CR 2006/46
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2006
Audience publique
tenue le jeudi 8 juin 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président,
en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2006
Public sitting
held on Thursday 8 June 2006, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Higgins presiding,
in the case concerning Pulp Mills on the River Uruguay
(Argentina v. Uruguay)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : Mme Higgins,président
Al-Kh.vsce-prh,ident
RanMjev.
Koroma
Parra-Aranguren
Buergenthal
Owada
Abraham
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skjoteiskov,
BeTroáesz.
juiesesa, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Presideitgins
Vice-Presi-Kntasawneh
RanjevJaudges
Koroma
Parra-Aranguren
Buergenthal
Owada
Abraham
Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc TorresBernárdez
Vinuesa
CoRuvrisrar
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République argentine est représenté par :
S. Exc. Mme Susana Ruiz Cerutti, ambassadeur, conseiller juridique du ministère des relations
extérieures, du commerce international et du culte,
comme agent;
S. Exc. M. Horacio A. Basabe, ambassadeur, dir ecteur général de l’Institut du service extérieur de
la nation, ancien conseiller juridique du ministère des relations extérieures, du commerce
international et du culte, membre de la Cour permanente d’arbitrage,
S. Exc. M. Santos Goñi Marenco, ambassadeur de la République argentine auprès du Royaume des
Pays-Bas,
comme coagents;
M. Alain Pellet, professeur de droit international public à l’Université de Paris X-Nanterre, membre
de la Commission du droit international des Nations Unies,
M. Philippe Sands, professeur de droit international à l’Université de Londres,
M. Marcelo Kohen, professeur de droit interna tional à l’Institut universitaire de hautes études
internationales, Genève,
Mme Laurence Boisson de Chazournes, professeur de droit international à l’Institut universitaire de
hautes études internationales, Genève,
comme conseils et avocats;
S. Exc. M. Raúl Estrada Oyuela, ambassade ur, représentant spécial pour les affaires
environnementales internationalesau ministère des affaires étrangères, du commerce international
et du culte,
comme conseil et expert;
S. Exc. M. Julio Barboza, ambassadeur, professeur de droit international public à l’Université de
Buenos Aires, ancien membre de la Commis sion du droit international des Nations Unies,
Mme Silvina González Napolitano, professeur de droit international public à l’Université de
Buenos Aires,
Mme Claudia Mónica Mizawak, procureurde la province argentine d’Entre Rios,
Mme Romina Picolotti, présidentedu Centre des droits de l’homme et l’environnement (CEDHA),
M. Daniel A. Sabsay, président de la Fundación Argentina para los Recursos de la
Naturaleza(FARN),
M. Juan Carlos Vega, avocat spécialisé dans laprotection internationale des droits de l’homme,
comme conseils et experts juridiques; - 5 -
The Government of the Argentine Republic is represented by:
H.E. Ms Susana Ruiz Cerutti, Ambassador, Legal Counsel for the Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Religious Worship,
as Agent;
H.E. Mr. Horacio A. Basabe, Ambassador, Director of the Argentine Institute for Foreign Service,
former Legal Counsel to the Ministry of Fore ign Affairs, International Trade and Religious
Worship, Member of the Permanent Court of Arbitration,
H.E. Mr. Santos Goñi Marenco, Ambassador of the Argentine Republic to the Kingdom of the
Netherlands,
as Co-Agents;
Mr. Alain Pellet, Professor of Public International Law, University of Paris X-Nanterre, Member of
the United Nations International Law Commission,
Mr. Philippe Sands, Professor of International Law, University of London,
Mr. Marcelo Kohen, Professor of International Law, Graduate Institute of International Studies,
Geneva,
Ms Laurence Boisson de Chazournes, Professor of International Law, Graduate Institute of
International Studies, Geneva,
as Counsel and Advocates;
H.EM. r. Raúl Estrada Oyuela, Ambassador, Special Representative for International
Environmental Affairs, Ministry of Foreign Affairs, International Trade and Religious Worship,
as Counsel and Expert;
H.E. Mr. Julio Barboza, Ambassador, Professor of Public International Law, University of
Buenos Aires, former Member of the United Nations International Law Commission,
Ms Silvina González Napolitano, Professor of P ublic International Law, University of
Buenos Aires,
Ms Claudia Mónica Mizawak, Public Prosecutor, Entre Rios Province,
Ms Romina Picolotti, President of the Centre for Human and Environmental Rights (CEDHA),
Mr. Daniel A. Sabsay, President, Fundación Argentina para los Recursos de la
Naturaleza (FARN),
Mr. Juan Carlos Vega, international human rights lawyer,
as Legal Advisers and Experts; - 6 -
M. Elias Matta, ingénieur, directeur du centre de technologie de la cellulose, Univerisdad Nacional
del Litoral (UNL),
M. Lucio Janiot, chef du département de chimie du service d’hydrographie de la marine,
M. Alberto Espinach Ross, chercheur à l’Institut argentin pour la recherche et le développement de
la pêche (INIDEP),
comme conseils et experts scientifiques;
M. Ariel W. González, conseill er d’ambassade, bureau du conse iller juridique du ministère des
affaires étrangères, du commerce international et du culte,
Mme Mariana Alvarez Rodríguez, secrétaire d’ambassade, bureau du représentant spécial pour les
affaires environnementales inte rnationales au minist ère des affaires étrangères, du commerce
international et du culte,
Mme Florencia Colombo, direction de la presse au ministère des affaires étrangères, du commerce
international et du culte,
M. Daniel Muller,
Mme Ursula Zitnik,
comme délégués.
Le Gouvernement de la République orientale de l’Uruguay est représenté par :
S. Exc. M. Héctor Gros Espiell, ambassadeur de la République orientale de l’Uruguay auprès de la
République française,
S. Exc. M. Carlos Gianelli, ambassadeur de la République orientale de l’Uruguay auprès des
Etats-Unis d’Amérique,
comme agents;
M. Alan E. Boyle, professeur de droit international, directeur du Centre écossais pour le droit
international, Université d’Edinburgh,
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,
M. Paul S. Reichler, avocat, cabinet Foley Hoag LLP, Washington D.C., membre du barreau de la
Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique, membre du barreau du district de Columbia,
comme avocats;
S. Exc. M. Carlos Mora Medero, ambassadeur de la République orientale de l’Uruguay auprès du
Royaume des Pays-Bas,
M. Gonzalo Fernández, secrétaire de la présidence de la République orientale de l’Uruguay,
S. Exc. M. José Luis Cancela, secrétaire général du ministère des relations extérieures,
M. Alberto Pérez Pérez, professeur à l’Université de la République de l’Uruguay, Montevideo, - 7 -
Mr. Elias Matta, Engineer, Director of the Centre for Cellulose Technology, Universidad Nacional
del Litoral (UNL),
Mr. Lucio Janiot, Director of the Chemistry Department, Naval Hydrographic Service,
Mr. Alberto Espinach Ross, Researcher, National Fisheries Research and Development
Institute (INIDEP),
as Scientific Advisers and Experts;
Mr. Ariel González, Embassy Counsellor, Legal Adviser’s Office, Ministry of Foreign Affairs,
International Trade and Religious Worship,
Ms Mariana Alvarez Rodríguez, Embassy Secret ary, Office of the Special Representative for
International Environmental Affairs, Ministry of Foreign Affairs, International Trade and
Religious Worship,
Ms Florencia Colombo, Press Directorate, Ministry of Foreign Affairs, International Trade and
Religious Worship,
Mr. Daniel Muller,
Ms Ursula Zitnik,
Dselegates;
The Government of the Eastern Republic of Uruguay is represented by:
H.E. Mr.Héctor Gros Espiell, Ambassador of the Eastern Republic of Uruguay to the French
Republic,
H.E. Mr. Carlos Gianelli, Ambassador of the E astern Republic of Uruguay to the United States of
America,
as Agents;
Mr. Alan E. Boyle, Professor of International Law and Director of the Scottish Centre for
International Law, University of Edinburgh,
Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Faculty of Law, University of Florence, Florence,
Mr. Paul S. Reichler, Attorney at Law, Foley Ho ag LLP, Washington D.C., Member of the Bar of
the United States Supreme Court, Member of the Bar of the District of Columbia,
as Advocates;
H.E. Mr. Carlos Mora Medero, Ambassador of the Eastern Republic of Uruguay to the Kingdom of
the Netherlands,
Mr. Gonzalo Fernández, Secretary to the Presidency of the Eastern Republic of Uruguay,
H.E. Mr. José Luis Cancela, Secretary-General, Ministry of Foreign Affairs,
Mr. Alberto Pérez Pérez, Professor, University of the Republic of Uruguay, Montevideo, - 8 -
M. Edison González Lapeyre, professeur à l’ Université de la Ré publique de l’Uruguay,
Montevideo,
M. Roberto Puceiro Ripoli, professeur à l’Université de la République de l’Uruguay, Montevideo,
M. Gustavo Alvarez, ministre conseiller, directeur de la direction des affaires multilatérales,
ministère des relations extérieures,
M. Marcelo Cousillas, conseiller juridique à la direction nationale de l’environnement, ministère du
logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement,
Mme Nienke Grossman, avocat, cabinet Foley Ho ag LLP, Washington D.C., membre du barreau
du district de Columbia, membre du barreau de la Virginie,
M. Adam Kahn, avocat, cabinet Foley Hoag LLP, Boston, Massachusetts, membre du barreau du
Massachusetts,
M. Lawrence H. Martin, avocat, cabinet Foley Hoag LLP, Washington D.C., membre du barreau de
la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique, membre du barreau du Massachusetts, membre du
barreau du district de Columbia,
comme conseillers;
M. Martin Ponce de Leon, ingénieur,sous-sécretaire d’Etatau ministère de l’industrie, de l’énergie et
des mines,
Mme Alicia Torres, ingénieur, directrice nationalede l’environnement au ministère du logement, de
l’aménagement du territoireet de l’environnement,
M. Eugenio Lorenzo, ingénieur, conseiller technique de la division de l’évaluation des impacts sur
l’environnement, ministère du logement, de l’am énagement du territoire et de l’environnement,
M. Adriaan van Heiningen, professeur, titulaire de la chaire J. Larcom Ober au département
d’ingénierie chimique à l’Université du Maine, Orono, Maine,
comme experts. - 9 -
Mr. Edison Gonzalez Lapeyre, Professor, University of the Republic of Uruguay, Montevideo,
Mr. Roberto Puceiro Ripoli, Professor, University of the Republic of Uruguay, Montevideo,
Mr. Gustavo Alvarez, Minister Counsellor, Director, Multilateral Relations Directorate, Ministry of
Foreign Affairs,
Mr. Marcelo Cousillas, Legal Counsel, National Di rectorate for the Environment, Ministry of
Housing, Territorial Planning and Environment,
Ms Nienke Grossman, Attorney at Law, Foley Hoag LLP, Washington D.C., Member of the Bar of
the District of Columbia, Member of the Virginia Bar,
Mr. Adam Kahn, Attorney at Law, Foley Ho ag LLP, Boston, Massachusetts, Member of the
Massachusetts Bar,
Mr. Lawrence H. Martin, Attorney at Law, Foley Hoag LLP, Washington D.C., Member of the Bar
of the United States Supreme Court, Member of the Massachusetts Bar, Member of the Bar of
the District of Columbia,
Asdvisers;
Mr. Martin Ponce de Leon, Engineer, Under-Secretary of State at the Ministry of Industry, Energy
and Mines,
Ms Alicia Torres, Engineer, National Director , Environmental Impact Assessment Division,
Ministry of Housing, Territorial Planning and Environment,
Mr. Eugenio Lorenzo, Engineer, Technical Consu ltant for the Environmental Impact Assessment
Division, Ministry of Housing, Territorial Planning and Environment,
Mr. Adriaan van Heiningen, Professor, J. Larc om Ober Chair, Department of Chemical
Engineering, University of Maine, Orono, Maine,
Esxperts. - 10 -
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets today under
Article 74, paragraph 3, of the Rules of Court to hear the observations of the Parties on the request
for the indication of provisional measures subm itted by the Argentine Republic in the case
concerning Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay).
For medical reasons Judge Shi will not sit in the present phase of this case. Judge Tomka is
unable, for reasons of which he has duly informed the Court, to be present on the Bench for the
duration of these hearings; Judge Simma has for his part explained to the Court that he is unable to
be present on the Bench today.
Each of the Parties in the present case, the Argentine Republic and the Eastern Republic of
Uruguay, has availed itself of the possibility afforded to it by Article 31 of the Statute of the Court
to choose a judge ad hoc . Argentina has chosen MrR . aúl inuesa and Uruguay,
Mr. Santiago Torres Bernárdez.
Article 20 of the Statute provides that “[e]very Member of the Court shall, before taking up
his duties, make a solemn declaration in open court that he will exercise his powers impartially and
conscientiously”. By Article31, paragraph6, of the Statute, that provision applies to judges
ad hoc. I shall first say a few words about the career and qualifications of each of the two judges
who will then make the required declaration.
Mr.Santiago Torres Bernárdez, of Spanish nati onality, is well known to the Court, having,
after many fruitful years at the Codification Divisi on of the United Nations Office of Legal Affairs,
served as Registrar of this Court from 1980 to 1986. He has been chosen as judge ad hoc on
numerous occasions, in the Land, Island and Maritime Fronti er Dispute (ElSalvador/Honduras) ,
the Fisheries Jurisdiction (Spain v. Canada) case and in the Maritime Delimitation and Territorial
Questions between Qatar and Bahrain (Qatar v. Bahrain) case. Mr.Torres Bernárdez has
extensive experience of international litigation and arbitration cases, including as an arbitrator for
the International Centre for the Settlement of In vestment Disputes. He is a member of the
Permanent Court of Arbitration, the Institut de droit international, and the International Law
Association, among other bodies. In addition, Mr.TorresBernárdez is the author of many
publications on questions of intern ational law and international orga nizations and procedures. He - 11 -
has held various teaching positions and, in particular, has taught on intervention before the Court at
the Hague Academy of International Law.
Mr. Raúl Vinuesa, of Argentine nationality, is Full Professor of Public International Law and
Human Rights Law at the University of Buenos Aires and Full Professor of International Law at
the National Institute for Foreign Service of the Ar gentine Ministry of Foreign Affairs. He holds
and has held a number of other teaching positions at various academic institutions in Argentina.
He has participated in many ad hoc tribunals set up under the auspices of Mercosur, the United
Nations Conference on Trade and Development a nd the International Chamber of Commerce.
Mr.Vinuesa has also served as an adviser to the Ministry of Foreign Affairs of Argentina on
international commercial arbitration and on foreign litigation. He is a member of the Institut de
droit international, and numerous other r espected institutions, including the Commission on
Environmental Law of the World Conservation Union and the Group of Experts of the International
Committee of the Red Cross on Environmental Law and Humanitarian Law.
I shall now invite each of these two distingui shed judges to make th e solemn declaration
prescribed by the Statute, and I now request all those present to rise. Mr. Torres Bernárdez.
Mr. TORRES BERNÁRDEZ : I solemnly declare that I will perform my duties and exercise
my powers as judge honourably, faithfully, impartially and conscientiously.
The PRESIDENT: Thank you. Mr. Vinuesa.
Mr. VINUESA: I solemnly declare that I w ill perform my duties and exercise my powers as
judge honourably, faithfully, impartially and conscientiously.
The PRESIDENT: Thank you. Please be seated. I take note of the solemn declarations
made by Mr.Torres Bernárdez and Mr. Vinuesa, and declare them duly installed as judges ad hoc
in the case concerning Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay).
*
* * - 12 -
The proceedings were instituted on 4 May 2006 by the filing in the Registry of the Court of
an Application by the Argentine Republic against the Eastern Republic of Uruguay. In that
Application the Government of Argentina bases the jurisdiction of the Court on Article36,
paragraph 1, of the Statute of the Court and on the first paragraph of Article 60 of the Statute of the
River Uruguay, which was signed by Argentina and Uruguay on 26 February 1975 and entered into
force on 18September1976. That latter Article provides that any dispute relating to the
interpretation or application of the 1975Statute “which cannot be settled by direct negotiations
may be submitted by either Party to the Internationa l Court of Justice”. Argentina adds that direct
negotiations between the Parties have failed.
Argentina maintains in the Application th at Uruguay has breached obligations under the
1975Statute, including the obligation to provide prior notification to the Administrative
Commission of the River Uruguay ⎯“CARU” in its Spanish acronym ⎯ established under the
Statute to deal with issues of regulation and co-ord ination. Argentina refers , in particular, to the
alleged breach by Uruguay of obligations “in respect of the authorization, construction and future
commissioning of two pulp mills on the River Uruguay, having regard in particular to the effects of
such activities on the quality of the waters of the RiverUruguay and on the latter’s zone of
influence”. Argentina cites the authorization given by the Government of Uruguay in
October 2003 to the Spanish company ENCE to cons truct a pulp mill near the city of Fray Bentos,
a project known as “Celulosa de M’Bopicuá” (“CMB” ) and the authorization also given by the
Government of Uruguay in February2005 to the Finnish company OyMetsä-BotniaAB to
construct a second pulp mill in the same area on the left bank of the RiverUruguay, to be called
“Orion”. Argentina further cites the authorization given in July 2005 to the same Finnish company
for the construction of a port for the exclusive use of the Orion mill.
I shall now ask the Registrar to read out the decision requested of the Court, as formulated
under Head V of the Application of Argentina.
Le GREFFIER :
«Sur la base de l’exposé des faits et des moyens juridiques qui précèdent,
l’Argentine, tout en se réservant le droit de compléter, d’amender ou de modifier la
présente requête pendant la suite de la procédure, prie la Cour de dire et juger : - 13 -
1) que l’Uruguay a manqué aux obligations lui incombant en vertu du Statut de 1975
et des autres règles de droit international auxquelles ce statut renvoie, y compris
mais pas exclusivement :
a) l’obligation de prendre toute mesure nécessaire à l’utilisation rationnelle et
optimale du fleuve Uruguay;
b) l’obligation d’informer préalablement la CARU et l’Argentine;
c) l’obligation de se conformer aux procédur es prévues par le chapitre II du Statut
de 1975;
d) l’obligation de prendre toutes mesures nécessaires pour préserver le milieu
aquatique et d’empêcher la pollution et l’ obligation de protéger la biodiversité et
les pêcheries, y compris l’obligation de procéder à une étude d’impact sur
l’environnement complète et objective;
e) les obligations de coopération en matière de prévention de la pollution et de la
protection de la biodiversité et des pêcheries; et
2) que, par son comportement, l’Uruguay a engagé sa responsabilité internationale à
l’égard de l’Argentine;
3) que l’Uruguay est tenu de cesser son comportement illicite et de respecter
scrupuleusement à l’avenir les obligations lui incombant; et
4) que l’Uruguay est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le
non-respect des obligations lui incombant.
L’Argentine se réserve le droit de préciser ou modifier les présentes demandes
dans une étape ultérieure de la procédure.»
The PRESIDENT: On 4 May 2006, after fili ng the Application, the Agent of Argentina
submitted a request for the indication of provisional measures. Argentina refers in its request to the
urgent need to safeguard rights which “derive from the 1975Statute and from the principles and
rules of international law necessary for its interp retation and application”. Argentina refers in
particular to the right to ensure that “Uruguay complies with the obligations provided for in the
1975Statute governing the construction of any works liable to affect the régime of the
RiverUruguay”; the right to ensure that “Uruguay shall not authorize or undertake the
construction of works liable to cause significant da mage to the River Uruguay”; and the right to
ensure that “the riparian population of the River Uruguay under its jurisdiction residing in the
proximity of the projected works... may live in a healthy environment and not suffer damage to
their health, economic damage, or any other type of damage”, by reason of the construction and
commissioning of the pulp mills. - 14 -
While noting in its Application that ENCE has suspended work on construction of the CMB
plant for 90days with effect from 28March2006, Ar gentina further claims in its request that the
continued construction of the CMB and Orion m ills “would set the seal on Uruguay’s unilateral
effort to create a ‘fait accompli’” and would thus de prive Argentina of its right to have an “overall,
objective assessment of the environmental impact” of the projected works.
I shall now ask the Registrar to read out the passage from the request specifying the
provisional measures which the Government of Argentina is asking the Court to indicate.
Le GREFFIER :
«Sur la base des considérations qui préc èdent, le Gouvernement de l’Argentine
prie la Cour d’indiquer, en attendant l’a rrêt définitif dans la présente instance, les
mesures conservatoires suivantes :
a) En attendant l’arrêt définitif de la Cour, l’Uruguay
(i)suspend immédiatement toutes les autorisations pour la construction des
usines CMB et Orion;
(ii) prend les mesures nécessaires pour suspendre les travaux de construction
d’Orion; et
(iii) prend les mesures nécessa ires pour assurer que la suspension des travaux de
CMB sera prolongée au-delà du 28 juin 2006;
b) l’Uruguay coopère de bonne foi avec l’ Argentine en vue d’assurer l’utilisation
rationnelle et optimale du fleuve Uruguay, afin de protéger et préserver le milieu
aquatique et d’en empêcher la pollution;
c) en attendant l’arrêt définitif de la C our, l’Uruguay s’abstient de prendre toute
autre mesure unilatérale relative à la construction des usines CMB et Orion qui ne
respecte pas le Statut de 1975 et les autres règles de droit international nécessaires
pour son interprétation et application;
d) l’Uruguay s’abstient de toute autre mesure qui pourrait aggraver, étendre ou
rendre plus difficile le règlement du différend objet de la présente instance.»
The PRESIDENT: Immediately after the Application and the request for the indication of
provisional measures were filed, the Registrar, in accordance with Article38, paragraph4, and
Article 73, paragraph 2, of the Rules of Court, transmitted certified copies thereof to the Uruguayan
Government. He also notified the Secretary-General of the United Nations.
According to Article 74 of the Rules of Court, a request for the indication of provisional
measures shall have priority over all other cases. Th e date of the hearing must be fixed in such a - 15 -
way as to afford the parties an opportunity of being represented at it. Consequently, following
consultations, the Parties were informed on 11 Ma y 2006 that the date for the opening of the oral
proceedings contemplated in Article74, paragra ph3, of the Rules of Court, during which they
could present their observations on the request for the indication of provisional measures, had been
set at 8 June 2006, at 10 a.m.
I note the presence before the Court of the Agen ts and counsel of the two Parties. The Court
will hear Argentina, which is the Applicant, on the merits and has submitted the request for the
indication of provisional measures, this morning until 1 p.m. It will hear Uruguay this afternoon at
3 p.m. For the purposes of this first round of oral arguments, each of the Parties will have available
to it a full three-hour sitting. The Parties will then have the possibility to reply: Argentina will
have the floor again tomorrow Friday 9 June at 10 a.m., and Uruguay will take the floor in turn on
Friday 9 June at 4.30 p.m. Each of the Parties will have a maximum time of two hours in which to
present its reply.
Before giving the floor to Her Excellenc y Ms Susana Myrta RuizCerutti, Agent of
Argentina, I shall read again the text of Practic e Direction XI, to which the Registrar has already
had the opportunity to draw the attention of the Parties:
“The Court has noticed the increasing tendency of parties to request the
indication of provisional measures. Parties should in their oral pleadings thereon limit
themselves to what is relevant to the criteria for the indication of provisional measures
as indicated in the Statute, Rules and jurisprudence of the Court. They should not
enter into the merits of the case beyond what is strictly necessary for that purpose.”
That means that the Court does not need to be persuaded at this juncture that the applicant
has the rights it claims simply that the rights shoul d they later be shown to exist require urgent
protection. Your Excellency, you now have the floor.
Mme CERUTTI :
Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la Cour . C’est la première fois que la République
argentine se présente devant votre haute juridiction. Elle le fait avec des sentiments mêlés. Nous
sommes, d’une part, honorés d’avoir la possibilité de défendre nos droits en recourant à l’organe
judiciaire principal des NationsUnies. Nous ne sommes pas heureux, d’autre part, de devoir le - 16 -
faire contre la République orientale de l’Urug uay, un pays avec lequel l’Argentine a des liens
historiques, sociaux et culturels qui dépassent les simples relations de bon voisinage entre Etats.
2. Pourtant, la protection d’un instrument précurseur en matière de protection de
l’environnement l’exige. Je me réfère au statut du fleuve Uruguay de 1975, dont le texte est inclus
dans vos dossiers. L’Argentine soutient que l’ Uruguay a porté atteinte et continue de porter
atteinte au régime de ce traité, en autorisant la construction de de ux usines de pâte à papier sur le
fleuve Uruguay, un cours d’eau partagé entre les deux pays, en violation des normes internationales
qui protégent ce fleuve et ses zones d’influence.
3. Au moment même où les Parties se présentent devant la Cour, l’Uruguay poursuit
deuxprojets d’une envergure monumentale, à l’ emplacement unilatéralement choisi. Ce
comportement vise à constituer un «fait accompli» qui génère des préjudices irréversibles aux
droits de l’Argentine et de ses habitants, droits qu ’il faut protéger de façon urgente. L’Argentine
demande donc à la Cour d’ordonner que, dans le cadre de l’obligation de deux pays de coopérer de
bonne foi pour protéger le fleuve Uruguay et ses zones d’influence, l’Uruguay suspende et assure la
suspension de ces deux projets et s’abstienne d’ adopter d’autres mesures concernant les usines
projetées, ainsi que toute autre mesure qui pourrait aggraver encore le différend.
4. Au cours de ces audiences, l’Argentine étab lira de façon approfondie le bien-fondé de ces
demandes. Permettez-moi, Madame le président, de vous présenter brièvement l’équipe qui aura la
responsabilité de cette tâche. J’ai l’honneur d’être accompagnée par LL.Exc.HoracioBasabe,
ancien conseiller juridique du ministère des affaires étrangères et membre de la Cour permanente
d’arbitrage, et Santos Goñi Marenco, ambassadeur de l’Argentine aux Pays-Bas. Nous bénéficions
de l’assistance d’avocats renommés et de l’appui d’experts juridiques et scientifiques.
5. Conformément à la pratique nous ne lirons pas les références des citations faites dans nos
plaidoiries. Nous serions reconnaissants à M.le greffier de bien vouloir les rétablir dans les
comptes rendus des audiences.
Contexte de la demande
6. Madame le président, Messieurs de la Cour . Il est peut-être paradoxal que le différend
auquel est liée cette demande de mesures conser vatoires concerne une région qui jouit d’une - 17 -
régulation juridique relativement très développée en matière de protection environnementale des
fleuves internationaux. En effet, dès1971 ⎯presque au même moment que la Conférence de
Stockholm sur l’environnement humain ⎯ l’Argentine et l’Uruguay adoptaient une déclaration sur
les ressources d’eau qui engageait les Parties à éviter toute forme de pollution des fleuves
internationaux et de leurs affluents. C’est da ns le cadre de cette déclaration que des traités
bilatéraux spécifiques pour les deux rivières, pour le s deux cours d’eau frontaliers entre nos pays,
le Río de la Plata et le fleuve Uruguay, ont été signés respectivement en1973 et1975. Ils
réglementent les aspects les plus divers, parmi l esquels la protection environnementale des fleuves
revêt une importance fondamentale. Les deux tr aités contiennent des cl auses compromissoires
prévoyant le recours à votre illustre juridiction.
7. Le besoin d’assurer l’«utilisation rationnelle et optimale du fleuve Uruguay», écosystème
aquatique complexe et fragile a uquel le bien-être d’environ un mil lion de riverains est aujourd’hui
associé, a certainement été la préoccupation la pl us importante des négocia teurs du traité de 1975,
ça veut dire le statut du Río Uruguay. Pour assurer cette utilisation, ils ont élaboré un mécanisme
d’information et de consultation préalables, parmi les plus avancés du monde à cette époque,
concernant tout projet d’ouvrage qui pourrait avoi r un impact environnemental sur le fleuve et ses
zones d’influence. Je souligne le mot «préalable», qui signale une obligation de ne pas procéder à
l’autorisation ou à la construction de l’ouvrage avant que les dispositions du Statut soient mises en
application. Ils ont confié la mise en oeuvre de ce mécanisme à un organe bilatéral particulier, la
commission administrative du fleuve Uruguay ⎯ CARU ⎯ et prévu que tout différend entre les
parties sur son application ou son interprétation devrait être automatiquement l’objet d’une
procédure de règlement des différends qui prévoit en dernière instance le recours unilatéral à cette
Cour. De la sorte, les parties se sont assurées que tout projet qui pourrait mettre en danger le fleuve
et son écosystème soit l’objet d’une évaluation et d’une décision avant qu’il ne soit trop tard.
Prévenir avant de détruire: une façon innovatr ice d’harmoniser les objectifs de la protection
environnementale et le développement économique entre deux pays amis.
[Diapositive avec un croquis de la zone concer née, indiquant l’emplacement de CMB et
Orion.] - 18 -
1
8. C’est ce mécanisme, toujours respecté par l’Argentine , que l’Uruguay a violé une
première fois avec l’autorisation octroyée unilatéralement à la société espagnole ENCE pour la
construction d’une usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, projet dénommé «Celulosa de
M’Bopicuá» ⎯CMB. Cette autorisation a été donnée le 9 octobre 2003, au moment même où le
président uruguayen donnait des assurances au préside nt argentin de ne pas délivrer l’autorisation
sans avoir préalablement satisfait les préoccupations de notr e pays concernant l’impact sur
l’environnement de l’usine projetée.
9. Face à cette violation inédite et inattendue du statut de 1975, l’Argentine a essayé d’abord
de redresser la situation au sein de la CARU, en demandant instamment par le biais de sa
délégation que l’Uruguay informe la commission po ur que celle-ci puisse déterminer l’impact du
projet CMB sur le fleuve et ses zones d’influence 2. Il s’agissait surtout de connaître les raisons de
localiser l’usine en face d’une z one urbaine de plus de centmille habitants, Gualeguaychú et ses
environs, dont une des sources principales de revenus est le tourisme écologique.
10. La réticence de l’Uruguay à respecter, pour le projet CMB, le mécanisme d’information
et de consultation préalables a généré la paralysi e de la CARU et obligé le Gouvernement argentin
à recourir aux voies diplomatiques directes. Début 2004, ces efforts semblaie nt s’avérer positifs.
En mars de cette année, le ministre des affair es étrangères de l’Uruguay a promis à son homologue
argentin de donner à travers la CARU toute l’information requise sur le projet, nécessaire pour
appliquer le mécanisme du statut. Sur la base de cette promesse, la CARU a pu réactiver en mai
son fonctionnement.
11. Mais cette promesse n’a pas été honorée. Malgré les demandes argentines réitérées,
l’information requise n’a pas été donnée, tandis que les travaux concernant CMB ont continué
pendant le reste de2004. En outre, le 14 fé vrier 2005, le Gouvernement uruguayen a autorisé
l’entreprise finlandaise Oy Metsä-Botnia AB (c i-après «Botnia») à entreprendre la construction
1 o
Voir, parmi d’autres exemples, le procès-verbal de la CARU n 9/81 du 18 décembre 1981 (annexe1 de la
documentation remise les 2 et 6 juin 2006).
2 o
Voir le procès-verbal de la CARU n 11/03 du 17 octobre 2003 (annexe 2 de la documentation remise
le 2 juin 2006), auquel l’Argentine déjà faisait référence au chapitre XV duatut dans le contexte du mécanisme
d’information et consultation préalables, ainsi que la note verbale rese le 27 octobre 2003 par l’ambassade de
l’Argentine en Uruguay au ministère des affaires étrangères de l’Uruguay (annexeVI de la requête introductive
d’instance), et l’intervention du ministre des affaires rangères, M.Didier Opertti, devant le Sénat uruguayen,
le 26 novembre 2003 (annexe 3 de la documentation remise le 2 juin 2006). - 19 -
d’une deuxième usine de pâte à papier, dénommée «Orion», à une distance de moins
de7kilomètres de CMB. Cette autorisation unilaté rale est intervenue trois jours seulement après
une réunion de la CARU, cette fois encore maintenue à l’écart.
12. Face à cette aggravation du différend, l’Argentine a continué à essayer de trouver un
règlement négocié dans le cadre du statut de 1975. Dès août 2005, un groupe technique, le GTAN,
a été constitué. Les expectatives argentines ont été vite vidées de substance par la partie
uruguayenne. Dès la première réunion du GTAN, l’Uruguay a formellement rejeté, en invoquant
sa «décision souveraine», les demandes argentines d’e xplications sur les raisons de l’emplacement
3
des projets . Deux projets d’usines, Madame le président et Membres de la Cour, qui auraient une
activité reconnue comme l’une des plus polluantes, d’une envergure presque sans précédent dans le
monde, situées l’une à côté de l’autre, dans une zone habitée par des populations pour lesquelles le
fleuve et ses zones d’influence sont la source de leur bien-être. Le GTAN s’est ainsi transformé en
un espace de discussions stériles, qui permettait en tre-temps à l’Uruguay d’avancer ses projets à
marche forcée.
13. La preuve la plus flagrante de la politique de «fait accompli» de la part de l’Uruguay a
été l’autorisation unilatérale donnée à la construc tion d’un port connexe à l’usine Orion, après
même que le GTAN a été constitué. La réponse laconique de la présidente de la délégation
uruguayenne à la CARU, à la demande de la partie argentine de suspendre la construction du port
et de permettre l’application du mécanisme d’information et consultation préalables prévu au statut,
4
est assez illustrative de cet état d’esprit : elle dit simplement «on ne suspend pas» .
14. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que, après le délai de cent quatre-vingt jours, les
négociations au sein du GTAN aient échoué le 30 janvi er 2006. Même à ce stade, l’Argentine n’a
pas cependant cessé d’essayer de donner à l’Ur uguay l’occasion de revenir sur ses violations du
statut de1975 et d’en finir avec sa politique de «fait accompli». Elle l’a fait en lui proposant à
plusieurs reprises de suspendre l’exécution des projets dans le respect du statut. L’Uruguay n’a pas
3En plus, à la deuxième réunion du GTAN, le 19 août, la partie argentine a pr ésenté aussi un détail de toutes les
normes du droit international applicables à la ques tion objet du différend (document GTAN/DA 2). Voir
http://www.mrecic.gov.ar.
4 Voir le procès-verbal de la CARU n o9/05 du 14 octobre 2005 (annexe XIV de la requête introductive
d’instance). - 20 -
saisi ces occasions, tout en reconnaissant implicitement la validité des inquiétudes argentines. Une
preuve de cette reconnaissance es t fournie par la demande que le président uruguayen, lors de sa
réunion avec son homologue argentin à Santiago du Chili le 11 mars 2006, a adressé à Botnia et à
5
ENCE pour qu’elles suspendent leurs projets .
15. Dans des circonstances que nous ne réussiss ons pas à comprendre encore aujourd’hui, le
Gouvernement uruguayen n’a pas voulu assurer cette suspension.
Conclusion
[Série de sept diapositives, avec l’«avant», le «maintenant» et le «futur» des usines.]
Madame le président, Membres de la Cour :
16. Même succincte, la relation des faits que je vous ai présentée, et qui constitue le noyau
de la chronologie incluse dans vos dossiers, illustre comment, en l’espace de seize mois, le
bien-être des habitants de la ville de Gualeguaychú s’est trouvé affecté par deux projets industriels,
avec ses ports et d’autres installations connexes, qui ont été autorisés et continuent à être menés à
vive allure par l’Uruguay en violation délibérée d’ un traité international, et malgré les efforts
incessants de l’Argentine pour que ce traité soit respecté.
17. Cette relation des faits montre aussi qu’ il a été toujours clair que l’Uruguay a eu une
volonté délibérée de ne pas respecter le statut de 1975. Comme vous pouvez le constater dans vos
dossiers, cette volonté était déjà présente, il y a presque trois ans, dans les déclarations faites par le
6
ministre des affaires étrangères uruguayen devant le Sénat . Elle était encore présente il y a un an,
dans l’exposé de la présidente de la délégati on uruguayenne à la CARU, également devant le
7
Sénat ; elle est toujours présente, comme le montrent les propos publics de l’ambassadeur
8
FelipePaolillo il y a dix jours seulement . Mais sa preuve la plus tangible sont les deuxusines,
5 Déclarations des présidents de l’Argentine et de l’Uruguay, Santia go du Chili, 11 mars 2006 (annexe4 de la
documentation remise le 6 juin 2006).
6 Intervention du ministre des affa ires étrangères, . idier Oper tti, devant le Sénat uruguayen,
le 26 novembre 2003.
7 Intervention de la présidente de la CARU, Mme Petroc elli, devant le Sénat urugua yen, le 12septembre2005
(annexe 6 de la documentation remise le 2 juin 2006).
8 Présentation du Gouvernement de l’Uruguay, 29 mai 2006, siège de la présidence à Montevideo (site web:
http://www.presidencia.gub.uy). - 21 -
avec ses ports et d’autres installations connexes, unilatéralement autorisées et en construction sur le
Río Uruguay, une ressource partagée.
18. Dans les minutes qui viennent, Mme Romi na Picolotti expliquera d’abord pourquoi, en
vue de la spécificité du fleuve Uruguay et de ses zones d’influence, l’emplacement choisi pour les
projets a été le pire que l’on pourrait envisager du point de vue environnemental. Ensuite, le
professeur PhilippeSands indiquera de quelle façon les projets portent atteinte aux droits de
l’Argentine. Le professeur Marcelo Kohen démontre ra la pertinence de la mesure conservatoire
demandée par notre pays de suspendre la construction des usines, et le professeur
BoissondeChazournes établira le bien-fondé d es autres mesures conservatoires demandées. Ces
dernières sont l’objet d’un intérêt renouvelé, étan t donné l’annonce de la compagnie Stora Enso de
9
la construction d’une troisième usine sur un affluent du fleuve Uruguay . Finalement, dans la ligne
des plaidoiries précédentes, le professeur Alain Pellet démontrera la pertinence juridique des
mesures conservatoires demandées par l’Argentine.
19. Je vous prie, Madame le président, de donner la parole à Mme Picolotti.
Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Votre Excellence et je donne la parole au Dr. Picolotti.
Ms PICOLOTTI: Thank you.
Introduction
1. Madam President, Members of the Court, I have the honour to appear before you today to
plead in favour of our request for provisional m easures. I will concentrate on the environmental
and human rights aspects of this case ⎯ that is, the sphere of humanity’s relationship with nature.
2. The human being can no longer be conceive d as independent from the environment. The
continued destruction of our vital resources that our earth offers can only lead to social discord.
We have not yet fully realized that the vita l resources for us and for our descendants depend on
nature and do not derive from manpower.
9«Stora Enso s´ajoute a Botnia et a ENCE : l’Uru guay, paradis cellulosique», 29 septembre 2005 (annexe XXV
de la requête introductive d’instance). - 22 -
3. This Court has today a unique opportunity to reaffirm the law recognizing this intrinsic
relationship between man and nature. The applic able law in this case has, as its fundamental
objective, the protection of nature and its inhabita nts. This objective is clearly pursued by the
far-reaching 1975 Statute whose principal aim and sour ce of inspiration is the protection of this
magnificent watercourse.
[Im1]ge
Description of the River Uruguay
4. Madam President, Members of the Court, the River Uruguay is a shared watercourse of
approximately 1,600 km from its source in the Sie rras do Mar e do Geral up to the Río de la Plata,
of which Argentina has the longest riparian coast . The river lies at the centre of a vast basin
covering approximately 365,000 sq km. [Image 2]
5. As the Agent has stated, the River Uruguay constitutes a complex and fragile ecosystem.
It includes 116 islands and islets, and is home to over 150 fish species and over 400 bird species.
Its depth in the zone of the construction of pulp mills is only 3 m, except for its navigation channel.
Its water flows very slowly.
6. The River Uruguay provides daily water to more than 1,000,000 inhabitants per day along
its banks. It contributes remarkably to the Millennium Development Goals of reducing “by half the
10
proportion of people without sustainable access to safe drinking water” .
7. Its waters purify white sand coasts of singular beauty, amongst these, the Nandubaysal
beach of the coast of Argentina ⎯ right opposite the Botnia pulp mill ⎯ whose sunset over the
river was praised by the BBC as the most beautiful of the world 11. [Image 3]
8. Besides being the scenic essence of the region, the River Uruguay represents a confluence
of cultures, arts, and local knowledge. Since tim e immemorial, diverse cultures have worshipped
this river, attesting to its importance to local activity. Further testimony of this interaction between
10
This Millennium Development Goal objective also in cludes: integrate the Principles of sustainable
development into country policies and programs, reverse loss of environmental resources.
1News.bbc.co.uk/hi/Spanish/forums/newsid3292000/3292681.stm. - 23 -
culture and river between human beings and the river and rich archaeological sites found along its
coasts .2
9. The river is also a vital resource of so cio-economic activity of the region, including:
13
navigation, tourism, livestock, apiculture, agri culture and commercial fishing, amongst others .
This is the beach that is set in front of the Botnia pulp mill site on the Argentine coast. [Image 4]
The protection of the River Uruguay
10. Madam President, Members of the Court, as you can see, the River Uruguay is an
emblematic watercourse, whose importance goes well beyond the interest of a local community 14.
Argentina and Uruguay have agreed to limit their use of this shared river. The 1975 Statute states
that both States, Argentina and Uruguay must protect this river. Protection includes that of the
human rights of the present and future generations depending on this shared resource. It must
uphold the dignity of persons, the respect for culture, and the preservation of the environment.
11. It is essentially to defend these principles, with which the Orion and CMB projects have
not been demonstrated to be compatible, that is why my country, Argentina, is before this Court
today. It is necessary to understand that man cannot replace nature in its task of maintaining an
ecological balance. As the ICJ, th is honourable Court, has stated in Gabčíkovo-Nagymaros case,
nowadays economic development cannot be pursued without due consideration of the protection of
our environment (see Gabčíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovakia), Judgment, I.C.J. Reports
15
1997, para. 140) .
12. The Uruguayan Government has unilaterally and without consultation, authorized the
construction of these pulp mills. Orion and CMB are sited, almost together, on the precious
RiverUruguay. Construction is underway and adva ncing at a rapid rate. Already more than
1 million cubic metres of soil have been removed to make room for the plants; civil works include
16
the construction of two river ports and a chimney that towers 120 m tall and 40 m wide . That is
12
News.bbc.co.uk/hi/Spanish/forums/newsid3292000/3292681.stm.
13
News.bbc.co.uk/hi/Spanish/forums/newsid3292000/3292681.stm.
14On the fundamental obligation to protect water res ources, see: The Second United Nations World Water
Development Report: “Water, a Shared Responsibility” http://www.unesco.org/water/wwap/wwdr2/ .
15See also, Iron Rhine Decision, para. 59.
16www.ifc.org/.../lac.nsf/AttachmentsbyTitle/Uruguay_Pulpmills_SP_AnnexC_…. - 24 -
wider than the international bridge. Execution of the Orion plant has approximately reached
12 per cent .7
13. The magnitude of the future environmen tal and human damage of these two mills is
directly related to their location, unilaterally a nd illicitly determined by Uruguay. Their enormous
scale adds to their serious risk. The combined pr oduction of these mills will be 1.5 million tons of
cellulose per year 1. This is one of the planet’s largest production of cellulose, and the largest
concentrated in a transboundary resource. The c onstruction of the mills is already having serious
negative effects on tourism and other economic activities of the region.
14. The direct zone of impact of the projected mills can be measured according to
international standards. It is a full circle, who se centre is located at Fray Bentos, in Uruguay, and
its diameter reaches 40km, well beyond the Argentine city of Gualeguaychú 19. The zone of
impact, of direct impact, thus limited is curre ntly home to approximately 300,000 people.
[Image 5]
15. Due to prevailing winds in the region, and in the direct zone of impact, the pollution of
the pulp mills will inevitably reach the Argentine coast along the River Uruguay , directly
impacting on Gualeguaychú. Amongst the gases to be emitted by the projected plants are
dangerously toxic waste, bound by international law, such as sulphur dioxide and chlorine dioxide
(which produce furans and dioxins). These gases are characterized by their “rotten egg smell”,
persisting in time even after the origin of the pollution has ceased. This putrid odour is so strong
and impacting, that the residents of Pontevedra, Spain, where ENCE has one of its pulp mills, are
20
commonly referred to as the “odorous people” .
16. Pulp mills represent the industrial activity requiring the highest amount of freshwater per
ton produced. The two projected mills are expected to operate continuously non-stop for 40 years.
The volume of the effluent dumped into the River Uruguay and the annual pollution of the
17
Annex 8 of documentation presented before the Court on 2 June 2006.
18The expected production however is 2,000,000 tons per y ear. Even though Uruguay has so far authorized per
year 1,000,000 tons to Botnia and 500,000 tons to ENCE. ENCE president have stated that ENCE is planning to produce
in his mill in Uruguay 1,000,000 tons.
19Botnia EIA.
20In November 2002, several directives of ENCE at Pontevedra were subject to criminal action and sentenced for
“ecological crime” due to the air pollution and consequent health damages derived from the mill. - 25 -
atmosphere must be thus multiplied by 40. During their expected lifetime, the mills will extract
from the river 1,900million cubic metres of freshwater, the volumetric equivalent of the
consumption of water by Paris for seven years. The river will be contaminated with
1,500 million cubic metres of polluted water, the equivalent of 2,000 Empire State Buildings full of
contaminated water. The River Uruguay simply cannot support this phenomenal impact.
[Images 6-8]
17. The effluents emitted by the plants and dumped into the River Uruguay will contain
several dangerous substances, including mercury, phosphorus, furans, dioxins, and cyanide. These
will irreversibly affect the metabolism of fish and other species, as well as in their reproductive
capacity. Of special concern are the dioxins and furans which have notoriously negative impacts
on human health, and which will be present in the environment as a consequence of the gaseous
emissions and liquid effluents of these mills. These are persistent and bio-accumulative toxic
substances. They are cancer producing, w ith reproductive, immunological, endocrinological,
respiratory and cardiovascular effects.
18. The risks are well known. For example, the Commission for Environmental
Co-operation of North America has detected severe and irreversible impacts caused by dioxins and
furans from Kraft cellulose production (the type envisaged in the projected mills) in over 100
species of invertebrates, fish, reptiles, amphibious creatures, birds and mammals 2. [Image 9]
19. The World Health Organization has cl assified dioxins and furans as “known human
carcinogens”. It concludes that secondary prenatal exposure to dioxins have been associated with a
22
variety of immunological diseases, and to the neurological development of newborns . It may not
be a coincidence that in the referred pulp m ill operated by ENCE in Pontevedra, the local
population has the highest rate of neurological paralysis amongst newborns.
20. On the basis of these considerations, it is only reasonable to conclude that, among the
damages from the two mills at the unilaterally selected and wholly inappropriate location, they will
provoke an irreversible damage from various sources.
21
See: http://www.cec.org/files/pdf/POLLUTANTS/dioxins_es.pdf , published by the Commission for
Environmental Cooperation of North America 2393, rue St-acques Quest, bureau 200, M ontreal (Quebec), Canada
H2Y 1N9.
222 April 1998, http://www.cec.org/site_map/Index.cmf?varian=espanol. - 26 -
21. This reality has been recognized not only by Argentina and its inhabitants, but also by
judicial authorities and concerned environmental gr oups in Uruguay. I quote part of the legal
action against the Government of Uruguay by Dr. Enrique Viana, Uruguayan Public Prosecutor, for
irregularities in the issuance of permits to these companies by the executive power. The Public
Prosecutor in wide part is to protect the public good. He affirms ⎯ this is the legal action:
“the collective health of the residents of both riversides will be placed in great,
mediate and immediate peril,... as well as all of the common environmental
resources with the Argentine Republic... The site location of these plants... will
result in an assault to the especially protect ed Eastern riverside o23the Rio Uruguay;
and constitutes an irruption or an abrupt territorial invasion . . .”
Conclusion
22. Madam President, Members of the Court, following the preceding considerations, and in
an almost desperate cry in defence of the silenc ed River Uruguay, I submit to the Court today the
imperious and urgent need that it rules in favour of the provisional measures requested and ensure
that the scheme established by the 1975Statute can be given effect. In the face of the imminent
and irreversible damage, preventi on is warranted. We cannot defe r to the inherent limits of
eventual mechanisms of reparations to this type of damage ⎯ it will be too late. Simply stated, the
River Uruguay is irrevocably damaged by locating these two mills on this site location.
23. This Court has the opportunity to avoid damage and to ensure that the status of the River
Uruguay as an internationally legally protected good does not become an empty concept.
24. Today, before you, is the future not only of the River Uruguay and its Statute, but also
the future of an entire community, principally that of Gualeguaychú, Province of Entre Ríos. The
inhabitants of this community have realized that they will be among the direct victims of these
illegal industrial projects. They have reunited freely in a permanent environmental civic assembly.
These residents were the first to cry out, alert to the imminent dangers that these industries will
cause to the delicate ecosystem of the Rio Uruguay. Our daily and indestructible struggle, in
defence of our beloved river, keeps us strong and united. Our only hope and confidence stand with
2Ministerio Publico ⎯ Fiscalia Letrada de la Republica, Nacional, en lo Civil de Tercer turno, autos caratulados
“FISCALIA LETRADA EN LO CIVIL DE 3° TURNO contra PODER EJECUTIVO ⎯ M.V.O.T.M.A.”, ficha
2-1507/2005. With sad irony, Mr Viana further states: “As a compensatory measure, Botnia will acquire and manage a
conservation area, outside of the zone of construction, … a so rt of environmental museum, that will serve to show in the
future what the original habitat of the area was, before the introduction of the cellulose plant, and which will cease to be,
following production.” - 27 -
you today, this honourable Court, to hear our claim by deciding in favour of our demand of
provisional measures. [Image 10]
25. I thank you for your kind attention and r espectfully request you, Madam President, to
give now the floor to Professor Philippe Sands. Thank you.
The PRESIDENT: Thank you Dr. Picolotti. I now give the floor to Professor Sands.
Mr. SANDS:
III. HE RIGHTS THAT A RGENTINA SEEKS TO PRESERVE
1. Madam President, Members of the Court, I am honoured to appear before you today on
behalf of the Argentine Republic, in a case that raises issues of considerable importance on the
preservation of substantive and procedural rights u nder the 1975 Statute and, of course, related
rules of international law. Before turning to the issues, may I extend a personal note of
congratulations to you, Madam President, and to you, Mr. Vice-President, on your recent election.
We are very comfortable that the Court will continue to play, of course, a leading role in promoting
the international rule of law.
2. The issues before this Court are important, pa rticularly at this provisional measures stage.
I believe this is the first case of this kind to each an international court in which the parties’
obligations ⎯ and the rights they create for each other ⎯ are so very clear both in their substantive
and procedural aspects. The nature of these rights is of paramount importance at this stage, for the
Court has been consistent in its approach to provisional measures: their purpose is to preserve
“rights which are the subject of dispute in judicial proceedings” (see United States Diplomatic and
Consular Staff in Tehran , I.C.J. Reports 1979 , p. 19, para. 36; Frontier Dispute, I.C.J. Reports
1986, p. 8, para. 13; Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), I.C.J. Reports 1991,
p.12, para. 22). The Court is therefore called upon to carry out three distinct tasks: first, to
identify with precision the rights of Argentina that are to be preserved; second, to decide whether
or not those rights would continue to be infri nged by further construction work during the
pendency of these proceedings; and third, to or der such measures as are considered necessary to - 28 -
preserve those rights. And my submissions this mo rning will focus principally on the first of these
issues.
3. What rights does Argentina seek to preserve? These are set out in Argentina’s
Application and in the request for provisional meas ures. They have been invoked repeatedly by
Argentina since it first learnt that Uruguay was em barking on its projects in blatant disregard of its
obligations under the 1975 Statute 24. Argentina’s rights under that Statute arise in relation to two
interwoven categories of obligation: obligations of result that are of a substantive character, and
obligations of conduct that have a procedural character. As to the first, the substantive obligations
of result are twofold: first, Uruguay’s obligation not to allow any construction before the
requirements of the 1975Statute have been met; and second, Uruguay’s obligation not to cause
environmental pollution or conse quential economic losses, for example to tourism. As to the
second category of general obligations, the obligatio ns of conduct give rise to Argentina’s rights,
for example, to be fully informed, to be cons ulted, and to have access to effective dispute
settlement before this Court before any construction work is authorized or commences. In this
Application Argentina seeks to protect each of th ese distinct rights. Th e fact that Uruguay has
chosen to proceed as it has must impose risks and burdens for Uruguay, not for Argentina.
4. The 1975 Statute came into force on 18 September 1976. It has worked very well over its
30--year life. Until now both sides have complied w ith their obligations. The Statute implements
Article7 of the 1961 Treaty concerning the bound ary constituted by the River Uruguay. That
Treaty commits Argentina and Uruguay to “jointly establish a regime for the use of the river”. And
the 1975 Statute sets out notably detailed and precise obligations for the Parties in relation to that
“joint regime”. It establishes a specific legal régime applicable to a specific area of recognized
international importance. It seeks to protect not only the Uruguay river but also, as Article13
makes very clear, all “areas affected”, “ses zones d’influence”, as the French text puts it.
5. Under Article1 of the Statute the overall objective is “to establish ... joint machinery
necessary for the optimum and rational utilization of the River Uruguay, in strict observance of the
rights and obligations arising from treaties and othe r international agreements in force for each of
2See e.g. Ambassador Garcia Moritan’s letter of 14 D ecember 2005 to Uruguay’s Ambassador to Buenos Aires;
also CARU objections. - 29 -
the Parties”. I stress the words “joint machinery”. I note also that the effect of Article 1 is for the
machinery that is established to give effect both to the obligations established under the
1975 Statute but also to obligations established un der other international agreements. Chapter XIII
of the Statute establishes an Administrative Co mmission on the River Uruguay, the CARU, with
25
detailed functions set out at Article 56 .
6. ChapterX of the Statute is entitled “Po llution”. It comprises four articles. They
underscore the Parties’ commitment to the protecti on of the special environmental area described
by Dr.Picolotti, and for present purposes Article41 (a) is the most relevant, since it commits the
Parties to
“protect and preserve the aquatic environm ent and, in particular, to prevent its
pollution, by prescribing appropriate rules and measures in accordance with applicable
international agreements and in keeping, where relevant, with the guidelines and
recommendations of international technical bodies”.
This provision imposes substantive obligations and it creates for Argentina at least two distinct
rights. First, Argentina has the right that Uruguay shall prevent pollution. Second, Argentina has
the right to ensure that Uruguay prescribes measure s “in accordance with applicable international
standards”. Uruguay, we submit, has respected neither of these obligations.
7. Chapter II of the Statute is entitled “Nav igation and Works”. Articles7 to 13 are
significant. They set up a very precise procedure that is to be followed, as Article7 puts it, for
“any... works [any works] which are liable to a ffect, navigation, the regime of the river or the
quality of its waters”; and Article 13 confirms that these procedures are to be followed for all
works, whether national or binational, which are “planned” ⎯ I emphasize the word “planned” ⎯
to be carried out and which could affect the area governed by the Statute. The procedures to be
followed are mandatory, as Uruguay is bound to accept. They admit of no exception. And given
the nature and location of the plant ⎯ as described by the Agent and Dr.Picolotti ⎯ it is simply
unarguable to say that the two proposed paper plan ts were not liable to affect the qualities of the
Uruguay River: you saw the pictures for yourself. Established international rules recognize that
plants of this kind are to be treated as inherently harmful: they are likely to cause transboundary
25
1975 Statute, Arts. 49-57. - 30 -
26
environmental harm, they do require particular vigilance . The 2001Convention on Persistent
Organic Pollutants, for example ⎯ to which Argentina and Uruguay are party ⎯ explicitly
identifies the production of pulp as an activity that produces persistent organic pollutants, with all
their toxic properties, with their resistance to de gradation, with their propensity to accumulate in
27
terrestrial and aquatic ecosystems. They cause harm to humans, they require strict measures .
Uruguay cannot possibly claim that its proposed pul p production is not covered by the scheme of
conduct established by the 1975 Statute. What does that scheme require? It identifies six steps that
are to be followed.
8. Step 1 requires Uruguay to notify CARU if it “plans to . . . carry out any works . . . which
are liable to affect the quality of the waters”. Uruguay did not do this prior to proceeding to the
projects in 2002 and 2003 or allowing the works to begin, as the Agent has described. And the
words of Article7 are significant: they make it clear that the notification and all the other
obligations must occur before any works have been carried out. Uruguay is not permitted to carry
out any works until the notification and subsequent procedures have been performed. Argentina
has the right to expect that Uruguay shall not “carry out any works” prior to notification.
9. Step 2 requires CARU to “determine on a prelim inary basis whether the plan might cause
significant damage to the other party” (Art.7). Th is determination is to occur within 30days of
receipt of notification. In that period too Uruguay is not permitted to allow any works to be carried
our. Here, too, Uruguay is in plain violation.
10. If CARU finds that Uruguay’s plan might cau se significant damage to Argentina or if no
decision can be reached within the 30-day period, the scheme established by the Statute moves on
to Step 3: Uruguay notifies Argentina through CARU (Art.7). The notification must include
26
See e.g. 1991 Convention on Environmen tal Impact Assessment in a Trans boundary Context (Art.2(2) states
“the party shall ensure that an environmental impact assessment is undertaken prior to a decision to authorize or
undertake a proposed activity li sted in Appendix I that is likely to ca significant adverse transboundary impact”;
AppendixI includes “pulp or paper manufacturing of 200 ai r-dried metric tonnes or more per day”); see also
ECDirective 85/337/EC on the assessment of the effects of certain public and private projects on the environment
(OJ L 75, 5.7.85) (as amended by Directive 97/11/EC, OJ L 73, 14.3.97) (Art. 4 (1) provides that “projects of the classes
listed in Annex I shall be made subject to an assessment” and Annex I includes a Category 18: “Industrial plants for the
(a)production of pulp from timber or similar fibrous materials; (b) production of paper and board with a production
capacity exceeding 200 tonnes per day”); see also Worl d Bank guidelines on pollution prevention and abatement
measures to be followed for pulp and paper pr oducts, available at: http ://www.ifc.org/ifcext/
enviro.nsf/AttachmentsByTitle/gui_pulp_WB/$FILE/pulp_PPAH.pdf..
27Convention on Persistent Organic Po llutants (“POPs Conven tion”), 22 May 2001, in force 17May 2004;
Uruguay ratified on 9 February 2004, Argentina ratified on 25 January 2005. - 31 -
specified information on the works and the manner in wh ich it is to be carried out. Of course, this
is to ensure that Argentina can assess the probable impacts. Again, Uruguay is prohibited from
carrying out any works in this period and, again, it is in plain violation of that obligation.
11. Step 4 then gives Argentina 180days to respond, from such time as Uruguay has
provided full documentation (Art.8). Uruguay has still not provided full documentation, as the
independent report submitted to the International Finance Corporation by the Hatfield consultants
.28
makes clear . And again, throughout this period Uruguay is not entitled to allow any work at all
to take place.
12. If Argentina raises no objection and only then is Uruguay entitled to carry out works.
Article 9 of the Statute makes this absolutely clear : it is of central importance to this phase of the
proceedings. It states: “If the notified Party raises no objections or does not respond within the
[Article 8] period, the other party may carry out or authorize the work planned.” It follows clearly
that where Argentina has objected to a project that is subject to the requirements of the Statute ⎯
as it has, time and time again, in the present case ⎯ Uruguay is not entitled to carry out any work
at all. Article 10 confirms this, by giving the no tified State a right to inspect any works to which it
has not objected and which are then carried out, to ensure consistency with the plan that has been
established. Argentina has the clear right that Uruguay may not carry out any works. Article 9
establishes a “no construction” obligation. It is as simple as that.
13 . Step 5 is set by Article 12: Argentina notifies its objections, and within 180 days of such
objection the Parties seek to reach agreement. And again during this period Uruguay is prohibited
from allowing any construction.
14. Step 6 is also provided by Article 12: if Argentina and Uruguay fail to reach agreement
“the procedure indicated in ChapterXV sha ll be followed”. ChapterXV comprises a single
Article 60, providing for the jurisdiction of the Cour t, at the instance of either Party. I emphasize
in Article12 the word “shall”. It i ndicates that recourse to the Court is a requirement. This
confirms the central role of this Court in the scheme jointly established by the Parties to create a
joint régime. There is nothing in ChapterXV or a nywhere else in the Statute to suggest that the
28
Application, Ann. 23. - 32 -
no-construction obligation clearly enunciated in Artic le9 is in any way removed or suspended or
modified during the pendency of Chapter XV procedures. It is abundantly clear, in our submission,
that Uruguay is not permitted to carry out any work s so long as the Chapter XV procedure is being
followed. The fact that Uruguay has allowed constr uction to continue –– notwithstanding the fact
that on 11March last its President called for a suspension of work ⎯ causes irreparable damage
not only to Argentina’s rights but also, we would su bmit, to the effective functioning of this Court,
which has a very significant role in the scheme established by the Statute.
15. The provisions set forth in Articles7 to13 and in Article60 establish a number of
distinct rights for Argentina. These include, first, the right to be notified by Uruguay before works
begin; secondly, to express views that are to be taken into account in the design of a proposed
project; and, thirdly, to have this Court resolve any differences before construction takes place.
Each of these rights underpins a single, overriding right of Argentina that is of fundamental
importance in this phase of the proceedings: during the period covered by steps 1 to 6 that I have
outlined, Uruguay has the obligation to ensure that no works are carried out until either Argentina
has expressed no objection, or Argentina fails to respond to Uruguay’s notification, or the Court
has indicated the positive conditions under which Uruguay may proceed to carry out works –– and
that has not happened. Conversely, Argentina has the right to expect that no works shall be carried
out until one of these three conditions has been met. None has yet been met. Yet Uruguay allowed
works to be carried out before it notified CARU, a nd it continues to allow works to be carried out
whilst this Court is seised of the matter and while we sit today and tomorrow. The works already
carried out by Uruguay are in plain violation of the Statute and of Argentina’s rights–– and
Professors Kohen and Pellet will address all the consequences of this in more detail.
16. It is important also, I think, to place Argentina’s substantive and procedural rights under
the 1975Statute in the broader context of developm ents in international law over the past three
decades which are incorporated into the obligations of the Parties. In relation to water and other
natural resources there has been, in the word s of a distinguished commentator, a “striking
interweaving of developing substa ntive norms, and the avoidance of conflict in relation to them - 33 -
through the specification of very detailed procedures for co-operation” 29. This is readily apparent
in the clear requirements of the 1975 Statute, and in particular the “no construction” obligation that
Argentina and Uruguay voluntarily agreed upon in Article 9 to underpin the obligations of conduct.
It is no overstatement to say that Uruguay’s cons truction and conduct has the effect of destroying
the entire scheme carefully elaborated in the Statut e and endangering the relations of the Parties.
Of equal significance are the substantive oblig ations to be applied: Articles1 and 41 (a) of the
Statute emphasize the prevention of pollution by the “strict observance” of rights and obligations
arising from treaties and other inte rnational agreements in force fo r the Parties, as well as the
guidelines and recommendations of international t echnical bodies. Article 35 commits the Parties
to adopt the necessary measures to prevent chang es which significantly impair the quality of the
river’s waters; and Article36 commits them to co-ordinate on the measu res necessary to avoid
“any change in the ecological balance”. Again, I emphasize the word “any”.
17. In the present case Articles1 and41 have the effect of importing detailed obligations
under more than a dozen international arrangeme nts and treaties into the scheme. For present
purposes mention need only be made of two. The first is the 2001Agreement on Persistent
Organic Pollutants. The second is the 1992C onvention on Biological Diversity, which commits
30
parties to protect biodiversity . These and other treaty obligations commit, in terms, Argentina
and Uruguay to apply the precautionary principle 31, which by renvoi is directly applicable in the
present case. These treaty obligations also supplem ent the general requirements of “vigilance and
prevention” that this Court invoked and applied in the Gabčíkovo case (case concerning the
Gabčíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovakia), I.C.J. Reports 1997, p. 78, para. 140), but they
do so in a very specific way.
18. Let me, for example, explain the releva nce of the 2001Persistent Organic Pollutants
Convention, since it illustrates the potentially serious and irreversible damage these proposed
projects threaten for human health and the environment. It is necessary to describe very briefly the
process of producing pulp. It follows a number of stages. Wood is first obtained from eucalyptus
29
See R. Higgins, Problems and Process: International Law and How We Use It (Oxford, 1994), p. 136.
30
Convention on Biological Diversity, 5June1992, in force 29December1993; Uruguay ratified on
5 November 1993, Argentina ratified on 22 November 1994.
31See 1992 Convention on Biological Biodiversity, preamble; 2001 POPs Convention, preamble and Article 1. - 34 -
trees locally forested. The bark is removed. The wood is then chipped, using a mechanical
process. The wood chips are then cooked in caus tic sodium hydroxide and sodium sulphide, as
well as other chemicals, to separ ate the pulp from the lignin. This is known as the Kraft process,
and the Kraft process produces two products. On e product is brown pulp which will then be
bleached (with attendant environmental risks). The other product is a substance known as “black
liquor”. That liquor contains lignin and chemic als. The “black liquor” is valuable because it
contains inorganic chemicals which are recovered a nd reused in the cooking of the wood chips to
which I referred. And this recovery is a central part of the process, because it contributes to the
economic viability of the Kraft process. The inorganic chemicals are recovered by combustion in a
recovery boiler: they are burnt. The combustion processes produce a great number of compounds.
Amongst the compounds unintentionally produced is one that should be of very keen interest to this
Court. It is–– I hesitate to read its full name out, but I will try to do so. It is a product called
polychlorinated dibenzo-pi-dioxins and dibe nzofurans, otherwise known as PCDD/PCDF or
commonly known as dioxins and furans. This is one of just three persistent organic pollutants
listed in AnnexC of the 2001Persistent Organic Pollutants Convention. Dioxins and furans are
considered to be so harmful to human health and to the environment that the international
community has come together to adopt an ag reement that aims at nothing less than the
“elimination”, in the text of the treaty, from unint entional production. It is clear that activities like
pulp production that unintentionally produce dioxins and furans are subject to very strict
requirements under the Convention. And the expect ation of Argentina and of others is that
emissions of dioxins and furans into th e atmosphere will be in large quantities 3, precisely in the
area you saw. Yet the project developers and Uruguay have provided no information on this
aspect. From Argentina’s perspective this part of the Hatfield Report makes particularly
depressing. The Hatfield Report was of course the independent report pr oduced by consultants
requested by the International Finance Corporati on to review the adequacy of the environmental
assessments. And I quote the Hatfield Report: “The reference to dioxins/furans in mill discharges
appears to be handled in a rather cavalier manner. These compounds are of significant concern to
3See generally V. Uloth and R. van Heek, “Dioxin aFuran Emission Factors for Combustion Operations in
paper Mills”, 5November2002, prepared for environm ent Canada, especially at. -9; available at:
www.cites.ca/pdb/npri/2002/guidance/Emission_Factor_Report_for_Combusti…. - 35 -
the general public and should be discussed fully. Setting the issue aside by concluding that
33
dioxins/furans will be at ‘undetectable levels’ is unacceptable.” These words should cause serious
concern for any reader of that report.
19. The detailed procedures for co-operation that are set forth in Articles 7 to 13 and 60 of
the 1975Statute seek to give effect to these kinds of substantive requirements. Professor Kohen
will elaborate on why suspension of the works is now justified and should be ordered by the Court.
It is worth pausing to imagine the consequences if one State can get away with so blatant a
violation of a clear obligation not to carry out work in the present circumstances. What is the effect
for the detailed procedural requirements in other agreements and in other parts of the world in
relation to important shared resources if the Court does not step in to preserve these important
rights now, where they have been expressly provided for, where it has been expressly provided that
the Court will intervene in order to have a role in the treaty? What happens to the detailed
procedural obligations in nuclear safeguard agreements, what happens to the detailed obligations in
relation to proposed activities for other shared na tural resources in important parts of the world ⎯
water, petroleum deposits and so on and so forth? What is to stop Argentina next time, if it wishes
to construct on the banks of the River Uruguay, from proceeding as Uruguay has done and simply
decide ⎯ unilaterally ⎯ as Foreign Minister Opertti indicated in his statement to the Uruguayan
Senate in November 2003 34that Articles 7 and 8 of the 1975 Statute were an affront to Uruguay’s
sovereignty and simply did not apply? Uruguay is entitled to expect Argentina to respect its
fundamental rights of a procedural character, and Argentina is entitled to expect the same. The
Parties have set up a joint scheme on an important and threatened river and they are entitled to
expect the Court to step in and safeguard the scheme that has been created.
20. Indeed, it is noteworthy that Argentina and Uruguay have expressly agreed on
obligations as specific and precise as those of the 1975 Statute, with its “joint machinery”. The
“joint machinery” and associated rights and obligat ions are very different, for example, from the
33
Hatfield Report, 27 March 2003, Argentina Application, Annex 23, summary, p. 3.
34Statement by Minister for Foreign Affairs, Mr. Didier Opertti, to the Uruguayan Senate, 26 November 2003;
documents filed by Argentina on 2 June 2006, document 3. - 36 -
rights at issue in other cases that have come before international courts and tribunals, including this
one.
21. For example, the agreement at issue in the famous Lac Lanoux arbitration between
France and Spain did not impose such specific ob ligations or any commitment not to carry out
work prior to consultation. In that case the arb itral tribunal read the three Treaties of Bayonne and
the Additional Act of 26 May 1866 and concluded that Spain’s rights were limited:
“the upstream State has, procedurally, a right of initiative; it is not obliged to
associate the downstream State in the elabora tion of its schemes. If, in the course of
discussions, the downstream state submits schemes to it, the upstream state must
examine them, but it has the right to give preference to the solution contained in its
own scheme provided that it takes into consideration in a reasonable manner the
interest of the downstream State.” 35
These words from that Award show how very different ⎯ and how very much more
far-reaching ⎯ is the scheme established by the 1975 Statut e. As I hope I have shown Uruguay is
obliged to associate Argentina in the elaboration of its scheme. Uruguay does not have the right to
give preference to its own solution. Argentina a nd Uruguay have agreed that it is for this Court ––
this Court –– to identify the task of adopting the preferred solution.
22. In the Great Belt case the right that Finland claimed for protection was the right of
passage through the Great Belt. The Court found ⎯ perhaps not surprisingly ⎯ that Finland had
not shown that its right, that limited right, “w ill be infringed by construction work during the
pendency of the proceedings” (Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), I.C.J.
Reports 1991, p. 18, para. 27). But Denmark had not assu med any obligation to notify, or to seek
to reach agreement, or ⎯ more significantly ⎯ to refrain from work pending the outcome of the
process envisaged by the joint machinery and mechan isms, including recourse to this Court. On
these grounds alone, that case is entirely distinguishable from the present one.
23. Similarly, in the provisional measures phase of the MOX case, before the International
Tribunal for the Law of the Sea in November 2001, the 1982United Nations Convention on the
Law of the Sea contains no equivalent provisions ⎯ whether in detail or in scope ⎯ to those set
forth in Articles7 to 13 and 60 of the 1975 Statute. There is nothing in the Law of the Sea
35
Lac Lanoux arbitration (France v. Spain), Award of 16 November 1957, 24 ILR 101 at 136. - 37 -
Convention that prohibits a State party from carryin g out certain works before it has the consent of
its neighbour or before the dispute settlement body empowered to act has ruled.
24. This brings me to a final point. Argentina has the right, we submit, that this Court ⎯ and
not Uruguay ⎯ shall determine the solution before an y works are carried out. And this is
significant for the function of the Court and for the implementation of the scheme established by
the 1975 Statute. Uruguay’s actions irreversibly prejudice not only Argentina’s rights but also the
functioning of this Court, which has been given a central role by Articles 12 and 60 of the Statute.
The Permanent Court of International Justice all uded to the underlying rationale in the case of
Electricity Company of Sofia and Bulgaria , when it said that the provision in its Statute on interim
measures
“applies the principle universally accepted by in ternational tribunals... to the effect
that the parties to a case must abstai n from any measure capable of exercising a
prejudicial effect in regard to the execution of the decision to be given and, in general,
not to allow any step of any kind to be taken which might aggravate or extend the
dispute” (PCIJ, Series A/B, No. 78, p. 199).
This fundamental principle was emphasized by the United Kingdom in its arguments before this
Court in requesting provisional measures in the Fisheries Jurisdiction case, in 1972. I can do no
better than take you to the submissions of the United Kingdom’s Attorney General, who said:
“The Court, which was specifically created by the Charter as one of a team of
agencies of the United Nations having as thei r purpose the settlement of international
disputes, cannot be expected to discharge th is wide responsibility to the international
community if it has not the right to expect of the parties, and the power to ensure, that
during the proceedings they shall abstain from actions capable of prejudicing the
execution of the Court’s eventual decisions and of aggravating or extending the
dispute submitted to the Court.” (Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland),
Pleadings, Oral Arguments and Documents, Vol. I, p. 101.)
25. These words are all the more pertinent in the present case, where Argentina and Uruguay
have created a scheme under the 1975 Statute that establishes a central role for this Court.
Argentina’s rights under Articles 12 and 60 of the 1975 Statute are fully deserving of protection, so
that this Court can be allowed to settle the dis pute without the final judgment on the merits having
been prejudiced by Uruguay’s unilateral acts. C ontinued construction undermines the role of this
Court.
26. Madam President, Members of the Court, a number of facts cannot be contested. First,
as reflected in Mr.Opertti’s statement to the Uruguayan Senate in November 2003, an early - 38 -
decision was taken by Uruguay to circumvent its obligations under the 1975 Statute. As the Agent
36
has indicated, that decision has informed Urugua y’s actions and its explanations ever since .
Second, the projects initiated by Uruguay are plainly of a nature and with effects that bring them
within the requirements of the 1975 Statute. Third, as the independent Hatfield Report
commissioned recently by the International Finan ce Corporation makes clear, the environmental
implications of the project are potentially dangero us yet the assessments that have been prepared
have been independently determined to be inadequate and even seriously flawed, not least for the
fact that they have failed to explain why two sit es so close together and on that part of the River
Uruguay were chosen. This failure is crucial at this phase of the proceedings. And fourth,
construction has been approved and commenced in spite of Chapter II, and in particular Article 9,
of the Statute. These facts cause serious damage to Argentina’s substantive and procedural rights
under the 1975 Statute. These are not rights that are capable of being made good by any
reparations that this Court may order. As Professors Kohen a nd Pellet will submit, the scheme
established by the 1975 Statute would suffer “irreparable prejudice” if Uruguay’s actions are
allowed to continue. Both sets of rights invoked by Argentina ⎯ substantive and procedural ⎯ are
rights that are to be protected by provisional measur es. It is not for Uruguay, we submit, to decide
that Argentina can simply do without them.
27. Madam President, Members of the Court, I thank you for your kind attention and I would
invite you to ask Professor Kohen to the Bar, but it may be that you have other thoughts in mind.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Sands. I think those other thoughts will lead us to
take a coffee break for a short period. Thank you.
The Court adjourned from 11.30 to 11.45 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. Professor Kohen, you have the floor.
36
See oral statement of Ambassador Susan Ruiz Cerutti, 9 June 2006, notes 7 and 8 and accompanying text. - 39 -
M. KOHEN :
IV. L A DEMANDE DE SUSPENSION DES AUTORISATIONS
ET DE LA CONSTRUCTION DES OUVRAGES
Madame le président, Messieurs les juges,
1. C’est un grand honneur de comparaître de vant votre haute juridiction pour défendre les
droits de mon pays. Il est frustrant que deux pays profondément liés comme l’Argentine et
l’Uruguay n’aient pu régler leur différend de manièr e bilatérale. J’ai pourtant la certitude que mon
pays a tout fait et tout essayé pour faciliter un règlement amiable.
2. Il m’appartient de vous présenter la première mesure conservatoire demandée par
l’Argentine. Il y a dans cette demande deux élémen ts différents. L’Argentine prie la Cour tout
d’abord d’ordonner à l’Uruguay la suspension des autorisations pour la construction des usines
CMB et Orion octroyées en violation du statut du fleuve Uruguay. Dans le cas d’Orion, les travaux
se poursuivent à un rythme accéléré. Les travaux de construction de CMB sont suspendus jusqu’au
37
28 juin prochain . Par conséquent, nous demandons que la Cour ordonne aussi à l’Uruguay de
prendre les mesures nécessaires pour assurer la suspension des travaux de construction d’Orion et
la poursuite de la suspension des travaux de CMB au-delà du 28 juin 2006.
3. Ce ne sera pas la première fois que la C our ordonnera la suspension ou la non-application
de mesures décidées par l’une des parties. Sa ju risprudence montre qu’à plusieurs reprises la Cour
a ordonné à un Etat de suspendre l’application d’ une disposition législative, administrative ou
judiciaire ( Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, ordonnance du 5 décembre1939,
C.P.J.I. sérieA/B n°79 , p.199; Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), mesures
conservatoires, ordonnance du 5 juillet 1951, C.I.J. Recueil1951 , p.93-94; Compétence en
matière de pêcheries (Royaume-Uni c.Islande), mesures conservatoires, ordonnance du 17 août
1972, C.I.J.Recueil1972 , p.17; Compétence en matière de pêch eries (République fédérale
d'Allemagne c. Islande), mesures conservatoires, ordonnance du 17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972,
p. 35; Convention de Vienne sur les relations cons ulaires (Paraguay c.Etats-Unis d’Amérique),
37
Communiqué d’ENCE du 28 mars 2006 (annexe 10 de la requête). - 40 -
mesures conservatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J.Recueil1998 , p.258; LaGrand
(Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), m esures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999,
C.I.J. Recueil 1999, p.16; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c.Etats-Unis
d’Amérique), mesures conservatoires, ordonna nce du 5 février 2003, C.I.J.Recueil2003 ,
p. 91-92). De même, la Cour a eu plusieurs fo is l’occasion d’ordonner la suspension d’activités en
cours par l’une des parties, dans des contextes très divers ( Essais nucléaires (Australie c. France),
mesures conservatoires, ordonnance du 22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 106; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), mesures cons ervatoires, ordonnance du 22 juin 1973,
C.I.J. Recueil 1973, p.142; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), mesure s conservatoires, ordonnance du 10mai1984,
C.I.J. Recueil 1984, p.187; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), mesures
conservatoires, ordonnance du 10j anvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 11-12; Frontière terrestre
et maritime entre le Cameroun et le Ni géria, mesures con servatoires, ordonnance du
15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996 (I), p.24, par. 49; Activités armées sur le territoire du Congo
er
(République démocratique du Congo c.Ouganda) , mesures conservatoires, ordonnance du 1
juillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 129, par. 47). Mon collègue et ami Alain Pellet aura l’occasion
de préciser la pertinence de cette jurisprudence pour le cas d’espèce.
Les raisons pour lesquelles la Cour doit ordonner la suspension
4. Les raisons qui justifient l’indication par la Cour d’une mesure conservatoire de
suspension sont nombreuses. J’en mentionnerai sept.
5. Premièrement, la suspension vise à éviter un préjudice irréparable aux droits de
l’Argentine qui découlent du statut du fleuve Uruguay.
6. Les prescriptions du chapitre II de ce statut sont claires. Mon collègue et ami
PhilippeSands les a déjà illustrées. L’Uruguay a implicitement et explicitement reconnu qu’il a - 41 -
38
autorisé la construction des usines sans les respecter . C’est un comportement délibéré. C’est une
décision réfléchie. Que l’Uruguay n’ait pas respecté ses obligations ne signifie pas pour autant que
les droits de l’Argentine aient disparu. L’article 29 des articles sur la responsabilité de l’Etat de la
Commission du droit international le résume claire ment: «Les conséquences juridiques d’un fait
internationalement illicite … n’affectent pas le main tien du devoir de l’Etat responsable d’exécuter
l’obligation violée.» 39 Dans les circonstances présentes, cette règle est d’autant plus applicable que
la procédure n’est pas terminée. Il s’agit de préserver le droit de l’Argentine à ce que le processus
décisionnel international qui permet de déterm iner si l’Uruguay peut autoriser ou construire les
ouvrages aboutisse.
7. Madame le président, Messieurs les juges, la poursuite de la construction des usines au
mépris des obligations du statut rendrait ces obliga tions purement et simplement illusoires. C’est
précisément le genre de situation dans laquelle au cune modalité de réparation ne serait appropriée.
En effet, elle «ne saurait être réparée moyennant le versement d’une simple indemnité ou par une
autre prestation matérielle» (affaire relative à la Dénonciation du traité sino-belge du
2 novembre 1865, ordonnances des 8 janvier, 15 février et 18 juin 1927, C.P.J.I. sérieA n°8 ,
p. 7).
8. L’Uruguay ne peut pas «acheter» un droit ⎯ inexistant ⎯ de décider unilatéralement la
construction de ces ouvrages moyennant le paiement ultérieur d’une réparation pécuniaire. Encore
moins, cela me semble évident, une simple satisf action ne pourrait être envisageable. Il ne s’agit
pas d’un simple affront à l’Argentine, il ne s’agit pas d’un préjudice de nature symbolique non
40
plus . Ces obligations revêtent une importance fondamentale. Elles constituent l’un des piliers du
statut du fleuve Uruguay. Si la Cour n’ordonne pas la suspension et si la construction des usines se
38
Note 05/2003 du 27 octobre 2003 du ministère des affaires étrangères de l’Uruguay à l’ambassade d’Argentine
à Montevideo (annexe V de la requête ); Sénat de la République orientale de l’Uruguay, commission des affaires
internationales, séance du 26 novembre 2003, intervention du ministre des affaires étra ngères, M.DidierOpertti
(documentation présentée par l’Argentine le 2 juin 2006, document n 3); Sénat de la République orientale de l’Uruguay,
commission de l’environnement, séance du 12 décembre 2005. E xposé de Mme Petrocelli, présidente de la délégation
o
uruguayenne à la CARU (documentation présent ée par l’Argentine le 2 juin 2006, document n 6); intervention de
l’ambassadeur Felipe Paolillo au sièoe du Gouvernement uruguayen du 29mai2006 (documentation présentée par
l’Argentine le 6 juin 2006, document n 23).
39
Nations Unies, Documents officoels de l’Assemblée générale, rapport de la Commission du droit international,
cinquante-troisième session, supplément n 10 (A/56/10), p. 395.
40
Cf. «Commentaire de la Commission du droit internati onal à l’article 37 du projet sur la responsabilité de
l’Etat». NationsUnies, Documents officieos de l’Assemblée générale, rapport de la Commission du droit international,
cinquante-troisième session, supplément n 10 (A/56/10), p. 284-285. - 42 -
poursuit, le droit de l’Argentine à ce que l’Ur uguay suive la procédure du chapitre II du statut
41
deviendra purement théorique . Tout simplement, la possibilité de son exercice disparaîtrait de
manière irrémédiable.
9. La suspension est la mesure conservatoire a ppropriée, en réalité la seule possible, pour la
sauvegarde des droits de l’Argentin e à ce que l’autre Partie respecte les prescriptions du statut du
fleuve Uruguay. C’est la raison principale pour or donner la suspension. Davantage encore: elle
suffirait pour justifier l’indication de la mesure c onservatoire demandée. Cela dit, d’autres raisons
peuvent être invoquées.
10. Deuxièmement, la suspension est seule susceptible d’éviter que le choix de la localisation
des usines devienne un «fait accompli».
11. L’Uruguay a décidé d’imposer à l’Argen tine l’emplacement des usines en face de la
région de Gualeguaychú. Le rapport Hatfield du 27 mars 2006 ainsi que le plan d’action décidé par
la SFI du groupe de la Banque mondiale du 9 ma i passé confirment que les exigences argentines
d’information sur les raisons de cet emplacement sont justifiées 42.
12. Pourquoi a-t-on choisi de les construire là où elles sont construites? [Photographie de
l’emplacement d’Orion et de la région.] A-t-on pr is en considération la présence toute proche de
deux des plus grandes concentrations urbaines exis tantes sur le fleuve Uruguay? A-t-on pris en
considération la présence ⎯ dans la même zone de construction d’Orion ⎯ de la station balnéaire
la plus importante du fleuve Ur uguay? A-t-on pris en considér ation que 90% de la production
halieutique dans le tronçon argentino-uruguayen du fleuve se trouve da ns la zone d’influence de la
construction des usines? Que c’est aussi une z one de reproduction des ressources halieutiques?
Mme Picolotti a déjà souligné que la localisation choisie est la pire que l’on pouvait concevoir au
point de vue de la protection environnementale fluviale et transfrontalière.
13. Il faut malheureusement constater que l’Uruguay a cherché ⎯et cherche toujours ⎯ à
imposer à l’Argentine un «fait accompli».
41Voir H. W. A. Thirlway, «The I ndication of Provisional Measures by th e International Court of Justice», in :
R. Bernhardt (éd.), Interim Measures Indicated by International Courts (Berlin : Springer, 1994), p. 8.
42Hatfield Consultants Ltd., «Cumulative Impact Study-Uruguay Pulp Mills», 27 mars 2006 (annexe XXIII de la
requête); «Action Plan to complete environmental studi es on Pulp Mill Projects», 9 mai 2006, disponible in:
http ://www.ifc.org/ifcext/lac.nsf/content/Uruguay_Pulp_Mills. - 43 -
14. La Cour a eu récemment l’occasion de se référer à cette notion. Dans votre avis
consultatif du 9 juillet 2004, vous avez estimé que «l a construction du mur et le régime qui lui est
associé créent sur le terrain un «fait accompli» qui pourrait fort bien devenir permanent»
(Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif du 9juillet2004 , par.121). Si l’on suit votre raisonnement, la qualification du
comportement uruguayen doit à plus forte raison être considérée comme une tentative d’imposer un
«fait accompli».
15. Cela découle très clairement et explicite ment de plusieurs déclarations officielles
uruguayennes. Au sein du GTAN, lorsque la question de la localisation des usines a été posée par
la partie argentine, la délégation uruguayenne a été catégorique :
«la raison pour laquelle l’usine s’est insta llée à un endroit déterminé n’est pas du
ressort du groupe [le GTAN] et elle ne figure pas parmi ses compétences, puisque,
outre le fait même d’être une décision antérieure au présent gouvernement, la
localisation des usines est déjà un fait» 4.
16. Le président Vázquez l’a réitéré il y a quelques jours: «la construction des usines
continuera à l’endroit où elles sont construites et avec la technologie qui est en train d’être
44
employée» .
17. La création d’un «fait accompli» quant à la localisation des usines sans respecter le statut
du fleuve constituerait un préjudice irréparable aux droits de l’Argentine d’être informée des
raisons du choix de cet emplacemen t, d’exprimer son point de vue à cet égard et de suivre la
procédure de règlement des différends prévue par ce statut. Si les mesures conservatoires ont un
sens, c’est d’éviter que l’une des parties impose à l’autre un «fait accompli» avant que la Cour ne
rende son arrêt.
The PRESIDENT: Professor Kohen, so that we might well concentrate on you, do you think
we could have off the image that appears behind you?
Mr. KOHEN: Thank you, Madam President.
43(Traduction de l’auteur de la plaidoirie). Cf. groutechnique de haut niveau (GTAN), procès-verbal de la
première réunion, Montevideo, 3 Août 2005 (documentation présentée par l’Argentine le 6 juin 2006, document n
44(Traduction de l’auteur de la plaidoirie) «Tabaré Vázquez «No hay nada más que hablar»», El País ,
Montevideo, 19 mai 2006 (documentation présentée par l’Argentine le 6 juin 2006, document n). - 44 -
The PRESIDENT: Thank you. Please continue now.
Mr. KOHEN: Yes.
18. Troisièmement, la suspension vise à év iter l’aggravation des préjudices économiques et
sociaux générés par la construction des usines.
19. Si les droits qui sont en cause ici sont ce ux qui découlent du statut de 1975, «ces droits
concernent aussi des personnes», pour paraphr aser votre ordonnance indiquant des mesures
conservatoires dans l’affaire Cameroun c. Nigéria ( Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéri a; Guinée équatoriale (intervenant), mesures
conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996, C.I.J.Recueil1996 (I) , p.22, par. 39). Les
populations riveraines du fleuve Uruguay sont les premières concernées par le respect ou non du
statut.
20. Les préjudices économiques et sociaux causés par la construction des usines ne
dépendent pas de leur mise en service. Ils se pr oduisent déjà. Ils sont de grande ampleur et ne
peuvent que s’aggraver avant l’arrêt sur le fond. On constate :
a) une baisse drastique des transactions imm obilières tant urbaines que rurales, produisant
45
pratiquement la paralysie de ce marché ;
46
b) la suspension d’investissements dans l’activité agricole et d’élevage ;
c) la suspension des investissements dans le tourisme, notamment :
i) la suspension de la deuxième étape de l’ élargissement du complexe touristique «Posadas
47
del Bolacuá» ;
ii) la suspension de la construction d’un hôte l 5 étoiles par la compagnie espagnole Ducados
48
de Finestrat S.A. ;
45
Voir la déclaration certifiée par notaire des vingt-six agents immobioiers de la ville de Gualeguaychú du
27 mai 2006 (documentation présentée par l’Argentine le 2 juin 2006, document n 11).
46
Déclaration devant notaire de MM. José Eduardo Heft, Jorge Albioo Janusa et Oscar Enrique Stockli du 30 mai
2006 (documentation présentée par l’Arge ntine le 2 juin 2006, document n 13). Cf. aussi la déclaration devant notaire
précédente.
47
Déclaration devant notaire de M. Aníbal Hugo R odríguez, président de Posadas del Bolacuá S.A. du
24 mai 2006, documentation présentée par l’Argentine le 2 juin 2006, documents n 9.
48
Déclaration devant notaire de M. Sebastian Bel, secrétai re de tourisoe de la municipalité de Gualeguaychú, du
24 mai 2006 (documentation présentée par l’Argentine le 2 juin 2006, document n 10). - 45 -
iii) la suspension de l’établissement d’un comple xe résidentiel privé dans la zone «Urquiza al
Oeste» ;49
iv) l’arrêt de l’élargissement de la station balnéaire de Ñandubaysal 50;
v)l’arrêt de la construction des ouvrages de rénovation d’autres hôtels et complexes
touristiques, tels que Posadas del Puerto 5, Altos de Verdes, Guayrá et Termas de
52
Guaychú .
21. Le tourisme est devenu l’une des activit és économiques principales dans la zone de
Gualeguaychú 53. Une large partie de sa population y trou ve sa source de travail et de revenus.
Avant le début de la construction des usines c’était l’industrie en expansion la plus importante de la
région.
22. La construction des usines a plongé la populat ion dans une situation de grande instabilité
économique et sociale. La poursuite de cette construction ne fera qu’aggraver cette situation.
23. La suspension s’impose comme mesure visan t à préserver le droit de l’Argentine à ce
que les populations riveraines relevant de sa juridiction ne subissent pas les conséquences
dommageables causées par les manquements uruguayens au statut de 1975. Le risque que les
investissements soient définitivement abandonnés impose d’urgence la mesure de suspension. Elle
permettra au moins de maintenir le statu quo, évitant l’aggravation de la situation et du différend
(Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), mesures conservatoires, ordonnance du
5 juillet 1951, C.I.J. Recueil 1951, p.93; Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni
c. Islande), mesures conservatoires, ordonnance du 17août1972, C.I.J. Recueil 1972, p.17;
Compétence en matière de pêcheri es (République fédérale d’A llemagne c.Islande), mesures
conservatoires, ordon nance du 17août1972, C.I.J. Recueil 1972, p3 . 5; Essais nucléaires
(Australie c.France), mesures conser vatoires, ordonnance du 22juin1973, C.I.J. Recueil 1973,
49Ibid.
50Déclaration devant notaire de M. Carlos Sanchez Alzaga du 31 ma i 2006 (documentation présentée par
l’Argentine le 2 juin 2006, document n 14).
51Déclaration devant notaire de Mm e Silvina Rossi du 27 mai 2006 (documentation présentée par l’Argentine le
2 juin 2006, document n 12).
52Déclaration devant notaire de M. Sebastian Bel, secrétai re de tourisme de la municipalité de Gualeguaychú, du
24 mai 2006 (documentation présentée par l’Argentine le 2 juin 2006, document n 10).
53Ibid. - 46 -
p. 106; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c.Fr ance), mesures conserva toires, ordonnance du
22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973, p.142; Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran, mesures conservatoires, ordonnan ce du 15décembre1979, C.I.J.Recueil1979 , p.21;
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis
d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 10mai1984, C.I.J. Recueil 1984, p.187;
Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), mesures conservatoires, ordonnance du
10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 11, par. 32, point 1 A; Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génoc ide, mesures conserva toires, ordonnance du
8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p.24, par.52 B; Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria, mesures con servatoires, ordonnance du 15 mars1996, C.I.J.
Recueil 1996 (I), p.24, par.49, al. 1; Activités armées sur le terr itoire du Congo (République
er
démocratique du Congo c.Ouganda), mesures conservatoires, ordonnance du 1 juillet 2000,
C.I.J. Recueil 2000, p. 129, par. 47, al. 1), et donnera un signal clair que notamment la question de
la localisation des usines demeure ouverte tant que le différend ne sera pas réglé.
24. Quatrièmement, la suspension vise à éviter que l’on préjuge les droits des parties.
25. Dans la présente affaire, l’Argentine c onsidère que le statut de 1975 est entièrement
applicable et que les usines ne doivent pas être construites à leur emplacement actuel parce qu’elles
produiront un dommage sensible fluvial et transfr ontalier. L’Uruguay, en revanche, estime que les
usines peuvent y être construites car elles ne produiront aucun dommage.
26. La mesure de suspension est la seule possible qui permet de préserver les droits
conventionnels des deux parties sans préjuger l’un ou l’autre ⎯ le droit de construire ou de ne pas
construire ces ouvrages une fois achevée la procédure du chapitre II du statut, dont l’arrêt de la
Cour sera, conformément aux prescriptions de l’artic le 12, le point d’aboutissement. Cette mesure
se trouve donc dans la droite li gne de votre jurisprudence et de celle de votre devancière
(Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, ordonnance du 5 décembre 1939, C.P.J.I.
o
série A/B n 79, p. 199; Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c.Islande), mesures
conservatoires, ordonnance du 17août1972, C.I.J. Recueil 1972, p.16, par. 22; Compétence en
matière de pêcheries (République fédérale d’Al lemagne c.Islande), mesures conservatoires,
ordonnance du 12 juillet 1973, C.I.J. Recueil 1972, p. 34, par. 23). - 47 -
27. Cinquièmement, la suspension vise à préserver la compétence que la Cour elle-même tire
du statut de 1975.
28. La compétence de la Cour dans le cad re de ce statut est double: comme dans de
nombreux traités contenant des clauses compromissoi res, la compétence de la Cour en vertu de
l’article 60 a trait à tout différend concernant l’ application ou l’interprétation du statut. Mais
l’article 12 ajoute une fonction particulière : celle de régler, en cas de désaccord, le différend relatif
à l’autorisation ou à la construction des ouvr ages qui peuvent causer un préjudice sensible au
fleuve ou à l’autre partie. La Cour a ainsi un rôle très particulier dans ce traité, un rôle qui semble
unique dans la pratique conventionnelle existante.
29. Cette compétence de la Cour se verrait priv ée de toute efficacité si la construction des
usines se poursuit. La suspension vise ainsi égalem ent à préserver l’intégrité de l’exercice de la
fonction judiciaire qui découle du statut de 1975.
30. Sixièmement, la suspension est une mesure matériellement possible et est la seule
rationnellement envisageable.
54
31. Les travaux de construction se trouvent à un stade initial , ce qui rend plus aisée la
mesure demandée par l’Argentine. La su spension est ainsi non seulement une mesure
matériellement possible, elle est une mesure qui permet d’éviter des dépenses inutiles tant que le
différend ne sera pas réglé. En effet, la perspective d’une relocalisation des usines ne doit pas être
écartée.
32. Au fond, y a-t-il une mesure plus ra isonnable que la suspension d’ouvrages qui ont
démarré sans respecter un traité bilatéral et qui se trouvent à un stade initial de leur construction ?
Serait-ce le cas d’une interdiction de mise en se rvice une fois les usines entièrement construites
avant la fin de la présente affaire? Ou pire encore, de leur démantèlem ent une fois rendu l’arrêt
sur le fond ? Quelle est l’option la plus raisonnable ? La plus rationnelle ? La plus logique ? La
plus crédible? La plus équilibrée, celle qui prend le mieux en compte les intérêts des deux
Parties ? La réponse semble dépourvue de toute ambiguïté.
33. Septièmement, l’Uruguay a admis le principe de la suspension des travaux.
54Affidavit of Agr. Eng. Alicia Torre s, National Director for the Environm ent, in: Observations of Uruguay,
2 juin 2006, Exhibit 1, p. 10 point VI. - 48 -
34. Lors de sa rencontre avec son homologue argentin, le président uruguayen a demandé
aux compagnies ENCE et Botnia de suspendre leurs travaux 55. Le Gouvernement uruguayen a
56
même vivement regretté que Botnia n’ait pas accepté de le faire .
35. Il y a là une acceptation claire que la de mande argentine de suspension est raisonnable,
que la suspension des travaux est une mesure matériellement possible, une mesure qui à ses yeux se
justifierait au moins pour une durée déterminée da ns l’attente d’un règlement du différend avec
l’Argentine.
J’arrive, Madame le président, Messieurs de la Cour, à la fin de mon exposé.
36. En suivant votre jurisprudence, on ne peut qu’être convaincu que la poursuite de la
construction des usines portera un coup irrémédiable à l’exercice des droits argentins en cause,
aggravera le différend et rendra le règlement de celui -ci plus difficile (Sur cette dernière notion, cf.
Personnel diplomatique et consulaire des Et ats-Unis à Téhéran (Etats-Unis c.Iran) , mesures
conservatoires, ordonnance du 15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979 , p. 21; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires,
ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 24, par. 52 B; Activités armées sur le territoire
du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), mesures conservatoires, ordonnance
du 1 erjuillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 129, par. 47, al. 1). Compte tenu des liens d’affection qui
unissent nos deux pays ⎯ c’est d’ailleurs la terminologie du traité du fleuve Uruguay de 1961, qui
parle des «liens étroits et indestructibles d’affec tion et d’amitié qui ont toujours existés entre leurs
peuples respectifs» ⎯, l’Argentine garde toujours l’espoir de voir l’Uruguay revenir au plus vite au
respect des mécanismes et des buts que les deux Etats se sont fixés dans le statut de 1975 pour la
préservation du fleuve Uruguay.
Je vous remercie, Madame le président, et vous prie de donner la parole à Mme le professeur
Boisson de Chazournes.
55Présidence, République orientale de l’Uruguay, «Possible solution sur les usines de cellulose à Fray Bentos»,
11mars2006 (annexe XVI de la requête), transcription des déclarations du ésident de la République argentine,
M. Néstor Kirchner, et du président de la République orient ale de l’Uruguay, M. Tabaré Vázquez, à Santiago du Chili le
11 mars 2006 (traduction des extraits présentée par l’Argentine le 6 juin 2006, document n
56Présidence, République orientale de l’Uruguay, «Uruguay demande une réunion du Mercosur; il remettra une
lettre au Tribunal de La Haye», 7 avril 2006 (annexe XXII de la requête). - 49 -
The PRESIDENT: Thank you, Professor Kohe n. I do now give the floor to Professor
Boisson de Chazournes.
Mme BOISSON de CHAZOURNES :
V. L ES AUTRES MESURES CONSERVATOIRES DEMANDEES
1. Madame le président, Messieurs les juges, c’est un honneur pour moi de plaider devant
votre illustre juridiction au nom de l’Argentine.
2. Madame le président, Messieurs les Me mbres de la Cour, ce qui nous interpelle
aujourd’hui ce sont les risques de préjudice irrépara ble et l’urgence d’agir dans le contexte d’une
situation délétère, créée et exacerbée par les manquements de l’Uruguay dans l’exécution de ses
obligations internationales en vertu du statut du fleuve Uruguay et des principes et règles de droit
international y relatifs, conformément à l’article 1 du statut du fleuve Uruguay 57.
3. La mesure conservatoire demandée par l’Ar gentine sur laquelle je me pencherai dans un
premier temps a trait à la coopération de bonne fo i de la part de l’Uruguay. Seront ensuite
évoquées les deux autres mesures conservatoires demandées, à savoir que l’Uruguay s’abstienne de
prendre toute autre mesure unilatérale relative à la construction des usines CMB et Orion ainsi que
toute autre mesure qui pourrait aggraver le différend.
4. Je mettrai tout d’abord l’accent sur la signi fication de l’obligation de coopération en vertu
du statut de 1975 (I), puis sur la violation du principe pacta sunt servanda (II). Je terminerai mon
exposé en soulignant le lien entre les mesure s conservatoires demandées et la préservation des
droits de l’Argentine (III).
I. La «signification» de l’obligation de coopération dans le statut du fleuve Uruguay
5. Ainsi que le professeur Philippe Sands l’a souligné, le statut du fleuve Uruguay est un
régime juridique unique et exigeant qui vise à protéger et à préserver un espace et un
environnement particuliers. C’est un régime juridique qui ne prévoit aucune exception ni
57En vertu de l’article premier du statut du fleuve Urugua y, «les parties adoptent le présent Statut…à l’effet
d’établir des mécanismes communs nécessaires à l’utilisation ra tionnelle et optimale du fleuve Uruguay, dans le strict
respect des droits et obligations découlant des traités et autres engagements internationaux en vigueur à l’égard de l’une
ou l’autre des Parties - 50 -
exemption aux droits et obligations qu’il énonce. L’esprit de loyauté dicté par le respect du droit,
la fidélité aux engagements et l’absence de dissimulation sont au cŒur de ce système de
coopération qui doit être respecté en toutes circonsta nces afin de protéger le fleuve Uruguay et ses
zones d’influence.
6. Dans l’affaire des Essais Nucléaires , votre juridiction a déclaré dans un dictum resté
depuis lors célèbre que «[l]a confiance réciproque est une condition inhérente à la coopération
internationale, surtout à une époque où dans bien des dom aines, cette coopération est de plus en
plus indispensable…» ( C.I.J. Recueil 1974, par. 46; les italiques sont de nous. Voir également
Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), C.I.J. Recueil 1988,
par. 94). Votre juridiction avait aussi observé que la règle du droit des traités pacta sunt servanda
repose sur la bonne foi (ibid., par. 46).
7. Confiance et transparence sont les maîtr es mots dans un régime de coopération exigeant
qui ne souffre d’aucune exception… Madame le président, Messieurs les juges, si l’Argentine a été
amenée à saisir votre juridiction et à lui dema nder d’indiquer d’urgence une mesure conservatoire
relative à la coopération de bonne foi de la part de l’Uruguay, c’est justement parce que les
agissements et les comportements unilatéraux de cet Etat en violation continue du statut de1975
ont fortement amenuisé la confiance exemplaire qui régnait entre les deux Etats. Ces agissements
mettent en péril l’édifice juridique du statut du fl euve Uruguay, statut qui jusque dans les années
58
récentes ⎯ il faut le remarquer ⎯ a fait l’objet d’une coopération efficace entre les deux Etats .
8. L’Uruguay en refusant de manière systématique et récurrente de mettre en Œuvre le
mécanisme de coopération prévu par le statut a tr ahi et continue de trahir la confiance de
l’Argentine et le droit de cette dernière à ce que l’Uruguay se conforme à ses obligations en matière
de coopération. Les faits sont parlants : une prem ière usine de très grande capacité est autorisée au
mépris des prescriptions du statut, puis une deuxième usine de même ampleur, puis un port 59 pour
l’usage exclusif de l’une des deux usines et peut-être une troisième usine… L’agent de l’Argentine
58Pour une évocation de la grave détérioration du climde confiance, voir annexe II à la requête introductive
d’instance, note diplomatique du 14 décem bre 2005. Voir annexe VI à la re quête introductive d’instance, note
MREU 226/03 de l’ambassade d’Argentine au ministère des affaires étrangères de l’Uruguay du 27 octobre 2003. Voir
annexeXII à la requête introductive d’instance, rapport de la délégation argentine au GTAN, Buenos Aires,
3février2006, p.1. Voir annexe XIV à la requête introduc tive d’instance, acte 09/05 de la réunion de la CARU du
14 octobre 2005.
59Voir note OCARU N°107/2005, annexe VIII de la requête introductive d’instance. - 51 -
a rappelé les nombreux autres faits, chacun révélate ur d’agissements de l’Uruguay en violation du
droit international. Madame et Messieurs les juges, jusqu’où ira-t-on dans la violation par
l’Uruguay du statut du fleuve Uruguay? L’Argent ine se trouve dans l’urgence de demander à la
Cour de préserver ses droits au titre du statut de 1975.
9. Comme précisé dans la demande en mesur es conservatoires, l’Argentine a le droit de
s’attendre en application des dispositions du st atut de 1975 à ce qu’aucun ouvrage suffisamment
important pour affecter le régime du fleuve Ur uguay, la qualité de ses eaux, l’équilibre écologique
du fleuve ainsi que celui de ses zones d’influe nce ne soit autorisé ou construit sans avoir été
correctement informée, sans avoir pu évaluer l’in formation et sans avoir eu le droit d’objecter
éventuellement à une telle autorisation. Les ri sques importants sur l’environnement liés aux deux
projets d’usines CMB et Orion requièrent que le mécanisme de coopération prévu par le statut fasse
l’objet d’une application stricte par l’Uruguay.
10. Il faut d’ailleurs remarquer que la grav ité des risques encourus n’est pas contestée par
l’Uruguay. Sa propre direction nationale de l’ environnement, la DINAMA, a en effet qualifié les
projets d’usines CMB et Orion de projets dont la mise en Œuvre risque de produire un impact
60
négatif important sur l’environnement . Remarquons également que le rapport indépendant
Hatfield, qui a été précédemment cité, classe les projets de construction des deux usines CMB et
Orion dans la catégorie des projets de grande ampleur qui doivent donc faire l’objet d’une
évaluation environnementale très rigoureuse 61. Ce rapport ⎯ le rapport Hatfield ⎯ considère aussi
que les informations fournies jusqu’en mars 2006 ⎯ donc, très récemment ⎯ ne sont pas
suffisantes pour véritablement évaluer les impacts de ces projets de grande ampleur, et en
particulier ne donnent pas d’informations suffisant es pour apprécier le choix de l’emplacement des
deux usines 62.
60 Plantas de Celulosa M’Bopicuá y Botnia , site Internet du ministère des affaires étrangères de l’Uruguay
http://www.mrree.gub.uy/mrree/Prensa/Informeplantasdecelulosa-uruguay.h…, annexe I de la demande en mesures
conservatoires. Voir aussi le rapport de la DINAMA rela tif à Botnia du 11février2005 (annexeVII de la requête
introductive d’instance).
61Voir «Cumulative Impact Study-Uruguay Pulp Mills», 27 mars 2006 (annexe XXIII de la requête introductive
d’instance).
62Ibid., p. 18. - 52 -
11. Dans ces circonstances, l’Argentine de mande à la Cour d’indiquer une mesure
conservatoire qui lui permettra de préserver son droit d’être préal ablement et dûment informée et
notifiée, ainsi que de pouvoir présenter des objections au sujet de l’autorisation de construction et
de la construction des usines. Ce droit ⎯ je le souligne ⎯ doit s’exercer dans le cadre des
dispositions et organes mis en place par le statut du fleuve Uruguay.
12. Le régime juridique du fleuve Uruguay repo se, je l’ai dit, sur la «confiance réciproque»
entre l’Uruguay et l’Argentine. Cette confiance réciproque a pour matrice et moteur la coopération
continue entre les deux Etats pour l’utilisation optim ale, équitable et raisonnable du fleuve
Uruguay. Cette coopération et cette confian ce s’appuient sur une «communauté d’intérêts»
objectivée et organisée autour du respect des droits et obligations strictement prévus par le statut du
fleuve Uruguay. Ne pas indiquer de mesure s conservatoires serait laisser l’Uruguay porter
gravement atteinte à la communauté d’intérêts que votre Cour a définie comme étant «la base d’une
communauté de droits, dont les traits essentiels sont la parfaite égalité de tous les Etats riverains
dans l’usage de tout le parcours du fleuve et l’ex clusion de tout privilège d’un riverain quelconque
par rapport aux autres…» ( Projet Gab číkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1997, p.56, par.85. Voir aussi Juridiction territoriale de la Commission
internationale de l’Oder, arrêt n °16, 1929, C.P.J.I. sérieA n o 23, p.27). Le refus manifeste et
continu de l’Uruguay de se conformer aux obligati ons contenues dans le statut de1975 va à
l’encontre de l’exigence de «l’exclusion de tout privilège d’un riverain quelconque par rapport aux
autres». Il prive l’Argentine de ses droits au titre de la communauté de droits telle que définie dans
le statut.
13. L’objet et le but de la communauté d’intérêts et de droit créés par le statut du fleuve
Uruguay sont d’obliger les deux Etats à coopére r en prenant dûment en considération les
préoccupations et les intérêts de chacun en ma tière d’utilisation et de protection des ressources du
fleuve. Les droits et obligations prévus à cet effet constituent une expression particulière de ce que
votre juridiction a dénommé «[l]’obligation gé nérale qu’ont les Etats de veiller à ce que les
activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent
l’environnement dans d’autres Etats» (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 242, par. 29). - 53 -
14. Il faut noter aussi que le statut de 1975 n’est pas un traité qui énonce des obligations
souples ou flexibles. C’est un traité qui énonce de s obligations spécifiques et contraignantes. Les
obligations prévues par le statut de1975 ne font pas échec au droit d’un Etat de conduire des
projets de développement économique. Ces obliga tions doivent néanmoins être respectées avant
qu’un projet de développement ne soit autorisé et ne prenne forme. En l’espèce, tel n’a pas été le
cas et tel continue de ne pas être le cas.
II. La violation du principe pacta sunt servanda par l’Uruguay
et la nécessité d’indiquer des mesures conservatoires
15. Durant les trois dernières années, l’Arge ntine n’a eu de cesse d’adresser des demandes à
l’Uruguay en vue d’enclencher la procédure prévue par le chapitre II du statut du fleuve Uruguay et
cela en application du principe pacta sunt servanda (sur ce principe, voir Essais nucléaires,
C.I.J. Recueil 1974, p.268, par.46; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique), C.I.J.Recueil1984 , . 18, par.60; Projet
Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), C.I.J.Recueil1997 , par.142; Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), C.I.J. Recueil 1998, p.304,
par.59). Dans la majorité des cas, l’Uruguay n’a tout simplement pas répondu ou a fourni des
informations incomplètes. Cette attitude de contournement continuel des procédures porte
gravement atteinte aux droits de l’Argentine et risque d’anéantir l’objet et le but du statut de 1975.
16. Madame le président, Messieurs les juges, j’ai à peine besoin de rappeler que le respect
du statut du fleuve Uruguay ne peut se faire qu’à l’ aune «des considérations élémentaires de bonne
foi» ( Actions armées frontalières et tran sfrontalières (Nicaragua H c.onduras),
C.I.J. Recueil 1988, p.105, par.94). La bonne foi est la b ase de toute loi et de toute convention.
Aucun régime juridique, et particulièrement ce lui du statut du fleuve Uruguay qui a été façonné
dans une perspective de coopérati on renforcée entre deux Etats voisins et frères, n’est viable et
durable sans la certitude que la parole donnée sera respectée. C’est pour préserver ce régime
juridique conçu il y a une trentaine d’années que l’ Argentine prie la Cour d’indiquer une mesure
conservatoire ayant trait à la coopération de bonne fo i de la part de l’Uruguay afin de garantir que
l’Uruguay revienne dans le système de «légalité» du statut de 1975. - 54 -
17. L’Argentine demande également que l’Urugua y ne prenne plus de mesures unilatérales
relatives à la construction des usines CMB et Orion sur le fleuve Uruguay ni toute autre mesure qui
pourrait aggraver le différend.
18. Cette crainte d’une violation continue du statut du fleuve Uruguay s’avère fondée eu
égard à l’adoption récente d’autres mesures unilaté rales. Ainsi en est-il de l’autorisation de
construction d’un port à l’usage exclusif de l’us ine Orion donnée au mépris des prescriptions du
statut. Les travaux relatifs à ce port avancent d’aille urs à grande vitesse et celui-ci devrait être très
prochainement opérationnel 6. En outre, l’entreprise Botn ia, conjointement avec d’autres
entreprises, vient de créer une compagnie de tran sport fluvial pour acheminer en grandes quantités
la pâte à papier produite par l’usine Orion; et cela toujours au mépris des prescriptions du statut
de1975. Nul doute que les investissements qui vi ennent d’être décrits ont pour objet de porter
leurs fruits dans un proche avenir 6. De plus, l’annonce de la construction d’une troisième usine
par la société Stora Enso sur un affluent du fle uve Uruguay ne peut que confirmer les craintes de
65
l’Argentine d’une violation continue du statut . Ces mesures aggravent sans aucun doute le
différend qui oppose l’Argentine à l’Uruguay. Les mesures conservatoires demandées à votre Cour
ont ainsi pour but d’obliger l’Uruguay à se conf ormer à ses obligations en vertu du principe pacta
sunt servanda , à préserver la communauté d’intérêts et de droits créée par le statut du fleuve
Uruguay et prévenir pendente litis l’aggravation et l’extension du différend devant la Cour (voir
Statut juridique du sud-est du Groënland, or donnances des 2 et 3 août1932, C.P.J.I. sérieA/B
o
n 48, p.287; voir également Passage par le Grand-Belt (Finlande c.Danemark), mesures
conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 19, par. 32).
III. Le lien entre les mesures conservatoires demandées et la préservation
des droits de l’Argentine
19. Madame le président, Messieurs les j uges, l’Argentine considère que les mesures
conservatoires demandées seront à même de prés erver l’équilibre des droits et obligations
découlant du statut du fleuve Uruguay. L’Argentine continue à penser que le retour de l’Uruguay à
63
Voir «El puerto de Botnia estarà operativo en un mes», La Republica, 30 mai 2006.
64Voir «Forman compañìa Transportes Fluviales Fray Bentos», El Pais, 23 mai 2006.
65Voir «Stora Enso s’ajoute à Botnia et à ENCE», 29 septembre 2005 (annexe XXV de la requête introductive
d’instance). - 55 -
un comportement respectueux de l’exigence de c oopération de bonne foi, sans recourir à des
mesures unilatérales et illicites, pourra permettre de préserver l’intégrité du statut.
20. Gardons toutefois à l’esprit que la coopéra tion de bonne foi ne peut se suffire de mots.
La coopération de bonne foi implique des obliga tions, des comportements et des actions. Quels
sont-ils? La coopération de bonne foi exige, conformément au statut du fleuve Uruguay, que
l’Uruguay accepte de se soumettre aux procédures pr évues par le statut au sujet des projets de
construction d’usines de pâte à papier.
21. En outre, la coopération de «bonne foi» ex ige que l’Uruguay prenne en compte tous les
intérêts de l’Argentine, y compris les intérêts so cioéconomiques comme le tourisme et le bien-être
des populations.
22. L’obligation de coopérer impose également, en vertu du statut du fleuve Uruguay et des
autres engagements internationaux y relatifs, que l’Uruguay prévienne et empêche que des
dégradations à l’environnement ne se produisent et portent atteinte aux in térêts et droits de
l’Argentine. Cette obligation vise non seulement les actes propres de l’Etat uruguayen, c’est-à-dire
ceux qui sont le fait de ses organes, mais aussi les actes de toute personne ou groupe de personnes
sur son territoire. Cela a été dit dans la sentence arbitrale rendue dans l’affaire de la Fonderie du
66
Trail , véritable locus classicus dans le domaine de la lutte cont re la pollution, même si tous les
enseignements que l’on peut tirer de cette décisi on ne sont pas entièrement transposables à la
présente affaire.
23. L’obligation de coopérer implique, en out re, que l’Uruguay soit tenu en vertu du statut
de1975 de veiller avec toute la diligence due que les entreprises ENCE et Botnia suspendent
véritablement les travaux de construction afin d’assurer que les obligations du statut de 1975 soient
pleinement respectées et ce jusqu’à l’arrêt définitif de la Cour.
24. Madame le président, Messieurs les Membr es de la Cour, la Cour internationale de
Justice est au cŒur du mécanisme de coopération conçu dans le cadre du statut du fleuve Uruguay
66Affaire de la Fonderie de Trail (Etats-Unis/Canada) , arrêt du 11 mars 1941, recueil des sentences arbitrales,
vol.III, p.1938-1981 (texte en anglais): «under the principof international law … no State has the right to use or
permit the use of its territory in such manner as to cause injury by fumes in or to the territory of another or the properties
or persons therein, when the case is of serioconsequence…» (p.1965). Extraits en français in : ACDI, rapport du
secrétaire général sur les problèmes juridiques posés parexploitation et l’utilisation des fleuves internationaux et
documents de la vingt-sixième session préparés par le Secrétariat, vol. II, 21974, p. 207. - 56 -
ainsi que mes collègues Philippe Sands et Marcelo Kohen l’ont rappelé. En indiquant des mesures
conservatoires, la Cour contribuera à apaiser le présent différend, à préserver l’intégrité du statut du
fleuve Uruguay et à faciliter la coopération future entre l’Argentine et l’Uruguay.
25. Je vous remercie de votre attention et vous prie, Madame le président, de donner la
parole à M. le professeur Alain Pellet.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Boisson de Chazournes. I now give the floor to
Professor Pellet.
M. PELLET : Merci, Madame le président.
VI. L ES CONDITIONS POUR L ’INDICATION DES MESURES CONSERVATOIRES
SONT REMPLIES
Madame le président, Messieurs les juges,
1. Tout en récapitulant l’argumentation de la République argentine, je m’efforcerai de
montrer que les conditions pour l’indication de mesures conservatoires sont remplies.
2. Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 41 de son Statut, «[l]a Cour a
le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires
du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire». Les articles 73 à 78 du Règlement ne sont
guère plus explicites en ce qui concerne les c onditions que doivent remplir les circonstances en
question pour fonder une indication de telles mesures par la haute juridiction. Mais celles-ci ont
été précisées par une jurisprudence maintenant bien fixée. Il faut :
1) que la compétence de la Cour soit établie, au moins prima facie;
2) qu’il existe «un risque de préjudi ce irréparable aux droits en litige» ( Plateau continental de la
mer Egée, mesures conservatoir es, ordonnance du 11septembre1976, C.I.J. Recueil 1976,
p. 12, par. 33); et
3) qu’il y ait urgence.
Je me propose de montrer que chacune de ces trois conditions est remplie en l’espèce. - 57 -
I. La compétence prima facie de la Cour
3. La compétence de la Cour pour se prononcer sur l’affaire que l’Argentine lui a soumise ne
pose aucun problème particulier ⎯ ni prima, ni, à vrai dire, secunda facie.
4. Comme cela est indiqué au paragraphe 3 de la requête, votre juridiction est fondée,
Madame et Messieurs les juges, sur l’article 60 du statut de 1975 aux termes duquel: «Tout
différend concernant l’interprétation ou l’application du traité et du statut qui ne pourrait être réglé
par négociation directe peut être soumis par l’une ou l’autre des Parties à la Cour internationale de
Justice.» Cette disposition suffit amplement à établir la compétence prima facie de la Cour
conformément à sa jurisprudence constante (voir Activités armées sur le territoire du Congo
(nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), arrêt du 3 février 2006,
par. 25 et la jurisprudence citée).
5. Au demeurant, en l’espèce, la base de compétence de la Cour invoquée par l’Argentine
passe «haut la main» le test le plus rigoureux résultant de sa jurisprudence en matière de
compétence. Ce test a été défini par l’arrêt du 12 décembre 1996 sur les exceptions préliminaires
soulevées par les Etats-Unis dans l’affaire des Plates-formes pétrolières. A cette occasion, la Cour
a estimé ne pas pouvoir se borner à constater l’ex istence d’un différend entre les Parties sur
l’interprétation et l’application d’un traité en vigueur, mais devoir rechercher en outre si les
violations alléguées «entrent ou non dans les prévisi ons de ce traité et si, par suite, le différend est
de ceux dont la Cour est compétente pour connaître par … application» de la clause de juridiction
figurant dans le traité en question ⎯ en ce qui nous concerne, c’est le statut de 1975.
6. Et il n’est pas douteux que tel est le cas : le différend concerne «l’interprétation et
l’application» de ce traité et des règles de droit international auxquelles celui-ci renvoie, et il entre
bien «dans les prévisions» de celui-ci et, en particulier de son article 12 qui dispose :
«Si les parties n’aboutissent pas à un accord dans un délai de 180 jours à
compter de la communication visée à l’article 11 [celle par laquelle une partie notifie
qu’elle considère que l’exécution de l’ ouvrage ou du programme d’opération peut
causer un préjudice sensible au régime du fleuve], la procédure indiquée au
chapitre XV est applicable.»
7. Cette disposition présente une importance toute pa rticulière car elle est, si je peux dire, «à
cheval» sur les questions de compétence et les questions de fond: elle renvoie (mais renvoie
seulement) à l’article 60 ⎯unique disposition du chapitreXV, qui fonde la compétence de la - 58 -
Cour; mais en même temps, elle établit un droit pour l’Argentine ⎯ et c’est pour cela qu’elle
figure non pas dans le chapitre XV sur le «Règleme nt judiciaire des différends», mais dans le
chapitreII, qui fonde les droits et devoirs resp ectifs des Parties en matiè re de «navigation et
[d’]ouvrages» ⎯ c’est le titre de ce chapitre II. En d’autres termes, l’Argentine a un droit à ne pas
se voir imposer la construction d’un ouvrage par la volonté unilatérale de l’Uruguay et, si elle
n’accepte pas la construction envisagée, elle est en droit de demander à la Cour de se prononcer sur
son bien-fondé et d’exiger qu’il ne soit pas pr océdé à cette construction avant l’intervention de
l’arrêt. Celui-ci apparaît dès lors clairement comme un «succédané» de l’accord que les Parties
n’ont pas pu atteindre ( Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du
o
19 août 1929, C.P.J.I. série A n 22).
8. Comme mes collègues et amis l’ont montré, ce droit constitue l’un de ceux dont
l’Argentine demande la protection, mais ce n’est pas le seul. La question de la protection de
l’environnement du fleuve et de ses zones d’influe nce est également au centre des droits dont elle
prie la Cour de bien vouloir assurer le respect . Et il va de soi que le présent différend porte,
effectivement, sur la violation (et les risqu es graves de violation à l’avenir) de nombreuses
dispositions du statut.
9. Je vais revenir dans un instant sur la cons istance des droits en litige mais, avant de quitter
le terrain de la compétence, je voudrais seulement rappeler, Madame le pr ésident, que le différend
n’a pu être réglé par la voie de négociations directes, dans les délais prévus par le statut de 1975 :
⎯ à la suite des efforts de l’Argentine qui ont suivi l’octroi unilatéral de l’autorisation
67
environnementale préalable aux projets CMB, le 9 octobre 2003, et Orion, le 14 février 2005 ,
les deux Etats décident de créer le GTAN en mai 2005, afin de trouver une solution négociée à
leur différend; ce groupe tient douze réunions entr e août 2005 et janvier 2006 sans parvenir à
un accord 68;
⎯ en mars 2006, le président argentin lance un nouvel appel à son homologue uruguayen en vue
du règlement du différend sur la base de la suspension des travaux pendant qu’une étude
indépendante d’impact sur l’environnement ⎯dont le président uruguayen a accepté le
67
Voir la chronologie figurant dans le dossier des juges.
68Voir le rapport de la délégation argentine au GTAN, 3 février 2006 (requête, annexe XII). - 59 -
69
principe ⎯ déterminerait la voie à suivre ; cet accord n’a cependant jamais été suivi d’effet,
suite aux carences des autorités uruguayennes, qui n’ont pas fait respecter la suspension des
70
travaux .
10. Ce refus délibéré de toute négociation véritable ⎯en particulier sur la localisation des
usines ⎯ trouve son origine dans le discours du mini stre des affaires étrangères de l’Uruguay au
Sénat de ce pays, le 26 novembre 2003. Dans ce discours, M. Opertti Badan affirmait que la
question relevait par nature du seul droit nati onal et ne saurait être soumise à la CARU 7.
72
L’ambassadeur Felipe Paolillo y a fait écho à ces décl arations pas plus tard que le 29 mai dernier .
Du reste, le communiqué de la présidence de l’Uruguay d’avril 2006 ne laisse aucun doute sur la
volonté bien arrêtée de l’Etat défendeur de ne pas respecter la procédure prévue par le statut 73 et
constitue une fin de non-recevoir, qui établit, pour reprendre les mots de la Cour permanente, «un
non volumus péremptoire de l’une des Parties» montra nt «avec évidence que le différend n’est pas
susceptible d’être réglé par une négociation diplomatique» ( Concessions Mavrommatis en
Palestine, arrêt n o2, 1924, C.P.J.I. sérieA n 2, p. 13. Voir aussi Sud-Ouest africain, exceptions
préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 1962, p. 346; Personnel diplomatique et consulaire des
Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 27, par. 52).
II. «Un risque de préjudice irréparable … aux droits en litige»
11. Dès lors que la compétence de la Cour n’est pas douteuse, il convient de clarifier deux
points :
1) Quels sont les droits en litige (et, plus spéci fiquement, quels sont les droits en cause dans la
demande de mesures conservatoires) ? Et,
2) Ces droits sont-ils menacés de préjudice irréparable ?
12. Sur :
69
Voir requête, annexe XV.
70 Voir requête, annexes XX-XXI.
71 Sénat de la République orientale de l’Uruguay, co mmission des affaires internationales, séance du
26 novembre 2003. Intervention du ministre des affaires étrangères, M. Didier Opertti (document 3 déposé au Greffe par
l’Argentine le 2 juin 2006).
72 Présentation du Gouvernement de l’Uruguay, 29 mai 2006, si ège de la présidence à Montevideo (site Internet :
http://www.presidencia.gub.uy).
73 Voir requête, annexe XXII. - 60 -
A. Les droits en litige
Je peux être bref, Madame le président : ils s ont énoncés au paragraphe 4 de la demande en
indication de mesures conservatoires et leur nature précise a été, je crois, décrite avec beaucoup de
clarté tout à l’heure par le professeur Philippe Sands. On peut les répartir en deux groupes :
⎯ Certains découlent d’obligations de comportement incombant à l’autre Partie; ils correspondent
au point a) du paragraphe 4 de la demande et relèvent du «droit à ce que l’Uruguay respecte les
obligations prévues par le statut de 1975 pour la réalisation de tout ouvrage suffisamment
important pour affecter le régime du fl euve Uruguay ou la qualité de ses eaux» ⎯ ces
obligations sont prévues de manière très précise au chapitre II du statut de 1975.
⎯ Les autres droits dont l’Argentine est fondée à exiger le respect sont énoncés sous les
lettres b) et c) du même paragraphe 4 de la demande. Il s sont la conséquence d’obligations de
résultat, celles-ci incombant à l’Uruguay et ils impliquent que cet Etat «n’autorise ni
n’entreprenne la construction d’ouvrages suscep tibles de causer des préjudices sensibles au
fleuve Uruguay et [à] ses «zones d’influence»» av ant que les procédures prévues au chapitre II
du statut aient été menées à terme. En outre l’Argentine est en droit d’obtenir l’assurance
«que les populations riveraines du fleuve Uruguay relevant de sa juridiction et vivant à
proximité des ouvrages projetés ou dans leur zone d’influence, vivent dans un
environnement sain et ne subissent pas de dommages à la santé, de dommages
économiques ou de toute autre nature, du fait de la construction des usines de pâte à
papier et de leur mise en service…».
Ces obligations reposent sur nombre de dispos itions expresses du statut de 1975 (notamment
ses articles 1e, 7-13, 27, 35-37 et 40-43). Elles repo sent aussi sur «les principes et règles du
droit international nécessaires pour l’interprétati on et l’application du statut» (demande en
indication de mesures conservatoires, par. 4 c)), comme l’envisagent d’ ailleurs explicitement
er
les articles 1 et 41 a) du statut.
13. Il est clair que tous ces droits sont des «droits en litige» dans l’instance principale, au
sens où l’entend la jurisprudence de la Cour: en effet, «les droits… dont il est demandé qu’ils
fassent l’objet de mesures conservatoires … sont … l’objet de l’instance pendante devant la Cour
sur le fond de l’affaire» ( Sentence arbitrale du 31juillet 1989 (Guinée-Bissau c.Sénégal) ,
ordonnance du 2 mars 1990, C.I.J. Recueil 1990, p. 70, par. 26). Autrement dit, les droits que
l’Argentine cherche à protéger par des mesures conservatoires sont directement liés aux demandes - 61 -
faites dans sa requête introductive d’instance ( Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni
c.Islande), mesures conservatoires, or donnance du 17août1972, C.I.J.Recueil1972 , p. 15,
par.14, p. 33, par. 14; Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), mesures
conservatoires, ordonnance du 11septembre 1976, C.I.J.Recueil1976 , p. 11, par. 34, Personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, mesures conservatoires, ordonnance du
15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 16, par. 28. Voir aussi Statut juridique du territoire du
sud-est du Groënland, ordonnances des 2 et 3 août 1932, C.P.J.I. série A/B n o48, p. 285; Réforme
agraire polonaise et minorité a llemande, ordonnance du 29 juillet 1933, C.P.J.I. sérieA/B n° 58 ,
p.177); ce sont les droits «que l’arrêt [que la Cour] aura ultérieurement à rendre pourrait
éventuellement reconnaître» ( Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), mesures
conservatoires, ordonnance du 5 juillet 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 93).
B. Un risque de préjudice irréparable
14. En l’espèce, l’une comme l’autre de ces caté gories de droits courent, aujourd’hui, dans
l’immédiat, des risques graves de préjudices irréparables ⎯ étant remarqué, et c’est important, que
ce qu’exige votre jurisprudence, Madame et Messie urs de la Cour, ce n’est pas que le préjudice en
question soit né et actuel, mais qu’il ait un risque de se produire.
15. Quoi qu’il en soit, et même en adoptant la définition la plus étroite de la notion de
«préjudice irréparable», les conditions en sont réunies en l’espèce. Dès l’origine, la CPJI a
considéré qu’un préjudice est irréparable s’il «ne sau rait être réparé moyennant le versement d’une
simple indemnité ou par une autre prestation matérielle» ( Dénonciation du traité sino-belge du
2novembre 1865, ordonnance du 8 j anvier 1927, C.P.J.I. série A n° 8 , p. 7; Usine de Chorzów,
ordonnance du 21 novembre 1927, C.P.J.I. sérieA n° 12 , p. 6) ou «pour autant que le préjudice
dont ces droits sont menacés serait irrémédiable en droit ou en fait» ( Statut juridique du territoire
du sud-est du Groënland, ordonnance du 3 août 1932, C.P.J.I. sérieA/B n° 48 , p. 284). Pour sa
part, dans l’affaire du Plateau continental de la mer Egée, la Cour actuelle a considéré :
«qu’en l’espèce, la violation, reprochée à la Turquie, de l’exclusivité du droit
revendiqué par la Grèce de recueillir des renseignements sur les ressources naturelles
de zones du plateau continental pourrait, si ce droit était établi, donner lieu à une
réparation appropriée ; de sorte que la Cour n’est pas en mesure de considérer la
violation alléguée des droits de la Grèce comme un risque de préjudice irréparable aux - 62 -
droits en litige devant elle…» ( C.I.J. Recueil 1976, ordonnance du
11 septembre 1976, p. 12, par. 33).
Et dans les affaires concernant la Compétence en matière de pêcheries , qui sont sans doute
les plus proches ou les moins éloignées de la présente espèce parmi celles dont la Cour ait eu à
connaître, elle a considéré que
«le droit … d’indiquer des mesures conservatoires, prévu à l’article 41 du Statut, a
pour objet de sauvegarder les droits des pa rties en attendant que la Cour rende sa
décision, qu’il présuppose qu’un préjudice irréparable ne doit pas être causé aux droits
en litige devant le juge et qu’ aucune initiative concernant les mesures litigieuses ne
doit anticiper sur l’arrêt de la Cour.»
La Cour a ajouté
«que la mise en application immédiate de son règlement par l’Islande, en anticipant
sur l’arrêt de la Cour, porterait préjudice a ux droits invoqués par le Royaume-Uni et
nuirait à la possibilité de leur rétablissement intégral au cas où la Cour se prononcerait
en sa faveur» (C.I.J. Recueil 1972, ordonnances du 17 août 1972 , p. 16, par. 21-22 et
p. 34, par. 22-23; les italiques sont de nours).
16. Il en va exactement ainsi dans notre affa ire: qu’il s’agisse des droits concernant la
procédure et les obligations découl ant du chapitre II du statut, ou des droits relatifs à la protection
de l’environnement que l’Argentine prie la Cour de préserver par l’indication de mesures
conservatoires, dans les deux cas, ces droits seraient irrémédiablement compromis (c’est-à-dire
insusceptibles de «remèdes» appropriés) en l’absence de telles mesures.
17. S’agissant des premiers ⎯ les droits à ce que la procédure prévue par le chapitre II du
statut soit scrupuleusement respectée, ceci relève pres que, à vrai dire, de l’évidence : si les usines
sont construites sans que la procédure du chapitre II ait été respectée, il ne restera rien à exécuter de
l’obligation et l’arrêt au fond que la Cour est appelée à rendre sera dépourvu de tout objet. Or il est
essentiel que, lorsque la Cour exerce sa fonction j udiciaire, ses arrêts aient «des conséquences
pratiques en ce sens qu’il[s] doi[vent] pouvoir affecter les droits et obligations juridiques existants
des parties…» ( Cameroun septentrional, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1963 ,
p.34). L’institution des mesures conservatoires, inhérentes à la fonction judicaire, a précisément
pour objet «de sauvegarder les droits de chacune des parties en attendant sa décision» (Compétence
en matière de pêcheries (Royaume-Uni c.Is lande), mesures conservatoires, ordonnance du
17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 16, par. 21 et p. 34, par. 22; Essais nucléaires, mesures
conservatoires, ordonnance du 22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973 , p. 103, par. 20 et p. 139, par. 21; - 63 -
Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), mesures conservatoires, ordonnance du
11septembre 1976, C.I.J.Recueil1976 , p. 9, par. 25; Personnel diplomatique et consulaire des
Etats-Unis à Téhéran, mesures con servatoires, ordonnance du 1d 5écembr1e979,
C.I.J. Recueil 1979, p. 19, par. 36; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali),
mesures conservatoires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p.8, par.13;
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, ordonnance
du 8 avril 1993, C.I.J.Recueil1993 , p. 19, par. 34; Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria), ordonnance du 15mars 1996 , p. 21-22, par. 35;
Convention de Vienne sur les relations consul aires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures
conservatoires, ordonnance du 9 a vril 1999, C.I.J. Recueil 1998, p. 257, par.35; LaGrand
(Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), mesu res conservatoires, ordonnance du 3mars1999,
C.I.J. Recueil 1999, p. 15, par. 22; Mandat d’arrêt du 11avril20 00 (République démocratique du
Congo c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 8 décembre 2000, C.I.J. Recueil 2000 ,
p. 201, par. 69; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c.Etats-Unis d’Amérique),
mesures conservatoires, ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p.89, par.49), afin
d’éviter que la décision de la Cour soit sans effet concret.
18. Ceci est d’autant plus vrai en la présente espèce que l’intervention de la haute juridiction
forme une partie intégrante du mécanisme pr évu par le chapitre II du statut de 1975, dont
l’article12 lui confie la mission de prendre une décision finale si les parties n’ont pu se mettre
d’accord sur la construction projetée par l’une d’ elles, en tout cas à l’emplacement retenu. La
poursuite de la construction des deux usines ne nuirait donc pas seulement à la fonction «judicaire»
de la Cour, mais elle empêcher ait irrémédiablement la Cour de s’acquitter de la mission que lui
confie l’article 12. Du même coup, l’objet et le but mêmes du statut ⎯ qui consistent précisément,
aux termes de son article prem ier, à «établir des mécanismes communs nécessaires à l’utilisation
rationnelle et optimale du fleuve Uruguay» ⎯ sera définitivement compromise. Il y a d’ailleurs là,
Madame le président, Messieurs les juges, une différence fondamentale entre l’affaire qui nous
occupe et celle du Grand-Belt ⎯ sur laquelle je reviendrai dans quelques instants. L’Argentine
entend protéger des droits conventionnels essentie ls à l’exécution du Statut de 1975, tandis que la - 64 -
Finlande cherchait à défendre un droit de passag e qu’elle prétendait teni r du droit international
général mais qui n’était assorti d’aucune obligation de consultation ou d’entente préalables.
19. La question, cruciale, de la localisation des usines illustre bi en, je crois, ce que je veux
dire : à ce jour, aucun élément concret n’a été four ni afin d’évaluer le choix de l’Uruguay quant à
ces emplacements et, comme l’a reconnu le rapport Hatfield commandité par la SFI afin d’évaluer
le projet : «The CIS does not provide a clear unde rstanding of the site selection process employed
74
by Orion and CMB.» Supposons, par exemple, que la Cour , sans remettre en cause le principe
même de la construction des usines, estime, une fo is l’information requise enfin fournie et discutée
par les Parties, que les usines ne doivent pas être implantées aux emplacements retenus par l’Etat
défendeur ⎯hypothèse que l’Argentine n’exclut nullem ent. Quelles conséquences concrètes la
Cour pourra-t-elle tirer de la cons tatation qu’elle fera à cet égard dans son arrêt si les travaux de
construction n’ont pas été suspendus une fois la mi se en service de l’usine acquise ? Et l’on peut
poser le même genre de questions en ce qui conc erne la technologie rete nue ou la taille de ces
projets pharaoniques ⎯sur lesquelles l’Uruguay n’a fourni que des informations extrêmement
parcellaires et tout à fait insuffisantes pour se prononcer en l’état actuel des choses.
20. En ce qui concerne les autres droits dont l’Argentine peut se prévaloir, il me semble qu’il
n’y a pas grand-chose à ajouter à ce que Marcelo Kohen en a dit tout à l’heure : la construction des
usines cause d’ores et déjà des dommages et leur éventuelle mise en service aggravera évidemment
encore la situation.
21. Du reste, conformément à votre jurisprudence constante, il n’est pas nécessaire, Madame
et Messieurs les juges, qu’un dommage soit d’or es et déjà advenu; il su ffit que vous considériez
qu’il existe un risque sérieux à cet égard ( Frontière terrestre et maritim e entre le Cameroun et le
Nigéria (Cameroun c.Nigéria), mesures conservatoires, ordonnance du 15mars1996 , p.22,
par. 42; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c.Ouganda), mesures conservatoires, ordonnance du 1 erjuillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p.128,
par. 43; Certaines procédures pénales engagées en France (République du Congo c.France),
mesures conservatoires, ordonnance du 17 juin 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 111, par. 38; Plateau
74Hatfield Consultants Ltd., «Cumulative Impact Study-U ruguay Pulp Mills», 27 mars 2006, p.18, issue A23,
requête, annexe XXIII. - 65 -
continental de la mer Egée (Grèce c. Tur quie), mesures conservatoires, ordonnance du
11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p.12, par.3; Personnel diplomatique et consulaire des
Etats-Unis à Téhéran, mesures conservato ires, mesures conservatoires, ordonnance du
15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p.20, par.42; Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de gé nocide, mesures conservatoires, ordonnance
du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 23, par. 48). C’est ce qui résulte par exemple des
ordonnances de la Cour de 1973 dans les affaires sur les Essais nucléaires : «aux fins de la présente
procédure, il suffit de noter que les renseigneme nts soumis à la Cour,…n’excluent pas qu’on
puisse démontrer que le dépôt en territoire australien de substances radioactives provenant de ces
essais cause un préjudice irréparable à l’Australie» (ordonnances du 22 ju1973,
C.I.J. Recueil 1973, p. 105, par. 29; voir aussi, p. 141, par.30). Et la même chose était vraie
s’agissant de la Nouvelle-Zélande. En l’espèce, cette éventualité ne fait aucun doute.
22. En effet, dans notre affaire, le dommage écologique est, pour le moins, une très sérieuse
75
probabilité , reconnue par les experts uruguayens eux-mêmes, et ceci a été souligné, en particulier,
dans le rapport de la DINAMA su r l’évaluation de l’impact envir onnemental de l’installation des
usines :
«The modifications to the shore of the River Uruguay [resulting from the
construction of the plants] allow negative e ffects to be envisaged for the aquatic fauna
in the shallow sectors…Moreover, the shore area of the plant is an area of
reproduction and breeding of various species including those which are the principal
capture of small-scale fisheries. In the EI A … it is suggested that the construction of
the port should be avoided due to the pote ntial impact on the fish community. This
suggestion was later rejected in the study a nd the related impacts were practically not
assessed.» 76
And, even more telling :
«Below is presented a non-specific list of potential impacts that have not been
considered by the EIA presented, or have been considered without using the correct
environmental approach…
⎯ Damage to tourism in the zone of influence of the project.
⎯ Damage to fish stocks…
75
Voir requête, annexe XII.
76Rapport de la délégation argentine au GTAN, Buenos Aires, 3 février 2006, requête, annexe VII, p. 9. - 66 -
⎯ Possibility of medium and long-term accumulation of pollutants in the sediments
and biota of the river.
⎯ Damage to the wild (terrestrial and aq uatic) fauna due to the emission of noises
generated in the construction and opera tion phase of the plant and due to the
activities of water and land transport in the area of influence.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
⎯ Impacts on the area of the project and its most immediate surroundings, produced
by the presence of a very significant numb er of workers during the construction
phase.» 77
23. Or le respect des exigences environnement ales constitue précisément l’un des principaux
objets du différend même si ce n’est pas le seul. Un tel dommage est, par hypothèse, «irréparable»
ou «irrémédiable» : le rétablissement du statu quo ante serait inenvisageable; une satisfaction serait
à l’évidence inappropriée; et une indemnisation serait exclue car ce type de préjudice ne se prête
pas à une évaluation financière ( Projet Gab číkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt,
78
C.I.J. Recueil 1997, p. 78, par. 140) : il n’est quantifiable ni par avance, ni une fois effectivement
réalisé, et l’environnement restera probablemen t touché pendant des décennies sans qu’il soit
possible d’évaluer avec certitude l’impact environn emental de la construction et de la mise en
service des usines. La Cour a déjà eu l’occasion de le souligner, dans une formule justement
célèbre :
«l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres
humains et dont dépendent la qualité de le ur vie et leur santé, y compris pour les
générations à venir. L’obligation généra le qu’ont les Etats de veiller à ce que les
activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent
l’environnement dans d’autres Etats ou da ns des zones ne relevant d’aucune
juridiction nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de
l’environnement.» ( Licéité de la menace ou de l’em ploi d’armes nucléaires, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 241-242, par. 29.)
Il en va ainsi à fortiori lorsque cette oblig ation découle, comme en l’espèce, non du droit
international général mais de dispositions conventionnelles dépourvues de toute ambiguïté.
24. Il en va d’ailleurs sans doute de même, en partie au moins, s’agissant des dommages
79
économiques et sociaux ⎯que le professeur Kohen a détaillés (dans les limites du temps qui
nous est imparti) ⎯ et je rappelle à cet égard qu’un impact de cette nature peut également se
77
Ibid., p. 10.
78
Voir aussi l’article 36, par. 2, des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite annexés à la résolution 56/83 de l’Assemblée générale du 12 décembre 2001.
79Voir notamment les documents n 9 à 14 déposés au Greffe par l’Argentine le 2 juin 2006. - 67 -
révéler irréparable du fait de l’impossibilité de l’ évaluer concrètement, comme la Cour permanente
l’avait relevé dans l’affaire de l’ Usine de Chorzów (ordonnance du 21 novembre 1927, C.P.J.I.
série A n° 12, p. 6).
25. Ceci constitue l’une des nombreuses et im portantes différences entre la présente affaire
et celle du Grand-Belt, dans laquelle la Cour a rejeté la demande en indication de mesures
conservatoires de la Finlande parce que l’achèvemen t du pont ne serait intervenue que bien après
que l’arrêt sur le fond aurait été rendu. Il s’agissait donc d’un problème d’«urgence» ou de
«non-urgence» et non de «préjudice irréparable» (voir ordonnance du 29 juillet 1991,
C.I.J. Recueil 1991, p. 18, par. 27). La fameuse conclusion de la Cour selon laquelle on ne pouvait
exclure que, le jour où la Finlande aurait eu gain de cause, le Danemark serait obligé de démanteler
l’ouvrage a une toute autre signification que celle que revêtirait un refus d’ordonner, dans cette
affaire, la suspension de la construction des us ines: non seulement la c onstruction elle-même des
usines de cellulose cause des dommages nés et act uels, mais encore leur mise en service
interviendra, de toute évidence, avant que vous ayez été à même de rendre votre arrêt ⎯ quelque
célérité que vous y mettiez. Au surplus, dans notre affaire, si vous vous refusiez à ordonner des
mesures conservatoires, la restitutio in integrum ne serait pas simplement compromise et rendue
matériellement plus lourde pour l’Uruguay (comme c’eût été le cas de la destruction ou de
l’aménagement du pont sur le Grand-Belt): le défendeur ici se trouvera it concrètement dans
l’impossibilité d’effacer les conséquences de son fa it internationalement illicite. Autrement dit,
alors que la Cour a considéré que le démantèlement du pont permettrait de rétablir la Finlande dans
ses droits, le démantèlement éventuel des usines une fois construites ne peut pas «remettre en état»
les droits de l’Argentine concernant la protection de l’environnement du fleuve.
26. Dans les affaires concernant la Compétence en matière de pêcheries , la Cour a tenu
compte de l’impossibilité de rétablir entièrement le statu quo pour indiquer des mesures
conservatoires; elle a considéré «que la mise en application immédiate de son règlement par
l’Islande, en anticipant sur l’arrêt de la C our, porterait préjudice aux droits invoqués par le
Royaume-Uni et nuirait à la possibilité de leur rétablissement intégral au cas où la Cour se
prononcerait en sa faveur» ( ordonnances du 17 août 1972 , C.I.J. Recueil 1972, p. 16, par. 22; voir
aussi p. 34, par. 23). - 68 -
27. Dans la présente espèce, cette considération vaut pour les violations par l’Uruguay de ses
obligations de résultat du fa it de la construction des usines litigieuses autant que pour son
non-respect des procédures imposées au chapitreII du statut de1975, et le démantèlement des
ouvrages ne constituerait certainement pas, qu’il s’ agisse de l’une ou l’autre de ces catégories
d’obligations, une restitutio in integrum. Une fois l’environnement atteint, il est trop tard pour le
protéger; une fois l’usine construite, l’obligation de consultation préalable (et ce mot dit tout), n’a
plus aucun sens et le droit de l’Argentine à ce que les ouvrages ne soient pas construits sans son
accord ou sans qu’un arrêt de la Cour l’ait autorisé se trouverait complètement vidé de sens. Seules
des mesures conservatoires indiquées par la Cour peuvent empêcher l’irrémédiable.
III. L’urgence des mesures demandées
28. Madame le président, l’Argentine ne nie évidemment pas que des mesures conservatoires
«ne sont justifiées que s’il y a urgence» ( Frontière terrestre et maritim e entre le Cameroun et le
Nigéria (Cameroun c. Nigéria), mesures conservatoires, ordonnance du 15 mars1996 ,
C.I.J. Recueil 1996, p.22, par.35; LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), mesures
conservatoires, ordonnance du 3mars1999 , p.15, par.22; Mandat d’arrêt du 11avril2000
(République démocratique du Congo c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du
8 décembre 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 201, par. 69), «c’est-à-dire s’il est probable qu’une action
préjudiciable aux droits de l’une ou de l’autre Partie sera commise avant qu’un … arrêt définitif ne
soit rendu» ( Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires,
ordonnances du 29juillet1991 , C.I.J. Recueil 1991, p.17, par.23; Avena et autres ressortissants
mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Améri que), mesures conservatoires, ordonnance du
5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p.90, par.50). Et c’est ce qui explique que, dans l’affaire du
Grand-Belt, la Cour n’ait pas fait droit à la demande de la Finlande: il n’était pas douteux que
l’achèvement du pont compromettrait le droit de passage invoqué pa r celle-ci; mais il n’avait pas
«été établi que les travaux de construction porteront atteinte pendente litis au droit revendiqué»
(Passage par le Grand-Belt, mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillt991 ,
C.I.J. Recueil 1991, p.18, par.27; voir aussi Certaines procédures pénales engagées en France - 69 -
(République du Congo c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 17juin2003 ,
C.I.J. Recueil 2003, p. 110, par. 35).
29. En revanche, lorsque le dommage invoqué risque, raisonnablement, de se produire avant
le prononcé de l’arrêt au fond, l’exigence de l’urgence se confond largement avec la condition dont
je viens de parler: l’existence d’un risque sér ieux qu’il soit porté un préjudice irréparable aux
droits en litige. Et il ne fait malheureusemen t aucun doute que cette condition est remplie en
l’espèce. La construction des usines a comme ncé: non seulement les risques de dommages
écologiques sont déjà avérés et se précisen t chaque jour qui passe, les conséquences
socioéconomiques se font déjà cruellement sentir, ma is, de surcroît, la mise en service des usines
80
est prévue pour le mois d’août2007 pour CMB et à la mi-2008, pour Orion , c’est-à-dire, quoi
qu’il arrive, avant que la Cour rende son arrêt définitif.
30. Il est également important de souligne r que les mesures conservatoires demandées par
l’Argentine contribueront, une fois ordonnées par vot re haute juridiction, à l’apaisement de la
tension entre les deux Etats. La suspension d es travaux de construction des deux usines est la
condition essentielle à la reprise de la procédure du chapitreII du statut de1975 en toute sérénité
⎯reprise qui, sans la suspension des autorisations déjà accordées, n’aurait aucun sens. Et la
relance de la coopération entre les Parties qui en résultera est de nature à éviter une aggravation du
différend ou d’en rendre la solution plus difficile, voire impossible ⎯ce qui constitue l’objet
même de toute mesure conservatoire (voir par exemple Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etat s-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnances du 10 mai 1984, C.I.J. Recueil 1984, p.186, par.39; Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali), mesures conservatoires, ordonnance du 1j0anvie1 r986 ,
C.I.J. Recueil 1986, p. 9, par. 18; Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du 8avril1993 , C.I.J. Recueil 1993,
p. 23, par. 48; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun
c.Nigéria), mesures conserva tires, ordonnance du 15mars1996 , C.I.J. Recueil 1996, p.22,
par. 41; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
80
Affidavit de M. Pince de Léon, observations de l’Uruguay, pièce 3, p. 2, par. 8. - 70 -
c.Ouganda), mesures conservatoires, ordonnance du 1 erjuillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p.128,
par. 44; Certaines procédures pénales engagées en France (République du Congo c.France),
mesures conservatoires, ordonnance du 17 juin 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 111, par. 39).
31. Madame le président, Messieurs les juges, les mesures qui font l’objet de la demande de
la République argentine sont seules de nature à prés erver les droits qu’elle tient du statut du fleuve
Uruguay de1975 et à éviter que soit créé un fait acco mpli irrémédiable dans l’attente de votre
décision au fond. Seules elles peuvent «sauver» le statut de1975, dont la raison d’être est, je le
répète, d’«établir les mécanismes communs néce ssaires à l’utilisation rationnelle et optimale du
fleuve Uruguay». Toutes les conditions sont remplies pour que vous puissiez les indiquer.
Madame le président, mon intervention termine les plaidoiries du premier tour de
l’Argentine. Au nom de toute notre délégation, je vous remercie vivement, Madame et Messieurs
de la Cour, de l’attention que vous nous avez prêtée.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. Your statement concludes this morning’s
hearing. We shall meet again at 3 o’clock this afternoon for the first round of oral observations by
Uruguay. The Court now rises.
The Court rose at 1 p.m.
___________
Public sitting held on Thursday 8 June 2006, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding