Public sitting held on Friday 21 February 2020, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Yusuf presiding, in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France)

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163-20200221-ORA-01-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
2020/4
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Non corrigé
Uncorrected
CR 2020/4
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2020
Audience publique
tenue le vendredi 21 février 2020, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Yusuf, président,
en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2020
Public sitting
held on Friday 21 February 2020, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Yusuf presiding,
in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________
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Présents : M. Yusuf, président
Mme Xue, vice-présidente
MM. Tomka
Abraham
Bennouna
Cançado Trindade
Mme Donoghue
M. Gaja
Mme Sebutinde
MM. Robinson
Crawford
Gevorgian
Salam
Iwasawa, juges
M. Kateka, juge ad hoc
M. Gautier, greffier
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- 3 -
Present: President Yusuf
Vice-President Xue
Judges Tomka
Abraham
Bennouna
Cançado Trindade
Donoghue
Gaja
Sebutinde
Robinson
Crawford
Gevorgian
Salam
Iwasawa
Judge ad hoc Kateka
Registrar Gautier
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Le Gouvernement de la République de Guinée équatoriale est représenté par :
S. Exc. M. Carmelo Nvono Nca, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès des Royaumes de Belgique et des Pays-Bas,
comme agent ;
M. Anatolio Nzang Nguema Mangue, procureur de la République de Guinée équatoriale,
M. Juan Olo Mba, ministre délégué de la justice de la République de Guinée équatoriale,
M. Pascual Nsue Eyi, directeur au ministère des affaires étrangères de la République de Guinée équatoriale,
S. Exc. M. Miguel Oyono Ndong, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès de la République française,
comme membres de la délégation ;
M. Maurice Kamto, professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun), avocat au barreau de Paris, ancien membre et ancien président de la Commission du droit international,
M. Jean-Charles Tchikaya, avocat au barreau de Bordeaux,
Sir Michael Wood, KCMG, membre de la Commission du droit international, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Francisco Evuy Nguema Mikue, avocat de la République de Guinée équatoriale,
comme conseils et avocats ;
M. Alfredo Crosato Neumann, Institut de hautes études internationales et du développement de Genève,
M. Francisco Moro Nve Obono, avocat de la République de Guinée équatoriale,
Mme Magdalena Nanda Nzambi, avocate de la République de Guinée équatoriale,
M. Omri Sender, George Washington University Law School, membre du barreau d’Israël,
M. Alain-Guy Tachou-Sipowo, chargé de cours, Université McGill et Université Laval, membre du barreau du Québec,
M. Nicholas Kaufman, membre du barreau d’Israël,
comme conseils ;
Mme Emilia Ndoho, secrétaire à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale à Bruxelles,
comme assistante.
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The Government of the Republic of Equatorial Guinea is represented by:
H.E. Mr. Carmelo Nvono Nca, Ambassador of the Republic of Equatorial Guinea to the Kingdoms of Belgium and the Netherlands,
as Agent;
Mr. Anatolio Nzang Nguema Mangue, Public Prosecutor of the Republic of Equatorial Guinea,
Mr. Juan Olo Mba, Minister Delegate for Justice of the Republic of Equatorial Guinea,
Mr. Pascual Nsue Eyi, Director, Ministry of Foreign Affairs of the Republic of Equatorial Guinea,
H.E. Mr. Miguel Oyono Ndong, Ambassador of the Republic of Equatorial Guinea to the French Republic,
as Members of the Delegation;
Mr. Maurice Kamto, Professor at the University of Yaoundé II (Cameroon), member of the Paris Bar, former member and former chairman of the International Law Commission,
Mr. Jean-Charles Tchikaya, member of the Bordeaux Bar,
Sir Michael Wood, KCMG, member of the International Law Commission, member of the Bar of England and Wales,
Mr. Francisco Evuy Nguema Mikue, avocat of the Republic of Equatorial Guinea,
as Counsel and Advocates;
Mr. Alfredo Crosato Neumann, Graduate Institute of International and Development Studies of Geneva,
Mr. Francisco Moro Nve Obono, avocat of the Republic of Equatorial Guinea,
Ms Magdalena Nanda Nzambi, avocate of the Republic of Equatorial Guinea,
Mr. Omri Sender, George Washington University Law School, member of the Israel Bar,
Mr. Alain-Guy Tachou-Sipowo, Lecturer at McGill University and Université Laval, member of the Bar of Quebec,
Mr. Nicholas Kaufman, member of the Israel Bar,
as Counsel;
Ms Emilia Ndoho, Secretary at the Embassy of the Republic of Equatorial Guinea in Brussels,
as Assistant.
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Le Gouvernement de la République française est représenté par :
M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères,
comme agent ;
M. Alain Pellet, professeur émérite à l’Université Paris Nanterre, ancien président de la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit international,
M. Hervé Ascensio, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
M. Pierre Bodeau-Livinec, professeur à l’Université Paris Nanterre,
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Paris Nanterre,
Mme Maryline Grange, maître de conférences en droit public à l’Université Jean Monnet à Saint-Etienne, Université de Lyon,
M. Ludovic Legrand, docteur en droit public, Université Paris Nanterre,
comme conseils ;
M. Julien Boissise, conseiller juridique à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères,
M. Nabil Hajjami, conseiller juridique à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères,
Mme Sophie Lacote, cheffe du bureau du droit économique, financier et social, de l’environnement et de la santé publique à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice,
comme conseils adjoints ;
S. Exc. M. Luis Vassy, ambassadeur de la République française auprès du Royaume des Pays-Bas,
Mme Florence Levy, première conseillère à l’ambassade de France aux Pays-Bas,
Mme Hélène Petit, conseillère juridique à l’ambassade de France aux Pays-Bas,
Mme Charlotte Daniel-Barrat, chargée de mission juridique à l’ambassade de France aux Pays-Bas,
comme membres de la délégation.
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The Government of the French Republic is represented by:
Mr. François Alabrune, Director of Legal Affairs, Ministry of Europe and Foreign Affairs,
as Agent;
Mr. Alain Pellet, Emeritus Professor at the University Paris Nanterre, former Chairman of the International Law Commission, member of the Institut de droit international,
Mr. Hervé Ascensio, Professor at the University Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
Mr. Pierre Bodeau-Livinec, Professor at the University Paris Nanterre,
Mr. Mathias Forteau, Professor at the University Paris Nanterre,
Ms Maryline Grange, Lecturer in Public Law at the Jean Monnet University in Saint-Etienne, University of Lyon,
Mr. Ludovic Legrand, Doctor of Public Law, University Paris Nanterre,
as Counsel;
Mr. Julien Boissise, Legal Consultant, Directorate of Legal Affairs, Ministry of Europe and Foreign Affairs,
Mr. Nabil Hajjami, Legal Consultant, Directorate of Legal Affairs, Ministry of Europe and Foreign Affairs,
Ms Sophie Lacote, Head of the Office of Economic, Financial and Social Law, the Environment and Public Health, Directorate of Criminal Affairs and Pardons, Ministry of Justice,
as Assistant Counsel;
H.E. Mr. Luis Vassy, Ambassador of the French Republic to the Kingdom of the Netherlands,
Ms Florence Levy, First Counsellor, Embassy of France in the Netherlands,
Ms Hélène Petit, Legal Consultant, Embassy of France in the Netherlands,
Ms Charlotte Daniel-Barrat, chargée de mission for legal affairs, Embassy of France in the Netherlands,
as Members of the Delegation.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Pour des raisons dont il m’a dûment fait part, M. le juge Bhandari n’est pas à mesure de siéger ce matin. La Cour se réunit ce matin pour entendre le second tour de plaidoiries de la France. J’invite le professeur Pierre Bodeau-Livinec à prendre la parole. Vous avez la parole, Monsieur.
M. BODEAU-LIVINEC :
L’ABSENCE DE VIOLATION PAR LA FRANCE DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, à l’issue du premier tour des plaidoiries organisées cette semaine, vous avez pris soin, Monsieur le président, de rappeler les termes du paragraphe 1 de l’article 60 du Règlement de la Cour, pour inviter les Parties à être, dans leurs exposés du second tour, aussi succinctes que possible. Je me limiterai par conséquent à répondre aux allégations que la Guinée équatoriale a avancées mercredi, sur les violations de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques que la France aurait prétendument commises en cette affaire. A ma suite, le professeur Pellet reviendra sur les considérations présentées avant-hier par la Partie demanderesse en ce qui concerne l’abus de droit de la Guinée équatoriale et les questions de responsabilité qui se poseraient ici ; il s’attachera également à récapituler les éléments principaux de notre argumentation juridique. M. François Alabrune achèvera notre présentation ce matin et, conformément à l’article 60, paragraphe 2, du Règlement de la Cour, donnera lecture des conclusions finales de la République française dans la présente procédure.
2. Pour ma part, je vais donc m’attacher à répondre brièvement aux arguments que les conseils de la Guinée équatoriale ont avancés mercredi pour tenter de vous convaincre une dernière fois que la France aurait violé la convention de Vienne sur les relations diplomatiques en refusant de reconnaître que l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris faisait partie des «locaux de la mission» diplomatique équato-guinéenne en France à partir du 4 octobre 2011 et, partant, en n’admettant pas cet immeuble au bénéfice du régime d’inviolabilité énoncé par l’article 22 de la convention.
3. La Guinée équatoriale s’est prudemment abstenue avant-hier de chercher à caractériser en droit les actes qu’elle reproche à la France au regard de la convention de Vienne. Je n’en prendrai que deux exemples, que je crois suffisamment éloquents :
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premier exemple, l’article premier, alinéa i), de la convention et la définition qu’il donne des «locaux de la mission»  dont l’interprétation est essentielle pour trancher le différend entre la Guinée équatoriale et la France  n’a été mentionné qu’une seule fois à l’appui de la thèse du demandeur, et de manière pour le moins curieuse : après avoir cité l’article, Me Tchikaya a en effet soutenu que «la question du droit de propriété revêt[ait] une importance particulière»1 pour cette procédure, à rebours de la lettre même de cette disposition ;
autre exemple, dans la lecture de ses conclusions finales, l’agent de la Guinée équatoriale a demandé à la Cour de dire et juger que
«La République française doit reconnaître à l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris le statut de locaux de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale, et lui assurer en conséquence la protection requise par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.»2
Une telle injonction ne trouve aucun fondement dans les dispositions de la convention de Vienne.
4. Si je tente, face à ces silences, de reconstituer les principaux griefs que la Guinée équatoriale a faits avant-hier à la France en ce qui concerne le statut de l’immeuble du 42 avenue Foch et le régime juridique qui devrait, par voie de conséquence, lui être associé, il me semble que ces griefs se présentent en quatre temps :
la France n’aurait pas exprimé son refus de reconnaître le statut diplomatique du 42 avenue Foch selon des motivations claires, conformément à une pratique établie et non discriminatoire ;
la France se serait abstenue de vérifier si l’immeuble considéré était bel et bien affecté à des fonctions diplomatiques et elle aurait refusé tout dialogue sur ce point avec la Guinée équatoriale ;
la France aurait fait preuve d’inconstance, en reconnaissant l’utilisation à des fins diplomatiques du 42 avenue Foch à partir du 27 juillet 2012 ; enfin,
la France aurait ignoré l’inviolabilité dont bénéficierait cet immeuble, notamment en procédant à sa saisie pénale et en prononçant sa confiscation.
1 CR 2020/3, p. 11, par. 2 (Tchikaya).
2 CR 2020/3, p. 34, par. 7 (Nvono Nca) (les italiques sont de nous).
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J’aborderai brièvement chacun de ces points pour la parfaite information de la Cour.
5. Je commence par les critiques relatives aux circonstances dans lesquelles la France a refusé de reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble du 42 avenue Foch. Sur ce point, nous avons assisté avant-hier à une évolution de la position du demandeur  certes discrète en la forme  mais très significative sur le fond. Par la voix de l’un de ses conseils, la Guinée équatoriale «affirme que la désignation par l’Etat accréditant des locaux de sa mission n’est pas subordonnée à l’approbation de l’Etat accréditaire. Mais elle n’a jamais soutenu que l’Etat accréditaire n’avait pas son mot à dire.»3 Notre contradicteur poursuit en concédant désormais clairement que «l’Etat accréditaire peut contester la désignation conformément à sa législation en la matière, si une telle législation existe, ou à sa pratique établie, si une telle pratique existe»4. La Partie demanderesse ne conteste donc plus dans son principe même la nécessité du consentement de l’Etat accréditaire. Elle se borne dorénavant à critiquer la motivation et les modalités de l’opposition que la France est en droit d’exprimer à l’encontre de la «désignation» d’un immeuble par la Guinée équatoriale.
6. Pour celle-ci, la motivation du refus de la France de reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble du 42 avenue Foch serait défaillante. Elle évoque à cet égard deux points. Je passe rapidement sur le premier, qui paraît assez étrange. Pour la Guinée équatoriale, la «médiatisation»5 de la procédure pénale visant l’occupant de l’immeuble et les risques, connus plusieurs mois avant septembre 20116, que cette publicité ferait peser sur cet immeuble ne sauraient justifier un tel refus. Or, ce n’est évidemment pas l’écho que cette procédure pénale a eu dans les médias dès 2010 qui a motivé l’opposition des autorités françaises. C’est cette procédure elle-même et les conséquences potentielles pour un immeuble, manifestement occupé à titre privé, qui expliquaient ce refus.
7. Je ne crois pas utile de revenir sur la connaissance de ces poursuites et de leurs répercussions sur la résidence privée de M. Nguema Obiang Mangue. Me Tchikaya a soutenu mercredi que celui-ci n’aurait «été informé des poursuites le visant que par le mandat d’arrêt émis à
3 CR 2020/3, p. 18, par. 3 (Kamto).
4 Ibid.
5 CR 2020/3, p. 22, par. 9 (Kamto).
6 Voir CR 2020/2, p. 17, par. 13 (Forteau).
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son encontre le 13 juillet 2012»7. La saisie de ses véhicules dans la cour de l’immeuble les 28 septembre et 3 octobre 2011 aurait pourtant dû l’alerter ; son père, en tout cas, s’en était inquiété officiellement auprès du président de la République française dans la lettre qu’il lui a adressée à ce sujet le 14 février 20128 ; la Guinée équatoriale, enfin et surtout, n’ignorait rien des risques pesant sur l’immeuble fin septembre 2011  et donc avant la «désignation» du 4 octobre  puisqu’elle s’en est directement émue auprès du ministre français des affaires étrangères dès le 28 septembre 20119.
8. Je ne m’attarderai guère plus longuement sur la seconde critique formulée par la Guinée équatoriale en ce qui concerne les motivations du refus. La Partie demanderesse a encore cherché à entretenir avant-hier la confusion sur la constatation faite par le service du protocole le 11 octobre 2011, lorsque celui-ci a rappelé à l’ambassade de Guinée équatoriale que l’immeuble relevait du «domaine privé»10.
9. L’un des conseils de la Guinée équatoriale a continué de rattacher cette notion à la question du droit de propriété11. Cette insistance renouvelée sur le droit de propriété est dépourvue de tout fondement, en droit comme en fait. Elle en est dépourvue en droit parce que la question du droit de propriété est explicitement écartée par les termes de l’article premier, alinéa i), de la convention de Vienne12. Elle en est aussi dépourvue en fait parce que la Guinée équatoriale n’est pas le propriétaire de l’immeuble du 42 avenue Foch. Trois raisons au moins permettent de s’en convaincre :
premièrement, ce sont des sociétés suisses, et non la Guinée équatoriale, qui sont juridiquement propriétaires de l’immeuble ; or, selon un principe bien établi de votre jurisprudence, «le patrimoine des associés est complètement séparé de celui de la société»13 ; «[t]ant que la
7 CR 2020/3, p. 13, par. 10 (Tchikaya).
8 Voir CR 2020/2, p. 53, par. 17 (Pellet).
9 Lettre de M. F. Edjo Ovono, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale en France, à M. A. Juppé, ministre des affaires étrangères, 28 septembre 2011 (MGE, annexe 32).
10 Note verbale no 5007 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale le 11 octobre 2011 (les italiques sont de nous) (annexe 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires).
11 Voir CR 2020/3, p. 11, par. 2 (Tchikaya).
12 Voir CR 2020/2, p. 14, par. 5, 3e tiret, et p. 15-16, par. 10 (Forteau).
13 Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 676, par. 105.
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société subsiste, l’actionnaire n’a aucun droit à l’actif social»14 — ce principe vaut y compris pour les sociétés ayant un actionnaire unique15 ;
deuxièmement, comme la Cour d’appel de Paris l’indique dans son arrêt du 10 février 2020, la cession à la Guinée équatoriale des parts sociales des sociétés suisses, intervenue le 15 septembre 2011, est «sans effet ou portée juridique en France en l’absence de la publicité légalement exigée»16 ; quoi que puisse penser Me Tchikaya du régime français de la preuve de la propriété immobilière17, le fait est que la Cour d’appel a interprété le droit français sur ce point et que, selon votre jurisprudence constante, une telle interprétation s’impose en principe à vous18 ;
troisièmement et, en tout état de cause, indépendamment de la question de la publicité foncière, le préalable indispensable pour que la Guinée équatoriale puisse devenir propriétaire de l’immeuble serait qu’elle procède d’abord à la liquidation des sociétés suisses propriétaires. La Partie demanderesse a reconnu que, sans une telle liquidation des sociétés, seules ces dernières demeurent détentrices du titre de propriété19. Or, la Guinée équatoriale n’a pas procédé, après le 15 septembre 2011, à la liquidation des sociétés suisses concernées.
10. Un autre conseil de la Guinée équatoriale a, quant à lui, soutenu que, par la magie de la simple notification du 4 octobre 2011, le 42 avenue Foch serait passé d’un régime de droit commun à celui, exorbitant, qui s’attache au statut diplomatique20. Telle était bien l’intention de la Guinée équatoriale à laquelle la France s’est opposée : en indiquant que cet immeuble «rel[evait] du domaine privé et, de ce fait, du droit commun»21, le service du protocole signifiait clairement qu’il n’était pas affecté à une utilisation à des fins diplomatiques.
14 Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 606, par. 63, ainsi que p. 605, par. 61.
15 Ibid., p. 604, par. 56.
16 Décision du 10 février 2020, p. 30.
17 CR 2020/3, p. 11-12, par. 5-8 (Tchikaya).
18 Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 665, par. 70.
19 MGE, par. 2.28 ; voir également CMF, annexe 14, p. 33.
20 CR 2020/3, p. 21, par. 8 (Kamto).
21 Note verbale no 5007 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale le 11 octobre 2011 (les italiques sont de nous) (annexe 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires).
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11. Ce constat effectué par le service du protocole est d’ailleurs corroboré par Me Evuy lui-même. Dans la plaidoirie qu’il a consacrée à l’affectation du 42 avenue Foch aux fins de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, il s’est en effet montré incapable de donner la moindre preuve de l’utilisation de cet immeuble pour l’accomplissement de fonctions diplomatiques à partir du 4 octobre 2011.
12. Cette acception fonctionnelle correspond à la lettre et à l’esprit de la convention de Vienne, qui identifie comme locaux diplomatiques les bâtiments qui «sont utilisés aux fins de la mission», et non ceux qui ont été formellement désignés pour l’être. Le conseil de la Guinée équatoriale nous a dit mercredi que l’affectation et l’utilisation peuvent bien faire partie d’un «processus»22 ; conformément à la convention de Vienne, toutefois, seule l’utilisation détermine la reconnaissance du statut diplomatique d’un immeuble donné.
13. Cette considération se trouve également au coeur de la pratique française, que le demandeur s’obstine à dénier. Il va pourtant de soi que tous les Etats accueillant des missions diplomatiques sur leur territoire disposent d’une pratique en matière de reconnaissance du statut diplomatique à des locaux pour lesquels un tel statut est envisagé. La Guinée équatoriale ne peut d’ailleurs ignorer cette pratique puisqu’elle a déjà plusieurs fois déménagé les locaux de sa mission à Paris sans jamais la contester jusqu’en 2011. Cette pratique, elle peut être décrite comme suit :
lorsqu’un Etat étranger envisage d’installer son ambassade dans des locaux, il le notifie officiellement au service du protocole du ministère français des affaires étrangères. Il lui indique alors notamment l’adresse des locaux au sein desquels il souhaite s’installer. Cette notification, qui est toujours préalable à l’installation effective de sa mission, ne suffit évidemment pas à ce que ces locaux bénéficient du statut diplomatique. Elle permet à l’Etat accréditant d’informer le service du protocole du ministère des affaires étrangères de l’éventuelle future localisation de son ambassade. Ce service, conformément à l’arrêté relatif à
22 CR 2020/3, p. 24, par. 15 (Kamto).
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l’organisation de l’administration centrale du ministère des affaires étrangères23, est son interlocuteur quotidien ;
cette notification est généralement faite plusieurs mois avant l’emménagement dans les nouveaux locaux. Ce délai peut même être d’une ou plusieurs années si l’Etat en question souhaite y effectuer des travaux ;
dans de telles situations, tout à fait ordinaires, le statut de ces locaux n’est nullement fragilisé. Ainsi que je viens de le rappeler, l’installation n’étant pas encore effective, ils relèvent toujours du domaine privé et les règles de droit commun leur sont donc appliquées. C’est pendant le délai qui court, de cette notification à l’installation effective dans les locaux, que l’Etat accréditaire a la possibilité, comme l’admet désormais la Guinée équatoriale, de s’opposer à cet emménagement. Il peut notamment le faire lorsqu’il considère que l’installation dans les nouveaux locaux risquerait de troubler la sécurité et l’ordre public français ;
lorsque les autorités françaises n’opposent aucun refus exprès à cet emménagement dans un délai raisonnable, l’Etat accréditant peut considérer qu’elles y consentent. Par une seconde notification, il indique alors à l’Etat accréditaire la date à laquelle ses services diplomatiques sont installés de manière effective dans ses nouveaux locaux. C’est à partir de cette date que lesdits locaux sont enregistrés auprès du service du protocole et jouissent des privilèges et immunités reconnus aux locaux diplomatiques par la convention de Vienne de 1961 ;
 à partir de cette date, par exemple lorsqu’il est sollicité par des juges, le protocole peut procéder aux vérifications nécessaires dans ses registres, et les anciens locaux qui ne sont plus affectés à une quelconque fonction diplomatique retombent dans le domaine privé.
14. Avant-hier, l’un des conseils de la Guinée équatoriale a reproché à la France de n’avoir aucune pratique à lui opposer24. La France a déjà eu l’occasion de refuser de reconnaître le statut diplomatique de certains locaux qui ne sont pas affectés à un usage diplomatique25. Mais il faut dire
23 Voir l’article 16 de l’arrêté du 16 mars 2009 relatif à l’organisation de l’administration centrale du ministère des affaires étrangères et européennes (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000020 399191&dateTexte=vig) et l’article 16 de l’arrêté du 28 décembre 2012 relatif à l’organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=5F6ED41A52D 449FA954223FFB65C2DA4.tplgfr35s_1?cidTexte=JORFTEXT000026858948&dateTexte=20121230).
24 CR 2020/3, p. 18, par. 5 (Kamto).
25 Voir CMF, p. 61, par. 3.47.
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qu’il n’était encore jamais arrivé qu’un Etat entende installer sa mission diplomatique dans des locaux au risque d’interférer avec une procédure pénale visant l’un de ses ressortissants. Comme nous l’avons plusieurs fois rappelé26, les circonstances de cette affaire sont tout à fait exceptionnelles.
15. En outre, les Etats étrangers disposant d’une mission diplomatique en France notifient toujours leur intention de déménager dans des nouveaux locaux préalablement à leur installation. Ce n’est donc pas le jour de l’installation que le ministère des affaires étrangères français apprend que l’ambassade d’un Etat étranger s’est installée dans des locaux donnés, comme l’indiquait la Guinée équatoriale dans sa note verbale en date du 4 octobre 2011. Par ailleurs, aucun autre Etat n’a passé outre l’opposition exprimée par le service du protocole à l’utilisation d’un immeuble à des fins diplomatiques.
16. Monsieur le président, j’en viens à présent aux autres griefs évoqués par la Guinée équatoriale. Je serai plus bref sur ces points, car ils ne me semblent pas constituer des éléments nouveaux appelant de longues réponses. Je commence par le grief relatif à l’absence de vérification de l’affectation de l’immeuble du 42 avenue Foch et au refus de dialogue que les autorités françaises auraient opposé à la Guinée équatoriale.
17. Quant à l’absence de vérification de l’affectation, nous ne voudrions pas que l’insistance27 avec laquelle la Partie demanderesse revient sur ce terme finisse par créer une impression erronée. Par «vérifications»28, il ne faut à l’évidence pas entendre le recours à des moyens d’enquête matériels et coercitifs, dont le service du protocole est à l’évidence dépourvu. Il y a d’ailleurs un certain paradoxe à voir le professeur Kamto s’offusquer désormais de l’absence de vérification de cet ordre, alors que, dans une consultation rédigée préalablement au début de la présente instance et jointe à la requête, lui-même écrivait que «les services du ministère des
26 Voir notamment CR 2020/2, p. 12, par. 26 (Alabrune).
27 Voir notamment CR 2020/3, p. 10, par. 7 (Wood) ; p. 19-20, par. 6 (Kamto).
28 Note no 5009/PRO/PID, 11 octobre 2011 (MGE, annexe 35).
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Affaires étrangères de la France n’auraient pas pu mener de telles vérifications sans contrevenir aux dispositions»29 de l’article 22, paragraphe 1.
18. Comme il l’a indiqué à l’ambassade de Guinée équatoriale le 20 février 2012, le service du protocole procède sur la base des
«informations vérifiées [qui] lui sont communiquées : date de fin d’occupation du précédent local et situation nouvelle de celui-ci (vente ou fin de contrat de location, documents à l’appui) qui entraînent la fin du statut officiel et des privilèges et immunités y afférents ; date d’emménagement dans le nouveau local notifiée officiellement par note verbale»30.
Or, hormis la connaissance qu’il avait de la procédure pénale en cours  je rappelle que le protocole avait été saisi le 10 octobre 2011 de la situation de l’immeuble du 42 avenue Foch par les juges d’instruction dans le cadre de l’information judiciaire ouverte en 2010  hormis donc cette information capitale, le protocole n’a jamais été saisi par la Guinée équatoriale, comme il l’avait été en 2001 lors de l’établissement au 29 boulevard de Courcelles31 et comme il aurait dû l’être en 2011, il n’a jamais été saisi d’une demande de changement d’affectation des locaux d’un usage d’habitation à un usage administratif tel que le requiert le droit français32.
19. Quant à l’absence de «discussions»33 de «concertation»34 ou de «bilateral consultation»35 que la Guinée équatoriale reproche à la France, elle ne laisse pas de surprendre. Le conseil du demandeur s’est demandé avant-hier s’il était possible de parler «de consensualisme lorsque la concertation commence par un refus catégorique»36. Je me permets d’attirer son attention sur le fait que la concertation n’est pas ce qui caractérise l’attitude d’un Etat qui cherche, en des termes
29 Consultation de Maurice Kamto à l’attention de Me Mignard, 25 juillet 2015, annexée au «Mémorandum déposé dans l’intérêt de la République de Guinée équatoriale, représentée par Maître Jean-Pierre Mignard et Maître Jean-Charles Tchikaya, à l’attention des services compétents de la République française dans l’affaire dite des «biens mal acquis, volet Guinée équatoriale» 16 octobre 2015, CMF, annexe 14, p. 11.
30 Note verbale no 802 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale le 20 février 2012 (les italiques sont de nous) (annexe 13 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires).
31 Note verbale no 3227 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale le 28 juin 2012 (CMF, annexe 1).
32 Voir l’article L 631-7 du Code de la construction, accessible à l’adresse : https://www.legifrance.gouv.fr/ affichCode.do;jsessionid=F80623DDBA2477C3A2F5F7674353608B.tplgfr35s_1?idSectionTA=LEGISCTA000019286917&cidTexte=LEGITEXT000006074096&dateTexte=20190213.
33 CR 2020/3, p. 22, par. 11 (Kamto).
34 CR 2020/3, p. 22, par. 11 (Kamto).
35 CR 2020/3, p. 10, par. 8 (Wood).
36 CR 2020/3., p. 22, par. 11 (Kamto).
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n’appelant aucune discussion, à imposer à un autre Etat de reconnaître le statut diplomatique de locaux au coeur d’une procédure pénale.
20. La Guinée équatoriale ne peut en tout état de cause ignorer que son ambassadeur en France a été reçu, à sa demande, dès le 30 septembre 2011 au ministère des affaires étrangères et qu’il y a d’ailleurs remis une lettre adressée au ministre ne faisant toujours aucune mention de son souhait d’installer sa mission diplomatique au 42 avenue Foch. Elle ne peut non plus ignorer que la situation du 42 avenue Foch a été abordée lors de plusieurs entretiens dans cette période, ce qui explique pourquoi, dans la note verbale du 11 octobre 2011, «le Protocole rappelle que l’immeuble ne fait pas partie des locaux relevant de la mission diplomatique». Elle ne peut ignorer les entretiens portant sur l’immeuble du 42 avenue Foch que le ministre équato-guinéen délégué aux affaires étrangères, M. Eustaquio Nseng Esono, a eus au ministère des affaires étrangères le 16 février 2012 et que le ministre des affaires étrangères et de la coopération de la Guinée équatoriale a encore eus le 1er août suivant à la présidence de la République française.
21. Au cours de ces nombreux entretiens, la Guinée équatoriale demandait aux autorités françaises de mettre un terme aux procédures pénales en cours, ce que celles-ci n’étaient bien sûr pas en mesure de faire.
22. Avant-hier  c’est l’avant-dernier grief  la Guinée équatoriale a accusé la France d’inconstance, en soutenant qu’elle considérait le 27 juillet 2012 comme «la date à partir de laquelle il y a occupation ou affectation réelle du 42 avenue Foch, comme locaux de la mission de la Guinée équatoriale»37. Je prie respectueusement la Cour de bien vouloir relire les propos auxquels le conseil du demandeur renvoie38 : ils montrent que ma collègue, Maryline Grange, n’a évidemment rien dit de tel. Elle a d’abord indiqué que, «quoi qu’il en soit de la véracité» de l’assertion faite le 27 juillet 2012, tous les faits litigieux précédaient cette date ; elle a poursuivi en soulignant qu’«à supposer même» que le statut de l’immeuble ait pu évoluer après le 27 juillet 2012, la Guinée équatoriale n’avait allégué aucun incident. La position des autorités françaises au regard de cet immeuble n’a jamais varié. Les exemples auxquels le demandeur fait référence pour tenter de convaincre du contraire n’ont aucune force probatoire. Ils sont postérieurs à la naissance
37 CR 2020/3, p. 26, par. 22 (Kamto). Voir aussi ibid., p. 25, par. 18 (Kamto).
38 Voir CR 2020/2, p. 43, par. 22 (Grange).
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du différend entre les Parties. Surtout, ils n’impliquent pas le service du protocole, qui est l’interlocuteur désigné des ambassades étrangères sur le sol français39. Depuis le 11 octobre 2011, la constance de ce service n’a jamais été prise en défaut.
23. J’en viens à présent au dernier grief formulé par nos contradicteurs, concernant les violations alléguées de l’article 22 de la convention de Vienne.
24. Je commencerai par expliciter de nouveau les effets d’une saisie pénale et d’une confiscation, puisque la demanderesse entretient l’idée d’un flou à ce propos, tout au moins dans la présentation qu’en a faite la Guinée équatoriale40. Le plus simplement résumé, l’effet d’une saisie pénale est le suivant : le propriétaire du bien concerné ne peut le vendre ou l’hypothéquer tant qu’il n’est pas statué définitivement sur le sort du bien visé. En l’espèce, ainsi que je le rappelais tout à l’heure, la Guinée équatoriale n’est pas propriétaire de l’immeuble du 42 avenue Foch ; elle n’est donc ni concernée ni affectée par cette mesure.
25. Il est par ailleurs faux de prétendre que le prononcé de la mesure de confiscation entraîne une vente immédiate, que seul le pourvoi en cassation formé il y a une semaine aurait en l’occurrence évitée41. Précisons ici la procédure dans une telle hypothèse. Lorsque la peine de confiscation est devenue définitive, le seul effet immédiat est que le bien est dévolu à l’Etat qui en devient propriétaire. Ensuite, il appartient à l’AGRASC, l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués42, qui est un établissement public relevant des ministères de la justice et du budget, de décider soit de conserver le bien dans le patrimoine de l’Etat, soit d’organiser le départ des occupants et de préparer la vente. Si une vente est décidée, ce qui est le cas ordinaire, des mesures de publicité et de mise en concurrence sont adoptées, conformément aux règles du code général de la propriété des personnes publiques. Une telle procédure est très longue, en moyenne dix-huit mois à compter du caractère définitif de la peine, soit en l’espèce dix-huit mois
39 L’article 16 de l’arrêté du 28 décembre 2012 relatif à l’organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=5F6ED41A52D449… FB65C2DA4.tplgfr35s_1?cidTexte=JORFTEXT000026858948&dateTexte=20121230).
40 CR 2020/3, p. 13, par. 14 (Tchikaya).
41 CR 2020/3, p. 26, par. 23 (Kamto).
42 Voir le site Internet de l’AGRASC [https://www.economie.gouv.fr/dnlf/agence-gestion-et-recouvrement-des-av…].
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après la décision de la Cour de cassation dont il a été dit par Me Tchikaya43 qu’elle n’interviendrait pas avant plusieurs années. Ce n’est donc pas le simple prononcé de cette mesure de confiscation qui peut méconnaître la convention de Vienne. Et  j’y insiste  il s’agit alors bien seulement d’un transfert de titre de propriété, lequel est sans pertinence au regard de la convention.
26. Enfin, le paragraphe 3 de l’article 22 n’empêche pas une mesure d’exécution contre un propriétaire privé pourvu qu’il ne soit pas nécessaire de pénétrer dans les locaux de la mission pour la réaliser. C’est ce qu’a souligné la Commission du droit international dans le commentaire de ce qui est devenu l’article 22 de la convention : «si les locaux sont loués, une mesure d’exécution contre le propriétaire privé peut naturellement intervenir pourvu qu’il ne soit pas nécessaire de pénétrer dans les locaux de la mission»44. En l’espèce, il n’y a pas eu de violation du fait des perquisitions de février 2012, puisque celles-ci sont antérieures à l’installation prétendue de l’ambassade au 42 avenue Foch, laquelle serait intervenue cinq mois plus tard. Il n’y a pas eu davantage de mesure d’exécution illicite du fait de la saisie et de la confiscation immobilière prononcée contre les biens qui sont le produit des infractions de blanchiment reprochées à M. Nguema Obiang Mangue et non à la Guinée équatoriale. Aucune violation des dispositions de l’article 22 de la convention ne peut dès lors être valablement reprochée à la France.
27. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie de l’attention que vous avez bien voulu me porter lors de ces audiences. Je tiens aussi à remercier l’agent de la République française pour la confiance qu’il m’a témoignée, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre, Monsieur le président, le professeur Pellet, qui poursuivra la présentation des arguments de la France.
Le PRESIDENT : Je remercie M. Bodeau-Livinec. Je donne à présent la parole au professeur Pellet. Vous avez la parole, professeur.
43 CR 2020/1, p. 22, par. 7 (Tchikaya).
44 Voir Annuaire de la Commission du droit international (CDI), 1958, vol. 2, p. 99, point 6 du commentaire de l’article 20. Voir également Report of the International Law Commission covering the work of its Tenth Session, 28 April-4 July 1958, Official Records of the General Assembly, Thirteenth Session, Supplement No. 9, Doc. A/CN.4/117, p. 95.
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M. PELLET : Merci beaucoup, Monsieur le président.
ABUS DE DROIT, ABSENCE DE RESPONSABILITÉ ET BRÈVES CONSIDÉRATIONS RÉCAPITULATIVES
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, tout «droit d’aînesse» mis à part, je suis en quelque sorte la «voiture-balais» de notre équipe puisqu’il m’appartient de répondre à nos contradicteurs sur les points que Pierre Bodeau-Livinec n’a pas abordés directement et qui ont été principalement développés par Sir Michael avec, je dois dire, une très remarquable concision :
 l’abus de droit commis par la Guinée équatoriale ; et
 les conséquences de la responsabilité que le demandeur impute à la France.
Après quoi je formulerai quelques remarques récapitulatives avant celles, conclusives, de notre agent.
I. L’abus de droit commis par la Guinée équatoriale
2. Sans contester que l’abus de droit fît partie des principes généraux de droit (au sens de l’article 38, paragraphe 1, de votre Statut), Sir Michael s’efforce d’en neutraliser l’effet au prétexte que ce principe serait extérieur à la convention de 196145. A cette aune, on se demande comment vous pourriez vous prononcer sur quelque affaire que ce soit portée devant votre haute juridiction par une clause compromissoire : c’est tout le droit international général (le droit des traités, le droit de la responsabilité) que vous seriez empêchés d’appliquer. «My learned friend» (comme disent, parfois un peu perfidement, nos collègues anglais) confond la base de compétence  qui circonscrit l’objet du différend  avec la question du droit applicable. Comme l’a dit la Cour dans l’affaire (la première affaire) de la Compétence du Conseil de l’OACI, celle entre l’Inde et le Pakistan  dans un passage que je paraphrase car ce passage de l’arrêt de 1972 concerne la compétence du Conseil et non de la Cour (mais le raisonnement est pleinement transposable) :
«On ne saurait considérer [la Cour] comme privé[e] de compétence du seul fait que des données extérieures [à la Convention] pourraient être invoquées, dès lors que, de toute façon, des questions relatives à l’interprétation ou à l’application de [celle-ci] entrent en jeu. Le fait qu’une défense au fond se présente d’une certaine manière ne
45 CR 2010/3, p. 9, par. 4 (Wood).
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peut porter atteinte à la compétence [de la Cour] ; sinon les parties seraient en mesure de déterminer elles-mêmes cette compétence, ce qui serait inadmissible.»46
Ceci est complètement différent de l’hypothèse dans laquelle un Etat (ici la Guinée équatoriale) entend appliquer à un litige circonscrit à l’application d’une convention particulière (ici celle de 1961 sur les relations diplomatiques) des règles de fond tirées d’un autre traité47.
3. Au demeurant, comme Sir Michael l’a fort bien (et enfin !) compris, la France ne soulève la question de l’abus de droit qu’à titre subsidiaire («France only raises abuse of rights as a subsidiary argument»48) comme il l’a dit lui-même ; nous plaidons ceci «à titre alternatif», «in the alternative»  non pas, évidemment, pour «diaboliser» la Guinée équatoriale mais simplement parce que, même en admettant que celle-ci puisse légitimement se prévaloir du droit qu’elle invoque, ce prétendu droit (dont la portée telle que nos contradicteurs la décrivent a, du reste, passablement varié au cours de la procédure). Donc ce prétendu droit serait inopérant en l’occurrence, s’il y avait abus de droit, tant il est clair que la Guinée équatoriale a utilisé la ou les règles de droit dont elle se prévaut à des fins auxquelles elles ne sont pas destinées. Ce n’est pas une question de mauvaise foi  et il n’est de toute façon pas utile que vous vous prononciez à cet égard. Il suffit que vous constatiez que l’attitude de la Guinée équatoriale établit  objectivement  ce que nous affirmons : en déployant toute cette énergie pour faire reconnaître le statut diplomatique au 42 avenue Foch, la Guinée équatoriale a entendu faire bénéficier un bien privé des immunités réservées aux seuls locaux «utilisés aux fins de la mission» dans le but de faire échapper le bien en question aux conséquences d’une procédure pénale en cours.
4. Je conviens aussi bien volontiers avec mon contradicteur et cependant ami que «it is, for anyone who has worked for a government, to know a fact of life … that complete consistency is hardly ever achieved, far from it»49. Mais il y a des limites. Et surtout, ce qui frappe dans l’attitude de la Guinée équatoriale ce n’est pas l’incohérence globale de sa conduite à proprement parler ; elle a été fort cohérente dans l’objectif poursuivi : faire échapper le 42 avenue Foch à toute confiscation. Ce sont les moyens pour atteindre cet objectif qui ont manqué de cohérence.
46 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 61, par. 27.
47 CR 2010/3, p. 9, par. 4 (Wood, citant CR 2020/2, p. 15, par. 9 (Forteau)).
48 CR 2010/3, p. 27, par. 2 (Wood).
49 CR 2010/3, p. 29, par. 8 (Wood).
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5. Ainsi  et ce ne sont que des exemples, protester contre la perquisition menée dans la cour de la résidence privée d’un ministre d’Etat un jour (le 28 septembre50) et prétendre, moins d’une semaine après (le 4 octobre51), que ce bien fait partie des locaux d’une mission diplomatique depuis plusieurs années relève d’une incohérence manifeste. L’affirmation selon laquelle l’immeuble est la résidence de la représentante permanente auprès de l’UNESCO, alors que celle-ci n’y demeure pas et qu’aucun bien lui appartenant ni aucun document lié à ses fonctions52 ne s’y trouve, défie toute logique. Il en va de même de l’affirmation selon laquelle M. Obiang Mangue «n’a été informé des poursuites le visant que par le mandat d’arrêt émis à son encontre le 13 juillet 2012»53, alors que son père, comme l’a relevé Pierre Bodeau-Livinec, avait reconnu cinq mois plus tôt que c’est pour échapper aux «pressions exercées contre sa personne, du fait d’une supposée acquisition illégale … [que son fils a[vait] décidé de revendre ledit immeuble au Gouvernement de la République de Guinée équatoriale»54. Ces incohérences ne sont pas par elles-mêmes la preuve de l’abus commis ; elles sont autant d’éléments du faisceau d’indices probants qui permettent d’affirmer qu’abus de droit il y a.
6. La France ne conteste pas qu’une telle allégation ne saurait être accueillie que dans des circonstances exceptionnelles. Le constat de l’existence d’un abus n’en repose pas moins sur un «test objectif»55. Cette existence est avérée dès lors que le droit invoqué a été détourné de sa finalité. Telle est précisément la définition de l’abus de droit telle qu’elle est reçue en droit positif, en vertu duquel un Etat qui se prévaut d’un droit ne peut en exciper à des fins autres que celles pour lesquelles il est prévu.
50 Lettre de l’ambassadeur de Guinée équatoriale en France à M. A. Juppé, ministre des affaires étrangères de la France, 28 septembre 2011 (MGE, annexe 32).
51 Note verbale de l’ambassade de Guinée équatoriale au ministère des affaires étrangères et européennes de la France, 4 octobre 2011 (requête, annexe 8).
52 Procès-verbal de transport et perquisition de l’hôtel particulier sis 42 avenue Foch, 750016 Paris, 14 février 2012 (documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, annexe 42).
53 CR 2020/3, p. 13, par. 10 (Tchikaya).
54 Lettre du président de la République de Guinée équatoriale au président de la République française, 14 février 2012 (documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, annexe 5).
55 Philip Morris c. Australie, sentence sur la compétence et la recevabilité, 17 décembre 2015, CPA no 2012-12, par. 539.
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7. Monsieur le président, il ne suffit pas de dire que notre lecture de la lettre du chef de l’Etat équato-guinéen à son homologue français en 2012 est «spéculative et peu convaincante» («is speculative and unconvincing»56) ou que nous oublierions «l’esprit et le but de ce type d’échanges entre chefs d’Etat qui ne doivent pas prêter à conséquence devant votre Cour»57 alors qu’il s’agit précisément de la parole de l’Etat donnée à son plus haut niveau. Il n’est pas davantage suffisant de proclamer, plus généralement, que notre interprétation de la chronologie des faits relève de la «pure supposition»58. Je persiste et signe, Monsieur le président : cette interprétation s’impose, «dans sa sèche objectivité», au vu de la lecture du tableau que nous vous avons soumis lors du premier tour de plaidoiries (et que nous avons reproduit aujourd’hui, pour votre commodité, à nouveau sous l’onglet no 4 de vos dossiers).
8. Avec tout le respect dû, il est encore plus dérisoire d’accuser la «France de s’appuyer sur des affirmations non étayées figurant dans des documents judiciaires français»59. La Cour a bien voulu accepter la proposition faite mardi par M. Alabrune de recevoir copie de l’arrêt du 10 février ; il vous suffira donc, Mesdames et Messieurs les juges, de lire cette décision de justice, prise après un large débat contradictoire, pour constater que l’on est loin des «affirmations non étayées» écartées d’un revers de la main par Sir Michael. Au demeurant, je constate qu’aucun des motifs d’appel du jugement du Tribunal correctionnel de Paris devant la Cour d’appel ne mettait en doute l’indépendance des juridictions françaises...
9. Je le répète : c’est le faisceau d’indices que constitue l’énoncé des faits qui apporte la preuve de l’abus. Il est assez vain de la part de mon contradicteur de répéter que les deux lettres adressées par le chef de l’Etat équato-guinéen au président français, celle du 14 février 2012 déjà citée, et celle du 19 janvier 2017, n’indiquent pas que les raisons du transfert (allégué) de propriété du 42 avenue Foch étaient de faire échec aux procédures pénales en cours60. Encore une fois, un «abuseur de droit» ne proclame pas qu’il abuse : son abus ne peut qu’être déduit de son attitude. Si vous estimez que j’abuse de votre temps (donc de mon droit de parole devant vous, Mesdames et
56 CR 2020/3, p. 28, par. 6 (Wood).
57 CR 2020/3., p. 13, par. 12 (Tchikaya).
58 CR 2020/3, p. 28, par. 3 (Wood).
59 CR 2020/3, p. 30, par. 12 (Wood).
60 CR 2020/3, p. 28, par. 6 (Wood).
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Messieurs les juges), ce n’est pas parce que je l’aurais proclamé (je m’en garderais bien !), mais parce que vous le déduiriez de la vacuité de mon propos ou de l’excessive longueur de mes péroraisons.
10. Deux points encore, Monsieur le président, pour répondre au seul argument un peu concret avancé par Sir Michael et à une affirmation de Me Evuy :
 selon ce dernier, Mme Bindang Obiang «résidait effectivement au premier étage de l’immeuble, ainsi qu’en atteste[raient] les diverses notes verbales faisant référence à ce fait ainsi que le fait qu’elle a[urait] contesté les perquisitions in situ»61. Je rappelle que les notes verbales en question se contredisent et relèvent plus de l’intention que du fait et qu’aucun bien, aucun document, aucun membre du personnel de la délégation de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO ne s’est jamais trouvé dans l’immeuble, pas davantage que les effets personnels de la représentante permanente. En outre, le procès-verbal de transport et perquisition du 14 février 2012 mentionne :
«A dix heures trente, constatons l’arrivée sur place d’une personne se présentant comme étant Mme BINDANG OBIANG, chargée d’affaires auprès de l’UNESCO représentant l’ambassade de Guinée Equatoriale, diplomate, laquelle nous interroge sur l’opération en cours.»62
Mme Bindang Obiang n’était donc pas présente à l’arrivée des inspecteurs de police à 8 h 30 du matin et ne fait pas état de sa résidence dans l’immeuble. Ce n’est que plus tard dans la matinée qu’une référence sera faite à cette information que celle-ci avait curieusement omis de donner, et elle sera faite non pas par Mme Bindang Obiang mais par Me Pardo, avocat arrivé sur place ultérieurement, qui a déclaré représenter les intérêts de la Guinée équatoriale63.
 Au paragraphe 5 de sa seconde plaidoirie d’avant-hier, Sir Michael affirme que
«the purchase of the property on 15 September 2011 did not just happen on that day. … The decision to sell and purchase would have been taken well before 15 September. We have already explained that Equatorial Guinea had decided to acquire new premises for its diplomatic mission in France in the years before 2011.»64
61 CR 2020/3, p. 16, par. 5 (Evuy).
62 Documents produits par la France le 14 octobre 2016 dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, annexe 42 : Procès-verbal de transport et perquisition de l’hôtel particulier sis 42 avenue Foch 75016 Paris, 14 février 2012, p. 2.
63 Ibid., p. 3.
64 CR 2010/3, p. 28, par. 5 (Wood).
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A vrai dire, il n’y a aucune preuve de ceci : seule une lettre datée du 1er avril 2010 et signée du directeur d’une agence immobilière sise dans le même immeuble que l’ambassade de la Guinée équatoriale (c’est-à-dire 29 boulevard de Courcelles) fait allusion à une possible recherche d’un hôtel particulier (d’ailleurs pas forcément pour y installer l’ambassade). Sir Michael d’ailleurs s’est bien gardé de renvoyer expressément à ces propos de voisins de palier...65
Dans le même ordre d’idées, j’attire l’attention de la Cour sur les mésaventures de l’ambassade de la Guinée équatoriale lorsqu’elle a dû quitter, en 1999, l’une de ses précédentes adresses (rue Alfred de Vigny dans le VIIIe arrondissement de Paris). Bien qu’elle eût fait part de son intérêt pour l’acquisition de ces locaux66, elle dut y renoncer car, ironie du sort, l’appartement en question faisait l’objet... d’une saisie immobilière67. Il n’apparaît pas que la Guinée équatoriale ait invoqué alors une prétendue violation de la convention de Vienne du fait de cette saisie. Elle a déménagé sans faire d’embarras  attitude qui contraste singulièrement avec celle suivie pour l’acquisition alléguée du 42 avenue Foch ; il est vrai que le propriétaire de l’appartement de la rue Alfred de Vigny n’était pas M. Obiang Mangue.
11. Et il y a, bien sûr, tous les points sur lesquels Sir Michael a gardé un silence prudent et auxquels je me permets, Mesdames et Messieurs de la Cour, de renvoyer, qu’il s’agisse de nos écritures ou des faits que j’avais présentés mardi68. Tout ceci constitue un ensemble de faits solide et cohérent, faits qui établissent la preuve de l’abus que nous déplorons et dont nous ne doutons pas que vous le sanctionnerez si, par impossible, vous deviez rejeter notre thèse principale selon laquelle la Guinée équatoriale n’avait aucun droit d’établir son ambassade dans les locaux du 42 avenue Foch.
II. Les conséquences alléguées de la responsabilité
12. Mesdames et Messieurs les juges, empruntant la plume d’Hervé Ascensio, j’en viens maintenant, à titre encore plus subsidiaire et très brièvement, à la question des effets de la
65 RGE, annexe 5.
66 RGE, annexe 4.
67 Ibid.
68 CMF, p. 77-93 ; DF, p. 38-52 ; CR 2020/2, p. 48-52, par. 14-15 (Pellet).
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responsabilité de la France dans l’hypothèse, que nous croyons hautement improbable, où vous décideriez que la France a commis une quelconque violation de ses obligations.
13. En premier lieu et «most importantly»69, la Guinée équatoriale réclame la cessation du refus de la France de reconnaître le caractère diplomatique des locaux du 42 avenue Foch. Elle s’est contentée pour cela d’affirmer, sans aucun début de démonstration, que le refus n’était pas un fait instantané, mais un fait continu. Cependant, comme elle n’en est pas vraiment sûre, elle a ajouté que la violation pourrait résulter de la répétition de plusieurs actes70.
14. Pourtant, les deux Parties s’accordent à considérer que les actes pertinents (si pertinence il y a) sont précisément situés dans le temps : il s’agit de la note verbale équato-guinéenne du 4 octobre 2011 et de la réponse de la France du 11 octobre 2011 marquant son refus. C’est ce refus dont se plaint la Guinée équatoriale  et c’est un fait instantané. Ce refus a fait l’objet de discussions ultérieures, mais c’est un autre élément qui est ensuite venu troubler les choses et aggraver le différend : cet élément c’est la situation que la Guinée équatoriale a créée en s’installant de facto dans les locaux du 42 avenue Foch après le 27 juillet 2012 malgré l’opposition déterminée de la France. Et cette politique du fait accompli mise en oeuvre par l’Etat requérant constitue, elle, un fait continu.
15. Selon Michael Wood, cette situation aurait engendré un dommage à la fois moral et matériel. Mais quelle est la cause de ce prétendu dommage ? La Guinée équatoriale est entièrement silencieuse sur la cause du préjudice : la recherche du lien de causalité mène non pas à l’acte de refus de la France, mais à son propre comportement, celui de la Guinée équatoriale. En effet, passant outre l’opposition ferme et constante de la République française, la Guinée équatoriale a choisi sciemment de s’installer dans un immeuble faisant l’objet d’une procédure judiciaire, et cela après l’adoption de la mesure de saisie pénale dont elle se plaint désormais. Ce choix délibéré, qu’aucune circonstance particulière n’imposait  sinon le désir de faire échapper le 42 avenue Foch à une probable confiscation  est l’unique cause des dommages allégués.
16. Sir Michael n’en a pas moins tenté de justifier l’existence d’un dommage matériel. Mais l’entreprise s’est heurtée à des difficultés telles qu’il a dû sortir du champ du litige qui vous est
69 CR 2020/3, p. 31, par. 16 (Wood).
70 Ibid.
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soumis. En effet, après avoir affirmé que le dommage était actuel, réel et continu71, il a invoqué l’impossibilité de vendre ou d’hypothéquer l’immeuble, ce qui conduirait à une perte de valeur72. Outre que ce dommage est purement éventuel, il n’est nullement lié à l’usage des locaux à des fins diplomatiques. C’est de la Guinée équatoriale en tant que propriétaire supposé de l’immeuble qu’il est question. Or, comme cela a été rappelé mardi par Mathias Forteau, la protection des biens de l’Etat ne relève pas de votre compétence dans la présente affaire73.
17. Quant au fonctionnement de la mission, on nous a dit avant-hier que les pertes financières supposées étaient difficiles à évaluer, en conséquence de quoi la question devrait être examinée lors d’une phase ultérieure de la procédure74. Une telle assertion confirme ce que l’on savait déjà : aucune preuve du moindre dommage matériel n’a été apportée au bout de plusieurs années de procédure, pas plus dans les écritures de la Guinée équatoriale que dans ses plaidoiries orales, ni au premier ni au second tour. Cela justifie amplement que vous rejetiez la demande relative au renvoi à une phase ultérieure, décision qui serait conforme à votre jurisprudence rappelée mardi par Hervé Ascensio75. Je souligne au surplus qu’aux termes de l’article 39 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite : «Pour déterminer la réparation, il est tenu compte de la contribution au préjudice due à l’action ou à l’omission, intentionnelle ou par négligence, de l’Etat lésé ...», Sir Michael a noté «that Professor Ascensio referred in this context to Equatorial Guinea’s «negligence»  negligence, not any deliberate abuse»76. Je l’ai montré : ces négligences n’excluent pas l’abus mais, de toute manière, conformément à l’article 39 des Articles de la CDI, la négligence aussi peut contribuer (et ici a contribué) au dommage.
18. Faute d’entrave au fonctionnement de la mission, si dommage moral il y avait, il serait réduit à bien peu de choses : tout en ne considérant pas que le 42 avenue Foch abrite cette mission diplomatique, la France a, jusqu’à aujourd’hui, non seulement en parfaite exécution de
71 CR 2020/3, p. 32, par. 18 (Wood).
72 CR 2020/3, p. 32, par. 19 (Wood).
73 CR 2020/2, p. 15-16, par. 10 (Forteau).
74 CR 2020/3, p. 32, par. 20 (Wood).
75 CR 2020/2, p. 60, par. 18 (Ascensio).
76 CR 2020/3, p. 33, par. 21 (Wood renvoyant à CR 2020/2, p. 59, par. 14 (Ascensio)).
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l’ordonnance du 7 décembre 2016 sur les mesures conservatoires, mais aussi spontanément77, assuré la protection de l’immeuble empêchant ainsi que «la paix de la mission [soit] troublée ou sa dignité amoindrie»78. Une déclaration d’illicéité par la Cour constituerait, assurément, une réparation appropriée et suffisante  en admettant que la responsabilité de la France eût été engagée  quod non !
19. La Guinée équatoriale n’a apporté aucun élément nouveau à propos de sa contribution au préjudice ou des raisons pour lesquelles des garanties de non-répétition s’imposeraient. Aussi la France maintient-elle tous les arguments, infiniment subsidiaires, développés à ce propos dans ses écritures et lors du premier tour de plaidoiries79.
III. Quelques remarques récapitulatives
20. Mesdames et Messieurs de la Cour, je ne veux, décidément, pas trop abuser de votre temps et, sans même résumer l’ensemble de notre argumentation, je me bornerai à rappeler en quelques flashes télégraphiques ceux de ses aspects qui nous semblent décisifs. Pour ce faire, je m’abstiendrai de jouer à un petit jeu que nos amis de l’autre côté de la barre affectionnent tout spécialement et que l’on peut appeler «c’est pas moi ; c’est lui» : pour s’exonérer de la poutre qu’ils ont dans les yeux, ils mettent l’accent sur la paille qu’ils nous reprochent et nous accusent abondamment d’avoir fait de même ou pire.
21. Première remarque : nous avons le sentiment que les longs développements de nos contradicteurs sur la pratique  ou l’absence de pratique  de la France en matière d’agrément à l’installation ou à l’extension d’une mission diplomatique sont assez inconséquents : quoiqu’ils en disent, il existe bel et bien une pratique française d’agrément général tacite (qui n’exclut pas, lorsqu’il le faut, un désagrément exprès). Mais, quand bien même ce ne serait pas le cas, les circonstances de l’espèce sont telles, tellement exceptionnelles, qu’elles justifieraient, en tout état de cause, le refus d’une situation qui, si on l’avait laissée se perpétuer, aurait constitué un précédent redoutable justifiant l’installation d’une mission diplomatique dans n’importe quel lieu, fût-ce au détriment d’exigences fondamentales d’ordre et de sécurité publics.
77 CMF, p. 32, par. 2.18 ; DF, p. 49-50, par. 3.28.
78 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, art. 22, par. 2.
79 Voir CMF, p. 77-96 ; DF, p. 40-58 ; CR 2020/2, p. 44-56, par. 1-24 (Pellet).
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22. Du même coup  et c’est ma deuxième remarque  il n’est pas question ici de discrimination : jamais un Etat autre que la Guinée équatoriale n’avait tenté d’imposer l’établissement d’une mission diplomatique dans un immeuble risquant de faire (le 4 octobre 2011) ou ayant fait (le 19 juillet 2012) l’objet d’une saisie pénale  en tout cas en France ; mais j’imagine qu’il en va de même partout ailleurs dans le monde. Ce n’est pas un problème de discrimination ; c’est d’exceptionnalité qu’il s’agit ; et celle-ci n’est pas le fait de la France.
23. Troisième remarque : l’Etat requérant reconnaît maintenant que l’immeuble du 42 avenue Foch n’était pas utilisé «aux fins de la mission» diplomatique avant le mois de juillet 2012. Il ne répondait dès lors pas à la définition des «locaux de la mission» donnée à l’article 1, alinéa i), de la convention de Vienne de 1961, et l’opposition de la France à cette qualification  justifiée par des motifs légitimes  est entièrement conforme à la lettre et à l’esprit de cette disposition. En passant outre, la Guinée équatoriale a commis un fait internationalement illicite et, pour le coup, ce fait-là est continument illicite !
24. Quatrième remarque, d’ailleurs liée à la précédente : par sa conduite  clairement incompatible avec la convention, la Guinée équatoriale a voulu créer un fait accompli et elle y a réussi en ce sens que la France, qui a pourtant le droit pour elle, s’est trouvée démunie de moyens d’action face à ce comportement. Que pouvait-elle faire concrètement pour y mettre fin ? Expulser manu militari les diplomates équato-guinéens qui ont fini par investir l’immeuble ? Ce n’est pas une hypothèse plausible et ceci eût par trop contrasté avec la retenue amicale que la République française a toujours observée dans cette affaire.
25. Cinquième et dernière remarque, à nos yeux la plus fondamentale peut-être : dans cette affaire, la Guinée équatoriale raisonne «à l’envers». Nos contradicteurs postulent en effet que la situation actuelle  dans laquelle le 42 avenue Foch est utilisé «aux fins de la mission»  s’impose à la France. C’est comme la dialectique de Hegel : il faut remettre cette thèse sur ses pieds  ou, plus simplement, le début avant la fin. Il n’est pas possible de consolider une situation illicite a posteriori : illicite à l’origine, l’installation de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale dans cet immeuble demeure illicite à ce jour. Ex injuria jus non oritur80.
80 Voir Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 76, par. 133 ; Jadhav (Inde c. Pakistan), arrêt du 17 juillet 2019, par. 64.
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26. Monsieur le président, le juriste et publiciste américain Carl Sandburg a écrit : «If the facts are against you, argue the law. If the law is against you, argue the facts. If the law and the facts are against you, pound the table and yell like hell.» Ceci, je crois, caractérise assez bien les plaidoiries de l’autre Partie.
27. Mesdames et Messieurs les juges, c’est toujours un plaisir et un honneur pour moi de plaider dans cette enceinte et je vous suis extrêmement reconnaissant de me l’accorder. Monsieur le président, pourriez-vous appeler M. Alabrune à cette barre pour quelques remarques  qui seront, elles, conclusives  avant la lecture des conclusions finales de la République française ?
Le PRESIDENT : Je remercie le professeur Pellet pour son exposé. Je donne à présent la parole à M. François Alabrune, agent de la France. Vous avez la parole, Monsieur.
M. ALABRUNE :
CONCLUSIONS
1. Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, ayant l’honneur de conclure les plaidoiries de la République française, je me bornerai à formuler quelques brèves remarques.
2. Premièrement, je réitère l’attachement profond des autorités françaises aux liens d’amitié et de coopération qui unissent de longue date la Guinée équatoriale à la France et je réitère le respect par la France de la souveraineté et de la dignité de l’Etat équato-guinéen et de son peuple.
3. Deuxièmement, tous les Etats étant égaux, ainsi que l’a très justement relevé l’agent de la Guinée équatoriale, je rappelle que la souveraineté de la France mérite autant de respect que celle de la Guinée équatoriale.
4. Or, la présente affaire porte sur des sujétions qui, par l’invocation de la convention de Vienne, pourraient affecter l’exercice des prérogatives de la France sur son territoire, s’agissant d’un immeuble situé sur le territoire français, faisant l’objet d’une procédure judiciaire devant les juridictions françaises, pour des infractions pénales commises en France. Elles touchent ainsi au premier chef à l’exercice par la France de sa souveraineté sur son territoire.
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5. Troisièmement, la solution que la Cour apportera à la présente affaire aura des répercussions pour tous les Etats accueillant des missions diplomatiques sur leur territoire, et sur leur capacité à refuser la politique du fait accompli par un Etat d’envoi.
6. L’attitude de la Guinée équatoriale est à ce titre sans précédent. Elle a en effet cherché à imposer un statut diplomatique à un immeuble en France dont elle savait qu’il faisait l’objet d’une procédure pénale ; elle l’a fait en ignorant les refus opposés par la France à ce que cet immeuble se voie reconnaître le statut diplomatique ; et elle l’a fait en s’installant de facto au 42 avenue Foch, malgré le refus maintes fois réitéré de l’Etat accréditaire.
7. Cette politique du fait accompli a généré une situation délétère, source de nombreuses complications. Et, malgré le grand nombre de missions diplomatiques qu’elle accueille, la France n’avait pas encore été confrontée à une telle situation. Dans ce contexte, il n’y a pas eu de traitement discriminatoire à l’égard de la Guinée équatoriale. Celle-ci s’est en effet placée dans une situation dans laquelle aucun autre Etat ne s’était trouvé auparavant à l’égard de la France.
8. Quatrièmement, les autorités françaises n’ont pas refusé le dialogue avec celles de la Guinée équatoriale pour surmonter les difficultés créées par cette situation. Cependant, face à ces difficultés, la Guinée équatoriale n’a jamais proposé de solution compatible avec le principe d’indépendance de la justice garanti par la Constitution française et par les engagements internationaux de la France.
9. J’ajoute que la France a, en revanche, agi pour ne pas aggraver le différend, et ce avant même que votre Cour en soit saisie. Elle a cherché à préserver les intérêts de la Guinée équatoriale en prenant, par exemple, les mesures appropriées afin d’assurer la sécurité des locaux auxquels les autorités françaises ont pourtant toujours refusé le statut diplomatique. La France a également scrupuleusement respecté les mesures conservatoires ordonnées par votre Cour et je note d’ailleurs que, dans ses conclusions finales, la Guinée équatoriale ne formule aucune demande relative au respect de ces mesures.
10. Dans le même esprit, la France sera disposée à mener avec la Guinée équatoriale un dialogue sur la mise en oeuvre, dans un délai raisonnable, de votre arrêt sur le fond, en tenant dûment compte des droits et intérêts tant de l’Etat accréditaire que de l’Etat accréditant, dans le respect du droit international.
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Conclusions finales
11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je tiens à vous exprimer, au nom de l’ensemble de la délégation française, notre sincère gratitude pour l’attention et la patience dont vous avez bien voulu faire preuve tout au long de ces audiences.
12. J’aimerais également remercier le greffier, M. Philippe Gautier, et l’ensemble du personnel de la Cour, qui ont veillé, par leur professionnalisme et leur disponibilité, au bon déroulement de ces audiences et à la bonne administration de cette affaire. Et, je remercie en particulier les interprètes et les agents responsables de l’établissement des comptes rendus d’audience pour la qualité remarquable de leur travail.
13. Je tiens également à saluer les membres de la délégation de la Guinée équatoriale. Je rends hommage aux efforts qu’ils ont déployés et souligne l’excellent esprit qui a présidé aux échanges entre les deux délégations. Je salue particulièrement l’agent, M. l’ambassadeur Carmelo Nvono Nca, dont j’ai apprécié l’amabilité. Je partage entièrement la confiance qu’il a exprimée dans la sagesse de votre Cour.
14. Enfin, je saisis cette occasion pour remercier très sincèrement et très chaleureusement tous les membres de la délégation française pour leur engagement, leur professionnalisme et leur générosité.
15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, conformément aux dispositions de l’article 60, paragraphe 2, du Règlement de la Cour, je vais à présent donner lecture des conclusions finales de la République française :
«Pour les motifs développés dans son contre-mémoire, sa duplique, et exposés par ses conseils au cours des audiences en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales opposant la Guinée équatoriale à la France, la République française prie la Cour internationale de Justice de bien vouloir rejeter l’ensemble des demandes formulées par la République de Guinée équatoriale.»
16. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, au nom de la République française, je vous remercie pour votre attention.
Le PRESIDENT : Je remercie M. Alabrune. La Cour prend note des conclusions finales dont vous venez de donner lecture au nom de votre gouvernement. Ainsi s’achève cette série d’audiences. Je tiens à remercier les agents, conseils et avocats des deux Parties pour leurs exposés oraux. Conformément à la pratique, je prierai les agents de bien vouloir rester à la disposition de la
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Cour pour tout renseignement complémentaire dont celle-ci pourrait avoir besoin. Sous cette réserve, je déclare close la procédure orale en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France). La Cour va maintenant se retirer pour délibérer. Les agents des Parties seront avisés en temps utile de la date à laquelle la Cour rendra son arrêt. La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, l’audience est levée.
L’audience est levée à 11 h 10.
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Document Long Title

Public sitting held on Friday 21 February 2020, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Yusuf presiding, in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France)

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