Public sitting held on Tuesday 19 December 2006, at 4.30 p.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding

Document Number
135-20061219-ORA-02-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2006/57
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

CR 2006/57

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THAEGUE

ANNÉE 2006

Audience publique

tenue le mardi 19 décembre 2006, à 16 h 30, au Palais de la Paix,

sous la présidence de Mme Higgins, président,

en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay

(Argentine c. Uruguay)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2006

Public sitting

held on Tuesday 19 December 2006, at 4.30 p.m., at the Peace Palace,

President Higgins presiding,

in the case concerning Pulp Mills on the River Uruguay
(Argentina v. Uruguay)

____________________

VERBATIM RECORD

____________________ - 2 -

Présents : Mme Higgins,président
Al-MK. vce-prh,ident

ShiMM.
Koroma
Buergenthal
Owada

Simma
Sepúlveda
Bennouna
Skjoteiskov,

BeTroáresz.
juiesesa, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presideitgins
Vice-PresiKntasawneh

Shi Judges
Koroma
Buergenthal
Owada

Simma
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov

Judges ad hoc TorresBernárdez
Vinuesa

CoRuvrisrar

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement de la République orientale de l’Uruguay est représenté par :

S. Exc. M. Héctor Gros Espiell, ambassadeur de la République orientale de l’Uruguay auprès de la
République française,

S. Exc. M. Carlos Gianelli, ambassadeur de la République orientale de l’Uruguay auprès des

Etats-Unis d’Amérique,

comme agents ;

M. Alan E. Boyle, professeur de droit international, directeur du Centre écossais pour le droit
international, Université d’Edinburgh,

M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,

comme avocats ;

S. Exc. M. Carlos Mora, ambassadeur de la République orientale de l’Uruguay auprès du Royaume
des Pays-Bas,

S. Exc. M. José Luis Cancela, ambassadeur, secrétaire général du ministère des relations

extérieures,

M. Marcelo Cousillas, conseiller juridique à la direction nationale de l’environnement, ministère du
logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement,

M. Adam Kahn, cabinet Foley Hoag LLP, Boston, Massachusetts, membre du barreau du
Massachusetts,

Mme Nienke Grossman, cabinet Foley Hoag LLP, Washington D.C., membre du barreau du district
de Columbia, membre du barreau de la Virginie,

M. Andrew Loewenstein, cabinet Foley Hoag LLP, Boston, Massachusetts, membre du barreau du

Massachusetts,

Mme Christine Williams, cabinet Foley Hoag LLP, Boston, Massachusetts, membre du barreau du

Massachusetts,

M. Paolo Palchetti, professeur associé à la faculté de droit, Université de Macerata,

Mme Paola Gaeta, professeur à la faculté de sciences politiques, Université de Florence,

M. Sebastian Lopez Escarceña, doctorant, Université d’Edimburgh,

M. Alberto Pérez Pérez, professeur à la faculté de droit de l’Université de la République,
Montevideo,

comme conseillers.

Le Gouvernement de la République argentine est représenté par :

S. Exc. Mme Susana Ruiz Cerutti, ambassadeur, conseiller juridique du ministère des affaires

étrangères, du commerce international et du culte,

comme agent ; - 5 -

The Government of the Eastern Republic of Uruguay is represented by:

H.E. Mr.Héctor Gros Espiell, Ambassador of the Eastern Republic of Uruguay to the French
Republic,

H.E. Mr. Carlos Gianelli, Ambassador of the E astern Republic of Uruguay to the United States of

America,

as Agents;

Mr. Alan E. Boyle, Professor of International Law and Director of the Scottish Centre for
International Law, University of Edinburgh,

Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Faculty of Law, University of Florence,

as Advocates;

H.E. Mr. Carlos Mora, Ambassador of the Eastern Republic of Uruguay to the Kingdom of the
Netherlands,

H.E. Mr. José Luis Cancela, Ambassador, Secretary-General, Ministry of Foreign Affairs,

Mr. Marcelo Cousillas, Legal Counsel, National Di rectorate for the Environment, Ministry of
Housing, Territorial Planning and Environment,

Mr. Adam Kahn, Foley Hoag LLP, Boston, Massachusetts, member of the Massachusetts Bar,

Ms Nienke Grossman, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the District of
Columbia, Member of the Virginia Bar,

Mr. Andrew Loewenstein, Foley Hoag LLP, Bo ston, Massachusetts, member of the Bar of
Massachusetts,

Ms Christine Williams, Foley Hoag LLP, Bost on, Massachusetts, member of the Bar of
Massachusetts,

Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor, Faculty of Law, University of Macerata,

Ms Paola Gaeta, Professor, Faculty of Political Sciences, University of Florence,

Mr. Sebastian Lopez Escarceña, Graduate Researcher, University of Edinburgh,

Mr. Alberto Pérez Pérez, Professor, Faculty of Law, University of the Republic, Montevideo,

Asdvisers;

The Government of the Argentine Republic is represented by:

H.E. Ms Susana Ruiz Cerutti, Ambassador, Lega l Counsel, Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Religious Worship,

as Agent; - 6 -

S. Exc. M. Santos Goñi Marenco, ambassadeur de la République argentine auprès du Royaume des
Pays-Bas,

comme coagent ;

M. Alain Pellet, professeur de droit international public à l’Université de Paris X-Nanterre, membre

de la Commission du droit international des Nations Unies,

M. Marcelo Kohen, professeur de droit interna tional à l’Institut universitaire de hautes études
internationales, Genève,

comme conseils et avocats ;

M.Alan Béraud, ministre, ambassade de la Ré publique argentine auprès de l’Union européenne,

ancien conseiller juridique du ministère des affaires étrangères, du commerce international et du
culte,

M. Holger Martinsen, ministre, bureau du conseille r juridique du ministère des affaires étrangères,
du commerce international et du culte,

M. Victor Marzari, conseiller d’ambassade, bureau du conseiller juridique du ministère des affaires

étrangères, du commerce international et du culte,

M.Fernando Marani, secrétaire d’ambassade, bureau du conseiller juridique du ministère des
affaires étrangères, du commerce international et du culte,

M.Gabriel Herrera, secrétaire d’ambassade, bureau du conseiller juridique du ministère des
affaires étrangères, du commerce international et du culte,

Mme Florencia Colombo Sierra, direction de la presse du ministère des affaires étrangères, du
commerce international et du culte,

M. Daniel Müller, chercheur au Centre de droit in ternational de Nanterre (CEDIN), Université de

Paris X-Nanterre,

Mme Urusula Zitnik, bureau du conseiller juridi que du ministère des affaires étrangères, du

commerce international et du culte,

Mme Andrea Blumtritt, bureau du conseiller juridi que du ministère des affaires étrangères, du
commerce international et du culte,

comme délégués. - 7 -

H.E. Mr. Santos Goñi Marenco, Ambassador of the Argentine Republic to the Kingdom of the

Netherlands,

as Co-Agent;

Mr. Alain Pellet, Professor of Public International Law, University of Paris X-Nanterre, member of
the United Nations International Law Commission,

Mr. Marcelo Kohen, Professor of International Law, Graduate Institute of International Studies,

Geneva,

as Counsel and Advocates;

Mr. Alan Béraud, Minister, Embassy of the Arge ntine Republic, European Union, former Legal
Counsel, Ministry of Foreign Affairs, International Trade and Religious Worship,

Mr. Holger Martinsen, Minister, Office of Legal Counsel, Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Religious Worship,

Mr. Victor Marzari, Embassy Counsellor, Office of Legal Counsel, Ministry of Foreign Affairs,

International Trade and Religious Worship,

Mr. Fernando Marani, Embassy Secretary, Office of Legal Counsel, Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Religious Worship,

Mr. Gabriel Herrera, Embassy Secretary, Office of Legal Counsel, Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Religious Worship,

Ms Florencia Colombo Sierra, Press Directorate, Mi nistry of Foreign Affairs, International Trade
and Religious Worship,

Mr. Daniel Müller, docteur en droit, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre

(CEDIN), University of Paris X-Nanterre,

Ms Ursula Zitnik, Office of Legal Counsel, Minist ry of Foreign Affairs, International Trade and

Religious Worship,

Ms Andrea Blumtritt, Office of Legal Counsel, Ministry of Foreign Affairs, International Trade and
Religious Worship,

Dselegates. - 8 -

The PRESIDENT: Please be seated. The sitti ng is open. Judges Ranjeva, Abraham and

Keith are not sitting this afternoon.

I give the floor I suppose immediately to Professor Kohen?

M. KOHEN :

I. LA POSITION ARGENTINE SUR LA DEMANDE DE L ’U RUGUAY EN INDICATION

DE MESURES CONSERVATOIRES

1. Madame le président, Messieurs de la C our, dans sa décision du 29 novembre dernier, la

Cour avait prévu un second tour de plaidoiries orales «si nécessaire». Si elle avait été consultée,

l’Argentine aurait indiqué qu’elle n’en ressentait pas le besoin; mais la Partie uruguayenne,

comme c’était son droit, a fait savoir à la Cour qu’elle était d’un avis contraire. Les plaidoiries de

ce matin nous ont confortés dans l’idée qu’un second tour n’était pas vraiment nécessaire. La

Partie uruguayenne n’a pas répondu à nos arguments qui motivent le rejet de sa demande de

mesures conservatoires.

2. Nous avons répondu hier aux quelques points des plaidoiries de nos amis de l’autre côté

de la barre qui nous ont paru devoi r être réfutés tout particulièreme nt et nous ne pensons pas qu’il

soit indispensable d’abuser de la patience de la Cour en revenant point par point sur ce que les

conseils de l’Uruguay ont dit. En revanche , ce second tour nous donne l’occasion de récapituler

très brièvement l’argumentation de la République ar gentine sur les points de droit qui divisent les

Parties.

3. Madame le président, à ce stade des plaidoiries orales, mieux vaut aller à l’essentiel, sans

s’essayer ni à «faire savant», ni à suivre nos contradicteurs et néanmoins amis dans les méandres de

leurs démonstrations compliquées et parfois sinue uses. Je vais donc me borner, en limitant au

maximum les notes de bas de page et les citations , à rappeler les conditions que met le Règlement

de la Cour, complété par sa jurisprudence, à l’ indication de mesures conservatoires du droit de

chacun et à rappeler la position de mon pays à propos de chacune d’elles.

4. Chacun le sait, ces conditions sont, en prin cipe, au nombre de trois. Pour que la Cour

indique de telles mesures, il faut :

1) que la compétence de la Cour soit établie, au moins prima facie ; - 9 -

2) qu’il existe «un risque de préjudice irréparable aux droits en litige» ; et

3) qu’il y ait urgence.

5. L’une des singularités de l’incident de procédure sur lequel vous êtes appelés à vous

prononcer, Madame et Messieurs les juges, concerne la première de ces conditions. A l’évidence,

ni l’Argentine, ni l’Uruguay ne c ontestent que la Cour ait compétence ⎯et pas seulement prima

facie ⎯ pour se prononcer sur le différend que l’Argentine lui a soumis, sur la base de l’article 60

du statut du fleuve Uruguay. Mais un problème se pose en aval : l’Uruguay soutient, et l’Argentine

conteste, que la Cour puisse se prononcer, non pas sur le litige initial, défini par la requête du 4 mai

dernier, mais sur la demande de l’Uruguay du 29 novembre. J’aborderai ce problème en premier

lieu ⎯ce qui, par la même occasion, me permettra de cerner la question de savoir quels sont les

«droits en litige» dont il s’agit (A), avant de dire quelques mots des prétentions de l’Uruguay selon

lesquelles ces droits seraient sous la menace imminente (C) d’un préjudice irréparable (B).

A. Les droits en litige ⎯ la question de la «connexité»

6. Madame le président, la question de la «com pétence» de la Cour, telle que je viens de la

définir, se pose de la manière suivante. Il est t out à fait évident que ce n’est pas parce que la Cour

est régulièrement saisie d’un différend qu’elle peut accueillir n’importe quelle demande de mesures

conservatoires que l’une ou l’autre des Parties pourrait lui soumettre. Si, demain (ou il y a

quelques jours ⎯ car hélas ce n’est pas une hypothèse d’école…), l’Uruguay imposait des droits de

douane sur des marchandises en provenance de l’Argentine au mépris des règles du Mercosur ou de

l’OMC, ceci ne justifierait certainement pas le pr ononcé par la Cour de mesures conservatoires des

droits que l’Argentine tient du traité d’Asunció n ou du GATT de 1994 au prétexte qu’une affaire

opposant les deux pays est inscrite au rôle de la Cour et que le comportement uruguayen

aggraverait le différend que vous devez trancher.

7. Or ceci, Madame et Messieurs les juges, est à peu près exactement ce que vous demande

l’Uruguay: ce pays se plaint de ce que l’Argentine (prétendument, car c’est loin d’être avéré) ne

réagirait pas avec une rigueur suffisante aux acti ons spontanées de la population de la province

d’Entre Rios qui entraveraient sporadiquement et tr ès partiellement la liberté de circulation et de

transit entre les deux pays ⎯ je tiens à rappeler au passage que nos contradicteurs nous font tout de - 10 -

même la grâce de reconnaître que ces agissements ne sont ni directement attribuables à l’Argentine,

ni fomentés «sur les instructions ou les directiv es ou sous le contrôle» de l’Argentine; «aucune

preuve irréfragable ne vient étayer une telle hypothèse» ⎯ ce n’est pas moi qui le dis, Madame le

1
président, mais mon excellent collègue et ami le professeur Luigi Condorelli . A quelles règles de

droit international ces entraves seraient-elles contraires ? Au statut de 1975, seul fondement de la

compétence de la Cour dans notre affaire? Mais non! Au traité d’Asunción organisant le

Mercosur…

8. Ce matin, mon collègue Alan Boyle a reconnu que la deuxième demande du petitum de

l’Uruguay devant le Tribunal ad hoc du Mercosur est exactement identique à la première mesure

conservatoire que l’Uruguay demande devant votre Cour. Disons en passant que l’Uruguay a été

2
débouté par le Tribunal arbitral à propos de cette demande . Mon collègue Alan Boyle a également

prétendu faire une distinction entre le but des di fférents barrages dans le temps. Apparemment,

selon notre contradicteur, le but des manifestants a changé : il s’agirait maintenant de faire renoncer

l’Uruguay à son prétendu droit de construire l’us ine Orion. Voilà qui contredit totalement la

demande de l’Uruguay: «One year ago, Argen tina allowed a similar blockade by the same

Argentine citizen groups, and for the same stated purpose ⎯to force Uruguay to terminate

construction of the cellulose plants.» 3 Comme l’Argentine l’a dit hier 4, les mouvements sociaux

ont commencé au moment même où les projets ont été connus. Leur but a toujours été le même :

que les usines projetées ne s’installent pas dans la région.

Alan Boyle a également essayé de réduire l’importance de ce que l’Uruguay lui-même a

reconnu dans son mémoire soumis au Tribunal du Mercosur quant à l’absence de lien entre la

construction de l’usine Orion et la libre circulation. Pour s’en expliquer, il s’est référé au contexte

5
de ce passage . Le résultat est que la position argentine en sort confortée.

9. Le paragraphe du mémoire uruguayen en question que nous avons cité affirme :

1
CR 2006/54, p. 31, par. 6 (Condorelli).
2
Voir point 3 du dispositif de la sentence arbitr ale, demande uruguayenne en indication de mesures
conservatoires, annexe 2.
3
P. 4, par. 7.
4CR 2006/55, p. 10, par 13-14 (Ruiz Cerutti).

5CR 2006/56 par. 7-8 (Boyle). - 11 -

«En premier lieu, la construction des usines susmentionnées et les possibles
considérations environnementales en rapport avec elles sont absolument étrangères au

différend [porté devant le Tribunal d’arbitrage ad hoc]. Elles ne peuvent pas faire
partie des faits ou des bases juridiques du différend.»

L’explication qui suit dans le mémoire uruguayen, et que le professeur Boyle a lue, affirme tout

simplement que les motivations environnementaliste s des manifestants ne peuvent pas justifier le

barrage des routes sous prétexte de la protection de l’environnement. Clairement, cela ne change

rien à la chose : «la construction des usines susm entionnées est absolument étrangère au différend

[porté devant le Tribunal d’arbitrage ad hoc]». Le but de l’Uruguay était d’ôter toute signification

aux motivations des manifestants comme cause de justification de leur comportement. Maintenant,

il prétend que le but des manifestants est l’élément décisif ⎯ le seul au fond ⎯ qui permettrait de

relier leur comportement au statut du fleuve Uruguay.

10. En effet, nous disent nos contradicteurs , il y a un lien avec l’affaire dont la Cour est

compétente pour connaître : sans doute l’illicéité (pré tendue) de ces actions ne tient-elle pas à leur

contrariété avec les règles du statut du fleuve Uruguay, mais l’objectif recherché par les

mouvements sociaux de la province d’Entre Ríos, que l’Argentine ne réprime pas au goût de la

Partie uruguayenne, est le même que celui que poursuit l’Argentine lorsqu’elle a introduit sa

requête devant la Cour. L’Urug uay prétend, mais n’a pas démontré, que le but des manifestants

c’est de contraindre l’Uruguay à renoncer à son éventuel droit. Les manifestants souhaitent que le

Gouvernement uruguayen arrête la construction ou relocalise l’usine Orion. La question de savoir

si l’Uruguay a ou non un droit est tout à fait autr e. Madame et Messieurs les juges, des

manifestations et des mouvements sociaux il y a da ns tous les pays ou presque, y compris par des

actions telles que l’installation de barrages routiers, y compris d’ailleurs en Uruguay. Que des

citoyens demandent à des gouvernements, les leurs ou étrangers, de suivre telle ou telle politique,

n’est pas une nouveauté. Qu’ils le fassent par d es mesures qui risquent de créer des difficultés à

ceux directement concernés ou à la population en général, ce n’est pas une nouveauté non plus.

11. Mais admettons la thèse uruguayenne pour le b esoin de la plaidoirie. Où est le lien de

causalité juridique? En quoi le fait que des mani festants protestent contre l’implantation d’une

usine géante sur la rive opposée à celle sur laque lle ils habitent causerait un préjudice irréparable

aux droits que l’Uruguay prétend tenir du st atut du fleuve Uruguay? Comment la Cour

pourrait-elle condamner l’Argentine ⎯à quoi d’ailleurs? A faire cesser des mouvements de - 12 -

protestation qui, s’ils étaient illicites le seraient pa rce qu’ils portent atteinte à de prétendus droits

dont la Cour ne peut imposer le respect car ⎯ et les deux Parties sont d’accord sur ce point ⎯ ils

découlent d’instruments dont la Cour ne peut connaître ? Une telle demande n’est évidemment pas

recevable. Et j’ajoute à ce sujet que, conformément à une jurisprudence bien établie, la Cour ne se

préoccupe pas des mobiles, des intenti ons; elle juge les faits, les actes ( Droit d’asile

(Colombie/Pérou), arrêt , C.I.J. Recueil 1950 , p.287; Barcelona Traction, Light and Power

Company, Limited (Belgique c. Espagne) (nouvelle requête: 1962) , exceptions préliminaires ,

arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 20).

12. Avec une adresse suspecte ⎯ tout ce qui est artificiel est suspect, l’Uruguay s’efforce de

tourner la difficulté en inventant de toutes pièces deux prétendus droits qui lui appartiendraient en

tant que partie à l’affaire dont l’Argentine a saisi la Cour, en particulier le droit qu’il aurait à ce que

ce différend fasse l’objet d’un arrêt de la Cour sur le fondement de l’article 60 du statut de 1975.

13. Je relève en passant la grande discrétion de la Partie uruguayenn e quant aux articles du

statut du fleuve qui se rattachent au prétendu droit de l’Uruguay de construire l’usine Orion. Pour

la première fois aujourd’hui elle s’est crue dans l’obligation de le faire. Ce droit serait la

conséquence de son droit s ouverain à un développement dur able, conformément à une

interprétation «correcte» (proper) de ses obligations découlant de la procédure prévue aux

articles 7 à 12 du statut du fleuve 6. Nous prenons acte de cette affi rmation. Mais ceci n’explique

pas concrètement comment ni de quels droits précis l’Uruguay se prévaut, ni en quoi ils

risqueraient de subir un préjudice irréparable. Os tensiblement, la Partie adverse refuse de s’en

expliquer.

14. J’ajoute que, contrairement aux affirm ations répétées de la Partie uruguayenne,

l’ordonnance de la Cour du 13 juillet 2006 n’a év idemment créé aucun dr oit de ce genre: en

refusant de donner suite aux demandes de l’Arge ntine, la Cour n’a pas imposé à l’Uruguay

d’arrêter la construction de Botnia ⎯ il la poursuit à ses risques et périls. Mais, en revanche, il est

faux d’affirmer qu’il a un droit de le faire en attendant l’arrêt sur le fond. C’est un choix de

l’Uruguay, un risque aussi; rien de plus. Quan t à l’Argentine, elle a le droit de continuer à

6
CR 2006/56, par. 18 (Boyle). - 13 -

protester contre ce qu’elle considère comme une viol ation substantielle d’un traité auquel elle est

viscéralement attachée: le statut de 1975, qu’elle estime totalement vidé de toute substance par

l’attitude de l’Uruguay. La jurisprudence LaGrand ne joue pas «à l’envers» : le refus par la Cour

d’ordonner les mesures conservatoires demandées par l’Argentine, au mois de mai dernier, ne

revient pas à donner un blanc-seing à la Partie dé fenderesse, qui demeure entièrement responsable

de ses actes. De la même manière d’ailleurs si , comme l’Argentine en est persuadée, vous refusez

d’indiquer les mesures demandées aujourd’hui par l’autre Partie, ceci ne constituera pas une sorte

d’«absolution» générale de son comportement au cas où, par impossible, celui-ci devait être

considéré comme contraire à d’autres règles du droit international ⎯ sans rapport, je le répète avec

l’affaire qui vous est soumise.

15. Quant à l’autre «droit» dont l’Uruguay se pr évaut, il est tout aussi artificiel. L’Uruguay

invente en effet de toutes pièces une sorte de «statut juridique» de l’Etat partie au différend. Selon

cette thèse très nouvelle, à partir du moment où la C our est saisie, tout s’arrêterait ; et, comme au

musée Grévin ou chez Madame Tussaud, la haute juridiction évoluerait dans un musée de cire,

instantané figé d’une situation pourtant forcément évolutive et changeante. Ce n’est certainement

pas manquer de respect à la haute juridiction que de considérer que, bien au contraire, «la vie

continue» et la diplomatie, par exemple, ne perd pas ses droits. Bien au contraire, la Cour

elle-même l’a souvent rappelé : «en attendant une décision de la Cour sur le fond, toute négociation

entre les Parties en vue de parvenir à un règlement direct et amiable serait la bienvenue» ( Passage

par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991,

C.I.J. Recueil 1991, p. 20, par. 35. Voir aussi Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de

Gex, ordonnance du 19août1929, C.P.J.I. sérieA n°22 , p.13 ou Différend frontalier, arrêt,

C.I.J. Recueil 1986, p. 577, par. 46).

16. Je connais l’objection, Madame le président : ce qui est en cause ici, selon l’Uruguay, ce

n’est pas l’action diplomatique de l’Argentine ma is la prétendue «contra inte» à laquelle celle-ci

essaie de le soumettre. Nous l’avons dit clairement, la Cour n’a pas compétence pour examiner les

longs développements de nos contradicteurs sur le fond d’un différend qui n’est pas devant votre

haute juridiction; je regrette de décevoir sur ce point les attentes de mon ami LuigiCondorelli:

pour que la discussion sur les problèmes d’attribu tion, qu’il a fort savamment développés, soit - 14 -

pertinente, il faudrait d’abord que vous ayez compétence pour entrer en matière ; cette compétence,

Madame et Messieurs les juges, vous ne l’avez pas.

17. Sans entrer donc dans cette discussion, qu’il me soit permis seulement de rappeler qu’il

ne pourrait s’agir d’une contrainte illicite que si, comme le rappelle la Commission du droit

international dans son commentaire de l’article 18 des Articles sur la responsabilité de l’Etat pour

fait internationalement illicite, nous étions en présence d’«[u]n comportement qui soumet la

volonté de l’Etat sur lequel la contrainte est exercée…, ce dernier Etat n’ayant effectivement

d’autre choix que de faire ce que veut l’Etat qui exerce la contrainte. Il ne suffit pas que

l’exécution de l’obligation soit rend ue plus difficile ou plus onéreuse» 7. Et, plus loin, la

Commission d’ajouter: «L’Etat qui exerce la contrainte doit provoquer l’acte qui est

internationalement illicite lui-même. Il n’est pas suffisant que les conséquences du fait ainsi
8
provoqué rendent l’exécution de son obligation plus difficile pour l’Etat qui subit la contrainte» .

Mutatis mutandis, il en va de même ici : même en ad mettant que le comportement que l’Uruguay

attribue à l’Argentine rende le ma intien de la construction de l’usine Botnia «plus difficile ou plus

onéreuse» (ce que l’Uruguay n’a d’ ailleurs nullement établi et qui d’ailleurs n’est pas vrai), elle

n’est, visiblement, pas impossible.

18. Au demeurant, là n’est pas la question. Elle est, bien plutôt, qu’il n’existe, décidément,

aucun lien de connexité juridique entre la demande de l’Uruguay, d’ une part, et le statut de 1975

qui constitue le fondement de la juridiction de la Cour, ni l’objet même de la requête dont celle-ci a

été saisie par l’Argentine en mai dernier, d’autre part.

19. Du reste, supposons que l’Uruguay saisisse la Cour du litige qu’il tente aujourd’hui de lui

faire trancher par le biais de sa demande de m esures conservatoires, par la voie d’une nouvelle

requête, fondée sur l’article 60 du statut de 1975. Il semble aller de soi que la Cour récuserait sa

compétence faute de lien juridictionnel : cette dis position ne permet pas à la haute juridiction de se

prononcer sur n’importe quel litige entre les Parties, mais seulement sur «[t]out différend

concernant l’interprétation ou l’application du traité et du statut…» ; celui que l’Uruguay présente à

7
Rapport de la CDI sur les travaux de oa cinquante-troisième session (2001), Documents officiels de l’Assemblée
générale, cinquante-sixième session, supplément n 10 (A/56/10), p. 176, par. 2 du commentaire de l’article 18.
8 Ibid. - 15 -

la Cour n’a aucun rapport avec cela. L’article 60 ne tourne pas dans le vide. L’Uruguay croit

pouvoir l’invoquer sans se référer à aucune règle de fond du traité dans lequel il est inclus. Il

semblerait que la Partie uruguayenne transforme l’article 60 du statut du fleuve Uruguay en une

sorte de traité général de règlement judiciaire des différends entre nos deux pays !

B. Le prétendu «préjudice irréparable»

20. Admettons cependant, Madame le préside nt, que la demande de l’Uruguay remplisse

cette première condition et que la Cour considère («par impossible» comme l’on dit) qu’il existe un

lien de connexité juridique ra isonnable entre cette demande incidente et le différend dont la Cour

est appelée à connaître au principal. Il faudrait encore que l’Uruguay établisse la preuve que les

droits qui seraient «en litige», pour lui en cause, fassent l’objet d’un préjudice irréparable.

21. Or, au-delà de quelques mentions du bout des lèvres, nos contradicteurs sont restés

singulièrement discrets aussi bien sur son éventualité que sur sa consistance. A cet égard, il est tout

à fait intéressant d’observer la manière dont le professeur Boyle a esquivé le problème dans ses

plaidoiries: après avoir affirmé l’imminence d’un tel préjudice, il est passé, sans transition à des

considérations très générales sur les droits souve rains de l’Uruguay à un développement durable et

à l’exploitation de ses propres ressources natu relles conformément à ses propres politiques

environnementales (its own natural resources in accordance with its own environmental policies) 9.

Je passe sur le fait que ce qui est en cause ce n’est pas le droit du seul Uruguay, mais celui des deux

Parties, à un environnement durable, et qu’il ne s’ agit pas d’une ressource naturelle exclusive à

l’Uruguay mais, justement, d’une ressource nature lle partagée, soumise au surplus à des règles

communes notamment en matière d’environnement. Ceci étant, au mieux, cela concerne le fond de

l’affaire, mais n’indique aucunement en quoi les faits sur lesquels s’appuie l’Uruguay (même en les

présentant à sa manière) pourraient s’analyser comme une menace imminente de préjudice

irréparable aux droits et intérêts juridiques dont il peut se prévaloir dans le cadre de l’affaire dont

l’Argentine a saisi la Cour.

22. Alors quels préjudices irréparables aux droits dont l’Uruguay se prévaut —et dont je

rappelle le caractère totalement artificiel ? Le dr oit de construire l’usine Orion ? A supposer que

9
CR 2006/54, p. 49, par. 14. Voir aussi, p. 49-50, par. 15-16. - 16 -

ce droit existe, nous avons affirmé hier ⎯ et nos contradicteurs ne l’ont pas réfuté aujourd’hui ⎯

que les barrages n’entravent nullement la constructi on de l’usine. Ils prétendent que c’est par le

«chantage» que l’Argentine voudrait obtenir que l’ Uruguay décide, sous la pression, d’arrêter les

10
travaux de construction . Si tel était le cas, rien ne l’empêcherait de tenter de faire déclarer par la

Cour que l’Argentine porte la respon sabilité de ce fait prétendument illicite ⎯il lui «suffirait»

pour cela de montrer qu’il s’agit d’une violation du st atut de 1975. «Suffirait» est évidemment une

façon de parler, car je me demande avec intérêt co mment il s’y prendrait. Il reste que, si dommage

il y avait en conséquence d’un fait internati onalement illicite, celui-ci serait parfaitement

«réparable».

23. Quant au prétendu droit à un arrêt, tout aussi artificiel, il ne peut évidemment y être porté

atteinte qu’en cas de désistement (ce qui laisserai t intact, sur le fond, les droits de l’Uruguay);

encore faut-il rappeler qu’en vertu de l’article 89 du Règlement, un désistement du demandeur

n’est possible qu’avec l’accord du défendeur si cel ui-ci a fait acte de procédure. Et, si ceci peut

rassurer nos amis uruguayens, l’Argentine est prête à leur garantir que, dans l’attente de leur

contre-mémoire, elle ne se désistera pas sans leur accord…

24. Madame le président, tout ce que je vien s de dire ressemble beaucoup à un raisonnement

ab absurdo. Il est, en effet, tout simplement absurde de penser que les droits dont l’Uruguay dit se

prévaloir puissent faire l’objet d’un préjudice quelconque et, à fortiori, d’un préjudice irréparable.

Pour surplus de droit, j’ajoute que ceux dont il dit ne pas se prévaloir dans la présente affaire ⎯ la

liberté de circulation et de tr ansit dans le cadre du Mercosur ⎯ relèvent en effet d’un autre cadre

juridique et ne sont pas en cause.

C. La prétendue «urgence»

25. Dans ces conditions, il devient presque surr éaliste de s’interroger sur l’urgence qu’il y

aurait à préserver ces prétendus «préjudices irréparables». En espérant ne pas abuser de la patience

de la Cour, par acquit de conscience, j’en dirais cependant quelques mots.

26. Et d’abord pour indiquer que l’Argentin e n’ait plus aucune difficulté à admettre qu’il

n’est évidemment pas nécessaire qu’un préjudice so it advenu pour que l’urgence soit avérée et que

10
CR 2006/56, p. 21, par. 9 (Condorelli). - 17 -

l’imminence d’un préjudice irréparable pourrait just ifier l’indication de mesures conservatoires.

Encore faudrait-il qu’il y ait eu imminence. Or, Ma dame le président, celle-ci est aussi introuvable

que le préjudice irréparable à des droits ⎯ improbable aussi ⎯ qu’il faudrait préserver.

27. L’Uruguay serait-il sur le point de céder à ce qu’il dit, fort peu aimablement, être le

«chantage» qu’exercerait l’Argentine ? Il semble pl us décidé que jamais à finir la construction de

l’usine Orion. Les participants aux mouvements sociaux de la province d’EntreRios seraient-ils

prêts à déferler sur le site d’Orion pour en empêcher la construction ? Evidemment non et le retrait

avant-hier des troupes que le Gouvernement uruguayen avait envoyées sur place, à la demande

expresse et insistante de la direction de l’entreprise Botnia elle-même, suffit à montrer qu’il n’y

avait là qu’une urgence «arrangée». L’Uruguay serait-il économiquement asphyxié par l’action,

des manifestants? Les chiffres de son développe ment sont flatteurs. Ses relations économiques

avec l’Argentine seraient-elles atteintes? E lles connaissent une croissance exponentielle. Son

tourisme serait-il menacé? Il se porte très bien . Au surplus, tout ceci est sans rapport avec

l’affaire soumise à la Cour par l’Argentine.

28. C’est que, Madame le président, là est tout le problème ⎯ tout le problème de l’Uruguay

s’entend! Essentiellement, l’argumentation de la République orientale d’Uruguay dans cette

instance est «hors sujet»: elle tente de soumettr e à la Cour, «incidemment», un différend qui n’a

aucun lien sérieux avec le litige dont celle-ci est régulièrement saisi sur le fondement de l’article 60

du statut de 1975. Du coup, les droits dont elle dit se prévaloir sont spécieux, et le préjudice dont

ils seraient menacés de manière imminente est totalement artificiel.

J’aj.ute ⎯ et ce sera mon dernier mot, que mê me si vous pouviez connaître, Madame et

Messieurs les juges, de cet autre différend, ce qui décidément n’est pas le cas, vous ne pourriez pas

non plus ordonner des mesures conservatoires à so n sujet: aucun droit appartenant à l’Uruguay

(mais quel droit ?), aucun droit dont l’Uruguay pourrait hypothétiquement se réclamer n’appellerait

une protection urgente contre un très douteux pr éjudice dont l’«irréparabilité» n’est, de toutes

manières, pas établie.

30. Je vous remercie Madame le président de vot re patience et vous prie de donner la parole

à l’agent de la République argentine. - 18 -

The PRESIDENT: Thank you, Professor Kohen. I now call Her Excellency

Ms Ruiz Cerrutti, the Agent of Argentina.

MmeRUIZ CERUTTI: Madame le président, Messieurs les juges, c’est un grand honneur

de faire la plaidoirie finale de la République ar gentine à l’occasion de la demande en indication de

mesures conservatoires présentée par l’Uruguay le 30 novembre dernier devant la Cour.

Cinq éléments sont au cŒur de cette de mande incidente de l’Uruguay, que je voudrais

signaler d’une manière vraie.

Si quelqu’un qui ne connaît pas l’affaire pendante devant la Cour avait entendu les

plaidoiries des représentants de l’Uruguay ces deuxde rniers jour, il aurait forcément l’impression

que c’est l’Uruguay qui a saisi la Cour en défense de ce qu’il dit être ses droits contre des voies de

fait d’un autre pays et que c’est l’Uruguay le pays qui est toujours disponible pour trouver un

règlement négocié du différend.

Point un

Sur ce premier point il faut rappeler que :

⎯ c’est l’Argentine qui a saisi la Cour, manifest ant ainsi sa confiance totale pour la justice

internationale ;

⎯ c’est l’Argentine qui a porté plainte dans l’affaire sur les Usines de pâte à papier sur le fleuve

Uruguay à travers la requête introductive d’instance présentée le 4mai2006. L’Argentine

demande à la Cour que les droits lui apparten ant en vertu du statut du fleuve Uruguay de 1975

soient reconnus et protégés effectivement face à l’octroi par l’Uruguay d’une autorisation

unilatérale de construction d’usines de pâte à papier et des installations connexes sur le fleuve

Uruguay ;

⎯ c’est l’Argentine qui a invoqué l’article 60 du statut pour soumettre les droits et obligations de

procédure et de fond résultant du même statut à la connaissance et à la décision de la Cour ;

⎯ c’est l’Argentine qui est consciente de l’urgence qu’il y a à ce que la Cour décide le plus

rapidement possible, qui a prié la Cour de s’en tenir aux délais les plus courts possibles pour

rendre sa décision. L’Argentine n’a pas pris da vantage de l’offre généreuse de la Cour de

retarder la présentation de son mémoire su ite à la demande uruguayenne de mesures - 19 -

conservatoires. Nous allons déposer notre mé moire le 15janvier prochain comme cela a été

décidé par la Cour malgré la très lourde charge que la présentation simultanée de ces

deux actes de procédure lui a imposée.

Point deux

La demande en indication de mesures conserva toires n’a aucun lien avec le statut du fleuve

Uruguay. Elle se fonde sur l’article60 en tant que base de la compétence de la Cour mais cette

clause ne peut trouver application que si des droits et obligations de substances sont en cause. Sur

ce point, l’Uruguay a laissé planer un mystère total.

Point trois

L’Uruguay prétend que les barrages de routes lui causent un préjudice.

L’Argentine l’a souligné au cours de ses plaidoiri es : ni la liberté de circulation ni la liberté

de commerce ni le tourisme ne sont des droits régis par le statut du fleuve Uruguay.

Sur la base d’un artifice qui n’a rien de juridique, l’Uruguay prétend que la Cour connaisse

de la question qu’il soulève, en essayant de crée r un prétendu lien entre les objectifs des habitants

de la ville de Gualeguaychu qui dressent des barrages de routes en territoire argentin et un prétendu

risque d’arrêt de la construction de l’usine Orion.

Mais le résultat est contraire aux affirma tions de l’Uruguay, comme nous l’avons démontré

dans nos plaidoiries d’hier, les deux usines contestée s au moment du dépôt de notre requête devant

la Cour, dans l’affaire que nous avons soumise à la Cour, les deuxprojets se portent très bien.

ENCE a le projet de relocaliser son usine dans un endroit différent et de doubler son investissement

et la production, et tout ça en Uruguay. Quant à Botnia, le projet Orion continue à marche forcée

sans que rien l’en empêche.

Point quatre

L’Uruguay prétend que le barrage des routes en territoire argentin a eu des effets sur le

commerce et le tourisme entre les deux pays. - 20 -

J’ai signalé hier que, par rapport au commerce et au tourisme entre les deux pays, les chiffres

globaux montrent pour la période spécifique corres pondant à des barrages de routes, c’est-à-dire à

partir de novembre 2005, une croissance assez significative.

L’Uruguay a contesté ces chiffres et les conclu sions que nous en avons tirées. A l’appui de

l’information fournie par l’Argentine, j’invite la Cour à consulter les données les plus récentes,

de2006, de la CEPAL (la Commission économique pour l’Amérique latine) et de l’ALADI qui

siège à Montevideo (l’Association latino-américaine d’intégration). Ces chiffres confirment

pleinement les chiffres de croissance du comme rce bilatéral mentionnés par l’Argentine, et

enregistrent aussi une croissance du PIB de l’Uruguay de 7 % annuels pour l’année 2006.

J’invite aussi la Cour à consulter la page Inte rnet de la présidence de la République orientale

de l’Uruguay où l’on peut lire, à la date du 15 décembre dernier ⎯ c’est-à-dire vendredi dernier ⎯,

des informations fournies par le président de l’ Uruguay lui-même, qui indique que l’économie de

son pays se porte très bien. Tout cela démontre de façon éloquente que le prétendu étranglement de

l’économie de l’Uruguay n’est pas avéré.

C’est pour cela qu’il n’est p as sérieux d’affirmer comme on l’a entendu dans les plaidoiries

de l’Uruguay que les barrages de routes ont eu des «retombées néfastes» et sur l’économie de

l’Uruguay et sur la construction des usines. Il n’y a pas de préjudice, il n’y a pas une «nouvelle

tendance» qui puisse conduire à un préjudice. Il n’y a aucune escalade. Il n’y a pas un blocus total

de l’Uruguay. Il n’y a pas un étranglemen t économique de l’Uruguay comme conséquence du

barrage de routes. Aucune de ces affirmations uruguayennes n’est exacte.

Ceci dit, il faut rappeler encore une fois que les barrages de routes et la construction de

l’usine sont deux faits bien distincts, et que les dr oits protégés par le statut de 1975 qui permet la

saisine de la Cour sont bien différents du droit de transit par les routes du territoire argentin. Ceci

n’a aucun rapport avec les normes du statut de 1975 et, par suite, aucun rapport avec la compétence

de la Cour.

Point cinq

Comme je l’ai déjà noté, les barrages de routes en Argentine ne sont pas un phénomène

nouveau ni pour mon pays, ni pour l’Uruguay. Nous avons rappelé hier la saisine par l’Uruguay du - 21 -

système de règlement des différends du Mercosur à travers un tribunal ad hoc d’arbitrage,

exactement pour les mêmes faits que ceux qui sont invoqués par l’Uruguay dans sa demande de

mesures conservatoires.

Nous avons aussi rappelé que ce Tribunal ad hoc a rendu sa décision le 6 septembre dernier.

Et la matière est encore en examen dans le cadre du protocole d’Olivos.

L’Uruguay ne peut pas saisir tous les trois mois une voie juridictionnelle nouvelle comme il

le fait aujourd’hui devant la Cour pour obtenir une nouvelle décision sur les mêmes faits déjà jugés

par le Tribunal ad hoc du Mercosur.

En résumé, Madame le président, en juin dernier, l’Uruguay a saisi un tribunal ad hoc dans

le cadre du Mercosur des mêmes fa its que ceux qui forment la substa nce de sa demande devant la

Cour. Pour tenter de convaincre celle-ci qu’il s’ agit d’autre chose, les conseils de l’Uruguay ont

affirmé que les buts poursuivis par les manifestants de novembre ou de décembre sont différents de

ceux de janvier ou février dernier. Ceci est tout simplement inexact. S’il y a une chose que l’on

peut reconnaître aux membres de l’assemblée de Gualeguaychu, c’est certainement la

persévérance : dès l’origine, ils ont milité contre l’implantation des usines CMB et Orion sur la rive

du fleuve opposée à celle sur laquelle ils habitent; ils continuent à militer contre la construction

d’Orion. Ils ont constamment tenté d’attirer l’ attention des deux gouvernements (et pas seulement

du Gouvernement uruguayen) sur leurs positions. Il s ont constamment agi par des moyens divers

dont ⎯ mais pas uniquement ⎯ les barrages de routes. Et ce sont ces faits, l’ensemble de ces faits,

qui ont été soumis au Tribunal ad hoc du Mercosur et sur lesquels celui-ci s’est prononcé.

Finalement, un aspect que la République argentin e doit rejeter de la façon la plus énergique

c’est l’affirmation de l’Uruguay devant la C our selon laquelle le Gouvernement argentin a

encouragé les barrages dans la région de Guale guaychu. Je dois également rejeter de la même

manière les accusations inadmissibles de chanta ge qu’on a entendues ce matin de la part des

conseils de l’Uruguay.

Le président de l’Argentine, M.Néstor Ki rchner, a clairement établi la position de notre

gouvernement par rapport aux barrages de routes su r laquelle se base la demande de mesures

conservatoires de l’Uruguay. Je cite ce qu’il a réellement dit: «Je ne suis pas d’accord avec les

barrages de routes … si certains pensent qu’il faut réprimer nos frères de Gualeguaychu …je ne - 22 -

pense pas le faire…» Voilà la vérité : notre chef d’Etat désapprouve les barrages ; il se refuse à les

réprimer. Les autorités argentines entendent agir et elles le font partout dans notre pays à travers

une politique active de persuasion, et non pas pa r la répression, pour décourager ce type de

mouvements sociaux.

D’autre part, et en rapport avec les alléga tions faites par l’Uruguay sur la mission de

facilitation que poursuit Sa Majesté le roi d’Espa gne, je tiens à signaler que l’Argentine non

seulement donne son plein accord à cette mission pour laquelle l’Argentine exprime ses vifs

remerciements mais que ce fut l’Argentine qui a so llicité Sa Majesté de bien vouloir accomplir ce

rôle. Comme c’est de notoriété publique, je ra ppelle à quelle occasion ça s’est passé : au début du

mois de novembre se tenait le sommet des ch efs d’Etat et de gouvernement des pays

ibéro-américains justement à Montevideo ⎯l’Uruguay était le siège de ce sommet ⎯, et c’est à

cette occasion que le roi d’Espagne était à Montev ideo et que le président Kirchner lui a demandé

d’essayer de traiter une mission de facilitation pour pouvoir résoudre de façon négociée notre

différend. Il a fait la même chose au début de l’année, le 1 ermars exactement, quand, à l’ouverture

du Parlement en Argentine ⎯ l’ouverture annuelle de notre congrès ⎯, il a invité publiquement le

président uruguayen à mener une négoc iation directe sur l’affaire des Usines de pâte à papier .

Comme il est aussi publiquement connu, l’Uruguay a mis fin à cette négociation en avril2006.

C’est là que l’Argentine a décidé de saisir la Cour, le 4 mai dernier.

Pour conclure, Madame le président, Messieurs les Membres de la Cour, de la demande

uruguayenne s’ensuit clairement que la Cour n’est pas compétente sur la base de l’article60 du

statut du fleuve Uruguay pour se prononcer sur les mesures conservatoires demandées par

l’Uruguay.

La demande de l’Uruguay n’est pas non plus recevable en raison de son absence de lien avec

l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay introduite par l’Argentine sur la base de

la violation par l’Uruguay des règles du statut de 1975.

La demande uruguayenne n’a pas non plus de lien avec le fond du différend soumis par

l’Argentine à votre haute juridiction.

La République argentine prie donc la Cour de bien vouloir se déclarer incompétente pour en

connaître ou la déclarer irrecevable. - 23 -

Avant d’en terminer complètement, Madame le président, je souhaite seulement remercier le

greffier et le personnel du Greffe, et en particu lier les interprètes, pour leur assistance efficace et

vous remercier, Madame et Messieurs les juges, pour votre attention. Merci beaucoup.

The PRESIDENT: Thank you, Your Excellency. That brings the present series of sittings to

an end.

It remains for me to thank the representatives of the two Parties for the assistance they have

given to the Court by their oral observations in the course of these four hearings.

I wish them a happy return to their respectiv e countries and, in accordance with practice, I

would ask the Agents to remain at the Court’s dispo sal and subject to this reservation, I declare the

present oral proceedings closed.

The Court will render its Order on the request for the indication of provisional measures as

soon as possible. The date on which this Order w ill be delivered at a public sitting will be duly

communicated to the Agents of the Parties.

As the Court has no other business before it today, the sitting is closed. The Court now rises.

The Court rose at 5.30 p.m.

___________

Document Long Title

Public sitting held on Tuesday 19 December 2006, at 4.30 p.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding

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