CR 2006/51
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2006
Audience publique
tenue le mardi 28 novembre 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président, puis de M. Al-Khasawneh, vice-président,
en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c.
République démocratique du Congo)
____________________
COMPTE RENDU
____________________
YEAR 2006
Public sitting
held on Tuesday 28 November 2006, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Higgins and Vice-President Al-Khasawneh presiding, successively,
in the case concerning Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v.
Democratic Republic of the Congo)
________________
VERBATIM RECORD
________________ - 2 -
Présents : Mme Higgins, président
M. Al-Khasawneh, vice-président
MM. Ranjeva
Shi
Koroma
Buergenthal
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Bennouna
Skotnikov
MM. Mahiou,
Mampuya, juges ad hoc
M. Couvreur, greffier - 3 -
Present: President Higgins
Vice-President Al-Khasawneh
Judges Ranjeva
Shi
Koroma
Buergenthal
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc Mahiou
Mampuya
Registrar Couvreur - 4 -
Le Gouvernement de la République de Guinée est représentée par :
M. Mohamed Camara, chargé d’affaires par intérim de la République de Guinée à Bruxelles,
comme agent ;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre ; membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,
comme agent adjoint, conseil et avocat ;
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Lille 2,
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre, avocat au barreau de
Paris, cabinet Sygna Partners,
M. Samuel Wordsworth, membre du barreau d’Angleterre, Essex Court Chambers,
comme conseils et avocats ;
M. Daniel Müller, chercheur au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Université de
Paris X-Nanterre,
M. Luke Vidal, avocat au barreau de Paris, cabinet Sygna Partners,
comme conseillers.
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est représenté par :
S. Exc. M. Pierre Ilunga M’Bundu wa Biloba, ministre de la justice et garde des sceaux de la
République démocratique du Congo,
comme chef de la délégation ;
S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la
République démocratique du Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent ;
e
M Tshibangu Kalala, député national au Parlement congolais, avocat aux barreaux de Kinshasa et
de Bruxelles, cabinet Tshibangu et associés,
comme coagent, conseil et avocat ;
M. André Mazyambo Makengo Kisala, professeur de droit international à l’Université de Kinshasa,
comme conseil et avocat ;
M. Yenyi Olungu, premier avocat général de la République, directeur de cabinet du ministre de la
justice et garde des sceaux,
M. Victor Musompo Kasongo, secrétaire particulier du ministre de la justice et garde des sceaux, - 5 -
The Government of the Republic of Guinea is represented by:
Mr. Mohamed Camara, Chargé d’affaires a.i. at the Embassy of the Republic of Guinea, Brussels,
as Agent;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre, Member and former Chairman of
the International Law Commission of the United Nations,
as Deputy Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Mathias Forteau, Professor at the University of Lille 2,
Mr. Jean-Marc Thouvenin, Professor at the University of Paris X-Nanterre, Avocat at the Paris Bar,
Sygna Partners,
Mr. Samuel Wordsworth, Member of the English Bar, Essex Court Chambers,
as Counsel and Advocates;
Mr. Daniel Müller, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), University
of Paris X-Nanterre,
Mr. Luke Vidal, Avocat at the Paris Bar, Sygna Partners,
as Advisers.
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
H.E. Mr. Pierre Ilunga M’Bundu wa Biloba, Minister of Justice and Keeper of the Seals,
Democratic Republic of the Congo,
as Head of Delegation;
H.E. Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the
Democratic Republic of the Congo to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
Maître Tshibangu Kalala, Deputy, Congolese Parliament, member of the Kinshasa and Brussels
Bars, Tshibangu et Associés,
as Co-Agent, Counsel and Advocate;
Mr. André Mazyambo Makengo Kisala, Professor of International Law, University of Kinshasa,
as Counsel and Advocate;
Mr. Yenyi Olungu, Principal Advocate-General of the Republic, Principal Private Secretary to the
Minister of Justice and Keeper of the Seals,
Mr. Victor Musompo Kasongo, Private Secretary to the Minister of Justice and Keeper of the Seals, - 6 -
M. Nsingi-zi-Mayemba, ministre conseiller à l’ambassade de la République démocratique du
Congo aux Pays-Bas,
M. Bamana Kalonji Jerry, deuxième conseiller à l’ambassade de la République démocratique du
Congo aux Pays-Bas,
e
M Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles,
comme conseillers ;
e
M Kadima Mukadi, avocat au barreau de Kinshasa, cabinet Tshibangu et associés,
M. Lufulwabo Tshimpangila, avocat au barreau de Bruxelles,
M. Tshibwabwa Mbuyi, avocat au barreau de Bruxelles,
comme assistants de recherche ;
Mme Ngoya Tshibangu, collaboratrice au cabinet Kikangala et associés, barreau de Bruxelles,
comme assistante. - 7 -
Mr. Nsingi-zi-Mayemba, Minister-Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo
in the Netherlands,
Mr. Bamana Kalonji Jerry, Second Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo
in the Netherlands,
Maître Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar,
as Advisers;
Maître Kadima Mukadi, member of the Kinshasa Bar, Tshibangu et Associés,
Mr. Lufulwabo Tshimpangila, member of the Brussels Bar,
Mr. Tshibwabwa Mbuyi, member of the Brussels Bar,
as Research Assistants;
Ms Ngoya Tshibangu, Associate, Kikangala et Associés, Brussels Bar,
as Assistant. - 8 -
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets today to hear the
first round of oral argument of the Republic of Guinea. I now give the floor to the Agent of
Guinea. Mr. Camara, you have the floor.
M. CAMARA : Merci, Madame le président.
I. NTRODUCTION
1. Madame le président, Messieurs les juges, c’est un très grand honneur pour moi
d’apparaître devant vous comme agent de mon pays, la République de Guinée, qui se trouve pour la
première fois Partie à une instance portée devant votre haute juridiction.
2. Madame le président, si la Guinée a saisi la Cour d’un litige qui l’oppose à la République
démocratique du Congo, il demeure que les relations entre les deux Etats qui se trouvent devant
vous ont toujours été marquées par un profond respect et une estime mutuels. Ceux-ci ne sauraient
être affectés par la présente instance. D’ailleurs, nos frères congolais, dont je salue les éminents
représentants dans ce grand hall de justice, ont déjà souvent remis leurs différends entre vos mains
durant ces dernières années, manifestant, par là, la confiance qu’ils ont dans votre justice. C’est la
même confiance qui a conduit la République de Guinée à vous saisir.
3. Nous sommes conscients des longues années de souffrance qu’ont connues nos frères
congolais, ayant nous-mêmes trop souvent vu à notre porte les guerres civiles ravager des peuples
voisins. Et nous félicitons chaleureusement le Congo pour les efforts considérables réalisés ces
dernières années pour reconstruire une société civile et politique pacifiée. Les élections
présidentielles, dont le second tour vient de s’achever, ouvrent d’ailleurs une nouvelle ère pour le
Congo, et la République de Guinée s’en réjouit vivement.
4. Les faits qui sont au cŒur du présent différend relèvent, nous le savons, d’une autre
époque, durant laquelle la République démocratique du Congo s’appelait encore le Zaïre. Mais ni
les changements politiques survenus depuis lors, ni le temps, et pas davantage les difficultés
multiples du Congo, n’ont effacé ou n’excusent les préjudices qui ont pu être causés par le Zaïre à
un ressortissant guinéen. Le Congo s’honorerait à assumer les errements du passé et à en réparer
les conséquences dommageables ou à s’en remettre à la Cour pour cela. - 9 -
5. Tel n’est malheureusement pas le cas, puisque la République démocratique du Congo
cherche à vous empêcher d’exercer votre juridiction dans la présente affaire. Elle a soulevé des
arguments qui, selon elle, justifieraient que la Cour juge irrecevables les demandes formées par
mon pays. Je laisserai aux éminents conseils qui me succéderont à cette barre le soin de démontrer
que, en fait comme en droit, ces arguments sont erronés. Je m’en tiendrai à quelques remarques
liminaires, mais que nous croyons importantes pour comprendre les tenants et aboutissants de cette
affaire.
6. Madame le président, le litige dont la Cour est saisie porte sur le traitement infligé par les
autorités zaïroises, entre 1985 et 1996, à un ressortissant guinéen, M. Ahmadou Sadio Diallo, et au
fruit de son travail, c’est-à-dire à ses investissements sur le territoire zaïrois. Ce traitement,
arbitraire, et discriminatoire, lui a causé un dommage important, pour la réparation duquel il n’a
pas pu obtenir justice au Zaïre. Conformément au droit international, la République de Guinée a
donc décidé de prendre fait et cause pour lui, dans l’exercice du droit qui lui appartient d’exercer sa
protection diplomatique à l’égard de ses ressortissants.
7. Madame le président, il est exceptionnel, probablement unique, qu’un pays comme la
Guinée, saisisse une juridiction internationale afin de défendre les droits de l’un de ses
ressortissants. Et, de fait, l’affaire qui vous est soumise par ce pays africain, pauvre, affronté à des
difficultés multiples, «périphérique» au regard du capitalisme mondialisé qui caractérise
aujourd’hui l’économie internationale, est exceptionnelle et exemplaire à maints égards.
8. Si elle a décidé de protéger les intérêts de M. Diallo et de ses sociétés, c’est que, bien
qu’elle fasse partie de la catégorie des pays les moins avancés, la Guinée est convaincue de
disposer d’une richesse : ses neuf millions de ressortissants, qui se reconnaissent dans la devise du
pays : «travail, justice, solidarité». A leur égard, la République de Guinée a un devoir de solidarité
et de justice, qu’ils se trouvent sur son territoire, ou à l’étranger. C’est dans cet état d’esprit que
s’inscrit la démarche guinéenne.
9. Dans sa plaidoirie d’hier matin, M Kalala a cru pouvoir ironiser en prétendant que nous
inviterions la Cour «à trancher des querelles d’argent, des querelles de factures commerciales, des - 10 -
1
querelles de taux d’intérêt entre des commerçants de nationalité congolaise» . Cette accusation
n’est évidemment pas fondée et appelle deux remarques de ma part :
premièrement, en tranchant ce différend, Madame et Messieurs les juges, vous rappellerez que
le droit international protège les investissements des Africains dans les pays d’Afrique, comme
il protège les autres ; la protection des droits, fussent-ils financiers ou commerciaux, d’un
ressortissant guinéen n’est pas moins digne d’intérêt que ceux d’une société canadienne ou
américaine ; et,
deuxièmement, la RDC oublie qu’en tout état de cause, la requête de la Guinée n’a pas pour
seul objet de protéger les droits commerciaux de M. Diallo et, par substitution, de ses sociétés,
mais aussi et d’abord d’obtenir réparation du préjudice qui lui a été causé du fait de son
emprisonnement sans cause (à deux reprises) puis de son expulsion illicite (qualifiée de
«refoulement» par les autorités zaïroises de l’époque). Les dommages financiers sur lesquels
le Congo a mis exclusivement l’accent ne sont que les conséquences de ces faits gravement
contraires au droit international.
10. Madame le président, le Congo s’est attardé sur le montant du préjudice indiqué dans la
requête du 28 juillet 1998, pour en contester la crédibilité. Mais le débat sur le quantum de
l’indemnité réclamée par la Guinée n’est pas l’objet de la procédure à ce stade, car c’est une pure
question de fond. En outre, la République de Guinée a déjà indiqué, et je tiens à le confirmer de la
manière la plus formelle, qu’elle n’a, en tout état de cause pas l’intention de reprendre en l’état les
évaluations présentées en annexe à sa requête. Et nous prions sur ce point, la Cour et la Partie
congolaise de bien vouloir excuser ces estimations initiales dont l’approximation et l’exagération
manifeste que nous reconnaissons bien volontiers comme nous l’avons du reste indiqué dans nos
observations 2 , tenait à notre inexpérience de ce type d’affaires.
11. En revanche, la Guinée maintient fermement que des faits internationalement illicites
graves sont attribuables au défendeur, et qu’ils ont occasionné un préjudice, qu’il conviendra
d’évaluer au fond.
1CR 2006/50, p. 42, par. 97.
2Observations de la République de Guinée sur les exceptions préliminaires de la RDC (OG), p. 2-3, par. 0.09. - 11 -
12. Avant d’en terminer avec ces remarques préliminaires, Madame le président, je relève
que, dans les plaidoiries d’hier, les représentants de la République démocratique du Congo se sont
er
bornés à relire des extraits des exceptions préliminaires du 1 octobre 2002, sans répondre aux
observations de la Guinée et sans même s’y référer. Pour notre part, en conformité avec les
prescriptions de l’article 60 du Règlement de la Cour, nous nous abstiendrons de répéter ce qui
figure dans ces observations ; nous les développerons et les préciserons.
13. Afin d’exposer, dans cet esprit, nos arguments juridiques, mon pays bénéficie de
l’expertise et du concours d’éminents juristes, qui ont généreusement accepté de l’assister et dont je
me permettrais de vous présenter les tâches :
1) M. Mathias Forteau, professeur à l’Université de Lille, présentera les faits pertinents dans le
cadre de la présente procédure ;
2) M. Samuel Wordsworth, membre du barreau d’Angleterre et avocat à la cour de Paris,
démontrera que la Guinée a le droit d’exercer sa protection diplomatique au bénéfice de son
ressortissant à raison des violations de ses droits d’actionnaires ;
3) M. Alain Pellet, professeur à l’Université Paris X-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies, agent adjoint de la République de
Guinée, établira que la Guinée peut également exercer sa protection au profit de M. Diallo, à
raison des préjudices subis par les sociétés dont il était l’unique gérant et associé ; enfin,
4) M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Paris X-Nanterre et avocat à la Cour de
Paris, montrera que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne pouvait
s’appliquer en l’espèce.
14. Avant de clore mon intervention, je tiens à remercier le Greffe de la Cour, et tout
particulièrement son greffier, M. Couvreur, pour toute la compréhension et l’aide qu’il nous a
témoignées tout au long de la procédure écrite.
15. Madame le président, Messieurs les juges, je vous remercie pour votre attention, et je
vous prie, Madame le président, de bien vouloir donner la parole au professeur Mathias Forteau. Je
vous en remercie.
The PRESIDENT: Thank you very much. I now call upon Professor Forteau. - 12 -
M. FORTEAU : Merci, Madame le président.
II. LES FAITS
Madame le président, Messieurs les juges, je voudrais vous dire, tout d’abord, l’honneur que
je ressens au moment de prendre la parole pour la première fois devant la formation plénière de
votre haute juridiction après avoir déjà eu le privilège de le faire devant l’une de vos chambres.
1. Madame le président, il m’incombe, comme l’agent de la Guinée vient de l’indiquer,
d’exposer les éléments de fait qui vous permettront de statuer, en pleine connaissance de cause, sur
les exceptions préliminaires déposées par la République démocratique du Congo. Je le ferai en
gardant toujours à l’esprit les contraintes particulières de cette procédure incidente : il ne s’agit pas
encore, à ce stade de l’instance, de débattre de tous les points de fait, ni de s’interroger sur le
bien-fondé et les justifications éventuelles des actes reprochés à l’Etat défendeur ; il s’agit
uniquement d’indiquer les éléments factuels relatifs aux objections émises à l’égard de la
recevabilité de la demande guinéenne.
2. Comme l’a rappelé M e Kalala hier , M. Diallo, de nationalité guinéenne, s’est installé au
Zaïre en 1964. Afin d’y mener des activités commerciales, celui-ci a participé à la création de
deux sociétés privées à responsabilité limitée, Africom et Africontainers, dont il a été, durant toute
4
la période qui nous intéresse, l’unique gérant et associé .
3. Dans les années quatre-vingt, ces deux sociétés sont entrées en relations contractuelles
multiples avec l’Etat zaïrois à titre direct et à titre indirect . Les sociétés de M. Diallo ont conclu
en effet plusieurs contrats commerciaux avec l’Etat zaïrois lui-même, avec deux entreprises
publiques (la Gécamines et l’Onatra), et avec trois sociétés pétrolières dans le capital desquelles
l’Etat zaïrois avait une participation déterminante, je veux parler de Zaïre Mobil Oil, Zaïre Shell et
Zaïre Fina .6
3
CR 2006/50, p. 16-17, par. 4.
4
Mémoire de la Guinée (MG), p. 10-11, par. 2.3-2.5, et annexe 3, assemblée générale extraordinaire de
l’Africontainers, 18 avril 1980.
5 Voir MG, p. 12-14, par. 2.7-2.13 ; exceptions préliminaires (EP), p. 12, par. 1.07.
6 Voir OG, p. 14-15, par. 1.29-1.32. - 13 -
4. A la suite de l’inexécution de leurs obligations contractuelles par les partenaires
commerciaux des sociétés de M. Diallo, des litiges vont apparaître dans les années quatre-vingt et
quatre-vingt-dix, dont certains vont aboutir favorablement en première instance au profit des
sociétés de M. Diallo.
5. Ces différents litiges auraient normalement dû, et la Guinée ne conteste pas ce point,
trouver leur issue dans l’ordre juridique interne zaïrois. Mais, et c’est là que toute l’affaire se noue,
au lieu de laisser les procédures internes suivre leur cours, les autorités exécutives zaïroises sont
intervenues pour les bloquer, tout d’abord en interrompant la procédure d’exécution de décisions
rendues en faveur des sociétés de M. Diallo, puis en arrêtant, en emprisonnant et finalement en
expulsant leur unique gérant et associé.
6. Très curieusement, le Congo est resté hier très discret sur ces mesures, qui se trouvent
pourtant au cŒur du différend qui vous a été soumis. Contrairement à ce qu’ont laissé entendre les
conseils du défendeur , la Guinée n’a pas saisi la Cour de litiges contractuels internes ; elle l’a
saisie, dans le cadre du droit de la responsabilité internationale, de mesures prises par un Etat au
détriment de personnes privées. Aux fins par conséquent de dégager les éléments de fait pertinents,
il convient de revenir sur la chronologie et la nature de ces mesures reprochées à l’Etat congolais.
7. Quant aux justifications éventuelles du comportement de l’Etat défendeur, sur lesquelles
e
M Kalala s’est très longuement étendu hier en lançant de graves accusations contre M. Diallo et
ses sociétés, ces justifications ont le caractère d’une défense au fond et n’ont donc pas à être
débattues à ce stade de l’instance. J’en dirai toutefois quelques mots, de manière préalable, afin de
dissiper l’opprobre injustifié qu’elles tentent de jeter sur M. Diallo.
I. Les accusations injustifiées lancées contre M. Diallo
8. Dans ses écritures comme dans ses plaidoiries d’hier, le Congo a fondé en effet les
mesures prises contre M. Diallo sur deux séries d’accusations, sans que l’on sache très bien
d’ailleurs si leur invocation est cumulative ou alternative. D’une part, selon le Congo, M. Diallo
aurait «été impliqué dans certains trafics de devises, et [se serait] par ailleurs rendu coupable de
7CR 2006/50, p. 17, par. 5 ; p. 42, par. 97 (Kalala). - 14 -
8
plusieurs tentatives de corruption … de magistrats et de responsables politiques zaïrois» . D’autre
part, M. Diallo aurait «émis des revendications», jugées «arbitraires et intempestives» par le
Congo . Ni l’une, ni l’autre de ces accusations ne sont pourtant fondées.
9. S’agissant de la première, le contraste est assez saisissant entre, d’un côté, la gravité de
l’accusation, et de l’autre, l’absence du moindre élément de preuve pour l’établir un tant soit peu.
Absolument rien en effet ne vient du côté congolais au soutien de l’accusation selon laquelle
M. Diallo aurait été un délinquant financier ou un corrupteur. Outre que la méthode consistant à
accuser sans preuve est moralement condamnable, elle heurte les principes généraux probatoires les
plus généralement admis en droit international. Comme la Commission de réclamations
Erythrée-Ethiopie l’a rappelé récemment, la gravité d’une accusation implique qu’elle soit prouvée
d’une manière «claire et convaincante» , ce qui n’est nullement le cas ici.
10. Cela étant dit, il n’y a pas lieu de s’étonner de cette carence probatoire du Congo :
dès lors en effet que le motif avancé aujourd’hui par le défendeur pour justifier le refoulement
de M. Diallo ne figure à aucun endroit dans le décret d’expulsion du 31 octobre 1995 qui n’est
aucunement motivé, le Congo se trouve dans l’impossibilité de se fonder sur ses propres actes
11
pour prouver ses accusations gratuites ;
et il se trouve d’autant plus empêché de le faire que rien de la sorte n’avait jamais été reproché
à M. Diallo avant son éloignement du territoire, ou ne l’a été depuis ;
il est particulièrement intéressant de relever sur ce point d’ailleurs, car cela entre en totale
contradiction avec ce qu’affirme le Congo , que lorsque M. Diallo a obtenu gain de cause
devant les juridictions de première instance zaïroises, les diverses personnes condamnées n’ont
jamais demandé en appel l’annulation de ces jugements au motif que les magistrats de première
8 EP, p. 39, par. 1.53 ; p. 42, par. 1.57 ; CR 2006/50, p. 39, par. 87 (Kalala).
9 EP, p. 98-99, par. 2.98 ; CR 2006/50, p. 39, par. 86 (Kalala).
10 Eritrea Ethiopia Claims Commission, Partial Award, Prisoners of War, Eritrea’s Claim 17, July 1st, 2003,
par. 46 (www.pca-cpa.org).
11EP, annexe 75, décret n 0043 du 31 octobre 1995 portant expulsion de M. Diallo du territoire de la République
du Zaïre.
12
EP, p. 39, par. 1.53 ; CR 2006/50, p. 39, par. 87 (Kalala). - 15 -
13
instance auraient été corrompus par M. Diallo . Le moyen n’a jamais été soulevé, ni même
évoqué, dans les différentes procédures entamées par ceux-là mêmes qui auraient été pourtant
les seuls intéressés à s’en prévaloir.
11. S’agissant maintenant de l’autre motif invoqué par le Congo pour justifier aujourd’hui le
refoulement ou l’expulsion le fait que M. Diallo aurait adressé aux cocontractants de ses
sociétés des réclamations «arbitraires et intempestives» , je noterai tout d’abord qu’en soutenant
cette thèse, le Congo admet nécessairement, et il l’admet d’ailleurs expressément dans ses
15
exceptions préliminaires , que l’éloignement forcé du territoire zaïrois n’avait pas d’autre mobile
que d’atteindre les sociétés de M. Diallo à travers leur unique gérant et actionnaire, en vue de
mettre un terme à leurs réclamations.
12. Quoi qu’il en soit, l’argumentation congolaise n’est pas compatible avec un certain
nombre d’éléments versés au dossier. La réalité s’offre en effet sous un jour bien plus complexe
e
que celui décrit hier par M Kalala :
1) Certaines des réclamations portées par M. Diallo au nom de ses sociétés ont fait l’objet
d’expertises indépendantes des parties au litige, expertises qui ont confirmé le bien-fondé de ces
réclamations. Ce fut le cas dans le contentieux opposant Africontainers à la société Zaïre Fina
puisqu’une expertise fut réalisée par l’Association nationale des entrepreneurs zaïrois, qui a
admis la légitimité de la réclamation formulée par M. Diallo, comme cela est reporté dans le
jugement du tribunal de grande instance de Kinshasa du 12 août 1993, qui a lui-même d’ailleurs
accueilli cette réclamation . 16
2) L’Etat défendeur tronque souvent les faits à son avantage. J’en prendrai deux exemples :
13 Voir EP, annexe 54, arrêt de la cour d’appel de Kinshasa-Gombe du 24 février 1994 (contentieux
Africontainers/Zaïre Fina) ; MG, annexe 146, conclusions du ministère public dans le pourvoi en cassation contre l’arrêt
RCA 17244, 11 janvier 1995 (qui rappelle les moyens soulevés et la motivation de l’arrêt de la cour d’appel du
9 mars 1994) (contentieux Africom /PLZ) ; EP, annexe 63, acte émis par Shell et interjetant l’appel contre le jugement
prononcé le 3 juillet 1995 par le TGI de Kinshasa-Gombe ; EP, annexe 64, arrêt de la cour d’appel de Kinshasa-Gombe
du 20 juin 2002 ; EP, annexe 66, assignation en défense d’exécution introduite par Zaïre Shell en date du 29 août 1995 ;
EP, annexe 67, requête introductive de pourvoi en cassation, 18 septembre 1995, émise par Zaïre Shell (contentieux
Africontainers/Shell).
14EP, p. 98-99, par. 2.98.
15Ibid.
16
EP, annexe 53, arrêt du tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe, 12 août 1993, RC 61538,
avant-dernière page du jugement, sous le point IV. - 16 -
17 18
i) premier exemple : dans ses Exceptions préliminaires et ses plaidoiries d’hier , le Congo
a reproché à M. Diallo d’avoir augmenté, entre 1992 et 1996, l’estimation du préjudice
causé à la société Africontainers par les actes commis par la Gécamines. Mais le Congo a
oublié de rappeler les raisons de cette augmentation du préjudice : en 1996, le contentieux
entre les deux sociétés ne portait plus seulement sur le litige initial (le chômage de
32 conteneurs dans les installations de la Gécamines ) ; le litige initial s’était élargi à de
nouveaux manquements contractuels (la concurrence déloyale de la Gécamines et
l’utilisation abusive et non contractuelle par cette dernière de presque 500 conteneurs sur
20
l’axe Kinshasa-Matadi ).
e
ii) deuxième exemple : M Kalala a accusé hier M. Diallo d’avoir eu un «comportement
scandaleux» en 1990 au motif qu’après avoir accepté une transaction avec l’Onatra, il en
aurait ensuite remis en cause les termes en réclamant une nouvelle indemnisation . Mais 21
là encore, M Kalala oublie qu’entre-temps, M. Diallo s’était aperçu que d’autres
manquements contractuels avaient été commis, à savoir l’utilisation frauduleuse pendant
trois ans, de pas moins de 211 conteneurs par l’Onatra . 22
3) Les partenaires des sociétés de M. Diallo, loin de rejeter sans aucun examen les réclamations
adressées par M. Diallo au motif qu’elles auraient été totalement extravagantes, ont estimé au
e
contraire devoir développer, et M Kalala l’a rappelé hier, «une argumentation juridique
23
élaborée» aux fins de se défendre , voire ont admis que certains préjudices méritaient
e 24
incontestablement réparation (ce que M Kalala a à nouveau rappelé hier matin ).
4) Le fait est, je le montrerai tout à l’heure, que juste avant l’emprisonnement et l’expulsion de
M. Diallo, les juridictions internes zaïroises avaient reconnu en première instance le bien-fondé
17EP, p. 19-20, par. 1.18.
18CR 2006/50, p. 25-26, par. 44 (M Kalala).
19 er
MG, annexe 151, procès-verbal de la réunion tenue le 1 juin 1995 entre la Gécamines et Africontainers sur
l’utilisation par la Gécamines des containers d’Africontainers dans le cadre du contrat tripartite.
20EP, annexe 6, note du 16 septembre 1997 sur le calendrier des travaux de la commission litiges containers
(Gécamines), p. 2, sous le point 1.2.1.
21CR 2006/50, p. 29-30, par. 54.
22MG, annexes 72 et 91.
23CR 2006/50, p. 26, par. 45.
24CR 2006/50, p. 26, par. 46. - 17 -
des prétentions portées devant elles, et les avaient donc accueillies. Par ailleurs, des
conclusions en cassation avaient été prononcées en faveur des sociétés de M. Diallo. Au dire
même de l’autorité judiciaire zaïroise, les réclamations de ces sociétés n’étaient donc pas
privées de tout fondement.
e
5) M Kalala s’est offusqué hier, à plusieurs reprises, des taux d’intérêts appliqués par M. Diallo,
qu’il a jugés «exorbitants» . Mais il faut, là encore, replacer les réclamations de M. Diallo
dans le contexte économique du Zaïre de l’époque : comme vous le constaterez, en vous
os
reportant aux documents publics joints au dossier des juges sous les cotes n 1 et 2, les taux
d’intérêt bancaires au Zaïre à la fin des années quatre-vingt et dans la première moitié des
26
années quatre-vingt-dix étaient de 55 % par an, voire de 95 % ; et surtout, le Zaïre subissait
alors une inflation galopante : de 80 à 104 % d’inflation entre 1987 et 1990 ; plus de 2000 %
d’inflation en 1991, et entre 3500 et 23 000 % d’inflation en 1992 . Dans ces conditions,
l’application de taux d’intérêt très élevés était inévitable. Ces fluctuations rendaient
évidemment difficile l’estimation financière de préjudices et expliquent certaines erreurs
commises par M. Diallo qui en est venu à surestimer certaines des créances de ses sociétés.
6) Le Congo est visiblement conscient des limites de son accusation, puisqu’il estime devoir la
fonder sur un élément supplémentaire : le fait que M. Diallo se soit adressé par une lettre du
30 novembre 1995 à des personnalités étrangères aurait nui à la «crédibilité et l’image» du
e 28
Congo, et «c’est dans ce contexte», selon M Kalala, qu’aurait été pris le décret d’expulsion .
Non seulement je suis sceptique sur le fait qu’une lettre ait pu, à elle seule, créer le moindre
e
trouble à l’ordre public, mais en outre, M Kalala a une conception bien curieuse de la
chronologie : la lettre du 30 novembre est postérieure au décret d’expulsion, qui avait été
adopté un mois auparavant, le 31 octobre 1995. Je ne vois donc pas comment cette lettre aurait
e
pu motiver ce décret d’expulsion, comme l’affirme M Kalala.
25
CR 2006/50, p. 33, par. 68 ; p. 36, par. 75.
26Voir dossier des juges, n 1.
27Voir dossier des juges, n 2.
28
CR 2006/50, p. 38-39, par. 84-87. - 18 -
7) Et enfin, le contexte même dans lequel les mesures reprochées à l’Etat congolais ont été
adoptées montre que celui-ci, à l’époque, n’estimait pas dénuées de tout fondement les
réclamations des sociétés de M. Diallo. Car, en effet, si véritablement, comme le Congo
l’affirme aujourd’hui, les autorités zaïroises avaient jugé à l’époque sans fondement les
réclamations de M. Diallo, elles n’auraient rien eu à craindre de l’intervention des juridictions
internes, qui n’auraient pas manqué de les rejeter. Il suffisait donc de laisser les procédures
normales suivre leur cours. Or, ce n’est justement pas ce qu’ont fait les autorités zaïroises, qui
sont intervenues afin de bloquer les procédures judiciaires entamées. Il n’y a qu’une seule
explication, non seulement plausible, mais même possible, à ce comportement : les autorités
exécutives congolaises craignaient que les juges internes accueillent les demandes des sociétés
de M. Diallo, et si cette crainte existait, c’est bien que ces réclamations n’étaient pas
dépourvues de tout fondement. Cette dernière remarque me conduit tout droit à mon second
point, dans le cadre duquel je rappellerai quelles ont été :
II. Les mesures prises par l’Etat congolais contre M. Diallo et ses sociétés
13. Que montrent à cet égard les éléments de preuve versés au dossier, éléments qui, je le
souligne, émanent précisément des autorités zaïroises dont les comportements sont contestés, ce qui
leur confère, en vertu de votre jurisprudence constante, une force probante tout à fait
particulière ? Ils montrent qu’en 1988 comme en 1995-1996, les autorités exécutives zaïroises
n’ont pas hésité à suspendre arbitrairement les procédures internes d’exécution de décisions
rendues en faveur des sociétés de M. Diallo, avant d’arrêter ce dernier, puis de l’emprisonner, pour
finalement, en 1995-1996, l’expulser. Avec votre permission, Madame le président, je reviendrai,
en détail, sur ces deux épisodes successivement, en commençant par…
The PRESIDENT: Yes certainly, but could you kindly do it a little more slowly ?
M. FORTEAU : Yes.
The PRESIDENT: Thank you.
29Voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du
19 décembre 2005, par. 61, citant Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, 27 juin 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 41, par. 64. - 19 -
L’ingérence dans les procédures en cours, l’arrestation et la détention de 1988
e 30
14. M Kalala l’a rappelé hier , en juin 1986, la société Africom et l’Etat zaïrois ont passé
un contrat, comme ils l’avaient déjà fait en 1983, contrat en vertu duquel la société de M. Diallo
s’engageait à répondre à une commande de l’Etat en papier listing . Le choix s’était porté sur
Africom en raison du sérieux avec lequel, selon le Congo lui-même, celle-ci avait exécuté le
32
contrat de 1983 (contrat que, d’ailleurs, de son côté, l’Etat n’avait toujours pas exécuté en 1986,
puisque la facture demeurait impayée à cette date).
15. Le 13 novembre 1987, cinq lettres de change furent finalement émises en vue du
paiement à Africom de l’ensemble des factures correspondant aux commandes exécutées en vertu
33
des contrats passés avec l’Etat zaïrois depuis 1983 , et le 22 décembre de la même année, le
commissaire d’Etat délégué aux finances demandait au gouverneur de la banque du Zaïre de régler
ces traites par débit sur le compte du Trésor 34.
16. Mais, alors même que la réalité de la créance n’était pas, et n’a jamais été, contestée par
le Congo, et alors même qu’au dire même de ce dernier, elle ne portait que sur une «somme
modeste» , l’exécutif zaïrois décida brutalement, à la veille de son exécution, d’interrompre le
paiement des sommes dues, avant de recourir à des mesures arbitraires d’arrestation et
d’emprisonnement, au seul motif que M. Diallo avait osé réclamer le paiement de créances pourtant
reconnues par l’Etat lui-même comme devant être acquittées.
17. Le 14 janvier 1988, en effet, le premier commissaire d’Etat demanda au commissaire
36
d’Etat délégué aux finances de suspendre le paiement des factures exécutées . Une campagne
médiatique s’ensuivit qui fut lancée par les autorités exécutives contre M. Diallo, l’accusant
d’escroquer l’Etat, alors qu’il n’avait fait que réclamer le paiement d’une créance pleinement
30 CR 2006/50, p. 18, par. 11.
31 MG, annexe 26, courrier du 20 juin 1985 du département des finances, budget et portefeuille au citoyen d’Etat
aux finances et budget à Kinshasa-Gombe.
32 Ibid.
33 Voir OG, p. 16, par. 1.38, et MG, annexes 46 à 50 (lettres de change du 13 novembre 1987).
34
MG, annexe 51, lettre du 22 décembre 1987 du département des finances au gouverneur de la banque du Zaïre.
35
EP, p. 14-15, par. 1.10 ; CR 2006/50, p. 19, par. 15-16 (Kalala).
36
MG, annexe 51, précitée. - 20 -
reconnue. Puis celui-ci fut arrêté et emprisonné sans autre forme de procès, sur ordre du même
37
premier commissaire d’Etat, à la fin du mois de janvier 1988 .
18. Six mois plus tard, M. Diallo était encore en détention, comme l’atteste une lettre du
38
premier commissaire d’Etat en date du 4 juillet 1988 , et il lui faudra attendre le 28 janvier 1989,
soit un an après les faits, pour qu’enfin, le procureur général reconnaisse, froidement et sans
qu’aucune excuse soit formulée, que le dossier ouvert à l’encontre du gérant d’Africom devait être
classé pour défaut d’opportunité des poursuites . M Kalala n’ayant strictement rien dit hier de ces
mesures de contrainte , pourtant exposées dans les observations de la Guinée , j’en déduis que 41
l’Etat défendeur en admet la véracité.
19. Après sa libération, M. Diallo demanda bien aux autorités zaïroises compétentes, avec
une déférence et une prudence que l’on comprend au regard des mesures qui venaient d’être prises
42
à son encontre, de bien vouloir spontanément s’acquitter du paiement des sommes dues . Mais la
43
seule réponse de l’Etat fut d’intégrer la créance dans la dette publique intérieure du Congo , et de
44
transférer le dossier à l’Office de la gestion de la dette publique , auprès de qui avaient été
45
«centralis[és] … tous les dossiers relatifs à la dette publique» , sans que celui-ci ait jamais donné
aucune suite à la réclamation d’Africom.
L’ingérence dans les procédures en cours, l’arrestation, la détention, l’expulsion et le
refoulement de 1995-1996
20. Rétrospectivement, il apparaît que les mesures prises contre M. Diallo en 1988 ne
constituaient qu’un avant-goût des mesures encore plus dramatiques dans leurs conséquences qu’il
37Voir OG, p. 17-18, par. 1.40-1.42.
38Voir OG, annexe 15, lettre n 0639 du 4 juillet 1988 de M. Sambwa Pida Nbagui, premier commissaire d’Etat
zaïrois au président du conseil judiciaire.
39OG, annexe 16, lettre n 431 du 28 janvier 1989 du procureur général près la Cour d’appel de Kinshasa à
M. Diallo.
40
CR 2006/50, p. 18-19, par. 11-16.
41
OG, p. 17-18, par. 1.40-1.43.
42
Voir MG, annexe 57, lettre du 27 juillet 1989 du directeur du bureau du président du Zaïre au citoyen premier
commissaire d’Etat ; OG, annexe 18, lettre du 30 novembre 1989 de M. Diallo au gouverneur de la banque du Zaïre.
43
EP, p. 15, par. 1.10.
44
MG, annexe 71, lettre du 3 août 1990 du ministère des finances au président délégué général de l’OGEDEP ;
EP, p. 15, par. 1.10.
45EP, annexe 57, lettre du ministre des finances zaïrois (sans date). - 21 -
devait subir sept ans plus tard de la part du même pouvoir exécutif zaïrois. Il ne faisait pas bon
s’attaquer à l’Etat congolais en 1988, il ne fit pas meilleur, sept ans plus tard, réclamer des
entreprises dans le capital desquelles il avait des intérêts financiers manifestes l’exécution de leurs
dettes. Le 31 octobre 1995, un décret d’expulsion était adopté contre M. Diallo , qui fut arrêté et
emprisonné le 5 novembre de la même année , avant d’être remis en liberté le 10 janvier 1996 , 48
puis de nouveau arrêté et finalement définitivement refoulé hors du territoire zaïrois le 31 janvier,
49
sans possibilité de retour .
21. Quelle fut la motivation de ces mesures ? La chronologie le montre très clairement : les
sociétés de M. Diallo avaient obtenu, ou étaient sur le point d’obtenir, gain de cause devant les
différentes juridictions zaïroises qu’elles avaient saisies, et le pouvoir exécutif zaïrois, dont les
intérêts financiers étaient impliqués, ne voulait pas l’admettre.
22. L’année 1995 s’annonçait prometteuse en effet au plan judiciaire pour les sociétés de
M. Diallo :
le 11 janvier, puis le 20 avril, le ministère public avait prononcé devant la Cour suprême de
justice des conclusions favorables, d’une part à Africom dans le dossier l’opposant à la société
PLZ, d’autre part à Africontainers dans le dossier l’opposant à la société Zaïre Fina, en
requérant dans l’un et l’autre cas la cassation des arrêts d’appel qui avaient annulé les
50
jugements de première instance rendus, à chaque fois, en faveur des sociétés de M. Diallo ;
le 3 juillet 1995 par ailleurs, le tribunal de grande instance de Kinshasa faisait droit aux
réclamations d’Africontainers dans le litige l’opposant à la société Zaïre Shell en condamnant
51
cette dernière au paiement d’une somme de 13 millions de dollars . Ce jugement intéressait
46 EP, annexe 75, décret n 0043 du 31 octobre 1995 portant expulsion de M. Diallo du territoire de la République
du Zaïre.
47 OG, annexe 27, billet d’écrou en date du 5 novembre 1995.
48 MG, annexe 194, billet de mise en liberté de M. Diallo, 10 janvier 1996.
49 MG, annexe 197, procès-verbal de refoulement de M. Diallo, 31 janvier 1996. Voir MG, p. 29-33,
par. 2.63-2.74.
50 MG, annexe 146, conclusions du ministère public dans le pourvoi en cassation contre l’arrêt RCA 17244
(l’arrêt de première instance est reproduit en annexe 130 du mémoire de la Guinée) ; MG, annexe 149, conclusions du
ministère public dans le cadre du pourvoi en cassation de l’arrêt RCA 17229 du 24 février 1994 (l’arrêt de première
instance figure en annexe 53 des exceptions préliminaires, et l’arrêt d’appel en annexe 54 des exceptions préliminaires).
51 MG, annexe 153, jugement du tribunal de grande instance de Kinshasa RCA 63824 RH 26767 du
3 juillet 1995. - 22 -
indirectement les deux autres sociétés pétrolières Mobil Oil et Fina, puisque Africontainers leur
reprochait les mêmes manquements contractuels que ceux commis par Zaïre Shell.
23. Zaïre Shell essaya d’obtenir, par les voies judiciaires normales, la suspension de
l’exécution de l’arrêt du tribunal, mais en vain. Sa demande de suspension fut rejetée le 24 août
par la Cour d’appel , laquelle réaffirma le 13 septembre, sur nouvelle demande de Shell, le
53
caractère pleinement exécutoire de l’arrêt du tribunal de grande instance .
24. Pour contourner cette impossibilité judiciaire d’échapper à l’exécution de l’arrêt rendu
contre elle, Shell se tourna alors vers le pouvoir exécutif, dont elle sollicita l’ingérence dans les
procédures judiciaires en cours. Tel fut en effet l’objet de la lettre qu’elle adressa le 29 août au
ministre de la justice , lettre à laquelle fit écho une autre lettre, similaire, adressée au premier
55
ministre le 15 novembre par les sociétés Mobil Oil et Fina .
25. Il n’est peut-être pas inutile de préciser ici car cela montre bien que c’est une véritable
ingérence dans les procédures en cours qui était sollicitée que la demande de «suspension
d’exécution d’arrêts» formulée par Shell ne concernait pas seulement les sociétés de M. Diallo.
Shell se trouvait ce sont ses propres termes, et ils ne s’inventent pas dans la «situation
particulièrement préoccupante et récidiviste» d’avoir été condamnée à de multiples reprises (pas
moins de treize fois) dans des litiges l’opposant à plusieurs de ses cocontractants. Selon Shell, la
suspension qu’elle sollicitait de ces treize procédures d’exécution de décisions de justice devait
intervenir en vue d’assurer la «sauvegarde [de son] patrimoine», patrimoine auquel l’Etat zaïrois
n’était pas indifférent, puisqu’il en était associé.
26. Le pouvoir exécutif donna rapidement suite à cette demande. L’exécution de l’arrêt
rendu dans l’affaire Africontainers c. Zaïre Shell fut suspendue, le 13 septembre, sur ordre du
52 EP, annexe 65, signification à la société Zaïre Shell de l’arrêt du 24 août 1995 rendu par la Cour d’appel de
Kinshasa-Gombe.
53MG, annexe 170, lettre du 13 septembre 1995 du premier président de la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe au
service d’exécution du tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe. Voir aussi MG, annexe 169, rapport du
5 septembre 1995 afin d’obtenir le visa pour l’exécution forcée du jugement RC 63824 dans la cause Africontainers
contre société Zaïre Shell.
54 MG, annexe 166, lettre du 29 août 1995 de Zaïre Shell au ministre de la justice zaïrois sur la demande de
suspension d’exécution d’arrêts et de jugements.
55EP, annexe 74, lettre commune de Mobil et de Fina aux autorités zaïroises, en date du 15 novembre 1995. - 23 -
ministre de la justice, sans aucune base juridique . Le 28 septembre, le ministre de la justice
reconnut finalement dans une lettre adressée au premier président de la Cour d’appel qu’il n’y avait
57
eu «aucun mal-jugé manifeste». Il demanda en conséquence la reprise de l’exécution de l’arrêt ,
58
ce qui permit, le 6 octobre, la réalisation d’une saisie-exécution . Mais, nouvelle volte-face,
59
ignorée de l’Etat défendeur , le 13 octobre, il fut procédé, en dehors de tout cadre légal, sur
«instructions verbales» du ministre de la justice, à une nouvelle mainlevée, cette fois-ci définitive,
des saisies-exécutions . 60
27. Ainsi fut brutalement et arbitrairement interrompue une procédure d’exécution pourtant
validée par les juridictions internes et reconnue comme devant être menée à son terme par le même
ministre quelques jours plus tôt. C’est dans ce contexte qu’est intervenue, le 31 octobre, l’adoption
du décret d’expulsion de M. Diallo , dont la seule motivation était, d’évidence, non plus seulement
de le dissuader, mais plus largement, dans la continuité des mesures déjà prises, de l’empêcher de
poursuivre, au nom de ses sociétés, les différentes procédures entamées. En emprisonnant puis en
expulsant l’unique gérant et associé des sociétés privées à responsabilité limitée Africom et
Africontainers, le Congo savait pertinemment en effet qu’il entraverait l’activité de ces deux
sociétés et qu’il empêcherait tout recouvrement de ce qui leur était dû ce qui s’est effectivement
produit .2
28. Les circonstances dans lesquelles la procédure d’expulsion a été menée par les autorités
exécutives zaïroises confirment d’ailleurs que l’action de ces autorités n’était nullement dictée par
l’intérêt général, mais que leur intention réelle était de s’assurer que M. Diallo ne puisse pas
poursuivre, au nom de ses sociétés, les actions intentées. La simple mise en regard, presque
factuelle, d’un côté des dispositions législatives applicables, de l’autre des mesures prises, suffit en
56 MG, annexe 171, rapport d’exécution RH 26853, Africontainers c. Zaïre Shell, 13 septembre 1995 ; EP,
annexe 70, lettre du 13 septembre 1995 adressée par le vice-ministre M Kikadi Gapongolo au premier président de la
Cour d’appel de Kinshasa-Gombe.
57
MG, annexe 177, lettre du 28 septembre 1995 du ministre de la justice au premier président de la Cour d’appel
de Kinshasa-Gombe.
58
MG, annexe 179, saisie-exécution RH 26853 chez Zaïre Shell, 6 octobre 1995.
59
EP, p. 124-126, par. 3.47-3.50 ; CR 2006/50, p. 35, par. 73 (Kalala).
60OG, annexe 26, procès-verbal du 13 octobre 1995 de mainlevée de la saisie pratiquée sur les biens de Shell.
61EP, annexe 75, décret n 0043 du 31 octobre 1995 portant expulsion de M. Diallo du territoire de la République
du Zaïre.
62OG, p. 26-27, par. 1.66-1.168. - 24 -
effet à établir le caractère manifestement arbitraire, au sens que votre jurisprudence et la
jurisprudence arbitrale donnent à ce qualificatif , des modalités de mise en Œuvre de l’expulsion :
d’une part, en effet, les conditions de motivation, de procédure et de consultation préalable
imposées par les articles 15 et 16 de l’ordonnance du 12 septembre 1983 relative à la police des
64 o
étrangers que vous trouverez dans le dossier des juges, c’est le document n 3 n’ont pas
été respectées par les auteurs du décret d’expulsion ;
d’autre part, les autorités zaïroises ne pouvaient pas, en vertu de l’article 15 de la même
ordonnance, détenir M. Diallo, au cas où ce dernier aurait tenté de se soustraire à la procédure
d’expulsion, au-delà d’un délai absolument maximal de huit jours, délai largement dépassé en
e
l’espèce, contrairement à ce qu’affirmait hier, sans preuve, M Kalala : en effet, M. Diallo a été
écroué le 5 novembre 1995, comme le prouve non seulement une lettre d’Avocats sans
frontières du 13 décembre 1995, mais aussi un billet d’écrou du 5 novembre 1995 ; le Congo 65
reconnaît par ailleurs que M. Diallo était toujours en détention le mois suivant,
66
en décembre 1995 ; enfin, la Guinée a produit dans son mémoire un billet de mise en liberté
67
daté seulement du 10 janvier 1996 . La détention a donc clairement dépassé, et de loin, le
délai absolument maximal de huit jours. M. Diallo a d’ailleurs de nouveau fait l’objet de
mesures de contrainte avant son refoulement définitif le 31 janvier. Qui plus est, il n’a pas été
mis en position de pouvoir communiquer avec ses autorités consulaires durant sa détention ;
dernière remarque, c’est un procès-verbal de refoulement qui a concrétisé l’éloignement
68
définitif de M. Diallo du territoire de l’Etat défendeur , alors qu’en droit zaïrois, M. Diallo ne
63
Voir Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, CIJ Recueil 1989, p. 76, par.
128 ; CIRDI, Azurix Corp. c. Argentine, ARB/01/12, sentence du 14 juillet 2006, par. 393 (disponible sur
http://ita.law.uvic.ca/) ; LG&E Energy Corp. c. Argentine, ARB/02/1, sentence du 3 octobre 2006, par. 157 (disponible
sur http://ita.law.uvic.ca/).
64EP, annexe 73, ordonnance-loi n° 83-033 du 12 septembre 1983 relative à la police des étrangers, et dossier des
o
juges, onglet n 3.
65
MG, annexe 190, lettre du 13 décembre 1995 d’Avocats sans frontières au premier ministre du Zaïre ;
OG, annexe 27, billet d’écrou en date du 5 novembre 1995.
66
EP, p. 41, par. 1.56.
67
MG, annexe 194, billet de mise en liberté de M. Diallo, 10 janvier 1996.
68MG, annexe 197, PV de refoulement de M. Diallo, 31 janvier 1996. - 25 -
pouvait pas être juridiquement «refoulé» puisqu’il était présent sur le territoire du Congo au
69
moment de l’exécution de cette mesure .
29. Ces différents éléments montrent que c’est dans une précipitation évidente que les
autorités zaïroises ont agi, sans s’embarrasser du respect des procédures et formes applicables.
M. Diallo gênait, il fallait s’en débarrasser, quel que soit le moyen utilisé, car il y avait urgence à
entraver les réclamations de ses sociétés dont le juge interne zaïrois commençait à reconnaître le
bien-fondé. Tel était l’objectif, et tel a été l’effet, des mesures prises par l’Etat congolais, qui ont
ce faisant atteint dans leurs droits M. Diallo et ses sociétés. Voilà, Madame le président, les faits
pertinents qu’il me semblait devoir être rappelés à ce stade de l’instance.
Je vous remercie, Madame le président, Messieurs les juges, de votre bienveillante attention,
e
et je vous prie de bien vouloir appeler à cette barre M Wordsworth.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Forteau. I now call Mr. Wordsworth.
Mr. WORDSWORTH:
III. Guinea’s right to exercise diplomatic protection in respect of the arbitrary detention
and expulsion of Mr. Diallo, and in respect of his shareholders’ rights
1. Madam President, Members of the Court, it is an honour to appear before you on a case
that brings to the fore two very important issues on the extent of rights of diplomatic protection.
These are two issues that have, in a sense, been waiting for this Court’s further consideration since
they were touched upon in the Barcelona Traction case (Barcelona Traction, Light and Power,
Company, Limited (Belgium v. Spain), Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970, p. 3), and
were a silent or semi-silent presence in the Chamber’s decision in the case concerning Elettronica
Sicula (Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (United States of America v. Italy), Judgment, I.C.J.
Reports 1989, p. 15).
(a) The first issue concerns the extent of shareholders’ rights. The Court in Barcelona Traction of
course recognized that the shareholders’ State has a right to exercise diplomatic protection
where “the act complained of is aimed at the direct rights of the shareholder as such”
69Voir les articles 13 et 15 de l’ordonnance précitée du 12 septembre 1983. - 26 -
70
(para. 47) . The Parties agree that a right to exercise diplomatic protection exists in these
circumstances. The dispute goes to whether Mr. Diallo has relevant direct shareholders’ rights
in this case, and this is the issue that I will be focussing on.
(b) The second issue concerns the “theory” referred to by the Court in Barcelona Traction that,
where the damage concerned is to the company, “the State of the shareholders has a right of
diplomatic protection when the State whose responsibility is invoked is the national State of the
company” (para. 92). This is precisely the scenario here: the responsibility of the DRC is
invoked; the DRC is the national State of Mr. Diallo’s two companies. And Professor Pellet
will be considering whether Guinea therefore has a right of diplomatic protection in respect of
harm caused to the two companies.
2. So far as concerns shareholders’ rights, the case put forward by Maître Mazyambo
yesterday was quite straightforward. In essence, he said that Guinea is simply reiterating the
arguments of the Belgian shareholders that were rejected in the Barcelona Traction case, that the
71
decision in Barcelona Traction therefore disposes of the issues in this case , that Guinea is
72
confusing the rights of the shareholder with the rights of the company , and that although a claim
may theoretically be brought in respect of shareholders’ rights, such rights are very restricted and
73
are not at issue in this case .
3. Guinea’s response is as follows:
4. First, the silence: there are two aspects of Guinea’s claim about which yesterday we heard
absolutely nothing. Guinea asserts a right of diplomatic protection in respect of the alleged
wrongful detention and arbitrary expulsion of its national, Mr. Diallo. And Guinea asserts rights in
respect of the failure to notify Mr. Diallo of his right to consular access. There is a developed
section in Guinea’s Memorial on these issues 74. Yet the DRC has simply ignored these aspects of
Guinea’s claim, both in its written pleadings and again yesterday.
70See also Agrotexim and Others v. Greece (1996) 21 EHRR, p. 250, p. 282, para. 62.
71CR 2006/50, 27 November 2006, pp. 47-48, paras. 13, 16-18.
72
CR 2006/50, 27 November 2006, p. 46, para. 9.
73CR 2006/50, 27 November 2006, p. 45, para. 8, p. 49, para. 21.
74Memorial of Guinea, paras. 3.2-3.12. - 27 -
5. Second, the Barcelona Traction case makes a useful starting point for the Court’s enquiry
in this case, but it in no sense marks the endpoint. This is not a Barcelona Traction mark II; and it
is not an ELSI mark II either, although in fact ELSI may be the more useful precedent for the Court.
6. Third, the DRC has chosen not to respond to the case that Guinea makes on shareholders’
rights. This case does not confuse the rights of the shareholder with the property or other rights of
the company, and does indeed confine itself to the infringement of the rights of the shareholder
vis-à-vis the company.
7. Let me develop these points, first by focusing on the differences between this case and the
Barcelona Traction case. There are five important points of distinction:
8. First, the Barcelona Traction case just like ELSI, in fact concerned harm caused first
and foremost to the company: the bankruptcy of the company, in Barcelona Traction, in ELSI, the
requisition of the company’s assets and the subsequent bankruptcy of the company. The issue in
the Barcelona Traction case was, as the Court put it, whether it could be said that a right,
specifically of Belgium, had been violated in circumstances where “the measures complained of
[had] been taken in relation not to any Belgian national but to the company itself”, being of course
a non-Belgian company (para. 32; and see paras. 33-35). Here, by contrast, the, or at least one,
principal allegation concerns measures taken in relation to the Guinean national, Mr. Diallo:
(a) It is Mr. Diallo who was wrongfully detained and arbitrarily expelled, not his companies. It is
Mr. Diallo who was not informed of his rights of consular access. There was no equivalent
conduct in play in the Barcelona Traction case, or indeed in ELSI, and the outcome in
Barcelona Traction would surely have been different if there had been. If the correct question,
following the formulation of the Court in Barcelona Traction is has a right of Guinea been
violated on account of the arbitrary detention and expulsion of Mr. Diallo? the answer must
be “yes” (see case concerning the Barcelona Traction, Light and Power Company, Ltd
(Belgium v. Spain), Judgment, I.C.J. Reports 1970, p. 33, para. 35). A right of Guinea has also
been violated by the failure to inform Mr. Diallo of his consular rights in breach of the Vienna
Convention on Consular Relations. It may be that the better question, so far as concerns
diplomatic protection, focuses instead on which person or entity has the relevant cause of
action. This was the approach suggested by Sir Gerald Fitzmaurice in his separate opinion in - 28 -
the Barcelona Traction case, and supported by notable commentators at the time (cf. I.C.J.
Reports 1970, separate opinion of Sir Gerald Fitzmaurice, p. 66. See, also, Higgins, “Aspects
of the case concerning the Barcelona Traction, Light and Power Company, Ltd”, Virginia
Journal of International Law, 11, 327, 330.) It is self-evident that Mr. Diallo has the relevant
cause of action, so far as concerns the alleged arbitrary detention and expulsion and Guinea
may without any doubt espouse that cause.
(b) And this is one short answer to the preliminary objections. There are no doubt issues of fact to
be resolved and questions of what losses flow from the violation of Mr. Diallo’s rights in this
respect, including whether he can recover for losses caused by an inability of his companies to
pursue their debts that was consequential upon his detention and his expulsion. But these are
issues for the merits. The right to exercise diplomatic protection and the other rights are there,
they are unchallenged, and this means that the preliminary objections must fail, at least in part.
9. I turn to the second point of distinction: it is likewise Mr. Diallo, whose direct rights as
shareholder have been infringed, including, as I will show, his rights as a shareholder to supervise,
control and manage his companies. In the Barcelona Traction case, by contrast, Belgium expressly
did not base its claim on an infringement of the direct rights of the shareholders (see para. 49).
10. Third point of distinction: in the Barcelona Traction case, the Court had to determine
the extent of rights of diplomatic protection where three States were potentially involved in a
so-called “triangular relationship”: Belgian shareholders, a Canadian company, and alleged
wrongful acts by Spain. Here, of course, just two States are involved: Guinea, the national State of
Mr. Diallo, and the DRC, the State of incorporation of Mr. Diallo’s companies, and also the State
alleged to have committed the wrongful acts. It follows that the central finding of the Barcelona
Traction case that Belgium could not espouse a claim for damage to the interests of its
shareholders, caused by acts directed against a Canadian company has no application here.
11. Fourth point of distinction: there is no question here of complex multinational share
ownership and competing shareholder States. There is in effect only one shareholder, and of
course only one shareholder State. And the fact that Mr. Diallo was the sole shareholder takes on a
particular significance because, on the alleged facts, and indeed on the DRC’s case, as it was put
yesterday, the Respondent confused shareholder and company. It directed acts at Mr. Diallo - 29 -
notably the detention and the expulsion specifically with a view to impeding, and in fact
impeding, his rights to supervise, control and manage his companies; and the Respondent thereby
disabled the functioning of the two companies and the pursuit of their debts. So while Guinea’s
case centres on Mr. Diallo’s rights as a shareholder, the issue of the harm caused to the companies
remains an important part of this claim, not least when it comes to assessing the loss caused by the
infringement of those shareholders’ rights.
12. Fifth point of distinction: Mr. Diallo’s two companies were not “sociétés anonymes”
the Barcelona Traction Company was of course a société anonyme but rather took the very
particular form of “sociétés privées à responsabilité limitée” (SPRLs), which have been
characterized as a hybrid form of company, close in certain respects to a simple partnership or
75
“société de personnes” , and with particular rights and protections for the shareholder both in
terms of the transfer of shares and importantly in this case rights of control.
13. And this leads me to Guinea’s case on the nature and extent of the rights of Mr. Diallo as
shareholder, which must start with the preliminary question so far as concerns the identification of
the legal source of those rights.
The source of Mr. Diallo’s rights as shareholder
14. The right to exercise diplomatic protection in respect of the direct rights of a shareholder
of course exists as a matter of international law. But international law then refers by way of renvoi
to municipal law which gives content to the relevant direct rights.
15. Thus in the Barcelona Traction case, the Court distinguished acts directly affecting the
company and acts directly affecting the shareholder and held:
“The situation is different if the act complained of is aimed at the direct rights
of the shareholder as such. It is well known that there are rights which municipal law
confers upon the latter distinct from those of the company, including the right to any
declared dividend, the right to attend and vote at general meetings, the right to share in
the residual assets of the company on liquidation. Whenever one of his direct rights is
infringed, the shareholder has an independent right of action.” (Para. 47.)
7Louis Fredericq, Traité de droit commercial belge, tome V, Ed. Fecheyr, Gand, 1950, p. 877; see, also, re. the
French equivalent to the SPRL, the “société à responsabilité limitée” (SARL), Paul Le Cornu, Droit des sociétés,
Montchrestien, Paris, 2003, p. 733 and Philippe Merle, Droit commercial. Sociétés commerciales, Dalloz, Paris, 2000,
p. 189. - 30 -
16. There are two points to make: first, the Court is in no sense seeking to create a definitive
list of direct rights it gives certain well-known examples, but these are nothing more than
examples, and I understood Maître Mazyambo to accept this yesterday (CR 2006/50,
27 November 2006, p. 49, para. 23); second, it would have been difficult for the Court to go any
further than giving examples, as it appears to see the relevant rights as stemming from unspecified
municipal law.
17. The position has now been taken up in Article 12 of the ILC’s 2006 draft Articles on
Diplomatic Protection, which were adopted on 8 August 2006, and I have set out Article 12, at
paragraph 4, of my outline in your judges’ folder. This provides:
“To the extent that an internationally wrongful act of a State causes direct injury
to the rights of shareholders as such, as distinct from those of the corporation itself,
the State of nationality of any such shareholders is entitled to exercise diplomatic
protection in respect of its nationals.”
The Commentary to Article 12 then notes (at para. (4)):
“Article 12 does not specify the legal order that must determine which rights
belong to the shareholder as distinct from the corporation. In most cases this76s a
matter to be decided by the municipal law of the State of incorporation.”
18. This is entirely as would be expected. The law of the State of incorporation is the law
that establishes the legal relationship between the company and the shareholder, and it is also the
law by virtue of which the company’s personality is internationally recognized . As a corollary,
this must also be the law by virtue of which the shareholders’ rights vis-à-vis the company are
internationally recognized.
The relevant law of the DRC: the 1887 Decree
19. The direct rights of Mr. Diallo as shareholder may therefore be taken for present
purposes as being established by DRC law, in particular the 1887 Decree on Commercial
Companies, as amended . 78
7See also the Fourth Report of the Special Rapporteur, Mr. Dugard, para. 92.
77
Bakalian v. Ottoman Bank (1965) 47 ILR, 216, 228. See also the forthcoming Chapter by Lowe, “Injuries to
Corporations”, in La responsabilité internationale, eds. Crawford et al.
78
Observations of Guinea, Ann. 35. - 31 -
20. I have set out the relevant articles at paragraph 5 of my outline; they are also to be found
at tab 4 of the judges’ folder. These articles, which I will come back to in a moment in more detail,
show that the shareholders’ rights enjoyed by Mr. Diallo divided into what might loosely be seen as
rights in property, such as the rights to dividend and to the rights to proceeds of liquidation, and
much more importantly in this case, rights of control. By “rights of control” I do not mean the
power to direct the acts of the companies on a day-to-day basis, which Mr. Diallo undoubtedly had
79
by virtue of his position as “gérant” manager and his voting power as the sole shareholder ,
but concrete rights to participate in the control of the two SPRLs that the DRC has chosen to put in
place as part of its company law.
21. Turning to the individual provisions the top of page 3 in my outline I have set out:
(a) Article 51: which accords to each shareholder “un droit égal dans l’exercice des
prérogatives d’associé”.
(b) Article 65: “les gérants sont nommés soit dans l’acte constitutif soit par l’Assemblé générale
pour un temps limité ou sans durée déterminée”: this is the right of the shareholders to appoint
the “gérant”; again this is an important right of participation in the control of the company.
Mr. Diallo, as sole shareholder, had the right to appoint himself as “gérant”. And, as would be
perfectly usual in a SPRL, he did appoint himself as “gérant”, and importantly for an unlimited
80
duration .
(c) Because this then leads us to Article 67: “sauf disposition contraire des statuts, les gérants
associés” and that is Mr. Diallo in this case; “un gérant associé” nommé pour la durée de
la société” as was Mr. Diallo “ne sont révocables que pour de justes motifs par
l’Assemblée générale délibérant dans les conditions requises pour les modifications au Statut.
Les autres gérants sont révocables en tous temps”; there is a clear difference between the
“gérant associé” appointed for the life of the company and other “gérant”, who are simply
“révocable en tous temps”. The “gérant associé” in the SPRL therefore has a particular status
and particular protections. Once appointed for the duration of the company, he or she cannot
be removed save for by a special vote of the company in general meeting.
7Cf. BT, para. xx.
8Memorial of Guinea, Ann. 3. - 32 -
The position is thus quite different to the “société anonyme”. To quote one commentator:
“C’est dans les dispositions relatives à la gérance que la différence entre la
SPRL et la SA apparaît le plus nettement. Quelle que soit l’étendue des pouvoirs
attribués dans certaines SA à l’administrateur délégué . . ., la ‘maîtrise de l’affaire’ ne
peut jamais lui être assurée comme dans une SPRL.” 81
(d) But following his detention and expulsion, these important rights were effectively lost to
Mr. Diallo. Contrary to Article 65, he was deprived of the right to appoint the “gérant” of his
choice, i.e. himself he could no longer as a practical matter fulfil the role of “gérant” from
Guinea. The protections of Article 67 similarly counted for nothing.
(e) I turn then to Article 68 which is at the bottom of page 3 of my outline: and this is
concerned with the powers of the “gérant”. “Chaque gérant a tous les pouvoirs pour agir au
nom de la société en toutes circonstances et pour accomplir les actes d’administration et de
dispositions qu’implique l’objet social.” These are the powers, but, as a sole shareholder of the
SPRLs, Mr. Diallo had the right to appoint himself as “gérant” and thereby entitle himself to
exercise these powers. Thus Articles 65 and 67 create certain rights for the “associé” or the
“gérant associé”, while Article 68 may be seen as giving content to those rights.
(f) I turn to Article 71 an article of particular importance in this case: “la surveillance de la
gérance est confiée à un ou plusieurs mandataires associés ou non associés appelés
commissaires, si le nombre des associés ne dépasse cinq” as was of course the case with
respect to Mr. Diallo’s companies, he was the sole shareholder, with only one “associé” “la
nomination de commissaire n’est pas obligatoire et chaque associé a les pouvoirs des
commissaires”. Mr. Diallo was the sole shareholder of his two companies and pursuant to
Article 71 he was accorded all the rights and powers of the “Commissaire”, and this right is
also set out at Article 19 of the Statute of Africontainers: “La surveillance de la société est
exercée par chacun des associés.” 82
(g) Further content given to the right under Article 71 is then provided by Article 75: “Le mandat
des commissaires consiste à surveiller et à contrôler sans aucune restriction, tous les actes
accomplis par la gérance, toutes les opérations de la société et le registre des associés.”
8M. Coipel, Les sociétés privées à responsabilité limitée, Larcier, Bruxelles, 1993, p. 82. See also J. Van Houtte,
Traité des sociétés de personnes à responsabilité limitée, Tome I, Larcier, Bruxelles, 1962, p. 81.
82
Memorial of Guinea, Ann. 1. - 33 -
(i) It is evident that these are very important and far-reaching rights. To quote
Professor Makela Massamba of the University of Kinshasa: “Les commissaires jouent un
rôle capital dans les sociétés. Ils veillent au bon déroulement de la vie sociale et à
83
l’observation des dispositions légales et statutaires relatives aux comptes de la société.”
(ii) And it follows from Articles 71 and 75 that Mr. Diallo had a right to supervise and
control, without any restriction, the management and operation of his two companies.
Again, by virtue of his detention and expulsion, Mr. Diallo lost the benefit of these
important rights.
(h) Articles 78 and 79, which are on page 5 of my outline, then establish rights in respect of
general meetings, which again constitute concrete rights of the shareholders to participate in the
control of the company.
(i) Article 78 provides: “L’assemblée générale des associés a les pouvoirs les plus étendus pour
faire ou ratifier les actes qui intéressent la société . . .”. Thus the general meeting which of
course in this case is effectively Mr. Diallo has the “widest powers to perform . . . acts
concerning the company”. That is a shareholders’ right of the broadest possible extent.
(j) Article 79 then deals with the right to take part in general meetings and to vote, a right that is of
course one of the rights that is mentioned in the passage that I have already taken you to from
Barcelona Traction (para. 47).
(i) The rights in Articles 78 and 79 need to be read alongside the obligations arising from
84
Article 1 of Law 66-341 , also set out at page 5 of the outline. And this article obliges
Mr. Diallo to establish companies with their seat in the DRC and also to hold general
meetings in the DRC.
(ii) In detaining and then expelling Mr. Diallo, the DRC effectively impeded Mr. Diallo’s
enjoyment of this right. The general meeting had to take place in the DRC; Mr. Diallo
had been expelled; as a matter of the practical realities, it became impossible for him to
take any meaningful part in and vote at the general meetings of his companies. Of course
8Roger Makela Massamba, Droit des affaires - Cadre juridique de la vie des affaires au Zaïre, Cadicec/De
Boecke Université, 1996, p. 313.
84
Observations of Guinea, Ann. 35. - 34 -
we don’t say it was impossible for Mr. Diallo to vote by proxy or by post, but given that
we are talking about one-shareholder companies, with the sole shareholder and “gérant”
expelled, the impediment to the holding of the AGM is quite obvious.
22. And these various rights of control, supervision and management, just like the right to
“organize, control and manage” in Article III (2) of the FCN Treaty that was at issue in the ELSI
case, are plainly direct rights of the shareholder. Article III (2) of the FCN Treaty that was at issue
in ELSI, provided in relevant part – and I put this at the top of page 6 of my outline:
“The nationals, corporations and associations of either High Contracting Party
shall be permitted, in conformity with the applicable laws and regulations within the
territories of the other High Contracting Party, to organize, control and manage
corporations and associations of such other High Contracting Party for engaging in
commercial, manufacturing . . . and other activities.”
23. The Court may recall that, in the ELSI case, Italy took an objection that the rights of
constant protection and security and the most favoured nation provision at Articles V (1) and V (3)
of the FCN Treaty were accorded solely in respect of property belonging to the company, and did
not create rights for the shareholders, but no such objection was taken in respect of Article III (2).
To quote Professor Lowe, this (Article III (2)):
“is plainly a right of the shareholders. There is no room for argument that this is a
right of the company; and it is hard to see that there is any intelligible sense in which
such a right could belong to the company that shareholders organise, control and
85
manage.”
24. The same point has been made by F. A. Mann: “Even the strictest adherent of verbalism
must admit that the right to ‘control and manage’ can only be guaranteed to the shareholder”, the
86
sole shareholder in fact in that case, “rather than the corporation itself” .
25. Precisely the same may be said here with respect to the rights of supervision and control
under Articles 71 and 75 of the 1887 Decree, and the other Articles to which I have taken the
Court. The fact that these rights derive from municipal law, and not a treaty, can in no sense
change their nature to rights enjoyed by the company, and not the shareholder.
8Lowe, Shareholders’ Rights to Control and Manage: from Barcelona Traction to ELSI, in Liber Amicorum
Judge Shigeru Oda, eds. N. Ando et al. (2002), p. 269.
86
F.A. Mann, Foreign Investment in the International Court of Justice: The ELSI Case, 86 AJIL, 92, at pp. 97-98.
See also Sir Arthur Watts, “Nationality of claims: some relevant concepts”, in V. Lowe and M. Fitzmaurice, Fifty Years
of the International Court of Justice, Grotius, Cambridge, 1996, p. 435. - 35 -
26. Further, the ELSI case establishes that an act directed at the company may violate a
shareholder’s right to control and manage. Thus, focusing on the impacts of the requisition, the
Chamber held (para. 70): “It is undeniable that the requisition of a firm’s ‘plant and relative
equipment’ must normally amount to a deprivation, at least in important part, of the right to control
and manage.”
27. The Court, here, is looking pragmatically at what it is to control and manage, and finding
that if the object of control and management is effectively removed, the right to control and
manage is infringed.
28. Well, the position here, on the facts alleged by Guinea, is far, far stronger: it is the
shareholder who is empowered by the relevant law to supervise, control and manage that is
effectively removed from the scene.
(a) In detaining and then expelling Mr. Diallo, the DRC set out to impede, and did impede, the
exercise of his rights of control, supervision and management. Mr. Diallo could not, in any
meaningful way, control or supervise or manage his companies from Guinea. Even if he had
been in a position to appoint a new “gérant” and a “commissaire” and he was not, given his
lack of funds he was still being deprived of the right to appoint the management of his
choice in violation of Articles 65 and 67 of the 1887 Decree, and he could not be expected to
confer or abandon the management to some third party.
(b) As I understood Maître Mazyambo’s argument yesterday, the DRC’s position is that an
expulsion is not an interference with shareholders’ rights. This is doubtful as a matter of
general principle, but anyway here the specific intent behind the detention and expulsion of
Mr. Diallo was to impede the exercise of his rights of control, supervision and management
including, of course, the right to control the conduct of the various local proceedings. The
detention and expulsion followed directly on from the Zaire Shell letter to the Minister of
Justice of 29 August 1995, seeking action with respect to the Africontainers judgment, the
judgment of one of the companies, which letter, of course, Professor Forteau has already taken - 36 -
you to . Mr. Diallo was expelled precisely because he held, and was exercising, the rights to
control, supervise and manage his companies.
(c) That expulsion had as again appears to have been intended a dramatic impact on the two
companies, which were definitively impeded in carrying out their activities, including the
recovery of company debts.
(d) And here ELSI is also a useful precedent, as one point of clarity in the decision is the
Chamber’s emphasis on the intent behind the allegedly unlawful act (para. 70). Focussing on
the intention behind the requisition of ELSI’s plant, the Chamber held:
“Since the requisition thus had the design of preventing Raytheon from
exercising, for six critical months, what was at that time a most important part of its
right to control and manage ELSI, there exists a question whether the requisition was
in conformity with Article II, paragraph 3, of the FCN Treaty.”
Of course, in the event there was no finding of breach of Article III (2) because the case then
failed on the facts.
29. But we are not at that stage in this case, and it is important now not to stray into the
merits, including the question of what loss was caused to Mr. Diallo by the infringement of his
right not to be arbitrarily detained and expelled, and that by the infringement of his rights to
control, supervise and manage his two companies. For present purposes, all that need be shown is:
(a) First, the existence of a right not to be arbitrarily detained and expelled, and of course a case
that such a right has been defeated. In fact, there is no real debate, there is no debate at all on
the existence of this right, and the DRC has not challenged Guinea’s right of diplomatic
protection in this respect.
(b) Second, the existence of shareholders’ rights, and a case that such rights have been defeated.
Again, there is an element of common ground here at least in that it is accepted that Guinea
may exercise a right of diplomatic protection in respect of shareholders’ rights at least in
theory. And we submit that the DRC has simply not responded to Guinea’s contentions on the
nature and extent of the shareholder’s rights in this case.
30. Of course, there is no shortage of hotly disputed issues of fact in this case, but these
simply do not fall for resolution now.
8Memorial of Guinea, Ann. 166. - 37 -
Madam President, that completes my submissions on this point and I would respectfully ask
you to call on Professor Pellet so that he can at least commence his submissions prior to the
morning break. Thank you for your attention.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. I now call Professor Pellet.
Mr. PELLET: Thank you very much, Madam President.
IV. La protection de M. Diallo par la Guinée en sa qualité d’actionnaire de sociétés
congolaises pour le préjudice subi par ces sociétés
e
1. Madame le président, Messieurs les juges, comme M Wordsworth vient de l’indiquer,
l’affaire qui nous réunit aujourd’hui donne à la Cour l’occasion de clarifier des questions
d’importance fondamentale concernant la protection diplomatique des sociétés dans le droit
international contemporain, questions qui ont été effleurées, mais pas définitivement tranchées,
dans l’affaire phare que demeure la Barcelona Traction.
2. Dans son arrêt de 1970, la Cour s’est demandé si, «pour des raisons d’équité, un Etat
devrait pouvoir assumer dans certains cas la protection de ses ressortissants actionnaires d’une
société victime d’une violation du droit international», en particulier «lorsque l’Etat dont la
responsabilité est en cause est l’Etat national de la société» (Barcelona Traction, Light and Power
Company, Limited, deuxième phase, C.I.J. Recueil 1970, arrêt, p. 48, par. 92.). La haute juridiction
ne répond pas catégoriquement à cette question qui ne se posait pas en l’espèce. Elle se pose au
contraire aujourd’hui et il ne me paraît guère discutable que, dans les circonstances particulières à
notre affaire en tout cas, la réponse à cette question doit être affirmative.
3. Nous nous trouvons en effet très précisément dans le cadre de l’hypothèse que la Cour
avait expressément réservée en 1970. Au surplus, la BT c’est le petit nom affectueux que les
internationalistes donnent à la Barcelona Traction était une société anonyme, une catégorie bien
particulière de personnes morales, caractérisée notamment par un actionnariat complexe et
fluctuant, alors que les sociétés de M. Diallo sont des sociétés privées à responsabilité limitée
(SPRL), dans lesquelles l’intuitu personae joue un rôle fondamental. - 38 -
I. La Guinée peut exercer sa protection diplomatique en faveur de l’actionnaire
d’une société ayant la nationalité de l’État défendeur
A. L’exception à la règle de la non-protection des actionnaires dans l’arrêt de la Cour
de 1970
4. Madame le président, à en croire la RDC, les faits de l’affaire de la Barcelona Traction
seraient d’une simplicité déroutante : «Dans cette affaire, la Belgique, Etat demandeur, prétendait
88
en effet protéger les actionnaires belges d’une société qui ne possédait pas cette nationalité.» Un
point, c’est tout et c’est très excessivement sommaire, ne fût-ce que parce que nos
contradicteurs passent sous silence un fait essentiel, que personne ne contestait (Barcelona
Traction, Light and Power Company, Limited, deuxième phase, C.I.J. Recueil 1970, arrêt, p. 42-44,
par. 71-76.) : la BT avait la nationalité d’un Etat tiers (elle était canadienne), alors que les deux
sociétés de M. Diallo, Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre, ont la nationalité de l’Etat défendeur
lui-même (elles sont congolaises à l’époque zaïroises) ce que personne ne conteste non
89
plus .
5. Nous sommes donc sans aucun doute dans l’hypothèse de l’exception que l’on appelle
couramment, l’hypothèse «de la substitution» envisagée par la Cour dans son arrêt de 1970 :
elle commence par y rappeler la thèse selon laquelle, dans une telle circonstance, «un Etat
devrait pouvoir assumer dans certains cas la protection de ses ressortissants actionnaires d’une
société victime d’une violation du droit international» (C.I.J. Recueil 1970, p. 48, par. 92.) ;
sans prendre nettement parti sur sa consécration par le droit positif, la Cour note que «[q]uelle
que soit la validité de cette thèse, elle ne saurait aucunement être appliquée à la présente
affaire, puisque l’Espagne n’est pas l’Etat national de la Barcelona Traction» (ibid.) ;
la Cour n’en explique pas moins qu’«[é]tant donné toutefois la nature discrétionnaire de la
protection diplomatique, les considérations d’équité», qui justifieraient l’exception, «ne
sauraient exiger plus que la possibilité de voir intervenir un Etat protecteur, qu’il s’agisse, en
vertu de la règle générale …, de l’Etat national de la société ou, à titre subsidiaire, de l’Etat
national des actionnaires réclamant protection» (ibid., p. 48, par. 94 ; les italiques sont de
nous).
88EP, p. 47, par. 2.03 ; voir aussi, par exemple, p. 97, par. 2.95.
89
Voir MG, p. 79, par. 4.12, p. 96, par. 4.59 ; EP, p. 13, par. 1.08, ou p. 47, par. 2.01; OG, p. 30, par. 2.05, p. 33,
par. 2.13. - 39 -
En d’autres termes, l’un des éléments qui explique le rejet de la protection des actionnaires
belges de la BT, est le fait que, dans cette affaire, le Canada pouvait exercer sa protection (fût-ce
par des voies autres que celles de l’action judiciaire). Ceci est exclu dans celle qui nous occupe : il
est tout simplement aberrant de penser que la RDC pourrait exercer sa protection diplomatique en
faveur d’Africom et d’Africontainers contre… la RDC.
6. Soit dit en passant, c’est très exactement ce que nous écrivons dans le passage du manuel
dont je suis l’un des coauteurs, qu’a cité hier le professeur Mazyambo : nous y constatons que
l’Etat national d’une société ne peut agir, au titre de la protection diplomatique, lorsqu’il est en
même temps l’auteur du fait internationalement illicite . En revanche, nous donnons à la question
de savoir si l’Etat dont les actionnaires majoritaires d’une société ont la nationalité peut exercer sa
protection en leur faveur et contre l’Etat national de la société, très exactement la même réponse
affirmative que la Guinée dans la présente affaire (et que la Cour dans l’arrêt de 1970). Comme
l’écrivait Fitzmaurice dans l’opinion individuelle qu’il y a jointe, dans un cas de ce genre, «ce qui
arrive … [,] ce n’est pas tellement que la règle normale d’intervention par le gouvernement de la …
société, pour le compte de la seule société, devient inapplicable, mais qu’elle perd toute pertinence
93
et toute signification» . Ce sont ces considérations, de bon sens autant que d’«équité», qui
constituent l’explication de l’exception à la «règle normale», exception que la haute juridiction
s’est, à juste titre, abstenue d’appliquer dans l’affaire de la Barcelona Traction.
B. Le caractère coutumier de la protection diplomatique des actionnaires d’une société ayant
la nationalité de l’Etat internationalement responsable
7. Madame le président, dans son mémoire, la Guinée a évoqué un grand nombre de
sentences arbitrales, s’étalant sur un laps de temps considérable, qui établit que les actionnaires
d’une société peuvent bénéficier de la protection diplomatique de leur propre Etat national à l’égard
de l’Etat dont la société a la nationalité lorsque celui-ci est responsable d’un fait internationalement
90
CR 2006/50, p. 49, par. 20. Voir aussi EP, p. 59, par. 2.23.
91 Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), LGDJ, Paris, 6 éd., 1999,
e
p. 774 ; voir également 7éd., 2002, p. 811.
92 Ibid., p. 774 (1999) ou p. 811-812 (2002).
93 Ibid., p. 72, par. 14. - 40 -
94
illicite à son égard . Le Congo n’en disconvient pas, mais il affirme que «ces anciens
arbitrages … sont basés sur des règlements conventionnels spécifiques que l’on ne pourrait
95
transposer au droit commun de la protection diplomatique» . Deux remarques sur cette «défense»,
Madame le président, en style télégraphique, car nous avons décidément bien peu de temps (je note
à cet égard en passant que, dans la BT, la Cour a entendu les plaidoiries de nos illustres
prédécesseurs durant quarante-trois audiences au cours de la première phase et
soixante-quatre audiences durant la seconde (C.I.J. Recueil 1964, p. 9-10 et C.I.J. Recueil 1970,
p. 7, par. 7. C.I.J. Mémoires, Barcelona Traction, vol. II-III et VIII-X). Nous sommes loin du
compte) :
1) certains de ces arbitrages font, en effet, référence aux principes de la justice, mais ceci
constituait une manière courante de s’exprimer à l’époque et il n’est pas douteux que les
tribunaux entendaient appliquer, et ont appliqué, le droit en vigueur selon eux ; et
2) il est évident que, pour apprécier leur compétence, les arbitres dans ces affaires se sont fondés
sur les compromis les saisissant mais aucun de ces accords ne mentionnait la solution à
donner au problème qui nous intéresse. Ainsi, pour en donner un exemple, dans l’affaire
Shufeldt, le compromis, en dehors des règles de procédure, se bornait à énoncer les questions
adressées au tribunal et notamment celle de savoir si «P. S. Shufeldt [has] the right to claim
96
pecuniary indemnification» . Une telle question ne préjuge en rien la réponse donnée par
l’arbitre ; or celle-ci a sans aucun doute été favorable à la protection «par substitution».
97 98
8. Les affaires Baasch et Römer et Jacob Henriquez décidées, toutes les deux, par la
Commission mixte hollando-vénézuélienne, sur lesquelles le Congo insiste dans ses exceptions
préliminaires 99 et que le professeur Mazyambo a mentionnées hier matin , ne peuvent pas00
94Voir MG, p. 84-90, par. 4.30-4.44 ; voir aussi OG, p. 50-51, par. 2.53. Voir notamment : Commission mixte
Etats-Unis-Pérou, S. A., 26 février 1870, Ruden, in J.B. Moore, International Arbitrations, II, p. 1653 ; arbitrage de
Mac Mahon, 24 juillet 1875, Chemin de fer de Delagoa, RSA III, p. 637 ; arbitrage de H. Strong, M. Dickinson, D. Castro
(puis J. Rosa Pacas), El Triunfo (affaire de la Salvador Commercial Company), 8 mai 1902, RSA XV, p. 467 ou arbitrage
de sir Herbet Sisnett, Shufeldt, 24 juillet 1930, RSA II, p. 1098.
95EP, p. 69, par. 2.46.
96Voir compromis du 2 novembre 1929, RSA II, p. 1081.
97
Commission hollando-vénézuélienne, sentence de 1903, Baasch et Römer, RSA X, p. 723.
98
Commission hollando-vénézuélienne, sentence de 1903, Jacob M. Henriquez, RSA X, p. 727.
99EP, p. 94-95, par. 2.90.
100CR 2006/50, p. 55, par. 48. - 41 -
contredire la «tendance» très lourde et en tout cas pour le moins favorable à l’exception. Ces
deux décisions vont d’ailleurs ouvertement à l’encontre des solutions retenues par les autres
commissions vénézuéliennes qui se sont, pour la plupart, montrées favorables au jus standi des
101
actionnaires ou des associés des sociétés de droit local c’est-à-dire de droit vénézuélien .
9. Dès 1934, Charles de Visscher, après une analyse approfondie de la jurisprudence,
écrivait :
«En vain l’Etat recherché objecterait-il que la société a sa nationalité. On lui
répondra que cette nationalité n’est distincte de celle des actionnaires qu’aux seules
fins d’une protection légale que le droit interne s’est avéré impuissant à lui garantir.
Seule désormais l’action internationale est capable d’ouvrir aux intérêts étrangers la
voie des réparations exigées. Raisonner autrement c’est prêter à la personnalité
morale des effets qui compromettent le but même en vue duquel elle a été constituée ;
c’est abuser d’une abstraction aux dépens des seules réalités qui en justifient
l’emploi.» 102
10. Telle était la situation lorsque la Cour a adopté son arrêt de 1970. La pratique ultérieure,
conventionnelle ou jurisprudentielle, sur laquelle nos contradicteurs gardent un silence prudent, a
dissipé toute incertitude, si elle existait, sur la positivité de l’«exception». Ainsi par exemple,
l’article 25, paragraphe 2 b, de la convention de Washington de 1965 la convention CIRDI
admet qu’une société de droit local doit être considérée aux fins de la protection offerte par la
convention comme possédant la nationalité «d’un autre Etat contractant en raison du contrôle
exercé sur elle par des intérêts étrangers», et de très nombreux traités bilatéraux pour la promotion
103 104
et la protection des investissements , y compris ceux conclus par le Congo , ou même des traités
101 Voir Commission mixte américano-vénézuélienne, sentence de 1903, Kunhardt, RSA IX, p. 171 ou
Commission mixte italo-vénézuélienne, sentence de 1903, Massardo, Carbone & Co., RSA X, p. 538 ; voir aussi :
Lucius C. Caflisch, La protection des sociétés commerciales et des intérêts indirects en droit international public,
Martinus Nijhoff Publishers, La Haye, 1969, p. 182-183.
102«De la protection diplomatique des actionnaires d’une société contre l’Etat sous la législation duquel cette
société s’est constituée», RDILC, vol. 15, 1934, p. 641-642. Dans le même sens, voir aussi, par exemple : J. M. Jones,
«Claims on Behalf of Nationals Who are Shareholders in Foreign Companies», BYBIL, vol. 26, 1949, p. 255 ;
Lucius C. Caflisch, La protection des sociétés commerciales et des intérêts indirects en droit international public,
Martinus Nijhoff Publishers, La Haye, 1969, p. 192.
103
Voir par exemple le traité entre les Etats-Unis d’Amérique et la République argentine sur la promotion et la
protection réciproque d’investissements, 14 novembre 1991, art. VII, par. 8. Pour une application de cette disposition
voir Pan American Energy LLC, and BP Argentina Exploration Company v. The Argentine Republic (ICSID Case
No. ARB/03/13), BP America Production Company, Pan American Sur SRL, Pan American Fueguina, SRL and Pan
American Continental SRL v. The Argentine Republic (ICSID Case No. ARB/04/8), Decision on Jurisdiction,
27 July 2006, http://www.investmentclaims.com/decisions/PanAmerican_BP-Argentina-Juri…. - 42 -
multilatéraux 105 comportent des clauses similaires. Conformément à ces dispositions, la
jurisprudence, à commencer par celle du CIRDI 106 ou du Tribunal des différends
irano-américains , confirme la possibilité pour l’actionnaire de saisir un tribunal international
pour les dommages causés à une société locale . 108
11. Je suis bien conscient, Madame et Messieurs les juges, que ces dispositions
conventionnelles et cette jurisprudence, qui frôlent l’unanimité, ne constituent pas l’application
directe des principes et règles régissant la protection diplomatique, et les tribunaux CIRDI ne
104
Voir par exemple les articles I c) et III 2) du traité bilatéral sur la promotion et la protection réciproque
d’investissements avec les Etats-Unis d’Amérique du 3 août 1984,
http://www.unctad.org/sections/dite/iia/docs/bits/us_demo_rep_congo.pdf ; l’article premier du traité bilatéral avec la
France, du 5 octobre 1972, http://www.unctad.org/sections/dite/iia/docs/bits/france_zaire_fr.pdf ; l’article premier du
traité bilatéral avec la Suisse, du 10 mars 1972, http://www.unctad.org/sections/dite/iia/docs/bits/switzerland_zaire_fr…
ou l’article premier du traité bilatéral avec l’Allemagne, du 18 mars 1969,
http://www.unctad.org/sections/dite/iia/docs/bits/germany_congo_fr.pdf. Voir aussi l’article premier, paragraphe 2, du
traité avec l’Union économique belgo-luxembourgeoise du 17 février 2005 (non encore entré en vigueur), reproduit dans
le projet de loi le5578/00 portant approbation des accords entre l’Union économique belgo-luxembourgeoise et certains
pays tiers concernant l’encouragement et la protection réciproques des investissements,
http://www.chd.lu/servlet/ShowAttachment?mime=application%2fpdf&id=8446….
105
Voir par exemple l’article 1117 de l’ALENA.
106
Voir notamment : Asian Agricultural Products Limited v. Democratic Socialist Republic of Sri Lanka (Case
No. ARB/87/3), sentence, 27 juin 1990, ICSID Rev. —FILJ, vol. 6, 1991, p. 526 et suiv. ; American Manufacturing &
Trading, Inc. v. Democratic Republic of the Congo (Case No. ARB/91/1), sentence, 21 février 1997, ICSID Reports,
vol. 5, p. 14 et suiv. ; Antoine Goetz and others v. Republic of Burundi (Case No. ARB/95/3) et sentence, 10 février 1999,
ICSID Rev. —FILJ, vol. 15, 2000, p. 457 et suiv. ; Lanco International, Inc. v. Argentine Republic (Case No. ARB/97/6),
décision préliminaire sur la compétence, 8 décembre 1998, ILM, vol. 40, 2001, p. 457 et suiv. ; Emilio Agustín Maffezini
v. Kingdom of Spain (Case No. ARB/97/7), exceptions préliminaires, décision, 25 janvier 2000, ICSID Rev. —FILJ,
vol. 16, 2001, p. 212 et suiv. ; Alex Genin, Eastern Credit Limited, Inc. et A.S. Baltoil c. République d’Estonie, sentence,
25 juin 2001, http://www.worldbank.org/icsid/cases/genin.pdf, par. 319-329; Compañía de Aguas del Aconquija S. A. &
Vivendi Universal v. Argentine Republic (Case No. ARB/97/3), Annulation, Sentence, 3 juillet 2002, ICSID Rev. —FILJ,
vol. 19, 2004, p. 89 et suiv. ; Azurix Corp. v. Argentine Republic (Case No. ARB/01/12), décision sur la compétence,
8 décembre 2003, http://www.worldbank.org/icsid/cases/azurix-decision-en.pdf.; CMS Gas Transmission Company v.
Argentine Republic (Case No. ARB/01/8), exceptions préliminaires, décision, 17 juillet 2003,
http://www.worldbank.org/icsid/cases/CMS_Decision_english.pdf. ; LG & E Energy Corp, LG & E Capital Corp. and
LG & E International Inc. v. Argentine Republic (Case No. ARB/02/1), exceptions préliminaires, décision, 30 avril 2004,
http://www.worldbank.org/icsid/cases/lge-decision-en.pdf. ; Plama Consortium Limited v. Republic of Bulgaria (Case
No. ARB/03/24), décision sur la compétence, 8 février 2005, ICSID Rev. —FILJ, vol. 20, 2005, p. 262 et suiv. ; Suez, et
al. v. Argentine Republic (Case No. ARB/03/19), décision sur la compétence, 3 août 2006,
http://www.worldbank.org/icsid/cases/pdf/ARB0319_DecisionJurisdiction03…. ; Pan American Energy LLC, and
BP Argentina Exploration Company v. The Argentine Republic (ICSID Case No. ARB/03/13), BP America Production
Company, Pan American Sur SRL, Pan American Fueguina, SRL and Pan American Continental SRL v. The Argentine
Republic (ICSID Case No. ARB/04/8), Decision on Jurisdiction, 27 July 2006,
http://www.investmentclaims.com/decisions/PanAmerican_BP-Argentina-Juri…. ; notamment par. 218.
107Voir l’article VII, paragraphe 2, de la déclaration d’Alger de 1981, et, notamment : William Bikoff and George
o
Eisenpresser v. The Islamic Republic of Iran, sentence n 138-82-2, 22 juin 1984, Iran-US CTR, vol. 7, p. 4 eo suiv. ;
Blount Brothers Corporation v. The Government of the Islamic Republic of Iran, et al., sentence n 215-52-1,
28 février 1986, Iran-US CTR, vol. 10, p. 60 et suiv. ; Combustion Engineering, Inc. v. The Islamic Republic of Iran,
o
sentence partielle n 506-308-2, 18 février 1991, Iran-US CTR, vol. 26, p. 65 et suiv.
108 o
Voir aussi, par exemple, la décision n 4, du conseil des gouverneurs de la commission d’indemnisation des
Nations, par. e), http://www2.unog.ch/uncc/decision/dec_04.pdf. - 43 -
109
manquent pas de le rappeler . Il n’en reste pas moins que le nombre de ces traités et de ces
sentences est écrasant et que tous consacrent des règles et principes conçus sur le même modèle,
inspirés par les mêmes préoccupations et constituent des illustrations de l’«exception» préconisée
par la Cour voici trente-six ans. Même en admettant qu’elle ne reflétât pas alors le droit positif, ce
qui, je crois, n’est pas exact, il n’est pas douteux, pour reprendre les termes de la Cour de 1969,
qu’«elle a acquis depuis lors un fondement plus large» (Plateau continental de la mer du Nord,
arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 41, par. 69), qui la rend aujourd’hui opposable à la RDC. Comme l’a
expliqué le professeur Dugard, rapporteur spécial de la CDI sur la protection diplomatique, «[l]e
fait que les cas cités à l’appui de cette exception soient fondés sur des accords spéciaux n’entame
pas leur valeur dans le processus de développement du droit» et permet d’affirmer que les deux
conditions mises à la cristallisation d’une norme coutumière, l’usus et l’opinio juris, sont
110
remplies .
12. La possibilité de la protection «par substitution» ne fait donc aujourd’hui aucun doute.
Et nous verrons, je pense après la pause, qu’eu égard à la nationalité congolaise des deux sociétés
dont M. Diallo est le seul associé et gérant, la Guinée jouit indiscutablement du jus standi lui
permettant de prendre fait et cause pour son national, au titre du préjudice subi par ses sociétés.
Madame le président, peut-être est-ce un bon moment pour prendre une pause méritée.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet.
The Court will now rise and will resume rather shortly.
The Court adjourned from 11.30 a.m. to 12 noon.
109
Voir, par exemple, Azurix Corp. v. Argentine Republic (Case No. ARB/01/12), décision sur la compétence,
8 décembre 2003, http://www.worldbank.org/icsid/cases/azurix-decision-en.pdf, par. 72, LG & E Energy Corp, LG & E
Capital Corp. and LG & E International Inc. v. Argentine Republic (Case No. ARB/02/1), exceptions préliminaires,
décision, 30 avril 2004, http://www.worldbank.org/icsid/cases/lge-decision-en.pdf, par. 52 et Pan American Energy LLC,
and BP Argentina Exploration Company v. The Argentine Republic (ICSID Case No. ARB/03/13), BP America
Production Company, Pan American Sur SRL, Pan American Fueguina, SRL and Pan American Continental SRL v. The
Argentine Republic (ICSID Case No. ARB/04/8), Decision on Jurisdiction, 27 July 2006,
http://www.investmentclaims.com/decisions/PanAmerican_BP-Argentina-Juri…, par. 216-217.
110Septième rapport sur la protection diplomatique, A/CN.4/567, par. 64 a) ; voir aussi son quatrième rapport sur
la protection diplomatique, A/CN.4/530, par. 84 ; voir aussi l’opinion individuelle du juge Gros dans l’affaire de la
Barcelona Traction, C.I.J. Recueil 1970, p. 277-278 ou Richard B. Lillich, «The Rigidity of Barcelona», AJIL, vol. 65,
1971, p. 525-532 et Stephen M. Schwebel, «The Influence of Bilateral Investments Treaties on Customary International
Law», ASIL, Proceedings, 2004, p. 27-30. - 44 -
The VICE-PRESIDENT, Acting President: Please be seated. Since the President,
Judge Koroma and Judge Buergenthal have to attend an important ceremony elsewhere, they will
not be able to be present on the Bench for the second part of today’s sitting: In the circumstances
the President has asked me to preside over the remainder of today’s hearings and I ask you,
Professor Pellet; to resume your statement:
M. PELLET: Thank you very much; Mr President:
II. Les circonstances de l’espèce renforcent l’applicabilité de la protection
«par substitution» en la présente espèce
13. Avant la pause j’avais indiqué que la possibilité de la protection par substitution ne
pouvait pas aujourd’hui faire de doute même s’il en existait en 1970, ce que je ne crois pas, j’avais
indiqué que, aujourd’hui la Guinée jouit indiscutablement de jus standi nécessaire lui permettant de
prendre fait et cause pour son national au titre du préjudice subi par ses sociétés. Monsieur le
président, cette règle bien établie est, quoi qu’en disent nos contradicteurs, tout ce qu’il y a de plus
conforme à l’équité, et les caractères particuliers des sociétés de M. Diallo imposent son
application dans notre affaire de manière plus pressante encore.
A. Le rôle de l’équité
14. Dans son mémoire, la Guinée avait noté en passant qu’après avoir rappelé la «règle
générale» selon laquelle seul l’Etat national de la société peut exercer sa protection diplomatique à
l’égard d’un Etat responsable d’un manquement au droit international, la Cour avait cependant,
dans l’arrêt de 1970, «expressément réservé la possibilité que, pour des considérations d’équité,
l’Etat des actionnaires de la société en cause conserve, dans certaines circonstances et notamment
dans une situation comparable à la situation présente, le droit d’exercer sa protection diplomatique,
111
indépendamment de la violation des droits propres des actionnaires» . S’emparant de cette phrase
qui n’est pourtant que le strict reflet de la position de la Cour, la RDC fait mine de s’indigner de
«[l]’argument de la République de Guinée fondé sur une équité contra legem» . 112
11MG, p. 93, par. 4.52.
11EP, p. 88, A ; voir aussi, dans les mêmes termes : CR 2006/50, p. 54, par. 42 (Mazyambo). - 45 -
15. En premier lieu, la position du Congo repose sur une pétition de principe erronée :
l’exception au principe de la protection exclusive par l’Etat de nationalité de la société est bien
établie dans le droit international contemporain ; il n’est donc pas question d’équité contra legem
comme le Congo voudrait le faire croire , mais infra legem. Cette sorte d’équité qui, loin de
contredire les règles juridiques, les sous-tend et les justifie, n’a été mentionnée par la Cour (et par
les juges qui, majoritairement, ont soutenu sa position (C.I.J. Recueil 1970, opinion individuelle de
sir Gerald Fitzmaurice, p. 71-75, par. 13-20 ; opinion individuelle du juge Jessup, p. 191-193,
par. 51-52 ; opinion individuelle du juge Tanaka, p. 134 ; voir aussi l’opinion individuelle du juge
Wellington Koo jointe à l’arrêt du 24 juillet 1964, Barcelona Traction (exceptions préliminaires),
C.I.J. Recueil 1964, p. 58, par. 20. Voir MG, p. 93-96, par. 4.53-4.96 ou OG, p. 47, par. 2.45-2.46)
que comme une explication donnée à l’exception, sa source matérielle en quelque sorte. Il ne
s’agit, comme l’arrêt de 1970 le précise aussi, que de faire «une application raisonnable»
(C.I.J. Recueil 1970, p. 48, par. 93) des règles relatives à la protection diplomatique. L’objectif est
de ne pas priver les actionnaires étrangers d’une société ayant la nationalité de l’Etat auteur du fait
internationalement illicite de toute possibilité de protection.
16. En second lieu, sur le fond, la thèse du Congo n’est pas mieux fondée. Selon lui,
«l’application de la solution préconisée par la République de Guinée mènerait, en l’espèce, à un
résultat inéquitable» 114:
il en résulterait un régime de protection discriminatoire ;
cette «solution» ne tiendrait pas compte du comportement de M. Diallo ; et
le «refus» de celui-ci d’épuiser les voies de recours disponibles en RDC «rendrait en tout état
115
de cause inéquitable une protection par substitution» .
Avec tout le respect que j’ai pour nos contradicteurs, ces objections sont infondées et sont même
assez absurdes.
17. S’agissant du premier argument, celui des prétendues «discriminations» entre les
116
actionnaires protégés et ceux qui ne le sont pas , elles sont inhérentes à l’institution même de la
113EP, p. 88-90, par. 2.82-2.83.
114EP, p. 95, 2 ; voir aussi: CR 2006/50, p. 55, par. 44 (Mazyambo).
115
EP, p. 100 c) ; voir aussi, dans les mêmes termes, CR 2006/50, p. 56, par. 50 (Mazyambo). - 46 -
protection diplomatique dès lors que l’Etat dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour exercer ou ne
pas exercer sa protection. Au demeurant, le problème ne se pose pas en l’espèce puisque M. Diallo
est l’unique actionnaire des deux sociétés concernées.
18. Les deux autres arguments, qui tiennent l’un et l’autre au comportement de M. Diallo,
sont totalement irrecevables :
le premier concerne les soi-disant «mains sales» de celui-ci : le Congo lui-même reconnaît que
les clean hands ne sont pas une condition de recevabilité des réclamations ce que, après
quelques vicissitudes, la Commission du droit international unanime a fermement reconnu en
117
2005 ;
quant à l’affirmation selon laquelle M. Diallo aurait «refusé» d’épuiser toutes les voies de
recours disponibles en RDC, non seulement elle pose des questions de fait sur lesquelles mon
collègue et ami Jean-Marc Thouvenin reviendra dans quelques instants, mais encore, elle ne
peut avoir strictement aucune incidence sur la question de la protection par substitution.
B. Les caractères particuliers des sociétés de Monsieur Diallo
19. Monsieur le président, non seulement l’exercice par la Guinée de la protection
diplomatique au titre des dommages subis par les sociétés en question n’est en rien contraire à
l’équité, mais encore la recevabilité de son action devant la Cour s’impose tout spécialement du fait
des caractères particuliers de ces sociétés
que M. Diallo était tenu de constituer au Zaïre ; et
qui ont un caractère intuitu personae marqué.
20. Le prétendu principe selon lequel la protection diplomatique des actionnaires d’une
société ayant la nationalité de l’Etat responsable n’est possible que «si sa constitution dans cet Etat
était une condition exigée par ce dernier pour qu’elle puisse exercer ses activités dans cet Etat» 118,
ce prétendu principe ne trouve guère d’appui en droit positif. Du reste, dans les commentaires de
l’article 11 de son projet, qui affirme cette exigence, la Commission du droit international s’en
116Voir EP, p. 97-98, par. 2.95-2.97.
117
J. Dugard, sixième rapport sur la protection diplomatique, A/CN.4/546 et rapport de la Commission du droit
international, cinquante-septièoe session, 2006, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale,
soixantième session, supplément n 10 (A/60/10), p. 110, par. 231.
118
Article 11 du projet de la CDI sur la protection diplomatique. - 47 -
montre consciente. Elle prend soin d’indiquer d’une part que l’évolution que le droit a connue en
la matière suffirait à «appuyer une exception générale» à la règle de la protection par le seul Etat
national de la société , et, d’autre part, qu’«[i]l n’est pas nécessaire que le droit de cet Etat rende
la constitution de la société obligatoire. D’autres types de contraintes peuvent avoir pour
120
conséquence qu’une société soit «obligée» de se constituer dans cet Etat» .
21. De toute manière, dans notre espèce, l’obligation juridique existe bel et bien. Elle résulte
du premier alinéa de l’article premier de l’ordonnance-loi de 1966 relative au siège des sociétés 121
aux termes duquel : «Les sociétés dont le principal siège d’exploitation est situé au Congo doivent
avoir au Congo leur siège administratif». Et l’article 2 exigeait même le transfert au Congo des
sociétés qui ne remplissaient pas cette condition à la date d’entrée en vigueur de la loi.
22. Il ne fait dès lors aucun doute que la constitution des sociétés en question au Zaïre était
«une condition exigée» par ce pays «pour qu’elle[s] puisse[nt y] exercer [leurs] activités». A cette
première contrainte s’en ajoute une seconde, qui constitue une particularité assez étrange du droit
congolais (zaïrois à l’époque). En effet, si les investisseurs étrangers doivent constituer leurs
sociétés sous la forme de sociétés de droit local, celles-ci n’en sont pas moins soumises à un régime
discriminatoire différent, et beaucoup moins favorable que celui des autres sociétés de droit zaïrois.
o
23. Comme l’a écrit un spécialiste, «la loi n 73-009 du 5 janvier 1973 dite loi particulière
sur le commerce, limite sensiblement l’accès des étrangers à la profession commerciale» et réserve
en principe «le monopole de l’exercice du commerce aux Zaïrois, plus précisément aux «personnes
physiques de nationalité zaïroise ainsi qu’aux sociétés de droit zaïrois dont le capital appartient en
122
totalité aux Zaïrois»» . Des dérogations peuvent être accordées aux étrangers, mais c’est au prix,
selon le même auteur, de «mille et une tracasseries administratives» 123et moyennant le dépôt d’une
124
garantie financière conséquente . Il ne paraît dès lors pas concevable que ces sociétés «nationales
119Ibid., p. 66, par. 12 du commentaire de l’article 11.
120Ibid., p. 67, par. 12 du commentaire de l’article 11.
121OG, Annexe 35, p. p. 244.
122
Roger Makela Massamba, Droit des affaires - Cadre juridique de la vie des affaires au Zaïre,
Cadicec/De Boecke Université, 1996, p. 67 ; les italiques sont dans l’original.
123
Ibid., p. 73.
124 o
Voir l’ordonnance-loi n 66-260 du 24 avril 1966 (voir le dossier des juges) et l’article 3 de la loi particulière
sur le commerce du 5 janvier 1973, modifiée le 10 juillet 1974 (voir le dossier des juges). - 48 -
étrangères», soumises à maints égards au régime juridique applicable aux étrangers, en vertu du
droit congolais lui-même, redeviennent des sociétés exclusivement nationales lorsqu’il s’agit de
leur protection diplomatique.
24. A peine nationales, constituées au Congo pour répondre aux exigences de la loi de ce
pays, les sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre présentent en outre la particularité d’être
des «sociétés privées à responsabilité limitée» (SPRL), et non pas des sociétés anonymes. Or,
seules celles-ci (les sociétés anonymes) étaient en cause dans l’affaire de la Barcelona Traction
(C.I.J. Recueil 1970, p. 33, par. 37, ou p. 34, par. 40), dans laquelle la Cour a souligné en
particulier que «[l]a différence juridique» entre la société anonyme d’une part et d’autres sortes de
sociétés «tient à ce que l’élément déterminant est, dans le cas de la société anonyme, la cohésion de
la personnalité juridique et, dans le cas des autres sociétés, l’autonomie conservée par les membres
qui les composent» (ibid., p. 34, par. 40).
25. L’une de ces différences mérite de retenir plus particulièrement l’attention en la présente
affaire : les actions d’une société par actions sont librement cessibles, tandis que, à ce qui est le cas
pour les sociétés de personnes que visait l’arrêt de 1970, les parts sociales d’une SPRL «ne sont pas
librement transmissibles» , comme le dit l’article 36 du décret du 27 février 1887, modifié
en 1965 et en vigueur au Congo. C’est l’une des raisons pour lesquelles ces SPRL sont considérées
comme un moyen terme entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux, du fait du
caractère intuitu personae très marqué qui imprègne largement leur statut et le régime juridique qui
leur est applicable (par exemple, les associés peuvent dans certains cas être tenus personnellement
responsables des dettes de la société ).26
26. Une deuxième particularité qui singularise les relations de M. Diallo et de ses sociétés
tient à ce qu’elles étaient, statutairement, contrôlées et dirigées par une seule et unique personne.
M. Diallo se trouvait être, tout à la fois, le seul et unique gérant des deux sociétés dont il
possédait, directement ou indirectement 100% du capital et, du même coup, leur seul associé. Il
en résulte une imbrication très intense des statuts d’associé et de gérant de ces deux sociétés
125Article 36 du décret du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales (tel que modifié en 1965) ; voir aussi les
articles 57 et 58 (voir le dossier des juges).
126
Ibid., art. 103 et 106 (voir le dossier des juges). - 49 -
puisque M. Diallo était seul habilité par le droit congolais, en ses qualités d’associé et de gérant, à
127
convoquer les assemblées générales des deux sociétés, à y participer et à y voter . C’est dire
qu’en fait comme en droit, il était à peu près impossible de distinguer M. Diallo de ses sociétés.
Leurs sorts étaient et sont liés. Et l’on peut reprendre mot pour mot le raisonnement de la
Commission de conciliation Italie/Etats-Unis, qui, dans l’affaireDe Leon, a déduit du fait que
«Arthur De Leon became the sole owner of all the shares of stock and that his
personal capacity was merged completely with the joint stock corporation’s
property … that it is unavailing to make a separation between the two sets of property,
and that, in the instant case, the claimant should be regarded as entitled to claim,
personally, with respect to the corporate rights accruing to him in their entirety.» 128
Au surplus, la confusion entre les intérêts de M. Diallo et de ses sociétés est encore aggravée par le
fait que le but poursuivi par les mesures prises contre le premier a été précisément de priver les
secondes de toute possibilité d’action future 129.
27. Du même coup du reste, les réticences qu’avait marquées la Cour dans l’affaire de la BT
à l’égard non pas de la protection par substitution mais de la protection diplomatique des
actionnaires d’une société étrangère se trouvent «neutralisées» :
tout investissement comporte des risques dont celui que la protection diplomatique ne soit
pas exercée (C.I.J. Recueil 1970, p. 35, par. 43 ; p. 46, par. 86 et 87 ; p. 50, par. 99) ?
Assurément ; mais, ici, la protection diplomatique de l’Etat national (théorique) de la société
n’est pas aléatoire, il est totalement exclu ;
«l’adoption de la thèse de la protection diplomatique des actionnaires comme tels en ouvrant la
voie à des réclamations concurrentes, pourrait créer un climat de confusion et d’insécurité dans
les relations économiques internationales» (ibid., p. 49, par. 96) ? Certes encore ; mais il ne
saurait en aller ainsi lorsque tous les actionnaires ont la même nationalité ni, à fortiori, lorsque,
comme c’est le cas ici, il n’existe qu’un actionnaire unique et des limites considérables à la
130
transmissibilité des parts sociales ;
127Ibid., art. 78 à 88 (voir le dossier des juges).
128Commission de conciliation italo-américaine, 15 mai 1962, De Leon, ILR, vol. 40, p. 143.
129
OG, p. 23-24, par. 1.56-1.60.
130Voir supra, par. 25. - 50 -
pour la même raison, on ne saurait redouter la multiplication «des prétentions auxquelles la
reconnaissance d’un droit général de protection d’actionnaires étrangers par leurs Etats
nationaux respectifs pourrait donner lieu» (C.I.J. Recueil 1970, p. 50, par. 98 ; p. 38, par. 98).
28. Tout conduit donc à admettre, Messieurs de la Cour, dans le cas précis qui vous est
soumis, la possibilité pour la Guinée, de protéger les droits de M. Diallo à la fois comme
individu et comme actionnaire dont les droits ont été violés par les faits internationalement illicites
du défendeur, et, par substitution, au titre du préjudice subi par les sociétés, formellement
congolaises (zaïroises à l’époque), dont M. Diallo était l’unique associé.
Messieurs les juges, je vous remercie de votre attention. Monsieur le président, puis-je vous
prier de bien vouloir appeler le professeur Jean-Marc Thouvenin à la barre ?
The VICE-PRESIDENT, Acting President: I thank you, Professor Pellet, for your statement
and I invite Professor Thouvenin to the Bar.
M. THOUVENIN: Thank you very much, Mr. President.
V. L’épuisement des recours internes
1. Monsieur le président, Messieurs les juges, c’est un très grand honneur pour moi
d’apparaître à nouveau devant la Cour, et de m’y exprimer en qualité de conseil et avocat de la
République de Guinée.
2. Il me revient d’évoquer la seconde exception préliminaire du Congo, et je parlerai de
l’épuisement des recours internes. Trois précisions introduiront mon propos.
3. D’abord, la Guinée n’a pas «choisi d’introduire une instance devant la Cour» . Elle ne1
132 e
vise pas davantage à «utilis[er] la Cour» , comme l’a affirmé M Kalala hier. Elle s’en est remise
à la Cour parce qu’elle n’avait pas d’autre alternative. Trois courriers ministériels internes à la
Guinée, datant de la période précédant le dépôt de la requête, le montrent bien :
i) Dès avril 1996, le ministre des affaires étrangères de Guinée prenait acte du fait que
M. Diallo avait été expulsé au moment où les recours engagés par ses sociétés
131EP, p. 4, par. 0.07.
132
CR 2006/50, p. 42, par. 96. - 51 -
aboutissaient à des jugements favorables, et ce ministre déplorait que «en lieu et place de
l’exécution correcte de ces jugements, M. Diallo Cravate [s’était] vu purement et
simplement arrêté et expulsé du Zaïre sans ménagement et en violation flagrante de toutes
les procédures en la matière» . 133
ii) La même année, le ministre guinéen de la justice soulignait que M. Diallo «[s’était] …
soucié de l’épuisement des recours internes, gracieux et contentieux, avant de recourir à la
protection diplomatique de son Etat national. S’il n’[était] pas allé au bout des procédures
de recours internes, c’est bien parce qu’il en a[vait] été empêché par son expulsion
intempestive.» 134
iii) En février 1997, le ministre des affaires étrangères constatait que M. Diallo ne pouvait
effectuer aucune démarche utile étant «interdit de séjour au Zaïre» . 135
4. La Guinée n’est pas devant vous par choix mais parce qu’elle avait le devoir de protéger
son ressortissant, comme l’a indiqué l’agent de la Guinée ce matin, et ce d’autant plus que le Zaïre
avait privé M. Diallo du bénéfice de la convention de Vienne de 1961 sur le relations consulaires et
que par voix de conséquence la Guinée n’avait pu intervenir autrement pour exercer sa protection
sans ce cadre.
5. J’observe en deuxième lieu que la règle de l’épuisement des recours internes, récemment
confirmée par votre arrêt du 31 mars 2004 (voir Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique
c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt du 31 mars 2004, par. 40 ; voir aussi Ambatielos, fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1953, p. 10 ; Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 27 ; Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis
d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 42) et codifiée à l’article 14 du projet d’articles
de la CDI recueille l’assentiment des deux Parties 136. Il n’est pas davantage contesté que la règle
137
«doit être comprise de manière raisonnable» , et qu’elle souffre de larges exceptions, d’ailleurs
133MG, Annexe 203. Voir dossier des juges, cote n 7.
134MG, Annexe 212. Voir dossier des juges, cote n 8.
135 o
MG, Annexe 216. Voir dossier des juges, cote n 9.
136MG, p. 97, par. 4.60 ; EP, p. 103, par. 3.0 ; CR 2006/50, p. 58, par. 4 (Kalala).
137Affaire de l’Eliza (1863), RSA, vol. II, p. 275. - 52 -
138
codifiées à l’article 15 du projet de la CDI . L’épuisement des recours internes ne saurait être
imposé lorsqu’il n’y a pas de voies de droit à épuiser . Pour le dire en anglais : «It would be a
mistake to regard the rule as rigidly and inexorably established without possibility of reasonable
140
exceptions being recognized, particularly beyond the existing and accepted limitations.»
6. Je crois comprendre aussi que les Parties s’accordent sur le fait que : «La futilité des
141
recours internes doit s’apprécier au moment où ils doivent être exercés.»
7. Enfin, troisième observation, il n’aura pas échappé à la Cour que trois «personnes»
différentes sont protégées par la République de Guinée dans cette affaire. Son ressortissant,
M. Diallo, mais aussi deux sociétés dont M. Diallo était unique gérant et associé, Africom Zaïre et
Africontainer. La futilité des recours internes trouvant les mêmes causes pour chacune de ces
personnes, ma démonstration suivra trois points, dont chacun s’inscrit sous l’une, l’autre, ou
plusieurs des cinq exceptions à la règle de l’épuisement des recours internes codifiées au projet de
l’article 15 du projet de la CDI.
8. Sous le bénéfice de ces précisions, Monsieur le président, je commencerai par vous
montrer que
138 o
MG, p. 100, par. 4.68 ; EP, p. 104, par. 3.03; OG, p. 60, par. 2.10 ; voir dossier des juges, cote n 10.
139
Arbitrage relatif aux Navires finlandais, 9 mai 1934, RSA, vol. III, p. 1543 ; Chemin de fer
Panevesys-Saldutiskis, C.P.J.I. série A/B n° 76, p. 4-22 ; Affaire Ambatielos, SA du 6 mars 1956, RSA, vol. XII,
p. 91-124 ; Interhandel, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 27-29 ; Compagnie d’Electricité de Sofia,
C.P.J.I. série A/B n° 77, p. 138, opinion dissidente de P. de Visscher ; CertainsEmprunts norvégiens, arrêt,
C.I.J. Recueil 1957, p. 39, opinion individuelle de sir Hersh Lauterpacht. Voir aussi la conférence de codification de
la Haye, 1929-1930, in doc. C.75.M.69.1929. p. 136-139, 171-172, 180, 182, 190, 192-193, 195, 206, 209, 216 ; in
doc. C.75(a).M.69(a).1929 p. 23 ; in doc.C.351(c).M.145(c).1930 p. 203.
140
C. F. Amerasinghe, Local Remedies in International Law, Cambridge University Press, Second Ed. 2003,
p. 203. Voir CR 2006/50, p. 60, par. 12 (Kalala).
141Amerasinghe, The exhaustion of Procedural Remedies in the Same Court , 1963 12 ICLQ., p. 1285-1312 ; cité
par le 3 rapport sur la protection diplomatique, A/CN.4/523, p. 8, par. 24 ; voir aussi CEDH, Demirtepe c France,
21 décembre 1999, req. n 34821/97. Voir CR 2006/50, p. 60, par. 11 (Kalala). - 53 -
I. Le Congo ne peut opposer le non épuisement de recours internes en l’espèce car
«L[es] personne[s] lésée[s] [étaient] manifestement empêchée[s]
d’exercer ces recours» 142
A. Le Zaïre a expulsé M. Diallo pour l’empêcher d’exercer les recours internes
9. Monsieur le président, comme le professeur Mathias Forteau l’a démontré tout à l’heure,
le fait est hors de doute ; l’Etat congolais a délibérément choisi de refuser l’accès à son territoire à
M. Diallo en raison des actions en justice qu’il y avait engagées au nom de ses sociétés.
10. Des actions en justice : c’est cela qui a été qualifié hier de «mauvaise conduite au regard
143 144
des lois congolaises» , ou de «menace … [à] l’ordre public» .
11. Dans ce contexte, reprocher à M. Diallo de ne pas avoir épuisé les recours serait non
seulement manifestement «déraisonnable» et «injuste» , mais aussi un détournement de la règle
de l’épuisement des recours internes.
12. L’un des fondements de cette règle se trouve en effet dans l’idée que l’étranger qui
choisit librement de résider dans un pays doit accepter de se soumettre au système judiciaire local.
Le lien entre le choix de son lieu de résidence par l’étranger, qu’il soit une personne physique ou
morale, et l’obligation correspondante d’en accepter les conséquences, est reflété dans le
commentaire du projet d’article 14 de la CDI, qui rappelle les affaires de l’Interhandel
(C.I.J. Recueil 1959, p. 27) et Salem . 146 Dans cette dernière affaire, le tribunal arbitral avait
constaté que : «En règle générale, un étranger doit reconnaître qu’il est lui-même justiciable des
voies de droit instituées par le pays où il a bel et bien choisi de résider.»
13. Mais, à l’inverse, si un Etat choisit délibérément de placer un étranger en dehors de son
territoire, c’est-à-dire de le priver d’y résider, parce que cet étranger exerce des recours internes, cet
Etat ne peut alors plus raisonnablement exiger de cet étranger qu’il recoure aux seules voies de
droit disponibles sur son territoire. Le droit international n’impose pas d’obligations impossibles à
respecter. Il permet encore moins à l’Etat qui rend l’obligation impossible d’en invoquer le
142Article 15 d) du projet d’articles de la CDI sur la protection diplomatique. Voir dossier des juges, cote n 10.
143
CR 2006/50, p. 14.
144
CR 2006/50, p. 39, par. 88 (Kalala).
145Rapport de la CDI, cinquante-huitième session, 2006, sup. 10 (A/61/10), article 15, p. 79, par. 1.
146RSA, vol. II, p. 1202. - 54 -
non-respect à son profit. La Cour permanente de Justice internationale l’avait d’ailleurs constaté
dès 1937 dans l’affaire de l’Usine de Chorzów, c’est
«un principe généralement reconnu par la jurisprudence … internationale, aussi bien
que par les juridictions nationales, qu’une partie ne saurait opposer à l’autre le fait de
ne pas avoir rempli une obligation ou de ne pas s’être servi d’un moyen de recours, si
la première, par un acte contraire au droit, a empêché la seconde de remplir
l’obligation en question, ou d’avoir recouro à la juridiction qui lui aurait été ouverte»
(Usine de Chorzów, compétence, arrêt n 8, 1927, 1927, C.P.J.I. série A n° 9, p. 31).
14. Tout récemment, la CDI a codifié ce principe. Selon l’alinéa d) du projet d’article 15, la
règle de l’épuisement des recours internes ne saurait être opposée lorsque «la personne lésée est
manifestement empêchée d’exercer les recours internes». Quant au commentaire, le commentaire
de cet alinéa, il explique que l’exception de l’impossibilité manifeste vise notamment des
circonstances dans lesquelles l’Etat défendeur empêche la personne lésée d’entrer sur son
147
territoire . En l’espèce, M. Diallo a été privé de liberté, et éloigné du territoire, précisément pour
l’empêcher d’exercer des recours internes, et tout particulièrement au nom de ses sociétés.
B. Les conditions de l’expulsion de M. Diallo l’ont empêché d’exercer des recours zaïrois
pour son compte ou pour ses sociétés
15. Il ne fait en effet aucun doute que, lorsque le Zaïre s’en est pris à M. Diallo, par des
arrestations, en janvier 1988 et en novembre 1995, par deux détentions, longue d’une année pour la
première, en 1988, d’une durée de plus de deux mois pour la seconde, en 1995, et, enfin, par son
refoulement arbitraire en janvier 1996, il sanctionnait exclusivement un gérant de sociétés qui avait
osé, en leur nom, élever des réclamations administratives ou judiciaires. En 1988, c’est au moment
même où il réclamait le paiement de créances par l’Etat zaïrois qu’il fut arrêté, puis jeté en prison ;
en 1995, c’est lorsqu’il a eu en main des décisions de justice en sa faveur, et qu’il cherchait à les
faire exécuter, qu’il fut, là encore, arrêté, détenu et, cette fois, éloigné du territoire.
16. L’affaire Diallo est clairement un de ces cas de «déni factuel d’accès aux recours
internes» invoqués par John Dugard dans son troisième rapport sur la protection diplomatique 14. Il
constate dans ce rapport que : «Un Etat peut empêcher un étranger lésé d’avoir effectivement accès
à ses tribunaux, par exemple en lui refusant l’entrée sur son territoire ou en l’exposant à des
147CDI, rapport de la cinquante-huitième session, 2006, A/61/10, p. 85.
148A/CN.4/523. - 55 -
149
dangers qui font qu’il n’est pas sûr pour lui d’entrer sur ce territoire.» Le commentaire de la CDI
sous le projet d’article 15, alinéa d), y revient : l’obligation d’épuisement ne s’applique pas lorsque
«l’Etat défendeur [empêche] la personne lésée d’entrer sur son territoire, soit en application de la
loi, soit par des menaces contre sa sécurité personnelle, l’empêchant ainsi de saisir les tribunaux
150
internes» .
17. Interdiction de territoire, ou menaces, dit la Commission du droit international. Ici,
l’empêchement d’agir qui est en cause résulte et de la menace pesant sur le gérant des sociétés, et
de l’interdiction du territoire qui le frappe.
18. La Cour constatera que s’il est certain que le Zaïre a voulu empêcher M. Diallo d’agir en
justice, il est tout aussi apparent qu’il y est parvenu. A cet égard, et pour paraphraser le tribunal
151
arbitral dans l’affaire Biloune : «Given the central role of [M. Diallo] in [managing the
proceedings of its companies], his expulsion from the country effectively prevented [its companies]
from further [exhausting local remedies].»
19. Monsieur le président, il faut ajouter que les conditions de son expulsion ont mis
M. Diallo dans l’impossibilité tout simplement matérielle d’exercer quelque recours que ce soit au
Zaïre.
20. Je suivrais mon contradicteur sur un point : la situation matérielle de M. Diallo est, en
152
elle-même, sans pertinence au regard de la règle de l’épuisement des recours internes . Pauvre ou
riche, peu importe : la règle est la même pour tous. Mais ce n’est pas de cela dont il est question
ici. La Guinée invoque la situation matérielle de M. Diallo telle qu’elle résulte des actes du Zaïre,
et tout particulièrement des expulsions et refoulement arbitraires. Dans un tel cas, comme le
souligne Amerasinghe, lorsqu’il aborde l’exception de pauvreté, «there may be considerations of
estoppel or waiver that may operate…» 15.
21. Je note à cet égard que les deux Parties à la présente instance ont ratifié la convention
africaine des droits de l’homme et des peuples. Or, par exemple dans l’affaire RHADDO c.
149Ibid., p. 40.
150CDI, Rapport de la cinquante-huitième session, 2006, A/61/10, p. 85.
151
UNCITRAL, affaire Biloune, 27 octobre 1989 et 30 juin 1990, YCA, vol. XIX -1994, p. 14 et 71, par. 28.
152
CR 2006/50, p. 62, par. 21 (Kalala).
153Amerasinghe, Local Remedies in International Law, op. cit., p. 215. - 56 -
154
Zambie , alors que le Gouvernement zambien opposait la règle de l’épuisement à des personnes
qu’il avait expulsées, la commission répondit que le fait que les victimes aient été gardées en
détention avant d’être ensuite expulsées en urgence «gave the complainants no opportunity to
establish the illegality of these actions in the courts. Thus, the recourse referred to by the
government under the immigration and Deportation Act was as a practical matter not available to
the complainants.»
22. Je sais bien, Messieurs de la Cour, que le Congo aime à jeter le doute sur le dénuement
matériel de M. Diallo à la suite de son expulsion. Mais nos contradicteurs peuvent se perdre en
supputations , le fait est là.
23. Après son expulsion, M. Diallo a pu suivre à distance pendant quelque temps certaines
de ses affaires au Zaïre, aidé d’avocats bénévoles. Cela existe. Il ne s’est pas moins trouvé
incapable d’assurer ne serait-ce que le suivi d’un procès au Congo. C’est ce que constate la lettre
d’avril 1996 du ministre des affaires étrangères de Guinée au secrétaire général de la présidence de
la République : «à ce jour, M. Diallo vit à Conakry sans aucune ressource et fonde son ultime
espoir sur ce que l’Etat guinéen entreprendra pour le réinstaller dans ses bons droits» . 156
157
24. Naturellement, cela contrarie nos contradicteurs qui ont fait grand cas hier des
négociations de 1997. Mais les négociations de 1997 auxquelles ont participé des représentants des
sociétés de M. Diallo ne prouvent certainement pas que l’homme avait des ressources. Ces
représentants agissaient sur recommandation de l’ambassade de Guinée au Zaïre, sans que
M. Diallo y fût pour rien. Ceci ressort d’une lettre du 1 er juillet 1997 justement signée de
158
l’ambassadeur de Guinée à Kinshasa . D’ailleurs, lorsque les représentants en question ont songé
à rédiger un compte rendu de leurs discussions, ce compte rendu a été adressé à l’ambassadeur, pas
à M. Diallo 159. Vous trouverez ces éléments aux cotes n 11 et 12 du dossier des juges. Quant à
154 o
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, communication n 71/92 (1996).
155
EP, p. 116-177, par. 3.33-3.34 et 3.36.
156
MG, annexe 203.
157EP, p. 115, par. 3.29 ; CR 2006/50, p. 62, par. 20 (Kalala).
158MG, annexe 223.
159
MG, annexe 213. - 57 -
160
l’affirmation selon laquelle M. Diallo leur aurait ordonné de cesser leurs démarches , elle est à la
fois absurde et irrecevable. Absurde parce que M. Diallo avait tout à gagner à la poursuite des
discussions jusqu’à leur terme. Irrecevable parce qu’elle ne repose sur aucun commencement de
preuve.
25. La Guinée n’avait pas à financer des procès internes. Il n’existe aucune règle de droit
international qui le prévoit. Faute pour M. Diallo de disposer de moyens, les choses en sont restées
là.
26. Messieurs de la Cour, sous quelque angle qu’on la regarde, l’affaire Diallo révèle que les
recours ont été empêchés, au sens de l’article 15, alinéa d), du projet d’articles de la Commission
du droit international. J’en viens alors, Monsieur le président, à mon deuxième point, qui montre
qu’
II. «Il n’y a[vait] pas de recours internes raisonnablement disponibles» pour contester
l’éloignement du territoire de M. Diallo 161
162
27. Dans ses écritures, si ce n’est hier, où rien de précis n’a été dit sur ce sujet , le Congo a
assuré que M. Diallo aurait pu contester la mesure d’expulsion par un recours hiérarchique, «avec
163
des chances de succès dans le cadre de l’ordre juridique interne [zaïrois]» . Et de citer, pour
l’illustrer, des cas d’expulsés qui par la suite ont été réadmis sur le territoire congolais.
28. L’argument porte à faux. La Cour notera que si le Congo a joint à son dossier des juges
164
le procès-verbal de notification d’expulsion de M. Yaghi , celui concernant M. Diallo est
introuvable. Et pour cause : M. Diallo a en réalité fait l’objet d’une mesure de refoulement pour
«séjour irrégulier» . 165 Pourquoi son cas a-t-il été traité comme un refoulement, alors que,
juridiquement, il n’était pas «refoulable» ? En tout état de cause, ce qu’il faut constater est que,
160
CR 2006/50, p. 26, par. 45 (Kalala).
161
Ibid., art. 15 a).
162
CR 2006/50, p. 41, par. 94 (Kalala).
163EP, p. 134, par. 3.68.
164Dossier des juges du Congo, cote 2.
165
MG, annexe 197. - 58 -
selon l’article 13 de l’ordonnance-loi du 12 septembre 1983 relative à la police des étrangers : «[la]
mesure de refoulement est sans recours» . 166
29. Le Congo en appelle alors à un «principe général de droit administratif», tout en
167
reconnaissant que ce n’est, tout au plus, qu’une «possibilité informelle» . Or, l’article 14,
paragraphe 2, du projet d’articles de la CDI indique : «Par «recours internes» on entend les recours
ouverts», c’est-à-dire prévus et encadrés par le droit interne. Tel n’est pas le cas d’une «possibilité
informelle».
30. La Cour relèvera peut-être que l’éminent ministre de la justice du Congo a indiqué, hier,
qu’en matière d’expulsion, le Congo avait «su toujours pardonner» . Peut-être, mais cela montre
bien qu’il n’existe aucun recours ; seulement des grâces.
31. Or, la doctrine a toujours été hostile à la prise en compte des voies extralégales dont «le
169
but est d’obtenir une faveur et non de faire valoir un droit» . Les recours internes «comprise all
forms of recourse as of right, including administrative remedies of a legal nature «but not
extra-legal remedies or remedies as of grace» . Les recours administratifs ou autres qui ne sont ni
judiciaires ni quasi judiciaires et ont un caractère discrétionnaire ne sont donc pas pris en compte
171
par la règle de l’épuisement des recours internes . Quant à la Commission du droit international,
elle écrit que :
«L’étranger lésé n’est … pas tenu de s’adresser à l’exécutif pour que celui-ci lui
octroie réparation dans l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires. Les recours
internes ne comprennent ni les recours dont le «but est d’obtenir une faveur et non de
faire valoir un droit», ni les recours gracieux, à moins qu’ils ne soient une condition
172
préalable essentielle à la recevabilité de la procédure contentieuse ultérieure.»
166EP, annexe 73 ; les italiques sont de nous. Voir dossier des juges, n 3.
167
EP, p. 134, par. 3.68.
168
CR 2006/50, p. 14.
169 o
De Becker c. Belgique, demande n 214/56 (1958-1959), 2, Annuaire de la Convention européenne des droits
de l’homme, p. 238 ; E. Jiménez de Aréchaga, «Cours général de droit international public», RCADI, 1978-I, p. 293.
170 e
I. Brownlie, Principles of Public International Law, 6 éd. (2003), p. 475, J. L. Brierly, The Law of Nations,
6 éd. (dir. de publ., H. Waldock), p. 281 ; F. C. Amerasinghe, «The Local Remedies Rule in Appropriate Perspective»
(1976), 36, Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht, 747 ; A. M. Aronovitz, «Notes on the
Current Status of the Rule of Exhaustion of Local Remedies in the European Conoention of Human Rights» (1995), 25,
Israel Yearbook on Human Rights, p. 89 ; Grèce c. Royaume-Uni, demande n 299/57 (1958-1959), 2, Annuaire de la
Convention européenne des droits de l’homme, p. 192 ; Finnish Vessels Arbitration (1934), 3, RSA, 1479.
171
Cançado Trindade, The Application of the Rule of Exhaustion of Local Remedies in International Law (1983),
p. 62 ; Amerasinghe, «Local Remedies», op. cit., p. 161 ; J. E. S. Fawcett, The Application of the European Convention
on Human Rights (1965), p. 295.
172Rapport de laCDI , cinquante-huitième session, 2006, sup. 10 (A/61/10), art. 14, p. 74, par. 5. - 59 -
32. La pratique invoquée par la Partie congolaise confirme l’absence de véritables recours . 173
M. Yaghi, qui devient célèbre en étant présent devant cette Cour dans les écritures des Parties, a
174
certes vu sa mesure d’expulsion relevée par la commission nationale d’immigration . Mais cette
décision n’est pas motivée. Purement gracieuse, en opportunité, et non en droit, elle a de surcroît
été rendue en dehors de tout cadre légal. L’ordonnance du 12 septembre 1983, relative à la police
des étrangers, institue et définit les compétences de la commission sans lui reconnaître le moindre
pouvoir décisionnel . Au demeurant, son autorité est bien relative. Elle n’a même pas été
consultée avant l’expulsion de M. Diallo, alors que cette formalité est en principe obligatoire aux
176
termes de la loi que je viens de citer .
33. Monsieur le président, après avoir constaté l’absence de tout recours, j’en arrive à mon
troisième point, qui est que quand bien même il y aurait eu des recours,
III. Le système judiciaire zaïrois n’offrait à l’ép177e des faits, «aucune
possibilité raisonnable» de protection , notamment du fait des
«retards abusifs» des procédures 178
A. Le gouvernement avait le pouvoir discrétionnaire de contredire les décisions de justice
34. A ce stade, la question se pose en ces termes : Les sociétés de M. Diallo auraient-elles
pu, si elles en avaient eu la possibilité quod non , exercer un recours contre les ingérences du
Gouvernement zaïrois, dans les procédures judiciaires qui les concernent, avec un espoir
raisonnable de succès ? De même, M. Diallo aurait-il pu espérer que, s’il avait pu saisir un juge
quod non , sa situation serait judiciairement reconsidérée ?
35. Sans doute pas, de l’aveu même du Congo, car à l’époque des faits, l’exécution des
décisions de justice dépendaient exclusivement du bon vouloir du gouvernement. On peut lire dans
les écritures congolaises que, quelque recours que l’on eût pu exercer, la décision finale revenait au
173EP, p. 134-135, par. 3.69.
174EPRDC, annexe 69 ; dossier des juges du Congo, cote n 2.
175
EP, annexe 73.
176 o
EP, annexe 75, Décret n 0043 du 31 octobre 1995 portant expulsion de M. Diallo du territoire de la
République du Zaïre ; EP, annexe 73, Ordonnance-loi n° 83-033 du 12 septembre 1983, relative à la Police des étrangers,
art. 16.
177
Ibid., art. 15 a).
178
Ibid., art. 15 b). - 60 -
gouvernement, fort d’un pouvoir totalement discrétionnaire que, d’ailleurs, aucun texte ne lui
reconnaissait.
36. Selon nos contradicteurs, dans leurs écritures, en effet :
«lorsque l’exécution d’une décision judiciaire est susceptible de provoquer des remous
sociaux ou d’entraîner de graves désordres publics, le ministre de la justice peut
suspendre son exécution et demander à l’inspectorat général des services judiciaires
d’en vérifier la régularité. Après avoir entendu toutes les parties et le ou les juges qui
ont rendu la décision concernée, l’inspectorat adresse un rapport au ministre de la
justice. Au vu de ce rapport, le ministre de la justice peut soit lever la mesure de
suspension [de l’exécution] et permettre la poursuite de l’exécution de la décision, soit
maintenir la mesure de suspension de l’exécution…» 179
37. Ce sont les éléments d’un déni de justice, que Amerasinghe définit comme «an act of the
180
executive interfering with the judicial process» . Au demeurant, en pratique, le ministre faisait en
réalité ce qu’il voulait, comme l’a montré le professeur Forteau tout à l’heure lorsqu’il parlait de
l’ingérence, lorsqu’il expliquait l’ingérence du Gouvernement zaïrois dans les affaires judiciaires
engagées par les sociétés de M. Diallo. Il en découle que tout recours juridictionnel que les
sociétés ou M. Diallo auraient pu engager à l’encontre du gouvernement ne pouvait aboutir qu’à
une décision du même gouvernement, fondée sur des appréciations politiques.
38. Messieurs de la Cour, les recours n’étaient donc pas «raisonnablement disponibles», au
sens du projet d’article 15 de la CDI, dont le commentaire évoque, comme une exception à la règle
de l’épuisement, le cas dans lequel «l’Etat défendeur n’a pas de système adéquat de protection
judiciaire» . C’était manifestement le cas au Zaïre à l’époque des faits d’autant que, et en tout
état de cause, la longueur parfaitement déraisonnable des procédures les rendait futiles.
B. A supposer que des recours aient pu être utilement activés, les retards abusifs des
procédures dans lesquelles les sociétés avaient déjà été engagées démontraient leur futilité
39. J’espère ne pas abuser de la longueur en ce qui me concerne mais la longueur abusive
des procédures internes est une cause d’inapplicabilité de la règle de l’épuisement. Le défendeur
en a du reste convenu dans ses écritures , en précisant c’était en 2002 qu’en l’espèce un
179EP, p. 126, par. 3.50.
180Amerasinghe, Local Remedies in International Law, op. cit, p. 98.
181
CDI, rapport de la cinquante-huitième session, 2006, A/61/10, p. 81.
182EP, p. 128, par. 3.54. - 61 -
183
délai de dix ans, à priori excessif, n’avait pas encore été atteint . Nous sommes bien au-delà de
dix ans. Sur ce terrain, nos contradicteurs sont d’ailleurs bien mal à l’aise.
e 184
40. M Kalala a évoqué hier l’affaire Africom-Zaïre c. PLZ . Selon la chronologie
inachevée qu’il en retrace, elle a débuté en 1992 . 185 Un pourvoi en cassation est pendant
depuis 1994 . M Kalala soutient tout ignorer de l’issue de la procédure . Même chose pour 187
l’affaire Africontainers c. Zaïre Fina . L’action judiciaire commence en 1993 . Le pourvoi en 189
190
cassation date du 23 février 1995. L’affaire était toujours en délibéré en 2002 . Mais le Congo a
191
prétendu, hier, tout ignorer de l’issue de cette procédure .
41. Monsieur le président, le défendeur ne peut pas sérieusement soutenir qu’il ignore les
suites de ces affaires. Il est totalement inconcevable que, en préparant ces plaidoiries, les autorités
congolaises aient omis de s’enquérir de l’état de ces procédures. Elles le pouvaient sans aucune
difficulté. Je note d’ailleurs que M Kalala a pu obtenir une telle information en 2002, en
seulement deux jours par le biais d’un simple courrier d’avocat adressé au greffe de la Cour
suprême de justice (ces documents sont à la cote n 13 du dossier des juges) . La Cour verra au92
passage que, à cette occasion, le greffier de la Cour suprême de justice a reconnu que sept ans de
délai correspondait au «cours normal» de la procédure, ce qui démontre que les durées excessives
sont généralisées et sans doute pas exceptionnelles.
42. En tout état de cause, je suggère à la Cour de ne tirer qu’une seule conséquence de
l’ignorance affichée par nos contradicteurs : même si le Congo n’ose l’avouer, les deux affaires en
cause sont toujours pendantes, après quatorze ans de procédure pour la première, treize ans pour la
seconde.
183
Ibid., par. 3.55.
184
CR 2006/50, p. 19-21, par. 18-24 ; voir aussi EP, p. 36-38, par. 1.48-1.52.
185
CR 2006/50, p. 20, par. 20 (Kalala).
186Ibid., par. 23.
187Ibid., par. 24.
188CR 2006/50, p. 32-34, par. 61-69.
189Ibid., par. 64.
190EPRDC, annexe 47.
191Ibid., par. 65.
192EPRDC, annexe 47. - 62 -
43. Ceci démontre à la perfection la futilité des recours que les sociétés de M. Diallo, ou
lui-même, auraient pu s’acharner à exercer. Bien plus de dix ans après, les décisions de cassation
attendues par Africontainers et Africom-Zaïre ne sont toujours pas rendues, alors même qu’elles ne
peuvent, au mieux, que permettre la reprise des débats au fond. Les voies de droit zaïroises étaient
donc manifestement futiles, ce qui confirme de manière irréfutable qu’il ne saurait être reproché à
la Guinée d’avoir exercé prématurément sa protection diplomatique dans cette affaire.
44. Monsieur le président, je suis ravi que ces considérations mettent un terme à ma
plaidoirie de ce matin, ainsi qu’au premier tour des plaidoiries de la République de Guinée. Je
vous remercie bien vivement de votre attention.
The VICE-PRESIDENT, Acting President: I should like to thank you, Professor Thouvenin,
for your statement. Now a Member of the Bench, Judge Bennouna, has indicated to me that he
wishes to pose a question, addressed to both Parties, and I give him the floor.
M. BENNOUNA : Je vous remercie, Monsieur le président. Je souhaite demander une
clarification aux deux Parties sur le point de savoir si la législation de la République démocratique
du Congo ou la jurisprudence des tribunaux de ce pays autorisent la création d’une société privée à
responsabilité limitée avec un actionnaire unique et par une seule personne. Telle est la
clarification que je voulais soumettre, demander aux deux Parties. Je vous remercie, Monsieur le
président.
The VICE-PRESIDENT, Acting President: I thank Judge Bennouna. I see that replies to the
question just posed by Judge Bennouna may be given during the second round of oral pleadings, or
in writing, in which case the answer should reach the Registrar not later than 6 December 2006.
This brings to an end the first round of oral argument. I wish to thank each of the Parties for
the statements presented in the course of this first round.
The Court will meet again tomorrow at 3 p.m. to hear the second round of oral argument of
the Democratic Republic of the Congo on its preliminary objections. The DRC will present its
final submissions on those objections at the end of that sitting. I recall that the Republic of Guinea - 63 -
will then take the floor on Friday 1 December, at 10 a.m., for its second round of oral argument,
and will present its final submissions at the end of that sitting.
May I remind you that the second round must not constitute a repetition of past statements,
and that the Parties are not obliged to avail themselves of the entire time allowed to them.
Thank you very much. The Court will now adjourn.
The Court rose at 1 p.m.
___________
Public sitting held on Tuesday 28 November 2006, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Higgins and Vice-President Al-Khasawneh presiding, successively