Public sitting held on Tuesday 18 February 2020, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Yusuf presiding, in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France)

Document Number
163-20200218-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2020/2
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Non corrigé
Uncorrected
CR 2020/2
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2020
Audience publique
tenue le mardi 18 février 2020, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Yusuf, président,
en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France)
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COMPTE RENDU
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YEAR 2020
Public sitting
held on Tuesday 18 February 2020, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Yusuf presiding,
in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France)
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VERBATIM RECORD
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Présents : M. Yusuf, président
Mme Xue, vice-présidente
MM. Tomka
Abraham
Bennouna
Cançado Trindade
Mme Donoghue
M. Gaja
Mme Sebutinde
MM. Bhandari
Robinson
Crawford
Gevorgian
Salam
Iwasawa, juges
M. Kateka, juge ad hoc
M. Gautier, greffier
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Present: President Yusuf
Vice-President Xue
Judges Tomka
Abraham
Bennouna
Cançado Trindade
Donoghue
Gaja
Sebutinde
Bhandari
Robinson
Crawford
Gevorgian
Salam
Iwasawa
Judge ad hoc Kateka
Registrar Gautier
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Le Gouvernement de la République de Guinée équatoriale est représenté par :
S. Exc. M. Carmelo Nvono Nca, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès des Royaumes de Belgique et des Pays-Bas,
comme agent ;
M. Anatolio Nzang Nguema Mangue, procureur de la République de Guinée équatoriale,
M. Juan Olo Mba, ministre délégué de la justice de la République de Guinée équatoriale,
M. Pascual Nsue Eyi, directeur au ministère des affaires étrangères de la République de Guinée équatoriale,
S. Exc. M. Miguel Oyono Ndong, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès de la République française,
comme membres de la délégation ;
M. Maurice Kamto, professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun), avocat au barreau de Paris, ancien membre et ancien président de la Commission du droit international,
M. Jean-Charles Tchikaya, avocat au barreau de Bordeaux,
Sir Michael Wood, KCMG, membre de la Commission du droit international, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Francisco Evuy Nguema Mikue, avocat de la République de Guinée équatoriale,
comme conseils et avocats ;
M. Alfredo Crosato Neumann, Institut de hautes études internationales et du développement de Genève,
M. Francisco Moro Nve Obono, avocat de la République de Guinée équatoriale,
Mme Magdalena Nanda Nzambi, avocate de la République de Guinée équatoriale,
M. Omri Sender, George Washington University Law School, membre du barreau d’Israël,
M. Alain-Guy Tachou-Sipowo, chargé de cours, Université McGill et Université Laval, membre du barreau du Québec,
M. Nicholas Kaufman, membre du barreau d’Israël,
comme conseils ;
Mme Emilia Ndoho, secrétaire à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale à Bruxelles,
comme assistante.
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The Government of the Republic of Equatorial Guinea is represented by:
H.E. Mr. Carmelo Nvono Nca, Ambassador of the Republic of Equatorial Guinea to the Kingdoms of Belgium and the Netherlands,
as Agent;
Mr. Anatolio Nzang Nguema Mangue, Public Prosecutor of the Republic of Equatorial Guinea,
Mr. Juan Olo Mba, Minister Delegate for Justice of the Republic of Equatorial Guinea,
Mr. Pascual Nsue Eyi, Director, Ministry of Foreign Affairs of the Republic of Equatorial Guinea,
H.E. Mr. Miguel Oyono Ndong, Ambassador of the Republic of Equatorial Guinea to the French Republic,
as Members of the Delegation;
Mr. Maurice Kamto, Professor at the University of Yaoundé II (Cameroon), member of the Paris Bar, former member and former chairman of the International Law Commission,
Mr. Jean-Charles Tchikaya, member of the Bordeaux Bar,
Sir Michael Wood, KCMG, member of the International Law Commission, member of the Bar of England and Wales,
Mr. Francisco Evuy Nguema Mikue, avocat of the Republic of Equatorial Guinea,
as Counsel and Advocates;
Mr. Alfredo Crosato Neumann, Graduate Institute of International and Development Studies of Geneva,
Mr. Francisco Moro Nve Obono, avocat of the Republic of Equatorial Guinea,
Ms Magdalena Nanda Nzambi, avocate of the Republic of Equatorial Guinea,
Mr. Omri Sender, George Washington University Law School, member of the Israel Bar,
Mr. Alain-Guy Tachou-Sipowo, Lecturer at McGill University and Université Laval, member of the Bar of Quebec,
Mr. Nicholas Kaufman, member of the Israel Bar,
as Counsel;
Ms Emilia Ndoho, Secretary at the Embassy of the Republic of Equatorial Guinea in Brussels,
as Assistant.
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Le Gouvernement de la République française est représenté par :
M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères,
comme agent ;
M. Alain Pellet, professeur émérite à l’Université Paris Nanterre, ancien président de la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit international,
M. Hervé Ascencio, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
M. Pierre Bodeau-Livinec, professeur à l’Université Paris Nanterre,
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Paris Nanterre,
Mme Maryline Grange, maître de conférences en droit public à l’Université Jean Monnet à Saint-Etienne, Université de Lyon,
M. Ludovic Legrand, docteur en droit public, Université Paris Nanterre,
comme conseils ;
M. Julien Boissise, conseiller juridique à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères,
M. Nabil Hajjami, conseiller juridique à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères,
Mme Sophie Lacote, cheffe du bureau du droit économique, financier et social, de l’environnement et de la santé publique à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice,
comme conseils adjoints ;
S. Exc. M. Luis Vassy, ambassadeur de la République française auprès du Royaume des Pays-Bas,
Mme Florence Levy, première conseillère à l’ambassade de France aux Pays-Bas,
Mme Hélène Petit, conseillère juridique à l’ambassade de France aux Pays-Bas,
Mme Charlotte Daniel-Barrat, chargée de mission juridique à l’ambassade de France aux Pays-Bas,
comme membres de la délégation.
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The Government of the French Republic is represented by:
Mr. François Alabrune, Director of Legal Affairs, Ministry of Europe and Foreign Affairs,
as Agent;
Mr. Alain Pellet, Emeritus Professor at the University Paris Nanterre, former Chairman of the International Law Commission, member of the Institut de droit international,
Mr. Hervé Ascencio, Professor at the University Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
Mr. Pierre Bodeau-Livinec, Professor at the University Paris Nanterre,
Mr. Mathias Forteau, Professor at the University Paris Nanterre,
Ms Maryline Grange, Lecturer in Public Law at the Jean Monnet University in Saint-Etienne, University of Lyon,
Mr. Ludovic Legrand, Doctor of Public Law, University Paris Nanterre,
as Counsel;
Mr. Julien Boissise, Legal Consultant, Directorate of Legal Affairs, Ministry of Europe and Foreign Affairs,
Mr. Nabil Hajjami, Legal Consultant, Directorate of Legal Affairs, Ministry of Europe and Foreign Affairs,
Ms Sophie Lacote, Head of the Office of Economic, Financial and Social Law, the Environment and Public Health, Directorate of Criminal Affairs and Pardons, Ministry of Justice,
as Assistant Counsel;
H.E. Mr. Luis Vassy, Ambassador of the French Republic to the Kingdom of the Netherlands,
Ms Florence Levy, First Counsellor, Embassy of France in the Netherlands,
Ms Hélène Petit, Legal Consultant, Embassy of France in the Netherlands,
Ms Charlotte Daniel-Barrat, chargée de mission for legal affairs, Embassy of France in the Netherlands,
as Members of the Delegation.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre le premier tour des exposés oraux de la France. Je donne maintenant la parole à M. François Alabrune, agent de la France. Vous avez la parole, Monsieur.
M. ALABRUNE :
INTRODUCTION DE L’AGENT
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est un grand honneur pour moi de représenter une nouvelle fois mon pays devant la Cour. Je tiens à exprimer à cette occasion la confiance de mon gouvernement dans la sagesse de votre haute juridiction et la justice de vos décisions.
2. Je salue en outre la délégation de la Guinée équatoriale, en particulier, de manière amicale, son agent, M. l’ambassadeur Carmelo Nvono Nca. Je rappelle que le différend entre la Guinée équatoriale et la France ne peut altérer les liens historiques et la qualité des relations entre nos deux pays.
3. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, mon propos s’articulera en trois temps. Je rappellerai en premier lieu l’importance que revêt la présente affaire pour le droit des relations diplomatiques. Je porterai ensuite à votre connaissance les derniers développements concernant la procédure pénale conduite en France contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. J’évoquerai enfin les points qui seront successivement abordés par les plaidoiries de nos conseils.
4. En premier lieu, je souhaiterais relever, comme l’ont fait les représentants de la Guinée équatoriale, que l’affaire qui vous est aujourd’hui soumise revêt une grande importance pour le droit des relations diplomatiques.
5. La France accueille un nombre important de missions diplomatiques, qu’elles soient accréditées auprès des autorités françaises ou auprès d’organisations internationales installées en France. A ce titre, le ministère français des affaires étrangères fait face à un grand nombre de demandes d’Etats étrangers tendant à obtenir l’octroi du statut diplomatique pour des locaux situés sur le territoire français. Il arrive, lorsque des circonstances particulières l’exigent, que cet octroi ne puisse être accepté par la France, en tant qu’Etat accréditaire. Tel a été le cas de la demande présentée par la Guinée équatoriale pour l’immeuble du 42 avenue Foch. C’est arrivé aussi pour
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des demandes présentées à la France par d’autres Etats étrangers. Et il arrive à des Etats accréditaires autres que la France de refuser de telles demandes présentées par des Etats accréditants.
6. Votre arrêt apportera ainsi des clarifications utiles à l’ensemble des Etats sur les conditions auxquelles des locaux peuvent bénéficier de privilèges et immunités en vertu de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961.
7. La Guinée équatoriale soutient que l’Etat accréditant peut placer des locaux sous ce régime, exorbitant du droit commun, sans que l’Etat accréditaire puisse s’y opposer.
8. La France ne partage pas cette lecture du droit des relations diplomatiques. Elle reconnaît certes que l’Etat accréditant a la possibilité de désigner les locaux qu’il souhaiterait voir bénéficier de ce régime, qui est très protecteur pour ses intérêts. Elle considère toutefois que l’Etat accréditaire a le droit de s’opposer à l’octroi de ce régime, qui est très contraignant pour lui, lorsque les circonstances lui paraissent justifier un tel refus. Et c’est particulièrement le cas lorsque cet octroi peut avoir pour conséquence de faire obstacle à une procédure pénale dans l’Etat accréditaire.
9. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, la France est convaincue que les privilèges et immunités diplomatiques sont essentiels à la bonne conduite des relations internationales. Elle croit également que ce régime ne saurait être utilisé à d’autres fins que celles qui ont guidé sa mise en place.
10. Un usage abusif ne pourrait en effet que nourrir les interrogations croissantes qui s’expriment sur le bien-fondé des privilèges et immunités diplomatiques. A ce titre, permettez-moi d’insister à nouveau sur l’importance qu’aura votre décision. Si la thèse soutenue par la Guinée équatoriale était retenue, thèse selon laquelle l’Etat accréditant pourrait décider, de manière unilatérale, de placer n’importe quel local sous le régime des immunités diplomatiques, la voie serait ouverte à la prolifération de statuts diplomatiques de convenance ou visant à contourner des procédures judiciaires. C’est ainsi la légitimité même des protections offertes par le statut diplomatique qui serait ébranlée, aux yeux des Etats et aux yeux des citoyens.
11. Or, la démarche de la Guinée équatoriale, depuis le début de la présente affaire, illustre l’existence d’un tel risque de détournement des immunités. Elle a en effet eu pour objet de réclamer
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un statut diplomatique pour un immeuble occupé à titre privé par le fils du chef de l’Etat, alors même que l’attribution de ce statut pouvait interférer avec des procédures pénales engagées en France contre cette personne.
12. La France était ainsi fondée à ne pas consentir à l’octroi d’un statut diplomatique pour cet immeuble, sans méconnaître ses obligations internationales.
13. Ce faisant, la France, qui ne s’était jamais opposée à l’établissement de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale dans d’autres locaux que celui-ci, n’a pas traité la Guinée équatoriale de manière discriminatoire. Le principe de non-discrimination, mentionné par la convention de Vienne, ne fait pas, en effet, obstacle à ce que des situations distinctes fassent l’objet d’un traitement distinct. Or aucun Etat accréditant en France n’a jamais été dans une situation analogue à celle de la Guinée équatoriale s’agissant du 42 avenue Foch. Aucun Etat accréditant n’a demandé, pour des locaux faisant l’objet d’une procédure pénale, l’octroi du statut diplomatique et aucun ne l’a, évidemment, obtenu. Il n’y a donc pas eu de discrimination à l’endroit de la Guinée équatoriale.
14. En deuxième lieu, je souhaite présenter brièvement les développements récents de la procédure pénale en France intervenus depuis les dernières audiences sur les exceptions préliminaires soulevées par la France en la présente affaire.
15. Comme la Cour le sait, le Tribunal correctionnel de Paris a rendu, le 27 octobre 2017, un jugement par lequel il a déclaré M. Teodoro Nguema Obiang Mangue coupable de faits de blanchiment, commis en France entre 1997 et 2011. Le Tribunal a condamné l’intéressé à une peine d’emprisonnement délictuel de trois ans, assortie d’un sursis, ainsi qu’à une amende de 30 millions d’euros, également assortie de sursis. Le Tribunal a en outre ordonné la confiscation de l’ensemble des biens saisis dans le cadre de la procédure d’instruction, et notamment de l’immeuble du 42 avenue Foch. M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et le procureur de la République ont fait appel de ce jugement. La Cour d’appel de Paris a tenu ses audiences en décembre 2019.
16. Comme l’a indiqué hier maître Tchikaya, la Cour d’appel a rendu le 10 février dernier son arrêt. Elle a déclaré M. Teodoro Nguema Obiang Mangue coupable de blanchiment de détournement de fonds publics, de blanchiment d’abus de confiance, et de blanchiment d’abus de
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biens sociaux commis en France de 1997 à octobre 2011. Il a été relaxé des faits de blanchiment de corruption faute de charges suffisantes. En conséquence, il a été condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis, 30 millions d’euros d’amende et à la confiscation de l’ensemble des biens saisis, en particulier l’immeuble du 42 avenue Foch.
17. M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, par l’intermédiaire de ses conseils, a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt le 14 février dernier. Ce pourvoi suspend l’exécution des peines prononcées à son encontre, y compris de la confiscation de l’hôtel particulier du 42 avenue Foch.
18. J’ajouterai trois remarques à propos de cette procédure pénale.
19. Tout d’abord, les deux parties faisant référence à l’arrêt de la Cour d’appel au cours des présentes audiences, la France tient le texte de cet arrêt à la disposition de la Cour, si celle-ci l’estime opportun.
20. Ensuite, s’agissant de la procédure de pourvoi en cassation, celle-ci pourrait, comme l’a relevé hier maître Tchikaya, durer plus d’un an. L’arrêt de la Cour de cassation pourrait soit rejeter le pourvoi, en confirmant l’arrêt de la Cour d’appel, soit casser cet arrêt et renvoyer l’affaire à une autre Cour d’appel, prolongeant ainsi la procédure.
21. Enfin, dans leurs plaidoiries, les représentants de la Guinée équatoriale ont cru bon de formuler des appréciations dépréciatives tant à l’égard du ministère français des affaires étrangères qu’à l’égard des autorités judiciaires françaises. Les conseils de la France rectifieront les erreurs commises par l’autre Partie sur ce sujet.
22. Permettez-moi de rappeler simplement à ce stade que le respect de l’indépendance de la justice, qui est un principe inscrit dans la Constitution française, n’empêche évidemment pas les autorités judiciaires françaises d’interroger les services du ministère des affaires étrangères, notamment le service du protocole, sur la situation de personnes ou de locaux au regard des immunités. C’est dans ce cadre que s’est inscrite la demande d’informations formulée le 10 octobre 2011 par les juges d’instruction relative au statut du 42 avenue Foch.
23. S’agissant par ailleurs des procureurs, qui représentent l’intérêt général devant les juridictions pénales, il convient de rappeler que le droit français leur garantit indépendance et impartialité dans la prise de décision, qu’il s’agisse de la mise en oeuvre de l’opportunité des
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poursuites ou de la liberté de parole à l’audience. Par une loi en date du 25 juillet 2013, il a en effet été mis un terme à la possibilité pour le ministre de la justice d’adresser aux procureurs des instructions de poursuite dans des affaires individuelles. Il a également été ajouté à l’article 31 du code de procédure pénale un devoir d’impartialité pour les procureurs dans l’exercice de l’action publique.
24. En troisième lieu, je souhaite vous présenter les thèmes qui seront traités successivement par nos conseils.
25. Monsieur le président, le professeur Forteau rappellera que, conformément à l’arrêt sur les exceptions préliminaires rendu par la Cour en 2018, le différend en la présente affaire concerne exclusivement le statut de l’immeuble du 42 avenue Foch en tant que local diplomatique et le traitement que la France aurait dû lui accorder, selon la Guinée équatoriale, sur le fondement de l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Il reviendra en outre brièvement sur les faits pertinents à l’origine de cette affaire.
26. Le professeur Bodeau-Livinec montrera que, en l’état du droit international et à plus forte raison au regard des circonstances tout à fait exceptionnelles de la présente affaire, la Guinée équatoriale ne pouvait imposer unilatéralement à la France la désignation d’un immeuble comme relevant de sa mission diplomatique.
27. Mme Maryline Grange démontrera par la suite que la France n’a, en aucun cas, méconnu ses obligations au titre de l’article 22 de la convention de Vienne de 1961.
28. Le professeur Pellet expliquera pourquoi l’invocation de cette convention, par la Guinée équatoriale à l’égard de l’immeuble du 42 avenue Foch, est constitutive d’un abus de droit.
29. Enfin, le professeur Ascensio exposera les raisons pour lesquelles l’ensemble des demandes de la Guinée équatoriale relatives à la responsabilité de la France doivent être rejetées.
30. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie de votre attention et je vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir appeler à la barre le professeur Forteau.
Le PRESIDENT : Je remercie M. Alabrune pour son exposé. Je donne à présent la parole au professeur Mathias Forteau. Vous avez la parole, Monsieur.
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M. FORTEAU : Je vous remercie, Monsieur le président.
L’OBJET DU DIFFÉREND ET LES FAITS PERTINENTS
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est bien entendu un très grand honneur que d’apparaître devant vous pour défendre mon pays dans la présente affaire.
2. Ma tâche ce matin est double : elle consiste à éclairer la Cour sur l’objet du différend d’abord, sur les faits pertinents ensuite.
3. A vrai dire, à ce stade de l’instance, il ne subsiste plus guère de doutes quant au premier ni quant aux seconds. L’objet du différend a été précisément délimité dans votre arrêt sur les exceptions préliminaires du 6 juin 2018 ; quant aux faits pertinents, ils ont été clairement établis par la Partie française au fil de la procédure. Dans ces circonstances, il est regrettable que la Guinée équatoriale ait tenté encore hier de semer la confusion sur ces deux points.
I. L’objet du différend
4. En ce qui concerne l’objet du présent différend et donc le champ de votre compétence, la Guinée équatoriale a affirmé dans sa réplique et a redit hier qu’il n’existerait pratiquement aucune différence de vues entre les Parties sur ce point1. Il pourrait de fait difficilement en aller autrement dès lors que votre arrêt sur les exceptions préliminaires a rigoureusement défini les limites de la compétence de la Cour en la présente affaire.
5. Quatre éléments cardinaux ressortent de votre arrêt du 6 juin 2018 et il importe de les rappeler :
 premièrement, le différend pour lequel vous avez compétence ne porte que sur l’interprétation et l’application de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 ; la Guinée équatoriale en convient, sur le principe en tout cas2, et il s’en déduit que votre Cour n’a donc pas compétence à l’égard de règles ou instruments autres que cette convention ;
 deuxièmement, le différend au titre de la convention de 1961 porte uniquement sur les allégations de violation de l’article 22 de cette convention ;
1 Voir RGE, par. 4.3 ; CR 2020/1, p. 15, par. 5 (Wood).
2 Voir RGE, par. 0.19 ; CR 2020/1, p. 16, par. 7 (Wood).
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 troisièmement, le différend porte sur le statut de l’immeuble du 42 avenue Foch uniquement «en tant que locaux de la mission diplomatique», à l’exclusion de toute question relative à son statut en tant que bien qui appartiendrait à l’Etat équato-guinéen3 ; comme votre Cour l’a indiqué, notamment au paragraphe 137 de l’arrêt sur la compétence, le différend porte sur l’inviolabilité et l’immunité des locaux en question «en tant que conséquences juridiques de leur statut diplomatique», et pas de leur propriété, ce que confirme le point 4 du dispositif de l’arrêt ;
 quatrièmement, comme l’arrêt de 2018 l’indique également, le différend a un double aspect : il porte d’abord sur l’applicabilité à l’immeuble du 42 avenue Foch de la protection prévue par l’article 22 de la convention, puis, au cas où cet article s’appliquerait en l’espèce, ce que la France ne considère pas être le cas, sur la question de savoir si l’article 22 a été respecté par la France4.
6. J’ajouterai par ailleurs que, dans sa réplique, la Guinée équatoriale a limité le champ temporel de ses réclamations en en abandonnant certaines, qui, de fait n’étaient pas compatibles avec ses propres allégations : désormais, sa demande ne concerne plus que les faits postérieurs au 4 octobre 20115.
7. Au vu des termes clairs de votre arrêt sur la compétence, il est particulièrement surprenant que dans sa réplique et encore hier, l’Etat demandeur ait tenté de s’affranchir des limites pourtant nettement tracées par celui-ci. La Partie demanderesse s’y emploie à trois égards.
8. Tout d’abord, la Guinée équatoriale a invoqué dans sa réplique la prétendue «généralité du dispositif» de l’arrêt de 2018 pour contester le fait que cet arrêt limite l’objet du différend au seul article 22 de la convention6. Elle y a indiqué dans le même sens que le différend porterait selon elle «en particulier», et donc pas exclusivement, sur cette disposition7, renouant ainsi avec sa fâcheuse tendance à élargir le champ du différend au-delà de ce que la Cour a établi dans son arrêt de 20188.
3 Voir DF, par. 2.5, renvoyant aux paragraphes 52 et 53 de l’arrêt du 6 juin 2018 (C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 310).
4 Voir Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 315-316, par. 70 ; CMF, par. 3.2.
5 Voir RGE, par. 0.25 ; voir également DF, par. 2.39 ; CR 2020/1, p. 35, par. 19 (Kamto).
6 RGE, par. 0.20.
7 RGE, par. 0.24.
8 Voir DF, par. 2.2.
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La France persiste et signe9 : votre arrêt de 2018 a limité l’objet du différend au seul article 22 de la convention, comme cela ressort expressément des paragraphes 57, 70, 120, 131 et 133 de votre arrêt. Certes, la Cour a également visé l’article premier de la convention, mais uniquement parce que celui-ci conditionne le champ d’application de l’article 22 et en est donc de ce point de vue indissociable10.
9. Ensuite, la Guinée équatoriale tente ici ou là dans sa réplique d’invoquer des normes qui ne relèvent pas de la convention et donc de la compétence de la Cour. C’est le cas lorsqu’elle invoque la violation de «tous les principes qui régissent les relations entre Etats souverains et égaux»11. De telles allégations, dont la France conteste le bien-fondé sur le fond, ne correspondent pas à l’objet du différend tel que circonscrit par la Cour dans son arrêt sur les exceptions préliminaires et échappent donc de nouveau à sa compétence.
10. Enfin, la Guinée équatoriale a de nouveau tenté hier de réintroduire devant vous les questions liées à la propriété de l’immeuble et à l’immunité des biens de l’Etat12, ce qui appelle trois remarques.
 D’une part, la Guinée équatoriale n’a eu de cesse hier de se présenter comme étant le propriétaire de l’immeuble du 42 avenue Foch13. Or, comme la France a eu l’occasion de le montrer à de nombreuses reprises, la Guinée équatoriale n’est pas, au regard du droit français, propriétaire de l’immeuble du 42 avenue Foch14. Me Tchikaya a d’ailleurs indiqué hier que la Guinée équatoriale n’était que l’actionnaire unique des sociétés suisses copropriétaires de l’immeuble, et n’en était donc pas elle-même propriétaire15.
 D’autre part, et en tout état de cause, la question de savoir si l’immeuble du 42 avenue Foch est un local diplomatique au sens de la convention de Vienne ne dépend pas du point de savoir qui en a la propriété.
9 Voir DF, par. 0.11-0.15 ainsi que par. 2.3 ; CMF, par. 2.11-2.12.
10 Voir les paragraphes 132-134 de l’arrêt du 6 juin 2018, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 332-333.
11 RGE, par. 1.10.
12 Voir également RGE, en particulier par. 4.9-4.10 ; DF, par. 2.4, 2.5 et suiv., 4.2 et 4.4 ; CMF, par. 2.13-2.20.
13 CR 2020/1, p. 11-12, par. 5, et p. 12, par. 8 (Nvono Nca) ; p. 23-25, par. 10-23 (Tchikaya) ; p. 45, par. 53 (Kamto).
14 Voir notamment les observations de la France du 31 octobre 2016 sur la réponse de la Guinée équatoriale à la question du juge Bennouna.
15 CR 2020/1, p. 24, par. 18-19 (Tchikaya).
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 Par ailleurs, la Cour n’a pas compétence pour ce qui touche au régime applicable à cet immeuble en tant que bien qui appartiendrait à l’Etat demandeur. La Cour ne peut donc pas connaître dans le cadre de la présente instance des questions liées à l’application de la convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de 2004, qui n’est d’ailleurs pas en vigueur. C’est par conséquent à tort que le demandeur invoque au soutien de ses demandes cette convention de 2004, comme il l’a fait dans sa réplique16 et comme il l’a de nouveau, hier, fait par l’entremise du professeur Kamto17. La Cour n’a pas davantage compétence pour donner suite à la demande figurant au paragraphe 1.23 de la réplique visant à ce que la Cour «rappelle à la France qu’elle demeure soumise» à l’obligation de respecter l’immunité d’exécution protégeant les biens de la Guinée équatoriale. Cette demande concerne de nouveau la propriété des biens et leur protection en tant que biens de l’Etat, et pas leur statut en tant que locaux diplomatiques. Une telle demande est d’ailleurs d’autant plus incongrue que, dans le même paragraphe 1.23 de la réplique, la Guinée équatoriale admet expressément que la Cour ne dispose d’aucune compétence sur ce point, ce que M. Wood a de nouveau admis hier18.
II. Les faits pertinents
11. Après avoir rappelé quel est le champ exact de la compétence de la Cour, j’en viens, Monsieur le président, aux faits pertinents. Ceux-ci n’appellent pas de ma part de trop longs développements :
 d’une part, parce que la plupart des faits pertinents ont déjà été établis par la Cour dans son arrêt sur les exceptions préliminaires19 ;
 d’autre part, parce que la procédure en mesures conservatoires et les écritures des Parties ont permis de les préciser et d’éclairer la Cour sur leur signification20 ;
16 RGE, par. 2.35 ; DF, par. 2.33.
17 CR 2020/1, p. 35-36, par. 20-22 (Kamto).
18 CR 2020/1, p. 16-17, par. 8 (Wood).
19 Voir notamment par. 23-41 de l’arrêt sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 303-307.
20 Voir les chapitres I du contre-mémoire et de la duplique.
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 enfin, parce que mes collègues qui se succéderont à cette barre auront l’occasion de revenir plus en détail sur les faits pertinents lorsqu’ils réfuteront sur le fond les réclamations de la Guinée équatoriale.
12. Il est utile toutefois de dissiper dès maintenant un certain nombre de confusions que les avocats du demandeur ont tenté d’introduire hier, et il importe pour ce faire de commencer par rappeler les éléments les plus essentiels de la chronologie des faits pertinents  une présentation plus détaillée des faits pertinents se trouve à l’onglet no 19 de vos dossiers de plaidoiries.
13. Curieusement, M. Wood a fixé hier comme point de départ de la chronologie des faits pertinents les mois de septembre et octobre 201121, déconnectant ainsi totalement les faits pertinents de leur contexte d’origine. Cette manière de procéder est d’autant plus troublante que la Cour a pris soin, dans son arrêt sur la compétence, de rappeler ce contexte d’origine, qui, de fait, est déterminant :
 comme la Cour l’a indiqué dans son arrêt sur la compétence, une plainte a été déposée par l’association Transparency International le 2 décembre 2008 qui a donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire et, le 1er décembre 2010, à la nomination de deux juges d’instruction chargés d’enquêter en particulier sur le mode de financement de biens mobiliers et immobiliers acquis en France par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue22 ;
 dès la fin de l’année 2010, ces poursuites pénales étaient largement connues, l’arrêt du 9 novembre 2010 de la chambre criminelle de la Cour de cassation relatif à ces poursuites ayant été largement commenté dans la presse, ainsi que dans les revues juridiques23 ;
 la presse se fit en particulier l’écho du risque de mesures pénales qui pesaient sur l’immeuble du 42 avenue Foch, et cela plusieurs mois avant que la Guinée équatoriale commence à s’intéresser en septembre 2011 à la propriété de cet immeuble24 ;
21 CR 2020/1, p. 19, par. 13 (Wood).
22 Voir CMF, par. 1.4-1.6 ; voir également l’arrêt sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 303, par. 24.
23 Voir, par exemple, https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/11/09/01016-20101109ARTFI… ; http://www.rfi.fr/fr/afrique/20101109-biens-mal-acquis-cour-cassation-e… ; Revue générale de droit international public, 2011, p. 605-608.
24 Voir notamment https://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/06/09/les-biens-mal-acquis-… ; https://www.liberation.fr/planete/2011/07/28/avenue-foch-la-folie-cache… 751857.
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 l’enquête pénale a conduit à une première perquisition et à des saisies au 42 avenue Foch le 28 septembre 2011 puis le 3 octobre 2011 ; les biens saisis à cette occasion étaient tous des biens privés25 ; la Guinée équatoriale a d’ailleurs admis dans sa note verbale du 28 septembre 2011 que «les opérations de perquisitions et de saisies [étaient] ciblées sur la personne de» M. Nguema Obiang Mangue26. Et fait tout à fait significatif, dans cette même note verbale du 28 septembre 2011, la Guinée équatoriale ne fit aucune mention d’une quelconque affectation diplomatique des locaux et n’a articulé aucun grief sur le terrain de la protection qui aurait été due à cet immeuble en tant que local diplomatique27 ;
 de nouvelles perquisitions ont eu lieu au 42 avenue Foch du 14 au 23 février 2012, et ces perquisitions ont confirmé que l’immeuble était exclusivement utilisé à cette date à des fins privées, M. Nguema Obiang Mangue en ayant la libre disposition28 ;
 quelques mois plus tard, le 19 juillet 2012, la saisie pénale immobilière de l’immeuble a été ordonnée par l’un des juges d’instruction29. A cette date, l’immeuble était toujours exclusivement utilisé à des fins privées, comme les pièces versées au dossier en attestent30.
14. En réaction à ces poursuites et mesures pénales contre des biens de nature privée, la Guinée équatoriale a adopté des positions contradictoires quant au statut de l’immeuble, positions que la Cour a brièvement retracées dans son arrêt sur les exceptions préliminaires31 et qui ont conduit, lors des audiences sur les mesures conservatoires, deux juges de la Cour à demander à la Guinée équatoriale de clarifier sa position32. Mes collègues reviendront sur les diverses incohérences qui caractérisent les allégations successives de la Guinée équatoriale sur ce point et sur le caractère infondé de ces allégations. Je me limiterai pour ce qui me concerne à cinq constats.
25 Voir CMF, par. 1.14-1.18.
26 Voir MGE, annexe 32, p. 1.
27 Voir MGE, annexe 32.
28 Voir CMF, par. 1.30-1.33.
29 Voir CMF, par. 1.36-1.39.
30 Voir CMF, par. 3.66 ; MGE, annexe 25.
31 C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 303-305, par. 25-28.
32 Voir Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1152-1153, par. 19.
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15. Je commencerai par rappeler que la France n’a, quant à elle, jamais varié de position. Elle a dûment informé la Guinée équatoriale qu’elle ne pouvait, pour des raisons légitimes, donner suite à sa demande visant à reconnaître l’immeuble du 42 avenue Foch comme locaux de sa mission diplomatique, et elle l’a fait dès qu’elle a été saisie d’une telle demande, dans ses notes verbales du 11 octobre 2011 puis du 28 mars 201233, puis de nouveau le 6 août 201234.
16. La Guinée équatoriale a suggéré hier que la France aurait toutefois changé de position et aurait fini par reconnaître le statut diplomatique du 42 avenue Foch. Elle a avancé deux arguments à cet effet.
17. Nos contradicteurs ont tout d’abord invoqué l’ordonnance en référé du Tribunal de grande instance de Paris du 22 octobre 2013, ordonnance que la Guinée équatoriale avait déjà citée dans la réplique35 et à propos de laquelle la France a déjà présenté sa position dans la duplique36. Il me suffira de rappeler ici que dans cette affaire, la Guinée équatoriale avait omis d’informer le Tribunal de la position française quant au statut du 42 avenue Foch et que les services compétents du ministère des affaires étrangères n’ont pas été consultés par le Tribunal. Dès lors, la position prise par ce tribunal, qui plus est dans le cadre d’une procédure d’urgence, n’était de toute évidence pas pleinement informée.
18. Nos contradicteurs ont ensuite invoqué quatre lettres que certains services du ministère français des affaires étrangères ont adressées par erreur au «42 avenue Foch»37. De nouveau, ces documents ne permettent pas de dire que les autorités compétentes de la France auraient changé de position quant à l’absence de statut diplomatique du 42 avenue Foch :
 d’une part, ces quatre lettres ont été envoyées en 2019, soit bien après la naissance du présent différend, après votre ordonnance en mesures conservatoires et même après votre arrêt sur la compétence ; or, la France a toujours fermement maintenu, y compris devant la Cour, sa position juridique selon laquelle l’immeuble du 42 avenue Foch ne possède pas de statut diplomatique, et la simple lecture de ces quelques lettres montre de toute évidence qu’elles
33 Voir MGE, annexes 34 et 45.
34 Voir MGE, annexe 49.
35 CR 2020/1, p. 29, par. 15 (Evuy) ; p. 38-39, par. 33-34 (Kamto) ; RGE, par. 1.21.
36 Voir DF, par. 1.19-1.25.
37 CR 2020/1, p. 29, par. 13 (Evuy) ; p. 34, par. 16 (Kamto).
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n’ont, ni pour objet, ni pour effet, de modifier la position de la France sur la question en litige devant la Cour ;
 d’autre part, et en tout état de cause, ces lettres n’émanent pas du service du protocole. Or, c’est ce service qui est désigné par les textes applicables comme étant le service compétent au sein du ministère des affaires étrangères pour connaître des questions liées aux locaux diplomatiques de pays étrangers38 ; et comme la France l’a rappelé dans sa duplique, le service du protocole n’a jamais reconnu le 42 avenue Foch comme locaux diplomatiques de la Guinée équatoriale et continue d’adresser ses courriers à la mission diplomatique de la Guinée équatoriale à l’adresse du 29 boulevard de Courcelles39, adresse à laquelle les locaux diplomatiques de la Guinée équatoriale ont été établis depuis le 29 mars 200140.
19. J’en viens à mon deuxième constat. Celui-ci concerne une importante pièce du dossier : la note verbale du 27 juillet 2012. Contrairement à ce que l’Etat demandeur a affirmé dans son mémoire41, la note verbale du 27 juillet 2012 envoyée par la Guinée équatoriale indique explicitement que ce ne serait finalement qu’à partir de cette date, le 27 juillet 2012, et pas avant, que ses services diplomatiques auraient été établis au 42 avenue Foch42  le 27 juillet 2012, et par conséquent après la désignation des juges instructeurs, après les perquisitions et saisies de l’automne 2011, après les perquisitions et saisies de février 2012 et après la saisie pénale immobilière de l’immeuble, soit après les mesures aujourd’hui contestées par le demandeur sur le fondement de l’article 22 de la convention de Vienne. Il est tout à fait remarquable que nos contradicteurs n’aient pas mentionné une seule fois hier cette note verbale du 27 juillet 2012, laquelle contredit de manière flagrante leurs allégations.
20. Troisième constat : la Guinée équatoriale en est venue au fil de la procédure à accepter en grande partie les faits tels qu’exposés par la France depuis le début de la présente affaire. Tout à fait importante ici est la concession faite par la Guinée équatoriale dans sa réplique : contrairement
38 Voir l’article 16 de l’arrêté du 28 décembre 2012 relatif à l’organisation de l’administration centrale du ministère français des affaires étrangères, texte de l’arrêté disponible à l’adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT00002685….
39 Voir DF, par. 3.32 et annexe 1.
40 Voir CMF, par. 1.3.
41 MGE, par. 2.30.
42 Voir CMF, par. 1.40 ; MGE, annexes 47 et 48.
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à ce qu’elle a pu affirmer ailleurs à répétition dans ses écritures, à savoir qu’à partir du 15 septembre 2011, l’immeuble du 42 avenue Foch n’était plus une résidence privée et aurait «été affecté exclusivement aux fins de mission diplomatique»43, la Partie demanderesse concède dans la réplique que les biens qui ont été saisis au 42 avenue Foch en 2011 ainsi qu’en 2012 n’étaient pas utilisés à des fins diplomatiques44. Cela confirme que cet immeuble était toujours une résidence relevant du domaine privé et du droit commun lorsqu’ont eu lieu les perquisitions et saisies que la Guinée équatoriale prétend aujourd’hui constituer une violation de l’article 22 de la convention de Vienne45.
21. Quatrième constat : la Guinée équatoriale a soutenu à plusieurs reprises, y compris encore hier, que les faits constatés par les magistrats français, en particulier en ce qui concerne l’utilisation à des fins exclusivement privées de l’immeuble du 42 avenue Foch, ne devraient pas être acceptés par votre Cour46. La Guinée équatoriale n’apporte cependant aucun début de preuve permettant d’établir que les constatations opérées par les autorités judiciaires françaises sur la base des mesures d’enquête et d’instruction qui ont été réalisées seraient erronées. A défaut de preuve contraire, les constatations des magistrats français, qui sont, pour reprendre les termes de la Cour dans un contexte similaire, «rompus à l’examen et à l’appréciation de grandes quantités d’informations factuelles»47 et qui travaillent en toute indépendance, ont évidemment une grande force probante devant la Cour. Ces constatations établissent clairement l’absence d’utilisation à des fins diplomatiques du 42 avenue Foch au moment où ont été prises les mesures pénales aujourd’hui contestées par la Guinée équatoriale.
22. M. Wood a accusé hier les tribunaux français de manquer d’impartialité et d’indépendance, sans apporter cependant la moindre preuve à l’appui de ces graves accusations48. Tout aussi gratuite est l’allégation de M. Evuy et de M. Wood selon laquelle le ministère des
43 RGE, par. 1.24 (les italiques sont de nous) ; voir également MGE, par. 3.52-3.55, 3.60, 4.4, 4.10, 4.29, 4.38, 8.20-8.21, 8.31 ou encore 8.45-8.46.
44 RGE, par. 4.12.
45 Voir DF, par. 3.17.
46 RGE, par. 1.7 et par. 3.17.
47 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 35, par. 61 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 130-131, par. 213.
48 CR 2020/1, p. 53, par. 14 (Wood).
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affaires étrangères aurait transmis aux magistrats français des informations «erronées»49, qui auraient induit en erreur les juges français50. Le service du protocole du ministère ne fait que répondre aux demandes d’information émanant de l’autorité judiciaire sur la base des éléments à sa disposition, et, par ailleurs, il n’y avait rien d’erroné dans les réponses qui ont été apportées en l’espèce : les constats factuels sur la base desquels les tribunaux français se sont finalement prononcés en toute indépendance sont venus en effet confirmer, comme la motivation de leurs décisions en atteste, qu’au moment où les mesures dont la Guinée équatoriale se plaint aujourd’hui ont été prises, l’immeuble du 42 avenue Foch était utilisé à des fins exclusivement privées.
23. Cinquième et dernier constat : les autres allégations factuelles de la Guinée équatoriale sur lesquelles reposent ses prétentions ne sont toujours pas étayées par le moindre commencement de preuve. En particulier, la Guinée équatoriale n’a toujours pas apporté le moindre début de preuve au soutien :
 de l’allégation suivant laquelle dans les années précédant le mois de septembre 2011, elle aurait utilisé à des fins diplomatiques l’immeuble appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue51 ;
 de l’allégation suivant laquelle elle aurait eu l’intention, avant le 4 octobre 2011 d’utiliser l’immeuble du 42 avenue Foch aux fins de sa mission diplomatique52 ;
 ou de l’allégation selon laquelle entre septembre 2011 et juillet 2012, la Partie demanderesse aurait «progressivement déménagé les services de son Ambassade» au 42 avenue Foch53 et aurait commencé à y faire opérer ses services consulaires, de comptabilité et d’administration54 ;
 aucun élément, je le répète, n’a été soumis par le demandeur au soutien de ces différentes allégations.
49 CR 2020/1, p. 27, par. 6 (Evuy) ; p. 18, par. 12, et p. 20, par. 14 (Wood).
50 Ibid., p. 20, par. 14 (Wood).
51 RGE, par. 1.2, second tiret ; DF, par. 3.12-3.14 ; CR 2020/1, p. 26, par. 4 (Evuy).
52 Voir DF, par. 0.6-0.7.
53 RGE, par. 1.2, second tiret, p. 11 ; ainsi que par. 1.42, 3e tiret ; CR 2020/1, p. 12, par. 6 (Nvono Nca) ; p. 27, par. 6 (Evuy).
54 CR 2020/1, p. 28, par. 10 (Evuy).
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24. Mesdames et Messieurs de la Cour, ceci conclut mon exposé sur l’objet du différend et les faits pertinents. Je vous remercie bien vivement de votre aimable attention, et je vous serais très reconnaissant, Monsieur le président, d’appeler à cette barre le professeur Bodeau-Livinec, qui montrera que la France n’a aucunement violé la convention de 1961 en la présente espèce.
Le PRESIDENT : Je remercie M. Forteau pour son exposé. Je donne à présent la parole à M. Bodeau-Livinec. Vous avez la parole, Monsieur.
M. BODEAU-LIVINEC :
LE RÉGIME D’INVIOLABILITÉ PRÉVU PAR LA CONVENTION DE VIENNE
N’EST PAS APPLICABLE À L’IMMEUBLE DU 42 AVENUE FOCH
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est un grand honneur de paraître aujourd’hui devant votre Cour au nom de la République française.
2. Le professeur Forteau vient de décrire les limites précises auxquelles le différend que la Guinée équatoriale a soumis à la Cour en 2016 est réduit. Celui-ci comporte deux branches, dont la seconde est arrimée à la première. Pour reprendre les termes de votre arrêt sur les exceptions préliminaires, le différend a d’abord trait «au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission»55 diplomatique de la Guinée équatoriale ; il porte ensuite sur le traitement que la France aurait par conséquent dû accorder à ces locaux, selon le demandeur, sur le fondement de l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. C’est dans ce cadre précis qu’il appartient à ma collègue, Mme Grange, et à moi-même de montrer que la France n’a commis aucune des violations de la convention de Vienne que la Guinée équatoriale allègue et a encore égrenées hier.
3. Ces allégations, quelles sont-elles ? La Guinée équatoriale a tergiversé sur ce point. Dans les conclusions de sa réplique, elle évoquait les violations supposées de la convention de Vienne avant la reconnaissance du statut de local de la mission diplomatique à l’immeuble du 42 avenue Foch56. Désormais, elle se range à une vision plus ordonnée du différend, tel qu’il résulte de votre
55 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 338, par. 154.
56 Voir RGE, p. 75.
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arrêt du 6 juin 2018. Je me permets de citer les propos qu’a tenus hier le professeur Kamto sur ce qui constitue «désormais le coeur du litige»57 : «la question que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si l’immeuble en question constitue les locaux de la mission de la Guinée équatoriale, au sens de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ; et si oui, si la France n’a pas respecté l’inviolabilité de cet immeuble en tant que locaux de la mission de cet Etat, et, par suite, a violé ses obligations au titre de la convention de Vienne précitée»58.
4. Nous pouvons souscrire sans peine à cette présentation. Il y a en effet une articulation logique évidente entre le statut de l’immeuble et le régime juridique qui pourrait éventuellement s’y appliquer. A l’évidence, la France n’a pas pu «viol[er] ses obligations au titre de la Convention de Vienne» si le bâtiment en question était dépourvu de statut diplomatique lorsqu’il a fait l’objet des mesures contestées par la Guinée équatoriale. Or, comme je vais m’attacher à l’expliquer, le régime d’inviolabilité prévu par la convention de Vienne ne saurait être opposable à l’Etat accréditaire sur le seul fondement des desiderata soudains de l’Etat accréditant, en admettant même que celui-ci puisse montrer  ce qu’il n’a pas fait en l’occurrence  que l’immeuble considéré serait effectivement affecté à un usage diplomatique. Dans un second temps, ma collègue Mme Maryline Grange rappellera que la France n’a, en tout état de cause, commis aucune violation de l’article 22 de la convention de Vienne au préjudice de la Guinée équatoriale.
5. J’aborde donc la question préalable qui se pose en l’espèce : celle de la qualification de l’immeuble du 42 avenue Foch comme «locaux de la mission» diplomatique de la Guinée équatoriale à Paris, au sens qu’ont ces termes dans la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Conformément à l’objet et au but de ce traité essentiel au bon déroulement des relations pacifiques entre les Etats, le choix d’un local particulier dans lequel établir la mission diplomatique d’un Etat accréditant sur le territoire de l’Etat accréditaire doit s’effectuer sur une base consensuelle  c’est-à-dire au moins avec l’assentiment ou l’absence d’opposition de l’Etat accréditaire. Cette base a fait entièrement défaut en l’espèce (I). Par ailleurs, à supposer même (quod non), qu’un tel consentement ne soit pas nécessaire, les conditions n’étaient pas réunies pour
57 CR 2020/1, par. 2 (Kamto).
58 Ibid., par. 3.
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que la France traite l’immeuble comme un local diplomatique, puisque celui-ci n’était de toute manière pas «utilisé aux fins de la mission» au sens de la convention (II).
I. La Guinée équatoriale ne peut imposer unilatéralement à la France la désignation d’un immeuble spécifique comme «locaux de [s]a mission» diplomatique
6. Monsieur le président, j’en viens donc au premier point, afin de rappeler qu’aucune disposition ou interprétation de la convention de Vienne ne permettait à la Guinée équatoriale d’imposer unilatéralement à la France la désignation de l’immeuble du 42 avenue Foch comme local de sa mission diplomatique. Depuis le début de la procédure devant la Cour, la Partie demanderesse a beaucoup varié sur ce point, au moins dans la présentation formelle d’un droit qu’elle revendique à son seul bénéfice. Je me permets de rappeler brièvement les principales étapes de cette évolution, à la fois parce qu’elles illustrent les excès dont la Guinée équatoriale est capable dans l’utilisation des moyens de droit, mais aussi parce qu’elles soulignent la seule et unique fin que le demandeur poursuit : la reconnaissance d’un privilège de désignation unilatérale de ses locaux diplomatiques par l’Etat accréditant, auquel l’Etat accréditaire n’aurait d’autre choix que de se plier.
7. La première présentation par le demandeur du droit prétendument applicable sur ce point figure dans la réponse que celui-ci a faite à la question que Mme la juge Donoghue lui a posée en octobre 201659. La Guinée équatoriale y a fait valoir «que le régime de la Convention de Vienne, quant à ce qui concerne le statut de locaux d’une mission diplomatique, était un régime déclaratif»60. Par la suite, elle s’est avancée plus loin encore en précisant que, selon ce régime déclaratif, «les locaux des services diplomatiques sont ceux qui sont désignés comme tels par l’Etat accréditant à l’Etat accréditaire»61 sans qu’un «processus de reconnaissance»62 soit nécessaire. Elle est même allée jusqu’à évoquer une forme d’«autodéfinition par l’Etat accréditant des locaux de sa mission diplomatique»63, en soutenant que la notification qu’elle avait adressée au ministère des
59 Voir CR 2016/17, p. 21.
60 ReGE, par. 23.
61 Observations de la République de Guinée équatoriale sur les exceptions préliminaires soulevées par la République française (OGE), 31 juillet 2017, par. 1.63.
62 Ibid., par. 3.14.
63 Ibid., par. 1.61.
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affaires étrangères de la République française le 4 octobre 2011 au sujet du caractère prétendument diplomatique du 42 avenue Foch, cette notification ne l’avait été que par simple «courtoisie»64.
8. Désormais, le demandeur ne soutient plus une thèse aussi radicale  et, pour tout dire, incongrue  au moins de façon explicite. Hier, il a repris l’approche déjà mise en exergue dans sa réplique, quoique dans des termes différents. Rien n’a été dit, par exemple, du régime «déclaratif» précédemment invoqué. De même, la Guinée équatoriale n’évoque plus, autrement que de manière lapidaire65, la «présomption de validité»66 dont devraient bénéficier les «revendications du caractère diplomatique des biens par l’Etat accréditant»67. Il est vrai que le demandeur n’était pas parvenu à expliciter clairement l’effet juridique devant s’attacher à une telle présomption. Soit elle était irréfragable et elle ne constituait en réalité qu’un déguisement maladroit de la théorie de l’autodéfinition déclarative ; soit elle pouvait être renversée et il aurait fallu logiquement en conclure que la convention de Vienne n’établit donc aucun droit de l’Etat accréditant d’imposer unilatéralement le choix de ses locaux diplomatiques ni d’obligation corrélative, à la charge de l’Etat accréditaire, d’entériner un tel choix.
9. Telle qu’elle a été présentée hier, la thèse de la Guinée équatoriale peut être résumée comme suit :
 «conformément à la convention de Vienne, pour qu’un immeuble acquière la qualité de «locaux de la mission», il suffit que l’Etat accréditant affecte l’immeuble aux fins de sa mission diplomatique»68 ;
 cette affectation se matérialise purement et simplement par la «désignation» des locaux concernés par l’Etat accréditant à l’Etat accréditaire : pour reprendre les termes employés hier, «[l]a désignation des locaux de sa mission par l’Etat accréditant est concluante»69 ;
 la notification, qui relevait auparavant de la simple courtoisie, est dorénavant admise comme «nécessaire pour [que l’Etat accréditaire] puisse s’acquitter de ses obligations»70 ;
64 MGE, p. 143, par. 8.35.
65 Voir CR 2020/1, p. 41, par. 42 (Kamto).
66 RGE, p. 29, par. 2.14.
67 Ibid.
68 CR 2020/1, p. 31, par. 4 (Kamto).
69 Ibid., p. 39, par. 36 (Kamto).
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 toutefois, selon ce que s’empresse de préciser le demandeur, «la convention ne contient aucune exigence d’obtenir le consentement de l’Etat accréditaire»71.
10. Au-delà des oscillations terminologiques, rien n’a véritablement changé sur le fond de la thèse que défend la Guinée équatoriale : l’unilatéralisme domine toujours le processus par lequel un immeuble devrait être identifié et reconnu comme faisant partie des locaux d’une mission diplomatique. La Guinée équatoriale ne s’en est d’ailleurs pas cachée hier lorsqu’elle a, par la voix de son conseil, soutenu que «[l]e point de départ de la protection des locaux de la mission ne tient pas compte du consentement de l’Etat accréditaire»72. Les conséquences d’un tel raisonnement pour la présente espèce sont assez vertigineuses : il faudrait ainsi accepter que, à réception de la note verbale du 4 octobre 2011, par laquelle la Guinée équatoriale affirmait qu’elle «dispos[ait] depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 avenue Foch, Paris XVIe qu’elle utilise pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission diplomatique»73, à réception de cette note, donc, le ministère français des affaires étrangères n’aurait eu d’autre possibilité que d’entériner le statut diplomatique de cet immeuble et de lui étendre le régime d’inviolabilité y afférent. Dès le 4 octobre 2011, la France aurait ainsi dû accorder à l’immeuble du 42 avenue Foch l’ensemble des mesures protectrices énoncées à l’article 22 de la convention de Vienne, ainsi que le bénéfice de l’exemption fiscale prévue à l’article 23 de celle-ci.
11. Pour apprécier la valeur d’une telle conclusion, il n’est sans doute pas inutile de relire l’article premier de la convention de Vienne, qui comporte une définition de l’expression «locaux de la mission» dans le cadre de ce traité. Selon l’alinéa i),
«[l]’expression «locaux de la mission» s’entend des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission».
12. La France a déjà rappelé dans ses écritures74 l’historique  qui est au demeurant limité  de cette disposition, qui ne figurait pas dans le projet adopté par la Commission du droit
70 CR 2020/1, p. 31, par. 4 (Kamto).
71 Ibid.
72 Ibid., p. 41, par. 43.
73 Note verbale no 365/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère français des affaires étrangères, le 4 octobre 2011 (annexe 1 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires).
74 Voir EPF, par. 161-162 ; CMF, par. 3.26-3.28.
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international en 1958 et qui fut ajoutée, lors de la conférence de Vienne, au titre d’une définition à simple fin «descriptive»75. Ni cet alinéa ni aucun autre article de la convention n’aborde expressément la question de savoir à partir de quel moment, jusqu’à quand, et par quel processus un immeuble donné acquiert ou perd un statut diplomatique. Comme le relève Mme la professeure Eileen Denza, «[a] question which cannot be clearly resolved from the text of the Convention or from the travaux préparatoires is when the inviolability of mission premises begins and ends»76.
13. La Guinée équatoriale relève également le silence de la convention sur cette question pourtant essentielle, puisqu’elle commande la mise en oeuvre du régime d’inviolabilité énoncé à l’article 22 de la convention. Elle en tire cependant des conclusions pour le moins surprenantes. Je me permets de citer les propos du professeur Kamto sur la question des «rôles respectifs de l’Etat accréditant et de l’Etat accréditaire quant à la désignation des locaux utilisés aux fins de la mission diplomatique»77 : selon lui, «ce rôle revient, au regard du texte, du contexte, de l’objet et du but de la convention, et surtout en l’absence de toute autre règle d’application générale et non discriminatoire imposée par la France dans le respect du droit international, à l’Etat accréditant»78.
14. Pour des raisons que je vais exposer dans un instant, la France a une perception fort différente des rôles dévolus à l’Etat accréditant et à l’Etat accréditaire dans le choix des immeubles en tant que locaux de la mission du premier sur le territoire du second. Mais il importe auparavant de dissiper deux confusions que le demandeur a cherché à entretenir hier. La première tend à laisser croire que la France «épouse[rait]»79 habituellement la thèse soutenue par la Guinée équatoriale. Pour vous en convaincre, celle-ci a cité un passage du contre-mémoire, dans lequel la France indique que «la notification officielle et préalable par l’Etat accréditant de son intention d’affecter des locaux aux services de la mission suffit généralement au ministère pour leur reconnaître le bénéfice du régime de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques»80. Mais mon collègue de l’autre côté de la barre aurait dû poursuivre la lecture. Voici la suite du paragraphe :
75 E. Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4e éd., 2016, p. 16.
76 Ibid., p. 145.
77 CR 2020/1, p. 32, par. 11 (Kamto).
78 Ibid.
79 Ibid., p. 34, par. 17.
80 CMF, par. 3.44.
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«[d]ans ces cas de figure très ordinaires, l’absence d’opposition expresse des autorités compétentes en France vaut en effet reconnaissance du caractère diplomatique de l’immeuble désigné»81. Autant dire que l’Etat accréditaire, de notre point de vue, possède le droit de s’opposer à la notification de l’Etat accréditant  et c’est certainement le cas dans les circonstances très peu ordinaires où celui-ci cherche à faire bénéficier du régime de l’inviolabilité diplomatique un immeuble faisant l’objet au même moment de procédures pénales.
15. La seconde confusion entretenue hier par le demandeur concerne l’attitude adoptée en octobre 2011 par les autorités françaises. Selon lui, celles-ci auraient opposé à la Guinée équatoriale leur «refus de reconnaître à l’immeuble sis au 42 avenue Foch le statut de locaux d’une mission diplomatique sans aucune concertation avec l’Etat accréditant et de manière [parfaitement] arbitraire»82. Je reviendrai tout à l’heure sur ces accusations, graves et parfaitement infondées, d’un traitement arbitraire ou discriminatoire. A ce stade, je relèverai simplement que la Guinée équatoriale n’a, à aucun moment dans ces quelques jours qu’elle présente comme critiques, appelé à une quelconque concertation ou autres «discussions»83. Dans la longue lettre que l’ambassadeur de la République de Guinée équatoriale à Paris a remise au ministre français des affaires étrangères le 28 septembre 2011 pour condamner les «opérations de perquisitions et de saisies ciblées sur la personne»84 de M. Obiang Nguema, il n’est à aucun moment fait état de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques en tant que cadre juridique potentiellement applicable à un tel dialogue. L’ambassadeur se borne étrangement à évoquer l’accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements signé entre les deux Etats le 3 mars 1982.
16. Comme elle le faisait d’ailleurs déjà dans cette lettre, la Guinée équatoriale a évoqué hier des «règles[s] d’application générale»85 dont elle s’est gardée de préciser la teneur et la portée exactes. Le régime juridique réservé aux immeubles diplomatiques est marqué, faut-il le rappeler, par la grande liberté laissée à l’Etat accréditant dans leur usage, étant entendu, comme le précise
81 CMF, par. 3.44.
82 CR 2020/1, p. 40, par. 39 (Kamto).
83 Ibid.
84 Lettre de M. F. Edjo Ovono, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale en France, à M. A. Juppé, ministre des affaires étrangères, 28 septembre 2011 (MGE, annexe 32).
85 CR 2020/1, p. 32, par. 11 (Kamto).
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l’article 41, paragraphe 3, de la convention, que les «locaux de la mission ne seront pas utilisés d’une manière incompatible avec les fonctions de la mission». Parallèlement, l’Etat accréditaire voit l’étendue de ses prérogatives et de ses compétences de droit commun considérablement limitées au regard de sa souveraineté territoriale, puisqu’il lui incombe, au titre de l’article 22, de garantir à tout moment l’inviolabilité de la mission. Ainsi, il ne fait aucun doute que c’est la compétence territoriale habituelle de l’Etat accréditaire qui se trouve restreinte et encadrée par l’attribution d’un statut diplomatique à un immeuble donné. Or, selon le fameux dictum de votre devancière, «[l]es limitations de l’indépendance des Etats ne se présument … pas»86, et cela vaut à plus forte raison lorsque la souveraineté territoriale est en cause. Pour qu’un Etat accréditant puisse obtenir au bénéfice d’un immeuble particulier le régime de l’inviolabilité diplomatique, il ne peut donc en aucun cas imposer ses desiderata à l’Etat accréditaire, lequel doit rester maître des limitations auxquelles il consent.
17. Pour qu’un tel système fonctionne en effet, il doit nécessairement reposer sur la confiance mutuelle et l’assentiment des parties. Le «consentement mutuel» sur lequel l’article 2 fait reposer l’établissement même des relations diplomatiques inspire l’ensemble de la convention. Prétendre qu’un Etat accréditant pourrait, par simple notification, imposer à l’Etat accréditaire de protéger n’importe quel local ainsi désigné sans que celui-ci puisse vérifier le bien-fondé de cet acte d’autorité sur son territoire et, éventuellement, le contester, défie le sens commun. Comme le souligne le professeur Salmon,
«[s]i la mission possède le droit d’opérer une qualification de ce qu’elle considère comme des locaux utilisés aux fins de la mission, cette qualification n’est que provisoire et unilatérale et l’Etat accréditaire, éventuellement en position de force pour refuser les autorisations nécessaires, peut la contester. … Il faut rechercher l’accord. A défaut il nous semble qu’ici aussi le dernier mot doit appartenir à l’Etat accréditaire.»87
18. D’autres articles de la convention confirment d’ailleurs ce primat du consentement dans le choix des immeubles destinés à un usage diplomatique. La Guinée équatoriale y a fait allusivement référence hier, en renvoyant à une note de bas de page88. Sur ce point, elle dit à la fois
86 Lotus, arrêt no 9, 1927, C.P.J.I. série A no 10, p. 18.
87 J. Salmon, Manuel de droit diplomatique, Bruylant, Bruxelles, 1994, p. 190.
88 Voir CR 2020/1, p. 37, par. 59 (Kamto).
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trop et pas assez : trop parce qu’elle laisse entendre que ces dispositions épuiseraient à elles seules l’exigence du consentement qui est sous-jacente à l’ensemble de la convention ; pas assez, parce qu’elle omet de préciser que certains des exemples donnés corroborent la position française. L’article 12 de la convention est particulièrement éclairant sur ce point, même si la Guinée équatoriale s’obstine à vouloir en déformer le sens. Il se lit comme suit :
«L’Etat accréditant ne doit pas, sans avoir obtenu au préalable le consentement exprès de l’Etat accréditaire, établir des bureaux faisant partie de la mission dans d’autres localités que celles où la mission elle-même est établie.»
Dans sa réplique, la Guinée équatoriale a soutenu que la situation couverte par l’article 12 serait la seule «où le consentement de l’Etat accréditaire est nécessaire»89. Mais cette disposition exige le consentement «exprès»  ce qui est tout à fait compréhensible d’ailleurs lorsque l’Etat accréditant souhaite établir des locaux diplomatiques en dehors de la capitale de l’Etat d’accueil. Elle n’induit évidemment pas que, dans des circonstances ordinaires, ce consentement serait inutile. Elle sous-entend simplement que, dans cette situation normale, le consentement, toujours indispensable, peut prendre une forme plus souple  celle d’un assentiment ou d’une approbation tacite notamment.
19. La pratique des Etats vient encore conforter, s’il en est besoin, cette évidence de la nécessité du consentement. Au demeurant, c’est exactement cette exigence qu’illustre la conclusion entre la Guinée équatoriale et la France du protocole du 23 mars 1990 relatif à la construction d’immeubles destinés à assurer le logement des personnels de coopération, évoqué hier par l’agent de la Guinée équatoriale90. Les mots qu’il a employés pour décrire l’objet de cet accord sont d’ailleurs éloquents : «la Guinée équatoriale a offert de bonne foi à la France plusieurs terrains au libre choix des Français : l’un pour installer leurs locaux diplomatiques à Malabo et l’autre pour installer son consulat ou bureau de coopération dans la ville de Bata»91. C’est donc, en l’occurrence, la Guinée équatoriale en tant qu’Etat accréditaire qui a encadré le choix de la France, Etat accréditant.
89 RGE, p. 32, par. 2.21.
90 CR 2020/1, p. 12, par. 11 (Nvono Nca).
91 Ibid., p. 13, par. 11 (Nvono Nca).
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20. Dans ses écritures, la France a fourni de nombreux exemples d’Etats parties à la convention de Vienne qui subordonnent l’établissement de locaux diplomatiques d’Etats étrangers sur leur territoire à un système de contrôle et d’acceptation de leur part92, et la Guinée équatoriale elle-même a évoqué ces cas93. Il n’est pas nécessaire d’y revenir, si ce n’est pour souligner que de telles pratiques, à la connaissance de la France, n’ont jamais  j’y insiste, jamais  été contestées au regard de la convention. Elles corroborent la possibilité pour l’Etat accréditaire d’exercer un droit de regard sur la désignation des locaux effectuée par l’Etat accréditant, ne serait-ce que pour vérifier que les conditions permettant de garantir l’inviolabilité de l’immeuble considéré sont réunies en fait comme en droit.
21. Ces pratiques nationales apportent un démenti clair à la thèse «déclarative» ou à celle de la «désignation» échafaudées par la Guinée équatoriale. Les modalités  variables  du consentement importent moins que la nécessité de celui-ci. Je me permets de citer une nouvelle fois Mme Denza :
«In States where no specific domestic legal framework controls the acquisition or disposal of mission premises, the definition of Article 1 (i) falls to be applied by agreement between sending and receiving State.»94
22. La France a agi sans aucune ambiguïté en l’espèce. Dès le 11 octobre 2011, sept jours seulement après avoir reçu la première notification de la prétendue affectation diplomatique de l’immeuble du 42 avenue Foch, elle a signifié à la Guinée équatoriale qu’elle ne pouvait accepter cette désignation95. Elle n’a jamais varié depuis lors96. Le comportement des autorités françaises en
92 Voir EPF, p. 69, par. 164 ; CMF, p. 40-45, par. 3.16-3.18.
93 Voir notamment MGE, p. 146-147, par. 8.42 ; RGE, p. 34-36, par. 2.25-2.30.
94 E. Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4e éd., 2016, p. 17.
95 Note verbale no°5007 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 11 octobre 2011 (annexe 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires).
96 Voir note verbale no°5393 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 31 octobre 2011 (annexe 4 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires) ; note verbale no°802 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 20 février 2012 (annexe 12 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires) ; note verbale no°1341 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 28 mars 2012 (annexe 18 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires) ; note verbale no 158/865 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 2 mars 2017 (CMF, annexe 7).
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l’espèce n’a donc à aucun moment pu créer une situation «d’incertitude et de précarité»97 comme cela a été allégué hier. Il n’a pas davantage eu un caractère «arbitraire et contraire»98 à la convention. S’il est d’ailleurs un comportement «arbitraire et contraire» à l’esprit de la convention, c’est bien celui qui consiste à vouloir imposer à l’Etat accréditaire un régime d’inviolabilité visant uniquement à préserver un immeuble donné d’une procédure pénale dont la Guinée équatoriale était parfaitement informée.
23. Contrairement à ce que la Guinée équatoriale veut faire croire, la pratique suivie par la France est ancienne et constante. La Partie demanderesse ne pouvait l’ignorer en 2011 puisque le service du protocole la lui avait déjà signifiée en 2002, en réaction à la demande d’exonération des droits d’enregistrement relatifs à l’acquisition des locaux du 29 boulevard de Courcelles. Le service du protocole avait alors rappelé que «le caractère officiel de ces locaux [avait] été reconnu à compter du 29 mars 2001»99, tout en soulignant que «l’exonération pourrait être remise en cause si l’engagement d’affectation des locaux n’était pas respecté». Cette même pratique a encore récemment été appliquée à d’autres Etats accréditants sur le sol français, comme en témoignent les exemples donnés dans le contre-mémoire100.
24. La France était donc parfaitement dans son droit, lorsqu’elle a signifié à la Guinée équatoriale  dans un délai plus que raisonnable  qu’elle ne pouvait faire suite à sa demande visant à étendre à l’immeuble du 42 avenue Foch le bénéfice de l’inviolabilité diplomatique. Les termes de la note verbale du 11 octobre 2011 méritent d’être lus encore une fois, même s’ils sont désormais bien connus ; le passage pertinent se lit comme suit :
«Le Protocole rappelle que l’immeuble [sis 42 avenue Foch] ne fait pas partie des locaux relevant de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale. Il relève du domaine privé et, de ce fait, du droit commun. Le Protocole est donc au regret de ne pouvoir faire droit à la demande de l’ambassade.»101
97 CR 2020/1, p. 39, par. 37 (Kamto).
98 RGE, p. 48, par. 2.66.
99 Note verbale no 3227 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 28 juin 2012 (CMF, annexe 1).
100 Voir CMF, p. 61-62, par. 3.47.
101 Note verbale no°5007 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 11 octobre 2011 (les italiques sont de nous) (annexe 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires).
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Hier, la Guinée équatoriale a fait plusieurs fois référence à cette mention du domaine privé, qu’elle a présentée comme un «mantra»102, lequel serait «patently false»103. Elle considère que cette mention constitue le «fondement erroné»104 de la réponse du protocole et des perquisitions de février 2012. Mais il ne s’agit pas ici d’un fondement, au sens juridique du terme : l’appartenance au domaine privé est à l’inverse la conséquence de l’absence de statut diplomatique. Et cette mention n’a rien, non plus, qui soit erroné. Ce qui l’est assurément est d’entretenir une confusion entre propriété privée et domaine privé, comme la Guinée équatoriale l’a fait dans sa réplique105 et encore hier106. Dans son sens ordinaire, la référence au «domaine privé» se rapporte à la seule considération ici pertinente : celle de savoir si l’immeuble est utilisé à titre privé et doit, dès lors, continuer de relever du droit commun ou s’il fait l’objet d’un usage à des fins diplomatiques. La propriété, publique ou privée, de l’immeuble est indifférente à cet égard.
25. En conclusion sur ce premier point, la Guinée équatoriale n’avait aucun droit d’imposer unilatéralement à la France, par l’effet d’une notification impromptue, de reconnaître le caractère soi-disant diplomatique de l’immeuble du 42 avenue Foch. Pour des raisons qu’elle a explicitées à plusieurs reprises, la France a refusé expressément de procéder à cette reconnaissance. L’immeuble du 42 avenue Foch n’a donc jamais eu de statut diplomatique et n’est pas couvert par le régime d’inviolabilité de l’article 22 de la convention. A elle seule, cette conclusion suffit à écarter l’ensemble des griefs que la Guinée équatoriale fait à la France sur le fondement de la convention de Vienne.
II. La Guinée équatoriale n’est pas, en tout état de cause, en droit d’imposer à la France de reconnaître le caractère diplomatique d’un immeuble qu’elle n’utilisait pas aux fins de sa mission
26. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, dans les circonstances très particulières de la présente espèce  circonstances dont le professeur Pellet rappellera tout à l’heure qu’elles trahissent le comportement manifestement abusif de la Guinée équatoriale  il
102 CR 2020/1, p. 12, par. 8-9 (Nvono Nca).
103 Ibid.
104 Ibid., p. 43, par. 50 (Kamto).
105 RGE, p. 60, par. 3.24. Voir aussi ibid., p. 15, par. 1.16.
106 CR 2020/1, p. 20, par. 14 (Wood).
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n’est sans doute pas inutile de poursuivre brièvement la réflexion, ce qui fera l’objet du second point de ma présentation ce matin. Qu’en irait-il si la thèse «déclarative»  ou, si l’on veut, celle de la «désignation»  avancée par la Guinée équatoriale était fondée ? Plus précisément, à quelles conditions la notification du caractère diplomatique de l’immeuble du 42 avenue Foch aurait-elle été opposable à la France, si le consentement de celle-ci n’était pas nécessaire ? Il s’agit bien évidemment d’une pure hypothèse mais elle n’a rien d’anodin. Si la notification était opposable sans aucune condition  et dès lors que la propriété de l’immeuble n’a pas d’importance au regard de la convention de Vienne  un Etat accréditant pourrait à tout moment annoncer s’établir n’importe où, sans que l’Etat accréditaire ne puisse rien y redire !
27. La réponse à cette question se trouve à l’article premier, alinéa i), de la convention, que je me permets donc de projeter de nouveau :
«L’expression «locaux de la mission» s’entend des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission.»
28. Les termes employés sont clairs et ne souffrent d’aucune ambiguïté : sont uniquement visés les bâtiments «utilisés» aux fins de la mission, non pas «désignés» ou «choisis». Le sens ordinaire de ce verbe est clair. Peut-être pourrait-on objecter que le terme «utilisés» a parfois un sens large et indéterminé en français. Mais c’est bien son sens premier qui est ici visé, tel qu’il est défini dans le Dictionnaire de la langue française  celui de «[r]endre utile[s], faire servir à une fin précise»107 ; la version anglaise le confirme encore en retenant spécifiquement le verbe «used», plutôt que «designated» ou «notified». Dès lors, pour que l’hôtel particulier du 42 avenue Foch puisse être considéré comme faisant partie des «locaux de la mission» de la Guinée équatoriale à Paris, il aurait fallu qu’il soit, au moment de la notification  et à supposer même que celle-ci ne soit pas soumise au consentement de l’Etat accréditaire  effectivement assigné aux fonctions assumées par les missions diplomatiques, telles que celles-ci sont décrites à l’article 3, paragraphe premier, de la convention.
29. L’affectation réelle d’un immeuble à une fonction diplomatique conditionne ainsi son statut et le régime d’inviolabilité qui y est associé. La France, comme elle l’a rappelé dans ses
107 Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire de la langue française, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1994, p. 2348.
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écritures108, suit cette pratique avec constance depuis fort longtemps. En l’occurrence, l’immeuble du 42 avenue Foch ne pouvait manifestement pas être considéré comme étant affecté aux fonctions de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France lorsqu’il a fait l’objet des mesures de perquisitions et de saisie évoquées dans la requête. Paradoxalement, ce constat peut être fait sur la base des notes verbales que l’ambassade de Guinée équatoriale a elle-même adressées au service du protocole dans la période considérée, et ce, même si l’on retenait une conception souple du critère de l’«affectation réelle», incluant par exemple des travaux d’aménagement concrets et documentés. Les circonstances  pour le moins chaotiques  dans lesquelles la Guinée équatoriale a prétendu que l’immeuble du 42 avenue Foch faisait partie des locaux de sa mission sont connues109. Je n’en rappelle ici que les éléments les plus saillants :
 dans la note verbale du 4 octobre 2011, l’ambassade de Guinée équatoriale indique qu’elle
«dispose depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 avenue Foch, qu’elle utilise pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission sans qu’elle ne l’ait formalisé expressément auprès [du service du protocole] jusqu’à ce jour»110 ;
 ces termes sont directement contredits par ceux que la mission équato-guinéenne emploiera le 27 juillet 2012 dans une note verbale passée sous silence hier, pour signifier que «[l]es services de l’Ambassade sont, à partir du 27 juillet 2012, installés à l’adresse sise 42 Avenue Foch, immeuble qu’elle utilise désormais pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission diplomatique»111 ;
 entre-temps, le 15 février 2012, la Guinée équatoriale avait sollicité une protection policière pour des officiels en provenance de Malabo et «souhait[ant] se rendre à la propriété du Gouvernement de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris»112 et non au siège de sa mission diplomatique. Il s’agissait  du moins selon ce que le demandeur a indiqué à votre
108 Voir notamment CMF, p. 51-52, par. 3.33-3.36.
109 Voir Observations de la République française sur la réponse de la Guinée équatoriale aux questions posées par M. le Juge Bennouna et Mme la Juge Donoghue, p. 5-8, par. 17-32 ; EPF, p. 13-15, par. 27 ; CR 2018/4, p. 13-15, par. 11-13 (Pellet).
110 Note verbale no 365/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère français des affaires étrangères, le 4 octobre 2011 (les italiques sont de nous) (annexe 1 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires).
111 Note verbale no 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère français des affaires étrangères, le 27 juillet 2012 (MGE, annexe 47) (les italiques sont de nous).
112 Note verbale no 185/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère français des affaires étrangères, le 15 février 2012 (annexe 9 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires) (les italiques sont de nous).
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Cour  de «superviser la préparation de l’occupation effective de l’immeuble acquis pour servir de locaux de la mission diplomatique»113. Autant dire qu’à cette date, il n’y avait ni affectation réelle ni même préparatifs concrets d’une telle affectation.
30. Il est dès lors facile de comprendre pourquoi le service du protocole a, dès le 11 octobre 2011, fait valoir que cet immeuble relevait en réalité «du domaine privé et du droit commun»114.
31. Contrairement à ce qu’allègue la Guinée équatoriale, il n’y a eu ici aucun traitement «discriminatoire»115. Hier, la Guinée équatoriale a semblé faire grand cas de cette question, en évoquant à plusieurs reprises l’article 47, paragraphe 1, de la convention, lequel prévoit qu’«[e]n appliquant les dispositions de la présente Convention, l’Etat accréditaire ne fera pas de discrimination entre les Etats». A dire vrai, il est difficile de saisir ce que le demandeur entend tirer de l’invocation de cette disposition. S’agit-il, comme l’a avancé le professeur Kamto116, d’une violation particulière de la convention de Vienne ? Mais ce serait alors une conclusion nouvelle, qui ne figurait ni dans la requête, ni dans le mémoire, ni dans la réplique de la Guinée équatoriale. Ou s’agit-il, comme l’a suggéré Sir Michael Wood117, d’un simple cadre contextuel d’interprétation des articles premier et 22 de la convention ? Mais alors, il faudrait à tout le moins que la Guinée équatoriale apporte des preuves à l’appui des graves accusations qu’elle profère.
32. Elle n’en fournit aucune. Et comment le pourrait-elle d’ailleurs ? Pour prouver l’existence d’un traitement discriminatoire dans la mise en oeuvre des articles premier et 22, il faudrait montrer que la France, confrontée à une revendication équivalente à celle de la Guinée équatoriale, y aurait répondu d’une façon différente et sans que cette différence puisse être justifiée en droit. En réalité, comme l’a souligné M. Alabrune, aucun Etat accréditant ne s’est jamais comporté en France comme la Guinée équatoriale l’a fait à la suite des perquisitions des 28 septembre et 3 octobre 2011, en posant précipitamment des affichettes pour exiger le bénéfice immédiat du régime d’inviolabilité de la convention, en passant outre ensuite au refus opposé par la
113 ReGE, p. 9, par. 28 (les italiques sont de nous).
114 Note verbale no 5007 du ministère français des affaires étrangères adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 11 octobre 2011 (annexe 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires).
115 RGE, p. 49, par. 2.68.
116 CR 2020/1, p. 45 (Kamto).
117 Ibid., p. 16, par. 5 (Wood).
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France, et ce, alors même que le demandeur savait pertinemment que l’immeuble du 42 avenue Foch était affecté à des fins privées et faisait l’objet de mesures pénales. Cette dernière circonstance est essentielle : en tant qu’Etat accréditaire, ayant donc la responsabilité d’assurer l’inviolabilité des locaux des missions diplomatiques présentes sur son territoire, la France n’aurait jamais pu accepter  et a, en l’occurrence, toujours refusé  qu’un immeuble soumis à une procédure pénale puisse en être soustrait grâce au secours artificiel de la convention de Vienne. Ce régime d’inviolabilité diplomatique, l’immeuble du 42 avenue Foch n’a pu à aucun moment en bénéficier.
33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie de l’attention que vous avez bien voulu me prêter. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre Mme Grange, qui poursuivra la présentation des arguments de la France, à moins que vous ne jugiez opportun de faire une pause maintenant.
Le PRESIDENT : Je remercie Monsieur le professeur Bodeau-Livinec pour son exposé et avant d’inviter l’intervenant suivant à la barre, la Cour observera une pause de 15 minutes. L’audience est suspendue.
L’audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 45.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend. Je donne maintenant la parole à Mme Marilyne Grange. Vous avez la parole, Madame.
Mme GRANGE :
L’ABSENCE DE VIOLATION PAR LA FRANCE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION DE VIENNE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est un grand honneur pour moi de paraître aujourd’hui devant votre Cour pour défendre la République française.
2. Mon collègue, le professeur Bodeau-Livinec, vient de démontrer que le régime d’inviolabilité prévu par la convention de Vienne ne peut pas être appliqué à l’immeuble du 42 avenue Foch dans la mesure où il ne peut être considéré comme faisant partie des locaux de la
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mission diplomatique de la Guinée équatoriale à Paris. Il m’appartient à présent de rappeler que, en tout état de cause et contrairement à ce qu’affirme la Guinée équatoriale, la France n’a violé aucune des obligations qui lui incombent au regard de la Guinée équatoriale au titre de l’article 22 de la convention.
3. Les allégations précises de la Guinée équatoriale à cet égard ont beaucoup fluctué au cours de la procédure. Néanmoins, comme l’a rappelé le professeur Forteau, une évolution notable et positive est apparue dans la réplique, et n’a pas été remise en cause hier.
4. Le demandeur admet désormais que ce ne sont que «les mesures contraires à l’article 22 … prises par les autorités françaises contre l’immeuble après [le 4 octobre 2011 qui] engagent la responsabilité internationale de la France»118. Il exclut donc lui-même de l’objet du différend que votre Cour est amenée à trancher les faits antérieurs à cette date. Il n’est donc plus question de contester la présence des autorités policières et judiciaires françaises dans ledit immeuble aux fins de la perquisition du 28 septembre et du 3 octobre 2011119, perquisition réalisée dans le cadre des procédures pénales engagées contre M. Nguema Obiang Mangue.
5. Dès lors, les seuls actes encore reprochés à la France au regard de l’article 22 de la convention sont la perquisition du 14 au 23 février 2012, la saisie pénale immobilière du 19 juillet 2012 et la confiscation de l’immeuble dont M. Nguema Obiang Mangue est propriétaire, prononcée le 27 octobre 2017 et confirmée en appel le 10 février 2020, à titre de sanction pénale. Aucun autre fait concret n’a été avancé par la Guinée équatoriale comme élément susceptible de constituer une violation de l’article 22. Or il apparaît qu’aucun de ces événements ne peut être considéré comme une méconnaissance par la France de ses obligations.
6. L’article 22 est une disposition cardinale de la convention de Vienne. Comme l’ensemble des privilèges et immunités reconnus par cette convention, son but «est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des Etats»120. Le professeur Pellet montrera tout à l’heure combien ce rappel,
118 RGE, p. 7, par. 0.25.
119 Voir MGE, p. 133-134, par. 8.14.
120 Alinéa 4 du préambule de la convention de Vienne.
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essentiel, dans le préambule de la convention, a été bafoué par les revendications abusives de la Guinée équatoriale.
7. Il me semble ici nécessaire de rappeler, de façon plus générale, que cet article doit être lu à la lumière de l’objet de la convention. Or, cela a été maintes fois répété, les privilèges et immunités sont reconnus aux locaux et aux biens de la mission diplomatique pour le seul motif qu’ils sont utilisés pour l’accomplissement des fonctions diplomatiques et non pour protéger d’une procédure judiciaire engagée contre un individu n’importe quel local, bien ou véhicule.
8. Pour ma part, je m’attacherai simplement à montrer qu’aucune des obligations prévues aux trois paragraphes de l’article 22 n’a été méconnue par la France du fait des événements dont se plaint la Guinée équatoriale.
9. Je commencerai par le paragraphe premier de l’article 22, qui se lit comme suit : «Les locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de l’Etat accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission.»
10. Cette obligation ne concerne évidemment que les locaux reconnus comme tels par l’Etat accréditaire et utilisés aux fins de la mission qui, seuls, sont des «locaux de la mission»121. Or, d’une part, la France a de manière constante refusé de reconnaître que le 42 avenue Foch pouvait bénéficier du statut diplomatique. D’autre part, les constats effectués lors de la perquisition menée du 14 au 23 février 2012 au 42 avenue Foch sont dépourvus de toute ambiguïté.
11. Il en ressort que M. Nguema Obiang Mangue avait la
«libre disposition de ce bien immobilier. … [A]ucun document officiel concernant l’Etat de Guinée équatoriale ou permettant de penser que cet immeuble pouvait servir comme lieu de représentation officielle n’a été découvert. Les constatations ont permis … de confirmer qu’il était bien l’occupant des lieux.»122
Aucune utilisation diplomatique n’était faite du 42 avenue Foch, ce que la Guinée équatoriale reconnaît par sa note verbale du 27 juillet 2012123. L’immeuble n’avait donc pas droit à une protection au titre de la convention de Vienne. Dès lors, il ne peut être valablement reproché à la France une quelconque intrusion irrégulière dans cet immeuble.
121 Art. 22, par. 1.
122 Jugement de la 32e chambre du Tribunal correctionnel de Paris, 27 octobre 2017, p. 31.
123 Voir note verbale no 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère français des affaires étrangères, le 27 juillet 2012 (MGE, annexe 47) : c’est à partir de cette date que ses services diplomatiques sont «désormais» installés au 42 avenue Foch.
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12. Les dispositions du paragraphe 3 de l’article 22 n’ont pas davantage été méconnues lors des événements litigieux. Celui-ci se lit comme suit :
«Les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution.»
13. A cet égard, il convient de rappeler que les seuls biens meubles saisis à l’occasion de la perquisition de février 2012 étaient à l’usage strictement personnel de l’occupant d’alors. Il suffit de relever que les «effets personnels [saisis], tous de même taille (54, pointure 43), portaient, pour certains d’entre eux, en filigrane le nom de Teodoro Nguema Obiang ou les initiales TNO»124.
14. Par ailleurs, la France n’a pas davantage méconnu cet article eu égard à la saisie pénale contestée par la Guinée équatoriale. Cette saisie vise, je le rappelle, l’immeuble du 42 avenue Foch en tant que bien appartenant à M. Nguema Obiang Mangue par le biais de sociétés suisses. Deux points méritent ici d’être précisés.
15. D’une part, il ne peut être valablement allégué qu’il y ait eu saisie illicite dans la mesure où, au moment de cette saisie en date du 19 juillet 2012, l’immeuble du 42 avenue Foch n’était pas affecté aux fins de la mission. Contrairement à ce qui a été dit hier125, cet immeuble n’était pas utilisé, à cette date, aux fins de la mission de la Guinée équatoriale. Cette dernière l’admet en déclarant, le 27 juillet 2012, que «désormais»126 les services de son ambassade sont installés au 42 avenue Foch. Au 19 juillet 2012, l’immeuble du 42 avenue Foch ne bénéficiait donc pas d’une quelconque protection diplomatique empêchant une telle saisie.
16. D’autre part, je rappelle qu’une saisie pénale vise principalement à rendre impossible la vente d’un bien jusqu’à ce qu’il soit statué définitivement sur le sort de ce bien127. Une telle mesure n’empêche pas l’utilisation des locaux visés. La Guinée équatoriale en a d’ailleurs bénéficié après le mois de juillet 2012. A ce jour, compte tenu des recours intentés suspendant la confiscation, la saisie pénale demeure la seule mesure qui vise l’immeuble du 42 avenue Foch. Les mesures conservatoires indiquées par la Cour en 2016 ne sont ainsi pas méconnues.
124 Jugement de la 32e chambre du Tribunal correctionnel de Paris, 27 octobre 2017, p. 32.
125 CR 2020/1, p. 28, par. 10 (Evuy).
126 Note verbale no 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère français des affaires étrangères, le 27 juillet 2012 (MGE, annexe 47).
127 Voir article 706-145 du code de procédure pénale français.
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17. Quant à la mesure de confiscation contestée hier128, prononcée au titre de sanction pénale à l’encontre de M. Obiang, il faut rappeler qu’elle emporte le transfert du titre de propriété de l’immeuble. Or la question de la propriété est distincte de la protection qui peut être conférée à des locaux, puisque cette protection s’applique que l’occupant en soit ou non le propriétaire. Il en résulte que ni les dispositions du paragraphe 3 de l’article 22 de la convention de Vienne, ni les mesures conservatoires indiquées par la Cour, n’ont été méconnues par la France à l’égard de la Guinée équatoriale.
18. Il en va de même en ce qui concerne, enfin, l’article 22, paragraphe 2, dont la Guinée équatoriale a aussi évoqué la violation éventuelle, quoique de manière plus récente et allusive. Le texte de cette disposition se lit comme suit :
«L’Etat accréditaire a l’obligation spéciale de prendre toutes [les] mesures appropriées afin d’empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou endommagés, la paix de la mission troublée ou sa dignité amoindrie.»
Selon la Guinée équatoriale, «la paix de la mission s’est vue troublée du fait des perquisitions, de la saisie pénale en 2012»129, et, nous a-t-elle dit hier130, de la confiscation, lesquelles auraient également «amoindri la dignité de la mission»131. La Guinée équatoriale ajoutait dans sa réplique que ces mesures auraient créé «une situation d’insécurité qui entrave[rait] le bon fonctionnement de [s]a mission»132.
19. Aucun élément concret n’est venu étayer ces accusations. Les autorités françaises n’ont reçu aucune sollicitation de la Guinée équatoriale relative à une quelconque difficulté d’accès, de déménagement ou une situation d’insécurité concernant l’immeuble du 42 avenue Foch. De toute manière, comment les perquisitions et la saisie pénale immobilière auraient-elles pu troubler la paix de la «mission», alors qu’elles sont intervenues avant même l’installation évoquée dans cette note du 27 juillet 2012133 ?
128 CR 2020/1, p. 22, par. 7 (Tchikaya).
129 RGE, p. 50, par. 2.52.
130 CR 2020/1, p. 45, par. 53 (Kamto).
131 RGE, p. 50, par. 2.52.
132 Ibid., par. 2.54.
133 Voir note verbale no 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère français des affaires étrangères, le 27 juillet 2012 (MGE, annexe 47).
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20. Et, à supposer que ce déménagement ait effectivement eu lieu à cette date, il a été opéré à un moment où la Guinée équatoriale avait parfaitement connaissance des procédures pénales lancées contre M. Nguema Obiang Mangue et de leurs répercussions sur l’immeuble concerné. Depuis lors, les autorités françaises n’ont jamais été informées que la paix de cette prétendue «mission» ait pu être troublée de quelque façon que ce soit.
21. Quant à la confiscation pénale contestée hier, je souhaite apporter la correction suivante : l’exécution de la confiscation n’est pas réalisée à ce jour ; elle n’est pas imminente ni prévue à ce stade. La question est, en tout état de cause, et comme l’a relevé Me Tchikaya134, suspendue au moins pour une année en attente de décision de la Cour de cassation. Le professeur Ascensio rappellera tout à l’heure pour quelles raisons il est impossible d’engager la responsabilité d’un Etat pour un préjudice seulement éventuel.
22. Deux conclusions peuvent être retenues de l’examen qui précède :
 premièrement, aucune violation de l’article 22 de la convention ne peut être valablement alléguée pour des faits antérieurs au 27 juillet 2012, date à partir de laquelle la Guinée équatoriale a indiqué qu’elle utilisait «désormais» l’immeuble du 42 avenue Foch aux fins de sa mission. Quoi qu’il en soit de la véracité de cette assertion, tous les faits litigieux évoqués précèdent cette date. Ils ne peuvent donc pas être appréciés au regard d’un régime d’inviolabilité diplomatique qui leur était, en tout état de cause, inapplicable ;
 en second lieu — et je n’évoque cette hypothèse que pour être complète —, à supposer même que le statut du 42 avenue Foch ait pu évoluer à partir du 27 juillet 2012, la Guinée équatoriale n’a fait état d’aucun acte de procédure pris à son encontre qui aurait pu constituer, depuis lors, une quelconque violation par la France de ses obligations au titre de l’article 22.
23. Ainsi, la France n’a pu méconnaître la convention de Vienne à l’égard de la Guinée équatoriale. Le professeur Bodeau-Livinec a démontré que l’immeuble du 42 avenue Foch ne peut être considéré comme faisant partie des locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale à Paris et ne peut donc pas bénéficier d’un régime d’inviolabilité. Si, par extraordinaire, vous en
134 CR 2020/1, p. 22, par. 7 (Tchikaya).
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décidiez autrement, il vous appartiendrait alors de reconnaître que, en tout état de cause, le régime de l’article 22 de la convention n’a pas été méconnu.
24. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie de l’attention que vous avez bien voulu m’accorder. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre le professeur Pellet, qui poursuivra la présentation des arguments de la France.
Le PRESIDENT : Je remercie Mme Grange. J’invite à présent le professeur Alain Pellet à prendre la parole. Vous avez la parole, Monsieur.
M. PELLET : Merci beaucoup, Monsieur le président.
L’ABUS DE DROIT COMMIS PAR LA GUINÉE ÉQUATORIALE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, au paragraphe 151 de votre arrêt du 6 juin 2018 sur les exceptions préliminaires, vous avez considéré que,
«[e]n ce qui concerne l’abus de droit invoqué par la France, il reviendra à chacune des Parties d’établir les faits ainsi que les moyens de droit qu’elle entend faire prévaloir au stade du fond de l’affaire»
et vous vous êtes déclarés d’avis «que l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire». Et vous avez ajouté : «Tout argument relatif à un abus de droit sera examiné au stade du fond de la présente affaire.»135
2. Les faits, tels qu’ils ont été relatés tout à l’heure par Mathias Forteau renvoient inévitablement à ce paragraphe et établissent, dans leur sèche objectivité, que la tentative de «transformation» du 42 avenue Foch en «locaux de la mission», puis en «résidence» de la représentante permanente de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO et enfin en «ambassade» a eu pour seul objectif de faire échapper cet immeuble aux conséquences des poursuites engagées contre son propriétaire, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue.
3. Nous continuons de penser que, comme l’ont excellemment montré Pierre Bodeau-Livinec et Maryline Grange, la Guinée équatoriale n’avait aucun droit à établir son ambassade dans
135 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 337, par. 151.
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l’immeuble du 42 avenue Foch en l’absence d’acceptation par la France. Je ne reviens136 donc sur l’abus de droit qu’à titre subsidiaire dans l’hypothèse où vous conserveriez un doute sur la faculté qu’avait la France de s’opposer à cette métamorphose opérée dans des circonstances dans lesquelles elle était pleinement en droit de s’opposer aux prétentions de la Guinée équatoriale. Sur ce point, nous sommes en plein accord avec Sir Michael137 : pour qu’il y ait abus, il faut qu’il y ait droit. Cela étant, il est légitime, fréquent et admis par la Cour (comme par toutes les juridictions internationales  et nationales, je crois) qu’une partie peut, tout à fait légitimement, avancer des arguments alternatifs à titre subsidiaire sans pour autant renier sa thèse principale.
4. Au demeurant, je relève que, de toute manière, l’attitude contestable de la Guinée équatoriale constitue la toile de fond de toute notre affaire et que les changements erratiques de position de l’Etat requérant témoignent de l’embarras de nos contradicteurs à cet égard. Et ceci, que ce soit pendant les mois durant lesquels s’est noué le différend (entre septembre 2011 et juillet 2012), que ce soit dans les périodes qui ont précédé comme dans celles qui ont suivi ou, à nouveau, dans le courant de la procédure devant cette Cour.
5. Nous avons, Monsieur le président, préparé deux tableaux qui portent respectivement les numéros 19 et 20 dans vos dossiers de plaidoiries et qui mettent en évidence l’abus de droit que nous dénonçons.
6. Le premier de ces tableaux, purement chronologique, met en parallèle, d’une part, les progrès de l’enquête judiciaire française sur les faits reprochés à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et, d’autre part, le statut allégué du 42 avenue Foch, sur lequel l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 février, invoqué par les conseils de la Guinée équatoriale hier138, jette un éclairage particulièrement utile. Cette décision établit en effet, avec force détails, que cette propriété était, de 1996 à la fin de l’année 2011 ou au début de 2012, un «lieu de simple résidence privée [de M. Nguema Obiang Mangue] que celui-ci avait spécialement fait aménager à cette unique fin»139.
136 Voir CR 2016/15, p. 23-32 (Pellet) ; EPF, p. 27-40 ; CR 2018/2, p. 44-60 (Pellet) ; DF, p. 38-52.
137 CR 2020/1, p. 49, par. 3 (Wood).
138 Voir CR 2020/1, p. 21, par. 4 (Tchikaya) ; p. 43, par. 49, p. 44, par. 52 (Kamto).
139 Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 février 2020, p. 41 ; voir aussi p. 64.
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Le second de nos tableaux synthétise les différentes explications successivement avancées par la Guinée équatoriale en vue de justifier  ou d’essayer de justifier  l’évolution de ce statut.
7. Nos contradicteurs insistent sur l’importance de la chronologie des faits dans cette affaire140. Ils ont raison. Mais ils confinent la période pertinente à une durée par trop courte  tant en ce qui concerne son point de départ que son aboutissement. Le tableau qu’ils avaient inclus à la première page de leur dossier de plaidoirie, intitulé «Timeline», est à la fois excessivement sommaire et bien trop limité dans le temps.
8. Les premières saisies de véhicules appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ont lieu entre le 28 septembre et le 3 octobre 2011. Mais ce n’est pas le début de l’histoire. En réalité, celle-ci commence largement en amont, lorsque, comme cela est rappelé dans le tableau 1, l’association Transparency International France a porté plainte contre un certain nombre de dirigeants étrangers et leurs entourages, notamment contre «M. Téodore Obiang et sa famille»141. Le 9 novembre 2010, cette plainte a été jugée recevable par la Cour de cassation142. Comme l’a relevé Mathias Forteau, ces épisodes ont été largement commentés dans la presse143 et ne pouvaient avoir échappé à l’attention ni de M. Teodoro Obiang Mangue, ni, plus généralement, à celle des autorités équato-guinéennes. Dès lors, la cession des parts sociales détenues entièrement jusqu’alors par M. Nguema Obiang Mangue dans quatre sociétés suisses (pourquoi quatre ?), ces parts détenues, donc, exclusivement par lui dans ces quatre sociétés jusqu’au 15 septembre 2011, cette cession apparaît sous son jour véritable : la menace d’une procédure pénale se précisant, il était prudent de mettre le «logement» acquis «en tant que jeune» à l’abri d’une probable confiscation.
9. Comme l’a relevé le tout récent arrêt de la Cour d’appel de Paris,
140 CR 2020/1, p. 14, par. 15 (Nvono Nca) ; p. 18, par. 12 (Wood) ; p. 23, par. 10 (Tchikaya) ; p. 26, par. 3 (Evuy).
141 Jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 27 octobre 2017, p. 14.
142 Ibid., p. 15.
143 Voir, par exemple, Libération, «Avenue Foch, la folie cachée du fils Obiang», 28 juillet 2011 (disponible à l’adresse suivante : https://www.liberation.fr/planete/2011/07/28/avenue-foch-la-folie-cache…) ; Le Figaro, «L’enquête sur les biens mal acquis relancée», 9 novembre 2010 (disponible à l’adresse suivante : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/11/09/01016-20101109ARTFI…) ; Le Monde, «Les «biens mal acquis» africains gênent la France», 10 juin 2011 (disponible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/06/09/les-biens-mal-acquis-… 1533874_3212.html).
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«ce n’est qu’à la fin de 1’année 2011 que N Guema Obiang Mangue a fait le choix d’apparaître dans un acte relatif à l’immeuble du 40-42 de l’avenue Foch à Paris alors qu’il en était le propriétaire occulte depuis le 20 décembre 2004».
Et d’ajouter au sujet de la déclaration de cession de plus-values que cet acte «est en réalité la conséquence induite par la «cession» de ce bien à 1’Etat de [la] Guinée équatoriale qui, à compter du mois d’octobre 2011, a initié une démarche tendant à voir reconnaître le bénéfice de l’immunité à ces locaux»  étant précisé que ceux-ci «n’avaient jusqu’à cette date été affectés qu’au seul confort et bien-être du fils du président de 1’Etat de Guinée équatoriale»144.
10. Dans ses plaidoiries d’hier, la Guinée équatoriale a fait un certain cas du délai de 13 jours qui s’est écoulé entre la convention de cession des parts sociales (le 15 septembre 2011) et la perquisition du 28 septembre. Il est audacieux de présenter la première de ces dates comme étant «bien antérieure à celle des premières mesures de contrainte prises contre l’immeuble en cause par les autorités judiciaires et policières françaises»145. Il l’est plus encore de présenter cette cession de parts sociales  dans des sociétés étrangères (suisses, en l’occurrence)  comme ayant opéré un transfert de propriété de l’immeuble du 42 avenue Foch opposable à la France. Aussi longtemps que le changement de propriétaire n’est pas enregistré, l’acte d’acquisition, de vente ou de transmission d’un bien immobilier n’est pas opposable aux tiers. Il appartient en effet aux offices notariaux de procéder à la transmission du titre de propriété au service de publicité foncière dont dépend le bien, selon sa situation géographique. Une telle démarche permet seule, notamment à l’acquéreur, de s’assurer qu’aucune hypothèque ne grève le bien, que le vendeur en est le propriétaire, ou encore que le bien ne fait pas l’objet d’une saisie pénale. Ni le 28 juillet ni le 4 octobre 2011 cette formalité essentielle n’avait été effectuée  elle ne l’est d’ailleurs toujours pas, comme l’a reconnu la Guinée équatoriale dans sa réponse au juge Bennouna à l’issue des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires, en raison de la saisie pénale immobilière réalisée sur l’immeuble146.
11. Comme le relèvent les juges d’appel dans l’arrêt du 10 de ce mois,
«la qualité de propriétaire de M. Nguema Obiang Mangue des constructions du 40-42 de 1’avenue Foch n’a pas été contestée devant la Cour [d’appel]. L’un de ses
144 Arrêt de la Cour d’appel de Paris, 10 février 2020, p. 62.
145 CR 2020/1, p. 24, par. 18 (Tchikaya) ; voir aussi ibid., par. 16.
146 ReGE, p. 4, par. 16.
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conseils a, notamment, dans sa plaidoirie, affirmé qu’en ayant effectué à la fin de l’année 2011 la déclaration de plus-values de cet ensemble immobilier, son client [M. Nguema Obiang Mangue] s’était comporté comme le propriétaire déclaré de ce bien immobilier, sans dissimulation aucune.»147
12. Je note, au surplus, que, très curieusement, l’impôt sur la plus-value résultant de cette cession  que tout vendeur de bien immobilier doit acquitter si celui-ci est vendu au-dessus de sa valeur d’acquisition148  a, aux dires de Me Tchikaya149, été réglé non pas par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue mais par la Guinée équatoriale elle-même. Le règlement par l’acheteur des impôts dus par le vendeur au titre des plus-values représente un autre indice probant de la confusion des genres entre la Guinée équatoriale et la situation de M. Nguema Obiang Mangue. C’est en effet, et en toute logique, à la personne qui réalise une plus-value de s’acquitter d’un tel impôt.
13. La Guinée équatoriale tente d’utiliser la cession de parts sociales du 15 septembre 2011 pour s’exonérer de l’abus du droit qu’elle invoque d’installer (et de maintenir) sa mission diplomatique au 42 avenue Foch. En réalité, cet épisode participe de la mécanique qui est, précisément, constitutive de cet abus.
14. Monsieur le président, je continue ma présentation chronologique  en me fondant cette fois davantage sur le tableau no 2, sous l’onglet no 20 de vos dossiers de plaidoiries :
 Au premier jour des saisies, le 28 septembre 2011, l’ambassadeur de Guinée équatoriale à Paris adresse au ministre français des affaires étrangères une lettre lui faisant part de «la plus vive protestation [de son pays] face aux atteintes caractérisées à sa souveraineté qui se déroulent en ce moment, sous couvert d’une instruction judiciaire» et condamnant
«tout particulièrement les opérations de perquisitions et de saisies ciblées sur la personne de son Ministre de l’Agriculture, Ministre d’État... Les principes les plus élémentaires s’opposent, en effet, à ce que des juridictions pénales françaises connaissent d’une plainte d’une association relative à des faits allégués de blanchiment et de recel de détournements de fonds publics étrangers.»150
147 Arrêt de la Cour d’appel de Paris, 10 février 2020, p. 31.
148 Voir articles 150 U à 150 VH du Code général des impôts : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle. do?idArticle=LEGIARTI000023380566&cidTexte=LEGITEXT000006069577.
149 CR 2020/1, p. 24, par. 20 (Tchikaya).
150 Lettre de l’ambassadeur de Guinée équatoriale en France à M. A. Juppé, ministre des affaires étrangères de la France, 28 septembre 2011 (MGE, annexe 32).
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La lettre développe ensuite cette position, sur neuf pages (!), sans jamais mentionner ni le fait que la Guinée équatoriale aurait acquis la propriété du 42 avenue Foch, ni qu’elle aurait antérieurement utilisé celle-ci pour l’accomplissement des fonctions de sa mission diplomatique, ni qu’elle envisagerait d’y transférer, imminemment (ni même à terme), les services de son ambassade à Paris et pas non plus que l’immeuble serait protégé en tant que locaux de sa mission diplomatique.
 Le 4 octobre, des affichettes improvisées sont collées sur la porte d’entrée de l’immeuble indiquant : «République de Guinée équatoriale  locaux de l’ambassade»151.
 Le même jour, par une note verbale adressée au service du protocole du ministère français des affaires étrangères, l’ambassade de Guinée équatoriale affirmait disposer «depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 Avenue Foch … qu’elle utilise pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique sans qu’elle ne l’ait formalisé expressément auprès de vos services jusqu’à ce jour»152. Dans sa plaidoirie d’hier, Me Evuy  dont j’espère ne pas trop écorcher le nom  s’est montré peu loquace au sujet des fonctions diplomatiques qui auraient été assurées au 42 avenue Foch : il s’est contenté d’affirmer que la Guinée équatoriale avait «déjà amplement répondu aux questions de la France à cet égard» (sans préciser où l’on pourrait trouver ces amples réponses) et qu’il «n’était pas nécessaire d’y revenir encore une fois»153. Puis-je suggérer que cela n’eût pas été complètement superflu ?
 Le 17 octobre (2011 toujours), nouvelle note verbale indiquant à la fois que «la direction de l’ambassade sera assurée par [la] Déléguée Permanente de la République de Guinée Equatoriale auprès de l’UNESCO» et que «la résidence officielle de [celle-ci] se trouve dans les locaux de la Mission Diplomatique située au 40-42, Avenue Foch, 75016, Paris, dont dispose la République de Guinée Equatoriale»154.
151 Demande en indication de mesures conservatoires, annexe 1, ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi partiel devant le Tribunal correctionnel, 5 septembre 2016, p. 16.
152 Note verbale de l’ambassade de Guinée équatoriale au ministère français des affaires étrangères et européennes, 4 octobre 2011 (requête, annexe 8).
153 CR 2020/1, p. 27, par. 5 (Evuy).
154 Note verbale de l’ambassade de République de Guinée équatoriale au ministère français des affaires étrangères, 17 octobre 2011 (documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, annexe 3).
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 Cette affectation supposée est à nouveau affirmée dans la lettre datée du 14 février 2012 que le président de la République de Guinée équatoriale a adressée à son homologue français155, sur laquelle je reviendrai dans un instant et elle est aussi, dans une note verbale du même jour, adressée cette fois au service du protocole de l’UNESCO. Cette effervescence diplomatique n’est assurément pas dépourvue de tout lien avec la perquisition et les saisies effectuées précisément ce jour-là au 42 avenue Foch.
 Cette effervescence se poursuit le lendemain, 15 février 2012, avec l’envoi de deux nouvelles notes verbales ; par la première une protection policière est sollicitée au bénéfice du ministre délégué aux affaires étrangères équato-guinéen et du secrétaire général du ministère qui, selon une formulation assez inhabituelle, «souhaitent se rendre à la propriété du Gouvernement de la Guinée Equatoriale au 42, avenue Foch à Paris»156.
 La seconde note verbale de ce même 15 février indique que
«la République de la Guinée Equatoriale a acquis un hôtel particulier au 42 Avenue Foch, il s’agit d’un immeuble qui appartient aujourd’hui au patrimoine de l’Etat de la Guinée Equatoriale en France. … Il s’agit donc des locaux inviolables conformément à la convention de Vienne. … L’obtention du titre de propriété en faveur de la Guinée Equatoriale est en cours…»157
Pour mémoire : ce titre n’a jamais été obtenu.
 Et pour clore cette séquence de nervosité diplomatique liée à la perquisition et aux saisies du 14 février 2012, le 16, le ministre des relations extérieures de Guinée équatoriale sollicite l’agrément des autorités françaises à la nomination de Mme Bindang Obiang (ancienne représentante auprès de l’UNESCO) comme ambassadrice de son pays en France, en indiquant dans le curriculum vitae joint que celle-ci réside non pas 42 avenue Foch mais «46 rue des Belles feuilles 75116 PARIS»158. Voici qui corrobore le fait  qui l’explique  que, au cours
155 Lettre du président de la République de Guinée équatoriale au président de la République française, 14 février 2012 (documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, annexe 5).
156 Note verbale de l’ambassade de Guinée équatoriale au ministère français des affaires étrangères en date du 15 février 2012 (no 185/12) (documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, annexe 9).
157 Note verbale de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale au ministère français des affaires étrangères, 15 février 2012 (documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, annexe 8).
158 Lettre du ministre des relations extérieures, de la coopération internationale et de la francophonie de la Guinée équatoriale au ministère français des affaires étrangères, 16 février 2012 (documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, annexe 11).
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de la perquisition du 14 février, les autorités judiciaires et policières ne rencontrèrent dans l’immeuble aucun membre de la délégation permanente de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO, pas davantage que de sa mission diplomatique à Paris, et ne trouvèrent aucun bien mobilier ou document appartenant ni à Mme Bindang Obiang, ni à la mission. Uniquement les effets personnels de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue159.
 Le 13 juillet 2012, les juges d’instruction français en charge du dossier émettent un mandat d’arrêt contre M. Nguema Obiang Mangue ; deux jours plus tard, le ministère des affaires étrangères équato-guinéen publie un communiqué aux termes duquel :
«Après la perquisition et la saisie réalisées dans les locaux diplomatiques de Paris en février dernier, en enfreignant la Convention de Vienne et les accords bilatéraux entre les deux pays, le droit international, qui confère l’immunité de juridiction totale aux plus hauts représentants des États, tel que l’observent régulièrement toutes les juridictions étrangères et surtout la Cour internationale de Justice, a été à nouveau gravement ignoré.»160
Aux plus hauts représentants des Etats : c’est donc bien au titre de l’immunité ratione personae dont, selon la Guinée équatoriale, aurait dû bénéficier M. Nguema Obiang Mangue, que celle-ci affirmait que l’immeuble disposait d’une protection et non pas en vertu de l’immunité maintenant alléguée de l’ambassade.
 Le 19 juillet 2012 la saisie pénale de l’immeuble est prononcée ; d’où une nouvelle période de fébrilité diplomatique se traduisant notamment par deux nouvelles notes verbales. Par l’une, du 27 juillet, l’ambassade équato-guinéenne à Paris informe le service du protocole du ministère français des affaires étrangères que
«les services de l’Ambassade sont, à partir d[u] vendredi 27 juillet 2012, installés à l’adresse sise : 42 Avenue Foch, Paris XVIe, immeuble qu’elle utilise désormais pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique en France»161.
 Et, le 2 août 2012, peut-être pour corriger l’effet, juridiquement dévastateur, de la note du 27 juillet, nouvelle note verbale «confirmant» que la chancellerie de la République de Guinée
159 Voir le jugement du Tribunal correctionnel du 27 octobre 2017, p. 31-32.
160 En libre accès sur le site du ministère : https://www.guineaecuatorialpress.com/noticia.php?id=2828.
161 Note verbale de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale au ministère français des affaires étrangères, 27 juillet 2012 (MGE, annexe 47).
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équatoriale «est bien située, à l’adresse sise : 42 Avenue Foch, Paris 16ème, immeuble qu’elle utilise comme bureaux officiels de sa Mission Diplomatique en France»162.
15. Monsieur le président, ces faits parlent d’eux-mêmes. Ce ne sont nullement des «hyperboles maniées dans une plaidoirie»163 ; ce sont des faits avérés. Le 42 avenue Foch était :
 au 3 octobre 2011, date des premières saisies mobilières, et encore au moins jusqu’à la fin de l’année 2011, ainsi que l’a relevé la Cour d’appel de Paris dans son arrêt de la semaine dernière164, le pied-à-terre parisien de M. Nguema Obiang Mangue ;
 il serait, selon la Guinée équatoriale, devenu, le 4 octobre, un local de la mission diplomatique ;
 puis, à compter du 17 octobre, la résidence de la déléguée permanente de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO,
 alors même que, le 16 février 2012, celle-ci est déclarée comme résidant, non pas 42 avenue Foch, mais 46 rue des Belles Feuilles ;
 tandis que, le 27 juillet 2012, il est formellement notifié que les services de l’ambassade sont installés au 42 avenue Foch à partir de cette date, postérieure à la décision de saisie de l’immeuble...
16. Cette chronologie ne laisse aucun doute : la tentative de transformation inopinée de l’immeuble du 42 avenue Foch en ambassade de la Guinée équatoriale a eu pour objectif unique de faire échapper cet immeuble à un risque de saisie judiciaire puis aux conséquences d’une telle décision.
17. Au-delà de la chronologie des faits, certaines déclarations contradictoires des représentants de la Guinée équatoriale constituent des reconnaissances expresses de ces détournements ou dévoiements de la fonction des immunités  on dirait en anglais des «admissions against interest». J’en citerai deux (déjà mentionnées) qui me paraissent exemplaires :
162 Note verbale de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale au ministère français des affaires étrangères, 2 août 2012 (MGE, annexe 48).
163 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), opinion dissidente de Mme la juge Donoghue, p. 383, par. 8.
164 Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 février 2020, p. 41 ; voir aussi p. 64.
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 Il y a d’abord la lettre que le président de la République de Guinée équatoriale a adressée au président de la République française le 14 février 2012 ; il y écrit, dans un passage sur lequel la Guinée équatoriale a insisté hier165 :
«Votre Excellence n’est pas sans être informé que Mon fils, Teodoro NGUEMA OBIANG MANGUE, a vécu en France, où il a effectué ses études, de son enfance à son âge adulte. La France a été le pays de sa préférence et, en tant que jeune, il a acquis un logement à Paris, mais que, à cause des pressions exercées contre sa personne, du fait d’une supposée acquisition illégale de biens, il a décidé de revendre ledit immeuble au Gouvernement de la République de Guinée Équatoriale.»166
Le texte intégral de cette lettre figure dans vos dossiers de plaidoiries sous l’onglet no 21. On ne saurait reconnaître plus clairement que M. Nguema Obiang Mangue a renoncé à la propriété du 42 avenue Foch dans l’espoir de faire échapper l’immeuble aux conséquences prévisibles des poursuites engagées contre lui.
 Le communiqué officiel du 15 juillet 2012 que j’ai cité tout à l’heure aux termes duquel la saisie pénale aurait violé «l’immunité de juridiction totale [reconnue] aux plus hauts représentants des États» constitue un autre exemple de reconnaissance par la Guinée équatoriale de ces manoeuvres d’évitement.
18. D’autres éléments du dossier attestent également de l’artificialité de l’argumentation du défendeur. C’est notamment le cas d’un épisode plus récent, postérieur à la saisine de la Cour, qui s’est traduit par une autre lettre du chef de l’Etat équato-guinéen à son homologue français, en date du 19 janvier 2017  dont le texte complet se trouve dans vos dossiers sous l’onglet no 22167. Le président Obiang Nguema Mbasogo y suggère au président français que le contentieux entre les deux pays «pourrait trouver une résolution diplomatique si nous faisions prévaloir la Convention sur la Protection des Investissements signée entre les gouvernements» et il conclut par la proposition insolite d’échanger l’abandon de la procédure actuelle devant votre haute juridiction contre un contentieux arbitral fondé sur le traité bilatéral de protection des investissements du 3 mars 1982. Cet instrument avait déjà été mentionné dans la lettre que l’ambassadeur de Guinée
165 CR 2020/1, p. 51, par. 7-8 (Wood).
166 Les italiques sont de nous.
167 Lettre du président de la République de Guinée équatoriale au président de la République française, 19 janvier 2017  les italiques sont de nous (EPF, annexe 12).
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équatoriale a adressée le 28 septembre 2011 au ministre français des affaires étrangères168. Il est également invoqué dans une lettre du ministre de la justice de la Guinée équatoriale à son homologue français en date du 9 mars 2012169, qui, après avoir dénoncé les saisies opérées 42 avenue Foch et invoqué l’article 5 du traité, affirme que «la dépossession de ces investissements sur le sol français» appelle réparation dans les meilleurs délais. On ne pourrait reconnaître de manière plus claire que l’immeuble de l’avenue Foch n’est pas une mission diplomatique  notion difficilement compatible avec celle d’investissement.
19. Et l’on comprend assez bien l’embarras qu’éprouvent nos contradicteurs pour justifier la thèse de l’affectation diplomatique de l’immeuble à la date critique de l’engagement des poursuites contre M. Nguema Obiang Mangue. Ils se bornent à quelques affirmations et dénégations indignées qui ne sont étayées par aucun commencement de preuve mais qui sont démenties par les nombreux autres éléments figurant au dossier. C’est le cas par exemple s’agissant de l’utilisation prétendue du 42 avenue Foch comme résidence effective de Mme Bindang Obiang au moment des saisies170 alors qu’il est avéré que tous les biens mobiliers se trouvant dans l’immeuble et saisis lors de la perquisition effectuée deux jours plus tard appartenaient à M. Nguema Obiang Mangue et non à Mme Bindang Obiang, pas davantage qu’ils ne relevaient de l’ambassade. Ainsi, le 14 février 2012 (plus de quatre mois et demi après les premières saisies et les notes verbales prétendant que le 42 avenue Foch était la résidence de Mme Bindang Obiang), celle-ci n’y résidait pas et aucun service de la délégation permanente ou de la mission diplomatique n’y fonctionnait. Nos contradicteurs, je l’ai rappelé, n’apportent pas davantage la moindre preuve d’une quelconque utilisation de l’immeuble avant le 4 octobre 2011 à des fins diplomatiques171.
20. Monsieur le président, nous sommes pleinement conscients qu’une allégation d’abus de droit ne doit pas être proférée avec légèreté quand bien même elle n’implique pas nécessairement une intention de nuire ou d’agir de mauvaise foi172, et qu’elle ne peut être accueillie que dans des
168 MGE, annexe 32.
169 MGE, annexe 43.
170 Voir MGE, p. 47-48 et p. 149 ; RGE, p. 22.
171 Voir RGE, p. 9, par. 1.2.
172 Cf. Philip Morris c. Australie, sentence sur la compétence et la recevabilité, 17 décembre 2015, CPA no 2012-12, par. 539.
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circonstances exceptionnelles. Mais il ne peut faire de doute que de telles circonstances existent dans notre espèce et que le seuil nécessaire à la preuve de l’abus173 est franchi. Sir Michael se plaint que nous nous basions sur des coïncidences, des spéculations, des probabilités, dont nous aurions tiré des conclusions contestables («disputable inferences»)174. Mais c’est le propre de l’abus de ne pouvoir être déduit que de raisonnements à partir des faits disponibles, à partir d’un faisceau d’indices concordants et l’on ne peut s’attendre à ce que son auteur claironne qu’il abuse de son droit. Dans notre affaire, les coïncidences sont telles, les probabilités si nombreuses, les embarras de la Guinée équatoriale si éclatants, que le seuil de la preuve est à l’évidence largement dépassé.
21. Mesdames et Messieurs de la Cour, les éléments que j’ai brièvement présentés ne sont pas «des déductions contestables mais [bien] des éléments clairs et convaincants qui appellent une pareille conclusion»175. Ils attestent «clairement que [le] comportement [du demandeur] pro[cède] d’un abus»176 et montrent que la Guinée équatoriale a tenté d’exercer un droit (si droit il y avait) «dans un but qui ne correspond ... pas aux finalités de ce droit ... dans le but d’échapper à une obligation internationale ou d’obtenir un avantage indu»177. Telle est très exactement la définition généralement acceptée de l’abus de droit.
22. Cet abus est d’autant plus criant qu’il s’agit d’immunités diplomatiques dont le préambule de la convention de Vienne de 1961 précise expressément que leur but «est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des États». En l’espèce, il n’est donc même pas nécessaire de s’interroger dans l’abstrait sur l’applicabilité du principe de la prohibition de l’abus de droit en
173 Voir la jurisprudence citée in CMF, p. 75, note 214.
174 CR 2020/1, p. 49-50, par. 4 (Wood).
175 Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 685, par. 132, citant la sentence arbitrale du 4 mars 1925 dans l’affaire de Tacna-Arica (Chili/Pérou), RSA, vol. II, p. 930.
176 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150 ; voir aussi Certains actifs iraniens (République islamique d'Iran c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 42-43, par. 113 ou Jadhav (Inde c. Pakistan), arrêt du 17 juillet 2019, par. 54.
177 J. Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 3-4.
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droit international (applicabilité qui, au demeurant, n’est pas douteuse178) : cette applicabilité résulte ici d’une disposition expresse de la convention invoquée par la Partie demanderesse.
23. Mesdames et Messieurs les juges, vous êtes à l’évidence en présence d’un cas typique d’abus de droit (si l’on admet, je le souligne à nouveau, que la Guinée équatoriale était a priori dans son droit lorsqu’elle a revendiqué précipitamment le bénéfice du régime d’inviolabilité diplomatique pour le 42 avenue Foch  ce que nous ne croyons pas). Mais si l’on suppose, pour les seuls besoins de la démonstration, que cette tentative n’est pas, par elle-même, contraire au droit, il n’en resterait pas moins que ces faits avérés établissent, de la manière la plus claire, que toute la stratégie du demandeur a consisté à invoquer le régime des immunités diplomatiques non pas dans l’intérêt du bon fonctionnement de la mission  celui-ci n’a jamais fait l’objet d’entraves quelconques de la part de la France, qui s’est constamment montrée soucieuse de ne pas aggraver le différend. Il l’a été dans le seul intérêt de l’un de ses ressortissants dont les éminentes fonctions ne ressortent pas de l’application de la convention de Vienne de 1961 (ce que nos amis de l’autre côté de la barre ne prétendent d’ailleurs pas).
24. Mesdames et Messieurs les juges, j’espère ne pas avoir abusé de votre temps et je vous remercie vivement pour votre attention. Monsieur le président, pourriez-vous appeler à la barre le professeur Ascensio ?
Le PRESIDENT : Je remercie le professeur Pellet pour son exposé. Je donne à présent la parole au professeur Hervé Ascensio. Vous avez la parole, Monsieur.
M. ASCENSIO :
LE REJET DES DEMANDES RELATIVES À LA RESPONSABILITÉ DE LA FRANCE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est un grand honneur pour moi de paraître ce matin devant votre Cour au nom de la République française. Il m’incombe d’aborder
178 Voir Certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 30. Voir aussi, Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 167 ; Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 142 ; Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 23 ; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 39, par. 56 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 37-38 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 622, par. 46.
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les questions de responsabilité soulevées par nos contradicteurs, et cela à titre tout à fait subsidiaire. En effet, la France n’a méconnu aucun droit dont la République de Guinée équatoriale puisse se prévaloir au titre de la convention de Vienne de 1961. Dans l’hypothèse où votre Cour conclurait différemment, la France soutient à titre subsidiaire que la Guinée équatoriale a mis en oeuvre ses droits prétendus d’une façon contraire aux finalités de la convention, c’est-à-dire qu’elle a commis un abus de droit caractérisé, dans les circonstances assez extraordinaires de la présente affaire. Ce n’est donc que dans la double hypothèse où vous concluriez, d’une part, à la méconnaissance d’un droit et, de l’autre, à l’absence d’un abus de droit qu’il faudrait vous pencher sur les conséquences en termes de responsabilité.
2. Hier, la République de Guinée équatoriale s’est bornée à des remarques extrêmement brèves sur le préjudice et le contenu de la responsabilité de la France. Il est pour le moins paradoxal qu’une partie demanderesse se limite à des demandes aussi vagues, d’autant que ses écritures n’étaient guère plus précises. La Guinée équatoriale a même prétendu que la France aurait reconnu avoir commis un acte illicite179, ce qui est évidemment faux. Ces procédés ne sauraient entraver le droit de la Partie défenderesse de présenter des arguments à titre subsidiaire, arguments qui n’impliquent bien sûr aucune reconnaissance de responsabilité.
3. En premier lieu, la République de Guinée équatoriale a parlé d’un «effet durable et dommageable» à propos des actes de perquisition et de la non-reconnaissance du caractère diplomatique des locaux du 42 avenue Foch180. Elle a paru lier cela, comme dans ses écritures, à une demande de cessation de l’illicite.
4. Une telle demande ne laisse pas de surprendre, car la cessation ne peut porter que sur un fait continu, comme le rappellent les articles de 2001 sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. Or, il est bien évident que les actes de perquisition ne sont pas des faits continus mais des faits instantanés. Qui plus est, les premières perquisitions, celles des 28 septembre au 3 octobre 2011, ne sont plus considérées par la Guinée équatoriale comme litigieuses. Quant aux secondes, celles de février 2012, elles ont eu lieu à un moment où la Guinée
179 CR 2020/1, p. 55, par. 23 (Wood).
180 CR 2020/1, p. 56, par. 24 (Wood).
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équatoriale prétendait que l’immeuble était la résidence de sa déléguée auprès de l’UNESCO et non pas affecté à son ambassade.
5. La demande de cessation est tout aussi surprenante s’agissant de la non-reconnaissance de l’immeuble comme locaux de la mission diplomatique, car elle inverse complètement les positions respectives des Parties dans la présente affaire. Il importe de les remettre dans le bon ordre.
6. Le présent différend trouve son origine dans la note verbale du 4 octobre 2011 par laquelle la Guinée équatoriale prétend que les locaux du 42 avenue Foch ont un statut diplomatique. En réponse, la France a refusé, dans une note verbale du 11 octobre 2011, de reconnaître ce caractère diplomatique. Ce refus est un fait instantané. Il a fait ensuite l’objet d’une discussion entre les Parties181 ; mais cela ne modifie en rien son caractère instantané et l’existence d’une «phase de discussion» ne transforme pas un fait instantané en fait continu182.
7. Malgré le refus exprès de la France et les échanges diplomatiques auxquels il a donné lieu, la Guinée équatoriale a choisi de passer outre et de s’installer dans l’immeuble du 42 avenue Foch. Elle a ainsi créé une situation de facto qui, elle, est un fait continu. Si donc, pour reprendre les termes de Sir Michael Wood, «harm continues», la cause n’est pas le refus de la France, mais le choix de la République de Guinée équatoriale de s’installer dans cet immeuble malgré ce refus.
8. Si, par extraordinaire, votre Cour estimait que le refus n’était pas conforme à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, le constat de violation devrait être limité à ce seul fait instantané. Le constat ne transformerait pas rétroactivement une situation de facto en une situation de jure. L’arrêt de votre Cour permettrait seulement aux Parties d’apprécier quelle serait la réponse à apporter à toute nouvelle demande de la République de Guinée équatoriale visant à installer des locaux diplomatiques dans l’immeuble du 42 avenue Foch.
9. En deuxième lieu, la Guinée équatoriale mentionne la saisie et la confiscation de l’immeuble comme source d’un préjudice dans la mesure où ces actes des autorités françaises affecteraient le bon fonctionnement de la mission.
10. S’agissant de la confiscation, l’effet allégué est en réalité doublement hypothétique : d’une part, la confiscation n’a pas encore eu lieu et, d’autre part, une confiscation n’a pas
181 Voir DF, par. 4.12.
182 Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B no 74, p. 28.
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nécessairement pour conséquence l’expulsion des occupants. Le prétendu préjudice repose ici sur des conjectures et ne peut donner lieu à réparation, conformément à une jurisprudence ancienne, que votre Cour a poursuivi dans son arrêt du 19 juin 2012 sur l’indemnisation dans l’affaire Diallo183.
11. Quant à la mesure de saisie, elle n’a pas empêché la République de Guinée équatoriale d’installer de facto, selon ses propres dires, des activités dans l’immeuble du 42 avenue Foch, en méconnaissance du refus opposé par les autorités françaises. Ces activités se seraient poursuivies depuis le 27 juillet 2012 jusqu’à aujourd’hui, sans que la Guinée équatoriale ait jamais signalé le moindre incident aux autorités françaises. Il n’existe donc aucun préjudice avéré.
12. Plus largement, la République de Guinée équatoriale invoque le principe de la réparation intégrale à propos de préjudices non spécifiés, lesquels seraient tant matériels qu’immatériels. Une question préalable doit être soulevée ici : celle du lien de causalité et de la contribution, à vrai dire évidente, de la République de Guinée équatoriale aux préjudices allégués.
13. Le droit international de la responsabilité est à cet égard clair et n’a pas été contesté par nos contradicteurs hier : d’une part, il convient de tenir compte des actions ou omissions de l’Etat lésé ayant contribué au préjudice, soit intentionnellement soit par négligence ; d’autre part, il arrive que le préjudice soit entièrement imputable à l’Etat prétendument lésé et non à l’Etat prétendument responsable. Cela est reflété aux articles 31 et 39 des articles de 2001 de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite.
14. Or, justement, dans la présente affaire le comportement particulièrement négligent de la République de Guinée équatoriale est la source principale, si ce n’est exclusive, des préjudices allégués. Les écritures de la France ont déjà développé ce point184 et mes prédécesseurs ont souligné les variations et contradictions de la position équato-guinéenne. Je n’y reviendrai donc pas et me bornerai à deux remarques additionnelles.
15. La première porte sur la note verbale du 27 juillet 2012, celle dans laquelle la Guinée équatoriale déclare qu’elle utilise «désormais» les locaux du 42 avenue Foch à des fins
183 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 342, par. 49. Voir DF, par. 4.6.
184 CMF, par. 5.16-5.17 ; DF, par. 4.27-4.28.
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diplomatiques. Elle déclare donc elle-même s’être installée dans l’immeuble à une date où elle savait pertinemment qu’il était grevé d’une mesure de sûreté pénale. Elle ne saurait ensuite soutenir que l’inconfort en résultant à ses yeux lui cause un préjudice. Il y aurait là une contradiction dans son comportement, au détriment de la France.
16. La seconde remarque porte sur le rejet par la Cour de cassation, le 5 mars 2014, de la demande de constitution de partie civile de la République de Guinée équatoriale dans la procédure pénale visant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. Cette décision s’explique par le fait que la Guinée équatoriale n’a pas invoqué de préjudice résultant des infractions commises par M. Obiang Mangue. Un tel choix signifie qu’elle n’a pas entendu défendre ses intérêts comme peut le faire un tiers de bonne foi dans la procédure pénale française. Là encore, la République de Guinée équatoriale ne saurait invoquer un préjudice sans se contredire au détriment de la France.
17. Si, malgré tout, votre Cour considérait que la France conserve une part de responsabilité, il faudrait ensuite s’interroger sur la réalité des préjudices invoqués et les formes appropriées de la réparation. Hier, la République de Guinée équatoriale, par la voix de Sir Michael Wood, s’est entièrement défaussée de la question, la renvoyant à une phase ultérieure185. Cette attitude traduit l’incapacité de la Guinée équatoriale à démontrer la réalité d’un quelconque préjudice, et ce, malgré plusieurs années de procédure.
18. Dès lors, la France demande à votre Cour de ne pas renvoyer la question à une phase ultérieure de la procédure et de rejeter simplement la demande d’indemnisation. Cela serait parfaitement conforme à votre jurisprudence. Dans l’affaire des Pêcheries, opposant l’Allemagne à l’Islande, vous indiquiez que «la Cour ne peut formuler une constatation générale de responsabilité sur des questions au sujet desquelles elle ne possède que des renseignements limités et des preuves insuffisantes»186. Plus récemment, dans votre arrêt du 16 décembre 2015, vous avez rejeté la demande d’indemnisation du Nicaragua dans les affaires l’ayant opposé au Costa Rica, car cet Etat n’avait pas établi l’existence de «dommages importants»187. Le raisonnement s’applique a fortiori
185 CR 2020/1, p. 56, par. 26 (Wood).
186 Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 205, par. 76.
187 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 739, par. 226.
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dans la présente affaire car la République de Guinée équatoriale n’a identifié aucun dommage matériel précis et n’est parvenue à apporter aucun élément de preuve à ce propos.
19. Quant au prétendu dommage moral, la Guinée équatoriale, dans ses écritures comme hier, s’est limitée à des formules générales, sans aucune conclusion concrète. Elle n’a pas non plus pris en considération sa contribution essentielle à ce dommage moral, du fait de ses contradictions et de la situation de facto qu’elle a sciemment créée. La réalité du dommage et le lien de causalité ne sont donc nullement étayés. Si le dommage moral devait malgré tout être reconnu, la France estime, à titre infiniment subsidiaire, qu’une mesure de satisfaction consistant en une déclaration de responsabilité serait la forme de réparation appropriée.
20. Enfin, les garanties de non-répétition demandées par la Guinée équatoriale devraient être rejetées, car, comme cela a été développé dans les écritures de la France, aucune circonstance spéciale ne les justifie188.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, ainsi se clôt la présentation des arguments de la République française pour ce premier tour de plaidoiries. Je vous remercie de votre attention, en mon nom propre et en celui de toute notre délégation.
Le PRESIDENT : Je remercie le professeur Ascencio. Vous avez raison : votre exposé conclut le premier tour de plaidoiries de la France. La procédure orale en la présente affaire reprendra demain mercredi 19 février à 16 h 30 aux fins du second tour de plaidoiries de la Guinée équatoriale. A l’issue de cette audience, la Guinée équatoriale donnera lecture de ses conclusions finales. La France présentera son second tour de plaidoiries le vendredi 21 février à 10 heures. A l’issue de cette audience, elle donnera à son tour lecture de ses conclusions finales. Chacune des Parties disposera, lors de ces seconds tours, d’un maximum d’une heure et trente minutes pour présenter ses arguments. Je rappellerai que, conformément au paragraphe 1 de l’article 60 du Règlement de la Cour, les exposés oraux du second tour devront être aussi succincts que possible. Le second tour des plaidoiries a pour objet de permettre à chacune des Parties de répondre aux arguments avancés oralement par l’autre Partie. Il ne doit donc pas constituer une
188 Voir DF, par. 4.17-4.20.
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répétition des présentations déjà faites par les Parties, lesquelles ne sont, au demeurant, pas tenues d’utiliser l’intégralité du temps de parole qui leur est alloué. L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 55.
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Public sitting held on Tuesday 18 February 2020, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Yusuf presiding, in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France)

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