais au contraire du respect requis envers la règle de
droit, qui s’impose à la fois au titre de l’article3 de la conven tion et de la procédure pénale
française.
38. L’objet et le but de la convention de 1986 impliquent d’ailleurs que l’accent soit mis sur
les moyens employés, c’est-à-dire sur les procédur es internes. L’objet du traité est l’entraide
judiciaire en matière pénale, c’est-à-dire un pro cessus de coopération entre deux Etats. D’après
l’article1, ce processus porte sur «toute procédure judiciaire visant des infractions dont la
répression est, au moment où l’entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de
l’Etat requérant». Le même article utilise deux fois l’adjectif «judiciaire», ce qui montre que les
autorités judiciaires sont fortement impliquées dans ce processus. Quant au but de la convention, il
consiste, selon le préambule, à «faciliter» le dér oulement des procédures d’entraide judiciaire. Le
verbe «faciliter» conduit plus nature llement à insister sur les moyens que sur le résultat, qu’il ne
93
MD, p. 44, par. 114.
94MD, p. 44, par. 113. - 55 -
garantit pas de manière absolue. Enfin, il co nvient de rappeler qu’une procédure d’entraide
judiciaire est traditionnellement lourde et complexe. Elle requiert d’articuler deux procédures
internes, celle de l’Etat requérant et celle de l’Etat requis, et d’assurer la coordination entre les
autorités judiciaires de ces deux Etats, dans le r espect des intérêts fondamentaux de chacun d’eux.
Tel est précisément le but de la convention de 1986.
39. Sans que cela ait été dit très clairement, il semblerait que la République de Djibouti ait
renoncé à sa première interpréta tion et adhère désormais, au moins en théorie, à la position
française. En effet, elle a écarté l’idée d’une oblig ation de résultat absolue. De plus, son conseil a
affirmé avec force : «Djibouti n’a jamais soutenu que la commission rogatoire devrait être exécutée
par l’Etat requis sans passer par la procédure prévue à cet effet par son droit interne !» 95
40. Ceci étant, en admettant que Djibouti ne l’ait effectivement jamais soutenu auparavant,
c’est exactement ce qu’elle fait dans la suite de ses exposés oraux. Car, il importe de le souligner,
l’ensemble de l’argumentation djiboutienne conduisant à la conclusion principale selon laquelle la
lettre du 27 janvier 2005 constitue un engagement d’ exécuter la commission rogatoire djiboutienne
est marquée par une profonde contra diction. Cette lettre ne constituait nullement le terme de la
procédure interne, mais communiquait des informa tions relatives aux premières étapes de cette
procédure. Dès lors, il est impossible de souten ir à la fois, comme le fait la République de
Djibouti, que la France est engagée par cette lettre et que l’exécution de la demande doit «passer
par la procédure prévue à cet effet par son droit interne».
41. Pour en convaincre pleinement la Cour, le plus simple est sans doute de reprendre la
chronologie des événements concernant les de mandes djiboutiennes de transmission du dossier
Borrel, ainsi que les étapes de la procédure pré vue par le droit français pour y répondre. Il
apparaîtra alors clairement que la République de Djibouti n’est nullement fondée à soutenir que la
France a violé la convention de 1986 en refusant de se conformer à un supposé «engagement».
95
CR 2008/2, p. 11, par. 7 (Condorelli). - 56 -
2) La mise en Œuvre de la procédure d’entraide judiciaire par la France
42. Concernant la procédure française il faut, Madame le président, dissiper tout d’abord une
96
équivoque quant à la chronologie des demandes djiboutiennes. Dans son mémoire , la République
de Djibouti a parlé régulièrement de «commissions rogatoires internationales» au pluriel, comme si
elle en avait émis plusieurs, de ces commissions rogatoires, demandant la transmission du
dossierBorrel. Or, à proprement parler, il n’y a eu qu’une seule commission rogatoire
internationale, celle émise par la juge Leïla Mohamed Ali le 3 novembre 2004.
e
43. Les plaidoiries sont, sur ce point, plus exactes, car M van den Biesen a utilisé
l’expression de «the international letter rogatory» à propos de cette seule demande 97. Mais il a
également rappelé la première démarche des autorités djiboutiennes, celle entreprise le
17juin2004 par le procureur de la République de Djibouti. Cette première démarche ferait en
quelque sorte partie de la phase préparatoire de la commission rogatoire internationale
e
du 3 novembre 2004. Ainsi, selon M van den Biesen :
«6December2004 was the date on which the international letter rogatory, of
3November2004 was formally transmitted to the French authorities. Obviously, at
this point in time, the French authorities ha d been aware that this request would be
98
coming for more than half a year…”
e
44. Pour être tout à fait exact, M vandenBiesen fait même remonter cette phase
préparatoire à des conversations entre le procur eur de Djibouti et le procureur de Paris qui se
seraient déroulées le 6 mai 2004 99. Mais comme la Partie demanderesse ne fournit pas le moindre
élément de preuve quant au contenu de ces conversations, il est sans doute recommandable de s’en
tenir au premier document figurant dans le do ssier soumis à votre Cour et demandant la
transmission du dossier Borrel, à savoir la lettre ad ressée le 17juin2004 par le procureur de la
République de Djibouti au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.
45. Il est vrai que l’objet de cette première demande était identique à celui de la commission
rogatoire internationale du 3novembre2004, c’est -à-dire la transmission d’une copie intégrale du
dossier instruit par la juge d’instruction SophieClément. Il est vrai également qu’il existe une
96
MD, p. 26, par. 59.
97
CR 2008/2, p. 32, par. 12-13, p. 35, par. 24 (van den Biesen).
98CR 2008/2, p. 32, par. 13 (van den Biesen).
99CR 2008/2, p. 31, par. 11 (van den Biesen). - 57 -
continuité dans la volonté de la Partie demanderesse d’obtenir la communication du dossier Borrel
depuis le début du second semestre 2004. Dès lors, il convient de revenir sur le traitement de ces
deux demandes successives, en insistant à la fois sur ce qui les distingue quant à la procédure et sur
ce qui les rapproche quant au fond.
46. La première demande, celle du 17 juin 2004 tout d’abord, ne pouvait être assimilée à une
commission rogatoire internationale. Elle ne s’inscrivait nullement dans le cadre de la convention
d’entraide judiciaire de 1986, qui n’était en tout état de cause pas mentionnée. Les formes prévues
à l’article13 de la convention d’entraide judiciaire n’étaient pas respectées, et pour cause. Il
n’existait alors aucune procédure pénale en cours relativement à la mort du juge Borrel à Djibouti.
La première procédure djiboutienne, celle ayant conclu à un suicide, avait été clôturée le
7décembre2003 et la seconde n’était pas encore ouverte. Il ne s’agissait donc pas d’une
commission rogatoire relative à une «affaire pénale» en cours à Djibouti, pour reprendre les termes
de l’article 3 de la convention. Il n’y avait aucune «inculpation» et il était impossible de fournir un
«exposé sommaire des faits», pour citer cette fois les termes de l’article 13, paragraphe 2, de cette
convention.
47. Le courrier du 17juin2004 ne laissait en revanche aucun doute sur le fait que le
procureur de Djibouti se situait sur un terrain non c onventionnel. Il expliquait que la transmission
des éléments du dossier Borrel servirait non pas à nou rrir une information judiciaire en cours, mais
à ouvrir, le cas échéant, une nouvelle procédure judi ciaire à Djibouti. Surtout, il expliquait très
clairement les motifs de la demande, à savoir la volonté de réagir aux mises en cause des autorités
djiboutiennes par la partie civile et par certains médias français. Dans son mémoire, la République
de Djibouti est tout aussi explicite, puisqu’elle présente la demande du 17juin2004 comme
«surtout» motivée par «la détérioration progressive des relations entre la République française et la
République de Djibouti du fait de la vaste cam pagne de dénigrement, d’accusation et de
diffamation des plus hautes autorités djiboutiennes par médias interposés» 100. La demande ne
correspondait donc à l’évidence pas au but poursuivi par la convention de1986, à savoir la
100
MD, p. 26, par. 60. - 58 -
recherche, par le biais de l’entraide internationa le, d’éléments de nature à enrichir une procédure
pénale en cours dans l’Etat requérant.
48. Le procureur de la République française a alors mis en Œuvre la procédure interne prévue
pour l’examen des demandes d’entraide de ce type, procédure sur laquelle je reviendrai un peu plus
loin, ce qui l’a conduit à saisir une première fois la juge d’instruction compétente. Comme l’on
pouvait s’y attendre, la juge d’instruction a est imé que cette démarche ne remplissait pas les
conditions de forme indispensables pour qu’il y soit fait droit. Les autorités exécutives ont alors
fourni à la République de Djibouti des informa tions juridiques précises afin de répondre à leur
souhait persistant d’obtenir des renseignements dans le cadre d’une procédure d’entraide judiciaire.
49. Parmi ces informations figurent certain es qui sont de première importance pour le
différend porté devant la Cour. Je fais ici ré férence à un document interne à l’administration
française, qui a été communiqué au parquet de Djibouti, et que la République de Djibouti
elle-même a annexé à son mémoire. Il s’agit de l’ annexe 18. Dans ce doc ument, le directeur du
cabinet du ministre de la justice explique que «l e juge d’instruction chargé du dossier [est] seul
compétent pour délivrer les copies de pièces». Et il ajoute que le juge d’instruction a, en
l’occurrence, estimé que le courrier ne revêtait pa s les formes requises pour entrer dans le champ
de la convention de 1986.
50. La République de Djibouti n’a émis aucune protestation en raison du rejet de sa première
démarche. Elle a, au contraire, accepté les remarques techniques des autorités françaises et a
enclenché une nouvelle procédure respectueuse d es formes de la convention. Ainsi, le
30 octobre 2004, une information judiciaire du ch ef d’assassinat sur la personne de Bernard Borrel
101
a été ouverte à Djibouti et, quelques jours plus tard, le 3 novembre 2004, la juge d’instruction au
tribunal de première instance de Djibouti a émis une commission rogatoire internationale
demandant aux autorités françaises la transmission du dossier Borrel.
51. Il résulte de ces éléments :
⎯ premièrement, que la République de Djibouti a parfaitement admis la position des autorités
françaises ;
101
MD, annexe 20. - 59 -
⎯ deuxièmement, que la République de Djibouti a été dûment informée du rôle essentiel joué par
le juge d’instruction dans la procédure d’examen des demandes d’entraide.
52. Compte tenu de son attitude , la République de Djibouti ne peut plus revenir aujourd’hui
sur ce qu’elle a clairement indiqué aux autorités françaises, à savoir qu’elle admettait le bien-fondé
de leur position à propos de la démarche du procureur de Djibouti.
53. A la suite de ces échanges, la France a été saisie, pour la première fois et conformément à
la convention de1986, d’une commission rogatoire internationale demandant la transmission du
dossier Borrel dans le cadre d’une procédure judiciai re en cours à Djibouti. Elle a alors satisfait à
son obligation au titre de l’article3 de la convention de1986, c’est -à-dire qu’elle a enclenché sa
procédure interne.
54. Dans son contre-mémoire , la République française a expliqué de manière détaillée
quelles étaient les règles du droit français applic ables à l’examen des commissions rogatoires
internationales 102et elle a fourni en annexes les documents administratifs et les actes judiciaires
103
relatifs à l’examen de la demande djiboutienne . Sans doute n’est-il pas utile d’y revenir
longuement, car ces éléments ont paru convaincre la Partie demanderesse. En effet, le professeur
Condorelli, après avoir rappelé la position française selon laquelle «d’après la législation française
la décision d’exécuter ou de refuser une telle commission rogatoire relève de la compétence
exclusive des organes judiciaires», a conclu son raisonnement en déclarant «[l]a question n’est pas
104
là» .
55. La plaidoirie du coagent de la République de Djibouti, M evan den Biesen, est encore
plus claire. Après s’être interrogé sur la nature juridique du soit transmis de la juge d’instruction
Sophie Clément en date du 8 février 2005 et avoir rappelé que la cour d’appel de Paris avait estimé,
dans un arrêt de 2006, que cet acte constituait une décision judiciaire, il conclut de la manière
suivante : «[H]owever peculiar the Applicant may think that this is, actually this is the reality with
which also the Applicant … have to live.» 105
102CMF, par. 3.56-3.63.
103
CMF, annexes XIV, XV, XXI.
104CR 2008/2, p. 12, par. 8 (Condorelli).
105CR 2008/2, p. 46, par. 57 (van den Biesen). - 60 -
56. Dès lors, il est admis par les deux Parti es au présent différend qu’en vertu du code de
procédure pénale français, et plus particulièrement en vertu de l’article694-2 et de l’article81,
alinéa2, la juge d’instruction en charge du dossier Borrel était seule compétente pour procéder à
l’exécution de la demande et donc compétente pour se prononcer sur le refus d’entraide.
57. Au demeurant, tout cela n’a rien de surpre nant, contrairement à ce que suggère la Partie
106
demanderesse . Il faut bien qu’une autorité intern e se prononce sur les cas de refus, comme sur
les cas de non-refus d’ailleurs. Il se trouve que la procédure pénale française confie cette tâche au
juge d’instruction chargé d’instruire l’affaire. Il appartient à la France et à elle seule d’organiser
ses propres procédures comme elle l’entend, dès lo rs que cette organisation ne viole aucune
disposition de la convention de 1986. D’ailleurs, confier au pouvoir judiciaire le soin de s’opposer
de manière définitive aux demandes d’entraide judici aire en matière pénale n’a rien d’arbitraire,
bien au contraire.
58. Enfin, il faut souligner que la procédur e a été conduite avec la plus grande célérité,
puisque la commission rogatoire émise par la juge d’instruction djiboutienne a été communiquée à
l’ambassade de France à Djibouti le 22décembre2004 et que la juge d’instruction en charge de
l’affaire en France a informé de sa décision le procureur de la République de Paris dès le
8 février 2005. La décision rejette la demande au motif que son exécution serait de nature à porter
atteinte à la souveraineté, la sécurité, l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de la France 107.
Cette décision, émanant de l’autorité judiciaire, a marqué le terme de la procédure interne.
59. Dès lors, on ne comprend pas comment la République de Djibouti peut prétendre que la
procédure interne se serait arrêtée beaucoup plus tôt, le 27 janvier 2005, presque au moment où elle
commençait, avec la lettre de M.LeMesle. En soutenant son argumentation principale, la
République de Djibouti ignore complètement le c ontexte procédural des différents échanges entre
elle-même et la République française. Cela la conduit à présenter devant la Cour les réponses
données à ses divers courriers et démarches comme s’il s’agissait de promesses ou de
comportements susceptibles d’engager la France à transmettre le dossier Borrel.
106
Ibid.
107CMF, annexe XXI. - 61 -
60. Tel n’a jamais été le cas. La République de Djibouti savait pertinemment que les
réponses des autorités exécutives françaises ne pouvaie nt porter que sur l’état d’avancement de la
procédure et non sur son issue définitive. Ce la résultait clairement des dispositions de la
convention de 1986 et cela avait été précisé dès la première démarche des autorités djiboutiennes.
61. La compréhension de la lettre du 27janvi er2005 et de ses effets par la République de
Djibouti est non seulement surprenante, mais elle est également nouvelle. Dans son mémoire, la
République de Djibouti avait certes fait référence à cette lettre en utilisant un grande nombre
108 109
d’expressions telles que «engagement» , «assurances» , «engagement unilatéral» ou encore
«promesse» 110. Mais elle n’avait aucunement précisé quels effets juridiques elle entendait leur
faire produire.
62. S’agissait-il de suggérer que cette le ttre constituait un acte unilatéral de l’Etat,
c’est-à-dire un acte créateur d’une obligation juridi que nouvelle et distincte de celles figurant dans
la convention de 1986 ? Les termes que je viens de mentionner pouvaient le laisser entendre. Mais
nous savons désormais que ce n’est pas le cas. Cela eû t été à vrai dire fort surprenant, pour ne pas
dire cocasse, compte tenu de l’auteur de la lettre, des termes utilisés et des circonstances.
63. Mais la thèse développée par la République de Djibouti lors du premier tour de ses
plaidoiries n’est pas moins étrange. Elle consiste à dire que cette lettre n’est rien d’autre que
l’exécution de la demande d’entraide judiciaire djiboutienne, telle qu’elle est prévue par l’article 14
de la convention. Je me réfère ici à l’exposé du professeur Condorelli : «cette lettre représente, en
effet, la réponse officielle du ministère de la justice de l’Etat requis, la France, à la commission
rogatoire adressée par l’Etat requérant, Djibouti, par la voie officielle prescrite par l’article 14 de la
convention de 1986» 111.
64. Voilà également pourquoi le même conseil mentionne dans sa plaidoirie les règles du
droit international relatives à la responsabilité intern ationale de l’Etat pour fait internationalement
112
illicite, notamment les règles d’attribution . La lettre du 27janvier2005 est donc appréhendée
108MD, p. 28, par. 65, p. 29, par. 67 et 69.
109
MD, p. 45, par. 115.
110
MD, p. 45, par. 116.
111CR 2008/2, p. 16, par. 14 (Condorelli).
112CR 2008/2, p. 15, par. 12 (Condorelli). - 62 -
comme un fait de l’Etat, en l’occurrence un acte d’ exécution de la convention de 1986, et non pas
comme un acte juridique international qui donnera naissance à une obligation nouvelle.
65. Une telle hypothèse est-elle crédible ? Cert ainement pas. Il suffit pour s’en convaincre
de lire la lettre en question. Ceci étant, Mada me le président, je m’interroge car il est bientôt
18 heures, il me semble que ce moment est opportun pour suspendre ma plaidoirie.
Le PRESIDENT : Mais j’ai l’impression que vous avez presque fini. Il ne vous reste que 5 à
7 minutes. Vous pouvez continuer.
M. ASCENSIO : D’accord. Très bien.
Je reprends donc. Cette hypothèse est-elle crédible? Nullement, il suffit pour s’en
convaincre de lire la lettre en question. La réponse donnée est, compte tenu du contexte,
dépourvue d’ambiguïté. Le directeur de cabinet du mini stre de la justice, M. Le Mesle, explique à
l’ambassadeur de Djibouti à Paris l’état d’avanceme nt de la procédure. Il précise avoir demandé
que «tout soit mis en Œuvre» pour répondre à la de mande. Il se situait ainsi clairement sur le
terrain du déclenchement de la procédure interne. On ne trouve dans la lettre aucune acceptation
113
expresse, aucune réponse positive, contrairemen t à ce qu’allègue la Partie demanderesse . De
même, son souhait d’éviter les «délais injustifiés» montre son attachement personnel à ce que cette
procédure progresse avec le maximum de célérité, pour la seule partie incombant au pouvoir
exécutif. Par ailleurs, il est évident qu’il ne pouvait apporter d’information définitive quant à
l’issue de la procédure, puisque celle-ci était toujours en cours à ce moment-là et qu’elle dépendait
de l’appréciation de l’autorité judiciaire.
66. Selon le mémoire de la République de Djibouti, la France aurait dû l’avertir du fait que la
mise en Œuvre de son droit interne pouvait conduire à un refus d’entraide 11. Le même reproche a
e 115
été réitéré par M van den Biesen dans sa plaidoirie . Mais depuis quand est-il juridiquement
nécessaire d’avertir un Etat du fait qu’une convention sera appliquée conformément aux obligations
qu’elle pose? La conformité à la procédure intern e est explicitement prévue par l’article3 de la
113
CR 2008/2, p. 33, par. 14 (van den Biesen).
114
MD, p. 44, par. 114.
115CR 2008/2, p. 37, par. 29 (van den Biesen). - 63 -
convention et la possibilité d’un refus est prévue tout aussi explicitement à l’article2 et à
l’article17. La République de Djibouti ne peut, de bonne foi, soutenir qu’elle n’avait pas
connaissance de ces dispositions.
67. La République de Djibouti, dans son mé moire, est allée jusqu’à parler à ce propos de
«forclusion» 116. Une telle position manque là encore de la manière la plus élémentaire à la bonne
foi dans l’exécution des traités. Si l’on y revient ici, c’est à seu le fin de répondre entièrement aux
griefs de la République de Djibouti; mais la répo nse peut être brève. L’attitude reprochée à la
France est son silence. Mais, quand bien même ce silence serait avéré, il ne démontrerait rien. La
Cour, dans son arrêt du 20ju illet1989 en l’affaire de l’ Elettronica Sicula, n’a pas exclu que le
silence puisse «dans certaines circonstances» engendrer un estoppel ( Elettronica Sicula S.p.A.
(ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c.Italie), arrêt, C.I.J.Recueil1989 , p.44, par.54). Mais l’arrêt
précise: «lorsqu’il aurait fallu dire quelque chose». Or, dans le différend entre Djibouti et la
France, il était inutile de dire quelque chose, pui sque la référence à la législation interne est
expressément mentionnée à l’article 3 de la convention d’entraide judiciaire entre les deux Etats.
68. Par ailleurs, le fait que le juge d’instruction est «seul compétent pour délivrer les copies
de pièces» avait été rappelé par le même direct eur de cabinet du ministère de la justice,
M.LeMesle, au tout début des échanges entr e la République de Djibouti et la République
française, dans la lettre du 18 octobre 2004 figurant en annexe du mémoire djiboutien 117.
69. Faute de trouver un terrain suffisamment solide dans la lettre du 27janvier2005 au
soutien de ses allégations, la Partie demanderesse est donc obligée de rechercher d’autres éléments.
Elle tente alors d’utiliser un communiqué du po rte-parole du ministère français des affaires
étrangères, en date du 29 janvier 2005, en prétendant qu’il confirme la lettre du 27 janvier. Mais, là
encore, le contenu comme le contexte du communiqué ne permettent en rien de soutenir cette thèse.
70. Le contexte était celui d’une procédure d’entraide judiciaire en cours. Dès lors, le
communiqué de presse, pour la partie qui parla it de cette procédure, ne pouvait porter à la
connaissance du public que des informations sur la position des autorités exécutives. Il ne pouvait
116
MD, p. 44, par. 115.
117MD, annexe 18. - 64 -
être compris comme annonçant une décision définitive, puisque celle-ci dépendait de la position du
juge d’instruction saisi de l’affaire.
71. De surcroît, la déclaration pouvait d’autant moins engager les autorités exécutives qu’elle
ne portait en réalité pas sur la commission rogatoire émise par la juge d’instruction djiboutienne et
communiquée à l’ambassade de France à Dji bouti le 22décembre2004. Les termes du
communiqué montrent en effet qu’il n’y est pas question de cette commission rogatoire, mais de la
première démarche djiboutienne, celle du 17 juin 2004. Ceci résulte des termes suivant utilisés tout
à la fin du communiqué : «en vue de permettre aux autorités compétentes de ce pays de décider s’il
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y a lieu d’ouvrir une information judiciaire à ce sujet» .
72. L’ouverture d’une nouvelle information judici aire était l’enjeu de la première demande
djiboutienne. Mais, pour la deuxième, la commi ssion rogatoire internationale, l’information
judiciaire en question avait été ouverte par la justice djiboutienne. Ceci montre que le porte-parole
ne disposait pas de tous les éléments les plus r écents, ou alors qu’il n’entendait pas les porter à la
connaissance des médias. Dès lors, il est à peine beso in de souligner que la lettre de M. Le Mesle
du 27janvier2005 n’est pas mentionnée dans ce communiqué, pas plus qu’une autre lettre ou
déclaration d’ailleurs. On ne peut donc dire que la déclaration du porte-parole du ministère des
affaires étrangères renforce quoi que ce soit. Il en va de même pour la reprise de ce texte par
d’autres sources.
73. Madame le président, Messieurs les juges, puisque la lettre du 27 janvier 2005 ne peut en
aucun cas être assimilée à une acceptation de la demande de transmission du dossier Borrel, pour la
simple raison que la procédure interne vena it seulement d’être enclenchée, l’argumentation
principale de la République de Djibouti ne peut manquer d’être rejetée.
Madame le président, je pense qu’il est mainte nant l’heure d’interrompre cette plaidoirie.
Merci Messieurs les juges, Madame le président, de votre attention.
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MD, annexe 22 ; les italiques sont de nous. - 65 -
LE PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur le professeur Ascencio. La Cour se réunira
demain matin à 10heures, pour entendre la suite du premier tour de plaidoiries de la République
française. La séance est levée.
L’audience est levée à 18 h 5.
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Public sitting held on Thursday 24 January 2008, at 3 p.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding, in the case concerning Certain Questions of Mutual Assistance in Criminal Matters (Djibouti v. France)