CR 2005/4
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2005
Audience publique
tenue le mercredi 13 avril 2005, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Shi, président,
en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(République démocratique du Congo c. Ouganda)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2005
Public sitting
held on Wednesday 13 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Shi presiding,
in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(Democratic Republic of the Congo v. Uganda)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : M. Shi,président
Ricepra,ident
KorMoMa.
Vereshchetin
Higgimse
Parra-A.anguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Ajbresam,
VerhoMev.en,
jugetseka, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Presienit
Vice-Presideetva
Judges Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Judges ad hoc Verhoeven
Kateka
Registrar Couvreur
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République du Congo est représenté par :
S. Exc. M. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, ministre de la justice et garde des sceaux de la
République démocratique du Congo,
comme chef de la délégation;
S.Exc. M.Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeu r extraordinaire et plénipotentiaire auprès du
Royaume des Pays-Bas,
coagment;
M. Tshibangu Kalala, avocat aux barreaux de Kinshasa et de Bruxelles,
comme coagent et avocat;
M. Olivier Corten, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles,
M. Pierre Klein, professeur de droit internationa l, directeur du centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,
M. Jean Salmon, professeur émérite à l’Université lib re de Bruxelles, membre de l’Institut de droit
international et de la Cour permanente d’arbitrage,
M. Philippe Sands, Q.C., professeur de droit, dire cteur du Centre for International Courts and
Tribunals, University College London,
comme conseils et avocats;
M. Ilunga Lwanza, directeur de cabinet adjoint et conseiller juridique au cabinet du ministre de la
justice et garde des sceaux,
M. Yambu A Ngoyi, conseiller principal à la vice-présidence de la République,
M. Mutumbe Mbuya, conseiller juridique au cabinet du ministre de la justice,
M. Victor Musompo Kasongo, secrétaire particulier du ministre de la justice et garde des sceaux,
M. Nsingi-zi-Mayemba, premier conseiller d’am bassade de la République démocratique du Congo
auprès du Royaume des Pays-Bas,
Mme Marceline Masele, deuxième conseillère d’ ambassade de la République démocratique du
Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
commceonseillers;
M. Mbambu wa Cizubu, avocat au barreau de Kinshasa (cabinet Tshibangu et associés),
M. François Dubuisson, chargé d’enseignement à l’Université libre de Bruxelles,
M. Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles, - 5 -
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
His Excellency Mr. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, Minister of Jus tice, Keeper of the Seals of
the Democratic Republic of the Congo,
as Head of Delegation;
His Excellency Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Amb assador Extraordinary and Plenipotentiary
to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
Maître Tshibangu Kalala, member of the Kinshasa and Brussels Bars,
as Co-Agent and Advocate;
Mr. Olivier Corten, Professor of International Law, Université libre de Bruxelles,
Mr. Pierre Klein, Professor of International Law, Director of the Centre for International Law,
Université libre de Bruxelles,
Mr. Jean Salmon, Professor Emeritus, Université libre de Bruxelles, member of the Institut de droit
international and of the Permanent Court of Arbitration,
Mr. Philippe Sands, Q.C., Professor of Law, Director of the Centre for International Courts and
Tribunals, University College London,
as Counsel and Advocates;
Maître Ilunga Lwanza, Deputy Directeur de cabinet and Legal Adviser, cabinet of the Minister of
Justice, Keeper of the Seals,
Mr. Yambu A. Ngoyi, Chief Adviser to the Vice-Presidency of the Republic,
Mr. Mutumbe Mbuya, Legal Adviser, cabinet of the Minister of Justice,
Mr. Victor Musompo Kasongo, Private Secretary to the Minister of Justice, Keeper of the Seals,
Mr. Nsingi-zi-Mayemba, First Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,
Ms Marceline Masele, Second Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,
as Advisers;
Maître Mbambu wa Cizubu, member of the Kinshasa Bar (law firm of Tshibangu and Partners),
Mr. François Dubuisson, Lecturer, Université libre de Bruxelles,
Maître Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar, - 6 -
Mme Anne Lagerwal, assistante à l’Université libre de Bruxelles,
Mme Anjolie Singh, assistante à l’University College London, membre du barreau de l’Inde,
comme assistants.
Le Gouvernement de l’Ouganda est représenté par :
S. Exc. E. Khiddu Makubuya, S.C., M.P., Attorney General de la République de l’Ouganda,
comme agent, conseil et avocat;
M. Lucian Tibaruha, Solicitor General de la République de l’Ouganda,
comme coagent, conseil et avocat;
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre du barreau d’Angleterre, membre de la
Commission du droit international, professeur émérite de droit international public à
l’Université d’Oxford et ancien titulaire de la chaire Chichele , membre de l’Institut de droit
international,
M. Paul S. Reichler, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., avocat à la Cour
suprême des Etats-Unis, membre du barreau du district de Columbia,
M. Eric Suy, professeur émérite à l’Université cat holique de Leuven, ancien Secrétaire général
adjoint et conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies, membre de l’Institut de droit
international,
S. Exc. l’honorable Amama Mbabazi, ministre de la défense de la République de l’Ouganda,
M. Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), général de division, inspecteur général de la police de la
République de l’Ouganda,
comme conseils et avocats;
M. Theodore Christakis, professeur de droit in ternational à l’Université de Grenoble II
(Pierre Mendès France),
M. Lawrence H. Martin, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., membre du
barreau du district de Columbia,
commceonseils;
M. Timothy Kanyogongya, capitaine des forces de défense du peuple ougandais,
comme conseiller. - 7 -
Ms Anne Lagerwal, Assistant, Université libre de Bruxelles,
Ms Anjolie Singh, Assistant, University College London, member of the Indian Bar,
as Assistants.
The Government of Uganda is represented by:
H.E. the Honourable Mr. E. Khiddu Makubuya S.C., M.P., Attorney General of the Republic of
Uganda,
as Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Lucian Tibaruha, Solicitor General of the Republic of Uganda,
as Co-Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Ian Brownlie, C.B.E, Q.C., F.B.A., member of the English Bar, member of the International
Law Commission, Emeritus Chichele Professor of Public International Law, University of
Oxford, member of the Institut de droit international,
Mr. Paul S. Reichler, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the United States
Supreme Court, member of the Bar of the District of Columbia,
Mr. Eric Suy, Emeritus Professor, Catholic University of Leuven, former Under Secretary-General
and Legal Counsel of the United Nations, member of the Institut de droit international,
H.E. the Honourable Amama Mbabazi, Minister of Defence of the Republic of Uganda,
Major General Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), Inspector General of Police of the Republic
of Uganda,
as Counsel and Advocates;
Mr. Theodore Christakis, Professor of International Law, University of Grenoble II (Pierre Mendes
France),
Mr. Lawrence H. Martin, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the District of
Columbia,
as Counsel;
Captain Timothy Kanyogonya, Uganda People’s Defence Forces,
as Adviser. - 8 -
The PRESIDENT: Please be seated. The sitti ng is open. I first give the floor to
Professor Corten.
M. CORTEN :
L’ ABSENCE DE FONDEMENT DE L ’ARGUMENT DU CONSENTEMENT
Introduction : caractère subsidiaire et limité de l’argument ougandais du consentement
1. Je vous remercie, Monsieur le président. M onsieur le président, Madame et Messieurs de
la Cour, pour échapper à sa responsabilité, l’Ougand a invoque l’argument de la légitime défense,
dont nous avons vu hier qu’il manquait totalement de fondement. Mais l’Ouganda prétend aussi
que le Congo a accepté la présence de ses troupes sur certaines parties de son territoire, et qu’il n’a
donc, pour cette raison, pas violé l’interdiction du recours à la force. C’est cet argument que je
voudrais traiter ce matin.
2. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, d’un certain point de vue,
l’Ouganda a parfaitement raison: le Congo a accepté la présence de troupes ougandaises sur son
territoire. Mais, ce que la Partie ougandaise feint d’oublier, c’est que cette acceptation date du
6 septembre 2002, et ne vaut pas pour la période qui la précède. Le 6 septembre 2002, et pas avant,
la République démocratique du Congo et la Républi que de l’Ouganda ont en effet conclu un traité,
dit l’accord de Luanda, en vertu duquel, et je cite l’article 1, paragraphe4, dont vous retrouverez
o
copie dans votre dossier de juges, à la cote n 27.
«Les parties conviennent que les tr oupes ougandaises sur les versants des
montagnes Ruwenzori resteront en place jusqu’à la mise sur pied d’un mécanisme
garantissant la sécurité de l’Ouganda et de la République dé mocratique du Congo,
1
incluant l’entraînement et la coordination des patrouilles à la frontière commune...»
Les monts Ruwenzori peuvent être localisés à par tir de la carte que vous avez sous les yeux.
Il s’agit d’une zone bien délimitée qui, comme nous l’avons vu hier, borde la frontière commune
entre le Congo et l’Ouganda. En vertu de l’accord de Luanda, les troupes ougandaises
actuellement présentes sur les versants congolais des monts Ruwenzori restent donc provisoirement
1Duplique de l’Ouganda, annexe 84. - 9 -
en place, avec le consentement des autorités congol aises. Ce stationnement n’est permis que dans
une zone localisée, celle des versants des montagnes Ruwenzori, et ne vaut pas au-delà.
3. Le problème, pour la thèse défendue par l’ Ouganda, c’est qu’aucun accord de ce type n’a
été conclu avant le 6 septembre 2002 et que, par a illeurs, cet accord ne contient aucune disposition
laissant entendre que le Congo aurait rétroactivem ent donné son consentement à la présence de
troupes ougandaises ⎯ à supposer du reste que cela soit juridiquement possible, ce qui n’est pas le
cas. Entre le début du mois d’août1998, qui marque le déclenchement de l’agression et de
l’occupation ougandaise, et le 6 septembre 2002, date de la conclusion et de l’entrée en vigueur de
l’accord de Luanda, les troupes ougandaises sont demeurées sans aucun titre juridique sur le
territoire du Congo. A fortiori, c’est sans au cune forme de consentement que les troupes
ougandaises ont attaqué des militaires ou des civils congolais, commis des exactions de toutes
sortes, et pillé des ressources naturelles congolaises.
4. L’argument ougandais du consentement est donc vain. Mais, avant de vous le démontrer,
il convient d’insister sur le caractère à la fois subs idiaire et extrêmement limité de cet argument, et
ce selon l’Ouganda lui-même.
5. Argument subsidiaire, tout d’abord. Po ur tenter de justifier son acte d’agression,
l’Ouganda invoque en effet, à la fois, la légitime défense et le consentement du Gouvernement
congolais à la présence de ses troupes. Cette comb inaison est, la Cour en conviendra, à priori
difficilement compréhensible. Si un Etat se trouve véritablement en situation de légitime défense,
il n’a évidemment pas besoin de l’accord de l’Et at agresseur pour riposter! Mais l’Ouganda sait
pertinemment qu’il n’était pas en situation de légitime défense. Son argument principal risque
donc fort de ne pas être retenu. Aussi tient-il à invoquer, mais à titre subsidiaire cette fois,
l’argument du consentement des autorités congolaises.
6. L’argument ougandais du consentement du Congo n’est pas seulement subsidiaire, il est
aussi très limité, puisqu’il n’est invoqué que pour jus tifier des faits bien précis, et ne couvre ni les
violations des droits de l’homme, ni l’exploitation illégale des ressources naturelles, ni même des
actions armées qui auraient été menées sur le terri toire congolais. En réalité, c’est seulement le
stationnement pacifique de troupes ougandaises au Congo qui serait, toujours selon le scénario
ougandais, couvert par le consen tement du Gouvernement du Congo. Le propos est éminemment - 10 -
théorique puisque, ce que le Congo reproche à l’Ou ganda n’est pas le stationnement pacifique de
quelques soldats, mais plutôt l’invasion massive de son territoire et l’occupation qui s’en est suivie.
Il reste que ⎯et c’est important de le souligner d’emblée ⎯ théoriquement, c’est uniquement un
hypothétique stationnement pacifique qui est susceptible d’être justifié par l’argument ougandais.
A supposer même donc qu’il soit accueilli, cet argume nt ne serait donc pas susceptible d’exonérer
l’Ouganda de sa responsabilité pour tous les actes commis par ses forces armées.
7. Avant de détailler cet argument, il fa ut bien comprendre aussi qu’il recouvre deux
périodes distinctes, la première précédant et la seconde suivant l’entrée en vigueur de l’accord de
cessez-le-feu de Lusaka, le 11 juillet 1999. Ainsi, selon la thèse ougandaise :
⎯ pendant la période antérieure au 11juillet1999, le consentement congolais aurait porté sur le
stationnement de deux ou trois bataillons ougandais sur les monts Ruwenzori, dans la zone
frontalière séparant les deux pays;
⎯ par contre, pendant la période qui a suivi l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu de
Lusaka, le consentement congolais aurait eu une portée plus large; il aurait en effet couvert le
stationnement de toutes les troupes ougandaises qui se trouvaient alors en territoire congolais,
non seulement sur les monts Ruwenzori mais auss i dans toute la partie du territoire congolais
qui faisait alors l’objet d’une occupation.
8. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les prétentions ougandaises sont
contraires à la réalité, comme je vous l’exposerai en reprenant successivement ces deux périodes.
I. La République démocratique du Congo n’a pas consenti à la présence de troupes
ougandaises sur son territoire pendant la période s’étendant du début du mois
d’août 1998 à l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka
9. Premièrement, donc, le Congo n’a jamais consenti à la présence des troupes ougandaises
entre le début du mois d’août1998 et l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka,
que ce soit de manière formelle ou de manière informelle.
L’absence de consentement formel
10. Sur un plan formel, tout d’abord, le Congo n’a jamais conclu un traité en vertu duquel il
accepte que «les troupes ougandaises sur les versan ts des montagnes Ruwenzori resteront en
place…», pour reprendre les termes de l’accord de Luanda. Dans ses écritures, l’Ouganda s’est - 11 -
obstiné à invoquer un protocole, conclu le 27avril1998, en vertu duquel, «les deux armées
2
acceptent de coopérer en vue d’assurer la paix et la sécurité le long de la frontière commune» .
Vous trouverez ces extraits dans votre do ssier de juges, sous la cote n° 27. Et vous constaterez au
passage que «le long de la frontière commune» veut di re «le long de la frontière commune», et pas
au-delà, que ce soit à Kinsagani (à quelque 650 kilomètres de la frontière) ou à Gbadolite (à
quelque 1120kilomètres). Quoi qu’il en soit, et même avec une bonne dose d’imagination, il est
difficile de comprendre comment on peut assimiler les deux textes que je viens de citer. Le
premier ⎯ l’accord de Luanda ⎯ contient un consentement clair, et non ambigu, à la présence de
troupes ougandaises dans une zone déterminée. Le second ⎯le protocole d’avril1998 ⎯ ne
renferme qu’une obligation de coopération, et implique que des accords ultérieurs déterminent
3
quand et comment cette coopération pourra se concrétiser .
11. Dans sa duplique, l’Ouganda tente d’ échapper à l’évidence en faisant appel au
témoignage d’un fonctionnaire de son ministère des affaires étrangères, qui aurait décrit les
circonstances dans lesquelles ce protocole a été conclu 4. Selon ce fonctionnaire ougandais, le texte
avait été conçu pour permettre a ux troupes ougandaises d’agir au Congo, en particulier au vu des
circonstances qui prévalaient alors et qui témoignaient des graves problèmes de sécurité le long de
la frontière commune. Pour illustrer son propos , ce fonctionnaire ougandais cite l’attaque du
collège de Kichwamba, déjà évoquée hier, en insistant sur la gr avité de ce précédent. L’attaque de
Kichwamba aurait donc constitué un élément décisif pour expliquer la conclusion du protocole et,
en même temps, pour l’interpréter dans le sens que lui prête aujourd’hui l’Ouganda.
12. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, cet argument manque tout
simplement de sérieux. D’une part, parce qu’il ne saurait évidemment être question d’introduire
dans le texte d’un traité une disposition qui ne s’y trouve pas, et ce sur la seule base de la prétention
unilatérale de l’une des parties à ce traité. D’autre part, parce que, de toute évidence, le
témoignage de ce fonctionnaire ougandais ne représente qu’une tentative bien maladroite de
réécriture de l’histoire. Il suffit pour s’en c onvaincre de rappeler que l’attaque de Kichwamba,
2
«The two armies agreed to co-operate in order to insure security and peace along the common border»;
contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 19.
3
Réplique du Congo, p. 250-254, par. 3.191-3.201.
4Duplique de l’Ouganda, p. 42-44, par. 91. - 12 -
comme je l’ai signalé hier, a eu lieu le 8 juin 1998, et que la conclusion du protocole a eu lieu
le 27 avril de la même année, soit plus d’un mois et demi plus tôt. On voit mal, dans ces
conditions, comment la rédaction de ce protocole aurait pu avoir été inspirée par cette attaque qui
lui a été postérieure. A vrai dire, la Répub lique démocratique du Congo s’avoue impatiente
d’entendre les explications de la Partie ougandaise su r ce point. L’Etat défendeur produit un
témoignage, effectué sous serment, en vertu duque l un texte élaboré en avril aurait été inspiré par
des événements qui se sont déroulés en juin de la même année. De l’avis du Congo, de deux
choses l’une. Soit ce témoin, et avec lui l’Etat défendeur, est coupable d’une grave confusion de
mémoire. Soit, tout simplement, on est en présence d’un témoignage élaboré pour les besoins de la
cause. Dans les deux cas, il convient de ne tenir aucun compte de ce témoignage, auquel on
préférera le sens ordinaire des te rmes du protocole d’avril1998. Un texte qui, n’en déplaise à la
Partie ougandaise, ne contient aucun consentement congolais à la présence de troupes ougandaises
au Congo.
13. L’Ouganda ne peut donc décidément échapper à un fait objectif: aucun traité ne lui a
donné une base juridique pour légitimer la présence de ses troupes en République démocratique du
Congo à partir du mois d’août 1998.
L’absence de consentement informel
14. C’est sans doute pour échapper à cette c onclusion que l’Ouganda tente en même temps
de prétendre qu’il a pu bénéficier d’un consentement informel cette fois de la part des autorités
congolaises 5.
15. Monsieur le président, le Congo n’a jamais nié qu’il a, pour un temps, toléré que certains
soldats ougandais opèrent occasionnellement sur son territoire, et ce dès l’accession au pouvoir du
gouvernement de Laurent-Désiré Kabila. Cette tolé rance s’explique parfaitement bien, si l’on se
souvient que l’armée ougandaise avait activemen t collaboré à l’arrivée au pouvoir de ce
gouvernement, et que le Congo connaissait alors lui-mê me de sérieux problèmes de sécurité. Mais
cette tolérance a pris fin le 27 ju illet 1998, lorsque le président Kabila a exigé le retrait des troupes
rwandaises, tout en précisant que cela marquait, et je cite les termes exacts de la déclaration du
5
Ibid., p. 128-129, par. 307-308. - 13 -
6
président Kabila, «la fin de la présence de toutes forces militaires étrangères au Congo» . A partir
de cette date, plus auc une troupe étrangère ne pouvait prétendre demeurer en territoire congolais
avec le consentement des autorités congolaises.
16. Il est vrai, et l’Ouganda insiste lourdement sur ce point 7, que le présidentKabila, le
27 juillet 1998, n’a pas explicitement désigné les quelques soldats ougandais qui se trouvaient alors
en territoire congolais dans le cadre de la coopération visant au maintien de la sécurité dans les
Monts Ruwenzori. L’omission est pourtant parfaiteme nt compréhensible. Ce sont avant tout, à ce
moment, les soldats rwandais qui se trouvaient au Congo, et qui menaçaient alors le pouvoir en
place, et ce sont donc avant tout ces soldats que le présidentKabila souhaitait voir évacuer. Si
Laurent-Désiré Kabila ne désigne pas explicitement les Ougandais, c’est à la fois parce que ceux-ci
étaient alors très peu nombreux au Congo et parce qu’il aurait été bien maladroit de les assimiler
aux Rwandais qui, dans les circonstances de l’époque, étaient perçus comme des ennemis suspectés
de vouloir renverser le régime. L’omission s’explique donc pour des raisons diplomatiques, mais
ne signifie absolument pas qu’un consentement était, a contrario , accordé à une poursuite du
stationnement des quelques soldats ougandais qui se trouvaient alors en territoire congolais.
17. L’Ouganda réplique toutefois que la déclaration du 27 juillet est ambiguë, et que le retrait
8
du consentement antérieurement accordé n’est donc pas clair . Monsieur le président, Madame et
Messieurs de la Cour, s’il n’y avait eu que cette déclaration, peut-être un doute aurait-il pu
subsister. Mais ce doute, à supposer qu’il ait jamais existé, a été totalement et définitivement
dissipé par plusieurs déclarations, y compris du présidentKabila lui-même, par lesquelles les
autorités congolaises ont explicitement accusé l’Ouganda d’agression. Ces déclarations ont été
formulées dès le 6 août 1998, lorsqu’il est deve nu clair que les troupes ougandaises participaient à
l’agression, et que la politique d’apaisement n’avait plus aucune chance de porter ses fruits 9. Une
annexe du contre-mémoire ougandais atteste d’ailleurs que les autorités de l’Ouganda étaient
parfaitement au courant des accusations formulées à leur encontre par le Congo dès la tenue du
6Mémoire du Congo, p. 60-61, par. 2.11.
7
Duplique de l’Ouganda, p. 45-46, par. 95-97.
8Ibid., p. 45-46, par. 97.
9Réplique du Congo, p. 258-259, par. 3.208. - 14 -
10
sommet de VictoriaFalls, les 7 et 8août1998 . Le 13 août encore, les plus hautes autorités du
Congo demandent explicitement que l’ONU et l’O UA prennent des mesures en vue d’assurer un
11
«retrait immédiat des forces rwandaises et ougandaises du territoire congolais» , conformément au
droit international. Dans un autre document, daté du 19 août, le représentant du Congo à l’ONU
évoque «les intentions génocidaires des agresseurs rwandais et ougandais ainsi que leur volonté
12
délibérée de violer les dispositions per tinentes du droit humanitaire international» . Un
mémorandum envoyé à l’ONU le 31août dénonce lui aussi «une agression des armées régulières
13
du Rwanda et de l’Ouganda» .
18. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, l’Ouganda peut-il sérieusement
prétendre qu’il se pensait encore bienvenu ou invi té en territoire congolais, alors même que le
Congo exigeait officiellement son retrait et le qualifiait d’agresseur devant toutes les enceintes
internationales ? Si j’invite mes voisins à prendre le thé de l’après-midi et que, le soir venu, l’un
d’eux refuse de rentrer chez lui, que j’appelle la po lice pour qu’il soit délogé par la force et que je
le traite publiquement de criminel, il m’étonnerait fort que ce voisin, décidément bien envahissant,
affirme haut et fort que je l’ai invité à dîner. C’est pourtant ce que fait l’Ouganda aujourd’hui,
lorsqu’il ose prétendre qu’il bénéficiait d’une invitation à rester au Congo après le début du mois
d’août 1998.
19. Mais l’Ouganda n’en est pas à un excès près. Il prétend ainsi que le Congo est tenu de
prouver que son consentement a formellement été retiré 14. Un retrait informel, même aussi
manifeste que celui qui résulte des événements que je viens de rappeler, ne serait donc pas
suffisant. L’argument est, une fois encore, fall acieux. Si le Congo avait préalablement donné son
consentement de manière formelle, dans un traité par exemple, on pourrait prétendre qu’il aurait dû
respecter certaines formes pour retirer ce consentement. Mais comme tel n’a pas été le cas, et qu’il
ne s’est agi que d’une simple tolérance, rien n’interdisait au Congo de se prononcer de manière
10
Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 31, p. 14.
11
«[I]mmediate withdrawal of both Rwandan and Ugandan troops from the Congolese territory» (les italiques
sont de la RDC; réplique du Congo, annexe 41).
12
Réplique du Congo, annexe 40; les italiques sont de la RDC.
13Mémoire du Congo, annexe 27; les italiques sont de la RDC.
14Duplique de l’Ouganda, p. 46, par. 100. - 15 -
informelle. Comme l’indiquent les travaux de la Commission du droit international, un
consentement peut être implicite, pourvu qu’il soit «clairement établi» 15. Il en va logiquement de
même du retrait d’un consentement. La seule cond ition, en l’occurrence, est donc de vérifier que
ce retrait est «clairement établi», ce qui est bien le cas, en particulier au vu des déclarations
congolaises de la fin juillet mais aussi du mois d’août 1998.
20. Monsieur le président, il me reste à mentionner un élément qui finit d’ôter toute
pertinence à l’argument ougandais. Le 9 avr il 1999, le Conseil de sécurité a adopté sa
résolution1234, dans laquelle non seulement il r econnaît au Congo un droit à la légitime défense
⎯ comme nous l’avons vu hier ⎯ mais encore, il
«Déplore que les combats se poursuivent et que des forces d’Etats étrangers
demeurent en République démocratique du Congo dans des conditions incompatibles
avec … la Charte des Nations Unies et demande à ces Etats de mettre fin à la présence
de ces forces non invitées et de prendre immédiatement des mesures à cet effet.» 16
Cette résolution, que vous retrouverez dans vot re dossier de juges sous la cote21, a été
rappelée à de multiples reprises par le Conseil de sécurité, y compris dans la résolution 1304 dans
laquelle il précise que l’Ouganda a «violé la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République
17
démocratique du Congo…» . Cette résolution a aussi été acceptée par l’Ouganda, qui ne l’a
jamais remise en cause, et qui a même accepté que l’accord de cessez-le-feu de Lusaka rappelle
18
explicitement la résolution 1234 dans son préambule .
21. On peut déduire de ces faits pour la présente espèce les deux enseignements suivants :
⎯ d’abord, le Conseil de sécurité a clairement considéré que les troupes ougandaises situées au
Congo étaient des «forces non invitées», ce qui a constitué l’un des éléments permettant de
conclure que l’Ouganda avait violé la souveraineté et l’intégrité territoriale du Congo,
15
ACDI, 1979, II, première partie, p. 36, par. 69.
16
Les italiques sont de la RDC.
17Résolutions 1258 du 6 août 1999 (préambule, premie r considérant), 1273 du 5 novembre 1999 (préambule,
premier considérant), 1279 du 30 novembre 1999 (préambule, premier considérant), 1291 du 24 février 2000 (préambule,
premier considérant), 1304 du 16 juin 2000 (préambule, premier considérant), 1316 du 23 août 2000 (préambule, premier
considérant), 1323 du 13 octobre 2000 (préambule, premier considérant), 1332 du 14 décembre 2000 (préambule,
premier considérant), 1341 du 22 février 2001 (préambule, premier considérant), 1355 du 15 juin 2001 (préambule,
premier considérant), 1399 du 19 mars 2002 (préambule, premier considérant), 1417 du 14 juin 2002 (préambule, premier
considérant), 1445 du 4 décembre 2002 (préambule, premier considérant), 1457 du 24 janvier 2003 (préambule, premier
considérant), 1468 du 20 mars 2003 (préambule, premier considérant), 1484 du 30 mai 2003, et 1493 du 28 juillet 2003
(préambule, premier considérant); déclaration du président du 24 juin 1999 (S/PRST/1999/17).
18Préambule, douzième considérant, S/1999/815, mémoire du Congo, annexe 31. - 16 -
⎯ ensuite, en acceptant sans réserve cette résolution 19, l’Ouganda a lui-même admis que ses
forces n’avaient pas été «invitées» en République démocratique du Congo.
22. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, l’Ouganda doit donc choisir.
Soit il accepte les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, et il ne peut prétendre qu’il était
encore invité à demeurer en territoire congolais à la date de l’adoption de cette résolution le 9 avril
1999. Soit il maintient, envers et contre tout, avoir bénéficié d’une invitation, mais il doit alors
assumer son opposition à toutes ces résolutions du Conseil de sécurité.
23. Décidément, il est bien difficile de croire à la sincérité des argum ents de l’Ouganda sur
ce point. Tout comme il est difficile de le croire, et j’en viens ici à la deuxième partie de cette
plaidoirie, lorsqu’il affirme qu’un titre juridique valide lui aurait permis de demeurer au Congo
après l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, le 11 juillet 1999.
II. La République démocratique du Congo n’a pas consenti à la présence de troupes
ougandaises sur son territoire pendant la période s’étendant de l’entrée en vigueur
de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka à celle de l’accord de Luanda
24. Selon l’Ouganda, en effet, la conclusi on de l’accord de Lusaka aurait des effets
juridiques décisifs dans le cadre de la présente instance. En acceptant d’y régler les modalités du
retrait des troupes ougandaises stationnées alors sur son territoire, le Congo aurait en même temps
accepté que la présence persistante de ces troupes était conforme au droit international. En signant
cet accord, le Gouvernement congolais aurait donc re noncé à mettre en cause la responsabilité de
l’Ouganda pour le stationnement de ses troupes en territoire congolais 20.
25. Avant de confronter cet argument au text e de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, il faut
rappeler qu’en tout état de cause cet accord ne pe ut rétroactivement légaliser l’action de l’Ouganda
au Congo. L’accord ne peut donc justifier le re fus initial des autorités ougandaises de retirer leurs
troupes du territoire congolais, au mois d’août 1998, pas plus qu’il ne peut justifier l’invasion puis
l’occupation du territoire congolais à partir de cette date. Cette légalisation rétroactive, qui poserait
du reste dans son principe de sérieux problèmes de droit international, ne ressort, de près ou de
loin, d’aucune disposition de cet accord. Celui-ci prévoit simple ment qu’il entrera en vigueur
19
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 151, par. 270.
20Duplique de l’Ouganda, p. 91 et suiv. - 17 -
21
vingt-quatre heures après sa signature , qui a eu lieu le 10 juillet 1999 . Ce n’est donc qu’à partir
de cette date, le 11 juillet, que l’accord a pu sortir ses effets juridiques.
26. La Partie ougandaise réplique que cet élém ent n’est pas pertinent, parce que l’accord de
Lusaka confirme la prise en compte par la communauté internationale de ses «préoccupations de
22
sécurité» . Mais le Congo ne parvient toujours pas à comprendre comment la reconnaissance de
simples préoccupations de sécurité ⎯ reconnaissance par ailleurs parfaitement légitime ⎯ pourrait
être assimilée à une légalisation rétroactive ou à une autorisation de la présence des troupes
ougandaises au Congo. La «communauté internationale», qu’il s’agisse de l’ONU ou
d’organisations régionales africaines, n’a jamais nié la légitimité des préoccupations de sécurité de
l’Ouganda, comme d’ailleurs de celles des autres pays de la région. Ce qu’elle a en revanche
fermement condamné, comme nous l’avons vu hier, c’est la politique de force que l’Ouganda a
23
mise en Œuvre pour répondre à ces préoccupations . Il est pour le moins paradoxal d’invoquer les
prises de position de ces organisations internationales pour justifier ce qu’elles ont nommément
condamné.
27. Mais quels sont, alors, exactement, les effets juridiques de l’accord de cessez-le-feu de
Lusaka ? Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, cet accord n’a ni pour objet ni
pour effet de permettre à l’armée ougandaise de de meurer au Congo sur la base d’un nouveau titre
juridique. On n’y trouvera au cune disposition similaire à celle de l’accord de Luanda du
6septembre2002 qui, pour rappel, prévoit que «les parties conviennent que les troupes
ougandaises sur les versants des montagnes Ruwenzor i resteront en place…». Les termes que je
viens de citer sont clairs, et dépourvus d’ambigu ïté. Mais l’accord de cessez-le-feu de Lusaka ne
contient, quant à lui, aucune disposition de ce type. Le Congo n’y accepte pas le maintien de
troupes étrangères sur son territoire. Au contraire, il tente d’obtenir «le retrait définitif de toutes les
24
forces étrangères du territoire national» (art.III, point14 de l’accord); un objectif qui n’a
21Art. I, point 25 de l’accord, S/1999/815, mémoire du Congo, annexe 31.
22
Duplique de l’Ouganda, p. 129 et suiv.
23Voir réplique du Congo, annexes 118, 199, 61, 62, 49, 51.
24Art. III, point 14 de l’accord, S/1999/815, mémoire du Congo, annexe 31. - 18 -
nullement été réalisé puisque, comme le professeur Salmon vous le rappelait hier, l’armée
ougandaise, loin de s’être retirée à l’été 1999, a alors poursuivi son avancée en territoire congolais.
28. L’Ouganda estime cependant qu’en prévoyant les modalités du retrait, cet accord légalise
implicitement la présence de ses troupes, en tout cas jusqu’à ce que ce retrait ait lieu, selon les
modalités prévues par l’accord 25.
29. L’argument ougandais est fondé sur un raisonnement a contrario, qui aboutit à faire dire
au texte ce qu’il ne dit pas : l’accord de cessez-le-feu de Lusaka ne se prononce pas sur la licéité ou
l’illicéité du maintien des troupes étrangères. Il se contente de prendre acte de leur présence, et de
prévoir les modalités de leur retrait. Son but n’ est pas de se prononcer sur la responsabilité ou sur
les droits de telle ou telle partie dans le d éclenchement ou la poursuite du conflit, mais tout
simplement de mettre fin à ce conflit.
30. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il faut rappeler ici que ce qu’on
appelle parfois par commodité l’«accord de Lusak a» est, selon son propre intitulé, un «accord de
cessez-le-feu». C’est en tant qu’«accord de cesse z-le-feu de Lusaka» qu’il est désigné par le
Conseil de sécurité lorsqu’il y renvoie 26. Et cette terminologie est particulièrement appropriée. La
doctrine est en effet unanime à considérer qu’un accord de cessez-le-feu n’a qu’un objet
extrêmement limité qui est, comme son nom l’indique, de faire cesser les combats 27. Le
cessez-le-feu n’est qu’une trêve, qui ne met pas fin à l’état de guerre entre les parties, au contraire
d’un traité de paix qui, en mettant fin à la guerre, règle en même temps, sur le fond, les problèmes
pendants. Le cessez-le-feu est donc par définiti on provisoire et, surtout, est sans préjudice des
prétentions des Etats belligérants. Pour reprendre un extrait du Dictionnaire de droit international
public, un accord de cessez-le-feu «ne préjuge en rien les droits, les prétentions ou la position des
28
parties intéressées» .
31. Dans notre cas, l’accord de cessez-le-feu de Lusaka ne préjuge en rien les droits, les
prétentions ou la position des parties, qu’il s’ agisse d’ailleurs du Congo, de l’Ouganda, ou des
25
Duplique de l’Ouganda, p. 48-49, par. 104.
26 Voir notamment la résolution 1304 du 16 juin 2000, préambule, neuvième considérant.
27 D. Fleck (éd.), The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflicts , Oxford, OUP, 1995, p.62, n 245,
Sydney D. Bailey, «Cease-Fires, Truces and Armistices in the Practice of the UN», AJIL, 1977, p.472 et suiv.,
R.R. Baxter, «Armistices and other forms of suspension of Hostilities», RCADI, 1976-I, t. 149, p. 372.
28 Jean Salmon, dir. pub., Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant/AUPELF, 2001, p. 160. - 19 -
autres Etats concernés. C’est sa ns doute en ce sens que, comme la Cour l’a bien indiqué dans son
ordonnance du 29novembre2001 par laquelle elle s’est prononcée sur l’admissibilité des
demandes reconventionnelles présentées par l’Ouganda, cet accord vise des questions «afférentes à
des modes de résolution du conflit », et non, toujours selon les termes de la Cour, des questions
relatives aux actes dont les parties se seraient rendues responsables «au cours de ce conflit» 29. En
concluant l’accord de cessez-le-feu, le Congo s’ engageait à ne pas recourir à la force pour
repousser les troupes ougandaises en dehors de son territoire, et ce moyennant le respect d’un
calendrier reprenant une série d’engagements réciproques. Le Congo ne conférait pas pour autant à
l’Ouganda un titre juridique quelconque lui permettant de justifier, en droit, son occupation. Cette
dernière question n’est tout simplement pas tranchée par l’accord de cessez-le-feu qui se limite à
tenter de faire taire les armes.
32. Monsieur le président, dans le préambul e de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, les
30
parties rappellent la résolution 1234 (1999) du Conseil de sécurité . Cette résolution qualifie,
comme je vous l’ai rappelé il y a un instant, les forces ougandaises au Congo de «forces non
invitées». L’accord de cessez-le-feu n’a pu avoir ni pour ambition ni pour effet de transformer ces
forces non invitées en forces invitées. L’argument de l’Ouganda ne peut donc être retenu.
33. En définitive, l’accord de cessez-le-feu doit tout simplement être perçu comme une
première étape sur le long chemin de la paix. Un chemin long et tortueux, qui a débouché le
6septembre2002 sur la conclusion de l’accord de Luanda, qui a, au contraire des précédents,
conféré un titre juridique à une présence provisoire et limitée de soldats ougandais en territoire
congolais. Un chemin de la paix qui a, enfi n, mené le Congo à vous demander de rendre justice
pour que soit réglé une fois pour toutes le différend qui l’oppose à l’Ouganda au sujet du
déclenchement et de la poursuite de cette guerre. En participant à l’agression, l’Ouganda a violé
les principes les plus élémentaires du droit international, en particulier l’interdiction du recours à la
force et l’obligation de régler pacifiquement les différends. Aucune des justifications
artificiellement avancées par la Partie ougandaise, qu’il s’agisse de la légitime défense ou d’un
prétendu consentement, n’est susceptible de l’exonérer de sa responsabilité. Le Congo demande
29 er
Ordonnance du 1 juillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 680, par. 42.
30Préambule, douzième considérant, S/1999/815, mémoire du Congo, annexe 31. - 20 -
donc à la Cour de constater la vi olation, par l’Ouganda, des princip es les plus élémentaires de la
Charte des NationsUnies, et en particulier l’artic le2, paragraphe4. Ma is il demande aussi à la
Cour, comme vous le savez, de ne pas laisser impunies les violations des droits fondamentaux de la
personne auxquelles ce conflit meurtrier a donné lieu.
34. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, je vous remercie de votre
attention et vous demande de bien vouloir céder la parole au professeur Pierre Klein, qui entamera
l’argumentation de la République démocratique du Congo sur ce point.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Corten. I now give the floor to Professor Klein.
M. KLEIN :
L ES VIOLATIONS DES DROITS DE LA PERSONNE
LES MANQUEMENTS DE L ’OUGANDA AUX OBLIGATIONS
DE VIGILANCE INCOMBANT AUX ETATS OCCUPANTS
I. Introduction générale à la problématique
de la violation des droits de la personne
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, il me revient
maintenant d’aborder un volet particulièrement pénible du présent litige: celui des graves
violations des droits fondam entaux de la personne dont s’est accompagnée l’occupation, par
l’Ouganda, de larges portions du territoire congolais entre 1998 et 2003.
2. Mes collègues ont déjà eu l’occasion d’évo quer l’effroyable coût humain de la guerre qui
a déchiré le Congo durant cinqannées. Avec une su rmortalité due au conflit estimée à plus de
troismillions et demi de personnes, les populations civiles congolaises ont subi de plein fouet les
conséquences de l’agression dont leur pays a été vic time. Il est clair que nombre de ces décès, dus
aux maladies, à la malnutrition, ne constituent q’une conséquence médiate de la guerre. Mais
c’est néanmoins par centaines de milliers que se comptent les civils qui ont été délibérément
massacrés par diverses factions armées, ou dont les droits les plus essentiels ont été foulés aux
pieds par les forces d’occupation et leurs alli és. Certaines régions du Congo, soumises à
l’occupation étrangère, ont connu des déchaînements de violence sans précédent dans l’histoire du
pays. Ces faits appellent indéniablement une sév ère condamnation sur le plan politique et moral, - 21 -
mais aussi ⎯et c’est le but que la République démocratique du Congo entend poursuivre
aujourd’hui ⎯ sur le plan juridique.
3. Ces violations extrêmement graves des droits fondamentaux soulèvent évidemment des
questions de responsabilité pénale individuelle. Mais ce n’est bien sûr pas sous cet angle que le
Congo entend traiter de ces faits devant la Cour. Outre la resp onsabilité pénale individuelle de
leurs auteurs, les graves violations des droits de la personne commises dans les territoires congolais
soumis à l’occupation étrangère mettent en effet clairement en cause la responsabilité internationale
des Etats occupants. A ce titre, la République démocratique du Congo démontrera que la
responsabilité internationale de l’Ouganda est engagée en raison des nombreuses violations des
droits fondamentaux commises dans les parties du territoire congolais sur lesquelles les forces
armées ougandaises exerçaient leur contrôle au cours du conflit.
4. L’Ouganda a développé, dans ses écritures, une réponse en deux temps à la mise en cause
de sa responsabilité internationale pour ces faits. Selon son argument ation, il serait, tout d’abord,
impossible de retenir une respon sabilité générale de l’Ouganda pour les violations des droits
fondamentaux et du droit international humanitaire survenues dans les zones du Congo qui étaient
soumises au contrôle ougandais. La raison en serait que l’Etat ougandais ne pourrait être qualifié
31
d’Etat occupant . Et en l’absence de pa reille responsabilité générale ⎯c’est le second volet de
cette approche ⎯, il reviendrait alors à la République démocratique du Congo d’établir
l’imputabilité à l’Ouganda de chacune des violations de ces normes essentielles du droit
international commises dans le contexte de la présence militaire ougandaise sur le territoire
32
congolais, ce que le Congo ne serait pas en mesure de faire .
5. La République démocratique du Congo ré futera successivement ces deux prétentions. Je
montrerai ainsi, dans un premier temps, que l’Ouganda devait bel et bien être considéré comme
Etat occupant, et que sa responsabilité internationa le est engagée en raison de son abstention de
prendre les mesures que le droit international im pose à tout Etat occupant en vue de faire
régner l’ordre public dans les territoires que cet Etat contrôle. Dans un deuxième temps,
e
M Tshibangu Kalala mettra en exergue différe ntes catégories de violations des droits
31
Voir e.a. duplique de l’Ouganda, p. 245-246, par. 525-526.
32Voir e.a. ibid., p. 246, par. 526. - 22 -
fondamentaux qui sont directement attribuables aux forces armées ougandaises. Enfin, dans un
troisième temps et en guise de conclusion, mon collègue Olivier Corten reviendra sur les objections
générales formulées par l’Ouganda à l’encontre des prétentions de la République démocratique du
Congo dans ce domaine.
Si la Cour le permet, j’aborderai donc maintenant le premier volet de cette argumentation, en
montrant les manquements de l’Ouganda aux ob ligations de vigilance incombant aux Etats
occupants.
II. La responsabilité de l’Ouganda en tant que puissante occupante
dans l’Ituri
6. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, il est une région du
Congo dont le nom est devenu, depuis 1999, synonyme de barbarie et de désolation. Cette région,
c’est celle de l’Ituri, située dans l’extrême est de la République démocratique du Congo, et jouxtant
la frontière ougandaise. Elle a, au cours des dernières années, été le théâtre de massacres
effroyables. On en estime le bilan à plus de soixantemillemorts, et à plus de six cent mille le
33
nombre de personnes déplacées .
7. De façon quelque peu simpliste, les violences qui se sont multipliées en Ituri depuis 1999
sont parfois présentées comme le résultat de l’exacerbation d’une opposition qui caractérise depuis
longtemps les relations entre les deux principaux groupes ethniques de la région : les Hema et les
34
Lendu. C’est cette vision que défend en partic ulier l’Ouganda dans ses dernières écritures . Mais
de très nombreux observateurs font, au contraire, état d’une réalité plus complexe et autrement plus
dérangeante 35. Ce que tous ces observateurs ont constaté de façon unanime, c’est le fait que,
dès1999, les forces d’occupation ougandaises se sont immiscées dans l’administration de ce
territoire et ont apporté un soutien politique et militaire aux membres de la communauté Hema,
33Deuxième rapport spécial du Secr étaire général sur la MONUC, doc . S/2003/566, 27 mai 2003, par.10
(http ://daccess-ods.un.org/TMP/7777661.html).
34Duplique de l’Ouganda, p. 266, par. 568.
35
Voir e.a. de façon générale leRapport final du groupe d’experts sur l’exploitation illle des ressources
naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo , doc. S/2002/1146, 8 octobre 2002,
par. 14 (http ://www.un.org/french/docs/sc/letters/2002/cslet02.htm) et les diverses sources citées in réplique du Congo,
p. 324, par. 5.21 et 5.22 et les notes 29 à 33. - 23 -
qu’elles ont encouragés dans leurs attaques contre les Lendu 36. L’UPDF a ensuite conclu des
alliances avec d’autres groupes locaux, et suscité une aggravation du conflit, qui a, par la suite
atteint des proportions effrayantes. Et ces inte rférences se poursuivent encore à l’heure actuelle,
avec le soutien plus ou moins direct apporté par l’Ouganda à plusieurs des groupes armés qui
sévissent dans la région. C’est dans ce cadre que de très graves violations des droits fondamentaux
de la population locale ont été commises, violations à l’égard desquelles l’Ouganda porte une
responsabilité écrasante.
8. Plus précisément, je montrerai dans le cad re de la présente plaidoirie que l’Ouganda doit
être considérée comme une puissance occupante dans la région de l’Ituri (A) et qu’il a manqué à
nombre des obligations qui pèsent sur tout Etat occ upant en vertu du droit international (B). Il
convient toutefois de préciser, à ce stade de l’argu mentation, que la situation de l’Ituri ne sera
évoquée ici qu’à titre d’exemple des manquements de l’Ouganda à ses obligations de puissance
occupante, en particulier dans le domaine des droits fondamentaux de la personne. Les conclusions
qui seront atteintes en l’espèce peuvent évidemment trouver à s’appliquer aux autres régions du
Congo sur lesquelles l’Ouganda a exercé son contrôle et a pareillement manqué à ses obligations.
A. L’Ouganda en tant que puissance occupante en Ituri entre 1999 et 2003
9. Dans un premier temps, donc, revenons sur le statut de l’Ouganda en tant que puissance
occupante de l’Ituri entre 1999 et 2003. L’Etat défendeur tente de réfuter le fait qu’il doit être
considéré comme Etat occupant des régions du Congo qui ont été conquises par ses forces armées.
L’Ouganda estime ainsi que la présence de ses contingents en nombre relativement limité (de
l’ordre de dixmillehommes) a pour conséque nce que l’«idée même d’une occupation par
l’Ouganda est manifestement absurde» 37. L’Etat défendeur tente ainsi d’échapper à toute
responsabilité pour les violations graves des normes internationales qui ont été commises dans cette
zone, en créant une sorte de vide juridique. Mais cet argument se révèle totalement indéfendable,
tant en fait (1) qu’en droit (2).
36Voir e.a. Amnesty International, «Au bord du préc ipice: aggravation de la situation des droits
humains et de la situation humanitaire en Ituri», mars 2003, p. (ht://web.amnesty.org/library/Index
/FRAAFR620062003?open&of=FRA-398); International Crisis Group, «Congo Crisis: Military Intervention in Ituri»,
1j3uin 2003, p. 4 (htt:p//www.intl-crisis-group.org/pr ojects/africa/democraticrepublicofcongo/reports/A401005
_13062003.pdf).
37«[T]he notion of a Ugandan occupation is manifestly absurd.» (Duplique de l’Ouganda, p. 75, par. 170.) - 24 -
1. Une occupation établie dans les faits
10. En prétendant qu’il ne peut être consid éré comme un Etat occupant dans l’est du Congo,
l’Ouganda nie une réalité pourtant clairement et solidement établie par de nombreux éléments de
fait. L’Etat défendeur tente de se retrancher sur ce point derrière le fait que les territoires de l’est
de la République démocratique du Congo se trouvaient soumis à l’administration de deux
mouvements rebelles congolais, le RCD-ML et le MLC. Ces mouvements auraient constitué des
gouvernements de facto dans leurs zones d’occupation respectives 38. Ce n’est que «de temps à
autre et à la requête de ces gouvernements de fait» («from time to time, and upon the request of
these de facto governments») que l’Ouganda «leur a fourni une assistance limitée» («provided
39
limited assistance to them») . L’Ouganda reconnaît cependant une exception à cet état de fait : la
nomination, par le commandant en chef des forces armées ougandaises au Congo, le
généralKazini, de Mme AdèleLotsove en tant que gouverneur de la «province» de Kibali-Ituri 40.
Pour l’Etat défendeur, il s’agirait pourtant là d’un incident isolé, qui ne serait en rien représentatif
de son implication dans l’administration de cette partie du territoire congolais.
11. Pourtant, lorsque l’Etat défendeur prét end que sa seule immixtion dans les affaires
locales consiste dans la nominati on d’un gouverneur de la «province» de Kibali-Ituri, il omet un
premier élément de taille : le fait que la création de cette province elle-même a été décidée par les
autorités militaires ougandaises au mois de juin1999, en détachant à cette fin un morceau de la
province orientale 41. Il s’agit à l’évidence là d’un acte de haute administration sur lequel
l’Ouganda est resté étrangement silencieux à ce jour. Il convient également de relever que
l’Ouganda est demeuré très impliqué dans la ges tion de cette nouvelle «province». Deux au moins
des cinq gouverneurs qui ont succédé à MmeLotsove jusqu’en2003 ont été démis de leurs
42
fonctions par les autorités militaires ougandaises, parfois sous la menace des armes . Et, en raison
sans doute des insuffisances du personnel politique c ongolais, les autorités ougandaises sont allées
jusqu’à présider elles-mêmes aux destinées de la pr étendue «province» de Kibali-Ituri. Ceci est
38
Duplique de l’Ouganda, p. 87, par. 198.
39
Ibid.
40Ibid., p. 88, par. 203.
41Réplique du Congo, p. 99, par. 2.82 et les références citées notes 129 et 130.
42Human Rights Watch, rapport intitu lé «Ituri : couvert de sang ⎯ Violence ciblée sur certaines ethnies dans le
nord-est de la RDC», juillet 2003, p. 6-7 (http://www.hrw.org/french/reports/2003/ituri0703/). - 25 -
très clairement confirmé, entre autres, par l’exercice de facto des fonctions de gouverneur de la
province par le colonel Muzoora, de l’UPDF, entre les mois de janvier et de mai 2001 43.
12. La nature de la présence militaire de l’Ouganda dans ces parties de la République
démocratique du Congo est d’ailleurs reflétée de mani ère particulièrement explicite dans l’accord
conclu entre les deux Etats à Luanda, le 6 septembre 2002, en vue de définir les modalités de leurs
relations futures, en particulier dans le do maine de la sécurité et auquel mon collègue
Olivier Corten vient de faire amplement référence. Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, de cet
accord, qui figure dans les dossiers de juges s ous l’onglet28, les Parties conviennent de
«[t]ravailler étroitement ensemble en vue d’accélérer le processus de pacification des territoires de
la République démocratique du Congo actuellement sous contrôle de l’Ouganda et la normalisation
44
de la situation à la frontière commune» .
13. L’Etat défendeur aura sans doute l’occasion, dans les jours qui vien
nent, d’exposer
comment ce type de formule peut se réconcilier av ec ses prétentions ultérieures selon lesquelles il
ne peut être considéré comme occupant (et donc comme exerçant un quelconque contrôle), dans les
régions du territoire congolais dont il est question ic i. L’Ouganda pourra aussi commenter, dans le
même ordre d’idées, la présentation de la situation à Bunia en janvier 2001, telle qu’on la retrouve
dans le sixième rapport du Secrétaire généra l des NationsUnies sur la MONUC (la mission
d’observation des NationsUnies au Congo). On y trouve le constat suivant: «[d]epuis le
22janvier, les observateurs militaires de la MONUC à Bunia ont signalé que la situation dans la
45
localité était tendue, les UPDF en assurant le contrôle effectif» .
14. Au regard de ces différents éléments, l’argumentation qui tend à nier que la présence des
troupes de l’UPDF en territoire congolais puisse s’analyser en une occupation se révèle donc
manifestement intenable en fait. Si la Cour le permet, je voudrais maintenant montrer qu’il en est
de même en droit. Je serai cependant très bref sur ce second point, qui a déjà été traité de façon
détaillée avant-hier par le professeur Jean Salmon.
43
Ibid.
44Accord de Luanda conclu entre la RDC et l’Ouganda, le 6 septembre 2002, duplique de l’Ouganda, annexe 84;
les italiques sont de la RDC.
45Nations Unies, doc. S/2001/128, par. 27, réplique du Congo, annexe 31; les italiques sont de la RDC. - 26 -
2. L’Ouganda comme puissance occupante en droit
15. Pour réfuter la qualification de puissance occupante, la Partie défenderesse argue, pour
l’essentiel, du fait que les forces qu’elle a déployées en territoire congolais étaient dispersées sur un
46
territoire étendu, et n’en contrôlaient qu’un certain nombre de points clés . Pourtant, rien dans la
conception de l’occupation belligérante en droit in ternational ne permet de penser qu’il s’agit là
d’un élément pertinent. La notion d’occupation ⎯et les droits et devoirs qu’elle emporte ⎯ est,
en effet, étroitement liée en droit internationa l au contrôle exercé par les troupes de l’Etat
intervenant sur des portions plus ou moins étendu es du territoire de l’Etat occupé. L’article 42 du
règlement de La Haye de1907 tr aduit cette conception de façon particulièrement claire, en
énonçant qu’«[u]n territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous
l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est
établie et en mesure de s’exercer.»
16. Le fait que les troupes ougandaises n’aient p as été présentes physiquement dans chaque
village, chaque hameau, chaque forêt des vastes territoires du nord et de l’est du Congo n’empêche
donc en aucune façon de consid érer l’Ouganda comme puissance occupante dans les localités ou
territoires sur lesquels ses forces armées exerçaient leur contrôle. Plutôt que l’omniprésence des
forces armées de l’Etat occupant, c’est sa capacité à affirmer son autorité que le règlement de
La Haye retient comme critère pour définir la notion d’Etat occupant. Le professeur Jean Salmon
l’a amplement rappelé dans sa plaidoirie d’avant-hier . Et la Cour a d’ailleurs eu l’occasion de le
rappeler récemment dans son av is consultatif relatif aux Conséquences juridiques de l’édification
d’un mur dans le territoire palestinien occupé 47. Et ainsi que la République démocratique du
Congo vient de l’exposer, les éléments de fait ne manquent pas pour établir la réalité d’un tel
contrôle sur la prétendue «province» de Kibali-Ituri, et sur ses principales localités. A l’égard de
ces lieux, en particulier, il est manifeste que l’Ouganda doit être considéré comme une puissance
occupante et doit, partant, être tenu responsab le des manquements aux obligations incombant aux
Etats occupants qui pourraient lui être attribués. Ce devoir a d’ailleurs été rappelé en des termes on
ne peut plus clairs par le Secrétaire général des Nations Unies dans ses rapports sur la MONUC 48.
46Duplique de l’Ouganda, p. 75 et 76, par. 170 et 172.
47
Avis du 9 juillet 2004, par. 78.
48Voir entre autres le onzième rapport sur la MONUC, Nations Unies, doc. S/2002/621, 5 juin 2002, par. 15. - 27 -
Et l’Ouganda ne peut prétendre l’ignorer. Est-il b esoin de rappeler à nos c ontradicteurs les termes
de la lettre adressée au ministre ougandais de la défense par le représentant spécial du Secrétaire
général des NationsUnies en date du 2février200 2 (soit au cours de l’une des pires périodes de
violence dans cette région) ? Vous trouverez copie de cette lettre dans les dossiers de juges, sous le
numéro 29. Les termes de cette correspondance sont on ne peut plus clairs sur ce point :
«Je dois mentionner ici qu’en vertu des conventions internationales, la charge
du maintien de la sécurité dans une zone pèse sur la force qui l’occupe. Il m’apparaît
dès lors qu’en tant que forces occupantes, les troupes de l’UPDF doivent prendre les
mesures nécessaires pour assurer la sécurité dans le nord-est de la RDC, en particulier
à Bunia, Beni et Butembo. J’appréc ierais dès lors si vous pouviez donner les
instructions nécessaires à l’ UPDF dans la [zone] et restaurer le sentiment d’ordre et
49
de stabilité dans la région.»
Et cette correspondance est d’autant plus intéressante que l’Ouganda n’a jamais émis, à l’époque, la
moindre objection à l’encontre de cette qualificati on de puissance occupante. L’Etat défendeur est
donc malvenu de tenter maintenant de remettre en cause cette qualification devant la Cour.
Ainsi qu’on va le voir dans la deuxième part ie de cette plaidoirie, divers manquements
graves des autorités militaires ougandaises à leurs obligations en tant que puissance occupante sont,
en l’occurrence, clairement établis, et la responsabilité inte rnationale de l’Ouganda est
manifestement engagée de ce fait.
B. L’Ouganda est responsable de graves manquements à ses obligations internationales en
tant que puissance occupante de l’Ituri
17. La règle coutumière conte nue dans l’article 43 du règlemen t de La Haye impose à l’Etat
occupant de prendre «toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant
qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchemen t absolu, les lois en
vigueur dans le pays». Pourtant, en contradic tion totale avec cette obligation, les forces armées
ougandaises ont adopté, dans la région de l’Ituri, une série de comportements qui ont eu pour effet
d’aggraver significativement les conflits locaux. Elles ont également assisté passivement à de très
graves violations des droits fondamentaux de la personne et du droit international humanitaire.
49 «I must mention here that as per the International conventions, the onus of maintaining security in
an an [sic] area is vested upon the force occupying it. Therefore I feel that the occupying force, the UPDF
troops must take the necessary actions to ensure security in the North Eastern DRC, particularly in Bunia,
Beni and Butembo. I would appreciate if you could i ssue the necessary instructions to the UPDF in the
[sic] and restore a sense of security and stability.» (Document n° 1 des documents présentés par la RDC
aux fins de la procédure orale, janvier 2005, par. 6.) - 28 -
1. L’implication des forces armées ougandaises dans les conflits locaux
18. En ce qui concerne tout d’abord l’imp lication des forces armées ougandaises dans les
conflits locaux, il convient de releve r que le rôle néfaste joué par l’UPDF dans la situation en Ituri
a été mis en évidence par un très grand nombre d’ob servateurs et de témoins des événements en
cause. Le premier rapporteur spécial sur la s ituation des droits de l’homme en République
démocratique du Congo exposait, au début 2001, que
«[l]orsqu’elles sont arrivées dans la région d’Ituri, les forces ougandaises ont fourni un
appui militaire aux Hema (originaires de l’O uganda) et les ont incités à s’emparer des
terres des Lendu, installés depuis plus longtemps qu’eux dans [cette] région. En outre,
toutes les autorités désignées par les militaires ougandais appart[ennaient] à
50
l’ethnie hema.»
Ce constat est confirmé dans un très grand nombre de documents et de témoignages, dont
51
celui de l’ancien gouverneur de la «p rovince» de Kibali-Ituri, Mme Lotsove . Il en va de même
dans le témoignage d’un chef hema, qui a entre au tres exposé que plus de sept cents Hema avaient
52
subi un entraînement militaire de six mois en Ouganda, à partir de la fin du mois d’août2000 .
On retrouve la même observation également, à dive rses reprises, dans les rapports du Secrétaire
général des NationsUnies sur la MONUC. Ces rapports soulignent les manquements, par
l’Ouganda, aux obligations qui lui incombent au titre de puissance occupante de la région. Ils
mettent en particulier en évidence le manque d’impartialité de l’armée ougandaise dans le cadre du
conflit entre Hema et Lendu 53. Le même constat se retrouve encore dans le rapport présenté
54
en2004 par la MONUC sur les événements survenus en Ituri . Mais pour autant, le soutien de
l’Ouganda ne s’est pas limité à un seul des groupes en présence. Au fil du temps, les forces armées
ougandaises ont également assuré l’entraînement et l’équipement d’autres groupes et factions 55.
50 Septième rapport à la Commission des dro its de l’homme, doc. E/CN.4/2001/40, 1 erfévrier 2001, par.31,
réplique du Congo, annexe 82.
51 «UPDF Trained Hema, Lendu», The Monitor, 23 mars 2002.
52
Human Rights Watch, rapport précité, p. 18.
53
Voir e.a. le onzième rapport su r la MONUC, Nations Unies, doc. S/2002/621, 5 juin 2002, par. 15
(http://www.un.org/
french/peace/peace/cu_mission/monuc/rp.htm).
54
Annexe à la lettre du Secrétaire général de l’ONU au président du Conseil de sécurité, 16 juillet 2004,
Nations Unies doc. S/2004/573, p. 6, par. 4; p. 14-15, par. 27.
55
Voir aussi le Rapport final du groupe d’experts sur l’exploitati on illégale des ressources naturelles et autres
formes de richesse de la République démocratique du Congo, Nations Unies, doc. S/2002/1146, 8 octobre 2002, par. 122;
Amnesty International, rapport précité, p. 5. - 29 -
19. Les conséquences de cet appui militaire ouga ndais aux factions et mouvements armés de
l’est du Congo se sont avérées totalement catastr ophiques. Ainsi que l’explique un rapport bien
documenté publié par l’organisation Human Rights Watch :
«En dépit des tensions ethniques continues dans la région, l’UPDF a entraîné
des centaines de recrues, dont beaucoup d’enfants, appartenant aux Hema, aux Lendu
et à d’autres groupes ethniques… Lorsque les Hema et les Lendu ont repris leur
conflit à la fin 2000, les deux camps dis posaient de suffisamment de combattants
56
entraînés pour être en mesure d’infliger de sérieux dommages à l’autre camp.»
En dépit du souci de l’Ouganda d’apparaître comme un pacificateur dans la région, ce type
de soutien militaire, octroyé en sous-main, s’est perpétué par la suite. Le rapport précité de la
MONUC, établi en 2004, indique ainsi qu’en 2002, «[ l]’armée ougandaise a entraîné des milliers
de jeunes Hema en Ituri et en Ouganda» 57. Vous trouverez les extraits pertinents de ce document
dans les dossiers de juges, s ous le numéro30, en particulie r pour les pages 12 et 14-15 de ce
rapport. Ce document de la MONUC synthétise de la façon suivante les principaux effets de la
présence militaire ougandaise sur l’évolution des conflits dans cette région du Congo :
«L’Ouganda a affirmé à plusieurs occasions qu’il était en Ituri pour défendre ses
«objectifs légitimes en matière de sécurité », et que ses actions avaient pour but de
promouvoir la réconciliation et la protection des civils. Toutefois, même si dans
certains cas les soldats ougandais sont inte rvenus pour mettre fin aux combats entre
forces rivales, leurs commandants ont favorisé la création de presque tous les groupes
armés, ont instruit leurs milices ⎯parfois même en Ouganda ⎯, leur ont vendu des
armes et ont parfois même envoyé leurs so ldats à de riches Hema pour massacrer des
civils lendu et détruire les villages à Walendu Tatsi en 1999… Ces mêmes
commandants de l’armée ougandaise sont ég alement devenus des hommes d’affaires
58
qui ont vendu les ressources de l’Ituri.»
Tout ceci, Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, n’est pas le
produit de l’imagination du Congo. Ces très grav es accusations sont tout simplement le résultat
d’un travail de terrain mené avec minutie par le s experts de la MONUC. Et ce rapport ne fait
d’ailleurs que confirmer pleinement ce qui ét ait déjà largement attesté par d’autres sources
indépendantes. Mais il y a bien plus grave encore puisque, dans une série de cas, les forces armées
ougandaises ont apporté un appui militaire direct à des factions congolaises et ont perpétré, avec
56
Human Rights Watch, «L’Ouganda dans l’est de la RDC: une présence qui attise les conflits politiques et
ethniques», mars 2001, sect. IV, p. 4, répli que du Congo, annexe 83; voir aussi e.a. le Rapport final du groupe d’experts
sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et aformes de richesse de la République démocratique du
Congo, doc. S/2002/1146, 8 octobre 2002, par. 124 et suiv.
57
Loc. cit., doc. S/2004/573, p. 12, par. 21.
58Loc. cit., doc. S/2004/573, p. 14-15, par. 27. - 30 -
celles-ci, des massacres de populations civiles et des destructions de dizaines, voire de centaines de
e
villages. Mon collègue, M Tshibangu Kalala, reviendra de façon plus détaillée sur ces faits dans la
deuxième partie de la matinée.
20. La responsabilité que porte l’Ouganda dans le déclenchement et dans la poursuite du
terrible conflit qui déchire l’Ituri depuis six années maintenant s’avère donc écrasante. La
violation, par l’Ouganda, des obligations que l’article43 du règlement de LaHaye de 1907 et la
quatrième convention de Genève de 1949 font peser sur les Etats occupants est, de ce fait,
clairement établie. Dans ce contexte, la responsabilité de l’Ouganda pour les faits de ses forces
armées ne fait aucun doute. Mais cette r esponsabilité s’étend également aux violations
extrêmement graves des droits fondamentaux commises par les groupes armés auxquels l’Etat
défendeur a apporté son soutien. Ce principe a ét é rappelé en des termes particulièrement forts par
le Secrétaire général des NationsUnies. Dans son deuxième rapport spécial sur la MONUC, de
mai 2003, il écrivait :
«Le retrait ougandais de l’Ituri est le bienvenu, mais l’Ouganda, comme tous les
autres acteurs extérieurs, doit assumer la responsabilité des actions de groupes armés à
la constitution desquels il a contribué et cesser de les appuyer ou de leur venir en
aide.»59
Dans le même sens, la République démocrati que du Congo entend faire établir par la Cour,
dans le cadre de la présente instance, la res ponsabilité de l’Etat défende ur pour son défaut de
vigilance à l’égard de ces différents groupes armés à la constitution desquels il a contribué.
2. La passivité des forces armées ougandaises fa ce à des situations de violations graves des
droits fondamentaux
21. Mais il existe aussi une seconde base de responsabilité de l’Ouganda en raison des
événements survenus en Ituri, et c’est ce dernier point que j’aborderai dans le cadre de la présente
plaidoirie. Cette responsabilité additionnelle résulte du fait qu’outre l’appui apporté aux principaux
groupes ethniques rivaux, puis aux mouvements ar més qui en sont l’émanation, les troupes
ougandaises ont, à plusieurs reprises, assisté passivement à des exactions commises par les
membres de ces différents groupes et mouvements. Ce fut entre autres le cas lors de massacres
59
Nations Unies, doc. S/2003/566, p. 28-29, par. 95. - 31 -
survenus à Bunia en janvier 2001. Le Secrétaire général des Nations Unies expose à ce sujet dans
son sixième rapport sur la MONUC que
«l’équipe du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a confirmé
qu’un massacre de Lendu de souche avait été perpétré par des milices Hema à Bunia
le 19janvier[2001]. Au moins deuxcents personnes avaient été tuées et une
quarantaine de personnes avaient été blessées. La majorité des victimes étaient des
civils, y compris des femmes et des enfants. Certaines des victimes avaient été tuées à
coup de machette et certaines avaient été décapitées. Certains des corps avaient été
jetés dans des latrines à ciel ouvert.» 60
Vient ensuite ce constat terrible: «Des troup es de l’UPDF avaient assisté au massacre et
n’avaient rien fait pour protéger les civils.» 61 Ces faits, et l’absence de toute réaction des troupes
ougandaises face au massacre de civils qui se déroul aient sous leurs yeux, sont confirmés par de
62
nombreuses sources convergentes . Ce type de situation s’est entre autres répété à Mabanga et à
Bunia, en août 2002. Dans la première de ces localités, ce sont près de cent cinquante civils qui ont
trouvé la mort dans des massacres entre groupes locaux. Le rapport établi en 2004 par la MONUC
sur les violations des droits de l’homme en Ituri indique à ce propos que «[l]es forces ougandaises
avaient un camp militaire à Mabanga; l’armée ouganda ise n’est pas intervenue pour mettre fin au
63
massacre de civils mais a donné refuge à ceux qui sont arrivés jusqu’au camp» . Et il ne s’agit pas
là de situations isolées. D’autres exemples d’abstention du même ordre figurent encore dans divers
64
rapports .
22. L’Ouganda a donc manifestement manqué da ns plusieurs circonstances à l’obligation de
vigilance qui impose à l’Etat occupant de veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits
fondamentaux des populations dans les zones dont il exerce le contrôle. C’est un comportement
qui se trouve de toute évidence clairement en contradiction avec l’obligation énoncée dans
er
l’article 1 commun aux conventions de Genève, puis au protocole additionnel de1977 à ces
conventions, qui imposent aux Etats parties de respecter et de faire respecter les obligations qu’ils
60
Nations Unies, doc. S/2001/128, par. 56, réplique du Congo, annexe 31.
61 Ibid.
62 Communiqué de presse du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en RDC, en date du
26janvier2001; communiqué de presse d’Amnesty International, en date du 24 janvier2001; rapport de l’organisation
Human Rights Watch, «L’Ouganda dans l’est de la RDC: un e présence qui attise les conflits politiques et ethniques»,
loc. cit., p. 5.
63 Rapport précité, doc. S/2004/573, p. 20, par. 45.
64 Voir e. a., à propos de pillages survenus à Bunia en 2002, Human Rights Watch, rapport intitulé «Ituri : couvert
de sang…», loc. cit., p. 22. - 32 -
énoncent. L’Ouganda a également, de ce fait, manifestement ignoré les prescriptions formulées par
er
la Cour dans son ordonnance en indi cation de mesures conservatoires du 1 juillet 2000, aux
termes de laquelle «Les deux Parties doivent, immédiatement, prendre toutes mesures nécessaires
pour assurer, dans la zone de c onflit, le plein respect des droits fondamentaux de l’homme, ainsi
que des règles applicables du droit international humanitaire.» 65
23. Cette nécessité d’assurer le plein respect des droits fondamentaux dans les territoires
occupés par l’armée ougandaise a pareillement ét é mise en évidence ultérieurement par la
Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Dans la résolution consacrée à la situation
des droits de l’homme en République démocratique du Congo qu’elle a adoptée le 14 avril 2003, la
Commission des droits de l’homme a ainsi condamn é «la poursuite des violences dans la région de
l’Ituri, et soulign[é] à cet égard qu’il incombe à l’Ouganda et aux rebelles qui contrôlent de facto la
zone de faire respecter les droits de l’homme et de cesser d’instrumentaliser les conflits
66
ethniques» .
C’est tout le contraire que l’Ouganda a choisi de faire. L’Etat occupant a aggravé de façon
dramatique le conflit de l’Ituri. Il a fourni des ar mes aux groupes et milices rivaux. Il a participé à
leurs côtés à des massacres et à des destructions de villages. Il n’a rien fait, en diverses occasions,
pour mettre fin aux massacres délibérés de populati ons civiles dont ses forces armées étaient le
témoin. La République démocratique du Congo demande donc expressément à la Cour de
constater que l’Etat défendeur a violé les obligations qui résultaient pour lui à la fois du règlement
de La Haye et de la quatrième convention de Ge nève de 1949, et de l’ordonnance en indication de
er
mesures conservatoires du 1 juillet2000. Toutes lui imposaient de veiller, en tant qu’Etat
occupant, à éviter la survenance de telles violations graves des droits fondamentaux.
24. Mais, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, ce n’est pas seulement en
tant qu’Etat occupant et en vertu d’un manquement à l’obligation de vigilance que cette qualité
implique que l’Ouganda porte une responsabilité pour les terribles violations des droits
fondamentaux commises dans les zones du Congo s oumises à son occupation. Ainsi que je l’ai
déjà signalé, dans toute une série de cas, l es forces armées ougandaises se sont également rendues
65
C.I.J. Recueil 2000, p. 129, par. 47.
66Doc. E/CN.4/2003/L.41, par. 3 d). - 33 -
directement responsables de graves exactions sur les populations civiles congolaises. Si la Cour le
e
permet, mon collègue M Tshibangu Kalala reviendra dans un instant, sans doute après la pause,
sur ces différentes situations. Je remercie la Cour pour son attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Klein.
It is now time to have a break of ten minutes, after which I shall give the floor to Mr. Kalala.
The Court adjourned from 11.20 to 11.30 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. I now give the floor to Mr. Kalala.
M. KALALA : Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges,
L ES VIOLATIONS DES DROITS DE LA PERSONNE DIRECTEMENT ATTRIBUABLES
AUX FORCES ARMÉES OUGANDAISES EN RDC
1. Comme mon collègue et ami Pierre Klein l’a montré il y a un instant, l’Ouganda est
responsable de sérieux manquements à l’obligation de vigilance qui lui incombait en tant que
puissance occupante. Mais les forces ar mées ougandaises se sont également rendues directement
responsables de graves exactions à l’encontre des populations civiles congolaises dans les zones
occupées. A mon tour, comme l’a annoncé le professeur Klein, je vais maintenant mettre en
évidence, dans ma plaidoirie, les différentes catégor ies de violations des droits fondamentaux de la
personne et du droit interna tional humanitaire attribuables directement aux membres des forces
armées ougandaises. Je montrerai également, dans ce cadre que, contrairement aux affirmations de
l’Ouganda, ces différentes catégories de violations sont établies au-delà de tout doute raisonnable.
2. Il n’est guère besoin de rappeler à quel point la présence des forces armées ougandaises
dans de vastes parties du territoire congolais s’inscrit dans un contexte conflictuel. Même après la
fin des combats qui l’avaient opposée aux forces ar mées régulières de la République démocratique
du Congo ou à celles de ses alliés, l’UPDF s’est heurtée à une hostilité croissante des populations,
voire de groupes armés, dans les territoires so umis à son contrôle. Cette hostilité a mené les
troupes ougandaises à se livrer à de nombreux actes de représailles et de terreur à l’encontre des
populations civiles dans ces zones, en vue de dissuader ces populations d’offrir un quelconque
soutien aux groupes armés qui affrontaient l’UPDF. L’implication directe de troupes ougandaises - 34 -
dans les conflits entre les groupes hema et lendu, en Ituri, constitue l’autre facteur majeur qui a
amené l’UPDF à commettre de très graves exactions sur une grande échelle. Meurtres de civils,
actes de torture, destructions d’habitations et d’autres biens civils, pillages ont ainsi constitué le lot
des populations des territoires contrôlés par l’armé e ougandaise. Ainsi que je l’ai annoncé, je
souhaiterais maintenant passer à un examen sy stématique de ces différentes catégories de
violations, en m’attardant, pour chacune de ces catégories, à quelques cas d’espèce
particulièrement emblématiques. Dans ce cadre, j’évoquerai les catégories suivantes de violations
graves des droits fondamentaux :
⎯ premièrement, le massacre de populations civiles;
⎯ deuxièmement, la destruction délibérée de villages, d’habitations civiles et de biens privés;
⎯ troisièmement, le non-respect des règles du droit des conflits armés, en particulier à Kisangani;
et enfin,
⎯ quatrièmement, le recrutement d’enfants-soldats.
3. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, une précision s’impose néanmoins
avant d’entamer cette analyse plus détaillée. Co mme on l’a déjà indiqué, l’Ouganda s’est efforcé
de nier la réalité des violations des droits fonda mentaux alléguées par la RDC dans ses écritures en
affirmant que les faits en cause n’étaient pas suffisamment établis ou que l’imputabilité des
violations aux forces armées ougandaises n’était pas prouvée. Face à l’accumulation des éléments
qui convergeaient pour confirmer sa responsabilité pour de telles exac tions, l’Etat défendeur n’a eu
d’autre choix que de se cantonner à une réponse pr océdurale et méthodologique, en critiquant la
fiabilité de certaines sources utilisées par le Congo pour étayer ses allégations. Cette stratégie
appelle plusieurs observations, qui permettront également de dessiner les contours de la manière
dont le Congo entend repousser ces critiques dans le cadre de la présente plaidoirie.
⎯ Premièrement, il convient de remarquer que ces critiques méthodologiques sont très
généralement limitées à un petit nombre des sour ces sur lesquelles la RDC s’est appuyée pour
conforter ses dires. La Partie adverse n’a visiblement pas été en mesure de développer
semblable critique à l’égard de l’ensemble des documents produits par le Congo. En focalisant
ses objections sur l’un ou l’autre point de détail, l’Ouganda s’efforce ainsi de faire oublier le
fait que les différentes catégories de violations des droits fondamentaux reprises par la RDC - 35 -
dans ses écritures sont, à chaque fois , étayées par un faisceau de sources concordantes . De
cela, l’Ouganda ne dit évidemment pas un mot. Pourtant, le professeur Sands a rappelé hier
l’importance de ce constat dans sa plaidoirie introductive sur les questions de preuve.
⎯ Deuxièmement, il importe de rappeler que la RDC a établi avec minutie la fiabilité de chacune
des sources qu’elle a utilisées dans cette partie de sa réplique; les annexes de la réplique
contiennent en effet une description précise des institutions ou groupes qui sont à l’origine des
67
informations en cause, attestant par là leur sérieux . On n’y reviendra donc pas à ce stade de
la procédure.
⎯ Troisièmement, des sources plus récentes enco re, dont la fiabilité ne souffre aucune
contestation, confirment la perpétration d’exactions graves et nombreuses par les forces armées
ougandaises déployées au Congo. C’est en partic ulier le cas du rapport spécial de la MONUC
(Mission d’observation des Nations Unies au Congo) sur les événements survenus en Ituri entre
janvier2002 et décembre 2003, auquel je me référerai à titre confirmatif pour chacune des
68
catégories des violations susmentionnées .
En fin de compte, plutôt que de s’attarder à des contestations de détails, l’Ouganda pourra
peut-être prendre la peine d’expliquer, dans les jours qui viennent, pourquoi les graves allégations
formulées à l’encontre de ses troupes dans pas moins d’une vingtaine de sources documentaires
différentes devraient être écartées et infirmées par la Cour dans le cadre de la présente instance.
I. Le massacre de populations civiles
4. Dans son mémoire déjà, la République dé mocratique du Congo a cité le rapport déposé
par le rapporteur spécial de la Commission des dr oits de l’homme des Nations Unies en date du
18janvier 2000, qui faisait état du massacre pa r les forces armées ougandaises de plusieurs
69
dizaines de civils congolais à Beni, dans l’est du Congo, le 14 novembre 1999 . Comme le Congo
l’a exposé de façon détaillée dans sa réplique, il ne s’agit, hélas, pas là d’événements isolés. Les
témoignages recueillis sur le terrain par plusie urs organisations non gouvernementales congolaises
67
Réplique du Congo.
68Rapport annexé à la lettre adressée par le Secrétaire gé néral de l’ONU au président du Conseil de sécurité en
date du 16 juillet 2004, doc. S/2004/573.
69Mémoire du Congo, p. 117, par. 2.160. - 36 -
et internationales attestent ainsi la réalité de massacres perpétrés par les soldats ougandais dans
diverses localités de l’est de la République démocratique du Congo. Ce fut entre autres le cas à
Maboya en novembre 2000, où six personnes ont été brûlées vives et sept abattues à bout portant
par des soldats ougandais 70, à Kikere, le même mois, où onze personnes ont été brûlées vives, et
71
cinq enfants tués par balles , de même qu’à Biambwe, une localité située à une soixantaine de
kilomètres de Butembo, où, en avril 2001, plusie urs dizaines de civils congolais ont été massacrés
72
par des soldats de l’UPDF dans le cadre d’une opération de représailles .
5. Bon nombre de ces massacres de civils se sont en fait inscrits dans le cadre d’actions de
représailles menées contre des villages des ré gions contrôlées par l’armée ougandaise. Ces
représailles trouvent leur explica tion dans certaines formes de rési stance qui ont été opposées à la
présence militaire ougandaise par les populations locales. En particulier, les guerriers de nombreux
villages de ces régions du Congo, connus sous le nom générique de «Maï-Maï», se sont
fréquemment attaqués aux troupes ougandaises dans les zones que celles-ci occupaient. C’est en
riposte à ces attaques que les soldats de l’UPDF se sont, à diverses reprises, livrés à des exactions à
l’encontre des populations civiles des villages dont provenaient les guerriers Maï-Maï qui les
avaient auparavant attaqués. On se trouve donc en présence, en pareils cas, d’actes de représailles
dirigés contre les populations civiles, actes qui sont très claire
ment prohibés par le droit
international humanitaire.
6. La réalité de pareils agissements, que l’Ouganda a cru pouvoir contester sur la base de
points de détail ou d’arguments erronés, est conf irmée sans la moindre ambiguïté par le rapport
précité établi par la MONUC en 2004. Les actes qui y sont rapportés s’inscrivaient quant à eux
dans le cadre de l’implication des troupes de l’UPDF dans les conflits entre Hema et Lendu en
Ituri. Leur ampleur ne peut que susciter l’effroi. Permettez-moi, Monsieur le président, Madame
et Messieurs les juges, de citer in extenso plusieurs extraits du rapport de 2004 à cet égard. Ces
extraits sont longs, la Cour m’en excusera. Mais, ils sont surtout terriblement parlants.
70
Réplique du Congo, p. 317, par. 5.08 et annexes 83 et 93.
71
Ibid., p. 318, par. 5.08 et annexes 83 et 93.
72Ibid., p. 318, par. 5.10 et annexes 22, 95, 96 et 98. - 37 -
Premier extrait :
«Du 9février au 24avril2002, les forces ougandaises basées à Gety, en
compagnie de milices hema et bira, ont me né des opérations de grande envergure
contre les villages lendu des groupements de Boloma, Bukiringi, Zadhu, Baviba et
Bamuko, tous situés dans la collectivité des Walendu Bindi, dans le territoire d’Irumu.
Les massacres se sont poursuivis pendant deux semaines encore après la visite, le
4avril, de LompondoMolondo, qui était à l’époque gouverneur de l’Ituri et qui était
accompagné du colonel Peter Karim, de l’armée ougandaise, qui avait été envoyé dans
la région par Kampala pour faire une enquête sur les sévices commis par des soldats
ougandais. L’un et l’autre ont demandé à l’armée ougandaise de mettre fin aux
hostilités. Une organisation non gouvern ementale locale a indiqué que
deux mille six cent quatre-vingt-sept civils ont été tués et soixante-dix-sept localités
entièrement détruites, avec toutes leurs infr astructures sociales, ce qui a entraîné le
73
déplacement de quarante mille civils.»
Deuxième extrait :
«Les combats entre les deux forces [il s’agissait du RCD-ML et de l’UPC,
mouvements rebelles congolais] ont pris fin quand le RCD-ML s’est replié de Bunia
sur Beni après le bombardement par les forces ougandaises et l’UPC, le 9août2003,
de la résidence du gouverneur Lompondo. L’UPC et ses alliés de l’armée ougandaise
ainsi que des milices ngiti/lendu ont tué des civils qu’ils avaient dans de nombreux cas
pris pour cibles uniquement à cause de leur appartenance ethnique.» 74
Troisième extrait :
«En 2002 et 2003, le groupement [lendu de Bedu-Ezekele] a fait l’objet de
onzeattaques au total, qui d’après un enseignant lendu qui a pris des notes à chaque
occasion, ont fait quatre cent quarante-cinq victimes parmi les civils. Les attaques les
plus graves se sont produites les 15 et 16 octobre 2002, quand des miliciens hema,
accompagnés de soldats ougandais venus de Bogoro, ont attaqué Zumbe et y sont
restés pendant quarante-huitheures. A par tir de Zumbe, les attaquants ont incendié
tous les village75voisins, tué environ centvi ngt-cinqcivils et planté plusieurs mines
antipersonnel.»
7. Dans chacun de ces cas, la participati on des forces armées ougandaises aux massacres est
très clairement établie. Nul doute, pourtant, que l’Ouganda tentera de vous convaincre d’ici
quelques jours à cette barre que comme le Secrét aire général de l’ONU, comme le rapporteur
spécial des NationsUnies sur les droits de l’homme au Congo, comme l’organisation Human
Rights Watch, comme plusieurs ONG congolaises, les experts de la MONUC, tous, se sont trompés
en identifiant des soldats ougandais en tant qu’a uteurs ou coauteurs de ces massacres. Ou encore
que la MONUC, à l’instar de tant d’autres institutions, participe à ce vaste complot qui vise à ternir
73Loc. cit., p. 19, par. 42; les chiffres des principaux massacres sont donnés par localité en note 21.
74
Ibid., p. 20, par. 46.
75Ibid., p. 25, par. 63. - 38 -
l’image de l’Ouganda en lançant contre ce pays des accusations aussi diffamantes qu’inexactes. La
tâche risque cependant d’être difficile, tant le rapport en cause fait apparaître avec clarté l’ampleur
de l’implication des forces armées ougandaises dans les exactions commises en Ituri, comme le
montre également le récit qui y est fait de la destruction d’un nombre considérable de villages par
les troupes de l’UPDF.
II. La destruction délibérée de villages, d’habitations civiles et de biens privés
8. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, comme l’attestent plusieurs
documents déjà cités, les massacres de populatio ns civiles perpétrés par les troupes ougandaises
dans le cadre d’opérations de représailles ou de s conflits ethniques en Ituri se sont souvent
accompagnés de la dévastation des villages, de l’incendie de maisons d’habitation, ainsi que de
destructions et de pillages de biens privés. C’est là la deuxième catégorie de violations des droits
fondamentaux que je voudrais aborder dans le cadre de cette plaidoirie. Je me limiterai à citer
quelques exemples, qui permettront à la Cour d’apprécier à quel point une pratique de dévastation a
été suivie par l’UPDF dans plusieurs des régions du Congo qu’elle occupait. Ainsi,
quarante-deux maisons ont été incendiées par les tr oupes ougandaises lors de l’attaque qu’elles ont
76
menée contre le village de Maboya, en novembre2000 . Le même mois, quinzemaisons
77
d’habitation ont été détruites par les soldat s de l’UPDF dans le village de Kikere . Lors d’une
série d’opérations visant des localités de la régi on de Butembo, en avril2001, ce sont près de
deuxcentshabitations qui ont été incendiées par les militaires ougandais au cours d’actions de
représailles 78. Dans plusieurs de ces situations, les biens des habitants de ces différents villages ont
79
été emportés ou brûlés par les soldats de l’UPDF . De nombreux cas de pillages par les militaires
ougandais ont été dénoncés par diverses personnalités locales, dont l’évêque de Butembo
76Rapport conjoint des ONG congolaise Asadho et française «Agir ensemble pour les droits de l’homme», p. 8,
réplique du Congo, annexe 93.
77Témoignage cité dans un rapport de l’organisation Human Rights Watch de mars 2001, sect. V, p. 4 et 5, ibid.,
annexe 83.
78Lettre collective du 13 juin 2001 adre ssée au responsable de la MONUC à Kinshasa par sept responsables
d’organisations représentant la société civile de Beni-Butembo, ibid., annexe 96.
79Ibid. - 39 -
80
lui-même . Par ailleurs, les biens et les ressources de s populations civiles des régions de l’est du
Congo occupées par l’armée ougandaise ont également été détruits en certaines occasions par des
soldats de l’UPDF dans le cadre d’une politique de «terre brûlée» en vue de lutter contre les
rebelles de l’ADF. Des témoins directs font ainsi ét at de la destruction de maisons d’habitation et
de champs par des soldats ougandais dans la régi on des monts Ruwenzori. Le but proclamé de
81
telles opérations était d’affamer les rebelles et de les forcer à quitter la région .
9. Mais ici encore, l’Ouganda tente de contest er la réalité de ces faits, en prétendant en
particulier que les documents qui rapportent ces événements émaneraient d’organisations
congolaises partisanes, et n’identifieraient pas clai rement les faits ni les forces qui ont été les
auteurs de ces actes 82. Pourtant, quoi qu’en dise l’Etat défendeur, ces destructions massives
d’habitations et de villages sont pleinement confirmées par le rapport établi par la MONUC
en2004 sur les événements survenus en Ituri au cours des deux années précédentes. Et l’on n’y
trouvera pas la moindre ambiguïté sur l’attributio n des actes en question. Le rapport expose ainsi
qu’entre 2000 et 2002, ce sont au total: «[p] lusieurs centaines de villages lendu [qui] ont été
attaqués et complètement détruits par des hélic optères de l’armée ougandaise agissant de liaison
83
avec des milices hema au sol» .
Il n’y a aucun doute, Monsieur le président, non plus sur la réalité de nombreux actes de
pillages déjà évoqués par d’autres sources, ni sur l’implication de militaires ougandais dans ces
agissements. A titre d’exemple, le rapport précité de la MONUC relève ainsi qu’à la suite de
l’attaque à l’arme lourde de la résidence du gouverneur de l’Ituri, à Bunia, par les forces
ougandaises et l’UPC, en août 2002, «[l]’UPC et l’armée ougandaise, profitant du chaos qui régnait
dans la ville, se sont également livrés à un pillage de grande envergure» 84.
80
Extrait du «mémorandum adressé au commandant de l’UP DF dans les territoires de Beni-Lubero, Nord-Kivu,
RDC : Pourquoi l’insécurité généralisée ?» joint à la lettre de Mgr. Sikuli Me lchisédech, 16 octobre 2000, citée dans un
rapport de Human Rights Watch de mars 2001, sect. V, p. 2, réplique du Congo, annexe 83.
81
Témoignage de Mlle Patience Kavutirwaki, infirmière à Mutwanga, in Rapport conjoint des ONG congolaise
Asadho et française «Agir ensemble pour les droits de l’homme», p. 13, réplique du Congo, annexe 93.
82
Duplique de l’Ouganda, p. 267, par. 571.
83 Loc. cit., p. 6, par. 5 in fine; voir aussi p. 12, par. 21; p. 15, par. 27.
84 Loc. cit., p. 21, par. 49. - 40 -
Où reste, dans ces conditions, l’incertitude qu’essaye de faire valoir l’Ouganda pour se
dégager de la situation bien épineuse dans laque lle les agissements brutaux de ses forces armées
l’ont placé ? La responsabilité de l’Etat défendeur pour ces faits ne fait, en réalité, pas le moindre
doute. Ici aussi, la matérialité des faits et le ur imputabilité à l’Ouganda sont établies par de
nombreuses sources neutres et concordantes qui attestent toutes la réalité de telles exactions. Il
n’en va pas autrement en ce qui concerne les autres violations du droit des conflits armés dont je
traiterai plus précisément maintena nt, en particulier en relation av ec les combats survenus dans la
ville de Kisangani.
III. Le non-respect des règles du droit des conflits armés, en particulier à Kisangani
10. Le peu de cas qu’ont fait les troupes ougandaises de la vie des populations civiles
congolaises s’est également manifesté au cours de diverses situations de combats, dans lesquelles
les forces de l’UPDF n’ont pris aucune mesure pour protéger les civils. Les combats survenus
entre troupes ougandaises et rwandaises dans la ville de Kisangani, en 1999 et en 2000, illustrent
cette pénible réalité de manière particulièrement dramatique. Les affront ements de 1999 ont ainsi
85
fait plusieurs dizaines de victimes civiles . Mais ce sont, de loin, les combats de juin 2000 qui ont
causé les plus grands dommages à la population civile et aux infrastructures de la ville de
Kisangani. Monsieur le président, le bilan de ces six jours d’affrontement entre les armées
ougandaise et rwandaise est consternant. Que la Co ur me permette de citer à cet égard le rapport
de la mission d’évaluation interinstitutions des Na tionsUnies, qui s’est rendue à Kisangani en
application de la résolution 1304 du Conseil de sécurité, et dont vous trouve rez la copie dans vos
o
dossiers de juges, sous la cote n 33. Selon ce rapport, Monsieur le président, Madame et
Messieurs de la Cour :
«Plus de 760 civils ont trouvé la mort et plus de 1700 ont été blessés. Plus de
4000 maisons ont été endommagées, détruites ou rendues inhabitables. Soixante-neuf
écoles et d’autres bâtiments publics ont été frappés par des obus. L’infrastructure de
santé et la cathédrale ont subi d’importants dégâts et 65000 habita nts de la ville ont
86
été contraints à fuir et à se réfugier dans les forêts
avoisinantes.»
85
Réplique du Congo, p. 321, par. 5.15, annexes 93 et 94.
86Doc. S/2000/1153, 4 décembre 2000, par. 16; réplique du Congo, annexe 38. - 41 -
Au-delà de ces dommages personnels et matéri els, la mission d’évaluation interinstitutions
relève aussi, et je cite encore son rapport de décembre 2000, que
«le traumatisme psychologique infligé à la population civile de Kisangani est
incalculable. Les violations systématiques du droit international humanitaire et les
attaques lancées contre les civils ont prof ondément traumatisé les habitants de la
87
ville.»
Il ne fait donc aucun doute, Monsieur le préside nt, Madame et Messieurs de la Cour, comme
ce passage du rapport des experts de l’ONU l’indique très clairement, que de très graves violations
du droit humanitaire ont été commises par les belligérants au cours de ces combats.
11. L’Ouganda tente cependant, une nouvelle fois, d’échapper à toute responsabilité pour ces
faits. L’Etat défendeur a dressé un premier obstacle de nature procédurale en vue d’échapper à une
condamnation judiciaire, en arguant que la Cour n’était pas compétente pour se prononcer sur ces
faits en l’absence du Rwanda à l’instance. La RDC a exposé de façon détaillée dans ses écritures
les raisons pour lesquelles cette objection procédural e ne saurait être retenue et a montré que la
Cour était pleinement compétente à l’égard de l’ensemble du différend dont elle est saisie, y
88
compris les événements de Kisangani . Je n’y reviendrai donc pas ici. J’apporterai par contre une
réponse plus détaillée au second argument formulé par l’Ouganda pour nier que sa responsabilité
internationale puisse être engagée en raison des vi olations du droit humanitaire commises dans le
cadre de ces combats de Kisangani. Selon l’Etat défendeur, en effet, aucune des pièces présentées
par la République démocratique du Congo à l’appui de ses allégations ne perm ettrait de conclure à
l’imputabilité d’une quelconque violation du droit humanitaire par les forces de l’UPDF à
89
l’occasion de ces affrontements de Kisangani .
12. Cette objection appelle une réponse circ onstanciée. Dans un premier temps, la
République démocratique du Congo ne peut que constater que l’Ouga nda observe un silence total,
dans cette partie de ses écritures, sur la résolu tion 1304, adoptée par le Conseil de sécurité le
16juin 2000. Ce silence peut se comprendre, pui sque, dès le préambule de cette résolution, le
Conseil se déclare «indigné par la reprise des co mbats entre les forces ougandaises et rwandaises à
87Ibid., par. 18.
88
Réplique du Congo.
89Duplique de l’Ouganda, p. 262-263, par. 558-561. - 42 -
Kisangani» et y déplore «les pertes en vies civile s, les risques pour la population civile et les
dommages matériels infligés à la population congolaise par les forces de l’Ouganda et du
Rwanda» 90.
Le Conseil a d’ailleurs tiré les conséquences logiques de ce constat en indiquant, au
paragraphe 14 de la résolution, que «les Gouvernements ougandais et rwandais devraient fournir
des réparations pour les pertes en vies humaines et les dommages matériels qu’ils ont infligés à la
population civile de Kisangani» 91.
Même si aucune répartition précise de la part de responsabilité et, à fortiori, des réparations,
qui incombe à chacun des deux Etats impliqués dans ces combats n’est opérée par le Conseil, le
constat des dommages infligés aux populations par l’Ouganda, comme par le Rwanda, est
néanmoins très clairement effectué par le Conseil dans cette résolution. On voit mal, en pareilles
circonstances, comment l’Etat défendeur pourrait pu rement et simplement nier que des violations
des règles du droit humanitaire visant à assurer la protection des populations civiles ont été
commises par des éléments de ses forces armées à Kisangani en juin 2000. Que la part exacte de
responsabilité et, par voie de conséquence, le m ontant des réparations incombant à chacun de ces
deux Etats ne soient pas précisés à ce stade ne saurait surprendre. Comme la République
démocratique du Congo l’a déjà souligné, cette détermination exacte des réparations ne pourra
intervenir que dans une autre phase de la procédure. C’est à ce moment seulement que le lien de
causalité entre chacun des dommages subis par la population et les infrastructures civiles de
Kisangani et les violations du droit humanitaire commises par les soldats de l’UPDF au cours de
ces combats devra être établi. Il suffit, à ce stad e, de constater que la responsabilité de l’Ouganda
pour les dommages infligés aux populations civiles de Kisangani a été clairement proclamée par le
Conseil de sécurité dans sa résolution 1304 (2 000), adoptée quelques jours après la fin des
combats. Ce constat ne devrait d’ailleurs soulev er aucune difficulté pour l’Etat défendeur qui a
déclaré à plusieurs reprises qu’il acceptait pleine ment les résolutions adoptées par le Conseil de
sécurité dans le cadre du conflit, y compris, donc, cette résolution de juin 2000 et la condamnation
claire qu’elle énonce.
90
Résolution 1304 (2000), huitième paragraphe du préambule, mémoire du Congo, annexe 6.
9Ibid. - 43 -
13. Monsieur le président, Madame et Messi eurs les juges, d’autres documents attestent
d’ailleurs de façon plus détaillée les violations du droit international humanitaire commises par les
forces armées ougandaises lors des combats de juin 2000 à Kisangani. C’est en particulier le cas
d’un document établi par les observateurs de la M ONUC présents dans cette ville au moment des
92
affrontements . Ce rapport fait, entre autres, état du fait que l’UPDF a effectué des tirs de mortiers
et d’artillerie au-dessus de la ville de Kisangani, au cours desquels plus de trois cents impacts
93
directs sur des maisons ont été relevés . Il mentionne également des tirs de mortiers et d’artillerie
effectués par l’armée ougandaise sur des cibles illégitimes (ce sont les termes même du rapport:
«international illegitimate targets» ), dont une école, tuant de nombreux enfants et en blessant de
nombreux autres, le quartier général des Nations Unies, la cathédrale et l’hôpital de Kisangani,
etc.94 Il convient de relever que ce tte liste des cibles illégitimes n’est pas limitative et ne reprend
que quelques-unes des actions illicites imputables à l’UPDF dans le cadre de ces combats. Elle
donne néanmoins une très bonne idée du peu de cas des règles élémentaires du droit humanitaire
dont les soldats ougandais ont fait preuve à cette oc casion. Dans le même ordre d’idées encore, la
mission d’évaluation interinstitutions des Nations Unies a également confirmé que les forces
armées ougandaises avaient utilisé plusieurs établis sements scolaires pour lancer des attaques et
95
comme positions de repli . Les sources ne manquent donc pas pour établir plus précisément la
responsabilité de l’Ouganda pour les violations du droit humanitaire commises à l’occasion de ces
affrontements.
14. Pourtant, à cet égard encore, l’Etat dé fendeur tente d’échapper à ses responsabilités pour
ces faits en prétendant que le rapport de la MONUC, en particulier, ne permet pas de conclure à
une violation du droit humanitaire par l’Ouganda dès lors qu’il n’indique pas les circonstances dans
lesquelles les différentes cibles civiles susmen tionnées ont été touchées par des tirs ougandais.
L’Ouganda insiste particulièrement sur le fait que les observations de la MONUC font état de la
présence d’objectifs militaires rwandais parmi le s habitations frappées par l’artillerie ougandaise,
92
United Nations Observer Mission in the Democratic Re public of the Congo, «Historic Record of Kisangani
Cease-Fire Operation», lt-col. Danilo Paiva, 19 juin 2000; réplique du Congo, annexe 84.
93
Ibid., p. 12.
94Ibid., p. 25.
95Nations Unies, doc. S/2000/1153, 4 décembre 2000, par. 59; réplique du Congo, annexe 38. - 44 -
96
ce qui aurait pour effet de rendre ces cibles légitimes . A supposer même que cet argument puisse
être retenu et que le recours à la force des ar mes opéré par l’armée ougandaise contre ces cibles
n’ait pas causé à la population et aux biens civils des dommages disproportionnés, la justification
ne pourrait en tout état de cause pas valoir pour l’ ensemble des édifices qui ont été pris pour cible
par l’UPDF. Ainsi, l’Ouganda s’est abstenu — à juste titre— d’affirmer que la cathédrale de
Kisangani, l’hôpital de la ville ou le quartier gé néral des NationsUnies constituaient des cibles
légitimes en raison du fait que ces différents lieux auraient abrité des combattants de l’armée
ennemie. De la même façon, on voit mal comme nt l’Ouganda pourrait nier l’utilisation d’écoles
par ses troupes, relevée explicitement par la mission interinstitutions de l’ONU. C’est donc en vain
que l’Etat défendeur tente de remettre en cause ces différents documents en prétendant qu’aucun
d’entre eux ne permet d’établir que les forces armées ougandaises se sont rendues responsables de
graves violations du droit humanitaire à Kisangani en juin 2000.
15. Par ailleurs, il convient de rappeler une nouvelle fois qu’il ne s’agit là que d’un cas
particulièrement emblématique de non-respect du droit humanitaire par l’UPDF. Le précédent de
Kisangani ne constitue malheureusement pas un ca s isolé, comme en témoigne par exemple un
rapport d’une organisation non gouvernementale congolaise qui fait entre autres mention des
dizaines de victimes civiles causées à Beni en novembre 1999 par les tirs indiscriminés des soldats
ougandais, en réplique à une atta que de guerriers maï-maï. Il est d’ailleurs symptomatique que
l’Ouganda n’ait apporté aucun démenti à ce récit dans sa duplique, en admettant par là son
exactitude. De telles attaques indiscriminées peuvent encore être relevées dans des périodes plus
récentes. C’est entre autres le cas de l’attaque à l’arme lourde de la résidence du gouverneur de
97
l’Ituri, à Bunia, en août 2002, où l’armée ougandaise a délibérément pris pour cibles des civils .
Selon un témoin direct des faits, l’attaque de l’UPDF, qui a provoqué la perte de plusieurs vies
humaines et des dégâts matériels importants, vi sait le gouverneur lui-même en raison du fait qu’il
avait convoqué les officiers ougandais la veille pour leur demander de faire preuve de modération
98
et les inviter à ne pas prendre parti pour l’une ou l’autre faction rebelle en conflit en Ituri . Ici
96
Duplique de l’Ouganda, p. 263, par. 561.
97Voir e.a. le rapport précité de la MONUC de 2004, p. 21, par. 49.
98 Rapport intitulé «ITURI: «Couvert de sang». Violence ciblée sur certaines ethnies dans le nord-est de la
RDC», juillet 2003, p. 21–22 (http://www.hrw.org/french/reports/2003/ituri0703/). - 45 -
encore, la brutalité de cette attaque et l’indiffé rence au sort des non-combattants présents sur les
lieux ne peut manquer de frapper.
En conclusion, les violations du droit humanitaire commises par les forces armées
ougandaises à l’occasion de diverses situations de combat en territoire congolais sont donc
clairement établies. Les victimes en ont été, une fois encore, les populations civiles des parties du
Congo occupées par l’armée ougandaise. Je vais ma intenant aborder la dernière catégorie des
violations des droits humains, relative au recrutement d’enfants-soldats en RDC.
IV. Le recrutement d’enfants-soldats
16. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, les enfants congolais n’ont pas
été épargnés par les pratiques mises en Œuvre par l’armée ougandaise dans les régions de la RDC
sur lesquelles elle exerçait son cont rôle. Plusieurs centaines d’entre eux ont ainsi été recrutés par
l’UPDF et amenés en Ouganda pour y suivre une formation idéologique et militaire. Ce
recrutement d’enfants-soldats a encore été attesté par le Secrétaire général des Nations Unies dans
ses rapports sur la MONUC, qui indiquent que de nombreux enfants congolais avaient été enlevés
en août 2000 dans les zones de Bunia, Beni et Butembo et conduits en Ouganda pour y subir un
entraînement militaire dans le camp de Kyankwanzi 99. Cette situation est également confirmée par
l’organisation Human Rights Watch, qui évoque, dans son rapport de mars 200 1, la situation des
100
centaines de jeunes recrues congolaises entraînées en Ouganda . Ce n’est qu’à la suite des efforts
insistants de l’UNICEF et de l’ONU que ces enfants ont pu quitter ce camp d’entraînement et être
101
finalement rapatriés au Congo au début du mois de juillet 2001 .
17. En dépit de l’accumulation des sources qui confirment la réalité de cette situation,
l’Ouganda, dans ses dernières écritures, conteste avec virulence les allégations formulées par la
99
Cinquième rapport sur la MONUC, NationsUnies, doc . S/2000/1156, 6 décembre 2000, par. 75, réplique du
Congo, annexe 30; septième rapport sur la MONUC, Nations Unies, doc. S/2001/373, 17 avril 2001, par. 85, réplique du
Congo, annexe 32. Voir aussi, en termes généraux, le quatrième rapport prélimin aire présenté à l’Assemblée générale
des Nations Unies par le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situatides droits de l’homme en République
démocratique du Congo, doc. A/55/403, 20septembre 2000 et le rapport d’Amnesty International intitulé «RDC ⎯ La
dignité humaine réduite à néant», mai 2000, point 5.2, réplique du Congo, annexe 89.
100
Rapport intitulé «L’Ouganda dans l’est de la RDC: une présence qui attise les conflits politiques et
ethniques», mars 2001, sect. V, p. 4,réplique du Congo, annexe 83; la not e 92 renvoie à la référence suivante:
«Hundreds of Congolese Rebels Training in Uganda», East African (Nairobi), 28 septembre 2000.
101
Septième rapport sur la MONUC, Nations Unies, doc. S/2001/373, 17 avril 2001, par. 85, réplique du Congo,
annexe 32; neuvièmerapport sur la MONUC, NationsUnies, doc. S/2001/270, 16 octobre 2001, par. 54, réplique du
Congo, annexe 34. - 46 -
République démocratique du Congo sur ce point. Po ur l’Etat défendeur, le Congo se limite à des
accusations tout à fait générales dépourvues de tout support probatoire et ne peut présenter des
accusations plus spécifiques qu’en travestissant la vérité, et en citant de façon erronée les
102
documents mentionnés dans la réplique congolaise . Selon l’Ouganda, ce ne sont pas ses forces
armées, mais deux mouvements rebelles qui auraient recruté ces enfants-soldats 103. Avec un
cynisme consternant, l’Etat défendeur affirme ainsi que l’«incident» (c’est le terme utilisé dans sa
duplique) auquel il vient d’être fait allusion repr ésente en fait une opération de sauvetage, par
l’Ouganda, conjointement avec l’UNICEF et «diverses autres organisations non
gouvernementales», d’enfants-soldats de la ré gion de Bunia, visant à les préserver des
affrontements entre les populations hema et lendu qui faisaient rage à cette époque dans cette partie
104
du Congo . Plutôt que d’y être soumis à un entraîne ment idéologique et militaire, les enfants
congolais amenés en Ouganda y auraient reçu, dans une école qui n’avait rien de militaire, des
105
soins médicaux et psychologiques . Cette remarquable démarc he humaniste aurait valu à
l’Ouganda l’expression de toute la gratitude de l’UNICEF et de l’ONU elle-même 106. La version
des faits présentée par la République démocra tique du Congo relèverait donc du pur fantasme et
serait en tous points contraire à la réalité.
18. Cette virulente critique, par l’Ouganda, de la méthodologie suivie par le Congo sur le
volet du dossier se révèle totalement surréaliste dans la manière dont elle nie l’évidence même. Le
Congo entend faire ici une très sérieuse mise au point sur cette question. Tout d’abord, il faut se
demander comment l’Etat défendeur peut, dans le même souffle, affirmer d’une part que ce sont
des mouvements rebelles qui recrutent des enfants-soldats, et d’autre part que ces enfants ont été
accueillis en Ouganda pour y recevoir des soins mé dicaux et psychologiques. De deux choses
l’une. Soit il s’agit effectiv ement d’enfants-soldats recrutés pa r les mouvements rebelles, mais
alors quel serait le sens de leur offrir des soins en Ouganda, plutôt que la formation militaire que
102
«Where the DRC attempts to provide more specific ex amples of Uganda recruiting child soldiers, she does so
only by distorting the truth and by misquoting and mischarcterising the publications wh ich she cites», duplique de
l’Ouganda, p. 271, par. 580.
103
Duplique de l’Ouganda, p. 273, par. 583.
104
Ibid., p. 271, par. 581.
105Ibid.
106Ibid., p. 272, par. 582 et p. 273, par. 585. - 47 -
leur recrutement vise ? Soit ce sont bien des soins médicaux et psychologiques que ces enfants ont
reçus en Ouganda, mais alors pourquoi prétendre qu’ ils ont été recrutés en tant qu’enfants-soldats
par les mouvements rebelles en question ? En tout état de cause, Monsieur le président, Madame et
Messieurs les Membres de la Cour, il existe des documents officiels de l’époque qui démentent de
façon formelle la version des faits présentée sur ce point par l’Etat défendeur. Il s’agit, en
l’occurrence, de deux communiqués de presse de l’ UNICEF, dont la teneur est dépourvue de toute
ambiguïté, et que vous trouverez dans vos dossiers de juges aux cotes n os 31 et 32. Qu’il me soit
permis d’en citer de brefs extraits, qui mettront fin à toute hésitation sur cette question. Dans un
premier communiqué, en date du 9février2001, l’UNICEF se réjouit que «le Gouvernement
ougandais lui donne plein accès à un camp d’entraînement politique et militaire [je souligne]
107
abritant des enfants-soldats provenant de République démocratique du Congo» .
Dans un second communiqué, du mois de juillet de la même année, l’organisme humanitaire
annonce le retour d’un premier groupe d’enfants, tout en précisant très clairement la nature de leur
présence antérieure en Ouganda, et je cite à nouveau l’UNICEF: «Avant d’être remis à
l’UNICEF-Ouganda, les enfants avaient suivi une formation politique et militaire depuis août 2000
à Kyankwanzi.» 108
L’UNICEF parle d’une formation politique et militaire , dans un camp d’entraînement
politique et militaire, Monsieur le président, et non des soins médicaux et psychologiques dans une
colonie de vacances. Si l’UNICEF a des remerc iements à exprimer au Gouvernement ougandais,
c’est pour avoir finalement donné accès à ce ca mp d’entraînement politique et militaire aux
organisations humanitaires, plus de six mois après que des centaines d’enfants congolais y aient été
amenés, et pour avoir collaboré à leur rapatriement. Ce n’est certainement pas, contrairement à ce
que l’Etat défendeur tente de faire croire, pour avoir amené ces en fants en Ouganda. La version
des faits présentée par l’Ouganda dans ces dernière s écritures se voit donc contredite de manière
cinglante par des documents produits in tempore non suspecto par une autorité totalement
107«The United Nations Children’s Fund applauds the G overnment of Uganda for granting full access to a
political and military training camp housing child soldifrom the Democratic Republic of Congo.» («UNICEF
applauds agreement with Uganda on child soldiers», communiqué de presse de l’UNICEF du 9 février 2001,
http://www.unicef.org/newsline/01pr12.htm).
108«Before being transferred to UNICEF-Uganda, the ch ildren had been undergoing political and military
training since August 2000 in Kyankwanzi.» («First Group of Congolese Children Returned Home from Uganda»,
communiqué de presse de l’UNICEF du 5 juillet 2001, http://www.unicef.org/newsline/01prbunia1.htm). - 48 -
indépendante des parties au conflit. Le rapport de la MONUC de 2004, que j’ai déjà mentionné à
109
plusieurs reprises, confirme lui aussi sa ns la moindre ambiguïté cette situation . Le recrutement
et la formation d’enfants-soldats par l’Ouganda sont ainsi manifestement établis au-delà de tout
doute raisonnable.
19. D’autres types de violations encore aura ient pu être évoqués dans le cadre de cette
plaidoirie, tels que les actes de torture et les traitements inhumains et dégradants réservés à leurs
prisonniers congolais par les forces de l’UPDF. La République démocratique du Congo les a déjà
110
amplement détaillés dans le cadre de sa réplique , à laquelle je me permet s de renvoyer la Cour,
et l’on n’y reviendra donc plus ici. A travers les quelques situations emblématiques sur lesquelles
je me suis attardé ce matin, c’est en définitive, Monsieur le président, au très lourd bilan humain de
sa présence militaire de près de cinq années dans de vastes zones du Congo que l’Etat défendeur est
maintenant confronté. Et l’on peut aisément co mprendre qu’il n’ait pas envie de regarder ce bilan
en face, tant il s’avère désastreux et horrible. C’ est pourtant cette réalité qu’il lui faut aujourd’hui
affronter. Et comme l’exposera brièvement maintenant le professeur Olivier Corten en revenant de
manière transversale aux diverses tentatives de réfutation menées par l’Ouganda sur le terrain des
preuves, aucune de ces objections ne s’avère fondée, et tous les éléments convergent pour
confirmer l’écrasante responsabilité de l’Etat ougandais dans ce cadre.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour , je vous remercie de
votre attention. Je prie le président d’accorder la parole au professeur OlivierCorten, qui va
conclure l’argumentation de la RDC sur la question des droits de l’homme. Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Kalala. I now give the floor to Professor Corten.
M. CORTEN : Merci, Monsieur le président.
LA RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE DE L ’O UGANDA POUR GRAVES VIOLATIONS
DES DROITS DE L ’HOMME EST MANIFESTEMENT ÉTABLIE
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, mes collègues, le
e
professeur Pierre Klein et M Tshibangu Kalala, viennent de vous démontrer que l’Ouganda avait
109
Loc. cit., p. 46, par. 145 et p. 47, par. 148.
11Réplique du Congo. - 49 -
violé le droit international à la fois pour son défaut de vigilance ou de diligence due, en particulier
dans la province de l’Ituri, et pour des actes directement perpétrés par ses agents dans les territoires
congolais occupés. Le volet relatif aux droits de l’homme de la requête du Congo peut ainsi se
résumer comme suit: l’Ouganda est responsable comme puissance occupante des violations des
droits de l’homme commises par ses organes de droit, ou de fait, mais aussi des violations
consécutives à son défaut de prévention et de répression dans toutes les parties du territoire
congolais qui étaient sous son contrôle.
2. Que répond l’Ouganda pour réfuter la mise en cause de sa responsabilité? La Partie
ougandaise ne nie pas que, pour reprendre les termes de la Cour elle -même, «des violations graves
et répétées des droits de l’homme et du droit inte rnational humanitaire, y compris des massacres et
autres atrocités, ont été commises sur le territoire du Congo» 111. La Partie ougandaise ne nie pas
non plus avoir pénétré sur certaines parties de ce territoire, ni y avoir maintenu des troupes pendant
plusieurs années. Dans le même temps, l’Ouganda en vient cependant à nier toute forme de
responsabilité pour les dizaines de milliers de victim es que l’on a pu dénombrer dans les territoires
occupés. En somme, l’armée ougandaise était bien sur place, mais elle n’a rien fait, rien vu, et rien
entendu. L’Ouganda demande donc à la Cour de l’exonérer de toute responsabilité : pas un mort,
pas un blessé, pas un dommage, n’aurait été causé de son fait pendant les quelque cinq années qu’a
duré l’occupation du territoire congolais.
3. Comment l’Ouganda peut-il sérieusement défendre une telle image? D’abord, en niant
purement et simplement sa responsabilité en tant que puissance occupante, pour en déduire des
exigences exorbitantes à l’égard du Congo en matière de charge de la preuve. Ensuite, en
prétendant que les sources présentées par le Congo et qui attestent l’implication de l’armée
ougandaise dans de nombreuses violations des droits de l’homme seraient trop générales,
imprécises ou partisanes. Aucun de ces deux arguments ne peut être retenu, Monsieur le président,
comme je voudrais vous le démontrer dans le cadre de cette brève conclusion.
111Demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 1 juillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 128,
par. 42. - 50 -
I. L’établissement de la responsabilité de l’Ouganda en tant que puissance occupante
4. Le premier argument avancé par l’Ouga nda est, selon les termes de sa duplique, le
suivant :
«Puisque l’Ouganda n’est pas un «Etat occupant», il ne peut être tenu pour
responsable pour tout ce qui s’est passé en RDC simplement sur cette base, sans que
l’on doive prouver que ses troupes ou d’au tres personnes sous son contrôle ont
112
effectivement commis des actes illicites spécifiquement identifiés.»
L’Ouganda part donc d’une prémisse; il n’est pas un Etat occupant. Il en tire une
conséquence; le Congo devrait démontrer que ch aque violation des droits de l’homme a été
commise par des personnes agissant sous son contrôle.
5. Le professeurSalmon, de manière générale, et le professeurKlein, pour ce qui concerne
l’Ituri, vous ont démontré le caractère manifestem ent erroné de la prémis se. L’Etat défendeur, a
lui-même admis, en concluant l’accord de Luanda, que des territoires congolais étaient, pour
reprendre exactement les termes de l’article2, paragraphe3, de l’accord, «sous contrôle de
l’Ouganda» 113. On ne peut dès lors le qualifier que de puissance occupante au sens du droit
international.
6. La prémisse ougandaise étant erronée, les conséquences qui en sont déduites le sont
également. Il faut ici revenir sur les règles juridiques de l’occupation, et en tirer certaines
conséquences sur le plan de la charge de la preuve. En tant qu’Etat occupant, l’Etat ougandais peut
être tenu pour responsable de tout acte qu’il aura it perpétré mais aussi qu’il aurait toléré sur le
territoire qu’il a contrôlé. Il ne suffit dès lors pas à l’Ouganda de critiquer les preuves apportées
par le Congo en prétendant qu’elles ne mettent p as en cause spécifiquement des agents ougandais.
L’Ouganda doit contribuer à l’établissement des fait s, en montrant qu’il a pris toutes les mesures
voulues pour empêcher ou réprimer les violations des droits de l’homme. Dans une situation
d’occupation, la charge de la pr euve est en quelque sorte partagée . Si des violations ont eu lieu
dans les territoires occupés ⎯ce que, il faut le rappeler, l’Ouganda ne nie pas ⎯, la puissance
occupante ne peut en tout cas se contenter de nier sa participation directe.
112
«Because Uganda is not an «occupying State», she canno t be held responsible for events on the DRC simply
on that basis, without evidence that troops or other pers ons under her control actually committed specific unlawful acts»
(duplique de l’Ouganda, p. 246, par. 525).
113Art. 2, par. 3, de l’accord; duplique de l’Ouganda, annexe 84. - 51 -
7. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi la Par tie ougandaise insiste sur le fait que ses troupes
étaient, en territoire congolais, soumises à un code de discipline strict. Je cite la duplique :
«Accuser les soldats ougandais est part iculièrement sujet à caution étant donné
que l’UPDF a toujours assuré un respect étroit de la discipline militaire. Les forces de
l’UPDF sont régies par un Code de conduite opérationnel strict, qui comprend les
dispositions suivantes…» 114
Plusieurs extraits de ce code sont ensuite reproduits in extenso, sur près de deux pages de la
115
duplique . L’argument de l’Ouganda consiste donc à citer des extraits de l’un de ses textes
réglementaires pour démontrer qu’il n’a pas pu violer le droit international. On apprend ainsi que,
selon le code de discipline militaire, les soldats ougand ais ne doivent pas voler ou tuer les civils, ni
les battre ou les molester.
8. S’il n’était pas avancé dans un contexte aussi dramatique, l’argument prêterait
franchement à sourire. Ainsi, il suffirait que certaines règles destinées à régir le comportement
d’un sujet existent pour que celui-ci soit réputé s’y c onformer, effectivement, partout et toujours.
On souhaiterait bien évidemment qu’il en soit ainsi. Mais il ne faut pas être grand clerc pour savoir
que les réalités s’écartent bien fréquemment des mo dèles de comportement décrits dans les livres
⎯ en particulier lorsqu’il s’agit de manuels militaires. Si cet argument ougandais devait être suivi,
les violations des règles du droit internati onal humanitaire seraient désormais à peu près
inexistantes dans le monde, puisqu’il est sans doute bien peu de manuels militaires qui prescrivent
aux membres de forces armées de commettre pillages, viols ou massacres… Quant au cas
particulier de l’armée ougandaise, la République démocratique du Congo écoutera avec attention
les remarques de l’Etat défendeur au sujet de cet extrait du rapport de la commission d’enquête
qu’il a lui-même mise en place, selon lequel, je cite la commissionPorter, «l’UPDF a montré un
manque de discipline qui a déshonoré l’Ouganda sur la scène internationale» 116.
9. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’Ouganda ne peut décidément
se contenter de citer son code de discipline. En tant que puissance occupante, il doit montrer, non
114«Attributing wrongs to Ugandan soldiers is particularly suspect in view of the fact that the UPDF has always
strenuously enforced military discipline.UPDF forces are subject to a strict Operational Code of Conduct which
includes the following provisions…» (Duplique de l’Ouganda, p. 254, par. 547.)
115Ibid., p. 254-256, par. 547.
116«UPDF has revealed a lack of discipline which has shamed Uganda on the International Scene»; Judicial
Commission of inquiry into allegations in to illegal exploitation of natural resour ces and other forms of wealth in the
Democratic Republic of Congo 2001, Final Report, November 2002, p. 203; http://www.mofa.go.ug/speeches. - 52 -
seulement qu’il n’a pas participé directement aux nombreuses violations des droits de l’homme qui
se sont produites sur les territoires sous son contrô le, mais encore qu’il ne les a pas encouragées ou
tolérées, non pas dans les textes mais dans les faits, sur le terrain. Or, et même si ce constat ne plaît
guère à nos contradicteurs, toutes les sources qui ont été établies à partir de témoignages en
territoires occupés montrent le contraire.
II. Des sources variées et concordantes attestent l’implication de l’Ouganda
dans des violations des droits de l’homme en territoire occupé
10. J’en arrive ainsi à la réfutation du de uxième grand argument avancé par la Partie
ougandaise. Selon l’Etat défendeur, les sources pr ésentées par le Congo dans ses écritures seraient
trop générales, imprécises ou partisanes. Pour reprendre les termes de la duplique, «beaucoup de
publications sur lesquelles s’appuie la RDC ne font que mentionner des dommages causés aux
117
civils, sans pour autant désigner spécifiquement l’Ouganda» .
Ainsi, si la preuve de l’existence de viola tions des droits de l’homme n’est pas contestée,
celle de l’implication de l’Ouganda se révélerait insuffisante.
11. Monsieur le président, Madame et Messi eurs de la Cour, le temps manque ici pour
reprendre chacun des documents qui citent explic itement l’Ouganda comme auteur de violations
graves des droits de l’homme en territoire occupé congolais. Mes collègues Pier re Klein et
Tshibangu Kalala en ont cité plusieurs ce matin, et les écritures congolaises en sont émaillées.
Mais, puisque la Partie ougandai se semble fonder toute son argumentation sur ce point, qu’il me
soit permis de citer, à titre d’exemples, quelques extraits du rapport spécial établi par la MONUC et
publié en juillet 2004. Vous trouverez dans votre dossier de juges, à la cote 30, les pages dont sont
tirés ces extraits. Je cite :
⎯ «Dans la nuit du 29 au 30 mai 1999, l’armée ougandaise a lancé ses premières
attaques contre le village de Loda, situé entre Fataki et Libi, qu’elle a 118uit en
cendres, brûlant vives plusieurs personnes âgées et des femmes…» ;
⎯ «Les soldats ougandais , accompagnés par des milic es hema, ont poursuivi leurs
actions punitives, incendiant d’abord les villages de la collectivité des Walendu
117
«[M]any of the publications on which the DRC relies merely assert wrongs done to civilians and do not single
out Uganda as the blameworthy party.» (Duplique de l’Ouganda, p. 247, par. 529.)
118Doc. S/2004/573, 16 juillet 2004, p. 11, par. 19; les italiques sont de la RDC. - 53 -
Pitsi, puis deux des Walendu Djatsi, au cour s de la période allant de 1999 à la fin
de 2001» 119;
⎯ «Des centaines de localités ont été détruites par l’armée ougandaise et les milices
120
hema du sud» .
Monsieur le président, cette sinistre énum ération pourrait être prolongée bien longtemps
encore. Ces extraits ne mentionnent pas «des» massacres ou «des» attaques, mais précisent bel et
bien que ces massacres et attaques, ces incendies de village, ces destructions, ont été perpétrés par
l’«armée ougandaise» ou, ce sont toujours les termes du rapport, des «soldats ougandais».
12. Encore me suis-je limité à quelques ex traits choisis d’un seul rapport établi sur la
situation en territoire occupé. Mais, en tout état de cause, c’est non seu lement la MONUC, mais
121
aussi le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Congo ,
122
l’UNICEF , des organisations non gouvernemental es indépendantes transnationales, comme
Amnesty international 123 ou Human Rights Watch 124, ou des ONG nationales congolaises 12, ou
126
encore des représentants de l’Eglise catholique , ce sont toutes ces sources que la République
démocratique du Congo a citées à l’appui de ses accusations. Ces sources ne sont en rien
«partisanes», comme le suggère l’Ouganda. Il s’agit de sources sérieuses, variées, et neutres, qui
aboutissent toutes à la même conclusion: l’Ougand a peut, en tant que puissance occupante, être
tenu pour responsable de nombreuse s violations des droits de l’homme en territoire occupé
congolais.
13. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, dans quelques jours, la Partie
ougandaise viendra probablement vous expliquer que tel passage de tel rapport ne mentionne pas
l’identité, le grade ou encore la couleur de l’uniforme de tel criminel, ni les circonstances exactes
dans lesquelles tel crime a été commis. Mais le Congo ne cherche pas, dans le cadre de cette
instance, à mettre en cause la responsabilité indivi duelle de tel ou tel cr iminel. La République
119Doc. S/2004/573, 16 juillet 2004, p. 11, par. 19; les italiques sont de la RDC.
120Doc. S/2004/573, 16 juillet 2004, p. 12, par. 21; les italiques sont de la RDC.
121
Réplique du Congo, p. 319, par. 5.12; p. 324, par. 5.21; p. 331, par. 5.36.
122
Ibid., p. 331, par. 5.35.
123
Ibid., p. 324, par. 5.22; p. 329, par. 5.30.
124Ibid., p. 326, par. 5.25; p. 329, par. 5.31; p. 330-331, par. 5.34.
125Ibid., p. 327, par. 5.28.
126
Ibid., p. 332, par. 5.37; p. 333-334, par. 5.40. - 54 -
démocratique du Congo ne s’adresse pas à la Cour internationale de Justice comme à une cour
pénale, à qui l’on demanderait de se prononcer sur chacun des dizaines de mi lliers de crimes qui
ont été commis dans les territoires occupés par l’Ouganda. Le Congo dema nde en revanche que
soit constatée la responsabilité de l’ Etat ougandais. Et, à cet égard, il faut, mais il suffit de,
démontrer que des agents de l’Et at ougandais, quelles que soient le ur identité et leur qualité, ont
perpétré ou toléré des violations. Cette démonstration ressort de l’ensemble des sources existantes,
et le Congo demande simplement à la Cour d’en tirer les conséquences sur le plan de la
responsabilité internationale de l’Ouganda.
14. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, la responsabilité de l’Ouganda
peut également être établie pour l’exploitation illégale des ressources naturelles qui s’est poursuivie
au Congo pendant toute la durée de l’occupatio n. La République démocratique du Congo le
montrera cet après-midi. Je remercie la Cour pour toute l’attention qu’elle a bien voulu me porter.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Corten.
This brings to a conclusion this morning’s hearings. The Court will resume the hearings this
afternoon at 3 o’clock. This sitting is now closed.
The Court rose at 1.05 p.m.
___________
Public sitting held on Wednesday 13 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Shi presiding