Public sitting held on Thursday 13 June 2002, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Guillaume presiding

Document Number
126-20020613-ORA-01-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2002/36
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Bilingual Content

CR 2002/36
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2002
Audience publique
tenue le jeudi 13 juin 2002, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Guillaume, président,
en l'affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(nouvelle requête : 2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda)
Demande en indication de mesures conservatoires
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COMPTE RENDU
____________
YEAR 2002
Public sitting
held on Thursday 13 June 2002, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Guillaume presiding,
in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(New Application: 2002)
(Democratic Republic of the Congo v. Rwanda)
Request for the indication of provisional measures
_______________
VERBATIM RECORD
_______________
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Présents : M. Guillaume, président
M. Shi, vice-président
MM. Ranjeva
Herczegh
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin
Mme Higgins
MM. Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby, juges
MM. Dugard
Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, juges ad hoc
M. Couvreur, greffier
¾¾¾¾¾¾
- 3 -
Present: President Guillaume
Vice-President Shi
Judges Ranjeva
Herczegh
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Judges ad hoc Dugard
Mavungu Mvumbi-di-Ngoma
Registrar Couvreur
¾¾¾¾¾¾
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Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est representé par :
S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la
République démocratique du Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent;
S. Exc. M. Alphonse Ntumba Luaba Lumu, ministre des droits humains,
comme coagent;
M. Lwamba Katansi, professeur à l’Université de Kinshasa,
M. Pierre Akele Adau, doyen de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa et haut magistrat,
comme conseils;
M.Lukunda Vakala Mfumu, assistant à l’Université de Kinshasa, assistant du ministre des droits
humains,
M
eKabinda Ngoy, assistant au cabinet du ministre des droits humains et avocat au barreau de
Lubumbashi,
comme assistants des conseils.
Le Gouvernement de la République rwandaise est representé par :
S. Exc. M. Monsieur Gérard Gahima, procureur général de la République rwandaise,
comme agent;
S. Exc. Mme Christine Umutoni Nyinawumwani, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de
la République rwandaise auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent;
M. Christopher Greenwood, Q.C., professeur de droit international à London School of Economics,,
comme conseil et avocats.
- 5 -
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
H. E. Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the
Democratic Republic of the Congo to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
H. E. Mr. Alphonse Ntumba Luaba Lumu, Minister for Human Rights,
as Co-Agent;
Mr. Lwamba Katansi, Professor at the University of Kinshasa,
Mr. Pierre Akele Adau, Dean of the Faculty of Law, University of Kinshasa and Senior Magistrate,
as Counsel;
Mr. Lukunda Vakala Mfumu, Assistant at the University of Kinshasa, Assistant to the Minister for
Human Rights,
Maître Kibinda Ngoy, Assistant to the Minister for Human Rights and member of the Lubumbashi
Bar,
as Assistants to Counsel.
The Government of the Rwandese Republic is represented by:
H.E. Mr. Gérard Gahima, Procurer-General of the Rwandese Republic,
as Agent,
H.E. Mrs. Christine Umutoni Nyinawumwani, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of
the Rwandese Republic to the Kingdom of the Netherlands,
as Co-Agent,
Mr. Christopher Greenwood, Q.C., Professor of International Law at the London School of
Economics,
as Counsel and Advocate.
- 6 -
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit
aujourd’hui pour entendre, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement, les
observations des Parties au sujet de la demande en indication de mesures conservatoires présentée
par la République démocratique du Congo en l’affaire des Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda).
Le juge Oda a malheureusement été empêché, pour des raisons dont il a dûment fait part à la
Cour, d’être aujourd’hui présent sur le siège.
Avant de rappeler les principales étapes de la procédure en l’espèce, il échet de parachever la
composition de la Cour.
Chacune des Parties à la présente affaire, la République démocratique du Congo et la
République rwandaise, a usé de la faculté qui lui est conférée par l’article 31 du Statut de la Cour
de désigner un juge ad hoc. La République démocratique du Congo a désigné M. Jean-Pierre
Mavungu Mvumbi-di-Ngoma et la République rwandaise M. Christopher John Robert Dugard.
L’article 20 du Statut dispose que «Tout membre de la Cour doit, avant d’entrer en fonction,
prendre l’engagement solennel d’exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute
conscience.» Cette disposition est applicable aux juges ad hoc, en vertu du paragraphe 6 de
l’article 31 du Statut. Selon l’usage, je dirai d’abord quelques mots de la carrière et de la
qualification des deux juges qui vont faire la déclaration solennelle requise. Je les inviterai ensuite,
suivant l’ordre de préséance, à faire cette déclaration.
M. Christopher John Robert Dugard, de nationalité sud-africaine, est professeur émérite de
l’Université de Witwatersrand, professeur à l’Université de Pretoria et professeur de droit
international public à l’Université de Leyde. Il a enseigné dans de nombreuses universités et
institutions en qualité de professeur invité et a été directeur du Lauterpacht Research Centre for
International Law de l’Université de Cambridge. M. Dugard a par ailleurs été membre de diverses
commissions ayant joué un rôle dans l’évolution des institutions de son pays. Il est membre de
l’Institut de droit international et, depuis 1996, membre de la Commission du droit international des
Nations Unies.
- 7 -
M. Jean-Pierre Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, de nationalité congolaise, a fait ses études
universitaires au Maroc et en Suisse. Il est professeur associé à la faculté de droit de Kinshasa et
professeur à la faculté de droit de l’Université protestante au Congo. Il a occupé de hautes
fonctions administratives dans son pays et a représenté celui-ci en tant que membre de sa
délégation à l’Assemblée générale et à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies.
Je vais maintenant inviter chacun de ces deux juges à prendre l’engagement solennel prescrit
par le Statut et je demande à toutes les personnes présentes à l’audience de bien vouloir se lever.
Monsieur Dugard.
M. DUGARD : “I solemnly declare that I will perform my duties and exercise my powers as
judge honourably, faithfully, impartially and conscientiously.”
Le PRESIDENT : Monsieur Mavungu Mvumbi-di-Ngoma.
M. MAVUNGU MVUMBI-DI-NGOMA : «Je déclare solennellement que je remplirai mes
devoirs et exercerai mes attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite
impartialité et en toute conscience.»
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je prends acte des déclarations solennelles faites
par M. Dugard et par M. Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, et les déclare en conséquence dûment
installés comme juges ad hoc en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle
requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda).
*
* *
L’instance a été introduite le 28 mai 2002 par le dépôt au Greffe de la Cour d’une requête de
la République démocratique du Congo contre la République rwandaise. Dans cette requête, le
Gouvernement de la République démocratique du Congo, pour fonder la compétence de la Cour,
invoque des clauses compromissoires contenues dans un certain nombre d’instruments juridiques
internationaux.
- 8 -
La République démocratique du Congo soutient que le Rwanda doit répondre de «violations
massives, graves et flagrantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire» qui
auraient été commises «au mépris de ces instruments et [de] résolutions impératives du Conseil de
sécurité des Nations Unies».
J’invite à présent le greffier à donner lecture de la décision demandée à la Cour, telle qu’elle
est formulée au chiffre V de la requête de la République démocratique du Congo.
Le GREFFIER :
«En conséquence, tout en se réservant le droit de compléter et préciser la présente demande
en cours d’instance, la République démocratique du Congo prie la Cour de
Dire et juger que :
a) le Rwanda a violé et viole la Charte de l’ONU (article 2, paragraphes 3 et 4) en
violant les droits de l’homme qui sont le but poursuivi par les Nations Unies
au[x] terme[s] du maintien de la paix et de la sécurité internationales, de même
que les articles 3 et 4 de la Charte de l’OUA;
b) le Rwanda a violé la charte internationale des droits de l’homme ainsi que les
principaux instruments protecteurs des droits de l’homme dont notamment la
convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes, la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale, la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, la convention sur la prévention et la répression du
crime de génocide du 9 décembre 1948, la Constitution de l’OMS, le Statut de
l’Unesco;
c) en abattant à Kindu, le 9 octobre 1998, un Boeing 727, propriété de la compagnie
Congo Airlines, et en provoquant ainsi la mort de quarante personnes civiles, le
Rwanda a également violé la Charte de l’ONU, la convention relative à l’aviation
civile internationale du 7 décembre 1944 signée à Chicago, la convention de
La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite d’aéronefs
et la convention de Montréal du 23 septembre 1971 pour la répression d’actes
illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile;
d) en tuant, massacrant, violant, égorgeant, crucifiant, le Rwanda s’est rendu
coupable d’un génocide de plus de 3 500 000 Congolais, ajoutées les victimes des
récents massacres dans la ville de Kisangani, et a violé le droit sacré à la vie
prévu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte
international sur les droits civils et politiques, la convention sur la prévention et la
répression du crime de génocide, et d’autres instruments juridiques internationaux
pertinents;
En conséquence, et conformément aux obligations juridiques internationales
susmentionnées, dire et juger que :
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1) toute force armée rwandaise à la base de l’agression doit quitter sans délai le
territoire de la République démocratique du Congo, afin de permettre à la
population congolaise de jouir pleinement de ses droits à la paix, à la sécurité, à
ses ressources et au développement;
2) le Rwanda a l’obligation de faire en sorte que ses forces armées et autres se
retirent immédiatement et sans condition du territoire congolais;
3) la République démocratique du Congo a droit à obtenir du Rwanda le
dédommagement de tous actes de pillages, destructions, massacres, déportations
de biens et de personnes et autres méfaits qui sont imputables au Rwanda et pour
lesquels la République démocratique du Congo se réserve le droit de fixer
ultérieurement une évaluation précise des préjudices, outre la restitution des biens
emportés.
Elle se réserve aussi le droit de faire valoir en cours d’instance les autres
préjudices subis par elle et sa population.»
Le PRESIDENT : Le 28 mai 2002, après avoir procédé au dépôt de la requête, l’agent de la
République démocratique du Congo a présenté une demande en indication de mesures
conservatoires. La République démocratique du Congo se réfère dans sa demande «aux crimes
repris dans la requête introductive d’instance dont est auteur le Rwanda». Elle expose que
«sa demande urgente [de] mesures conservatoires … se justifie amplement du fait de
la continuation des massacres (débutés en août 1998) depuis janvier 2002 à ce jour,
malgré de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et de la Commission des
droits de l’homme des Nations Unies».
La République démocratique du Congo souligne en outre que «ne pas ordonner dans
l’immédiat les mesures sollicitées conduirait à des conséquences humanitaires non réparables à
court terme et à long terme».
J’invite à présent le greffier à donner lecture du passage de la demande dans lequel sont
énoncées les mesures conservatoires que le Gouvernement de la République démocratique du
Congo prie la Cour d’indiquer.
Le GREFFIER :
«la République démocratique du Congo, pour stopper le mal et prévenir le pire, prie la
Cour d’ordonner les mesures conservatoires ci-après :
1. Que le Rwanda, ses agents et auxiliaires, soient tenus de mettre fin et de
renoncer immédiatement :
A la guerre d’agression dans et contre la République démocratique du Congo et
à l’occupation de son territoire, la guerre étant source et cause de toutes les violations
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massives, graves et flagrantes des droits de l’homme et du droit international
humanitaire.
¾ A toutes les violations de la souveraineté, de l’intégrité territoriale ou de
l’indépendance politique de la République démocratique du Congo, y compris
toute intervention, directe et indirecte, dans les affaires intérieures de la
République démocratique du Congo;
¾ à toute utilisation de la force, directe ou indirecte, manifeste ou occulte, contre la
République démocratique du Congo et à toutes les menaces d’utilisation de la
force contre la République démocratique du Congo et ses populations;
¾ à la poursuite du siège de centres de population civile, spécialement Kisangani
(démilitarisation exigée par de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de
l’ONU) et d’autres villes envahies par les troupes rwandaises;
¾ aux actes qui ont pour effet d’affamer la population civile de la République
démocratique du Congo et de la soumettre à des conditions difficiles et
inhumaines de vie;
¾ à la dévastation aveugle et sauvage … de villes, de districts, de villages et
d’institutions religieuses en République démocratique du Congo, surtout en
territoire occupé par leurs forces;
¾ aux assassinats, exécutions sommaires, à la torture, au viol, à la détention des
populations congolaises, au pillage des ressources de la République démocratique
du Congo.
2. Que la Cour reconnaisse que la République démocratique du Congo a un
droit inaliénable et souverain :
¾ à exiger que son intégrité territoriale soit garantie et respectée;
¾ à exiger des Nations Unies que les troupes rwandaises quittent immédiatement
sans conditions son territoire, conformément à la Charte et aux résolutions
pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU afin de permettre à sa population de
jouir pleinement de ses droits;
¾ à jouir de ses ressources naturelles en vertu de la résolution 1803 (XVII) du
14 décembre 1962 de l’Assemblée générale de l’ONU;
¾ à se défendre et à défendre son peuple, en légitime défense, en vertu de
l’article 51 de la Charte de l’ONU et du droit international coutumier, tant que
continuera l’agression dont elle est victime de la part notamment du Rwanda et
dont le coût en vies humaines augmente au jour le jour.
3. Afin de prévenir l’irréparable, la République démocratique du Congo prie la
Cour de dire et juger que :
¾ le Rwanda a violé et viole de façon grave, flagrante et massive, la convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
notamment la torture, les douleurs et souffrances aiguës, physiques et mentales,
intentionnellement infligées à une bonne partie de la population congolaise; la
Charte des Nations Unies, la Charte de l’Organisation de l’unité africaine, la
charte internationale des droits de l’homme ainsi que tous les autres instruments
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juridiques pertinents en matière des droits de l’homme et de droit international
humanitaire;
¾ le Rwanda doit mettre fin aux actes prohibés par la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide, notamment la destruction totale ou partielle
des groupes nationaux ou ethniques congolais; le meurtre et l’assassinat de
membres de tels groupes, les atteintes graves à leur intégrité physique ou mentale,
la soumission intentionnelle des membres de ces groupes à des conditions
d’existence destinées à entraîner leur destruction physique totale ou partielle; la
déportation d’enfants, le recours au viol systématique et à la diffusion délibérée
du VIH parmi les femmes congolaises;
¾ le Rwanda doit mettre fin aux actes interdits par la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, notamment les
restrictions visant des personnes appartenant à des groupes nationaux ou
ethniques spécifiques de la République démocratique du Congo; [aux] actes de
non-reconnaisance ou de destruction de leurs droits fondamentaux tels que le
droit à la vie, le droit à l’intégrité physique et morale, le droit à l’éducation, etc.;
¾ le Rwanda doit mettre fin aux actes visés par la convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, notamment le droit à la
vie, à l’intégrité physique et morale, à la dignité, à la santé…;
¾ le Rwanda doit mettre fin aux actes contraires à ses obligations découlant de son
appartenance à l’Organisation mondiale de la santé, et d’atteinte à la santé
physique et mentale de la population congolaise;
¾ le Rwanda doit mettre fin à tous les actes d’agression directe ou indirecte à
l’endroit de la République démocratique du Congo; à tout emploi de la force,
directement ou indirectement, contre la RDC, la cause fondamentale de toutes les
violations flagrantes, massives et graves des conventions susmentionnées étant
liées aux atteintes graves et persistantes à la souveraineté, à l’intégrité territoriale
et à l’indépendance de la RDC;
¾ le Rwanda est tenu de payer à la République démocratique du Congo, de son
propre droit, et comme parens patriae de ses citoyens, des réparations justes et
équitables pour les dommages subis par les personnes, les biens, l’économie et
l’environnement, à raison des violations susvisées du droit international, dont le
montant sera déterminé par la Cour. La République démocratique du Congo se
réserve le droit de présenter à la Cour une évaluation précise des dommages
causés par le Rwanda.
¾ Plaise à la Cour, pour préserver les droits légitimes et les ressources du Congo et
de sa population : ¾ d’ordonner l’embargo sur les armes à destination du
Rwanda, le gel de toute assistance militaire et autres aides, ainsi que l’embargo
sur l’or, le diamant, le coltan, ainsi que d’autres ressources et biens provenant du
pillage systématique et de l’exploitation illégale des richesses de la République
démocratique du Congo, dans sa partie occupée;
¾ la mise en place rapide d’une force d’interposition et d’imposition de la paix le
long des frontières de la RDC avec le Rwanda, ainsi qu’avec les autres parties
belligérantes.
¾ Outre les mesures conservatoires susmentionnées, d’indiquer également, en vertu
de l’article 41 de son Statut et des articles 73 à 75 de son Règlement, toutes autres
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mesures exigées par les circonstances, en vue de préserver les droits légitimes de
la RDC et de sa population ainsi que d’empêcher l’aggravation ou l’extension du
différend.»
Le PRESIDENT : Immédiatement après le dépôt de la requête et de la demande en indication
de mesures conservatoires, le greffier, conformément au paragraphe 4 de l’article 38 et au
paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement de la Cour, en a fait tenir des copies certifiées conformes
au Gouvernement rwandais. Il en a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies.
Selon l’article 74 du Règlement, une demande en indication de mesures conservatoires a
priorité sur toutes autres affaires. La date de la procédure orale doit être fixée de manière à donner
aux parties la possibilité de s’y faire représenter. En conséquence, dès le 28 mai 2002, les Parties
ont été informées que la date d’ouverture de la procédure orale prévue au paragraphe 3 de
l’article 74 du Règlement, au cours de laquelle elles pourraient présenter leurs observations sur la
demande en indication de mesures conservatoires, avait été fixée au 13 juin 2002 à 10 heures.
Je constate la présence devant la Cour des agents et conseils des deux Parties. La Cour
entendra ce matin jusqu’à 13 heures la République démocratique du Congo, qui est le demandeur
sur le fond et a présenté la demande en indication de mesures conservatoires. Elle entendra la
République rwandaise cet après-midi.
Je donne donc immédiatement la parole à S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, agent de
la République démocratique du Congo. Monsieur l’agent, vous avez la parole.
M. MASANGU-A-MWANZA :
Merci Monsieur le président. Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres de
la Cour, permettez-moi de vous présenter avant tout la délégation de la République démocratique
du Congo qui interviendra au cours des audiences, dans le cadre de notre demande en indication de
mesures conservatoires que nous avons déposée au Greffe de la Cour, le 28 mai 2002 dans l’affaire
République démocratique du Congo contre le Rwanda.
Il s’agit de :
1) S. Exc. M. le Professeur Ntumba Luaba Lumu, ministre des droits humains, et coagent;
- 13 -
comme conseils :
1) M. Lwamba Katansi, professeur à l’Université de Kinshasa;
2) professeur Pierre Akele Adau, doyen de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa et
haut magistrat;
nous avons comme assistants aux conseils :
1) M. Lukunda Vakala Mfumu, assistant à l’Université de Kinshasa et du ministre des droits
humains;
2) M
e Kabinda Ngoy, assistant au cabinet du ministre des droits humains et avocat au barreau de
Lubumbashi.
Aussi, voudrais-je faire savoir à la Cour que le professeur Balanda Mukwin Leliel dont le
nom a été communiqué au Greffe de la Cour comme faisant partie de la délégation a eu un
empêchement de dernière minute et ne se trouve pas parmi nous.
Il en est de même pour Me
Firmin Yangambi, avocat du barreau de Kisangani et défenseur
des droits de l’homme qui n’a pu se déplacer de Kisangani à Kinshasa à cause de la situation
dramatique qui y prévaut en ce moment.
En outre, je saisirai cette occasion pour remercier la Cour de la promptitude avec laquelle
elle a bien voulu recevoir notre demande.
Une fois de plus, la haute considération que la République démocratique du Congo réserve
au règlement judiciaire des différends l’amène ce jour à se présenter devant l’organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies qu’est la Cour internationale de Justice. Et cela, afin
de plaider la cause de la nation congolaise meurtrie du fait de graves violations des droits de
l’homme et du droit international humanitaire, consécutives à l’agression et à l’occupation militaire
de son territoire par les troupes du Rwanda.
Vous vous souviendrez, Monsieur le président, que le 23 juin 1999 la République
démocratique du Congo avait introduit une première requête à la Cour contre le Rwanda.
Toutefois, faisant fi de toutes les souffrances macabres qu’il ne cesse d’infliger à la population
congolaise, le Rwanda avait, dans son mémoire du 21 avril 2000, dénié toute compétence à la Cour,
préférant ainsi la poursuite des voies de fait au droit et à la justice internationale.
- 14 -
Un mois après cette réaction négative du Rwanda, et comme pour narguer la communauté
internationale, le Rwanda livrait, en mai 2000 et juin 2000 à Kisangani, une bataille sanglante avec
les troupes ougandaises, tuant ainsi des milliers de personnes parmi les populations civiles de
Kisangani.
S’en est suivie une multitude de résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des
Nations Unies prônant le départ immédiat des troupes armées d’occupation ainsi que la
démilitarisation de la ville de Kisangani. Le Rwanda n’obtempéra à aucune d’entre elles. Il s’agit
particulièrement des résolutions 1304 (2000) du 15 juin 2000, 1376 (2001) du 9 novembre 2001 et
1399 (2002) du 19 mars 2002.
Les résolutions citées ci-dessus du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies
sont restées depuis lettre morte, car à notre connaissance l’Organisation des Nations Unies n’a
jamais adressé la moindre réprimande; au contraire, chaque fois que le Rwanda s’illustre par des
tueries au Congo on le caresse, on comprend ses raisons sécuritaires.
Le Rwanda est devenu un pays au-dessus de la loi et du Conseil de sécurité. Ses avis
passeraient avant ceux de grandes puissances ! On remarque aussi que c’est le Rwanda qui,
finalement régente ces nations qui compatissent au génocide de 1994 dont qu’on ne peut en aucune
façon imputer à la République démocratique du Congo.
Le peuple congolais, victime d’un génocide silencieux à huis clos, véritable hécatombe, plus
de trois millions cinq cent mille personnes déjà tombées en près de quatre ans de guerre, n’a pas pu
digérer les arcanes procédurales internationales pour comprendre, en son temps, le retrait de la
plainte de la République démocratique du Congo contre le Rwanda. Car le peuple congolais attend
justice et réparation pour toutes les souffrances, les douleurs, les deuils, les destructions, les actes
de barbarie qu’il a subis et continue de subir.
Comme il fallait s’y attendre, la présence continue et obstinée des troupes armées rwandaises
sur le territoire congolais vient d’être à l’origine d’un nouveau bain de sang à Kisangani. Les
harcèlements, enlèvements, déportations et tueries continuent à Kisangani, comme ailleurs.
C’est ce qui justifie la demande actuelle en indication urgente de mesures conservatoires
appropriées, demande déposée à la Cour en même temps qu’une nouvelle requête introductive
d’instance.
- 15 -
Monsieur le président, chaque gouvernement a l’obligation de protéger sa population contre
les actes nuisibles d’autres Etats. La procédure ainsi initiée par le Gouvernement de la République
démocratique du Congo rentre à juste titre dans le cadre de cette protection. La plainte contre le
Rwanda se veut un acte de protection dans le sens de la prévention d’autres actes semblables.
Depuis trois semaines et demie en effet, dès le 14 mai 2002, des violations massives et
graves des droits de l’homme sont commises à Kisangani par les militaires rwandais et ceux du
RCD/Goma et cela, en représailles aux revendications légitimes de la population civile et de
quelques hommes en uniforme qui réclamaient simplement et la démilitarisation effective de la
ville de Kisangani et le départ des militaires rwandais du territoire congolais, tel qu’exigé par les
Nations Unies.
A ce jour, nous avoisinons les trois cents morts suite à des exécutions sommaires, sans
compter des disparitions (personnes jetées dans la rivière Tshopo), des viols de femmes et de
jeunes filles, des arrestations arbitraires et enlèvements secrets, voire des déplacements forcés et
déportations.
Le drame est reconnu par le monde entier qui constate, outre ces faits criminels, un nouveau
déploiement des militaires rwandais en République démocratique du Congo, particulièrement en
route encore vers Kisangani et d’autres localités importantes du Congo. En ce moment, le Rwanda
s’évertue à effacer subtilement les traces de ses forfaits, à calciner les cadavres, à les jeter au fond
des cours d’eau avec des sacs remplis de pierre, à creuser des fosses communes, à chasser, si pas à
tuer délibérément, tous les témoins gênants de ces massacres, avant d’en perpétrer d’autres à plus
ou moins brève échéance.
Monsieur le président, l’importance que notre gouvernement attache à la plus haute
institution judiciaire mondiale est telle que S. Exc. le ministre des droits humains, le professeur
Ntumba Luaba Lumu, a été dépêché en personne pour vous exposer les motifs et arguments pour
lesquels, la Cour a compétence prima facie pour donner suite à la demande en indication de
mesures conservatoires présentée par la République démocratique du Congo. Il mettra
particulièrement l’accent sur l’urgence à fixer de telles mesures pour éviter l’irréparable.
Monsieur le président, il sera suivi du professeur Lwamba Katansi, ancien ministre et ancien
chef du département de droit international public, qui mettra en exergue les clauses
- 16 -
compromissoires évoquées dans la demande de la République démocratique du Congo établissant
la compétence de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires.
Le professeur Pierre Akele Adau, doyen de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa et
haut magistrat, exposera sur des cas spécifiques d’attributions de la compétence à la Cour et à la
nécessité pour celle-ci de prononcer des mesures conservatoires eu égard à la préméditation du
Rwanda et sa détermination à poursuivre sa politique et ses pratiques criminelles sur le sol
congolais.
Le professeur Balanda, premier président honoraire de la Cour suprême de justice, a connu
un empêchement de dernière minute. Son exposé sur la responsabilité du Rwanda sera fait par le
ministre des droits humains, le professeur Ntumba Luaba.
Je reviendrai devant la Cour, en ma qualité d’agent, pour une conclusion.
Je remercie la Cour pour son attention et vous prie, Monsieur le président, de passer
maintenant la parole au ministre des droits humains pour son intervention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l’agent et je donne maintenant la parole au
professeur Ntumba Luaba, ministre des droits humains, en sa qualité de coagent.
M. NTUMBA LUABA LUMU : Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres
de la Cour. Une fois de plus, c’est pour moi un honneur et un privilège de me présenter devant la
plus haute juridiction mondiale.
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo et le peuple congolais ont tenu à
ce que le ministre des droits humains que je suis se présente en personne devant votre auguste
prétoire en raison de la gravité tragique des violations des droits de l’homme et du droit
international humanitaire découlant de l’agression et de l’occupation d’une partie substantielle du
territoire congolais par les troupes de l’armée patriotique rwandaise.
A Kisangani, deux ans après les affrontements, meurtriers pour la population civile, entre
troupes rwandaises et forces ougandaises en mai et juin 2000, ce que les uns ont appelé la «guerre
dans la guerre d’agression» et que les autres qualifient de «première guerre mondiale africaine», les
troupes rwandaises ont choisi de célébrer à leur manière ce triste et tragique événement. Le cas de
Kisangani ne constitue qu’une des illustrations, certes parmi les plus tragiques, du cynisme et de la
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politique de la terre brûlée pratiquée par les troupes rwandaises en territoire congolais depuis
bientôt quatre ans.
Monsieur le président, la République démocratique du Congo a frappé à toutes les portes et
s’est présentée devant toutes les institutions internationales, universelles et régionales, à la
recherche d’une voie de sortie pacifique au conflit armé que lui impose le Rwanda. Ce dernier
pays, cependant, a toujours balayé d’un revers de la main toutes les propositions tant de la
République démocratique du Congo que des divers membres de la communauté internationale.
Aujourd’hui, le peuple congolais, profondément meurtri et désemparé, se tourne vers
l’organe judiciaire principal des Nations Unies, Nations éprises de paix et de justice, pour
sauvegarder ses droits fondamentaux. C’est la raison d’être de la présente demande en indication
de mesures conservatoires.
Monsieur le président, l’article 41, paragraphe 1, du Statut de la Cour dispose que «[l]a Cour
a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures
conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire».
Comme l’indique la doctrine constante, il n’est pas demandé à la Cour de s’assurer d’une
manière concluante ou définitive, qu’elle a compétence pour statuer sur le fond; il faut et il suffit
tout simplement pour elle de se convaincre qu’elle dispose au moins d’une compétence prima facie
ou formelle (Maurice Arbour, Droit international public, 3e
éd., Ed. Yvon Blais, Québec, 1997,
p. 544).
Selon la formule consacrée dans l’affaire des Essais nucléaires en 1973 :
«la Cour n’a pas besoin, avant d’indiquer ces mesures, de s’assurer de façon
concluante de sa compétence quant au fond de l’affaire, mais … elle ne doit cependant
pas indiquer de telles mesures si les dispositions invoquées par le demandeur ne se
présentent pas comme constituant, prima facie, une base sur laquelle la compétence de
la Cour pourrait être fondée» (C.I.J. Recueil 1973, p. 101).
Il en est de même dans plusieurs autres affaires : Affaire de la Compétence en matière de pêcheries
(C.I.J. Recueil 1972, p. 30); Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran
(C.I.J. Recueil 1979, p. 7); Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(C.I.J. Recueil 1984, p. 169); Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (C.I.J. Recueil 1990, p. 64);
affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (C.I.J. Recueil 1996,
p. 13).
- 18 -
Le PRESIDENT : Monsieur le ministre, si je puis vous interrompre une seconde. L’usage
devant la Cour est, lorsqu’il y a des références de ce genre ¾ pour gagner du temps ¾, qu’elles ne
soient pas citées au cours des plaidoiries orales mais que, d’un commun accord, elles soient
reportées dans le texte écrit des plaidoiries. Je vous remercie.
M. NTUMBA LUABA LUMU : Je vous en prie, cela nous permet de gagner du temps.
Outre l’existence d’une compétence prima facie, les mesures conservatoires demandées
doivent avoir pour objet la protection de droits susceptibles de faire l’objet d’une décision de la
Cour dans l’exercice de cette compétence. Par ailleurs, les circonstances de l’espèce doivent faire
ressortir qu’il est urgent d’indiquer des mesures conservatoires afin d’éviter ou d’empêcher que les
droits consacrés subissent un préjudice irréparable.
Monsieur le président, pour sa part, conformément à l’article 36, paragraphe°2 du Statut de
la Cour internationale de Justice, la République démocratique du Congo a souscrit à la clause
facultative et accepté la juridiction obligatoire de la Cour, par sa déclaration du 8 février 1989 en
ces termes :
«Le conseil exécutif de la République du Zaïre [actuellement Gouvernement de
la République démocratique du Congo] reconnaît comme obligatoire, de plein droit et
sans convention spéciale, à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la
juridiction de la Cour internationale de Justice pour tous différends d’ordre juridique
ayant pour objet :
a) l’interprétation d’un traité;
b) tout point de droit international;
c) la réalité de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international;
d) la nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’un engagement
international.
Il est entendu en outre que la présente déclaration restera en vigueur aussi longtemps
qu’un avis de révocation n’aura pas été donné.»
Il est toujours en vigueur. Tel n’est pas le cas pour le Rwanda. Malgré son semblant
d’attachement à la justice internationale, le Rwanda n’a pas jugé approprié de reconnaître la
juridiction obligatoire de plein droit de la Cour internationale de Justice.
- 19 -
De la même façon, le Rwanda a toujours refusé de consentir à un compromis avec la
République démocratique du Congo pour soumettre, de commun accord à la Cour, le différend qui
les oppose car, comme l’autorise le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour : «la
compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront…».
Cependant, la juridiction obligatoire de la Cour peut également découler des clauses
conventionnelles spéciales dites encore clauses compromissoires ou engagements généraux
(Nguyen Quoc Dinh, Droit International public, LGDJ, Paris, 1999, p. 860), comme indiqué à
l’article 36, paragraphe premier du Statut de la Cour : «La compétence de la Cour s’étend … à tous
les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en
vigueur.»
Dans de telles clauses, il est fait référence à la juridiction obligatoire de la Cour
internationale de Justice au sujet des litiges qui viendraient à surgir à propos de l’interprétation ou
de l’application des ces conventions particulières (D. Carreau, Droit international, 2e
éd., Paris,
Pédone, 1988, p. 575).
On sait que la Cour, dans l’affaire des Actions armées frontalières (Nicaragua c. Honduras)
a trouvé comme bases suffisantes de sa compétence l’article XXI du pacte de Bogota. Il en est de
même dans d’autres affaires.
Ainsi la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes du 18 décembre 1979, ratifiée par la République démocratique du Congo le 6 octobre 1985
et par le Rwanda par arrêté présidentiel nº 431/16 du 10 novembre 1980 publié au journal officiel
de 1981, à la page 4, contient la clause suivante à l’article 29, paragraphe 1 : «Tout différend entre
deux ou plusieurs Etats parties concernant l’interprétation ou l’application de la présente
convention, qui n’est pas réglé par voie de négociation est soumis à l’arbitrage, à la demande de
l’un d’entre eux. Si dans les six mois qui suivent la date de demande d’arbitrage, les parties ne
parviennent pas à se mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre
elles peut soumettre le différend à la Cour internationale de Justice, en déposant une requête
conformément au Statut de la Cour.»
Monsieur le président, faudrait-il rappeler ici tout le calvaire subi par les femmes et les
enfants, victimes de choix, tout au long de la guerre d’agression et de l’occupation du territoire
- 20 -
congolais, notamment par les troupes rwandaises ? Les viols et exactions diverses, les mutilations,
l’expansion du sida et autres formes de violences, dont l’enterrement de femmes vivantes.
Il suffit de parcourir les différents rapports du rapporteur spécial sur la situation des droits de
l’homme en République démocratique du Congo et des organisations non gouvernementales pour
être édifié.
Dans sa résolution 2002/14 du 19 avril 2002, la Commission des droits de l’homme de
l’ONU a déploré «le recours largement répandu aux violences sexuelles contre les femmes et les
enfants, y compris comme moyen de guerre».
Devrai-je parler et insister sur le cas de quinze femmes congolaises enterrées vivantes à
Mwenga aux environs du 15 et 25 novembre 1999 ? Comme le signale le septième rapport du
Secrétaire général sur la mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique
du Congo, rapport du 17 avril 2001, l’équipe de deux personnes dépêchée sur place par
Mme Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a pu recueillir
des renseignements de première main et interroger des témoins oculaires. A partir de ces
constatations préliminaires, l’équipe des droits de l’homme a pu établir que le massacre,
c’est-à-dire l’enterrement de femmes vivantes avait bien eu lieu. Le rapport vous sera versé,
Monsieur le président (Nations Unies, Conseil de Sécurité, S/2000/330, p. 8, par. 61). Et pour que
l’on n’oublie pas, permettez-moi d’honorer leur mémoire. Oui, en ce moment, nous pensons à
vous, nos sœurs décédées dans des conditions d’atrocité et de cruauté inouïes :
¾ Bitondo Evelyne,
¾ Mbilizi Musombwa,
¾ Safi Christine,
¾ Kungwa Anièce,
¾ Nakusu Nakipimo,
¾ Tabu Wakenge,
¾ Nyassa Kasandule,
¾ Mapendo Mutitu,
¾ Bukumbu,
¾ Maman Sifa,
- 21 -
¾ Maman Mukoto,
¾ Mbilinzi Kiandundu,
¾ Mme Mukunda,
¾ Epouse Mwami Kisali,
¾ nous pensons à toi également, femme non encore identifiée, mais le seras-tu un jour ? Justice
sera-t-elle faite pour toi et pour toutes les autres victimes de la guerre ?
Il est clair que le Rwanda a violé ses obligations eu égard à l’article premier de la convention
précitée qui spécifie que
«l’expression «discrimination à l’égard des femmes» vise toute distinction, exclusion
ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de
détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes … des droits de
l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique,
social, culturel et civil ou dans tout autre domaine».
Monsieur le président, l’état de guerre et l’occupation territoriale par les troupes étrangères
ne peuvent guère favoriser le respect des droits des femmes. C’est à juste titre que le préambule de
la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
souligne que
«l’élimination de l’apartheid, de toutes les formes de racisme, de discrimination
raciale, d’agression, d’occupation, de dominations étrangères et d’ingérence dans les
affaires intérieures des Etats est indispensable [cette élimination] à la pleine jouissance
par l’homme et la femme de leurs droits».
Que dire alors d’une guerre d’agression et d’occupation territoriale qui dure depuis bientôt
quatre ans !
Le Rwanda n’a pas non plus respecté ses obligations de ne pas se livrer à des actes de
discrimination raciale,
«c’est-à-dire toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race,
l’origine nationale ou ethnique qui, aux termes de la convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965, en son
article premier, par. 1, a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la
reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de
l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique,
social et culturel ou dan tout autre domaine de la vie publique.»
C’est la raison pour laquelle la République démocratique du Congo fonde également la
compétence de la Cour sur l’article 22 de la convention susmentionnée ainsi libellée :
- 22 -
«Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant l’interprétation de
l’application de la présente convention qui n’aura pas été réglé par voie de négociation
ou au moyen de procédures expressément prévus par ladite convention sera porté, à la
requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour
qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d’un
autre mode de règlement.»
Ce qui n’a pas été le cas. La convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale est en vigueur (depuis le 4 janvier 1969) et lie la République démocratique
du Congo et le Rwanda qui l’ont ratifiée respectivement le 21 avril 1976 et le 16 avril 1975. La
réserve formulée par le Rwanda au sujet de l’article 22 est sujette à caution. Elle est inacceptable,
dans la mesure où elle reviendrait à reconnaître au Rwanda le droit à commettre, dans l’impunité
totale ¾ comme c’est encore le cas jusqu’à ce jour ¾ les actes prohibés par la convention. Ce
faisant, une telle réserve ne peut qu’empêcher la réalisation des buts et de l’objet même du traité.
Monsieur le président, comment ne pas parler d’un génocide dont est victime le peuple
congolais avec plus de 3 500 000 morts ? Ce chiffre effrayant ne peut qu’interpeller toute bonne
conscience. Il ne s’agit pas d’une invention congolaise. Cette catastrophe humanitaire est
mentionnée tant par des rapports de l’Organisation des Nations Unies que d’autres institutions
internationales gouvernementales ou non gouvernementales. Ainsi, notamment, le huitième
rapport du Secrétaire général sur la mission de l’ONU en République démocratique du Congo, le
rapport de l’organisation américaine International Rescue Committee (que nous aurons l’occasion
de vous remettre).
Dans son huitième rapport sur la MONUC, le Secrétaire général
«stigmatise les aspects humanitaires : 338 450 congolais réfugiés dans les pays voisins
(selon le HCR), 2 041 000 dans l’ensemble du pays; des personnes déplacées (d’après
le bureau de coordination des affaires humanitaires), et 16 000 000 de personnes ayant
un besoin critique d’aide alimentaire.
Dès le début des combats en août 1998, le nombre des décès parmi la
population civile présentait déjà un excédent de 2 500 000 morts par rapport à ce qu’il
aurait été normalement s’il n’y avait pas eu la guerre.»
A l’évidence, le Rwanda a manqué à ses obligations, en violant particulièrement l’article 2
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qui interdit
l’accomplissement
«de l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou
partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
- 23 -
a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner
sa destruction physique totale ou partielle;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe».
Le groupe national congolais, Monsieur le président, a été amputé du fait de la guerre et de
l’occupation de son territoire d’au moins 5 % de sa population (plus de 3 500 000 morts sur environ
60 millions d’habitants). Par ailleurs, des groupes ethniques particuliers ont fait l’objet de
massacres systématiques suite à leur résistance : les Bafulero, les Mbemba, les Barega, les Shi, les
Hemba, les Nyindu, les Tembo, les Nyanga, les Hunde, etc., pour ne citer que ceux-là. L’agression
et l’occupation du territoire de la République démocratique du Congo par les troupes de l’armée
patriotique rwandaise avec l’appui de ses alliés du RDC/Goma, sont jalonnées de massacres, de
sang et de larmes : 5 août 1998, exécution sommaire de plusieurs dizaines d’officiers congolais à
l’aéroport de Kavumu à Bukavu; décembre 1998, massacres de Makobola, environ huit cents
victimes dénombrées par l’agence missionnaire catholique MISNA; mars 1998, massacres de
Burhinyi et de Walungu, massacres à Kilambo, Luberezi, Cidaho, Uvira; novembre 1999,
enterrements des femmes vivantes en territoire de Mwenga; mai 2000, massacres de Katogota, plus
de trois cents personnes civiles tuées et d’autres portées disparues, jetées dans les latrines et dans la
rivière Ruzizi, pillages, tueries et destructions opérées dans la commune de Bagira à Bukavu par les
soldats rwandais dans la nuit du 6 au 7 juin 2001, etc.
Devrais-je continuer avec cette longue liste ou litanie macabre ? Madame et Messieurs de la
Cour, les différents tomes du Livre blanc sont à votre disposition, de même que quelques autres
publications, notamment «Pour que l’on n’oublie jamais ¾ Mourir pour avoir accueilli, aimé et
protégé».
Dans son ouvrage «Mourir au Kivu ¾ Du génocide tutsi aux massacres dans l’Est du
Congo» (Paris, édition du Trottoir, L’harmattan, 2001, p. 11-12), Antoine Bulambo Katambu lance
avec pertinence cette interpellation : «Peut-on prévenir un génocide en tolérant qu’un autre se
commette ? Pire, en armant ceux qui s’y adonnent ? Qui s’émeut de savoir que cette guerre
imposée aujourd’hui a déjà causé plus de deux millions de morts ?»
- 24 -
International Rescue Committee dans son étude du 8 juin 2000, il y a donc de cela deux ans,
signale que la guerre à l’est de la République démocratique du Congo décime la population civile à
un degré jusque-là inconnu. Deux mille six cents personnes meurent chaque jour du fait de la
guerre. Trente-quatre pour cent des morts sont des enfants de tout au plus cinq ans. Environ
cinq cent quatre-vingt-dix mille enfants sont décédés fin 2000.
Il est vrai que le Rwanda a émis une réserve concernant l’article IX de la convention du
9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide qui admet la juridiction
obligatoire de la Cour et qui dit ceci :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
Le doyen Akele aura l’occasion de revenir là-dessus de façon plus ample.
Monsieur le président, le Rwanda et la République démocratique du Congo ont tous les deux
accédé aux statuts des institutions spécialisées de l’ONU qui n’excluent pas le règlement judiciaire
des litiges.
Tel est le cas de la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, organisme auquel
appartiennent la République démocratique du Congo et le Rwanda.
La Charte des Nations Unies a été conclue pour combattre, voire éradiquer le fléau de la
guerre, et «épargner à l’humanité d’indicibles souffrances», comme le proclame son préambule.
Depuis quatre ans que dure la guerre d’agression et d’occupation d’une bonne partie de son
territoire, le droit au bien-être physique et mental, garanti par l’article premier de la Constitution de
l’Organisation mondiale de la Santé du 22 juillet 1946, a été sérieusement, ignoré, bafoué, empiété
au préjudice du peuple congolais. Le droit à la vie n’a pas été du tout respecté. Les occupants sont
allés jusqu’à empêcher et entraver des campagnes de vaccination. A Goma, en janvier dernier, lors
de l’éruption volcanique du Nyiragongo, ils n’ont pas permis au Gouvernement congolais
d’apporter une assistance humanitaire à sa population sinistrée.
L’article 75 de la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé permet dès lors à la
Cour de se prononcer sur le différend ainsi né des diverses violations. Cet article stipule :
- 25 -
«Toute question ou différend concernant l’interprétation ou l’application de
cette Constitution, qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou par l’assemblée
de la Santé sera déféré par les parties à la Cour internationale de Justice conformément
au Statut de ladite Cour, à moins que les parties intéressées ne conviennent d’un autre
mode de règlement.»
Le Rwanda a toujours refusé tout autre mode de règlement.
La plupart des institutions spécialisées de l’Organisation des Nations Unies sont handicapées
dans l’accomplissement de leur mission. Leurs représentants, comme cela a été le cas dernièrement
pour quelques agents de la MONUC, font l’objet de tracasseries régulières de la part des troupes
rwandaises. Ils sont parfois chassés purement et simplement des zones d’occupation. La raison est
évidente : continuer à tuer, massacrer et faire disparaître les traces à «huis clos», en l’absence de
tout témoin gênant.
Aussi, par la déclaration faite par son président le 5 juin 2002, le Conseil de sécurité «exige
du RCD-Goma qu’il cesse immédiatement de harceler les représentants de l’Organisation des
Nations Unies et demande au Rwanda d’exercer son influence pour que le groupe respecte toutes
ses obligations». Le lien est clair entre les agissements du RCD et la présence rwandaise.
«Le Conseil de sécurité condamne, dans les termes les plus énergiques, les actes
d’intimidation et les déclarations publiques dénuées de fondement à l’encontre de la
mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC),
notamment les tentatives faites par le Rassemblement congolais pour la démocratie
(RCD-Goma) pour «bannir» le représentant spécial du Secrétaire général, et «expulser
plusieurs membres de la MONUC et d’autres membres du personnel des
Nations Unies des zones sous son contrôle empêchant ainsi le personnel de
l’Organisation des Nations Unies et de ses institutions spécialisées de jouir
normalement de ses privilèges et immunités.»
Comme vous le savez la convention sur les privilèges et immunités des institutions
spécialisées prévoit en son article 9 que : «Toute contestation portant sur l’interprétation ou
l’application de la présente convention sera portée devant la Cour internationale de Justice, à moins
que, dans un cas donné, les parties ne conviennent d’avoir recours à un autre mode de règlement.»
Il en est de même de la convention de Montréal pour la répression d’actes illicites dirigés
contre la sécurité de l’aviation civile du 23 septembre 1971 qui prévoit une clause similaire à son
article 14, paragraphe 1.
Monsieur le président, la doctrine la plus répandue (G. Cohen Jonathan) et la jurisprudence
constante de la Cour affirment l’existence de l’obligation internationale de respecter les droits de
- 26 -
l’homme, fondée sur un principe général coutumier et dont l’effet erga omnes postule et suppose la
garantie collective des Etats et de la communauté internationale dans son ensemble.
Le Rwanda et la République démocratique du Congo sont parties à la Charte de
l’Organisation des Nations Unies, qui en son article 55 dispose :
«En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour
assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du
principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les
Nations Unies favoriseront :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
c) le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales
pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.»
Désormais, il est admis que le respect des droits de l'homme a un fondement coutumier
comme l'a souligné la Cour internationale de Justice dans son arrêt du 27 juin 1986
(C.I.J. Recueil 1986, par. 267) est claire là-dessus : «l’inexistence d’un engagement [en la matière]
ne signifierait pas qu’un Etat puisse violer impunément les droits de l’homme».
Aussi le président Bedjaoui, à l’occasion de l’avis consultatif présenté par l’OMS
considère-t-il que même que
«la légitime défense — fût-elle exercée dans des conditions extrêmes mettant en cause
la survie même d’un Etat — ne peut engendrer une situation dans laquelle un Etat
s’exonérerait lui-même du respect des normes «intransgressibles» du droit
international humanitaire ?» (Annexe au communiqué de presse 96/23 de la Cour
internationale de Justice, p. 1).
Ce qui n’est pas le cas de la part du Rwanda.
Monsieur le président, comment faire pour éviter l’irréparable, empêcher l’irrémédiable ?
Mais l’irréparable n’est-il pas déjà commis ?
Aux milliers de morts, victimes des affrontements armés de juin 1999 et de mai et juin 2000
entre troupes rwandaises et ougandaises en plein cœur de la ville de Kisangani, sont venus s’ajouter
aujourd’hui plusieurs centaines d’autres.
Saura-t-on les faire revenir à la vie ? Qui comblera le vide affectif, familial et matériel
laissé ? Qui consolera les veuves, les veufs et les orphelins ? Qui arrêtera les actes de répression
aveugle et barbare de la part des troupes de l’armée patriotique rwandaise et de ses alliés du
RCD-Goma ?
- 27 -
Monsieur le président, la Cour ne devrait pas perdre de vue que les pratiques criminelles,
tueries et pillages font partie de la stratégie de la terre brûlée, stratégie criminelle pratiquée par le
Rwanda sur le sol congolais.
De nombreuses déclarations et résolutions ont été adoptées mais sont restées lettre morte,
comme l’a souligné notre agent. Combien de fois le Conseil de sécurité n’a-t-il pas dit qu’il
«condamne tous les massacres perpétrés sur le territoire de la RDC et demandé que les
responsables soient traduits en justice, en insistant sur les massacres dans la province du Sud-Kivu
et autres atrocités dans les autres provinces»?
La situation n’a pas changé, comme le note le neuvième rapport du Secrétaire général sur la
mission de la MONUC : «Le RCD continue à s’opposer actuellement à la démilitarisation de la
ville de Kisangani, et il y maintient des forces sous prétexte de faire opposition à la menace des
Maï-Maï et des forces armées congolaises (FAC). Le Gouvernement de la République
démocratique du Congo a toutefois déclaré qu’il n’avait pas l’intention d’occuper Kisangani en cas
de démilitarisation.» (Conseil de sécurité, S. 2001/970, p. 6, par. 39.)
Ce refus et la politique de brimades et représailles sont à la base de la tragédie humanitaire,
de la catastrophe en matière de droits de l’homme à Kisangani et ailleurs dans les zones sous
occupation.
Dans sa déclaration faite au nom des membres du Conseil de sécurité le 24 mai 2002, le
président du Conseil «condamne vigoureusement ces massacres en particulier de civils, qui ont eu
lieu récemment à Kisangani». Le Conseil demande la cessation immédiate de toutes les violations
des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Sera-t-il suivi par le Rwanda ? Nous
nous permettons d’en douter.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les massacres gratuits perpétrés par
les troupes rwandaises sur les populations civiles sans armes ont assez duré. Trop c’est trop.
L’irréparable est déjà commis. En réalité, ce que nous vous demandons aujourd’hui, c’est de
prendre des mesures exigées par les circonstances pour arrêter la continuation des actes
irrémédiables, pour stopper l’accentuation de l’irréparable.
- 28 -
Les Congolais ne veulent pas de la guerre. Ils aspirent à la paix : une paix réelle, véritable et
durable. Ils préfèrent le bon voisinage et la coopération régionale aux actes d’agression et
d’occupation.
Les Congolais ne demandent rien d’autre que justice et réparation. Ils s’interrogent sur leur
sort injuste et leurs souffrances ne semblent pas encore émouvoir la communauté internationale.
Les Congolais se demandent : après la Cour internationale de Justice, à quelle porte pourraient-ils
encore frapper ? Ils vous disent, Madame et Messieurs de la Cour : rendez justice pour mettre fin à
leur calvaire, sinon demain il y aura encore d'autres massacres à Kisangani ou ailleurs, des
exécutions sommaires et des répressions sanglantes. Et les Congolais n'oublieront jamais que, dans
leur foi en la justice internationale, ils avaient recouru à l'organe judiciaire principal de
l'Organisation des Nations Unies, la plus haute juridiction mondiale siégeant au sein du palais de la
paix.
Monsieur le président, je remercie la Cour pour l'attention qu'elle a bien voulu prêter à mes
propos. Je vous prie de donner maintenant la parole au professeur Lwamba Katansi, conseil et
avocat de la République démocratique du Congo.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le ministre, et je passe maintenant la parole au
professeur Lwamba Katansi.
M. LWAMBA KATANSI : Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la
Cour. Je voudrais, en prenant la parole pour la première fois devant votre Cour, me recommander
d’un proverbe africain qui dit : «Lorsque vous comparaissez pour la première fois devant le grand
conseil des notables, inclinez-vous pour saluer et reconnaître leur sagesse.»
Monsieur le président, en prenant la parole pour la première fois devant votre auguste Cour,
mon émotion n’a d’égale que l’ardeur avec laquelle l’éminent jurisconsulte Paul Reuter, celui-là
même qui dirigea ma thèse de doctorat d’Etat en droit vers les années 1973 à l’Université de Paris,
me parlait de la Cour siégeant à La Haye.
Mon émotion est d’autant plus grande que je vais devoir défendre mon pays contre un Etat
voisin dont, en plus ou moins cinquante ans, les ressortissants ont eu, à maintes reprises, à trouver
- 29 -
refuge et hospitalité sur le territoire de mon pays, lors des massacres à répétition entre les deux
groupes tribaux de l’Etat aujourd’hui agresseur de la République démocratique du Congo.
Mon devoir sera donc, Monsieur le président, d’exposer, dans un premier temps, les faits à
l’origine de la présente cause en essayant à chaque fois de mettre en exergue les violations graves
des droits de l’homme et du droit international humanitaire dont l’Etat agresseur s’est rendu
coupable et, dans une seconde phase, les moyens de droit qui fondent la compétence de votre Cour.
I. Les faits
S’il est vrai qu’il n’y a pas de guerre propre, il est tout aussi exact que l’une des parties à un
conflit armé international ou non international peut rendre un tel conflit plus sale à sa guise. C’est
le cas de la guerre d’agression que la République du Rwanda a entreprise, depuis bientôt cinq ans
¾ depuis 1992 ¾ contre la République démocratique du Congo, où les exactions, les massacres,
l’opprobre, l’ignominie défrayent l’imagination et la chronique.
Cette sale guerre a été qualifiée par des médias internationaux de «guerre mondiale
d’Afrique», certes par le nombre de pays africains et d’ailleurs qui y sont, directement ou
indirectement, impliqués (cf. Rapport du groupe d’experts du Conseil de sécurité des Nations Unies
du 12 avril 2001, qui contient une liste de pays et sociétés commerciales concernés par divers
aspects économiques et financiers de cette guerre) mais aussi, de l’avis des experts avertis, par
l’étendue et la gravité des violations du droit international humanitaire et des droits que la
République du Rwanda se complaît à y commettre.
Je vais, au nom de mon gouvernement, exposer d’abord l’ensemble des violations durant les
cinq années que dure l’agression et, ensuite, les violations graves perpétrées ces derniers jours,
principalement dans la ville de Kisangani, en province orientale de la République démocratique du
Congo, violations qui justifient que la Cour internationale de Justice décide d’urgence de mesures
conservatoires.
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a) Les violations graves des droits de l’homme commises par le Rwanda d’août 1998 à ce
jour
Monsieur le président, la République du Rwanda s’est mise en marge d’un grand nombre de
ses engagements internationaux, au cours de sa guerre d’agression contre la République
démocratique du Congo, commencée le 2 août 1998 et qui se poursuit à ce jour.
La République du Rwanda a de la sorte violé les dispositions du pacte international relatif
aux droits civils et politiques, spécialement ses articles 6, 7, 8 et 9, ainsi que le pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
La République du Rwanda se livre de manière systématique à la violation des conventions de
Genève du 12 août 1949, en ce que ces conventions assurent la protection des populations civiles
en temps de guerre, des prisonniers de guerre et, dans les deux cas, une protection particulière des
enfants et des femmes, dont celles enceintes ont été éventrées en vue d’en extraire le fœtus, le sexe
sectionné ou amputé ou, tout simplement, en apothéose criminelle, enterrées vivantes.
La République du Rwanda affiche par ailleurs un mépris caractérisé à l’égard des protocoles
additionnels du 8 juin 1977 aux conventions précitées de Genève du 12 août 1949, dans ce que ces
protocoles interdisent les atteintes à la vie, à l’intégrité physique des personnes tombées au pouvoir
de l’Etat ennemi, de même qu’ils prohibent les prises d’otages, les traitements cruels, inhumains ou
dégradants.
Dans une guerre, Monsieur le président, où l’Etat agresseur s’est organisé en prenant des
précautions, autant qu’il pouvait, pour faire disparaître, à tous les coups, les corpora delicti ¾ je
veux dire les preuves de ses crimes ¾, qui pourrait, Madame et Messieurs de la Cour, même à la
centaine près, inventorier les victimes que l’Etat agresseur a enfouies au cœur de la savane ou de la
forêt; qu’il a livrées à la voracité des crocodiles des fleuves et rivières; de celles brûlées vives dans
leurs cases; de celles déportées au Rwanda en catimini; de celles, enfin, tout aussi anonymes, qui se
sont volatilisées dans la nature pour fuir la terreur des armées de l’Etat agresseur ? Soit un bilan
consolidé et macabre de trois armées, rwandaise, ougandaise et burundaise, de plus de 3,5 millions
de morts congolais en cinq ans.
L’impossibilité matérielle d’un inventaire exhaustif des victimes civiles et des biens de
caractère civil fait que le gouvernement de mon pays ne peut qu’établir un échantillon, mince il est
- 31 -
vrai, mais épais et éloquent quant à l’immensité des violations avérées commises par le Rwanda sur
le territoire de mon pays.
Je me permets, Monsieur le président, de passer outre au tableau de ces violations parce que
le temps qui m’est imparti ne le permet pas, mais vous permettrez, Monsieur le président, que je
vous dise que le village protestant de Kanunu, de la mouvance de la Seventh Day Adventist
Mission, qui m’a vu naître, et celui, catholique, de Sola, où j’ai appris à lire et à écrire et les
rudiments de la morale chrétienne et de la justice, ont été rayés de la carte, brûlés, incendiés. Au
moment où je me trouve devant vous, je n’ai pas de nouvelles de mes parents, de mes frères et
sœurs. Ou plus exactement, le peu de nouvelles qui me sont parvenues de la partie occupée de ma
province disent que mes parents, frères et sœurs sont plutôt morts que vivants.
Cependant, la tristesse et l’amertume, Monsieur le président, ne peuvent m’empêcher
d’accomplir mon devoir. Celui de poursuivre devant la Cour internationale la défense de mon
pays. J’en viens ainsi aux violations récentes.
b) Les violations des droits de l’homme commises en ce mois de mai 2002 par l’armée du
Rwanda à Kisangani, province orientale
Monsieur le président, le 14 mai dernier, l’armée de la République rwandaise, fidèle à son
comportement de mépris des principes généraux d’humanité des droits de l’homme, a procédé à
des massacres des populations civiles de Kisangani et à la destruction aveugle des biens de
caractère civil dont nous savons tous qu’ils sont sous la protection de la convention de La Haye du
28 juillet 1907.
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est convaincu et entend
convaincre la Cour internationale que l’expulsion, par les autorités rwandaises, des représentants de
la MONUC de la ville de Kisangani apparaît comme un progrom d’un énième massacre que l’Etat
agresseur se prépare à perpétrer. Le témoignage de rescapés de Kisangani auquel j’ai assisté
moi-même à Kinshasa, il y a quelques jours, je veux dire avant que je ne m’embarque pour la
Haye, renforce cette crainte de la République démocratique du Congo.
C’est là, d’ailleurs, la raison majeure qui justifie, s’il en était encore besoin, la compétence
de votre Cour pour décider d’urgence des mesures conservatoires, une telle décision venant à la
- 32 -
rescousse de la protestation du Conseil de sécurité à laquelle nos prédécesseurs, ceux qui ont parlé
avant moi, ont fait allusion.
II. Le droit
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo entend, dans la présente cause
qui l’oppose au Rwanda, établir la compétence de la Cour internationale en argumentant davantage
que dans sa requête introductive du 28 mai 2002 : d’abord quant au fond de l’affaire elle-même et
ensuite quant aux mesures conservatoires urgentes en vue d’empêcher l’armée du Rwanda qui
opère sur le territoire congolais, de dépasser les limites de l’imaginable en termes de méfaits sur la
population civile des territoires occupés en terre congolaise.
a) La compétence de la Cour internationale quant au fond de l’affaire
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo sait que la présente cause, plus
exactement, que la compétence de la Cour dans cette présente cause ne peut être établie ni sur la
base d’un compromis qui, en l’espèce n’existe pas, ni sur l’acceptation de la juridiction obligatoire
de la Cour, la République du Congo ayant procédé à une telle déclaration, le Rwanda s’en étant
abstenu à ce jour.
Il en résulte, Monsieur le président, que la compétence de la Cour internationale de Justice
sera, dans la présente cause, établie sur la base des conventions et traités internationaux auxquels le
demandeur et le défendeur sont parties.
Je vais donc mettre en évidence les dispositions des conventions internationales et traités
ainsi ratifiés par les deux Parties et qui fondent essentiellement votre compétence.
1. Premier moyen : la compétence de la Cour, à notre avis, peut être fondée sur la convention
du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, article IX
1.1. Il est constant, Monsieur le président, tout d’abord, que la République démocratique du
Congo et le Rwanda ont, la première en date du 31 mai 1962 et le second en date du 16 avril 1975,
ratifié la convention du 9 avril 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide. Il est
ensuite tout aussi constant que l’article IX de la convention susmentionnée dispose :
«les différends entre les parties contractantes relatifs à l’interprétation, l'application ou
l’exécution de la présente convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un
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Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énuméré à
l’article III seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une des
parties au différend».
Les dispositions ci-dessus invoquées, Monsieur le président, de l’article IX constituent, à
notre sentiment, une base suffisante de la compétence de la Cour. C’est vrai que dans l’affaire qui
a opposé la Yougoslavie à la France (ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 372,
par. 27), la Cour de Justice a écarté cette compétence en déclarant en substance :
«Considérant qu’il apparaît à la Cour, d’après cette définition, que la
caractéristique essentielle du génocide est la destruction intentionnelle d’un groupe
national, ethnique, racial ou religieux (Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime du génocide, mesures conservatoires, ordonnance
du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 345, par. 42); que le recours ou la
menace du recours à l’emploi de la force contre un Etat ne sauraient en soit constituer
un acte de génocide au sens de l’article II de la convention sur le génocide; et que, de
l’avis de la Cour, il n’apparaît pas au présent stade de la procédure que les
bombardements qui constituent l’objet de la requête yougoslave «comporte[nt]
effectivement l’élément d’intentionnalité, dirigé contre un groupe comme tel, que
requiert la disposition suscitée» (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 5401, par. 26).»
Cependant, Monsieur le président, dans la cause qui oppose présentement mon pays au
Rwanda, les faits reprochés, loin d’être du genre de ceux invoqués par la Yougoslavie dans sa
requête contre la France, en l’occurrence les «bombardements», les faits, disais-je, rentrent bien
dans la définition du génocide en tant que celui-ci a été défini ou redéfini par votre Cour comme
étant «la destruction intentionnelle d’un groupe national, ethnique, racial …».
En effet, les faits intentionnels invoqués à cet égard par la République démocratique du
Congo contre le Rwanda, pour être nombreux, vous l’avez remarqué sont, on l’a indiqué, les
massacres des membres des tribus congolaises dans la province du Sud-Kivu, du Nord-Kiu, du
Katanga, de la province orientale; les déportations des membres des tribus congolaises Nande,
Hunde, Fuliro, ainsi de suite; le recours à des hommes de troupes atteints du sida ayant mission de
propager cette maladie lors des viols collectifs des filles et femmes du Congo, l’incendie des
maisons où étaient enfermées des personnes civiles et dont quelques enfants rescapés ont été
acheminés en Espagne pour des soins appropriés.
Enfin, le climat de terreur, engendré par tous ces faits et événements, poussant les habitants à
abandonner leur milieu habituel et à s’enfoncer toujours plus profondément dans la brousse ou la
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forêt en vue d’échapper à ces massacres, mais où, malheureusement, Monsieur le président, ils ont
vocation à mourir de faim, de maladies, de solitude, comme il y a mille ans.
Il suit de ce qui précède, Monsieur le président, que les actes de génocide étant avérés et
établis dans le chef du demandeur, l’article IX de la convention sur le génocide est applicable et
fonde, dans cette affaire, la compétence de la Cour internationale de Justice. La requête de la
République démocratique du Congo n’étant pas un exercice «politique» tendant à camoufler quoi
que ce soit, ne pas reconnaître sa compétence, c’est pour la Cour, laisser au seuil du troisième
millénaire un Etat narguer impunément et appliquer sur son territoire et celui d’un Etat voisin la loi
de la jungle, et par conséquent livrer des ethnies entières à la disparition plus rapide qu’il n’y
paraît.
1.2. Mais quid de la réserve du Rwanda vis-à-vis de cet article IX de la convention sur le
génocide ?
En argumentant comme je viens de le faire, le Gouvernement de la République démocratique
du Congo n’est pas sans savoir qu’en adhérant à la convention sur la prévention et la répression du
crime de génocide du 9 décembre 1948, par son décret nº 8/75 du 12 février 1975, le Rwanda y a
ajouté la mention qu’il ne se considère pas comme lié par l’article IX de ladite convention, qu’en
termes différents, le Rwanda a fait une réserve à cet article.
1.3. Le Gouvernement de la République démocratique du Congo, fait objection à la réserve
du défendeur. Il considère que la convention relative au crime de génocide, dont le préambule
souligne que «le génocide est un crime du droit des gens», contient des normes ressortissant du jus
cogens, autrement dit, cette convention comporte des règles impératives selon la convention de
Vienne sur le droit des traités de 1969 et que, en tant que telles, ces règles s’imposent erga omnes.
C’est ce qui a été dit dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie, (arrêt sur les exceptions
préliminaires, communiqué de presse 96/25 du 11 juillet 1996).
Dès lors, Monsieur le président, le Gouvernement de la République démocratique du Congo
soutient que, ayant force de la loi générale à l’égard de tous les Etats, y compris par conséquent
l’Etat défendeur dans la présente cause, la Cour internationale de Justice est compétente en vertu de
l’article IX de ladite convention sur la répression du crime de génocide.
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11.4. Si, par extraordinaire, je veux dire par impossible, la Cour internationale de Justice
devait rejeter l’argumentation que je viens de développer, fondée sur le caractère impératif des
normes de la convention sur le crime de génocide, votre Cour, Monsieur le président, devrait,
malgré cela, exercer sa compétence dans cette affaire sur la base de l’argument suivant, lui-même
fondé sur le critère de la compatibilité de la réserve faite par le Rwanda avec les fins de la
convention sous examen. Je fais allusion en réalité à l’avis du 28 mai 1951 sur les réserves à la
convention (Réserves à la Convention sur le génocide, avis consultatif : C.I.J. Recueil 1951, p. 15).
En effet, le Rwanda a, par sa lettre adressée au Conseil de sécurité des Nations Unies,
sollicité l’institution d’un tribunal pénal international en vue de juger les crimes de génocide
commis sur un segment précis du peuple du Rwanda, et tels que ces crimes sont définis par la
convention sur la prévention et la répression du crime du 9 décembre 1948.
Or, le Rwanda ne peut, par manière d’application du principe des deux poids et deux
mesures, demander une chose et son contraire, ou, plus exactement, se comporter de façon
contradictoire : désirer ardemment que les auteurs des crimes de génocide contre le peuple
rwandais soient punis, notamment en les déférant au Tribunal pénal international pour le Rwanda,
siégeant à Arusha, en République de Tanzanie et, en même temps, refuser que de tels criminels
génocidaires soient punis dès lors que les victimes de ces derniers ne sont pas des ressortissants
rwandais ou que les auteurs de ces crimes sont ces derniers, c’est-à-dire les Rwandais. A moins
qu’en cette affaire le défendeur ne considère que seuls les ressortissants de son pays méritent, sur
cette terre des hommes, d’être protégés dans leur personne et dans leur dignité.
La haute Cour internationale percevant la «dangerosité» d’une pareille attitude fondée sur la
morale politique du prince de Machiavel ne pourrait en aucune manière encourager cette attitude.
De sorte que, considérant le caractère impératif des normes de la convention sur le génocide, d’une
part et, d’autre part, la nécessité pour le défendeur d’adopter désormais non seulement une attitude
cohérente au regard des deux remparts protecteurs des droits de la personne humaine, je veux dire
la Cour internationale de Justice et le Tribunal pénal international pour le Rwanda, mais encore une
attitude plus conforme en termes de nations civilisées, la Cour se déclarera compétente pour juger
la requête de la République démocratique du Congo.
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2. Deuxième moyen : la compétence de la Cour internationale de Justice peut être fondée sur
la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants du 10 décembre 1984, article I
2.1. Je rappelle que la convention du 10 décembre 1984 contre la torture donne de la notion
de torture, en son article I, la définition suivante :
«Aux fins de la présente convention, le terme «torture» désigne tout acte par
lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont
intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou
d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle
ou une tierce personne a commis, ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou
de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme
de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances
sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à
titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.»
2.2. Je voudrais, dans le dessein de rendre encore plus clair l’exposé sur le point de la
compétence de votre Cour fondée sur la convention contre la torture, rappeler les dispositions de la
convention no
1 de Genève et les dispositions de l’article 30 de la convention de Genève qui disent :
¾ convention I de Genève, article XVII :
«Les parties au conflit veilleront à ce que l’inhumation ou l’incinération des
morts, faite individuellement dans toute la mesure où les circonstances le permettront,
soit précédée d’un examen attentif et si possible médical des corps, en vue de
constater la mort…»;
¾ convention II (article XX) :
«Les parties au conflit veilleront à ce que l’immersion des morts, faite
individuellement dans toute la mesure où les circonstances le permettront, soit
précédée d’un examen attentif et si possible médical des corps, en vue de constater la
mort…»
Monsieur le président, de toute évidence, le prescrit de ces articles XVII et XX des conventions I
et II de Genève pré-rappelés du 12 août 1949, impose à toute partie à un conflit, le devoir d’éviter
d’enterrer volontairement, c’est-à-dire intentionnellement, des personnes vivantes, alors blessées ou
malades.
2.3. Cela admis, il suffira d’invoquer à cet endroit, Monsieur le président, un seul et unique
fait qui, se passant de tout commentaire moral, rentre dans les prévisions de la convention contre la
torture du 10 décembre 1984. Ce fait c’est l’enterrement le 10 octobre 1999 à Kalambi et le
13 octobre à Bilizi, dans la province du Sud-Kivu, respectivement de cinq et de quatre femmes
vivantes, avec cette mention spéciale pour l’Etat auteur de ce forfait que les neuf suppliciées ont été
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enterrées jusqu’aux épaules, leur tête et leur cou émergeant et laissés à la merci des chiens, des
charognards et autres bestioles.
2.4. Tour d’abord, je fais observer que les hommes de troupes des forces armées du Rwanda
rentrent bien dans la partie finale de la définition de la torture selon laquelle cette dernière est
réputée exister «lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la
fonction publique ou de toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec
son consentement exprès ou tacite».
2.5. Je soutiens ensuite que le fait d’enterrer des personnes vivantes, qui pis est, des femmes
dont le droit international conventionnel relatif aux droits de l’homme et le droit international
humanitaire, se préoccupent de façon particulière, rentre dans toutes les prévisions, si j’ose dire, de
l’article I de la convention contre la torture sous examen. Car, il est évident que les buts
intentionnels poursuivis par l’Etat auteur du fait incriminé sont ceux-là mêmes définis par l’article I
de la convention, à savoir :
¾ obtenir des renseignements notamment sur les lieux où se cachent les hommes traqués et qui
ont fui l’enrôlement forcé dans les rangs de l’armée du Rwanda;
¾ punir les femmes enterrées vivantes d’avoir refusé de collaborer avec l’agresseur de leur pays;
¾ intimider, c’est-à-dire, en l’occurrence, semer la terreur afin que, quittant leur village et allant
trouver refuge au cœur de la brousse, les Congolais des territoires occupés par les forces des
armées rwandaises, y meurent de faim, de maladie, d’intempéries et abandonnent l’espace à
l’occupant;
2.6. Je soutiens enfin, qu’au vu des arguments qui précèdent, l’invocation de la convention,
contre la torture sur le pied de son article I, est pertinente, et que, par conséquent, ledit article fonde
à suffisance de droit, la compétence de votre Cour.
3. La responsabilité de la République du Rwanda
Il est constant que les faits invoqués ci-dessus, en tant qu’ils ont été commis sur le territoire
congolais, du fait de l’agression du Rwanda, soit directement par cet Etat, soit par des mouvements
sous son obédience, et qui sont constitutifs d’une violation grave de ses engagements
internationaux par le Rwanda, engagent la responsabilité de cet Etat. Par conséquent, l’Etat fautif
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doit réparation, ou devant réparation, à la République démocratique du Congo telle que cette
réparation pourra être fixée le moment venu par la Cour internationale de Justice.
Le PRESIDENT : Monsieur le professeur, si je puis me permettre un instant de vous
interrompre, selon l’usage, je crois que ceci est un moment approprié pour la Cour de suspendre
son audience dix minutes. Vous reprendrez donc votre exposé après cette suspension. Je vous
remercie. Donc la séance est suspendue pour dix minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 55 à 12 h 5.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est reprise. Je donne à nouveau la
parole à M. le professeur Lwamba Katansi.
M. KATANSI :
b) La compétence de la Cour internationale de Justice quant à l’indication de mesures
conservatoires
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’ai indiqué, dans l’exposé des faits
et rétroactes, ceux qui ont été commis par l’armée du Rwanda au cours des cinq années, mais aussi
ceux constitutifs de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire
qui sont récents, revêtant désormais un caractère tel que leur répétition hémorragique est de nature,
non pas à provoquer l’irréparable, puisque l’irréparable s’est déjà produit ¾ nous avons dit plus de
trois millions cinq cent mille morts ¾ mais, de nature à aggraver l’irréparable.
Je mets au devant, par conséquent, qu’au regard des deux critères de l’urgence des mesures à
décider et du caractère irréparable des conséquences de la répétition des actes délictueux commis
par le Rwanda, la compétence de la Cour devrait être établie, en plus des dispositions
fondamentales de l’article 41 de son Statut, sur le fondement de la règle de «due diligence» au
regard du comportement du Rwanda vis-à-vis de ses engagements internationaux.
La relation des faits récents commis par le Rwanda me permet de dire en quoi le Rwanda n’a
aucun respect des principes généraux qui caractérisent les nations civilisées, et là, j’emprunte à la
Cour sa terminologie employée dans l’affaire du Détroit de Corfou de 1949 (Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c. Albanie).
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1) Quant au refus du Rwanda de mettre fin aux violations des droits de l’homme
A trois reprises, Monsieur le président, soit en août 1999, mai et juin 2000, janvier 2002,
l’armée du Rwanda a massacré, de concert avec l’armée de l’Ouganda, des populations civiles dans
la ville de Kisangani. Ces massacres ont enfin pu émouvoir la communauté internationale et ont
amené le Conseil de sécurité des Nations Unies à prendre la dernière résolution en date à laquelle le
ministre a fait allusion tout à l’heure ¾ la résolution du 19 mars 2002.
Mais, hélas ! L’armée du Rwanda, appliquant la maxime «J’y suis, j’y reste» continue
d’occuper la ville de Kisangani. Avec une forte probabilité que les affrontements sanglants avec la
population civile se répètent. Et cette répétition vient de se reproduire au mois de mai de cette
année devant témoins, en l’occurrence les représentants de la MONUC dépêchés dans la ville de
Kisangani. Une fois de plus, le conseil de sécurité a, par la voix de son président,
M. Kishore Mahbubani (Singapour), condamné vigoureusement les massacres, en particulier des
civils de Kisangani, et exigé de nouveau que la ville soit démilitarisée :
«Le Conseil de sécurité demande la cessation immédiate de toutes les violations
de droits de l’homme et du droit international humanitaire. Il demande également aux
parties de coopérer à la réouverture complète du fleuve Congo, y compris à la
navigation commerciale… Le Conseil de sécurité attire l’attention du haut
commissariat aux droits de l’homme sur la gravité des événements qui se sont produits
à Kisangani le 14 mai et immédiatement après.»
«Quousque tandem», Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, jusqu’à
quand, enfin, la population de Kisangani en particulier, et celle du Congo en général, va-t-elle
endurer ces faits et méfaits du Rwanda ?
Il y a ainsi nécessité impérieuse pour la Cour de se déclarer compétente et d’indiquer des
mesures conservatoires urgentes.
Aussi, loin de constituer «une stratégie de la diplomatie» ¾ j’emprunte l’expression à
Monsieur le juge Ranjeva (Ranjeva, Liber Amicorum Mohamed Bedjaoui, Kluwer Law
International) ¾, la requête de la République démocratique du Congo rentre parfaitement dans le
cadre des décisions des mesures conservatoires prises par la Cour dans les affaires :
1. Activités militaires et paramilitaires du Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 10 mai 1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 169;
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2. Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), ordonnance du 10 janvier 1986,
C.I.J. Recueil 1986, p. 554;
3. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro), ordonnance du 8 avril 1993,
C.I.J. Recueil 1993, p. 325;
4. Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria),
ordonnance du 15 mars 1996.
2) Quant à la non-acceptation du Rwanda de se soumettre aux normes internationales
relatives au règlement pacifique des différends
Il est constant que plusieurs conventions internationales permettent aux parties à un différend
ou à l’une d’elles de saisir, le cas échéant, la Cour internationale de Justice, sous réserve que les
mécanismes de règlement pacifique prévus par les conventions en question aient été, au préalable,
utilisés et épuisés.
Les mécanismes de règlement pacifique en question sont ainsi la «négociation», les
«procédures expressément prévues» par la convention ou tout «autre mode» de règlement à
convenir entre les parties.
Sont ainsi concernés les mécanismes qui sont prévus dans la convention internationale pour
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la convention de Montréal pour la
répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, la convention de New York
dont j’ai précédemment fait allusion.
Mais, Monsieur le président, comment, d’après la Cour, «une partie au différend» peut-elle
amener l’autre partie à un règlement du différend lorsqu’elle n’accepte pas, comme le Rwanda
¾ et s’obstine à ne pas accepter ¾ d’aller s’asseoir à la table des «négociations», pas plus que
d’avoir recours à ces conventions et l’argumentation que l’on retrouve dans le mémoire du Rwanda
du 21 avril 2000, à propos de cette même affaire, est éloquente à ce sujet (cf. International Court of
Justice, Case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic Republic of
the Congo v. Republic of Rwanda), Memorial of the Republic of Rwanda, 21 April 2000, page 6.)..
De sorte que, lorsque la République démocratique du Congo invite le Rwanda à un modus
vivendi général qui permettrait un règlement pacifique, le Rwanda s’y oppose.
- 41 -
Concrètement, le Rwanda a tout mis en œuvre pour que le RCD-Goma ¾ mouvement sous
obédience ¾ n’accepte pas l’accord de Sun City, conclu en vertu de l’accord de Lusaka sur le
cessez-le-feu, connu de tous, et dont l’objectif est de ramener un début de paix, non seulement en
République démocratique du Congo, mais dans toute la région des Grands lacs africains, dont le
Rwanda, l’Ouganda, le Burundi sont riverains.
Si le Rwanda avait accepté de tempérer les ardeurs belliqueuses du RCD-Goma, comme le
Conseil de sécurité le lui a recommandé dans sa résolution du 19 mars 2002, il y aurait, Monsieur
le président, déjà un espace pour des négociations dans le cadre des conventions passées en revue.
Désormais, la Cour devrait, afin de contraindre le Rwanda à avoir un comportement d’un
bon père de famille, comme on dit en droit civil, ou, selon la formule de la Cour, un comportement
selon les normes d’un Etat civilisé (affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni de GrandeBretagne
et d’Irlande du Nord c. Albanie), C.I.J. Recueil 1949), si le Rwanda avait accepté cela, il
y aurait déjà la paix permettant de recourir au mécanisme pacifique.
En se reconnaissant compétente pour indiquer les mesures conservatoires d’urgence, la Cour
forcerait le Rwanda à respecter «certains principes généraux et bien reconnus, tels que des
considérations élémentaires d’humanité» (affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c. Albanie), C.I.J. Recueil 1949) et, par suite, obliger le
Rwanda à se comporter en nation civilisée.
Par ailleurs, les conventions internationales sous examen, en ce qu’elles stipulent que «tout
conflit doit au préalable être soumis aux mécanismes prévus par les conventions», une fois de plus,
cela suppose qu’il y ait un minimum de paix et, une fois de plus, le Rwanda se refuse à ce
minimum de paix.
Si la saisine de la Cour internationale de Justice par voie de clause compromissoire requiert
une manière d’épuisement des voies de recours internes à la convention, le Rwanda a beau jeu,
Monsieur le président, toutes les fois que la République démocratique du Congo lui fait des
avances pour un règlement judiciaire, d’exciper que la République démocratique du Congo ne
réunit pas les conditions exigées par les dispositions pertinentes de ces conventions. Vous
trouverez cela dans son mémoire.
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Une fois de plus, la Cour devra se demander comment la République démocratique du
Congo pourrait «épuiser» au préalable les procédures de négociation, ou toutes autres, d’une
convention à laquelle les Parties litigantes sont membres, quand le Rwanda n’accepte même pas les
conditions minimum de paix susceptibles de permettre le recours aux mécanismes propres à ces
conventions ?
Il suit de ce qui précède que la Cour ne pourrait encourager le Rwanda dans son attitude
négativiste vis-à-vis de toutes les procédures de règlement pacifique : la Cour internationale de
Justice comme les mécanismes que je viens d’indiquer, de sorte que rejetant par avance toutes
exceptions éventuelles fallacieuses de la République du Rwanda, la Cour se déclarera compétente
pour indiquer les mesures conservatoires telles que requises par la République démocratique du
Congo.
Ce sera justice.
Monsieur le président, Madame, Messieurs de la Cour, je m’en voudrais de quitter le parquet
de cette Cour sans vous remercier de votre attention. En même temps que ces remerciements,
j’annonce que je vais être tout de suite complété par mon collègue, le professeur Akele Adau.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur, et je donne maintenant la parole
à M. le professeur Akele Adau.
M. AKELE ADAU :
Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, c’est avec un profond respect pour
votre haute juridiction autant que pour vous-mêmes ¾ c’est aussi une profonde émotion et un
honneur pour moi ¾ qu’à mon tour, je prends la parole pour vous exposer les raisons qui amènent
encore une fois la République démocratique du Congo devant votre Cour.
Pour un professeur de droit pénal et de droit judiciaire, préoccupé ¾ c’est vrai ¾ par la
répression des violations graves au droit international, c’est en effet un immense honneur et une
rare opportunité que de comparaître devant cette haute juridiction internationale afin d’obtenir, non
pas la répression ¾ du moins pas dans le cadre spécifique de la présente instance ¾ mais cette
autre vertu du droit criminel et du droit tout court, donc du droit international : des mesures
- 43 -
préventives et conservatoires contre des violations graves du droit international dont est victime la
République démocratique du Congo a travers ses paisibles populations civiles.
Honneur, oui ! Mais aussi émotion… Car précisément, j’ai conscience que porter la parole
devant votre haute juridiction dans les circonstances, ô combien dramatiques, qui nous ont conduits
ici, c’est se faire le porte-voix de la conscience de l’humanité en même temps que le porte-voix de
la mémoire de ces milliers, de ces dizaines, de ces centaines de milliers d’êtres humains, femmes et
hommes, de tout âge et de toute condition, dans lesquels chacun de nous peut se reconnaître :
femmes et hommes victimes de la violence aveugle, barbare, contraire à toute idée de civilisation.
Emotion, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, parce que porter la parole
devant vos augustes personnalités, c’est interpeller, au nom de cette multitude d’anonymes martyrs
d’hier et d’aujourd’hui, la conscience de l’humanité civilisée pour sauver de l’horreur, maintenant
et demain, de millions d’autres victimes innocentes.
C’est de cette attente que je mesure la délicatesse de votre fonction, laquelle inspire
admiration et déférence.
Monsieur le président, la République démocratique du Congo a introduit auprès de votre
instance une requête contre la République du Rwanda en raison des violations massives, graves et
flagrantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Ces violations découlent
d’actes d’agression armée et de violences perpétrées par le Rwanda ou sous son autorité sur le
territoire de la République démocratique du Congo, en méconnaissance de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale de cette dernière, et en défiant ainsi notoirement, constamment et
impunément les dispositions pertinentes des Chartes de l’Organisation des Nations Unies et
l’Organisation de l’unité africaine.
Il ne fait plus maintenant l’ombre d’un doute au regard de la communauté internationale que
la République démocratique du Congo est victime, depuis le 2 août 1998, de la part notamment du
Rwanda, d’actes caractéristiques de «menace contre la paix» et d’une agression au sens de la
résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies.
Ajoutons que même l’argument tiré de l’impératif de sécurité ne convainc plus car, comme
l’a souligné avec à-propos, le 3 juin dernier, le Secrétaire général adjoint de l’Organisation des
- 44 -
Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix, «la sécurité des uns ne peut être
recherchée au détriment de la sécurité des autres»1
.
Cette agression et les graves violations du droit international qui en résultent se caractérisent
dans divers faits et atteintes criminels, divers actes de violence dont la matérialité est attestée non
pas seulement par des témoignages et des rapports concordant de diverses organisations de la
société civile ou non gouvernementales indépendantes mais aussi par de nombreux documents
officiels des agences des Nations Unies. Je voudrais pour ma part ne pas rappeler ces faits, les
collègues qui m’ont précédé l’ont fait à suffisance. Je voudrais essayer de démontrer que ces faits
sont en réalité constitutifs, dans leurs différents éléments, de l’infraction de génocide.
A. Faits de génocide
En effet, Monsieur le président, tous ces faits caractérisent de façon patente le crime de
génocide et s’analysent globalement comme des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre
en violation grave des conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels.
En ce qui concerne le génocide des populations congolaises, au regard des éléments
matériels définis par la convention sur le génocide, il existe une abondante littérature provenant de
sources indépendantes très variées parmi lesquelles on trouve des activistes des droits humains des
territoires occupés et ceux des institutions internationales tels l’Organisation des Nations Unies, le
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Comité international de la Croix-Rouge,
les religieux et autres structures ou organes des églises. Il existe également de nombreux
témoignages émouvants sur les massacres commis dans la partie est de la République.
Meurtres, assassinats et atteintes graves à l’intégrité physique des membres du groupe
(massacres dans le Nord et dans le Sud-Kivu, dans le territoire de Mwenga, deux fois à Kasiki, à
Busawa, à Kilungutwe, à Mushinga, etc.). Ce n’est pas nécessaire de rappeler la litanie de tous ces
massacres, des atteintes à l’intégrité morale et mentale des membres du groupe, des actes de viols
sur les femmes, etc.

1
Radio France Internationale, Informations, 3 juin 2002.
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Je voudrais simplement retenir dans ce que le Secrétaire général des Nations Unies affirme
dans son neuvième rapport adressé au Conseil de sécurité, où il souligne le caractère génocidaire
des violations commises par le Rwanda. Le Secrétaire général dans son neuvième rapport dit ceci :
«de façon générale, les femmes réfugiées ou déplacées sont souvent la proie des
éléments armés et ont été victimes de tortures, de violences sexuelles et autres et
d’assassinats motivés par l’appartenance ethnique, l’élément de groupe. Le viol a été
utilisé comme une arme de guerre [c’est toujours de Secrétaire général qui parle]. La
situation est particulièrement dramatique dans les provinces orientales…»
(S/2001/970, 16 octobre 2001, p. 8, par. 53.)
B. Elément moral : systématisation des atteintes, existence d’un plan concerté
Monsieur le président, il n’est point besoin que je m’étende en longueur sur les actes et les
faits qui caractérisent matériellement le génocide commis au préjudice des populations congolaises
par le Rwanda. L’horreur et la répugnance qu’ils inspirent justifient que l’on ne s’y attarde pas
trop. Dans tous les cas, il n’existe pas de seuil quantitatif déterminant l’infraction de génocide. Le
génocide ne suppose pas en effet que l’agent massacre absolument un nombre élevé de personnes
appartenant à tel ou tel groupe défini. L’intention des Etats en incriminant le génocide est, me
semble-t-il, de reconnaître le génocide comme parfaitement réalisé, même lorsque l’acte homicide
d’extermination qu’il suppose n’atteint qu’une seule personne, un seul membre de l’un du groupe
déterminé par cette convention. Il suffit que l’on apporte la preuve de son intention de détruire sa
victime «en tout ou en partie». En fait, la véritable victime du génocide, ce n’est pas l’individu,
c’est le groupe que l’on vise à travers la personne de l’un de ses membres. Ceci ne diminue en rien
le fait que le nombre élevé de victimes soit retenu comme le meilleur indice de l’intention
«génocide» ou génocidaire de l’auteur ou des auteurs des tueries ou des massacres perpétrés à
grande échelle. Ce qui reste décisif, c’est l’intention qui sous-tend et accompagne l’acte de l’agent.
Cette intention apparaît clairement dans :
¾ le recours à des tueries massives et spectaculaires;
¾ la pratique des massacres sélectifs, la diffusion systématique du virus du sida parmi les
populations féminines;
¾ les attaques contre les ressources morales de la population;
¾ la soumission à des conditions de vie difficiles.
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a) Recours à des tueries
1. Tueries massives et spectaculaires
Monsieur le président, dans l’espèce, cette intention génocidaire dans le chef du Rwanda est
manifeste. Elle résulte et se dégage d’abord comme souvent dans les infractions qui requièrent la
préméditation ou ¾ à tout le moins ¾ des «actes prémédités», de la nature odieuse et barbare et de
l’ampleur des faits ici relatés, il faut le souligner, à titre simplement d’échantillon eu égard à leur
nombre. Il ne s’agit ¾ c’est vrai ¾ que d’un pâle aperçu du drame que vivent au jour le jour les
populations de la partie Est de la République démocratique du Congo. Il n’en demeure pas moins
que le recours à des tueries massives et spectaculaires est, dans l’espèce, symptomatique et
indicateur de l’intention génocide, d’autant qu’à l’évidence, il s’agit de forcer les rescapés soit à la
résignation soit à l’exil, ouvrant ainsi la voie aux colonies de peuplement rwandophones.
2. La pratique des massacres sélectifs
Monsieur le président, la pratique des massacres sélectifs ayant pour cible principale
l’intelligentsia congolaise, les leaders d’opinion, les activistes des droits de l’homme, les chefs
religieux, les hommes et femmes d’affaire, les enseignants, certaines familles influentes, les chefs
coutumiers, etc., ne vise comme objectif que d’annihiler toute possibilité de résistance et
d’opposition à l’ordre d’occupation. Ce qui est en outre en jeu ici, c’est ce que l’on peut appeler le
«nettoyage culturel et des valeurs coutumières» de nos populations de l’Est, par des actes
d’anéantissement moral et culturel qui vont de la destruction systématique des archives
administratives, la perturbation du système d’éducation et d’enseignement à la profanation des
lieux de culte à travers divers actes de terrorisme et des actes systématiques d’humiliation et
d’élimination de leaders socio-coutumiers et intellectuels.
Il s’agit là, ni plus ni moins, Monsieur le président, d’un «génocide intellectuel» qui se
caractérise par l’élimination progressive et systématique des caractéristiques ethniques et
culturelles, interdiction, suppression ou limitation de certaines langues ou de l’expression de la
culture2
.

2 Déclaration du Conseil de l’apostolat des laï cs catholiques (CALCC) dace aux massacres de la RDC notamment
à l’est du pays, citée dans Liver blanc, numéro spécial, «La guerre d’agression en République démocratique du Congo :
trois ans de massacres et de génocide «à huis clos», ministère des droits humains, RDC, Kinshasa, octobre 2001, p. 42.
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Ce génocide intellectuel est d’autant plus efficace qu’il vise à anéantir les ressources
morales de la population par la publicité et l’exemplarité macabres qui entourent l’atrocité et la
barbarie des massacres collectifs ou sélectifs perpétrés. Ainsi, comme le stigmatise d’ailleurs le
rapporteur spécial, M. Garreton, dans son rapport du 8 février 1999, dans la plupart des localités
«les hommes, les femmes, les enfants égorgés ou éventrés ont été laissés en bordure
des routes ou exposés sur la place des villages, afin que les survivants, traumatisés et
pris de panique renoncent à toute idée de revendication et de résistance. Des
personnes en vue dans le village subissent un drôle d’enterrement dans certains lieux.
Elles sont entièrement ensevelies jusqu’au cou; seule la tête reste à la surface du sol, et
des familles des infortunés sont souvent conviées à assister à ces scènes macabres.
Les témoignages en provenance de Masisi, Makobola, Butembo … illustrent
parfaitement ces pratiques. La démarche consiste ici à affecter gravement le
psychisme des survivants et à anéantir leur être intérieur, briser toute espérance à
changer l’ordre actuel des choses. Bref, les réduire à la résignation totale.»
3. Le mode opératoire des tueries et massacres
Monsieur le président, le mode opératoire des tueries et massacres permet également
d’invoquer cet élément moral de l’infraction du génocide et de répertorier le dénominateur suivant :
¾ les troupes, premièrement, qui commettent ces actes, viennent souvent d’un point de
commandement éloigné : en ce qui concerne par exemple les récents événements de Kinsagani
(14 mai 2002), il s’agit des éléments nommés «Zoulous»; des observateurs neutres rapportent
que «en fin de matinée, les Zoulous débarquent en avion, en provenance de Goma, le quartier
général du RCD et des forces rwandaises stationnées au Congo-Kinshasa, à l’extrême est du
pays»
3
. Arnaud Zaitman, correspondant de la BBC et du journal Libération affirme même que
le commando qui a opéré les 14 et 15 mai à Kisangani était composé de «cent-vingt hommes
d’origine indéterminée, commandés par des Rwandais»4
.
¾ Il y a aussi l’obstination, la dextérité ou tout au moins la tentative à dissimuler les preuves de
ces abominations en opérant collectivement dans des fosses communes des victimes ou en
essayant de plonger les victimes dans le fleuve après leur avoir introduit dans le ventre des
pierres.

3
Arnaud Zaitman, «Révélations sur un massacre à Kisangani», en correspondance de Kisangani, Libération,
30 juin 2002, p. 1 (www.liberation.fr/page.php ?Article=30772).
4
Arnaud Zaitman, ibid., p. 2.
- 48 -
4. Régularité dans la fréquence de commission de ces atrocités
Monsieur le président, le Rwanda entretient un cycle de répétition de tueries et d’atteintes
diverses à l’égard de la population, surtout dans des périodes où la situation de paix semble
évoluer. En l’occurrence, les événements de Kisangani se sont déroulés juste après le dialogue
intercongolais de Sun City, après le passage de la mission du Conseil de sécurité des Nations Unies
et juste avant le symposium sur la paix qu’une organisation religieuse catholique s’apprêtait à tenir
à Kisangani.
b) La diffusion systématique du virus HIV
Monsieur le président, de retour des territoires occupés, Mme Ondziel, rapporteur spécial sur
les droits de la femme en Afrique, a affirmé dans un point de presse organisé le 23 août 2001,
s’agissant de l’expansion du sida, que «ce qui prévaut alors à l’Est est une bombe à retardement qui
doit interpeller la communauté internationale».
Il faisait allusion à la terrifiante efficacité du sida comme moyen de guerre mis en œuvre par
le Rwanda. Cette propagation fulgurante du sida et des maladies sexuellement transmissibles par le
moyen de viols massifs des filles par des troupes ayant un niveau de prévalence du sida élevé est
une véritable catastrophe sanitaire et démographique qui atteste de l’existence d’un véritable
«génocide biologique» consistant dans «la mise en œuvre d’une politique ou d’une stratégie de
propagation d’un virus ou d’une bactérie mortelle au sein d’une population déterminée en vue de
l’éliminer à terme».
*
* *
Tels sont, Monsieur le président, quelques éléments qui établissent la systématicité, par
conséquent le caractère organisé, méthodique et donc planifié des faits de génocide dont sont
victimes les populations de la République démocratique du Congo.
- 49 -
2. Discussion de la compétence de la Cour
A. Base légale : convention contre le génocide
Monsieur le président, il est constant que les troupes rwandaises, directement ou par leurs
agents interposés, ont commis et commettent des actes de génocide visés par la convention pour la
prévention du crime de génocide de 1948, tels qu’indiqués aux articles II et III. Ces dispositions
visent non seulement le génocide, mais aussi l’entente en vue de commettre le génocide,
l’incitation directe et publique à le commettre, la tentative et la complicité de génocide.
Nombreuses et systématiques sont les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de
tels groupes; de même que la soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant
entraîner leur destruction totale ou partielle; des déportations des membres de tels groupes;
l’utilisation du viol systématique et massif des femmes et autres abus sexuels graves; la diffusion
du virus du sida à travers le viol employé comme moyen de guerre.
Les affrontements armés à Kisangani à trois reprises, par l’ampleur des dégâts humains et la
volonté des troupes, rwandaises notamment, de combattre à l’arme lourde en plein cœur d’une ville
peuplée d’un million d’habitants, ont été, à juste titre, qualifiés par le commandant de la MONUC,
de génocide. C’est encore le Rwanda qui s’illustre aujourd’hui dans la même ville de Kisangani à
des atrocités causant la mort de plus de deux cents ¾ maintenant l’on parle de trois cents ¾
personnes.
Monsieur le président, la République démocratique du Congo qui est, comme le Rwanda,
partie à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, fait valoir
l’article IX de cet instrument pour asseoir la compétence de votre Cour.
B. Sort de la réserve formulée par le Rwanda
Certes, le Rwanda a émis une réserve à cette compétence en ne se considérant pas comme lié
par cet article. Cette réserve ¾ comme l’ont dit mes collègues ¾ ne peut cependant pas être prise
en considération pour les raisons suivantes.
a) Raison tirée de l’avis consultatif du 28 mai 1951
Cette réserve, formulée par le Rwanda, est incompatible avec l’objet et le but de la
convention de 1948. Elle a pour effet d’exclure le Rwanda de tout mécanisme de contrôle et de
- 50 -
poursuite pour fait de génocide, alors que l’objet et le but de la convention consistent dans
l’éradication de l’impunité de cette grave atteinte au droit international.
Dans l’avis consultatif de votre Cour du 28 mai 1951, vous avez précisé que «si une partie à
la convention fait objection à une réserve qu’elle estime n’être pas compatible avec l’objet et le but
de la convention, elle peut, en fait, considérer l’Etat qui a formulé cette réserve comme n’étant pas
partie à la convention».
Cette vue semble cependant avoir évolué au regard de l’état actuel du droit international en
matière de génocide qui a abouti aujourd’hui à la formulation de l’article 120 du statut de Rome sur
la Cour pénale internationale qui stipule : «le présent statut n’admet aucune réserve». Et ce statut
traite notamment du génocide. Aussi l’on doit considérer comme irrelevante la réserve formulée
par le Rwanda.
b) Caractère irrelevant de la réserve du Rwanda au regard de l’évolution du droit
international en matière de génocide
Monsieur le président, il est curieux de noter que la question de l’admissibilité des réserves
se soit posée devant un tribunal international à propos d’une convention dont, à l’époque,
l’effectivité était pour le moins douteuse ¾ je parle des années 1950; une convention dont le texte
était longtemps considéré comme «purement ornemental», disaient les auteurs de l’époque5
,
«comparable aux préambules des constitutions africaines, c’est-à-dire une simple tribune de bonnes
intentions», «un lieu de promesses»6
jamais tenues ¾ ce sont toujours les auteurs qui parlent. Il
faut cependant dire que, déjà à l’époque, votre Cour avait saisi l’occasion de cet avis consultatif
de 1951 pour souligner que les principes sur lesquels cette convention est fondée sont reconnus par
les nations civilisées comme obligeant les Etats, même en dehors de tout lien conventionnel. Elle a
de même précisé qu’il s’agit d’une convention voulue de portée universelle, dont le but est
purement humain et civilisateur; les contractants n’ont ni avantages ni désavantages individuels, ni
intérêts propres, mais un intérêt commun7
.

5
Joe Verhoeven, «Le crime de génocide. Originalité et ambiguï té», in Revue belge de droit international,
Ed. Bruylant, Bruxelles, 1991/1, p. 5.
6
Ibid.
7
Résumé des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la CIJ, 1948-1991, Nations Unies, ST/LEG/SER.F/1,
p. 23.
- 51 -
Ces principes se sont heureusement petit à petit imposés au point d’imprégner la volonté de
la communauté internationale en faveur de l’effectivité de la convention de 1948. Et si les
événements survenus dans l’ex-Yougoslavie ont pesé positivement sur cette évolution, les actes
odieux commis en 1994 au Rwanda l’ont définitivement scellée. C’est ainsi que la commission des
experts, chargée par le Secrétaire général de l’ONU d’examiner la meilleure réponse à donner aux
atrocités de 1994 au Rwanda, après avoir constaté que le Rwanda avait adhéré le 16 avril 1975 à la
convention sur le génocide et qu’il avait émis la réserve que l’on sait, cette commission a relevé
que «même si le Rwanda n’avait pas ratifié la convention sur le génocide, il serait lié par
l’interdiction du génocide qui fait partie du droit international coutumier. En outre ¾ c’est
toujours la même commission qui parle ¾, il est universellement admis et reconnu par la
communauté internationale que l’interdiction du génocide est devenue une règle de jus cogens.
Elle a donc un caractère impératif. C’est pourquoi l’interdiction du génocide telle qu’elle est
confirmée dans la convention sur le génocide s’applique à tous les membres de la communauté
internationale et non pas uniquement aux parties à la convention.»8
Cette interprétation rencontre, d’ailleurs heureusement, le point de vue de la doctrine et de la
jurisprudence récente de votre Cour. Par exemple, M. Moncef note que si la convention de Vienne
de 1969 n’énumère pas de façon exhaustive les cas de jus cogens, la commission du droit
international en cite quelques-uns parmi lesquels elle note le génocide, la piraterie,
l’accomplissement des actes tels que la traite des esclaves, etc.9
Il s’agit, dit-il, d’une norme
impérative du droit international, c’est-à-dire une norme acceptée et reconnue par la communauté
internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est
permise. Il s’ensuit que, conclut-il, les obligations qui naissent notamment de la convention sur le
génocide sont des obligations erga omnes, comme d’ailleurs le dit votre Cour dans son arrêt du
5 février 1970 (affaire Barcelona Traction, C.I.J. Recueil 1970, p. 32). Je peux citer d’autres
auteurs, notamment M. Perrin10, et même votre collègue, le président Bedjaoui.

8
Lettre datée du 1er octobre 1994 adressée au président du conseil de sécurité par le Secrétaire général,
S/1994/1125 du 4 octobre 1994, p. 27, par. 119.
9 Moncef Kdhir, Dictionnaire juridique de la Cour internationale de Justice, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 221.
10 Georges J. Perrin, Droit international public. Sources, sujets, caractéristiques, Schulthess Polygraphischer
Verlag, p. 172.
- 52 -
Le Rwanda ne peut en l’espèce, a fortiori, rejeter la compétence de la Cour internationale de
Justice, lui qui a demandé (S/1994/1115)11 et obtenu l’institution par la communauté internationale
d’un tribunal pénal international ad hoc en vue de poursuivre les génocidaires rwandais de 1994.
Réfléchir autrement serait laisser hors du champ judiciaire les faits graves de génocide mis à charge
du Rwanda et commis au détriment des populations congolaises et de la communauté
internationale.
Ainsi, la nature spécifique de la convention de 1948 implique que les parties acceptent
chacune et toutes de collaborer notamment à toute activité judiciaire internationale; ce qui rend par
conséquent superflue la réserve du genre de celle formulée par le Rwanda. Au demeurant, au nom
de la lutte que le gouvernement rwandais mène depuis 1994 contre le génocide, ce pays devrait être
le premier à renoncer à cette réserve. Quoi qu’il en soit, il n’est pas dans l’intention de la
République démocratique du Congo, de laisser fonctionner le piège qui consisterait à penser ou à
soutenir qu’un massacre ou un génocide interdit d’en juger un autre. Car cette façon de voir serait
de nature à conduire à de nouveaux massacres ou de nouveaux génocides et à perpétuer l’impunité
et le silence paradoxal de la pratique de la convention de 1948. Que l’on ne s’y trompe pas : le
génocide par rétorsion ou le génocide à rebours, c’est encore du génocide, et il doit être réprimé.
C’est donc à bon droit, monsieur le président, que votre Cour rejettera la réserve du Rwanda,
qu’elle retiendra l’objection de la République démocratique du Congo à cette réserve et se
reconnaîtra compétente dans la cause qui lui est soumise, sur la base de la violation par le Rwanda
de la convention de 1948 sur la prévention et la répression du génocide ¾ sans préjudice
naturellement des autres bases juridiques relevées et justifiées ici par les collègues qui m’ont
précédé.
C. Critère de compétence pour les fins d’une ordonnance en indication de mesures
conservatoires
Monsieur le président, concernant précisément la requête que la République démocratique du
Congo a formulée aux fins d’obtenir de votre Cour indication de mesures conservatoires, il est clair
que les mesures sollicitées ont une portée militaire. A cet égard, il est heureux de signaler, avec M.

11 Résolution du Conseil de sécurité décidant d’établir un tribunal international pour juger les personnes
présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis au
Rwanda ou sur le territoire des Etats voisins, S/RES/955, 8 novembre 1994.
- 53 -
le juge Raymond Ranjeva, dans sa remarquable contribution au Liber Amicorum offert à
M. Bedjaoui, que «sur six procédures en prescription de mesures de portée militaire, la Cour a
accédé de manière positive à quatre demandes et rejeté les deux autres»12. Nous espérons que la
requête de la République démocratique du Congo non seulement confirmera cette tendance, mais
aussi confortera le rôle juridique que la Cour, en tant qu’organe juridictionnel suprême du système
des Nations Unies, est naturellement appelée ¾ dans le contexte mondialiste actuel ¾ à jouer dans
ce domaine en complément ou en appui au rôle politique du Conseil de sécurité.
On sait que le Conseil de sécurité a fortement et positivement évolué dans ses positions au
regard de la guerre d’agression que notamment le Rwanda impose à la République démocratique du
Congo. Au point qu’il a été amené à prescrire, par plusieurs résolutions, aux forces armées
étrangères non invitées de se retirer du territoire congolais et de demander la démilitarisation de la
ville de Kisangani.
La poursuite de ces violences militaires, en méconnaissance des résolutions du Conseil de
sécurité, souligne les limites du «modèle pascalien de la force au service du droit sans laquelle la
justice serait impuissante» et appelle un correctif sérieux à la perception de l’intervention du
Conseil de sécurité comme l’ultima ratio de la Cour13. Nous sommes dans un cas de figure où la
primauté de l’expression du droit ¾ fonction dont est investie votre Cour ¾ en matière de
maintien et de rétablissement de la paix sur la base du chapitre IV de la Charte des Nations Unies
doit être affirmée avec plus de force encore pour donner force et sûreté à l’intervention politique,
diplomatique et éventuellement militaire, non seulement du Conseil de sécurité, mais aussi de la
communauté internationale dont la Cour, garante de l’état de droit au plan universel, demeure,
ultima ratio, le réceptacle autant que l’oracle de la conscience juridique des peuples civilisés.
Ici se trouve, Monsieur le président, l’enjeu fondamental et nouveau de la décision que votre
Cour aura à prendre dans la présente cause dont nous ne nous cachons aucunement la complexité et
la délicatesse.

12 M. Ranjeva, «La prescription par la Cour internationale de Justice de mesures conservatoires à portée
militaire», in Liber Amicorum Mohammed Bedjaoui, Edit. Emile Yakpo et Tahar Boumedra, p. 449 a 459.
13 Emmanuel Decaux, Droit international public, 2ème édition, Dalloz, 1999, p. 175, par. 235.
- 54 -
C’est d’ailleurs cette considération qui nous a fait, un moment, retirer provisoirement notre
plainte contre le Rwanda. Non pas que nous aurions renoncé à mettre notre voisin ¾ laissez-moi
dire «nos frères rwandais» ¾ face à leurs responsabilités internationales, mais il nous était apparu
sage et indispensable, compte tenu de la sournoiserie juridique et diplomatique qui caractérise le
comportement du Rwanda sur l’échiquier juridique international ¾ comportement d’ailleurs que le
professeur Lwamba a pertinemment stigmatisé ici ¾ il nous est dont apparu qu’il était nécessaire
de ne pas attraire le Rwanda devant vous sur des bases qui pouvaient être regardées comme
émotives et de rechercher plutôt des bases juridiques, si ténues soient-elles, qui soient susceptibles
de sauvegarder l’état universel de droit en tant qu’il garantit la conscience de justice et de paix des
peuples civilisés.
La violation massive, flagrante, délibérée des droits aussi fondamentaux que ceux qui sont
bafoués dans les territoires sous occupation, notamment du Rwanda ¾ droit à la vie, droit à la
dignité, à la liberté, à la considération de l’humanité de la personne; droit à la paix, à la concorde
entre les peuples; droit à la santé, à l’éducation, au développement, etc. ¾, exige, en manière de
pédagogie d’humanité et de civilisation, un traitement qui se fonde sur des bases juridiques saines
que seule votre Cour est habilitée à confectionner.
Nous ne doutons pas de la complexité et de la délicatesse de la présente cause qui rappelle
douloureusement au souvenir de chacun de nous la «non-assistance à personnes en danger» dont la
communauté internationale a été coupable à l’égard des populations rwandaises victimes, en 1994,
d’abominations génocidaires qui chargeront encore longtemps la mémoire et l’histoire de
l’humanité. Mais rien n’autorise, rien n’autorise, que la victime d’hier devienne, par l’effet d’un
engourdissement moral et d’une passivité juridique certaine créée par les événements de triste
mémoire de 1994, le génocidaire d’aujourd’hui et qu’il continue à commettre les actes qu’il
commet.
Hier comme aujourd’hui, ce sont les mêmes valeurs qui sont en cause. Il faut aujourd’hui
éviter que la passivité d’hier ne compromette à jamais pour l’avenir la volonté réelle de la
communauté internationale de faire face efficacement aux violations graves qui se perpétuent à
l’est de la République démocratique du Congo.
- 55 -
Dans l’affaire du génocide rwandais de 1994, la Cour internationale de Justice n’a
malheureusement pas, à ma connaissance, été sollicitée. Le déni de justice ne peut en l’occurrence
lui être reproché. Il serait catastrophique qu’il en fût ainsi dans une espèce où son rôle peut
opportunément être fortement affirmé et où la plupart des faits en cause échapperaient à toute
répression, compte tenu notamment du fait que rien ne serait entrepris à titre conservatoire pour
sauvegarder les moyens de preuve, empêcher tout acte qui pourrait étendre ou aggraver le désastre
humanitaire des populations congolaises dont l’exaspération est visible.
Votre Cour, Monsieur le président, a les moyens juridiques de l’affirmation de ce rôle, sur
pied des articles 41 de son Statut et 73 à 78 de son Règlement. Je voudrais faire appel également à
ce que M. le juge Raymond Ranjeva appelle, dans l’article que j’ai évoqué tout à l’heure, votre
«audace certaine» qui, dans un certain nombre de circonstances, vous a permis de donner effet à
votre «fonction de catalyse» en prescrivant proprio motu des mesures conservatoires au nom de ce
que à juste titre vous considérez, dans l’ordonnance du 10 janvier 1986 (Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali), C.I.J. Recueil 1986, par. 19), comme votre «devoir» de
contribuer, par ces indications, à la bonne administration de la justice.
Dans cet ordre d’idée, je voudrais espérer, Monsieur le président, que la Cour poursuivra
l’élaboration jurisprudentielle qu’elle a entreprise dans les affaires du Plateau continental de la mer
du Nord relativement aux effets des réserves sur le droit coutumier. De même qu’elle confirmera
la tendance jurisprudentielle positive qui caractérise son intervention en matière d’indication de
mesures conservatoires à portée militaire.
C’est dans cet espoir, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, que la
République démocratique du Congo, au nom de nombreuses victimes des violations graves qu’elle
stigmatise, au nom des valeurs d’humanité et de civilisation dont elle réclame le respect pour ses
populations, souhaite que votre Cour prenne la mesure exacte de l’urgence de la situation et du
risque irréparable qui pèse sur la survie de millions d’hommes et de femmes qui n’aspirent qu`à la
paix.
Il ne me reste plus, Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, qu`à vous
remercier pour l’attention que vous avez bien voulu m’accorder, et à vous redire ma gratitude pour
l’honneur incomparable que j’éprouve ici, devant votre prétoire, un pénaliste comme moi, formé
- 56 -
cependant à l’origine avec mon collègue ici, à l’école du droit international, de surcroît magistrat
militaire soucieux de l’application par les gens d’armes des préceptes chevaleresques du droit et
des coutumes de la guerre, et du droit international humanitaire.
Avec votre autorisation, Monsieur le président, je voudrais passer la parole à mon distingué
collègue, le professeur Ntumba, qui prêtera sa voix au professeur Balanda, empêché. Je vous
remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur le professeur. Je donne maintenant la parole à
M. le professeur Ntumba.
M. NTUMBA LUABA : Comme j’ai été introduit par le doyen Akele, il s’agit pour moi
d’intervenir et de prêter ma voix au professeur Balanda Mikwin Leliel, premier président honoraire
de la Cour suprême de justice, qui a connu un empêchement de dernière minute et pour moi, c’est
un honneur, Monsieur le président, Madame et Monsieur de la Cour de le faire parce qu’il s’agit de
mon propre formateur, mon professeur de droit international de même que le professeur du
doyen Akele qui vient de parler.
C’est un insigne honneur pour moi de me présenter devant votre auguste Cour. Dans le
cadre de l’affaire que le Gouvernement de la République démocratique du Congo a décidé de
soumettre à votre institution. C’est aussi, pour un professeur de droit international que je suis, un
très grand honneur d’avoir ainsi l’occasion de rencontrer personnellement des personnalités
éminentes qui, pour avoir accepté de remplir les lourdes fonctions de juge près cette Cour,
contribuent sans nul doute à l’élaboration du droit international auquel nous sommes tous attachés.
En dehors de la participation à un séminaires traditionnel que l’académie de La Haye organise
chaque année et qui m’avait ainsi donné l’occasion de franchir le pas de porte de cette auguste
bâtisse qui a vu passer tant de personnalités, je voudrais me souvenir de la visite que j’ai effectuée
en ce lieu en 1975 dans l’équipe de conseils d’une des parties dans l’affaire du Sahara occidental
avant que cette partie ne décide de se retirer de la procédure.
- 57 -
Le temps écoulé n’a au contraire fait que renforcer mon sentiment d’admiration et de respect
envers cette vénérable Cour en qui, en décidant de la saisir une nouvelle fois, le Gouvernement de
la République démocratique du Congo témoigne sa peine confiance.
En effet, à la suite de l’agression barbare et continue perpétrée contre la République
démocratique du Congo, laquelle justifie la requête introductive d’instance dont votre Cour est
saisie, plusieurs événements importants se produisent chaque jour qui passe et risquent ainsi sans
nul doute d’exercer une influence décisive sur le déroulement et même l’issue de l’affaire initiale.
C’est pour cette raison que le Gouvernement de la République démocratique du Congo a jugé
indispensable de soliciter de votre Cour des mesures conservatoires conformément aux dispositions
de l’article 41 de son Statut. C’est à ce stade de la procédure que nous nous trouvons.
Dans la conduite de la partie de l’argumentation que j’ai l’honneur de présenter au nom de la
Partie réclamante, il sera tour à tour question de l’examen de la recevabilité de la demande en
indication de mesures conservatoires et de leur fondement. Le deuxième point de l’exposé
effleurera seulement le problème de la responsabilité du Rwanda et ses conséquences étant donné
que cette question sera plus amplement développée lorsque la Cour examinera l’affaire quant au
fond.
De la recevabilité de la demande en indication de mesures conservatoires et de leur
fondement
Le droit d’accorder des mesures conservatoires trouve son fondement dans les dispositions
de l’article 41 du Statut de la Cour. Aux termes du Statut, la Cour a le droit d’indiquer, si elle
estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent
être prises à titre provisoire. Quant à la nature du droit en vertu duquel la Cour peut indiquer des
mesures conservatoires, il y a lieu de préciser que la Cour peut, même d’office, prescrire des
mesures conservatoires qu’elle juge nécessaire qui doivent être prises. La Cour a également
précisé qu’elle est investie d’un pouvoir discrétionnaire quant à ce, notamment dans l’affaire
République démocratique du Congo contre Ouganda. La partie qui sollicite l’octroi des mesures
conservatoires est tenue d’établir l’urgence qui justifie l’intervention de la Cour avant l’issue du
procès. Elle doit par ailleurs prouver l’existence d’un risque qu’un dommage irréparable ne
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survienne et qui aggraverait ainsi les éléments de la situation initiale. Quant aux conditions exigées
en vue de prétendre à l’obtention de mesures conservatoires, conformément à l’article 41 du Statut
de la Cour, il y a lieu d’observer en l’espèce les éléments, événements et circonstances ci-après qui
précisent et éclairent le contour des faits généraux articulés de manière globale dans la demande en
indication de mesures conservatoires introduite par la Partie demanderesse, en l’occurrence la
République démocratique du Congo.
A l’occasion des travaux du dialogue inter-congolais tenu à Sun City en Afrique du Sud du
25 février au 22 avril 2002, conformément au prescrit du chapitre 5 de l’accord de Lusaka relatif au
cessez-le-feu en République démocratique du Congo, un partie importante de composantes et
entités ayant pris part aux susdits travaux, ont signé le 20 avril 2002 un accord politique en vue de
régler la crise congolaise de manière globale et consensuelle. Cet arrangement politique compte
parmi les signataires le Gouvernement de la République démocratique du Congo, le mouvement de
libération du Congo (en sigle : MLC), le rassemblement congolais pour la démocratie mouvement
de libération (en sigle : LCDML), le rassemblement congolais pour la démocratie nationale (en
sigle : RCDN), la grand majorité des partis politiques de l’opposition et des membres de la société
civile.
Par cet accord, les espaces sous contrôle respectif du gouvernement et des divers
mouvements des rebellions étaient, ipso jure, réunifiés. Ainsi, ces territoires qui pendant quatre ans
ont été divisés devenaient automatiquement pacifiés et la libre circulation des personnes et des
biens immédiatement rétablie. Le rassemblement congolais pour la démocratie (en sigle RCDGOMA),
mouvement rebelle soutenu militairement par le Rwanda, n’a pas voulu signer l’accord de
Sun City, dans l’attente sans doute d’une autorisation du Rwanda. Dès que la population de
Kisangani ¾ et d’ailleurs, de Bokabu et de Goma ¾ apprit la nouvelle faisant état de la signature
de l’accord en question et spécialement de ses conséquences en ce qui concerne en particulier la fin
de la longue et pénible guerre d’agression dont elle a été la principale victime ¾ femmes
violentées et enterrées vivantes, enfants enrôlés de force dans les forces armées, personnes
réfugiées et déplacées, traitements cruels, inhumains et dégradants, incendies de villages ¾ , la fin
du cortège de maux liés à l’état de guerre, ce fut des explosions de joie et de liesse. Sauf chez les
populations des parties du territoire sous contrôle du RCD-Goma et donc encore soumises à
- 59 -
l’occupation des forces armées rwandaises. Le ressentiment des populations de Kisangani, encore
actuellement sous contrôle du RCD-Goma et des éléments de l’armée patriotique rwandaise, a aussi
été exacerbé à la nouvelle du refus par ce groupe rebelle de signer l’accord politique de Sun City.
Ce refus signifie en effet pour cette population la perpétuation de ses souffrances dues aux
restrictions consécutives à la guerre et, demeurant en marge du processus de pacification et
d’unification du pays, de continuer à subir les affres de l’occupation étrangère.
Monsieur le président, c’est dans ces circonstances que la population civile commença à
manifester de différentes manières son mécontentement envers les autorités locales du RCD et de
ses alliés rwandais. Ces manifestations paisibles de civils non armés furent réprimées avec une
violence armée extrême, inouïe, aveugle et disproportionnée. Ce fut le point de départ de nouvelles
séries d’arrestations et détentions arbitraires, massacres et tueries sauvages, enlèvements,
déportations, tortures, exécutions sommaires et extra-judiciaires, destructions et atteintes diverses
aux personnes et aux biens, tant privés que publics. Ainsi, aux diverses et longues séries d’actes
constituant déjà des violations des droits de la personne humaine, visées et énumérées de façon
globale dans la demande en indication de mesures conservatoires, il y a lieu d’ajouter tous les
autres actes de résistance que les populations du territoire non unifié, à la suite du refus opposé par
le RCD-Goma de signer l’accord de Sun City, en réaction à cette attitude de refus, pourraient être
amenés à accomplir dans l’exercice de leur droit légitime de lutte contre l’agression et l’occupation
étrangère, conformément au droit des peuples à l’autodétermination tel que consacré à l’article 1
commun au Pacte des Nations Unies de 1966 sur les droit civils et politiques et sur les droits
économiques, sociaux et culturels. Contre de tels actes, dont une première série a eu lieu à
Kisangani le 14 mai 2002, il n’y a nul doute que la riposte des autorités rwandaises opérant en
République démocratique du Congo, dans les circonstances et conditions qui ont été précisées, sera
encore plus virulente afin de juguler des actions futures de résistance de la population civile
congolaise. Cette dernière, de son côté, continuera à coup sûr à manifester par tous les moyens son
hostilité à l’égard des troupes étrangères d’agression et d’occupation ainsi qu’envers leurs agents et
auxiliaires. On est en droit de craindre le déclenchement de nouveaux cycles de violence, à
l’endroit de populations sans armes, parce que les troupes rwandaises ne connaissent d’autre
- 60 -
langage que celui des armes et de la répression aveugle. La répression qui a eu lieu dernièrement à
Kisangani a fait plus de deux cents morts.
Monsieur le président, à l’occasion des manifestations de la population des territoires encore
sous contrôle du RCD-Goma et des troupes rwandaises, qui ne manqueront pas de braver ainsi
constamment les autorités d’occupation, il y a un risque certain de craindre que de nouveaux actes
de répression n’entraînent des conséquences et des dommages irréparables, aggravant ainsi les
dommages initiaux que la Partie demanderesse se réserve le droit d’évaluer ultérieurement. La
situation qui prévaut à Kisangani depuis le 14 mai 2002 constitue en réalité le point culminant d’un
long processus d’événements qui caractérisent les mauvaises dispositions des responsables du
RCD-Goma et de l’armée patriotique rwandaise envers les populations des territoires sous leur
contrôle. Il faut intégrer tous ces éléments pour bien comprendre ce qui se passe actuellement à
Kisangani et qui, sans nul doute, risque de se répéter ailleurs, dans toutes les localités de la
République démocratique du Congo encore sous occupation du RCD-Goma et des troupes
rwandaises.
Monsieur le président, comme on peut le constater, il y a une extrême urgence à ordonner
des mesures conservatoires. En effet, comme d’aucuns le savent, tous ces événements ont pour
théâtre une zone militaire dont l’accès est prohibé, spécialement aux humanitaires et aux activistes
des droits de l’homme, tant nationaux qu’internationaux, habituellement considérés comme des
témoins gênants. Ainsi, des violations graves et massives des droits de la personne humaine
risquent d’avoir lieu à huis clos. D’autant plus que les autorités du RCD-Goma, soutenues par les
troupes de l’armée patriotique rwandaise, viennent, il y a à peine deux semaines, d’expulser de
Kisangani les derniers agents de la MONUC, déclarés par eux personae non gratae, et ont refusé
par ailleurs de collaborer avec le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies
auprès de la MONUC. Ces faits sont notoirement connus et ont entraîné la réprobation tant des
instances onusiennes que de celles de quelques Etats, dont la France. De ce qui précède, la Cour
constatera ainsi que les conditions exigées pour l’octroi de mesures conservatoires sont en l’espèce
réunies compte tenu des circonstances particulières et les événements qui sont susceptibles de se
produire, eu égard à leur caractère inévitable et plausible. Il y a extrême urgence à ce que la Cour
intervienne à titre préventif, comme le prescrit l’article 41 de son Statut.
- 61 -
Monsieur le président, la République démocratique du Congo est d’avis qu’il n’existe en
réalité qu’une seule mesure globale susceptible d’éviter tant l’irréparable que la commission de
divers actes de violence et de sévices à l’endroit de populations innocentes et paisibles, qui luttent
sans armes et démocratiquement, en vue de mettre fin à l’occupation de leur pays.
Cette mesure globale et radicale consiste à ordonner le départ immédiat et inconditionnel,
spécialement de Kisangani et de ses environs, ainsi que de l’ensemble du territoire congolais, des
armées étrangères d’agression et d’occupation, en particulier des troupes rwandaises. C’est cette
mesure idéale qui constitue le point central que vise la requête introductive d’instance dont les
mérites seront examinés lorsque le fond de l’affaire sera abordé. La République démocratique du
Congo estime que de telles mesures devront aussi s’étendre à toutes les autres localités congolaises
sous l’occupation et le contrôle du RCD-Goma et des troupes rwandaises. Il s’agit singulièrement
de toutes les localités de la province orientale, du Magnema, du Katanga, ainsi que toutes celles du
Nord et du Sud-Kivu, et d’une partie du Kassan. Ce faisant, la Cour contribuera en particulier à
donner effet à la résolution 1304 et à d’autres résolutions pertinentes du Conseil de sécurité
relatives à la démilitarisation de la ville de Kisangani et de ses environs ainsi qu’à la sauvegarde de
l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République démocratique du
Congo.
Dans l’affaire Lagrand, afin d’éviter l’irréparable, en l’occurrence son exécution, la Cour a
accordé à l’Allemagne les mesures conservatoires sollicitées. Compte tenu du fait que sa demande
en indication de mesures conservatoires vise également à éviter l’irréparable en cherchant à
préserver le droit à la vie et celui de vivre en paix en faveur de ses populations, conformément aux
instruments juridiques internationaux pertinents, la République démocratique du Congo espère
également obtenir de la Cour les mesures sollicitées. La République démocratique du Congo
relève par ailleurs que, dans l’affaire qu’elle avait initiée contre l’Ouganda, la Cour avait pris en
considération les faits liés à la guerre de Kisangani de mars et juin 2000, qu’elle avait invoqués en
vue d’obtenir ces mesures. La République démocratique du Congo espère, à plus forte raison, qu’il
en sera de même dans la présente instance compte tenu des massacres récents de mai 2002 qui en
augurent d’autres, qui auront nécessairement lieu dans l’hypothèse où la Cour n’ordonnerait aucune
mesure conservatoire efficace pour prévenir l’irréparable.
- 62 -
Au moment où la Cour examine la présente demande en indication des mesures
conservatoires sollicitées, la situation dans les zones sous contrôle du RCD-Goma et des troupes
rwandaises est devenue explosive, compte tenu des derniers développements déjà rappelés et
résumés dans les présentes conclusions. Devant le refus catégorique quant au retrait de ses troupes
de la République démocratique du Congo, opposé au mois de mai 2000 par le président
Paul Kagame à la délégation du Conseil de sécurité, lors de sa tournée en en République
démocratique du Congo, en Ouganda, au Rwanda et en Angola, les populations congolaises sous
occupation étrangère, plus précisément rwandaise, sont en danger permanent de mort,
d’extermination et d’autres négations de droits humains fondamentaux.
Le refus du Rwanda a aussi été clairement exprimé par le Gouvernement rwandais au
vice-premier ministre belge, Louis Michel, lorsqu’il s’est rendu à Kigali en mai 2002, au lendemain
de la signature de l’accord de Sun City. D’ailleurs le président Paul Kagame a toujours déclaré
qu’avec ou sans le dialogue intercongolais, le Rwanda continuera à demeurer en République
démocratique du Congo. Et, évidemment, à se livrer aux activités et exactions qui vous ont été
exposées.
En ce qui concerne la responsabilité du Rwanda et ses conséquences, Monsieur le président,
la présence du Rwanda sur le territoire de la République démocratique du Congo n’est contestée
par personne, ni même par les autorités rwandaises elles-mêmes. Cette présence résulte de
l’agression continue perpétrée contre la République démocratique du Congo depuis le 2 août 1998.
Elle est constatée particulier dans les résolutions pertinentes du conseil de sécurité de l’ONU ainsi
que de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka du 10 juillet 1999.
En République démocratique du Congo, le Rwanda agit soit par ses préposés directs,
membres de forces armées, services de sécurité et paramilitaires, soit par l’entremise de ses agents
et auxiliaires du RCD-Goma. Il est en effet de notoriété publique que les rebelles congolais de ce
mouvement n’ont pas d’armée propre et sont donc militairement et puissamment aidés et soutenus
par les forces armées rwandaises. La doctrine ainsi que la jurisprudence constantes enseignent que
les actes même d’un simple agent de fait d’un Etat engagent ce dernier. Il en est évidemment de
même des actes illicites de l’Etat lui-même. Le parrainage du Rwanda sur le RCD-Goma est
notoirement connu et il n’est pas nécessaire de le démontrer davantage. Un tel acte, qui ne peut
- 63 -
être interprété que comme une ingérence dans les affaires intérieures de la République
démocratique du Congo, pourtant prohibée par l’article 2, paragraphe 7, de la Charte de l’ONU, est
par ailleurs prouvé à la suite du récent appel que le Conseil de sécurité vient de lancer au Rwanda
afin de prier le RCD-Goma de mettre fin au harcèlement des agents de la MONUC travaillant à
Kisangani.
Les conséquences préjudiciables des actes perpétrés par les dirigeants du RCD, qui, en
l’occurrence, doivent être considérés comme des agents et des auxiliaires du Gouvernement
rwandais, engagent la responsabilité internationale du Rwanda. Dans sa récente résolution 1399 du
19 mars 2002, le Conseil de sécurité engage, au point 7 de son dispositif, le Rwanda à «user de son
influence sur le RCD-Goma pour que celui-ci se plie aux exigences de la présente résolution». Le
lien de filiation est ainsi clairement établi. Par ailleurs, dans sa résolution 2002/14 du
19 avril 2002, la Commission des droits de l’homme de l’ONU mentionne la situation des droits de
l’homme en République démocratique du Congo, surtout dans les zones tenues par les rebelles
armés et sous occupation étrangère, ainsi que les violations persistantes des droits de l’homme et du
droit international humanitaire, et notamment les atrocités commises contre les populations civiles,
le plus souvent en toute impunité, tout en soulignant à cet égard que les forces d’occupation
devraient être tenues pour responsables des violations des droits de l’homme qui se produisent dans
les territoires qu’elles contrôlent. Elle condamne en particulier tous les massacres et atrocités
perpétrés en République démocratique du Congo comme constituant une utilisation aveugle et
disproportionnée de la force, en particulier dans la zone tenue par les rebelles armés et sous
occupation étrangère.
En outre, la responsabilité du Rwanda et de l’Ouganda, quant à l’exploitation illégale des
ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, est clairement
établie aussi bien dans les résolutions du conseil de sécurité que dans le rapport d’enquête du
groupe d’experts qui a été institué par l’ONU.
Monsieur le président, en ce qui concerne les conséquences préjudiciables des actes commis,
au présent stade de la procédure, la République démocratique du Congo se limite à soutenir,
conformément tant à la doctrine qu’à une jurisprudence internationale constante et unanime, que
l’Etat défendeur, en l’occurrence le Rwanda, est tenu d’en assurer la réparation intégrale.
- 64 -
Monsieur le président, pour terminer, je tiens à remercier les honorables membres de la Cour
pour l’attention qu’ils m’ont accordée et je vous prie de redonner la parole à l’agent de la
République démocratique du Congo, S. Exc. M. Jacques Masangua Mwanza, notre ambassadeur
auprès du Royaume des Pays-Bas, pour un mot de conclusion.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur. Je donne maintenant la parole
à Monsieur l’agent de la République démocratique du Congo. Monsieur l’ambassadeur, vous avez
la parole.
M. MASANGU-A-MWANZA : Monsieur le Président, Madame et Messieurs les membres
de la Cour, l’exposé détaillé des faits de la cause se trouve amplement développé dans la requête
introductive d’instance de la République démocratique du Congo contre le Rwanda, requête
relative aux violations massives des droits de l’homme par le Rwanda sur le territoire congolais
déposée le 28 mai 2002, enrôlée au Greffe de la Cour internationale de Justice sous le n° 7930.
Parallèlement à cette requête, la République Démocratique du Congo a également saisi la
Cour de la présente demande en indication de mesures conservatoires.
La demande vise :
«la persistance des actes graves, flagrants et massifs de torture, peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, de génocide, de massacres, de crimes de guerre et de
crimes contre l’humanité, de discrimination, d’atteinte aux droits de la femme et de
l’enfant ainsi que de pillage de ressources perpétrés sur le territoire de la République
démocratique du Congo à la suite de l’agression armée contre le territoire et sur son
territoire ainsi que l’occupation illégale d’une bonne partie de celui-ci».
Les actes précités, poursuit la demande,
«sont dûs à la persistance et à l’aggravation de l’agression armée contre et sur le
territoire de la République Démocratique du Congo déclenchée le 2 août 1998 par les
troupes rwandaises, alliées aux troupes ougandaises et burundaises, utilisant
également des agents et auxiliaires congolais du RCD-Goma, qui ont entraîné et
entraînent la violation permanente de la République démocratique du Congo, ainsi
que, d’une manière générale, les violations des principes et règles du droit
international général et coutumier.
La présente demande en indication de mesures conservatoires se justifie par le
fait que, outre les violations et atteintes flagrantes, massives et graves relatées dans la
requête introductive d’instance, d’autres méfaits de la part du Rwanda se sont ajoutés,
aggravant les atteintes aux droits légitimes de la République démocratique du Congo
et de sa population et constituant des violations graves des instruments spécifiques du
droit international, des droits de l’homme et du droit humanitaire formellement ratifiés
par le Rwanda et qui fondent la compétence de la Cour internationale de Justice.»
- 65 -
Compte tenu des circonstances, la République démocratique du Congo, afin d’éviter
l’irréparable, et en réalité l’accentuation de l’irréparable, postule les indications en urgence des
mesures conservatoires ci-après :
¾ la cessation par la Rwanda de toutes les violations de la souveraineté, de l’intégrité territoriale
ou de l’indépendance politique de la République démocratique du Congo, y compris de toute
intervention directe et indirecte, dans les affaires intérieures de la République démocratique du
Congo;
¾ la cessation de toute utilisation de la force, directe ou indirecte, manifeste ou occulte, contre la
République démocratique du Congo et de toutes les menaces d’utilisation de la force contre la
République démocratique du Congo et ses populations;
¾ la cessation de toute poursuite du siège des centres de population civile, spécialement en
assurant la démilitarisation de Kisangani, exigée par de nombreuses résolutions du Conseil de
sécurité ainsi que d’autres villes (Goma, Bukavu, Kindu, Pweto, …) envahies par les troupes
rwandaises;
¾ la cessation des actes qui ont pour effet d’affamer la population civile congolaise et de la
soumettre à des conditions difficiles et inhumaines de vie;
¾ la cessation de la dévastation aveugle et sauvage des villages, des villes, des districts,
d’institutions religieuses en République démocratique du Congo;
¾ la cessation des assassinats, exécutions sommaires, tortures, viols, détentions arbitraires,
pillages des ressources de la République démocratique du Congo.
Afin de prévenir l’irréparable, la République démocratique du Congo prie la Cour de dire et
de juger que le Rwanda doit mettre fin aux actes constitutifs de violations graves, flagrantes et
massives, au préjudice du peuple congolais, des dispositions des instruments normatifs protecteurs
des droits de l’homme. Il s’agit notamment des conventions ci-après : la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, la convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes, la convention sur l’élimination de toutes formes de
discrimination raciale, la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, les Statuts de
l’Unesco, la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants.
- 66 -
Plaise à la Cour, pour préserver les intérêts légitimes et les ressources de la République
démocratique du Congo et de sa population :
¾ d’exiger que son intégrité territoriale soit garantie et respectée;
¾ d’exiger que les troupes rwandaises quittent immédiatement et sans conditions le territoire
congolais conformément à la Charte et aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de
l’Organisation des Nations Unies afin de permettre à sa population de jouir pleinement de ses
droits, ainsi que de demander au Conseil de sécurité de veiller au respect de ses propres
résolutions;
¾ de permettre au peuple congolais de jouir de ses ressources naturelles conformément au droit
international;
¾ de réaffirmer le droit de la République démocratique du Congo de se défendre et de défendre
son peuple, en légitime défense, en vertu de l’article 51 de la Charte de l’Organisation des
Nations Unies et du droit international coutumier tant que continuera l’agression dont elle est
victime de la part, notamment du Rwanda et dont le coût en vies humaines augmente au jour le
jour;
¾ d’ordonner l’embargo sur les armes à destination du Rwanda, le gel de toute assistance
militaire et autres aides, ainsi que l’embargo sur l’or, le diamant, le coltan, ainsi que d’autres
ressources et biens provenant du pillage systématique et de l’exploitation illégale des richesses
de la République démocratique du Congo, dans sa partie occupée;
¾ la mise en place rapide d’une force d’interposition et d’imposition de la paix le long des
frontières de la République démocratique du Congo avec le Rwanda ainsi qu’avec les autres
parties belligérantes.
Tout en rappelant que le Rwanda est tenu de payer à la République démocratique du Congo,
de son propre droit, et comme parens patria, de ses citoyens, des réparations justes et équitables
pour les dommages subis par les personnes, les biens, l’économie et l’environnement, la
République démocratique du Congo prie la Cour d’indiquer également, en vertu de l’article 41 de
son Statut et des articles 73 à 75 de son Règlement, toutes autres mesures exigées par les
circonstances, en vue de préserver les droits légitimes de la République démocratique du Congo et
de sa population ainsi que d’empêcher l’aggravation du différend.
- 67 -
Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, au nom de toute la
délégation-conseil de la République démocratique du Congo, je termine mon mot de conclusion en
vous remerciant de votre attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l'agent. Ceci met un terme à la séance de ce
matin. La prochaine audience aura lieu cet après-midi à 15 heures en vue de donner la parole à la
République rwandaise. La séance est levée.
L’audience est levée à 13 h 25.
__________

Document Long Title

Public sitting held on Thursday 13 June 2002, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Guillaume presiding

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