CR 2005/9
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2005
Audience publique
tenue le mercredi 20 avril 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Shi, président,
en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(République démocratique du Congo c. Ouganda)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2005
Public sitting
held on Wednesday 20 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Shi presiding,
in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(Democratic Republic of the Congo v. Uganda)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : M. Shi,président
Ricep.ra,ident
KorMoM a.
Vereshchetin
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Ajbresam,
VerMhoev.en,
jugetseka, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Presienit
Vice-Presideetva
Judges Koroma
Vereshchetin
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Judges ad hoc Verhoeven
Kateka
Registrar Couvreur
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République du Congo est représenté par :
S. Exc. M. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, ministre de la justice et garde des sceaux de la
République démocratique du Congo,
comme chef de la délégation;
S.Exc. M.Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeu r extraordinaire et plénipotentiaire auprès du
Royaume des Pays-Bas,
coagment;
M. Tshibangu Kalala, avocat aux barreaux de Kinshasa et de Bruxelles,
comme coagent et avocat;
M. Olivier Corten, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles,
M. Pierre Klein, professeur de droit internationa l, directeur du centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,
M. Jean Salmon, professeur émérite à l’Université lib re de Bruxelles, membre de l’Institut de droit
international et de la Cour permanente d’arbitrage,
M. Philippe Sands, Q.C., professeur de droit, dire cteur du Centre for International Courts and
Tribunals, University College London,
comme conseils et avocats;
M. Ilunga Lwanza, directeur de cabinet adjoint et conseiller juridique au cabinet du ministre de la
justice et garde des sceaux,
M. Yambu A Ngoyi, conseiller principal à la vice-présidence de la République,
M. Mutumbe Mbuya, conseiller juridique au cabinet du ministre de la justice,
M. Victor Musompo Kasongo, secrétaire particulier du ministre de la justice et garde des sceaux,
M. Nsingi-zi-Mayemba, premier conseiller d’am bassade de la République démocratique du Congo
auprès du Royaume des Pays-Bas,
Mme Marceline Masele, deuxième conseillère d’ ambassade de la République démocratique du
Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
commceonseillers;
M. Mbambu wa Cizubu, avocat au barreau de Kinshasa (cabinet Tshibangu et associés),
M. François Dubuisson, chargé d’enseignement à l’Université libre de Bruxelles,
M. Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles, - 5 -
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
His Excellency Mr. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, Minister of Jus tice, Keeper of the Seals of
the Democratic Republic of the Congo,
as Head of Delegation;
His Excellency Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Amb assador Extraordinary and Plenipotentiary
to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
Maître Tshibangu Kalala, member of the Kinshasa and Brussels Bars,
as Co-Agent and Advocate;
Mr. Olivier Corten, Professor of International Law, Université libre de Bruxelles,
Mr. Pierre Klein, Professor of International Law, Director of the Centre for International Law,
Université libre de Bruxelles,
Mr. Jean Salmon, Professor Emeritus, Université libre de Bruxelles, member of the Institut de droit
international and of the Permanent Court of Arbitration,
Mr. Philippe Sands, Q.C., Professor of Law, Director of the Centre for International Courts and
Tribunals, University College London,
as Counsel and Advocates;
Maître Ilunga Lwanza, Deputy Directeur de cabinet and Legal Adviser, cabinet of the Minister of
Justice, Keeper of the Seals,
Mr. Yambu A. Ngoyi, Chief Adviser to the Vice-Presidency of the Republic,
Mr. Mutumbe Mbuya, Legal Adviser, cabinet of the Minister of Justice,
Mr. Victor Musompo Kasongo, Private Secretary to the Minister of Justice, Keeper of the Seals,
Mr. Nsingi-zi-Mayemba, First Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,
Ms Marceline Masele, Second Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,
as Advisers;
Maître Mbambu wa Cizubu, member of the Kinshasa Bar (law firm of Tshibangu and Partners),
Mr. François Dubuisson, Lecturer, Université libre de Bruxelles,
Maître Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar, - 6 -
Mme Anne Lagerwall, assistante à l’Université libre de Bruxelles,
Mme Anjolie Singh, assistante à l’University College London, membre du barreau de l’Inde,
comme assistants.
Le Gouvernement de l’Ouganda est représenté par :
S. Exc. E. Khiddu Makubuya, S.C., M.P., Attorney General de la République de l’Ouganda,
comme agent, conseil et avocat;
M. Lucian Tibaruha, Solicitor General de la République de l’Ouganda,
comme coagent, conseil et avocat;
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre du barreau d’Angleterre, membre de la
Commission du droit international, professeur émérite de droit international public à
l’Université d’Oxford et ancien titulaire de la chaire Chichele , membre de l’Institut de droit
international,
M. Paul S. Reichler, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., avocat à la Cour
suprême des Etats-Unis, membre du barreau du district de Columbia,
M. Eric Suy, professeur émérite à l’Université cat holique de Leuven, ancien Secrétaire général
adjoint et conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies, membre de l’Institut de droit
international,
S. Exc. l’honorable Amama Mbabazi, ministre de la défense de la République de l’Ouganda,
M. Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), général de division, inspecteur général de la police de la
République de l’Ouganda,
comme conseils et avocats;
M. Theodore Christakis, professeur de droit in ternational à l’Université de Grenoble II
(Pierre Mendès France),
M. Lawrence H. Martin, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., membre du
barreau du district de Columbia,
commceonseils;
M. Timothy Kanyogongya, capitaine des forces de défense du peuple ougandais,
comme conseiller. - 7 -
Ms Anne Lagerwall, Assistant, Université libre de Bruxelles,
Ms Anjolie Singh, Assistant, University College London, member of the Indian Bar,
as Assistants.
The Government of Uganda is represented by:
H.E. the Honourable Mr. E. Khiddu Makubuya S.C., M.P., Attorney General of the Republic of
Uganda,
as Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Lucian Tibaruha, Solicitor General of the Republic of Uganda,
as Co-Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Ian Brownlie, C.B.E, Q.C., F.B.A., member of the English Bar, member of the International
Law Commission, Emeritus Chichele Professor of Public International Law, University of
Oxford, member of the Institut de droit international,
Mr. Paul S. Reichler, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the United States
Supreme Court, member of the Bar of the District of Columbia,
Mr. Eric Suy, Emeritus Professor, Catholic University of Leuven, former Under Secretary-General
and Legal Counsel of the United Nations, member of the Institut de droit international,
H.E. the Honourable Amama Mbabazi, Minister of Defence of the Republic of Uganda,
Major General Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), Inspector General of Police of the Republic
of Uganda,
as Counsel and Advocates;
Mr. Theodore Christakis, Professor of International Law, University of Grenoble II (Pierre Mendes
France),
Mr. Lawrence H. Martin, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the District of
Columbia,
as Counsel;
Captain Timothy Kanyogonya, Uganda People’s Defence Forces,
as Adviser. - 8 -
The PRESIDENT: Please be seated.
The sitting is now open, and before giving the floor to Uganda, I would like to inform you
that Judge Higgins, for reasons of which she has duly notified me, is unable to be present on the
Bench today.
Professor Suy, you have the floor.
M. SUY :
L A QUESTION DE L ’EXPLOITATION «ILLÉGALE »DES RESSOURCES NATURELLES
1. Monsieur le président, honorables membres de la Cour. C’est à la fois un grand honneur
et un privilège d’apparaître une nouvelle fois devant votre auguste C our, cette fois-ci pour
présenter ce matin, au nom de l’Ouganda, quelques arguments sur la question de l’exploitation des
ressources naturelles de la République démocratique du Congo (RDC).
Au cours des deux heures qui vont suivre vous pourrez constater qu’il existe de nombreux
points de désaccord entre les arguments que je s ouhaite vous présenter au nom de l’Ouganda et ce
qui a été soutenu la semaine dernière par le pr ofesseur PhilippeSands au nom de la République
démocratique du Congo. Mais il existe aussi, au moins, un point sur lequel nous nous accordons
tous: c’est la toute première fois qu’un Etat demande à votre Cour d’ engager la responsabilité
internationale d’un autre Etat pour «exploitation illégale» de ses ressources naturelles et pour
violation du «principe de la souveraineté permanente» de son peuple sur ses ressources 1.
2. Cette accusation très grave, qui est accompagnée de plusieurs références à la fameuse
résolution 1803 de l’Assemblée générale de l’ONU et qui ressuscite les fantômes du colonialisme
en Afrique, n’est pas prononcée à l’encontre d’une grande puissance ou d’une ancienne métropole
quelconque, soudainement nostalgique de son passé. Elle est portée contre un pays issu lui-même
du processus de décolonisation, voisin de la RDC, au quel le requérant attribue les pires desseins et
des motifs détestables. Pour la République démocr atique du Congo, en effet, l’exploitation de ses
ressources naturelles serait le véritable objet du «crime», la cause initiale qui explique «tout». Et
comme M e TshibanguKalala l’a dit devant votre Cour la semaine dernière: «Le but de la guerre
1 Cf. la plaidoirie de M. Sands in CR 2005/5, p. 15, par. 1. - 9 -
menée par l’Ouganda en RDC était, d’une pa rt, de renverser le régime du président
Laurent-Désiré Kabila et, d’autre part, d’exploiter illégalement les richesses naturelles du
2
Congo.»
3. Monsieur le président, Messieurs les juges, j’espère que les exposés minutieux des
collègues qui m’ont précédé vous ont convaincu que le but des opérations militaires ougandaises
n’était pas de renverser le président Laurent Kab ila, mais de répondre aux atteintes continues et
graves contre la sécurité de l’Ouganda. Pour ma part, je vais m’employer maintenant à vous
démontrer que les accusations de la RDC contre lesquelles l’Ouganda a procédé à «une exploitation
3
illégale des ressources naturelles congolaises ... en spoliant ses biens et ses richesses» ne sont pas
fondées et que l’Ouganda n’a pas violé le «p rincipe de souveraineté permanente du peuple
congolais sur ses ressources naturelles».
4. Pour ce faire, j’aimerais procéder en deux temps. Dans un premier temps, je vais
m’intéresser au mode d’établissement des faits utilisé par la RDC tant dans ses mémoires écrits que
dans ses exposés oraux, afin de présenter un certain nombre d’objections à cet égard (I). Dans un
second temps, j’aimerais me tourner vers la question fondamentale de la qualification juridique des
faits par la RDC afin d’exposer à votre Cour t outes les ambiguïtés de l’argumentation juridique
congolaise (II).
I. Objections sur l’opération d’établissement des faits effectuée par la RDC
5. Etablir la matérialité des faits, c’est a pporter la preuve que les allégations avancées
correspondent à la réalité. Pour reprendre la dé finition donnée par un dictionnaire autorisé, le mot
«preuve» désigne une : «opération amenant l’intelligence d’une manière indubitable et
universellement convaincante (du moins en dro it) à reconnaître la vérité d’une proposition
4
considérée d’abord comme douteuse» .
6. La question qui se pose dans cette affair e est donc de savoir à partir de quel moment et
pour quels faits précis on pourrait reconnaître de manièr e «indubitable et universellement
convaincante» la vérité des allégations, «considérée[s] d’abord comme douteuses» et avancées par
2
CR 2005/2, p. 40, par. 72; les italiques sont de nous.
3
Réplique du Congo, p. 398.
4A. Lalande, dir. pub., «Vocabulaire technique et critique de la philosophie», Paris, PUF, 3 éd., 1993. - 10 -
la RDC. Selon la jurisprudence constante de votre Cour, la réponse est que les faits doivent être
établis de manière qui ne laisse place «à aucun doute raisonnable» 5. Les deux Parties semblent
d’accord sur cette jurisprudence qui exige donc que l es faits doivent être établis «en dehors de tout
doute raisonnable». Mais l’opération d’établissement des faits effectu ée par le Congo comporte
certaines ambiguïtés quant à l’interprétation qu’e lle donne de ce principe que j’aimerais vous
présenter rapidement (A), avant d’examiner les sources invoquées par la RDC dans son
argumentation à savoir le rapport de la «co mmission Porter», abondamment cité dans les
plaidoiries (C) et les rapports des panels de l’ONU, abondamment utilisés dans les écrits de la
RDC (B).
A. Quelques remarques sur les ambiguïtés dans l’établissement des faits par la RDC
7. Un certain nombre d’ambiguïtés majeures ressortent de l’établissement des faits par le
Congo.
8. Le Congo a demandé en effet à plusieurs reprises à votre Cour de rendre, dans la phase
actuelle de la procédure, un jugement de «nature déclaratoire» et de réserver pour une étape
6
postérieure de la procédure la question des «formes» et du «montant» de la réparation . Ce n’est
qu’ultérieurement, a affirmé la RDC, qu’il lui «appartiendra de spécifier la nature du préjudice et
7
d’établir le lien causal avec l’acte illicite initial» . Or, ce faisant, la République démocratique du
Congo évacue complètement du débat actuel la question du dommage qui, pourtant, constitue la
condition sine qua non de l’engagement de la respons abilité internationale d’un Etat . Comme le
soulignent notamment dans leur manuel de droit international public MM. J. Combacau et S. Sur,
«Un Etat ne peut mettre en cause la responsabilité d’un autre, alors même que
les conditions relatives au fait générateur seraient réunies, que s’il a subi un
«dommage». Celui-ci est sans doute la mesure de la réparation due à la victime… [I]l
est aussi un élément en l’absence duquel8la responsabilité d’un Etat ne peut
simplement pas être mise en cause.»
5
Cf. par exemple arrêt du 9 avril 1949, affaire du Détroit du Corfou, fond, C.I.J. Recueil 1949, p. 18.
6
Cf. la plaidoirie de M. Sands, CR 2005/3, p. 20, par. 8 et de M. Salmon, CR 2005/5, p. 56, par. 20.
7Plaidoirie de M. J. Salmon, ibid., par. 20.
8J.Combacau et S.Sur, Droit international public, Paris, Montchrestien, 6 éd., 2004, p.525; les italiques sont
de nous. - 11 -
De manière similaire, dans un cours généra l professé il y a quelques années dans une salle
voisine de celle-ci, notamment l’Académie de droit international, le professeur ProsperWeil
soulignait que la doctrine classique du droit inte rnational adopte une position claire: «sans
9
dommage, pas de responsabilité internationale» . M. Weil expliquait que cette position s’appuyait
«sur les innombrables arrêts et sentences arbitrales qui n’accordent réparation à un
Etat qu’après avoir constaté que ce dernie r a subi un préjudice du fait de l’acte illicite
(ou de la faute) d’un autre Etat, mais qui refusent toute réparation à un Etat qui n’a pu
établir un quelconque préjudice à la suite d’un acte illicite (ou d’une faute) d’un autre
10
Etat».
9. Même si la Cour accédait donc à la dema nde de la RDC concernant la détermination
ultérieure des «formes» et des «montants» précis de la réparation, cela n’exonère pas le Congo de
l’obligation d’établir à ce stade les dommages précis subis et de prouver que ces dommages ont été
subis directement par cet Etat, étant entendu que les dommages médiats, éventuellement subis par
des personnes privées, ne pourraient être pris en considération par votre Cour qu’après épuisement
des voies de recours internes, conformément aux mécanismes de la protection diplomatique.
10. Une deuxième remarque est liée à la précédente et elle concerne ce qui semble être une
stratégie implicite de l’autre Partie. Profitant de cette demande de morcellement de la procédure, la
RDC ne semble pas se considérer dans l’obligation d’établir avec précision tous les faits à ce stade.
Elle semble plutôt vouloir créer une présompti on kafkaïenne de culpabilité contre l’Ouganda selon
laquelle si un fait est prouvé ceci devrait nécessairement signifier que tous les faits sont prouvés.
L’Ouganda ne souhaite certainement pas attribuer à l’autre Partie des intentions qui ne sont
peut-être pas les siennes. Il se borne ici à noter qu’il considère qu’une bonne administration de la
justice exige que la RDC établisse maintenant de manière exhaustive les faits et qu’elle puisse
qualifier chacun de ces faits comme un «acte internationalement illicite» attribuable à l’Ouganda
⎯ question sur laquelle je reviendrai dans la deuxième partie de ma plaidoirie.
11. Une dernière remarque concerne une technique ambiguë d’assimilation utilisée par
l’autre Partie. Cette technique a été surtout em ployée pour assimiler les conclusions du rapport de
la commission Porter avec les conclusions des rapports du groupe d’experts de l’ONU sur
«l’exploitation illégale des ressources naturelles» de la RDC et donc avec les écritures que la RDC
9
P. Weil, «Le droit international en quête de son identité», RCADI, 1992-VI, t. 237, 1996, p. 340.
10Ibid.; les italiques sont de nous. - 12 -
présentait devant votre Cour. Pour citer seulement quelques phrases parmi celles prononcées la
semaine dernière par le professeur Philippe Sands :
⎯«the Porter Commission confirmed the c onclusions of the reports of the United
11
Nations expert panel» ; encore,
⎯«The Final Report of the Porter Commi ssion unambiguously confirms the DRC’s
12
allegations» ; et enfin,
⎯«The United Nations reports, the Security Council resolutions, the Final Report of
the Porter Commission, the evidence before the Porter enquiry and all the other
material before the Court lead inevitably and inexorably to a «single
conclusion».» 13
12. Cette assimilation totale des conclusions de la commission Porter aux conclusions des
rapports du groupe d’experts de l’ONU, abondamment citées et reproduites dans les écrits de la
RDC, n’est toutefois pas en adéquation avec la réalité. Or, il s’agit là d’une question fondamentale
de ce dossier qu’il faudra analyser de manière appr ofondie. Mais avant cela j’aimerais faire un
petit rappel à la Cour du caractèr e controversé de plusieurs conclusions de ces rapports du groupe
d’experts de l’ONU.
B. Le caractère controversé de plusieurs conclusions des rapports du «groupe d’experts»
13. La lecture de la réplique de la RDC montre que les diverses allégations contre l’Ouganda
pour exploitation «illégale» des ressources naturelles du Congo se fondent en très grande partie sur
les rapports établis par un «groupe d’experts» créé par le Conseil de sécurité dans le cadre de sa
gestion du conflit, et se fondent surtout sur le premier rapport de ce groupe, présenté en 2001, qui a
pourtant soulevé une vague de protestations à New York.
14. Il faut d’abord rappeler, Monsieur le président, Messieurs, que, comme le Conseil de
sécurité lui-même l’a souligné, ce groupe d’experts n’a pas été créé pour établir des responsabilités
ou pour établir la matérialité des faits. Selon la déclaration du président du Conseil de sécurité du
14
2juin2000 ayant fixé le mandat du groupe , sa mission était de «réunir des informations»;
«informations» peut-être contradict oires, peut-être vraies, peut-être fausses, mais qui étaient
11CR 2005/5, p. 17, par. 4.
12
Id., p. 29, par. 5.
13Id., p. 31, par. 9; les italiques sont de nous.
14S/PRST/2000/20. - 13 -
destinées à permettre au Conseil de coordonner son action dans le cadre de sa gestion, préventive
ou réactive, de l’ensemble du conflit. Il est donc clair que le groupe a été créé dans une optique
bien précise, celle de contribuer à l’action politique du Conseil. La raison d’être de ces rapports
n’était donc pas de fournir des «preuves», mais de présenter, pour reprendre la phrase du délégué
russe au sein du Conseil de sécurité, «une invitati on à la réflexion, avec des informations qui
15
méritent une étude supplémentaire» .
15. Le caractère «souple» de cette mission assignée au groupe explique, d’ailleurs, son
objectif proclamé d’approcher la question du «rassemblement des données» avec beaucoup de
«souplesse», mot employé dans le premier rapport 16 ⎯ même s’il faut sans doute reprocher au
panel initial d’avoir souvent transformé la souplesse en mollesse, en ne respectant même pas les
méthodes qu’il déclarait vouloir appliquer et en se lançant, dans son pr emier rapport, dans une
démarche partiale critiquée par plusieurs Etats.
16. La lecture des rapports montre en effet que les méthodes utilisées ne peuvent pas
permettre de considérer les informations qui y fi gurent comme des «faits établis en dehors de tout
doute raisonnable». Le recours constant à d es «sources» non nommées, à des «documents» jamais
dévoilés, à des ouï-dire ou à même à la «rumeur» 1, le recours à des approximations ou à des
expressions telles que : «on a indiqué que...», «il semblerait que...», «le groupe est enclin de penser
que...», montrent le caractère fragile de plusie urs allégations figurant dans ces rapports. Et
pourtant, dans l’affaire complexe présentée aujourd’hui à l’examen de votre Cour, il est
indispensable de contrôler la véracité de ces sources afin de pouvoir faire le tri entre les
contrevérités délibérées, la pr opagande de guerre, les intrigues politiques et, surtout, les
«dénonciations» montées de toute pièce par des personnes physiques ou morales qui avaient et ont
toujours des intérêts immenses dans l’explo itation des ressources naturelles en RDC et qui
pourraient souhaiter éliminer la concurrence. Da ns une situation de c onflit comme celle-ci, les
critères utilisés pour prouver et corroborer les in formations données par les «passants» spontanés,
les «volontaires» motivés et les hommes d’affair es «désintéressés» et les ennemis traditionnels,
15S/PV.4642, du 5 novembre 2002, p. 30.
16
S/2001/357, par. 9.
17Voir S/2002/1146, par. 117. - 14 -
auraient dû être plus stricts que ceux apparemme nt appliqués par le groupe, surtout dans son
premier rapport.
17. On peut, par ailleurs, repr ocher au panel de ne pas avoir interviewé des témoins clés ou
de ne pas avoir consulté des documents publics ai sément accessibles qui auraient pourtant pu lui
permettre d’éviter certaines erreurs. C’est ainsi, par exemple, que l’affaire «DARA-Forest»,
présentée dans le premier rapport comme une «étude de cas» constitu ant «une excellente
démonstration des pratiques illicites auxquelles a rec ours une société et de sa complicité avec les
forces d’occupation et le gouvernement», s’est avérée être en réalité une démonstration de la faillite
méthodologique du groupe d’experts (comme l’a d’ ailleurs montré la commission Porter et le
Rejoinder de l’Ouganda 18).
18. La lecture des procès-verbaux du Conseil de sécurité montre que plusieurs pays, qui
n’étaient pourtant pas directement impliqués dans le conflit, ont contesté la validité juridique des
informations contenues dans les rapports, voire la fiabilité et la véracité de certaines informations.
Pour nous limiter aux réacti ons suscitées par le rapport d’octobre 2002, qui n’était pourtant pas le
plus controversé, on peut citer, par exemple, les remarques des délégués de :
⎯ l’Afrique du Sud tout d’abord, qui fait part de sa «déception quant à la teneur du rapport ..., à la
méthodologie adoptée pour réunir ses informations et aux conclusions et recommandations [y]
figurant» et l’Afrique du Sud demande «que le Conseil de sécurité exige du groupe qu’il
enquête davantage et étaye les allégations et recommandations faites dans le rapport» car,
toujours selon ce pays, le Conseil devrait prendre «ses décisions à partir de faits avérés plutôt
que d’informations incomplètes, voire fausses» 19;
⎯ prenons le témoignage de l’ Oman au Conseil de sécurité, qui exprime ses «fortes
préoccupations» concernant certaines «allégations erronées», «erreurs factuelles», «rumeurs»
20
et «informations non corroborées» ;
⎯ la Russie au Conseil de sécurité souligne que «t ous n’acceptent pas les conclusions et les
21
recommandations du rapport, y compris la Fédération de Russie» ;
18
Rejoinder, par. 390-395.
19
S/PV.4642, p. 10 et 13.
20Ibid., p. 20. - 15 -
⎯ l’île Maurice considère que le groupe «recour[t] à des hypothèses et se fonde sur des
interprétations…[qui] ne sont pas valables, d’un point de vue juridique» et craint que le
22
groupe ne vise parfois «au sensationnalisme» ;
⎯ la Syrie, enfin, souligne «l’absence de preuves irréfutables» et elle note «que le rapport se
fonde sur des informations f ournies par des informateurs ⎯ des entreprises ou des négociants
concurrents», ce qui «diminue la précision du rapport et la crédibilité du groupe d’experts» 23.
19. Mais au-delà des Etats, c’est le Conseil de sécurité lui-même qui a affirmé de manière
claire l’absence de force probante de ces rapports. Dans sa résolution 1457 du 24 janvier 2003, qui
est la première résolution du Conseil de sécurité entièrement consacrée à la question des ressources
naturelles, le Conseil
«souligne que le nouveau mandat du groupe de vra consister à continuer de passer en
revue les données pertinentes et analyser l es informations recueillies antérieurement
par le groupe ainsi que toute information nouve lle … afin de vérifier, confirmer et, au
besoin, mettre à jour ses conclusions ou encore de disculper les parties mentionnées
dans ces rapports...» (par. 9; les italiques sont de nous).
De manière encore plus claire, dans le pa ragraphe 15 de cette même résolution1457, le
Conseil de sécurité :
«Engage tous les Etats, et surtout ceux de la région, à procéder à leurs propres
enquêtes, notamment par des moyens judiciaires le cas échéant, pour élucider de façon
crédible les conclusions du groupe, compte tenu du fait que celui-ci n’est pas un
organe judiciaire et n’a pas les ressources nécessaires pour mener une enquête
24
donnant à ses conclusions valeur de faits établis.»
20. Le groupe d’experts lui-même semble avoir tiré les conséquences de ces réactions et
avoir admis l’absence de valeur probante de ses rapports. Le groupe reconstitué a eu non
seulement l’honnêteté d’abandonner ou réviser un grand nombre d’accusations portées contre
plusieurs personnes physiques ou morales, y compris ⎯comme nous le verrons ⎯ contre
l’Ouganda, mais il a aussi souligné dans son rapport final rendu au Conseil le 15octobre2003,
que :
«Compte tenu de sa nature et des mandats qui lui ont été confiés, le groupe
d’experts ne peut se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence des parties qui
21Ibid., p. 30.
22
S/PV.4642 (Resumption 1), p. 2.
23
Ibid., p. 6.
24Les italiques sont de nous. - 16 -
entretiennent des liens commerciaux avec la RDC. Il s’est donc contenté d’identifier
celles dont25e cas, au vu des renseignements disponibles, nécessitait à priori un
dialogue.»
21. Après ce bref rappel, j’aimerais maintenant passer à l’examen des différences
fondamentales qui existent entre les conclusions d es rapports du «groupe d’experts», d’une part, et
celles de la fameuse commission Porter, d’autre part.
C. Les différences fondamentales entre les conclusions des rapports du «groupe d’experts» et
celles de la commission Porter
22. Honorables membres de la Cour, en procédan t à cette comparaison entre le rapport de la
commissionPorter et ceux du groupe d’experts, mon but n’est certainement pas de fatiguer votre
Cour par un exercice ennuyant de compatibilité. Mon but n’est pas non plus de nier l’existence de
certains points d’accord entre les enquêtes en qu estion, en ce qui concerne les agissements
individuels de certains soldats et officiers. Mon objectif est de vous montrer qu’il existe entre les
conclusions de la commission Porter et les conclusions des rapports du gr oupe d’experts de l’ONU
(et surtout du premier) une différence quantitative et qualitative très importante et déterminante
pour l’étape ultérieure de la qualification juridique des faits.
23. C’est surtout dans son rapport initia l que le panel de l’ONU avait formulé des
accusations très graves à l’encontre de l’Ouganda, reprises par la Partie congolaise, sans tenir
compte du fait que les rapports rendus ultérieureme nt par le panel reconstitué, ont abandonné ou
revisé une grande partie de ces accusations et que la commission Porter les a aussi réfutées. Sans
citer ici l’ensemble de ces points de discordance entre le rapport de la commissionPorter et les
rapports des panels de l’ONU, voici une série, d’ ailleurs non exhaustive, d’une quinzaine de ces
points sur lesquels l’Ouganda aimerait attirer votre attention :
I.La commission Porter a estimé que l es allégations du panel initial selon lesquelles
l’Ouganda était en train d’exploiter les ressources forestières de la RDC étaient dénuées de
fondement. La commission a étudié en détail le cas de la société DARA-Forest,
longuement exposé dans le rapport du panel qui avait essayé de montrer la «collusion»
25
S/2003/1027 du 23 octobre 2003, par. 15 et 16. - 17 -
entre les exploitants de bois en RDC et le Gouvernement ougandais, et a conclu que les
26
allégations du panel étaient «fundamentally flawed» .
II. La commission Porter a estimé que les a llégations du panel initial selon lesquelles des
soldats ougandais avaient pillé les stocks de bois de la société d’ex ploitation forestière
27
AMEX-BOIS sise à Bagboka n’étaient pas fondées .
III. Elle a conclu qu’un autre acte allégué de p illage de bois, concernant cette fois la société
28
La Forestière, n’était pas non plus établi .
IV.La commission Porter a estimé que les allégations du panel initial concernant la
confiscation et le pillage de stocks de café dans la province de l’Equateur n’étaient pas
29
établies .
V. La commission Porter a estimé que les allégations du panel initial selon lesquelles «des
membres de premier plan d[u] Gouvernement ougandais… étaient très certainement au
30
courant … du pillage des stocks d’un certain nombre d’usines» n’était pas établies .
VI.La commission Porter a estimé que l es allégations du panel initial selon lesquelles
l’Ouganda se serait emparé de plusieurs voitures en RDC étaient dénuées de fondement 31.
VII. La commission Porter a estimé que les allégations du panel initial selon lesquelles les
dirigeants de l’Ouganda «ont nommé dir ectement et indirectement des gouverneurs
régionaux ou des autorités locales» au Congo étai ent sans fondement. Elle a en revanche
relevé que la seule tentative d’immixtion d’un officier ougandais dans cette administration
locale a été immédiatement dénoncée par les autorités ougandaises. Et il ressort
clairement des éléments de preuve que «the UPDF tended to accept whoever was the local
authority in place, so as to be able to con centrate on providing security in the relevant
area» 32.
26
Voir «Report of the Judicial Commission of Inquiry into allegations of illegal exploitation of natural ressources
and other forms of wealth in the DRC», in ICJ, Submission by the Republic of Uganda of new documents in accordance
with article 43 of the Statute and article 56 of the Rules of the Court, 20 October 2003, p. 53 et suiv., par. 16.
27
Id., p. 48, par. 15.1.
28
Id., p. 49, par. 15.2.
29
Id., p. 13, par. 11.3.3 et p. 49, par. 15.3.
30Id., p. 53, par. 15.8.2.
31Id., p. 50, par. 15.4.
32
Id., p. 78-79, par. 18.1. - 18 -
VIII. Par ailleurs, la commission Porter a souligné à plusieurs reprises que l’Ouganda n’exerçait
aucune juridiction sur les ressortissants congolais et les mouvements rebelles. Elle a
observé à cet égard que le président ouga ndais Museveni «has publicly declared on many
occasions that the internal administration of the Democratic Republic of Congo is for
33
Congolese themselves, so long as the security concerns of Uganda are addressed» .
IX.La commission Porter a conclu que les allégations du panel initial selon lesquelles
l’Ouganda aurait exercé des «pressions» pour favoriser un trafic de trois tonnes de
34
défenses d’éléphants n’étaient pas établies .
X. La commission a estimé que les allégations du panel initial selon lesquelles les forces
ougandaises auraient eu recours à des techniques de monopoles et de fixation des prix pour
35
contrôler l’économie dans l’est du Congo n’étaient pas fondées .
XI.Elle a aussi conclu que l’allégation se lon laquelle les rebelles de RCD-ML et MLC
remettaient à Kampala une partie des taxes collectées était, elle aussi, dénuée de tout
36
fondement .
XII. La commission a souligné que l’affirm ation du panel initial se lon laquelle «le milieu
politique à Kampala» était au courant des activités «illégales» de certains «particuliers» ne
37
semblait pas exacte .
XIII. Elle souligne le caractère fallacieux de l’allégation selon laquelle l’Ouganda aurait financé
son effort de guerre en RDC par un système de réexportations 38 ou de toute autre façon en
39
relation avec ce qui se passe en RDC .
XIV.La commission a démontré le caractère complètement fallacieux de certaines accusations
proférées par le panel initial contre le président Museveni 40.
33Id., p. 144, par. 22.6.1.
34
Id., p. 73, par. 16.3.4.
35
Id., p. 75 et suiv.
36
Id., p. 76-77, par. 17.3.
37Id., p. 85-86, par. 19.
38Id., p. 129 et suiv. (surtout p. 137).
39Id., p. 170, par. 34.
40
Id., p. 144 et suiv. - 19 -
XV. La commission a enfin exprimé, sur la b ase de l’ensemble des preuves examinées, son
accord avec la position du panel reconstitué qui a abandonné les accusations contre
l’Ouganda. Tout en soulignant, comme le professeur PhilippeSands l’a rappelé la
semaine dernière, que «[t]here is agreement that officers to a very senior level, and men of
the UPDF have conducted themselves in the Democratic Republic of Congo in a manner
unbecoming», la commission Porter a ajouté dans la même phrase, mais ceci a été omis
par le professeurSands, que: «There is agreement that the original Panel’s allegations
against Uganda as a State, and against President Museveni were wrong.» 41
24. La commission a ajouté plus loin que :
«The Government of Uganda has been acquitted of any wrong doing by the
reconstituted Panel and no state institution has been found by it to be involved in
exploiting the natural resources and other forms of wealth in the Democratic Republic
42
of Congo.»
*
* *
25. En guise de conclusion de cette partie de la plaidoirie concernant l’établissement des faits
par la RDC, j’aimerais rappeler une phrase du pr ofesseur Sands prononcée au nom de la RDC la
semaine dernière devant votre Cour : «[T]he matters upon which there may be differences [between
the Porter Report and the United Nations reports] are not material to the DRC’s case in the
proceedings.» 43
26. L’Ouganda espère que ceci signifie qu’il ex iste désormais un accord entre les Parties sur
les points suivants :
⎯ que les différentes accusations portées contre le Gouvernement de l’Ouga nda surtout dans le
rapport initial du groupe de l’ONU et reprises dans l es écritures de la RDC ne reflètent pas la
réalité;
41
Id., p. 196, par. 40.8; les italiques sont de nous. Compa. la plaidoirie de M. Sands in CR 2005/5, p. 33, par. 12.
42
Op. cit., p. 170, par. 34; les italiques sont de nous.
43CR 2005/5, p. 32-33, par. 12. - 20 -
⎯ qu’aucun «ordre» ou «incitation» n’a jamais été donné à un soldat quelconque par le
Gouvernement de l’Ouganda d’exploiter une re ssource naturelle quelconque en RDC. Qu’au
contraire, il est établi que des ordres clairs avaient été donnés afin d’éviter tout débordement;
⎯ que les différents soldats ou officiers qui, selon les conclusions de la commission Porter, «have
conducted themselves in the Democratic Republic of Congo in a manner unbecoming»
⎯quelle que soit la significa tion juridique de ce terme ⎯, ont agi à titre privé, en violation
claire des ordres donnés par les plus hautes autor ités de l’Etat et ont ensuite essayé de cacher
leurs agissements à ces autorités ⎯comme l’a d’ailleurs établi à plusieurs reprises la
commission Porter;
⎯ que l’Ouganda n’avait donc à aucun moment l’intention d’exploiter les ressources naturelles de
la RDC, et qu’il ne l’a pas fait;
⎯ que l’accusation selon laquelle l’Ouganda a utilis é de telles ressources pour «financer la
guerre» est complètement dénuée de tout fondement; et
⎯ qu’il découle de tout cela «en dehors de tout doute raisonnable» que le but des opérations
militaires de l’Ouganda en RDC n’était nullement «d’exploiter illégalement les ressources
naturelles» du Congo.
*
* *
27. Avec votre permission, Monsieur le président, j’aimerais maintenant passer à la seconde
partie de ma plaidoirie qui concerne le problème important de la qualification des faits par la RDC.
II. Objections sur l’opération de qualification juridique
des faits par la RDC
28. La qualification juridique des faits opérée par la RDC comporte des ambiguïtés
importantes et l’Ouganda aimerait por ter à l’attention de la Cour au moins certaines d’entre elles.
Plusieurs de ces ambiguïtés découlent de l’em ploi du terme «illégalité» qui figure dans les
«rapports» des groupes d’experts et les mémoires du Congo ⎯ problème que j’aimerais traiter dans
un premier temps (A). A la lumière de ces remarques, je démontrerai ensuite que non seulement - 21 -
l’Ouganda n’a pas violé le principe de souvera ineté sur les ressources naturelles (B), mais, au
contraire, qu’il a exercé un degré de surveillance élevé, dans le cadre des moyens dont il disposait,
pour prévenir toute atteinte aux droits du peuple congolais sur ses ressources naturelles,
surveillance qui est allée jusqu’à la créati on sans précédent de la fameuse «commission
Porter» (C).
A. La confusion provoquée par le recours à la notion d’«illégalité» et les conditions réelles
pour engager la responsabilité internationale d’un Etat
29. Il est bien connu que la qualification juridique des faits est l’étape du syllogisme
judiciaire qui consiste à classer un fait établi «dans une catégorie juridique en vue de lui appliquer
le régime juridique corr espondant à cette catégorie» 44. Or, semblant «placer la charrue avant les
bŒufs», le Conseil de sécurité a créé un «groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources
naturelles du Congo». Est-ce dire que les faits avaient été qualifiés d’ «illégaux» avant même de
savoir s’ils existaient !
30. Certes, on pourrait rétorquer, et avec rais on, que le Conseil de sécurité n’est qu’un
organe politique et l’utilisation de l’adjectif « illégal» ne constituait pas une qualification juridique
précise. Toutefois, force est de constater que ce te rme, couvert d’ambiguïté et se prêtant à tous les
malentendus, a fait son chemin ju sque dans votre Palais, en pa ssant par les rapports du «groupe
d’experts» du Conseil de sécurité et par le mémoire, la réplique ainsi que les plaidoiries de la RDC
qui accusent l’Ouganda d’une exploitation «illégale» des ressources naturelles de la RDC.
31. L’Ouganda ne peut qu’exprimer sa perplex ité face à l’utilisation du terme «illégal» et à
la définition de l’«illégalité» donnée par les group es d’experts et reprise par le Congo. Cette
définition de l’illégalité, donnée dès le premier rapport du «groupe» contient, en effet, des éléments
qui ne permettent pas d’engager la responsabilité d’ un Etat devant une juridiction internationale.
Parmi les éléments de cette définition donnée da ns le premier rapport du groupe on trouve, par
exemple, «le respect des règlements existant dans le pays ou te rritoire où les acteurs opèrent ou
mènent leurs activités», « l’incompatibilité des pratiques co mmerciales normalement acceptées et
des méthodes pratiquées en République démocratique du Congo» ou encore la violation «des
44
Dictionnaire Basdevant, Paris, Sirey, 1960, p. 493. - 22 -
45
instruments non contraignants» (!) . Même donc la « soft law» est mobilisée pour qualifier les
faits d’«illégaux» et le groupe d’experts n’a d’ailleurs pas manqué de se féliciter, dans son ultime
rapport, d’un «nouvel élan» qu’il a ainsi donné «aux principes directeurs de l’OCDE [Organisation
pour la coopération et le développement en Europe] à l’intention des entreprises
46
multinationales» ! Certes, le fait que le «groupe» ait, de son aveu même, opté pour «une large
interprétation de la notion d’illégalité» 47et les raisons de ce choix n’intéressent pas votre Cour.
Mais le fait que la RDC demande aujourd’hui à votre juridiction d’engager la responsabilité
internationale d’un Etat sur la base d’un terme discutable et d’une définition aussi contestable,
devrait sans doute intéresser votre Cour.
32. Monsieur le président, honorables membres de la Cour, la distinction judicieuse opérée
par la langue française, entre le terme d’ «illégalité» (terme peu pertinent dans une société
48
internationale dépourvue d’organe législatif et donc dépourvue de «lois») et celui d’ «illicéité»
(caractère de ce qui n’est pas conforme à une obligation internationale) nous sera sans doute d’un
grand secours dans ce domaine : parmi la nébuleuse des faits prét endument «illégaux» répertoriés
dans les rapports des groupes d’experts et repris par le Congo, la Cour ne peut en réalité
s’intéresser qu’aux faits «illicites», c’est-à-dire aux violations des règles du droit international
opposables à l’Ouganda.
33. Ce point est d’une importance fondamentale, car la réplique de la RDC opère une
confusion permanente entre «l’illégal» et l’«illicite» et, du même coup, entre deux ordres juridiques
différents: l’ordre juridique interne et l’ordre juridique internati onal. Pour la RDC, n’importe
quelle violation de l’une de ses lois ou de l’un de ses actes administratifs par un ressortissant
ougandais doit immédiatement être qualifiée co mme une violation du droit international par
l’Ouganda et engager donc sa responsabilité ! Point ici n’est nécessaire d’insister sur le caractère
fallacieux de cet argument. Il est notoire, en e ffet, que le fait généra teur de la responsabilité
45S/2001/357, par. 15. Les italiques sont de nous.
46
S/2003/1027, par. 70.
47S/2001/357, par. 15.
48Prière aux traducteurs d’utiliser le mot en français et de ne pas le traduire par«illicit». - 23 -
internationale n’est pas un acte qualifié d’«illé gal» par le droit interne d’un Etat, mais un «fait
internationalement illicite», un «internationally wrongful act», imputable à un Etat.
34. Voilà donc le véritable critère sur lequel doit se fonder la qualification juridique des faits
allégués dans notre affaire. Il pourrait y avoir des «faits illégaux», c’est-à-dire des violations du
droit interne de l’Ouganda, ou de la RD C, ou de ces deux pays en même temps ⎯ mais ceux-ci
n’intéressent en principe que les ordres juridiqu es internes de ces pays qui engageront toutes les
poursuites nécessaires. En revanche, ce qui intéresse ici votre Cour est de savoir s’il existe un «fait
internationalement illicite», c’est-à-dire si l’Ouganda a violé «une obligation internationale
existante à sa charge» ⎯pour citer le commentaire de l’article 2 du Projet de la Commission du
49
droit international sur la responsabilité internationale des Etats adopté en 2001 .
35. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, l’Ouganda ne nie pas que la
commission Porter a conclu que certains soldats et officiers, agissant de manière strictement
individuelle et en violation claire des ordres donnés par les autorités de l’Etat, se sont comportés,
pour citer encore la commission, «in a manner unbecoming». Mais ceci ne signifie pas pour autant
que tous les actes de ces soldats décrits par la co mmission Porter doivent être nécessairement
considérés comme des actes «internationalement illicites» . Le fait que ces soldats se sont, en
violation des ordres, engagés dans des «activités commerciales» ⎯comme le disait le
professeur Sands : «were conducting business» 50⎯ au Congo, ou encore le fait que certains aient
51
«envisagé» de le faire (le professeur Sands disait : «were planning to do business» ), cela n’est pas
nécessairement et automatiquement un «acte internationalement illicite ». Le fait que quelques
soldats et officiers aient tout fait pour cacher à leur hiérarchie leurs agissements, allant jusqu’à
établir dans certains cas, comme l’a dit la commi ssion Porter, «une conspiration du silence», est
sans doute un fait très important dans le cadre du dé bat sur le respect par l’Ouganda de l’obligation
de vigilance, mais n’est certainement pas un «acte internationalement illicite». Les éventuelles
violations de la «soft law» ou des directives de l’OCDE ne sont pas forcément des «actes
internationalement illicites».
49Rapport de la CDI à l’Assemblée générale des Nations Unies, A/56/10, 2001, p. 70 et suiv.
50
CR 2005/5, p. 33, par. 13.
51Ibid. - 24 -
36. La semaine dernière, le professeur Sands a soutenu que selon la RDC «Uganda’s
responsibility is engaged in respect of «all» acts committed by its armed forces, whether they were
52
lawful or not.» L’Ouganda considère qu’il est impossible de lui attribuer des actes qui ne
constituent pas des «faits internationalement illicites », qu’il est impossible de parler de
responsabilité sans violation par l’Ouganda d’une «obligation internationale existante à sa charge».
37. Quelles pourraient donc être ces «obligations internationales» éventuellement violées par
l’Ouganda? La réplique de la RDC en identifie principalement deux: le principe de la
souveraineté sur les ressources naturelles, d’une part 5, et l’obligation de vigilance, d’autre part 54.
Je vais maintenant m’attacher à vous démontrer que l’Ouganda n’a violé ni l’un, ni l’autre. A
moins, Monsieur le président, que l’on veuille interrompre un moment pour une pause.
The PRESIDENT: Yes, Professor Suy, I think it is time to have a break of 15 minutes, after
which you will continue your statement.
Mr. SUY: Thank you very much.
The Court adjourned from 11.5 to 11.20 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated.
Professor Suy, please continue.
M. SUY : Thank you, Mr. President. Monsieur le président, comme je le disais à la fin de la
première partie de cette séance, il n’y a pas de responsabilité pour l’Ouganda sans la violation par
l’Ouganda d’une obligation internationale existant à sa charge. Et, c’est le Congo qui a identifié
dans sa réplique principalement deux obligations internationales. Le principe de souveraineté
congolais sur les ressources naturelles, d’une part, et l’obligation de vigilance, d’autre part. Je vais
donc maintenant m’attacher à vous démontrer que l’Ouganda n’a violé ni l’un ni l’autre.
52
CR 2005/5, p. 25, par. 24. Les italiques sont de nous.
53
Réplique du Congo, p. 302 et suiv.
54Id., p. 306 et suiv. - 25 -
B. L’Ouganda n’a pas violé le principe de souveraineté permanente du peuple congolais sur
ses ressources naturelles
38. L’Ouganda ne nie évidemment pas et n’a jamais nié le principe de souveraineté du
peuple congolais sur ses ressources naturelles. La «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux
pays et aux peuples coloniaux» avait, dès 1960, souligné que :
«les peuples peuvent, pour leurs propres fins, disposer librement de leurs richesses et
ressources naturelles sans préjudice des obligations qui découleraient de la
coopération économique internationale fondée sur le principe de l’avantage mutuel, et
du droit international...» (A/RES 1514 (XV) du 14 décembre 1960).
Deux années plus tard, la résolution 1803 de l’ Assemblée générale des NationsUnies, intitulée
«Souveraineté permanente sur les ressources natu relles», réaffirmait ce droit des peuples en
soulignant que : «Le droit de souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses
et leurs ressources naturelles doit s’exercer dans l’intérêt du développement national et du bien-être
de la population des Etats intéressés.» (A/RES 1803 (XVII) du 14 décembre 1962.) Ces
expressions ont été reprises par l’article premier commun aux deux pactes internationaux de 1966
sur les droits de l’homme selon lequel «tous le s peuples peuvent disposer librement de leurs
richesses et de leurs ressources naturelles...». L’Ouganda souscrit entièrement à ce droit des
peuples à disposer de leurs ressources naturelles. Il nie, en revanche, catégoriquement, l’allégation
selon laquelle elle aurait, en l’espèce, violé ce droit.
39. Dans sa réplique, la République démocratique du Congo soutient que «l’occupation du
territoire congolais par les troupes ougandaises a été mise à profit par les autorités ougandaises, les
officiers et les soldats de l’UPDF pour piller et exploiter illégalement les ressources naturelles et
autres richesses de la RDC...» 55. Et, la RDC continue: «en fait tout indique que l’exploitation
illégale des ressources congolaises est le résultat des instructions données par les autorités
ougandaises» 5. Le but de ces allégations est clair: légitimer le reste de l’argumentation
congolaise, donnant à votre Cour l’impression que l’Ouganda aurait envahi le territoire congolais
pour s’approprier des ressources de son peuple.
40. Ceci est évidemment complètement faux. Comme mes collègues l’ont déjà démontré, la
présence d’un petit nombre de troupes ougandaises à l’est du Congo était motivée exclusivement
55
Réplique, par. 4.01.
56Ibid., par. 4.66; les italiques sont de nous. - 26 -
par les préoccupations légitimes de l’Ouganda en matière de sécurité. Cet objectif bien précis et
la
nature de l’action ougandaise sont complètement en contradiction avec la théorie du complot et de
l’exploitation avancée par la RDC. Les forces ougandaises, qui n’ont même pas atteint les
dix mille hommes au plus fort de leur déploiem ent, n’ont fait que maintenir une présence dans des
régions frontalières d’où les rebelles lançaient des at taques contre l’Ouganda et sur certaines autres
localités où se trouvaient des terrains d’aviation stra tégiques. Cette réalité est en contradiction
parfaite avec le scénario d’«occupation» et d’«exploitation» d’une région qui est aussi vaste que
l’Allemagne. Il est d’ailleurs significatif que le groupe d’experts du Conseil de sécurité lui-même a
reconnu que ce sont ces préoccupations sécuritaires qui expliquent l’action ougandaise. Dans un de
ses rapports, que la réplique de la RDC, pourtant riche de références sur cette source, omet de citer,
le groupe d’experts souligne que l’Ouganda «peut faire légitimement valoir que des menaces contre
57
sa sécurité ont déclenché son intervention militaire en République démocratique du Congo» .
41. Contrairement donc à ce que la RDC prét end, l’Ouganda n’avait aucune intention
d’exploiter les ressources du peuple congolais et il ne l’a pas fait. Contrairement à ce que la RDC
prétend, l’Ouganda n’a pas voulu prendre et n’a pas pris le «contrôle des activités économiques
menées dans les territoires congolais occupés» 58. L’Ouganda n’était pas non plus une puissance
«administrant» le territoire congolais. C’étaient les rebelles du Mouvement de libération congolais
(MLC) et du Rassemblement congolais pour la démocratie (RDC) qui contrôlaient et administraient
ces territoires, exerçant une autorité de fait. J’ai déjà rappelé que la seule tentative d’immixtion
d’un officier ougandais dans cette administratio n locale, pourtant motivée par la volonté de
restaurer l’ordre dans la région d’Ituri dans l’intérêt de la population, a été immédiatement
combattue et désavouée par les autorités ougandaises qui ont entamé une action disciplinaire contre
son auteur.
42. L’affirmation selon laquelle «l’exploita tion illégale des ressources congolaises est le
59
résultat des instructions données par les autorités ougandaises» est donc non seulement fausse,
mais elle est en désaccord avec le rapport fina l du groupe d’experts du Conseil de sécurité. Ce
57
«Additif au rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo», S/2001/1072 du 13 novembre 2001, par. 95.
58
Réplique, p. 301.
59Réplique du Congo, par. 4.66. - 27 -
groupe d’experts qui opère une distinction claire parmi les prétendus «coupables» de l’exploitation
«illégale», à savoir d’un côté «les régimes rwandais et zimbabwéen», de l’autre «des particuliers
ougandais influents» 6.
43. Il convient d’ailleurs de noter à cet égard que désormais la Par tie congolaise elle-même
semble avoir abandonné toute accusation à cet égard. Si, comme je l’ai dit, la première journée des
plaidoiries de la RDC M eKalala a annoncé que le «but de la guerre menée par l’Ouganda» était
d’exploiter les ressources congolaises, la partie des plaidoiries de la RDC spécifiquement consacrée
à la question des ressources n’a guère voulu réité rer cette accusation ou apporter un élément de
e
preuve quelconque à cet égard. Tout au contrair e, les plaidoiries de mercredi dernier de M Kalala
et du professeurSands ont été presque exclusivement consacrées aux agissements, individuels et
contraires aux ordres, de certains soldats et officiers.
44. Certes, la RDC, consciente du fait que les comportements en question contrevenaient
clairement aux instructions et aux ordres donnés par les autorités ougandaises, a consacré beaucoup
des développements aux mécanismes d’attribution en droit international. Mais ces mécanismes
d’attribution, quel que soit leur contenu, ne permettent nullement d’accuser l’Ouganda d’une
violation du «principe de souveraineté permanente du peuple congolais sur ses ressources
naturelles». L’attribution n’est pas une pierre philosophale qui va permettre de transformer un acte
quelconque d’un individu en un acte illicite de l’Et at. Et elle n’est pas non plus une baguette
magique permettant de modifier la qualification d’une infraction internationale en transformant
miraculeusement un acte individuel de pillage, commis en violation des ordres et instructions, en
un crime international de l’Etat d’une extrême gr avité pour «violation du principe de souveraineté
permanente du peuple congolais sur ses ressources naturelles».
45. Monsieur le président et honorables membr es de la Cour, si l’on appliquait la logique
proposée par la RDC, un soldat, disons, belge qui, agissant à titre privé en violation claire de son
statut et de ses ordres, participerait à une affair e de contrebande sur le sol d’un pays étranger,
engagerait immédiatement la responsabilité internationale de la Belgique pour violation du principe
de souveraineté permanente du peuple de ce pays sur ses ressources naturelles. L’Organisation des
60
Par exemple, S/2002/1146, par. 13. - 28 -
NationsUnies serait d’ailleurs coupable de plusie urs cas de crimes de violation du «principe de
souveraineté permanente des peuples sur leurs r essources naturelles», résultant du fait de certains
vols ou pillages commis par certains soldats participant à des opérations pour le maintien de la paix
un peu partout dans le monde.
46. L’Ouganda pense qu’il est impossible de réinterpréter d’une manière aussi novatrice ce
principe, façonné dans un cadre historique précis ( notamment celui de la décolonisation) et ayant
une finalité bien précise. Il demande respectue usement à votre Cour de rejeter cette accusation
outrageuse portée contre l’Ouganda par la République démocratique du Congo.
47. Avec votre permission, j’aimerais maintenant me tourner vers la dernière partie de ma
plaidoirie qui tentera de démontrer que l’Ouganda s’est conformé à l’obligation de moyens que lui
impose le droit international concernant le comportement de ses ressortissants.
C. L’Ouganda s’est conformée à l’obligation de moyens concernant le comportement de ses
ressortissants
48. L’Ouganda s’oppose formellement aux analyses de la réplique de la RDC sur
61
l’obligation de vigilance et aux conclusions qu’elle en tire. L’affirmation selon laquelle
l’Ouganda aurait un devoir de diligence sur le s groupes rebelles congolais est manifestement
erronée, et ceci pour plusieurs raisons parmi l esquelles le fait que l’Ouganda ne contrôlait pas ces
groupes et n’avait pas de pouvoir sur les actes d’administration adoptés par ces autorités de facto.
Ceci étant dit, l’Ouganda considère qu’i a exercé, dans les limites de ses moyens, un haut degré de
surveillance destinée à faire en sorte que ses ressortissants ne provoquaient pas, par leurs
agissements, un dommage au droit du peuple congol ais sur ses ressources naturelles. Pour traiter
ce problème et répondre aux allégations de la RDC, il nous faut tout d’abord examiner la question
fondamentale de la non-interdic tion par l’Ouganda du commerce des produits de base avec les
territoires contrôlés par les rebelles a) avant de voir quelles ont été les mesures positives adoptées
par l’Ouganda b).
61
Réplique du Congo, par. 4.71-4.81. - 29 -
a) La question fondamentale de la non-interd iction du commerce des produits de base avec les
territoires contrôlés par les rebelles
49. Il s’agit ici d’un point très important de divergence entre l’Ouganda et la RDC. La
lecture de la réplique de la RDC montre en e ffet que l’accusation de violation par l’Ouganda de
«l’obligation de vigilance» est essentiellement fondée sur le fait que ce pays n’a pas interdit le
commerce, qui existait pourtant bien avant le conflit, entre ses ressortissants et les territoires
contrôlés par les rebelles à l’est du Congo. Ainsi, par exemple, le fait que le groupe d’experts des
NationsUnies ait «constaté que les biens de c onsommation et autres produits que l’on trouvait à
Gbadolite et Bunia provenaient pour la plupart d’Ouganda», le fait que «lors d’une visite qu’ils ont
effectuée à Bunia, les membres du groupe ont assisté au déchargement de caisses de bière d’un
avion en provenance de ce pays» ou le fait qu’«à Gbadolite, la majeure partie des cigarettes, des
boissons, du papier-toilette, etc. sont importés d’Ouganda» 62 tout cela est mis en avant par la RDC
63
pour démontrer qu’il y a eu une «violation flagrante» de la souveraineté sur les ressources
naturelles du peuple congolais et pour «prouver», toujours selon le Congo, que «l’Ouganda n’a pris
aucune mesure adéquate pour mettre un terme aux activités d’exploitation illégale des ressources
naturelles de la RDC menées par les sociétés ou les nationaux ougandais et par les mouvements
rebelles congolais qu’il contrôle et soutient» 64. Cette qualification des faits, selon laquelle
l’exportation de marchandises de l’Ouganda vers le Congo constituerait la preuve d’une
exploitation «illégale» des ressources naturelles du Congo, est pour le moins paradoxale. Mais les
choses deviennent plus claires si on regarde la définition avancée par la RDC à propos de
l’expression «exploitation illégale des ressources naturelles». En effet, dans sa réplique elle
souligne que :
«Par «exploitation illégale» des ressour ces naturelles, la RDC entend toutes les
activités commerciales ou d’investissement développées sur son territoire, qui sont
menées en contr65ention aux lois et règlements congolais qui en régissent
l’exercice...»
62Réplique du Congo, par. 4.25.
63
Id.
64Id., par. 4.73.
65Id., par. 4.73. - 30 -
50. Pour la RDC donc, n’importe quelle tran saction commerciale entre un Ougandais et un
66
Congolais de l’est du Congo qui se fait ⎯ et je cite encore la réplique ⎯ «sans le consentement
du Gouvernement légitime de la RDC» constitue une «exploitation illégale des ressources
naturelles». La RDC fournit d’ailleurs une longue liste de ces «lois» et «ordonnances» violées par
ces transactions commerciales 67. Les choses deviennent donc maintenant encore plus claires: si
l’Ouganda «n’a pris aucune mesure adéquate pour mettre un terme» à ces activités commerciales, il
a violé son obligation de vigilance et le prin cipe de souveraineté du peuple congolais sur ses
ressources naturelles.
51. L’Ouganda ne peut pas accepter cette qualification des faits qui fait fi non seulement des
réalités sur le terrain, mais aussi des règles de droit international. Les habitants de l’est du Congo
et de l’Ouganda échangent, en effet, des produits depuis des temps immémo riaux. Ces relations
commerciales existent depuis toujours et sont ai sément expliquées tant par la géographie de la
région que par les besoins des populations des deux côtés de la frontière qui partagent souvent la
même culture et la même langue. Les effectiv ités créées à l’est du Congo en raison du fait que
c’étaient les mouvements rebelles qui contrôlaie nt ce territoire, et non pas le gouvernement de
Kinshasa, ne devaient pas, selon l’Ouganda, affecter ces relations commerciales indispensables à la
survie des populations et n’imposent donc pas une obligation de sanctions commerciales.
52. Il faut en effet souligner qu’une jurispr udence riche, tant internationale que nationale,
confirme le fait que les Etats tiers ne peuvent pas ignorer les situations de fait créées sur le sol d’un
Etat voisin du fait d’une guerre ou d’une insurrec tion et doivent tenir compte de certains actes des
autorités de facto sans pour autant que ceci ne soit considéré comme une violation du droit
international. Il est d’ailleur s impressionnant de re lever que cette jurisprudence a souvent été
développée dans des cas beaucoup plus difficiles que le nôtre dans la mesure où les actes des
entités de fait étaient carrémen t frappés d’une présomption de nullité compte tenu du caractère
illicite (et même contraire au jus cogens) des effectivités en question. Ceci n’a pas empêché pour
autant les juridictions de souligner que l’obl igation de non-reconnaissance ne concerne pas les
mesures et les transactions de la vie quotidienne.
66
Id., par. 4.77.
67Id., par. 4.77. - 31 -
53. Sans citer ici toute cette jurisp rudence, rappelons toutefois le fameux dictum de votre
Cour dans son avis de 1971 sur la Namibie où votre Cour a signalé que :
«D’une manière générale, la non -reconnaissance de l’administration
sud-africaine dans le territoire ne devrait pas avoir pour c onséquence de priver le
peuple namibien des avantages qu’il peut tirer de la coopération internationale . En
particulier, alors que les mesures prises officiellement par le Gouvernement
sud-africain au nom de la Namibie ou en ce qui la concerne après la cessation du
mandat sont illégales ou nulles, cette nullité ne saurait s’étendre à des actes, comme
l’inscription des naissances, mari ages ou décès à l’état civil, dont on ne pourrait
méconnaître les effets qu’au détriment des habitants du territoire.» 68
54. Cette jurisprudence «internationalisait», en fait, la solution donnée déjà un siècle
auparavant par la Cour suprême américaine en ce qui concerne la validité de nombreux actes
adoptés par la Confédération pendant la guerre de sécession. La Cour suprême n’avait pas hésité,
par exemple, à reconnaître la validité de toutes les transactions commerciales opérées pendant la
guerre avec la monnaie de la Confédération, en soulignantque:«It would have been a cruel and
oppressive judgment if all the transactions of the many millions of people composing the
inhabitants of the insurrectionary states, for the several years of the war, had been held tainted with
illegality because of the use of this forced currency...» 69
55. Beaucoup plus récemment, une autre juridi ction internationale, confrontée à la question
des actes des entités de facto a adhéré à la même approche. Dans son arrêt du 10 mai 2001 rendu
dans l’Affaire Chypre c. Turquie, relatif à la situation en Chypre du Nord, la Cour européenne des
droits de l’homme a souligné que :
«La vie continue pour les habitants de la région concernée. Les autorités de fait,
y compris les tribunaux, doivent rendre cette vie tolérable et la protéger et, dans
l’intérêt même des habitants, les actes y rel atifs émanant de ces autorités ne peuvent
tout simplement pas être ignorés par les Etats tiers et par les institutions
70
internationales, en particulier les juridictions, y compris la nôtre.»
56. Même donc le caractère manifestement illicite des effectivités créées en Namibie et à
Chypre du Nord n’ont pas empêché les juridictions internationales de considérer que certains actes,
liés à la continuité de la vie quotidienne, ne pouvaient pas être ignor és par les Etats tiers. Cela doit
68
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité , avis consultatif du 21juin1971,
C.I.J. Recueil 1971, p. 56, par. 125; les italiques sont de nous.
69Hanauer v. Woodruff, 15 Wallace 439, 82 U.S. (1872), p.448. Voir aussi, par exempleHorn v. Lockhart et
al., 17 Wallace 570, 84 U.S. (1873), p. 575.
70CEDH, arrêt du 10 mai 2001, Affaire Chypre c. Turquie, par. 96; les italiques sont de nous. - 32 -
être à fortiori le cas en ce qui concerne l’eff ectivité créee par les groupes rebelles à l’est du Congo
qui, non seulement n’était pas illicite du point de vue du droit international, mais qui a, de plus, été
reconnue par les accords de Lusaka. De toute faç on, il ne s’agit pas de formuler ici une théorie
générale des actes des autorités de fait et leur ac ceptation ou rejet par le droit international. Il
s’agit, tout simplement, monsieur, de souligner que le fait qu’un Etat n’ait pas adopté de sanctions
économiques bloquant tout à coup des relations co mmerciales ayant toujours existé entre ses
ressortissants et les ressortissants d’un Etat voisin ne peut certainement pas être considéré comme
une «violation du principe de souveraineté sur les ressources naturelles» ni comme une violation de
l’obligation de diligence.
57. Ceci a, d’ailleurs, été souligné par pl usieurs Etats au sein du Conseil de sécurité
lui-même, lors de la discussion des «rapports» du gr oupe d’experts sur la situation au Congo. Le
représentant de la Chine, par exemple, a souligné que :
«le Conseil de sécurité devrait faire la distinction entre exploitation illégale et
échanges commerciaux et économiques courants, cela, afin d’éviter toute incidence
négative sur le développement économique de la République démocratique du Congo
et les moyens de subsistance de sa population» . 71
58. Mais ceci est aussi parfaitement conforme au principe codifié par l’article premier
commun aux deux pactes internationaux de 1966 selon lequel «tous les peuples peuvent disposer
librement de leurs richesses et de leurs ressourc es naturelles...». En effet, la perpétuation des
relations commerciales entre l’est du Congo, l’Ou ganda et plusieurs autr es Etats, s’est faite dans
l’intérêt de la population locale, conformément au critère fixé par la jurisprudence internationale.
En effet, les produits de base ne peuvent pas attendre dans des dépôts jusqu’à ce que le
gouvernement central ait réussi à rétablir son autor ité. Le café, par exemple, est cultivé, puis il
grandit, il est cueilli par les paysans, séché, stoc ké, mais il ne peut certainement pas attendre vingt
ou trente ans, jusqu’à ce que les dirigeants aient pu résoudre le différend. Un marché, un acheteur
doit être trouvé avant qu’il ne soit abîmé. Et si ce marché se trouve dans le pays voisin, c’est là
qu’il sera vendu, quelles que soient les règles d’ une administration centrale située à des milliers
de kilomètres, qui n’exerce plus aucune autorité de facto sur la région où le café est cultivé. A un
niveau supérieur de commerce, celui des minéraux, il faut observer que là où il y a des mines, il y a
71
S/PV.4642 (Resumption 1), 5 novembre 2002, p. 21. - 33 -
des mineurs. Et ces mineurs doivent pouvoir vivre et nourrir leurs familles. Fermer les mines
parce que l’administration centrale veut recevoir e lle-même les taxes d’exploitation, à la place des
autorités locales (congolaises elles au ssi) qui exercent le contrôle de facto, signifie condamner ces
personnes à une mort certaine.
59. Il est caractéristique, d’ailleurs, que les autorités de la RDC avaient elles-mêmes accepté
et appliqué ce principe quand elles n’étaient encore que des mouvements rebelles combattant le
régime de Mobutu. L’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre
(AFDL), mouvement rebelle dirigé par Laurent-DésiréKabila, avait octroyé plusieurs contrats de
concession d’exploitation de minéraux à des entreprise s étrangères. Le «ministre des finances» de
ce mouvement avait d’ailleurs souligné à propos de l’un de ces contrats que :
«[L’AFDL] exerce le contrô le de fait sur le territoire concerné. Cet accord,
conclu dans la transparence, est parfaitement légal, même si les autorités actuelles ne
sont pas encore au pouvoir à Kinshasa. Quant à ceux qui veulent signer un accord
aujourd’hui à Kinshasa, je leur demande seulement comment ils feront pour venir
72
l’appliquer ici au Shaba.»
60. Il est aussi intéressant à cet égard de s ouligner comment le «groupe d’experts» lui-même
a fini par reconnaître, dans son rapport ultime rendu au Conseil le 15oc tobre 2003, qu’un grand
nombre de sociétés qui avaient été sévèrement «montrées du doigt» dans ses rapports précédents
pour «exploitation illégale» des ressources naturelles en RDC, participaient en réalité par leurs
activités au «bien-être» des populations locales. Dans ce rapport ultime, le groupe souligne, en
effet, que, dans la mesure où certaines sociétés travaillaient depuis plusieurs années «dans des
zones qui étaient jusqu’à récemment aux mains des rebelles ou de groupes d’opposants, leurs
activités ont pu sembler illégales ou illicites». Ma is le rapport «corrige» ensuite son approche
initiale en soulignant que :
«Après le dialogue avec le groupe d’experts, il s’est toutefois avéré que leurs
pratiques commerciales pouvaient être c onsidérées comme satisfaisantes du fait de
leur contribution au bien-être des communautés locales en termes de biens, de
services et d’emplois !» 73
61. Il est enfin très important de remarquer que l’Etat demandeur semble lui aussi
commencer à adhérer à cette analyse. Dans sa plaidoirie de mercredi dernier, le professeur
72
Voir Rejoinder, par. 455.
73S/2003.1027, par. 28; les italiques sont de nous. - 34 -
PhilippeSands a admis que: «Some trade between the two countries may indeed have been
74
legitimate» , et il a même admis « the fact that some diamond trading activity may have been
legitimate» 75 ⎯tout en ajoutant, pour restituer avec honnêteté ses propos, que les activités
commerciales en matière de diamants du général Kazini n’étaient pas «légitimes».
62. En résumé, Monsieur le président, l’Ouga nda considère qu’il faut se garder de toute
conclusion qui donnerait l’impression que, non seulement l’Ouganda, mais aussi plusieurs dizaines
d’autres Etats dont les entreprises ont continué à développer des relations commerciales avec les
habitants des régions contrôlées par les rebelles, ont violé «l’obligation de vigilance». En fin de
compte, il y a une frontière à tracer. Le refus de l’Ouganda de céder aux pressions de la RDC, qui
lui demandait de faire ce que même le Conseil de sécurité des Nations Unies avait refusé de faire,
c’est-à-dire imposer un embargo commercial à l’enc ontre des habitants de l’est du Congo, se situe
clairement à l’intérieur de la frontière de la licéité. Cette décision était donc non seulement licite
mais aussi indispensable, compte tenu du fait que pendant la période en question le commerce entre
ces régions et l’ouest du pays (et surtout Kinshasa) était presque complètement interrompu. Un
embargo de la part de l’Ouganda aurait donc mis en péril la survie de la population de l’est du
Congo. Motivée par le souci de ne pas porter atte inte aux intérêts de la population locale, cette
décision a d’ailleurs été accompagnée d’un grand nombre de précautions qui montrent que
l’Ouganda a exercé un degré de surveillance élevé pour prévenir tout abus. Et je parlerai
maintenant brièvement de ces mesures positives adoptées par l’Ouganda.
b) Les mesures positives adoptées par l’Ouganda
63. Dès le départ, l’Ouganda a adopté un grand nombre de mesures pour s’assurer qu’aucun
débordement préjudiciable aux in térêts de la population ne pou rrait résulter de l’action de ses
forces ou de particuliers ougandais.
64. Dès le mois de décembre 1998, le présid ent de l’Ouganda, S.Exc.M. Museveni, a
adressé un message radiodiffusé dans lequel il expl iquait clairement qu’aucune implication des
membres des forces armées ougandaises dans des activités commerciales à l’est du Congo ne serait
74
CR2005/5, p. 40, par. 27; les italiques sont de nous.
75Id., p. 41, par. 27; les italiques sont de nous. - 35 -
tolérée . L’objectif de ce message était d’éviter tout risque de débordement de la part des forces
armées, réservant les activités co mmerciales aux acteurs privés traditionnels. On voit donc que,
même si l’action visée, à savoir l’implication d’un soldat dans des activités commerciales, ne
pouvait pas être considérée automatiquement comme « illicite», l’Ouganda est allé encore plus loin
que ses obligations internationales en cherchant à prévenir tout risque d’abus.
65. L’Ouganda a également veillé à ce que ses troupes s’abstiennent de toute ingérence dans
l’administration locale, qui était assurée par les parties congolaises elles-mêmes. Et je répète,
lorsque le commandant des forces ougandaises à l’est du Congo a essayé de nommer un
administrateur provisoire dans la province d’It uri, son action, qui ne visait pourtant que la
restauration de l’ordre public dans cette région, a été fermement réprimandé par sa hiérarchie qui a
77
entamé contre lui des actions disciplinaires .
66. Quand le Conseil de sécurité a créé un «groupe d’experts sur l’ exploitation illégale des
ressources naturelles», l’Ouganda a appuyé cette décision et a toujours pleinement coopéré avec ce
groupe, en lui fournissant toute l’assistance nécessaire. Il est d’ailleurs regrettable que l’inverse
n’ait pas toujours été vrai: sauf quelques exceptions, le groupe a refusé de communiquer à
l’Ouganda (ainsi qu’aux autres Etats impliqués) les informations sur lesquelles il basait ses
allégations, rendant malheureusemen t plus difficiles les efforts de l’Ouganda d’enquêter sur les
faits allégués afin de prendre les mesures nécessaires.
67. Quoi qu’il en soi, quand les premièr es allégations d’exploitation «illégale» des
ressources naturelles ont vu le jour, avec le prem ier rapport de ce groupe d’experts, l’Ouganda a
réagi immédiatement en instituant une commission d’enquête judiciaire indépendante, sous la
présidence du juge britannique David Porter ⎯la fameuse «commission Porter». L’Ouganda est
ainsi devenu le premier Etat de la région à instituer une telle commission d’enquête approfondie et
à s’engager à suivre ses recommandations, ce qui a d’ ailleurs été salué par le Conseil de sécurité
qui a «not[é] avec satisfaction ... la décision du Gouvernement ougandais de créer une commission
76
Message annexé à la «Lettre datée du 4 mai 2001 adress ée au Conseil de sécurité par le représentant de
l’Ouganda», S/2001/458, p. 59.
77Voir Rejoinder, par. 496. - 36 -
judiciaire d’enquête», tout en «exhort[ant]» le s autres gouvernements c oncernés à enquêter aussi
sur les différentes allégations 78.
Chose inouïe pour un Etat qui aurait quelque cho se à cacher, l’Ouganda a doté cette commission
indépendante de pouvoirs absolument extraordinaires : en effet, la «commission Porter» avait, par
exemple, le pouvoir d’ordonner la production de documents détenus par qui conque, y compris le
président, le ministre de la défense et les Fo rces de défense du peuple ougandais, ainsi que
d’ordonner des audits. C’est donc dans les meilleur es règles de transparence et d’efficacité que la
commission Porter a pu travailler.
68. Cette commission a auditionné des dizain es de témoins dans plusieurs pays, elle a
consulté des milliers de documents, elle a diligenté plusieurs enquêtes in situ , toujours avec
l’entière coopération du Gouvern ement ougandais. L’ampleur du travail accompli est manifeste à
la lecture de son rapport final qui compte pas moins de deux cenctinquante pages,
mille huit cent cinquante pages denses de retranscription des témoignages collectés par cette
commission et de milliers de pages d’annexes à ce rapport. Le fait que les avocats de la RDC aient
abondamment cité ce rapport et ses annexes dans leurs plaidoiries devant votre Cour constitue un
témoignage supplémentaire de l’impartialité de cette commission et de la transparence de
l’Ouganda.
69. La semaine dernière, le professeur Sands a souligné, au nom de la RDC, que «l’Ouganda
mérite tout notre respect pour avoir ouvert cette enquête…» 79. L’Ouganda accepte ces
compliments significatifs mais regrette profondément les contrevérités qui les ont accompagnées.
La RDC a prétendu, en effet, ⎯et je cite encore le professeur Sands ⎯ que «l’Ouganda aurait
80
préféré que la Cour n’ait pas accès au rapport Porter» . Elle a déclaré que l’Ouganda essaye
maintenant de «se soustraire aux conséquences» qui découlent de ce rapport 81. Et elle semble
même avoir voulu donner l’impression que l’Ouganda aurait essayé de cacher le rapport à la Cour
car, pour reprendre encore une fois les termes du professeur Sands :
78S/RES 1457 du 24 janvier 2003, par. 17.
79
CR 2005/3 [traduction], p. 16, par. 12.
80
Ibid.
81Ibid. - 37 -
«Ce qui est frappant, c’est que l’Ouganda n’a pas éprouvé le besoin de
transmettre à la Cour le rapport final de la commission Porter, qui a été communiqué à
son gouvernement en janvier2003 et au Secr étaire général des NationsUnies peu de
temps après. Nonobstant l’article 50 du Règl ement de la Cour qui fait obligation aux
parties de joindre en annexe «tous documents pertinents produits à l’appui des thèses»
d’une partie, ce n’est pas l’Ouganda, mais la RDC qui a soumis ce rapport à la
Cour…» 82
Je renvoie Monsieur le président, Messieurs de la Cour, au document Submission by the
Republic of Uganda of new documents in accordance with Article 42 of the Statute and Article 56
of the Rules of the Court : (1) Report of the Judicial Commission of Inquiry into all allegations of
illegal exploitation of natural resources and other fo rms of wealth in the Democratic Republic of
the Congo and (2) the Government White Paper on the said Report. Nous avons soumis cela à la
Cour comme un document officiel.
70. Honorables membres de la Cour, j’aimerais réagir tout d’abord par une observation. Il
est en effet difficile de comprendre comment la RDC peut logiquement prétendre que l’Ouganda ait
voulu cacher le rapport de la commission à la fois à la Cour et à la vérité, tout en admettant qu’il a
quand même non seulement communiqué immédiat ement ce rapport au Secrétaire général des
Nations Unies, mais qu’il l’a aussi immé diatement, selon l’aveu de la RDC, «made it available on
the worldwide web» 83. Mais passons sur cette incohérence pour relever une contre vérité. Comme
je l’ai dit tout à l’heure, il suffit aux membres de votre juridi ction de consulte r les documents
officiels de la Cour dans cette affaire pour constater que c’est l’Ouganda qui a déposé le rapport à
84
la Cour ainsi d’ailleurs que le White Paper .
71. Il est donc clair que l’Ouganda n’a pas essayé de «cacher» ce rapport à qui que ce soit et
il est tout aussi évident que l’Ouganda n’a à aucun moment essayé de «se soustraire aux
conséquences» de ce rapport. Tout au contra ire, conformément à ses garanties initiales, le
Gouvernement ougandais a publié, après réception de ce rapport, le «White paper» déjà mentionné,
dans lequel il s’est engagé à donner suite aux recommandations de la «commission Porter» et à
engager toutes les actions nécessaires, disciplinaires, judiciaires et autres, afin d’enquêter et de
punir les personnes responsables. Le sérieux av ec lequel l’Ouganda a examiné cette question est
82
Ibid., p. 11, par. 4.
83CR 2005/3, p. 21, par. 10.
84Voir «Report of the Judicial Commission of Inquiry into allegations of illegal exploitation of natural ressources
and other forms of wealth in the DRC», in ICJ, Submission by the Republic of Uganda of new documents in accordance
with article 43 of the Statute and article 56 of the Rules of the Court, 20 october 2003. - 38 -
aussi démontré par le fait que dans certains cas il est déjà allé au-delà des recommandations de la
commission Porter. A titre d’exemple, il faut soul igner que, après la publication de ce rapport, il a
démis de son commandement le général Kazini, bien que la commission Porter n’ait pas
recommandé directement cette mesure ⎯ mais seulement des investigations supplémentaires en ce
qui le concerne.
72. Cet engagement reste entier, et mon dis tingué collègue Philippe Sands n’a pas omis de
souligner, la semaine dernière, la récente interv iew du président Museveni à la BBC dans laquelle
il a déclaré que l’Ouganda examinait et examine de manière scrupuleuse toutes les
recommandations de la commission Porter et ét ait déterminé à poursuivre toute personne trouvée
coupable d’une violation quelconque du droit.
73. Voici donc une présentation de certaines mesures adoptées par l’Ouganda dans le cadre
de son obligation de «vigilance» et de «surve illance». Dans une opini on individuelle que le
jugeAlvarez avait jointe à l’arrê t de votre Cour dans l’affaire du Détroit de Corfou , il avait pris
soin d’expliquer que : «Cette obligation de surv eillance varie selon les conditions géographiques et
autres du pays... D’autre part, cette surveillance dépend des moyens dont dispose chaque Etat.» 85
74. L’Ouganda, pays en développement, en proie à une grave crise sécuritaire du fait des
attaques dont il a été victime, a été entraîné dans un conflit qu’il ne souhaitait pas. Ayant pour seul
but de se défendre, l’Ouganda a voulu éviter tout débordement de la part de ses forces armées.
Dans le cadre des moyens dont il disposait, il a essayé de prévenir, d’enquêter, de réagir.
L’Ouganda a essayé d’établir une transparence absolue dans ce domaine en établissant une
commission indépendante d’enquête dotée ⎯je le rappelle ⎯ de pouvoirs extraordinaires,
commission que peu de pays ont eu historiqueme nt le courage de créer dans des conditions
similaires. Ni l’existence de la guerre, ni les ris ques à sa sécurité, ni le «secret défense» n’ont été
invoqués pour censurer d’une façon quelconque ce tte commission ou empêcher son travail.
L’Ouganda a tout fait pour chercher la vérité. C’est pour l’ensemble de ces raisons qu’il demande
à votre Cour de dire et de juger qu’il n’a pas manqué à l’obligation de prudence et de moyens
imposée par le droit international.
85
C.I.J. Recueil 1949, p. 44. Les italiques sont de nous. - 39 -
Ceci, Monsieur le président, Madame, Messieurs les Membres de la Cour, termine mon
exposé de ce matin sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et je vous remercie de votre
bienveillante attention.
The PRESIDENT: Thank you, Profesor Suy.
This brings to a conclusion the hearings of this morning. The hearings will be resumed at
3 o’clock this afternoon. The sitting is closed.
The Court rose at 12.30 p. m.
___________
Public sitting held on Wednesday 20 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Shi presiding