CR 2003/21
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2003
Audience publique
tenue le lundi 28 avril 2003, à 16 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Shi, président,
en l’affaire relative à Certaines procédures pénales engagées en France
(République du Congo c. France)
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COMPTE RENDU
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YEAR 2003
Public sitting
held on Monday 28 April 2003 at 4 p.m., at the Peace Palace,
President Shi presiding,
in the case concerning Certain Criminal Proceedings in France
(Republic of the Congo v. France)
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VERBATIM RECORD
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Présents : M. Shi, président
M. Ranjeva, vice-président
MM. Guillaume
Koroma
Vereshchetin
Mme Higgins
MM. Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka, juges
M. de Cara, juge ad hoc
M. Couvreur, greffier
¾¾¾¾¾¾
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Present: President Shi
Vice-President Ranjeva
Judges Guillaume
Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Judge ad hoc de Cara
Registrar Couvreur
¾¾¾¾¾¾
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Le Gouvernement de la République du Congo est représenté par :
S. Exc. M. Jacques Obia, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du
Congo près le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de
Luxembourg, chef de la mission permanente du Congo près l’Union européenne,
comme agent;
M
e
Jacques Vergès, avocat à la Cour d’appel de Paris,
M. Charles Zorgbibe, agrégé des facultés de droit (droit public), recteur d’Académie honoraire,
professeur à l’Université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne),
M. André Decocq, agrégé des facultés de droit (droit privé et sciences criminelles), professeur
émérite à l’Université de Paris II (Panthéon-Assas), doyen honoraire de la faculté de droit de
Lyon,
comme conseils et avocats;
M. Henri Dimi, conseiller chargé des affaires politiques et stratégiques près l’ambassade du Congo
à Bruxelles,
M. Valérien Mudoy, docteur en droit international public, conseiller près l’ambassade du Congo à
Bruxelles,
Mme Hélène Tshika, conseillère juridique et politique près l’ambassade du Congo à Bruxelles.
Le Gouvernement de la République française est représenté par :
M. Ronny Abraham, directeur général des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères,
comme agent;
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l’Université de Paris II (Panthéon-Assas) et à l’Institut
universitaire européen de Florence,
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international,
comme conseils;
Mme Michèle Dubrocard, conseillère juridique près l’ambassade de France aux Pays-Bas,
M. Denys Wibaux, sous-directeur du droit international public à la direction des affaires juridiques
au ministère des affaires étrangères,
M. Matthieu Bourrette, magistrat attaché au ministère de la justice,
Mlle Eglantine Cujo, chargée de mission à la direction des affaires juridiques au ministère des
affaires étrangères,
Mlle Raphaële Rivier, chargée de mission à la direction des affaires juridiques au ministère des
affaires étrangères.
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The Government of the Republic of the Congo is represented by:
H.E. Mr. Jacques Obia, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the Republic of the
Congo to the Kingdom of the Netherlands, the Kingdom of Belgium and the Grand Duchy of
Luxembourg, Head of the Permanent Mission of the Congo to the European Union,
as Agent;
Maître Jacques Vergès, avocat à la Cour d’appel de Paris,
Mr. Charles Zorgbibe, agrégé of the Faculty of Laws (Public Law), Honorary Rector, Professor at
the University of Paris 1 (Panthéon-Sorbonne),
Mr. André Decocq, agrégé of the Faculty of Laws (Private Law and Criminal Studies), Emeritus
Professor at the University of Paris II (Panthéon-Assas), Honorary Dean, Faculty of Law, Lyon,
as Counsel and Advocates;
Mr. Henri Dimi, Counsellor for Political and Strategic Affairs, Embassy of the Congo, Brussels,
Mr. Valérien Mudoy, Doctor of Public International Law, Counsellor, Embassy of the Congo,
Brussels,
Ms Hélène Tshika, Legal and Political Counsellor, Embassy of the Congo, Brussels.
The Government of the French Republic is represented by:
Mr. Ronny Abraham, Director of Legal Affairs, Ministry of Foreign Affairs,
as Agent;
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the University of Paris II (Pantheon-Assas) and at the
European University Institute, Florence,
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre, member and former President of
the International Law Commission,
as Counsel;
Ms Michèle Dubrocard, Legal Counsellor, Embassy of France,
Mr. Denys Wibaux, Assistant Director for Public International Law, Department of Legal Affairs,
Ministry of Foreign Affairs,
Mr. Matthieu Bourrette, Judicial Officer, Ministry of Justice,
Ms Eglantine Cujo, chargée de mission, Legal Affairs Department, Ministry of Foreign Affairs,
Ms Raphaële Rivier, chargée de mission, Legal Affairs Department, Ministry of Foreign Affairs.
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The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. Before the Court hears the first
round of oral argument on behalf of the French Republic, I should like to drawn to the attention of
the delegations of the Republic of the Congo and the French Republic that the function of hearings
on provisional measures is to demonstrate to the Court the necessity of provisional measures which
ought to be taken to preserve the respective rights of either party in view of the urgency. I hope
that the delegations will concentrate on these issues.
I will now give the floor to His Excellency Mr. Ronny Abraham, the distinguished Agent of
the French Republic.
M. ABRAHAM :
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, c’est un grand honneur pour moi
de me présenter aujourd’hui devant votre Cour au nom de la République française. C’est aussi
pour mon pays un moment important et exceptionnel. Pour la première fois en effet depuis
longtemps, la France comparaît devant l’organe judiciaire principal des Nations Unies après avoir
accepté sa compétence pour que soit tranché un différend de droit international qui l’oppose à un
autre Etat.
2. Ce différend a été porté devant votre Cour par la République du Congo, qui fait grief à la
France, bien à tort comme il sera amplement démontré plus tard, de violer «[le] principe selon
lequel un Etat ne peut, au mépris du principe de l’égalité souveraine entre tous les membres de
l’Organisation des Nations Unies, exercer son pouvoir sur le territoire d’un autre Etat», et de
méconnaître «l’immunité pénale d’un chef d’Etat étranger».
3. Le Congo a introduit sa requête auprès de votre Cour sans ignorer que la France n’est pas
liée par une déclaration d’acceptation de votre juridiction obligatoire au titre de l’article 36,
paragraphe 2, du Statut de la Cour. L’Etat requérant a indiqué cependant que votre compétence
pourrait être fondée sur l’article 38, paragraphe 5, de votre Règlement, au cas où la France
donnerait son consentement, et c’est dans ces conditions que la requête a été communiquée aux
autorités françaises.
4. Après examen, celles-ci ont décidé de consentir à la juridiction de la Cour dans la présente
affaire, et l’ont fait savoir par une lettre au greffier du ministre des affaires étrangères en date du
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8 avril dernier. C’est d’ailleurs, à ma connaissance, le premier exemple d’un Etat mis en cause et
acceptant la compétence de la Cour par le jeu de l’article 38, paragraphe 5, de son Règlement.
5. Si mon pays a ainsi consenti à ce que votre juridiction connaisse du différend dont l’objet
est défini dans la requête, c’est d’abord pour manifester solennellement l’importance qu’il attache
au respect scrupuleux du droit international, en tout domaine et en toutes circonstances, au principe
de bonne foi dans les relations internationales, à l’exigence de la recherche, dans toute la mesure du
possible, des modes de règlement pacifiques les plus appropriés des différends entre Etats.
6. C’est aussi, faut-il le préciser, pour marquer le respect et la confiance que lui inspire votre
Cour, et la manière dont elle s’acquitte de sa tâche éminente de dire le droit, de préciser, par une
jurisprudence éclairante, la portée des règles qui s’imposent aux Etats, acteurs de la société
internationale. La présente affaire soulève, à cet égard, d’intéressantes et importantes questions,
qui restent à ce jour en partie controversées, et qu’il vous appartiendra d’élucider, avec le
discernement, l’objectivité et l’autorité incomparables qui sont les vôtres. La France est heureuse,
par le consentement qu’elle a donné, de vous en fournir l’occasion.
7. Enfin, il est à peine besoin d’ajouter que, si la France se présente aujourd’hui
volontairement devant vous, c’est aussi parce qu’elle a la conviction que ni les règles qu’elle
applique dans son ordre juridique en matière pénale, ni les actes accomplis par ses autorités
judiciaires dans l’espèce qui vous est soumise, ne sont le moins du monde en contradiction avec les
exigences du droit international. C’est donc en pleine confiance que la France vient dans votre
prétoire, assurée qu’elle est de faire valoir son bon droit.
8. Mais ce n’est pas l’objet, vous le savez, de la présente audience, au cours de laquelle il ne
doit pas être et il ne sera pas débattu du fond du litige, contrairement à l’impression qu’on a pu
éprouver parfois ce matin, mais seulement de la demande de mesures conservatoires dont la
République du Congo a assorti sa requête, et qui tend, on nous l’a rappelé, «à faire ordonner la
suspension immédiate de la procédure suivie par le juge d’instruction du tribunal de grande
instance de Meaux».
9. Puisque c’est ainsi une procédure suivie devant une juridiction française qui est à l’origine
du différend, il me faut commencer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, par un
exposé des règles pertinentes applicables en droit français, à savoir les règles qui gouvernent la
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compétence des juridictions pénales, le déroulement de la procédure pénale, et celles qui sont
relatives aux immunités reconnues aux chefs d’Etat étrangers. J’en viendrai ensuite à un résumé
des faits qui sont à l’origine de la présente affaire pour clarifier ceux-ci. Après quoi, les
professeurs Alain Pellet et Pierre-Marie Dupuy, conseils de la France, démontreront que les
conditions que met votre jurisprudence au prononcé de mesures conservatoires ne sont aucunement
remplies en l’espèce.
I. RÈGLES DU DROIT FRANÇAIS PERTINENTES POUR LA PRÉSENTE AFFAIRE
A. Règles applicables en matière de compétence des juridictions pénales françaises
10. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, permettez-moi donc de
commencer par exposer les règles applicables en matière de compétence des juridictions pénales
françaises. Celles-ci sont simples. Leur analyse, à laquelle je vais me livrer maintenant, montre
que la compétence des juges français est toujours subordonnée à la vérification d’un lien de
rattachement avec la France dont la mise en œuvre est entourée de conditions strictement définies
par la loi.
11. Le principe ne souffre pas d’ambiguïté : normalement, les juridictions françaises sont
compétentes pour connaître des infractions qui sont réprimées par la loi pénale française lorsque
ces infractions ont été commises sur le territoire français. Le droit pénal français est dominé par le
principe de territorialité. Il a, en effet, pour principal objet d’organiser la répression des infractions
commises sur le territoire national, sachant qu’une infraction est réputée commise sur ce territoire
dès lors qu’un de ses éléments constitutifs s’y est produit. Ce n’est donc que par exception que le
droit français reconnaît, et dans certaines limites seulement, une compétence au profit des
juridictions nationales pour des infractions commises hors du territoire français.
12. En premier lieu, le juge français peut être compétent à raison de la nationalité française
de l’auteur de l’infraction — on parle alors de compétence personnelle active — ou de la
nationalité française d’une ou plusieurs victimes — compétence personnelle passive. Mais
l’exercice par les juridictions françaises de cette compétence personnelle est subordonnée par la loi
à certaines conditions. Si, en effet, la loi française est applicable aux crimes, c’est-à-dire aux
infractions les plus graves selon la loi française, commis par un Français hors du territoire national,
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elle n’est applicable aux délits, c’est-à-dire aux infractions d’une gravité moindre, commis dans les
mêmes circonstances que si les faits sont également punis par la législation de l’Etat où ils ont été
commis. Et lorsque la victime est de nationalité française, la loi française n’est applicable, et les
juridictions françaises ne sont donc compétentes, que pour les crimes et délits commis à l’étranger
punis d’emprisonnement (art. 113-7 du code pénal). Et en outre, les poursuites devant les
juridictions françaises sont exclues lorsque l’intéressé a déjà été définitivement jugé à l’étranger
pour les mêmes faits en vertu de la règle non bis in idem (posée à l’article 692 de notre code de
procédure pénale). Et, enfin, l’engagement de poursuites pénales en matière de délit devant les
juridictions françaises au titre de la compétence personnelle, pour des faits commis à l’étranger, est
du ressort exclusif du procureur de la République auquel la loi confie la défense de l’ordre public,
et non pas des victimes elles-mêmes.
13. Et, enfin, et nous en arrivons au cœur du sujet, la loi française donne également
compétence au juge français, dans certaines matières, pour poursuivre et juger les auteurs ou
complices d’infractions commises hors du territoire national même si les auteurs et les victimes
sont étrangers. C’est ce qu’il est convenu d’appeler la «compétence universelle». Mais une telle
compétence n’est prévue par la loi française que dans des limites plus étroites que celles prévues
par d’autres lois nationales, et notamment, j’y reviendrai dans un instant, par la loi belge. Elle est
en effet subordonnée chez nous à deux conditions. D’une part, il faut en principe qu’un traité
auquel la France est partie prévoie et même impose une telle compétence universelle; d’autre part,
il faut que les personnes suspectées se trouvent sur le territoire français. Ces deux conditions sont
prévues par l’article 689-1 de notre code de procédure pénale. Et, le même code, dans les
articles 689-2 à 689-9, fournit la liste limitative des conventions internationales qui peuvent fonder
une telle compétence.
14. L’une d’entre elles, et sans doute la plus importante dans la pratique, est la convention
des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
du 10 décembre 1984.
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15. C’est en conformité avec cette convention, que la France a ratifiée en 19861
, que
l’article 689-2 du code de procédure pénale donne une compétence universelle aux tribunaux
français en matière de torture, en subordonnant cette compétence à la présence du suspect sur le
territoire national ¾ condition que la loi française met d’ailleurs systématiquement à l’exercice de
toute compétence universelle, quel que soit le traité qui la fonde. Il faut préciser ici que la
réalisation de cette condition s’apprécie au moment de l’engagement des poursuites.
16. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, il apparaît donc que s’agissant de
ce qu’il convient d’appeler la compétence universelle, le droit français en retient une conception
restrictive. Si en effet, la compétence pénale des juridictions françaises peut s’étendre à des faits à
propos desquels aucun des critères traditionnellement retenus n’est vérifié ¾ ni la nationalité d’une
victime ou d’un auteur présumé, ni la localisation d’un élément constitutif de l’infraction ¾, cette
extension est, comme je l’ai dit et je le répète, doublement conditionnée : d’une part, elle ne vaut
que pour les infractions désignées par une convention introduite en droit interne français; d’autre
part, elle ne peut être retenue que si la personne suspectée se trouve sur le territoire français au
moment des poursuites, ce qui exclut l’engagement d’une procédure en l’absence de l’intéressé.
Et, vous l’aurez compris, cette situation est très différente de celle que vous avez examinée dans
l’affaire qui a donné lieu à votre arrêt du 14 février 2002, dite affaire du Mandat d’arrêt, qui
opposait la République démocratique du Congo à la Belgique. Car, contrairement à la loi française,
la loi belge consacre la compétence universelle dans son acception la plus extensive puisqu’elle
confère compétence aux autorités répressives de la Belgique pour connaître de faits commis à
l’étranger par des étrangers et sur des étrangers in abstentia, c’est-à-dire en l’absence du suspect.
Tel n’est pas, j’y insiste, le cas en France où l’exercice par les juridictions françaises d’une
compétence universelle n’est possible qu’en application d’un instrument international et seulement
si la condition relative à la présence de l’intéressé sur le territoire national est remplie au moment
de l’engagement des poursuites.
17. J’en ai terminé, Monsieur le président, avec les règles qui gouvernent la compétence des
juridictions pénales françaises. J’en viens maintenant à un rappel succinct de celles qui
1 L’instrument a été déposé le 18 février 1986. Il était daté du 29 janvier.
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s’appliquent en matière procédurale pour la préparation et le déroulement du procès pénal.
Trois phases peuvent être distinguées, celle de l’enquête préliminaire sous l’autorité du procureur,
celle de l’instruction préparatoire et celle du jugement; la première et la seconde de ces phases
présentent évidemment ici une importance particulière puisque la procédure qui nous intéresse en
l’espèce n’a pas dépassé ce stade.
B. Règles gouvernant le déroulement de la procédure
18. Quelques mots, d’abord, de la première phase, celle de l’enquête de police judiciaire,
également appelée enquête préliminaire. Elle est faite par des officiers de police sous la direction
du procureur de la République. Son objet est de permettre au procureur de rassembler les éléments
lui permettant d’apprécier le sérieux des faits dont il a été saisi pour décider s’il est justifié d’ouvrir
une information judiciaire, c’est-à-dire de saisir un juge d’instruction, qui est un magistrat
indépendant chargé d’enquêter sur les faits de façon approfondie, ou éventuellement s’il y a lieu de
renvoyer directement l’auteur présumé devant le tribunal correctionnel si l’infraction commise est
un délit. Cette enquête peut être ouverte par le procureur soit spontanément, soit en conséquence
d’une plainte dont il aurait été saisi. Mais il faut bien distinguer ici entre deux types de plaintes.
Dans certains cas, c’est la victime qui porte plainte en se «constituant partie civile», comme on dit.
L’avantage pour elle, c’est qu’alors le procureur est tenu obligatoirement de saisir un juge
d’instruction (ce nous appelons «ouvrir une information judiciaire»). Dans d’autres cas, la plainte
émane d’un tiers et non de la victime, ou bien elle émane de la victime mais qui ne souhaite pas se
constituer partie civile : en pareille hypothèse (c’est ce que l’on appelle une plainte «simple»), le
procureur sera entièrement libre d’apprécier s’il y a lieu ou non d’ouvrir une information judiciaire,
et dans quelle limite, après avoir procédé à son enquête préliminaire.
19. Dans la présente espèce, c’est une plainte simple qui est à l’origine de l’affaire ¾ ce qui
s’explique d’ailleurs logiquement par le fait que ce ne sont pas les victimes des infractions
supposées qui ont saisi le procureur de la République. J’y reviendrai dans un instant dans l’exposé
des faits.
20. Dans le cadre de l’enquête préliminaire, les policiers ou les gendarmes, qui agissent, je
l’ai dit, sur les instructions du procureur, peuvent d’abord accomplir des actes non coercitifs tels
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que constatations diverses ou audition de personne acceptant de répondre aux questions. Ils
peuvent aussi adresser une convocation à une personne dont l’audition leur paraît indispensable.
Cette personne est alors tenue de comparaître et, si elle ne satisfait pas à cette obligation, d’ailleurs,
le procureur de la République peut l’y contraindre par la force publique (art. 78 du code de
procédure pénale).
21. Les enquêteurs peuvent, ensuite, et toujours pour les nécessités de cette enquête, décider
de placer une personne en garde à vue, selon notre formule, c’est-à-dire décider de la retenir dans
les locaux de la police ou de la gendarmerie, pour pouvoir procéder à son audition. Cette
possibilité est cependant encadrée par le droit. D’une part, seule une personne à l’encontre de
laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction peut être
placée en garde à vue (art. 63 du code de procédure pénale). D’autre part, elle ne peut l’être que
pour une durée de quarante-huit heures au maximum (art. 77).
22. A l’issue de son enquête, le procureur de la République apprécie, comme je l’ai dit, s’il y
a lieu ou non de poursuivre la procédure. S’il répond par la négative, il décide de classer l’affaire
sans suite. Dans le cas contraire, il peut renvoyer directement l’auteur présumé devant le tribunal
correctionnel, si l’infraction commise est un délit, ou saisir un juge d’instruction (donc «ouvrir une
information judiciaire»), ce qui est toujours nécessaire à la poursuite de la procédure si l’infraction
commise est un crime, c’est-à-dire une infraction grave.
23. Nous en arrivons donc à la seconde phase de la procédure, qui est celle, éventuellement,
de l’instruction préparatoire. Elle est confiée à un juge d’instruction exceptionnellement à
plusieurs juges d’instructions agissant conjointement lorsque la complexité de l’affaire le justifie
(art. 83, code de procédure pénale). Ce juge d’instruction ne peut enquêter que dans les limites de
l’acte de saisine émanant du procureur de la République qu’on appelle le «réquisitoire introductif».
Cet acte, l’acte de saisine du juge, doit préciser les infractions qui font l’objet de la procédure et,
normalement, la ou les personne(s) mise(s) en cause (art. 80, code de procédure pénale). Toutefois,
le magistrat instructeur, le juge d’instruction, peut aussi être saisi par le procureur d’un réquisitoire
contre personne inconnue (contre «X» comme on dit), lorsque le procureur n’a pas estimé possible
d’identifier avec une probabilité suffisante, au terme de sa propre enquête, les auteurs de
l’infraction. C’est alors au juge qu’il appartiendra de les identifier éventuellement.
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24. Le juge d’instruction est placé dans une situation d’indépendance totale vis-à-vis du
procureur. Il procède, comme le dit l’article 81 du code de procédure pénale, et selon les formes
légales, à tous les actes qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. C’est en effet lui qui va
instruire à charge et à décharge. Pour mener à bien sa mission, il dispose de pouvoirs
d’investigation, qu’il exerce lui-même ou par l’intermédiaire d’officiers de police judiciaire
agissant sur son ordre, c’est-à-dire en vertu d’un mandat, qu’on appelle «commission rogatoire».
Quels sont ces pouvoirs ?
25. Il peut d’abord procéder à l’audition de témoins. Mais il faut ici prendre garde à bien
distinguer entre deux catégories de témoins : il y a, d’une part, le témoin «simple», ou ordinaire,
celui dont l’audition est sollicitée parce qu’il paraît détenir des informations utiles au juge; il y a,
d’autre part, le «témoin assisté» — nous allons retrouver cette expression plus tard — qui est en
réalité plus qu’un témoin : c’est déjà un suspect, puisque c’est une personne qui a été nommément
visée par le réquisitoire introductif du procureur, ou bien qui a été mise en cause par la victime ou
par un autre témoin, ou encore une personne contre laquelle le juge estime qu’il existe certains
éléments à charge. C’est pourquoi le «témoin assisté» a le droit, lorsqu’il est entendu par le juge,
d’être assisté par un avocat (d’où la dénomination), et d’avoir accès au dossier de la procédure pour
pouvoir se défendre.
26. Le juge d’instruction peut également procéder à des perquisitions, faire placer des
suspects en garde à vue et enfin délivrer des mandats afin que des personnes soupçonnées soient
arrêtées et conduites devant lui. Là encore, une distinction est à faire : on parle de «mandat
d’arrêt» lorsque l’intéressé est en fuite et qu’on ignore le lieu de son domicile. On parle de
«mandat d’amener» — nous allons retrouver cette expression dans un instant — lorsque le
domicile de l’intéressé est connu. La notion de mandat d’amener mérite que l’on s’y attarde un
peu. Il est défini par le code de procédure pénale comme «l’ordre donné par le juge à la force
publique de conduire immédiatement la personne à l’encontre de laquelle il est décerné devant lui»
(art. 122, code de procédure pénale). Là encore, la délivrance d’un tel mandat par le juge est
soumise à des conditions, en particulier, il faut qu’il existe des éléments à charge laissant penser
que la personne a pu participer aux infractions, et il faut également que cette personne ait refusé de
déférer à une convocation du juge. Ce mandat d’amener est exécutoire sur toute l’étendue du
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territoire de la République française (art. 124, code de procédure pénale). En revanche, il ne
produit d’effet que sur le territoire national et n’est pas destiné à être diffusé au plan international
par le biais d’Interpol ou au plan européen par le système de Schengen.
27. Enfin, et toujours pour mener à bien son instruction préparatoire, le juge peut procéder à
la mise en examen (qu’on appelait naguère l’inculpation) d’une personne, qui peut déjà avoir le
statut de témoin assisté, mais pas nécessairement, lorsqu’il existe des indices graves ou concordants
rendant vraisemblable — dit le code — que cette personne a pu participer, comme auteur ou
comme complice, à la commission des infractions dont le juge est saisi. Dans ce cas, le juge doit
préalablement informer la personne de son intention et la mettre à même de présenter ses
observations en défense. La mise en examen peut ainsi être définie comme l’acte par lequel le juge
notifie à un individu qu’il fait officiellement l’objet de poursuites, en raison des indices de
culpabilité existants contre lui. Elle s’accompagne bien sûr de la reconnaissance des droits de la
défense à la personne mise en examen, assistance par un avocat et accès au dossier de la procédure.
28. A l’issue de son enquête, le juge d’instruction apprécie s’il existe des charges suffisantes
contre les personnes mises en examen pour qu’elles comparaissent devant la juridiction de
jugement. S’il estime — ce qui arrive assez fréquemment — qu’il n’existe pas de charge suffisante
contre ces personnes, ou que les faits ne sont pas suffisamment établis, ou encore que l’auteur des
faits n’a pu être clairement identifié, il rendra une ordonnance de non-lieu qui clôt la procédure. Si,
au contraire, il estime qu’il existe des charges suffisantes contre une personne mise en examen, il la
renverra pour jugement devant la cour d’assises, si c’est un crime, ou devant le tribunal
correctionnel s’il s’agit d’un délit. On voit ainsi qu’à chaque stade de la procédure — au terme de
l’enquête préliminaire du procureur d’abord, au terme de l’instruction préparatoire du juge
ensuite — le dossier est susceptible d’être refermé faute d’éléments suffisants. Précisons aussi que
si le juge d’instruction estime qu’il y a matière à renvoyer la personne qu’il soupçonne d’avoir
commis un crime devant la Cour d’assises, cette personne pourra faire appel de cette décision, et la
Cour d’appel appréciera à son tour si le dossier est suffisamment étayé pour justifier un procès.
29. C’est alors seulement que s’ouvrira la troisième phase de la procédure, celle du jugement.
Elle est confiée, s’agissant des crimes, à une cour d’assises composée de magistrats qui
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représentent l’élément professionnel et de citoyens, des jurés non professionnels, qui représentent
la société.
30. Je dois ajouter un élément particulier très important dans la présente espèce, et auquel se
réfère le Congo : ce sont les règles spéciales que prévoit le code de procédure pénale en matière
d’audition, en qualité de témoins, de chefs d’Etat étrangers et d’autres représentants officiels des
puissances étrangères.
31. En effet, le code de procédure pénale prévoit, à cet égard, par dérogation au droit
commun, que
«La déposition écrite d’un représentant d’une puissance étrangère est demandée
[par le juge d’instruction] par l’entremise du ministre des affaires étrangères. Si la
demande est agréée [c’est-à-dire acceptée par son destinataire], cette déposition est
reçue par le premier président de la cour d’appel ou par le magistrat qu’il aura
délégué» (art. 656, code de procédure pénale).
Cet article s’applique à tous les titulaires de charges publiques qui représentent au plan
international un Etat étranger (en particulier les diplomates accrédités en France ou les chefs d’Etat
étrangers). Selon le droit français, un chef d’Etat étranger n’est donc nullement tenu de donner son
témoignage lorsque celui-ci est sollicité. Aucune obligation ne lui incombe à cet égard. Son refus
de témoigner n’est, en conséquence, pas constitutif d’une infraction et ne peut donc donner lieu à la
sanction pénale qu’encourt, en règle générale, un témoin qui refuserait de comparaître (cette
sanction est prévue par l’article 434-15-1 du code pénal). Mais au surplus, et en tout état de cause,
les immunités dont bénéficient les chefs d’Etat étrangers s’opposeraient à ce que des mesures de
contrainte soient prises à leur encontre, ce qui me conduit à présent, Monsieur le président, à
l’exposé des règles du droit français qui concernent les immunités des chefs d’Etat étrangers.
C. Règles françaises relatives aux immunités reconnues aux chefs d’Etat étrangers
32. Conformément au droit international, le droit français consacre le principe de l’immunité
des chefs d’Etat étrangers. On l’a d’ailleurs rappelé ce matin même du côté de la Partie adverse. Il
n’existe pas de règles écrites découlant d’une législation relative aux immunités des Etats et de
leurs représentants. C’est la jurisprudence des tribunaux français qui, se référant au droit
international coutumier et procédant à son application directe, a affirmé avec clarté et avec force le
principe de ces immunités. L’expression la plus claire et la plus récente de cette jurisprudence se
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trouve dans l’important arrêt rendu le 13 mars 2001 par la chambre criminelle de la Cour de
cassation, dans l’affaire dite Khadafi, du nom du chef de l’Etat libyen. Cet arrêt a rappelé que «la
coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’Etat en exercice puissent, en l’absence de
dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites
devant les juridictions pénales d’un Etat étranger» et, il en a déduit que
«en l’état du droit international, le crime dénoncé [il s’agissait, on l’a d’ailleurs
rappelé ce matin, de la complicité de destruction d’un bien en relation avec une
entreprise terroriste], quelle qu’en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au
principe de l’immunité de juridiction des chefs d’Etat étrangers en exercice».
La Cour de cassation affirme ainsi un principe d’immunité qui est absolu puisqu’il ne trouve
aucune exception qui serait tirée de la nature des crimes (c’est-à-dire de leur degré de gravité :
actes de torture, violation du droit humanitaire, etc.). L’arrêt de la Cour mentionne, il est vrai, des
exceptions, je l’ai dit. Mais, il ne peut s’agir, selon les termes mêmes de l’arrêt, que d’exceptions
qui résulteraient de «dispositions internationales s’imposant aux parties concernées». C’est-à-dire
en pratique, il s’agirait de stipulations figurant dans des conventions internationales auxquelles la
France et l’Etat étranger lui-même seraient parties, et qui dérogeraient au principe de l’immunité
des chefs d’Etat. C’est exactement ce qu’a dit ce matin le professeur Decocq et il l’a dit à juste
titre.
33. Monsieur le président, il ressort avec beaucoup de clarté de cette décision que les
juridictions françaises font application de la coutume internationale et, en particulier, du principe
coutumier qui reconnaît aux chefs d’Etat étrangers une immunité de juridiction et d’exécution. Il
n’est pas sans importance de rappeler que notre Cour de cassation a fait application de ce principe
coutumier avant même que votre Cour ne se prononce solennellement sur la question dans l’arrêt
qu’elle a rendu le 14 février 2002 dans l’affaire du Mandat d’arrêt, puisque le raisonnement retenu
par vous dans cette affaire à propos d’un ministre des affaires étrangères vaut à fortiori pour un
chef d’Etat. Il apparaît ainsi de façon évidente que le juge français, qui reconnaissait déjà le
principe de l’immunité des chefs d’Etat étrangers, l’appliquera à l’avenir d’autant plus fermement
qu’il a été réaffirmé avec force par la Cour internationale.
34. Pardonnez-moi, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, d’avoir été sans
doute un peu long dans cet exposé des règles applicables en France à l’engagement et au
- 17 -
déroulement des poursuites pénales. Mais il m’a semblé qu’un tel rappel était nécessaire à une
bonne compréhension des faits de l’espèce, que je vais maintenant m’employer à résumer, en
tâchant d’être plus bref.
II. RAPPEL DES FAITS
35. Le 7 décembre 2001, trois organisations non gouvernementales, la Fédération
internationale des droits de l’homme, l’Observatoire congolais des droits de l’homme et la Ligue
des droits de l’homme ont déposé auprès du procureur de la République de Paris une plainte pour
crimes contre l’humanité et torture visant Messieurs Denis Sassou Nguesso, président en exercice
de la République du Congo, Pierre Oba, ministre de l’intérieur, Norbert Dabira, inspecteur général
des armées et Blaise Adoua, général commandant la garde présidentielle.
36. Cette plainte visait des faits intervenus au cours de l’année 1999 et concernait la
disparition massive d’individus qui avaient fui lors de la guerre civile de 1998. A l’appui de leur
plainte, les associations faisaient état de témoignages et de rapports du Haut Commissariat aux
réfugiés des Nations Unies selon lesquels ces exactions auraient été le fait d’éléments appartenant à
la structure militaire mise en place au Congo. C’est donc en qualité de supérieurs hiérarchiques
que les quatre personnes mentionnées ci-dessus devaient, selon les plaignants, se voir imputer les
crimes commis par leurs subordonnés.
37. S’agissant plus particulièrement du général Dabira, les plaignants soutenaient qu’en
qualité d’inspecteur général des armées, il ne pouvait ignorer les exactions commises par des
éléments de la garde républicaine, de la direction centrale des renseignements militaires, de la
direction de la sécurité militaire, et qu’il n’aurait pris aucune mesure pour mettre fin à de tels
agissements.
38. Les associations se sont adressées au procureur de la République de Paris pour lui
demander d’ouvrir une information judiciaire en invoquant l’article 6 de la convention des
Nations Unies contre la torture de 1984. Je rappelle qu’aux termes de cet article 6 :
«S’il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les
renseignements dont il dispose, tout Etat partie sur le territoire duquel se trouve une
personne soupçonnée d’avoir commis une infraction visée à l’article 4 assure la
détention de cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessaires pour
assurer sa présence…»
- 18 -
Les associations s’appuyaient par ailleurs sur l’article 689-1 du code de procédure pénale que j’ai
mentionné tout à l’heure et qui, dans certaines circonstances, donne compétence au juge français
pour poursuivre et juger les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire de la
République.
39. Le procureur de la République de Paris, auquel la plainte avait été adressée, a transmis
cette plainte au procureur de la République du tribunal de Meaux. Pourquoi ? Parce qu’il a
constaté que, parmi les personnes nommément visées par la plainte, la seule qui était susceptible de
se trouver sur le territoire français était, à première vue, selon les informations dont il pouvait
disposer, le général Dabira. En effet, ce dernier possédait une résidence à Villeparisis, dans la
région parisienne, où semble-t-il, il se rendait régulièrement et où il résidait une partie du temps.
La commune de Villeparisis se trouvant dans le ressort territorial non du tribunal de Paris, mais de
celui de Meaux, le procureur de Paris a donc transmis la plainte à son collègue de Meaux, qui se
trouvait être territorialement compétent pour l’examiner. En effet, dans un cas comme celui qui
nous occupe, la juridiction compétente est, selon la loi française, celle du lieu où réside le suspect,
celle de sa dernière résidence connue ou celle du lieu où il est trouvé (art. 693 du code de procédure
pénale).
40. Le procureur de la République de Meaux a fait procéder à une enquête préliminaire au
cours de laquelle il a, notamment, fait auditionner par la police un certain nombre de témoins. Sur
la base des éléments matériels ainsi rassemblés, il a décidé, le 23 janvier 2002, d’ouvrir une
information judiciaire, c’est-à-dire, je le rappelle, il a décidé de saisir le juge d’instruction du
tribunal. Remarquons bien ici un élément important : bien que la plainte des trois associations ait
visé des personnes nommément désignées, les quatre que j’ai citées, l’information judiciaire a été
ouverte par le procureur contre personne non dénommée («contre X»), son réquisitoire ne vise
personne. Mais, en réalité, cette information judiciaire ne pouvait viser, à ce stade, que le général
Dabira, puisque lui seul paraissait remplir la condition impérative que la loi française met à
l’exercice d’une compétence universelle, à savoir, je le répète et j’y insiste, la présence de l’auteur
supposé de l’infraction sur le territoire français. C’est bien pour cette raison, je viens de le dire,
que la plainte initiale a été examinée par le procureur de Meaux et non par celui de Paris. Il faut
- 19 -
d’ailleurs souligner que ni M. Oba, ni le général Adoua, n’ont fait l’objet d’aucun acte de poursuite
de la part des juridictions françaises.
41. Quelques mois plus tard, le 16 mai 2002, après avoir auditionné plusieurs témoins, les
deux juges d’instruction de Meaux chargés de l’affaire ont demandé à la gendarmerie de Paris
d’interpeller et d’entendre le général Dabira. Sur ces instructions, les gendarmes, le 23 mai, ont
placé le général Dabira en garde à vue pendant une durée de neuf heures trente, et l’ont auditionné.
42. Au terme de sa garde à vue, M. Dabira a été remis en liberté, bien sûr. Quelque temps
plus tard, il a reçu une convocation des juges d’instruction pour être entendu par eux comme
«témoin assisté», le 8 juillet 2002. Il a déféré à cette convocation et a été entendu en présence de
son avocat.
43. A l’issue de cette audition, les magistrats instructeurs ont fait savoir à M. Dabira qu’il
serait convoqué à nouveau le 11 septembre 2002, deux mois plus tard, cette fois-ci pour être mis en
examen. Mais, à cette date, l’intéressé, qui se trouvait au Congo, n’a pas répondu à la convocation
et a fait savoir au chargé d’affaires de l’ambassade de France au Congo, qu’à la suite des
instructions qu’il avait reçues de sa hiérarchie, il estimait ne pas devoir déférer à la convocation des
juges d’instruction français. En particulier, le principe non bis in idem pouvait être, selon lui,
invoqué à l’encontre d’une telle convocation dans la mesure où les juridictions congolaises se
trouvaient dans le même temps saisies des mêmes faits et poursuivaient leur enquête. Je ne dicute
pas ici du bien-fondé de cette allégation.
44. Le 16 septembre 2002, les juges d’instruction, constatant cette situation, ont délivré à
l’encontre du général Dabira un mandat d’amener, c’est-à-dire, comme je l’ai dit tout à l’heure,
l’ordre donné aux agents de la force publique de le conduire devant eux. Les policiers chargés
d’exécuter ce mandat se sont rendus à Villeparisis, où ils ont eu confirmation par l’épouse de
l’intéressé qui s’y trouvait, que M. Dabira n’était plus sur le territoire français et qu’il avait regagné
Brazzaville.
45. En ce qui concerne le président Sassou Nguesso, enfin, il faut souligner que celui-ci n’a
fait l’objet d’aucun acte de procédure d’aucune sorte. Il est vrai que les juges d’instruction ont
exprimé le souhait de l’entendre, non pas par une commission rogatoire donnée à des policiers,
comme il a été dit à tort ce matin, mais dans le cadre de la procédure spéciale prévue à l’article 656
- 20 -
du code de procédure pénale, qui, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, prévoit en pareil cas que les
demandes des juges soient communiquées à leurs destinataires par la voie diplomatique. Cette
demande n’a toutefois pas, à ce jour, été transmise à son destinataire, ce qui d’ailleurs n’est pas
contesté par la partie congolaise; en outre ¾ inutile d’y insister ¾ même si elle l’était, le président
Sassou Nguesso lui donnerait la suite qu’il voudrait.
46. Depuis le 16 septembre 2002, aucun acte d’instruction n’a été accompli à l’encontre du
général Dabira qui, comme je l’ai dit, est la seule personne à l’égard de laquelle les juridictions
françaises ont, à ce jour, compétence dans l’affaire en cause. Voilà les faits.
47. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, en l’état actuel de cette
procédure, existe-t-il une situation d’urgence qui justifierait le prononcé des mesures conservatoires
que réclame l’Etat requérant ? Le simple exposé auquel je viens de procéder suggère clairement
que la réponse est négative. Mais cela va être à présent plus amplement démontré par les
professeurs Pellet et Dupuy. Les conditions que pose votre jurisprudence pour le prononcé des
mesures conservatoires ne sont remplies ni au regard de la prétendue violation du principe
d’immunité des chefs d’Etat étrangers ¾ c’est ce qu’expliquera le professeur Pellet ¾ ni
davantage au regard de la prétendue violation du principe d’égalité souveraine entre les Etats
¾ c’est ce que démontrera le professeur Dupuy. Avec votre permission, Monsieur le président, je
vais donc céder la parole au professeur Alain Pellet. Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Abraham. I now give the floor to Professor Pellet.
M. PELLET :
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, c’est toujours un honneur et un
plaisir d’apparaître devant la Cour; et ce l’est spécialement lorsqu’on a la chance d’y représenter
son propre pays. Je suis honoré; je suis heureux; mais je suis perplexe : la République du Congo a
cru bon d’assortir sa requête d’une demande en indication de mesures conservatoires; mais ses
avocats n’ont pas, ce matin, jugé bon de s’intéresser aux conditions, pourtant très strictes mises par
votre Statut et par votre jurisprudence au prononcé de telles mesures et se sont lancés dans des
plaidoiries au fond, peut-être intéressantes, mais sûrement prématurées.
- 21 -
2. «Cette demande tend», selon ses propres termes, «à faire ordonner la suspension
immédiate de la procédure suivie par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de
Meaux», au prétexte que l’information judiciaire dont se plaint l’Etat requérant «trouble les
relations internationales de la République du Congo» et porte atteinte à son «crédit international».
«De plus», ajoute-t-il, «elle altère les relations traditionnelles d’amitié franco-congolaise». Et, de
conclure : «[s]i cette procédure délétère devait se poursuivre, le dommage deviendrait irréparable».
3. Monsieur le président, Comme l’a dit la Cour permanente, une demande en indication de
mesures conservatoires ne saurait avoir pour effet d’«obtenir un jugement provisionnel adjugeant
une partie des conclusions»2
. C’est évidemment vrai à fortiori lorsque, comme c’est le cas ici, une
telle demande vise, purement et simplement, à préjuger le fond de l’affaire dans son ensemble et les
plaidoiries des avocats du Congo l’ont confirmé ce matin de façon éclatante, puisqu’ils se sont
bornés à plaider exclusivement le fond de l’affaire à l’appui de la demande en indication de
mesures conservatoires. En ce qui nous concerne, il ne s’agit en aucune manière, de montrer
aujourd’hui que la requête de la République du Congo ne repose sur aucun fondement juridique
(contrairement à ce qu’ont affirmé les conseils du Congo ce matin) ¾ ce sera l’objet de la
discussion de l’affaire au fond, il s’agit seulement d’établir que les mesures (largement chimériques
d’ailleurs) dont se plaint l’Etat demandeur ne menacent nullement les droits qu’il entend faire
reconnaître par la Cour.
4. Au surplus et de toute manière, la demande congolaise ne remplit aucune des deux
conditions de fond auxquelles l’indication de mesures conservatoires est subordonnée
conformément à votre jurisprudence constante (je laisse de côté la compétence prima facie de la
Cour, problème qui ne se pose évidemment pas en l’espèce). Les deux conditions de fond que je
viens d’évoquer sont superbement ignorées par la Partie congolaise, à en croire les plaidoiries de ce
matin : pour qu’il y ait lieu à de telles mesures conservatoires, il faut, d’une part qu’un préjudice
irréparable risque d’être causé aux droits en litige et, d’autre part, que leur indication soit urgente.
5. Vous avez, Madame et Messieurs de la Cour, rappelé ces deux conditions à l’occasion du
rejet de la demande en indication de mesures conservatoires formulée par la République
2
Ordonnance du 21 novembre 1927, Usine de Chorzów, C.P.J.I. série A n° 12, p. 10; voir aussi l’ordonnance du
8 décembre 2000, affaire relative au Mandat d'arrêt du 11 avril 2000, demande en indication de mesures conservatoires,
C.I.J. Recueil 2000, par. 72.
- 22 -
démocratique du Congo dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, l’affaire
Yerodia, qui constitue, à maints égards, un précédent particulièrement éclairant pour celle qui nous
réunit aujourd’hui ¾ même si les deux affaires présentent aussi des différences significatives, sur
lesquelles nous aurons l’occasion de revenir.
6. Dans votre ordonnance du 8 décembre 2000, vous avez considéré
«que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que la Cour tient de l’article 41
de son Statut a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des Parties en attendant
qu’elle rende sa décision, et présuppose qu’un préjudice irréparable ne doit pas être
causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire»3
.
C’est l’énoncé de la première condition, celle relative au préjudice irréparable dont l’exigence, que
vous avez fermement et constamment maintenue4
, remonte à la Cour permanente5
.
7. Quant à la seconde condition, celle de l’urgence des mesures à prendre, elle aussi tout ce
qu’il y a de mieux établie6
, vous l’avez également énoncée avec vigueur et clarté dans l’affaire
Yerodia; dans l’ordonnance du 8 décembre 2000 vous avez refusé d’indiquer des mesures
conservatoires : «de telles mesures» avez-vous dit, «ne sont justifiées que s’il y a urgence»7
.
8. Vous avez à nouveau rappelé ces deux exigences dans la dernière en date des ordonnances
en indication de mesures conservatoires que vous avez rendue, le 5 février dernier, dans l’affaire
Avena et autres8
.
3
Par. 69.
4
Voir les ordonnances en indication de mesures conservatoires du 17 août 1972, Compétence en matière de
pêcheries, C.I.J. Recueil 1972, p. 16, par. 21 et p. 34, par. 22; du 22 juin 1973, Essais nucléaires, C.I.J. Recueil 1973,
p. 103, par. 20 et p. 139, par. 21; du 11 septembre 1976, Plateau continental de la mer Egée, C.I.J. Recueil 1976, p. 9,
par. 25 et p. 11, par. 32; du 15 décembre 1979, Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,
C.I.J. Recueil 1979, p. 19, par. 36; du 10 janvier 1986, Différend frontalier, C.I.J. Recueil 1986, p. 8, par. 13; du
29 juillet 1991, Passage par le Grand-Belt, C.I.J. Recueil 1991, p. 16, par. 16; du 8 avril 1993, Application de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, C.I.J. Recueil 1993, p. 19, par. 34 et du
13 septembre 1993, ibid., C.I.J. Recueil 1993, p. 342, par. 35; du 15 mars 1996, Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria, C.I.J. Recueil 1996, p. 21-22, par. 35; du 9 avril 1998, affaire relative à la Convention de Vienne
sur les relations consulaires (Breard), C.I.J. Recueil 1998, p. 257, par. 35-36; du 3 mars 1999, LaGrand,
C.I.J. Recueil 1999, p. 14-15, par. 22 et 23 ou du 1er juillet 2000; Activités armées sur le territoire du Congo, par. 39 et
43.
5
Voir l’ordonnance du 3 août 1932, Statut juridique du territoire sud-est du Groënland, C.P.J.I. série A/B no
46,
p. 287; voir aussi série E, n° 9, p. 110-111.
6
Voir les ordonnances du 29 juillet 1991, Passage par le Grand-Belt, C.I.J. Recueil 1991, p. 17, par. 23; du 15
mars 1996, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, C.I.J. Recueil 1996, p. 21-22, par. 35; du 9
avril 1998, affaire relative à la Convention de Vienne sur les relations consulaires (Breard), C.I.J. Recueil 1998, p. 257,
par. 35; du 3 mars 1999, LaGrand, C.I.J. Recueil 1999, p. 15, par. 22 ou du 1er juillet 2000, Activités armées sur le
territoire du Congo, par. 39 et 43; voir aussi l'ordonnance du 24 octobre 1957, Interhandel, C.I.J. Recueil 1957, p. 112.
7
Par. 69.
8
Pars. 49 et 50.
- 23 -
9. Le Congo, Madame et Messieurs les juges, ne peut se prévaloir d’aucun préjudice
irréparable ni d’aucune urgence pour vous demander d’indiquer quelque mesure conservatoire que
ce soit. Le professeur Dupuy le montrera en liaison avec l’argument de l’Etat défendeur selon
lequel l’exercice supposé par les juridictions françaises de compétences qu’elles se seraient
arrogées à tort porterait prétendument atteinte au principe de l’égalité souveraine. Il m’incombe
t’établir ceci en ce qui concerne la prétendue violation de l’immunité invoquée par le Congo.
10. Comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, Monsieur le président, dans le cadre de la
présente procédure, à la fois exceptionnelle et incidente, il ne serait s’agir d’examiner la substance
de ces deux séries d’arguments contrairement à ce qu’ont cru devoir faire nos collègues de l’autre
côté de la barre. Ces arguments ces moyens, ne seront traités et développés devant la Cour que lors
de la procédure au fond. Comme la haute juridiction l’a relevé dans son ordonnance du 5 février
dernier, en citant sa propre jurisprudence, elle «doit se préoccuper de sauvegarder … les droits que
l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur,
soit au défendeur …, sans qu’il y ait lieu à ce stade de la procédure de prendre parti sur ces
droits»9
. Dès lors, si je mentionne les moyens invoqués dans la requête au principal, c’est
seulement dans la stricte mesure où, s’agissant d’une action destinée à sauvegarder les droits des
parties qui font l’objet du différend, cette requête doit être examinée par référence à la perspective
de dommages dont le requérant prétend ou pourrait prétendre -- il ne prétend plus vraiment -- qu’ils
risqueraient d’affecter ses droits de manière irréparable.
11. A titre liminaire, s’agissant de la prétendue violation des immunités, je relève que l’Etat
demandeur a limité ce moyen au seul chef de l’Etat congolais. Pourtant, même en ce qui concerne
celui-ci, comme je le montrerai dans un premier temps, aucun problème ne peut raisonnablement se
poser à cet égard. Et ce n’est que pour surplus de droit que j’examinerai, dans un second temps, la
situation, au regard des immunités reconnues par le droit international, du ministre de l’intérieur, le
général Oba, que l’Etat demandeur mentionne de manière du reste passablement ambiguë.
9
Ordonnance du 5 février 2003, dans l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains, par. 48 citant
l'ordonnance du 15 mars 1996 rendue dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22, par. 35.
- 24 -
I. LE PRÉSIDENT SASSOU NGUESSO
12. En ce qui concerne le président Sassou Nguesso, la République du Congo impute à la
République française de violer «l’immunité d’un chef d’Etat étranger, reconnue par la
jurisprudence de la Cour»10
.
13. Une chose doit être claire d’emblée : la France ne nie en aucune manière que le président
Sassou Nguesso bénéficie, en tant que chef d’un Etat étranger, «d’immunités de juridiction, tant
civiles que pénales»11. Du reste, la jurisprudence française citée d’abondance ce matin tant par le
professeur Decocq que par le recteur Zorgbibe, devrait suffire, si besoin était, à rassurer la Partie
congolaise sur ce point. Mais, malgré les dires du demandeur, ces immunités que la France
reconnaît ne sont ni violées, ni menacées par les non-mesures en cause.
14. Dans sa requête, la République du Congo reconnaît expressément que
«S. Exc. Mnosieur Denis Sassou Nguesso [n’a] été ni visé nommément par les réquisitoires [du
procureur de la République], ni mis en examen, ni convoqué comme témoin assisté»12. La seule
mesure dont il aurait pu être l’objet aurait consisté en une invitation à témoigner qui, du reste,
comme l’a expliqué l’agent de la France il y a quelque instant, ne lui a jamais été transmise, ce que
l’Etat demandeur ne conteste d’ailleurs pas13. Mais là n’est pas l’essentiel.
15. Il importe en effet de rappeler qu’en vertu du premier alinéa de l’article 656 du code de
procédure pénale français, qu’a déjà lu l’agent de la France mais il est suffisamment important pour
que je le relise, il ne pourrait s’agir en tout état de cause que d’une simple invitation : «La
déposition écrite d’un représentant d’une puissance étrangère est demandée par l’entremise du
ministre des affaires étrangères. Si la demande est agréée, cette déposition est reçue par le premier
président de la cour d’appel ou par le magistrat qu’il aura délégué»14
.
16. Il va de soi qu’une telle disposition exclut toute possibilité d’atteinte aux immunités d’un
chef d’Etat étranger : représentant par excellence «d’une puissance étrangère», celui-ci peut, à sa
discrétion, agréer (ou non) la demande d’audition et il va de soi, comme l’a expliqué M. Abraham,
10 Requête, p. 6, B.
11 Arrêt du 14 février 2002, affaire relative au Mandat d'arrêt du 11 avril 2000, C.I.J. Recueil, par. 51.
12 P. 9, point 2.
13 Ibid. et p. 6 in fine.
14 Les italiques sont de nous.
- 25 -
que le juge qui demanderait un témoignage au titre de cette disposition par l’entreprise du ministère
des affaires étrangères, ne peut que s’incliner en cas de refus.
17. On ne saurait dès lors parler d’«acte d’autorité» faisant obstacle à l’exercice des
fonctions du président Sassou Nguesso comme le fait la requête de la République du Congo à
propos d’une prétendue convocation de celui-ci comme témoin15 et l’image, évoquée ce matin par
le professeur Decocq, d’un chef d’Etat (français ou étranger) attrait menotté devant le juge relève
du pur fantasme. Quand bien même une invitation à déposer serait transmise à M. Sassou Nguesso,
il n’en résulterait aucune atteinte à l’immunité de juridiction que la République française, je l’ai dit,
lui reconnaît sans équivoque. Il ne pourrait, s’il le souhaite, n’en tenir aucun compte.
18. Au fond, l’article 656 porte en lui-même sa propre mesure conservatoire : il donne par
avance au chef de l’Etat congolais l’assurance qu’il ne sera pas porté atteinte aux immunités dont il
bénéficie puisque la décision d’apporter ou non son témoignage lui appartient et n’appartient qu’à
lui. L’objet même de cette disposition est justement de s’assurer du respect de l’immunité.
19. Dans ces conditions, le Congo ne peut redouter la survenance d’aucun dommage
irréparable, pas même celle d’aucun dommage «tout court» : la demande d’audition dont il se plaint
ne peut avoir aucune suite concrète sans l’acceptation expresse du chef de l’Etat congolais.
20. Monsieur le président, la France a, par respect envers la haute juridiction et par courtoisie
envers la République du Congo, accepté la compétence de la Cour aux fins de la présente affaire et
elle ne saurait remettre cette acceptation en cause. Il reste que, comme dans toute affaire soumise à
la haute juridiction, les prétentions de l’Etat demandeur doivent avoir un minimum de
vraisemblance, faute de quoi non seulement elles devront être rejetées au fond, mais aussi,
d’emblée, toute mesure conservatoire ne peut qu’être refusée. En l’occurrence, la mesure sollicitée
par le Congo ne pourrait être indiquée que si et dans la mesure où un acte de procédure allégué
pouvait lui causer, à lui Congo, un préjudice irréparable en menaçant la jouissance d’immunités
internationalement reconnues. Or, de manière significative, le Congo n’invoque le moyen tiré de la
violation de telles immunités qu’à propos du président Sassou Nguesso et de lui seul16. Et lui seul
en jouit en effet parmi les personnalités mises en cause ou susceptibles de l’être. Or les immunités
15 Requête, p. 9.
16 Cf. requête, p. 6, B.
- 26 -
dont bénéficie le chef de l’Etat congolais et que, je le redis, la France ne remet nullement en cause,
comme la jurisprudence citée ce matin par les avocats du Congo l’établit à suffisance, ces
immunités du chef de l’Etat congolais ne peuvent raisonnablement être considérées comme étant
menacées par un acte de procédure quel qu’il soit : le président Sassou Nguesso n’a été l’objet
d’aucun acte de ce genre et ses immunités ne pourraient, à l’avenir, être remises en cause par
aucun : le droit français l’exclut.
II. LA SITUATION DU MINISTRE DE L’INTÉRIEUR OBA ET DES GÉNÉRAUX ADOUA ET DABIRA
AU REGARD DE L’IMMUNITÉ DE JURIDICTION
21. Monsieur le président, comme l’agent de la République française l’a montré (et,
d’ailleurs, de l’aveu même de la République du Congo17) la procédure contestée résulte d’une
plainte visant quatre personnes : le président Sassou Nguesso dont je viens d’évoquer la situation
au regard de l’immunité de juridiction, le général Pierre Oba, ministre de l’intérieur, de la sécurité
publique et de l’administration du territoire, le général Norbert Dabira, inspecteur général des
forces armées congolaises et le général Blaise Adoua, commandant de la garde présidentielle. Il
paraît, prima facie, très évident qu’aucune des trois dernières personnalités que j’ai mentionnées ne
bénéficie de quelque immunité internationale que ce soit à raison de ses fonctions. L’Etat
demandeur en semble du reste d’accord puisqu’il limite explicitement l’objet du second moyen de
sa requête à «la violation de l’immunité d’un chef d’Etat étranger»
18, ce qui exclut les autres
personnalités en cause.
22. Toutefois, non sans ambiguïté, le Congo, dans la foulée de son premier moyen -- celle
concernant l’exercice de la compétence des juridictions françaises --, invite également la Cour, , «à
reconnaître au ministre de l’intérieur, pour les faits qui ressortissent à l’exercice de ses fonctions de
maintien de l’ordre public, une immunité de la nature de celle dont bénéficie, pour d’autres raisons,
le ministre des affaires étrangères»19. Il n’en est rien. Un ministre de l’intérieur n’est pas un
ministre des affaires étrangères.
17 Cf. requête, p. 3.
18 Ibid., p. 6.B.
19 Ibid., 6.
- 27 -
23. Comme l’a Cour l’a rappelé dans son arrêt rendu le 14 février 2002 dans l’affaire
Yerodia, les immunités reconnues à un ministre des affaires étrangères ne lui sont accordées que
«pour lui permettre de s’acquitter librement de ses fonctions pour le compte de l’Etat qu’il
représente»; le professeur Decocq a du reste cité ceci ce matin. C’est seulement parce qu’il «assure
la direction de l’action diplomatique de son gouvernement et le représente généralement dans les
négociations internationales et les réunions intergouvernementales» et parce que, «[d]ans l’exercice
de ses fonctions, il est fréquemment appelé à se déplacer à l’étranger et doit dès lors être en mesure
de le faire librement dès que la nécessité s’en fait sentir»20, c’est seulement pour cela disai-je que la
Cour a conclu «que les fonctions d’un ministre des affaires étrangères sont telles que, pour toute la
durée de sa charge, il bénéficie d’une immunité pénale et d’une inviolabilité totales à l’étranger»21
.
24. Ces considérations ne sont bien sûr pas transposables s’agissant d’un ministre de
l’intérieur, dont, par définition même, les fonctions sont essentiellement internes et ne sont pas,
pour reprendre à nouveau les termes de votre ordonnance du 8 décembre 2000, «exposées à des
déplacements fréquents à l’étranger»22. Il va sans dire que de telles fonctions n’impliquent
nullement par elle-mêmes que l’intéressé soit libre de se rendre dans n’importe quel pays étranger à
sa simple convenance.
25. Il est du reste très significatif que, toujours dans l’affaire Yerodia, vous ayiez, Madame et
Messieurs les juges, fermement refusé de faire droit à la demande en indication de mesure
conservatoire présentée par la République démocratique du Congo tendant «à faire ordonner la
mainlevée immédiate du mandat d’arrêt litigieux»23
.
26. Pour ce faire, il vous a suffi de constater qu’à la suite d’un remaniement ministériel,
«M. Yerodia Ndombasi a cessé d’exercer les fonctions de ministre des affaires étrangères et s’est
vu confier celle de ministre de l’éducation nationale, moins exposée à des déplacements fréquents à
l’étranger». En conséquence, vous avez considéré qu’il n’était «pas établi qu’un préjudice
irréparable pourrait être causé dans l’immédiat aux droits du Congo et que le degré d’urgence soit
20 Par. 53.
21 Par. 54.
22 Par. 72.
23 Par. 11.
- 28 -
tel qu’il y ait lieu de protéger ces droits par l’indication de mesures conservatoires»24. Ces
considérations valent en tous points pour un ministre de l’intérieur, en l’espèce le général Oba.
27. Elles valent à fortiori pour le général Adoua, commandant de la garde présidentielle, ou
pour le général Dabira, inspecteur général des forces armées.
28. J’ajoute que des déplacements à l’étranger d’aucune de ces trois personnalités ne sont
d’ailleurs exclus, y compris en ce qui concerne le général Dabira, qui, seul, a fait l’objet d’actes de
procédure. Contrairement à ce qui était le cas s’agissant de M. Yerodia25, aucun mandat
international n’a été lancé contre M. Dabira. Et, si celui-ci ne souhaite pas déférer à la convocation
de la justice française, libre à lui d’éviter de se rendre en France où ses fonctions ne l’appellent
assurément pas, même si l’on peut regretter qu’il se soustraie (ou qu’il soit soustrait) à des
investigations dont il dit n’avoir rien à redouter.
29. Quant aux généraux Adoua et Oba, ils n’ont, à ce jour, fait l’objet concrètement d’aucun
acte de procédure et rien ne dit qu’il doive en aller différemment à l’avenir si bien que nous
sommes en pleine hypothèse d’école. La Cour ne saurait ordonner à la France, à ce stade de la
procédure, de ne pas prendre de mesures purement hypothétiques : de telles circonstances, ou,
plutôt, une telle absence de circonstances concrètes, n’exige assurément pas l’indication de mesures
conservatoires. Comme l’a rappelé la Cour avec netteté dans l’affaire du Cameroun septentrional,
«un tribunal n’a pas simplement pour fonction de fournir une base d’action politique alors
qu’aucune question juridique concernant des droits effectifs n’est en jeu»26. Cette considération
s’impose avec plus de force encore s’agissant d’une demande en indication de mesures
conservatoires, procédure dont la Cour permanente a souligné dès 1927 «la nature
exceptionnelle»27. Vous l’avez dit à plusieurs reprises : «la simple possibilité d’une … atteinte à
des droits en litige ne suffit pas à justifier l’exercice du pouvoir exceptionnel d’indiquer des
24 Par. 72.
25 Voir l’ordonnance du 9 décembre 2000, affaire relative au Mandat d'arrêt du 11 avril 2000, par. 7 (citant le
chiffre II de la requête de la République démocratique du Congo); voir aussi l’opinion dissidente du juge Rezek, par. 6.
26 Arrêt du 2 décembre 1963, C.I.J. Recueil 1963, p. 37; voir aussi l’ordonnance du 11 septembre 1976, préc.
27 Ordonnance du 21 novembre 1927, Usine de Chorzów, C.P.J.I. série A no
12, p. 10.
- 29 -
mesures conservatoires que la Cour tient de l’article 41 du Statut»28. En tout état de cause, par
définition même, l’existence d’un simple risque, ici très, très éventuel, est incompatible avec l’idée
même d’urgence.
30. Du reste, si la situation venait à changer, il serait toujours loisible au Congo d’introduire
une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires comme le prévoit expressément
l’article 75, paragraphe 3, de votre Règlement, même si, pour les raisons que j’ai dites, j’ai quelque
doute sur le fait que les données juridiques pourraient s’en trouver substantiellement modifiées.
31. Cependant, dans l’affaire Yerodia, la Cour s’est refusée à indiquer les mesures
conservatoires demandées par la République démocratique du Congo du fait, je l’ai rappelé, que
l’impossibilité de voyager à l’étranger, qui résultait d’un mandat d’arrêt international lancé contre
un ancien ministre des affaires étrangères devenu entre temps ministre de l’éducation nationale, ne
causait pas un préjudice irréparable et immédiat aux droits de la République démocratique du
Congo et que cette demande ne présentait pas un degré d’urgence tel que des mesures de ce type se
seraient imposées. Il en va à fortiori ainsi dans la présente affaire :
¾ primo, les fonctions du général Oba, ministre de l’intérieur, pas davantage que celles des
généraux Adoua et Dabira, ne présentent pas non plus un caractère essentiellement
international;
¾ secundo, ces personnes ne sont guère, ou pas, «exposées à des déplacements fréquents à
l’étranger» à raison de leurs fonctions;
¾ et, tertio, ces fonctions ne leur confèrent aucune immunité à l’égard de la France.
Au surplus,
¾ et quatrièmement, deux de ces personnalités, les généraux Adoua et Oba, n’ont fait l’objet
d’aucun acte d’instruction;
¾ et cinquièmement, le mandat d’amener visant la troisième, le général Dabira, n’a pas été
diffusé internationalement et ne peut pas l’être.
32. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, des mesures conservatoires ne
se justifient que pour préserver des droits, et des droits appartenant à l’Etat demandeur ¾ pas les
28 Ordonnance du 11 septembre 1976, Plateau continental de la mer Egée, C.I.J. Recueil 1976, p. 11, par. 32; voir
aussi les ordonnances du 24 octobre 1957, Interhandel, C.I.J. Recueil 1957, p. 112 ou du 29 juillet 1991, Passage par le
Grand-Belt, C.I.J. Recueil 1991, p. 18, par. 27.
- 30 -
droits ou les intérêts de l’un de ses ressortissants. En l’espèce, le Congo ne peut se prévaloir
d’aucun droit lui appartenant. Le chef de l’Etat congolais bénéficie d’immunités de juridiction et
d’exécution ¾ la France ne les remet pas en question, n’entend pas les remettre en question et, au
surplus, ne dispose pas ou ne disposerait pas, dans son «arsenal juridique» de la possibilité de le
faire. Les autres personnes concernées, trois généraux investis de fonctions orientées vers les
affaires intérieures, ne jouissent pas de telles immunités à l’égard de la France; un seul a fait l’objet
de mesures effectives de procédure et, de toutes manières, ces mesures qui peuvent valoir quelques
désagréments privés à l’intéressé, ne portent pas la moindre atteinte à un droit quelconque de l’Etat
congolais et ne sauraient dès lors justifier l’indication de mesures conservatoires par la Cour.
Madame et Messieurs les juges, je vous remercie de votre attention. Je vous prie,
Monsieur le président, de bien vouloir donner la parole à mon collègue et ami Pierre-Marie Dupuy
qui montrera qu’en outre l’exercice éventuel des compétences leur appartenant par les juridictions
françaises ne saurait davantage causer dans l’urgence, un dommage irréparable à un droit de l’Etat
congolais. Merci beaucoup.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. I now give the floor to Professor Dupuy.
M. DUPUY :
L’EXERCICE DE LA COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES ET
LA DEMANDE D’INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
FORMULÉE PAR LA RÉPUBLIQUE DU CONGO
1. C’est avec un plaisir particulier, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges,
que je m’adresse à vous aujourd’hui, au nom de la République française. Elle a voulu reconnaître
votre compétence dans une affaire à laquelle elle était conviée par la République du Congo, sur le
fondement très inhabituel de l’article 38, paragraphe 5, de votre Règlement. C’est ainsi pour moi
un honneur considérable d’être associé ¾ et j’en remercie le Gouvernement de la République ¾ à
une procédure manifestant de façon singulière l’attachement de mon pays à la justice
internationale.
- 31 -
2. Comme l’avait en effet déjà dit la Cour permanente de Justice internationale, il y a lieu, en
effet, de ne jamais oublier, «la nature exceptionnelle de la procédure d’indication de mesures
conservatoires»29
.
Tout dépend, dans le droit gouvernant cette procédure incidente, des circonstances de
l’affaire. Or, dans celle qui oppose la République du Congo à la République française, ces
circonstances, rapportées aux termes de la requête du demandeur, n’exigent nullement que la Cour
ordonne des mesures conservatoires.
3. Il en va particulièrement ainsi, on vient de le voir, pour ce qui concerne un aspect tout à
fait essentiel de la requête congolaise : celui d’après lequel la procédure judiciaire française visée
par le demandeur porterait atteinte à l’immunité du président Sassou Nguesso, chef d’Etat en
exercice.
Comme il vient de le rappeler mon ami Alain Pellet, aucun élément du dossier ne laisse
penser que le procureur de la République de Meaux ou les magistrats instructeurs aient oublié que
le statut d’un président de la République en exercice lui confère, en droit international comme en
droit français, des immunités de juridiction. N’ayant pas subi de dommage, n’étant susceptible
d’en souffrir aucun, dans un avenir proche ou éloigné, tant qu’il exercera les fonctions qui sont les
siennes, on ne voit pas quel serait l’objet de mesures conservatoires le concernant. Et, puisque
aucun dommage potentiel ne saurait l’affecter, aucun non plus ne saurait affecter, à travers sa
personne, «le crédit international du Congo».
Pour ma part, je n’examinerai donc plus le cas du président de la République du Congo.
J’analyserai seulement celui des autres personnes citées dans la requête du demandeur, en relation
avec l’exercice par la France de ses compétences judiciaires. Or, le texte de la requête fait, ensuite,
plus particulièrement état de trois noms; ceux de MM. Oba, Dabira et Adoua,
I. ARTICULATION DES TERMES DE LA REQUÊTE AU PRINCIPAL ET DE
LA DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
4. Dans cette requête,
«il est demandé à la Cour de dire que la République française devra faire annuler les
actes d’instruction et de poursuite accomplis par le procureur de la République près
29 Affaire de l’Usine de Chorzów, ordonnance du 21 novembre 1927, C.P.J.I. série A n°12, p. 10.
- 32 -
le tribunal de grande instance de Paris, le procureur de la République près le tribunal
de grande instance de Meaux et les juges d’instruction de ces tribunaux»30
.
5. Si l’on rapporte à présent les termes de la requête à ceux de la demande en indication de
mesures conservatoires, on constate que l’Etat requérant prie la Cour d’«ordonner la suspension
immédiate de la procédure suivie par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de
Meaux».
6. Eu égard à l’objet qui leur est assigné, les mesures conservatoires, mon prédécesseur à
cette barre l’a déjà suffisamment rappelé, sont liées à deux éléments substantiels : d’une part, à la
création d’un dommage de caractère irréparable, et, d’autre part, à la nécessité urgente de prévenir
ce dommage. Aucune de ces deux conditions ne se rencontre ici.
Toutefois, avant de le constater, une mise au point préalable doit être faite : la Cour dispose
en la matière d’une liberté totale, y compris dans la détermination des mesures dont elle pourrait
juger qu’elles s’imposent; mais quoi qu’il en soit, fût-ce pour s’en affranchir, la Cour ne peut
manquer de partir des termes mêmes de la demande en indication de mesures conservatoires. Or
ces termes sont très imprécis Monsieur le président et cette imprécision mérite d’être analysée,
puisqu’elle affecte l’objet même de la demande. Nous commencerons donc par cet examen, avant
de revenir à la considération des dommages dont le Congo prétend qu’ils pourraient l’affecter.
II. A PROPOS DES CARACTÈRES DE LA DEMANDE EN INDICATION DE MESURES
CONSERVATOIRES FORMULÉE PAR LA RÉPUBLIQUE DU CONGO
7. On ne peut qu’être frappé, par la nature extrêmement générale sinon vague et
approximative du préjudice allégué par le demandeur : «trouble» apporté aux relations
internationales de la République du Congo, «atteinte à l’honneur du chef de l’Etat, du ministre de
l’intérieur et de l’inspecteur général des armées, et, par là même, au crédit international du Congo»;
altération enfin des «relations traditionnelles d’amitié franco-congolaise».
8. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, il me semble que l’on peut
légitimement s’interroger sur le bien-fondé sinon même sur le sérieux de telles allégations. Elles
partent, en effet, au moins de deux présomptions erronées.
30 Requête, p. 2.
- 33 -
En premier lieu, ces allégations reposent explicitement sur un présupposé formulé sans
aucune espèce de preuve : le «mépris des dispositions de la loi française sur le secret de
l’instruction» !
Il y a là une sérieuse confusion. La requête congolaise s’appuie, en effet, sur une
assimilation abusive entre, d’une part, l’écho, d’ailleurs très relatif, donné à une procédure
judiciaire, engagée jusqu’ici essentiellement contre un seul citoyen congolais, le général Dabira, et,
d’autre part, ce qui n’a pas eu lieu, mais aurait pu, la divulgation par l’autorité judiciaire de faits
qui auraient du rester secrets. Or, il n’en est rien. Certains médias français ont, certes, rapporté
l’information que des associations de défense des droits de l’homme avaient introduit une action
visant sur le territoire français les auteurs ou responsables supposés de faits s’étant déroulés dans la
République du Congo. Il s’agit là d’une donnée simple, dont, au demeurant, l’écho rencontré dans
les médias reste limité et n’est certainement pas de nature à créer un préjudice, encore moins un
préjudice irréparable à la République du Congo. L’instruction judiciaire dont il s’agit est en cours,
elle l’est dans le respect du secret qui doit l’entourer, sans remous ni rumeurs.
9. Au demeurant, et c’est là la seconde confusion faite dans la demande incidente qu’il
convient de dénoncer, c’est ici le moment de rétablir une distinction majeure : celle qui doit être
faite, en droit, entre l’éventualité d’un dommage aux personnes et celle d’un dommage à l’Etat.
Une question est, en effet, de savoir si, du fait des procédures en cours, tel ou tel ressortissant
congolais est susceptible de ressentir une gêne, une entrave, voire un préjudice personnel.
Une autre question, tout à fait distincte, est celle de savoir si les risques de tels dommages
aux personnes, à supposer qu’ils soient établis, affectent en propre l’Etat congolais, par delà la
personne de ses ressortissants.
10. Ce n’est pas parce que, l’un ou l’autre, M. Dabira, M. Oba voire M. Adoua auraient ou
seraient sur le point de ressentir un quelconque dommage que ce dernier affecterait nécessairement,
et par lui-même, la République du Congo. Il n’y a nul lien obligatoire ou automatique entre
dommage aux personnes et dommage à l’Etat dont elles sont ressortissantes. Ce que vise la
demande en mesures conservatoires, ce sont les dommages au Congo; pas forcément à des
Congolais.
- 34 -
Le préjudice éventuel atteignant les seconds n’affecterait également leur Etat de nationalité
que si le fonctionnement de ce dernier se trouvait entravé par la procédure qui frappe ces
personnes.
Or, comme l’a rappelé Alain Pellet il y a un instant, ni la situation statutaire ni les fonctions
des personnes précitées n’appellent leurs déplacements fréquents à l’étranger. Dans ces conditions,
le précédent constitué, dans la jurisprudence de la Cour, par le refus d’indiquer des mesures
conservatoires à l’égard de M. Yerodia dès lors qu’il n’exerçait plus lui même de fonctions
requérant des déplacements fréquents hors de son territoire est ici parfaitement transposable.
11. J’appelle en effet votre attention, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges,
sur le fait suivant : au début de l’affaire précitée, l’affaire Yerodia, c’est-à-dire au moment où le
requérant d’alors sollicitait la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, il n’avait pas encore
amputé sa requête au fond de l’un des deux griefs formulés à l’égard de la Belgique; à savoir
l’exercice par ce pays, à l’encontre de M. Yerodia, d’une action judiciaire sur le fondement de la
compétence personnelle.
A l’époque où la République démocratique du Congo priait la Cour de suspendre les
procédures judiciaires en cours dans le Royaume de Belgique, elle visait, conjointement, au fond, et
le manquement allégué aux immunités de M. Yerodia et l’exercice à son endroit de la compétence
des juridictions belges.
12. Cela permet d’observer qu’en dépit des différences importantes, et même fondamentales,
qui existent entre les deux affaires quant au fond, il est tout à fait pertinent, en ce qui concerne la
question liminaire de la demande de mesures conservatoires, de constater que la Cour n’avait
nullement jugé, au stade initial de l’affaire du mandat d’arrêt, que le déroulement d’une procédure
judiciaire en Belgique justifiât par lui-même l’indication de telles mesures. On ne voit pas
pourquoi il en irait autrement aujourd’hui. Dépourvue de pertinence sur le fond, la référence à la
jurisprudence Yerodia est au contraire totalement pertinente quant au constat de l’existence de
raisons susceptibles de justifier l’indication de mesures conservatoires.
Voyons, au demeurant, ce qu’il en est des procédures, ou, plus exactement, de l’unique
procédure dont il s’agit. On verra qu’elle n’est susceptible de provoquer aucun dommage du type
de ceux qui justifient l’ordonnance de telles mesures.
- 35 -
III. SUR LE CARACTÈRE PRÉTENDUMENT «IRRÉPARABLE» DE DOMMAGES,
EFFECTIFS OU VIRTUELS
A. L’exigence d’un dommage proprement irréparable comme fondement en la matière
13. Cela ressort, par exemple, des demandes sollicitées dans différentes affaires telles que
celle des Essais nucléaires (Australie c. France)31, de l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie)32, de
l’affaire Bréard33, de l’affaire LaGrand34, ou, tout récemment encore, de l’affaire Avena35
.
Selon une jurisprudence remontant à la Cour permanente de Justice internationale, jamais
démentie par la suite, un préjudice «irréparable» est constitué par celui «qui ne saurait être réparé
moyennant le versement d’une simple indemnité ou par une autre prestation matérielle»36. Ainsi en
est-il, par exemple, d’un conflit armé susceptible de porter atteinte à l’indépendance ou à l’intégrité
territoriale d’un Etat37 ou exposant à de graves dangers les personnes, les biens et les ressources se
trouvant dans la zone de conflit38
.
14. En conformité avec la même ratio legis est également qualifié d’irréparable par la Cour
un préjudice né d’actes de génocide ou, comme dans l’affaire relative au Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran, d’autres faits menaçant la vie de plusieurs ressortissants de
l’Etat demandeur39. On en trouve encore le témoignage dans les affaires Bréard40
, LaGrand41 ou,
Avena42
.
31 Ordonnance du 2 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 103.
32 Ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 19, par. 34.
33 Ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 10, par. 36.
34 Ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 15, par. 23.
35 Ordonnance du 5 février 2003, par. 49.
36 Ordonnances des 8 janvier, 15 février et 18 juin 1927 dans l’affaire de la Dénonciation du traité sino-belge du
2 novembre 1865, C.P.J.I. série A n° 8, p. 7.
37 Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), ordonnance du 10 mai 1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 11, par. 33; affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), ordonnance du 15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996, p. 22, par. 42;
affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 1.
38 Affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), ordonnance du 10 janvier 1986,
C.I.J. Recueil 1986, p. 10, par. 21; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c. Ouganda), ordonnance du 1er juillet 2000, par. 43.
39 Ordonnance du 15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 20, par. 42.
40 Ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 246.
41 Ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 7.
42 Ordonnance du 5 février 2003 (http// :www. icj-cij.org).
- 36 -
15. Mais les exemples qui précèdent suffiraient à justifier la conclusion suivante : en
appréciant librement les circonstances propres à chaque espèce, la Cour ne consent à ordonner des
mesures conservatoires que lorsque la probabilité du risque paraît «sérieuse»43
.
Qui plus est, le danger, lui aussi qualifié de «sérieux» par la Cour, lorsqu’il est constaté, ne
doit concerner que la création de dommages «graves». C’est ce que dit votre jurisprudence, par
exemple, dans l’affaire de l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, lorsqu’elle constate qu’il «existe un risque grave que des actes de génocide
soient commis»44. La «gravité» ainsi requise du préjudice ouvrant droit à mesures conservatoires
est, du reste, logiquement associé à son caractère irréparable.
B. Absence d’une éventualité de la création d’un dommage «grave»
16. Sommes nous, alors, dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui en présence d’un
dommage «grave» ou même seulement du «risque sérieux» d’un tel préjudice ? Est-ce qu’en
d’autres termes, et très concrètement, on est confronté, comme dans les exemples empruntés plus
haut, à une situation pouvant mettre en cause la vie ou la sécurité des personnes ?
S’agit-il d’éviter un génocide, une exécution capitale ou, comme dans l’affaire du
Grand Belt, d’écarter le danger d’entrave apportée à la liberté du passage innocent de centaines de
navires à travers un détroit international ?
17. Point du tout ! La personne du président Sassou Nguesso étant de toute façon hors de
cause, examinons, tour à tour, et toujours sous la réserve de la distinction entre dommage aux
personnes et dommage à l’Etat, le cas du général Dabira, celui de M. Oba auquel on peut assimiler
celui de son collègue le général Adoua, dont on trouve également le nom dans la requête
congolaise.
18. On rappellera tout d’abord et cela est très important que la France n’a pris aucun acte
susceptible d’entraver le déroulement de la procédure qui se déroule actuellement dans la
République du Congo en relation avec les mêmes faits que ceux qui intéressent la procédure
française. Aucun acte émanant de l’autorité judiciaire française n’a eu pour conséquence d’avoir
43 Affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, ordonnance du 15 décembre 1979,
C.I.J. Recueil 1979, p. 20, par. 42.
44 Ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, par. 45 et 48.
- 37 -
effet sur le territoire de la République du Congo. On ne saurait par conséquent voir dans la
procédure en cours devant une juridiction française un obstacle au libre exercice de ses
compétences judiciaires par l’Etat congolais; ni bien entendu une atteinte au principe de l’égalité
souveraine dont cet Etat, comme tout autre, est bénéficiaire. Au demeurant, contrairement à ce qui
a été dit ce matin, le déroulement de deux procédures judiciaires, dans deux ordres juridiques
distincts, ne constitue en rien une violation de la règle non bis in idem.
19. Pour ce qui concerne le général Dabira, qui finalement est le seul ici concerné, les faits
à examiner vous ont déjà été présentés, je serai donc rapide.
Le 23 janvier 2002, le procureur de la République de Meaux, territorialement compétent,
requérait l’ouverture d’une information judiciaire contre personne non dénommée (communément
appelée réquisitoire introductif contre X). En application des dispositions de l’article 80 du code de
procédure pénale, en effet, le magistrat instructeur ne peut informer qu’en vertu d’un réquisitoire
introductif du procureur de la République; et celui-ci est libre d’ouvrir une information contre X ou
contre personne dénommée.
20. En l’occurrence, c’était bien le général Dabira et lui seul qui était visé par la poursuite.
C’est ce qui résulte, en particulier du fait que le parquet de Paris, initialement saisi, se soit
ultérieurement dessaisi au profit de celui de Meaux; ceci, eu égard à la présence sur le territoire
national de M. Dabira qui se rendait à une résidence qu’il possède à Villeparisis.
Ses droits ont, du reste, été pleinement respectés, tant au cours de la garde à vue dont il a fait
l’objet le 23 mai 2002, que lors de son interrogatoire, en qualité de témoin assisté, le 8 juillet 2002,
devant les magistrats instructeurs. Son avocat, préalablement à ce dernier interrogatoire, a eu accès
au dossier, et il était présent ce jour-là aux côtés de son client, conformément aux dispositions de
l’article 114 du code de procédure pénale. Dans la suite de la procédure, les magistrats instructeurs
durent constater le refus du général Dabira de répondre à une nouvelle convocation en qualité de
témoin assisté, le 16 septembre 2002. Ils ont alors délivré contre lui un mandat d’amener. Or, un
mandat d’amener ne peut pas être diffusé sur le plan international, que ce soit dans le cadre des
accords de Schengen entre Etats européens45 ou par Interpol; seul un mandat d’arrêt peut l’être.
45 Les accords de Schengen sont en vigueur entre les Etats suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark,
Espagne, Finlande, Grèce, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Suède.
- 38 -
21. Or, il résulte de ces éléments qu’en l’état actuel de la procédure, ce n’est que la France
que le général Dabira serait incité à éviter par la procédure dont il y est l’objet. Encore cette
incitation n’est-elle que relative. Qu’adviendrait-il, en effet, si M. Dabira décidait pourtant de venir
en France ? Il se verrait, alors, notifier qu’il est mis en examen. Pour autant, cette mise en examen
ne serait pas nécessairement accompagnée d’une mise en détention et l’on ne saurait prédire ce
qu’il ferait sans tomber dans le domaine de la spéculation pure et simple. On en peut pas prédire ce
que décidera le juge. On ne prononce pas non plus des mesures conservatoires sur la base de
simples spéculations.
Notons, pour finir sur le cas de M. Dabira, que ce dernier ne risque, en tout cas,
certainement pas d’être envoyé en France contre son gré. Faut-il le rappeler, le Congo n’extrade
pas ses nationaux. C’est ce qui résulte de l’article 59 de la convention franco-congolaise de
coopération en matière judiciaire, signée à Brazzaville le 1er janvier 1974.
22. Sans nier, en conséquence, que le général Dabira puisse trouver dans l’existence de la
procédure en cours un certain désagrément, il apparaît à la République française que l’on ne saurait
voir dans la gêne entraînée par le fait de ne pouvoir se rendre en France aussi librement qu’il le
voudrait un dommage grave et irréparable, comparable à ceux dont on a vu plus haut qu’ils étaient
apparus à la Cour susceptibles de justifier l’indication de mesures conservatoires. Au demeurant, à
supposer qu’un tel dommage existe, il conserverait un caractère purement personnel.
23. Le cas de M. Pierre Oba, ministre de l’intérieur de la République du Congo, paraît
encore moins susceptible d’appeler la prise de mesures conservatoires. Il est en effet tout à fait
distinct de celui du général Dabira. M. Oba pas plus que M. Adoua d’ailleurs n’ont fait l’objet
d’aucune mesure d’instruction par un magistrat français. On trouve simplement le nom de M. Oba
mentionné dans la plainte présentée par les organisations non gouvernementales devant le
procureur de la République. On ne trouve son nom, en revanche, ni dans le réquisitoire introductif
du procureur, ni dans aucun acte accompli à sa suite par les magistrats instructeurs.
Au demeurant, et tout à l’inverse du général Dabira, les généraux Adoua et Oba ne justifient
d’aucun lien de rattachement territorial avec la France; pour que les juridictions françaises puissent
exercer leur compétence, chacun d’entre eux devrait, par conséquent, faire l’objet d’un nouveau
réquisitoire du procureur, le désignant nominalement. Et ce réquisitoire bien entendu ne pourrait
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de toute façon être pris que sur la base d’un constat préalable : celui de la présence du général Oba
ou du général Adoua sur le territoire de la République française.
24. Si telle était la situation, M. Oba ou son collègue pourraient alors, tout comme le
général Dabira, soit éviter tout dommage en décidant de ne pas se rendre en France, soit, en s’y
rendant, se voir éventuellement appelé à comparaître devant le juge, voire à être mis en examen.
Mais, encore une fois, ne nous laissons pas bercer par des horizons chimériques : une telle mise en
examen n’a rien de certain; se produirait-elle qu’elle ne signifierait nullement de manière
automatique que la personne en cause soit pour autant écrouée.
On voit bien que, là encore, nul dommage grave et irréparable ne menace la personne de
M. Oba, ni, à fortiori, les intérêts propres à la République du Congo. Les mêmes conclusions bien
entendu valent à propos de M. Adoua.
*
25. D’une manière générale, qu’il s’agisse de l’un comme de l’autre, on ne voit pas comment
la procédure en cours devant la juridiction française puisse provoquer un dommage proprement
«irréparable» à l’un d’eux, ni, encore moins, à l’Etat congolais.
En effet, mais il est vrai qu’on risque ici de formuler une vérité d’évidence, tant que les voies
de recours ne sont pas épuisées, toute procédure judiciaire pourrait être revisée; soit qu’elle soit
réformée en appel ou cassée en dernier recours, puis réexaminée devant une autre juridiction,
l’épuisement des voies de recours interne ménagerait à M. Dabira ou à tout autre, s’il s’avérait qu’il
y a eu «mal jugé», la possibilité de retrouver la situation qui était la sienne avant que toute requête
ait été formulée contre lui par le ministère public.
26. Au demeurant, doit-on le rappeler, aucune voie de recours n’a été entamée, pour la bonne
raison que l’on est encore loin d’une décision de première instance !
Faut-il le souligner, en tout cas, réversibilité et «irréparabilité» sont deux caractères
radicalement incompatibles. Si l’un existe, comme c’est ici le cas, l’autre disparaît nécessairement.
C’est, du reste, parce que la condition de l’épuisement des voies de recours préalable est loin
d’être remplie que la République du Congo ne pourrait nullement, en l’état actuel du dossier, saisir
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la Cour du cas de MM. Oba, Dabira et Adoua ou tout autre par l’exercice de la protection
diplomatique.
27. L’observation que l’on vient de faire sur la longueur potentielle de la procédure,
notamment au cas où les voies de recours seraient mises en œuvre, permet en tout cas de constater
également que ferait défaut une autre condition requise pour que certaines circonstances puissent
donner lieu à indication de mesures conservatoires. Cette condition est celle de l’urgence.
IV. SUR L’URGENCE PRÉTENDUE DE PRENDRE DES MESURES CONSERVATOIRES
28. Comme la Cour a eu encore très récemment l’occasion de le dire, dans l’ordonnance
qu’elle a prise en l’affaire Avena, en citant elle-même sa jurisprudence illustrée par les mesures
conservatoires prises dans l’affaire du Passage par le Grand Belt,
«les mesures conservatoires visées à l’article 41 du Statut sont indiquées en attendant
l’arrêt au fond et ne sont par conséquent justifiées que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il
est probable qu’une action préjudiciable aux droits de l’une ou l’autre partie sera
commise avant qu’un tel arrêt définitif ne soit rendu»46
.
Ici encore, cependant, il suffira de comparer les faits rapportés ci-dessus à ceux qui ont
justifié l’ordonnance de mesures conservatoires, par exemple dans les affaires Bréard, LaGrand ou
Avena. Dans ces trois cas comme dans celui-ci, on était certes en présence de procédures pénales.
Mais dans ces trois cas, les procédures étaient parvenues à leur terme extrême; il s’agissait ou s’agit
encore (dans l’affaire Avena) d’éviter des exécutions capitales, dont l’une, dans l’affaire LaGrand,
était prévue pour le jour même où les mesures furent ordonnées par la Cour.
29. Au contraire, dans le «non-cas» qui nous réunit aujourd’hui, on est en présence d’une
procédure qui ne vise, avec certitude, qu’une seule personne, le général Dabira. Une procédure qui
n’a pas, de toute façon, fait l’objet d’action en appel ou en cassation. La procédure se trouve dans
sa phase initiale, celle de l’instruction préparatoire. Elle est donc inaccessible, à ce stade précoce, à
toute action destinée à en combattre les conclusions, encore inexistantes.
46 Passage par le Grand Belt (Finlance c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991,
C.I.J. Recueil 1991, p. 17, par. 23, cité dans l’ordonnance en mesures conservatoires du 5 février 2003, dans l’affaire
Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), par. 50.
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Il est, par conséquent, évident que la condition d’urgence, requise pour l’ordonnance de
mesures conservatoires se trouve purement et simplement, elle aussi, totalement inexistante.
*
30. Ainsi, Monsieur le président, Madame, Messieurs de la Cour, pour nous résumer, outre le
fait que nul lien direct n’est évident entre «l’atteinte au crédit international de la République du
Congo», objet explicite de la demande en indication de mesures conservatoires, et les éventuels
préjudices subis par tel ou tel de ses ressortissants, il ressort des observations qui précèdent que
tout «dommage» est inexistant à l’égard de la personne du président Sassou Nguesso; il est
également constant que la réalisation d’un dommage, même mineur, n’est pas forcément virtuelle à
l’égard des généraux Oba ou Adoua; il apparaît, enfin, que le préjudice auquel le général Dabira est
exposé, constituant tout au plus une gêne à sa liberté de circulation en France, n’est, en tout cas, ni
«grave», ni «irréparable»; ni, encore moins, susceptible de la prise de mesures d’urgence, aux
divers sens que la Cour internationale de Justice a donné à ces termes dans sa jurisprudence.
Au demeurant, à supposer même que de tels dommages soient éventuellement envisageables,
ils frapperaient des ressortissants congolais dont les fonctions ne les appellent nullement à
représenter ordinairement leur pays à l’étranger; et je le répète, de très éventuels dommages aux
personnes ne se traduisent évidemment pas automatiquement par des préjudices à leur Etat de
nationalité.
32. Pour finir, Monsieuir le président je rappellerai, pour le réfuter, un argument formulé par
le requérant pour justifier la demande de mesures conservatoires. Selon lui,
«l’information en cause trouble les relations internationales de la République du
Congo par la publicité que reçoivent … les actes accomplis par le magistrat
instructeur, lesquels portent atteinte à l’honneur et à la considération du chef de l’Etat,
du ministre de l’intérieur et de l’inspecteur général de l’armée et, par là, au crédit
international du Congo»47
.
Cet argument, Madame et Messieurs de la Cour, est tout simplement démenti par les faits. Dans les
derniers huit mois écoulés, soit plus de sept mois après le début des procédures engagées devant les
autorités judiciaires françaises, le président Sassou Nguesso n’est pas venu moins de deux fois sur
le territoire de la République française.
47 Demande jointe à la requête, p. 12.
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Une première fois, ce fut du 18 au 24 septembre 2002. Il fut alors reçu par le président de la
République française, par le ministre des affaires étrangères et par le ministre de la coopération.
Une seconde occasion lui fut donnée de se rendre en France, du 19 au 21 février 2003, lors
du 22e
sommet Afrique-France. Dans ces deux occasions, la France a eu le plaisir de manifester au
président de la République du Congo comme à l’Etat qu’il représente toute l’estime et tout le
respect qu’elle éprouve à l’égard de l’un comme de l’autre.
La demande de la République du Congo sollicitant la Cour de prendre ces mesures, de type
exceptionnel, paraît ainsi à la France devoir être fermement rejetée. Ainsi se terminent, Monsieur
le président, les plaidoiries de la délégation française pour aujourd’hui. Je vous remercie de votre
attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Dupuy. This statement concludes this afternoon's
hearing.
The Parties will be heard again in oral reply. The Republic of the Congo will take the floor
tomorrow morning at 9.30 a.m. and the French Republic at 12 noon. Each of the Parties will have
a maximum of one hour for its reply.
Before the sitting is closed, I would like to be known that the Court would like the Republic
of the Congo to provide the Court with all relevant documents emanating from the Prosecutor's
office and from the investigating judge mentioned at page 2 of the Application.
Thank you, the sitting is closed.
The Court rose at 6.05 p.m.
___________
Public sitting held on Monday 28 April 2003, at 4 p.m., at the Peace Palace, President Shi presiding