CR 2003/23
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2003
Audience publique
tenue le mardi 29 avril 2003, à 12 h 15, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Shi, président,
en l’affaire relative à Certaines procédures pénales engagées en France
(République du Congo c. France)
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COMPTE RENDU
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YEAR 2003
Public sitting
held on Tuesday 29 April 2003, at 12.15 p.m., at the Peace Palace,
President Shi presiding,
in the case concerning Certain Criminal Proceedings in France
(Republic of the Congo v. France)
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VERBATIM RECORD
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Présents : M. Shi, président
M. Ranjeva, vice-président
MM. Guillaume
Koroma
Vereshchetin
Mme Higgins
MM. Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka, juges
M. de Cara, juge ad hoc
M. Couvreur, greffier
¾¾¾¾¾¾
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Present: President Shi
Vice-President Ranjeva
Judges Guillaume
Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Simma
Tomka
Judge ad hoc de Cara
Registrar Couvreur
¾¾¾¾¾¾
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Le Gouvernement de la République du Congo est représenté par :
S. Exc. M. Jacques Obia, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du
Congo près le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de
Luxembourg, chef de la mission permanente du Congo près l’Union européenne,
comme agent;
M
e
Jacques Vergès, avocat à la Cour d’appel de Paris,
M. Charles Zorgbibe, agrégé des facultés de droit (droit public), recteur d’Académie honoraire,
professeur à l’Université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne),
M. André Decocq, agrégé des facultés de droit (droit privé et sciences criminelles), professeur
émérite à l’Université de Paris II (Panthéon-Assas), doyen honoraire de la faculté de droit de
Lyon,
comme conseils et avocats;
M. Henri Dimi, conseiller chargé des affaires politiques et stratégiques près l’ambassade du Congo
à Bruxelles,
M. Valérien Mudoy, docteur en droit international public, conseiller près l’ambassade du Congo à
Bruxelles,
Mme Hélène Tshika, conseillère juridique et politique près l’ambassade du Congo à Bruxelles.
Le Gouvernement de la République française est représenté par :
M. Ronny Abraham, directeur général des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères,
comme agent;
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l’Université de Paris II (Panthéon-Assas) et à l’Institut
universitaire européen de Florence,
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international,
comme conseils;
Mme Michèle Dubrocard, conseillère juridique près l’ambassade de France aux Pays-Bas,
M. Denys Wibaux, sous-directeur du droit international public à la direction des affaires juridiques
au ministère des affaires étrangères,
M. Matthieu Bourrette, magistrat attaché au ministère de la justice,
Mlle Eglantine Cujo, chargée de mission à la direction des affaires juridiques au ministère des
affaires étrangères,
Mlle Raphaële Rivier, chargée de mission à la direction des affaires juridiques au ministère des
affaires étrangères.
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The Government of the Republic of the Congo is represented by:
H.E. Mr. Jacques Obia, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the Republic of the
Congo to the Kingdom of the Netherlands, the Kingdom of Belgium and the Grand Duchy of
Luxembourg, Head of the Permanent Mission of the Congo to the European Union,
as Agent;
Maître Jacques Vergès, avocat à la Cour d’appel de Paris,
Mr. Charles Zorgbibe, agrégé of the Faculty of Laws (Public Law), Honorary Rector, Professor at
the University of Paris 1 (Panthéon-Sorbonne),
Mr. André Decocq, agrégé of the Faculty of Laws (Private Law and Criminal Studies), Emeritus
Professor at the University of Paris II (Panthéon-Assas), Honorary Dean, Faculty of Law, Lyon,
as Counsel and Advocates;
Mr. Henri Dimi, Counsellor for Political and Strategic Affairs, Embassy of the Congo, Brussels,
Mr. Valérien Mudoy, Doctor of Public International Law, Counsellor, Embassy of the Congo,
Brussels,
Ms Hélène Tshika, Legal and Political Counsellor, Embassy of the Congo, Brussels.
The Government of the French Republic is represented by:
Mr. Ronny Abraham, Director of Legal Affairs, Ministry of Foreign Affairs,
as Agent;
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the University of Paris II (Pantheon-Assas) and at the
European University Institute, Florence,
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre, member and former President of
the International Law Commission,
as Counsel;
Ms Michèle Dubrocard, Legal Counsellor, Embassy of France,
Mr. Denys Wibaux, Assistant Director for Public International Law, Department of Legal Affairs,
Ministry of Foreign Affairs,
Mr. Matthieu Bourrette, Judicial Officer, Ministry of Justice,
Ms Eglantine Cujo, chargée de mission, Legal Affairs Department, Ministry of Foreign Affairs,
Ms Raphaële Rivier, chargée de mission, Legal Affairs Department, Ministry of Foreign Affairs.
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The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open and I immediately give the floor to
His Excellency Mr. Ronny Abraham, Agent of the French Republic.
M. ABRAHAM : Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, j’ai le sentiment, à
cet instant des débats, que la Cour a déjà été largement éclairée sur la seule question qui la
préoccupe pour le moment, celle de savoir si les conditions exigées pour le prononcé de mesures
conservatoires sont remplies dans le cas présent et à l’heure qu’il est. Les débats qui ont précédé
ont fait suffisamment apparaître qu’en réalité aucune de ces conditions n’est remplie. C’est à la
Partie requérante, qui réclame des mesures conservatoires, qu’il appartenait de démontrer que les
conditions nécessaires pour de telles mesures sont remplies. Et, vous ne pourrez que constater
qu’elle n’a pas apporté une telle démonstration. Il n’y a ni risque d’un dommage irréparable au
droit de l’Etat congolais ni, à plus forte raison, situation d’urgence qui justifierait telle ou telle
mesure destinée à prévenir la survenance imminente d’un tel dommage irréparable.
Ce matin, il est vrai, les conseils de la Partie congolaise ont essayé de nourrir quelque peu
leur argumentation à ce sujet. Mais, force est de constater que, d’une part, ils ont encore largement
plaidé sur le fond, c’est-à-dire sur un terrain qui n’est pas pertinent au stade actuel de la procédure
devant vous et, d’autre part, que dans la mesure où ils ont cherché à établir l’existence d’un
dommage grave et imminent au droit du Congo, ils l’ont fait encore sur un mode extrêmement
spéculatif et hypothétique.
On a beaucoup entendu ce matin encore des formules telles que «peut-être», «il se peut que»,
«il n’est pas exclu que», «il se pourrait que» : peu d’éléments objectifs, précis, rigoureux, beaucoup
de spéculation, de suppositions sur ce qui pourrait se passer à l’avenir. L’un des conseils du
Congo, je crois le professeur Decocq, après avoir admis que la loi française et la jurisprudence de
nos cours les plus élevées ¾ la Cour de cassation ¾ confèrent aux chefs d’Etat étrangers une
immunité absolue en matière pénale, a même cru devoir ajouter que, cependant, il n’est pas
impossible qu’un juge français, tel ou tel juge de première instance par exemple, ne respecte pas la
loi, car ça c’est déjà vu, mais on est encore ici en pleine spéculation, en pleine hypothèse.
Jusqu’à présent, il n’est pas contesté, et il n’est pas sérieusement contestable, que tous les
actes accomplis par les juges français dans cette affaire, ont été strictement conformes au droit
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français. Les juges ont respecté les limites de leur compétence et ont respecté les immunités que
consacre le droit français en conformité avec le droit international. Et l’on irait supposer qu’à
l’avenir, nos juges vont s’écarter du droit qu’ils sont chargés d’appliquer. Et sur quelle base ? Ce
serait un mauvais procès. Au surplus, faut-il rappeler que si un juge rend une décision qui fait une
mauvaise application de la loi ¾ une fausse application, ce qui peut arriver, même en France où les
juges ne sont pas infaillibles ¾ il existe des voies de recours. Le système judiciaire français offre
amplement les recours nécessaires pour redresser, le cas échéant, les erreurs qui pourraient être
commises, et je parle bien sûr au conditionnel, car pour le moment, nous n’avons pas d’exemple de
telles erreurs dans l’affaire qui nous intéresse.
Franchement, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, ce n’est pas avec des
arguments de ce genre que l’on vient utilement devant votre Cour solliciter des mesures
conservatoires, dont on a rappelé le caractère exceptionnel et par conséquent la nécessité de les
fonder, de les étayer sur des arguments objectifs et précis. De même, on nous a parlé en termes à la
fois assez vagues et dramatiques ¾ excessivement dramatiques ¾ de risque de déstabilisation de
l’Etat congolais, d’une tentative de coup d’Etat feutré par le biais d’une procédure judiciaire, de
risque de guerre civile, de désordres, etc. Mais, peut-on sérieusement soutenir que le simple fait
que se déroule en France une procédure judiciaire, à un stade encore précoce, celui de l’instruction
préparatoire, procédure qui ne vise actuellement qu’une seule personne, nous l’avons vu, le
général Dabira, laquelle ne paraît d’ailleurs pas aujourd’hui exercer les fonctions de premier plan
dans l’appareil d’Etat congolais, aurait de tels effets sur la situation interne et la situation
internationale du Congo ? Je crois que là encore on est en présence de craintes spéculatives,
d’exagérations, d’excès qui ne sont pas corroborés par la réalité des faits. Je pourrais m’en tenir là,
Monsieur le président, mais je voudrais tout de même répondre précisément sur plusieurs points qui
ont été évoqués ce matin par les conseils de la Partie adverse en vue de redresser certaines erreurs
ou certaines présentations tendancieuses qui ont été faites devant vous.
En premier lieu, le professeur Zorgbibe a fait état de ce que le ministre de l’intérieur
congolais serait appelé à se déplacer fréquemment à l’étranger et que, en conséquence, l’atteinte
qui pourrait être portée à sa liberté de déplacement, porterait atteinte au bon fonctionnement de
l’Etat congolais et justifierait de votre part des mesures conservatoires. Je rappelle d’abord
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qu’aucun acte de poursuite n’a été engagé dans la procédure française à l’encontre du ministre de
l’intérieur congolais. Je rappelle et je redis qu’il ne saurait en être autrement dès lors que la loi
française conditionne la compétence des tribunaux français dans une affaire comme celle qui nous
occupe à la présence préalable sur le territoire français d’un suspect. Donc, là encore, on est en
présence d’une spéculation. Mais, surtout, un tel argument va ¾ faut-il le rappeler ? ¾
directement à l’encontre de l’ordonnance que vous avez rendue sur la demande de mesures
conservatoires dans l’affaire Yerodia, l’affaire République démocratique du Congo c. Belgique.
Car pour refuser les mesures conservatoires qui vous étaient demandées, vous avez relevé au
paragraphe 72 de votre ordonnance qu’à la suite d’un remaniement ministériel, M. Yerodia n’était
plus ministre des affaires étrangères et était devenu ministre de l’éducation nationale, moins exposé
à des déplacements fréquents à l’étranger (sous-entendu que celles des ministres des affaires
étrangères) et que, en conséquence, il n’est pas établi qu’un préjudice irréparable pourrait être
causé dans l’immédiat ¾ dans l’immédiat ¾ au droit du Congo.
Hé bien ! Ce que vous avez dit pour un ministre de l’éducation nationale me semble valoir
également pour un ministre de l’intérieur, dont les fonctions sont essentiellement internes, cela va
de soi, et qui est lui aussi moins exposé qu’un ministre des affaires étrangères, c’est le moins qu’on
puisse dire, à des déplacements fréquents à l’étranger. Certes, nous savons qu’aujourd’hui, la vie
publique étant ce qu’elle est, tout titulaire d’une charge ministérielle peut être conduit, à un
moment ou à un autre à des déplacements à l’étranger. Mais, tel n’est pas le problème, telle n’est
pas la question. Au demeurant, si l’on suivait jusqu’à son terme logique le raisonnement qui vous
est proposé par la Partie adverse, compte tenu des conditions contemporaines de l’exercice des
fonctions publiques, il faudrait en déduire que c’est l’ensemble des membres d’un gouvernement,
voire l’ensemble des hauts fonctionnaires d’un Etat, qui devraient désormais se voir reconnaître des
immunités en droit international, ce qui n’est pas du tout ce que laisse entendre votre arrêt rendu
sur le fond cette fois-ci dans l’affaire République démocratique du Congo c. Belgique. Mais, je ne
vais pas plus loin sur ce terrain, car il s’agirait ici déjà d’un débat de fond et je ne veux pas
m’engager dans le débat de fond, nous sommes au stade des mesures conservatoires. Je n’en dis
donc pas davantage.
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Deuxième élément sur lequel je souhaite apporter quelques précisions. Le
professeur Decocq vous a exposé que le réquisitoire introductif du procureur de la République de
Meaux qui a saisi le juge d’instruction a eu pour effet de saisir le juge in rem, c’est-à-dire de le
saisir des faits qui avaient été dénoncés au procureur, de telle sorte que dans le cadre de cette
saisine, le juge d’instruction pourrait ensuite mettre en examen, mettre en accusation, voire placer
en détention toute personne qu’il estimerait impliquée dans les faits et on nous a dit que, par
conséquent, le juge d’instruction pouvait parfaitement accomplir de tels actes à l’égard du
président Sassou Nguesso — pourquoi pas — ou du ministre de l’intérieur ou de telle ou telle autre
personnalité congolaise. En quelque sorte, il n’y aurait aucune limite à sa compétence dès lors
qu’il a été saisi par un réquisitoire qui vise des faits et qui ne limite pas la compétence du juge en
ce qui concerne les personnes susceptibles d’être mises en cause. Je crains qu’il y ait là, dans cette
présentation, à la fois un élément exact — certainement, eu égard à la compétence du
professeur Decocq — mais aussi une assez sérieuse confusion. C’est vrai que le réquisitoire du
procureur saisit le juge de certains faits et que, dans le cadre des faits qui ont été délimités, il
appartient au juge d’abord de les établir de façon précise et ensuite d’identifier les personnes
susceptibles d’avoir commis des infractions dans le cadre matériel défini par la saisine. C’est vrai.
Mais il n’en est pas moins vrai que le juge d’instruction ne peut procéder à des actes d’instruction,
ne peut exercer ses fonctions, que dans les limites de la compétence des tribunaux français et des
immunités que le droit français, conformément au droit international, reconnaît à des personnalités
étrangères. Autrement dit, le procureur de la République, en saisissant le juge, ne l’autorise
nullement à outrepasser la compétence des tribunaux français telle qu’elle est définie par le code de
procédure pénale, ne l’autorise certainement pas à méconnaître les immunités que le droit français
accorde à telle ou telle personne et notamment aux personnalités étrangères, sinon il faudrait en
déduire que la simple saisine par le procureur d’un juge d’instruction permettrait à ce dernier de
mettre en examen, de poursuivre des diplomates étrangers accrédités auprès de la France. C’est
absurde. Il est évident que telle n’est pas la portée du réquisitoire introductif du procureur. Il
délimite les faits, il donne au juge d’instruction mandat d’enquêter sur ces faits, d’établir les
responsabilités mais, bien évidemment, dans le cadre et dans les limites à la fois des règles de
compétence et des règles d’immunité que reconnaît le droit français.
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Je rappelle rapidement ce que sont ces limites pour le cas qui nous intéresse. D’une part, il
ne peut y avoir de compétence du juge français pour des faits commis à l’étranger par des étrangers
et sur des victimes étrangères qu’à la condition que le suspect soit présent sur le territoire français
au moment de l’engagement des poursuites, c’est-à-dire à la date du réquisitoire du procureur et
non pas postérieurement ou si c’est postérieurement il faudra alors un nouveau réquisitoire du
procureur, comme nous l’avons expliqué hier. D’autre part, en ce qui concerne les immunités, le
droit français est parfaitement clair sur l’immunité absolue dont bénéficie le chef d’Etat étranger et
ce n’est sûrement pas le réquisitoire du procureur qui autorise le juge d’instruction à méconnaître
l’immunité du chef d’Etat étranger. Et d’ailleurs, jusqu’à présent, on voit bien que tous les actes
qui ont été accomplis dans notre affaire par les juges d’instruction ont scrupuleusement respecté les
limites que je viens d’indiquer. Seul le général Dabira a fait l’objet d’un acte qu’on peut assimiler
à un acte de poursuite car lui seul remplissait la condition de la présence sur le territoire français à
la date de l’engagement des poursuites et aucun acte de contrainte n’a été pris à l’égard du
président Sassou Nguesso parce qu’aucun acte de ce genre n’aurait pu l’être légalement. Nos juges
d’instruction ont donc scrupuleusement respecté le droit applicable et l’on vient ici vous prétendre
qu’à l’avenir il pourrait en aller autrement sous prétexte que le procureur aurait, par son réquisitoire
introductif, autorisé les juges à s’affranchir des limites qui s’imposent à eux. Là encore, ce n’est
pas sérieux. Ca ne peut évidemment pas être l’objet du réquisitoire introductif.
En troisième lieu, le professeur Decocq a mis en doute le fait que l’article 656 du code de
procédure pénale que nous avons cité s’appliquerait à la déposition en qualité de témoin d’un chef
d’Etat étranger. Selon lui, ce texte ne s’applique en réalité qu’aux diplomates. Je crois que ce n’est
pas exact. Je suis même sûr que ce n’est pas exact. Il suffit pour cela de citer l’article 656 qui ne
fait nullement référence aux diplomates : «La déposition écrite d’un représentant d’une puissance
étrangère est demandée par l’entremise du ministre des affaires étrangères.» Si la demande est
agréée, cette déposition est reçue par le premier président de la cour d’appel. Le texte fait
référence à la notion de représentant d’une puissance étrangère, qui est une notion plus large que
celle de diplomate accrédité. Et d’ailleurs, en l’espèce, c’est bien sur le fondement de ce texte et
dans le cadre de cette procédure — comme je l’ai dit — que les juges d’instructions ont souhaité
recueillir le témoignage écrit du président Sassou Nguesso. Il n’y a pas eu, contrairement à ce
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qu’avait affirmé la Partie adverse hier, de commission rogatoire du juge donnée à des policiers pour
aller entendre le président de la République congolaise. Il y a eu une demande, non encore
transmise à ce jour, fondée sur l’article 656 invitant le chef de l’Etat congolais, s’il le souhaite, car
l’article 656, je le rappelle, suppose l’agrément, l’accord, le libre accord du chef d’Etat étranger, à
fournir sa déposition sur les faits sur lesquels les juges pourraient avoir des questions à lui poser.
Là encore, il n’y a ni violation, ni apparence de violation, ni risque de violation de l’immunité dont
bénéficie un chef d’Etat étranger.
En quatrième lieu, il a été largement question ce matin de la procédure pendante à propos des
mêmes faits devant les autorités judiciaires congolaises. Et le Congo, il l’avait déjà fait hier, il l’a
refait ce matin, vous a soutenu que, du fait qu’il existe une procédure pendante au Congo, le
déroulement de la procédure pénale engagée en France, à raison des mêmes faits, constituerait une
atteinte à la souveraineté du Congo, d’une part, mais plus précisément, d’autre part, au principe
non bis in idem. Et les conseils du Congo ont insisté ce matin en outre sur le principe de
subsidiarité qui serait méconnu par cette simultanéité ou cette concomitance de deux procédures
pénales visant les mêmes faits dans deux Etats. D’abord j’observe que c’est là encore un débat de
fond et qu’on n’a pas vu clairement apparaître le lien entre cette discussion sur le principe non bis
in idem ou le principe de subsidiarité avec la question des mesures conservatoires. Mais
néanmoins, je crois devoir redresser, même si c’est largement hors sujet, une présentation pour le
moins approximative, voire tendancieuse. Je ne vais pas entrer dans une discussion sur l’existence
et la portée en droit international d’un principe de subsidiarité tel qu’il a été invoqué, en termes
assez flous d’ailleurs, de l’autre côté de la barre, on peut éprouver des doutes mais c’est un débat de
fond qu’il n’y a pas lieu d’avoir aujourd’hui devant vous. Nous le retrouverons peut-être plus tard.
En revanche le principe non bis in idem est un principe bien connu des ordres juridiques
internes et bien connu aussi du droit international puisqu’il figure dans plusieurs instruments
internationaux. Et il n’est pas permis de le dénaturer comme l’ont fait ce matin les conseils de
l’Etat congolais.
Le principe non bis in idem : Quelle est sa signification ? Quelle est sa portée ? Il est
clairement défini par exemple, dans le Pacte international des Nations Unies sur les droits civils et
politiques. C’est l’article 14, paragraphe 7 que je cite : «Nul ne peut être poursuivi ou puni en
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raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif
conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays». Et c’est à peu près la même chose
que dit notre code de procédure pénal dans son article 692 qui vise le cas où les tribunaux français
sont compétents sur la base de ce qu’on appelle la compétence universelle, donc pour des faits
commis à l’étranger. En pareil cas, dit l’article 692, aucune poursuite ne peut être exercée contre
une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits, jugée
soit par une condamnation soit par un acquittement. Qu’elle ait été jugée définitivement à
l’étranger pour les mêmes faits et en cas de condamnation que la peine a été subi ou prescrite. En
d’autres termes, et cela me paraissait jusqu’à tout à l’heure tellement bien connu, qu’il était inutile
de l’expliciter, mais je le fais puisqu’il semble que ce soit nécessaire. Le principe non bis in idem
ne s’oppose pas par lui-même au déroulement simultané concomitant de deux procédures visant les
mêmes faits devant deux juridictions, situation d’ailleurs qui peut parfaitement se produire, se
présenter lorsque deux ordres juridiques nationaux possèdent l’un et l’autre un titre de compétence
pour instruire sur les mêmes faits, pour poursuivre les personnes à raison des mêmes faits. Cela
peut parfaitement se présenter. La concomitance des procédures n’est sûrement pas contraire au
principe non bis in idem. Ce à quoi s’opposerait le principe, c’est que l’on juge une personne qui a
été précédemment jugée et jugée définitivement devant un autre tribunal à raison des mêmes faits.
Ce à quoi s’opposerait le principe en vertu de la loi française, c’est que telle ou telle personne
accusée des faits à raison desquels les juges d’instruction actuellement français sont saisis fasse
l’objet d’acte de poursuite et à fortiori fasse l’objet d’un jugement, si pour les mêmes faits ils ont
été préalablement définitivement jugés par une autre autorité juridictionnelle, une autorité
juridictionnelle étrangère, et notamment par les autorités judiciaires congolaises. C’est exactement
le sens d’ailleurs de la lettre du garde des sceaux dont Me
Vergès nous a donné lecture tout à
l’heure. Le garde des sceaux français, le ministre de la justice, n’a aucunement laissé entendre que
le seul déroulement en France de cette procédure pénale en cours serait contraire au principe
non bis in idem au motif qu’il existe une procédure pendante devant les autorités judiciaires
congolaises. Il a simplement écrit la chose suivante — je cite de mémoire car je n’ai pas la lettre
sous les yeux, mais Me
Vergès nous a cité la formule finale — «j’attire l’attention du procureur de
la République compétente, celui de Meaux, sur l’existence d’une procédure en cours au Congo,
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afin qu’il prenne éventuellement, le cas échéant, toute réquisition nécessaire pour faire respecter le
principe non bis in idem». Cela veut dire que dans le cas où la procédure judiciaire ouverte au
Congo aboutirait à des décisions judiciaires définitives, soit d’acquittement soit de condamnation, à
l’égard de personnes poursuivies en France sur la base des mêmes faits, dans ce cas, il
appartiendrait bien sûr au procureur de la République et il appartiendrait au juge d’instruction d’en
tirer les conséquences, c’est-à-dire d’interrompre aussitôt les poursuites engagées en France contre
ces personnes. Cela est strictement exigé à l’article 692 du code de procédure pénale français,
sans qu’il soit besoin d’ailleurs de rechercher s’il s’agit par ailleurs d’une exigence du droit
international — je réserve cette question qui n’est pas peut-être totalement évidente, mais en tout
cas la loi française est très claire —, article 692, «il n’y aura pas de poursuites et il ne peut pas il y
avoir de poursuites et à fortiori de jugement si la personne a été jugée définitivement pour les
mêmes faits dans un autre Etat» et notamment dans le cas qui nous intéresse, dans l’ordre juridique
du Congo. Par conséquent il n’y a aucun risque de violation du principe non bis in idem dans cette
affaire.
Non seulement la procédure française en cours, celle qui est engagée devant les juges de
Meaux, n’entrave pas le déroulement de la procédure ouverte au Congo, dont on ignore d’ailleurs
actuellement à quel stade précis elle en est arrivée, mais telle n’est pas la question. Non seulement
il n’y a aucune entrave mise à l’exercice par le Congo de ses pouvoirs judiciaires donc de sa
souveraineté, de son droit de rendre la justice sur son territoire, mais on pourrait dire à l’inverse, au
contraire, si devant les juridictions congolaises des décisions définitives étaient rendues à propos
des mêmes faits, c’est aux tribunaux français qu’il appartiendrait d’en tirer les conséquences en
s’abstenant désormais de poursuivre les mêmes personnes à raison des mêmes faits.
Une remarque encore Monsieur le président, ce sera la cinquième et la dernière avant ma
conclusion. Sur une expression que Me
Vergès a employée tout à l’heure en s’adressant aux
représentants de la République française ¾ en s’adressant à la Cour mais en parlant des propos
qu’avaient été tenus par les représentants de la République française ¾, il a dit qu’il avait entendu
beaucoup de promesses de la part de la Partie française, mais il a ensuite laissé entendre qu’il
pouvait éprouver quelques scepticismes sur le respect de ces promesses. Je tiens à la dire de la
façon la plus claire qu’il n’y a eu, de notre côté de la barre, aucune promesse, d’ailleurs nous ne
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sommes pas ici devant votre Cour pour faire des promesses. Nous nous sommes bornés à exposer
ce qu’est le droit français. Nous n’avons rien promis, nous avons dit le droit français interdit de
poursuivre un chef d’Etat étranger, ce n’est pas une promesse, c’est un constat d’ordre juridique.
Nous avons dit aussi, le droit français subordonne la compétence des tribunaux français pour des
faits commis à l’étranger à certaines conditions. Ce n’est pas une promesse, c’est un constat
d’ordre juridique. Tout au plus, mais cela serait assez vain, pourrions-nous promettre que les juges
français respectent la loi française. Mais je crois qu’on peut le présupposer ou le présumer et
encore une fois si telle ou telle décision judiciaire, dont il n’y a pas d’exemple pour le moment dans
notre affaire, venait à s’affranchir des limites prévues par la loi, il y aurait bien sûr des voies de
recours permettant de redresser les erreurs commises.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, pour conclure je dirai une fois encore
qu’il n’a pas été démontré dans cette affaire qu’il existerait un risque imminent de dommages
irréparables au droit de l’Etat congolais en l’état actuel de la procédure en cours devant les
juridictions françaises et eu égard notamment aux limites que la loi française met elle-même au
déroulement de telle procédure. Je voudrais aussi insister sur le fait que ces procédures judiciaires
ne mettent aucunement en cause et ne visent certainement pas à remettre en cause les bonnes
relations entre la France et le Congo. Ces procédures ne sont aucunement dirigées contre le Congo
en tant qu’Etat, elles visent des faits précis, des personnes précises, il n’est ni dans l’intention des
autorités judiciaires, dont d’ailleurs ce ne serait certainement pas le rôle, ni dans l’intention des
autorités politiques françaises de mettre en quoi que ce soit en question les bonnes relations qui
existent et qui demeurent entre la France et le Congo. Et il va sans dire qu’il n’y a aucune intention
d’aucune sorte de la part de la France de porter atteinte à la souveraineté du Congo et à son droit
d’exercer pleinement sur son territoire l’ensemble de ses compétences. Et je dirai que la meilleure
preuve du fait que la France n’agit pas dans un esprit négatif à l’égard du Congo, c’est
l’acceptation, c’est le consentement qu’elle a donné à la compétence de votre Cour et c’est
qu’aujourd’hui ici dans votre prétoire, les représentants du Congo et les représentants de la France
se trouvent certes face à face mais en un certain sens aussi côte à côte car ils y sont venus d’un
commun accord en vu de rechercher un règlement juridictionnel de leur différend conformément au
droit.
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Pour le moment le temps n’est pas venu de régler au fond ce différend. Le temps est venu
pour la Cour de statuer sur la demande de mesures conservatoires. Monsieur le président,
Madame et Messieurs les juges, pour les motifs que nous avons précédemment développés, nous
pensons qu’il n’y a pas lieu d’ordonner de telles mesures conservatoires. Par conséquent la
République française conclut à ce que la Cour rejette la demande de mesures conservatoires
présentée par la République du Congo.
Je vous remercie de votre attention.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Abraham. That brings the present series of sittings to an
end.
At this stage, I would like to inform both Parties that the Court expects that the texts and
documents which have not been provided to the Court yet will be provided this afternoon!
It now remains for me to thank the representatives of the two Parties for the assistance they
have given to the Court by their oral statements in the course of these four hearings.
I wish them a happy return to their respective countries and, in accordance with practice, I
would ask the Agents to remain at the Court’s disposal. Subject to this reservation, I declare the
present oral proceedings closed.
The Court will render its Order on the request for the indication of a provisional measure as
soon as possible. The date on which this Order will be delivered at a public sitting will be duly
communicated to the Agents of the Parties.
As the Court has no other business before it today, the sitting is closed.
The Court rose at 12.50 p.m.
___________
Public sitting held on Tuesday, 29 April 2003, at 12.15 p.m., at the Peace Palace, President Shi presiding