Public sitting of the Chamber held on Tuesday 14 May 1991, at 3 p.m., at the Peace Palace, Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding

Document Number
075-19910514-ORA-02-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1991/23
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

C 4/CR 91/23
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1991
Public sitting of the Chamber
held on Tuesday 14 May 1991, at 3 p.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening)

VERBATIM RECORD

ANNEE l991
Audience publique de la Chambre
tenue le mardi 14 mai 1991, à 15 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant))

COMPTE RENDU

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Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Sir Robert Jennings, President of the Court
Oda, Vice-President of the Court
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina

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Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
Sir Robert Jennings, Président de la Cour
M. Oda, Vice-Président de la Cour, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier

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The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno,
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Roberto Arturo Castrillo, Ambassador,
as Co-Agent;
and
H. E. Dr. José Manuel Pacas Castro, Minister for Foreign Relations,
as Counsel and Advocate.
Lic. Berta Celina Quinteros, Director General of the Boundaries'
Office,
as Counsel;
Assisted by
Prof. Dr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Professor of Public
International Law at the University of Uruguay, former Judge and
President of the International Court of Justice; former President
and Member of the International Law Commission,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C., Director of the Research Centre
for International Law, University of Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Prof. Prosper Weil, Professor Emeritus at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Dr. Francisco Roberto Lima, Professor of Constitutional and
Administrative Law; former Vice-President of the Republic and
former Ambassador to the United States of America.
Dr. David Escobar Galindo, Professor of Law, Vice-Rector of the
University "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador)
as Counsel and Advocates;
and
Dr. Francisco José Chavarría,
Lic. Santiago Elías Castro,
Lic. Solange Langer,
Lic. Ana María de Martínez,
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Le Gouvernement d'El Salavador est représenté par :
S. Exc. M. Alfredo Martínez Moreno
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Roberto Arturo Castrillo, Ambassadeur,
comme coagent;
S. Exc. M. José Manuel Pacas Castro, ministre des affaires
étrangères,
comme conseil et avocat;
Mme Berta Celina Quinteros, directeur général du Bureau des
frontières,
comme conseil;
assistés de :
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, professeur de droit international
public à l'Université de l'Uruguay, ancien juge et ancien
Président de la Cour internationale de Justice; ancien président
et ancien membre de la Commission du droit international,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à la
Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux de
New York et du District de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht, C.B.E., Q.C., directeur du centre de recherche
en droit international, Université de Cambridge, Fellow de Trinity
College, Cambridge,
M. Prosper Weil, professeur émérite à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Francisco Roberto Lima, professeur de droit constitutionnel et
administratif; ancien vice-président de la République et ancien
ambassadeur aux Etats-Unis d'Amérique,
M. David Escobar Galindo, professeur de droit, vice-recteur de
l'Université "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador),
comme conseils et avocats;
ainsi que :
M. Francisco José Chavarría,
M. Santiago Elías Castro,
Mme Solange Langer,
Mme Ana María de Martínez,
- 6 -
Mr. Anthony J. Oakley,
Lic. Ana Elizabeth Villata,
as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Mr. R. Valladares Soto, Ambassador of Honduras to the
Netherlands,
as Agent;
H.E. Mr. Pedro Pineda Madrid, Chairman of the Sovereignty and
Frontier Commission,
as Co-Agent;
Mr. Daniel Bardonnet, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Derek W. Bowett, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. René-Jean Dupuy, Professor at the Collège de France,
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Julio González Campos, Professor of International Law,
Universidad Autónoma de Madrid,
Mr. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, Professor of International Law,
Universidad Complutense de Madrid,
Mr. Alejandro Nieto, Professor of Public Law, Universidad
Complutense de Madrid,
Mr. Paul De Visscher, Professor Emeritus at the Université de
Louvain,
as Advocates and Counsel;
H.E. Mr. Max Velásquez, Ambassador of Honduras to the United Kingdom,
Mr. Arnulfo Pineda López, Secretary-General of the Sovereignty and
Frontier Commission,
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar, Minister, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
Mr. Gerardo Martínez Blanco, Director of Documentation, Sovereignty
and Frontier Commission,
Mrs. Salomé Castellanos, Minister-Counsellor, Embassy of Honduras to
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the Netherlands,
M. Anthony J. Oakley,
Mme Ana Elizabeth Villata,
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S. Exc. M. R. Valladares Soto, ambassadeur du Honduras à La Haye,
comme agent;
S. Exc. M. Pedro Pineda Madrid, président de la Commission de
Souveraineté et des frontières,
comme coagent;
M. Daniel Bardonnet, professeur à l'Université de droit, d'économie
et de sciences sociales de Paris,
M. Derek W. Bowett, professeur de droit international à l'Université
de Cambridge, Chaire Whewell,
M. René-Jean Dupuy, professeur au Collège de France,
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Julio González Campos, professeur de droit international à
l'Université autonome de Madrid,
M. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, professeur de droit international
à l'Université Complutense de Madrid,
M. Alejandro Nieto, professeur de droit public à l'Université
Complutense de Madrid,
M. Paul de Visscher, professeur émérite à l'Université catholique de
Louvain,
comme avocats-conseils;
S. Exc. M. Max Velásquez, ambassadeur du Honduras à Londres,
M. Arnulfo Pineda López, secrétaire général de la Commission de
Souveraineté et de frontières,
M. Arias de Saavedra y Muguelar, ministre de l'ambassade du Honduras
à La Haye,
M. Gerardo Martínez Blanco, directeur de documentation de la
Commission de Souveraineté et de frontières,
Mme Salomé Castellanos, ministre-conseiller de l'ambassade du
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Honduras à La Haye,
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, Partner in Frère Cholmeley, Paris,
as Counsel;
Mr. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mrs. Olmeda Rivera,
Mr. Raul Andino,
Mr. Miguel Tosta Appel
Mr. Mario Felipe Martínez,
Mrs. Lourdes Corrales,
as Members of the Sovereignty and Frontier Commission.
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M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils;
M. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mme Olmeda Rivera,
M. Raul Andino,
M. Miguel Tosta Appel,
M. Mario Felipe Martínez,
Mme Lourdes Corrales,
comme membres de la Commission de Souveraineté et des frontières.
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The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is resumed. I give the floor to Professor
González.
M. GONZALEZ CAMPOS : Thank you, Mr. President.
Partie II. LE TITRE DE POLOROS DE 1760 EN TANT QUE
FONDEMENT DE LA POSITION JURIDIQUE D'EL SALVADOR
1. El Salvador entend se fonder sur le titre de Poloros en invoquant l'uti possidetis juris (RS,
p. 83, par. 3.72).
Dans ce document nous intéresse spécialement la partie qui traite des limites des terres de
Poloros à partir de la borne de Piedra Parada, à l'ouest (point L-18 sur la carte salvadorienne 6.V),
la carte verte, jusqu'à la rivière Unire, à l'est (point L-1 d'après la même carte). En principe je ne
peux pas montrer Piedra Parada qui est près d'ci, mais il est sur la carte salvadorienne.
Je vais faire le tracé, d'une part, jusqu'ici, d'autre part jusqu'à la rivière Unire. Et le texte du
document concernant cette partie du tracé, à laquelle je vais me référer, se trouve aux pages 93 et 94
de la traduction française du contre-mémoire; ce sont les passages qui en marge ont les lettres D H
du texte que vous avez devant vous (annexes, vol. IV, annexe VIII.1.4, p. 1582-1593).
2. Après lecture de ce document, on peut tout naturellement le diviser en deux parties. La
première porte sur le tracé du réarpentage de 1760 entre la borne de Piedra Parada et la rivière
Torola.
La deuxième concerne certains endroits auxquels se réfère le document, une fois arrivé à la
"Mansupucagua Gorge", notamment, d'abord la colline sans nom près de la propriété des Lopez, et
deuxièmement la hauteur dite Cerro de Ribita. Ici, nos adversaires ont avancé, depuis 1880 jusqu'à
nos jours, des interprétations non seulement changeantes, mais aussi erronées sur la localisation de
ces deux points; interprétations qui, malheureusement, sont à l'origine de la controverse sur ce
secteur. Il faut donc laisser parler le texte, qui bien qu'imprécis, suffit à lui seul à démontrer que la
"poussée vers le nord" qu'El Salvador a toujours soutenue manque de tout fondement.
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A) LES OMISSIONS DU TITRE DE POLOROS DE 1760 A PARTIR DE LA BORNE
DE PIEDRA PARADA
1. La partie du réarpentage de 1760 qui traite des points compris entre Piedra Parada et la
rivière Torola est celle des omissions et des imprécisions. Pour le montrer, j'examinerai trois
questions importantes aux fins du présent débat : d'abord, les terres de Lislique et la borne du Cerro
El Zapote; deuxièmement, les bornes des terres de Poloros à la rivière Torola; et, enfin, le ravin de
Masucupagua et la rivière Torola.
1. Les terres de Lislique et la borne du Cerro El Zapote
1. Le réparentage des terres de Poloros, dans la partie qui intéresse le présent litige commença
le 14 février 1760 à l'endroit dit Piedra Parada, plus au sud de l'espace couvert par la carte
hondurienne 6.1 que vous avez devant vous mais qui se trouve dans la carte salvadorienne 6.VI. Ce
qui m'intéresse c'est qu'après être passé par el Cerro Viejo et la colline Amancayagua, en marchant
dans la "direction du sud au nord avec une déviation vers le nord-ouest", on a continué sur une
distance de 70 cordes "le long des terres de la ville des Indiens de cette juridction; à partir de là,
suivant la même direction (nous dit le texte) nous avons atteint la quebrada de Mansupucagua..."
(MS, annexes, p. 46 de la traduction française). Voici pour le texte du document.
2. Mais au sujet de ce passage du document de 1760, quelques remarques semblent
nécessaires. D'abord, on peut observer que Piedra Parada est, d'après ce document "aux confins des
terres de la ville d'Anamoros"; et les habitants de ce village y étaient présents et ils ont fait des
objections au réarpentage" (MES, annexes, p. 45, trad. fr.). Le texte du document est en marge de la
lettre D. Cependant, après Piedra Parada, le document nous dit ensuite qu'on avait cotoyé les terres
"de la ville des Indiens de cette juridiction", sans plus de précision. C'est le texte à côté de la lettre E.
Malheureusement, ce passage du document a été négligé par les Parties lors des débats
antérieurs sur ce secteur. Et il n'a pas fait non plus l'objet d'un examen approfondi dans les pièces de
la procédure écrite. Or, à la réflexion, il s'agit d'un point important car, compte tenu des omissions
du document de 1760, il amène à soulever deux questions :
1) Première question : de quel village d'Indiens s'agit-il, le village n'ayant pas été nommé
dans le document de 1760 ? Il n'est pas difficile de répondre à cette question attendu que, d'après la
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reconnaissance des bornes de Cacaoterique, effectuée en 1803, on sait que ces terres de Poloros
jouxtaient celles de Poloros et de Lislique, à la borne de Sisicruz (MH, annexe, vol. IV,
annexe VIII.1.5, p. 1604); et si on regarde la carte des paroisses de la province de San Miguel
de 1804, très "naïve" mais aussi très belle, on peut constater que Lislique est à gauche de Poloros, et
en allant du sud vers la rivière Torola (MH, annexes, annexe VI (annexe cartographique), carte A.3).
2) Deuxième question plus importante : pourquoi Lislique n'a-t-il pas été nommé? Ou si l'on
veut, comment se fait-il que les habitants de Lislique ne sont pas présents au réarpentage, si l'on
côtoyait les terres du village de Lislique depuis Piedra Parada, point extrême au nord de celles
d'Anamoros ? Alors que le document cite Anamoros et que les habitants d'Anamoros sont présents
et font des objections, ce n'est pas le cas de Lislique.
Sur ce point, le document ne nous offre pas de réponse. Nous prenons acte de ce silence, mais
force est de trouver une réponse aux questions soulevées.
3. En effet, ces omissions du document de 1760 pourraient avoir une explication si l'on prend
en compte deux données : l'une géographique et l'autre historique.
Examinons la première d'ordre géographique. Si l'on regarde la carte salvadorienne 6.V de
l'annexe cartographique au mémoire (Book of Maps), on se rend compte que très près et en face de
l'"Amancayacua Hill", à gauche de la ligne est représentée une hauteur, le "Cerro El Zapote"; endroit
que vous retrouvez dans la carte hondurienne 6.1 que vous avez devant vous; carte à laquelle ont été
ajoutées les bornes des terres de Monteca, d'après la carte hondurienne V.3 de la réplique.
Or, je tiens à souligner que bien qu'El Salvador se soit référé à l'"Amancayacua Hill", il a été
obligé de représenter la borne sur le Cerro El Zapote, sur la carte verte que vous avez devant
vous, car le document de 1760 nous dit, en effet, que la borne a été érigée "sur une petite hauteur
située en face" du premier (MS, annexes, p. 46 trad. fr.). Mais il existe une deuxième donnée,
d'ordre historique : le "Cerro El Zapote", c'est la borne "J" des terres de Monteca arpentées en 1889
et, comme je l'ai fait valoir dans la première partie de mon exposé, il s'agit aussi d'une des
"anciennes bornes" des terres de Poloros arpentées en 1725, comme il ressort de la référence faite
lors de la création de ce terrain en 1842 et de la mention contenue au commencement du titre de
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Poloros.
4. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, une fois établie la liaison logique entre ces deux
données, quelle conséquence peut-on en tirer ?
La réponse va de soi : à partir de l'ancienne borne du Cerro El Zapote, les terres de Lislique et
de San Miguel de Sapigre se jouxtaient vers le nord, jusqu'à Sisicruz ou la plaine du Camaron. Et,
par conséquent, on peut soutenir, en s'appuyant sur les faits que je viens de rapporter, que le Cerro
El Zapote a été au moins pendant la période 1725-1760, (1760 est la date de l'arpentage de
Poloros, le point triple des terres de Lislique, à l'ouest, de Sapigre, à l'est et de Poloros, au sud.
Mais de ce fait il découle une autre conséquence, plus importante : en cet endroit du Cerro El
Zapote se trouvaient les limites entre les anciennes provinces de San Miguel et de Comayagua,
limites qui s'étendaient vers l'ouest, en passant par El Cerro de las Marías, auquel je me suis référé à
propos du document de 1734 et de celui de 1897. Le document de 1760, certes, garde le silence sur
ce fait. Mais cela ne peut pas nous surprendre, vu qu'il a omis jusqu'au nom même du village de
Lislique et que leurs habitants n'ont pas été présents au réarpentage. Ce qui était, on peut le
comprendre, une garantie pour ne pas troubler le silence sur le terrain de Sapigre.
2. L'omission de la rivière Torola
1. Mais revenons-en aux omissions du document de 1760. Après avoir mentionné la borne qui
faisait face à l'"Amacayacagua Hill", c'est-à-dire, celle du Cerro El Zapote, le document nous dit -
au passage en marge de la lettre "F" - qu'on arriva à la quebrada ou ruisseau de Mansupucagua.
Or, dans ce passage du titre de Poloros, deux omissions importantes peuvent encore être constatées :
La première, assez surprenante, est d'ordre géographique. Si vous regardez la carte
hondurienne 6.1 que vous avez devant vous, vous pourrez vous rendre compte que le ravin ou torrent
de Mansupucagua n'est qu'un petit cours d'eau qui, en direction nord-sud, va se jeter dans la rivière
Torola. C'est ici. Et la disproportion entre un ruisseau ou un torrent et la rivière Torola est plutôt
grande, comme on peut le voir sur la superbe carte de 1804 que je viens de mentionner (MH,
annexes, vol. VI, annexe cartographique, carte A.3). Or, le document de 1760 tout en gardant le
silence sur la rivière "de Torola", le cours d'eau le plus important, mentionne le petit ravin de
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Mansupucagua.
2. S'agissant de cette omission, deux remarques subsidiaires s'imposent :
1) Sur ce point, d'abord, il faut l'avouer, nos adversaires ont fidèlement respecté le silence du
document de 1760 concernant la rivière Torola. Et un regard à la carte salvadorienne 6.V du
mémoire (Book of Maps), la carte verte, vous permettra de constater qu'à la gauche du
"Mansupucagua Gorge", c'est-à-dire le point marqué en bleu (point L-21) par El Salvador, est
représentée une grande rivière sans nom; et si on remonte le cours de cette même rivière vers l'est, on
constate qu'elle porte le nom de "Lajitas", qui est aussi le nom d'un petit hameau, le "Caserío
Lajitas", sur lequel je reviendrai à la partie V de mon exposé.
Mais ce faisant, El Salvador se trouve confronté à sa propre démarche et se place dans une
contradiction. En effet, comme le Honduras l'a fait ressortir dans sa réplique (RH, vol. II, p. 594),
l'article 16 du traité général de paix de 1980, en délimitant le sixième secteur de la frontière terrestre,
se réfère à la frontière qui suit le cours de la rivière Torola jusqu'au point où elle "reçoit sur sa rive
nord le ruisseau de Manzupucagua" (MH, annexes, vol. II, annexes V.1.55, p. 813). Par
conséquent, il s'agit bien de la rivière Torola, comme en sont convenues les deux Parties et,
d'ailleurs, elle est connue sous ce nom depuis la carte de 1804 au moins.
2) Deuxièmement, comment expliquer le silence du document de 1760 sur la rivière Torola ?
Pour nos adversaires, l'explication est aisée, ils disent : "Le río Torola n'est pas mentionné, parce que
son cours ne servait pas de limite aux terrains communaux qui ont été arpentés. La limite utilisée
était la Quebrada de Mansucupagua" (RS, p. 86, par. 3.76). Et ils profitent de l'argument pour
surmonter une autre difficulté, affirmant qu'il en est de même dans le cas de la rivière Zazalapa, dans
le secteur en litige compris entre la borne de Pacacio et la borne Poza del Cajón, c'est-à-dire La
Virtud-Zazalapa ou Arcatao et Zazalapa, et cela d'après le texte du titre d'Arcatao de 1724 (ibid.,
p. 85, par. 3.76).
Mais, ce faisant, nos adversaires prennent un grand risque, car si le silence du document
de 1760 au sujet de la rivière Torola peut se justifier par le silence au sujet de la rivière Zazalapa
dans le texte de 1724, la conclusion à laquelle on peut aboutir dans ce deuxième cas serait applicable
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au premier. Or la Chambre de la Cour se souviendra sans doute que le silence dans le titre d'Arcatao
avait une autre explication, à savoir que la limite des deux juridictions était la rivière Zazalapa,
d'après ce document même d'Arcatao de 1724, et ensuite d'après l'arpentage postérieur du terrain de
Zazalapa de 1741, et aussi d'après deux documents, l'un du XIXe
siècle, l'autre, une note
salvadorienne du XXe
siècle.
De ce fait, si l'arpenteur n'a pas parlé de la rivière Zazalapa en 1724, c'est parce qu'il n'a pas
traversé la rivière qui marquait la limite des deux provinces. Ici, dans le cas de la rivière Torola, il
ne pouvait faire autrement que de la traverser, et le silence n'est donc absolument pas justifié. D'où
la question suivante, que l'on pourrait formuler ainsi : est-ce que la référence du document de
Poloros serait erronée et, en fait, au lieu du ravin de Mansucupagua, visait en réalité la rivière
Torola ?
3. Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de ce que, par le passé, le véritable sens
du texte avait été mal compris à cause d'une expression espagnole, "en cuyo derecho". Bien que le
problème ait déjà été soulevé par le Honduras (RH, vol. II, p. 595-601), qu'il me soit permis,
Monsieur le Président, d'en rappeler très brièvement les termes et, une fois restitué le sens correct du
texte, d'examiner les conséquences qui en découlent aux fins de l'interprétation du titre de 1760 (le
passage du texte est en marge de la lettre F).
Le texte espagnol de ce document nous dit qu'on arriva à la Quebrada de Mansupucagua,
ajoutant ce qui suit (et je cite en espagnol, je regrette) : "en cuyo derecho tienen hacienda los de el
pueblo de Opatoro de la jurisdicción de Comayagua (aquí una roturita) y queda dicha hacienda
dentro de esta medida". Dans ce passage, l'expression qui nous intéresse est "en cuyo derecho" et
l'erreur sur le sens du texte provient du fait qu'en espagnol, comme en français, le mot "derecho" a
couramment deux sens :
1) Il a été traduit en anglais par "of whose rights" d'après la traduction anglaise des annexes
d'El Salvador (CMS, annexes, vol. III, annexe V, p. 53).
2) En français, il a été traduit soit par "au droit duquel" par le Honduras, (nous avons commis
aussi l'erreur) soit d'une façon encore plus incorrecte dans les annexes du mémoire d'El Salvador. En
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effet, après le passage concernant la gorge de Mansupucagua, le texte que vous avez devant vous
poursuit "pour laquelle les droits appartiennent aux gens de la ville d'Opatoro de la juridiction de
Comayagua ... et la plantation susdite rentre dans les limites du présent arpentage" (MES, annexes,
trad. fr., p. 46). Or le texte espagnol se réfère à une "hacienda" et non à la "gorge de
Manzupucagua", ce qui change tout le sens.
En fait, en espagnol - comme d'ailleurs en français - le terme "droit" se rapporte à ce qui est
juste, exigible ou permis, le directum du bas latin, mais aussi à ce qui est du côté opposé au côté du
coeur de l'observateur, le dexter ou dextro latin. Et s'agissant d'un cours d'eau tel que la Quebrada
de Mansupucagua, le terme "derecho" ("en cuyo derecho"), d'après le dictionnaire de la langue
espagnole, que ce soit celui de 1732 ou celui d'aujourd'hui, est clair : "en regardant le cours d'eau,
légèrement à main droite", ou bien ce qui, dans le cas d'un cours d'eau, est situé "du côté droit par
rapport à l'observateur placé en amont des eaux" (Real Academia Española, Diccionario de
Autoridades, ed. fac-sim. de celle de 1732, t. III, vol. D-N, Madrid (1939); Real Academia
Española, Diccionario de la Lengua, Madrid (1970), p. 434).
Par conséquent, le document de 1760 ne vise pas les "droits" ou titres juridiques qui
appartiennent aux Opatoro dans la "hacienda", maix ce qu'il dit c'est la localisation de cette
propriété "à la droite" du cours d'eau, dans le sens du courant.
4. Une fois rétabli le sens exacte du texte, il faut en tirer les conséquences aux fins de
l'inteprétation du document de 1760. Or, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la conséquence
serait que la propriété des Opatoro, si elle se trouve "à la droite" du torrent de Mansupucagua, dont
le courant va du nord vers le sud, se retrouve hors de la zone en litige. Si vous voulez bien
examiner de près la carte 6.1 que vous avez devant vous, elle serait vraiment ici, parce que le torrent
va du nord au sud et alors, si la "hacienda" est à la droite (si on descend le cours d'eau), la
"hacienda" serait ici : en dehors de la zone en litige.
Cependant, tel n'est pas le cas. Dans la réplique du Honduras sont indiqués trois documents,
de 1849, 1856 et 1877, qui sont tout à fait clairs sur la localisation de la "hacienda" des Opatoro
(RH, vol. II, p. 599 et 600). Ces documents permettent d'établir que cette propriété était d'abord "en
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face de la rivière Torola ... à la hauteur du coteau d'Opire" (RH, annexes, vol. I, annexe V.6,
p. 290). Et le coteau d'Opire ou Upire se trouve ici; le document nous dit "à la hauteur du coteau
d'Opire", cela veut dire à la droite du Torola, ici. Et le coteau d'Opire nous montre la localisation.
Par conséquent, la "hacienda" est près de la rive droite de la rivière Torola, à la hauteur du
Cerro Upire, c'est-à-dire à la place que je viens d'indiquer, et non à la droite du torrent de
Mansupucagua.
Et il s'ensuit donc qu'il y a une erreur dans le document de 1760 lorsqu'il y est mentionné ce petit
torrent au lieu de la rivière Torola, le vrai cours d'eau à la droite duquel se trouvait la propriété des
Opatoro, sur la rive droite.
Mais ceci dit, permettez moi, Monsieur le Président, une considération en marge. L'autre jour,
je pense que ce matin même, mon éminent contradicteur m'a reproché de changer, de déformer le
texte d'un document. Je dois avouer que c'est un reproche que je ressens profondément. Or, je ne
peut admettre le texte d'un document que confronté à d'autres données d'autres documents. Si le
document parle clairement et les données de tous les documents sont concordantes, le texte doit être
admis; mais s'il y a des éléments tirés d'autres documents dans le dossier qui nous montrent qu'il y a
eu une erreur, il faut au moins se demander pourquoi on disait là le torrent Mansupucagua et on ne
disait pas la rivière Torola. Je pense que c'est la seule méthode applicable. Ce n'est pas un essai de
déformer un texte, c'est la seule possibilité de donner le sens véritable au texte.
3. L'omission des bornes de Sisicruz et du Carrizal
à la rivière Torola
1. Mais il existe dans le document de 1760 une troisième omission, assez importante, qui
malheureusement n'a pas fait l'objet d'un examen approfondi dans les pièces de la procédure écrite,
bien que les données essentielles aient été soulignées dans les écrits honduriens. Je veux parler des
bornes de Sisicruz et du Carrizal.
Dans la carte 3.J du contre-mémoire d'El Salvador (CMS, en regard de la page 116), nos
adversaires ont admis que la borne dite Sisicruz ou "Llano del Camarón" dans le document de 1803
concernant les terres de Cacaoterique est localisée au confluent du torrent de Mansupucagua avec la
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rivière Torola, comme le Honduras l'avait soutenu dans le mémoire (MH, vol. I, p. 283 et la
carte B.3.2 au regard de la page 252). Ce point est indiqué lors de la reconnaissance en 1803 des
bornes de Cacaoterique, qui est venue par ici; et on a indiqué toutes les bornes, car c'est un
document très précis sur les bornes de Cacaoterique, où il dit qu'on arrive à la sixième, on arrive à la
septième, on arrive à la huitième et ici, juste ici (au confluent de Torola en Mansupucagua). Il dit
qu'il y a un point où il y a trois bornes, l'une de Lislique, l'autre de Poloros, l'autre de Cacaoterique.
Eh bien ce point, qui est un point triple, n'est pas mentionné dans le document de 1760.
1) En effet, si on se reporte au document de 1803, il nous dit avec une grande précision que,
dans la savane oè se trouve Sisicruz, il y a trois monticules de pierres : l'un appartient à Lislique,
l'autre à Poloros (ses notables étaient présents et il s'agit de villages appartenant à San Salvador), dit
le document de 1803, et le dernier à celui de Cacaoterique, affirmant tous qu'il s'agit de la septième
borne..." (MH, annexes, vol. IV, annexe VIII.1.5, p. 1604). Lislique, on s'en souviendra, est le
"village d'Indiens" dont le nom est omis dans le document de 1760; et les terres de Lislique vont de la
borne du Cerro El Zapote jusqu'à la borne de Sisicruz, d'après le document que vous avez devant
vous; les terres de Lislique commencent ici et elles vont jusqu'à la borne triple de Sisicruz. Il est à
souligner, à cet égard, que ce point triple des terres de Lislique, Poloros et Cacaoterique, est la
septième borne des terrains du dernier de ces trois villages. Une donnée qu'on connaît grâce au
document de 1787 repris dans celui de 1803, où les indigènes de Cacaoterique indiquent les bornes
de leurs terres.
2) Mais revenons au document de 1760 et posons-nous quelques questions : ce document
mentionne-t-il une borne au confluent du ruisseau ou torrent de Mansucupagua avec la rivière
Torola ? La réponse est non, même si à ce point il y avait non pas une, mais trois bornes. Est-ce
qu'il cite le nom de cet endroit ou décrit les caractéristiques du lieu, une plaine (d'où la dénomination
de "Llano del Camarón") ? Là encore la réponse est non. Troisième question : est-ce que le
document de 1760, si "clair et catégorique" selon nos adversaires, indique qu'il s'agit d'un point
triple des terres de Lislique, Cacaoterique et Poloros ? A nouveau, la réponse est négative, car
Lislique et Cacaoterique ne sont pas nommés.
- 19 -
Or, Messieurs les Juges, passer du document de 1803 à celui que j'examine de 1760 revient à
passer de la précision et de la clarté à l'imprécision et à l'obscurité la plus complète. Et, à nouveau,
nous devons constater un silence assez grave du document de 1760 : une fois encore, rien n'est dit
des terres de Lislique; une omission qui s'étend aux terres de Cacaoterique et, je le rappelle, à la
rivière Torola. par ailleurs, ni les habitants de Lislique ni ceux de Cacaoterique ne sont présents, à
la différence de ce qui s'est passé lors de la reconnaissance des bornes de 1803.
2. Pourtant Sisicruz ou Llano del Camarón, d'après les affirmations concordantes était la
septième borne du terrain de ce dernier village. Mais quelle est la sixième borne des terres de
Cacaoterique et où était-elle placée ?
1) Dans le document de 1803, on nous dit qu'après Planchaquira ou Ocote Manchon, on est
descendu vers un torrent, celui de Luimunin ou Agua Caliente (eau chaude) et deux lieues plus bas
on arriva en face d'un coteau "couvert de laîches où se trouve une borne de Poloros et de ce village"
(Cacaoterique) (MH, annexe, vol. IV, annexe VIII.1.5, p. 1603-1604). C'est la borne dite du
Carrizal, dont la localisation, d'après ce document, se trouve au confluent du torrent d'Agua Caliente
avec la rivière Torola (carte hondurienne B.3.2 du mémoire, en regard de la page 252). Je vous
indique sur la carte le cours de l'arpenteur; il est venu nord-sud, il est arrivé à Ocote Manchon, ici,
(vous trouvez le nom d'Ocote Manchon sur la carte salvadorienne) puis il est descendu par le torrent
dit Agua Caliente, Luimunin en langue indigène, et il arrive à la rivière de Torola. La sixième borne
du terrain de Cacoaterique était ici, juste ici, au point où la rivière Agua Caliente se jette venant du
nord dans la rivière Torola.
2) Examinons maintenant le document de 1760 pour constater encore une fois le mutisme de
ce document. Après la référence au ruisseau de Mansupucagua et à l'"Hacienda" des Opatoro, ce
texte nous dit qu'on a changé de direction, "pour aller de l'ouest vers l'est avec une certaine déviation
vers le nord-est" et qu'on est arrivé à "une petite hauteur qui sépare ces terres (Poloros) de celles de
la famille des Lopez", après avoir calculé à vue d'oeil 70 cordes, soit 2 905 mètres (MS, annexe,
trad. fr., p. 46 où l'on omet la référence aux 70 cordes jusqu'au "Jato de los Lopez").
Je tiens à souligner la direction de l'arpentage - d'ouest en est avec déviation vers le
- 20 -
nord-ouest - sur laquelle je reviendrai plus avant. Et je tiens à souligner aussi la distance évaluée ou
calculée à l'oeil nu ("se tantearon", par approximation en espagnol) de 70 cordes ou 2905 mètres. Et
si l'on se rapporte aux cartes du secteur, on peut aisément constater que, en allant d'ouest en est, à
trois kilomètres, près de la borne de Siscruz, on trouve l'endroit où le Honduras a localisé la
borne dite du Carrizal dans le document de 1803. C'est-à-dire si vous continuez d'ici, confluent de
la Tororo avec Mansupacaqua jusqu'ici, de l'ouest vers l'est avec une légère déviation, vous arrivez
juste à la borne dite du Carrizal, la sixième borne de Cacaoterique.
3. Quelle conclusion peut-on tirer de l'examen précédent à propos des bornes de Sisicruz et du
Carrizal, en comparant les documents de 1760 et de 1803 ?
Pour ce qui est des omissions concernant Sisicruz dans le titre de Poloros, elles peuvent
difficilement se justifier, étant donné que cette borne était le tripoint des terrains de Lislique, Poloros
et Cacaoterique. Et la seule explication serait celle donnée à propos du Cerro El Zapote : le
document de 1760, excluant toute référence à Lislique, passe sous silence le fait que les terres au sud
de la Torola, du Cerro El Zapote à Sisicruz, avaient été celles de l'ancien village de San Miguel de
Sapigre, de la province de Comyagua.
De même, rien n'est dit de la borne du Carrizal, pourtant indiquée dans le document de
Cacaoterique de 1803. Or elle se trouve, précisément, à une distance de trois kilomètres environ, à
un endroit où le document de 1760 place la petite hauteur qui sépare Poloros des terres du "Jato de
Lopez", terres qui, d'après ce document, se trouvent "à la droite" de cette petite hauteur, (loma en
espagnol). C'est-à-dire vers le nord de la Torola en marchant en direction ouest-est et avec déviation
au nord-ouest.
Finalement, et compte tenu de la situation des deux bornes de Sisicruz et du Carrizal, d'une
part et, d'autre part, des limites des terres de Cacaoterique au nord de la rivière Torola, attestées par
le document de 1803, une autre conclusion s'impose : le réarpentage de 1760, bien qu'ayant
englobé les terrains de Sapigre au sud de la Torola, à l'intérieur des terres de Poloros, n'a pas
touché à la partie située au nord de la Torola, entre Sisicruz et El Carrizal. Et cela est confirmé
par le fait que les terres du Jato des Lopez, près de la borne du Carrizal, comme nous dit le
- 21 -
document, restent en dehors du réarpentage des terrains de Poloros. Or, en fait, en l'excluant, le
réarpentage laissait en dehors les terrains de Cacaoterique, dont la sixième borne commune avec les
terres de Poloros était celle de Carrizal.
Ce fait, très certainement, ne sera pas admis par El Salvador. Une fois encore, on doit noter
l'admission très "sélective" des faits par nos adversaires : le document de 1803 concernant les terres
de Cacaoterique est élevé au rang de "titre officiel des terrains communaux" par El Salvador pour ce
qui est de la septième borne, celle de Sisicruz (RES, p. 88, par. 3.81). Par contre, on passe sous
silence le même document de 1803 pour ce qui est de la sixième borne, celle du Carrizal, et on rejette
la localisation des autres bornes concernant les terrains de Cacaoterique (RES, p. 89, par. 3.82).
Cette attitude de nos adversaires est tout à fait compréhensible. En effet, le point qui sépare
les terres des Lopez, selon le document de 1760, coïncide avec la sixième borne de Cacaoterique
d'après le document de 1803, et ce point - Carrizal - est donc placé près de la rivière Torola et non
pas au nord-ouest, comme il s'agit des prétentions actuelles d'El Salvador. Si on suit le document,
c'est ici où sont les terres des Lopez; et la colline qui sépare les terres des Lopez ne peut jamais être
ici très au nord où on l'a placé, dans chaque proposition d'El Salvador à partir de 1880. Je finis ici
la partie II où j'ai voulu montré le contenu du titre en posant certaines questions. Et maintenant,
Monsieur le Président, je passerai à la partie III, où je dois examiner les interpétations par
El Salvador du document de 1760. Il y a eu pas mal d'interprétations, et elles sont changeantes. Je
ne sais pas si nous devons nous arrêter ici avant de commencer cette troisième partie ou bien je
continue jusqu'à la finir et on finira j'espère vers 4 h 15, 4 h 20.
Le PRESIDENT : Vous pouvez continuer, s'il vous plaît.
M. GONZALES CAMPOS : Merci, Monsieur le Président. Je passe donc, je disais à la
partie III.
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PARTIE III. LES INTERPRETATIONS PAR EL SALVADOR DU TITRE DE
POLOROS ET EN PARITUCLIER DU COTEAU SITUE PRES DES LOPEZ ET
DE CELLES DU CERRO DE RIBITA
1. Introduction
Je signale sur la carte, c'est la petite colline qui sépare les terres des Lopez et ici dernier
mouvement géologique, c'est le Cerro de Ribita, d'après El Salvador.
1. Il convient donc, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, d'examiner les interprétations
d'El Salvador en ce qui concerne la localisation de deux points. Je dis bien les interprétations
d'El Salvador, car depuis 1880 jusqu'à présent nos adversaires ont avancé au moins trois
interprétations du titre de Poloros à propos de ces deux points :
1) On peut le constater aisément en consultant l'historique du différend dans ce secteur (MH,
vol. I, p. 250-274), les différents tracés d'El Salvador ayant été représentés sur la carte
hondurienne 6.4 du contre-mémoire que vous avez devant vous (CMH, vol. II, en regard à la
page 460). C'est la carte où sont tracées les différentes lignes qui d'après d'autres documents
représentent les différents tracés. D'où l'incohérence de la position de nos adversaires, bien que la
finalité des différents tracés soit la même : ils se déplacent toujours plus au nord, augmentant ainsi
les prétentions d'El Salvador dans ce secteur. Ce point a été mis en évidence par le Honduras dans
son contre-mémoire (CMH, vol. II, p. 459-465), mais la réplique d'El Salvador ne nous offre aucune
réponse à cet égard.
2) D'autre part, les différents tracés d'El Salvador sont en contradiction avec les données qui
ressortent du document de 1760 et d'autres documents dont la Chambre de la Cour est saisie.
Ce titre du terrain de Poloros, comme je l'ai montré il y a un instant, est imprécis et plein d'omissions
mais, en outre, il a été délibérément déformé pour justifier à tout moment la position d'El Salvador.
Il convient donc de faire ressortir les interprétations de nos adversaires.
2. La localisation du coteau qui sépare
les terres de Poloros de celles des Lopez
1. Voyons d'abord la localisation du coteau qui sépare les terres de Poloros de celles des
Lopez, à la droite desquelles (en cuyo derecho, à nouveau, en espagnol) se trouve "el Jato de los
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Lopez" qui reste en dehors des terrains de Poloros (MS, annexes, trad. fr., p. 46). Ce qui ressort de
l'historique des négociations c'est que :
D'abord, El Salvador a proposé en 1880 un tracé de la frontière entre les deux Etats, dans la
direction ouest-est, qui devait aller du Cerro de Ribita jusqu'à celui de Los Lopez et
"de là à la limite des terrains communaux du village de Lislique, appartenant à El Salvador,
jusqu'à la confluence avec la rivière Torola, conformément à la démarcation des titres
respectifs de Poloros et Lislique" (MH, annexes, vol. I, annexe III.1.24, p. 101).
Si on se reporte au croquis annexé au rapport des délégués salvadoriens aux négociations de Saco
(CMH, vol. II, carte 6.3, en regard de la page 458) qui sert de fondement pour la ligne A de la
carte 6.4, que vous avez devant vous, du contre-mémoire hondurien, on se rend compte :
- D'une part, que le coteau ou loma de Lopez est à proximité de la Torola. Ce qui est
confirmé par le rapport des délégués honduriens qui parlent d'une coïncidence de ce coteau avec
ladite rivière (MH, annexes, vol. I, annexe III.1.25, p. 105).
- D'autre part, que la proposition d'El Salvador en 1880 établit une distinction entre le tracé du
Cerro Ribita au coteau de Lopez et le tracé de ce point à la confluence sur la Torola des terrains de
Lislique et de Poloros. Ce qui est plein d'intérêt parce que, même si la localisation exacte du coteau
de Lopez n'a pas été donnée en 1880, la distinction faite par El Salvador permet aisément de
retrouver son emplacement : a proximité de la borne du Carrizal, la sixième borne de Cacaoterique,
Sisicruz étant la septième et servant aussi de tripoint aux terres de ce village avec celles de Lislique
et Poloros. Ce qui confirme l'examen précédent au sujet de ces deux bornes de Cacaoterique. Si
vous vous reportez à la carte hondurienne, la carte 6.4, vous pouvez voir que le tracé serait comme
celui-ci, et irait soit à la limite, au tripoint, et viendrait en tout cas dans une direction qui est la même
direction, approximativement, que la rivière Torola. C'est la position salvadorienne en 1880.
2. Mais il y a eu un changement important en 1884 car la nature et l'emplacement du coteau
de Lopez changent assez radicalement. En effet, si l'on se reporte au croquis annexé au
procès-verbal des négociations, établi par les ingénieurs, MM. Byrne et Brizuela (CMH, vol. II,
carte 6.5, en regard de la page 462), sur lequel repose la ligne B de la carte hondurienne 6.4, et au
troisième procès-verbal des négociations Cruz-Letona (MH, annexes, vol. I, annexe III.1.51, p. 170),
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on peut constater :
1) D'une part, que "la petite hauteur" du coteau ou loma de Lopez du document de 1760
devient en 1884 une hauteur de 1100 mètres (troisième procès-verbal des négociations (MH,
annexes, vol. I, annexe III.1.51, p. 170)). Ce qui impliquerait, évidemment, un mouvement
tectonique assez considérable, inconnu depuis les temps de la formation de l'écorce terrestre.
2) Mais les forces telluriques de 1884 ne se sont pas arrêtées là, car le coteau de Lopez se
déplace de la proximité de la rivière Torola, où il était en 1880, jusqu'à un point situé à plus de
4000 mètres vers le nord-est.
Cependant, El Salvador nous dit dans sa réplique que la localisation du Cerro de Lopez et du
Hato de los Lopez, mentionnés dans ce passage du document, ressort de deux cartes présentées par
les Parties, où il existe respectivement "un lieu dénommé Los Lopez" dans la carte hondurienne, et
"Cerro de Lopez" dans celle salvadorienne. Et on ajoute que "cet emplacement coïncide avec ce qui
est indiqué dans le titre officiel" (RS, p. 86, p. 3.77). Il convient donc de vérifier cela une fois
indiquées les deux interprétations données par El Salvador du document de 1760.
3. Eh bien, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, cette vérification nous apporte une
réponse négative, comme le Honduras l'a déjà fait valoir (RH, vol. II, p. 605-608), et les éléments de
ce document de 1760 qui vont à l'encontre de l'interprétation d'El Salvador depuis 1884 sont les
suivants :
1) D'abord, pour ce qui est de la nature du coteau séparant les terres de Lopez, nos
adversaires conviendront avec moi qu'en espagnol il est inapproprié de parler d'un coteau (loma)
pour faire référence à une élévation qui atteint les 1100 mètres. Une loma est, d'après le
dictionnaire, "une petite hauteur"; et le terme possède la même signification dans le dictionnaire de la
langue espagnole de 1732 que dans le dictionnaire actuel. Mais, de plus, si l'on examine la
description des lieux dans le document de 1760, on constate qu'il est toujours fait une distinction
entre un coteau (loma), une butte (cerro) et une butte élevée (cerro alto). Si vous prenez le texte du
document que vous avez devant vous, et vous soulignez les références aux élévations de tout le
document, vous verrez qu'il y a une grande différence entre les trois dénominations que je viens
- 25 -
d'indiquer.
Par conséquent, le sens courant du terme dans le document de 1760, compte tenu du contexte,
va à l'encontre de l'interprétation d'El Salvador.
2) Deuxièmement, le titre de Poloros nous dit très clairement qu'après être arrivé au ruisseau
de Mansupucagua, on a changé de direction "pour aller de l'ouest vers l'est avec déviation vers le
nord-est" (MS, annexes, trad. fr., p. 46). Et l'on connaît, grâce au document de 1803 relatif aux
terres de Cacaoterique, deux bornes de Poloros : l'une à Sisicruz, l'autre au Carrizal.
Or, Messieurs les Juges, si l'on va de Sisicruz à El Carrizal, on va de l'ouest vers l'est, car ici
c'est Sisicruz, ici c'est Carrizal, si vous marchez d'un pan à l'autre vous allez ouest-est. Ce qui est
confirmé par l'arpentage des terrains de Matasanos, Hornos y Estancias qui a eu lieu en 1856, lequel
a suivi, en sens contraire, d'est en ouest, cette partie de la Torola et nous indique les directions avec
toutes précisions (RH, annexes, vol. I, annexe V.4, p. 282-283).
Mais, par contre, d'après la localisation du coteau de Lopez que soutient El Salvador depuis
1884, la direction ouest-est avec déviation vers le nord-est n'est pas possible. En effet, si l'on part
de la borne de Sisicruz, sur laquelle il existe un accord des deux Parties, et que l'on va vers le "Cerro
de Lopez" de 1884, la direction est nord-nord-est, avec une différence de plus de 45 degrés, ce qui
ne correspond pas au document de 1760. Et si l'on tient compte de l'Hacienda des Opatoro et de la
situation du coteau de Lopez, à proximité de la borne du Carrizal, comme je l'ai souligné il y a un
instant, le résultat devient inacceptable car la direction serait nord-nord-ouest, avec une différence
de plus de 75 degrés. Si tout l'examen précédent tient, c'est ici le point où se trouve l'Hacienda des
Opatoro. Et alors le Hato de Lopez serait ici; la direction ouest-est n'admet pas beaucoup de
possibilités, si on tourne la différence est véritablement énorme. L'interprétation d'El Salvador ne
colle pas avec la géographie.
3. La localisation du Cerro de Ribita
1. J'aborde maintenant les interprétations d'El Salvador sur la localisation du Cerro de Ribita.
Sur ce point, le document de 1760, après avoir fait référence au coteau de Lopez, dont je viens de
traiter, poursuit ainsi : "et en continuant dans la même direction, on est arrivé à la colline (cerro) de
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Ribita, limite avec les terres de San Antonio, de l'autre juridiction, et à la rivière Unire; et l'on a
évalué 70 cordes..." (MH, annexes, vol. IV, annexe VIII.1.4, p. 1.585). C'est le texte du document
que vous avez dans le paragraphe que nous avons indiqué par les lettres J et H..
Avant d'aller plus loin, permettez-moi, Monsieur le Président, encore une remarque sur le texte
français que je viens de lire. Il s'agit de la traduction française du document de 1760 en annexe au
mémoire du Honduras. Et j'ai été contraint d'utiliser cette traduction du fait que la traduction en
français des annexes au contre-mémoire d'El Salvador, ayant suivi la traduction en anglais des
annexes à cet écrit, contient malheureusement des erreurs et des omissions. En effet, elle omet la
distance de 70 cordes après la référence aux terres des Lopez, ce qui est pourtant important.
Deuxièmement, on y a traduit à nouveau "direction" par "chemin", sous l'influence du terme anglais
"path", ce qui modifie le sens du texte. Troisièmement, le texte espagnol se réfère "aux terres de San
Antonio" (une propriété, comme on le sait) et non aux terres "de la ville de San Antonio". Et,
finalement, le texte espagnol ne dit pas qu'on arriva "au bord de la rivière Unire"; il dit, après
"juridiction", simplement "et la rivière Unire".
2. Une fois ces précisions apportées, de même que pour le point précédent, je voudrais
rappeler les interprétations d'El Salvador sur la localisation du Cerro (et il s'agit bien d'une butte et
non d'un coteau) de Ribita.
1) En 1880, la délégation d'El Salvador à la conférence de Saco a précisé que la butte de
Ribita se trouvait "à la source de la rivière nommée Unire" (MNH, annexes, vol. I, annexe III.1.24,
p. 101). Et dans le procès-verbal du sept juin, on parle d'une ligne qui va "jusqu'au coteau de
Ribita, qui se trouve plus au nord que celui de Guacamaya..." (ibid., p. 102). Le croquis annexé au
rapport des délégués honduriens de 1880, nous montre, en effet, que Ribita est plus au nord du Cerro
de la Guacamaya (CMH, vol. II carte 6.3 en regard à la page 458) et la localisation se voit sur la
ligne "A" de la carte hondurienne 6.4 (CMH, vol. II, en regard de la page 460). Ici c'est la borne de
la Guacamaya; il y a une élévation ici, c'est la source de la rivière Torola, et la première butte au
nord c'est le Cerro de Unire ou Ribita en 1880.
2) Il n'empêche qu'en 1884, le Cerro de Ribita se déplace vers le nord, de même qu'on a vu se
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déplacer le coteau de Lopez. Et il change aussi de nature : à cette date, il devient un "pic"; et,
d'après le troisième procès-verbal des négociations, parmi les quatre cimes des alentours, il est "le
pic le plus élevé et septentrional qui se trouve près de la borne des "ejidos" de San Antonio del Norte,
à l'endroit nommé "Robledal"...", avec une hauteur de 1100 mètres (MH, annexes, vol. I, annexe
III.1.51, p. 170). Bref, on passe du pic de Guanacastillo, le plus proche du coteau de la Guacamaya,
à un pic qui se trouve à 2000 mètres plus au nord.
Il convient donc d'analyser de près quelques données de la localisation de 1884. Si on se
rapporte au croquis des ingénieurs MM. Byrne et Brizuela (carte 6.5 du contre-mémoire du
Honduras, en regard de la page 462), annexe au troisième procès-verbal des négociations de 1884
(ou à la ligne "B" de la carte hondurienne 6.4. que vous avez devant vous), on peut constater que le
contraste est frappant entre les indications de ce croquis de 1884 et celles du document de 1760 :
- D'une part, on peut observer que Ribita, bien qu'ayant été déplacée deux kilomètres vers le
nord, est à une latitude plus basse que le coteau de Lopez, à l'est, la direction entre les deux points
étant nord 80° ouest. Mais le document de 1760 nous dit qu'on avait suivi sans changement une
direction d'ouest en est, avec déviation vers le nord-est, de la borne de Sisicruz au coteau de Lopez et
de ce point au Cerro de Ribita. En 1884, par contre, on va d'abord jusqu'au coteau de Lopez en
direction nord-nord-est 10°; et puis, on change de direction, pour descendre en direction
est-sud-est 15°.
- D'autre part, la distance entre Ribita et Lopez est de 12 kilomètres, d'après les indications du
croquis de 1884.
Mais, selon le document de 1760, on a évalué à 70 cordes la distance entre le coteau de Lopez et le
Cerro de Ribita. C'est-à-dire que, si la corde avait 50 varas de Castille, comme nous le dit ce
document, soit 4150 mètres, la distance serait de 2905 mètres et non pas de 12 000 mètres. Le
contraste, à nouveau, est frappant.
3) Mais la "montée vers le nord" du Cerro Ribita ne finit pas en 1884. Je ne voudrais
néanmoins pas m'attarder sur ces changements successifs car le Honduras les a déjà exposés à
propos des négociations de 1888, 1972 et 1985 (CMH, vol. II, p. 462 et 463). Si l'on s'en tient
- 28 -
seulement à la position actuelle d'El Salvador, celle du paragraphe 6.73 de son mémoire, le "Cerro de
Ribita" s'est à présent déplacé ici, avec des coordonnées précises, de même que le "Cerro de Lopez"
qui s'est déplacé ici. Et on est fondé à se demander, une fois encore, s'il y a coïncidence entre les
points que je viens de souligner et le document de 1760. Trois remarques encore :
- D'abord : est-ce que la direction inchangée d'ouest en est, avec déviation au nord-est, du
document de 1760, est respectée par El Salvador, depuis le confluent du ruisseau de Mansupucagua
avec le Torola jusqu'au coteau de Lopez et, de cet endroit, au Cerro de Ribita ? La réponse est non.
Il suffit d'un simple regard sur la carte 6.1 que vous avez devant vous, pour vous en rendre compte :
du premier point au coteau de Lopez, la direction est nord-nord-est 21°, puis elle change pour
devenir est-sud-est 10° jusqu'à Ribita, ce qui est doublement en contradiction avec les indications du
titre de Poloros.
- Deuxième remarque : dans le document de 1760, on affirme que Ribita est la "limite avec les
terres de San Antonio", un point que nos adversaires passent sous silence dans le long exposé du
contre-mémoire sur la localisation de Ribita (CMS, p. 110-114). Mais dans cet écrit salvadorien il
y a une carte pleine d'intérêt, la carte 3.J qui n'est qu'une esquisse, mais sur laquelle sont représentées
conjointement, entre autres, les limites des terrains de Poloros et de San Antonio[, si je me souviens,
vers les dernières de ce groupe de cartes] : c'est celle-ci, la carte colorée.
Est-ce que Ribita se trouve, d'après la carte, à la limite des terrains de San Antonio, colorés en
jaune ? Vous pouvez voir, ici, à droite, colorée en jaune en partie, la limite des terrains de
San Antonio, et vous pouvez voir un point ici qui s'appelle Orilla de Unire, c'est la dernière des
cartes colorées. Ainsi vous avez une réponse négative d'après un document qu'El Salvador a soumis
à la Chambre de la Cour, et nos adversaires doivent donc choisir. De deux choses l'une : ou bien
Ribita se trouve à 6000 mètres plus au sud-est du point où elle est localisée sur la carte 3.J, ou bien
les terres de San Antonio sont mal indiquées sur cette même carte ainsi que les terres de Cojiniquil.
Mais en réalité, il n'y a pas de choix. San Antonio de Padua se trouve près de la rivière Unire et, par
conséquent, la localisation de Ribita est erronée d'après la carte, car si vous comparez la carte 3.J
qui localise les terres de San Antonio de Padua, ici, et c'est le cours de la rivière Unire, Ribita ne
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peut pas être ici 6.000 mètres plus au nord-ouest.
- Dernier point : quelle est la distance, même si elle a été évaluée à l'oeil nu, que nous indique
le document de 1760 entre la borne Sisicruz (au confluent de Mansupucagua et de la Torola) et le
Cerro de Ribita ? Quelle est la distance d'ici à ici ? Et quelle est la distance d'une position à l'autre ?
On nous dit 70 cordes jusqu'au coteau de Lopez et 70 de plus entre Lopez et Ribita, soit
5810 mètres d'après ce que l'on sait des mesures espagnoles. Mais si on utilise l'échelle de la
carte 3.J et que l'on prend le compas, même un pauvre professeur de droit comme moi peut constater
que la distance devient 11 000 mètres, soit presque le double. L'explication, à la vérité, n'est pas
difficile : si le coteau de Lopez s'est déplacé vers le nord-ouest et Ribita aussi, le résultat ne peut
surprendre.
4. Monsieur le Président, je termine ici mon deuxième point concernant le titre des terrains de
Poloros. Nous avons examiné les interprétations d'El Salvador sur la localisation du coteau de
Lopez et du Cerro de Ribita et, comme il vient d'être démontré, l'emplacement de ces deux points ne
coïncide pas avec les indications du document de 1760, contrairement à ce que nos adversaires ont
affirmé (RES, p. 86 et 87, par. 3.77 et 3.78).
Par conséquent, les conclusions arrêtées dans les écrits honduriens sur le tracé d'El Salvador
restent valables. Je pense que l'on pourrait s'arrêter ici, si vous le permettez, Monsieur le Président,
avant de passer à la partie IV qui concerne le comportement des Parties dans la période républicaine
de 1842 à 1877.
The PRESIDENT: Thank you. We will now take a break for 15 minutes.
L'audience est suspendue de 16 h 20 à 16 h 35.

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The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is resumed and I give the floor again to
Professor González Campos.
Mr GONZALEZ CAMPOS: Thank you, Mr. President. J'avais fini avant le break la
troisième partie, qui liée à la précédente, nous montrait le fondement des prétentions d'El Salvador en
ce qui concerne l'application de l'uti possidetis juris. Mais ce matin, en faisant l'historique du
secteur, j'avais mis en relief la situation existante après 1831: c'est l'objet de la quatrième partie, qui
concerne le comportement des parties dans la période allant de 1842 à 1879 et la limite de la rivière
Torola.
PARTIE IV. LE COMPORTEMENT DES PARTIES DANS LA PERIODE
ALLANT DE 1842 A 1879 ET LA LIMITE DE LA RIVIERE TOROLA
1. Rappel des faits
D'abord je ferai un rappel des faits. Comme je le disais ce matin, il convient de rappeler les
faits de cette période, dont l'essentiel peut se résumer ainsi :
1) Par voie d'antécédent, on peut indiquer que, depuis 1760 au moins, on sait que les habitants
du village d'Opatoro, qui appartenait à la province de Comayagua, avait une "hacienda" près du
confluent de la rivière Torola avec le ruisseau de Mansupucagua. Mais ce qui nous intéresse en tant
que point de départ de la situation existant après l'indépendance, c'est le fait, attesté par des
documents de 1843, 1849, 1856 et 1877, que les habitants d'Opatoro cultivaient et possédaient des
terres tant au nord qu'au sud de la rivière Torola avant 1842.
Or, il faut souligner, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, qu'on ne connaît pas un seul
acte de la République d'El Salvador, entre 1821 et 1842, visant à exclure les habitants d'Opatoro
de la possession des terres qu'ils cultivaient et possédaient aussi bien au nord qu'au sud de la
rivière Torola. Ce qui implique, vu sous un autre angle, que les terrains englobés dans le
réarpentage de 1760 n'ont fait l'objet d'aucun acte de protection en faveur des habitants de Poloros de
la part de la République d'El Salvador, après 1821.
2) Néanmoins, la situation des habitants d'Opatoro au sud de la rivière Torola, commence à
se modifier en 1842, date à laquelle est concédée à un citoyen d'El Salvador la propriété dite
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"Hacienda de Monteca", dont les limites sont déterminées par l'arpentage de 1889. Concession de la
part du Gouvernement d'El Salvador qui, si l'on exclut la communication hondurienne de 1843, n'a
pas donné lieu à protestation de la part du Gouvernement du Honduras. Et, comme on le sait,
celui-ci a ordonné en 1854 aux Opatoro d'abandonner les terres de l'Hacienda de Monteca, au sud de
la Torola, sans formuler de réserves sur la localisation de ce terrain en territoire salvadorien, comme
il a été affirmé dans l'écrit incorporé dans la note du Gouvernement d'El Salvador de 1849.
3) Par contre, le Honduras a agi en tant que souverain du territoire au nord de la Torola,
entre 1854 et 1879, sans opposition de la part d'El Salvador. En effet, j'ai montré, dans la partie I
de mon exposé, que le Honduras a fait arpenter et a concédé en 1856 les terrains de Matasanos,
Hornos y Estancias, situés dans la partie ouest du secteur contesté. Et aucune protestation n'a été
formulée par El Salvador à cette occasion. De même, le Honduras a fait arpenter et a concédé
entre 1877 et 1879 les terres de Dolores qui étaient pourtant aussi situées au nord de la rivière
Torola.
4) Enfin, ce n'est que le 30 septembre 1879 que le Gouvernement d'El Salvador a revendiqué
le terrain connu sous le nom de Dolores, en se fondant sur le titre de Poloros de 1760. Et je dis
bien, "le terrain connu sous le nom de Dolores", d'après la note hondurienne du 6 novembre 1897 qui
rejetait la revendication d'El Salvador (RH, annexes, vol. I, annexe V.20, p. 336). Car rien n'a été
dit dans la revendication d'El Salvador à propos des terres de Matasanos, Hornos y Estancias, à
l'ouest de celles de Dolores, qui ont été arpentées et concédées par le Honduras en 1856. Et les
terres de Matasanos, Hornos y Estancias ne feront l'objet de prétentions salvadoriennes que lors des
négociations de 1884, quand le coteau de Lopez s'est subitement "déplacé" vers le nord-ouest, loin de
la rivière Torola.
3. Voici les faits, très brièvement rappelés. Et la conclusion que la République du Honduras
en tire est que les deux Etats, entre 1821 et 1879, c'est-à-dire durant les 58 années qui ont suivi
l'indépendance, se sont comportés de telle sorte que l'un et l'autre ont admis, par leurs actes autant
que par leurs omissions, que la frontière était la rivière Torola, depuis son confluent avec le ruisseau
de Mansupucagua jusqu'à sa source, au coteau de la Guacamaya et, de ce point, jusqu'au gué ou
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Paso d'Unire (RH, vol. II, p. 666-700). C'est là, d'ailleurs, le tracé de la ligne frontière que le
Honduras vous a soumis dans les conclusions des pièces de la procédure écrite.
2. Les liens entre les données antérieures
et postérieures à 1821
1. Une fois rappelés les faits les plus saillants, je passe à un autre point : les liens entre les
données antérieures et postérieures à 1821. Ce qui me permettra d'indiquer, en même temps, le
fondement de la position du Honduras en ce qui concerne la délimitation dans ce secteur. Dans le
cadre de ce point, trois éléments sont à considérer :
A) Les instantanés de l'uti possidetis juris
2. Pour nos adversaires, la position du Honduras concernant la ligne de la rivière Torola, ne
reposerait, depuis les négociations de 1880, que sur la notion de "frontières naturelles" (CMS,
p. 110-111, par. 3.111 à 3.113). Ce qui, certes, mettrait El Salvador dans la position confortable de
l'Etat qui, ayant un titre sur le territoire, fondé sur l'uti possidetis juris de 1821, (à savoir le
document de 1760 sur l'arpentage de Poloros) se trouverait face à un Etat qui, manquant de tout titre
fondé sur le même principe, aurait recours, en désespoir de cause, à cette notion si chère à la pensée
du siècle dernier, des "frontières naturelles".
Mais cette image du Honduras est contredite par les faits, et pour la rejeter il suffit de se
reporter aux documents de 1880, à la position soutenue devant l'arbitre en 1881 et, enfin, à la
réplique hondurienne où tous ces éléments ont été mis en relief. (RH, vol. II, p. 584-588). Il n'y a
donc pas lieu de s'attarder sur ce point, car la position du Honduras est tout autre.
2. En effet, le Honduras est fondé à invoquer le principe de l'uti possidetis juris de 1821,
c'est-à-dire "l'instantané territorial" à la date critique. Ce qui implique, vu le contenu et la portée de
ce principe, la tâche de déterminer quelles étaient, à l'époque, les limites des anciennes provinces par
rapport au secteur litigieux de la frontière terreste.
Mais ceci admis, après avoir considéré les faits rapportés dans les documents qui ont été
soumis par les Parties, la Chambre de la Cour aura remarqué qu'il existe trois "instantanés" du
territoire qui faisait partie des provinces de San Miguel et de Comayagua :
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1) Le premier dans le temps est celui de la période 1725-1739, tel qu'il ressort du titre de
Poloros lui-même dans les références faites à l'arpentage de ces terres effectué en 1725 et aussi à
l'arpentage des terres de Cojiniquil de 1734. Et compte tenu de l'existence du village de San Miguel
de Sapigre, dans la juridiction de Comayagua, et des limites de ces terres au sud de la rivière Torola,
de la borne du Coyolar à l'est jusqu'à la borne du Cerro El Zapote à l'est, il est aisé de déterminer
quelles étaient les limites des anciennes provinces à l'époque.
2) Mais vous avez aussi un deuxième "instantané territorial", celui que nous offre le
document de Poloros, si on le considère isolément et en faisant abstraction des données précédentes,
comme El Salvador le prétend. Ainsi, après avoir ramené à leurs justes termes les interprétations de
nos adversaires sur la localisation du coteau de Lopez et du Cerro de Ribita, d'une part, et, compte
tenu des termes du titre de Poloros lui-mêmne, en ce qui concerne l'orientation de l'arpentage à partir
de la borne de Sisicruz, le résultat serait que la limite du terrain de Poloros ne dépasse la rivière
Torola vers le nord qu'à partir de la borne du Carrizal.
Mais en fait, ce deuxième "instantané" nous offre une image trompeuse. Il y apparaît
seulement la limite des terrains de Poloros, sans que n'y figure aucune des données du premier
instantané sur les limites des anciennes provinces. Et par conséquent, la photographie serait
incomplète, une image apparaissant au premier plan après avoir effacé une autre image, plus
importante, qui la précède dans le temps, c'est-à-dire la référence aux limites des provinces faites en
1734.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, appliquer l'uti possidetis juris comme les deux
Parties vous l'ont demandé, c'est décider en fonction du droit. Mais, en même temps, pour ce faire, il
faut remonter dans le temps et retrouver les faits passés, voire s'appuyer sur l'histoire mais sans la
modifier en écartant certains faits.
C'est à une situatin semblable que l'on aboutirait si l'on ne retenait que les limites de Poloros
d'après le document de 1760 en effaçant les limites des anciennes provinces que nous offre le premier
"instantané territorial"; car, ce qui n'a aucune valeur aux fins de l'application de l'uti psosidetis juris
deviendrait le fait principal et l'histoire aurait été modifiée en écartant un fait antérieur que le titre de
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1760 a soigneuement omis lors du réarpentage de Poloros.
3) Mais il existe aussi un troisième "instantané territorial" : celui de 1803. Il ressort en effet,
comme vous le savez, du document sur la reconnaissance des bornes du terrain de Cacaoterique, des
faits de la plus haute importance : la borne de Sisicruz y est indiquée au confluent de la Torola et du
ruisseau de Mansupucagua, et il y est dit qu'elle sert de tripoint aux terres de Lislique, de Poloros et
de Cacaoterique. Il y est dit également qu'il existe une dernière borne, plus à l'est, marquant les
terrains des deux derniers villages, celle du Carrizal, près de la rivière Torola.
L'image, il est vrai, est partielle, le document de 1803 nous montrant seulement la partie
occidentale du secteur contesté, de la borne de Brinco de Tigre jusqu'au ruisseau d'Agua Caliente
puis, finalement, jusqu'à la borne du Carrizal près de la Torola. Mais l'instantané de 1803, même
incomplet, nous offre deux renseignements importants aux fins du présent litige :
1) d'une part, ces données suffisent pour pouvoir rejeter la localisation du coteau de Lopez
qu'El Salvador soutient car là où il le place, ce point se trouverait bien à l'intérieur des terres de
Cacaoterique. Et confrontés à cette conclusion gênante, nos adversaires ont été obligés, pour sortir
de l'embarras, de modifier l'emplacement des bornes des terrains de Cacaoterique à partir de celle de
Brinco de Tigre, comme le représente la carte 3.J du contre-mémoire d'El Salvador. Mais ce faisant
ils contredisent à la fois le sens très clair des termes du document de 1803 et la géographie. Voyons
quelques exemples :
- D'après la carte salvadorienne 3.J, à partir de Brinco de Tigre, on aurait changé de
direction, pour marcher d'est en ouest avec une légère déviaton vers le sud-ouest. Mais le
document nous dit qu'on arriva à la borne de Brinco de Tigre "le visage tourné vers le sud"
(MH, annexes, vol. IV, annexe VIII.1.5, p. 1602-1603) et on ne parle pas d'un tel changement de
direction comme on le représente dans la carte salvadorienne.
- Deuxièmement, la carte 3.J fait coïncider, pour le besoin de la cause, le coteau de Lopez et la
borne de Planchaquira. Mais rien dans le document de 1803 ne permet d'établir une telle
coïncidence, et, en plus, il n'est fait aucune référence à Planchaquira comme borne de Cacaoterique
et de Poloros (ibid., annexe VIII.1.5, p. 1603).
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- Après ce qui prècède, nos adversaires restent sur leur faim, et la carte 3.J, vu le déplacmeent
du terrain de Cacaoterique vers l'ouest, localise la borne du Carrizal sur un ruisseau d'Agua Caliente
qui, comme le coteau de Lopez, se serait aussi déplacé vers le nord-ouest. Là, Monsieur le
Président, Messieurs les Juges, nos adversaires vont trop loin : sur la carte 3.J, ils ont identifié, sans
aucune justification, le "río Liumunin" du document de 1803 avec les ruisseaux du Cerro Verde et de
las Ventas de la carte 6.V de l'annexe cartographique du mémoire d'El Salvador. Mais, ce faisant,
on dirait qu'ils ont oublié que le document de 1803 nous explique que Liumunin signifie "Agua
Caliente" en langue indigène (ibid., annexe VIII.1.5, p. 1603). Or, si on se reporte à la carte
salvadorienne 6.V, la carte verte, il existe précisément un ruisseau dit du Venado ou d'Ocote
Manchon et aussi un cerro d'Agua Caliente près de ce cours d'eau, c'est-à-dire qu'on retrouve la
même toponymie que celle employée dans le document de 1803. Et vous pouvez constater que toutes
les cartes honduriennes identifient le ruisseau d'Ocote Manchon de la carte salvadorienne 6.V comme
étant celui d'Agua Caliente.
2) D'autre part, l'instantané du document de 1803 nous indique, d'une façon plus générale, que
la zone à l'ouest du secteur contesté qui va de Brinco de Tigre à Ocote Manchon ou Planchaquira et,
de ce point, à la borne du Carrizal, en suivant en aval le ruisseau d'Agua Caliente ou d'Ocote
Manchon, faisait partie à cette date de la province de Comayagua. Ce qui peut corriger l'image
déformée du titre de Poloros d'après l'interprétation d'El Salvador, en apportant des données
concluantes.
En conclusion, le Honduras peut invoquer l'uti possidetis juris de 1821 en se fondant, d'abord
sur l'arpentage de Cojiniquil de 1734, ensuite sur le titre de Poloros de 1760, dans la mesure où il se
réfère au premier arpentage de 1725, époque à laquelle les terres de Poloros jouxtaient au nord les
terres de Sapigre, et finalement sur le document de 1803 relatif aux terres de Cacaoterique, qui
confirme, pour la zone ouest du secteur en litige et au nord de la rivière Torola, les données de 1725
et 1734.
Je passe donc au deuxième élément à examiner.
B) Les faits postérieurs à 1821 par rapport à l'uti possidetis juris
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1. Mais ceci dit, on doit se demander quelle est la portée de l'uti possidetis juris par rapport
aux actes postérieurs des deux Etats qui ont modifé la situation existante à la date critique à savoir :
le comportement d'El Salvador et du Honduras en ce qui concerne la limite de la rivière Torola,
entre 1821 et 1879 et, notamment, dans la période qui va de 1842 à 1879.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la réponse à cette question n'offre pas de
difficulté, compte tenu des principes de droit applicables en matière de délimitation du territoire
étatique et de la portée de chacun de ces principes, si on la considère dans le temps. Il y a lieu de
tenir compte, en effet, du principe général de l'uti possidetis juris au moment de l'indépendance, mais
aussi d'un principe sur lequel reposent les rapports étatiques : celui du consentement des Etats,
expression de leur souveraineté.
2. La portée de l'uti possidetis juris a été très clairement - et je dirais même, avec éclat - mise
en évidence par l'arrêt de la Chambre de la Cour du 22 décembre 1986 dans l'affaire du Différend
frontalier (Burkina Faso/Mali). Et sur la base de l'examen de ce principe effectué par la Chambre
de la Cour, certainement très riche, je voudrais seulement relever très sommairement deux points
concernant sa fonction et ses effets juridiques :
1) On a, d'abord, fait valoir la finalité protectrice de l'uti possidetis juris dans les rapports
entre les nouveaux Etats de l'Amérique et les Etats tiers non américains, à savoir qu'à l'intérieur de
l'empire colonial espagnol qui s'écroule entre 1810 et 1821, il n'y avait pas de territoires sans maître,
bien qu'il existât des régions peu explorées ou seulement habitées par des communautés indigènes.
De ce fait, les "visées éventuelles de puissances colonisatrices non américaines" n'auraient pas d'effet
juridique (C.I.J. Recueil 1986, p. 566, par. 23). Aspect pour ainsi dire "négatif" du principe de l'uti
possidetis juris qu'avait aussi fait ressortir la sentence arbitrale du conseil fédéral suisse en date du
24 mars 1922 dans l'affaire des Frontières entre la Colombie et le Venezuela (RAS, vol. I, p. 223 et
suiv.).
Mais, en réalité, l'aspect antérieur du principe n'est qu'un corollaire de ce que la Chambre de
la Cour a qualifié en 1986 d'"aspect essentiel", car ce principe, nous dit-elle, "vise, avant tout, à
assurer le respect des limites territoriales au moment de l'accession à l'indépendance". Et cette
- 37 -
finalité était atteinte, moyennant un effet juridique qui est inhérent à ce principe et le caractérise : "la
transformation de limites administratives en frontières internationales proprement dites"
(C.I.J. Recueil 1986, p. 566, p. 23).
Il s'agit d'un effet juridique de portée générale car, si le principe a pour objet les assises de la
souveraineté territoriale de l'Etat, dotant celui-ci de frontières définies, il en découle l'opposabilité à
tout autre Etat. Il est donc applicable aux rapports entre les Etats de l'Amérique espagnole, leur
garantissant la stabilité qu'assure une frontière définie, et aussi aux rapports de ces Etats avec des
Etats tiers, obligés de respecter les frontières existant entre les premiers.
2) Mais cet effet essentiel du principe intervient au moment de l'indépendance des nouveaux
Etats car c'est l'instant où se produit le double phénomène de la "dissolution" du titre juridique sur le
territoire qui appartenait à l'ancienne puissance colonisatrice et de la création d'un titre nouveau en
faveur de l'Etat qui accède à l'indépendance. Dans la doctrine anglaise, on a parlé de "solvent of the
old title".
On peut donc parler d'un effet "objectif", ou si l'on veut, d'une conséquence découlant
directement du principe de l'uti possidetis juris, effet qui se produit au moment de l'accession à
l'indépendance. Mais après cette date, intervient le subjectivisme foncier de l'ordre juridique
international dans sa structure de base, une société où les Etats sont "juxtaposés", selon l'expression
du regretté Paul Reuter. Et ce subjectivisme, fondé sur la souveraineté, l'indépendance et l'égalité
des Etats, implique qu'à partir de l'indépendance le principe de base, en matière de délimitation du
territoire, est celui du consentement des Etats en cause. 3. Rien n'empêche donc qu'en partant de
la situation objectivement établie au moment de l'indépendance par la mise en oeuvre du principe de
l'uti possidetis juris, cette situation puisse être corrigée ou modifiée, du fait du comportement des
Etats. Ils peuvent le faire, certainement, par un accord de délimitation; mais aussi par leur
comportement, au cours d'une période de temps significative après leur indépendance; comportement
consitué d'actes et d'omissions par rapport à une limite territoriale.
Mais une fois ceci admis - et cette conclusion me semble difficile à nier - il faut souligner une
donnée qui permet de montrer les liens entre le principe de l'uti possidetis juris et le principe du
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consentement des Etats en matière de délimitation. Et cette donnée est la suivante : la situation
existant au moment de l'indépendance est la situation initiale en matière de limites en ce qui concerne
le territoire de chaque Etat, car elle est la conséquence objective du principe de l'uti possidetis juris.
Conséquemment, à moins d'un comportement modificatif des deux Etats, qu'il soit exprès ou se
manifeste par des actes et des omissions, le "legs colonial" subsiste, comme résultat direct de la mise
en oeuvre d'une règle de droit. Et la conséquence ultérieure en est que même pour pouvoir évaluer si
les actes et omissions des deux Etats après l'indépendance ont modifié les frontières établies en
application de l'uti possidetis juris, on est fondé à invoquer ce dernier principe, car il nous indique ce
que l'on pourrait appeler la "situation constitutive" des frontières étatiques.
Je passe donc au dernier point de cette partie :
C) Les effets du consentement des Etats
1. Ainsi donc, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, après que nous ayons montré les
liens entre l'attribution d'un titre au territoire sous l'effet de l'uti possidetis juris et le principe du
consentement pouvant modifier ce titre, deux points méritent d'être soulignés à propos du principe de
consentement.
L'un concerne la traduction en termes juridiques du comportement des deux Parties, quand le
consentement ne s'exprime pas par la voie de l'accord mais qu'il peut toutefois être attesté, non moins
nettement, d'après l'examen des actes positifs ainsi que des omissions des deux Etats. L'autre
concerne le cadre temporel de cet examen.
2) Pour ce qui est du premier point, il n'y a pas lieu, certes, de s'y attarder dans un débat
théorique. Mais nous ne pouvons néanmoins faire autrement que d'avoir recours aux catégories
juridiques par lesquelles s'expriment les effets d'un comportement dans une situation concernant la
modification d'un titre juridique sur le territoire. Et dans mon exposé sur la situation au sud de la
rivière Torola, entre 1821 et 1897 et, en particulier, pendant la période 1842-1897, je me suis efforcé
de souligner les éléments suivants, que je rappelle encore une fois très brièvement.
Le point de départ, je l'ai dit auparavant, est la situation de 1821 à 1842; situation dans
laquelle les habitants d'Opatoro ne sont pas inquiétés dans leur possession des terres de Monteca.
- 39 -
Mais en 1842, il se produit un acte positif de la part d'El Salvador, à savoir la vente aux enchères du
terrain au sud du Torola et la concession d'un titre de propriété; acte qui ne suscite aucune
protestation de la part du Honduras, quelle que soit l'interprétation que l'on donne à sa conduite
en 1854.
On peut constater, d'un côté, un acte d'exercice de la souveraineté territoriale de la part
d'El Salvador, au-delà de son titre sur le territoire d'après l'uti possidetis juris de 1821. Et le
comportement du Honduras, face à cette situation qui affecte son titre sur le territoire, est celle de
l'acquiescement à la nouvelle situation créée par El Salvador, voire celle de l'abandon de son titre
originel sur le territoire.
Mais, si l'on en arrive aux faits de la période qui va de 1856 à 1877, la situation se renverse :
c'est le Honduras qui affirme son titre sur le territoire, fondé sur l'uti possidetis juris, au nord de la
rivière Torola; et cela sans opposition de la part d'El Salvador. Il s'ensuit que la conduite de cet Etat
ne peut s'interpréter que comme un acquiescement à l'exercice de la souveraineté territoriale de la
part du Honduras.
Dans les deux cas, par conséquent, une situation a été créée en matière de limites, modifiant
celles établies en application de l'uti possidetis juris. Et dans les deux cas, l'acquiescement a le
même objet, car il porte sur la même limite du territoire, la rivière Torola. On peut donc conclure
que le consentement des deux Etats s'est exprimé par cet acquiescement de l'une et de l'autre Parties
concernant la frontière marquée par la Torola.
3. Dernier point à préciser : le cadre temporel de ce consentement. J'ai déjà indiqué
auparavant que les actes et omissions par lesquels s'exprime l'acquiescement des Parties ne se sont
pas produits du jour au lendemain, ni même en un bref laps de temps ou à un moment isolé dans le
contexte des rapports entre les deux Etats.
Tout au contraire. Si 1821 est "la date critique" aux fins de l'uti possidetis juris, la période
qui va de cette date jusqu'à 1879 c'est la période qui fait immédiatement suite à l'indépendance. Et si
l'on tient compte que la fédération de l'Amérique centrale a duré jusqu'à 1839, la période qui suit
immédiatement est celle où ont eu lieu les faits que j'ai indiqués, soit en 1842, en 1854, en 1856 pour
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le Honduras et en 1877 aussi pour le Honduras.
Il s'agit donc de la période la plus significative, celle où les nouveaux Etats, dotés d'un titre
sur le territoire du fait de l'uti possidetis juris ont été appelés à exercer leur souveraineté territoriale,
après leur indépendance et après la disparition de la fédération. Et finalement, comme je l'ai
également souligné auparavant, cette situation a duré plus de cinquante-huit ans après
l'indépendance, et quarante ans après la dissolution de la fédération. Il ne s'agit donc pas uniquement
de l'acquiescement des deux Etats mais d'un acquiescement qui s'est prolongé dans le temps.
J'achève ici la troisième partie de mon exposé et je passe maintenant à la dernière :
PARTIE V : LE RECOURS PAR EL SALVADOR AUX ARGUMENTS
D'ORDRE HUMAIN ET AUX EFFECTIVITES
1. La cinquième partie concerne le recours par El Salvador aux arguments d'ordre humain et
aux effectivités. Et je compte, sur ce point, être, par la force des choses, des plus brefs, car, même
s'il est vrai que nos contradicteurs invoquent ces arguments de manière réitérée et passablement
catégorique, malheureusement, lorsque par la suite nous passons des belles paroles aux faits et
étudions les moyens de preuve apportés, on peut dire qu'ils nous apparaissent, comme le disait un
poète espagnol "presque nus, comme les enfants de la mer".
1. Introduction
Premier point : position d'El Salvador. Mais je passe, Monsieur le Président, parce que la
position d'El Salvador est d'ailleurs très connue. Dans le temps, il a eu une position effective depuis
l'indépendance, dans l'espace, elle couvre la totalité du secteur.
2. Examen des moyens de preuve présentés par El Salvador
Voilà pour les affirmations d'El Salvador, pour ses belles paroles. Mais prenons plutôt note
des faits afin d'établir, en un premier temps, un bilan général. Et je n'aurai aucune difficulté à être
bref pour dresser le bilan en question, étant donné que les moyens de preuve à l'appui des arguments
et des effectivités produits par El Salvador sont, en tout en pour tout, les suivants :
- Dans les annexes de son mémoire, à propos de ce secteur, ont été incluses deux cartes : l'une
- 41 -
sur les lignes électriques et l'autre relative à une division cadastrale, du moins nous le supposons car,
comme la précédente, elle est dépourvue de toute référence précise et de toute authentification. A
part cela, deux contrats sous seing privé, constitutifs de prêts hypothécaires, concernant des
propriétés privées situées à Lajitas, prêts effectués - soit dit en passant - par des personnes qui
étaient domiciliées à Poloros, avec une simple résidence à Lajitas et dont les dates sont 1984 et 1985.
Dans son contre-mémoire, El Salvador a présenté six certificats sur les patrouilles militaires - que
Messieurs les Juges connaissent déjà, et sur lesquels je ne commenterai plus -, pièces concernant
toutes Lajitas et datées de 1922, 1936, 1939, 1941, 1950 et 1960.
- Et voilà tout le bilan, puisqu'aucun autre moyen de preuve ne figure dans la réplique
d'El Salvador. De sorte que l'Etat qui se présente devant la Chambre de la Cour comme étant le
possesseur depuis des temps immémoriaux du territoire, avec une possession effective dans onze
localités, nous présente en fait deux contrats de prêts hypothécaires et six certificats sur les "postes
militaires" sur lesquels il n'y a pas lieu de s'attarder. Tous ces documents, au demeurant, portent sur
une seule localité, Lajitas, qui est située près de la rivière Torola.
3. La présence humaine et l'exercice des fonctions
étatiques de la part du Honduras
1. L'inventaire des moyens de preuve soumis par El Salvador ne mérite pas, en vérité,
davantage de commentaires car ces huit documents sur le canton de Lajitas, Messieurs les Juges,
parlent d'eux-mêmes. Il n'empêche que nous pouvons ici poser les mêmes questions que nous
soulevions dans le cas des deux secteurs précédents :
- Premièrement : où sont les communautés salvadoriennes ? On nous a dit que le petit triangle
était "entièrement peuplé de ressortissants salvadoriens" (RES, p. 83, note 117). Mais sur quelle
preuve repose cette affirmation ? On a également affirmé qu'il existait onze "Human Settlements".
Mais où sont les preuves présentées par El Salvador ?
La réponse, il faut la chercher dans les documents que le Honduras a versés au dossier, à
l'annexe IX de sa réplique (RH, annexes, vol. II, p. 799-827). C'est là, Monsieur le Président,
Messieurs les Juges, que vous pourrez trouver des certificats d'actes d'état civil, datant de 1895
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jusqu'à récemment, et les faits (naissances, décès) concernent dix localités y compris Lajitas. Le
résultat est donc simple : il n'est de références que celles faites aux communautés honduriennes.
Quant aux salvadoriennes, elles n'existent que dans les belles paroles de nos adversaires.
- Deuxièmement : qui a exercé les fonctions étatiques dans le secteur en litige ? La réponse, à
nouveau, se trouve dans les pièces que le Honduras a présentées à la Chambre de la Cour. On y
trouve, tout d'abord, les procès criminels instruits par les juges honduriens, de 1882 jusqu'à des
dates récentes, portant sur des faits survenus dans huit localités du secteur. En deuxième lieu, ces
pièces contiennent des autorisations de pâturage depuis 1914, des concessions de terres depuis 1921,
des nominations d'enseignants, etc. Et, troisièmement, une mention spéciale mérite d'être faite des
documents de la municipalité d'Opatoro qui mettent en évidence, entre 1878 et 1968, une
administration effective du secteur contesté. Mais cela n'a pas de quoi nous surprendre. Rappelons
en effet que les Opatoro avaient déjà au XVIIIe
siècle une hacienda près de la rivière Torola et qu'ils
y avaient institué une confrérie, et que les titres de Matazanos, Hornos et Estancias, d'une part et de
Dolores, d'autre part, ont été arpentés en 1854 et 1877.
CONCLUSION
1. J'ai fini, Monsieur le Président. Et je pense qu'on pourrait tirer des conclusions très brèves.
- J'espère avoir démontré, en premier lieu, que la province de Comayagua s'étendait au
XVIIIe
siècle au sud de la rivière Torola et, que de ce fait, le réarpentage des terres de Poloros
de 1760 a incorporé les terres de l'ancienne communauté de Sapigre au sud et au nord du Torola et
également une partie des terres de Cacaoterique, outrepassant les limites de la province de
Comayagua : c'est la situation historique antérieur à 1821.
- En deuxième lieu, la situation change pendant la période 1842-1877 pour les deux Etats,
dorénavant indépendants. Et les actes de l'un et de l'autre, pendant ladite période, convergent vers
l'admission de la ligne du Torola. Le Honduras fonde donc ses droits sur la zone contestée sur les
limites des anciennes provinces, d'après les documents relatifs aux terres de Cojiniquil concernant
Sapigre et celles de Cacaoterique. Et le Honduras reconnaît que son titre sur le territoire a été
modifié par les actes de l'un et l'autre gouvernements pendant la période 1842-1877, qui ont eu
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comme résultat d'établir comme ligne frontière le cours de la rivière Torola.
- Et finalement, je veux croire que j'ai su démontrer, d'une part, qu'El Salvador n'a pas exercé
d'administration effective du secteur en litige, ni au siècle passé, ni au siècle actuel, et que, bien au
contraire, les preuves apportées par le Honduras font ressortir à l'évidence que ce sont des
communautés honduriennes qui existent dans ce secteur, et là également, il y a eu exercice effectif
des fonctions étatiques de la part des autorités honduriennes.
2. Pour toutes ces raisons, c'est en toute confiance que le Gouvernement du Honduras attend
de la Chambre de la Cour qu'elle rende un arrêt sur la délimitation de la frontière dans ce secteur qui
soit conforme aux conclusions qu'il a présentées dans ses écrits et qu'il réitère respectueusement à ce
stade de la phase orale.
Je vous remercie, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, de votre aimable attention
concernant un exposé aussi long et avec beaucoup de détails. Et merci également aux interprètes
pour leurs efforts et leur patience.
The PRESIDENT: I thank you, Professor González Campos. I understand that the
delegation of El Salvador needs some time to prepare their intervention on this subject and therefore
we shall meet tomorrow afternoon at 3 o'clock.
L'audience est levée à 17 h 25.
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Document Long Title

Public sitting of the Chamber held on Tuesday 14 May 1991, at 3 p.m., at the Peace Palace, Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding

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