CR 2006/36
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THHEAGUE LHAAYE
YEAR 2006
Public sitting
held on Friday 21 April 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace,
President Higgins presiding,
in the case concerning the Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro)
________________
VERBATIM RECORD
________________
ANNÉE 2006
Audience publique
tenue le vendredi 21 avril 2006, à 15 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président,
en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
____________________
COMPTE RENDU
____________________ - 2 -
Present: Presieitgins
Vice-Presi-Kntasawneh
RanjevJaudges
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc Mahiou
Kre ća
Couvgisrar
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Présents : Mme Higgins,président
Al-K.vsce-prh,ident
RaMjev.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Sjoteiskov,
MaMhou.,
Kre ća, juges ad hoc
CgoMfferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
The Government of Bosnia and Herzegovina is represented by:
Mr. Sakib Softić,
as Agent;
Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,
as Deputy Agent;
Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisX-Nanterre, Member and former Chairman of
the International Law Commission of the United Nations,
Mr. Thomas M. Franck, Professor of Law Emeritus, New York University School of Law,
Ms Brigitte Stern, Professor at the University of Paris I,
Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Facult of Law of the University of Florence,
Ms Magda Karagiannakis, B.Ec, LL.B, LL.M., Barrister at Law, Melbourne, Australia,
Ms Joanna Korner, Q.C., Barrister at Law, London,
Ms Laura Dauban, LL.B (Hons),
Mr. Antoine Ollivier, Temporary Lecturer and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre,
as Counsel and Advocates;
Mr. Morten Torkildsen, BSc, MSc, Torkildsen Granskin og Rådgivning, Norway,
as Expert Counsel and Advocate;
H.E. Mr. Fuad Šabeta, Ambassador of Bosnia and Herzegovina to the Kingdom of the Netherlands,
Mr. Wim Muller, LL.M, M.A.,
Mr. Mauro Barelli, LL.M (University of Bristol),
Mr. Ermin Sarajlija, LL.M,
Mr. Amir Bajrić, LL.M,
Ms Amra Mehmedić, LL.M, - 5 -
Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est représenté par :
M. Sakib Softić,
comament;
M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,
comme agent adjoint;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Pa risX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,
M. Thomas M. Franck, professeur émérite à lafaculté de droit de l’Université de New York,
Mme Brigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,
Mme Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M.,Barrister at Law, Melbourne (Australie),
Mme Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, Londres,
Mme Laura Dauban, LL.B. (Hons),
M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’ense ignement et de recherche à l’Université de
Paris X-Nanterre,
comme conseils et avocats;
M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Torkildsen Granskin og Rådgivning, Norvège,
comme conseil-expert et avocat;
S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosnie-Herzégovine auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Wim Muller, LL.M., M.A.,
M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),
M. Ermin Sarajlija, LL.M.,
M. Amir Bajrić, LL.M.,
Mme Amra Mehmedić, LL.M., - 6 -
Ms Isabelle Moulier, Research Student in International Law, University of Paris I,
Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),
as Counsel.
The Government of Serbia and Montenegro is represented by:
Mr. Radoslav Stojanović, S.J.D., Head of the Law Council of the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro, Professor at the Belgrade University School of Law,
as Agent;
Mr. Saša Obradović, First Counsellor of the Embassy of Serbia and Montenegro in the Kingdom of
the Netherlands,
Mr. Vladimir Cvetković, Second Secretary of the Embassy of Serbia and Montenegro in the
Kingdom of the Netherlands,
as Co-Agents;
Mr.Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Professor of Law at the Central European University,
Budapest and Emory University, Atlanta,
Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Member of the International Law Commission, member of
the English Bar, Distinguished Fellow of the All Souls College, Oxford,
Mr. Xavier de Roux, Master in law, avocat à la cour, Paris,
Ms Nataša Fauveau-Ivanović, avocat à la cour, Paris and member of the Council of the
International Criminal Bar,
Mr.Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), Professor of Law at the University of Kiel, Director
of the Walther-Schücking Institute,
Mr. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), Attorney at Law, Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, and President of the International Law Association of Serbia and Montenegro,
Mr. Igor Olujić, Attorney at Law, Belgrade,
as Counsel and Advocates;
Ms Sanja Djajić, S.J.D., Associate Professor at the Novi Sad University School of Law,
Ms Ivana Mroz, LL.M. (Indianapolis),
Mr. Svetislav Rabrenović, Expert-associate at the Office of the Prosecutor for War Crimes of the
Republic of Serbia, - 7 -
Mme Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de Paris I,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),
comconseils.
Le Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro est représenté par :
M. Radoslav Stojanović, S.J.D., chef du conseil juridique du ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro, professeur à la faculté de droit de l’Université de Belgrade,
comament;
M. Saša Obradovi ć, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume des
Pays-Bas,
M. Vladimir Cvetković, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume
des Pays-Bas,
comme coagents;
M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université d’Europe centrale de
Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit international, membre
du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au All Souls College, Oxford,
M. Xavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,
Mme Nataša Fauveau-Ivanovi ć, avocat à la cour, Paris, et me mbre du conseil du barreau pénal
international,
M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Université de Kiel, directeur de
l’Institut Walther-Schücking,
M. Vladimir Djeri ć, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, et président de l’association de droit international de la Serbie-et-Monténégro,
M. Igor Olujić, avocat, Belgrade,
comme conseils et avocats;
Mme Sanja Djajić, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Novi Sad,
Mme Ivana Mroz, LL.M. (Indianapolis),
M. Svetislav Rabrenovi ć, expert-associé au bureau du procur eur pour les crimes de guerre de la
République de Serbie, - 8 -
Mr. Aleksandar Djurdjić, LL.M., First Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and
Montenegro,
Mr. Miloš Jastrebić, Second Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and Montenegro,
Mr. Christian J. Tams, LL.M. PhD. (Cambridge), Walther-Schücking Institute, University of Kiel,
Ms Dina Dobrkovic, LL.B.,
as Assistants. - 9 -
M. Aleksandar Djurdji ć, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,
M. Miloš Jastrebi ć, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,
M. Christian J. Tams, LL.M., PhD. (Cambridge), Institut Walther-Schücking, Université de Kiel,
Mme Dina Dobrkovic, LL.B.,
comme assistants. - 10 -
The PRESIDENT: Please be seated.
Mr. PELLET: Thank you very much.
COMPÉTENCE DE LA C OUR
1. LA C OUR NE PEUT REMETTRE EN CAUSE L ’AUTORITÉ DÉFINITIVE
DE CHOSE JUGÉE DE SES ARRÊTS (SUITE )
II. Le défendeur ne peut remettre en cause l’autorité de chose jugée
de l’arrêt de 1996
23. Madame le président, Messieurs les juges, à la fin de ma brève intervention de ce matin,
j’ai fait allusion à ma plaidoirie du 28 février dant laquelle j’avais lu un assez long extrait de
votre arrêt du 3 février 2003 sur la Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996
(C.I.J. Recueil 2003, p. 31, par. 70-71) et, me fondant uniquement sur ce qui y vous aviez énoncé
dans cet arrêt de 2003, j’avais constaté :
⎯ que la Cour, pour rendre son arrêt sur les exce ptions préliminaires, s’était fondée sur la
situation sui generis qui prévalait au moment où elle s’est prononcée;
⎯ qu’elle était parfaitement au fait de cette circonstance très particulière qui résultait de l’attitude
du défendeur lui-même; et
⎯ que l’abandon par la RFY de la thèse selon laquelle elle était le «continuateur» de
l’ex-Yougoslavie et avait conduit à son admiss ion aux NationsUnies n’ avait nulle influence
sur le raisonnement suivi par la Cour dans son arrêt de 1996.
24. Mes contradicteurs, qui, d’une manière géné rale, ne se sont guère appesantis sur l’arrêt
1
de2003, se sont bornés sur ce point à s’appuyer sur une remarque qui figure dans les arrêts
de 2004 rendus dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force. Selon cette incidente,
dans la décision sur la revision, «[c]es déclaratio ns ne sauraient toutefois être interprétées comme
des conclusions quant au statut de la Serbie-et-Monténégro vis-à-vis de l’Organisation des
NationsUnies et de la convention sur le génocide» ( Serbie-et-Monténégro c. Belgique , par.88,
arrêt du 15 décembre 2004, ⎯ les sept autres arrêts du même jour comportent des passages
identiques).
1
Cf. CR 2006/13, p. 40, par. 4.24 (Zimmermann). - 11 -
25. Il est certainement exact, qu’il s’agit là de simples constatations qui n’ont pas, en tant
que telles, autorité de la chose jugée, ne fût-ce que parce ces constatations sur lesquelles je m’étais
appuyées, figurent dans un arrêt sur une demande en revision qui, comme tel, se limite «à la
question de savoir si la requête satisfait aux conditions prévues par le Statut» Demande en revision
de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bos nie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions
préliminaires (Yougoslavie c.Bosnie-Herzégovine) , arrêt du 3février2003, p. 11, par. 16) et c’est
aussi une citation de votre arrêt de 2003. Il n’en reste pas moins que, dans ce passage crucial, la
Cour a, très clairement, considéré que, dans l’affaire qui nous intéresse , «la RFY pouvait ester
devant la Cour entre 1992 et 2000 et que son admission aux Nations Unies en 2002 n’a rien changé
à cette situation» ( Licéité de l’emploi de la force , déclaration commune de M. le juge Ranjeva,
vice-président, et de M. le juge Guillaume, de Mme le juge Higgins et de MM. les
jugesKooijmans, Al-Khasawneh, Buergenthal et El araby, jointe à l’arrêt du 15décembre 2004,
par. 10). Ce n’est pas res judicata sans doute; mais il s’agit tout de même d’une interprétation très
autorisée ⎯c’est celle de la Cour elle-même… ⎯ de l’arrêt de 1996, qui, lui, est revêtu de la
chose jugée.
26. C’est donc, me semble-t-il, à la lumière de cette interprétation qu’il faut :
⎯ d’une part, analyser la «perception» que le défendeur a de l’arrêt de 1996, «perception» qui en
dénature très gravement le sens;
⎯ qu’il faut d’autre part, constater qu’il fait fi, sans que cela soit aucunement justifié sur le plan
juridique, de l’autorité de chose jugée qui s’attache à cet arrêt convenablement interprété;
⎯ et qu’il faut, s’interroger sur les motifs qu’il invoque à cette fin.
A. Le défendeur dénature le sens de l’arrêt de 1996
27. Madame le président, à en croire nos collè gues de l’autre côté de la barre, l’arrêt du
11 juillet 1996 serait tout à fait exceptionnel, non se ulement dans la jurisprudence de la Cour mais
dans les annales judiciaires, toutes juridictions confondues: voilà en effet une décision de justice
qui n’aurait absolument rien décidé. Cette théorie «de la chose non jugée» est originale mais
discutable… - 12 -
28. Je me suis essayé à dresser la liste de ce qui, selon MM. Varady, Djeri ć et Zimmermann,
n’aurait pas été décidé en 1996. C’est le cas :
⎯ du statut de la RFY à l’égard des Nations Unies 2;
3
⎯ du statut de la Yougoslavie à l’égard de la Cour ; et
⎯ du statut de la Yougoslavie à l’égard de la convention de 1948 4.
Alors on se demande sur quoi la Cour a pu se fonder en 1996 pour rendre son arrêt.
29. Cette entreprise de déconstruction n’est ce pendant pas totale, Madame le président. Nos
contradicteurs concèdent en effet une chose importante et qui, je crois, suffit à contredire
complètement leur propre thèse: pour admettre sa compétence, la Cour s’est fondée sur la
«présomption» de continuité entre la RFY et l’ ex-Yougoslavie: «The only assumption on which
the 1996 Judgment on preliminary objections wa s based is the assumption that the FRY had
remained bound by Article IX of the Genocide Convention continuing the treaty status of the
5
former Yugoslavia.»
30. Ceci, Madame le président, es t en partie vrai, mais n’est pas complètement vrai. En
réalité, la Cour s’est fondée moins sur une «présomption de continuité» ⎯ qui eût été erronée et, de
plus, contraire à la position de la Bosnie-Herzégovine, qui n’en avait jamais fait mystère 6⎯ que
sur la position du défendeur lui-même à cet égard . Le passage fondamental de l’arrêt de1996
figure au paragraphe 17 :
«Lors de la proclamation de la Ré publique fédérative de Yougoslavie, le
27avril 1992, une déclaration formelle a été adoptée en son nom, aux termes de
laquelle :
«La République fédérative de Yougoslavie, assurant la continuité
de l’Etat et de la personnalité juridi que et politique internationale de la
République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera strictement
tous les engagements que la Répub lique fédérative socialiste de
Yougoslavie a pris à l’échelon international.»
L’intention ainsi exprimée par la Youg oslavie de demeurer liée par les traités
internationaux auxquels éta it partie l’ex-Yougoslavie a été confirmée dans une note
2 CR 2006/12, par. 1.46 (Varady); CR 2006/13, p. 13, par. 2.13 (Djerić).
3 CR 2006/13, p. 13, par. 2.13 et 2.15 (Djerić).
4
CR 2006/13, p. 38, par. 4.15; p. 38, par. 4.17; p. 40, par.4.21 et 4.22; p. 41, par.4.26 (Zimmermann);
CR 2006/13, p. 26, par. 3.30 (Varady).
5
CR 2006/13, p. 21, par. 3.10; voir aussi, p. 26, par. 3.30 (Varady); voir aussi, p. 39-40, par. 4.21 (Zimmermann).
6 Cf., ibid., p. 30-31, par. 3.47 (Varady). - 13 -
officielle du 27 avril 1992 adressée au Secrétaire général par la mission permanente de
la Yougoslavie auprès des Nations Unies. La Cour observe en outre qu’il n’a pas été
contesté que la Yougoslavie soit partie à la convention sur le génocide. Ainsi, la
Yougoslavie était liée par les dispositions de la convention à la date du dépôt de la
requête en la présente affaire, le 20 mars 1993.» (C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610.)
31. Autrement dit, la Cour s’est fondée sur deux éléments :
⎯ l’intention exprimée par la RFY d’être liée, d’une part; et,
⎯ l’absence de contestation opposée à cette intention d’autre part.
32. Sur cette base, et sans soulever d’office d’autre problème, comme elle aurait pu le faire si
elle avait eu un doute quelconque sur l’existence de sa compétence, la Cour conclut, par treize voix
contre deux, «qu’elle a compétence, sur la base de l’article IX de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide, pour statuer sur le différend» ( C.I.J. Recueil 1996, arrêt du
11 juillet 1996, p. 623, par. 47 2) a)). C’est cela, Madame le président, la chose jugée et, c’est cela
que le défendeur s’efforce, à nouveau, de remettre en cause.
B. Le défendeur conteste le principe même de l’autorité de la chose jugée
33. L’un des traits frappants des plaidoiries des avocats de la Serbie-et-Monténégro sur les
questions de compétence ⎯pardon: sur les «problèmes de procédure»! ⎯, est qu’ils ont évité,
autant qu’ils le pouvaient, d’évoquer le principe de la res judicata (ce qui est un peu paradoxal, et
m’a même vexé, dès lors que les seuls développements que la Bosnie-Herzégovine avait consacrés
à ces questions lors du premier tour des plaidoirie s, consistaient, précisément, en des remarques,
7
assez brèves il est vrai, sur ce principe ). Les rares allusions qu’ils y font visent soit à expliquer
que les nouvelles objections du défendeur à votre juridiction n’y portent pas atteinte, soit, plus
drastiquement, sinon à en nier l’existence, du moins à vider de toute substance ce principe
fondamental.
34. C’est, très visiblement, ce à quoi s’est employé le professeur Varady lorsqu’il a plaidé en
faveur de la «nécessité de faire face aux questions de l’accès à la Cour et de sa compétence» (The
need to face issues of access and jurisdiction) et lorsqu’il a déclaré sans état d’âme : «There is no
res judicata bar which would disallow the Court to addres s the issue of access and jurisdiction if it
8
appears to be justified.» Ceci revient, en fait, à écarter d’un revers de main les dispositions claires
7CR 2006/3, p. 8-22 (Pellet).
8
CR 2006/12, p. 55, par. 1.39 (Varady). - 14 -
des articles59, 60 et 61 du Statut dès lors qu’un arrêt relatif à des exceptions préliminaires en
matière de compétence est en cause, et à faire fi de la jurisprudence bien établie de la Cour en sens
9
contraire .
35. Mon contradicteur conteste en particulier la pertinence des deux précédents que j’avais
cités, à savoir l’arrêt du 25 mars1999 relatif à la Demande en interprétation de l’arrêt du
11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun) et celui du 15avril1949
dans l’affaire du Détroit de Corfou . Dans le premier cas, M.Vara dy croit pouvoir écarter l’arrêt
de1998 au motif qu’il s’agit d’un arrêt en interp rétation, sans rapport, donc, selon lui, avec
l’autorité de la chose jugée. Mais ce n’est pa s le problème! Cette décision est pertinente
simplement parce qu’ elle comporte un dictum très ferme ⎯et d’autant plus significatif, qu’il
rappelle le principe en question d’une manière généra le et abstraite: «Le libellé et la structure de
l’article 60 traduisent la primauté du principe de l’autorité de la c hose jugée. Ce principe doit être
préservé.» ( Demande en interprétation de l’arrêt du 11juin1998 en l’affaire de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria), exceptions
préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil 1999, p. 36, par. 12.) Et, plus loin : «La
Cour ne saurait par suite connaître de cette première conclusion sans remettre en cause l’autorité de
la chose jugée qui s’attache audit arrêt» ( Ibid., p. 39, par. 16) ⎯un arrêt, je le précise, sur des
exceptions préliminaires.
36. S’agissant de l’affaire du Détroit de Corfou , mon éminent contradicteur avance deux
arguments :
⎯ en premier lieu, le professeur Varady concède que, dans l’arrêt du 15décembre 1949relatif à
la fixation du montant des réparati ons, que j’avais cité, «the Court did, indeed refuse to revisit
an earlier finding on jurisdiction which was challenged on the same grounds as the ground
submitted earlier» 10; and then he adds: «It is important to add that this earlier finding was the
11
finding reached in the merits phase, rather than in the preliminary objections phase.» Ici
9 CR2006/3, p.14, par.9. Voir aussi l’ Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI, arrêt ,
C.I.J. Recueil 1972, p. 55-56, par. 18 b).
10CR 2006/12, p. 55, par. 1.41.
11
Ibid. - 15 -
encore, ce fait ⎯tout à fait exact ⎯ n’est pas pertinent: ce qui est pertinent est que la Cour
n’en a pas moins affirmé, à propos d’un arrêt relatif à des exceptions préliminaires que
celui-ci était revêtu de la chose jugée, et je n’ai pas voulu lui faire dire davantage ( Détroit de
12
Corfou, fixation du montant des réparations, C.I.J. Recueil 1949, p. 248). ;
⎯ en second lieu, l’avocat de la Partie serbo-mont énégrine a fait valoir que si l’on s’attache non
pas au troisième, mais au deuxième des arrêts rendus dans cette affaire du Détroit de Corfou,
celui du 19 avril 1949, celui qui concerne le fond, «the Court did address new objections raised
regarding jurisdiction, in spite of … an earlier judgment on preliminary objections…» 1. Ce
n’est exact que si l’on fait de cette décision une lecture très cursive. En réalité, Madame le
président, l’objection soulevée par l’Albani e durant les plaidoiries au fond concernait
l’interprétation d’une clause du compromis concernant les modalités de la réparation, dont il
avait été décidé qu’elle ferait l’objet d’une ph ase distincte de la procédure; cette question
n’avait fait l’objet d’aucune décision antérieu re si bien qu’il ne pouvait être question de
res judicata. Et l’on peut même se demander si cet arrêt, qui a semble-t-il beaucoup intéressé
M. Varady, ne fournit pas une illustration de l’idée de forum prorogatum partiel que j’avançais
ce matin puisque la Cour constate en effet ⎯ sans élaborer davantage : «Aucune raison n’a été
donnée à l’appui de cette nouvelle allégation, et l’agent du Royaume-Uni n’a pas demandé
qu’il lui soit fourni l’occasion de répliquer.» ( Détroit de Corfou, arrêt, C.I.J. Recueil 1949,
p.23.) Et ce n’est qu’à la suite de cela, la Cour s’engage dans la discussion des objections
albanaises.
37. En tout cas, quoiqu’en pense mon contradicteur, le principe res judicata existe. Il est
maintenu fermement par la jurisprudence de la Co ur. Et il «doit être préservé» comme la Cour
elle-même l’a souligné.
38. Le professeur Zimmermann a choisi une autre approche, en apparence plus respectueuse
de l’autorité de la chose jugée mais qui, en définitive, revient tout de même à en écarter
l’application en l’espèce. A pas moins de sept reprises ⎯ce qui me paraît relever de la méthode
12Cf. Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court 1920-2005, vol. II, Jurisdiction, Nijhoff,
Leiden/Boston, 2006, p. 804.
13
CR 2006/12, p. 55-56, par. 1.42. - 16 -
Coué plus que de l’argumentation, il affirme que : «The Court has never decided upon the question
whether or not the Respondent became bound by the Genocide Convention and its Article IX. This
14
question is accordingly, for that reason too, not res judicata.»
39. Ceci, Madame le président, est assez paradoxal car, comme je l’ai rappelé tout à l’heure,
s’il y a un point sur lequel la Cour s’est prononcée dans son arrêt de1996, c’est bien celui-là!
Bien sûr, nous savons que M. Zimmermann et ses collègues font, d’ailleurs à juste titre sur le plan
15
de la théorie juridique, une distinction entre «être lié» et «devenir lié» mais, justement, ce que la
haute juridiction a décidé en 1996, c’est que, au moment du dépôt de la requête, le défendeur était
lié par la convention. Dès lors, la question de savoir s’il pouvait le devenir est vaine et purement
académique.
40. Mais, surtout, c’est, je crois, mal poser le problème parce que l’autorité de la chose jugée
s’applique non pas à la motivation de l’arrêt, en tout cas pas à autre chose qu’au motif qui en
constitue le soutien nécessaire, mais à son dispositif. Nul, sans doute, n’a mieux exprimé ce
principe très général du droit applicable à tout es les décisions de justice bénéficiant de cette
autorité qu’Anzilotti lorsqu’il a dit dans son opinion sur l’affaire de l’Interprétation des arrêts n os 7
et 8 (usine de Chorzów) :
«[I]l est certain que la force obligatoire réside seulement dans le dispositif de
l’arrêt et non pas dans ses considérants.
Les considérants sont simplement des arguments logiques, qui ont pour but
d’arriver à la formulation de ce qui est le droit dans le cas dont il s’agit.
«En disant que seul le dispositif de l’ar rêt est obligatoire, je n’entends pas dire
que seulement ce qui est matériellement écrit dans le dispositif constitue la décision de
la Cour. Il est certain, par contre, qu’il est presque toujours nécessaire d’avoir recours
aux motifs pour bien comprendre le dis positif et surtout pour déterminer la causa
petendi. Mais, en tout état de cause, c’est le dispositif qui contient la décision
obligatoire de la Cour…» ( Interprétation des arrêts n os7 et 8 (usine de Chorzów) ,
C.P.J.I. série A n 13, p.24, opinion dissidente du juge Anzilotti; voir aussi, Service
o
postal polonais à Dantzig, avis consultatif, 1925, C.P.J.I. série B n 11, p. 29-30.)
41. S’agissant de l’arrêt sur les exceptions préliminaires de 1996, le dispositif comporte
deuxcatégories de décisions ( Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 623-624) :
14CR2006/13, p.59, par.4.100; voir aussi p.38, par.4.11 et4.15; p.41, par.4.26, 4.28 et 4.29, et p.42,
par. 4.31.
15
Ibid., p. 22, par. 3.13 (Varady). - 17 -
⎯ d’une part, dans la section 1) du paragraphe 47, la Cour rejette chacune des exceptions
invoquées par la Yougoslavie ⎯ce qui exclut évidemment que le défendeur puisse les
soulever à nouveau;
⎯ d’autre part, et cela est beaucoup plus lourd de conséquences, dans la section 2), elle dit avoir
compétence sur la base de l’article IX de la convention de 1948; elle écarte les bases
supplémentaires invoquées par la Bosnie-Herzégovine; et déclare que la requête de celle-ci est
recevable.
42. Cela est on ne peut plus clair: doréna vant, du fait de l’autorité de chose jugée qui
s’attache aux arrêts sur les exceptions préliminai res comme aux arrêts relatifs au fond, aucune des
Parties ⎯ seules liées par ces décisions ⎯ ne peut les remettre en question. C’est pourtant bien ce
à quoi s’emploie le défendeur. Mais, Madame et Messieurs de la Cour, comme je vais m’attacher à
le montrer dans la dernière partie de ma prés entation de cet après-midi, les motifs qu’invoque la
Serbie-et-Monténégro ne sont pas de nature à paraly ser l’application du principe de l’autorité de la
chose jugée.
C. Les motifs invoqués par le défendeur ne so nt pas de nature à re mettre en cause l’arrêt
de 1996
43. A écouter les plaidoiries des avocats de la Serbie-et-Monténégro, je me suis souvent
demandé s’ils ne se trompaient pas d’arrêt et si, en réalité, celui qu’ils tenaient pour revêtu de
l’autorité de chose jugée n’était pas celui (ou plutôt ceux ⎯ mais ils se ressemblent fort et, selon ce
qui est l’usage, je ne me réfèrerai qu’à celui concernant la Belgique) que vous avez rendu
le15décembre2004 sur les exceptions prélimin aires soulevées dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force . Oh, bien sûr, Madame le président, nos collègues sont trop
adroits ⎯ et trop savants ⎯ pour commettre ouvertement une erreur que l’on ne pardonnerait pas à
nos étudiants de première année et ils prennent soin d’affirmer que l’importance des arrêts de 2004
ne tient pas à ce que «[they] would have res judicata effect with respect to this case, but because
[they make] a truthful ascertainment [of Serbia and Montenegro’s access to this Court before - 18 -
1November2000], and because this is an objective determination which simply cannot be
divorced from our case» 1.
44. Dans les faits cependant, nos contradicteurs ont traité les arrêts de 2004, d’une part, ceux
de1996 et2003, d’autre part, au mieux comme s’ils appartenaient à une seule et même affaire et
comme si les premiers cités avaient, sinon une force obligatoire, du moins une valeur probante,
bien supérieure à celle des seconds, c’est-à-dire des arrêts rendus dans notre affaire.
45. Dès les premiers mots de sa plaidoirie du 8 mars, le professeur Varady a placé »[the]
three judgments of this Court, wh ich are of particular importance in the procedural history of the
cases arising from the Yugoslav conflicts» sur le même plan 17. Le lendemain, M.Djeri ć, après
avoir décrit la soi-disant carence de la Cour à trancher la question de savoir si le défendeur avait un
droit d’accès à son prétoire dans ses arrêts de 1996 et 2003, annonçait: «Madam President,
eventually the question of the FRY’s access to the Court was resolved in 2004, by the Judgments in
the cases concerning Legality of Use of Force » 18 et en déduisait, non sans audace, que «[t]he
determination on access to the Court in a particular period of time necessarily applies to all cases
19
before the Court instituted during that period» . Le même jour, le professeurVarady reprenait
cette antienne : «These findings and conclusive clarifications [in the 2004 Judgments] set aside the
20
assumption on which the 1996 Judgment on preliminary objections was based» . Et le professeur
Zimmermann, après avoir prétendu qu’il était indispensable que la Cour prenne expressément
position sur cette même question, affirmait :
«I trust that such a determination ca nnot be made, since this would entail a
conclusion that Bosnia and Herzegovina could bring a case at a time when the
Respondent, that is, the FRY ⎯Serbia and Montenegro ⎯ as this Court itself has
determined [that Bosnia had no such access] in its 2004 Legality of Use of Force
Judgments…» 21
46. Ces affirmations ⎯ encore ne s’agit-il que d’exemples ⎯ martelées par les avocats de la
Serbie-et-Monténégro, suscitent de très sérieuses objections :
16CR 2006/13, p. 62, par. 5.9 (Varady).
17CR 2006/12, p. 45, par. 1.4 (Varady); voir aussi p. 54, par. 1.38.
18CR 2006/13, p. 14, par. 2.16.
19
Ibid., p. 16, par. 2.21; voir aussi par. 2.22-2.23.
20Ibid., p. 25, par. 3.25; voir aussi, par. 3.24.
21Ibid., p. 36, par. 4.3. - 19 -
⎯ elles reviennent, malgré les dénégations faites du bout des lèvres par le professeur Varady en
22
toute fin de plaidoiries , à reconnaître que le raisonnement su ivi par la Cour dans les arrêts
de 2004 lui impose de se déjuger et de revenir sur la reconnaissance éclatante de sa compétence
par son arrêt de 1996, ce qui équivaut à introduire dans l’arsenal juridique dont dispose la Cour
une sorte d’arrêt de règlement, de règle du pr écédent rétroactive qui constituerait une menace
redoutable pour la stabilité des situations juridiques et la crédibilité du principe de chose jugée;
⎯ et ce que l’on nous propose va même beauco up plus loin que le principe de la chose jugée
puisque, non seulement, il déborde les limites d’une affaire pour s’étendre à un ensemble
d’affaires arbitrairement défini comme formant un tout, mais aussi, loin de se cantonner au
dispositif, il s’étend aux motifs, alors que, je l’ai dit en empruntant la formulation d’Anzilotti,
même en cas d’identité de parties, de petitum et de causa petendi, «seul le dispositif de l’arrêt
est obligatoire» au titre de la res judicata, pas les considérants.
47. A l’appui de ces prétentions proprement révolutionnaires (et profondément
déstabilisatrices des situations juridiques acqu ises), deux arguments et deux seulement sont
avancés : l’«exceptionnalité», d’une part, et la cohérence (consistency), d’autre part.
48. Conscients du caractère insolite de leur thèse, nos contradicteu rs, M.Varady surtout,
répètent à l’envi que l’affaire qui nous oppose est unique en son genre, d’une complexité
incomparable 23, et que, bien entendu, «reopening the issue of jurisdiction cannot be a routine
24
matter, and only exceptional circum stances can provide justification» . Assurément, mais, en
admettant que ceci soit possible ⎯ quod non ⎯, sur quel critère la Cour pourrait-elle se fonder
pour décider qu’une situation est suffisamment «e xceptionnelle» pour justifier une telle atteinte à
l’un des principes les mieux établis ? Pour mesurer le degré de complexité nécessaire pour en venir
à cette extrémité? Et est-ce que la complexité constitue un fondement juridique? Evidemment
non.
49. Autant, je suis prêt à partager l’opinion selon laquelle cette affaire est exceptionnelle par
ses enjeux, parce qu’elle porte ⎯les avocats de la Serbie -et-Monténégro l’admettent ⎯ sur une
22CR 2006/13, p. 62, par. 5.9.
23Cf. CR 2006/12, p. 46, par. 1.7 (Varady); p. 48, par. 1.13; p. 51, par. 1.26; p. 56, par. 1.45; ou CR 2006/13,
p. 23, par. 3.18 (Varady); p. 36, par. 4.5 (Zimmermann).
24
CR 2006/13, p. 19, par. 3.4 (Varady); voir aussi p. 60, par. 5.2. - 20 -
«tragédie» 25d’une ampleur heureusement inusitée et parce que la vérité juridique qui sera dite par
la Cour contribuera grandement au réconfort des victimes et à la réconciliation entre les peuples de
la région. Autant, j’éprouve quelque difficu lté à admettre que cette affaire soit à ce point
extraordinaire sur le plan «procédural» ou de la compétence, même si, je le dis avec une
respectueuse franchise, Madame le présid ent, je ne puis m’empêcher de penser ⎯ mais c’est une
citation… ⎯ que la Cour n’a peut-être pas été très bien inspirée «in purporting to find ex post facto
clarification of the situation as it was in 1992-2000» ( Licéité de l'emploi de la force , opinion
individuelle de Mme le juge Higgins, par.20) dans son arrêt de 2004, alors qu’elle pouvait tout à
fait éviter de faire naître, chez le défendeur, des espoirs juri diquement infondés d’obtenir la
revision d’un arrêt qui n’est pas «revisable» en ad optant une position qui «est loin d’être évidente»
(ibid., déclaration commune de M. le juge Ranjeva, vi ce-président, et de M. le juge Guillaume, de
Mme le jugeHiggins et de MM. les juges Kooijmans, Al-Khasawneh, Buergenthal et Elaraby,
jointe à l’arrêt du 15 décembre 2004, par. 12) ⎯ c’est une autre citation, Madame le président…
50. Il n’est pas douteux que ceci pose des problèmes de cohérence ⎯pas un problème; au
moins deux. Mais un seul semble préoccuper le défendeur :
«It cannot possibly be held in one case before the Court that the FRY was not a
Member of the United Nations and did not have access to the Court in a particular
period of time, and in another case that the FRY was a Member of the United Nations
26
or that it had access to the Court in that same period of time.»
27
C’est une indignation de M.Djeri ć, auquel le professeur Zimmermann fait écho en rappelant
qu’en outre le même problème se posera à nouvea u en ce qui concerne le sort de la requête
28
introduite par la Croatie contre la Yougoslavie en 1999 .
51. Toutefois, à ce problème de cohére nce «horizontal» si l’on veut, qui se pose
effectivement entre les solutions adoptée s dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, d’une part, et dans la présente affaire, d’autre part, s’en ajouterait un autre, «vertical»,
interne à notre affaire, si vous faisiez droit, Madame et Messieurs les juges, à la demande singulière
que formule le défendeur. Une telle situation serait, je crois, infiniment plus fâcheuse au regard de
25Cf. CR 2006/12, p. 46, par. 1.5 (Varady).
26CR 2006/13, p. 16-17, par. 2.23 (Djerić).
27
Ibid., p. 36-37, par. 4.6-4.8.
28Ibid., p. 37, par. 4.9. - 21 -
l’intégrité de la fonction judiciaire que l’autr e incohérence, l’incohérence «horizontale», dont
l’autre Partie brandit la menace.
52. Dans un cas, celui de «l’incohérence verticale» ⎯celui interne à l’affaire qui nous
occupe ⎯ vous vous mettriez, Madame et Messieurs de la Cour, en porte à faux (et c’est une litote
que j’espère polie) par rapport aux articles 60 et 61 de votre Statut et seriez nécessairement
conduits à enfreindre le principe de l’autorité de la chose jugée qui est indissociable de votre si
éminente fonction judiciaire. Comme l’a écrit un an cien président de la Cour: «One of the most
29
important characteristics of the law as declared by courts and tribunals must be stability»
⎯stabilité dont le respect du principe res judicata est la condition fondamentale. Assurément,
cette exigence de stabilité ne sortirait pas non plus totalement indemne de la non-concordance,
horizontale, entre les solutions retenues dans des affaires distinctes. Mais si la cohérence et la
prédictibilité de la jurisprudence sont, sans auc un doute, souhaitables, en vous écartant, dans une
affaire, de la solution retenue dans une autre, vous ne remettriez en cause aucune règle de droit:
vous n’êtes pas tenus par le principe du stare decisis. Et, exactement comme l’arrêt de2004 ne
revêtait pas, pour les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, «une quelconque autorité
de la chose jugée» (arrêt du 15 décembre 2004, pa r.80), ceux de2004 ne sont pas davantage res
judicata pour la présente espèce.
53. La Cour n’en a pas moins rappelé, dans son arrêt du 11 juin 1998 sur les exceptions
préliminaires soulevées par le Nigéria dans l’ affaire de sa frontière terrestre et maritime avec le
Cameroun, que :
«Il est vrai que, conformément à l’artic le59, les arrêts de la Cour ne sont
obligatoires que pour les parties en litige et da ns le cas qui a été décidé. Il ne saurait
être question d’opposer au Nigéria [ici à la Bosnie-Herzégovine] les décisions prises
par la Cour dans des affaires antérieures. La question est en réalité de savoir si, dans
la présente espèce, il existe pour la Cour des raisons de s’écarter des motifs et des
conclusions adoptés dans ces précédents.» ( Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 292, par. 28.)
54. Il ne saurait faire de doute, Madame le pr ésident, qu’en la présente occurrence, il existe
une première raison, décisive, de s’écarter des précédents constitués par les arrêts de 2004 dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force . Cette première raison décisive, c’est que, en
29Nagendra Singh, The Role and Record of the International Court of Justice, Nijhoff, Dordrecht, 1989, p. 185. - 22 -
revenant sur votre décision de 1996 sur votre compétence dans notre affaire, vous manqueriez à des
règles fondamentales et ceci sa ns aucun fondement juridique ⎯car la Partie serbo-monténégrine
n’en a évoqué aucun et l’on n’en entrevoit, en effet, aucun. Mais il n’y a pas que cela.
55. Plusieurs considérations paraissent en ef fet de nature à atténuer les inconvénients de
«l’incohérence horizontale» que la Bosnie-Herzégovine se permet de vous suggérer par ma voix de
préférer à «l’incohérence vertic ale», c’est-à-dire l’incohérenc e endogène à notre affaire; les
conséquences de ceci seraient je crois totalement dévastatrices. El les résulteraient de la remise en
question de votre compétence dans la présente affaire au mépris de la chose jugée.
56. En revanche, il n’y a aucun inconvénient, me semble-t-il, à assumer ce que l’on pourrait
appeler le «risque circonstanciel». La Cour, Madame le président, ne juge pas dans un monde
immobile. Des faits inconnus d’e lle lorsqu’elle rend un arrêt peuv ent faire surface plus tard. Les
situations qui lui sont soumises changent ⎯et il peut arriver que ceci se produise au cours de la
période même durant laquelle une affaire demeure sub judice, qui peut être fort longue, surtout si
elle comporte plusieurs phases; la pr ésente affaire en porte témoignage ⎯et j’ai l’intention d’y
revenir lundi. La Cour ne peut s’acquitter de sa fonction judiciaire qu’en prenant en considération
la situation contemporaine à sa décision et l’exigence de stabilité des situations juridiques implique
que le temps s’arrête alors ⎯ c’est d’ailleurs pourquoi l’article 61 du Statut impose des conditions
tellement strictes à la fois en ce qui concerne la nature du fait pouvant justifier une demande en
revision et les délais dans lesquels celle-ci peut in tervenir. Et il s’agit là, je le redis, de l’unique
voie permettant de remettre en cause un arrêt «c ar il est de l’intérêt général que les litiges ne
30
recommencent pas indéfiniment relativement au même objet : ut sit finis litium» .
57. En la présente espèce, il n’est que parfaitement normal que deux arrêts, rendus à près de
dix ans d’intervalle, portent sur les faits ⎯des faits qui, en outre, ont considérablement évolué
comme les arrêts de 2004 le reconnaissent ⎯ un regard différent et aboutissent, le cas échéant,
même si c’est regrettable, à des solutions juridiqu es différentes, voire incompatibles. En revanche
⎯et j’y reviendrai plus longuement lundi ⎯, il ne serait pas normal qu’ un requérant soit privé
30Leonardo Brant, L’autorité de la chose jugée en droit international public, LGDJ, Paris, 2003, p. 27. - 23 -
d’un arrêt au fond, après avoir gagné sur la compét ence, au prétexte de la longueur inhabituelle de
31
la procédure dont il n’est pas responsable .
58. Il en va tout particulièrement ainsi, en deuxième lieu, s’agissant des deux affaires ou
séries d’affaires auxquelles la Serbie-et-Monténég ro est mêlée: comme je l’ai relevé dans ma
plaidoirie du 28 février 3, cet Etat est le principal responsable sinon le seul non seulement du délai
indu de la procédure, mais aussi du fait que sa «situation juridique au sein de l’Organisation des
Nations Unies, et à l’égard de celle-ci, demeur a des plus complexes au cours de la période
33
comprise entre 1992 et 2000», comme le relèvent les arrêts de 2004 alors qu’il ne dépendait que
de lui de mettre fin à ces incertitudes. Il n’est dès lors pas aberrant que des solutions différentes
aient été retenues selon que cet Etat est défendeur, comme en l’espèce, ou requérant, comme dans
les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force et il n’y a pas de raison de donner une
prime au requérant dans un cas de ce genre (quand je parle du requérant, c’est le requérant dans les
affaires de la Licéité de l’emploi de la force). Le professeur Thomas Franck va revenir sur ce point
important dans quelques instants.
59. Enfin et en troisième lieu, Madame le prés ident, ces deux arrêts, celui de 1996 et celui
de2004, ces deux arrêts présentent un point co mmun, qui, paradoxalement peut-être, justifie la
divergence des solutions qui y sont retenues. Je l’ai dit tout à l’heure, pour reconnaître sa
compétence dans la présente affaire, la Co ur s’est fondée à la fois sur l’intention exprimée par la
RFY d’être liée, et sur l’absence de contestation opposée à cette intention, d’autre part. C’est aussi,
en définitive, ce que font les arrêts de 2004: dans ceux-ci, la Cour se fonde également sur la
position de la Serbie-et-Monténégro selon laquelle cet Etat n’était ni partie au Statut ni liée par
l’article IX de la convention de 1948 34. Alors qu’est-ce qui s’est passé entre les deux ? Eh bien, ce
qui s’est passé, c’est que la Serbie-et-Monténégro a changé de position et la Cour, dans les deux
cas, a enregistré la position de ce pays au moment où elle statuait. En d’autres termes, ce sont
largement les changements de position de la Serbie-et-Monténégro elle-même qui expliquent, pour
31Voir aussi CR 2006/3, p. 16-17, par. 14 et 15.2 (Pellet).
32Ibid., p. 16-17, par. 15-16.
33
Par. 64; voir aussi par. 67 ou 73.
34Par. 84. Voir aussi l’opinion individuelle du Juge Kooijmans, par. 16 à 19. - 24 -
une grande part au moins, les solutions, diverg entes certes, mais moins qu’on pourrait le croire,
retenues par votre haute juridiction, Madame et Messieurs les juges, dans les affaires de la Licéité
d’une part, dans celle que vous examinez aujourd’hui, d’autre part.
60. Je pense, Madame le président, qu’il y a dans les considérations que je viens d’exposer
rapidement, plusieurs éléments qui permettent d’expliquer les positions divergentes adoptées par la
majorité des membres de la C our respectivement dans les deux affaires. Et du même coup
l’«incohérence horizontale» que j’évoquais tout à l’heure se trouve quelque peu relativisée.
61. Avant de conclure, je souhaiterais, Madame le président, avec votre permission,
récapituler brièvement les principaux points d’une plaidoirie sans doute un peu technique :
1) la Cour ne pourrait se fonder sur une aucune règle ni aucun principe juridique pour revenir, à ce
stade de la procédure sur la solution retenue pa r son arrêt de 1996, par lequel elle se reconnaît
compétente pour connaître de la requête de la Bosnie-Herzégovine;
2) en adoptant son arrêt, la Cour s’est assurée de sa compétence et elle ne peut aujourd’hui se
dédire. Il ne suffit pas qu’une règle permissi ve permette à la Cour de s’assurer de sa
compétence pour qu’elle puisse le faire sans aucun autre fondement juridique;
3) cette décision a été adoptée ⎯ l’arrêt de 1996 ⎯ à un moment où l’Etat défendeur, qui a
soulevé sept exceptions préliminaires, était parf aitement en position d’objecter à la compétence
de la Cour pour manque de jus standi d’autant plus qu’il détenait se ul la possibilité de dénouer
la situation existante à l’époque et donnant lieu à tant de difficultés juridiques;
4) pour ne l’avoir pas fait au moment opportun il est estoppel à prendre une initiative en ce sens et
l’on doit considérer qu’il a accepté la compétence de la Cour de ce point de vue;
5) l’arrêt de 1996, par lequel la Cour reconnaît sa compétence, est revêtu de l’autorité de la chose
jugée et n’est susceptible d’aucun recours autre qu’une demande en revision, dans les
conditions prévues à l’article 61 du Statut;
6) toute décision par laquelle la Cour reviendra it sur la décision prise en 1996 avec l’autorité de
chose jugée serait incompatible tant avec le principe res judicata qu’avec les articles59,60
et 61 du Statut; - 25 -
7) les arrêts rendus en 200 4 dans les affaires de la Licéité de l’emploi de la force n’ont aucune
incidence en la présente affaire et la Cour, qu i n’est pas liée par la règle du précédent, ne
violerait aucune règle de droit en n’en reproduisant pas la solution dans la présente espèce;
8) enfin, du reste, il existe des différences s ubstantielles entre les deux affaires, qui tiennent
notamment aux moments et circonstances différents dans lesquels les arrêts ont été rendus, à la
position procédurale distincte de la Serbie-et-Monténégro et à la ratio decidendi identique des
deux arrêts ⎯qui produit paradoxalement des résultats opposés car ils sont, ces deux arrêts,
l’un et l’autre fondés sur la position changeante du défendeur dans la présente affaire en ce qui
concerne son statut juridique à l’égard des Nations Unies et du Statut de la Cour d’une part, de
la convention sur le génocide de 1948 d’autre part.
Et ceci est sans doute une bonne transition p our vous demander, Madame le président, de
bien vouloir appeler à cette barre le professeur Th omas Franck qui justement parlera des questions
de bonne foi et d’ estoppel. Je vous remercie beaucoup, Madame et Messieurs les juges de votre
attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. I now call Professor Franck.
Mr. FRANCK: Thank you, Madam President. May it please the Court:
Estoppel and good faith
1. With the Court’s permission, I will now be placing before you several assertions of law
that are relevant to the question of jurisdiction.
2. First, I will begin by reiterating the prop osition advanced by my friend and colleague,
Professor Alain Pellet, that the question of your jurisdiction should be determined quite simply by
application of the principle of res judicata. I need not elaborate further on his pleading in that
respect.
3. Second, I will urge you to determine your jurisdiction by barring the Respondent from
now entering the arena brandishing a new, protectiv e status that directly contradicts Belgrade’s
consistent pleading during all prior stages of this litigation. I will urge you to employ equitable - 26 -
estoppel and the obligation of good faith to preclu de Respondent from arguing in that way, or at
least succeeding with such an argument.
4. Third, I will ask you, distinguished Members of the Court, should you not all be
convinced that the matter of your jurisdiction mu st be disposed of by application of the legal
principles of res judicata, estoppel and good faith, to at least regard the issue of your jurisdiction as
a matter of first impression ⎯ that is, as a matter for you to determine de novo, on full appraisal of
all the available evidence, and not at all by refere nce to your decision on jurisdiction in the 2004
NATO cases. I will try to demonstrate that those cases are, simply, inapposite to the requisites of
this case.
5. Fourth, I will try to give some indication as to the direction such a determination of
jurisdiction, de novo, should take: how it might deal with the issues raised by the sui generis
status, or statii, of the FRY, its relation to the United Nations and its adherence to the Genocide
Convention during the critical period 1992 to 1995, when the alleged acts of genocide occurred.
My friend and colleague Professor Brigitte Stern will develop those themes for you in greater detail
this afternoon and on Monday.
The requirement of consistency in the assertion of rights
6. I will address the question of equitable estoppel and good faith. We put it that the
Respondent may not, at the present stage of thes e proceedings, take a position regarding its status
that is completely different from the one it took in each of the other phases of this litigation. If the
Court agrees with us, the status of the Respondent today would have to be consistent with the status
the FRY has claimed throughout these proceedings: that of a State that was a Member of the
United Nations ⎯ albeit under certain interdictions, and a party to the Genocide Convention
throughout the period during which the acts of genocide occurred.
7. In the first of my pleadings, I discussed the Respondent’s continuing effort to create the
impression that Article IX of the Genocide Convention is ambiguous about whether it establishes
State responsibility ⎯ in addition to, but separate from personal culpability ⎯ for genocide.
Today, I would like to address the second of the Respondent’s proposed great ambiguities. It was
put forward in the first round by Professor Varady. He told us that the “question whether the - 27 -
FRY ⎯ the Respondent ⎯ has succeeded to the Genocide Conve ntion has... so far never been
decided by this Court with the force of res judicata” (CR 2006/13, p. 38, para. 4.15): that this, too,
remains in limbo.
8. The “obvious underlying reason” for this was “that neither party had questioned the status
of the FRY as a possible Contracting Party to the Genocide Convention” ( id., p. 38, para. 4.17).
According to Professor Varady, this ambiguity as to whether or not the Respondent was a party to
the Convention obtained throughout not only the 1993 phase of this litigation but also the 1996
phase. In the latter, he said, “treaty succession by the FRY ⎯ the Respondent ⎯ was not
contemplated, was not even raised as an issue” (id., p. 40, para. 4.21).
9. “Not contemplated”? “Not even raised”? “Not an issue”? We are here talking about the
failure of the Respondent to raise the most obvious defence available: that of not being the party to
the Convention under which the action was being br ought. Bosnia, of course, would have had no
reason to raise the issue. It had no interest in demonstrating that it was suing the wrong party, or a
party that had ceased to exist. But the FRY had every reason to raise the issue as a defence.
Should its failure to do so be interpreted as ambiguous? Would not any reasonable lawyer for
Belgrade have asked whether he or she might a dvance the argument that the FRY was not a party
to the treaty the violation of which was the nub of the Applicant’s action? And must one not
assume that this question was canvassed by the FRY team, and that the answer it received from the
authorities in Belgrade must have been: “no, you may not use that defence because the FRY does
actively assert itself to be a party to the Conve ntion”? Surely the failure to challenge the
jurisdiction of the Court on the grounds of non-adherence to the Convention speaks to us clearly
and loudly, without any ambiguity. It says: th is is the posture which Belgrade chose throughout
the first eight years of this litigation, sometimes seeking to benefit from it ⎯ as by launching a
counter-claim ⎯ and sometimes willingly paying a cost for maintaining it consistently. But there
can be no ambiguity, and there was no ambiguity: not on the part of the FRY, not on the part of the
Applicant, and not on the part of this Court.
10. Professor Varady concedes that this Cour t in 1993 did dispose of any ambiguity, that it
did conclude that the FRY had itself accepted that it was a party to the Convention, a fact signified
by its declaration of 27 April 1992. In that decl aration, to quote Professor Varady’s summation, - 28 -
“the FRY... expressed the inte ntion to continue the personality and consequently to honour the
treaty obligations of the former Yugoslavia” (CR2006/13, p.39, para.4.20). Might one not
presume, on reading this 1993 Judgment of yours, that the thought must have crossed the minds of
Belgrade’s lawyers that they might win the case at its next phase, in 1996, the one at which
jurisdiction and admissibility would be the only issu e, if they were allowed to argue that the FRY
was, actually, a new State, and that, for this very reason, it was not, then, any longer a party to the
Convention? Yet no such argument was ever presented. Obviously, the FRY was far from ready
to accede to the demands of the Security Council and the General Assembly that it accept the status
of one of the successor States to the former Yugoslavia. Instead, it passionately clung to its claim
to be the sole continuator. So one asks again: what is one to make of this mostly silent ⎯ but
sometimes also quite voluble ⎯ affirmation by the Respondent that it was, indeed, very much
bound by the Convention?
11. There is not a hint of ambiguity, here. Consistently, in the litigation leading up to the
Court’s decision of 1996, the Respondent s till made no plea indicating non-adherence to the
Convention, and did engage in extensive written and oral pleadi ng that would have made little
strategic sense if it were not a party to the Conve ntion. So it was inevitable that the Court would
again take it at its word. Of this decision, Professor Varady said “the Court simply” ⎯ the italics
are his ⎯ “noted that the former Yugoslavia ” ⎯ again, the italics are his ⎯ “‘[s]igned the
Genocide Convention on 11 December 1948 and depos ited its instrument of ratification without
reservation on 29 August 1950’”. But, he asks you to believe that, because Yugoslavia’s continued
adherence to the Genocide Convention “had not be en contested” during the 1996 proceedings ( id.,
pp.39-40, para.4.21) therefore “the issue whether the FRY had succeeded to the Genocide
Convention, which had not even been argued by th e parties, was not decided by this honourable
Court” (ibid.) Is that a reasonable deduction? Who, if not the FRY, would have contested whether
it was still bound by the Convention? In the abse nce of such contestation, the Court had made a
finding ⎯ that Yugoslavia, and through it the FRY, were, indeed, bound by the Genocide
Convention. That was the reason the Court found it had jurisdiction. The Court had based that
finding on the crucial fact that the FRY had not contested its adherence to the Convention. That - 29 -
non-contestation had clearly not been helpful to Se rbia’s litigators, yet it was a strategy on which
the client government had obviously insisted.
12. But the FRY did not merely acquiesce passively. It actively asserted its adherence to the
Convention in making counter-claims of its own against Bosnia and Herzegovina. Its Rejoinder of
22 February 1999, for almost all of its first 500 pages, is one long assertion of its adherence to the
Genocide Convention. How else can you read that lengthy, and subsequently withdrawn,
indictment of the purported genocide which Belgra de, with ultimate temerity, tried to show had
been committed against it by Bosnia? Of course , those wholly erroneous claims were abandoned
soon after they had been introduced in the pleadi ngs. Why? They were withdrawn only when it
became tactically expedient to shift gears, to asse rt legal non-continuity, to discard eight years of
consistent insistence on continuity.
13. This was the revised tactic initiated af ter 1November2000, when a new régime in
Belgrade decided to apply for admission to the Un ited Nations. Now, to escape responsibility for
what it had done ⎯ what had been done by the FRY’s failed, and now reviled leaders ⎯ Belgrade
decided, at last, to act in accordance with the 1992 decisions of the Security Council (SC res. 777
of 19 September 1992) and the General Assembly ( GA res. 47/1 of 22 September 1992). Back in
1992, eight years earlier, the principal political organs of the United Na tions, repulsed by what
Belgrade was doing, had required it to apply for new membership, a process by which the Members
sought to exercise leverage in curbing Belgrade’s policies. Meanwhile, to promote a change of
policy, its United Nations delegation was denied the privilege of speaking and voting in some
United Nations bodies. Then, after severe setbacks in the field of combat, and after a revolt at
home, Belgrade finally decided that it was time to rethink its strategy.
14. We all welcome the end of the Milosevic era, and it may well be, as we have all been
taught, Madam President, that there is more joy in heaven over one repentant sinner than all the
angels in heaven. But a repentant sinner begins by admitting, not by denying, that he used to be a
sinner. And he begins his life by accepting, no t denying, responsibility for a misspent past and
asking for a chance to repent and make amends.
15. My colleague, Professor Stern, will discus s whether the FRY must be deemed to have
been a Member of the United Nations during th e long years of its non-compliance with the - 30 -
decisions of the United Nations principal political or gans regarding, among other things, its status.
My task is somewhat different: it is to point out that such a last-minute shift, such a tactical
decision at last to come into compliance with decisions that had been taken eight years earlier,
cannot, in fairness, be allowed to be the answer to the issues raised by this case. It cannot be
allowed to absolve a party of obligations it had co nsistently assumed, and from which it had even
sought to benefit, throughout the long period of this litigation. Whether one calls this an indication
of the obligation of good faith, or a constraint imposed by estoppel, matters less than does the
simple point that Serbia and Montenegro must no t be allowed to escape its obligations under the
Genocide Convention by finally deciding to take an action long required of it, and long resisted, but
that was never intended to be a way to escape its responsibility for genocide.
16. On the contrary: in this case, there has always only been one Respondent, and, until very
recently, that Respondent has never denied that the Applicant’s writ was directed to the right Party.
Either that Party was acting in bad faith when it accepted the writ, or its failure for so long to
contest the writ’s address must be taken to estop it from doing so now. Either way, it would be
unconscionable if Belgrade’s reward for finally coming into compliance with a Security Council
mandate were to be its absolution, by this Court, of responsibility for genocide.
17. After all, there is common ground between the Parties that, for the first eight years of this
litigation, the issue of the FRY being bound by th e Genocide Convention was not the subject of
contention. Then, what are we to deduce from that acquiescent silence? And from Belgrade’s
itself having asserted rights under the Convention against both Bosnia and the NATO States? The
Respondent would have us believe that in the earlier stages of the present case the issue was simply
never addressed, that the question had been a sort of procedural terra nullius, a terrain filled with
ambiguity which was only resolved when Belgrade decided to reverse the position it had taken for
eight years and thereby sought to alter, retroactively, its increasingly inconvenient legal status. But
there is another, far more plausible, reason wh y Belgrade has only now decided, after all these
years, to assert what, earlier, would have been its most obvious reason for escaping the obligations
of the Genocide Convention. It could have told this Court in 1992, and any time thereafter: look, I
am not who you think I am. I am not Yugoslavia. Certainly, I am not that Yugoslavia, the one - 31 -
committing all those deeds charged by the Security Council and increasingly being confirmed by
the ICTY. I am just not that State.
18. Would you not have expected that to be th e first thing the Responde nt would say to this
Court if that is what the Respondent actually believed?
19. ProfessorVarady has told us that “t he ambiguities have been dispelled since the
acceptance of the FRY as a new Member of the United Nations in 2000...” (CR 2006/13, p.24,
para. 3.23). My colleagues will di scuss the effect of the acceptance of the FRY as a new Member
of the United Nations. But permit me to assure y ou that, prior to that event, there had been no
ambiguity. The FRY deemed itself bound. Bosnia deemed the FRY bound, within the context of
this litigation. The Court held, consistently, that the FRY was bound.
20. There is no ambiguity here. For almost a decade, Belgrade litigated this case as if it were
some sort of reincarnation of Yugoslavia, an or iginal party to the Genocide Convention. And why
has it now, in the new millennium, suddenly discover ed that, even then, this was not its identity
after all? After years of wandering the halls of the United Nations like some Flying Dutchman of
diplomacy and even occasionally paying its dues, and circulating documents like any other
Member, and loudly disputing efforts to force it to reapply for membership, and after itself bringing
a counter-claim under the Convention? Why does it now insist that it never claimed to be the sole
continuator of the former Yugoslavia? Why preten d that all that had never happened, that there
had just been some misunderstandings, some ambiguities?
21. The regrettable, if understandable, answer is simply litigious opportunism. Since the
beginning, successive régimes in Belgrade had convinced themselves that they, in the parlance of
modern mystery novels, “could beat the rap”. They could litigate, they could even counter-claim
under the Genocide Convention, and all the world would discover that the allegations were false,
that there had been a nasty civil war, that bad thi ngs had been done by all sides, and that would be
that. Only when the evidence so painstakingly addu ced by international bodies and, in particular,
by the ICTY, began to mount up to the point where the inference of a genocide planned, directed
and executed by Belgrade became inescapable ⎯ only then did the legal strategy shift. Only then
did we see a 180 degree reversal of course. Serbia and Montenegro, at last, did what they had been
asked to do by the Security Council so many years earlier: they applied for new membership in the - 32 -
United Nations: something they could and should have done in 1993. And then they ratified the
Genocide Convention de novo. But they have done both those things not in a new spirit of
compliance with international law, but in a new ta ctic of evasion and non-compliance. Now, their
countrymen were told, we have absolved ourselves: we have become invulnerable to responsibility
for what we did before. A few individuals may be made accountable at the ICTY, but we, the Serb
nation, will be acquitted at law.
22. I realize that I have been talking about th ings that are not necessarily synonymous with
law: about decency, about moral conduct, about good faith. But these concerns are not irrelevant
to law or to the integrity of th e legal process. We contend that, by any notion of fairness, good
faith, such a reversal of course, in the last phase of a litigation ⎯ and, at that, a litigation about
responsibility for genocide ⎯ cannot be allowed to deflect the prov en responsibility of a State. It
must not be allowed to absolve a State which, perf ectly evidently, is the same State that inflicted
such suffering on its neighbours and which still, as so often heretofore, leaves no tactic unturned or
untried in order to avoid confronting the truth about what it did.
23. This must not be allowed to pass. But our s is no mere plea for fairness: happily, it also
happens to be the law. The legal concept barrin g the way to such tactics is best set out by
35
Vice-President Alfaro, in his separate opinion in the Temple of Preah Vihear case , where he
stipulated the applicable principle “that a State pa rty to an international litigation is bound by its
previous acts or attitude when they are in contra diction with its claims in the litigation”. While
rejecting strict labelling of the doctrine as “estoppel”, “preclusi on”, “foreclusion”, or
“acquiescence”, Judge Alfaro maintained that
“in the international sphere, its substance is always the same: inconsistency between
claims or allegations put forward by a State, and its previous conduct in connection
therewith, is not admissible (allegans contraria non audiendus est). The rule’s
purpose is always the same: a State must not be permitted to benefit by its own
inconsistency to the prejudice of another State.” 36
24. Moreover, Judge Alfaro continued, a “State may also be bound by a passive . . . attitude
in respect of rights asserted by another State .. .” 37Madam President, this is exactly the situation
35Case concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962,
p. 39.
36Id., p. 40.
37
Ibid. - 33 -
in this case. By its changing attitude, at times active, at other times passive, in the matter of its
status at the United Nations and with respect to the Genocide Convention, the Respondent has
forfeited the right now to benefit from its most recen t shift in tactics. In flat contradiction to its
previous stance, in adopting what it now percei ves as a more favourab le litigating posture,
Respondent hopes to snatch a technical victory from impending defeat.
25. It would be bad news for us, of course, but it would be worse for the law pertaining to
genocide, and it would also be worst for the integrity of the litigating process, were it to be allowed
to do this. To quote Judge Alfaro once again, “Failure to protest in circumstances when protest is
38
necessary . . . does signify acquiescence or tacit recognition.” He goes on to speak of the
“waiver” of rights not asserted and he approvin gly quotes JudgeSirHersch Lauterpacht to the
effect that the concept “is an essential requirement of stability”, adding that “the legal effects of the
principle are so fundamental that they decide by themselves alone the matter in dispute and its
infraction cannot be overlooked as a mere incident of the proceedings” 39. In his magisterial
opinion, JudgeAlfaro goes on to examine the extensive jurisprudence, including many earlier
cases, arbitrations and writings that support the general proposition he has enunciated.
26. For the FRY/Serbia Montenegro to be allowed to litigate for eight years under the
sometimes tacit, sometimes explicit, avowal that it is a Member of the United Nations and a party
to the Genocide Convention, and then, just before the final stage of the litigation, to be allowed to
shift to the assertion that it has never been a Member of the one, or a party to the other, that would
do grave injury to that “essential requirement of stability” that JudgeAlfaro was speaking of. No
party should benefit from toying with the process; but certainly not a party accused of having
violated the Genocide Convention.
The FRY cannot alter its submission to the Court’s jurisdiction in medias res
27. The Respondent seeks now, after years of proclaiming its adherence to the Charter and
the Convention, as evidenced by its letters to the United Nations Secretary-General of
27April1992, it seeks now to extricate itself from what has become a position increasingly
3Ibid.
39
Id., pp. 41-42. - 34 -
indefensible on the merits. This tactical mano euvre is capped by the manner in which it has
notified its so-called accession de novo to the Genocide Convention in 2001, but without accepting
the Court’s compulsory jurisdiction under Article IX. But surely it was already a party. A State’s
adherence to the Convention is no small matter, no whim. It is certainly the subject of State
succession. Madam President, whatever Serbia a nd Montenegro, whatever its provenance, it is not
the subject of parthenogenesis. It must be the successor or continuator of some prior entity and
whatever they call their progenitor, that progenitor was a party to the Genocide Convention. This
new restricted accession cannot be seen as anyt hing but a thinly-disguised withdrawal of the
Court’s jurisdiction in the middle of this litigation: a jurisdiction long avowed by the Respondent’s
own words and actions before this Court. One cannot believe that you, the distinguished Members
of this Court, will permit so deliberate a frustrat ion of the object and purposes of the Convention,
or the decorum of this Court. Faced by a comp arable escape strategy by the Respondent in the
Nottebohm case, you said, “Once the Court has been regularly seised, the Court must exercise its
powers, as these are defined in the Statute.” ( I.C.J. Reports1953, p.122.) And in the Nicaragua
case you firmly denied a party’s claim to effect “a supervening withdrawal or modification” of the
Court’s jurisdiction in order to defeat a valid claim (I.C.J. Reports 1984, p. 416). In Nicaragua you
also went on to say that, when a State accepts the jurisdiction of the Court, it thereby establishes “a
network of engagements” in which “the principle of good faith plays an important role” ( id.,
p. 418) and you related this to the right of other States to “take cognizance” of such commitments
of “good faith” and to “place confidence in them” ( id., pp.418, 473, quoting the Nuclear Tests
cases).
The decisions of this Court in the 2004 Use of Force cases does not control the outcome
of this case and cannot lead to an escape from these conclusions
28. Professor Varady has told this Court, during the first round of oral argument, that “logic
led the Court in the 2004 Legality of Use of Force Judgments to the unavoidable conclusion that
the FRY was not a party to the Statute between 1992 and 2000”. Thus, he argued, “It clearly
follows that the FRY could not have remained bound by the Genocide Convention.” ( Id., p.28,
para. 3.38.) Applicant, to the contrary, shall ende avour to demonstrate that this Court is not bound - 35 -
to follow the NATO decisions, for several reasons, of which the most obvious is that, in this case,
the Parties are not the same. Professor Pellet has already addressed this point.
29. That, however, is not the only reason. Another is that the substance of the NATO cases
is different from this case. In 2004, you decide d that the FRY/SM had lost its right to bring an
action under the Genocide Convention during the critical period. You were not asked to decide
whether it had also ceased to be responsible for genocide which it was itself committing. That was
another case. That is this case.
30. These, however, are technical reasons. There is a better reason that goes to the heart of
the NATO litigation. With all due respect, Madam President, it is, quite simply, not a very
powerful precedent. This is not only because of the number and power of the opinions that rejected
the majority’s reasoning. What does it take for a decision of a court to have precedential value in a
different case? First of all, the case must have been decided pursuant to a full hearing of all the
pertinent issues, with parties that are in a genuin ely adversarial posture, diligently pleading all
available arguments and presenting all available evidence. That, we will endeavour to demonstrate,
was not the way the NATO cases were presented to you by Belgrade.
31. In this connection it is worth noting again the words of my colleague Professor Varady
during the first round of oral pleadings. He told us that this Court, in respect of either its 1993 or
1996 findings regarding its jurisdiction over the FRY, cannot be said to have determined the point
“for the obvious reason that neither party had questioned the status of the FRY as a possible
contracting party” to the Genocide Convention (CR2006/13, p. 38, para.4.17). We hope that
Professor Varady is still with us in arguing that a case cannot be said to have decided anything, if
the issue at stake was never fully argued, in good faith, by the parties genuinely at adversary
interest.
32. Well, then, Professor Varady, you must surely agree that the 2004 Legality of Use of
Force Judgments cannot have any persuasive value for the present case because, in 2004, Belgrade,
the Applicant, had no good faith interest in contesting the defence of Respondents Belgium and
Canada, who had argued ⎯ and indeed had succeeded ⎯ on the ground that Belgrade had no right
to bring the action. If it was never in the Ap plicant’s interest, during the NATO litigation, to
contest the claim of Respondents that Belgrade was neither a Member of the United Nations nor a - 36 -
party to the Genocide Convention, then the Court cannot be said to have had the benefit of full and
good faith contestation. Here, again, we encounter the matter of litigating in good faith. The FRY
brought the case that was decided in 2004. It as serted that certain NATO States had made it the
victim of genocide, a most serious charge. And wh en two of those States pointed out that the FRY
might not be either a Member of the United Nations or a party to the Genocide Convention, did the
FRY defend itself against that assertion, an assertion that, if it were successfully pursued, could not
but have defeated its claim? I put it to you, Madam President, that the Respondent was all too
happy to lose on those grounds because it would then have a better chance to win in this, the
present case. With all due respect: a precedent set in such circumstances needs to be overlooked,
or distinguished, not reiterated.
33. Permit me, Madam President, briefly to recall the arguments Serbia and Montenegro was
up against in the NATO cases. As early as 1999, in respect of Belgrade’s application for
provisional measures, Canada, represented by Amba ssador (as he then was) Philippe Kirsch had
opened oral argument before this Court by asserting that
“the Federal Republic of Yugoslavia is not a party to the Statute of the Court. It has
not fulfilled the requirements stipulated by the political organs of the United Nations
in order to gain admission to that Organi zation, and it cannot automatically continue
the membership of the old Yugoslavia.”
Thus, it is not as if this issue had not been raised, or as if it did not matter. Belgrade’s legal team
must have known that, as the case went on, if it did not prevail against this argument, it would be
out of court and could not prevail as an applicant for a remedy under Article IX of the Convention.
To prevail, it had to make an effort to demonstrate its long-claimed status as a continuator.
34. Well, back in 1999 it did make an effort, arguing that, indeed, it was the continuator
State, pointing out that it was still being asked by the United Nations to pay its annual dues, and
that, in fact, it was making some of the paymen ts. On 5 January 2000, the FRY filed it Memorial
on the merits in the case. Part3 of that Memo rial is entitled thus: “T he Federal Republic is a
Member State of the United Nations.” Part 3.4 is entitled “Jurisdiction of the Court based on
Article IX of the Genocide Convention.” I shal l not bother the Court w ith all the excellent
arguments the FRY adduced in support of these propositions, for we would merely be repeating
much of what my colleagues and I have been arguing in the present proceedings. - 37 -
35. But, by 18 December 2002, all that changed. Now the FRY, in “supplementing its earlier
pleadings” ⎯ supplementing? ⎯ notified the Court that it had become “a new [emphasis in
original] member of the United Nations”. But it ca rried the point much further. Not only had the
FRY, under a new name, had become a new Member, but also, it now argued ⎯ and this is what
really matters ⎯ that “it follows that it was not a member before that date”. Really? Why? As for
the Genocide Convention, the FRY informed the Co urt that, as the FRY had never been a Member
of the United Nations, it had also never been a party to the Genocide Convention “until it acceded
to that Convention (with a reservation to Article IX) in March 2001”.
The PRESIDENT: Professor Fr anck, I think that may be the moment for a pause. We will
resume again shortly. The Court now rises.
The Court adjourned from 4.30 to 4.45 p.m.
The PRESIDENT: Please be seated. Professor Franck.
Mr. FRANCK: Madam President, before the break I had been alluding to the change that
occurred in the FRY’s posture on 18December2002, when it notified the Court that it was
supplementing its earlier pleading and that it had become a new Member of the United Nations and
that it followed that it had not been a Member befo re that date and then it notified its accession to
the Genocide Convention with a reservation to Article IX.
36. Professor Varady, who in this respect has my sympathy, was then suddenly left in the
odd position of communicating this dizzying turnaround to you in 2002; and he did it with the
request that “the Court decide on its jurisdic tion considering the pleadings formulated” by his
Government. Now, which pleadings were those? The ones insisting on his principal’s status as a
continuator, or the last-minute communication abando ning that status? If the latter, why were the
proceedings not simply discontinued? In his oral pleadings in 2004, Professor Varady insisted that
the communication to the Court of December2002 was “not a notice of discontinuance as it was
alleged by most Respondents...” (CR 2004/14, p. 20, para.27), but he added that “we did not
inform the Court that we were not going on with the proceedings, nor did we say anything similar” - 38 -
(id., p. 20, para. 30). But, of course, the FRY’s position had become untenable, and counsel must
have known that. Why did they continue?
37. The matter was well put in the oral pleadi ngs the next day by Mr. Daniel Bethlehem, for
Belgium. He said:
“There is no plea here or anywhere else in the Applicant’s oral submissions to
the Court to find that it has jurisdiction. There is no plea to uphold Serbia and
Montenegro’s claim to jurisdiction. The Agent for Serbia and Montenegro did not ask
the Court to reject Belgium’s central object ion to jurisdiction ba sed on Serbia and
Montenegro’s non-membership in the United Nations at the crucial time. On this the
Parties continue to agree. And... this agreed appreciation is determinative of the
case before the Court on this threshold point of jurisdiction.” (CR 2004/15, p.11,
para. 8.)
38. “This agreed appreciation” between the Applicant and the Respondent. Indeed, it was
determinative. And it was determinative not on the basis of a full and reasoned argument presented
by adversary parties, but by way of what Mr. Bethlehem rightly called “this agreed appreciation” as
between the FRY and some of the NATO States that had contested the Applicant’s status. One can
understand why some Members of this Court migh t have felt obliged to accept “this agreed
appreciation” for purposes of that particular case. But it is not the stuff of which broad principles
of law are made. Rather, if the parties, instead of being States, were prizefighters in the ring, one
of them might well have been disqualified for life for only pretending to engage.
39. It might appear odd that Belgrade did not support vigorously its right, as a party to the
Genocide Convention at the critical moment, to bri ng its action against the NATO States. It might
seem odd that Belgrade did not even make a token effort to refute the defending States’ assertions
questioning the Applicant’s membership in the United Nations at the relevant time and its
adherence to the Genocide Convention. But, as ProfessorVarady explained afterwards, the legal
tacticians had been very content to continue the case, and to lose that case precisely on that
argument that this new Yugoslavia was not, and had not been, that Yugoslavia. His “main
strategic point” ProfessorVarady said, had been “to shift the collective responsibility to an
40
individual one” . It was all too evident that the inevitable loss in the NATO cases, when effected
on such a narrow procedural point, could later become very useful in this, the Bosnian case, the
main event.
412 NIN 9, December 2004. - 39 -
40. But if it was not in Belgrade’s interest in the NATO cases to contest the issue of its
membership in the United Nations or its adhere nce to the Genocide Convention, then, surely,
honourable judges, the Court cannot be said to have had the benefit of full argument of the issues
by truly adversarial parties. To paraphrase ProfessorVarady himself, the resultant decision could
only have had a very limited effect “for the obvi ous reason that neither party had really questioned
the status of the FRY”.
41. In other words, Madam President, if your Court does not regard itself bound by its prior
ruling on jurisdiction in our case, in 1996 and in 2003 ⎯ as we think it certainly should ⎯ then we
respectfully urge it must at least cons ider itself entirely free to determine, de novo in a genuinely
adversary process ⎯ this process ⎯ whether the FRY was actually a Member of the United
Nations and a party to the Genocide Convention during the time when the alleged genocide was
perpetrated. To assist in this task, my friend and colleague, Professor Stern, will demonstrate that
the FRY remained a Member of the one, and a party to the other, throughout the relevant period.
From this it would follow that you continue to have jurisdiction over this dispute.
The Respondent is urging a false symmetry between rights and duties
42. The Respondent is urging a false symmetry between rights and duties in its effort to
convince you of the application of the NATO cases to this case. In making your determination as
to whether the FRY remained a Member of the United Nations during the critical period of
genocide, you will, of course, be looking at the decisions regarding its status made by the Security
Council. The Respondent wants you to conclude that it was determined by the Security Council to
be a non-Member, that its non-membership was th e consequence of the United Nations political
organs’ decision to suspend some of its participatory rights. This deduction from those resolutions
is completely unwarranted. The decisions simply created an asymmetry between the FRY’s rights
and its duties under the Charter.
43. The decision to impose a temporary asy mmetry between rights and duties is a common
weapon by which institutions try to bring the non- compliant to compliance. A fair reading of the
actions taken by the Security Council and the General Assembly to restrict FRY membership rights - 40 -
should lead you to conclude that those actions are more commensurate with the FRY being, and
remaining, a Member than not.
44. Imposing such asymmetry between righ ts and duties is a common way to punish
non-compliance with the law and, perhaps, to induce a change in behaviour. In the national
jurisprudence of some jurisdictions, for example, persons incarcerated for crimes may not vote but
41
must still pay taxes. Enemy aliens, in English la w, may be sued even though they may not sue .
In the United States out-of-state corporations in some situations ⎯ such as a failure to register ⎯
may be denied the access enabling them to bring actions in the courts of the forum, yet not immune
to being sued in those same courts (cf . Arizona Revised Statutes, T itle10, Chap.15; Foreign
Corporations, 10-1502A and E; Delaware General Corporation Law, s. 383(a) and (b)).
45. In United Nations law, too, there is no reason to assume that imposing such asymmetry
on a miscreant is intended to absolve that party of all duties to the Organization, let alone of all
obligations under treaties. This is not conjecture but is made clear by United Nations practice.
When, in 1974, the General Assembly rejected the credentials of the delegates accredited to it by
the Republic of South Africa 42, and when the Assembly denied Pretoria’s delegates the right to
speak and vote, everyone knew that this was not in any way intended to relieve that apartheid
régime of its membership in the Organization or to release it from its obligations under the Charter,
under mandatory Security Council resolutions, or under treaties in force. On the contrary, the
decision to limit South Africa’s right to participate ⎯ a new precedent ⎯ was made precisely to
bring it into compliance with its obligations of me mbership, not to provide it with an easy escape
route for their avoidance.
46. The two cases are not identical, but the point of citing the South African credentials
precedent is to demonstrate that the political orga ns of the United Nations have discovered that the
withholding of a State’s right to speak and vote in the General Assembly is a way to bring pressure
on the miscreant to comply with United Nations de cisions and is not by any means tantamount to
absolving it of all its obligations under the Charter or under treaties.
4Amin v. Brown [2005] EWHC 1670 (Ch.).
42
United Nations doc. A/PV. 2281, pp. 76, 86 (1974). - 41 -
47. Members of the Court, if you now find that you must once again re-examine your
jurisdiction, please take all this into account. Do not let yourselves be misled into believing that
when the principal organs of the United Nations decided to restrict the rights of the FRY they also
intended to absolve it of its obligations, or make it a non-Member of the Organization. Under the
United Nations Charter, even a suspended State ⎯ which the FRY was not ⎯ is still a Member,
still bound by the mandatory obligations of the Char ter, including Article 25: “to carry out the
decisions of the Security Council . . .”.
48. It would be perverse, indeed, if the ve ry action taken by the Security Council and the
General Assembly, precisely to compel the FR Y’s compliance with its obligations under the
Charter, were to be seen also, simultaneously, to release it from the duty to comply with those same
obligations.
49. The point, Madam President, is quite simply that this Court’s 2004 case did not have the
benefit of full presentation of what the United Nations was doing about the FRY during the period
when genocide was being committed, a period wh en the Respondent was still exercising, in
New York and also in The Hague, many of the prerogatives of a Member of the United Nations and
a party to the Genocide Convention. The FRY was not a se rious litigant in the NATO cases.
Please do not be lulled into thinking that this 2004 decision is a reliable guide to resolving the very
different and very complex issues posed by this enormously serious case.
50. For all these reasons, the NATO cases, paradoxically rather like the FRY’s legal status at
the United Nations from 1992 to 2001 , should be set to one side, as sui generis. They certainly do
not warrant being regarded as an answer, for pu rposes of the present litigation, to difficult
questions pertaining to the Respondent’s status and obligations under the United Nations Charter
and under the Genocide Convention.
51. To conclude, Madam President, Bosnia believes that your several prior decisions
regarding your jurisdiction are res judicata. It believes that the effort of Belgrade to reverse its
position regarding its status as a Member of th e United Nations and a party to the Genocide
Convention and its last-minute effort to withdr aw from this Court’s jurisdiction violate the
requisites of litigation in good faith and should be precluded by estoppel where appropriate. And
we believe that the NATO cases cannot serve to validate such tactics, that the issue of the - 42 -
Respondent’s status at the critical time requires a full assessment of all relevant evidence, evidence
which shows that the Respondent was a Member of the United Nations at the relevant time,
although subject to some signific ant disabilities, in an effort to secure its compliance with its
international obligations, including those of the Genocide Convention.
Thank you, Madam President, Members of the Court.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Franck.
Mr. FRANCK: I ask you to call on my colleague Professor Brigitte Stern.
The PRESIDENT: Professor Stern, you have the floor.
Mme STERN :
L ORSQUE L ’ARRÊT DE 1996 A ÉTÉ RENDU ,LE DÉFENDEUR DEVAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ
COMME PARTIE A LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
1. Madame le président, Messieurs les juge s, à la suite de mes deux collègues, qui ont
développé déjà la question de votre compét ence, il m’appartient maintenant d’établir,
subsidiairement, que même si vous aviez à rejuger aujourd’hui le principe de votre compétence
en1993, vous devriez prendre exactement la même décision, parce qu’en 1993, au moment où la
requête a été présentée ⎯ comme en 1996 au moment où vous avez jugé ⎯ la RFY était Membre
de l’ONU et partie à la convention sur le génocide.
2. Comme l’a indiqué l’agent de la Serbie-et-Monténégro, M. Stojanovi ć, dans son
allocution d’ouverture, «la Cour doit déterminer si le défendeur avait accès à la Cour au moment du
dépôt de la requête ⎯ et je souligne qu’il a bien précisé «au moment du dépôt de la requête» ⎯ et
si la Cour [était compétente à l’égard] du défendeur, en application de l’article IX de la convention
sur le génocide»43. Voilà au moins un point sur lequel les deux Parties sont d’accord, et on ne voit
pas comment cela pourrait être autrement (voir, notamment, Affaire des activités armées sur le
territoire du Congo (nouvelle requête:2002), (République du Congo c. Rwanda), compétence de
la Cour et recevabilité de la requête, arrêt du 3 février 2006, par. 54).
43
CR 2006/12, p. 11, par. 7 (Stojanović). - 43 -
3. Bien sûr, la situation a évolué depuis 1993, date du début de cette affaire. Nous donnons
acte au professeur Varady des changements effe ctués après le renversement du gouvernement de
Milosevic, par le nouveau gouvernement démocratique, changements qu’il décrit ainsi :
«Beaucoup de choses ont été changées ou rectifiées ⎯et beaucoup de choses
doivent encore être changées ou rectifiées.
A un certain nombre d’étapes critiques, le nouveau Gouvernement de la RFY a
décidé de s’aligner sur la position adoptée pa r la majorité des Etats de la communauté
internationale ⎯ y compris celle du demandeur…
Nous avons accepté un certain statut juridique assorti de toutes ses
conséquences…» . 44
4. Cela est bien, mais cela signifie simplement qu’après avoir insisté pour être continuateur
tant en ce qui concerne son statut à l’ONU que sa participation aux traités internationaux pendant
des années et avoir ét é pendant des années continuateur effectif, le nouveau gouvernement allait
enfin pour l’avenir adopter le statut que la communauté internationale voulait qu’il prenne.
Comment imaginer que cette attitude, somme toute positive, tournée vers l’avenir, puisse être
détournée, afin d’annuler rétroactivement une in stance lancée par la Bosnie-Herzégovine, instance
à l’égard dans laquelle la Cour internationale avait déjà reconnu sa compétence, conférant à la
Bosnie ce que l’on pourra it appeler une sorte de droit acquis à voir la justice rendue , de droit
acquis à ce que la vérité soit dite sur le nettoyag e ethnique subi par la Bosnie-Herzégovine. Vérité
qui, je le dis en passant, doit être encore plus impérativement dite, au moment où M.Milosevic a
échappé à la justice internationale. Commen t peut-on d’une voix, celle de M.Stojanovi ć,
reconnaître que «[p]endant la guerre en Bosnie-Herzégovine, de graves crimes ont été commis, [l]e
45
peuple musulman bosniaque a subi de pires souffrances» et, d’une autre, celle du
professeur Varady ⎯mais aussi celles de M.Djeri ć et du professeur Zimmermann ⎯ tenter de
manipuler ce réel progrès fait par la Serbie-et-Monténégro pour rejoindre la communauté des Etats
démocratiques en faisant subir un recul injustif ié et injustifiable à la cause de la justice
internationale: c’est donc sous prétexte qu’après huit années de refus, la Serbie-et-Monténégro,
après avoir assumé le rôle de continuateur avec toutes ses conséquences, a accepté d’endosser enfin
les habits de successeur, qu’elle estime que tout devrait se passer comme si elle avait accepté ce
44CR 2006/12, p. 53-54, par. 1.52-1.55 (Varady).
45
Ibid., p. 11, par. 6 (Stojanović). - 44 -
rôle de successeur dès le début. Cette invitati on faite à la Cour, d’ailleurs, de revenir sur ses
décisions passées se pare ici ou là, je dois le dire , dans les plaidoiries de la Serbie d’une aura de
bonne volonté, ses conseils laissant entendre que de même que «les arrêts rendus en 2004 dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ont, en laissant de côté les différends du passé,
46
ouvert la voie à de nouveaux progrès dans les relations politiques» , une décision tendant à vous
rendre incompétente, donc à ne pas juger les act es commis par la République fédérale de
Yougoslavie, nous disent-ils, ouvrirait la voie à de nouveaux progrès dans les relations politiques
entre les deux pays qui s’affrontent aujourd’hui de vant vous. Je me bornerai à redire devant vous
ce qu’a dit l’agent de la Bosnie, dès le premier j our du premier tour des plaidoiries, à savoir qu’il
47
ne peut y avoir de paix et de réconciliation véritables sans justice . Et refuser de juger ne peut, en
tout état de cause ⎯ par définition même ⎯ pas amener la justice.
5. La Serbie-et-Monténégro soutient donc que tout devrait être rétroactivement reconstruit
sur la base des décisions de 2004, ou plutôt, faud rait-il dire, «déconstruit», puisqu’il s’agit de nier
une compétence affirmée, d’annuler un procès en cours. Dans ce travail de sape, les arguments des
conseils de la Serbie-et-Monténégro sont cumulatifs et fort bien résumés par le professeur Varady,
à la fin de sa première intervention, le 8 mars dernier. Je rappelle ces arguments :
«Nous vous donnerons deux raisons, dont chacune suffit à inciter à conclure que
la Cour n’est pas compétente en l’espèce. Nous démontrerons tout d’abord que la
RFY (à présent «Serbie-et-Monténégro») n’avait pas accès à la Cour au moment où la
requête a été soumise. Ensuite, la seconde raison permettant de conclure à l’absence
de compétence en l’espèce, est que la Serb ie-et-Monténégro n’est jamais devenue liée
et n’est toujours pas liée par l’article IX de la conven48on sur le génocide, laquelle
constitue prétendument l’unique base de compétence.»
6. La logique voudrait, Madame le président, Messieurs les juges, que la Bosnie s’en tienne à
la réfutation du second point dans la mesure où elle a toujours exclusivement fondé votre
compétence sur l’article IX de la convention sur le génocide, et qu’elle ne réponde pas ⎯ ou alors
à titre tout à fait subsidiaire ⎯ aux développements quant à la compétence de votre Cour relatifs à
la question de la participation de la République fédérative de Yougoslavie à l’ONU. Bien que la
Serbie-et-Monténégro, tout en utilisant la soi disant non-participation à l’ONU comme argument
46CR 2006/13, par. 4.7, p. 37 (Zimmermann).
47CR 2006/12, p. 21-22, par. 15-16 (Softić).
48
Ibid., p. 54, par. 1.57 (Varady). - 45 -
principal, comme argument en soi l’utilise aussi pour tenter ⎯ encore et encore ⎯ de démontrer
l’inapplicabilité de la convention sur le génocid e, je concentrerai malgré tout, aujourd’hui
uniquement, mon attention sur la contestation par nos adversaires de l’existence de la compétence
de votre Cour basée sur l’article IX de la conven tion sur le génocide, et laisserai pour lundi matin,
la démonstration selon laquelle la République fé dérale de Yougoslavie devait aussi être considérée
comme Membre de l’ONU.
The PRESIDENT: Professor Stern. I am afraid that it is the usual request. Could you
please speak a little more slowly?
Mme STERN: I am sorry, I will try.
7. Avant d’entrer dans le vif de ma démonstratio n, que je vais essayé de rendre plus lente, il
me faut donc attirer l’atten tion de la Cour sur la consta nce de la stratégie de la
Serbie-et-Monténégro depuis l’origine de cette affaire, qui consiste, plutôt que d’accepter que la
Cour évalue sa conduite au regard de la convention sur le génocide ⎯et compte tenu de ses
affirmations répétées de l’absence de gé nocide, une telle évaluation ne devrait pas
l’inquiéter ⎯ mais plutôt que de faire cela, elle préfère utiliser presque toute l’énergie déployée par
ses agents et conseils pour écarter de votre prétoire la convention sur le génocide.
8. En 1993 et en 1996, l’unique objectif poursuivi par ce qui était alors la République
fédérative de Yougoslavie ⎯mais on va voir que si le nom ch ange, la stratégie reste la même ⎯
était d’aboutir à ce que j’avais appelé alors «une disqualification de la convention sur le génocide,
49
dont la Cour a pourtant reconnu la portée nettement universelle» . Tel reste en 2006, l’enjeu de ce
que le professeur Varady appelle avec quelque dé sinvolture, «l’aspect procédural de cette affaire
complexe» 50. Certes, il reconnaît quelques paragraphe s plus loin: «[a]u moment d’aborder
certaines questions de procédure, je ne veux pa s oublier qu’en la présente affaire…l’allégation
formulée est celle de génocide ⎯ sans doute le plus terrible des crimes» 5. Mais il oublie aussitôt
ce qu’il vient de dire : après avoir rendu un «lip service», selon la formule anglaise très expressive,
49CR 1996/09, p. 9 (Stern).
50CR 2006/12, p. 39, par. 1.2 (Varady).
51
Ibid., par. 1.5 (Varady). - 46 -
aux considérations humanitaires, il les oublie aussitôt, pour s’attacher à des arguties juridiques dont
le but est d’empêcher l’examen par votre Cour des actions commises en Bosnie-Herzégovine et
donc d’écarter toute possibilité que la vérité soit dite et que la justice soit rendue.
9. En 1996, faut-il le rappeler, l’un des principaux arguments avancés par la République
fédérale de Yougoslavie pour disqualifier la convention était alors de nier que la
Bosnie-Herzégovine y soit partie. La Cour, vous le savez bien, a rejeté cet argument dans son arrêt
de1996. Mais la RFY n’avait pas encore songé, à l’époque, à l’autre branche de l’alternative.
C’est chose faite et voici qu’elle ose défendre deva nt vous, malgré ses prises de positions inverses
innombrables, malgré l’absence d’exception préliminaire fondée sur sa non-participation à la
convention sur le génocide, malgré son utilisation effective de la convention pour présenter à la
Cour une demande reconventionnelle dans laquel le elle accusait la Bosnie-Herzégovine de
génocide à l’encontre des Serbes, malgré encore son utilisation effective de la convention pour
lancer des instances contre huit pays membres de l’OTAN, voici donc qu’elle vient dans ce grand
hall de justice pour dire «qu’il n’y avait, pour la Serbie-et-Monténégro, aucune possibilité
envisageable de demeurer liée ou de devenir liée par l’articleIX de la convention sur le
52
génocide» .
10. Comme l’agent de la Bosnie-Herzégovine l’a déjà observé 53, ce que la
Serbie-et-Monténégro vient vous dire, en2006, c’est que puisque vous n’avez pas accueilli il y a
dixans ses arguments sur la non-participation de la Bosnie-Herzégovine à la convention sur le
génocide, eh bien, qu’à cela ne tienne, voici un autre argument, dix ans plus tard, c’est la
non-participation de la Serbie-et-Monténégro à la c onvention. Au seul énoncé de cette prétention,
on voit bien que vous ne pouvez, Madame et Messieurs les juges, l’accueillir.
11. La Bosnie-Herzégovine va donc montrer que cette tentative de disqualification de la
convention ne peut pas et ne doit pas aboutir. Pour cela, je vais commencer par démontrer : qu’il
est impossible de nier que la République fédérale de Yougoslavie était partie en1993 à la
convention sur le génocide.
52CR 2006/12, par. 1.57, p. 54 (Varady).
53CR 2006/30, p. 11, par. 6 (Softić). - 47 -
I. Il est impossible de nier que la RFY était partie à la
convention sur le génocide en 1993
1. La Cour a déjà décidé qu’en 1993 la RFY était partie à la convention sur le génocide
12. Le professeur Zimmermann a quant à lui décl aré le contraire et a dit «la Cour ne s’est,
jusqu’à présent, jamais prononcée sur la qualité d’Etat successeur de la Serbie-et-Monténégro à
l’égard de la convention sur le génocide, questio n qui ne peut par conséquent être considérée
54
comme revêtant l’autorité de la chose jugée» . Mais la question n’est pas de savoir si la Cour s’est
prononcée sur le statut de successe ur, qui est relativement sans pertinence, la vraie question, la
question fondamentale, c’est la qualité d’Etat partie de la Rép ublique fédérative de Yougoslavie à
la convention sur le génocide . Et sur ce point, Madame le président, Messieurs les juges, vous ne
pouvez pas ne pas avoir décidé avec l’autorité de chose jugée que la République fédérale de
Yougoslavie, aujourd’hui Serbie-et-Monténégro, était partie à cette convention. Ne l’eussiez-vous
fait, vous n’auriez tout simplement pas pu vous déclarer compétents, comme vous l’avez
indéniablement décidé.
13. Je rappelle que, si, en principe, seul le dispositif d’un arrêt de la Cour est revêtu de
l’autorité de la chose jugée et s’impose donc de f açon obligatoire et que, parallèlement, les «motifs
contenus dans une décision, tout au moins dans la mesure où ils dépassent la portée du dispositif,
n’ont pas force obligatoire entre les parties» (Avis sur le service postal polonais à Dantzig, avis
o
consultatif, 1925, C.P.J.I. série B n 11, p. 29-30), il ressort a contrario de cette affirmation de la
Cour permanente de Justice internationale que le s motifs ne dépassant pas la portée du dispositif,
ou soutenant le dispositif sont bien entendu obligatoires. Si l’on applique cela aux circonstances de
notre affaire, cette distinction permet de dire que si la Cour s’est, dans son arrêt de 1996, bornée à
se déclarer compétente sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide dans le dispositif,
elle n’a cependant pu parvenir à cette conclusion sans préalablement constater, dans les motifs de
son arrêt, que ⎯ et je vous cite ⎯ «la Yougoslavie était liée par les dispositions de la convention à
la date du dépôt de la requête en la présent affaire, le 20 mars 1993» ( Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie) ,
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p.610, par.17). Dans la mesure où cette
54CR 2006/13, p. 31, par. 4.11 (Zimmermann). - 48 -
os
constatation est «une condition absolue de la décision de la Cour» (Interprétation des arrêts n 7
et 8 (usine de Chorzów), arrêt n ° 11, 1927, C.P.J.I. série A n 13, p. 20), ces motifs, qui constituent
donc la condition sine qua non du dispositif, doivent égalemen t être considérés comme étant
revêtus de l’autorité de la chose jugée. Il en résulte donc que l’affirmation de la Cour selon
laquelle la Yougoslavie était liée par la conven tion sur le génocide, en 1993, est revêtue de
l’autorité de la chose jugée.
14. Pour étayer cette affirmation selon laquelle la Cour n’aurait jamais décidé que la RFY
était partie à la convention sur le génocide, le professeur Zimmermann met en avant, entre autres,
que la RFY n’a pas soulevé d’objection préliminaire relative à sa participation à la convention sur
le génocide ⎯ce dont nous lui donnons bien volontiers acte tout en nous demandant comment il
peut se faire qu’une telle objection «oubliée» puisse aujourd’hui être soulevée ⎯, et il soutient,
contre toute évidence, que la Cour n’a pas pu prendre position sur le statut du défendeur, puisque la
question n’avait pas été soulevée. Mais, nous le savons très bien, la Cour peut parfaitement
prendre position sur des questions non soulevées, sur des questions non contestées si elle pense
qu’elles sont importantes et d’ailleurs le profes seur Zimmermann lui-même se plaît à le rappeler
dans un autre contexte, puisqu’il dit que :
«Il convient par ailleurs de prendre en compte le caractère fondamental que
revêtent les questions relatives à la qualité de partie à une affaire d’un Etat donné et à
son accès à la Cour, questions sur lesquelles cette dernière doit elle-même s’interroger
et qui sont indépendantes des vues ou des souhaits des parties.» 55
Je suis parfaitement d’accord avec lui sur ce point. Même donc s’il est incontestable, personne ne
peut le contester, que la RFY n’a pas soulevé d’ objection fondée sur sa non participation à la
convention, mais la Cour a bel et bien pris position sur cette question, car elle devait
impérativement le faire pour établir sa compétence.
15. Comment peut-on soutenir que l’accès à la Cour n’a pas déjà été décidé en 1996, puisque
la Cour a bien indiqué que sa démarche était d’examiner tous les aspects de sa compétence, ainsi
a-t-elle dit: «[é]tant parvenue à la conclu sion qu’elle a compétence en l’espèce, tant ratione
personae que ratione materiae sur la base de l’articleIX de la convention sur le génocide, il
incombe encore à la Cour de préciser l’étendue de cette compétence ratione temporis» (Application
55CR 2006/13, p. 36, par. 4.33 (Zimmermann). - 49 -
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p.617, par.34). On voit
donc que la Cour n’arien oublié, la Cour a tout ex aminé, elle a indéniablement pris position sur
tous les aspects de sa compétence. Nous voyons donc ce que la Cour a déjà décidé en 1993 ⎯ que
la République fédérale était partie à la convention sur le génocide.
16. Mais il me reste maintenant à vous démont rer que, ne l’eussiez-vous pas déjà reconnue
⎯cette participation des deux Etats à la convention ⎯ vous devriez à nouveau aujourd’hui la
reconnaître. Vous devriez en effe t rejeter aussi bien ce que j’appelle rai la thèse maximaliste de la
Serbie-et-Monténégro, selon laquelle il y avait des obstacles juridiques majeurs à ce qu’elle puise
même envisager de participer à la convention sur le génocide, et une thèse plus modérée ⎯ si je
puis dire puisque in fine le résultat est le même ⎯ selon laquelle les circonstances du processus
successoral de la Yougoslavie ont eu pour conséquence que la République fédérale de Yougoslavie
n’a plus été partie à la convention sur le génocide exactement à partir du 27 avril 1992.
17. Il faut en effet prendre la mesure de ce que veut vous faire dire la Serbie-et-Monténégro.
Elle veut vous faire dire que du 27 avril 1992 au 12 juin 2001, date à laquelle elle aurait adhéré à la
convention avec une réserve ⎯ 12 juin pour tenir compte des trois mois pour la mise en Œuvre de
son adhésion du 12 mars ⎯, soit pendant neuf ans elle n’aurait pas été partie à la convention,
période de neuf ans dans laquelle est incluse la période pendant laquelle s’est produit le nettoyage
ethnique en Bosnie, qui est auteur de l’affaire présentée aujourd’hui devant vous. Et donc, pendant
toute cette période, elle n’aurait pas été liée par la convention sur le génocide, malgré ses
affirmations de volonté formelles, publiques et ré itérées en sens contraire. La Cour ne peut
accepter une telle conclusion.
2. En 1993, la RFY pouvait être partie à la convention sur le génocide
18. Je vais donc d’abord rejeter ce que j’ ai appelé la thèse maximaliste en montrant
qu’en1993 la RFY pouvait être partie à la conventio n sur le génocide. L’objet de cette première
thèse est de tenter de démontrer que les conditions n’étaient pas présentes pour une simple
participation hypothétique à la convention, donc de démontrer que la RFY ne pouvait donc même
pas prétendre faire partie de la convention sur le génocide et ceci pour deux raisons alternatives: - 50 -
d’une part, parce qu’elle n’était pas membre de l’ONU et, d’autre part, parce qu’elle n’avait pas
reçu en tant que non membre d’invitation spécifique du Secrétaire général en ce sens. Ce ne sont
pas des conditions alternatives bien sûr mais cumulatives.
19. Je voudrais, avant de répondre aux deux bran ches de cette alternat ive dans laquelle les
conseils de la Serbie-et-Monténégro croient enfe rmer ceux de la Bosnie-Herzégovine, dire que le
postulat de base sur lequel est fondée cette inte rprétation restrictive me paraît inadmissible.
Inadmissible car contraire à la nature même de la convention. Cette idée a déjà été mise en avant
dans notre affaire dans l’opinion individuelle du juge Parra-Aranguren jointe à l’arrêt de 1996, où il
a souligné «the importance of maintaining the application of such conventions of humanitarian
character» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1996(II) ,
opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren, pa r. 2). Cette analyse est, je le rappelle, bien
dans la ligne de ce que vous avez vous-mêmes dit dans l’avis de1951 sur les Réserves à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide :
«[l]’objet et le but de la convention su r le génocide impliquent chez l’Assemblée
générale et chez les Etats qui l’ont adoptée l’ intention d’y voir participer le plus grand
nombre possible d’Etats. L’exclusion complète de la convention d’un ou de plusieurs
Etats, outre qu’elle restreindrait le cercle de son application, serait une atteinte à
l’autorité des principes de morale et d’humanité qui sont à sa base.» (Réserves à la
convention pour la prévention et la répre ssion du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 24.)
20. Il est d’ailleurs tout à fait frappant de re lever que, dans la réso lution 398 (IV), résolution
adoptée par l’Assemblée générale le 3 décembre 1949, intitulée «Invitations à adresser aux Etats
non membres pour leur permettre de devenir parties à la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide», le but de cette invitation n’est nullement de fermer l’accès à la
convention, mais au contraire de l’ouvrir au maximum.
21. Cette rema rque générale ⎯ importante ⎯ ayant été faite, je répondrai maintenant à la
thèse insolite de la Serbie-et-Monténégro selon la quelle elle ne pouvait même pas prétendre être
partie à la convention, alors qu’elle a clamé haut et fort qu’elle l’était. J’y répondrai en disant que
cette objection n’a aucune validité, pour deux raisons cumulatives, qui répondent donc très - 51 -
exactement aux deux obstacles supposés à la par ticipation possible de la République fédérale de
Yougoslavie à la convention sur le génocide.
22. J’affirme tout d’abord, sans le démontre r aujourd’hui, que la République fédérale de
Yougoslavie pouvait être partie à la convention su r le génocide car elle était Membre de l’ONU
en 1993. Mais comme je vous l’ai dit, je démontrerai ce point lundi.
23. Il me faut cependant poursu ivre l’analyse, en montrant qu’à supposer pour les seuls
besoins du raisonnement que la République fédé rale de Yougoslavie n’ait pas été membre de
l’ONU ⎯ce que la Bosnie-Herzégovine n’admet pas ⎯ elle pouvait tout de même participer à la
convention sur le génocide. Je rappelle cette seconde branche de l’objection présentée par la
Serbie-et-Monténégro, dans les termes où elle a été énoncée par le professeur Varady. Selon lui :
«[l]es Etats ne peuvent pas tous devenir pa rtie contractante à la convention sur le
génocide. Cette convention, dont le Secr étaire général de l’Organisation des
NationsUnies est dépositaire, est ouverte sans condition aux Membres de
l’Organisation. Elle n’est pas ouverte sans con56tion aux Etats qui ne sont pas
membres de l’Organisation des Nations Unies.»
24. Or, Madame et Messieurs de la Cour , la République fédérale de Yougoslavie ⎯ je vais
vous le montrer ⎯ n’avait pas besoin d’invitation spécif ique, comme le soutien la République
fédérale de Yougoslavie dans la mesure où l’on était dans un processus successoral.
25. Cependant, avant de réfuter la nécessité d’une invitation à participer pour un Etat
nonmembre de l’ONU en cas de succession d’Etat , je voudrais tout de même rappeler une
évidence, c’est que Membre ou non de l’ONU, la République fédérale de Yougoslavie n’avait pas
besoin d’une invitation spécifique, toute simplement parce qu’elle était partie à la convention sur
le génocide. Il est constant que le Secrétaire général chargé par l’Assemblée générale d’inviter les
Etats nonmembres à participer n’a jamais adressé une telle demande à la République fédérale de
Yougoslavie, et sur ce point la Bosnie-Her zégovine ne contestera pas ce que dit la
Serbie-et-Monténégro. Mais s’il en est bien ainsi, s’il n’y a pas eu d’invitation, c’est qu’il n’y avait
aucune raison d’adresser une telle demande à la République fédérale de Yougoslavie, puisque, de
l’avis général, elle était partie à la convention. C’était en tout cas l’avis de la République fédérale
de Yougoslavie, qui était tout de même concernée au premier plan.
56CR 2006/13, p. 26, par. 3.31 (Varady). - 52 -
26. C’était aussi l’avis du Secrétaire général. Et on peut donc noter que le fait même qu’il
n’ait pas adressé cette invitation peut être pris comme montrant la conviction qu’il avait que la
République fédérale de Yougoslavie était bien par tie à la convention sur le génocide. Mais cette
conviction ressort également des documents onusiens. Dans le document intitulé «Statut des traités
multilatéraux déposés auprès du Secrétai re général, au 31 décembre 1992» 57 ⎯ donc après
le 27 avril 1992 ⎯, il est indiqué qu’un Etat appelé Yougoslavie est toujours lié depuis la date de la
ratification initiale par la République fédérale socialiste de Yo ugoslavie. Cette mention ne peut
concerner que la République fédérale de Yougoslavie, à qui est ainsi reconnue le maintien du statut
de l’Etat prédécesseur. En 1996, le Secrétaire général a même voulu faire un pas de plus dans cette
reconnaissance du statut de continuateur des traité s à la RFY: dans le «Précis de la pratique du
58
Secrétaire général dépositaire d’accords multilatéraux» de 1996 , il a inclus le fameux
paragraphe297 où il est indiqué que la République fédérale de Yougoslavie conservait tous les
droits et obligations d’origine conventionnelle de l’Etat prédécesseur. On sait bien sûr que la
controverse politique faisait rage entre les cinq Etats issus de l’ex-Yougoslavie, dont quatre
refusaient que la République fédérale de Yougoslavi e ait un statut privilégié, et le paragraphe a été
retiré. Mais si les choses n’étaient plus dites noir sur blanc, n’étaient plus dites aussi clairement, la
situation est restée la même, à savoir qu’un Etat rest ait lié par les traités de la RFSY et cet Etat ne
pouvait être que la RFY. Dans d’autres enceintes , la situation était encore plus claire: par
exemple, dans la liste des traités adoptés dans le cadre de l’UNESCO, après le 27 avril 1997, était
indiqué à coté du nom «Yugoslavia», «Federal Republic of Yugoslavia».
27. Donc, pas d’invitation nécessaire, car une telle invitation aurait été absurde.
Imagine-t-on le Secrétaire général de l’ONU inviter un Etat partie à la convention sur le génocide à
y adhérer ? Le seul énoncé de cette hypothèse en démontre l’inanité.
28. Je voudrais également réfuter ici l’interprétation donnée par le professeur Zimmermann à
la lettre du directeur du service juridique de l’ONU du 8décembre2000 adressée à la RFY après
son entrée comme nouvel Etat à l’ONU en novembre2 000. J’en lis les termes et je n’ai la lettre
qu’en anglais : «It is the Legal Counsel’s view that the Federal Republic of Yugoslavia should now
57Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E/11, New York, 1993.
58
Nations Unies, doc. ST/LEG/10, p. 89, par. 297. - 53 -
undertake treaty actions, as appropriate, in relation to the treaties concerned, if its intention is to
assume the relevant legal rights and obligations as a successor State.» 59 L
professeurZimmermann en déduit que «the approa ch taken by the Legal Counsel confirmed that
60
the FRY had not been a party to the Genocide Convention beforehand» . Cette conclusion est
inexacte et sollicite les propos du di recteur juridique. Je noterai simplement que les choses restent
très ouvertes, puisque d’abord le directeur juri dique demande une action «as appropriate», mais
surtout j’affirme ⎯et j’aurai l’occasion de revenir plus longuement sur ce point capital après le
week-end ⎯ que le fait qu’il soit demandé à la RFY de pr éciser son statut en tant que successeur
aux traités après novembre 2000 n’implique en aucune façon qu’elle n’ait pas bénéficié du statut de
continuateur avant cette date, continuateur des traités, continuateur à l’ONU.
29. Mais j’irai maintenant encore plus loin da ns le raisonnement de plus en plus subsidiaire,
et je dirai qu’à supposer que la RFY n’ait été ni me mbre de l’ONU ni partie à la convention, et que
vous estimiez que sans une invitation du Secrétaire général, un Etat non membre ne peut pas
adhérer à la convention sur le génocide ⎯au sujet de laquelle vous avez cependant déjà eu
l’occasion de souligner l’importance d’une participation aussi universelle que possible ⎯ il n’en
resterait pas moins qu’il n’y aurait eu nul besoin d’une invitation en l’espèce, car on se trouve dans
un processus successoral , hypothèse qui n’est pas envisagée à l’ articleIX de la convention sur le
génocide. Je ne relis pas cet article mais il est indiqué que l’invitation est nécessaire pour la
signature, dans l’un des paragraphes, et pour l’adhésion, dans un autre des paragraphes.
30. L’invitation est une invitation à signer, un e invitation à adhérer, le traité ne parle
aucunement d’invitation à continuer ou à succéder . Lorsque se produit un processus successoral,
ce sont les règles spécifiques à la succession d’Etats qui s’appliquent. En l’espèce, l’Etat
prédécesseur était indiscutableme nt partie à la convention sur le génocide, ce qui ouvrait, si l’on
accepte le principe de continuité automatique des traités, sur lequel je reviendrai tout à l’heure, une
obligation de participer , aussi bien pour l’Etat continuateur que pour l’Etat successeur, mais en
tout état de cause, même si l’on rejette ce principe de continuité automatique, à tout le moins un
droit de participer pour l’Etat successeur, l’Etat continuateur restant bien entendu lui aussi
59CR 2006/13, p. 49, par. 4.57 (Zimmermann).
60
Ibid., par. 4.58 (Zimmermann). - 54 -
obligatoirement lié. Comment os er prétendre que les Etats issus de l’ex-Yougoslavie, partie
originaire à la convention sur le génocide, auraient pu ne pas avoir le droit d’y participer, sous
prétexte que s’est produit un processus successoral da ns cet Etat? Je crois que poser la question,
c’est déjà y répondre. Cette conclusion me semble particulièrement pertinente ici car, en raison de
l’objet et du but du traité, il importe que la co nvention conserve le même champ d’application
territoriale.
31. Certes, je ne suis pas sans savoir que votre Cour dans son arrêt de 1996, lorsqu’elle s’est
interrogée sur le point de savoir si la Bosnie -Herzégovine était liée par la convention sur le
génocide, a commencé son raisonnement en consta tant que la Bosnie-Herzégovine était Membre
des Nations Unies et donc que l’ar ticle IX lui permettait donc de deve nir partie à la convention. Il
convient cependant de replacer ce raisonnement dans son contexte, ce contexte c’est la troisième
exception préliminaire de la RFY, qui tendai t à nier à la Bosnie, qualifiée de «prétendue
République de Bosnie-Herzégovine» (Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p.604), la qualité d’Etat, parce qu’elle aurait violé en faisant sécession
les obligations découlant du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Autrement dit,
la référence à la qualité de Membre de l’ONU a été faite par la Cour pour affirmer la qualité d’Etat
⎯nécessairement sous-entendue par le fait d’être Membre des NationsUnies ⎯ Etat créé
conformément au droit international, ce qui perme ttait à la Bosnie-Herzégovine de se prévaloir des
règles sur la succession d’Etat et ce qui empêch ait la République fédérale de Yougoslavie de lui
opposer l’article 6 de la convention sur les successi ons en matière de traités, l’article 6 concernant
les successions illégales. De ce contexte très particulier, il ne me semble donc pas possible de tirer
une conclusion quant à la nécessité d’une invita tion spéciale à participer à la convention sur le
génocide pour tous les Etats nés d’un processus successoral, comme le soutient la
Serbie-et-Monténégro. Je rappelle donc qu’une telle invitation n’est pas mentionnée par
l’article IX, et qu’il ne me semble pas qu’il y ait de raison de demand er une telle invitation dans le
cadre d’un processus successoral.
32. Enfin, subsidiairement, à supposer même que la Serbie-et-Monténégro ait eu besoin
d’une invitation à participer à la convention, il m’apparaît que toute la politique onusienne à son - 55 -
égard tendait vers ce but, lui faire respecter la conv ention. Je ne citerai pas une fois de plus les
innombrables résolutions qu’on a déjà souvent cité es dans lesquelles il est demandé à la RFY de
respecter la convention sur le génocide ⎯ ce qui implique qu’elle y est partie, mais à tout le moins
ce qui impliquerait si elle n’y était pas partie, une invitation à y participer. Même si la thèse
maximaliste me semble ainsi écartée, même si j’espère donc avoir démontré que toutes les
conditions juridiques étaient réunies pour que la République fédérale de Yougoslavie puisse avoir
le droit de participer à la convention sur le gé nocide, il convient maintenant de répondre à ce que
j’ai appelé la thèse modérée, à savoir qu’en fait la République fédérale de Yougoslavie n’était pas
partie à la convention sur le génocide.
3. La RFY était partie à la convention sur le génocide en 1993 parce qu’elle avait fait une
déclaration de continuation des traités internationaux
33. Votre Cour n’a guère eu de mal à parvenir à une telle conclusion, tant elle était évidente.
Dans votre ordonnance du 8 avril 1993, vous avez d’abord constaté qu’
«une clause compromissoire d’une convention multilatérale, telle que l’article IX de la
convention sur le génocide, invoqué par la Bosnie-Herzégovine en l’espèce, pourrait
être considérée prima facie comme une disposition particulière d’un traité en vigueur;
qu’en conséquence, si la Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie sont toutes deux
parties à la convention sur le génocide, le s différends auxquels s’applique l’articleIX
relèvent en tout état de cause prima facie de la compétence ratione personae de la
Cour» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine cY . ougoslavie (Serbieet onténégro)), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 19).
La Cour est donc partie de l’idée qu’à ce stade des mesures conservatoires, il lui suffisait d’établir
que les deux Etats étaient parties à la convention. On sait qu’à l’époque l’enjeu était surtout la
participation de la Bosnie. La Cour s’est cependant attachée à vérifier que les deux Etats étaient
parties.
34. Pour la RFY, elle a tiré la conclusion que la RFY était partie en raison de sa
manifestation de volonté. La participation de la Bosnie-Herzégovine a également été constatée par
la Cour même si, je le rappelle, la base juridique de cette participation était laissée une question
ouverte. La conclusion était donc que les deux Etats étaient parties à la convention, et que donc
celle-ci pouvait être considérée comme une base de compétence prima facie à ce stade (ibid., p. 16,
par. 26). - 56 -
35. Mais bien entendu, le même raisonnement a été repris, et cette fois non plus prima facie,
dans l’arrêt de 1996. Je ne reprendrai pas to ut votre raisonnement que vous connaissez mieux que
nous. Il me semble suffisant de rappeler à la Cour la conclusion sans ambiguïté adoptée en 1996 :
«[a]insi, la Yougoslavie était liée par les dispositi ons de la convention à la date du dépôt de la
requête en la présente affaire, le 20 mars 1993» (Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17; les italiques sont de nous).
36. Le professeur Varady a cherché à semer le doute sur cette conclusion en laissant entendre
que l’hypothèse sur laquelle elle se fonde était faus se. En effet, voici ce qu’il nous dit : il nous dit
que l’hypothèse de la continuité des traités était en réalité fondée sur l’hypothèse de la continuité
du statut à l’ONU et que l’hypothèse de la continuité du statut à l’ONU ayant été rendue caduque
par l’entrée de la République fédérale de Youg oslavie à l’ONU en 2000, cela devait aussi annuler
la continuité des traités. En réalité, ce n’est pas du tout le raisonnement qu’a fait la Cour. La Cour
ne s’est pas fondée sur des hypothèses, elle s’est fondée sur la réalité politique et juridique, la
réalité de l’affirmation par la République fédéra le de Yougoslavie qu’elle se considérait comme
liée par les traités de la Républiq ue fédérale socialiste de Yougoslavie, la réalité donc de
l’affirmation par un Etat souverain qu’il était lié et qu’il assumerait toutes les obligations et tous les
traités signés par la RFSY. Très précisément en 1996, la Cour, pour considérer que les deux Parties
étaient liées par la convention sur le génocide, a pris sa décision ⎯ vous le savez bien ⎯ sans se
fonder sur le statut de la RFY à l’ONU, à savoir Membre ou non membre, successeur ou
continuateur, question qu’elle n’a pas tranchée. Nul besoin d’invoquer la continuité de la
République fédérale de Yougoslavie à l’ONU pour en tirer des c onclusions hypothétiques relatives
à la convention sur le génocide. La République fédérale de Yougoslavie au moment de sa
naissance a dit deux choses: elle a dit d’une part, «j e continue le statut de la République fédérale
socialiste de Yougoslavie à l’ONU», d’autre part, «j’assume toutes les obligations conventionnelles
de la RFSY». La Cour a anal ysé les deux propositions comme n’étant pas liées entre elles et
encore moins comme étant dans une relation de cause à effet, puisqu’elle n’a pas examiné la
première pour prendre position sur la seconde. Cette analyse autonome du statut à l’ONU et du
sort des traités est tout à fait conforme à la visi on qu’avait l’ONU, exprimée par le directeur du - 57 -
service juridique de l’ONU, dans sa célèbre opinion juridique du 16 septembre 1993 : «The status
of Yugoslavia as party to trea ties was not affected by the adoption by General Assembly of
resolution47/1 of 22 December 1992… It did not address Yugoslavia’s status as a party to
treaties.»
37. Votre Cour a donc simplement conclu que la République fédérale de Yougoslavie était
liée, non sur la base d’une hypothèse, comme voudra it nous le faire croire le conseil de la Serbie,
ou d’une construction intellectuelle inductive ou déductive, mais simplement qu’elle était liée sur la
base d’une réalité qui est au cŒur de tout le droit international, à savoir le consentement des Etats.
Je reprends encore une fois textuellement, les mo ts que vous avez employés, la Cour s’est fondée
sur «[l]’intention ainsi exprimée par la Yougoslavie de demeurer liée par le s traités internationaux
auxquels était partie l’ex-Yougoslavie» ( Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17).
4. Même si elle n’était pas considérée comme Etat continuateur, la RFY était partie à la
convention sur le génocide en 1993, en vertu de la règle de succession automatique à ce
traité universel
38. Je passerai rapidement sur cette question en rappelant simplement que l’article34 de la
convention sur la succession d’Etats en matière de traités pose cette règle de la succession
automatique. Je n’abuserai pas du précieux te mps pour discuter de la portée de cet article ⎯ on
sait qu’il y a des débats ⎯, des modalités d’application à tous les traités, je dirai simplement qu’il
est largement admis que ce principe s’applique aux traités incorporant des normes dejus cogens.
39. Le professeur Zimmermann a tenté de vous convaincre qu’une telle règle n’existait pas,
ignorant totalement l’article 34 qu’il n’a pas cité un e seule fois. Il cite par contre extensivement
des articles, des commentaires, des références co ncernant les Etats nouvellement indépendants au
sens de la convention de 1978 sur la succession en matière de traités 61. Madame le président,
61Voir par exemple CR 2006/13, p.42, par.4.51 (Z immerman): «[l]es Etats nouvellement indépendants
soumettent souvent au Secrétaire général des déclaratio«générales» de succession…Le Secrétaire général… ne
considère pas la déclaration comme un instrument valable de succession à l’un des quelconques traités déposés auprès
de lui, et il en informe le gouvernement du nouvel Etat concerné»; ou encore, ibid., par. 4.70, p. 46 : «[l]a pratique suivie
par les Etats semble…en contradiction manifeste avec la thèse selon laquelle un Etat nouvellement indépendaat
l’obligation de se considérer lié par un tr aité général de caractère normatif qui était applicable à l’égard de son territoire
avant son accession à l’indépendance». - 58 -
Messieurs les juges, je vous avoue avoir longue ment réfléchi sans pouvoir trouver le moindre
rapport entre la République fédérale de Yougoslavi e et un Etat nouvellement indépendant dans ce
sens de la convention et donc sans pouvoir trouver la moindre pertinence à ces développements. A
ma connaissance, la République fédérale de Yougoslavie n’a jamais prétendu être un Etat
nouvellement indépendant qui aurait été antérieurement colonisé par la Yougoslavie !
40. Je ne m’attarderai donc pas longuement à réfuter cette argumentation, j’invoquerai juste
la pratique internationale, et notamment la po sition adoptée par la réunion des présidents des
différents organes créés par les instruments rela tifs aux droits de l’homme qui ont dit la chose
suivante: «[l]es présidents ont fait observer toutefois qu’à leur avis les Etats successeurs étaient
automatiquement liés par les obligations découlant des in struments internationaux relatifs aux
62
droits de l’homme à compter de leur date respective d’indépendance» .
41. Position qui était aussi celle, vous le savez Madame le président, du Comité des droits de
l’homme ⎯que vous présidiez alors ⎯ lorsque la Bosnie a soumis son rapport sur le respect des
pactes sur les droits civils et politiques, rappor t qu’elle a soumis avant toute notification de
succession, mettant ainsi en Œuvre concrètement le principe de succession automatique 6.
42. Je noterai enfin, que même si je sais bien que la Cour n’a pas voulu trancher la question
des règles successorales précisément applicables en 1996, elle n’a pourtant pas exclu la possibilité
d’une succession automatique de la Bosnie-Herzégovine à la convention sur le génocide
(Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), C.I.J. Recueil 1996 (II), par. 23).
5. Même si votre Cour ne reconnaissait pas l’applicabilité du principe de succession
automatique, la RFY était partie à la convention sur le génocide en 1993, car elle était de
toute façon liée en tant qu’Etat successeur par ses innombrables déclarations
43. Qu’importe la raison subj ective pour laquelle la RFY a manifesté sa volonté objective
d’être liée par la convention, le droit internatio nal est fondé sur la souv eraineté des Etats qui
expriment leur volonté. Un Etat ne peut pas e xprimer sa volonté d’être lié par un traité, puis
quelques années après, venir dire que finalement il a changé d’avis et que cette volonté doit être
62Réunion du 19 au 23 septembre 1994, Nations Unies, doc. E/ CN4/1995/80, 28 novembre 1994, par. 10, p. 4.
Voir également Nations Unies, doc. E/CN4./1996/76, 4 janvier 1996, par. 8, p. 3. Les italiques sont de nous.
63
Voir CCPR/C/79/add.14, p. 2. - 59 -
considérée comme n’ayant jamais été exprimée. Accepter une telle approche serait accepter
l’effondrement de tout l’édifice juridique international.
Une déclaration de volonté exprimée publiquement et dans l’intention de lier son auteur a un
effet obligatoire
44. Je ne rappellerai pas cette vérité que vous avez énoncée dans l’affaire des Essais
nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), qui est suffisamment connue pour que je ne relise pas le
passage pertinent ( arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p.267, par.46). On sa it qu’il est particulièrement
important de prendre en compte les déclarations fa ites par les représentants d’une partie au cours
d’une procédure juridictionnelle ou arbitrale qui sont considérées comme liant ces parties 64.
45. Je vais donc recenser ⎯ce ne sera pas exhaustif mais tout de même ⎯ un certain
nombre de déclarations unilatérales par lesque lles la République fédérale de Yougoslavie a
manifesté sa volonté incontestable d’être partie à la convention sur le génocide, et, si ce n’est pas
suffisant, je rappellerai en outre qu’elle a pris un tel engagement de façon conventionnelle dans les
accords de Dayton.
Les innombrables manifestations de volonté de la RFY d’être partie à la convention sur le
génocide
La volonté de la RFY telle qu’elle est exprimée dans les documents du 27 avril 1992
46. Mon collègue Alain Pellet a déjà lu ces documents et je ne les reprendrai donc pas, je
citerai juste une phrase de ces documents donc à la fois la déclaration émanant des «représentants
du peuple de Serbie» et dans la note adressée au Secrétaire général dans lesquelles nous retrouvons
la phrase suivante: la RFY «respectera strict ement tous les engagements que la République
fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon international».
47. Il ne fait pas de doute que, face à ces déclarations, toutes les conditions posées dans
l’affaire des Essais nucléaires, pour que les déclarations unilatérales lient un Etat, sont remplies en
l’espèce. Ces déclarations créent des obligations ju ridiques compte tenu de l’auteur et je crois que
c’est en vain que le professeur Zimmermann a essayé de minimiser la portée de ces textes en disant
que ce sont des textes purement politiques adoptés par des instances non habilit ées à le faire. Je
64
Voir sentence rendue le 17 juillet 1986 par le tribunal arbitral institué par le compromis du 23octobre1985
entre le Canada et la France à propos du Différend concernant le filetage à l’intérieur du Golfe du Saint Laurent, RGDIP,
1986, p. 756. - 60 -
rappelle tout de même que ces textes ont été communiqués au Secrétaire général, qu’il a été
demandé au Secrétaire général de les distri buer comme «documents officiels de l’Assemblée
65
générale» . En faisant cela, la Républiq ue fédérale de Yougoslavie te nait à faire savoir à tous les
Membres des Nations Unies qu’elle s’engageait juridiquement. Les déclarations du 27avril1992
constituent par conséquent un engagement immédiat, ayant force obligatoire pour la République
fédérale de Yougoslavie.
48. Comme l’a indiqué la Cour dans l’affaire des Essais nucléaires, cet engagement existe en
dehors de toute réaction des autres Etats, c’est-à- dire en dehors d’une acceptation, mais surtout
aussi en dehors d’une éventuelle réaction de refus. Et cela peut être éventuellement important pour
notre affaire. Donc encore une fois ces déclarations ont manifesté la volonté de la République
fédérale de Yougoslavie, aujourd’hui Serbie-et- Monténégro, d’être inconditionnellement liée par
les traités auxquels était partie la RFSY.
La volonté de la RFY telle que manifestée pa r ses déclarations durant la procédure dans
cette affaire
49. Elle a adopté une ligne de conduite continue au cours de toutes les étapes de la
procédure.
50. Au cours de la procédure relative aux demandes en indication de mesures conservatoires,
elle a notamment insisté sur le fait que la comp étence de la Cour devait rester limitée à la
convention sur le génocide. Je citerai juste ce qu’a dit le professeur Rosenne au cours de
l’audience du 2avril1993, où il a déclaré: «[l] a République fédérative de la Yougoslavie ne
consent à aucune extension de la compétence de la Cour au-delà de ce qui est strictement stipulé
66
dans la convention même» .
51. Cette même ligne de conduite qui a été adoptée durant les plaidoiries de 1996 , nous le
savons. M. Suy a affirmé à plusieurs reprises que la convention pouvait être applicable aux Parties,
la seule discussion qu’il avait menée était concernant la date d’applicabilité; il tentait notamment de
nier que la convention soit applicable à partir du 6 mars 1992, date de l’indépendance de la Bosnie.
Il a admis qu’elle pouvait être applicable à partir du 29 décembre 1992, à partir du 14décembre
65Nations Unies, doc. A/46/915, 6 mai 1992.
66
CR 1993/13, p. 15 (Rosenne). Voir aussi la lettre citée dans le mémoire du Gouvernement de la République de
Bosnie-Herzégovine en date du 15 avril 1994, p. 95, par. 4.2.2.3. - 61 -
1995, date des accords de Dayton, et d’autres date s encore, simplement la da te la plus tardive qui
67
avait été acceptée dans les plaidoiries de 1996, était l’accord de Dayton .
52. Or, maintenant, le défendeur nous dit: «Ah ! Non, non, non. Nous ne sommes liés par la
68
convention sur le génocide que depuis 2001.» Donc la date est encore repoussée aujourd’hui,
date de six ans.
La volonté de la RFY confirmée par l’engagement conventionnel de la RFY exprimé dans
les accords de Dayton
53. Mais il y a plus encore, il y a également le fait que la volonté que la République fédérale
de Yougoslavie a été confirmée incontestablement dans les accords de Dayton. Nous savons que
dans ces accords, les: «les parties approuvent et appliqueront entièrement les dispositions relatives
69
aux droits de l’homme énoncées au premier titre de l’article 6…» .
54. Approuvent et appliqueront entièrement. Or, la convention sur le génocide est le premier
traité que l’on trouve dans cette annexe. Nous notons également, qu’aucune restriction, aucune
réserve n’a été présentée par aucune des Parties qu i disent «qu’elles appliqueront entièrement les
conventions». Autrement dit, nous avons là un certain nombre de déclarations qui montrent bien
que la République fédérale de Yougoslavie était liée.
55. La Bosnie estime qu’elle était liée dès sa naissance, le 27 avril 1992. Mais même si votre
Cour retenait une date plus tardive, la Républ ique fédérale de Yougoslavie ne pourrait pas se
soustraire à ses responsabilités et notamment aux responsabilités encourues, par exemple, avant les
accords de Dayton, puisque comme vous le savez, dans l’arrêt de 1996, vous avez clairement dit :
«La Cour constate ainsi qu’elle a compétence en l’espèce pour assurer
l’application de la convention sur le génocide aux faits pertinents qui se sont déroulés
depuis le début du conflit dont la Bosnie-Herzégovine…Cette constatation est
d’ailleurs conforme à l’objet et au but de la convention…» ( Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovc i.eYougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 617, par. 34.)
67CR 1996/06, p. 23 (Suy).
68
CR 2006/13, p. 7, par. 2. 19 (Varady).
69Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (Accords de Dayton), 21 novembre 1995, in
doc.ONU, lettre datée du 29 novembre 19 95, adressée au Secrétaire généralpar la représentante permanente des
Etats-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. A/50/790, doc. S/1995/999, 30 novembre 1995,
p. 3. - 62 -
L’interprétation des différentes manifestations de volonté de la RFY d’être liée par la
convention sur le génocide
56. Les manifestations de la volonté d’être liée sont, nous l’avons vu, innombrables,
cohérentes sans la moindre fausse note, encore faut -il procéder à leur interp rétation. Nous savons
que les déclarations ont une portée juridique, mais si on les interprète, on peut envisager que ces
déclarations puissent être analysées soit comme une déclaration de continuité, soit comme une
notification de succession, soit pourquoi pas comm e une adhésion, mais que l’on adopte un point
de vue ou l’autre, le résultat est le même: la République fédérale de Yougoslavie a manifesté sa
volonté d’être liée.
57. Certes, le professeur Zimmermann a soutenu que puisque la République fédérale de
Yougoslavie avait sans doute l’intention de faire une déclaration de continuité, en tant qu’Etat
continuataire, on ne pouvait analyser cette déclarat ion autrement. Et à l’appui de sa thèse, il
déclare: «[p]ermettez-moi de citer ce qui a été dit à ce propos au nom du demandeur par mon
estimée collègue, Mme Brigitte Stern: «[o]n ne vo it pas pourquoi la notif ication de succession,
acte qualifié comme tel par un Etat souverain, devrait être considérée comme une notification
d’adhésion (CR 1996/9, p. 32-33)» 70. Alors, je suis bien sûr très flattée de ce que mon estimé
collègue M. Zimmermann m’invoque comme autorité à l’appui de ses démonstrations, mais il n’est
pas sans savoir que si j’ai bien dit ce que j’ai d it et s’il m’a fidèlement citée, la Cour elle, ne m’a
pas du tout suivie sur ce point. Et moi j’invoque rai plutôt quant à moi l’autorité de la Cour, qui
seule donne des interprétations authentiques. Eh bien, la Cour, face à la notification de succession
de la Bosnie a considéré qu’elle pouvait l’interpré ter comme elle voulait. Vous savez très bien
qu’elle n’a pas pris position sur la façon dont la Bosnie-Herzégovine est devenue partie, elle a dit
que la Bosnie soit devenue automatiquement partie à la convention ou qu’elle le soit devenue par
l’effet rétroactif ou non de sa notification de su ccession, ou encore si la Bosnie devrait être
considérée comme ayant adhéré à la convention sur le génocide.
58. C’est dire que c’est à la Cour que revi ennent les qualifications juridiques. Rien
n’empêche donc la Cour internationale de Justice d’analyser les multiples déclarations de la
République fédérale de Yougoslavie, comme des notifications de succession. De même qu’elle
70CR 2006/13, p. 40, par. 4.43 (Zimmermann). - 63 -
n’avait pas précisé en 1996 comment la Bosnie-Herzégovine était devenue partie, on n’a pas besoin
de savoir comment la République fédérale de Youg oslavie est devenue partie; ce qui importe c’est
de savoir si les Etats sont liés, pas de savoir par quel processus juridique ils le sont.
59. Mais la Bosnie ne s’arrête pas là. Nous allons donc je pense, démontrer que la
République fédérale de Yougoslavie était bien partie à la convention sur le génocide au moment du
dépôt de sa requête. La République fédérale de Yougoslavie n’arrête pas là ses attaques contre la
convention. Ne pensant sans doute pas arriver à convaincre la Cour qu’elle n’était pas partie à la
convention face aux évidences, la Serbie-et-Monténégro avance un nouvel argument pour soutenir
que la convention ne serait pas applicable, même si les deux Etats y étaient partie: ce nouvel
argument est que la convention sur le génocide n’était pas un traité en vigueur au sens de l’article 35,
paragraphe 2 de votre Statut.
The PRESIDENT: Professor Stern, do you think that would be an appropriate point to hold
over until Monday morning? You still have fair way to go.
Mme STERN: I would need six or seven minutes.
The PRESIDENT: Then, please continue.
Mme STERN: Thank you, Madam President.
Bien entendu, dans la mesure où la Bosn ie-Herzégovine considèr e que la République
fédérale de Yougoslavie était Membre de l’ONU, en 1993, cette discussion ne présente qu’un
caractère tout à fait subsidiaire. Je vais donc ex aminer l’article IX de la convention qui était en
vigueur en 1996, en tant qu’unique fondement de la compétence de la Cour.
II. L’article IX de la convention sur le génocide est une base de compétence
autonome et suffisante pour votre Cour
60. Pour nier que cette convention soit en vigueur, la Serbie défend donc maintenant l’idée
qu’il ne s’agit pas d’une convention en vigueur au sens de l’article 35, paragraphe 2. Une fois de
plus, elle va se fonder uniquement sur vos arrêts dans les affaires sur la Licéité, qui ont introduit une
interprétation tout à fait inédite de l’expression «traités en vigueur». - 64 -
61. On sait que dans l’affaire sur la Licéité, une nouvelle interprétation de ce qui doit être
compris comme un traité en vigueur a surgi, no uvelle interprétation dont s’est emparée M. Djeri ć,
pour demander à la Cour de revenir sur son interp rétation antérieure. Comme la Cour l’a indiqué
sans équivoque, nous dit M. Djeri ć, dans l’affaire sur la Licéité, cette clause ne s’applique qu’aux
traités en vigueur à la date de l’entrée en vigueur du Statut. Or, une position différente a pourtant
été adoptée dans notre affaire.
62. Dans son ordonnance en indications de mesures conservatoires, je vous rappelle que dans
votre paragraphe 19, vous avez indiqué que :
«la Cour estime qu’une instance peut être valablement introduite par un Etat contre un
autre Etat qui, sans être partie au Statut, est partie à une telle disposition particulière
d’un traité en vigueur, et ce indépendammen t des conditions réglées par le Conseil de
sécurité dans sa réso lution 9 (1946) (voir Vapeur Wimbledon, 1923, C.P.J.I.sérieA
n 1, p. 6) … l’article IX de la convention su r le génocide … pourrait être considéré …
comme une disposition particulière d’un traité en vigueur» ( Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires,
ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 19).
63. Ces conclusions adoptées prima facie en 1993 ont été implicitement reprises, mais
nécessairement, reprises en 1996.
64. N’oublions pas que votre Cour a nécessairement reconnu dans son arrêt de 1996 qu’un
traité en vigueur ⎯et pas seulement un traité en vigueur au moment de l’adoption du Statut ⎯
pouvait servir de base à sa compétence, indépendamm ent de la participation au Statut puisqu’elle
avait affirmé sa compétence justement sans prendre position sur le statut de Membre à l’ONU.
65. La Bosnie-Herzégovine demande à la Cour de considérer que sur ce point aussi l’arrêt
de 1996 est res judicata et de ne pas importer rétroactivement dans notre affaire une solution qui
n’avait aucune raison d’être adoptée, comme le président de cette Cour l’a fermement indiqué,
puisque l’article35, paragraphe 2 n’avait pas été invoqué par la Serbie-et-Monténégro. Le texte
n’étant pour l’instant disponible qu’en anglais, c’est donc dans la langue de Shakespeare que je vais
citer :
«[t]hese Written Observations contained no invocation of Article 35, paragraph2 as
an alternative ground of jurisdiction ⎯ yet going beyond what the Applicant requested
in the present case, the Court has devoted so me 23 paragraphs to laying the grounds
for a finding that Article 35, paragraph 2, of the Statute could not have been an
alternative basis for allowing access to the Court in respect of the Genocide
Convention so far as Serbia and Montenegro is concerned. This exercise was clearly - 65 -
unnecessary for the present case. Its rele vance can lie, and only lie, in another
pending case.» (Licéité de l’emploi de la force , exceptions préliminaires, arrêt du
15 décembre 2004, opinion individuelle de Mme le juge Higgins, par. 18.)
66. Outre que du point de vue de la procédure, une telle décision n’aurait pas dû être
adoptée, elle peut également susciter des doutes qua nt au fond. Je ne m’appesantirai pas sur cette
question, je voudrais juste souligner deux points. Un premier point qu’il faut souligner est qu’il n’y
a aucune raison d’interpréter différemment l’expression «traités en vigueur» dans les articles 35, 36
et 37 comme le note le professeur Rosenne qui écrit : «[t]he expression treaties in force appears in
Articles 35, 36, 37 of the Statute. This normally means that the treaty must be in force between the
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parties on the date when the proceedings are instituted» . Le second point est que, même à
supposer que les expressions n’aient pas le même sens dans les trois articles, l’interprétation
retenue n’emporte pas nécessairement la conviction. Dans son opinion séparée attachée à l’arrêt
rendu par la Cour dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force , le juge Elaraby a ainsi
critiqué de ce point de vue l’interprétation retenue, faisant valoir que «the interpretation adopted by
the Court ⎯ limiting «treaties in force» to treaties in force at the time the Court’s statute came into
force ⎯ is unduly restrictive» ( Licéité de l’emploi de la force, exceptions préliminaires , arrêt du
15décembre 2004, pointIII «Access to the Court under Article 35, paragraph2», opinion
individuelle de M. le juge Elaraby, par. 7).
67. Autrement dit, quoi qu’il en soit, la Bo snie-Herzégovine demande à la Cour, comme je
l’ai déjà dit, de considérer qu e sur ce point aussi l’arrêt est res judicata. Elle demande donc à la
Cour de juger cette affaire avec les données de cette affaire: autrement dit, en maintenant ce
qu’elle a dit en1996, à savoir qu’elle était compétente sur la base de l’articleIX de la convention
sur le génocide, ce qui implique, d’une part, que le s deux Etats qui s’affrontent devant vous étaient
parties à la convention et, d’autre part, qu’elle était une convention en vigueur. J’espère vous avoir
convaincus que vous aviez alors bien jugé. Je vous remercie, Madame le président.
71 th
S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court 1920-2005, vol. II, Jurisdiction, 4 Edition
Leiden/Boston, 2006, p. 641. - 66 -
The PRESIDENT: Thank you, Professor Stern. The Court now rises and the hearings will
resume on Monday next at 10 a.m.
The Court rose at 6.05 p.m.
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Public sitting held on Friday 21 April 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding