Memorial of the Great Socialist People's Libyan Arab Jamahiriya

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DELACONVENTIO N EMONTREAD LE1971

RESULTAN DTEL'INCIDENA TERIEN

DELOCKERBIE

JAMAHIRIYA ARABELIBYENNE
CONTRE

ROYAUME-UNI

SOUMISPARLA

GRANDE JAMAHIRIY A RABE

LIBYENNE POPULAIRS EOCIALISTE

. :2DECEMBRE 1993
;~ <~ .• ' < I

TABLE DES MATIERES

Pages

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE: EXPOSE DES FAITS 4

CHAPITRE I- DES ACTES D'ACCUSATION A L'INVOCATION DE LA

CONVENTION DE MONTREAL 4

Section 1 - Les actes d'accusation et les réactionslibyenne 4

Section 2 - L'ultimatum du 27 novembre 1991 et les réactions libyennes Il
Section 3 - Le refus de produire les preuves alléguées 14

Section 4 - Les tentatives infructueuses de la Libye pour une solution pacifique du différend 15
Section 5 - L'invocation de la Convention de Montréal 16

CHAPITRE Il- LE RECOURS AU CONSEIL DE SECURITE ET

L'ADOPTION DE LA RESOLUTION 731 (1992) 19

Section1- Le texte de la résolution 19

Section2- Les discussions au Conseil de sécurité 21
A- La position libyenne 21

B- La position des Etats auteurs du projet 24
C- La position des Etats tiers
26

CHAPITRE III- DE LA RESOLUTION 731 (21 JANVIER 1992) À
L'ADOPTION DE LA RESOLUTION 748 DU 30 MARS

1992 28

Section 1- Les positions des Parties selon les rapports du Secrétaire général 28
Section 2 - Les actes et suggestions libyens 31

Section 3- L'introduction devant la Cour internationale de Justice d'une
action de la Libye contre le Royaume-Uni ct les Etats-Unis 31

Section 4 - Les réactionsdes défendeurs 32
Section 5- Les menaces d'intervention américaine 33

Section 6 - Les réactions de tiers 33

CHAPITRE IV - LA RESOLUTION 748 DU 311MARS 1992 34

Section 1- Le texte de la résolution 34
Section 2 - Les discussions au sein du Conseil de sécurité 36

A- La position de la Libye 36
8- La position des Etats auteurs du projet 38

1 -Les Etats-Unis 38
2- Le Royaume-Uni
38
3- La France 39 II

C- La position des Etats tiers 39
1- La position des Etats non favoràla résolution 39

2 - La position des Etats favorables à la résolution 41

CHAPITRE V- LES FAITS SUBSEQUENTS À L'ADOPTION DE LA
RÉSOLUTION 748 (30 MARS I992) 42

Section1- Les conséquences des sanctions 42

Section 2- Les propositions de Ja Libye 43
Section 3- Les réactions des défendeurs 49

DEUXIEME PARTIE : OBJET DU DIFFEREND ET FONDEMENT DE LA
COMPETENCE DE LA COUR 50

INTRODUCTION 50

CHAPITRE I- OBJET DE LA REQUETE 50

CHAPITRE II - FONDEMENT DE LA COMPETENCE 57

Section 1- Un différend entre les Etats contractants à propos de

l'interprétation ou l'application de la convention 58

A- L'existence d'un différend- en fait 62
1-Premier différend: le juge compétent 63

2- Deuxièmedifférend: la coopérationavec lesjuges libyens 65

B - L'existence d'un différend- en droit
66

Section 2- Un différend qui ne peut êtreréglépar voie de négociation

et à propos duquel les parties au difi'érendn'ont pas pu se mettre
d'accord sur l'organisation d'un arbitrage 71

Section 3 - La question du délaide six mois 77

TROISIEME PARTIE: LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES EN
VE~TU DE LA CONVENTION DE MONTREAL 79

INTRODUCTION 79

CHAPITRE I - L'INTERPRETATION LITTERALE DE LA CONVENTION DE

MONTREAL ET SON APPLICATION 79

Section1 - La Libye doit établir sa compétence pour connaître des
infractions viséespar la Convention de Montréal (art. 5 §§ 2-3) 80 III

A- Le contenu de l'art. 5 §§ 2-3 80
1 -Une disposition typique d'un système répressif fondé sur les Etats 80

2 -La portéejuridique de 1'art. 5 § 2 82

B - L'argumentation des défendeurs 85
1 -L'article 5 § 2 86

2 - L'article 53 87

Section 2- La Libye ne doit pas extrader les suspectver le Royaume-Uni
et les Etats-Unis (art. 8) 88

A- Une disposition ménageant la souveraineté des Etats part!es 89

B- Une disposition n'obligeant pas la Liàyextrader les suspects 91
1-La convention de Montréal n'institue pas de système d'extradition automatique 92

2- La Libye n'est pas obligée d'extrader ses nationaux 94
3 - L'Etat d'immatriculation de 1'aéronef et 1'Etat du lieu de l'infraction

ne bénéficient'aucune priorité ou primauté en cas d'extradition 98

Section 3 - Si la Libye n'extrade pas les suspects, elle doit les déférerà ses
autoritéscompétentespour l'exercice de l'action pénale(art. 7) 99

A - Le contenu de 1'art. 7 100
1 -Une obligation de soumission de l'affaàrla justice de l'Etat requis lOO

2 - Une obligation respectant la souveraineté de 1'Etat requis 102
3 -Une obligation cardinale du droit pénalinternational 104

B- L'argumentation des défendeurs 105
1 -Premier moyen 106
2- Deuxième moyen 107

Section 4 - La Libye est en droit d'obtenir l'entraide judiciaire la plus large
possible (art. 11) 110

A- Le contenu de l'art. Il 110
B- L'argumentation des défendeurs Ill

CHAPITRE II - L'INTERPRETATION DE LA CONVENTrON DE
MONTREAL A LA LUMIERE DES REGLES GENERALES

DU DROIT INTERNATIONAL 115

Section 1 - Introduction 115

Section 2- La pertinence des règlesde droit international applicables entre

parties pour l'interprétation des traités 117

Section: L'·xtradition en droit international général 123

A- L'interprétation de la Convention de Montréal 123

B - Il n'y a aucune obligation de livraison sauf en vertu d'un traité 124
1 - Introduction !24

2- La pratique du Royaume-Uni 125
3- La pratique des Etats-Unis 127

4- L'opinion des publicistes 128
5 -La pratique des autres Etats 128 IV

C- Le principe aut dedere aut punire 129
D- La souveraineté territoriale fonde le droit d'octroyer ou de refuser l'extradition 130

E- Le principe selon lequel il n'y a pas d'obligation d'extrader les nationaux 131

Section 4 - Les droits fondamentaux de la personne humaine comme
limitation à l'extradition 132

A- La nature des limitations 132

B - Le droit au procès équitable comme limitation à la remise 133
C- Dans les circonstances de l'espèce, un procès équitable est impossible 135

D - Autres droitse 1'homme pertinents 144
E- Dans ces circonstances, l'extradition est incompatible avec les principes
des droits fondamentaux de la personne humaine 147

OUATRIEME PARTIE: LES EFFETS DES RESOI~UTION DSU CONSEIL DE

SECURITE SUR LES OBLIGATIONS DES PARTIES 148

CHAPITRE I- ANALYSE DES RESOl-UTIONS 731 (1992)ET 748 (1992):
LE CONSEIL DE SECURITE N'EXIGE PAS QUE LA LIBYE

LIVRE SES NATIONAUX AUXETATS-UNIS OU AU ROYAUME-UNI 148

!Section l - La résolution731 (1992)du Conseil de sécurité 149

A- Les termes mêmesde la résolution 731 excluent que le Conseil exige de la Libye
qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni 153

1- La qualification juridique de la demande: la résolution 731 ne formule aucune
obligation juridique à charge de la Libye 154

2- Le contenu de la demande: le Conseil ne demande pas à la Libye de livrer ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni 155

B - Cette analyse est confirmée par les travaux préparatoires de la résolution, tels qu'ils
ressortent des déclarations faites par des membres du Conseil lors de son adoption 159

:Section 2- La résolution748 (1992)du Conseil de sécurité 163

A- La portéedes exigences du Conseil 165

1- Le premier paragraphe dudispositif : renvoi à la résolution 731 165
2- Le deuxième paragraphe du dispositif: le renvoi indirect aux demandes anglo­

amérîcaines n'équivaut pas leur appropriation par le Conseil 166
3 -Le troisième paragraphe du dispositif: l'impossibilité de préciserquand les
exigences du Conseil seront satisfaites
167
4- Le rôle du Secrétaire général 168

B - L'analyse qui précèdeest confirmée par la ratio legis du recours au Chapitre VIl de la
Charte 168

1 -La ratiolegis du recours au Chapitre VIl telle qu'elle ressort de la résolution
731 169

2- La ratio legis du recours au Chapitre VII de la Charte dans la résolution 748 170
3 -Cette ratio legis explique que le Conseil n'exige pas que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni 172 v

Section 3 - L'interprétation des résolutionsau regard de la Charte ct du

droit international généralet conventionnel 173

CHAPITRE Il- LA LIBYE A PLEINEMENT SATISFAIT AUX EXIGENCES

DU CONSEIL DE SECURITE SUSCEPTIBLES
D'AFFECTER LA PRESENTE PROCEDURE­
CONCLUSION QUANT A L'INCIDENCE DES
RESOLUTIONS 731 ET 748
r74

Section 1- La Libye a pleinement satisfait aux exigences du Conseil de
sécuritésusceptibles d'affecter la présenteprocédure 175

A - La Libye a entrepris des démarches concrètes afin que soient établies
les responsabilités pourttentat 175
B - La Libye a faitverses propositions aptes à sauvegarder l'objectivité de l'enquête 176

C - La Libye a fait des propositions et concessions successivesàgarantir ~
l'objectivité du procès des suspects 178

Section 2- Conclusion quant à l'incidence des résolutions731 et 748 sur la

procéduredevant la Cour 180

CHAPITRE llLl- A TITRE SUBSIDIAIRE: DANSLA MESURE OU ELLES
EXIGERAIENT QUE LA LIBYE LIVRE SES NATIONAUX

AUXETATS-UNIS OU AU ROYAUME-UNI, LES
RESOLUTIONS 731 ET 748SERAIENT CONTRAIRES A
LA CHARTE DES NATIONS UNIES, ET INOPPOSABLES

A LA LIBYE 181

Section 1 - La Cour a lepouvoir de contrôler la régularitédes résolutions731et 748
au regard de JaCharte des Nations Unies 182

A - Le fondement du pouvoir de la Cour de vérifierles effets juridiques des résolutions du
Conseilde sécurité 184

8- Conséquences de ce fondement quant au contrôle de la validitédes résolutions du
Conseil de sécurité 186
1 -La Cour a non seulement la possibilité, mai.sencore le devoir de contrôler la

validitédes actes juridiques qu'elle prend en compte pour dire le droit, lorsque
celle-ci est contesté 186
2- Le pouvoir de contrôle de la Cour prévautégalement dans la procédure
contentieuse 187

3 - Au contentieux, le contrôle de la Cour est exercé à titre incident 188

C - Dans le présentdifférend, la Cour est appeléeà se prononcer sur les effets juridiques

des résolutions 731 et8du Conseil de sécurité-portée du contrôàeexercer par la
Cour 189
1- Dans la présente espèce, la Cour est nécessairement apàese prononcer sur
les effets juridiques des résolutionst748 189

2 - La ponée du contrôle de la Cour quant aux effets juridiques des résolution48731189 7

Section 2- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye
livre ses nationaux aux Etats-Unis ou Royaume-Uni, les

résolutions731 et 748du Conseil seraient contraires à l'article l,
paragraphe 1 de la Charte 193 VI

A - La portéede 1'article 1 (1)de 1a Charte 193
1.- La signification de l'expression "conformément aux principes de la justice et du

droitinternational" 194
2 - L'article 1(1) par rapport au Chapitre VI de la Charte 195
3 - L'incidence du recours au Chapitre VII de la Charte 197

8- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait de la Libye qu'elle livre ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions litigieuses seraient

contraire à 1'article 1 (1) 202
l - Le Consei1violerait les principes du droit international et de la justice 202

2 - Le recours au Chapitre Vli de la Charte ne modifie aucunement cette constatation 203

Section 3 - Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye

livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les
résolutions 731et 748 seraient contraire à l'article 2,
paragraphe 7 de la Charte 206

A- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye livre ses nationaux
aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748 s'opposeraient à la

règle de non-intervention dans une affaire relevant de la compétence nationale de
la Libye, au sens de l'article 2 (7) de la Charte 206
207
1 -La portéedu principe de non-intervention de l'article 2 (7)
2- L'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au
Royaume-Uni constituerait une intervention dans une affaire relevant de la

compétence nationale libyenne 209

8 - L'exception de 1'article 2, paragraphe 7, infine ne justifierait pas cette intervention 213

1 - L'exception de 1'article 2 (7) infine n'a pas pour effet d'écarter entièrement le
principe de non-intervention lorsque le Conseil agit en vertu du Chapitre VII de
laChm1e. Cette exception nejustifierait pas que le Conseil exige que la

Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni 213
2 - En tout étatde cause, 1'exigence que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis
ou au Royaume-Uni serait contraire au principe de proportionnalité sous-tendant

l'exception de l'article 2 (7) in tïne 216

Section 4 - En tout étatde cause, le Conseil a recouru au Chapitre VII dans
le seul but de s'arroger les pouvoirs y conférés,et non en

raison des caractéristiques intrinsèques de la situation. Ceci
constitue un détournement de pouvoir contraire aux Buts des Nations Unies 219

A - Le Conseil ne peut recourir au Chapitre VII de la Charte qu'en raison des
caractéristiques intrinsèques d'une affaire, et non dans le seul but de s'arroger les
pouvairs y conférés- ce procédécons tituerait une violation des articles 24,1) et

39 de la Charte, et serait constitutif de détournement de pouvoir 220
1-En recourant au Chapitre VII dans le seul but de s'arrogerles pouvoirs y
conférés,le Conseil violeraitles Buts des Nations Unies, et notamment 1es

articles 24, l (l) et 39 de la Charte 221
2- Le recours au Chapitre VII de la Charte dans le seul but de s'arroger les pouvoirs
y conférés,est constitutif de détournement de pouvoir 223

B - Le Conseil a eu recours au Chapitre Vil de la Charte dans le seul but de s'arroger les

pouvoirs y conférés.Il a ainsi violéles articles 1 (1), 24 et 39 de la Chat1e, et s'est
rendu coupable de détournement de pouvoir 225 vn

1 - Le deuxième paragraphe introductif de la résolution731227
2 - La motivation des résolutions1itigieusesgiquement et juridiquement
incohérente 231

3- L'exigence que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni
trahirait d'autant plus le caractèrede la prétenratiolegidu recours au
Chapitre Vli de la Charte 233

Section 5 - La motivation des résolutions litigieuses est incohérente,
ce qui exclut qu'elles soient invoquéesdevant la Cour pour

faire obstacle au règlement du présentdifférend, ou en déterminer l'issue 234

CHAPITRE IV • OBSERVATIONS SUR LA RESOLUTION 883 (1993) DU
CONSEIL DE SECURITE 235

CONSIDERATIONS GENERALES 241

CONCLUSIONS 242 1

INTRODUCTION

1.1 Le 3 mars 1992, la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste (ci­

dessous dénommée "La Libye") a introduit par requêteune instance contre le Royaume-Uni de

Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ci-après dénommé "le Royaume-Uni" ) au sujet d'un

différend entre la Libye et le Royaume-Uni concernant l'interprétation ou l'application de la
convention de Montréal du 23 septembre 1971 1_A la mêmedate une requête parallèle fut

introduite par la Libye contre les Etats-Unis d'Amérique (ci-après dénommés"les Etats-Unis")

avec le mêmeobjet.

Le mêmejour, la Libye présenta une demande urgente tendant à ce que la Cour indique
quelles mesures conservatoires des droits de la Libye devaient êtreprises à titre conservatoire et

sans délai,à l'égardde chacun des deux Etats précités.

Par deux ordonnances du 14 avril 1992, la Cour a dit que les circonstances de l'espèce

n'étaientpas de nature à exiger l'exercice de son pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires

en vertu de l'article 41 du Statut de la Cour (Questions d'interprétation et d'application de la

convention de Montréalde 1971 résultantde l'incident aériende Lockerbie (Jamahiriya arabe

libyenne c. Royaume-Uni ) mesures conservatoires 2 et Questions d'interprétation et
d'application de la convention de Montréalde 1971 résultantde l'incident aériende Lockerbie

(Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis ) mesures conservatoires 3). Dans les pages qui

suivent, nous nous référerons à ces deux ordonnances de la manière abrégéesuivante: "ord. RU"

et "ord. EU".

1.2. Ces deux ordonnances n'ont concerné ni le fond de l'affaire ni la compétence de la

Cour pour connaître du fond et ont étéprononcées sans préjudice des moyens que peuvent faire
valoir les parties dans cette seconde phase de la procédure. Comme 1'ont déclaré les

ordonnances du 14 avril 1992:

"(. .. ) la Cour(. ..) n'est pas habilitée à conclure définitivement sur les faits et le droit, et( ... ) sa décision
doit laisser intact le droitarties de contester les faits et de faire valoir leurs moyens sur Je fond."

RTNU,voL974, p.178.

2 CU. Recuei/1992, par. 43, p. 15
3 C.I.J. Recuei/1992, par. 127 p.
4 Ord. RU,C.I.J. Recuei/1992, 38,p.14et ord. Epar.41,p.126.2

"... la Cour n'est appeàstatuer sur aucune des autres questions qui ont étésoulevées devant elle dans
la présente instance, y compris la question relative à sa compétence pour connaître du fond; (...) une
décision rendue en la présente procédure ne préjuge en rien aucune question degenre et (...) laisse
intact le droit du Gouvernement libyen et celui du Gouvernement [du Royaume-Unies Etats-Unis] de
faire valoir leurs moyens en ces matières."5

1.3; Aux termes de l'article 49 § 1 du règlement de la Cour

"1. Le mémoire contient un exposé des faits sur lesquels la demande est fondée, un exposé de droit et des
conclusions".

Le présentmémoiresuivra donc ce plan.

Pour ce qui concerne le droit, la Libye a pris acte du fait qu'au cours de la procédure sur

les mesures conservatoires, les parties ont déjàfait valoir divers moyens relatifs à l'admissibilité

ou à la compétence de la Cour. Sans préjudice du fait que les questions de recevabilité doivent
êtresoulevées par les parties défenderesses, ces questions étant intimement liées au fond, la

Libye estime raisonnable de présenter dès le stade du présent mémoire son point de vue sur

certaines questions de compétence et de recevabilité.

Etant donné que les demandes de la Libye à l'égard des deux défendeurs sont

ideptiques et que les arguments de ces derniers sont en substance les mêmes,la Libye a estimé

plus simple de présenter un mémoire identique s'adressant aux deux défendeurs. Seules les

con.clusions diffèrent par le nom de chaque défendeur.

Le présentmémoirecomportera les parties suivantes:

La première partie sera consacréeà un exposédes faits.

La peuxième examinera l'objet du différend (chapitre I) et le fondement de la compétence de la

Cour (chapitre II).

La troisième exposera quels sont les droits et obligations des parties découlant de la convention

de Montréal, en vertu de son texte (chapitre 1)ainsi que de son interprétation à la lumière du

dro'itinternational général(chapitre Il).

5 • Ord. RU, C.l.J. Recueil 1992, par. 42, p. 15et ord. EU, par. 45, p. 127. 3

La quatrième partie sera consacrée à l'effet des résolutions du Conseil de sécuritésur les

obligations des parties.e brèves considérations généralesprécéderontles conclusions.4

PREMIERE PARTIE

EXPOSE DES FAITS

CHAPITRE 1- DES ACTES D'ACCUSATION A L'INVOCATION DE LA

CONVENTION DE MONTREAL

Section 1 -Les actes d'accusation et les réactions libyennes

2.1 Le 21 décembre 1988, un Boeing 747 de la Pan Am, vol n° 103 assurant la liaison

Londres - New York, s'écrasa en Ecosse sur le village de Lockerbie. Il apparut rapidement,

selon l'enquête, que cet accident qui avait fait 270 victimes était un attentat criminel. Des
1
rumeurs diverses circulèrent à propos des auteurs de cet horrible for•ait

2.2: Le 14 novembre 1991, soit trois ans environ après cette dramatique destruction, un
Gra,nd Jury de mise en accusation de la U.S. District Court for the District of Columbia aux

Etats-Unis établit un acte d'accusation contre deux citoyens libyens soupçonnés d'avoir fait

plaçer un mécanisme destructif à bord de 1'appareil Pan Am n° 103 2_Le mêmejour, le

procureur d'Ecosse annonçait que des mandats d'arrêtavaient étédécernéscontre les mêmes
personnes de nationalité libyenne, les accusant également de la destruction de l'app3_eil

2.3 Pour 1'essentiel, l'accusation reposait sur les allégations suivantes: deux ressortissants

libyens (Mm. Abdelbasset Ali Mohamed Al Megrahi et Al Amin Khalifah Fhimah), l'un étant

chef des services de sécuritédes Libyan Arab Airlines, et l'autre étantchef de poste des Libyan
Arab Airlines à Malte, auraient introduit le 21 décembre 1988 une valise piégéedans le vol Air

Malta KM 180 Malte-Francfort. Cette valise aurait ensuite ététransféréeà bord du vol Pan Am

103 A Francfort-Londres et aurait étéplacéeà Londres sur le vol Pan Am 103

V. deux communiquésde presse du 16 novembre 1991 reproduits en annexe n" 33 et 29; ces rumeurs se poursuivirent

ultérieurement.
2 Transmis par le représentantpermanent adjoint des Etats-Unis auprès de l'ONU au Secrétairegénéra\le 23 décembre
1991, doc. off. ONU, A/46/831 ou S/23317 du mêmejour; voir annexe n° 7.
3 Transmis par le représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l'ONU au Secrétaire général\e. 20 décembre

1991, doc. off. A/46/826 ou S/23307 du 31 décembre 1991; voir annexe n° 8. 5

Londres-New York. Un dispositif d'horlogerie l'aurait fait exploser alors que l'avion survolait
Lockerbie (Ecosse) 4_

2.4 Ces accusations furent communiquées à la presse le jour mêmepar M. Richard

Boucher, porte-parole du Département d'Etat des Etats-Unis, en des termes particulièrement

accusateurs contre la Libye :

" 1 want to run through sorne basic facts about the bombing and how .it was organized. 1want to make
sorne things dear from the outset. The bombers were Libyan govemment intelligence operatives. This
was a Libyan govemment operation from start to finish. We hold the Libyan govemment responsible for

the murder of 270 people over Lockerbie, Scotland, on December 21st, 1988." 5·

Le mêmejour, le Secrétaire aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, M. Douglas

Hurd, déclaraità la Chambre des Communes que

''Thecharges allege that the individuals acted as part of a conspiracy to further the purposes of the Libyan
Intelligence Services by criminal means, and that those means wereterrorism. This was a mass murder,

which is alleged to involve the organs of Government of aSta6e."

Les actes d'accusation furent officiellement notifiés à la Libye, respectivement le 18

novembre 1991 7 par l'ambassade d'Italie, chargéedes intérêtsbritanniques à Tripoli, et le 20

novembre 1991 8 par 1'ambassade de Belgique, chargée de la représentation des intérêts

américains. Le Gouvernement des Etats-Unis chargeait l'ambassade de Belgique de demander

le "transfert" des deux suspects aux Etats-Unis pour y répondre devant les juges américains 9.

Une demande similaire émanant du Royaume-Uni étaittransmise et appuyée par l'ambassade

d'Italie Jo.

2.5 Les réactions de la Libye devant ces accusations furent de deux ordres.

Tout d'abord, elle protesta vigoureusement et de manière répétéecontre les graves

accusations dirigéescontre la Libye elle-même,accuséed'avoir fomenté l'attentat.

4 Ibid., annexes n° 7 et 8.
5 V. anne.xcno IL

6 V. annexes no9.
7 V. anne;.;:csn° 31 et 37 et accuséde réception libyen, voir annexe no41.

8 V. annexe n"35 et 39.
9 V. annexe n°35.

10 Pour laréactioibyenne la nore du 23 novembre 1991, voir annexe n"38.6

D'autre part, elle mit immédiatement en mouvement les procédures judi ciaires

pertinentes sur le territoire libyen concernant les deux accusés.

2.6 S'agissant des protestations, la Libye ma toute association à ce forfait ou sa

connaissance et demanda que les Etats-Unis et le Royaume-Uni fournissent les preuves de ces
accusations 11. S'effrayant des menaces à peine voilées contenues dans divers textes 12, la

Libye proposa que le différend entre les Etats concernés soit résolu par des moyens

pacifiques 13 et que les accusations dirigées contre elle soient soumises à la Cour

internationale de Justice ou à une commission internationale d'enquête 14.La Libye craignait

que ces accusations sans fondement servent de prétexte aux Etats-Unis pour s'engager dans

une nouvelle agression contre elle 15,comme cela avait étéle cas en 1986 lors du raid aérien

des Etats-Unis, condamné par 1'Assemblée généraledes Nations Unies 16.

2.7 S'agissant des procédures internes, dès le 18 novembre 1991, le secrétariat de la

Justice adopta les mesures suivantes :

saisine de la haute Cour pour qu'elle désigne un juge d'instruction;

appel à toute personne intéressée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, y compris les

familles des victimes, pour qu'elles apportent toutes les informations pertinentes qu'elles

pourraient posséder à propos de cette affaire au juge d'instruction;
offre de toutes les facilités nécessaires et garanties à ceux qui voudraient apporter. un

témoignage ou une information pour aider le magistrat instructeur;

'offrede coopérer avec toute autoritéjudiciaire en vue de déterminer les faits pertinents 17.

11 En ce sens, on citera le communiqué de presse de la mission permanente de la Libye à New York du 14 novernbre

1991 (voir annexno12), le communiqué du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération internationale
du 15 novembre 1991 (voir annexe n" 23) transmis au président du Conseil de sécuritéle 16 novembre 1991 (doc.
S/23221 ), la lettre du Sccrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération internationale adressée

au Secrétaire généraldes Nations Unies le 17 novembre 1991 et publiée comme document officiel A/46/660 ou
S/23226 le20 novembre (voir annexe n° 29).
12
Sur ces menaces, voyel infra *§ 2.8 et 2.26.
13 En ce sens, on citera le communiqué de presse de la mission permanente de la Libye à New York du 14 novembre
1991, voir annexe n° 12., la dutSecrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération interna­

tionale adressée au Secrétaire généraldes Nations Unies le 17 novembre 1991 et pub\iéecomme document officiel
N46/660 ou S/23226 le 20 novembre, voir annexe n° 29.
14
V. le communiqué du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération internationale du 15 novembre
199!, voir annexe no 23 transmis au président du Conseil de sécuritéle 16novembre 1991, doc. S/23221 .
15 V. la Jeure du Secrétaire du Comité populaire de Liaison extérieure et de la coopération internationale adressée au

Secrétaire général~ Nations Unies le 20 novembre 1991 et publiée comme document officiel NC 1146/23 le 25
novembre, voir annexen°36.

16 V. la résolution 41/38 du 20.11.1986 de 1'Assemblée générNations-U aniex~,n° 5.
17 V. le communiqué de la mission permanente de la Libye à New york en date du 18 novembre 1991, voir annexe
0
ll32. 7

Il ajouta cependant que les procédures entamées en Libye devaient êtreconformes à

son code pénal et à son code de procédures pénalesdu 18 novembre 1953.

Le code pénallibyen stipule en son article 6

"Tout citoyen libyen qui commet à l'étranger un acte qualifié de crime ou de délit par ce code, sauf les
infractions prévues par 1'article précédent,sera puni, conformément à ces disposirions s'i1retourne en

Libye et si 1'acte est punissable par la loi de 1'Etat où cet acte a étécommis." l8

Par conséquent, les tribunaux libyens sont compétents pour tout délit commis par des
Libyens à l'étranger s'ils sont trouvésen Libye.

Quant à l'extradition qui est réglementéepar les art. 493 ss. du code de procédures

pénales, l'art. 493 bis (a) prévoit notamment que l'extradition des délinquants est subordonnée
1
au fait que "la demande ne concerne pas un citoyen libyen" 9. Voici notre traduction du texte
des articles pertinents :

Art. 493 - Loi applicable :

"La loi libyenne organise les règles de l'extradition des criminels et de leur réception sauf si celles-ci sont
organisées par les conventions et la coutume internationales."

Art. 493 bis (a)- Conditions de l'extradition 20

"La personne accuséeou condamnée peut êtreextradée si les conditions suivantes sont remplies:
a) le fait constitue un crime selon la loi libyenne et la loi de 1'Etat réclamant l'extradition;
b) le crime ou la peine ne sont pas prescrits selon la loi libyenne et la loi étrangère;

c) les lois des deux Etats permettent l'engagement de l'action pénale;
d) la demande ne concerne pas un citoyen libyen;
e) le crime n'est pas de nature politique ou connexe à un crime politique;

(..)"

Art. 493 bis (b) -Extradition des personnes en transit
"La personne, accuséeou condamnée, qui est livrée ou expulsée d'un Etat vers un autre Etat peut traverser
le territoire libyen l'extradition a eu lieu à la suite d'une décision du pouvoir judiciaire de l'Etat où s'est

réfugiéela personne extradée et si les condirions indiquées aux §§ a, d, e de 1'article précédent sont
remplies."

Art. 493 bis (c)- Compétence
"Dans les conditions prévues par l'art. 493 bis (a) du code de procédures pénales, le ministre de la Justice
peut proposer ou permettre l'extradition d'une personne accusée d'un délit commis hors du territoire

libyen.
En conformité avec la proposition du ministre de la Justice, le Conseil des ministres aura le droit de
statuer sur la priorité de l'extradition s'il y a plusieurs demandes."

Art. 495 - 1ntervention du judiciaire
"L'extradition d'une personne accusée ou condamnée à l'étranger n'est possible qu'après une décision

de la Cour d'assise dans le ressort de laquelle résidecette personne.
Toutefois, 1'extradition est pe1mise sans 1'intervention de la Cour d'assise

18 Voirannexe 11°2
19 Voir annexe ll2.
20 Le~ §§ a, betc ontétéajoutés parla loin° 18 - année 1962, publiéeau Journal officiel. n° 8, année 1962.8

1) si 1'extraditine concerne qu'un seul Etat et ne fait l'objet d'aucune objection de la part de la

personne concernée ou si l'extradition a étédemandée par la personne recherchée;
2) s'il s'agit simplement d'une demande d'autorisation de passage en territoire libyen d'un accusé ou d'un
condamné à l'étranger, demande effectuée par un Etat qui a accordé l'extradition à un autre Etat après

l'intervention du pouvoir judiciairel'Etat concerné( ..2!."

Par conséquent, la législation libyenne interdit l'extradition de citoyens libyens, et

su fuordonne 1'octroi de l'extradition par 1'exécutif à une décision favorable de la Cour

d'assises.

Dans ces conditions - où la loi libyenne exclut l'extradition et prévoit la compétence

personnelle active des tribunaux libyens pour des délits commis à l'étranger par des Libyens,

y qompris des infractions à la convention de Montréal - les autorités judiciaires compétentes

ont procédéà divers devoirs d'instruction à partir du 18 novembre 1991.

Le 27 novembre 1991, le juge A.T. Zaoui, chargéde 1'enquêteadressa au Président du

Grand Jury de la U.S. District Court for the District of Columbia une demande d'information
relative à tous les documents et les procès-verbaux constituant le dossier répressif contre les

deux suspects. Une copie des documents était sollicitée ou une date à laquelle une rencontre

pm,mait avoir lieu entre les deux autoritésjudiciaires 22. Une demande identique fut adressée à

l'A.ttorneyGeneral du Royaume-Uni 23_

Le lendemain, le juge chargé de l'enquête convoquait les deux suspects ainsi que

d'autres personnes 2 4 et demandait le retrait des passeports et 1'assignation à résidence

co?cernant cinq personnes y compris les deux suspects 25_

Le 4 décembre 1991, le juge Zaoui saisissait le ministre de la Justice, d'une demande

de commission rogatoire à Malte 26_ La demande de commission rogatoire fut transmise le 8

décembre 1991 à l'ambassade de la République de Malte 27

Le 29 décembre 1991, le juge chargé de l'enquête demandait les listes de tous les

passagers sur les vols Tripoli-Malte et Malte-Tripoli pendant la période du 5 au 22 décembre
19~8 La Libyan Arab Airlines répondit à cette demande en envoyant le 8 février 1992 les
'
listes réclamées 28.
'

21 ,' Voir annexe n"2.
22 , Voir annexe n"51.
23 ' Voir annexe n°44.

24 : Faits et procéduresd'instruction concernant la destruction de l'avion américain.Voir annexe n°196
25 : Voir annexe no50.
26 , Voir annexe n° 55.

27 , Voir annexe no58.
28 Faits et procéduresd'instruction concernant la destruction de l'avion américain.Voirannexe.n°196 9

Une nouvelle demande au Haut Chancelier du Royaume-Uni fut adressée par le

Secrétaire libyen de la Justice (Ministre de la Justice) le 14janvier 1992 29.

2.8 Les Etats-Unis et le Royaume-Uni assortissaient leurs accusations de menaces à peine

voilées. Au cours d'une conférence de presse du Département d'Etat des Etats-Unis, le 14

novembre 1991, le porte-parole M. Richard Boucher déclara :

"... at this point l'rn afraid I just have to tell you that we're discussing a full range of options, we're
considering a full range of options." 30

A une conférence de presse du ] 9 novembre 1991, le Président Bush fit comprendre

que l'usage de la force n'étaitpas exclu. En réponse à une question sur les options qui étaient

envisagées, il fit, entre autres, les observations suivantes :

'ïhird, we've not mled out anything, we've not mled it in any option in or out. We must keep our options
open in responding to the incident, but 1hope you can appreciate the importance of keeping our options

secrets, as weil. 1don't want to telegraph what might do;"

et encore,

"So with respect to your question, 1hope you will forgive me if I don't show my handifI don't go into
more detail on what options are available. I'm sure you've read about retaliation, but beyond mentionning
broad categories1 would simply emphasize that 1will continue to consult with our allies, people whose

citizens were we'l make a pmdent decision on behalf of the United States of America."31

Le 15 décembre, le Secrétaire à la Défense, M. Dick Cheney, était interrogé comme

suit:

29 Voir annexe n° 79.
30 Voir annexe n° ll. Notre traduction :

"... à ce stade je crains de pouvoir seulement dire que nous envisagerons toute une gamme d'options, nous envisa­
geons toute une gamme d'options."
3l Voir annexe n° 33. Notre traduction :

'Troisièmement, nous n'avons rien exclu. Nous n'avons ni exclu ni adopléaucune option. Pour ràpcet inci­
dent, nous devons garderos options ouvertes, mais j'espère que,vous comprendrez qu'il est important de garder nos

options secrètes. Je n'ai pas envie d'envoyer un télégrammesur ce que nous pourrions entreprendre."

"Donc, en ce qui concerne votre question, j'espère que vous m'excuserez si je ne montre pas mes cartes. si je ne vous

en dis pas plus sur les options donts disposons. Vous savez ce qu'on a pu lire sur les mesures de, représailles,
mais je n'entrerai pas dans le détail.Je voudrais seulement souligner que je continuerai à consulter nos aHiés.Ce sont

des gens qui ont, eux aussi, perdu des compatriotes dans cet horrible acte de rermrisme, et que nous prendrons une dé­
cision réfléchie nom des Etats-Unis."10:

"Mr. Secretary, we just have Jess than one minute. Libya has still not turned over the two alleged bombers

of Pan Am 103. ls military retal iation against Libya a real op?"32s

Il a répondu :

"We have never ruled any option in or any option out. Obviously, we have continued to pursue that. As

the President's indicated, we care very much about bringing to justice those people who were responsible

for the bombîng of Pan Am 103."33

Le 30 décembre 1991, le représentant permanent de la Libye à 1'ONU fit une

décl1ration protestant contre les sanctions économiques unilatérales prises à nouveau par les

Et~ts- U noi esncontre 34.

Le 20 janvier 1992, le Ministre d'Etat britannique, M. Douglas Hogg, répondait au
1

parlement à une question de M. Dalyell. La question et la réponse étaient formulées comme

suit1

"Will the Minîster answer the question put. bDr. Jim Swire about how one avoids a cycle of violence
being unleashed? If military action is note ruled out- and 1get the impression from what the Minister said

that ît is not ruled out - what does the Minister expect but tit f?rShould we not recognise that the
whole tragedy started with the bombing of Tripoli, with the bombing of the civilîan areas of Benghazi and
with the shooting dawn by the Vincennes, now dîscovered to have been in Iranian tenitorial waters, of the

lranian airline ?" 35

M. Hogg:

"1 have never made any reference to the use of force. 1 have said here and elsewhere that we seek to

persuade the Govemment of Libya to comply with our requests that the two people should be brought to
trail before the courts either of Scotland or of the United States. We hope that we shall secure a United

Nations resolution underpinning that request. We hope that the Government of Libya will comply.
Clearly, if they do not, we shall have to consider our next step. 1 have not suggested force. 1 have ruled

nothing in and1 rule nothing out." 36

32 Voir annexe n" 62. Notre traduction :

"M. leSecrétaire, i1nous reste moins d'une minute. La Libye n'a pss encore livréles deux suspects de 1'attentat
contre le vol 103de la Pan Am. Des représaillemilitaires contre la Libye sont-elles réellementenvisagées?".

33 Ibid. Notre traduction :
"Nous n'avons jamais adopté ni écartéaucune option. Bien entendu, telle est restée notre politique. Comme le
Présidentl'a indiqué,nous tenons beaucoup à amener devant la justice les gens qui sont responsables de l'attentat

contre le vol 103de la Pan Am."
34 . Voir annexe no72

35 Voir annexe n° 80. Notre traduction :
"Le ministre peut-il réponàla question de M. Jim Swire quant aux mesures à prendre pour éviterde déclencher

un cycle de violence? Si une option militaire n'est pas écartée-et ce que le Ministre a dil me donne l'impression que
cette éventualitén'a pas étéécartée-le Ministre s'attend-il à autre chose qu'une risposte du tac au tac? Ne devrions­

nous pas reconnaître que toute la tragédiea commencélorsque Tripoli a étébombardé,lorsque les quartiers civils de
Benghazi ont étébombardéset lorsque le Vincennes, dont on sait aujourd'hui qu'il se trouvait dans les eaux territo­
riales iraniennes, a abattu 1'avion iranien ?"

36 : Ibid . Notre traduction :
"Je n'ai jamais mentionné le recours à la force, J'ai dit ici et ailleurs que nous essayons de convaim:re le

Gouvernement libyen de faire droit à notre demande tendant à ce que les deux intéresséssoient traduits en justice de- Il

Section 2 - L'ultimatum du 27 novembre 1991 et les réactionslibyennes

2.9 Entretemps; le 27 novembre 1991, les gouvernements des Etats-Unis d'Amérique et

du Royaume-Uni ont publié une déclaration commune ayant le contenu suivant:

"Les gouvernements britannique el américain déclarent ce jour que le gouvernement libyen doit:

- Livrer, afin qu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui sont accusés de ce crime et assumer la
responsabilité des agissements des agents libyens:

- Divulguer tous les renseignements en sa possession sur ce crime, y compris les noms de tous les

responsables, et permettre le libre accès à tous les témoins, documents et autres preuves matériellesy
compris tous les dispositifs d'horlogerie restants;

-Verser des indemnités appropriées.

Nous comptons que la Libye remplira ses obligations promptement et sans aucune réserve."37

Le Gouvernement britannique publiait, le mêmejour pour son propre compte, une
déclaration analogue.

Toujours à la mêmedate, la République française demandait la coopération judiciaire

de la Libye mais sur un ton plus conforme aux traditions de courtoisie diplomatique et en se

gardant bien d'exprimer des exigences similaires à celles des deux autres Etats 38.

Le mêmejour encore, une déclaration commune aux trois Etats (Etats-Unis, France et

Royaume-Uni) avait le contenu suivant:

"Les trois pays réaffirment leur condamnation totale du terrorisme sous toutes ses formes, et dénoncent

toute implication des Etats dans les menées terroristes. Les trois pays réaffirment leur volonté d'y mettre
un terme.

1s considèrent que la responsabilité des Etats est engagée dès lors qu'ils participent directement à de telles

actions, ou indirectement par 1'accuei 11'entraînement, les facilités accordées, l'armement, le soutien
financier, ou les protections de toutes sortes, et qu'ils en sont responsabledevant les autres Etats et
devant les Nations Unies.

Dans ce contexte, et à la suite des enquêtes effectuées sur les attentats relatifs aux vols Amn 103 et

UTA 772, les trois pays ont adressé aux autorités libyennes des demandes spécifiques liées aux
procédures en cours. Ils exige.nt que la Libye accèdà toutes ces demandes, et en outre qu'elle s'engage

vant les tribunaux écossaisou américains.Nous espéronsobtenir des Nations Unies une résolutionentérinantcette

demande. Nous espéronsque le Gouvernement libyen y fera droit. Manifestement, si tel n'est pns le cas, nous devons
déterminerquelles mesures s'imposent. Je n'ai pas suggéréla force. Je n'ai rien choisi et je n'ai rien exclu."

37 Doc. off. ONU AJ46/827ou S/23308 du 31 décembre1991. Voir annexe n°46.
38 Doc. off. ONU A/46/825 ou S/23306 du 31 décembre1991. Voir annexe n° 6412

de façon concrète et définitiàerenoncer à toute forme d'action terroriste et à tout soutien apporté à des
groupements terroristes. La Libye devrà apporter sans délai par des actes concrets les preuves d'une telle
renonciation." 39

2.10 Immédiatement, la représentation permanente de la Libye à l'ONU protesta une

nouvelle fois contre ces accusations et contre un système consistant à affirmer une culpabilité

d'Etat sans l'avoir prouvée, souligna l'illogisme à condamner avant tout procès et la

marüpulation de l'opinion publique ainsi effectuée. La Libye craignait que cela serve de

prétexte à une nouvelle agression contre elle.

La Libye maintenait néanmoins l'offre de coopérer pour la détermination des faits par

l'ed1remise soit d'un comitéinternational impartial, soit de la Cour internationale de Justice.

La condamnation, le rejet et la dénonciation de toute forme de terrorisme étaient

proçlamés dans le mêmetexte 40.

La Libye appelait en outre l'ONU à se pencher sur le problème du terrorisme en

s'attaquant aussi à ses causes 41.

Le 29 novembre 1991, le Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération

internationale publiait une déclaration se référantaux déclarations des trois Etats et soulignant

not~mme estpoints suivants:

1°) : L'opposition de la Libye à toute forme de terrorisme frappant des civils innocents et son

rejet de toute collusion avec des groupes exécutant des actes aussi inhumains. La Libye

ne permettrait pas que son territoire ou ses ressortissants soient utilisés à de telles fins.

2°) 1 En dépitdu style inamical des déclarations en question, la Libye s'engageait à traiter des

demandes des juridictions américaine et britannique "dans un esprit po sitif et
1
constructif'.

1
3°) Référenceétait faite à cet égard aux demandes d'informations transmises par le juge
d'instruction libyen à ces juridictions.

4°) : La Libye s'engageait à donner pleine attention aux demandes des trois Etats "en

conformité avec les principes du droit international, y inclus ses droits souverains et la

39 Doc. off. ONU A/46/828ou S/23309 du 31 décembre1991.Voirannexen°47.
40 iVoir annexen°42.

41 Voir annexeno48. 13

nécessitéd'assurer la justice aussi bien pour les accusés que pour les victimes". A cet

égard, la Libye faisait bon accueil à la demande de créer un comité de personnalités

arabes et internationales pour suivre le déroulement de l'instruction 42.

Le mêmeComité, tout en observant que les demandes des trois Etats relevaient de la
compétence du juge libyen, acceptait le 2 décembre 1991 que des magistrats américains et

britanniques puissent participer à l'instruction pour s'assurer de l'impartialité du procès et de

la correction de la procédure. Les organisations internationales, les associations de droits de

l'homme et les familles des victimes auraient le droit d'envoyer des observateurs ou des

avocats pour aider à l'enquêteet seraient tenues informées des développements de celle-ci. Le

juge d'instruction prendrait en considération toutes les preuves établies aux Etats-Unis
(District de Columbia) ou en Ecosse. Les autorités libyennes compétentes étaient prêtesà

coopérer complètement avec les enquêteurs écossais et américains. La Libye acceptait

l'établissement d'une commission d'enquêteneutre 43.

2.11 Le point de vue de la Libye fut soutenu par la Ligue arabe, qui, par une résolution
5156 du 5 décembre 1991, proposa qu'un cornitéconjoint 0 NU-Ligue arabe fût formé pour

examiner tout document relatif à la question 44.

Pour sa part, le sixième sommet de la conférence islamique, par une résolution du 12

décembre commenta favorablement les réponses données par la Libye aux demandes anglo­
américaines 45.

La Ligue arabe réitérasa proposition par sa résolution 5158 du 16janvier 1992 46.

Un appui similaire fut accordé par un communiqué du Secrétaire généralde l'OUA 47

2.12 Il n'est pas sans intérêtde signaler que l'Assemblée générale,Je 9 décembre 1991, a

adopté par consensus une résolu tion sur 1es mesures visant à é1iminer le terrorisme

42 Voir annexe n° 51.
43 Voir annexe n" 54. Propos déjàémisdans la déclaration du Comitépopulaire de liaison extérieure et de la coopéra­
tion internationale du 20 novembre 1991, voir doc. off. ONU A/46/844 ou S/23416 du 13janvier 1992, voir annexe

n° 36 et du 29 novembre 1991, § 4, voir doc. off. ONU N46/845 ou S/23417 du 13janvier 1992, voir annexe n° 5!.
44 Voir annexe n" 56.
45 Voir annexen° 60.

46 Voir annexe n° 78.
47 Rapportépar la représentationpermanente de la LibyeU le 13 décembre 1991, voir annexe no61.14:

i
1
international. Tant les conditions dans lesquelles elle a étéadoptée que l'équilibre de ses
considérants reflètent un consensus généraldes membres de l'Assemblée généralesur les

me~ur eu'elle préconiseet l'étatdu droit international coutumier qu'elle constate.

Ceci est reflété,en particulier, par le paragraphe 4 du dispositif qui se lit comme suit:

"Demande instamment à tous les Etats de se conformer aux obligations que leur impose le droit
international et de prendre des mesures efficaces et résolues pour éliminer rapidement et définitivement le

terrorisme international et, à cette fin:

a) D'empêcherla préparation et l'organisation sur leur territoire d'actes de terrorisme et d'actes subversifs

destinés à êtrecommisà 1'intérieur àu1'extérieur de leur territà1'encontre d'autres Etats ou de leurs
ressortissants;

b) De veilleà arrêter,traduire en justice ou extrader les auteurs d'actes de terrorisme;

c) De chercher à conclure des accords spéciaux à cet effet, sur une base bilatérale, régionale et
multilatérale;

d) De coopérer entre eux en échangeant des informations relativàsla lutte contre le terrorismà sa
prévention;

e) De prendre proprement toutes les mesures nécessaires pour appliquer les conventions internationales en
vigueur dans ce domaine auxquelles ils sont parties, notamment pour harmoniser leur législation nationale

avec cesconventions." 48

Il est inutile de souligner que, dans ses comportements et ses propositions, la Libye

n'a!cesséde se conformer à ces obligations.

SeCtion 3 - Le refus de produire les preuves alléguées

2.13 L'attitude de non-coopération des Etats défendeurs est particulièrement insolite sinon
suspecte. Les autorités britanniques et américaines se sont toujours refusées à apporter à la

Libye la moindre preuve des allégations contenues dans les actes d'accusation. Les avocats

des,intéressésn'ont pas eu non plus accès aux dossiers.

Les demandes des juges d'instruction libyens adressées à Washington et en Ecosse ont

étérejetées. Au Royaume-Uni, Lord James Douglas Hamilton a déclarédevant le Parlement

britannique le 28 janvier 1992:

48 Voir annexe n"59. 15

" ... the Libyan authorities have made public the fact of their request that the Lord Advocate assist a
Libyanjudicial investigation. The Lord Advocate has made it clear that he is not prepared to co-operate in
h . . . r ,49
suc an mvest1gat10n .·.1..

Les autoritésaméricaines n'ont pas davantage daignérépondre.

Comme on l'a vu (supra § 2.3), selon les actes d'accusation, la valise piégéeserait

partie de Malte en direction de Francfort le 21 décembre 1988 et, de là,·transféréesur le vol

Pan Am 103 A pour Londres.

Les enquêtes des autorités maltaises n'ont apporté aucune preuve corroborant cette

allégation. Ainsi, selon un communiqué d'Air Malta du 15 novembre 1991, l'enquêtemenée

sur place en coopération avec la police écossaise n'avait pas apportéla moindre preuve qu'un

bagage non accompagné ou non identifié aurait étéintroduit dans l'appareil en question ou

qu'un passager non identifié y aurait pris place so. Selon un communiqué conjoint des

gouvernements de Malte et de Libye du 17 décembre 1991:

"Le représentant maltais a affirmé que, selon les résultats de l'enquête,aucune valise n'appanenant pas à
un passager n'a étéchargée à bord du Vol RM [il faut lire KM] de la compagnie aérienne maltaise à

destination de Franc fon, le 21112/19851"

Section 4- Les tentatives infructueuses de la Libye de trouver une solution pacifique

au différend

2.14 La Libye a multiplié les propositions aux défendeurs de régler par des voies de droit

les différends les opposant:

- Ainsi par sa lettre du 20 novembre 1991 adresséeau Secrétaire généraldes Nations Unies, le

Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et la coopération internationale déclarait

que:

"La Grande Jamahiriya se déclare entièrement disposée à coopérer avec toute instance juridique
intemationale impmtiale, car elle se considère la victime dans cette affaire." 52

49 Hansard, 28 January, 1992, p. voirannexe n"87.
50 Voir annexe no22.

51 Voir annexe n°63.
52 Voir annexe n"36. 16

- Les positions libyennes sont répétées formellement dans une nouvelle lettre adressée le 8

janvier au Secrétaire généraldes Nations Unies. Le Secrétaire du Comité s'exprime comme
suit:

-à propos du contrôle de l'impartialitédu juge libyen:

"Nous avons donné notre accord de princî pe à l'ouverture d'une enquête internati onale honnête et
irnpartiale ...;"

- à propos du conflit juridique sur la compétence du juge libyen:

"nous avons donné notre accord au recours à la Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal

des Nations Unies, pour se prononcer sur la question de compétence;"

-à propos du conflit politique, il préconisait le respect de la Charte :

"A ce propos, nous aimerions vous présenter les propositions ci-après :
i)[ ...]

ii)Au cas où 1'on parlerait d'un différend d'ordre juridique, inviter les paàtse mettre d'accord pour Je
régler en saisissant les instances judiciaires internationales, dont la Cour internationale de Justice, et ce,
conformément au règlement de la Cour;"

La mêmeautoritédemandait que les trois pays soient invités

"à accéder à 1a demande des juges 1ibyens chargés d'enquêter sur ces a tentats tragiques, en leur
fournissant une photocopie certifiée conforme à l'original des procès-verbaux." 53

Section 5 - L'invocation de la Convention de Montréal

2.15 Dès le 30 décembre 1991, la Libye interpellait l'OACI et se plaignait des accusations

lancéescontre elle sans la moindre preuve 54_ Le Il janvier 1992, dans une nouvelle lettre au

Président du Conseil et au Secrétaire généralde cette institution spécialisée,la Libye situe

expressément le conflit dans les limites juridiques qui s'imposent aux parties : la convention

de Montréal;elle mettait en lumière la pleine conformité de son action avec cette convention :

53 Doc. off. ONU A/46/841 ou S/23396 du 9 janvier1992. voir annexe no73.Voyez encore les offres de coopération
dans la déclarationdu représentant permanentde la Libye aux Nations Unies, le mêmejour (voir anne74)net un
projet ambitieux de lutte contre toutes les formes de terrorisme; doc. A/46/840 du 9 janvier1992,voir an­

nexeno 72.
54 Vuir annexe n°66 17

"!n accord ance with Article ( 13) - para( c) of the Montrea 1 Convention for 1971 , wh ich the Great

Jamahiriya joined in accordance with Law n°(79) of 1973 on 16/1011973 55, we wish to inform you of
certain procedures taken against those alleged to be involved in that painful incident, in view of their

existence in our country and impossible handover thereof in accordance with Article (8) -Para(2) of
Montreal Convention.

"Our country has laken , in accordance with Article (5.2) of Montreal Convention, the necessary

procedures for imposing its function, especially as the said Agreement would not prevent from any
criminal function exercised according to the national law and the Libyan law gives competence to the

Libyan national judiciary.

Actually, ajudge for investigation in the degree of Counsellor has been designated who started the judicial

procedures for ascertaining the existence of the accused persons and took prompt steps for making
preliminary investigation.The states concemed asper Article (5/1)of the said Montreal Convention were

infomted that investigation has been started with the accused persan and these countries were asked to
cooperate with the Libyan judicial authorities.

The Libyan judicial authorities designated for investigation demanded that by official correspondence

adressed to the Attorney General of the U.K. and Chairman of the Supreme Juries Board, D.C., U.S.A.
and the French Judge for investigation. However, these demands have not received any response so far.

We will inform you of any developments or other measures." 56

-Le 10 janvier 1992, le représentant permanent de la Libye faisait savoir qu'il n'y avait pas

d'objection à ce que le Conseil de sécuritélui-mêmechargeât un comité composé de membres

du Conseil d'enquêter sur la question ou instruisit le Secrétaire général de former un tel

comité 57.

- Enfin, le 18 janvier 1992, le Secrétaire du Comitépopulaire de liaison avec 1'étranger et de

coopération internationale envoya une lettre identique au Secrétaire d'Etat des Etats-Unis, M.

James Baker et au ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, M. Douglas Burd. En

voici de très larges extraits:

55 Ce texte est reproduit en annexe n° 4.

56 Ce texte est reproduit en annexe n°75. Notre traduction : "Conformémentà 1'article 13, paragraphe c de la convention
de Montréalde 1971, à laquelle la Grande Jamahiriya a accordéconformément1tla loi n°79 de 1973. le 16110/1973.

nous tenonsà vous infonner de certaines procéduresqui sont introduites contre les personnes accusésd'êtreimpli­
quéesdans ce pénibleincident, eu égardde leur existence duns notre pays et à l'impossibilitéde les remettre. confor­

mémentà 1'article 8, paragraphe 2 de la convention de Montréal.
Notre pays a mis en oeuvre, conformément l'anick 5 § 2 de la convention de Montréal,les procéduresnécessaires

pour exercer sa compétence,eu égarden particulier au fait que la convention ne fait obstacle à aucune compétence
pénaleexercéeconformémentau droit national, et dès lors que la loi libyenne confère compétenceau pouvoir judi­
ciaire libyen.

Actuellement, un juge d'instruction de grade de conseiller, a étédésignéet a commencé les procéduresjudiciaires
pour s'assurer de la présencedes accusés,et a immédiatementpris des dispositifs pour commencer une enquêtepréli­

minaire. Les Etats concernésau titre de 1'article 5(1) de ladite convention de Montréal ont étéinformésde ce que
l'enquêteavait commencé avec les accusés,et ces Etats ont étépriésde coopéreravec leautori jdéiiaires li­

byennes.
Les autoritésjudiciaires libyennes désignéespour l'enqnêtcont demandécette coopérationpar correspondance offi­

cielle adressàel'Attorney General du Royaume-Uni, au Présidentdu Supreme Juries Board, D.C., U.S.A. ct aujuge
d'instruction français. Toutefce~demandes sont restéessans réponsejusqu'à présent.Nous vous informerons de

tout développementou d'autremesure~."
57 Voir annexe n°76.18

"(...) Les Etats Unis d'Amérique, le Royaume-Uni et la Libye sont des Etats parties à la Convention de
Montréal de 1971 pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile. En
conséquence par respect pour le principe de la primauté du droit et en application du Code libyen de
procédure pénale promulgué en 1953, qui définit la compétence de la justice libyenne, dès que les

accusations eurent étéportées, la Libye a exercé sa compétence à l'égard des deux autems présumés
conformément à l'obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l'atticle 5 de la convention de
Montréal en prenant certaines mesures pour assurer leur présence et en prenant immédiatement des
dispositions pour ouvrir une enquêtepréliminaire. Elle a notitléaux Etats visésau paragraphe 1de l'article
5 de la Convention que les suspects étaienten étatd'arrestation.

Il est incontestable que la convention de Montréal pour la répression d'actes illicites dirigés contre la
sécuritéde l'aviation civile n'écarte aucune compétence pénale exercée confom1ément au droit national
(libyen en l'occurrence), ainsi qu'il est énoncéau paragraphe 3 de l'article 5. En notre qualitéd'Etat partie

à la Convention et conformément au paragraphe 2 du mêmearticle, nous avons pris les mesures nécessaires
pour établir notre compétence aux tins de connaître de toutes infractions prévues aux alinéas a), b) etc) du
paragraphe 2 de l'article premier ainsi qu'au paragraphe l du même article, étant donné que l'auteur
présuméen l'espèce se trouvait sur notre territoire.

De surcroît, l'article 7 de la Convention stipule que l'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur de
l'infraction est découvert; s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affairàses autorités compétentes pour
l'exercice de l'action pénale, et que ces autorités prennent leur décision dans les mêmes conditions que
pour toute infraction de droit commun de caractère grave conformément aux lois de cet Etat.

L'affaire a effectivement étésoumise aux autoritésjudiciaires et un juge d'instruction (conseiller la Cour
suprême)a éténommé. II a engagé des procéduresjudiciaires et émis un mandat d'arrêtprovisoire contre
les deux suspects. Les Etats visésau paragraphe l de l'article 5 de la Convention ont éténotifiés (sic) en
conséquence et invités àcoopérer avec les autoritésjudiciaires libyennes. Les autoritésjudiciaires libyennes

chargées de mener l'enquêteont fait la mêmedemande dans des communications officielles adressées aux
personnes suivantes :

L'Attorney General des Etats-Unis d'Amérique;

Le Présidentdu Grand Jury du District de Columbia (Etats-Unis d'Amérique);

Le juge d'instruction français.

Or, jusqu'ici, il n'y a eu de réponseà aucune de ces demandes.

La Libye, en prenant ces mesures, a donné une expression concrète au profond chagrin qu'elle éprouve
devant la destruction tragique et criminelle del'aéronef en question, et elle a à plusieurs reprises ex.primé
son respect du principe de la primautédu droit.

Après que la Libye eut demandé la coopération des autres parties intéressées,et alors qu'elle escomptait
une coopération sans réserve, les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni ont non seulement refusé
catégoriquement de coopérer, mais mêmemenacé de recourir à la force et, somme toute, leur réaction a
rendu impossible tout règlement négocié.

Il convient de noter que le paragraphe l de 1'article 14de la Convention stipule que tout différend entre les
Etats contractants qui ne peut pas êtreréglépar voie de négociation est soumis à l'arbitrage, à la demande
de l'un d'entre eux.

Au paragraphe 1 de l'Article 33 du Chapitre VI de la Charte, intituléRèglement pacifique des différends'',
il est dit que les partiàstout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la
paix et de la sécuritéinternationales doivent en rechercherla solution par voie de négociation, d'enquête,

de médiation, de conciliation, d'arbitrage ou de règlement judiciaire.

La Libye engage les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni à se laisser guider par la voix de la
raison et par le droit,à accepter rapidement un arbitrage, selon le paragraphe 1 de 1'article 14 de 1a
Convention et à s'asseoir avec elle aussitôt que possible à la table de négociation afin de définir les

modalités pour contribuer à la préparation de l'arbitrage du différend. 19

La Libye affirme qu'elle condamne sans réserve le terrorisme sous toute ses formes, elle blâme toute
participation à un crime de ce type et nie expressément avoir participé en quoi que ce soit aux actes qui

ont abouti à la destructionde l'aéronef de la Pan Am, en avoir eu connaissance ou y avoir
consenti (...)." 58

Par ce texte, la Libye invoquait de manière expresse les articles pertinents de la

convention de Montréal.

Trois jours plus tard, le Secrétaire du Comité Directeur de l'Etablissement public de

l'Aviation civile et de la Météorologie adressait une lettre au Président du Conseil et au

Secrétaire généralde 1'0. A.C.l., soulignant 1e rôle de l'article 14 § 1 de la convention de

Montréal, et portant à leur connaissance qu'un mémorandum avait étéadressé sur ce point aux
Etats-Unis et au Royaume-Uni 59.

Dès le 20 janvier 1992, M. Douglas Hogg, ministre d'Etat au Foreign and
-
Commonwealth Office refusait l'idéed'appliquer la convention de Montréal en prétendant que

celle-ci n'étaitpas d'application dans le cas où un Gouvernement est lui mêmeimpliqué dans

l'attentat, tout en reconnaissant que la prémisse de cette conclusion n'étaitpas prouvée 60.

CHAPITRE II - LE RECOURS AU CONSEIL DE SECURITE ET L'ADOPTION

DE LA RESOLUTION 731 (1992)

Section 1 - Le texte de la résolution

2.16 Se rendant compte sans doute de l'impossibilité pour eux d'obtenir l'extradition des

deux libyens par les voies du droit international coutumier conventionnel, les défendeurs
décidèrent de saisir le Conseil de sécuritéatïn d'essayer d'obtenir de ce dernier un appui à

leurs demandes.

58 Doc. off. ONU S/23441 du 18janvier 1992, voir annexe n"79.

59 Voir annexe n°84.
60 Voir annexe n°80.20

Lors de sa 3033ème séance,le 21 janvier 1992, le Conseil de sécuritéadoptait le texte

du projet de résolution soumis un jour plus tôt par les Etats-Unis, la France et le Royaume­

Uni 61_ Aux termes de la résolution 62,le Conseil de sécurité:

Profondément troublépar la persistance, dans le monde entier. d'actes de terrorisme international sous
toute ses formes, y comprisceux dans lesquels des Etats sont impliqués directement ou indirectement, qui
mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les relations
internationales et peuvent compromettre la sécuritédes Etats,

Gravement préoccupé par tous les agissements illicites dirigé s contre l'aviation civile internationale et
affirmant le droit de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit
international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une menace

à la paix et à la sécuritéinternationales,

Réajjinnant sa résolution 286 (1970)du 9 septembre 1978,par laquelle il demandait aux Etats de prendre
toutes les mesures juridiques possibles pour empêcher toute ingérence dans les liaisons aériennes
internationales civiles,

Réaffirmant également sa résolution 635 (1989) du 14 juin 1989,par laquelle il condamnait tous les
agissements iIlicites dirigés contre la sécuritéde 1'aviation civile et demaàdtous les Etats de coopérer
à la mise au point et à 1'application de mesures visanà prévenir tous les actes de terrorisme, y compris

ceux commis au moyen d'explosifs,

Rappelant la déclaration faite le 30 décembre 1988par le Président du Conseil de sécuritéau nom des
membres du Conseil condamnant fermement la destruction du vol PAN AM 103 et appelant tous les

Etatsà apporter leur aide afin que les responsables de cet acte criminel soient arrêtéset jugés,

Profondémentpréoccupépar ce qui résulte des enquêtes impliquant des fonctionnaires libyens et qui est
mentionné dans les documents du Conseil de sécuritéqui font étatdes demandes adressées aux autorités
libyennes par les Etats-Unis d'Amérique 63, la France 64. et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et

d'Irlande du Nord 65 liéesaux procédures judiciaires concernants les attentats perpétréscontre les vols de
la Pan American et de l'Union des transports aériens,

Détenniné à éliminer le terrorisme international,

1. Condamne la destruction du vol Pan American 103 et du vol 772 de l'Union des transports aériens
ainsi que la perte de centaines de vies humaines qui en est résultée;

2. Déplorevivement le fait que le Gouvernement libyen n'ait pas répondu effectivement à ce jour aux
demandes ci-dessus de coopérer pleinement pour l'établissement des responsabilités dans les actes

terroristes susmentionnéscontre les vols 103 de la Pan Arnerican et 772 de 1'Union des transports
aériens;

3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponse complète et
effective à ces demandes afin de contribuerà!'élimination du terrorisme international;

4. Prie le Secrétaire généralde rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apporter une
réponse complète et effective à ces demandes;

5. Demande à tous les Etats d'encourager individuellement et collectivement le Gouvernement libyen
d'apporter une réponse complète et effectiveà ces demandes;

6. Décide de rester saisi de la question.

61 Doc. ONU S/23422, voir annexe n°81.
62 Doc. S/RES/731 (1992), voir annexe n°82.

63 Doc .ONU S/23309, voir annexe n"47, DocONU S/2308, voir annexe n°46, Doc.ONU S/233 !7,voir annexe n"7.
64 Doc . ONU S/23306, voir annexe n"64, Doc ONU S/23309, op.cil.
65 Doc. ONU S/23309,op.cit.•Doc. ONU S/23307. voir annexes n"8, 9, 45 et 69. 21

Section 2 - Les discussions au Conseil de sécurité

A - La position libyenne

2.17 A l'occasion des débats, M. Jadalla A. Belgasem El-Talhi, Secrétaire des industries

stratégiques de la Libye, a défendu la position de son pays de la façon suivante.

Tout d'abord, le représentant de la Libye se félicite de la séance tenue par le Conseil

de sécurité.Et de rappeler que la Libye aurait pu demander une réunion du Conseil après les
menaces directes de recours à la force lancées à l'encontre de son pays par de hauts

responsables des gouvernements du Royaume-Uni et des Etats-Unis d'Amérique 66. "C'est la

Libye qui est menacée par des superpuissances, tout comme elle a fait l'objet d'une agression
arméeen 1986." 67

Selon le Secrétaire, le différend dont le Conseil est saisi est une question juridique.
Elle porte d'une part, sur un problème de conflit de juridiction, et d'autre part, sur la

détermination juridique d'une demande d'extradition. Quant au premier problème, la Libye

estime que le droit international et les conventions internationales prévoient des moyens

concrets de le régler,et en premier lieu, la convention de Montréal pour la répression d'actes
illicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile. L'article 14 de cette convention prévoit

expressément la procédure à suivre en cas de différend entre Etats relatifs à l'interprétation ou

l'application de la convention 68. Quand au différend relatif à l'extradition, la Libye considère
qu'il s'agit bel et bien d'une question juridique et que le Conseil de sécuriténe serait pas

1'instance compétente pour en connaître 69.

Le représentant de la Libye fait ensuite valoir de vives critiques quant au projet même

de résolution qui étaitprésentéau Conseil.

Comment le Conseil de sécuritépourrait-il adopter un projet de résolution fondé sur

les conclusions d'un investigation incomplète ? 70 De très gros problèmes de preuves sont

effectivement soulevéspar cette proposition soumise au ConseiL

0
66 Doc. ONU. S/PV. 3033, voir annexll83, pp.4-5 et 7.
67 Ibid., pp.23-25.
68 Ibid., p.12.

69 Ibid., pp.l3-15.
70 Ibid., p.16.22

Comme le note la Libye, les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni et la France lui

ont demandé, entre autres de divulguer toutes les informations qu'elle possède concernant le

crime, y compris tous ceux qui y ont participé, et d'avoir accès à d'autres documents et

preuves matérielles. Ce faisant, ces trois Etats ont démontréque l'enquêten'est pas complète

et que l'accusation manque de témoins et de preuves matérielles 71.De surcroît, les preuves

étayant ces inculpations sont sans valeur, et les accusations reposent sur des suppositions et

des actions sans fondement 72. D'une part, cela aboutit à renverser la présomption

d'innocence. "Les accusés doivent maintenant êtreconsidéréscoupables jusqu'à ce que leur
innocence ait été prouvée" 73. D'autre part, ces affirmations sans fondements ne peuvent

étayerdes accusations aussi graves que celles qui sont reprises dans le texte de la résolution 74.

La Libye conteste égalementtoute mise en cause de sa responsabilité.

"En vertu de quel droit un acte dont est accuséun particulier- mêmes'il occupe un poste officiel dans son
pays- implique-t-il qu'il a étécommis en collusion avec cet Etat?"

S'il est en effet incontestable que les deux suspects sont des employés d'un organe parastatal libàen
finalité commerciale - les Libyan Airlines, il n'a jamais étéprouvé par les défendeurs que les suspects

seraient des agents secrets de la Libye.

Il importe particulièrement que la responsabilité des individus soit déterminée avant de
7
conclure que l'Etat est responsable, mêmesi l'intéresséest fonctionnaire dudit Etat 5.

Comment le Conseil peut-il condamner la Libye pour ne pas avoir répondu aux
demandes des Etats-Unis d'Amérique, de la France et du Royaume-Uni après toutes les

mesures qu'elle a prises ? 76 Le représentant libyen a rappelé les mesures adoptéesjusqu'ici

par son pays à la suite des demandes d'inculpation présentéespar ces trois Etats :

- nomination de deux magistrats enquêteurs;

- amorce d'une enquête sur base de la 1oi libyenne de 1953 relative aux procédures
7
criminelles 7;

- communication des enquêteurslibyens avec les autorités d'enquêteen Ecosse, aux Etats­

Unis d'Amérique et en France et offre de collaboration aux enquêteursde ces trois pays 78;

71 Ibid., p.l7.

72 Ibid., p.6.
73 Ibid., p.6.
74 lhid., p.7.

75 Ibid.,.!6.
76 Ibid.,.l6.
77 Ibid., p.7.

78 Ibid., pp.8-l 23

- les autorités libyennes ont fait savoir qu'elles étaient prêtesà recevoir les enquêteurs. Elles

ont reçu les avocats de ceux qui se sont constitués partie civile;

- la Libye a proposé, en raison de la dimension internationale des événements,de mettre sur

pied une commission d'enquête internationale, voire de créer un comité d'enquête neutre

ou de renvoyer l'affaire devant la Cour internationale de Justice79.

La justice libyenne a donc bien étésaisie de l'affaire.

"Les autorités judiciairecompétentes continuent à s'en tenir aux procédures prévues par la loi. Il est
inconcevable de mettre en cause l'indépendance, l'impartialité et l'intégrité de l'appareil judiciaire
libyen"80.

Au contraire, si l'enquêten'a pas progressé, c'est faute de coopération de la part des

autres parties et à cause de leur refus de communiquer les dossiers de 1'enquête aux

enquêteurs1ibyens 81•

Enfin, le représentant libyen a rappelé que, conformément à 1'article 14 de la

Convention de Montréal, il a demandé de soumettre le différend à 1'arbitrage dans des
communications officielles adressées aussi bien aux Etats-Unis d'Amérique qu'au Royaume­

Uni., et a réitéré ces propositions devant Je Conseil 82 :

"Pour pe1mettre un règlement rapide du différend, nous estimons qu'une date limite proche et définitive
doit être fixée pour ces procédures, après quoi, si aue un accord n'intervient quantà 1arbitrage, 1a
question pourrait êtrerenvoyée devant la Cour internationale de Justice" 83.

De façon générale,l'adoption du texte de la résolution 731 par le Conseil doit être

replacésous l'angle de la légalitéde son action.

"La légalité des travaux de ce Conseil est fonction du respect des dispositions de la Charte de

l'Organisation et de 1'application appropriée de ces dispositions. Il est inconcevable de mettre ce principe
en application si les parties à ce différend participent au vote du projet de r84_lution"

Enfin, le représentant libyen a rappelé devant le Conseil la condamnation du

terrorisme par la Libye sous toute ses formes.

79 Ibid., p.ll.

80 lbid.. p.22.
81 Id.
R2 Id.

S3 Id.
84 Ibid., pp.23-2S.24

"La Libye a affirmépar le passéet réaffirme aujourd'hui sa détermination de prendre toutes les mesures et

de tout faire pour mettre un terme à ce phénomènedangereux. Nous sommes disposés à nous engager à
combattre ce fléauau moyen de toutes les mesures adoptées par la communauté internationale" 85.

B- La position des Etats auteurs du projet

2.18 Les trois Etats auteurs du projet de résolution ont étéamenés à 1'issue du vote à

donner les explications suivantes.

M. Pickering, au nom des Etats-Unis d'Amérique, a défendu la position de son pays

et insistésur différents points:

- la question dont est saisi le Conseil concerne "un comportement qui nous menace tous et qui

met directement en danger la paix et la sécuritéinternationales" 86;

-"le Conseil s'es! trouvédevant un cas qui implique clairement la participation d'un gouvernement à des
activités terroristeset pour lesquels il n'existe pas de pouvoir judiciaire indépendant dans l'Etat

incriminé." 87

- "aux termes de cette résolution, la Libye est directement priéede coopérer pleinement en remettant les
fonctionnaires accusés d'êtreresponsables de la destructions de ces deux avions ou d'y êtremêléset de

prendre des mesures concrètes pour se conduire comme un Etat respec!Ueux du droit." 88

Il affirme au surplus, sans beaucoup de respect pour le texte qu'il vient de voter que

"La résolution stipule que les personnes accusées soient simplement et directement remises aux autorités

judiciaires des gouvernements qui, en droit international, sont compétents pour les juger." 89

Le représentant du Royaume-Uni, Sir D. Hannay, a développé la position de son
gouvernement et justifié l'adoption de 1a résolution 731 en ces termes :

deux motifs justifiaient la saisine du Conseil. D'une part parce qu'il y a "de bonnes raisons

de penser que les services officiels d'un Etat membre de l'Organisation des Nations Unies

ont participé" aux attentats terroristes 90 et d'autre part, parce que, "jusqu'à présent, la

!!5 Ibid..p.\8-20.

86 Ibid.,p.78.
87 Ibid.,pp.78-80.
88 Ibid.,p.78.

89 Ibid.,pp.79-80.
90 Ibid.p.I03. 25

Libye n'a pas répondu à nos demandes afin que les accusés soient livrés à la justice
d'Ecosse ou aux Etats-Unis" 91;

la convention de Montréal ne trouve pas à s'appliquer. "Ce qui nous préoccupe ici, c'est la

réactionde la Communauté internationale devant la situation découlant du fait que la Libye

n'a pas, à ce jour, répondu de façon crédible aux graves accusations selon lesquelles un
2
Etat aurait participéà des actes de terrorisme" 9 ;

les deux suspects libyens devraient de toute évidence se dérouler en Ecosse ou aux Etats­

Unis et non en Libye puisque

"dans ces circonstances particulières, on ne pourrait avoir confiance dans l'impartialité des tribunaux

libyens" 93;

la résolution ne peut êtreinterprétéecomme remettant en cause les règles nationales des

pays qui interdisent l'extradition de leur ressortissants. "Mais, il n'y a pas de règle de droit

international qui exclut l'extradition de ressortissants". Et dans les circonstances où un Etat
est impliquédans des actes terroristes,

"il doit êtreévidentpour tous que 1'Etat qui a 1ui-mêmeparticipéaux actes de terrorisme ne peut juger ses
propres agents."94

Enfin, le représentant français, M. Rochereau de la Sablière, a juste rappelé, au nom de

son gouvernement, qu' :

à ce jour, les autorités libyennes n'avaient pas répondu de manière satisfaisante aux

demandes françaises, américaines et britanniques 95;

il espérait que la résolution 731 "amènera les autorités libyennes à accéder, dans les plus

brefs délais, aux requêtesdes autorités judiciaires chargées de mener l'instruction sur les

attentats odieux commis contre les vols UTA 772 et Pan Am 103'' 96_

91 Ibid.• p.102.

92 Ibid.. p.104.
93 Ibid., p.104.
94 Ibid., p.!OS.

95 Ibid.,p.81.
96 Ibid., p.82.26

C - La position des Etats tiers

2.19 Les explications de vote données par les autres membres du Conseil donnent une

interprétation sensiblement différente du texte de la résolution 731 et de sa portée.

Concernant les objectifs de la résolution 731, presque tous les Etats sont d'accord pour

affirmer que le but principal de la résolution, ou l'un d'eux, consiste dans l'affirmation claire

par le Conseil de la condamnation du terrorisme 97.

M. Gharekhan, représentant de l'Inde, y apporte cependant une nuance en précisant

que "la décision du Conseil vise cet objectif de lutte contre le terrorisme et ne compromet pas,

de 1'avis de ma délégation, 1attachement - ou le manque d'attachement - d'un pays

quelconque à la promotion de l'objectif visé".98

Quant au second objectif de la résolution 731, les explications des Etats sont beaucoup

moins claires et précises. Si les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont exprimé l'opinion, après
que la résolution eût étévotée, que celle-ci demandait la remise ou la livraison des suspects

libyens, tel n'est pas le cas des autres Etats membres du Conseil qui se sont prononcés au seul

vu du texte et avant le vote. La France ne fait que se référeraux requêtes des trois Etats. De

façon générale, les représentants des autres Etats membres n'ont pas fait référence à une

possible extradition et ont préféré des formules plus larges.

-"Il appartient à la Libye de coopérer pleinement avec les autorités judiciaires des Etats directement

concernés par ces deux attentat(M.Noterdaeme, Belgique).99

-"Ceux qui commettent des actes criminels doiveêtretraduits en justice, et il appartient maintenant à la

Libye d'apporter toùte sa coopération à cette fin" (M. Hohenfellner, AutOOche).

Certains Etats, au contraire, ont manifestement émis des réserves:

-Si "les auteurs de tels crimes devraient êtretraduits en justice et punis conformément à la

loi", le représentant du Cap- Vert précise que

97 En ce sens voyez les déc\armions M. M unbengegwi (Zimbabwe). ibid_, 2janvierl992,P-71• de M. Posso

Serrano(Equateur). p.72M.tNoterdaeme (Belgique)p.8l
98 Ibid.• pp.94-95.
99 Ibid.• p. 83.

100 ibid., p.92. 27

"notre vote ne saurait et ne doit cependant pas êtreinterprétéen aucune façon comme signifiant que nous

sommes en faveur de la création d'un précédent quel qu'il soit susceptible de modifier les règles et la
pratique intemationale bien établies en matière d'extrtin"d.01

-"11est indispensable/ .../ que l'on n'ailleàpl'encontre des principes juridiques qui régissent l'autorité
de l'Etat, particulièrement en ce qui concerne l'extradit(M." Posso Serrano, Equateur).102

-Le deuxième objectif de la résolution

"vise à faire en sorte que les accusés soient traduits en justice. Le Zimbabwe estime que cela doit se faire

sur la base des normes juridiques établies et des instruments juridiques internationaux existants
applicables aux actes de terrorisme".

A cet occasion, le Zimbabwe rappelle le précepte traditionnel aut dedere, aut punire 103_

-Le représentant marocain, M. Snoussi, invoquant également le principe d'extrader ou juger,

atlirme que le

"Maroc ne peut en aucun cas estimer que l'adoption du projet de résolution qui nous est soumis
aujourd'hui au Conseil de sécuritépuisse consacrer une exception quelconque à ce principe incontestable

de droitinternational"04

De plus, le Maroc considère "au premier stade que la coopération demandée concerne

1'établissement des faits'' .1os

2.20 Certaines observations effectuées par les Etats présents lors des débats au Conseil de

sécuritépermettent également de donner un autre éclairage à la résolution 731.

M. Li Daoyu, représentant de la Chine, a ainsi adressé un appel clair à la modération.

"La Chine juge qu'une attitude prudente et appropriée plutôt que la manière forte doit être

adoptée pour surmonter pareilles divergences" l86. Elle ne faisait d'ailleurs qu'énoncer un

appel déjàlancépar M. Oman au nom de la Ligue des Etats arabes 107_

L'idéed'une forme d'enquêteimpartiale comme méthode adéquate en vue de régler le

différend a étéreprise par la Chine sous la forme d'une "enquête juste, sérieuse ou

lOI M. Jessus, ibid., p.76.

102 Ibid., p.73.
103 M Mungegwi, représentantdu Zimbabwe, ibid., p.71.

104 Ibid., pp.SS-60,
105 Ibid.p. 57.

106 Ibid.p.86.
· 107 Ibid., p.26.28

objective" 108.Le représentant de la Ligue des Etats arabes 109 et d'autres Etats ont étéamené

à soutenir les propositions libyennes favorables à l'établissement d'une commission d'enquête

internationale ou dans un lieu impartial IIO.

Enfin, certains Etats ont mis en doute les compétences du Conseil de sécuritédans

cette affaire et la légitimitéde son action :

- le représentant mauritanien faisait part des inquiétudes de sa délégation"de voir le Conseil
de sécurité, dont 1a res po nsabi 1 ité primordiale est d'assurer la paix et la sécurité

internationales, recourir à des procédures contestées susceptibles d'influer gravement sur

l'autorité de ses décisions et qui présente le risque de créerun précédentdangereux" III;

- le représentant du Soudan s'est déclarégravement préoccupéepar l'action du Conseil. "Au

lieu d'êtreune instance de règlement des litiges entre les Etats membres ou de maintien de

la paix et de la sécuritéinternationales, le Conseil de sécuritéest devenu une instance qui
11
impose aux faibles la volonté et les intérêtsdes forts" 2.

CHAPITRE III - DE LA RESOLUTION 731 (21 JANVIER 1992) À L'ADOPTION

DE LA RESOLUTION 748 DU 30 MARS 1992

Section 1 - Les positions des Parties selon les rapports du Secrétaire général

2.21. A la suite de l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 731 (1992), le

Secrétaire général mandate son représentant, M. Vassili Savrontchouk, pour rencontrer à

Tripoli le Colonel Kadhafi, et examiner la manière dont la Libye pourrait répondre aux

recommandations de la résolution 731 (1992) 113.

108 fbid., pp.84-85.
109 Ibid., pp.28-30.
110 M. Zarif, représentant 'ran, ibid., p. 68, M. Hassan, représentant du Soudan, ibid., p.32.

Ill Ibid., p.52.
112 Ibid., p.36.
113 Lettre du Secrétaire généralau Colonel Kadhafï, 23 janvier 1992, V. annexe n° 64. 29

Le résultatde cette entrevue figure dans le rapport du Secrétaire généralen date du Il

février 1992 114_ En substance, le Secrétaire généralfaisait savoir au Colonel Kadhafi qu'il
agissait sur base du § 4 de la résolution 731 (1992) 115, et non comme médiateur entre le

Conseil de sécuritéet la Libye.

Le Colonel Kadhafi exposa comme suit la position de son pays:

- la Libye étaitprêteà coopéreravec le Secrétairegénéral;

- la Libye avait ouvert une instruction à l'égarddes deux suspects;

- les autoritésjudiciaires libyennes souhaitaient plus d'informations de la part des Etats-Unis

et du R.-U.;

- les Etats-Unis et le Royaume-Uni pouvaient envoyer leurs propres juges en Libye s'ils ne

faisaient pas confiance à la justice libyenne;

- le Gouvernement libyen ne pouvait cependant pas contrevenir à ses propres lois;

- en cas de procès en Libye, le Secrétaire généralpouvait faire venir des juges américains,

anglais et français, ainsi que des représentants de la Ligue des Etats arabes, de l'O.U.A. et
de la Conférenceislamique comme observateurs judiciaires.

Le rapport mentionne aussi qu'à la suite d'une rencontre tenue le Il février entre le

Secrétaire général et le représentant permanent de la Libye aux Nations Unies, la Libye avait
fait savoir qu'elle souhaitait la création d'un mécanisme pour mettre en oeuvre la résolution

731 (1992) pourvu qu'il ne soit pas portéatteinte à la souveraineté libyenne.

11
2.22 Dans un rapport ultérieur daté du 3 mars 1992 6, le Secrétaire généralrelate le
résultatde ses entretiens avec les représentants permanents de la France, des Etats-Unis et du

Royaume-Uni le 17 février 1992. Pour les trois Gouvernement,

114 Do!.:.ONU S/23574, Vannexe no86. ,--
115 Le§ 4 "Prie le S. G. de rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apporter une réponsecomplète

et effectiveces demandes".
116 Doc. ONU S/23672, V. annexe n°106.30

- la déclaration de la Libye d'accepter de coopérer avec ces Etats était un pas en avant si

cette acceptation étaitsuivie de faits concrets;

- la question se posait notamment de savoir quand et comment la Libye livrerait les deux
suspects, quelle mesure la Libye comptait prendre pour mettre fin au terrorisme et si la

Libye pouvait donner des assurances quant à la réparation eu égard à sa responsabilité.

Après la rencontre des 24 et 27 février entre le Colonel Kadhafi et le représentant du

Secrétaire généraldes N. U., la position de la Libye pouvait se définircomme suit :

- ilexistait des obstacles constitutionnels qui, en 1'absence d'un traité d'extradition,

empêchent le Colonel Kadhafi ou la Libye de remettre des ressortissants libyens à
1' tranger pour jugement;

- par l'intermédiaire du Comité populaire, il peut lancer un appel au peuple libyen, qui
pourrait aboutir à la levéede ces obstacles. 11n'a pas indiqué le temps qu'il faudrait pour

surmonter les obstacles constitutionnels existants;

- une fois résolus les problèmes constitutionnels, la Libye serait disposée à envisager que les

citoyens libyens soient jugés en France. Or, la France n'a pas demandé que les suspects lui

soient remis en vue d'un procès;

- les autorités libyennes ne peuvent remettre de force les suspects à un pays étranger pour
qu'ils y soient jugés, mais les suspects eux-mêmes sont libres de se remettre

volontairement aux autorités, et la Libye n'a pas l'intention de les empêcherde le faire;

- la possibilité de remettre les suspects aux autorités d'un pays tiers en vue d'un procès

pourrait êtreenvisagée. A ce propos, le dirigeant libyen a mentionné Malte ou un pays

arabe quelconque;

- l'amélioration des relations bilatérales entre la Libye et les Etats-Unis d'Amérique rendrait
possible la remise des deux suspects aux autorités américaines;

- la Libye étaitprêteà coopérer pour mettre fin au terrorisme et empêcherl'utilisation de son
territoire à des fins terroristes; 31

- la question des réparations était prématurée, mais à supposer que les suspects fussent

reconnus coupables, la Libye garantirait le payement des indemnités qui leur seraient

imposées par une juridiction pénaleou civile 117.

Section 2 - Les actes et suggestions libyens

2.23 Le 17 février 1992, le juge Ahmed al-Zawi de la Haute Cour de Tripoli déclarait que

l'extradition des deux suspects était exclue au regard de la loi libyenne. Les deux suspects

demeuraient cependant en résidence surveiJiée pour êtrequestionnés si la justice libyenne

obtenait des élémentsde preuve 118.

Le mêmejour, le Secrétaire libyen à la Justice écrit à Lord Fraser, Lord Advocate
d'Ecosse; il souhaite le rencontrer prochainement afin qu'une collaboration s'instaure avec les

autorités judiciaires écossaises 119.Simultanément, le Vice-Secrétaire libyen aux affaires

étrangères écrit au Secrétaire aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, M. D. Hogg, pour

appuyer cette demande dans le respect mutuel de la souveraineté des deux Etats 120.

Le 2 mars 1992, le Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la

coopération internationale écritau Secrétaire généraldes Nations Unies que la Libye n'est pas

opposée à l'extradition en soi, mais que la loi libyenne exclut l'extradüion des nationaux à

l'instar de ce qui est prévudans la loi de beaucoup d'autres Etats 121.

Section 3- L'introduction devant la Cour internationale de Justice d'une action de la

Libye contre le Royaume-Uni et les Etats-Unis

2.24 Le 3 mars, la Libye a introduit une instance contre le Royaume-Uni et les Etats-Unis

devant la Cour internationale de Justice afin d'obtenir un jugement disant que la Convention

de Montréal s'applique aux demandes d'extradition faites par 1es défendeurs auprès de la

117 Dol:.S/23672, p. 2 Voir annexe no106_ 'li,l
118 The Scotsman, 19 Febr. 1992, p. 1, V. annexe n°97.
119 V. annexe n° 92.

120 V, annexe 93.
121 Doc. ONU S/23672, p. 8, V. annexe n° 105.32

Libye. Par une demande distincte du mêmejour, la Libye a introduit, une requêteen mesures
conservatoires.

Le l3 mars 1992, le Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la

coopération internationale de Libye adresse une lettre au Secrétaire généraldes Nations­
Unies, confirmant la volonté de la Libye de collaborer avec lui pour la mise en oeuvre de la

résolution 731 (1992) dans le cadre du droit international, et précisant que la saisine de la

Cour internationale de Justice ne devait pas êtreinterprété comme un abandon de ces

positions, mais comme complétant les initiatives du Secrétaire généraldans la recherche
d'une solution dans un cadre juridique 122.

Le 17 mars 1992, le Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la

coopération internationale exprime le souhait que le Conseil de sécurité demande au

Royaume-Uni et aux Etats-Unis de transmettre à la Libye les dossiers d'enquête pour que
1'instruction de 1'affaire puisse se poursui vre en Libye. Il ajoute que si la question est

juridique, le Conseil de sécuritédevrait s'en dessaisir au profit de la Cour internationale de

Justice où elle est actuellement pendante 123_

Section 4 • Les réactionsdes défendeurs

2.25 Le 28 janvier 1992, Lord J. Douglas-Hamilton, Sous-Secrétaire parlementaire d'Etat

pour l'Ecosse au Parlement britannique, déclare en réponse à une question parlementaire, que

le Lord Advocate d'Ecosse ne veut pas collaborer avec la justice libyenne à une enquête

judiciaire 124.

Le 19 février 1992, le porte-parole du Département d'Etat américain, M. R. Boucher,

déclare que, pour les Etats-Unis, les procédures judiciaires mises en oeuvre par la Libye ne

sont qu'une parodie de justice, qu'on ne peut accorder aucune confiance à ce qu'un juge
libyen dit et que l'enquête ouverte en Libye n'a d'autre but que de permettre à la Libye

d'é1uder ses responsabilités 125.

122 V. annexe Ill .

123 Doc. ONU S/23731,V. annexe n° 113.
124 Hansard, 28 1an. 1992, p. 554, V. annexe no87.
125 V. annexe n°97. 33

Section 5 - Les menaces d'intervention américaine

2.26 Les pressions exercées sur la Libye continuent à prendre 1'expression de propos

menaçants. Le 9 février 1992, on lit dans le New York Times que le Président Hosni Mubarak

d'Egypte craint que les Etats-Unis ne lancent contre la Libye une action militaire analogue à

celle qui fut déjà menée contre ce pays en 1986 126. Le 12 février, le Vice-Président

américain, D. Quayle, laisse entendre - tout en le niant - qu'une action militaire pourrait être

entreprise car, si le Colonel Khadhafi ne donnait pas suite aux demandes d'extradition,

"He ought to look to the past and see that wc've got the political will to make these types of requests
happen ... We do not have unlimited patience." 127

Selon une dépêchede l'AFP rapportant des déclarations de hauts fonctionnaires du
ministère thaïlandais des affaires étrangères, les Etats-Unis auraient demandé à plusieurs

reprises à la Thanande au cours des derniers mois d'évacuer ses travailleurs de Libye car les

Etats-Unis ne pouvaient assurer leur sécuritéen cas de raid contre la Libye 128_ Le 7 mars

1992, un lecteur du Guardian, dont le frère figure au nombre des victimes de l'attentat de

Lockerbie, comprend le désir de la Libye de voir les suspects traduits devant les tribunaux

d'un Etat neutre; il ajoute :

"Has there been a single instance in which the U. K. has threatened sanctions or military actions against

the U. S.or the Irish government for refusai to extr?'129

Section 6 - Les réactions de tiers

2.27 Le J.ermars 1992, le ministre des Affaires étrangèresde la Fédérationde Russie, M.

Kozyrev, estimant que la meilleure solution serait de remettre les suspects au Secrétaire

général sansaucune condition, se déclarait prêtà jouer tout rôle de médiation dans le cadre de

la solution envisagéepar le Conseil de sécurité 130_

126 V. annexe1189.
127 Notre traduction .
"Il suffît de se référerau passéet un verra que nous avons la volonté politique de faire en sorte que ce genre de de­

mandes soient suivies d'effets... Notre patience n'est pas illimitée."
128 The Herald Tribune, 13 March 1992, voir annexe n° 110.

129 Notre traduction en français :
"Y-a-t-il un seul cas où le Royaume-Uni a menacé les Etats-'Irlande de sanctions ou d'actions militaire à la
suite d'un refus de leur pan de donner suile à une demande d'?"tradition

130 V. annexes !02.34

2.28 Le 22 mars 1992, les ministres des Affaires étrangèresde la Ligue des Etats arabes

réunisen session extraordinaire adoptent une résolution par laquelle ils

condamnent les menaces dont la Libye est l'objet;

condamnent le terrorisme et se félicitent de 1a volonté de 1a Libye de coopérer à

l'élimination du phénomène;

demandent au Conseil de sécuritéde résoudre le conflit selon les moyens prévus par l'art.

33 de la Charte, de ne pas prendre de sanctions contre la Libye, d'attendre que la Cour

internationale de Justice rende sa décision et de laisser à la Ligue des Etats arabes la

possibilité de poursuivre ses efforts en vue de réglerle différend 131.

CHAP.ITRE IV - LA RESOLUTION 748 DU 30 MARS 1992.

Section 1 - Le texte de la résolution

2.29 Le 30 mars 1992, le Conseil de sécuritéadopta la résolution 748 (1992) 132:

"Réaffinnant sa résolution 731 (1992) du 21 janvier 1992.

Notant les rappmts du Secrétariat général(S/23574 et S/23672,

Gravement préoccupéde ce que le Gouvernement libyen n'ait pas encore donné une réponse complète et
effective aux demandes contenues dansré~olu t31o(n992),

Convaincu que l'élimination des actes de terrorisme international y compris ceux dans lesquels des Etats
sont directement ou indirectement impliqués, est essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité
intemationales,

Rappelant que, dans la déclaration publiée le 31 janvier àl'occasion de la réunion du Conseil de
sécurité au niveau des chefs d'Etat et de gouvernementles membres du Conseil ont exprimé leur
profonde préoccupation à 1'égard des actes de terra risme international et estimé nécessaire que 1a

communauté internationale réagissede manière efficace contre de tels actes,

Réaffinnant que, conformément au principe énoncéà l'article 2 paragraphe 4, de la Charte des Nations

Unies, chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de terrorisme sur le
territoire d'un autre Etat, d'y aider ou d'y particou de tolérer sur son territoire des activités

131 Doc. ONU S/23745, 23 mars 199voiannexe nb 117.
132 V.annexe n°124 35

organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque ces actes impliquent une menace ou l'emploi de la
force,

Constatant,dans ce contexte, que le défaut de la part du Gouvernemelibyen de démontrer, par des actes
concrets, sa renonciation au terrorisme er, en particulier, son manquement coàtrépondre de manière

complète et effective aux requêtescontenues dans la résolution 731 (1992), constituent une menace pour
la paix et la sécuritéinternationales,

Déterminé à éliminer le terrorisme international,

Rappelant le droit des Etats, conformément à l'arti50ede la Charte des Nations Unies, de consulter le

Conseil de sécurité s'ils se trouventen présence de difficultés économiques particulièresdues à
l'exécution de mesureprévent iucoer~itives,

Agissant en vertu du Chapitre VIl de la Charte des Nations Unies,

1. Décide que le Gouvernement libyen doit désormais appliquer sans le moindre délai le paragr3pde
la résolution 731 (1992)du 21 jan vier 1992 concernant les demandes contenues dans les documents

S/23306, S/23308 et S/23309;

2. Décide aussi que le Gouvernement libyen doit s'engager à cesser de manière définitive toute forme

d'action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu' i1 doit rapidement, par des actes
concrets, démontrer sa renonciation au terrorisme [... ].

3. Décide aussi que tous les Etats adopteront le 15 avril 1992 les mesures erronées ci-dessousqui
s'appliqueront jusqu'à ce que Consei 1de sécuritédécide que le Gouvernementlibyen s'est conformé
aux dispositions des paragraphes 1 et 2 ci-dessus.

12.Invitele Secrétaire généraà continuer à jouer son rôle qui lui est assigné par le paragraphe 4 de la
résolution 731 (1992).

13.Décide que, tous les 120 jours ou plus tôt si la situation le rend nécessaire, le Conseil de sécuritédevra
revoir les mesures imposées par les paragraphes 1 et 2 en tenant compte, le cas échéant, de tous
rapports établis par le Secrétaire généraldans le cadre du rôle qui lui est assigné par le paragraphe 4 de

la résolution 731 ( 1992).

14.Décide de rester saisi de la question."

Le Conseil énonceensuite une sériede sanctions que devront appliquer les Etats si, le

15 avril 1992, il estime que le Gouvernement libyen ne s'est pas conformé aux dispositions

des paragraphes 1 et 2 précités.

En particulier, la résolution prévoit la mise en oeuvre des mesures suivantes par les Etats

membres:

suspensiOn de toute liaison aérienne et de toute collaboration en matière aéronautique

(paragraphe 4);

suspension de toute relation et de collaboration en matière militaire (paragraphe 5);

- réductionsignificative du nombre de représentants diplomatiques libyens auprès des Etats

membres et des organisations internationales, et contrôle de leurs déplacements

(paragraphe 6a);36

- suspension de toutes les activités des bureaux de la Libyan Arab Airlines sur les territoires
des Etats membres (paragraphe 6b);

- expulsion ou refus apporté à l'entrée de certains nationaux libyens impliqués dans des

ac tivitésterroristes (paragraphe 6c).

Enfin, le Conseil de sécurité:

- prie les Etats de faire rapport au Secrétaire généralavant le 15 mai 1992 sur les mesures

qu'ils ont prises en application de la résolution (paragraphe 8), et

- créeun Comité du Conseil de sécuritécomposé de tous ses membres et chargé d'assurer la
mise en oeuvre des sanctions édictées(paragraphe 9).

2.30 Le texte reproduit intégralement un projet de résolution du 27 mars 1992 l33,

finalement adopté sans amendement. C'est sur base de ce projet que les Etats ont exprimé

leur opinion le 31 mars préalablement au vote de la résolution 748 (1992).

Section 2 · Les discussions au sein du Conseil de sécurité

A - La position de la Libye

2.31 Le représentant de la Libye a critiqué le projet de résolution sur base des éléments

suivants :

- le Conseil de sécuritéagit comme si les deux suspects avaient déjàétéreconnus coupables

par un tribunal impartial, alors qu'aucune preuve de leur culpabilité n'a jamais étéfournie
et que les autorités américaines et britanniques ont au contraire refusé de collaborer à la

poursuite de l'enquêtemenéeen territoire libyen 134;

les autorités libyennes ont pris des mesures appropriées en vue du règlement judiciaire de

cette affaire conformément au droit national libyen et au droit international, une enquête

judiciaire étanten cours en Libye 135;

133 Doc. off. ONU, S/23762, voir annexes n° 120et 124.
134 SfPV.3063, voir annexe n° 125, pp. 3 et 4/5.
135 Ibid., p. 4/5. 37

les autorités libyennes ont proposé diverses solutions démontrant leur volonté sincère de

collaborer avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, et en particulier la nomination

d'une commission d'enquête neutre, 1'invitation de juges américains, britanniques et
français à se rendre en Libye afin d'assister au procès éventuel des deux suspects, la remise

de ces deux suspects au siège de la Mission des Nations Unies à Tripoli afin de faciliter

·l'enquête,la mise en place d'une commission judiciaire composée de juges réputéspour

leur neutralité et leur impartialité, ou la remise des deux suspects à une tierce partie dans

l'hypothèse où le Secrétaire généralconfirmerait le bien-fondé des accusations 136;

la Libye a réitéré sa condamnation formelle du terrorisme, sous toutes ses formes, et quel

qu'en soit l'origine, et s'est déclarée prête à coopérer à toute action de nature à mettre un

terme aux activitésterroristes contre des civils innocents 137;

- dans ces circonstances, le projet de résolution marque un abus du Conseil de sécurité,

contraire à la Charte, el qui risque de saper la légitimitéde l'O.N.U., notamment auprès

des petits Etats; il serait plus approprié d'attendre la décision de la Cour internationale de

Justice, plus apte à se prononcer sur ce différendjuridique 138_

Enfin, Je représentant libyen a relevé l'imprécision des exigences contenues dans le

projet:

"Le paragraphe 2 du disposiüf comprend des exigences non précisées: nous ne savons pas sur quel critère
s'appuie le Conseilde sécuritépour aft!rmer que la Libye doit s'engager à cesser de manière définitive
tous les actes d'agression dans lesquels on prétendque mon pays est impliqué. Nous ne savons pas quel
moment le Conseil de sécurité décidera que la Jamahiriya s'est conformée aux dispositions des

paragraphes 1 et 2 du dispositif du projet de résolution, de façon que les sanctions imposées en vertu de ce
dernier puissent êtrelevéesconfonnément à ces dispositions."139

136 Ibid.,pp.6 et ss.
137 Ibid.pp. 12et J7.
138 Ibid.pp. 17-22.

139 lhid_, p21.38

B - La position des Etats auteurs du projet

1 - Les Etats-Unis

2.32 Les Etats-Unis ont justifié l'adoption éventuelle de sanctions contre la Libye de la

manière suivante :

- des preuves existeraient démontrant la participation de la Libye à des actes de terrorisme;

une lutte efficace contre le terrorisme, qui constitue une menace pour la paix et la sécurité
internationales, passerait dès lors par l'adoption du projet 140; ni le contenu ni l'origine

exacte de ces preuves ne sont toutefois précisés;

- la Libye n'aurait pas répondu aux "quatre demandes de la résolution 731 (1992)", ce qui
supposait, selon le déléguéaméricain, que la Libye livre les deux suspects "afin qu'ils

soient jugés soit au Royaume-Uni, soit aux Etats-Unis, et réponde aux exigences de la

justice française", divulgue toutes informations en possession des autorités 1ibyen nes à

propos des explosions des vols 103 de la PAN AM et 772 de l'UTA, prenne des mesures
concrètes afin de mettre un terme à 1'appui qui serait apporté par 1a Libye au terr9risme, et

verse des "indemnités appropriées" 141;

- ces mesures seraient "conformes à ce que prescrit la Charte des Nations Unies en tant que
mesure suivante à prendre pour réponse à toute menace à la paix et à la sécurité

internationales" 142;

2- Le Royaume-Uni

2.33 Quant au représentant britannique,

- tout en estimant que la Libye "n'a toujours pris aucune mesure sérieuse pour se conformer

à ces demandes", il n'a pas précisé quelles mesures seraient appropriées 143;

140 Délégué des Etats-Unis, p. 66.
141 Ibid.

142 Ibid., 67.
143 Ibid., p. 68. 39

- il a dénoncéla saisine par la Libye de la Cour internationale de Justice, qui serait "en fait

destinée à interférerdans l'exercice par le Conseil de sécuritédes fonctions et prérogatives

qui lui reviennent en vertu de la Charte des Nations Unies" 144;

- il a estimé que les conséquences dommageables de la mise en oeuvre des sanctions pour

les Etats de la région pourraient êtreévitéessoit par l'obéissance de la Libye, soit par
l'application de l'article 50 de la Charte; il n'a toutefois pas préciséquelles mesures

concrètes éviteraient les répercussions économiques de 1embargo.

3- La France

2.34 Enfin, le représentant français :

- a prétendu que la résolution 731 (1992) n'avait "pas étésuivie d'effet" 145,mais n'a
appuyé son jugement sur aucun élément;

a dénoncé les "manoeuvres dilatoires" de la Libye, sans motiver autrement sa
qualification 146.

C - La position des Etats tiers

1-La position des Etats non favorables à la résolution

2.35 Plusieurs Etats, membres du Conseil de sécuritéou invitésà se prononcés en son sein,
ont exprimé leurs réticences vis-à-vis du projet de résolution. Plusieurs arguments ont été

avancés :

144 Ibid.
145 Ibid.. p. 73.
146 Ibid., p. 73.40

l'adoption du projet condamnerait le peuple libyen pour un acte dont la responsabilité n'a

pas encore étéétablieà l'aide de preuves concluantes 147;

diverses instances internationales oeuvrent déjàà un règlement pacifique du différend avec

de sérieuses chances de succès ( la Ligue des Etats arabes 148, l'Union du Maghreb

arabe 149, l'Organisation de la Conférence islamique 150 et, surtout, la Cour internationale

de Justice 151); les moyens pacifiques de règlement ne sont donc pas épuisésde sorte que

l'adoption de sanctions est hâtive, prématurée,et minerait les efforts de ces instances 152;

la Libye a fait preuve de coopération et de bonne volonté,et a acceptéde se conformer à la

résolution 731 (1992) et au droit international 153; le Secrétaire générala d'ailleurs relevé

dans Je rapport servant de base aux travaux que la Libye avait infléchi sa position, et a

conseillé au Conseil de sécuritéde prendre cette évolution en considération dans ses

futures délibérationsen la matière 154;

1'adoption de sanctions aurait des conséquences désastreuses pour des milliers de civlls

innocents non seulement en Libye 155, mais aussi dans tous les Etats de la région qui

entretiennent des relations économiques soutenues avec ce pays 156;des tensions risquent

d'en résulter;

- l'adoption de sanctions aurait des conséquences néfastespour la crédibi1itéde I'O.N.U. et

du Conseil de sécuritédans le monde 157 et pourrait mener à une crise institutionnelle

grave 158_

147 Déléguéde la Mauritanie, s·exprimant au nom des Etats de l'U.M.A., ibid., p. 31., déléguéde la Chine, ibid., p.
59/60.

148 Délégué de la Jordanie s'exprimant au nom du Groupe des Etats arabes à l'Q.N_U_ibid., p. 23125 et 27, du délégué
Maroc, ibid.,. 62.

149 Délégué de la Mauritanie, ibid., p. 32.
150 Observateur permanent de la Conférence islamique auprès del 'O.N.U., ibid., pp. 42-43.
151' Délégués de l'Inde, ibid., p. 57, de la Mauritanie, ibid., p. 31, de l'Iraq, ibid., p. 37, de l'Ouganda, ibid., p. 39/40, du

Cap-Ven, ibid., p. 46, du Zimbabwe, ibid., p. 52, et de l'Inde, ibid., p. 57.
152 Déléguéde la Jordanie, ibid., p. 23/25.

153 Déléguésde la Jordanie, ibid., p. 27, de la Mauritanie, ibid., p. 32, de l'Iraq, ibid., pp. 36-37, observateur permanent
de la Conférenceislamique auprèsdel'O.N.U., ibid., pp. 42-43, et ddu Maroc, ibid., p. 64/65.

!54 Déléguédsu Zimbabwe, ibid., p. 51, el de l'Inde, ibid., pp. 56-57.
!55 Déléguéde 1'Iraq, ibid., p. 36, et du Zimbabwe, ibid., p. 52.

!56 Déléguésde la Jordanie, ibid., p. 26-27, de l'lraq, ibid., p. 36, de 1'Ouganda, ibid., p. 41, du Zimbabwe, ibid., p. 52,
de l'Inde, ibid., pp. 57-58, et de la Chine,. 61.

157 Déléguéde la Mauritanie, ibid., p. 33/35, observateur permanent de la Conférence islamique auprès de l'O.N.U.,
ibid., p. 43, el déldu Zimbabwe, ibid., p. 53/55.
!58 Délégué du Zimbabwe, ibid., p. 52. 41

2.36 Enfin, on a relevé l'imprécision des obligations contenues dans le projet et

conditionnant l'entréeen vigueur ou le maintien des sanctions. Ainsi, le représentant indien a
remarqué que:

"Un aspect connexe et important a traità la définition des circonstances dans lesquelles les sanctions
n'entreraient pas en vigueur ou seraient levées. Les membres non alignés du Conseil, tout comme

plusieurs autres délégations,ont examinéavec les auteurs du projet de résolutionpossibilité d'apporter
une plus grande précision dans les paragraphes pertinents. Les auteurs se sont montrés à disposer à
oeuvrer avec nous à cet égard. Nous regrettons, toutefois, qu'il n'ait pas étépossible d'éliminer

1'imprécisiondu projet de résolutionsur cette question spécifique" 159.

2 - La position des Etats favorables à la résolution

2.37 Les Etats favorables à la résolution ont repris les arguments développéspar les auteurs
du projet 160, et en ont émiscertains autres :

la saisine de la Cour internationale de Justice ne constituerait pas un obstacle à l'action du

Conseil de sécurité;au contraire, selon le délégué du Venezuela,

"Compte tenu de la nécessitéde renforcer l'action du système des Nations Unies dans son ensemble, le
Venezuela insiste sur le fait qu'il est indispensable que ce système soit dotéde mécanismes d'action

judiciaire susceptibles de traiter ce type d'activité criminelle dont nous sommes actuellement saisis. Le
terrorisme est une activitérécurrenteet inadmissible deréalitépolitique contemporaine. Nous réitérons
notre demande que soit créé un tribunal pénal international qui compléterait la Cour internationale de

Justice" 161;

les conséquences dommageables des sanctions pour les populations civiles seront atténuées

par la possibilité donnée au Comité créépar la résolution de donner suite aux demandes

fondées sur des motifs humanitaires et, pour les Etats de la région, par l'application de

l'article 50 de la Charte 162; aucune proposition concrète n'est toutefois énoncéepar les
délégationsfavorables au projet;

la Libye n'auraittoujours pas satisfait aux demandes contenues dans la résolution 731

(1992) !63; aucun commentaire n'est toutefois apporté au sujet des mesures et propositions

avancéespar la Libye;

159 Délégué de l'Inde, ibid.57..

160 Voy. not. les déléguse J'Equateur, ibid., p. 48/50, de la Hongrie, ibid.; pp. 76·77, de l'Autriche, ibid., pp. 77-78. de
la Belgique,bid., p81-82,et du Venezuela. ibipp. 82-84.
1fi1 Ibid., p. 83.

162 Délégué de la Belgiyue, ibid., p. 81.
163 Déléguéd se la Hongrie, ibid., p. 76, de la Fédérationde Russie, ibid., pp. 78 et 79/80, de la Belgique, ibid., p. 81 et
du Venezuela,ibid., p. 83.42

2.38 A ce sujet, les délégations ayant voté en faveur de la résolution n'ont pas levé

l'ambiguïté des ex igenees contenues dans le paragraphe 1 du dis positif. Ainsi, pour

l'Autriche,

"Cette résolution irnpose certaines sanctions contre la Libye dont le but est àehonorer les
obligations qui lui incombent en vertu deolution731 (1992)" 164,

tandis que le représentant belge considère que les sanctions

"[... ] sont directement liéesaux actes de terrorisàel'origine de la résolution 731 (1992) et ne
seront maintenuesqu'aussi longtemps que les autorités libyennes ne se conformeropas à cette
résolution" 165.

En définitive, et mis à part peut-êtrela déclaration précitéedu représentant américain,

aucun Etat n'a préciséà quelles conditions exactes les sanctions soit n'entreraient pas en

vigueur, soit seraient suspendues, ni n'a expliqué en quoi les initiatives libyennes n'auraient
pas étéconformes au texte de la résolution 731 (1992).

CHAP.ITRE V- LES FAITS SUBSEQUENTS À L'ADOPTION DE LA

RÉSOLUTION 748 (30 MARS 1.992)

Section 1 - Les conséquences des sanctions

2.39 Dans divers rapports adressés au Conseil de sécurité, la Libye a montré que les
sanctions décidéespar le Conseil dans sa résolution 748 (1992) avaient entraîné de graves

dommages dans le domaine de la santé et des fournitures médicales 166,du commerce des

produits de base et notamment des denrées alimentaires l67,de l'agriculture, de la médecine

vétérinaireet dupompage de l'eau 168,de 1'éducation et de l'enseignement l69,des soins aux

!64 ibid.•p. 78.
165 Voy. aussi les propos du dde l'Equateur, ibid., pp. 47 ct 48/50.

166 Doc. ONU S/23855, 29 avril 1992; S/23915, 14 mai 1992, voir annexes n° 139 et 142. Voir aussi Doc. 25990 du
23/611993,annexe n°1!:15.
!67 Doc. ONU 5.24004, 26 mai 1992, voir annexe n° 148.

!68 Doc. ONU S/23954, 18 mai 1992, voir annexe n" 145.
169 Doc. ONU S/24072, 5 juin 1992, et S/24334, 22juillet 1992, voir annexes n° 147 et 157. 43

personnes handicapées et âgées 170, de la jeunesse et des sports 171,de l'industrie 172_

L'ensemble de ces difficultés causées à la Libye sont reprises et détailléesdans deux rapports

récapitulatifs couvrant la période allant du 15 avril au 31 juillet 1992 173. Des rapports

ultérieurs décriventd'autres effets négatifs résultant des sanctions imposées à la Libye dans le

domaine de 1'enseignement et de la formation : retard dans les fourni tures scolaires et
universitaires, démission d'enseignants étrangers, etc 174, difficultés dans les relations entre

institutions académiques 175.

Section 2 - Les propositions de la Libye

2.40 Le 7 avril, le Secrétaire généraladjoint aux affaires politiques des Nations Unies, M.

Vladimir Petrovsky, rencontre le Colonel Kadhafi. Celui-ci déclareque

- la Libye accepte la résolution 731 (1992) dans la mesure où celle-ci est conforme au droit
international et à sa souveraineté;

- la Libye coopérera dans l'enquêteet dans les efforts destinés à faire juger les responsables

de 1'attentat de Lockerbie;

la Libye condamne le terrorisme et est prête à recevoir une commission d'enquête

composée de représentants du Conseil de sécuritéy compris des représentants de la Chine

et de l'Inde; cette commission pourra se rendre où elle veut sur le territoire libyen pour

vérifiersi la Libye donne un quelconque appui au terrorisme 176.

Le 13 avril 1992, le Secrétaire du Comité populaire libyen de liaison extérieure et de la

coopération internationale écrit au Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères

de Malte, M. Guido de Marco, pour lui demander si les juridictions maltaises accepteraient,

conformément à l'art. 5 § 2 de la convention de Montréal, de connaître des charges qui pèsent
contre les deux suspects libyens, lesquels sont d'accord pour comparaître devant elles 177.

170 Doc. ONU S/24186, 26 juin 1992, voir annexe n"153.

171 Doc. ONU S/24381, 5 août 1992, voir annexe n" 159
172 Doc. ONU S/24427. 14 août 1992, voir annexe n"162 et Doc. S/24463 du 1818/1992, voir annexe 164.
173 Doc. ONU S/24428. 14 août 1992. voir annexe n" 165. V. aussi annexe n" 1R6ct Doc. S/23n /1993.

174 Doc. ONU S/24530, 9 septembre 1992, et S/24773, 7 novembre 1992, voir annexes n" 167 et 170.
175 Doc. ONU S/24629, 8 oc10bre 1992, voir annexe n" 168.
176 Voir annexe n° 129.

177 Voir annexen° 131.44

M. de Marco répond immédiatement qu'il accepte cette proposition à condition que

toutes les parties au conflit l'acceptent et qu'elle soit compatible avec les obligations de Malte

en vertu de la Charte des Nations Unies 178.

Le 11 mai 1992, le Secrétaire du Bureau du Comité populaire général liaison

extérieure et de la coopération internationale écritau Secrétaire généralpour 1'informer que

- la Libye accepte la résolution 731 (1992);

la Libye rompt ses relations avec tout groupe ou organisation impliqués dans le terrorisme

international et s'engage à réprimer toute utilisation de son territoire à des fins terroristes;

i.1n'existe aucun camp d'entraînement pour terroristes en Libye; les Nations Unies peuvent

y envoyer toute commission d'enquêtepour vérifierce point;

- la Libye est prêteà collaborer avec le Royaume-Uni à propos des relations antérieures de
la Libye avec l'LR.A;

- la Libye s'engage à verser des indemnités adéquates si sa responsabilité dans l'incident de

Lockerbie étaitétablie';

- les propositions libyennes relatives à la remise des suspects ayant étérejetées, le problème

est soumis aux Congrès populaires de base (1'organe législatif libyen) pour 1'adoption

d'une solution appropriée;

- la Libye réaffirme son attachement au droit international et à la Charte des Nations

Unies t79.

Le 21 mai 1992, la Mauritanie qui préside à ce moment l'Union du Maghreb arabe

(U.M.A.), par l'intermédiaire de la Mauritanie, écrit au Secrétaire généraldes Nations Unies

pour attirer l'attention du Conseil de sécuritésur le caractère positif de ces propositions !80.

178 Voir annexe n° 132.

179 Doc. ONU S/23918, 14 mai 1992, annexe 141. Le Comitépopulaire de liaison el de coopération internationale a pu­
blieun communiquéconfirmam la Jeure qui précède,Doc. ONU S/23917, 14 mai 1992, voir annexe no143.
180 Doc. ONU S/23995, 23 mai 1992, voir annexe no 145 bis. 45

Le 8 juin 1992, le Secrétaire du Comité de liaison extérieure et de la coopération
internationale écrit à M. Douglas Hurd, Ministre des Affaires étrangères du R.-U., pour lui

confirmer la position énoncéeci-dessus et exprimer l'espoir que la réunion entre représentants

des deux Etats prévue à Genève le 9 juin puisse contribuer à éliminer les malentendus et
résoudre les différendsqui divisent les parties 181.

2.41 Le Congrès généraldu Peuple fut appelé à se prononcer sur la question. Le 23 juin
1992, il créeune Commission chargéespécialement de communiquer avec les trois Etats pour

trouver une solution aux problèmes en cours 182.Les membres du Comitéfurent désignésle 2

juillet 1992.

Lors de leur 2e session de 1992, les Congrès populaires de base affirment

- leur condamnation du terrorisme sous toutes ses formes et leur volonté de contribuer à son

élimination;

leur volonté d'élucider l'affaire de Lockerbie et leur sympathie à l'égard des parents des

victimes;

- leur adhésion aux codes libyens de droit pénalet de procédure pénale;

- leur accord à une enquêteet à un procès menés par l'entremise soit du Comité des Sept de

la Ligue des Etats arabes, soit des Nations Unies devant un tribunal juste et impartial
acceptépar toutes les parties;

- leurs appels aux Etats occidentaux pour qu'ils répondent positivement aux initiatives de la
Libye en vue de résoudre pacifiquement le différend actuel;

leur souhait que les Etats-Unis et le Royaume-Uni établissent des relations d'égalitéavec
la Libye;

- leur appel au Conseil de sécuritépour qu'il révisela résolution 748 (1992) qui est contraire
à la Charte (l'invocation du chapitre VII est injustifiée puisque la Libye n'a pas menacé la

paix et la sécuritéinternationales) et cause un préjudice considérable à la Libye 183.

181 Voir annexeno149.
182 Voir annexe n° 152.
183 Doc. ONU S/24209, 30 juin 1992, voir annexe n"!54.46

Le 29 novembre 1992, le Bureau populaire de liaison et de coopération internationale
libyen répète ses positions antérieures sur la condamnation du terrorisme international, la

possibilité pour toute commission d'enquêtedes Nations Unies de venir vérifier en Libye que

celle-ci n'aide aucun mouvement terroriste, son acceptation que les suspects comparaissent
devant un tribunal équitable et impartial 184.

Le 18 novembre 1992, une déclaration du Congrès général du Peuple de Libye

rappelle les résolutions antérieures du Congrès, réaffirme sa condamnation du terrorisme sous
toutes ses formes, l'acceptation par la Libye de la résolution 731 (1991), et sa volonté de

coopérer aux enquêtes judiciaires et avec les Nations-Unies afin d'établir la vérité sur

l'incident de Lockerbie. La déclaration réitère l'acceptation de la Libye de voir juger les
Libyens soupçonnés de l'attentat sur le vol Pan Am 103 par un tribunal juste et équitable à

déterminer de commun accord 185.

2.42 Le 8 décembre 1992, le Secrétaire du Comité populaire libyen de liaison extérieure et

de la coopération internationale écritau Secrétaire généraldes Nations Unies pour lui rappeler

la position de la Libye. Il ajoute que la Libye a collaboré avec les autorités britanniques pour

retrouver des élémentset des organisations accusés par le Royaume-Uni d'êtreimpliqués dans
des actes terroristes.

Reste le problème de l'extradition des deux suspects. La Libye rappelle qu'elle n'est
pas opposée à ce que ses ressortissants comparaissent volontairement devant une juridiction

britannique ou américaine, ou bien qu'ils soient traduits devant un tribunal juste et équitable

d'un Etat neutre accepté par toutes les parties : dans ce dernier cas, si les Etats-Unis et le
Royaume-Uni sont confiants dans leurs moyens de preuve, il n'y a pas de raison pour qu'ils

refusent cette solution et exigent que le procès se tienne sur leur territoire alors que rien en

droi'tinternational ne justifie pareille exigence dans la présente espèce.

Dans ces conditions, la Libye estime avoir pleinement répondu à la résolution 731

(1992) et plus rien ne fonde le maintien des sanctions décidéespar la résolution 748 (1992) 186.

A la suite de sa réunion extraordinaire tenue à Rabat le 10 décembre 1992, le Conseil
des ministres des Affaires étrangèresde l'U.M.A., prenant en considération les postions prises

184 Communiqué de presse de la Mission permanente libyenne aux N. U.• 30 novembre 1992, voir annexe n" 174.
185 Voir annexe n" 171.
186 Doc. ONU S/24961, 14 décembre 1992. voir annexe n" 176. 47

par la Libye et ses initiatives positives pour répondre à la résolution 731 (1992), demande au

Conseil de sécuritéde revoir les sanctions prises contre la Libye 187•

Le 11 mars 1993, le Secrétaire du Comité populaire généralde liaison extérieure et de
la coopération internationale écritau Secrétaire d'Etat américain Warren Christopher pour lui

suggérer une rencontre entre leurs représentants afin de résoudre les différends qui continuent

à opposer les Etats-Unis et la Libye 188_

Lors d'une interview en avril 1993, le Colonel Kadhafi rappelle les différentes

propositions faites par la Libye pour résoudre le différend, propositions qui restent toujours

valables 189.

2.43 En réaction à la décision de maintenir les sanctions prises par le Conseil de sécurité, la

Libye rappelle qu'elle a respecté toutes les dispositions de la résolution 731 (1992) et a

informé le Secrétaire général de 1'ONU de tou tes les mes ures prises pour en assurer
l'application. Elle reconnaît en outre qu'il convient de juger les deux personnes mises en

cause et est disposée à discuter du lieu du procès, qui doit être choisi avec équité et

impartialité 190.

Le 11 septembre 1993, le Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la

coopération internationale s'adressant au Secrétaire généraldes Nations Unies, rappelle que la

Libye s'est conformée à toutes les dispositions de la résolution 731 (1992), à l'exception de la

seule question du jugement des deux suspect qui doit faire l'objet de négociations directes
avec les Etats concernés en vue d'obtenir un jugement juste et équitable 191. Le Secrétaire

reconnaît également la nécessitéd'une clarification sur les demandes des Etats-Unis et du

Royaume -Uni et transmet à ces deux Etats ainsi qu'aux autres membres du Consei] de
sécuritéune sériede questions concernant notamment les garanties qui seraient accordées aux

suspects.

Ces questions sont reprises dans un mémorandum du Comité populaire de liaison
extérieure et de la coopération internationale, joint à la lettre du 1"1septembre 1993, qui

réaffirme la position libyenne et les démarches effectuées dans cette affaire.

187 Doc. ONU S/24956, 14 décembre 1992, voir annexe n" 178
188 Voir annexe n° 181.
189 TheinternarionalHera!Tribune. 16 Avril1993, voir annexe n° 184

190 Doc. ONU S/26313, 17 août 1993, voir ann°189.
191 Doc. S/26500, 28 septembre 1993, voir annexe n°191.48

En ce qui concerne la position libyenne, le mémorandum:

dénonce le traitement discriminatoire dont est victime la Libye et pose notamment la
question de savoir comment aurait réagiles Etats-Unis et le Royaume-Uni si la Libye leur

avait adressé des demandes relatives d'une part à 1'instruction judiciaire des actes

d'agression armée commis contre la Libye en 1986, d'autre part au procès des
ressortissants américainset britanniques impliquésdans ces actes~

rappelle le caractère inconciliable de l'extradition des deux suspects avec le droit libyen et
les règles du droit international; elle observe qu'il existe un risque de violations des droits

de l'homme si les suspects étaientjugéspar un tribunal qui ne serait pasjuste et impartial.

En ce qui concerne les démarches entreprises par la Libye, le mémorandum note que

celle-ci :

propose toujours l'envoi d'une mission technique du Conseil de sécuritépour vérifier la

mise en oeuvre de la résolution731 (1992);

suggère que des garanties et des assurances soient données dans l'hypothèse où les deux

suspects comparaîtraient de leur propre chef au Etats-Unis ou au Royaume-Uni ou dans

tout autre pays. Les avocats des deux suspects souhaitent avoir les garanties politiques et

juridiques d'un procès juste et équitable. La Libye, quant à elle, demande que des
engagements lui soient fournis de la part de ces deux Etats et du Conseil de sécuritéen

vue de garantir la résolution du conflit, et spécialement, de pouvoir compter sur un retrait
des sanctions.

Dans deux lettres datées respectivement du 29 septembre et du ler octobre 1993, le
Secrétaire du Comitépopulaire de liaison extérieure et de la coopération internationale prend

acte des assurances données aux avocats des deux suspects par le Secrétaire généraldes

Nations Unies mais regrette l'absence de toute réponse aux éclaircissements demandés aux
Etats-Unis et au Royaume-Uni. Quoi qu'il en soit, la Libye estime suffisantes et acceptables

les assurances fournies par le Secrétaire général,et elle se déclare disposée à encourager la

comparution des deux suspects 192.

192 Doc. S/26523, 1eroctobre 1993, voir annexe n°192. 49

Section 3 - Les réactionsdes défendeurs

2.44 Les réactions des défendeurs ne sont guère nombreuses. Tout au plus note+on que le
27 novembre 1992, la Maison blanche publie un communiqué de presse où les Etats-Unis, la

France et le Royaume-Uni condamnent le refus de la Libye de se soumettre aux exigences du

Conseil de sécurité.Ils affirment leur volonté de rendre les sanctions des Nations Unies plus

effectives 193.

Le 6 avril 1993, lors d'une conférence de presse à Washington avec le Président

égyptien Hosni Mubarak, le Président Bill Clinton affirme sa volonté de demander des
sanctions plus lourdes contre la Libye si celle-ci ne livre pas les suspects : ceux-ci doivent être

jugéset condamnés si leur culpabilité est démontrée 19 •

Le 13août 1993, les Etats-Unis et le Royaume-Uni menacent de déposer au Conseil de
sécuritéun nouveau projet de résolution renforçant les sanctions contre la Libye dans le cas

où celle-ci ne se conformerait pas aux résolutions 731 (1992) et 748 (1992), "including the

transfer to United States or United Kingdom juridiction of the Lockerbie suspect" 195.

Rappelions enfinque les défendeurs n'ont pas apporté de réponse aux questions posées par la
Libye dans son mémorandum du li septembre 1993 (voir supra par. 2.44).

*

* *

2.45 Au moment où ce mémoire étaitsur le point d'êtreenvoyéà l'imprimeur, une nouvelle

résolution a étéadoptée par le Conseil de sécurité(résolution 883 [1993] ) 196.Pour cette
raison, il fut impossible d'y consacrer un traitement approfondi. La résolution a cependant fait

l'objet d'un bref commentaire en fin de mémoire (voir infra par. 6.138).

193 Voir annexe n" 173.
194 Voir annexe n° 182.
195 Doc. ONU A/48/314- S/26304,13.08.1993, voir annexe n"l88.
196 ·Voir annexe n"194.50

DEUXIEME PARTIE

OBJET DU DIFFEREND ET .FONDEMENT DE LA COMPETENCE DE

LACOUR

INTRODUCTION

3.1 Selon 1'article 36, paragraphe 1du Statut de la Cour

"1. La compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront, ainsi qu'à tous
les caspécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en
vigueur".

L'article 40, paragraphe 1 du Statut, quant à lui, prévoit que les affaires sont portées

devant la Cour,

"selon le cas, soit par notification du compromis, soit par une requête, adressée au Greffier; dans les

deux cas,'objet du différend et les parties doivent êtreindiqués".

Dans la présente espècela Libye a saisi la Cour par deux requêtessimilaires déposées

au Greffe de la Cour le 3 mars 1992. Ces requêtes, conformément à 1'article 38 du

Règlement, indiquent l'objet du différend ainsi que les moyens de droit sur lesquels elles
fondent la compétence de la Cour et la nature précisedes demandes.

CHAPITRE I - OBJET DU DIFFEREND

3.2 Comme il résultedes faits exposésdans la première partie, les requêtesde la Libye ont

pour origine les actions en justice introduites au Royaume-Uni et aux Etats-Unis en novembre
1991 d'un côté, par le procureur générald'Ecosse 1,de l'autre, par un jury de mise en

accusation du tribunal fédéralde district du District de Columbia 2,à la suite de la destruction

le 21 décembre 1988, de l'appareil qui assurait le vol 103 de la Pan Am, au-dessus de

Lockerbie, en Ecosse. Ces deux actions en justice accusent deux ressortissants libyens d'avoir,
notamment, fait placer une bombe à bord de cet appareil, bombe dont l'explosion a provoqué

la destruction de l'appareil.

Voir annexn"8.

2 Voirannexe n7. 51

Les accusations portéescontre les deux ressortissants libyens, si elles étaientprouvées,

constitueraient donc une "infraction pénale" telle qu'elle est prévue par l'article 1er de la

convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile
conclue à Montréal le 23 septembre 1971 3.

Ce texte a le contenu suivant:

"1. Commet une infraction pénale toute personne qui illicitement et intentionnellement:
a) accomplit un acte de violenceà J'encontre d'une personne se trouvant à bord d'un aéronef en
vol, si cet acte est de natàrcompromettre la sécuritéde cet aéronef;
b) détruit un aéronef en service ou causà un tel aéronef des dommages qui le rendent inapte au

vol ou qui sont de naturà compromettre sa sécuritéen vol;
c) place ou faitlacer sur un aéronef en service, par quelque moyen que ce soit, un dispositif ou
des substances propres à détruire ledit aéronef ou à lui causer des dommages qui le rendent
inapte au vol ou qui sont de nature à compromettre sa sécuritéen vol.
(..)

2. Commet également une infraction pénale toute personne qui:
a) tente de commettrel'une des infractions énuméréesau§ !er du présent article;
b) est le complice de la personne qui commet ou tente de commettre l'une de ces infractions."

Il n'est pas contesté que la convention de Montréal est une convention en vigueur entre
les parties au procès devant la Cour. Les instruments de consentement à êtrelié par cette

convention ont étédéposésrespectivement et sans réserves

-par les Etats-Unis, le !er novembre 1972,

-par le Royaume-Uni, le 25 octobre 1973, et

-par la Libye, le 19 février 1974.

La loi libyenne relative à l'adhésion, du 16 octobre 1963, a étépubliéedans le Journal

officiel libyen le 17 décembre 1973 4.

Il est aussi constant qu'il n'existe aucune autre convention relative au droit pénal

international en vigueur applicable à de tels faits dans les rapports entre les Etats-Unis ou le

Royaume-Uni, d'une part, la Libye, de l'autre. En particulier, aucune convention d'extradition

n'est en vigueur entre les défendeurs et le demandeur.

La Libye en déduit que la convention de Montréal est la seule convention pertinente

entre les Parties qui traite des infractions énumérées à l'article 1er précité.En conséquence,

3 RTNU, vol. 974, p. 177;voir annexe n°3.
4 Voir annexe no4.52

les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont tenus, en la matière, de se conformer aux dispositions

de la convention de Montréal.

3.3 Ce que la Libye réclamedans sa demande, c'est:

- d'une part le respect de la convention de Montréal en ses articles 5 §2, 5 §3, 6, 7, 8 §2 et
11;

-d'autre part le respect du droit à ce que cette convention ne soit pas écartéepar des moyens

qui seraient au demeurant en contradiction avec les principes de la Charte des Nations Unies

et du droit international généralde caractère impératif qui prohibe l'utilisation de la force et
la violation de la souveraineté, l'intégritéterritoriale et l'indépendance politique des Etats.

3.4 En ce qui concerne la convention de Montréal, la Libye soutient que cette convention
est applicable à l'incident de Lockerbie et à ces conséquences, que la Libye a respecté

scrupuleusement les obligations qui lui incombent en vertu de cette convention; que la

convention de Montréal lui confère aussi des droits et facultés que les Etats-Unis et le

Royaume-Uni ont l'obligation de respecter.

Les dispositions pertinentes de la convention sont les suivantes:

L'article ler, qui décrit l'infraction pénalerégiepar la convention. Citons en le texte:

"1. Commet une infraction pénale toute personne qui illicitement et intentionnellement:
a) accomplir un acte de violenceàl'encontre d'une personne se trouvant àbord d'un aéronef en
vol, si cet acte est de nature à compromettre la
sécuritéde cet aéronef;
b) détruit un aéronef en service ou causeun tel aéronef des dommages qui le rendent inapte au

vol ou qui sont de nature à compromettre sa sécuritéen vol;
c) place ou faitlacer sur un aéronef en service, par quelque moyen que ce soit, un dispositif ou
des substances propres à détruire ledit aéronef ou à lui eauser des dommages qui le rendent inapte
au volou qui sont de nature à compromettre sa sécuritéen voL
(.).

2. Commet également une infraction pénale toute personne qui:
a) tente de commettrel'une des infractions énuméréesau § 1er du présent article;
b) est le complice de la personne qui commet ou tente de commettre l'une de ces infractions."

L'accusation dont font l'objet les deux suspects tombe incontestablement dans le cadre

des alinéasa) à c) de cet article. 53

3.5 L'article 5 :

" 2. Tout Etat contractant prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux
finsde connaître des infractions (...) , dans le cas où l'auteur présuméde 1'une d'elles se trouve sur son
territoiret où ledit Etat ne 1'extrade pas conformément à l'article 8 (...)
"3. La présente convention n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois
nationales."

Il est constant, ainsi qu'il résultedes faits rappelés dans la première partie du présent

mémoire, que la Libye s'est acquittée en l'occurrence de l'obligation prévue à J'alinéa2 de
cet article. En revanche, par leurs actions et leurs menaces, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

dénient à la Libye le droit d'exercer sa compétence légitimepour connaître de la question.

Sans-doute, le Professeur R. Higgins, conseil du Royaume-Uni, a soutenu, à

l'audience du 26 mars 1992 (après-midi), que l'article 5, alinéa 2, n'était relatif qu'à la
création de compétence et non à son exercice dans un cas individuel 5.Ceci paraît une vue

minimaliste de l'effet de la création de compétence en droit international. Conformément à
l'alinéa2 de l'article 5, la Libye a le devoir de prendre les mesures nécessaires pour établirsa

compétence aux fins de connaître des infractions mentionnées à l'article 1er de la convention,

dans le cas où l'auteur soupçonné de l'une d'elles se trouve sur son territoire et n'est pas
extradé conformément à l'article 8 de la convention. Ceci ne comporte pas seulement une

obligation abstraite, à laquelle on se conformerait par la seule adoption d'une législation
interne adéquate, mais encore, une obligation concrète, à 1'occasion de chaque cas

d'application déterminé.

Un tel devoir présentesa contre-partie naturelle, c'est à dire Jedroit d'obtenir des Etats

parties à la convention qu'ils respectent la conséquence nécessaire de ce devoir, le droit pour
la Libye d'exercer cette compétence si eUe le souhaite. Une obligation confère aussi des droits

corrélatifs.

Conformément à l'article 5, paragraphe 3, de la convention, la Libye est habilitée à

exercer sa compétence pénale pour connaître de la question conformément à ses lois
nationales.

Ici encore le mêmeconseil du Royaume-Uni a soutenu à l'audience du 26 mars "1992
(après-midi) :

"Article 5(3) does not address the question of which State should exercise jurisdiction when more than
one has a basis for doing so. Nor does it preclude a State from demanding the surrender of a suspect
(...)" 6.

5 CR 92/3, p. 45.
6 CR 9213, p. 46.54

Là ne réside pas le différend entre les deux Etats. La Libye n'a jamais prétendu que

l'article 5 alinéa 3 conférait une compétence exclusive à ses tribunaux pour juger de
l'incident de Lockerbie. La Libye n'a jamais contestéque le Royaume-Uni, aussi bien que les

Etats-Unis, ont une compétencede principe à cet égard.Le problème n'est pas là; il résulte du

fait que les défendeurs réclament à leur profit, une juridiction exclusive de celle de la Libye et
qu'ils veulent imposer, en recourant à des méthodes coercitives, la compétence de leurs

propres tribunaux.

Par leurs actions et leurs menaces, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, entendent, en

violation de l'article 5, paragraphe 3, de la convention, empêcher la Libye d'exercer 1a

compétence légitimeprévuepar sa législation, pour connaître de l'infraction.

3.6 L'article 6 :

"1. S'ilestime que les circonstances le justifient, tout Etat contractant sur le territoire duquel se
trouve1'auteur ou 1'auteur présuméde 1'infraction assure 1a détention de cette personne ou prend toute

autre mesure nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent être
conformes à la législation dudit Etat; elles ne peuvent êtremaintenues que pendant le délainécessàire
l'engagement de poursuites pénalesou d'une procédured'extradition.
2. Ledit Etat procède immédiatement à une enquêtepréliminaire en vue d'établir les faits.
..)

4. Lorsqu'un Etat a mis une personne en détention conformément aux dispositions du présent
article, il avise immédiatement de cette détention, ainsi que des circonstances qui la justifient les Etats
mentionnés au § 1er de l'article 5 (....). L'Etat qui procède à l'enquête préliminaire visée au § 2 du
présent article en communique rapidement les conclusions auxdits Etats et leur indique s'il entend
exercer sacompétence."

Il n'a pas étéalléguéque la Libye ait failli à ses obligations sur ce point. Par leurs
actions et leurs menaces, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, tentent d'empêcher la Libye

d'exercer les facultésque lui confère cette disposition de la convention de Montréal.

3.7 L'article 7 :

"L'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur présuméde l'une des infractions est découvert, s'il
n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire sans aucune exception et que l'infraction ait ou non été
commise sur son territoireà ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale. Ces autorités
prennent leur décision dans les mêmesconditions que pour toute infraction de droit commun de
caractère grave conformément aux lois de cet Etat."

Cet article qui contient le principe classique en la matière aut dedere aut judicare, est
au coeur mêmede la requêtelibyenne. C'est l'exercice de ce droit discrétionnaire et souverain

que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, à l'inverse de l'attitude correcte de la France, veulent

lui dénier. Le Professeur R. Higgins, conseil du Royaume-Uni a soutenu que l'article 7 ne 55

conférerait que des obligations à la Libye; il ne lui accorderait pas de droit 7. Ce point de vue

qui néglige le fait que droits et obligations sont des faces corrélatives d'une norme juridique,
ne peut êtreretenu. En s'efforçant de contraindre la Libye à remettre les accusés, le Royaume­

Uni et les Etats- Unis tentent d'empêcher la Libye d'exercer le droit souverain que lui

confirme la convention, comme de remplir ses obligations à cet égard.

Le Royaume-Uni a soutenu que cet article ne serait pas applicable puisqu'il n' a pas

demandé l'extradition des deux prévenus

" but has instead maintained that Libya should, for reasons unrelated to the Montreal convention,
surrender the two accused." 8

Il est vrai que les défendeurs se gardent bien de réclamer J'extradition des prévenus,
formule qui mettrait en pleine lumière l'absence de fondement de leur demande. Ils utilisent

des formules neutres comme "remise" ou "livraison" 9. Cette approche purement formaliste,

ne change rien au fait que, la convention de Montréal ne prévoyant que deux procédures, celle

de l'extradition ou celle du jugement sur place, par cette exigence, qu'on la qualifie de
demande d'extradition ou de demande de "remise" ou de "livraison", les défendeurs visent à

contraindre la Libye à accorder ce que la convention appelle une "extradition".

Un des consei1s des Etats-Unis, à 1'audience du 27 rnars 1992, a, pour sa part, déc1aré:

" Libya has apparently confused its duty to extradite or prosecute suspects under this Article with the
1
vested right to be the only Party to exerci se j urisd0ction."

Rappelons à nouveau que la Libye n'a jamais prétendu avoir un droit exclusif à juger

les suspects. Aucun Etat ayant un lien de rattachement avec l'affaire susceptible de créerune

compétence juridictionnelle ne possède, selon la convention de Montréal, une priorité de droit
par rapport aux autres. Il y a toutefois une priorité de fait qui résulte du lieu où les suspects

sont trouvés. L'exercice de cette priorité de fait est légitimé par la règle aut dedere aut

judicare.

3.8 Certes, l'article 8 § 2 ouvre une faculté supplémentaire d'extradition:

"2. Si un Etat contractant qui subordonne l'extraditioà l'existence d'un traité est saisi d'une
demande d' extradi rion par un autre Etat contractant avec lequel il n'est pas lié parun traité

7 CR 9213, p. 47.

8 Professeur R. Higgins, CR 92/3, p. 48.
9 En anglais"trnover'',"make available for trial", "surrendcr for trial", "makc available to the legal authoritics".
10 M. Schwartz, CR 92!4, p60.56

d'extradition, il a la latitude de considérer la présenteconvention comme constituant la base juridique
de l'extradition en ce qui concerne les infractions. L'extradition est subordonnée aux autres conditions
prévuespar le droit de l'Etat requis."

Cette disposition, comme son texte l'indique, n'offre qu'une latitu edle ~e borne à
ouvrir une option pour l'Etat requis de répondre favorablement à la demande d'extradition. Il

demeure cependant incontestable qu'une telle option est purement discrétionnaire.

Selon le droit interne libyen - l'article 493 bis a) du code de procédure pénale -
l'extradition des nationaux est prohibée Il; ce qui interdit à la Libye, en l'état de sa

législation, de faire application de la facultéque lui donne cet article.

Certes, la Libye a souligné que la loi libyenne n'interdisait pas aux suspects de se
remettre volontairement à un autre Etat 12.A cet égard,les intéressésacceptaient une remise à

Malte. On a aussi envisagé la Suisse. C'est la partialité des Etats requérants qui a fait jusqu'à

présentobstacle à ce que les suspects se livrent volontairement à l'un ou l'autre de ces Etats.

3.9 L'article Il, §1 impose à tous les Etats intéressésdes obligations de coopération:

"1. Les Etats contractants s'accordent l'entraide judiciaire la plus large possible dans toute
procédure pénalerelative aux infractions. Dans tous les cas,i applicable pour l'exécution d'une
demande d'entraide est celle de l'Etat requis."

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis, bien que tenus, en leur qualitéd'Etats contractants,
à l'entraide judiciaire la plus large possible dans toute procédure pénaleengagée par un Etat

tiers au sujet des infractions énuméréesà 1'article 1er, ont refusé avec obstination toute

coopération avec les tribunaux libyens au titre de cet article.

3.10 L'ensemble des dispositions qui précèdent cons tituent un équi1ibre de droits et

d'obligations pour les parties contractantes. Elles incluent aussi, implicitement, comme il se

doit, des dispositions protectrices des droits de 1'accusé. Tout système démocratique

respectueux des droits de la défense repose sur la garantie d'un procès équitable et de la
présomption d'innocence. Cet aspect des choses sera développédans la quatrième partie du

présent mémoire.

Il Voir annexe no2.
12 Voir annexe n° 106 et supra, piir 2.22. 57

3.11 La Libye soutient d'autre part qu'elle a droit à ce que la convention de Montréal ne
soit pas écartéepar les défendeurs au mépris des principes de la Charte des Nations Unies et

du droit: intemational généralde caractère impératif qui prohibent l'utilisation de la force et la

violation de la souveraineté, de l'intégritéterritoriale et de l'indépendance politique des Etats

ainsi que l'intervention dictatoriale dans les affaires intérieures des autres Etats. En recourant
à des menaces, en exerçant la pression institutionnelle du Conseil de Sécuritédes Nations

Unies par voie de détournement de pouvoir, le Royaume-Uni et les Etats-Unis tentent

d'échapper à leurs obligations conventionnelles au regard de la convention de Montréal par
des voies qui violent également les prescrits les plus fondamentaux de la Charte.

CHAPITRE Il - FONDEMENT DE LA COMPETENCE

3.12 Dans sa requêtedu 3 mars 1992, la Libye a fondé la compétence de la Cour sur le
paragraphe l de 1'article 36 du Statut de la Cour et le paragraphe 1 de l'article 14 de la

convention de Montréal du 23 septembre I971 qui se lit comme suit:

"Tout différend entre des Etats contractants concernant l'interprétation ou l'application de la présente
convention quine peut pas êtreréglépar voie de négociation est soumàsl'arbitragà,la demande de
l'un d'entre eux. Si dans les six mois qui suivent la date de la demande d'arbitrles parties ne
parviennent pas à se mettre d'accord sur l'organisation de 1'arbitrage, l'une quelconque d'entre elles
peut soumettre le différendla Cour internationale de Justice, en déposant une requêteconformément

au Statut de la Cour"

La Libye soutient que les conditions requises par cette disposition sont remplies en

1'occurrence.

3.13 Aux termes de l'article 14, paragraphe 1, il doit il y avoir:

a) un différend entre les Etats contractants à propos de 1'interprétation ou 1'application de la

convention,

b) qui ne peut êtreréglépar voie de négociation et pour lesquels les parties au différend n'ont

pas pu se mettre d'accord sur l'organisation d'un arbitrage,

c) ceci dans un délaide six mois après la demande d'arbitrage.58

Ces différentes questions seront examinées tour à tour dans les paragraphes suivants.

Section 1- Un différendentre les Etats contractants à propos de l'interprétationou

l'application de la convention.

3.14 Aux yeux de la Libye, l'existence d'un tel différend est constante en l'espèce.

Pour s'en convaincre, il suffit de relire les positions officielles adoptées par les Etats

intéressésparties à la convention de Montréal.

Dès le 17 novembre 1991, le représentant permanent de la Libye à l'ONU a transmis
au Secrétaire généralde l'ONU une lettre du Secrétaire du Bureau du peuple pour les relations

extérieures et la coopération internationale, dans laquelle étaitrappelé, en termes généraux,le

souci de la Libye d'un recours au règlement pacifique des différends:

"Elle (la Libye) réitèreégalement son attachement au règlement pacifique des différends conformément
aux dispositions du paragraphe 1 de l'Article 33 de la Charte, qui stipule que les parties à tout différend
doivent rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de

conciliation, d'arbitrage ou de règlement judiciaire. A ce propos, la Grande Jamahiriya est disposée à
régler,par les moyens visés dans cet article, tout différend qui l'opposerait aux Etats-Unis d'Amérique
et au Royaume-Uni".

"... je tiens à réitérerque les autorités libyennes compétentes adhèrent aux dispositions de la Charte, en
particulier ce!les relatives au règlement pacifique des différends" 3.

Le 8 janvier 1992, le représentant permanent de la Libye à l'ONU a transmis au

Secrétaire généralde l'ONU une lettre du Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure
et de la coopération internationale de Libye. Cette communication contenait un appel à la

négociation dans les termes suivants:

"S'il s'agit de différends politiques entre ces trois pays [Etats-Unis, France, Royaume-Uet la Libye,
ces différends devraient être examinés sur la base de la Charte des Nations Unies, qui, loin de
sanctionner l'agression ou la menace d'agression, prône le règlement des différends par des moyens

pacifiques. Or la Libye s'est déclaréedisposée à accepter tout moyen pacifique souhaité par les trois
pays pour résoudre les différends existants. A ce propos, nous aimerions vous présenter les propositions
ci-après:
i) Instaurer directement ou par le canal de l'ONU un dialogue avec les trois pays pour régler tout

différend politique qui nous opposerait aux parties concernées;

13 Doc. off. ONU, Al 46/660 et S/23226du 20 novembre 1991, vannexe n" 29. 59

ii) Au cas où l'on parlerait d'un différend d'ordre juridique, inviter les partiesà se mettre
d'accord pour le régler en saisissant la Cour internationalde Justice, et ce, confonnément au
Règlement de la Cour" 14.

Le mêmereprésentant adressa le 18 janvier 1992 au Président du Conseil de Sécurité

copie d'une lettre du Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération

internationale de Libye destinée à M. James Baker, Secrétaire d'Etat des Etats-Unis et à M.

Douglas Hurd, Ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni 15 . En voici quelques
extraits :

"(...) Les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni et la Libye sont des Etats parties à la convention de
Montréal de 1971 pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile. En
conséquence, par respect pour le principe de la primauté du droit et en application du Code libyen de
procédure pénale promulgué en 1953, qui définit la compétence de la justice libyenne, dès que les

accusations eurent étéportées, la Libye a exercé sa compétence à l'égard des deux auteurs présumés
conformément à l'obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 2de l'article5 de la convention de
Montréal en prenant certaines mesures pour assurer leur présence et en prenant immédiatement des

dispositions pour ouvrir une enquête préliminaire. Elle a notifié aux Etats visés au paragraphe 1 de
1article5 de la convention que les suspects étaient en étatd'arrestation.

Ilest incontestable que la convention de Montréal (...) n'écarte aucune compétence pénale exercée

conformément au droit national (libyen en l'occurrence), ainsi qu'il est énoncé au paragraphe 3 de
l'article 5. En notre qualité d'Etat partie à la conventionet conformément au paragraphe 2 du même
article, nous avons pris les mesures nécessaires pour établir notre compétence aux fins de connaître de
toutes infractions prévues aux paragraphes a), b) etc) du paragraphe 1 de l'article premier ainsi qu'au

paragraphe 2 du même article, étant donné que l'auteur présumé en J'espèce se trouvait sur notre
territoire.

De surcroît, l'articl7 de la convention stipule que 1'Etat contractant sur le terri toi re duquel l'auteur
présumé de l'infraction est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire à ses autorités
compétentes pour l'exercice de l'action pénale, et que ces autorités prennent leur décision dans les
mêmesconditions que pour toute infraclion de droit commun de caractère grave conformément aux lois

de cetEtat.

L'affaire a effectivement étésoumise aux autorités judiciaires et un juge d'instruction(conseiller de la
Cour suprême) a éténommé. IIa engagé des procédures judiciaires pour assurer la présence des deux

suspects, ouvert. une enquête préliminaire et émis un mandat d'arrêtprovisoire contre les deux suspects.
Les Etats visés au paragraphe 1 de l'articl5 de la convention ont éténotifiés en conséquence et invités
à coopérer avec les autorités judiciaires libyenne(...)

Après que la Libye eût demandé la coopération des autres parties intéressées, et alors qu'elle
escomptait une coopération sans réserve, les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni ont non
seulement refusé catégoriquement de coopérer, mais même menacé de recourir à la force et, somme

toute, leur réaction a rendu impossible tout règlement négocié.

Il convientde noter que le paragraphe 1 de l'article 14 de la convention stipule que tout différend entre
les Etats contractantsqui ne peut pa!>êtreréglépar voie de négociation est soumis à l'arbitrageà la

demande de J'un d'entre eux.

(...La Libye engage les Etats- Unis d'Amérique et le Royaume-Uni à se laisser guider par la voix de la
raison et par le droit,à accepter rapidement un arbitrage, selon le paragraphe 1 de 1'article14 de la

convention et à s'asseoir avec elle aussitôt que possibleà la table de négociation afin de définir les
modalités pour contribuer à la préparation de l'arbitrage du différend."

14 Doc. off. ONU. A/ 46/R41 et S/23396 du 9 janvier 1992 . voir annexe n"73.

15 Doc. off. ONU, S/23441du 18janvier 1992 , voir annexe n" 79.60

Cette communication ne fut pas honoréed'une réponsedes destinataires.

Lors de la réunion du Conseil de sécuritédu 21 janvier 1992, M. Belgasem El-Tahli,

représentant permanent de la Libye à l'ONU rappela tout d'abord toutes les mesures prises

immédiatement par son pays dès que l'accusation eût étéportée contre deux ressortissants

libyens 16. Il retraça les diverses propositions qui avaient étéprésentéespar la Libye: une

enquêteinternationale impartiale, un comité d'enquêteneutre, ou le renvoi de l'affaire à la

Cour internationale de Justice. Ces propositions n'ont pas fait l'objet de réponses de la part

des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Le représentant permanent insista sur le fait qu'un conflit

de jmidiction était,par excellence, un conflit juridique pour lequel une procédure appropriée

existait: celle prévue par les termes de l'article 14 que le représentant permanent cita expressis

verbis 17. Il invoqua ensuite l'article 36, paragraphe 3 de la Charte aux termes duquel

"d'une manière générale,les différends d'ordre juridique devraient êtresoumis par les parties à la Cour

internationale de Justice conformément aux dispositions du Statut de la Cour." l8

Il a, en outre expriméce qui suit :

"Sur la base de cette convention [de Montréal], et en particulier de son art.icle 14, et afin de régler la
question soulevée relative au conflit de compétence, mon pays a pris des mesures concrètes et pratiques

et a demandé, dans des communications officielles adressées aussi bien aux Etats-Unis d'Amérique
qu'au Royaume-Uni, de soumettre le différend à l'arbitrage. Aujourd'hui, devant le Conseil, mon pays

demande que ces deux pays soient invités à ouvrir sans tarder des négociations avec la Libye sur la
procédure à suivre en vue de 1'arbitrage et de 1a constitution d'un jury d'arbitrage. Pour permettre un
règlement rapide du différend, nous estimons qu'une date limite proche et définitive doit êtrefixée pour

ces procédures, après quoi, si aucun accord n'intervient quant à 1'arbitrage, la question pourrait être
renvoyée devant la Cour internationale de Justice. Mon pays est disposé à conclure immédiatement,
avec toutes les parties intéressées, un accord de circonstance visant à saisir la Cour internationale de
Justice dès l'expiration du court délai, fixé pour conclure un accord en vue de l'arbitrage, ou à

n'importe quelle autre date proche et appropriée, si les pays intéressésacceptent d'aller au-delà du stade
de 1'arbitrage et des dé!ibérations d'un jury d'arbitrage."l9

16 Doc. off. ONU, S!PV. 3033du 21 janvier 1992,p. 7-11 , voir annexe !l83
0
l7 Doc. off. ONU, S/PY. 3033du 21 janvier 1992,p. 12, voir annexe ll 83.
18 Conseil de sécurité, 1 janvier 1992S/PV. 3033, p. 13-1S ,voir annexe n"83.

19 Ibidem, p. 22 et 23/25 du texte français; la version anglaise de la fin de cette citation est plus précise:
"Today, before.the Council, my country requests that both those countries be invited to enter promptly into negotia­

tions with Libya on proceedings leadingto arbitration and an arbitration panel. To ensure the speeùy settlement of the
dispute,we consider that a short and fixed deadline be set for those proceedings, after which. if no agreement is rea­
ched on arbitration. the matter would be brought before the International Court of Justice."

"My country expresses its willingness to conclude irnmediately, with any of the parties conce.rned,an ad hoc agree­
ment to have recourseto the International Court of Justice as soon as the sh011deadline for reaching agreement on ar­

bitration expires, :1any other convenient and near date should the countries concemed agree to go beyond the arbi­
tration stage and the proceedings of an arbitration panS/PV. 3033, p. 23). 61

Le mêmejour, immédiatement après 1'adoption par le Conseil de Sécuritéde sa

résolution 731, le représentant permanent des Etats-Unis auprès de 1'ONU, M. Pickering,

réponditceci (extraits) :

"Le Conseil s'est trouvé face à une situation extraordinaire dans laquelle un Etat et ses fonctionnaires
sont mêlésà l'horrible destruction de deux avions de transport civil. Il s'agit là d'une situation à
laquelle les procédures habituelles ne peuvent manifestement pas s'appliquer( ...)

Il ne s'agit pas ici d'une question de divergence d'opinion ou de démarche pouvant faire l'objet de
médiation ou êtrenégociée(...)

La résolution qui vient d'êtreadoptée répond à une situation particulière dont le Conseil a étésaisi. Aux

termes de cette résolution, la Libye est directement priée de coopérer pleinement en remettant les
fonctionnaires accusés (...)

La résolution stipule que les personnes accusées soient simplement et directement remises aux autorités
judiciaires des gouvernements qui, en droit international, sont compétents pour les juger.

Le Conseil s'est trouvé devant un cas qui implique clairement la participation d'un gouvernement à des
activités terroristes et pour lequel il n'existe pas de pouvoir judiciaire indépendant dans l'Etat incriminé
(...)" 20

C'était là une fin de non-recevoir péremptoire, aussi bien sur le fond que sur la

procédure, aux demandes libyennes qui avaient ététraitées jusqu'alors avec un silence
éloquent.

La réponse du représentant permanent du Royaume-Uni, Sir David Hannay, fut encore

plus explicite; ici encore, quelques extraits:

"A la suite de 1'émission des mandats d'arrêt contre les deux agents 1ibyens, le Gouvernement
britannique a essayé de persuader le Gouvernement libyen de livrer les deux accusés à la justice

écossaise. Aucune réponse satisfaisante n'a étéreçue. Aussi, le 27 novembre 1991, les Gouvernements
britannique et américain ont-ils publié une déclaration demandant que le Gouvernement libyen livre les
accusés afin que ceux-ci puissent êtretraduits en justice; (...)

Plus de deux mois se sont écoulésdepuis que nous avons demandé à la Libye de livrer les accusés pour

qu'ils soient traduits en justice. Aucune réponse concrète n'a étéreçue (...)

La lettre en date du 18 jan vier concernant une demande d'arbi tration (sic ) au titre de l'article 14 de la
convention de Montréal n'est pas pertinente dans le cas dont est saisi le Conseil. Le Conseil n'est pas,

20 Conseil de sécurité,1 janvier1992,SIPY. 3033, p. 77-8!. En anglais:
''TheCouncil has been confronted with the extraordinary situation of a State andofficiais which are implicated in
two ghastly bombings of civilian airliners. This is a situation to which standard procedures are clearly inappLicable.

(.).
The issue at hand is not sornedifference of opinion or approach that can be mediated or negotiated.(...)

The resolution just adopted (...) makes a straightforward request of Libya : that it cooperate fully in tuming over its
officiais who have been indicted (...) The resolution provides that the people aeeused be simply and directly turned
overto thejudicial authorities of the Gnvernments which are competent onder international law to try them.(...)

The Council was faced in this case with clear implications of Governmem involvement in terrorism as weil as with
the absence of an independent judiciary in the implicated State" (S/PV. 3033, pà 80 du texte anglais)(annexe n°

83).62

selon les termes de l'article 14 de la convention de Montréal, saisi d'un différend entre deux parties
contractantes ou plus concernant l'interprétation ou 1'application de la convention de Montréal. (...)".

Nous avons pensé qu'il était bon et, en fait, préférableà d'autres moyens de poursuivre la question, de

saisir le Conseil et de demander son appui, grâce à la résolution qui vient d'êtreadoptée. Nous espérons
vivement que la Libye répondra complètement, positivement et promptement, et que les accusés seront
livrés aux autorités judiciaires en Ecosse ou aux Etats-Unis, et en France. (...) Il a étésuggéréque ces
hommes pourraient êtrejugés en Libye. Mais, dans ces circonstances particulières, on ne peut avoir
1
confiance dans l'impartialité des tribunaux libyens" 2 •

A- L'existenced'un différend-en fait

3.15 Ainsi qu'il découle des citations qui précèdent, en l'espèce, le différend entre les
parties porte essentiellement sur le droit de la Libye, en application de la convention de

Montréal, de juger les deux suspects devant des juges libyens et accessoirement sur les

devoirs de coopérer des deux gouvernements défendeurs aux termes de la mêmeconvention.

Le Royaume-Uni a toutefois soutenu, lors de la plaidoirie orale du 26 mars 1992, que

le Libye n'avait pu démontrer J'existence d'un différend entre elle et le Royaume-Uni à

propos de l'application ou l'interprétation de la convention de Montréal:

" The existence of such a dispute, and a sufficient definition of the issues in dispute, are fundamental
jurisdictional requirements under Article 14.

Because the United Kingdom does not believe the Montreal convention to be in issue, it has never
raised with Libya questions regarding its interpretation or application." 22

21 Conseil de sécurité,21 janvier 1992, S/PV. 3033, p. 102-105; Texte anglais:
"Following the issue of warrants against the two Libyan officiais, the British Government sought to persuade the
Libyan Government to make available the two accused for trial in Scotland. No satisfactory responsc was received.

So on 27 November 1991 the British and American Govemments issued a statement declaring that the Government nf
Libya must surrender for trial all those charged with the crime( ...)

Over two months have passed since we requested Libya to make the accused available for trial. No effective response
has been received. (...)
The leter dated 18January concerning a request for arbitration under article 14 of the Montreal convent.ion is not re­

levant to the issue before the Council. The Council is not, in the words of article 14 of the Montreal convention, dea­
ling with a dispute between two or more Contracting Parties concerning the interpretation or application of the

Montreal convention.( ...)

We have thought it right, and indeed preferable to other ways pursuing the matter, to come before the Council and

seek theCouncil's support, through the resolution just adopted. Wc very much hope that Libya will respond fully, po­
sitively and promptLy, and that the accused will be made available to the legal authorities in Scotland or the United

States, and in France.( ...) 1thas been suggested the men might be tried in Libya. But in the particular circumstances
there can be noconfidence in the impartiality of the Libyan courts." (S/PV. 3033, p. 104-1OSdu texte anglais). Voir

annexe n° 83.
22 M. Rodger, CR 92/3, (après-midi) p.30.
Notre traduclion en français :

"L'existence d'un tel différend, et une définition suffisante des questions qui en font l'objet constituent des conditions
fondamentales pour le règlement en vertu de l'article

Le Royaume- Uni n'a jamais soulevé, dans ses rapports avec la Libye, des questions concernant 1'interprétation ou
l'application de la convention de Montréal,rce qu'il estime que la convention n'est pascau~e". 63

La réclamation n'aurait jamais étésuffisamment "articulée" avant la requêtelibyenne

pour que le Royaume-Uni soit à mêmede décider s'il y avait ou non une opposition de vue

entre les deux Etats 23, l'objet du différend n'aurait jamais étééclairci 2 .Le différend soumis

au Consei 1 de sécurité était dis tinct d'un différend sur 1a convention de Montréal 25.

L'ambassadeur Hannay n'aurait jamais rien dit d'autre au Conseil 26. Au surplus les droits

invoqués par la Libye seraient purement "illusoires" 27.

La Libye estime ces points de vue non fondés. Il y a, en substance, deux différends

bien concrets:

-d'une part, la détermination du juge compétent;

-d'autre part, la coopération avec les juges libyens.

1 -Premier différend : le juge compétent

3.16 Le Secrétariat de la Justice de Libye a reçu le 18 novembre 1991 28 la requête du
2
Procureur général SGD James T. Mac Dougall datée du 13 novembre 1991 9.Le jour même,
le Secrétariat a décidéen se fondant sur les lois libyennes du 28 novembre 1953, n° 6 de

1982 et n° 51 de 1976,

1°) de demander à l'Assemblée générale de la Cour suprême de désigner un conseiller

chargé de l'instruction (ceci eut lieu le jour même),

2°) de demander à tous les intéressés au Royaume Uni et aux Etats-Unis y compris aux
familles des victimes de soumettre toutes informations et toutes preuves en leur

possession.

3°) de faire savoir qu'il accorderait toute facilité à cette fin et qu'il était prêtà collaborer

avec les autoritésjudiciaires concernées 30.

23 Idem, CR 92/3, p. 33.
24 Idem, CR 92/3p.35.
25 Idem, CR 92/3p.35.

26 Idem, CR 9213, p. 40.
27 Mme le professeur Higgins, CR 92/3, p. 45.
28 Voir annexesn" 3l.

29 Voir annexen" 6bis.
30 Voir annexen° 32. En anglais : "legal authorities"64

Les autoritéslibyennes compétentes ont commencé immédiatement leur enquête.

Apparemment, le 22 novembre 1991, l'ambassade d'Italie représentant les intérêtsdu

Royaume-Uni à Tripoli fit savoir au Comité pour les affaires étrangères que tes autorités

britanniques souhaiteraient que les suspects soient remis à la justice britannique en écrivant:

"It is right for the Lîbyan Govemment and its duty to surrender the named citizens to the courts"3l.

Le lendemain, 23 novembre, le Comité populaire de liaison extérieure et de la

coopération internationale répondait à l'ambassade d'Italie en lui demandant ce que cela

signifiait, il ajoutait :

"There are general prîncîples in such situations governed by the sovereignty of countries, the principle
of national independance and the conflict of laws and the conflict ofjurisdiction32.

Le 27 novembre, les autorités libyennes prirent des mesures garantissant la présence

des accusésafin de permettre l'exercice de l'action pénale;leurs passeports leur furent retirés.

Néanmoins, le 27 novembre, le Royaume-Uni et les Etats-Unis adressent à la Libye un
véritableultimatum comprenant l'exigence que les deux suspects leurs soient livrés:

"Le Gouvernement libyen doit:

- Livrer, afinqu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui sont accusés de crime et assumer l'entière
responsabilité des agissements des agents libyens" 33.

Par une déclaration du 2 décembre 1991, le Comité populaire de liaison extérieure et

de la coopération internationale exprima comme suit la position libyenne: en ce qui concerne

le cas des deux accusés,on appliquerait la loi libyenne :

"2. If the issue of the incident of Panam flight 103 relates to the implementation of law in accordance
with judicial procedures, then Libya sees that the investigation into the matters follows the law of
criminal procedures issued in 1953 by way of an investigating Libyan judge, since the matter concems
Libyans. Libya accepts that judges from Brittan and America participate with the Libyan judge in the

investigations to make sure that the procedures are done in an unbiased and good rnanner. International
organizations, human rights societies and the famîllies of the victims cans send observers or !awyers
attend the investigations. Those states or any other requesting party, can look into the process of

31 Voir annexe n38. Notre traduction :
"Il estjuste qleGouvemement libyen remette,lesdits citoyens aux tribunauxi1a ledevoir de le faire".

32 Voir annexe n38. Notre traduction :
"Il y a des principesgénérauxen de telles situations régiespar la souverainetédes Etats, le principe de l'indépendance

nationale, ceux des conflits de lois et ceux des contlits de compétence."
33 A/46/827 etS/23308,voir annexe no46. 65

investigation. The investigating judge will take into consideration obtaining the previous investigations
carried out regarding the incident including those in Scotland and the district of Columbia.

The specialized authorities in Libya will cooperate fully with the Scottish and American investigators to
arrive at the truth.

In addition, Libya declares its acceptance of the formation of a neutra! international investigation
committee to carry out that investigation"34_

L'exigence de la livraison des suspects et le refus d'accepter la juridiction libyenne fut

réitéréeo ,n l'a vu, au Conseil de Sécuritépar les deux représentants permanents le 21 janvier
1992 3 .

Il y a donc un différend sur les obligations respectives des parties à la convention de

Montréal, aux termes de cette convention, en matière de compétence des tribunaux.

2- Deuxième différend : la coopération avec les juges libyens

3.17 Le 27 novernbre 1991, le juge d'instruction s'adressait à 1'Attorney général de

Grande-Bretagne demandant la communication des documents dans cette affaire 36_

Une lettre similaire fut envoyée à la mêmedate au président du Grand jury du district

de Columbia 37.

Le 4 décembre, ont commencé les interrogatoires par le juge d'instruction des

suspects et de témoins. Neuf audiences eurent lieu du 16 décembre au 28 janvier, puis encore
trois en février.

34 Voir ann~x 1°54.Notre traduction :
"2. Si la question de 1'incident du vol l03 de la Pan Am a trait à 1'applü.:ation du droit conformément aux procédures

judiciaires établies,Libye considère que 1'enquêtesur la question doit êtresoumise à la loi de 1953 portant code de
procédure pénale ct que l'enquêtedoit êtremenée par un juge libyen étantdonné que la question concerne des li­

byens. La Libye accepte que des juges du Royaume-Uni et des Etats-Unis d'Amérique paricipent aux enquêtesavec le
juge libyen pour s'assurer que les procéduresies sont appliquées sans parti-etdans les règles. les organisa­

tions internaüonales, les associations pour la défenseoits de l'homme et les familles des victimes peuvent en­
voyer des observateurs ou desvoca as.ier aux enquêtes.Ces Etats, ou toute autre partie en faisant la demande,
pourront suivre le processus d'enquête.Le juge chargé de l'enquêteenvisagera d'obtenir les résultats des enquêtes

déjàréalisésà propos de 1'incident, y compris celles menéesen Ecosse et dans le District of Columbia.
Les autoritéslibyennes spécialiséescoopéreront pleinement avec les enquêteursécossais et américains pour parvenir

la vérité.
En outre, la Libye déclarequ'elle accepte la constitmionomitéinternational d'enquêteneutre pour procéder la­

dite enquête.
35 Conseil de sécurité,21 janvier 1992, S/PV. 3033 p. 28-80 et 104, 105 du texte anglais. Voir annexe n° 83.

36 Voir annexe n°44.
37 Voir annexe n° 43.66

Le 29 décembre 1991, le magistrat instructeur demandait la liste des passagers de et

vers Malte pendant la périodedu 5 au 12 décembre 1988.

Entretemps une autre demande de renseignements fut encore adressée au ministère de

la justice du Royaume-Uni, le 14janvier 1992 38.

Ces demandes ne reçurent jamais de réponseni des Etats-Unis ni du Royaume-Uni. Le

Royaume-Uni l'a reconnu officiellement dans la déclaration suivante du 28 janvier 1992:

"...the Libyan authorities have made public the fact of their request that the Lord Advocate assist a
Libyan judicial investigation. The Lord Advocate has made it clear that he is not prepared to cooperate

in such an investigation ...

Ensuite, le Royaume-Uni et les Etats-Unis allaient poursuivre dans leurs attitude et

refuser de coopéreravec les juges libyens. Ceci n'a pas étécaché par les conseils de ces deux

Etats devant la Cour pendant la procédure sur les demandes de mesures conservatoires. Ils

n'ont cesséde dire que leur position étaitde refuser de coopérer avec les juges libyens sous
prétexteque ceux-ci ne seraient pas indépendants 40.

B- L'existence d'un différend- en droit

3.18 Les conditions d'existence d'un différendjuridique de droit international entre Etats

font l'objet d'une jurisprudence bien assise de la Cour.

Pour reprendre les termes traditionnels de la Cour permanente de Justice

internationale, dans son arrêtdu 30 août 1924 en l'affaire des concessions Mavrommatis en
Palestine :

" Un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de

thèses juridiquesu d'intérêtsentre deux personnes" 41.

Dans son arrêtdu 25 août 1925, dans l'affaire Minoritésallemandes en Haute Silésie,

la Cour permanente précisace qui suit;

38 Voir annexe n°77.
39 Annexe n°80.
40 Voir notamment annexes n° 80, n°83 ( S/PV. 3033, pp. 80 et 105) et n° 87_

41 SérieA, n°2, p. li. 67

" une divergence d'opinion se manifeste dès qu'un des gouvernements en cause constate que l'attitude
observée par 1'autre est contraire à la manière de voir du premier42.

Dans son arrêtdu 2 décembre 1963 dans l'affaire du Cameroun septentrional, la

présente Cour a déclaré:

"Il suffit de constater que, eu égard aux faits déjà expŒés dans le présent arrêt,les positions opposées

des Parties pour ce qui concerne 1'interprétation et 1'application des articles pertinents de J'accord de
tutelle révèlentl'existence entre la République du Cameroun et le Royaume-Uni, à la date de la requête,
d'un différend au sens admis par la jurisprudence de la Cour m:tuelle et de l'ancienne Cour"43.

Citons encore l'arrêtde la Cour du 21 décembre 1962 dans les affaires du Sud-Ouest

africain:

"La simpie affirmation ne suffit pas pour prouver l'existence d'un différend, tout comme le simple fait
que 1'existence d'un différend est contestée ne prouve pas que ce différend n'existe pas. (... )
44
11faut démonter que la réclamation de l'une des parties se heurteà l'opposition manifeste de l'autre" .

Dans l'avis consultatif du 26 avril 1988, Applicabilité de l'obligation d'arbitrage en

vertu de la section 21 de l'accord du 26 juin relatif au siège de l'ONU, la Cour a exprimé

l'opinion que:

"38. Pour la Cour, lorsqu'une partie à un traité proteste contre une décision ou un comportement
adoptés par une autre part.ie et prétend que cette décision ou ce comportement constituent une violation
de ce traité, le simple fait, que la partie accusée ne présente aucune argumentation pour justifier sa

conduite au regard du droit international n'empêche pas que les attitudes opposées des parties fassent
naître un différend au sujet de l'interprétation ou de l'application du tra45."

3.19 Prétendre, dans ces conditions de fait et de droit, que tant en ce qui concerne le

différend sur la compétence du juge libyen qu'en ce qui concerne celui sur la coopération avec

la justice libyenne l'on ne se trouve pas devant une réclamation de l'une des parties qui se

heurte à l'opposition manife.ste de l'autre 46 ou bien que l'on ne se trouve pas devant l'attitude
4
opposée des parties révélantl'existence d'un différend 7 n'est guère probant.

42 C.P.J.L, Série.A, n" p.14.
43 C.I.J., Recueil, 1963, p. 27.
44 C.U., Recueil, 1962, p. 328.

45 C.I.J., Recueil, 198R,par. 38, p. 28.
46 Affaire du Sud ouest africain, arrêt,21 décembre 1962. C.I.J. Recueil, 1962, p. 328.

47 Affairedu Cameroun septelllrionnal , C.l.J ., Recueil, 19p.27 etAccord relatif au siège., Avis, 26 avril 1988
Recueil, 1988, p. 19. par. 35.68

3.20 Peut-on admettre, comme il a étésoutenu par le Royaume-Uni au cours des plaidoiries
orales relatives à la demande de mesures conservatoires, que la position libyenne est

insuffisamment articulée 48 ?

Le 18 janvier 1992, ta lettre du représentant permanent de la Libye exposa clairement

les positions de son gouvernement, en les liant à des articles précis de la convention de

Montréal (art. 5, 7 ), ainsi que les demandes de coopération faites sur base de cette
convention.

Sans doute, quant à elles, les autorités britanniques et américaines se sont bien gardées

de donner un quelconque fondement à leur demande tendant à ce que les suspects leurs soient

livrés.Elles auraient étébien en peine de le faire à défautde traité d'extradition entre elles et
la Libye. Si elles ont évitésoigneusement d'invoquer la convention de Montréal, seul

instrument international gouvernant les relations des pays intéressésdans le domaine de la

coopération en matière pénale, c'est qu'elles savaient que cette convention ne leur conférait
pas cette possibilité dès lors que les autorités libyennes avaient décidé d'exercer leur

juridiction d'une manière conforme à ce texte.

Prétendre dès lors comme l'ont fait les conseils britanniques que la Libye n'a jamais

eu une réclamation suffisamment articulée avant le 3 mars pour lui permettre de décider s'il y

avait une "opposition positive" entre les deux Etats est donc une position purement
artificielle.

3.21 Par ailleurs, ce n'est pas parce que les Etats-Unis et la.Grande-Bretagne estiment qu'il

s'agit d'"une situation à laquelle les procédures habituelles ne peuvent manifestement pas
s'appliquer'' 49 ou qu'il était"préférableà d'autres moyens de poursuivre la question" 50 que

les relations entre ces Etats et la Libye sur les points en discussion ne sont plus fondées sur

la convention de Montréal, puisque c'étaitle seul texte pertinent en vigueur entre les parties.

Au vu de ce qui précède,on voit que le point essentiel d'opposition entre parties est
la question de 1'extradition, et, accessoirement, le refus total des deux gouvernements

défendeurs de coopérer avec la justice libyenne. Dans les deux cas, il ne peut guère être

contestéqu'il s'agit d'un différend relatif à l'application de la convention de MontréaL

48 M. Rodger, CR 92/3, p. 33.
49 Conseile sécurité,21 janvier 1992, M. Pickering, S/PV.3033, p.78.
50 Ibid., Sir David Hannay, S/PV.3033, p.106. 69

3.2~ Pendant le débatau Conseil de sécuritédu 21 janvier 1992, le Royaume-Uni a soutenu

que la question dont était saisi le Con sei 1 n'était pas l'applîcatîon de la convention de

Mqntréal, mais le problème du terrorisme d'Etat:

" Ce qui nous occupe ici,c'est la réaction appropriée de la communauté internationale devant la
situationdécoulant du fait que la Libye n'a pas, àce jour, répondu de façon crédible aux graves

accusations selon lesquelles un Etat aurait participé à des actes de terrorisme. {...)

Nous ne nous occupons de terrorisme que dans la mesure ou un Etat est impliqué "5 _

De la mêmefaçon le représentant permanent des Etats-Unis, M. Pickering déclara:

"Le Conseil s'est trouvé faceàune situation extraordinairedans laquelle un Etat et ses fonctionnaires
sont mêlés à l'horrible destruction de deux: avions de transport civiL Il s'agit là d'une situationà

laquelle les procédures habituelles ne peuvent manifestemenpas s'appliquer. (...)

Ilressort clairement de la résolution que ni la Libye ni aucun autre Etat ne peut cherchàrdissimuler

son appui au terrorisme derrière les principes traditionnedu droit internationalet de la pratique des
Etats.

Le Conseil s'est trouvé devant un cas qui implique clairement la participation d'un gouvernemenà des
activités terroristes" 52.

Comme on le voit, l'argumentation des défendeurs devant le Conseil de sécurité a

reposé sur l'affirmation non démontréeque l'Etat libyen avait participé aux actes délictueux.

Or, pour arriver à cette conclusion, il aurait fallu d'abord prouver que les deux prévenus

étaient coupables. Une telle preuve n'a jamais étérapportée. Les deux défendeurs ne la

possèdent pas puisqu'ils demandent - avec une étonnante candeur - à la Libye de fournir
certaines preuves matérielles de sa culpabilité ( Voir supra § 2.9) ! Il aurait fallu ensuite

prouver que les fonctionnaires en question avaient agi sur ordre de leur gouvernement, ce qui

n'étaitpas et reste également non prouvé.

Contrairement aux allégations de M. Pickering et de Sir David Hannay, le Conseil de

sécuriténe s'est pas prononcé sur le point de savoir si la convention de Montréal avait quelque

51 Conseil de sécurit, 1 janvier 1992, S/PV. 3033 p.l 04 et 105 . Voir annexe 83. En anglais:
"What we are concemcd with here is the proper reaction of the international community to the situation arising from
Libya's failure, thus far, to respond effectively to the most serious accusalions of State involvement in acts of terro­

rism. (...)
We are dealing only with terrorism in which thereis state involvement" (S/PV. 3033 p.105et 106)

52 Consei1de sécurité, 1 janvier 1992, S/PV. 3033 p.78 et 79-80 . En anglais:
"The Council has becn confronted with the extraordinary situation of aState and its officiais which are implicated in

two ghastly bombings of civilian airliners. This is a situation to which standard procedures are clearly inapplicable.
(...). The resolution makes it clear that neither Libya nor indeed any uther State can seek to hide support for interna­
tional terrerism behind traditionna! principal of international law and State pract.ice.

The Council was faced in this case with clear implications of Government involvmcnt in terrorism (...)"(S/PV. 3033
p.78 et 80: annexe n"83.70

pertinence dans la question dont il était saisi. Dans ses deux résolutions 731 et 748, il ne l'a

mentionnée ni dans un sens ni dans 1'autre.

La question a étéabordée d'une manière parallèle par le juge Schwebel lorsqu'il a

posé aux parties la question de savoir si la convention trouvait à s'appliquer en cas de

terrorisme d'Etat.

Prudemment, dans sa réponse du 2 avril 1992, le Royaume-Uni a demandé à pouvoir

analyser la question et a estimé entretemps que les articles lü (obligations de prévention) et

12 (obligation d'avertir les Etats visés) de la convention devaient s'appliquer. Dans leur
réponsedu même jour les Etats-Unis ont exprimé l'opinion que les obligations des articles 10

et 12 de la convention prouvaient que la compétence exclusive réclaméepar la Libye n'était

pas réalisable.

La Libye, pour sa part, a transmis, par lettre adressée au greffe le 2 avril 1992, une

réponse aux termes de 1aquelle elle sou! ignai t que 1'hypothèse con sidérée par Je juge

Schwebel s'appuyait sur une qualification des faits, alléguéepar le Royaume-Uni, que la
Libye rejetait totalement et que dès lors, les questions posées avaient un caractère purement

théorique. Néanmoins elle estimait que cette convention s'appliquait sans restrictions à tous

les ressortissants d'un Etat partie, fussent-ils un organe de l'Etat.

En tout état de cause, si les défendeurs entendaient soutenir qu'il s'agit là d'une

excuse légitime pour ne pas appliquer la convention de Montreal, il leur appartiendrait de le

démontrer et la Cour serait compétente pour connaître de cette exception portant sur une
interprétation de la convention.

3.23 Les défendeurs tentent encore d'écarter les dispositions de la convention de Montréal

en alléguant que les tribunaux libyens ne seraient pas impartiaux.

Ainsi M. Pickering, représentant permanent des Etats-Unis à l'ONU a déclaréà la
séancedu Conseil de sécuritédu 21 janvier 1992:

"Le Conseil s'est trouvédevant un cas( ...) pour lequel il n'existe pas de pouvoir judiciaire indépendant
dans l'Etatncriminé" 53

53 Conseil de sécur21janvier1992,S/PV.3033,p. 79/8En anglais:

"The Council was faced in this case with (...)the absence of an independentjudiciary in the80);licared State" (p.
annexe no83. 71

A la mêmeséance, le représentant britannique, Sir David Hannay, déclarait :

"Il a étésuggéré que ces hommes pourraient êtrejugés en Libye. Mais dans ces circonstances
particulières, on ne peut avoir confiance dans 1'irnparti alité des tribunaux 1ibyen s. (...) Dans 1es
circonstances actuelles, i1doit êtreévident pour tous que 1'Etat qui a 1ui-mêmeparticipé aux actes de

terrorisme ne peut juger ses propres agent54.

Répétonsencore que 1'accusation sur 1aquelle repose ces affirmations des défendeurs

est donnéecomme un fait d'évidence.

Sur le plan du droit, si cette extraordinaire prétention devait êtreacceptée comme

clause exonératoire tacite des dispositions de la convention, cela ruinerait tout le système des
conventions sur le terrorisme qui repose sur la multiplicité et l'équivalence des fors

juridictionnels et prévoit, chaque fois, l'alternative classique: aut dedere autjudicare.

Aussi singulière que soit cette prétention des défendeurs, s'ils entendent démontrer

qu'il s'agit là d'une excuse légitime pour ne pas appliquer la convention de Montreal, il leur
appartient de le démontrer. La Cour est donc compétente pour connaître de cette exception

portant sur l'interprétation de la convention.

Section 2 - Un différend qui ne peut êtreréglépar voie de négociation et à propos

duquel les parties au différend n'ont pas pu se mettre d'accord sur

1'organisation d'un arbitrage

3.24 Le deuxième élémentnécessaire pour que la Cour soit compétente, c'est qu'il existe
un différend à propos duquel les parties n'ont pu se mettre d'accord par voie de négociation et

pour lesquels les parties au différend n'ont pas pu se mettre d'accord sur l'organisation d'un
arbitrage.

Qu'en est-il en l'espèce?

Le Royaume-Uni a soutenu que ces conditions n'avaient pas étéremplies. Il n'y avait
pas eu de négociations. Et le conseil du Royaume-Uni, M. A. Rodger, de préciser à l'audience

du 26 mars 1992 (après-midi):

54 Conseil de sécurité,21 janvier 1992, S/PV. 3033, p. 104 anglais:En
" lt has been suggested the men might be tried in Libya. But in the particular circumstances there can be no confiden­
ce in the impartiality of the Libyan Courts. (...) ln the circumstances of this case it must be clear to ali that the State

which i~it.selfimplicated iactof terrosm cannot try its own ufs."(p.l05-106).72

"It is not a mere formality. Article 14(1) is expressly drawn in terms which refer not to disputes which
have not been settled, but to disputes which cannat be settled, through negotiation." 55

Ce conseil du Royaume-Uni a aussi soutenu que la demande d'arbitrage de la Libye

étaitpurement abstraite, sans formulation de l'objet du différend 56_

L'offre de négociations et la demande d'arbitrage ne peuvent pas êtredissociées de la

situation de fait dans lesquelles elles ont étéréalisées.

En premier lieu, on se souviendra que les relations diplomatiques étaient rompues
entre les trois Etats parties à la présente instance et que pareille circonstance ne constituait

assurément pas un cadre idéalde négociation.

En second lieu, i1 convient d'avoir à l'esprit le temps extrêmement bref qui s'est

écouléentre la réception par la Libye des notes initiales accusant pour la première fois, trois
ans après les faits, des citoyens libyens (respectivement le 18 novembre 1991 pour la note

britannique et le 21 novembre 1991 pour la note américaine) et la première résolution du

Conseil de sécurité,en date du 21 janvier 1992.

On a exposé ci-dessus les conditions de fait dans lesquelles la Libye a étéamenée,

dans la crainte de voir se renouveler des actions militaires du style de celles perpétréescontre

le territoire libyen en 1986, à insister tout d'abord sur les obligations pour les défe.ndeurs

découlant de l'article 33 de la Charte. La lettre du Secrétaire du Comité populaire pour les

relations extérieures et la coopération internationale adressée au Secrétaire général des
Nations Unies en date du 8 janvier 1992 envisageait à la fois le règlement du conflit politique

et celui du conflit juridique 57. Face à l'ultimatum du 27 novembre 58 tendant à imposer la

livraison des accusés aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne, la Libye n'a pas mis un mois

pour exposer aux Etats requérants que leurs pressions posaient des problèmes précis de
compétence des tribunaux en droit international (la lettre du 8 janvier insistait sur le fait que le

différend portait sur l'autorité judiciaire qui avait corn pétence en la mati ère) et, plus

précisément d'interprétation et d'application de la convention de Montréal, et pour leur

55 Idem. CR. 92/3, p. 34. Notre traduction :
"Cc n'est pas seulement une formalité. L'article 14 (1) est expressément rédigéen des termes qui rétèren.tnon pas à
des différends 11'ont pas étéréglés,mais à des différends qui ne peuvent pas êtreréglés.par la voie des négocia­
tions".

56 Idem, CR 92/3, p. 36.
57 Annexe no73.
58 Annexe no46. 73

demander officiellement de résoudrece problème préjudiciel par la voie arbitrale ou judiciaire

(le 18 janvier) 59. Le 21 janvier, la proposition d'arbitrage fut répétéepar le représentant
permanent de la Libye devant le Conseil. Il suggéra la conclusion d'un compromis

d'arbitrage et l'application de l'article 14 de la convention de Montréal 60.

Il n'a pas fallu longtemps pour se rendre compte que les défendeurs n'entendaient pas

négocier avec la Libye, en dépitdes demandes de coopération judiciaire présentées parelle .

Deux types de menaces furent exercés:d'une part, des discours officiels laissant entendre que

l'action militaire n'étaitpas exclue, d'autre part, l'utilisation par le Royaume-Uni et les Etats­
Unis de leur poids au Conseil de sécuritépour obtenir des sanctions contre la Libye si elle ne

capitulait pas devant 1'ultimatum.

La demande faite expressément, le 18 janvier, de porter devant un arbitre le différend

entre les Etats intéressés concernant 1'application ou l'interprétation de la convention de

Montréal, ne reçut aucune réponsedirecte.

Les déclarations des représentants des deux gouvernements défendeurs, à la séancedu

Conseil de sécuritédu 21 janvier, furent cependant, dépourvues d'équivoque sur le contenu de

la réponse. Rappelons-en les termes. Le représentant permanent des Etats-Unis au Conseil de
sécurités'est exprimésur ce point de la manière suivante :

" Il ne s'agit pas ici d'une question de divergence d'opinion ou de démarche pouvant faire J'objet de

médiation ou êtrenégociée"6 l.

En dépit de cette déclaration, l'agent des Etats-Unis, l'honorable Edwin D.

Williamson, a soutenu à l'audience de la Cour tenue le 28 mars 1992, après midi que:

"The United Stat di~ not reject the Libyan request for arbitration. The simple fact is that the United

Stateshas not considered it necessary or appropriatorespond, knowing that the Montreal convention
gave the parties six months to reach agreement on the terms of the arbitration and, more importantly,
knowing Libya's apparent engagement with the Secretary-general under resolution 731. United States
non-attention to an unclear request for arbitration, in a situation where it was not apparent that the

request was maintained and good rcason existed to think that it had not been maintained, cannot
constilute a "rejectionof the Libyan request, or a waiver of United States rights to the six-month
period "62.

59 Annexe n°79.
60 Annexe n"83.

61 Conseil de sécurité,21 janvier 1992,S/PV. 3033, p. 78. En anglais: "The issue at end is not sorne difference of opi­
nion or approach that can be mediated oriated" (p. 79 du texte anglais)- Annexe no83.
62 CR 92!6,p. 33. Notre traduction :

"Les Etats-Unis n'ont pas rejetéla demande libyenne d'arbitrage. Les Etats-Unis ont seulement considéréqu'il n'était
pas nécessaireou appropriéde répondre,chant que la convention de Montréaldonnait six mois aux parties pour

parveniràun accord sulesmodalitésde l'arbitrage et , ce gui est plus important, connaissant les engagements gue la
Libye avait apparemment pris avec le Secrétaireglonformémementà la résolution731. Le mangue d'attention74

Il est sans doute exact que les Etats-Unis n'ont jamais répondu négativement à la

demande libyenne, pour la bonne raison qu'à la vérité,ils n'y ont jamais répondu du tout.

Mais tout leur comportement a consisté à écarter la convention de Montréal et apparaît donc

comme un rejet certain, fût-il implicite de la proposition. Est-il besoin de signaler que,
longtemps après l'expiration du délaide réflexion que les Etats-Unis revendiquent comme un

droit, les Etats-Unis, apparemment, réfléchissenttoujours ?

Le représentant permanent du Royaume-Uni, a, quant à lui, déniétoute pertinence à la

convention de Montréal devant le Conseil, bien que le représentant permanent de la Libye et

divers autres intervenants aient rappelé qu'une partie au moins du litige discuté par le Conseil
portait sur cette convention:

"La lettre en date du 18 janvier concernantune demande d'arbitration (sic) au titre de l'article 14 de la

convention de Montréal n'est pas pertinente dans le cas dont est saisi le ConseiL Le Conseil n'est pas,
selon les termes de l'article 14 de la conventionde Montréal, saisi d'un différend entre deux parties
contractantesou plus concernant l'interprétation ou l'applicatide la convention de Montréal" 63_

Ce disant 1'ambassadeur, non seulement déclarait la convention de Montréal sans

pertinence dans le débat du Conseil de sécurité - ce qui, on le verra plus loin, était une

position contestable- mais repoussait a priori et sans appel, à la fois les dispositions de fond

et la clause compromissoire de la convention de MontréaL Le recours au Conseil de sécurité
pour écarter l'application de cette convention est avouésans vergogne:

"Nous avons pensé qu'il était bon et, en fait, préférabàd'autres moyens de poursuivre la question, de

saisir le Conseil et de demander son appui, grâcà la résolution qui vient d'être adoptée".

En con séquence, aussi bien les Etats-Unis que le Royaume-Uni écartaient toute

application de l'article 14 paragraphe l et les propositions d'arbitrage de la Libye. On ne

pouvait mieux constater que les parties n'étaient parvenues, pour reprendre les termes de la

convention de Montréal, ni à régler leur différend "par voie de négociation" ni "à se mettre

d'accord sur l'organisation de l'arbitrage". Dès lors la Libye était autorisée, aux termes de

des Etats-Unil'ace une demande peu claire d'arbitrage, dans une situation où il n'apparaissait pas que la demande
était.maintenue ct il y avait des bonne raison de croire qu'elle n'étaitpas maintenue, ne peut pas constituer un

"réjct"de la demande libyenne, ou une renonciation des Etais-Unis à leur droit la périodede six mois".
63 Conseil de sécuri, 1 janvier 1992, S/PV. 3033, p. 104 du texte français comme du texte anglais:
"The letter datcd 181anuary concerning a request for arbitration und14 of the Montreal convcntion is not re­

levanttothe issue before the Counci1.The Counci1is not, in the words of anicle 14 of the Montreal convention, dea­
ling with a dispute between two or more Contracting Panies concerning the interpretation or application ot'the

Montreal convention. (...)". Annexe.no83.
64 Conseil de sécuri, 1 jan\<ier1992, S/PV. 3033, p. 104 du texte français et 105du texte anglais:
"Wc have thought it righi, and indeed preferable to other ways of pursuing the matter, ta come before the Council and

seek the Couneil's suppon, through the resolution just adopted." Annexe no83. 75

cette clause compromissoire, à soumettre le différend à la Cour internationale de Justice, en

déposant une requêteconformément au statut de la Cour.

3.25 La jurisprudence de la Cour sur les conditions d'épuisement de la négociation est

traditionnelle et bien établie. Elle rejette tout formalisme.

Comme le disait déjà la Cour permanente de Justice internationale dans l'Affaire des

Concessions Mavmmmatis en Palestine::

"Une négociation ne suppose pas toujours etnéce.~sai une séeieplus ou moins longue de notes et
de dépêches;ce peut êtreassez qu'une conversation ait étéentamée; cette conversation a pu êtretrès
courte: tel est le cas si elle a rencontré un point mort, si elle s'est heurtée finalement à unno11 possunws

ou à un non volunws péremptoire de l'une des parties et qu'ainsi il est apparu avec évidence que fe
d!ffére111'est pas susceptible d'êtreréglépar une négociation diplomatique65.

Dans les affaires du Sud-Ouest africain (exceptions préliminaires), la Cour
internationale de Justice est arrivéeà des conclusions analogues en indiquant que :

"[l]e fait que dans le passé les négociations collectives aient aboàtune impasse et le fait que les

écritures et les plaidoiries desrties dans la procédure aient clairement confirmé que cette impas.5e
demeure obligent à conclure qu'il n'est pas raisonnablement permis d'espérer que de nouvelles
négociations puissent aboutir à un règlemen66_

La Cour exprime la volonté de se départir de toute attitude formaliste lorsqu'elle

affirme dans les mêmesaffaires que :

"ce qui importe en la matière, ce n'est pas tant la forme des négociations que l'attitude et les thèses des

Parties sur les aspects fondamentaux de la question en litige. Tant que l'on demeure inébranlable de
part et d'autre -et c'est ce qui ressort clairement des plaidoiries présentées à la Cour- il n'y a aucune
raison qui permette de penser que le différend soit susceptible d'êtreréglépar de nouvelles négociations

entre les Parties" 67

La Cour internationale de Justice s'est encore prononcée dans le même sens à

l'occasion de l'affaire du personnel diplomatique et consulaire à Téhéran :

"( ...) lorsque les Etats-Unisont déposé leur requête du 29 novembre 1979, leurs tentatives de
négociations avec 1'Iran au sujet de 1'invas ion de leur am bass ade et de la détention de le urs
ressortissants en otages avaient abouti à une impasse, le Gouvernement de l'Iran ayant refusé toute
discussion. Tl existait donc à cette date non seulement un différend mais, sans aucun doute, "un

différend (...)qui ne [pouvait] pas êtrerégléd'une manière satisfaisante par la voie diplomatique" 68_

65 C.P.l.l, SérieA, np.,13.

66 C.I.J.Recueil,1962. p. 345 .
67 C.I.J.Recueil,1962,p.346.
68 C.l.J Recueil.1980, p. 27, par. 51.76

et dans l'affaire Activités militaires et paramilitaires des Etats-Unis au Nicaragua 69 sur les

possibilités de règlement du litige par la voie diplomatique. Pour reprendre 1'opinion

exprimée par le juge Ago dans son opinion individuelle jointe à 1'arrêtsur les Activités

militaires et para-militaires au Nicaragua et contre celui-ci (Compétence) :

" (...)je suis convaincu que le recours préalable à des négociations diplomatiques ne peut pas constituer
une exigence absolue à remplir, mêmelorsqu'il est évident que l'état des relations entre les Parties est
telqu'il est illusoire de s'attendre à ce que de telles négociations aboutissenà un résultat positif et
qu'il serait injustifïé de retarder par ce biais 1'ouverture d'une procédure arbitraie ou judiciaire quand la

possibilité du recoursàcelle-ci a étéprévue" 70.

Enfin, dans l'affaire de l'Accord de siège, la Cour a relevéce qui suit:

" Pour la Cour, lorsqu'une partie à un traité proteste contre une décision ou un comportement adoptés

par une autre partie et prétend que cette décision ou ce comportement constituent une violation de ce
traité, le simple fait que la partie accusée ne présente aucune argumentation pour justifier sa conduite au
regard du droit international n'empêche pas que les attitudes opposées des parties fassent naître un

différend au sujet de l'interprétation ou de l'application du tra71."

et estiméque :

"compte tenu de l'attitude des Etats-Unis [qui niaient l'existence d'un différend et l'application de cet
accord de siège], le Secrétaire général a épuisé en l'espèce les possibilités de négociations qui

s'offraientà lui"72_

3.26 Par identitéde motifs, et face au refus constant des défendeurs de placer le débatsur le

terrain de l'application de la convention de Montréal de 1971, il paraît clair que la Libye a

épuiséen l'espèce les possibilités de négociations qui s'offraient à elle et a perdu tout espoir
d'obtenir le choix de la voie arbitrale.

Section 3- La question du délaide six mois

3.27 S'il fallait accepter l'interprétation de l'article 14.1 qu'ont suggéréeles conseils des

Etats-Unis et du Royaume-Uni, cette disposition interdirait 1'introduction d'une requête

devant la Cour avant qu'un délaide six mois se soit écoulédepuis la formulation initiale de la

69 C.I.J.•Recueil1984. p. 28.
70 C.I.J. Recueil. 1984, par.. S15-516, p. 4

71 C.I.J.. Recueil, \98par. 38p. 28.
72 C.I.J., Recueil, 198par. 54p.33. 77

demande d'arbitrage 73_ Or la requêtelibyenne a étéintroduite le 3 mars 1992, soit 45 jours
après la lettre du 18janvier proposant l'arbitrage aux termes de l'article 14 paragraphe 1 de la

convention de Montréal.

Avant d'aborder cette question rappelons les termes mêmesde ce paragraphe:

" Tout diftërend entrde~ Etats contractants concernant l'interprétation ou l'application de la présente
convention qui ne peut pas êtreréglépar voie de négociation est soàml'arbitrage, à la demande de

l'un d'entre eux. Si dans les six mois qui suivent la date de la demande d'arbitrles parties ne
parviennent pas à se mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage, l'une quelconque d'entre elles
peut soumettre le diftëreàdla Cour internationale de Justice, en déposant une requête conformément
au Statut de la Cour"

La Libye estime d'une part que le texte de cet article ne requiert pas l'épuisement d'un
délai de six mois, et, d'autre part, s'il fallait estimer qu'il le fait, la Libye serait dispensée

d'épuiser ce délaiétantdonné qu'attendre son expiration n'aurait pu avoir aucun effet utile, vu
la position prise par les défendeurs avant le 3 mars 1992.

3.28 Le texte de cet article ne requiert pas l'épuisement d'un délaide six mois.

Le texte de cette disposition comprend les mots "dans les six mois". Il ne dit pas

"après six mois", ou "un délai de six mois étant écoulé".L'argument du conseil des Etats­

Unis, M. Brower, lorsqu'il prétend que la convention "requires that a period of six months
elapse fellowing a request for for arbilration six months obligatory prerequisite" 74 ou évoque

un "six month obligatory prequisite" 75, s'inscrit totalement à l'encontre du texte de 1'article
14.1.

3.29 Si le texte de cet article requerrait l'épuisement d'un délai de six mois, la Libye en

serait dispensée étantdonné qu'attendre l'expiration de ce délai n'aurait pu avoir aucun effet
utile, vu la position prisepar les défendeurs.

La position soutenue par les défendeurs qu'il convenait d'attendre six mois avant de
pouvoir saisir la Cour est difficilement conciliable avec leur attitude qui a constamment

consisté à opposer un non volumus à toute application quelconque de la convention de
Montréal et,par voie de conséquence, aux dispositions de cette convention relatives au

règlement pacifique des différends. Ce refus complet prive de tout objet la condition de délai

73 Intervention de Brow~ àl'audience du 27 ma1992.CR 9214.p.38ess.
74 CR 9214,p. 50.
75 CR 92/4, p. 43.78

que les défendeurs lisent dans l'article 14.1. Il est manifeste qu'une exigence procédurale,
telle celle qui impose un délai,ne doit êtrerespectéeque si elle sert à quelque chose.

A supposer que l'article 14.1 de la convention de Montréal impose un délai de six
mois avant la saisine de la Cour - quod non - celui-ci ne devrait donc pas êtrerespecté en

l'espèce, eu égard à l'attitude hostile des défendeurs face à toute proposition de règlement. Il

était patent - et le demeure - que les deux défendeurs ne voulaient pas entendre parler
d'arbitrage sur base de la convention de Montréal. L'invocation du délai repose non sur un

souci d'assurer aux défendeurs le temps d'accepter l'arbitrage et l'application de l'article,

dont ils ne veulent pas, mais bien de priver cette disposition de tout effet. Cette
interprétation, qui prive la disposition de son objet et de son but, doit êtrerejetée. Il suffirait

d'ailleurs à la Libye d'introduire une nouvelle action, identique, pour que la question du délai

ne se pose plus. Les conséquences absurdes d'un tel formalisme ne sont pas à souligner.

Cet argument du délaide six mois est donc vain. Il ne peut faire échec à la validitéde

la saisine de laCour aux termes de l'article 14 § 1de la convention de Montréal.

3.30 En conclusion, la Libye estime que les requêtesdéposéspar elle le 3 mars 1992 contre
les Etats-Unis et contre le Royaume-Uni sont recevables et que la Cour est compétente pour

en connaître. 79

TROISIEME PARTIE

LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES EN VERTU DE LA
CONVENTION DE MONTRÉAL

INTRODUCTION

Cette troisième partie du mémoire est consacrée à l'examen des droits et obligations

des Parties en vertu de la convention de Montréal. Il sera montré que cette convention
s'applique à 1'affaire, qu'on 1'intérprète littéralement (cha1)tou à la 1umière du droit

international général(chapitJI).

CHAPITRE 1- L'INTERPRETATION LITTERALE DE LA CONVENTION DE
MONTREAL ET SON APPLICATION

4.1 Il est incontesté que 1'incident aérien de Lockerbie est une des infractions visées par la
convention de Montréal du 23 septembre 1971, que cette convention lie les parties etu'il

n'existe pas d'autre convention particulière entre les parties portant sur l'objet même du

différend. C'est donc au regard de la convention de Montréal qu'il faut considérer les
requêteslibyennes.

On va montrer que la Libye:

- doit établir sa compétence pour connaître des infractions viséespar la convention (art. 5);

- peut ne pas extrader les suspects (art. 8);

- à défautd'extrader les suspects, doit les déférerà ses autorités compétentes pour l'exercice
de l'action pénale(art. 7);

- est en droit d'obtenir l'entraide judiciaire la plus large possible (art. 11).80

Section 1- La Libye doit établir sa compétence pour connaître des infractions visées

par la convention de Montréal (art. 5 §§ 2-3)

A- Le contenu de l'art. 5 §§ 2-3

4.2 L'art. 5 § 2 de la convention de Montréal prévoit que tout Etat contractant établit sa
compétence pour connaître des infractions visées par cette convention dans l'hypothèse où

l'auteur de l'une de ces infractions se trouve sur son territoire et où cet Etat ne l'extrade pas.

L'art. 5 § 3 prévoit que la convention n'écarte aucune compétence pénale qu'un Etat

voudrait exercer conformément à son droit interne.

Voici le texte de ces deux paragraphes de l'art. 5 :

"2. Tout Etat contractant prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins
de connaître des infractions prévues aux alinéas a, b, etc du paragraphe !er de l'article !er, ainsi qu'au
paragraphe 2 du mêmearticle, pour amant que ce dernier paragraphe concerne lesdites infractions, dans
le cas où l'auteur présuméde l'une d'elles se trouve sur son territoire et où ledit Etat ne l'extrade pas
conformément à l'article 8 vers 1'un des Etats visésau paragraphe 1er du présent article.

3. La présente conve.ntion n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois

nationales."

Ce type de disposition est typique d'un système répressif qui, à défaut de gendarme

international, confie ce rôle à chaque Etat(!); la portéejuridique de ces dispositions n'en est
pas moins certaine (2).

1 -Une disposition typique d'un système répressif fondésur les Etats

4.3 Ce type de disposition est extrêmement courant dans les conventions de droit pénal
international; il résulte du fait que ces conventions ineri minent directement certains

comportements mais laissent à chaque Etat partie le soin de les réprimer selon son droit

interne. Ainsi, la convention de Montréal prévoiten son art. ler:

"Commet une infraction pénale toute personne qui illicitement et intentionnellement:

a) accomplit un acte de violenàel'encontre d'une personne se trouvant à bord d'un aéronef en vol, si

cet acte est de nature à compromettre la sécuritéde cet aéronef; 81

b) détruit un aéronef en service ou cause à utelaéronef des dommages qui le rendent inapte au vol ou

qui sont de nature à compromettre sa sécuritéen vol;

(.)".

On peut déduire de cette formulation que le fait visé au texte devient ipso jure une

infraction pénale dans le droit de tous les Etats parties à la convention sans que ceux-c1

doivent nécessairement transposer le fait dans leur législation pénale 1.

Cette incrimination demeure toutefois un énoncésymbolique flottant dans le vide tant

qu'elle n'est pas assortie de sanctions pénales appropriées. Pour l'édiction de ces sanctions,

la convention renvoie aux Etats parties 2. C'est eux qui, aux termes de la convention

concernée, sont tenus de "réprimer l'infraction de peines sévères" (convention de La Haye

pour la répressionde la capture illicite d'aéronefs,art. 2; convention de Montréal,art. 3; etc...) 3_

Malgré son caractère direct, l'incrimination ne produit donc pas d'effet sans le relais

de l'Etat. C'est lui qui doit introduire l'infraction dans sa législation pénale interne
notamment en précisant la nature et l'étendue des peines dont sont passibles les auteurs de

l'infraction.

4.4 Dans la mesure où bon nombre de conventions de droit pénalinternational obligent les

Etats parties à réprimer les infractions visées quels que soient le lieu de 1'infraction, la

nationalüé de l'auteur ou celle de la victime, ces Etats doivent exercer des compétences qui

sont non seulement territoriales, mais aussi extra-territoriales et qui peuvent aller au-delà des

compétences extra-territoriales classiques telles que les compétences personnelles active et

pass1ve. Autrement dit, ce sont des compétences quasi-universelles que les Etats sont requis

Dans lern~m eens : Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répressionde la capture illicite d'aéronefs,

art.er; Convention des Nations Unies du 14 décembre 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre
les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, art. 2 § 1; Convention des

Nations Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, art. 1; Convention de Vienne et New York du 3 mars
1980 sur la protection physique m<~tiè nrelsaires, art. 7; Convention de Rome du ID mars 1988 pour la répres­

siond'actes illicites contre 1a sécuritéde la navigation maritime, art. 3; voy. aussi Conventions de Genève du 12 août
1949 sur la protection des victimes de la guelTe, art. communs-51/129-1301146-147.
2 Guillaume, G., "Terrorisme et droit internatR.C.A.D.I.,1989. lll, T. 215, p. 328.

3 Dans le mêmesens: Convention des Nations Unies du 14 décembre 1973 sur la préventionet la répressiondes infrac­
tions contre les personnes jouissante protection internationayecompris les agents diplomatiques, art§ 2;

Convention des Nations Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d·owges, art 2; Convention de Vienne et New
York du 3 mars 1980 sur la protection physique des matières nucléaires§ 2~Convention de Rome du JO mars

1988 pour la répressiond'actes illicites contre la sécuritéde la navigation maritime, art. 5; voy. aussi Conventions de
Genève du 12 août 1949 sur la protection des victimes de la guerre, art. communs 49/5011291146; Convention de La

Huye du 14 mai 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé,art. 28.82

d'exercer, et comme ce type de compétence est généralement absent des lois internes de

procédure pénale, c'est encore aux Etats qu'il appartient d'adapter leur législation.

Les conventions contiennent donc des clauses stipulant, par exemple, dans le cas
d'infractions commises contre l'aviation civile, que l'Etat d'immatriculation de l'aéronef,

1'Etat de son principal siège d'exploitation, l'Etat où atterrit 1'aéronef avec 1'auteur de

l'infraction à bord, etc, doivent établir leur compétence pour connaître de 1'infraction

(convention de La Haye, art. 4 ~ 1;convention de Montréal, art. 5 § 1;etc...) 4.

4.5 Ce bref rappel de certains principes de fonctionnement communs à la plupart des

conventions de droit pénal international confirme le rôle central que joue 1'Etat partie à ces

conventions dans le processus de répression : l'Etat reste l'intermédiaire obligé pour mettre en

oeuvre le mécanisme répressif mis au point par ces conventions.

2- La portée juridique de l'art. 5 § 2 .

4.6 La Libye ne conteste pas que l'art. 5 § 2 énonce une obligation. Le texte est clair et

l'histoire de cette disposition le confirme. Pour s'en convaincre, il faut se tourner vers les

travaux préparatoires de la convention, non de Montréal, mais de La Haye (détournements
d'aéronefs, 1970): sur une suggestion du Président de la Commission plénièreet du délégué

des Pays-Bas à la Conférence. de Montréal, la Commission avait accepté d'emblée de

reprendre les art. 4 à 14 de la convention de La Haye de 1970 comme base de discussion 5 .

Pour les Pays-Bas en effet, ces dispositions bien qu'imparfaites

"did represent the \atest compromise on the subject and it was unlikely that a better one could be
achieved at this time." 6

De même,les E.-U. soulignaient

4 Dans le mêmesens: Convention des Nations Unies du !4 décembre surla préventioetla répression des infrac­
tions contre les personnes jouissant protection internatioyacompris les agents diplomatiques, art. 3 § 1;
Convention des Nations Unies du 13 décembre 1979contre la prise d'Ol<Jges.an. 5 § l; Convention de Rome du 10

mars 1988 pour la répressiond'actes illicites contre la sécuritéde la navigation maritime, an. 6 § 1.
5 O.A.C.I., Conférence imernationa/e de droit aérien. Montréal, septembre 1971, Doc. 9081(citée ci-après
··conférencede Montréal"), vol. l, Minutes, p. 20 § 9.

6 Ibid..p. !9 § 3. 83

"the great amount of work that had gone intci the development of Art. 4 to 14 at the Hague
Conference." 7

De fait, si le projet initial de convention établi pour la Conférence de Montréal par le

Comitéjuridique de l'O.A.C.I. 8 ne contenait pas de disposition analogue à 1'art. 5 § 2 actuel,

ce dernier apparaissait dans un texte présentépar l'Espagne 9, texte qui était la réplique de
l'art. 4 § 2 de la convention de La Haye de 1970 10. Ce texte proposé par le Président de la

Commission plénièrecomme base de discussion 11 fut accepté sans discussion, ni objection 12.

Si les travaux préparatoires de la Conférence de Montréal n'apportent donc pas

beaucoup d'enseignement sur les raisons du changement proposé par l'Espagne, en revanche,
les travaux préparatoires de la convention de La Haye sont plus révélateurs.

4.7 A l'origine, le projet de convention élaboré par le Comité juridique de l'O.A.C.I. pour

la Conférence de La Haye prévoyait simplement que seuls l'Etat d'immatriculation et l'Etat
où atterrissait l'aéronef avec l'auteur présuméde l'infraction devaient établir leur compétence

aux fins de connaître de l'infraction.

"1.Tout Etat contractant prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître
de l'infraction dans les cas suivants :

a) sielle est commise à bord d'un aéronef immatriculé dans cet Etat;
b) si l'aéronef atterrit sur son territoire, avec 1'auteur présumé de1'infraction se trouvant

encore à bord.

2. La présente Convention n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois
1
nationales." 3

Parmi les amendements proposés à ce texte, on trouvait une proposition du Royaume­

Uni qui, pour l'essentiel, visait à autoriser les Etats - et non à les obliger comme dans le texte

initial -à établircette compétence :

"Tout Etat contractant peut exercer sa compétence à l'égard de l'infraction où qu'elle soit commise et
prend les mesures nécessaîres pour établir sa compétence aux fins de connaître de 1'infraction dans les
cas suivants :

7 Ibid., p. 20 § 4.

8 Conférence de Montréal, Il, Documents pp. 13 ss., CUl Doc. n° 4.
9 Ibid., p. 74, CUI Dno.22.

10 Ibid., p. 71.
11 Ibid., p.54. § 21.
12 Ibid., p. 58, § 48.

13 Conférencede La Haye, II, p. 19, SA Doc n° 4.84

a) si elle est commise à bord d'un aéronef immatriculé dans cet Etat;

b) si 1'aéronef atterrit sur son territoire, avec 1'auteur présumé de 1'infraction se trou vant
encore àbord." 14

En sens inverse, l'Espagne, appuyée par l'Autriche !5 proposait d'ajouter au texte

original un § 2 nouveau qui non seulement conservait le caractère obligatoire de cette

compétence, mais en outre l'étendait à tout Etat où l'auteur de l'infraction était trouvé et

n'étaitpas extradé:

"2. De même,tout Etat contractant établit sa compétence aux fins de connaître de l'infraction dans le
cas où 1'auteur présumése trouve sur son territoire et où 1edit Etat n'est pas tenu, aux termes de l'art. 8,

d'accorder 1'extradition vers les Etats visés au paragraphe1 du présent article."ô

4.8 Ce texte destiné à "assurer que l'infraction sera répriméedans la très grande majorité

des cas" 17 dès 1ors que "1'extradition obi igatoi re aux termes de 1a Co nven tion est

impossible" 18fut accueilli avec faveur par la majoritédes Etats qui y voyaient:

1
une possibilité de concilier le droit d'asile et les nécessitésde la répression 9;

l'expression d'une "compétence universelle obligatoire" 20;

une manière de combler "une lacune trèsimportante de la Convention" 21;

un moyen permettant de punir quiconque commettrait l'infraction lorsque l'extradition de

cette personne s'avéraitimpossible 22.

Il est intéressant de noter que le R.-U. et les E.-U. appuyaient aussi ce texte. Ainsi,

"Le déléguédu R.-U. déclare qu'en règle générale,son pays n'accepte pas le principe selon lequel la
simple présence de 1'auteur pré~um d'un infraction sur 1e territoire d'un Etat autorise celui -ci à le
juger. Toutefois, devant la gravité de 1infraction et devant la lacune signalée par les déléguésde
l'Autriche de l'Espagne, il déclare qu'il est disposé à appuyer l'une des deux propositions ou les deux et

que, si l'une d'elles est adoptée, il retirera la proposition du R.-U. (...)." 23

!4 Ibid., SA Doc11°62,p. 119.
15 Ibid., SA Doc.1142,p. 94 etibid., Procès-verbaux,p.77 § 32.
16 Ibid., SA Doc. n61,p. 118.

17 Espagne, ibid., p. 75§ 17.
18 ibid,

19 Costa-Rica,ibid.,§ 20.
20 Observateur deI'LL.A., ibid., p. 76 § 26.

21 Norvège,P.-B., Italiibid.pp. 77-78, §§34, 36,41.
22 Panama, Italie, observateur I'IFALPA, ibid.p. 78,§§ 39, 41, 43.

23 Ibid.p. 75§ 18 85

Quant au délégué des E.-U., il

"se prononce en faveur de la proposition conjointe fde l'Espagne et de l'Autriche] qui, par une

modification importante, comble une lacunde la Convention." 24

4.9 L'amendement de l'Espagne sera tïnalement adopté à la Commission plénièrepar 34

voix contre 17 et 12 abstentions 25 non sans que certains Etats aient souligné leur opposition à

ce qui leur apparaissait êtreune extension de la compétence obligatoire 26_

Dans la mesure où l'art. 5 § 2 de la convention de Montréal est tout à fait analogue à
l'art. 4 § 2 de la convention de La Haye, on peut donc aftïrmer que l'obligation énoncéeau

texte correspond bien à 1'intention de ses auteurs.

B- L'argumentation des défendeurs

4.10 Dans sa requête introductive d'instance, et lors des plaidoiries sur les mesures

conservatoires, la Libye a déclaréet montré que les agissements du Royaume-Uni et des

Etats- Unis visaient à empêcher la Libye d'exercer les droits que lui reconnaissent les

paragraphes 2 et 3 de 1'art. 5 27.

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont répondu

- que les droits invoqués par la Libye étaient illusoires, sans substance ("devoid of

substance") 28, et prétendus ("alleged") 29;

que l'art. 5 § 2 imposait en réalitéun devoir d'instaurer les compétences nécessaires à

l'exercice de 1'action pénale 30;

24 lhid., p. 77 § 35.
25 Ibid., Doc. 8979-LC/165-1, volProcès-verbaux,p80 §53.

26 Voy. les interventions de la Zambie, l'Indonésie,J'Inde, ibid., pp. 76 ss., §§ 27, 40, 42.
27 Req., p. Il; C.l.J., CR 92/2, pp. 16,55-57,75,78.
28 R.-U., CR 92/3, pp. 24, 45.

29 E.-U., CR 92/4, p. 28.
30 R.-U., CR 92/3, p. 45.86

- que l'art. 5 § 3 n'étaitqu'une "saving provision" destinée à n'exclure aucune compétence
pénaledont un Etat s'étaitdéjàdotée 31.

Pour faciliter la compréhension de l'exposé, nous analyserons séparément les §§ 2 et 3 de
l'art. 5.

L-L'article 5 § 2

4.11 Que la Libye ait l'obligation plutôt que le droit d'établir sa compétence en vertu de

l'art. 5 § 2 n'invalide, n'affaiblit ou n'affecte sa réclamation tendant à obtenir que le

Royaume-Uni et les Etats-Unis respectent ce souci :

i) Comme un conseil de la Libye 1'a déjà affirmé lors des plaidoiries sur les mesures

conservatoires,

"si un Etat peut revendiquer le respect d'un droit, c'est-à-dire le respect d'un comportement qui lui
est autorisé, a fortiori cet Etat peut revendiququ'on respecte sa volonté d'exécuter une
obligation, c'est-à-dire, le respectomportement qui lui est imposé" 32.

ii) Dans le cas de la convention de La Haye, si le Royaume-Uni défendait le caractère
facultatif de l'établissement de la compétence par l'Etat sur 1e territoire duquel se trouvait

l'auteur présuméde l'infraction (ci-dessus), on vient de voir qu'il accepta la proposition
tendant à rendre obligatoire l'établissement de cette compétence 33; quant aux Etats-Unis,

ils appuyaient fermement cette proposition qui comblait "une lacune de la convention" 3 .

Il est piquant de voir qu'aujourd'hui ces deux Etats contestent l'exercice d'une obligation
que l'un envisageait avec bienveillance et que l'autre appelait de ses voeux ! ...

iii) L'obligation imposée par l'art. 5 § 2 ne s'impose pas seulement à la Libye dans ses
relations conventionnelles avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Elle lie également la

Libye à l'égard des quelque 135 autres Etats parties à la convention de Montréal. Même

si le Royaume-Uni et 1es Etats-Unis ne veulent pas que la Libye remplisse cette
obligation, la Libye reste obligée de la remplir vis-à-vis des autres parties contractantes

(convention de Vienne sur le droit des traités,art. 26).

31 !d., ibid., p. 46.
32 CR 92/5, 28 mars 1992,37.

33 ConférencedeLa Haye,1,p.75* 18.
34 Ibid., p. 77 § 35. 87

4.12 Il a également étésoutenu que 1'obligation énoncée par 1'art. 5 § 2 concernait

l'établissement de la compétence plutôt que son exercice 35_Lors des audiences sur les

mesures conservatoires, la Libye a répondu que l'effet utile à reconnaître à cette disposition
étaitnon seulement de permettre à l'Etat d'établir sa compétence, mais aussi de 1'exercer dans

tous les cas prévus par la convention 36_ Cette signification élargie de l'art. 5 § 2 s'impose

d'autant plus que, stricto sensu, la convention ne stipule pas expressément que l'Etat du lieu

d'arrestation doit "poursuivre" la personne arrêtées'il ne 1'extrade pas.

Ne serait-il pas absurde de considérer que l'obligation de l'art. 5 § 2 s'épuise dans la

seule adoption d'une loi indépendamment de son application ? C'est ce qu'un auteur a

observé à propos de la convention de La Haye après avoir rappelé que son préambule

(identique mutatis mutandis à celui de la convention de Montréal) parlait de l'urgence à

"prévoir des mesures appropriées en vue de la punition" des auteurs de l'infraction, et qu'il

fallait donc interpréter son art. 4 § 2 (identique mutatis mutandis à l'art. 5 * 2 de la convention
de Montréal) comme signifiant que chaque Etat partie devait établiret exercer sa compétence

sur l'auteur présumédu fait :

"... it would be hard to accept the argument that the obligation of a Contracting State ends once it has
taken measures 10establish its jurisdiction, without exercising it. 1t should be borne in mind thaLthe
Preamble of the Convention speaks of the 'urgent need to provide appropriate measures for the

punishment of offenders'. Therefore, it is submitted !hat Contracting States undertooArt. 4not
only to take measures to establish their j urisdictiobut to exercise it under the régime of the
Convention, as weil.37

2- L'article 5 § 3

4.13 En ce qui concerne l'art. 5 § 3 selon lequel, rappelons-le,

"La présente Convention n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois
nationales",

cet article reconnaît incontestablement un droit : celui pour un Etat partie à la convention
d'exercer toute compétence pénale prévue par sa législation. Les travaux préparatoires des

conventions de La Haye et de Montréal ne disent rien de particulier à ce sujet, mais qu'il

35 R-U., CU., CR 9213,p. 45.
36 Ibid., CR 9215, p. 39.

37 Shubber. S.. "Aircraft Hijacking under thConvention1970- ANew Régime?", J.C.L.Q.1973,p.707.88

s'agisse d'une "saving provision" 38 n'empêche donc pas cette disposition de consacrer le

"droit" pour l'Etat contractant de maintenir en vigueur ses compétences pénales internes.

Section 2 - La Libye ne doit pas extrader les suspects vers le Royaume-Uni et les Etats­

Unis (art. 8)

4.14 Le droit de la Libye de refuser l'extradition des suspects se fonde d'une part sur la

convention de Montréal (ci-dessous), d'autre part sur le droit international général (infra

chapitre 3).

4.15 Les obligations de la Libye en matière d'extradition sont définies à l'art. 8 de la

convention de Montréal. Pour rappel, cet article dispose:

"1. Les infraction& sont de plein droit c.omprises comme cas d'extradition dans tout traité d'extradition
conclu entre Etats contractants. Les Etats contractants s'engagent à comprendre les infractions comme
cas d'extradition dans tout traitéd'extraditàconclure entre eux.

2. Si Un Etat contractant qui subordonne l'extradition à l'existence d'un traité est saisi d'une demande
d'extradition par un autre Etat contractant avec lequel il n'est pas liépar un traité d'extradition, il a la
latitudee considérer la présente convention c.omme constituant la base juridique de l'extradition en ce
qui concerne les infractions. L'extradition est subordon"néeaux autres conditions prévues par le droit de
1'Etat requis.

3. Les Etats contractants qui ne subordonnent pas l'extraditàol'existence d'un traitéreconnaissent les
infractionsomme cas d'extradition entre eux dans les conditions prévues par le droit de l'Etat requis.

4.Entre Etats contractants, les infractions sont considérées aux fins d'extraditiocomme ayant été

commises tant au lieu de leur préparation que sur le territoire des Etats tenus d'établir leur compétence
en vertu des alinéas b, cet d du paragraphe 1er de l'article 5."

Cette disposition, à l'instar de celles que l'on trouve dans la plupart des conventions de

droit pénalinternational, ménage la souveraineté des Etats (A) et fonde le droit de la Libye de

ne pas extrader les suspects vers les E.-U. ou le R.-U. (B).

38 R.-U., C.I.J., CR 92/3, p. 46 89

A- Une disposition ménageantla souverainetédes Etats parties

4.16 Ce type de disposition qui figure dans la plupart des conventions de droit pénal

international 39 ménage tout particulièrement la souveraineté des Etats en subordonnant

l'obligation d'extradition de l'Etat requis d'une part aux conditions figurant dans d'autres

traités liant éventuellement ces Etats, d'autre part aux stipulations de leur droit interne. Ainsi,

lorsque l'art. 8 § 1, 1èrephrase de la convention de Montréal stipule,

"L'infraction est de plein droit comprise comme cas d'extradition dans tout traité d'extradition conclu

entre Etats contractants",

il en résulte que dans l'hypothèse où il existe un traité d'extradition entre deux ou plusieurs

Etats parties à la convention de droit pénal international, l'obligation d'extrader l'auteur du

fait est soumise à toutes les conditions prévues par le traité d'extradition. L'obligation n'est

donc pas absolue.

4.17 S'il n'y a pas de traitéd'extradition entre deux Etats parties à une convention de droit

pénal international, 1'infraction visée par celle-ci devra être incluse dans tout traité

d'extradition que ces deux Etats concluraient. A partir de là, on est renvoyéau cas précédent.

Ainsi, en stipulant que

"Les Etats contractants s'engagentà comprendre 1'infraction comme cas d'extradition dans tout traité
d'extradition à conclure entrex",

l'art 8 § 1, 2ème phrase de la convention de Montréal soumet nécessairement l'obligation

d'extrader l'auteur du fait à toutes les conditions prévues par le traitéà conclure.

39 Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, art. 8; Convention de
Montréal du 23 septembre971 pour la répression d'actes illicites dirigéscontre la sécuritéde l'aviation civile, an. 8;

Convention des Nationsnies du 14 décembre 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les per­
sonnes jouissant'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, art. 8; Convention des Nations
Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, an. 10; Convention de Vienne et New York du 3 mars 1980 sur la

protection physique des matières nucléaires, an. 11; Convention de Rome du 10 mars 1988 pour la répression d'actes
illicites contre la sécuritéde la navigation maritime,voy. aussi Conventions de Genève du 12 août 1949 sur la
protection des victimes de la guerre, art. commun 49/5011291146; Convention des Nations Unies du 2 décembre 1949

pour la répression et l'abolition de la traite des êtreshumains, art. 8; Convention des Nations Unies du 30 mars 1961
sur les stupéfiants modifiéepar le Protocole du 25 mars 1972, art. 36 § 2; Convention des Nations Unies contre la tor­
ture etutres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, art. 8; Convention des Nations Unies du 4 dé­

cembre 19X9contre le recrutement, 1'utilisation, le financement et 1'instruction de mercenaires, an. 15. 90

4.18 Les conventions de droit pénalinternational disposent aussi qu'en l'absence d'un traité

d'extradition, les Etats parties à ces conventions qui subordonnent l'extradition à l'existence

d'un tel traité ont la possibilité d'assimiler la convention de droit pénal international à un
traité d'extradition; en pareil cas, l'extradition demeure toutefois subordonnée aux autres

conditions prévues par le droit de l'Etat requis. Ainsi, 1'art. 8 § 2 de la convention de
Montréal dispose :

"Si un Etat contractant qui subordonne l'extradition à l'existence d'un traité est saisi d'une demande
d'extradition par un autre Etat contractant avec lequel il n'est pas liépar un traité d'extradition, il a la
latitude de considérer la présente Convention comme constituant la base juridique de l'extradition en ce
qui concerne l'infraction.extradition est subord onnée aux autres conditions prévues par le droit de

l'Etatrequis." (nous soulignons)

Les conventions de droit pénal international n'obligent donc pas l'Etat requis à
accorder l'extradition d'une personne lorsque la législation de cet Etat impose l'existence

d'un traitéet qu'il n'existe pas de traitéentre l'Etat requis et l'Etat requérant. L'Etat requis a

seulement lafaculté de considérer la convention de droit pénal international comme un traité
d'extradition. Ce n'est pas une obligation.

Mêmedans l'hypothèse où l'Etat requis use de cette faculté, l'extradition ne doit être

accordée que si les autres conditions prévues par le droit de l'Etat requis sont remplies.

4.19 Enfin, pour les Etats qui ne subordonnent pas l'extradition à un traité particulier et qui

acceptent d'extrader une personne vers un autre Etat sans traité spécial avec cet Etat, les
conventions de droit pénal international stipulent généralement que les faits visés sont des

infractions justifiant pour l'Etat requis l'extradition au mêmetitre que toute infraction pour
laquelle cet Etat accepte d'extrader son auteur. L'extradition est ici aussi soumise aux

conditions en vigueur dans le droit de l'Etat requis. Ainsi, selon l'art. 8 § 3 de la convention
de Montréal,

"Les Etals contractants qui ne subordonnenpas l'extradition à l'existence d'un traité reconnaissent
l'infraction comme cas d'extradition entre eux dans les conditions prévues par le droit de l'Etat requis."
(nous soulignons)

Pas plus que dans les cas précédents,ce type de disposition n'énonce une obligation
absolue d'extrader; l'extradition reste subordonnée aux règles applicables dans 1'Etat requis.

4.20 Ce rappel succinct des mécanismes d'extradition prévus par la plupart des conventions

de droit pénal international souligne 1'economie "étatiste" du système; cela montre à quel 91

point on prend en considération le droit de l'Etat où l'auteur présumé de l'infraction est

découvert : que cet Etat poursuive lui-même cette personne ou gu'il 1'extrade vers un Etat
tiers, dans les deux cas, l'obligation d'extradition est subordonnée aux conditions en vigueur

dans cet Etat.

li y a donc chaque fois renvoi du droit conventionnel au droit interne de l'Etat. Ce

système protège la souveraineté des Etats dans le domaine de l'extradition. Que le même

système se retrouve dans une quinzaine de conventions de droit pénal international montre à

quel point les Etats y sont attachés.

B - Une disposition n'obligeant pas la Libye à extrader les suspects

4.21 Le § 1 de l'art. 8 de la convention de Montréal n'est pas applicable vu qu'il n'existe
pas de traitéd'extradition entre la Libye d'une part, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'autre

part.

Le§ 4 n'est pas en cause ici.

Le § 2 ne s'applique pas non plus car la Libye ne subordonne pas l'extradition à

l'existence d'un traité : la loi libyenne ne stipule pas qu'il faut un traité (supra § 2.7). Un
jugement de la Cour d'assises de Benghazi a d'ailleurs constaté, à propos d'une demande

d'extradition d'un ressortissant libanais faîte par le Liban,

"qu'en vertu de la coutume internalionale, abstractionfaite de l'existencde cette convention [la
convention d'extradition de la Ligue arabe du 14 septembre 1952] 40,les Etats doivent s'entraider
conformément aux principes du traitement égal et conformément aux traditions internationales qui
n'empêchent pas la livraison d'un criminel de droit commun pour purger les peines prononcées contre

lui, surtout que la demande ne déroge pas à la loi libyenne et ne concerne pas un L41yen."

Le § 2 de l'art. 8 n'en est pas moins intéressant à examiner car il illustre bien l'esprit

dans lequel les Etats ont adopté la convention de Montréal, et il montre à quel point les Etats

étaient soucieux de respecter 1a sou veraîneté des Etats en n'instituant pas de système
d'extradition automatique (1).

Reste le § 3 qui régit les obligations de l'Etat requis lorsque celui-ci ne subordonne
pas l'extradition à un traité. On constate que dans cette hypothèse, l'extradition reste de toute

40 Annexe n°1_
41 Jugement du21 mai 1958,aff. 40,R année 1959.92

façon soumise aux conditions en vigueur dans l'Etat requis (2) et qu'aucune priorité n'est

accordéeà l'Etat d'immatriculation ou à l'Etat du lieu de l'infraction (3).

1- La convention de Montréal n'institue pas de système d'extradition

automatigue

4.22 L'art. 8 § 2, 1ère phrase stipule que dans l'hypothèse où l'Etat requis subordonne
t'extradition à un traité, cet Etat "a la latitude de considérer la convention" de Montréal

comme base juridique de l'extradition. Une latitude est une faculté, un pouvoir d'agir; ce

n'est pas une obligation. Ici aussi, l'histoire de cette disposition confinne cette interprétation.

Si les travaux de la Conférence de Montréal ne révèlentrien à ce sujet puisqu'il avait

étédécidéde reprendre les art. 4 à 14 de la convention de La Haye comme base de discussion
(supra § 4.4) et que l'art. 8 n'a soulevé aucune discussion particulière à Montréal 42, en

revanche les travaux de la Conférence de La Haye sont instructifs.

4.23 Au départ,le projet d'art. 8 préparépar le Comitéjuridique de 1'O.A.C.I. ne prévoyait

rien dans l'hypothèse où l'auteur de l'infraction était trouvé sur le territoire d'un Etat qui
subordonnait l'extradition à un traité. C'est pour combler cette lacune que plusieurs Etats,

dont le Royaume-Uni et les Etats-Unis, avaient proposé de faire de la convention de La Haye

une véritableconvention d'extradition. Le texte proposése lisait comme suit :

"Les Etats contractants qui subordonnent l'extraditionà l'existence d'un traité reconnaissenten la
présente convention la base juridique de toute procédure d'extradition. Lorsqu'un tel Etat contractant
est saisiar un autre Etat contractant d'une demande d'extradition concernant l'auteur présuméd'une
infraction alors qu' i1 n'existe pas de traité d'extraditionentre ces deux Etats, 1'extradition est

subordonnée aux conditions définies par le droit de l'Etat à qui la demande est adressée." 43

Comme l'expliquait le délégué des Pays-Bas, un des auteurs de l'amendement:

"La convention deviendrait ainsi une sorte de traitéd'extradition." 44

42 Conférencede Momréal, I.p. 63 22,p. 127 § 51, pp. 177-178 §§ 8-1O.
43 Amendement proposé par l'Autriche, le Costa-Rica, l'Italie, les Pays-Bas, la Norvège, le Paraguay, l'Espagne, la
Suisse,eRoyaume· Uni et les Etats-Unis, SA Doc. n°inConférencede ù:JHaye,Il, p66.

44 Ibid., p.125§ 3. 93

Cet amendement allait rencontrer l'opposition de nombreux Etats d'Afrique et d'Asie.
On Jui reprochait notamment:

d'obliger les Etats à modifier leur législation en matière d'extradition 45;

- d'obliger un Etat à accorder l'extradition à un autre Etat avec lequel il ne souhaitait pas se

lier46, comme par exemple l'Afrique du Sud 47;

4
d'instituer un système d'extradition automatique 8.

Cette disposition, pourtant adoptée dans un premier temps 49, allait entraîner une

division profonde entre partisans et adversaires, et risquait de nuire considérablement au

succès de la convention. La Zambie proposa alors, à titre de compromis, un texte où l'Etat

requis avait "la latitude de considérer le présente convention comme constituant la base

juridique de l'extradition en ce qui concerne l'infraction" 50 (nous soulignons). Adoptépar 63

voix (dont celles des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Libye) contre zéro avec 13

abstentions 51, ce texte est devenu l'actuel art. 8 § 2 de la convention. Le Juge Guillaume

écriradans son cours de 1989 à La Haye à ce sujet :

"La convention de La Haye par voie de conséquence .se contente sur ce point d'un voeu pieux,
puisqu'elle donne .seulement aux Etats en cause 'la latitude' de la regarder comme constituam la base
juridique de l'extradition.52

4.24 L'historique de l'art. 8 § 2 montre donc à quel point il n'étaitpas question de faire de

la convention de La Haye une con vention d'extradition per se pour les Etats refusant

l'extradition sans traité. La convention de Montréal dont l'art.8 § 2 est la réplique de l'artS§

2 de la convention de La Haye, ménagedonc soigneusement la souveraineté des Etats dans un

domaine considérécomme particulièrement sensible par beaucoup d'Etats.

45 Ouganda appuyépar Tuuisie et Tanzanie, ibid.•pp. 126-128, §§ 8, 18. 28.

46 Inde. ibid.. p. 183, § 69.
47 Ouganda, ibid., p. 129 § 36.
48 Congo, Tanzanie,bid., pp. 182-183, §§ 68, 76.

49 Ibid., p. 129 § 35.
50 Ibid.p.188 § 9.
51 Ibid., p. 1§36.

52 Guillaume, G. "Terrorisme .. :·, loc. dt., pp. 356-357.94

2- La Libye n'est pas obligéed'extrader ses nationaux

4.25 Le droit de la Libye de ne pas extrader ses nationaux n'est pas énoncéexpressis verbis

dans la convention de Montréal, mais il ressort du fait que cette convention, comme la plupart
3
des autres instruments de droit pénalinternational 5 subordonne l'extradition aux "conditions
prévues par le droit de l'Etat requis" (art. 8 §§ 2-3). Cette formule cou vre tou tes les

restrictions à l'extradition prévues par le droit de l'Etat requis 54 y compris par conséquent le

principe de la non-extradition des nationaux si la législation de l'Etat requis le prévoit.

Cette interprétation trouve confirmation ici aussi, non dans les travaux préparatoires de

la Conférence de Montréal qui sont muets à ce sujet (supra § 4.4), mais dans les travaux de la

Conférence de La Haye.

Il faut toutefois préciser que la soumission de l'extradition aux conditions prévues par

le droit de l'Etat requis a surtout étéévoquéeà propos du § 2 de l'art. 8, c'est-à-dire dans

J'hypothèse où 1'Etat requis subordonne l'extradition à l'existence d'un traité. Par contre, dans

la situation prévue par le § 3, i. e. celle où l'Etat requis ne subordonne pas l'extradition à

l'existence, il était préciséd'emblée dans le projet de texte initial que l'infraction serait

considérée"comme cas d'extradition [... ] dans les conditions prévues par le droit de l'Etat

requis" 55, et ce point n'ajamais étémis en discussion !

Si l'analyse qui suit concerne donc l'art. 8 § 2, elle n'en est pas moins significative de

la volontédes Etats de respecter la souveraineté et la législation de l'Etat requis.

53 Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, art. 8 §§ 2-3;

Convemion de Montréal du 23 septembre 1971 pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécuritéde l'avia­
tion civile, a8§§ 2-3; Convention des Nations Unies du 14décembreJ973 sur la prévention et la répression des in­
fractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, art. 8 §§ 2-

3; Convention des Nations Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, art. 10 §§ 2-3; Convention de Vienne
et New York du 3 mars 1980sur la protection physique des matières nucléaires, art. 11 §§ 2-3; Convention de Rome
du lü mars 1988 pour la répression d'actes illicites contre la sécuritéde la navigation maritJm§§ 2-3; voy.

aussi Conventions de Genève du 12août 1949 sur la protection des victimes de la guerre, art. commun 49/501129/ 146;
Convention des Nations Unies du 2 décembre 1949 pour la répression et l'aboli tion de la traite des êtreshumains, art.

8 al. 3; Convention des Nations Unies du 30 mars 1961 sur les stupéfiants modifiée par le Protocole du 25 mars 1972,
art. 36 2, b, ii-iii; Convention des Nations Unies contre la torture ct autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, art.§§ 2-3; Convention des Nations Unies d4 décembre 1989 contre le recnnementl'utilisation, le fi­

nancement et l'instruction de mercenaires, art. 15 §§ 2-3.
54 Cfr. Glaser, S., Droit intemational pénalcmwollionnel. Il, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 84; Shubber, S., "Aircraft

Hijacking under The Hague Convention 1970- A New Régime?", J.C.L.Q., 1973, p. 720; Cassese,A., "The
International Community's 'Legal' Response to Terrorism", I.CLQ., 1989, p. 594.

55 Conférencede La Haye, II, SA Doc. n°8, p. 20 95

4.26 Ainsi, lorsque le déléguédes Pays-Bas présenta le projet d'amendement à l'art. 8
consistant à faire de la future convention de la Haye une convention d'extradition pour tout

Etat qui subordonnait l'extradition à un traité (supra § 4.13), il précisa :

"L'amendement n'a aucunement pour objet de rendre l'extradition automatiquement applicable, car les
conditions qui régissentl'extraditioneuvent faire intervenir toutes sortes de restrictions; mais, après
l'adoption de cet amendement, aucun pays ne pourrait prétendre qu'il lui est impossible d'extrader

uniquement parce qu'il n'a pas de traitéd'extraditio56 (nous soulignons).

De même,pour le déléguédu Brésil, il étaü faux de dire que l'amendement pennettrait
à certains Etats d'imposer des traités d'extradition à d'autres, car

"le§ 2, comme le§ 3 [de l'art 8], préciseque l'extradition devrait êtresoumise aux conditions prévues

par la législationde l'Etatquis". 57

Parmi les restrictions à 1'extradition, certains Etats citèrent, sans être contredits, la

non-extradition des nationaux. Ainsi, pour la Pologne et l'U.R.S.S. qui voulaient instituer un

principe d'extradition obligatoire vers l'Etat d'immatriculation, la seule exception qu'elles

admettaient étaitle cas des nationaux :

"Chaque Etat contractant fait en sorte que les auteurs de 1'infraction soient passibles d'extradition vers

1'Etat d'immatriculation nonobstant aucun accord spécial existant entre les Etats concernés; toutefois,
aucune des Parties n'est tenue d'extrader ses propres nationau58"

Très révélateur aussi est le rejet d'une proposition émanant de plusieurs Etats et visant

à supprimer le mot "autres" dans la 2ème phrase du§ 2 de l'art. 8, à savoir celle où il est dit
que "1'extradition est subordonnée aux autres con ditions prévues par le droit de 1'Etat

requis" 59. Les déléguésde la France et de l'Italie répondirent que cette proposition concernait

une question de fond : à partir du moment où la convention devenait un traité d'extradition, il

fallait que l'Etat requis pût soumettre 1'extradition à toutes les conditions de son droit interne
qu'il jugeait utiles :

"Etant donnéque la convention a valeur de traitéd'extradition, l'Etat requis doit avoir la possibilité de

fixer toutes les conditiqnu·1es time nécessaires"60.

Un seul Etat proposa, eu égard à la gravité de l'infraction, que la convention fît

"exception aux règles générales relatives à la non-extradition des nationaux", mais encore il

ne s'agissait que d'une faculté laissée à l'Etat requis :

56 Conférence de La Haye, 1, p. ~26.
57 Ibid., p. 188§ 7.

58 Proposition d'amendement à l'a11idc 8, SA Doc. n° 33 ibid.Il, p. 82; voaussiibid, p. 126, Il.
59 Ibid.!p. 160,§ fil.

60 fbid., § 62.96

"Tout Etat contractant peut, en vertu de la présente convention, extrader ses nationaux au compte (sic)
d'autres Etats contractanàscondition de réciprocité6l

4.27 La position des Parties défenderesses à la Conférence de La Haye est intéressante.

Les Etats-Unis, favorables à une extension de l'obligation d'extradition, souhaitaient

que la convention constituât une convention d'extradition et que le détournement d'avion fût

dépolitisé aux fins de l'extradition. Ils ne demandaient cependant pas l'extradition des

nationaux et ils reconnaissaient qu'il y avait des limites à l'extradition, mais qu'il fallait les

réduire autant que possible :

"Bien que les lois nationales ou les obligations découlant des traités puissent imposer certaineà limites

l' extraditionet bien que certains Etats ne puissent peut-être pas procéder dans tous les cas à
l'immatricu1ation (sic) obligatoi62 vers l'Etat d'immatriculation, il faudrait s'efforcer de réduire les

exceptions au strict minimum.
[La] délégation [des Etats-Unis] proposera que laconvention interdise le refus d'extraditiopour le

motif que la capture illicite est une infraction poli63.ue"

Les Etats-Unis reconnaissaient donc implicitement que la nationalité de la personne

dont l'extradition était demandée faîsai t partie des restrictions à l'extradition qu'il était

difficîle d'écarter.

Quant au Royaume-Uni, examinant la proposition d'amendement soviéto-polonaîse

prévoyant l'obligation généraled'extrader tout auteur d'un détournement d'avion sauf s'il

s'agissait d'un national de l'Etat requis (supra § 4.26), i1déclarait comprendre le souci des

auteurs de l'amendement de renforcer la répression mais il trouvait que la seule exception

admise par les auteurs - la non-extradition des nationaux - était trop limitée et le Royaume­

Uni laissait entendre qu'il fallait prévoir d'autres hypothèses de non-extradition eu égard à la

diversité des systèmes juridiques. Le procès-verbal de séance relate ainsi la position

britannique :

"Le déléguédu Royaume-Uni reconnaît avec les déléguésde la Pologne et de l'U.R.S.S. qu'il est
souhaitable de renforcer la possibilité de traduire les délinquants en juMais il n'est toutefois pas
d'accord pour que 1'exception à 1'obligation d'extrader se limite aux propres ressortissants d'un Etat.
En présence d'un grand nombre d'Etats souverains, il importe de tenir compte de systèmes juridiques

différents."64

61 Observat io n~ana, SADoc. n° 8ibid., 1p. 34.
62 11faut sans doute lire "extradition".

63 Conférencede La Haye. 1,p. 10, §§ 21-22.
64 Ibid., p128 § 24. 97

Les Parties défenderesses ont donc clairement admis le principe de la non-extradition

des nationaux.

4.28 Le droit pénal .international généralconsacre le principe de la non-extradition des

nationaux à travers la règle aut dedere aut judicare. C'est ce qu'exprime la convention de

Genève du 16 novembre 1937 pour la répression du terrorisme qui, en son art. 9 § 1, lie

expressément le caractère alternatif de cet adage au droit d'un Etat de ne pas extrader ses
nationaux:

"Lorsqu'une Haute Partie contractante n'admet pas le principe de J'extradition des nationaux, ses

ressortissants quiont rentrés sur le territoire de leur pays, après avoir commis à 1'étranger l'un des faits
prévusaux art. 2 et 3 doiventêtrepoursuivis et punis de la mêmemanière que si le fait avait étécommis
sur son terrtoire, et cela mêmedans le cas où le coupable aurait acquis sa nationalité postérieurement à
l'accomplissement de l'infraction."

De même,et sur un plan tout à fait général,la convention européenne d'extradition du

13 décembre 1957 stipule en son art. 6 que

"Si la Partie requise n'extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la partie requérante,

soumettre l'affaire aux autorités cam pétentes afin que des poursuites judiciaires puissent êtreexercées
s'iy a lieu".

Mêmesi certaines autorités souhaitent remettre en cause la règle de la non-extradition
des nationaux 65, la majorité de la doctrine s'incline devant la pratique conventionnelle,

cons titutionnelle ou législative de nombreux Etats de ne pas admettre 1'extradition des

nationaux pourvu que l'Etat requis juge ses propres nationaux. A l'art. VII de sa résolution

sur les nouveaux problèmes, en matière d'extradition, l'Institut de droit international déclare:

"Si tout Etat devrait en principe demeurer libre de refuser l'extradition de ses nationaux, il devrait alors

juger l'infraction selon sa propre législatio66.

Lors des débats du Conseil de sécuritérelatifs à ce qui allait devenir la rés.731 67, le

représentant du Zimbabwe a observé que l'affaire devait êtrerégléesur base de la convention

de Montréal, du principe de la non-extradition des nationaux et de l'application de la règle aut

dedere aut punire (infra §§ 4.32 ss.).

65 Cansacchi, G.• do Nascimcnto e Silva, G.Ein Annuaire 1.0.1., session de Dijon. 198L voL 59-1, pp. 114 et 119;

Lalive, J.F., Bowett, D., Schwebel,in ibid.session de Cambridge, 1983, vol. 60-11, pp. 241, 270-271. Oda, S.,
"The lndiviùualinInternational Law"in Sürenscn. M., Manual of Public international LawLondon, Macmillan,
1968, p. 521.

66 Rés.de l'l.D.L sur les nouveaux problèmes en matière d·extradition. art. VII, session de Cambridge, 1983, voL 60-H,
p. 309; Guillaume, "Terrorisme ... ", loc. cit., p. 339.
67 Doc.ONU S/PV. 3033, annexe n°83.98

4.29 Le refus de la Libye d'extrader ses nationaux vers le R.-U. et les E.-U. n'est pas

spécifiquement liéà une différence de culture entre le monde arabe et le monde occidental. Le

principe de la non-extradition des nationaux se retrouve dans les conventions d'extradition

conclues par la Libye avec d'autres Etats arabes: ilapparaît en effet

à l'art. 7 de la convention multilatérale d'extradition des criminels signée au Caire le 3

novembre 1952 (adhésion de la Libye en date du 19 mai 1957) 68 dans le cadre de la

Ligue des Etats arabes;

à l'art. 20 des conventions sur les notifications, les commissions rogatoires, l'exécution

des jugements et l'extradition des criminels conclues par la Libye avec la Tunisie le 14

juin 1961 69 et avec le Maroc le 27 décembre 1962 70;

à l'art.51 de la convention de coopération juridique et judiciaire entre les Etats de l'Union

arabe du Maghreb, conclue à Ras-Nalouf (Libye), les 9-10 mars 1991 71;

à l'art. 54 de la convention sur la coopération judiciaire en matière civile et pénaleconclue

par la Libye avec I'Egypte le 26 février 1992 au Caire 72.

3- L'Etat d'immatriculation de l'aéronef et l'Etat du lieu de l'infraction ne

bénéficientd'aucune prioritéou primauté en cas d'extradition

4.30 A Montréal comme à La Haye, l'Union soviétique avait proposé un amendement
visant à rendre obligatoire l'extradition de l'auteur présuméd'une infraction visée par ces

conventions vers 1 'Etat d'immatriculation de 1'aéronef 73 ou vers 1'Etat sur le territoire duquel

l'infraction avait produit ses effets 74.

68 Annexe n° l.

69 Annexe n° 1.
70 Annexe n° 1.
71 Journal Officiel, 6 mai 1993, n° 11; annexe n°1.

72 Journal Officiel, 26 juin 1°914; annexe°1.
73 Conférencede Montréal,Il, CUI Dono 28, p. 82; Conférence de La Haye, II, Sno33crév.2, p. 82.
74 Conférence de Momréal, Il, CUI Do0°28, p. 82. 99

A Montréal, cette proposition ne fut mêmepas discutée vu la décision de principe de
reprendre mutatis mutandis les art. 4 à 14 de la convention de La Haye (supra § 36). A La

Haye, la proposition fut peu débattue 75 et finalement rejetée à une large majorité (47 votx

contre lü et 8 abstentions) 76.

*

4.31 En résumé,il ressort clairement à la fois de l'histoire de l'art. 8 § 3, de son texte lui­

mêmeet du droit pénal international général régissant ce type de matière (supra § 4.25) que

la convention de Montréal n'oblige pas la Libye à extrader les suspects vers le R.-U. et les E.­

U. dans la présente espèce.

Section 3 - Si la Libye n'extrade pas les suspects, elle doit les déférer à ses autorités
compétentes pour l'exercice de l'action pénale (art. 7)

4.32 L'art. 7 de la convention de Montréal confère aux Etats parties une obligation

alternative d'extrader ou de renvoyer au parquet compétent J'auteur présumé d'une des

infractions viséespar la convention :

"L'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur présuméde 1'une des infractions est découvert, s'i1
n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire, sans aucune exception et que l'infraction ait ou non été
commise sur son territoire,àses autorités compétentes pour 1'exercice de l'action pénale.Ces autorités
prennent leur décision dans les mêmesconditions que pour toute infraction de droit commun de

caractère grave conformément aux lois de cetEtat."

Cette disposition est une expression nuancée de la règle aut dedere aut judicare que

l'on retrouve dans la plupart des instruments de droit pénal international 77.On va examiner

75 Conference delLtHaye, 1,pp. 126-129.
76 Ibid., p. 129 § 34.

77 Convention de L<tHaye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture i!licite d'aéronefs, art. 7, 1er al.;
Convention des Nations Unies du 14 décembre 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les per­
sonnes jouissantune protection internation<tle, y compris les agents diplomatiques, art. 7; Convention des Nations

Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, art. 8 § 1; Convention de Vienne ct New York du 3 mars 1980 sur
la protection physique des m<tlièresnucléaires, art. 10; Convention de Rome du 10 mars 1988 pour la répression
d'actes illicites contre la sécuritéde la navigation maritime,voy. aussi Conventions de Genève du 12 aout

1949 sur la protection des victimes de la guerre, art. commun 49/50/1291146; Convcntion des Nations Unies du 2 dé-100

d'une part le contenu de cette disposition (A), d'autre part les arguments des défendeurs pour

faire échec à son application (B).

A- Le contenu de l'art. 7

1 -Une obligation de soumission de l'affaire à la justice de l'Etat requis

4.33 Ici aussi, l'histoire de l'art. 7 montre à quel point ses auteurs voulaient que cette

deuxième branche de l'alternative s'imposât comme obligation à charge de l'Etat qui
refuserait d'extrader l'auteur présuméde l'infraction.

Comme pour les autres dispositions de la convention de Montréal, il faut retourner à la

convention de La Haye car la Conférence de Montréal s'est bornée à reprendre mutatis

mutandis le texte adoptéà La Haye 78_

Le texte proposé par le Comité juridique de l'O.A.C.I. à la Conférence de La Haye

prévoyait que si l'auteur présuméde l'infraction n'était pas extradé, l'Etat où se trouvait cet

auteur devait transmettre l'affaire aux autorités compétentes afin qu'elles décident s'il fallait
poursui vre l'intéressé:

"Lorsqu'un Etat a mis une personne en détention conformément aux dispositions du présent article, il

avi se immédiatement de cette détcn tion, ainsi que des circonstances qui la jus tifient, J'Etat
d'immatriculation de l'aéronef, l'Etat dont la personne détenue a la nationalîté et, s'il Jejuge opportun,
tous autres Etats intéressés. L'Etat qui procède à l'enquête préliminaire visée au paragraphe 2 du
présent article en communique promptement les conclusions aux dits Etats et leur indique s'il entend

exercer sa compétence." 79

La délégationitalienne avec 25 autres Etats (dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni)

avait proposé un amendement visant à imposer:

"à l'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur présuméde l'infraction est découvert l'obligation

de soumettre 1'affaireà ses autorités compétentes pour 1'exercice de 1'action pénalequels que soient les
mobiles de l'infraction et mêmesi l'infraction a étécommise en dehors du territoire de cet Etat" 80.

gradants, art. 7 § 1; Con vention des Nations Unies du 4 décembre 1989 contre le recrutement, 1'ulefinance­,
ment etrinstructiode mercenaires, art. 92.

78 Conférence de Montréal,1,p.fi3 § 21p,126 § 51,p. 175 9§ 56-57.
79 Conférence de La Haye, Il, SA Doc. n° 4, p. 20.
80 ibid., 1,p. 1§044. lOI

Le texte de l'amendement étaitle suivant :

"L'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur présuméde l'infraction est découvert, s'il n'extrade

pas ce dernier, soumet l'affaire, quels que soient les mobiles de l'infraction et que 1adite infraction ait
ou non étécommise sur son territoire,à ses autorités compétentes pour 1'exercice de 1'action pénale.
Ces auto~i pennsent leur décision dans les mêmesconditions que pour toute autre infraction de droit

commun de caractère grave conformément aux lois de cettat." Sl

La plupart des Etats appuyèrent l'amendement mais plusieurs d'entre eux réservèrent

leur position sur l'emploi de certains termes. Les Etats afro-asiatiques notamment voulaient

supprimer toute référenceaux "mobiles de l'infraction" 82 et remplacer le membre de phrase

en cause par la formule "sans aucune exception" 83. La France désirait ôter le mot "autre" de

l'expression "toute autre infraction de droit commun" 84 afin de ne pas limiter l'infraction aux

infractions de droit commun ss.

Ces deux propositions furent finalement adoptées 86,non sans débats.

4.34 Ce qu'il faut surtout retenir, c'est la volonté certaine des Etats d'assurer une

soumission sans faille de l'affaire à la justice soit de l'Etat requérant, soit de l'Etat requis. De

ce point de vue, la Libye se conforme bien à la convention lorsqu'elle refuse d'extrader les

suspects tout en les renvoyant devant les autorités pénales compétentes pour l'exercice de
l'action pénale.

C'est donc en vain que le Royaume-Uni et les Etats-Unis refusent le caractère

alternatif de cette obligation en prétendant contraindre la Libye à extrader les suspects. Les

règles applicables in casu prévoient explicitement une obligation alternative d'extradition ou

de renvoi des suspects aux autorirés pénales compétentes pour l'exercice de l'action pénale

(art. 7) et les défendeurs doivent donc s'abstenir de toute action visant. à empêcher
l'application par la Libye de l'art. 7.

C'est dans le mêmesens que l'Institut de droit international, lors de sa session de

Zagreb de 1971, avait adopté une résolution sur "le détournement illicite d'aéronefs" où il

estimait

81 Ibid., li, SA Dno72 r6v,p.13l.
82 Kenya, R.A.U., Tanzanie, Congo, Zambie, Cameroun, Koweit, ibid., 1,pp. 130-131, §§ 45-48, 51-52, p. 134, § 8.
83 RA.U., Kenya, ibid., p. 131 §53, p. 177, § 8.

84 Ibid.. p. 134 § 6;
85 Guillaume, G.,La Convention de La Haye...", loc.cit., p. 53.
86 Con.fér.de l...aHaye, L pp. 180-181, §§ 47 et 59.104

3 - Une obligation cardinale du droit pénalinternational

4.38 C'est dans cette perspective qu'i1faut comprendre 1'importance qui a étéreconnue au
principe généralaut dedere aut judicare et soulignée par plusieurs juges dans les ordonnances

rendues par 1a Cour 1e 14 avril 1992 à propos des mesures conservatoires demandées par la

Libye.

Pour le Juge Weeramantry

"Le principe a ut dedere aut judicare est un aspect important de la souveraineté de 1'Etat sur ses
ressortissants" 9.

Et il cite Cherif Bassiouni qui estime que cette norme est de jus cogens 95. Le Juge Ajibola va

dans le mêmesens 96 (infra § 4.41, b).

Pour le Juge Ranjeva, il s'agit en droit international générald'un "droit d'option ...
opposable erga omnes" 97.

4.39 La doctrine a toujours souligné le caractère souverain de l'extradition. Par exemple,

dans son rapport préliminaire à 1'Institut de droit international, K. Doehring commence par

rappeler qu'il n'y a pas d'obligation d'extrader sans un traité qui l'énonce et qu'il serait
utopique de vouloir la fonder sur la coutume 98.

C'est dans le mêmeesprit que l'Institut accepte comme inévitable le dépôt de réserves

aux traités multilatéraux d'extradition, mêmes'il souhaite que ces réserves soient limitées

autant que possible. Ainsi, la résolution adoptée à Cambridge en 1983 dispose en son art. I, 3 :

"La formulation de réserves aux traités multilatéraux d'extradition devrait être1imitée autant que

possible."99

94 Op. diss. Weeramantry, CU., Rec.1992,pp.69 et 179.
95 Citéibid.

96 Op. diss. Ajibola, ibid., pp. 82 et 187.
97 Op. diss. Ranjeva, ibid., pp. 182.t
98 Ann. 1.D. r. sessiondeDijon, 1981,vol. 59n,p. 14;DINSTEIN, Y.,"Terrorism as an International Crime", /sr. Ybk.

H.R., 1989, p. 70; Lagùdny, 0., "The Abolition and Replacement of the Political Offence Exception: Prohibited by
International or Domestic Law", ibid., p. 319.

99 Ann. /. D. /., session de Cambridge, 1983, vol. 60ni, p. 307; voy. aussi les réponsesde certains membres de 1'Institut
au questionnaire de K. Doehring, in Ann. 1.D. 1.,session de Dijon, 1981, vol. 59nIl 5, 117, 120, 123, 166. 105

4.40 En ce qui concerne plus spécifiquement le principe aut dedere aut judicare que le

rapporteur propose d'étendre à tous les traités d'extradition et que l' Institut accepte, i1est
intéressant de noter que personne ne conteste ou ne remet en cause le caractère purement

alternatif de la règle et ne cherche à privilégier l'une de ces deux branches.

Dans le cas du terrorisme, on rappellera 1oo cet extrait du cours donné par le Juge

Guillaume en 1989 à 1'Académie de droit interna6onal de La Haye :

"C'est cette option (aut dedere aut prusequi) qui a étéretenue à La Haye et dans les conventions
postérieures. Elle marque un net progrès dans la répression tout en préservant en matière d'extradition
le pouvoir d'appréciation des gouvernements et en sauvegardant le droit d'asile. Elle comporte certes

ses limites, mais ce sont celles de toute oeuvre humaine tentant de concilier des exigences diverses
sinon contradictoires.l01

Avec le principe aut dedere aut judicare, le droit pénal international consacre donc

bien la souveraineté- même limitée- des Etats.

B - L'argumentation des défendeurs

4.41 Lors des audiences sur les mesures conservatoires, le Royaume-Uni a soutenu que

l'art. 7 n'était pas en cause ici puisque la Libye avait déjà soumis l'affaire à ses autorités

compétentes, qu'elles s'étaient donc acquittées de 1'obligation prévue par l'art. 7; 1e
Royaume-Uni n'avait d'ailleurs jamais suggéréque la Libye avait violé cette disposition, et de

toute façon, les droits que la Libye prétendait exercer étaient illusoires 102 puisque l'art. 7

n'énonçait que des obligations et non des droits 103.

Pour les Etats-Unis, il ressortait des résolutions du Conseil de sécuritéque la Libye

n'avait pas réussi à prouver que sa volonté de poursuivre les suspects était une réponse
1
appropriée en l'espèce 04. En outre, reconnaître les droits que la Libye voulait exercer aurait
équivalu à reconnaître d'une part le droit de l'Etat complice de bloquer les poursuites et de

100 Ce point avait déjà étéruppelépar la Libye en a1992uu cours des audiences sur les mesures conservawires in

C.l.J., CR 92/5, p. 38.
101 Guillaume, G., "Terrorisme et droit international", R.C.A.D.l.p.371., Ill,
102 C.J.JCR 92/3pp. 24,45.

103 /bid.,p46-47.
l04 CR 9214,PP. 26 et 28.106

s'assurer une juridiction exclusive, d'autre part 1interdiction pour les autres Etats de

poursuivre les suspects 105.

En mettant un peu d'ordre dans cette argumentation de manière à la raccrocher plus
précisémentau problème dont la Cour est saisie - à savoir "des questions d'interprétation et

d'application de la convention de Montréal de 1971..." -, on aperçoit que les défendeurs

invoquent deux moyens diviséschacun en plusieurs branches. Si on interprète correctement la
penséede leurs auteurs, ces moyens peuvent êtreprésentéscomme suit.

1. Premier moyen

4.42 La convention de Montréal ne serait pas applicable à l'espèce car d'une part le Conseil
de Sécurité estimerait que la Libye ne peut s'en prévaloir; d'autre part, il serait absurde

d'imaginer que la convention puisse autoriser le gouvernement complice des faits incriminés
par la convention à juger les auteurs de ces faits.

Le moyen ne sera pas discuté ici en détail : sa première branche sera en effet traitée

plus 1oin dans la partie du mémoire relative à l'impact des résolutions du Conseil de sécurité
sur les droits et obligations des parties découlant du droit international applicable à

l'extradition, au terrorisme en généralet aux infractions visées par la convention de MontréaL

Quant à la seconde branche, elle est fondée sur les deux prémisses suivantes :

les suspects sont des agents de l'Etat libyen;

la convention de Montréal ne s'applique pas à des faits commis par les agents d'un Etat.

En l'occurrence, cette seconde branche du moyen est sans objet car les suspects sont

non des agents de la Libye mais des employés de Libyan Airlines.

A supposer mêmequ'ils fussent des "agents libyens"- quod non -, la convention de

Montréal, comme la plupart des autres instruments de droit pénal international, n'en resterait
pas moins applicable aux faits commis par les agents d'un Etat. Ce point a étédéveloppédans

la lettre adressée par la Libye au Greffe de la Cour le 2 avril 1992 en réponseà la question n° 1

105 Ibid., pp.61-63,75. 107

posée par le Juge Schwebel aux parties le samedi 28 mars 1992 lors des audiences sur la

demande en indication de mesures conservatoires 106. Ce n'est que dans 1'hypothèse où il

serait prouvé que le gouvernement de 1'Etat où se trou vent les auteurs présumés de
l'infraction appuient ceux-ci qu'on aboutirait alors à une violation de la convention concernée

autorisant les autres Etats parties à la suspendre ou à la dénoncer vis-à-vis de l'Etat défaillant

conformément aux règles coutumières de l' exceptio non adimpleti contractus 107 codifiées

par la convention de Vienne sur le droit des traités(art. 60).

2. Deuxième moyen

4.43 Mêmesi la convention de Montréal s'appliquait, la réclamation de la Libye serait sans

objet, d'après les défendeurs, puisque la Libye a déjàexercé le droit qu'elle prétend fonder sur
l'art. 7, que de toute façon il s'agit d'une obligation et non d'un droit- ou alors illusoire- et

qu'enfin la Libye n'a pas de juridiction exclusive sur les suspects.

Examinons les trois branches de ce moyen.

a) L'art. 7 de la convention oblige la Libye à soumettre l'affaire au parquet compétent si elle

n'extrade pas les suspects; or les défendeurs estiment qu'elle l'a fait et que par conséquent
elle n'aurait aucun motif de plainte.

Il demeure que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ne font pas confiance à 1a jus tice
libyenne et exigent que les suspects leur soient remis.

Autrement dit, ils refusent à la Libye l'application normale de la convention de Montréal;

ils nient la possibilité expressément prévue par l'art. 7 de la convention de ne pas extrader
les suspects et de les juger elle-même. En refusant 1'application de 1'art. 7, ces deux Etats

violent donc bien les prescriptions qu'il édicte et la Libye est fondée à s'en plaindre et à

obtenir de la Cour un jugement sur 1'applicabilité de cet article et sur 1'obligation faîte aux
Parties défenderesses d'en respecter les effets.

b) La Libye revendiquerait l'exercice d'un droit alors que l'art. 7 énonce une obligation. Le

droü invoqué par la Libye serait illusoire. Lors des plaidoiries sur les mesures

106 C.I.J.,CR 92/6, p. 48.
107 Namibie.C.I.JRec. 1971, 47. 108

conservatoires, la Libye a montréque si l'art. 7 énonçait bien une obligation, il s'agissait
d'une obligation alternative résumée (et simplifiée) par la formule aut dedere aut

judicare. Un conseil de la Libye avait dit à cette occasion :

"Or, 1'exercice de cette obligation alternative suppose nécessairement 1'existence d'un droit d'option

entre les deux branches de l'alternative. Ce droit, c'est celui de tout Etat partie à la convention de ne pas
extrader une personne notamment lorsque, in casu, la loi de cet Etat s'y oppose. Pour rappel, le droit de
l'Etat libyen, à l'instar de beaucoup d'autres droits internes, s'oppose non seulement à l'extradition des
nationaux, mais aussi à l'extradition sans traité I08_ De fait, la convention de Montréal admet

précisément le droit de tout Etat partie de ne pas extrader une personne recherchée pour une infraction
visée par la conventîon lorsque la loi de cet Etat ou les traités qui le lient s'y opposent : c'est ce qui
ressort tantôt implicitement, tantôt explicitement, des art. 5 § 2, et 8 §§ à 3. Le droit qu'invoque la
Libye trouve donc bien sa source dans la convention et n'a rien d'un droit fantôme!

Ajoutons que, mêmesi la Libye ne pouvait se prévaloir d'une 'obligation', le problème ne serait pas
différent; bienau contraire: d'une part, si un Etat peut revendiquer Je respect d'un droit, c'est-à-dire Je
respect d'un comportement qui lui est autorisé, a fortiori cet Etat peut revendiquer qu'on respecte sa

volonté d'exécuter une obligation, c'est-à-dire le respect d'un comportement qui lui est imposé." 109

Le Royaume-Uni, par la voix du professeur Higgins, se bornera à répondre

"We listened carefully to the reformu!ation this morning of the al!eged rights under the Montreal
convention. Although Art. 7 is an obligation, itwas said to be an alternative obligation aut dedere aut
judicare which, in turn, supposes the existence of an optional righi. But what Art. 7 says is that, if you

do not extradite, you must submit for prosecution. The right of a complicitous State to prosecute its own
security agents and to refuse surrender outside of the Montreal provisions is apparently to be deduced
from a combination of the aut dedere ara judicare principle in Art. 7 and the recognition that the

convention does not require extradition if it [is ?] against domestic lawJO.

De son côté,M. Williamson dira pour les Etats-Unis

"The fact thal Libya could discharge an Art. 7 duty by prosecuting rather than extraditing has nothing

whatsoever to do whether the U. S. may seek to obtain jurisdiction instead. As counscl for Libya has
conceded, the convention simply does not address this question of allocation of jurisdiction. We
conclude, therefore, that Libya has not made the required showing of rights under the Montreal

convention for which it seeks protection" 111.

En dehors d'affirmations lapidaires sur la complicité de la Libye, le caractère tortueux

du raisonnement de ses conseils et l'inopposabilité de l'art. 7 à la volonté des Etats-Unis

d'exercer ses compétences pénales, on ne voit pas très bien en quoi les conseils du Royaume­

Uni et les Etats-Unis ont répondu aux arguments de la Libye.

Sur ce point, le juge Bedjaoui dira :

108 C'est erronémentqu'il avait étéaffirméalors que le droit libyen subordonne l'extraditàol'existence d"un traité

(supra § 4.21 ).
109 C.I.J., CR 92/5, pp. 36-37.

110 CR 9216,p.lS.
111 ibid., p.37. 109

"Il a étéalors soutenu que le droità protéger ici est illusoire, puisqu'il s'agirait plutôt d'une obligation.
Mais l'Etat ne serait-il donc pas autorisé à revendiquer le droit, fondamentalement dérivé de sa
souveraineté, de ne pas êtreentravé dans l'accomplissement de son devoir international? Par ailleurs, il
a étésoutenu que la convention de Montréal de 1971 ne confère à un Etat partie aucun droit au titre de

l'article 7 qu'il n'ait déjà au titre du droit international général,de sorte que, mêmesi la convention de
Montréal de 1971 n'existait pas ou si la Libye ne l'avait pas ratifiée, cet Etat resterait libre de refuser
l'extradition en vertu du droit internationaL De cette observation exacte il a ététiré une conclusion
erronée, à savoir que le droit conventionnel à protéger serait inexistant, ou illusoire, car 1'article 7 ne

confere pas là un droit supplémentaire à l'Etat. Mais comment comprendre qu'un droit reconnu par le
droit international général et confirmé par une convention internationale viendrait à perdre toute
existence et tout bénétïce à sa sauvegarde du seul fait de sa confirmation dont on aurait pu penser
qu'elle le renforcerait?"112

De son côté,le juge Ranjeva écrit:

"Sur la base du droit international général, confirmé par la convention de Montréal, le demandeur
bénéficie du droit d'option qu'exprime l'adage traditionnel : aut dedere aut judicare; ce droit est

opposable erga omnes et crée l'obligation de mener effectivement à terme, dans des conditions
régulières, une procédure relative à 1'établissement de la responsabilité pénale dans l'attentat de
Lockerbie." 113

De même,pour le Juge Ajibola,

"... le Royaume-Uni, du fait que l'incident est survenu sur son territoire, pourr1établir sa compétence

à l'égard des infractions en vertu à la fois du droit international généralet de la convention de Montréal
de 1971. Cependant, les suspects se trouvent sous 1a juridiction de la Libye, et celle-ci est tout aussi en
droit de poursuivre ces derniers. Selon moi, compte tenu de la convention de Montréal de 1971, la
Libye a un droit 1égitie à protéger. Il s'agit d'un droit qui est reconnu par le droit international et qui

est mêmeconsidérépar certains juristes comme relevant du jus cogens." 114

Autrement dit, ces trois juges ont reconnu que le droit revendiqué par la Libye était un

droit substantiel qui devait êtrejuridiquement protégé.

c) Quant à l'affirmation que la Libye n'a pas de juridiction exclusive sur les suspects, la

Libye ne peut que rappeler ce qu'elle a déjà dit à ce sujet lors des audiences sur les

mesures conservatoires 115, à savoir que les Etats-Unis et le Royaume-Uni n'ont pas
davantage de prioritéou d'exclusivité dans l'exercice de l'action publique.

Il est significatif que des propositions faites par l'Union soviétique à Montréal et à La

Haye (avec l'appui de la Pologne et du Ghana) et visant à accorder une compétence

prioritaire à 1'Etat d'immatriculation lorsque plusieurs Etats voulaient connaître de

l'infraction l16 n'ont pas étédiscutées à Montréal vu le souci généralde s'aligner sur la

112 C.U., Recueil, 1992op. diss. Bedjaoupp. 38-39,148-149.

113 Ihid.op. diss. Ranjeva,p.72.
114 Ibid.op. diss. Ajibo1a,p. 82.et dans le cas des E.-U.,p.87.

115 C.Ll.,C.R. 92/.'i,pp.37 et 41.
116 Confér.de Momréal, II, CUI, Doc. n°39, 93; Confér.de La Haye,II,S.A. Doc. n°33,Rêv. l, p.81. llO

convention de La Haye (supra § 4.6), et ont été écartéeà s La Haye par 39 voix contre 12

et lOabstentions 117.

Le juge Guillaume écriraà propos de la convention de La Haye que les Etats

"n'ont entendu établir aucune priorité dans l'exercice de ces compétences et ont par suite accepté les

risques de poursuites et mêmede condamnations multiples." 118

Section 4- La Libye est en droit d'obtenir l'entraide judiciaire la plus large possible

(art. li)

A- Le contenu de l'art. 11

4.44 Comme elle l'a exposé dans ses requêtesintroductives d'instance, 1aLibye estime que

l'art. 11 § 1 oblige le Royaume-Uni et les Etats-Unis à lui accorder l'entraide judiciaire et

pénalela plus large possible pour qu'elle puisse instruire le dossier relatif aux suspects. L'art.

Il § 1 dispose en effet :

"Les Etats contractants s'accordent l'entraide judiciaire la plus large possible dans toute procédure
pénale relative aux infractions. Dans tous les cas, la loi applicable pour 1'exécution d'une demande
d'entraide est celle de'Etat requis."

Cette disposition reprise elle aussi de la convention de La Haye ne fit pas l'objet de
11
discussions particulières à Montréal 9; à La Haye, le texte initial du Comité juridique de

l'O.A.C.I. se bornait à énoncerle principe de l'entraide judiciaire obligatoire:

"Les Etats contractants s'accordent, conformément au droit applicable, 1'aide judiciaire la plus large

possible dans toute procédure relativeà1'infraction." 120

A la suite d'un amendement proposé par la Suisse 121, on précisa davantage que le

droit interne de l'Etat requis s'appliquait à l'exécution d'une demande d'entraide judiciaire.

Il 7 Confà. de La Haye, 1,p.74 § 8.
Il 8 Guillaurnc, G., luc.cp.7.
119 Confer. de Montréal. 1,pp.65-66. 129, 180.

120 Confér.de La Haye, !!, S.A. Doc. n°4, p.2ü.
121 Ibid., SA Duc n°13, p.44. Ill

En dehors de ce renvoi plus appuyé au droit interne de l'Etat requis, personne ne remit

en cause le principe de l'obligation d'entraide judiciaire énoncéeau texte.

B- L'argumentation des défendeurs

4.45 Lors des audiences sur les mesures conservatoires, le Royaume-Uni soutint que l'art.

Il était une disposition secondaire ou annexe ("an ancillal}' provision") qui ne s'appliquait

que dans la mesure où il avait étéadmis que le procès pourrait se tenir dans l'Etat requérant.

Or le Royaume-Uni contestait la thèse selon laquelle le procès des suspects pût se tenir en

Libye, et ce, d'autant plus que la con vention n'établissait ni priori té, ni exclusivitéde
juridiction. Dans ces conditions, transmettre à la Libye les moyens de preuve que le

Royaume-Uni possédait porterait sérieusement préjudice à la possibilité de poursuivre un jour

les suspects au Royaume-Uni 122.

4.46 Considérons ces différents arguments.

a) Dire que l'art. 11 est une disposition annexe, secondaire ou accessoire est une affirmation

subjective qui n'a aucune base en droit international. Ni la convention de Vienne sur le
droit des traités, ni la pratique ne distinguent des dispositions "principales" et des

dispositions "secondaires". Le Dictionnaire Basdevant parle bien de "clause finale'',

"protocolaire", "coloniale", "compromissoire", "facultative", etc, mais pas de clause

"principale", "accessoire", "annexe" ou "secondaire" ... 123

De toute façon, chaque disposition d'un traité produit les effets qu'elle prévoit

indépendamment du point de savoir si cette disposition est "principale" ou "secondaire".

Pour le Juge Ajibola, il n'est en tout cas pas douteux que l'art. li § 1 énonce bien un
"droit" :

"... force est de reconnaître que le droit juridique relevant de J'article Il, paragrapàelui,quant
4
est incontestablement un droit au regard de la convention de Montréalde 19712"

122 C.l.J., C.R. 92/3, p.48; CR 9216.pp.19-20.
123 Dictionnaire de la terminologie du droit inteParis, Sire1960.
124 C.l.J., Recueil, 1992, pet187.112

b) Dire que 1'art. 11 ne s'applique que si la convention s'apptique est d'une logique

inattaquable ... La Libye a montré que la participation éventuelle des agents de 1'Etat à

l'infraction n'empêchait pas la convention de s'appliquer (supra § 4.42); elle montrera
plus loin que les décisions du Conseil de sécuriténe font pas non plus obstacle à son

application (infra, chap. 3).

c) Le fait que la convention n'établit pas de priorité de juridiction n'autorise pas un Etat

partie à ignorer l'obligation clairement exprimée par l'art. Il § 1. Cet article ne
subordonne pas son application à la question préalable de savoir qui peut exercer la

juridiction. A partir du moment où un Etat partie exerce sa juridiction conformément aux

stipulations de la convention, tout autre Etat partie doit lui apporter sa coopération
judiciaire indépendamment du point de savoir si un autre Etat est également compétent.

L'art.\.l § l ne dit pas que l'entraide accordée à un Etat exclut celle qui pourrait être

accordée à un autre Etat. Dès lors que l'art. 5 § 3 de la convention n'écarte aucune
compétence pénale nationale, il en résulte que plusieurs Etats pourraient exe-rcer

concurremment leur compétence à l'égard des auteurs d'un mêmefait. Chaque Etat apte
à apporter une assistance pénalepourrait donc êtreamené,conformément à l'art. ll § l, à

aider un autre Etat partie.

d) On ne voit pas très bien en quoi la communication des preuves de l'infraction pourrait

compliquer l'exercice de l'action pénale au Royaume-Uni. La Libye ne demande pas au
Royaume-Uni de se dépouiller des pièces origina dlee sopies certifiées conformes

suffisent parfaitement. Quel que soit le sort réservéà ces pièces, les autorités judiciaires

britanniques peuvent toujours poursuivre les suspects s'il apparaissait clairement qu'ils
étaient coupables et que la Libye n'aurait pas rempli correctement 1'obligation de

répression qui lui incombe en vertu des art. 3 et 7, 2ème phrase de la convention.

Si en pareil cas, la convention de Montréal n'énonce pas la règle non bis in idem (comme
2
dans la convention de La Haye "atïn de ne pas énerver la répression") 15, il demeure que
celle-ci figure à l'art. §47 du Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966 (ratifié

par le Royaume-Uni le 20 mai 1976). Cela n'empêcherait cependant pas la juridiction

britannique de connaître de l'affaire dès lors que

- sel on 1'art. 14 § 7, la règle non bis in idem s'a pp1ique aux jugements rendus
"confonnément à la loi ... de chaque pays",

- la convention de Montréal fait partie de la loi libyenne,

125 Guillaume, loccil.p.47. n 40. 113

- si un éventuel jugement d'acquittement ou de condamnation symbolique était rendu

alors que les suspects seraient manifestement coupables, il violerait la convention et ne

serait donc pas conforme à la loi libyenne ...

L'art. 14 § 7 ne pourrait donc faire obstacle à des poursuites ultérieures au Royaume-
Uni.

e) De toute façon, l'art. 11 ne prévoit pas que l'octroi de l'entraide judiciaire dépend d'un

jugement d'opportunité de la part de l'Etat requis.

t) Il est frappant de voir le Royaume-Uni refuser de délivrer les preuves qu'on lui réclame

alors qu'en matière d'extradition et en tant qu'Etat requis, il a pendant longtemps

subordonné l'octroi de l'extradition à la condition que l'Etat requérant lui apporte un

primafacie case ... 126. Ainsi, lors des discussions de la 3ème Commission de l'A. G. des

N. U. sur le projet de résolution relatif aux Principes de la coopérationinternationale en

ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus
coupables de crimes de guerre et de crime contre l'humanité 27, le représentant du

Royaume-Uni déclare à propos du paragraphe relatif à la coopération que les Etats

doivent s'accorder "pour tout ce qui touche l'extradition" :

"En particulier, le Gouvernement du Royaume-Uni ne saurait accepter d'êtrecontraint de prendre des
mesures d'extraditionà l'encontre d'un accusési cette obligation n'est pas assortie de la condition que
des preuves suffisantes dea culpabilitéde l'intéressédoivent êtreétabl128,

La seule conclusion que la Libye peut tirer du refus des parties défenderesses d'appliquer
1'article Il est que les preuves qu'elles possèdent ne sont peut-être pas aussi solides

qu'elles le prétendent en dépit du fait qu'elles résulteraient de "the most extensive

criminal investigation ever undertaken into a single crime" 129.

* * *

126 GilbertQ_,Aspects ofExraditirm Law, Dordrecht, Nijhol'PP-569~s-
127 AIRES. 3074 (XXVIII), 3 décembre 1973.
128 Doc. ONU, A/C.3/SR. 2022, 9 novembre 1973, § 30.

129 R.U., C.I.J., CR 9213,p.13.114

4.47 En conclusion, la convention de Montréal s'applique à l'incident aérien de Lockerbie

et oblige les Etats parties à en appliquer correctement les dispositions. Le Royaume-Uni et
les Etats-Unis doivent donc reconnaître que la Libye est en droit de ne pas extrader les

suspects eu égard au fait que le droit libyen interdit l'extradition des nationaux et eu égard au

fait que l'art. 8 § 3 de la convention de Montréal subordonne l'extradition au droit de l'Etat
requis.

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis doivent aussi reconnaître que la Libye est en droit
de poursuivre elle-même les suspects (art. 5 § 2-3 et art. 7) et d'obtenir à cet effet l'entraide

judiciaire la plus large possible (art11).

L'obligation d'appliquer de bonne foi la convention conformément à la règle pacta

swu servanda (préambule de la Charte des Nations Unies, 3e considérant), règle coutumière

codifiée par l'art.26 de la convent1on de Vienne sur le droit des traités, implique aussi que les
Parties défenderesses doivent s'abstenir de tout acte susceptible d'affecter les droits de la

Libye.

Plus particulièrement, elles doivent s'abstenir de toute pression visant à empêcher

l'application normale de la convention. La Cour est parfaitement fondée à connaître de cette

demande dès lors qu' elle concerne directement la convention de Montréal. 115

L'INTERPRETATION DE lA CONVENTION DE MONTREAL
CHAPITRE II -
A LA LUMIERE DES REGLES GENERALES DU DROIT

INTERNATIONAL

Section 1 -Introduction

5.1 L'interprétation de la convention de Montréal ne peut êtreeffectuée sans prendre en

considération les règles pertinentes du droit international qui sont applicables dans les
relations entre les parties.

5.2 Pendant le débat oral concernant la demande de la Libye relative à l'indication de
mesures conservatoires, les deux Etats défendeurs ont soulevé des questions relatives à

1'interprétation et à 1'application de la convention de Montréal distincts de celles qu'ils

avaient posées relativement aux pouvoirs que le Conseil de sécuritédétient en vertu de la
Charte. Ainsi :

(a) Madame le Professeur Higgins, pour le compte du Royaume-Uni, a fait
référenceaux articles 5(2), 5(3), 7, 8 (2) et à l'article 11

(b) Monsieur Schwartz, pour le compte des Etats-Unis a fait référence à
l'article 7 et à l'ensemble de la convention de MontréaJ2.

(c) Monsieur Williamson, pour le compte des Etats-Unis a fait référenceaux
articles 7 etl 3_

5.3 Les questions relativesàl'interprétation textuelle en tant que telles ont déjàexaminées
(chapitre 1er. 11faut cependant faire remarquer que, dans la présente affaire, les problèmes

d'interprétation qui ont étésoulevés pour le compte des Etats défendeurs se rejoignent tous

sur un point qui est le régimejuridictionnel crée par la convention de Montréal est soumis à
certaines limitations qui ne sont pas exprimées dans le textela convention.

CR 93/3. pp. 45-48
2 CR 92/4. pp. 60-63
3 CR. 92/6, pp.36-38116

5.4 La position libyenne est que, quelle que soit l'interprétation à donner au texte de la

convention, il faut présumer que celle-ci a étérédigéedans le but d'êtrecompatible avec les

règles et les principes du droit international général.Cette présomption est particulièrement
importante puisque l'objet de la convention est relatif à des problèmes de compétence

juridictionnelle d'extradition et de souveraineté territoriale qui tombent dans le cadre normal

du droit international général.

5.5 Notamment, une affirmation majeure des deux Etats défendeurs est très exactement
"que la Libye doit, pour des raisons qui n'ont aucun rapport avec la convention de Montréal,

livrer les deux accusés" 4.Dans ce contexte, il est très important de tenir compte du régime
normal d'extradition et de s'en remettre au droit internationaL

5.6 La Libye soutient également que, dans le processus d'interprétation, il est raisonnable

de présumer que la convention ne peut interprétée dans un sens qui impliquerait

nécessairement une violation des normes fondamentales relatives aux droits de l'homme
reconnues par le droit international généraLEn particulier, dans les circonstances actuelles,

ainsi qu'on le démontrera ci-dessous, si les deux accusés étaient remis, un procès équitable

serait pratiquement impossible aussi bien au Royaume-Uni qu'aux Etats-Unis.

5.7 Les modalités qui ont étéenvisagées par les Etats défendeurs contiennent un autre
élémentqui pourrait contrevenir aux droits fondamentaux des deux suspects. Dans les mois

qui ont précédé le débutde la présente procédure, les Etats défendeurs ont eu recours à une

politique de menace de force qui, si elle avait étéeffective, aurait pu avoir pour conséquence
J'enlèvement de force des deux suspects au méprisde certaines normes relatives aux droits de

l'homme, notamment l'interdiction de toute arrestation ou détention arbitraire.

5.8 Selon la Libye, une telle procédure de remise coercitive va bien au-delà de ce
qu'attendent les parties à la convention de Montréal et elle n'a jamais étéenvisagée comme

une alternative quelles que soient les circonstances.

4 Mme le Professeur Higgins, CR 92/3, p. 48; M. Kreczko, CR 9214,pp. 25-29 117

Section 2 - La pertinence des règles de droit international applicables entre parties

pour l'interprétation des traités

5.9 La pertinence du droit international généralimplique deux conséquences :

(a) Le système généralde compétences juridictionnelle créépar la convention doit
être présumé compatible avec les principes pertinents du droit international qui

régissent l'extradition et la remise informelle des suspects.

(b) En tout cas, à supposer même que, le système de la convention puisse

fonctionner de la manière décrite par les Etats défendeurs, il faut présumer qu'une

telle remise ne peut exécutée dans des conditions qui seraient manifestement
incompatibles avec les normes relatives aux droits de l'homme.

5.10 La présomption exposée dans le paragraphe (b) peut êtreénoncéeplus simplement de

la manière suivante : en cas de doute, les modalités d'application des dispositions de la

convention doivent êtrecompatibles avec le droit international général. La remise des suspects
prévue par les dispositions de la convention de Montréal ne peut êtreinterprétéeque dans le

contexte du droit international général.

5.11 L'article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traitésdispose que :

"Règle généraled'interprétation"

1. Un traité doit êtreinterprétéde bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du
traitédans leur contexte àtla lumière de son objet et de son but

2. Aux fins de l'imerprétation d'un traité, le contexte comprend, pour le texte, préambule et
annexes inclus :

(a)Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les àl'occasion
de la conclusion du traité ;

(b) Tout instrument établi par une ou plusieurs Parties à l'occasion de la conclusion du traité
et accepté par les autres Parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité;

3. Il sera tenu compte, en mêmetemps que du contexte:

(a) De tout accord ultérieur intervenu entre les Parties au sujet de l'interprétation du traité ou
de l'application de ses dispositions;

(b)De toute pratique ultérieurement suivie dans 1'application du traité par laquelle est établi
l'accord des Partiàsl'égard de 1'interprétation du traité ;118

(c) De toute règle pertinente du droit international applicable dans les relations entre les Partîes;

4. Un tenne sera entendu dans un sens particulier s'il est établi que telle était l'intention des

Part.ies.(nous soulignons)

5.12 Comme le note la Commission du droit international dans son Rapport à 1'Assemblée

générale, elle "a estimé impossible de considérer que l'article, pris dans son ensemble,
établissait une hiérarchie juridique des normes pour l'interprétation des traités" 5. De plus, "la

Commission a voulu indiquer que l'application des moyens d'interprétation prévus dans

l'article constituait une seule opérationcomplexe" 6_

5.13 Le Royaume-Uni est partie à la convention de Vienne, mais ni la Libye ni les Etats­

Unis ne l'ont signée.Il est, cependant, généralementadmis que les principes contenus dans les

articles 31 et 32 de la convention sont déclaratoires du droit international général.Ce point de

vue a d'ai lieurs étéadopté par différent tribunaux internationaux, notamment la Cour
internationale de Justice dans 1'affaire de l'Electronica Sicula S.p.A (ELSI) 7, l'affaire relative

à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 8,par la Cour inter-américaine des droits de

l'homme dans l'affaire Restrictions on the Death Penalty 9,la Cour européenne des droits de

l'homme, dans l'affaire Lithgow et autres 10, et enfin, par le Tribunal des réclamations Iran­
Etats-Unis, dans l'affaire Iran-Etats-Unis n° Nl8 Il.

5.14 Le jugement du Tribunal Iran-Etats-Unis (une opinion du Tribunal réuni en séance
plénière)concernait particulièrement le paragraphe 3 (c) de l'article 31 de la convention de

Vienne, et le résultat de la discussion concernant l'interprétation du terme "nationaux"

dépendait de la règle de droit international applicable, qui était celle de la nationalité

dominante et effective. Cette décision est particulièrement importante pour l'atiaire qui nous
concerne car les instruments impliquent le règlement de réclamations, comme ceux

concernant les règlements juridictionnels, sont intrinsèquement liés à des question de droit

international général.

5 Annuaire de la Commission du droit imemational, 1966, 11,~8 240,

6 Ibid. (soulignépar nous), p.239.
7 C.I.J.,Recueil ,1989, p(Chambre)
R C.I.J.,Recueil, 1991, pp. 6(~48)

9 Avisconsultatidu 8 septembre 1983, lntemational Law Report, vol. 70, pp. 465-466 (§§ 48-49)
10 Coureur. D.H., arrêtdu 8 décembre 1986, IérieA, n° 102, pp.47-48 (§ 114) et in lntemational Law Reporti, vol. 75,
p. 483 (§ [14)

Il IRAN-US CTR, vol. 5, pp.259-2etinlntemationalLaw Reports, vo75,pp. 187-188. ] 19

5.15 En tout cas, le principe contenu dans le paragraphe 3 (c) de l'article 31, qui dispose

que l'on doit tenir compte "de toute règle pertinente de droit international applicable dans les

relations entre les parties", a généralement étéreconnu comme un principe de droit

international généralavant et après la conclusion de la convention de Vienne.

5.16 Dans une décisionen date du 18juillet 1932, l'arbitre, Eugène Borel, affirma que :

"2. As regard the law, the task of the Arbitrator is clearly fixed and circumscribed by the first question
submetred to arbîtration. The Arbitrator is to consider the facts only with the purpose in mind of

determining wether or not the United States violated any provisions of the treaties which were signed
between Sweden and the United States of America on April 3, and July 4, 1827, and which, though they
expireelon February 4, 1919,were sti1in force duri ng the years 1917and 1918.

The first. question does not refer to any special article of the said treaties, nor does it make any
distinction between such provisions of the treaties as were relied upon by the parties (either ab initio or
later on) and such other provisions as have not been expressly quoted by them.

On behalf of the United States it has been observed that the Arbitrator îs not to base his decision on
principles of international law as such, as his juridiction is limited to consideration of the question

wether provisions of any of the two treaties mentionned in the special agreement have been infringed.
However just in îtself, this observation must not be allowed to lead to a misapprehension. The decision
to be given is undoubtedly to be governed by the treaties, and the Arbitrator is not asked to look for
other rules in the field of international law. On the other hand, it is clear that the treaties themselves are

part of international Jaw as accepeted by both contracting powers and it may be safely assumed that,
when the said treaties were concluded, both parties considered them as being agreed upon special
provisions to be enforced between them in what may be called the atmosphere and spirit of international

law as recognized by both of them. Particularly, it may be also assumed that it.was not the intention of
the parties to adopt provisions which would give their respective nationals rights inferior to those which
they already possesed by virtue ofrules of international law recognîzed binding by both states" 12.

12 Affaire du Krrmprins Guswf Adolf, R.S.A., vol.H, p.l239, pp.l246-1247. Notre traduction : "2. Au regard du droit,
le devoir d'un arbitre est clairement fixéet limitépar la premièrequestion soumiàel'arbitrage. L'arbitre doit seule­
ment considérerles faits en ayantà l'esprit qu'il doit déterminersi oui ou non les Etats-Unis om violécertaines dis­

positions des traitésqui ont étésignésentrla Suèdeet le:;Etms-Unisd'Amérique le3 avril17!13et le 4 juillet 1827,
et qui, puisqu'ilsexpiraient le4 février1919,si ces traitésétatonc encore en vigueuren 1917et en 1918.

La premièrequestion ne fait pas référenceà un article particulier desdits traités,elle ne fait pas non plus une distinc­
tion entre les dispositions des traitésprises en compte par les pa(ab inil ou plus tard) et celles qui n'ont pas été

expressémentcitéespar eux.

Il a étéobservépour le compte des Etats-Unis que J'arbitre ne doit pas baser sa décisionsur les principes de droit

international en tant que tels, car sa compétenceest limitéà la prise en compte de la question si les dispositions
de l'un des deux traitésmentionnésdans lecompromis ont étéviolées.Toutefois, cene observation ne doit pas

conduire à un malentendu. La décisionqui doit êtrerendue doit indubitablement ê.tre gouvernéepar les traités,et
on ne demande pas à 1'arbitre de prendre en considérationd'autres règles dans le domaine du droit international.
D'autre pan, il est clair que les traitéseux-mêmesfont partie intégrantedu droit international car ils ont étéaccep­

téspar les deux puissances contractames et on peut justement affirmer, que, lorsque les dits traitésont étéconclus,
les deux parties ont considéréqu'elles s'étaientmises d'accord pour que des dispositions spécialessoient appli­

quéesentre elles dans ce que l'on pourrait appeler l'atmosphère et l'esprit du droit international que toutes deux
reconnaissaient. Particulièrement, on peut également affirmer qu'il n'était pas dans l'intention120

5.17 Cette affaire est particulièrement intéressante. La référence aux règles de droit

international n'est pas fondéesur un principe distinct d'interprétation des traités,mais découle

d'une recherche consciencieuse de l'intention des parties.

5.18 Examinant les problèmes relatifs à l'interprétation des traités, le juge Hudson affirme
(sous la rubrique "cadre juridique") que:

"Any international instrument must be interpreted in the light of the prevailing international law, by

which the parties must be taken to have charted theirrse" 13.

5.19 Dans son av1s consultatif sur les Réparations des dommages subis au service des

Nations Unies, la Cour observait :

"La Cour se trouve ici en présenced'une situation nouvelle. On ne peut répondrela question qui naît de
cette situation qu'en déterminant de quelle manière elle est régléepar les dispositions de la Charte

interprétéesla lumière des principes du droit international." 14_

5.20 Dans l'affaire relative au Droit de passage sur territoire indien (exception

préliminaire), la Cour affirme : "c'est une règle d'interprétation qu'un texte émanant d'un

Gouvernement doit, en principe, produire des effets conformes et non pas contraires au droit

existant" 15.

5.21 Le passage citéci-dessus a étépréfiguré dans l'une des "règles d'interprétation"

exprimée dans la huitième édition de Oppenheim, éditéepar Sir Hersch Lauterpacht. La

troisième règle est rédigéede la manière suivante :

"(3) It is taken for granted that the contracting part.ies intend something reasonable and something not
inconsistent with generally recognized principles of International Law, nor with previous treaty
obligations towards third States. lf, therefore, the meaning of a provision is ambigous, the reasonable

meaning is to be preferred to the unreasonnable, the more reasonable to the Jess reasonable, the

des parties d'adopter des dispositions qui auraienàleurs ressortissants respectifs des droits inférieurs à ceux
qu'ils possédaient déjàen vertu des règles de droit international reconnues comme obligatoires par les deux Etats."
13 The Pennanent Court of International Justice 1920-1942, New Yor1943,p. 655 (par. 573). Notre traduction :

"Tout instrument international doit êtreinterprétéà la lumière du droit international dominant, auquel on présume
que les parties ont voulu se soumettre."
14 C.l.J., Recueil, 1949, p. 182

15 C.l.J, Recueil, 1957, p. 142 121

consistent with the generally recognized principles of International Law and with previous treaty

obligations towards third States" !6.

5.22 Le mêmeprincipe est reformulépar Sir Hersch dans The Development of International

Law by the International Court o.f"Justice:

"ln fact, it would be a mistake to assume that the function of interpretation of treatîes, consisting as it

does in ascertaining what was the intention of the parties, is a process divorced from the application and
development of customary international law. The eliciting of the intention of the parties is not normally
a task which can be performed exclusive! y by means of logical or grammatical interpretation. As a rule,
the established canons of construction - which themselves partake of the nature of customary law - must

be supplemented by the principle that when the intention of the parties is not clear it must be assumed
that they intented a result which is in conformity with general international law. Undoubtedly,
conventional international law may derogate to customary international law, but it is no Jess true that

the former must be interpreted by reference to international cust.om. ln many case of treaty
interpretation the effect of the treaty wi !1 depend on our view a to the position of customary
international law on the question" 17_

5.23 Le principe en question apparaît explicitement dans le premier paragraphe de 1'article

1de la résolutionadoptéepar l'Institut de droit international à sa session de Grenade en 1956:

"Article Premier

l) L'accord des parties s'étant réalisésur le texte du traité

il y a lieue prendre le sens naturel et ordinaire des termes de ce texte comme base d'interprétation. Les
termes des dispositions du traité doivent êtreinterprétésdans Je contexte entier, selon la bonne foi et à
la lumière des principes du droit international.

2) Toutefois, s'il est établi que les termes employés doivent se comprendre dans un autre
sens, le sens naturel et ordinaire de ces termes est écarté.

16 Oppenlwim. Sèmeéd.,éditépar Sir Hcrsch Lauterpacht, pp.952-53. Notre traduction: "(3) On admet généralement
que les parties contractantes proposent quelque chose de raisonnable et que la chose qui ne soit pas en contradiction

avec les principes reconnus du droit international, ni avec les obligations contenues dans les traitésprécédemmentsi­
gnésavec les Etats-tiers. Si. toutefois, le sens d'une disposition est ambigu, on doit préférerson sens raisonàable
son sens déraisonnable,le plus raisonnable au moins, le sens logiqàecelui qui est contraire aux principes reconnus

du droit international et aux obligations des traitésprécédemmentsignésavec des Etats-liers".
17 The Developme/11olfnternational Law by the lntematirmal Court of Justice (London 1958),pp. 27-28. Notre traduc­

tion:"En fait, ce serait une erreur de prétendreque la fonction d'interprétationdes traités.consistant, comme il se
duit dans la vérificationde ce qu"étaitl'intention des parties, est un processus différentde l'application et du déve­

loppent du droit international coutumier. L'éclaircissementde l'intenlion des panics n'est pas normalement un de­
voir qui peut êtreassuréexclusivement par des moyens d'interprétationlogique ou grammaticale. En tantque règle,
les critèresétablisd'interprétationqui tiennent eux-mêmesdu droit coutumier, doivent êtrecomplétéspar le principe

selon lequel, quand l'intention des parties n'est pas claire, on doit présumerqu'elles ont souhaité un résultaten
conformitéavec Je droit international généwl.Indubitablement, le droit international conventionnel peut dérogerau

droit international coutumier, maiiln'est pas moins vrai qule premier doit êtreinterprétépar référenceà la coutu­
me internationale. Dans de nombreuses interprétations, l'effet d'un traitédépendrade ce que nous considérons

comme êtrela position du droit international coutumier sur la question".122

Article 2

1) Dans le cas d'un différend portédevant une juridiction internationale, i1incombera au
tribunal, en tenant compte des dispositions de l'article premier, d'apprécier si,ans quelle mesure, il
y alieu d'utiliser d'autres moyens d'interprétation.

2) Parmi les moyens légitimesd'interpréter se trouvent :

a) Le recours aux travaux préparatoires;
b) La pratique suivie dans l'application effective du traité;

c) La prise en considération des buts duraités18 .

5.24 Ce principe d'interprétation a étéaffirmé en doctrine à plusieurs reprises depuis la

conclusion de la convention de Vienne. Voir particulièrement les opinions émises par le

Dr. Whiteman 19, M.K.Yasseen 20, Sir lan Sinclair 21, Podesta Costa et Ruda 22, Nguyen Quoc

Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet 23, M. Diez de Velasco 24 et la 9ème édition de

Oppenheim 25.

5.25 Il existe une forte présomption en faveur du fait que les Etats sont liés par des

principes du droit international général,et il appartient donc aux Etats défendeurs d'établir

qu'ils ne sont pas liéspar le principe d'interprétation en question. Il est également nécessaire

de rappeler que dans l'avis consultatif qu'elle rendit dans l'affaire relative à la Namibie, la
Cour souligna que "Les règles de la convention de Vienne sur le droit des traitésconcernant la

cessation d'un traité violé (qui ont étéadoptées sans opposition) peuvent, à bien des égards,

êtreconsidéréescomme une codification du droit coutumier existant dans ce domaine" 26.

En tout cas, il est aiséde démontrer que les deux Etats défendeurs ont adoptéce principe.

5.26 En ce qui concerne le Royaume-Uni, il est utile de rappeler que le Gouvernement du

Royaume-Uni n'a fait part d'aucun doute ni d'aucune réserve dans les "observations" qu'ils

18 Résolutiondu 11-20 avril 1956,Amwaire, vol.46, pp. 358-359.
19 Whiteman, Digest of International Law. vXl V,(septembre 1970), pp. 384-386.

20 M.K.Yasseen. L'interprétationdes traitésd'après la convention de Vienne sur le droit des traités,R.C.A.D.I., vol.
15L !Tlpp. 62-70.

21 1.Sindair, The Vienna Convention on the Law ofTreaties, 2èmeédition,Manchester, 1985, pp. 138-140.
22 Podesta Costa et Ruda, Derecho international publico. vol. 2, Buenos Aires 1985, p. 103 et p. 107.
23 Nguyen Quoc Dinh, Patrkk Daillier et Alain Pellet, Droit international public, 4ème édition, Parip.2532,

(§172).
24 M. Diez de Velasco, lnstituci(mes de derecho imernational public, 1,9èmeéMadrid, 1991, pp. 159-162.

25 Oppenheim, International Law, 9ème édition, par Sir Robert Jennings and Sir Arthur Watts, Londres, 1992, pp.
1274-1275.
26 C.J.J., Recueil, 1971,p. 47, § 94. 123

présenta sur le texte préfigurant l'article 31 qui avait étépréparépar la Commission de droit

international 27. Pendant la Conférence, l'article en question (qui étaitencore l'article 27) fut
adoptésans aucun vote négatif 28.

5.27 La po sition adoptée par le Gouvernement américain est similaire à celle du
Gouvernement du Royaume-Uni, dans les observations qu' i1 présenta sur les articles de

l'avant-projet, le Gouvernement des Etats-Unis a accepté, sans aucune équivoque, les "règles

du droit international" comme l'une des "six règles d'interprétation" 29.

5.28 De plus, dans sa propre pratique, le Gouvernement américain a invoqué le droit

international généralcomme source d'interprétation des traités. Deux exemples méritent
d'être rappelés. Tout d'abord, le Mémoire des Etats- Unis dans l'affaire du Personnel

diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéranfait explicitement référencela relation

entre les dispositions pertinentes d'un traitéet le droit international général 30.

5.29 Ensuite, il est significatif que dans l'affaire de 1'Electronica Sicula (ELS/) S.P.A.

qua nd 1'ltali e s'est fondée sur les règles d'interpréta tion énoncées à 1'article 31 de la
convention de Vienne comme reflétant le droit international coutumier, la Cour remarqua que

c'était une "position qui n'a pas étécontestéepar les Etats-Unis" 31•

Section 3 - L'extradition en droit international général

A - L'interprétation de la convention de Montréal

5.30 Il est évident que la question de l'extradition représente une partie importante du droit

international et chaque ouvrage général relatif au droit international consacre des

développements à ce problème et aux questions qui en découlent. C'est pour cette raison, et

27 Annuaire de la Commissionde droit internatio1966, li, p. 51, plus paniculièrement pp. 92-93.

28 Conférencedes Natio11sU11isur le droit des trdeuxième session. Publications officielles, p. 57.
29 Annuairede la Commissionde droit i11tematio1966, IP- 51, plus particulièrement p. 93.
30 Voir lMémoired!1Gm1vemementdes Etats-Unisd'Amérique, janvier 1980, pp.67-72, à propos des dispositions du
Traitéd'amitié.de commerce et de droits consulaires de 1955.

31 C.U., Recueil1988, p. 97.124!

pour d'autres également, qu'il est évident qu'un instrument international tel que la convention

de Montréal doit êtreinterprétéet appliqué dans le cadre des règles et des principes du droit

international général.Le problème est intrinsèquement liéà la souveraineté territoriale et à la

compétence territoriale. Il y a une grande similarité avec les questions juridiques qui furent
soulevées dans l'affaires du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,

dans laquelle 1'Etat demandeur et la Cour constatèrent 1'interaction des dispositions du traité

avec les principes du droit coutumier 32_

5.31 Dans la présente affaire, au cours de la procédure relative à l'indication de mesures
conservatoires, tous les membres de la Cour, qui ont étudiéla question de l'interprétation des

dispositions de la convention de Montréal (à 1'exception de l'article 14), ont naturellement

insisté sur 1importance du droit international général 33.

B -Il n'y a aucune obligation de livraison sauf en vertu d'un traité

1 - Introduction

5.32 L'article 7 de la convention de Montréal impose l'obligation aux Parties Contractantes

soit d'extrader l'auteur de l'infraction, soit de soumettre l'affaire à ses autorités compétentes

pour l'exercice de l'action pénale. Si l'on devait accepter que les dispositions de la convention

ne précisent pas la question de la priorité de compétence (ce que la Libye refuse d'admettre),

il est particulièrement important de prendre en compte le principe généralement accepté de
droit coutumier selon lequel il n'existe pas d'obligation d'extradition sauf en vertu d'un traité.

32 C.I.J., Recueil, 1980, pp.41-42 (§90-91).
33 Voir la déclarationcommune des juges Evenscn, Tarassov, Guillaume et Aguilar Mawdsley, C.U, Recueil, 1992, pp.
24-25, §§2-3;elle du juge Bedjaoui, ibid, pp. 38-39, §§ 11-12; M. Weeramantry, ibid., p. 69; celle du juge Ranjeva,

ibid, p. 72, §§ 2-4; celle du juge Ajibola§ 3; et celle du juge ad hoc El Kosheri, p. 109, § 55. 125

2- La pratique du Royaume-Uni

5.33 Des incidents impliquant la remise informelle des ressortissants britanniques (ou

putatifs) ont entraîné des protestations de la part du Royaume-Uni respectivement en 1864 et

en 1962. Le premier incident concernait un certain James Thornley, et les consei Ilers

juridiques de la Couronne britannique ont alors affirmé le principe qu'il n'y avait pas de

devoir de remettre en l'absence d'un traité 34.

5.34 En 1962, M. Greville Wynne, soupçonné d'espiomiage, fut arrêtéen Hongrie et

transféréen Union soviétique. Le Gouvernement britannique protesta et critiqua, notamment,

la remise informelle à un pays tiers. L'aide-mémoire qui fut remis au Gouvernement hongrois

expliquait notamment:

"Her Majesty's Minister in Budapest has communicated to me the aid-mbnoire handed to him
yesterday afternoon on behalf of your Governement in which it is stated that Mr Wynne has been
extradited tothe competent Soviet authorities. I do wîsh you to be in any doubt as to the seriousness
with which I view this new developemenL.

Despiste the repeated representationsof her Majesty's Minister in Budapest to your Governement, and
Mr Peter Thomas's [Parliamentary Secretary for Foreign Affairs] representations toy ou on november 8,
her Majety's Consul has stiJl not be allowed to see Mr Wynne. And yet it now appears that a British

subject is to be or has been transferred from one country to another without any opportunity being given
to his own Governement, whose universally recognized duty it is to concern itself with his well-being,
to have access to him.

If these procedures are to be characterized as those of extradition, it follows that specifie charges must

have been brought against Mr Wynne and that there can be a justification in international law for the
failure of the Hungarian authoritieto inform her Majesty' s Minister of these charges. Nor can there be
any conceivable justification for the Hungarian authorities' failure to allow her Majesty's Consul to see
MrWynne.

Considerations of internationallaw apart, elementary consideration of humanity demand that such
permission have been given by the power which bears the responsability for Mr Wynne's arrest.

1must protest most strongly to your Excellency about the behaviour of your Governrnent in this matter
and must ask you, in the interest of the relations between our two countries, to inform me without
delays whether Mr Wynne is now on Hungarian territory and what steps the Hungarian Governement
will now take to satisfy her Majesty''s Governement as to his welfare and to ensure that he is given
adequate facilities, including access to a consular officer, for the preparation of his defence against

whatever charges have been laid against him" 35.

34 Voir le British Digest of InternationLmv, éditépar Clive Parry, Première phase, vol. 6 p. 640; voiaussi

McNair,lnternaûomli Law Opinions, Cambridge, 1956, vol. 2, pp. 50-51.
35 14 novembre 1962, Contemporary Practice of the United Kingdom in lntemational Law, 1962, Il, p. 210, p. 212.

Notre traduction: ''Leministre de Sa Majeil Budapestm'a communiqué l'aide-mémoire qui lui a étéremis hier
après-midiau nom de Votre Gouvernement, dans lequel il est établique M Wynne a étéextradé vers les autorités
compétentessoviétiques.Je ne veux pas que vous doutiezsérieuxavec lequel je m'o.:cupe de cette affaire.126

5.35 Le mêmejour, un aide-mémoire étaitremis à l'Ambassadeur de Hongrie à Londres :

"When l saw you this morning, 1 had not heard that steps had been taken at the request of the Soviet

authorities to ex:tradite Mr Greville Maynard Wynne from Hungary into the hands of the Soviet
authorities. This was stated in an aide-mémoire which was handed to her Majesty's Minister in
Budapest yesterday afternoon. I want you to be left in no doubt of the seriousness with which I v1ew

this development.

As 1 have made clear to the Hungarian Minister, it now appears that a British subject is to or has been
transferred from one country to another under procedures which are described as those of extradition
without any oporrunity being given to his own Governement, whose universally recognizes duty it is to

conŒrn itse!f with his well-being, to have access to him.

If such treatment is to be characterized as extradition, then it follows that specifie charges must have

been brought against Mr Wynne and that there can be no conceivable justification in international law
for the refusai of the authorities concerned to allow her Majesty's Consul to visit Mr Wynne.
Considerations of international law apart, common humanity requires that such facilities be accorded.

1 must therefore ask you to bring to the attention of your Governement my deep concem in this matter. I

must also ask to be informed without delay of the nature of the proceedings instituted against Mr
Wynne by the Soviet authorities, and 1request facîlities for him to be visited by a consular officer and
to give a legal aid in his defence"36_

Malgréles démarchessuccessives du ministre de Sa Majestéà Budapest auprès de votre Gouvernement, et celles que
M. Peter Thomas (Parliamentary Secretary for Foreign Affairs) effectua auprès de vous le 8 novembre, le Conseil

de Sa Majestén'a pas encore reçu l'autorisation de rencontrer M.Wynne. Il apparaît pourtant aujourd'hui qu'un res­
sortissant britannique doit êtreou a ététransféréun pays vers un autre pays sans que son Gouvernement, dont le

devoir universellement reconnu estde protégerson bien-être,ait eu l'opportunitéde la rencontrer.

Si cette pwcédure doit êtreassimiléeà celle de l'extradition, cela suppose que des charges suffisantes doivent avoir

étéportée;;contre M.Wynne et qu'il n peut y avoir aucune justification en droit international pour l'omission des au­
toritéshongroises d'informer le ministre dea Majestéde ces charges. On ne peut pas non plus justifier le refus des
autoritéshongroises de permeure au Consul de Sa Maje;;téde rencontrer M. Wynne.

Au-delà même du droit internationaL des considérations élémentairesd'humanité exigent qu'une telle permission
soit accordéepar le pouvoir responsahle de l'arrestation de M. Wynne.

Je proteste le plus vigoureusement auprès de votre Excellence en ce, qui concerne le cqmportement de votre
Gouvernement sur ceue question et vous demande dans l'intérêd t es relationstre,nos deux pays, de mc,dire sans

délaisi M. Wynne,est encore sur le territoire hongrois et quelles mesures le Gouvernement hongrois compte mainte­
nant prendre pour donner satisfaction qu'il pourra disposer des facilités adéquates, notammentdroit de consulter
un agent consulaire, pour la préparation de sa défensecontre les diverses charges qui ont étésoulevéescontre lui."

36 ibid .., pp. 212-213. Notre traduction: "Lorsque je vous ai rencontré ce matin, je ne savais pas que des mesures
avaient étéprises,à la demande des autorités soviétiques, pour extrader M.Greville Maynard Wynne de Hongrie

dans les mains des autorités soviétiques. Cela est établidans un aide-mémoire qui avait étéremis au ministre de Sa
Majestéà Budapest hier après.-midi. Je ne veux pas que vous doutiez du sérieuxavec lequel je m·occupe de cette af­
faire.

Comme je l'ai fait savoir au ministre hongrois, il apparaît maintenant qu'un ressortissant britannique doit êtreou a
ététransféréd'un pays vers un autre sous une procédure qui est décrite comme celle de l'extradition sans que son

Gouvernement, dont le devoir universellement reconnu estde protégersans que wn bien-être,ait eu l'opportunité de
le rencontrer.

Si cene procédure doit êtreassimiléeà celle de 1'extradition, cela suppose que des charges suffisantes doivent avoir
étéportéescontre M. Wynne et qu'il ne peut y avoir aucune justification en droit international pour le refus continu

des autoritésconcernéesde permettre au ministre de Sa Majestéde rencontrer M. Wynne. Au-delà mêmedu droit in­
ternational, l'humanitéexige que de teLlesfacilitéssoient accordées." 127

5.36 A la base de ces protestations britanniques, il y a plusieurs élémentsdistincts, parmi

lesquels l'absence de toute possibilité de contacts consulaires normaux. Toutefois, l'élément
sous-jacent est le refus par le Gouvernement de S.M. d'une procédure, arbitraire et irrégulière

considérée comme une forme d' ''extradition". La dernière édition de Oppenheim 's

International Law, vol. 1, cite le cas Wynne ainsi que l'affaire Thornley 37 pour appuyer la

proposition selon laquelle l'extradition, en l'absence d'un traité d'extradition, a parfois lieu

"bien que cette extradition ait suscité des protestations de la part d'un Etat tiers dont les

nationaux sont remis dans de telles circonstances" 38.

3- La pratigue des Etats-Unis

5.37 La pratique américaine a toujours étéconforme au principe qu'il n'y a pas d'obligation

juridique d'extrader en 1'absence d'un traité.Cette position est clairement expliquée dans la

partie relative à l'extradition que l'on trouve dans le Digest of international Law éditépar

Whiteman:

"Extradition is a national act. Requesting and granting extradition from orto a foreign State is, apart
from any treaty to the contrary, a prerogative of the national governement of a State.The process
necessari ly involves relations between international personalities.It is thus distinguishablefrom
interstate rendition in the United States which involves the rendition, under municipal law, of fugitives
between political subdivisions of the United States, i.e., the severa] States of the Union. It is also

distinguishable from deportation or expulsion whereby an alien is removed from the territory of a
State for reasons of concern to that State.

Although in the absence of a treaty aState is, under international law, under no legal obligation to do

so, most States may, under their law, extradite fugitives from justice to a foreign State without an
extradition agreement wirh that State. Nevertheless, most State have entered into extradition
agreement with foreign States. Under United States law the United States may grant extradition only

pursuant to a treaty" 39.

37 Voir supra§33
38 Oppenheim '.1l·ntemationaLaw, vol, I, 9èmcédition,éditépar Sir Robert Jennings et Sir Arthur Wa951-2et.
p. 952, note en bas de page 11

39 Vol. 6, Departement of State Publications, 8350, février1968, p. 727, voir égalementpp. 732-733. Notre traduction:
"L'extradition est un acte nonual. Demander et accorder une extradition d'un ou vers un Etat étrangerest, en dehors
de tout traitécontraire, une prérogativedu gouvernement national d'un Etat. La procédureimplique nécessairement

l'existence deelations entre deux personnalitésjuridiques internationales. II faut la distinguer de la remise interéta­
tique aux Etats-Unis qui impLiquela remise, en droit interne, des fugitifs entre les subdivision politiques des Etats­
Unis,c'est-à-dire les différcntsEtats de 1'Union. Il faut égalementla distinguer de la déportationou de l'expubion

par lesquelles unétrangerest renvoyédu territoire de l'Etat pour des raisons àce dernier.s

Mêmesi en l'absence d'un traité,un Etat n'a en droit international, aucune obligation juridique d'agir ainsi, la plu­

part des Etats peuvent, en fonction de leur droit, extrader des fugitifs de leur justice vers un Etat étrangersans aucun128

4 - L'opinion des publicistes

5.38 Les travaux des publicistes de différentes nationalités s'accordent tous pour

reconnaître qu'il n'y a pas d'obligation d'extrader les auteurs d'infractions en droit coutumier.

Le principal ouvrage en langue anglaise admet ainsi (sous la rubrique "Absence de devoir

juridique d'extradition"):

"Although Grotius held that every state has the duty either to punish, orto surrender to the prosecuting
state, such individuals within its boundaries as have commited a crime abroad, no such rule forms part

of cus!Omary international law. On the contrary, states have always upheld their right to grant asylum to
foreign individuals as an inference from their territorial authority, excepting, of course, those cases

where a treaty imposes an obligation to extradite them"40.

5.39 Ce point de vue est confirmé par d'autres auteurs ou ouvrages qui font autorité,

notamment : la Sème édition deOppenheim 's International Law 41, le juge Oda 42, D.P.

O'Connell 43, Shearer 44, T. Stein 45, The Foreign Relations Law of the United States :

Restatement of the Law Third 46,et le juge Guillaume 47.

5 -La pratique des autres Etats

5.40 Sans entrer dans le détail,on doit cependant faire remarquer que la pratique suivie par

de nombreux Etats est conforme avec le principe en question. On peut, par exemple, faire

dition avec cet Etat. Toutefois, la plupart des Etats ont signédes accords d'extradition avec les Etats étrangers.Selon
le droit américain,les Etats-Unis ne peuvent accorder l'extradition qu'en vertu seulement d'un traité."

40 Oppenheim 's International Law, 9ème édition, vol. 1, éditépar Sir Robert Jcnnings and Sir Watt~r 1992, §
415, p. 948, plus particulièrement p. 950. Notre traduction: "Mêmesi Grotius affirme que chaque Etat a le devoir
soit de punir soil de remettreEtat poursuivant les individus se trouvant sur som territoire après avoir commis un

crime à l'étranger,une telle règle ne fait pas partie du droit international coutumier. Au contraire, les Etats ont tou­
jours maintenus leur droit d'accorder l'asile à des étrangerscomme une déductionde leur autoritéterritoriale, à l'ex­

ception, bien sûr. des cas où un traitéimpose une obligation de les extrader."
41 Oppenheim 'sInternationaLaw, Sèmeéd.par Sir Hersch Lauterpacht, vol 1,Londres, 1955, p. 696 (§ 327).

42 M. Sore.nsen, éditeur,Mmmal of PublicInternationaLaw, Londres, 1968, pp. 518-519, (chapitre rédigépar M. le
Professeur Shigeru Oda).

43 D.P. O'Connell,International Law2ème éd.,vol, II, londres 1970, pp. 720-721.
44 Shearer,Extradition iInternational Law, Manchester, 1971, pp. 23-24.

45 T. Stein, iEncyclopaedia of PublicInternationalLaw éditépar Rudolf Bernhardt, vol. 8, Amsterdam, 1985. pp.
222-223.

46 The Foreign Relations Law of the UnitedStares : Restaremelllof theThire!;adoptépar l'Institut de droit améri­
cain,St Paul, Minn. 1987, vol.§475, p. 559.

47 G.Guillaume, Terrorisme et droit international, R.C.AvoLI215, 1989 (III), pp. 354-355. 129

référence à celle du Japon 4!!, des Pays-Bas 49, de la Belgique 50, de l'Espagne 51, de la

Suisse 52, tous Etats qui subordonnent l'extradition à l'existence d'un traité ou à un principe

de réciprocité.

Cette règle ressort aussi implicitement de la rés.45/116 de l'A. G. des N. U. qui établit

un "Traité type d'extradition". Cette résolution souligne à plusieurs reprises la nécessité de

conclure des traités pour assurer l'extradition des délinquants. Ainsi, on lit notamment :

"L'Assemblée générale,

[... ] Convaincue gue la com:lusion d'accords bilatéraux et multilatéraux d'extradition contribuera
considérablement à accroître 1'efficacité de la coopération internationale dans la lutte contre la
criminalité,

[... ] Consciente gue dans bien des cas les accords d'extradition bilatéraux sont devenus caducs et

devraient être remplacés par des dispositions modernes qui tiennent compte de l'évolution du droit
pénal international,

1. Adopte le Traité type d'extradition annexé à la présente résolution, en tant qu'il constitue un cadre

utile, susceptible d'aider les Etats qui le désirent à négocier àtconclure des accords bilatéraux visant à
améliorer la coopération dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale;

2. lnvute les Etats membres, s'ils n'ont pas encore de relations con ventiannelles avec d'autres Etats
dans le domaine de l'extradition, ou s'ils souhaitent réviser leurs relations conventionnellesexistantes,à
tenir compte, ce faisant, du Traité type d'extradition;

[...]"

C • Le principe aut dedere aut punire

5.41 Certaines sources présentent le droit dans les termes du principe aut dedere aut punire

(ou judicare)_. Ainsi, Bassiouni décrit le principe comme une civitas maxima qui a accédéau
niveau d'un principe de jus cogens du droit international" 53_ Le point de vue du Professeur

Bassiouni a étéconfirmé par le juge Weeramantry 54

48 Voir Oda et Owada, The Practice of lapan in International Law 1961-1970, Tokyo, 1982~~ 155 ct 163; Japanese
Annual of International Law, voL 18 (1974),pp. 110-120; ibid., voL 19 (1975), pp. 153-154; ibid. voL 23 (1979-

1980),pp. 117-120.
49 1967 Extradition Act, art. 2 citépar Kuyper, 1.R.H., "The Netherlands Law on Extradition" in International Law in

the Natherlands, The Hague, Asscr lnstitute, Alphen aan den Rijn, 1p.215.
50 Loi du 15mars 1!!74 sur les extraditions, modile31 juillet 1985, art. ler, M. B., 17 mars 1874 et 7 septembre

1985.
51 Ley deErtradicion pasiva21 mars 1985, B.O.E., 26 mars 1986. citépar Adam Munoz, M.D., "Extradiccion",Rev.

Esp. 0.1., 1987p.303.
52 Loi sur 1'assistance judiciaire internationale en matièrepénale,20 mars 1981,!.LM.,81981, p.1341.

53 lntemationalExtradition : United States Laand Practice, 2ème éd.1987, p. xvi et pp. 13,22.
54 C.LJ. Recueil, 1992, p. 69.130

5.42 Le juge Ranjeva accepte également ce principe comme faisant partie du droit

international général:

"2. Sur la base du droit international général,confirmé par la convention de Montréal, le demandeur
bénéficie du droit d'option qu'exprime l'adage traditionnel : aut dedere aut judicare, ce droit est

opposable erga omnes et créél'obligation de mener e.ffectivement à terme, dans des conditions
régu1ières, une procédure relative à l'établissement de la responsabilité pénale dans 1'attentat de
Lockerbie. Le défendeur a cependant contesté ce droit du demandeur en le qualifiant d'"illusoire".

3. A l'analyse, la thèse du défendeur paraît contestable dans la mesure où elle commet une confusion.
En effet, ou bien le défendeur met en cause l'efficacité des dispositions de la confusion relatives à
l'extradition, ou bien il conteste le droit du demandeur d'exercer effectivement sa compétence en la

matière. Dans la première hypothèse, il s'agit d'un résultat déplorable qui n'atténue en aucune façon
la nature obiigatoire des prescriptions de la convention qui s'imposenà toutes les parties liées par
ledit instrument. Dans la seconde hypothèse, c'est une méconnaissance des "principe généreux de
droit reconnu par les nations civilisées", principes fondés sur l'égalitédes Etats et leur égale aptitude

à assurer\'exécution des obiigations de droit international" 55.

5.43 Que le principe de droit international généralsoit vu simplement en termes d'une

absence d'obligation d'extrader le suspect (voir supra, § 32-39) ou en termes du principe aut

dedere aut punire, il est parfaitement clair que, dans aucun des deux cas, il n'y a un devoir

d'extradition. 11est significatif que le système de la convention de Montréal coule le principe

aut dedere aut punire en disposition conventionnelle.

D - La souveraineté territoriale fonde le droit d'octroyer ou de refuser

l'extradition

5.44 Dans l'arrêt qu'elle a rendu dans 1'affaire relative au Drait d'as ile, 1a Cour a

délibérémentsouligné que l'aptitude à octroyer ou à refuser l'extradition est une conséquence

naturelle de la souveraineté territoriale. Selon les termes de l'arrêt;

"Dans le cas de l'extradition, le réfugiése trouve sur le territoire de l'Etat de refuge. Une décision

relativeà l'extradition implique seulement l'exercice normal de la souveraineté territoriale. Le réfugié
se trouve en dehors du territoire où a étécommis le délit et une décision de lui octroyer l'asile ne
déroge nullement àla souveraineté de cet Etal. Dans le cas de l'asile diplomatique, le réfugiése trouve
sur le territoire de l'Etat dans lequel il a commis le délit. La décision d'octroyer l'asile diplomatique

comporte une dérogation à la souveraineté de cet Etat. Elle soustrait le délinqàala justice de celui­
ci et constitue une intervention dans un domaine qui relève exclusivement de la compétence de l'Etat
territorial. Une telle dérogation à la souveraineté territoriale ne saurait êtreadmise, à moins que le

fondement juridique n'en soit établîdans chaque cas part.iculier" 56.

55 C.i.J., Recueil, 19p. 72.
56 C.i.J., Recueil, 1950, pp.274-275.r----

131

E- Le principe selon lequel il n'y a pas d'obligation d'extrader les nationaux

5.45 Les sources semblent généralementadmettre qu'il n'y a pas d'obligation d'extrader les

nationaux sauf en vertu de dispositions conventionnelles expresses. Ce principe, dans le

contexte du processus d'interprétation, constitue un autre élémentde la présomption selon

laquelle la convention de Montréal est compatible avec les principes du droit international

généraL

5.46 L'ouvrage qui fait autorité en ce qui concerne la pratique des Etats-Unis, le Digest de
Whiteman, présente le principe de la manière suivante :

"Under the laws of many countries and under many extradition treaties, the extradition of nationals of

the requested States is prohibited or is nonobligatorThis exemption of nationals from extradition
may result from specifie prohibitionof their extraditionlaw or from provision that the law or the
treaty providing for extradition applies otoaliens"57.

5.47 Whiteman présente le principe comme une norme générale,tout en acceptant que les

Etats puissent prévoir des exceptions dans leurs législations ss. Ainsi, le Royaume-Uni opère

une distinction entre ses propres nationaux et les autres personnes dont l'extradition de leur

territoire a étédemandée 59.Cependant, le fait que certains Etats consentent à l'extradition
des nationaux ne peut porter atteinte à 1'intégralitédu principe général.

5.48 A la lumière de ces éléments,la législation libyenne pertinente prévoit que la remise

de nationaux libyens n'est pas autorisée 60. A cet égard et à d'autres égards, la législation

libyenne est parfaitement compatible avec les dispositions de la convention de Montréal.

57 Whitem:m, Digest of International Law, 6,Departement of State Publication, 8350, février 19865.Notre
traduction : "En vertu de la législationde nombreux Etats et en vertu de nombreux traitésd'extradition, l'extradition

des nationaux de 1'Etat requis est interdite ou non obligatoire. Cene exemption ct'extradition des nationaux peut ré­
sulter d'une interdiction spécifiqueprévuepar la législationde l'Etat en matièred'extradition ou d'une disposition
selon laquelle la loi ou le traitéprévoyantl'ex:traditionne s'applique qu'aux étrangers."

58 Ibid,. 866.
59 Voir Oppenheim's international Law, 9ème édition,vol. 1, éditépar Sir Robert Jennings et Sir Arthur Watts, pp.
955-6 (§ 418).

60 Article 9 du Code pénallibyen, voir annexe no 2.132

5.49 En conclusion, l'interprétation sur laquelle ont insistéles Etats défendeurs est insolite.

Les dispositions essentielles de la convention de Montréal ont éténégligéesen tenant compte
des règles du droit international général.Le régime créépar la convention complète celui du

droit international général.Ayant tenu compte du droit positif, il est vraiment peu probable

que les parties à la convention de Montréal aient eu l'intention de retirer l'option de poursuite

devant les tribunaux nationaux.

Section 4 - Les droits fondamentaux de la personne humaine comme limitation à

l'extradi ton

A - La nature des limitations

5.50 L'objet de cette section consiste à développer la proposition que la remise est toujours

soumise à certaines limitations basées sur les principes concernant les droits fondamentaux de

l'homme qui font partie du droit international général.Le principe selon lequel l'extradition et

la remise sont gouvernées par des normes relatives aux droits de l'homme a étéadmis depuis
longtemps. Les auteurs citésci-dessous en acceptent le principe (par ordre chronologique) :

Shearer 61, J.H.W. Verzijl 62,T. Stein (il fait référenceaux "droits de l'homme fondamentaux

qui peuvent êtreconsidérés comme faisant partie du "jus cogens") 63, et G. Guillaume

(référenceà la convention européenne des droits de l'homme) 64.

5.51 L'opinion exposée par les auteurs précités implique que la reconnaissance de

l'extradition doit, en toutes circonstances, êtresoumise aux limitations dérivésdes normes ou
des principes relatifs aux droit de l'homme qui font désormais partie du droit international

général ou coutumier. Cette position découle de la nécessité logique selon laquelle

l'extradition, en tant que faculté dont chaque Etat dispose, doit êtreappliquée conformément

avec d'autres règles et principe, non moins importants, du droit international.

61 Shearer, Extradition in lnternarionci/ Law, Manchester, 1971, p. 86.
62 J.H.W. Verzijl, International Law in Historical PerspeCiive, vol. 5, Leiden. 1972, p. 301.
63 T. Stein, in Encyclopaedia of Public International Law, éditépar Rudolf8~e985, pp. 222-23.
64 G. Guillaume, Terrorisme et droit international, R.C.A.D.I., voL 215, 1989 (IH), pp. 363-64.~-
1

133

5.52 Dans ce contexte, il n'est pas surprenant de voir que les organes de la convention

européenne des droits de l'homme ont accepté que, dans certaines circonstances, la remise

d'un étranger à un pays particulier, peut constituer un "traitement inhumain" dans le sens de
1'article 3 de la convention 65.

5.53 A la session de Cambridge, en 1983, l'Institut de droit international a adopté sur "les

nouveaux problèmes de l'extradition"; l'article 4 dispose que :

"lV. la protection des droits fondamentaux de la personne humaine

Dans les cas où il existe de sérieuses raisons de craindre que l'accuséne soit victime d'une violation
des droits fondamentaux de la personne humaine sur le territoire de l'Etat requérant. l'extradition peut
êtrerefusée,quelles que soient la personnalité de l'individu réclaméet la nature de l'infraction dont il

est inculpé"66.

5.54 L'article 4 a étéadopté par 31 voix contre 1, avec abstention 67.L'ensemble de la
résolution a étéadopté par 26 voix, contre 6 abstentions 68.

5.55 Selon la Libye, la résolution adoptée à Cambridge par l'Institut de droit international

est une formulation correcte du droit coutumier en vigueur.

B-Le droit au procèséquitable comme limitation à la remise

5.56 Il est impossible que les deux suspects obtiennent, dans Jes circonstances actuelles, un
procès équitable aussi bien en Ecosse, qu'aux Etats-Unis (les bases factuelles de cette

conclusion seront présentéesci-après). La Libye soutient également que le droit international

généralimpose la condition selon laquelle l'extradition n'est pas permise quand il n'existe pas

une possibilité raisonnable d'organiser un procès équitable.

65 Voir X contre Républiquesfédéraled"Ailemagne, 6 octobre 1962, demande n° 1465/62; Annuaire de la Convention
européennedes droits de l'homme. vol. 5 (1962), p.256, et l'affaire Soering, Coureur. D.H., sérieA, n° 161, pp. 32-
45.

66 Annuaire de l"lnslilul de droit international, session de Cambridge, vol. 60-11,1984, p. 307
67 Ibid, pp. 279-80

68 Ibid, pp. 282-83134

5.57 Il ne fait aucun doute que les conditions dans lesquelles l'extradition doit avoir lieu

doivent êtrecompatible avec les droits fondamentaux de l'homme comme cela a étéaccepté
par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Soering. Il ne fait également

aucun doute que le droit à un due process a le statut d'un droit fondamental de ta personne

humaine.

5.58 L'Acte final de la Conférence d'Helsinki de 1975 contient une "Déclaration sur les
principes régissant les relations mutuelles des Etats participants". Cette déclaration contient

une partie relative aux droits de l'homme dont l'un des paragraphes stipule que:

"Dans le domaine des droit de l'homme et des libertés fondamentales,les Etats participants agissent
conformèment aux buts et principe de la Charte des Nations Unies eà la Déclaration universelle des
droitsde l'homme. Ils s'acquittent également de leurs obligations telles qu'elles sont énoncéesdans les
déclarations et accords internationaux dans ce domaine, par lesquels ils peuvent êtreliés".

5.59 Il est évident que les Etats participants reconnaissent que les normes relatives aux
droits de l'homme font partie du droit international général: ainsi le Digest of United States

Practice in International Law 69, intègre la Déclaration laquelle il vient d'êtrefait référence

dans le paragraphe précédentsous le titre "droits et devoirs des Etats".

5.60 Le paragraphe de la "Déclaration sur les principes" cités précédemment (paragraphe
5.58) montre que les Etats participants à la Conférence d'Helsinki ont clairement accepté les

obhgations incluses dans les Pactes internationaux relatifs aux droits de 1'homme. Le

Royaume-Uni et les États-Unis ont, bien évidemment étéparmi les Etats participants, et
comme la Cour a eu l'occasion de l'affirmer dans l'affaire. relative à la Barcelona Traction,

"les droits fondamentaux de la personne humaine" donnent naissance à des obligations erga
7
omnes" 0.

5.61 Dans le mêmesens, il est nécessaire de rappeler que l'article 14 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques dispose que :

"1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi

par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit
des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcée
pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l'intérêtdes bonnes moeurs, de l'ordre public ou de

69 Dépanement d'Etat américain, 1975, p. 7.
70 C.I.J.Recueil, 1970, p. 32. 135

la sécuriténationale dans une sociétédémocratique, soit 1orsque 1'int e la vie privéedes parties en
cause 1'exige, soit encore dans la mesure où le tribuna! 1'estimera absolument nécessaire, lorsqu'en
raison des circonstances particulières de l'affaire la publicité nuiraaux intérêtsde la justice;

cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêtde mineurs
exige qu'ilen soit autrement ousile procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des
enfants.

2. Toute personne accuséed'une infraction pénaleest présuméeinnocente jusqu'à que sa culpabilité ait

étélégalementétablie."

5.62 A cene fin, 1'article V du Projet d'articles élaboré par 1'Association de droit

international (International Law Association) sur l'extradition et les actes de terrorisme peut

également êtrerappelé. Cet article invoque "les normes de procès équitable requises par les

règles de droit international applicables" et le Commentaire lie essentiellement cela à l'article
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 7 .

5.63 L'intention affichéedes Etats défendeurs est de soumettre les deux accusés à un procès

et cela ne peut êtrequ'un procès conforme aux normes internationales. L'exigence d'un
procès équitable que l'on trouve dans le premier paragraphe de l'article 14 est un droit

fondamental de la personne humaine. L'article 14 est sujet, dans certaines circonstances

exceptionnelles, à la procédure de dérogation envisagée par 1'article 4 du Pacte (danger public

exceptionnel menaçant J'existence de !a nation). Mais, on ne peut retenir cette circonstance

dans la présente affaire puisqu'un procès est envisagé. Ainsi, un tel procès doit êtreconforme
ou standard du due process. Dans les circonstances actuelles, étant donné que le droit

international généralest applicable, et puisque les Etats défendeurs ont, si l'on peut dire, fait

leur choix, iln'est pas question de déroger à l'article 14. Si un procès doit avoir lieu, le

standard applicable est celui du due process.

C -Dans les circonstances de l'espèce, un procès équitable est impossible

5.64 Dans les circonstances de l'espèce, il n'est pas possible que les ressortissants accusés

aient droit à un procès équitable aussi bien aux Etats-Unis qu'au Royaume-Uni. Pour trois

raisons principales, au moins :

71 VoirRapport de lSoixcmleroisième conferenee organiséVanovie, 1968,plusparticulièrementp. 1040.136

Premièrement, le recours à un matraquage médiatique et à l'exploitation tendancieuse

d'informations qui a caractériséla publication des accusations et des développements qui ont

suivi.

Deuxièmement, particulièrement dans le contexte américain, l'importante propagande

anti-libyenne.

Troisièmement, l'utilisation constante d'un vocabulaire tendancieux dans 1es

déclarations officielles présentant les accusés comme "agents libyens" et présumant leur

culpabilité.

5.65 Les déclarations qui ont étépréjudiciables à la perspective raisonnable d'un procès

équitable sont, notamment, les suivantes 72:

(i) Il y a tout d'abord l'importante conférence du Département d'Etat dirigée par

Richard Boucher le 14 novembre 1991. Dans cette conférence, M. Boucher affirme que le

Gouvernement américain n'a aucun doute sur la culpabilité des accusés 73.

5.66 (ii) Il y a une publication du Département d'Etat en date de novembre 1991, et

intitulé Libya's Continuing Responsibility for Terrorism (La responsabilité continuelle de la
Libye dans le terrorisme) 74.Cette publication contient des passages qui vont jusqu'à affirmer

la responsabilité libyenne dans la destruction du vol 103 de la Pan Am 75

5.67 (iii) En avril 1992, le Département d'Etat a publié Patterns of Global Terrorism :

1991 (Modèles du terrorisme global : 1991). Comme la précédente,cette publication présente

la Libye et ses responsables comme une pièce importante sur 1'échiquier du terrorisme
international. Dèsla première page, le document décrit les deux suspects comme "deux agents

libyens" 76.

72 Certains documents repris dans les anne;;;:eset cités ci-dessous, comportent des allégations. que la Libye conteste,

concernant la responsabilité de la Libye et la culpabilité des deuxdans l'attentat de Lockerbic. Ces docu­
ments ont pourtanttéjoints au présentmémoire pour en faciliter la compréhension. Leur présence dans les annexes
n'implique évidemment pas reconnaissance par la Libye du contenu de ces allégations.

73 Extrait de la conférence de presse- 14 novembre 1991 -périodique du Département d'Etat, voir annexe 11.
74 United States Department of State, Ubya 's ContiRe.1pon.mbi!ifor Terrorism , novembre 1991, voir anne;;;:e
53.

75 Ibid., voir p. 2
76 United States Department of State, Patterns of Global Terrorism: 1991, avril 1992, voir annexe n" 140. 137

5.68 (iv) Dans le communiqué de presse du ministère américain de la Justice, en date du

14 novembre 1991, le ministre de la Justice de l'époque affirme avoir annoncé la mise en

accusation des "deux responsables d'une agence de renseignement du gouvernement de

Libye" 77_

5.69 (v) Enfin, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont présentédes demandes formelles à

la Libye le 27 novembre 1991 à propos de l'attentat de Lockerbie. Le texte de la déclaration

spécifiait que la Libye devait :

-"livrer, afin qu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui sont accusésde ce crime et assumer l'entière
responsabilité des agissements des agents libyens;

- Divulguer tous les renseignements en sa possession sur ce crimy,compris les noms de tous les
responsables, et permettree libre accèàtous les témoins, documents et autre preuves matériellys,

compris tous les dispositifs d'horlogerie restants;

- Verser des indemnitésppropriées"78.

5.70 Cette déclaration est directement liée aux accusations qui on étélancées avec
beaucoup de publicité le 14 novembre J991. La première et la troisième demande impliquent

clairement la responsabi 1ité étatique de la Libye et, par conséquent de la culpabilité

individuelle des deux accusés.

5.71 La présomption de culpabilité qui apparaît dans les déclarations et les actions des

représentants des deux Etats défendeurs sont amplifiées par les médias aux Etats-Unis et en

Grande-Bretagne. Comme les accusés seraient jugés par un jury dans des pays où l'influence

des médias est dominante, il importe de souligner comment ceux-ci ne peuvent qu'influencer

un jury quelconque.

5.72 A la présomption de culpabi 1ité ressortant avec évidence des déclarations et

agissements des représentants des Etats défendeurs, s'ajoute que les médias aux Etats-Unis et

au Royaume-Uni continuent de se référer aux deux accusés d'une façon hautement

77 Communiqué de presse du ministèreaméricain de la Justice. 14 novembre 19n°1O.nexe
78 (C'est nous qui soulignons). Déclaration publiée par le Gouvernement britannique le 27 novembre transmise le

20.12.1991 par le Représentant du Royaume-Uni auprès de I'O.N.U. et adressée au Secrétaire général.Doc. ONU
A/46/826- S/23307, vannexe n° 45.138

préjudiciable au procès équitable. Concrètement, les accusés devraient se soumettre au

jugement d'un jury dans les sociétésoù J'influence des médiasest envahissante. Le contexte

du traitement des deux accusés par les médias inclut la pro\ ifération de déclarations

officielles, dont les plus significatives ont étéanalyséesci- dessous.

5.73 Il est possible d'identifier trois types distincts de traitement préjudiciable par les

médias. La première catégorie consiste en de nombreux articles vedettes concernant le
terrorisme dans le monde arabe, qui font figurer les deux accusés parmi un ensemble de

personnes présentéescomme des terroristes bien connus. La façon dont Newsweek a couvert

l'attentat contre de World Trade Center constitue un exemple de ce traitement. .

5.74 Newsweek a publiédans son numérodu 8 mars 1993 un "reportage spécial" 79. Celui­

ci étaitintitulé "The Hunt Begins" (La chasse est ouverte). L'article comprenait une sériede

photographies placées sous le titre "The Uses of Terror" (Les usage de la terreur). Les six

photographies étaientintroduites par le texte suivant :

"Last week authorities wouldn't say whether the blast was the work of terrorists. But the United States

has many enemies practised in the art of murder writ large. Among them ..." 80.

5.75 Une des photographies était celle de Lamen Khalifa Fhimah, et la légende indiquait

qu'il était "un des deux agents de renseignement libyens inculpésdans le cadre de l'attentat à

la bombe contre l'avion 103 de la Pan Am".

5.76 Un deuxième type de traitement préjudiciable consiste en des récits détaillésau sujet

de l'affaire de Lockerbie, dans lesquels on affirme que les deux libyens sont les auteurs de

1'attentat, sans avoir égard au fait que les preuves doivent encore êtresournises à une
appréciation indépendante et que les deux libyens sont accusés mais n'ont pas étéreconnus

coupable par un tribunaL L'article vedette de Newsweek dont il a étéquestion ci-dessus entre

également dans cette deuxième catégorie. Il signale, en termes factuels, que le FBI "a

finalement conclu- après trois ans d'enquête- que les auteurs de l'attentat étaientdeux agents

79 The HuntBcgins,Ne:wsweek,8 mars 1993, pp. 18-22,annexen° 180.

80 Ibid. Notre traduction: "La semaine dernière, les autoritésne voulaient pas dire si l'explosion étaitl'oeuvre de terro­
ristes.ais les Etats-Unis ont de nombreux ennemis passés maîtres dans l'art du unergrande échelle.
Parmi ceux-ci ..." 139

1
secrets libyens." 8 • L'éditorial publié dans le Daily Telegraph de Londres du 16 novembre
1991 constitue un autre exemple; Dans cet éditorial, on pouvait lire "le nom des deux libyens

soupçonnés d'êtreresponsables de ce massacre d'innocents est maintenant connu" 82.

5..77 Les exemples suivants des médiasbritanniques et américains couvrent la périodeallant

de novembre 1991 àjuiiJet 1992 83.

- Guardian 14/11/91
- Guardian 15/11191

- Daily Te1egraph 15/11/91

- Daily Mail 15/11/91
-Times
15111191
- Financial Times 15/11/91

- Financial Times 15111191

- Independent 15/11191
- Daily Telegraph
16/11/91
- Guardian 16111/91

- Sunday Telegraph 17/11/91

-Dow Jones Wire 27111191
- The Scotsman 29/ll/91

- Guardian 28/2/92

- Guardian 28/2/92

-The Independent 6/3/92
- Reuters 17/3/92

- Guardian 28/3/92

- Economist 28/3/92

-Mail on Sunday 5/4/92
-Independent 16/4/92

-Times 27/4/92

- Independent 1117/92

81 Ibid.. p. 22 du "reportage spécial"
82 Dai!yTelegraph. 16 novembre 1991, voir annexe n° 24.
83 Voir annexes° 14, 15, 16,17, 18, 19,20, 21, 24, 25, 30, 49, 52, 100, 101, 109, 114, 122, 123, 128, 133, 138 et !56.140

5.78 La troisième catégorie de traitement préjudiciable à un procès équitable consiste en

des articles qui affirment, de manière répétée et sournoise, sans jamais en donner la moindre

preuve, que les deux suspects sont membres des services secrets libyens. Ainsi, dans le Daily

Telegraph de Londres du 15 novembre 1991, un article du correspondant diplomatique était

consacré aux deux suspects libyens. Les premiers paragraphes de cet article étaient rédigés

comme suit:

"The two men wanted for the Lockerbie bomb plot are middle-ranking operatives in Libyan
intelligence, and not the masterminds. Their qualitïcations are absolute loyalty to Col. Gaddafi and

technical knowledge of airlines and airport security.

Of the two, Abdel Basset Ali Al-Megrahi, 39, is believed to be the more senior, operating under the

cover of chief of airline security.

The other, Al Amin Khalifa Fbimah, 35, if a legman, required for his knowledge of Malta's Luqa
airport, where he had worked as station manager for Libyan Arab Airlines.

Ttwas at Luqa airport that the bomb suitcase was put on board an Air Malta flight to Frankfurt using
stolen baggage tickets. This detail ensured that the bomb was transferred to a Pan Am flight from

Frankfur to London and then on the fated jumbo jet.

According to American intelligence 30 percent of Libyan Arab Airlines staff abroad are intelligence

oftïcers, Libyan airline employees have been implicated in supplying am1s to the I.R.A." 84.

5.79 On pourait multiplier les exemples de telles affirmations. le Dai/y Mail de Londres

portait le titre : "les agents secrets libyens accusés de 1'attentat de Lockerbie." (15 novembre
1991). On a pu lire des descriptions semblables dans les médias au cours de la période allant

de novembre 1991 à juillet 1992 et les exemples sont reproduits en annexe 85 .

84 Voir annexe n ° 16. Notre traduction: "Les dcu){ hommes recherchés dans le cadre de l'attentat à !a bombe de
Lockerbie sont des agents de rang moyen des renseignements libyens, ct non les cerveau){. Ils ont étéchoisis pour
leurloyauté absolue au Colonel Kadhafi et leurs connaissances techniques dans le domaine des compagnies aé­

riennesetde la :;écuritédes aéroports.

Abdel Basset Ali Al-Megrahi, 39 ans, passe pour êtrele plus important des deux hommes. Il agissait sous le couvert

de Chef de la sécuritéd'une compagnie aérienne.

L'autre, Al Amin Khalifa Fhimah, 35 ans, n'était'une petite main. Il a étéengagépour sa connaissance de l'aéro­
port de Luga à Malte, oilavait travaillécomme Chef de service pour la Libyan Arab Airlines.

C'est à l'aéroport de Luga que la valise contenant la bombe a étéembarquée à bord d'un avion d'Air Malta à desti­
nation de Francfort, en utilisant des tickets de bagages volés. De cette manière, la bombe a ététransportée à bord

d'un vol de la Pan Am assurant la liaison entre Francfort et Londres el ensuite à bord du jumbo jet "condamné".

Selon les services de renseignements américains, 30 pour cent du personnel de la Libyen Arab Airlines à l'étranger

sont des agents de renseignements. D'autre part, des employés de la compagnie aérienne libyenne on étéimpliqués
dans la livraison d'armes à l'IRA"

85 Voir annexes 11°13, 15, 16, 17, 18,1, 19, 20, 28, 25, 24, 30, 52, 85, 89, 95, 96, 99, 107, 108, 114, 116, 118, 119,
121, 123, 128, 130, !35, 136et 156. 141

~Financial Times 14/11191
- Guardian 15/11/91

- Daily Telegraph 15111/91

- Daily Mail 15111191
-Times 15111191

- lndependent 15111191

- Financial Times 15111/91
- Financial Times 15111/91

- Daily Express 16/11/91
- Guardian 16/11191

- Daily Telegraph 16/11/91

- Sunday Telegraph 17111191
- Scotsman 29111191

- lndependent 21101/92

- New York Times 9/2/92
- Daily Telegraph 17/2/92

- Daily Mail 18/2/92

- Financial Times 25/2/92
- Financial Times 5/3/92

- Daily Telegraph 5/3/92
- Reuters
17/3/92
- Financial Times 18/3/92

- Reuters 23/3/92
- Guardian 24/3/92

- Guardian 27/3/92

- Economist 28/3/92
-Mail on Sunday 5/4/92

- Economist 11/4/92
- lndependent on sonday
19/4/92
- Sunday Times 19/4/92

- lndependent 1117/92

5.80 Qu'un Gouvernement placédans la position analogue à celle où se trouve maintenant

la Libye ne souhaiterait pas remettre ses ressortissants, est illustrée par la décision récente du
Procureur généralirlandais de ne pas recommander l'extradition vers le Royaume-Uni dans

l'affairePatrick Ryan (13 décembre 1991). Ce dernier, recherché au Royaume-Uni en tant que
suspect dans des actes de terrorisme, a d'abord fait l'objet d'une demande d'extradition142

britannique adressée aux autorités belges. Le Gouvernement belge, au tern1e de la procédure,
a refusé de répondre favorablement à la demande 86. Après avoir étélibéré,Patrick Ryan est

alors arrivé en Irlande à bord d'un avion militaire belge. Les autorités britanniques ont donc

formulé une nouvelle demande d'extradition adressée cette fois à leurs homologues irlandais.

5.81 Le Procureur généralirlandais a refusé de recommander une réponse favorable à la
demande britannique d'extradition car une série de déclarations officielles avait enlevé toute

pos sibi1ité d'organiser un procès équitab 1e au Roy au me-Uni. Le par ali èle avec 1es

circonstances présentes est clair et les passages citésci-dessous de la déclaration du Procureur
généralirlandais expliquant sa décision sont lumineux:

"13.In the present case also, matter has been published in Britain which the Attorney General has been

obliged to consider. Before reahing a conclusion with regard to these matters the Attorney General
directed that a full report be prepared for his consideration on the widespread publicity given to this
case in Britain.Such a report was prepared and was submitted to the Attorney General. With the
assistanceof this report and other information avaible to him the Attorney General had the opportunity
of examining the depth and breadth of the material published in Britain to an extent probably not

possible for the most people.

14. The material in question consists of reference to Patrick Ryan which have appeared in newspapers,
particularlyin newspapers with a large circulation, and on radio and television, over a protracted period.

They consisted, inter alia, of attacks on Patrick Ryan"s general character, often expressed in intemperate
language and frequently in the form of extravagantly worded head!ines, and also assertions of his guilt
of the offences comprissed in the warrants and, indeed, assertions of his guilt of other offences in
respect of which no charges have been brought. Many of these statements were expressed in a form
which would [ead the public to believe that they came, directlyr indirectly, from sources who were in

possession of facts which conclusively established their truth. Ttis also clearly apparent that a wide
range of reports contained or were based on information which could only have originated from some
official source.

15. An equally serious matter is the making of certain statements in the House of Commons. The tone,

tenor and comments of much of what was said carried an assumption or inference of guilt on the part of
the persan named in the warrants issucd by the the Court in London. Many members scrupulously
avoided saying anything prejudicial. The prejudicial statements werc perhaps, epitomized by the
making of a direct attribution of guilt by one backbench member on the very first day on which the
matter was mentioned and subsequently by the hostile reception received by another member from a

signifîcant number of backbenchers because he qualified the word 'terrorist' with the word 'alleged'.
The House of Commons proceedings were widely and fuly reported in the media. They raised the case
to a unique status and can only have intensified the impact and lasting effect on members of the public
of what was being published in the written and broadcasting media. Further, the Statements in the
House of Commons must, because of their origin, carry particular weight with potential jurors.

!6. That being so, the Attorney General has had to consider whether it is open to him to ignore the
effectof these statments on members of a jury which would try Patrick Ryan if he were extradited to
Britain. He has concluded that he cannot ignore it.

Every citizen has a constitutional right to a fair trial. The SupremeCourt has made it clear that the
Extradition Act 1965 ought not to be operated in such a manners asto violate the constitutional rights of
those afected by its operation, and even where the expressed statutory requirements have been fullfiled,
the Act may not be administrated or applied in a way which would infringe such constitutional rights

86 E. David,Chronique delapratiquebelgedu pouvoir exécutiR.B.D.I..1991 ·1,pp.199-205. 143

The right to a fair trial includes a right to protection againts the creation of prejudice or animosity in the
minds of potential _jurors such as would effectively deprive a person of the right to a non-biased trial.

The assumption of innocence îs not a procedural rule governing the onus of proof at a trial. It is a
fundamental principe of substantive law.

Any decision to prosecute implies no more than that there 1s an issue to be tried as to whether the
persans charged is guilty or not guilty.

17. ln the opinion of the Attorney General the effect of the material which has been published has,

manifestly and inescapably, been to create such prejudice and hostililty to Patrick Ryan that, were he to
be exlradited to Britain, ît would not be possible for a jury to approach the issue of his guilt or

innocence free from bias. Having regard to the extreme nature and extent of the prejudicîal material
published, the Attorney General has had to concluded that this prejudice is irredeemable. No direction

to the jury by the trial judge to ignore the prejudicial matter to which they have been exposed could be
effective in removing the bias which has been created.

18.That being so, the Attorney General is of the opinion that it would be improper, and an abuse of the
proceHs of the courts, to initiate extradition proceedings in this case. The initiation of such proceedings,

in the face of the objective evidence before the Attorney General in the case, would be to operate
legislation in a manner which would violate the constitutional and fundamental rights of the persan

affected by its operation.

The due process of law is intended to do justice in each individual case. Ir would be against the public
interest to abandon that ptinciple for the sake of broader policy considerations" 87.

87 Déclaration du Pro!:ureur généralirlandais du 13 décembre 1988, voir annexe n° 6. Notre traduction: "13. Dans le
cas présentégalement, l'affaire en questiona étépubliéeen Grande-Bretagne et le Procureur générala étéobligéde
prendre cela en considéralion. Avant d'en arriver ii !:e.tteconclusion, le Procureur générala demandé qu'un rapport

complet soit préparépour qu'il puisse tenir compte de la large publicitédonnée àcette affaire en Grande-Bretagne.
Un tel rapport fut préparéet soumis au Procureur général.Grâce à ce rapport et à d'autres informations mises à sa
dispositîon,le Pro!:ureurgénérala eu la possibilité d'examiner la profondeur et l'ampleur des documents publiésen

Grande-Bretagne jusqu'à un point qui n'a probablement pas étépossible pour la plupart des gens.

14.Les documents en question consistent en des référencesà Pa1rick Ryan apparues dans des journaux, particulière­
ment dans des journaux de grand tirage, à la radio et la télévision,pendant une longue période. Ils consistaieinter

a/ia,en attaques sur le caractère généralde Patrick Ryan souvent exprimées dans un langage excessif et fréquem­
ment sous la tiJrme de titres extravagants, et aussi des assertions sur sa responsabilité dans les attentats évoquésdans

les actesd'ac!:usation mais également, des asscrt.ions sur sa responsabilité dans d'autres attentats pour lesquels aucu­
ne charge n'avait étéretenue contre lui. Plusieurs de ces déclarations ont étérédigéessous une fomte qui a conduit le
public à croire qu'elles provenaiem, directement ou indirectement de sources qui étaient en possession d'éléments

établissantdéfinitivement la vérité.JI est égalementmanifeste que plusieurs rappons contenaient ou étaicmbaséssur
des informations qui ne pouvaient provenir que de sources officielles.

15. Il a fallu égalementtenir sérieusementcompte de certaines déclarations de la Chambre des Communes. Le ton, la
teneur etJecontenu de beaucoup de cc qui a étédit a eu !:Ommeconséquence soit l'aftïrmation, soit la conclusion de

la culpabilitéde la personne nommée dans l'ade d'accusation délivrépar la Cour de Lündres. Plusieurs membres on
scrupuleusement évitéde dire quelque chose de préjudiciable. Les déclarations préjudiciable ont peut-êtreétérésu­

mésdans l'affirmation de la culpabilitéde la personne en question par un membre du Parlement le premier jour pen­
dant lequel l'affaire étémentionnée, et par la suite par l'a!:cueil hoslile qu'un autre membre reçut par un nombre
important de parlementaires en raison du fait qu'il avait ajoutéau mot 'terroriste" l'adjectif 'prétendu".le débatde la

Chambre des Commune ,é~télargement et complètement rapporté par la presse. Les parlc.me.ntaires ont donné à
cene affaire un statut particulier, ils en ont intensifiéJ'impact et fait durer l'effel sur le public de ce qui avait déjàété
publiépar la presse écriteet audiovisuelle. De plus,les déclarations de la Chambre des Communes peuvent, en rai­

son de leurs origines, avoir une certaine influents sur les juréspotentiels.

16.Dans ces circonstances, le Procureur générala du prendre en considération Je fait de savoir s'il lui étaitpossible
d'ignorer les conséquences de ces dédarations sur les membres du jury qui aurait à juger Patrick Ryan s'il étaitex­

tradécers la Grande-Bretagne. Il a conclu qu'il ne pouvait l'ignorer.

Chaque citoyen a un droit constitutionnel àbénéficierd'un procès équitable..La Cour suprêmea clairement c.xpliqué
que la loi sur 1'extradition de 1965 ne devait pas êtreappliquéed'une manière qui violerait les droits constitutionnels 144

5.82 La République d'Irlande fournit un exemple de la réaction d'un Gouvernement

familier avec 1'étatde droit ("rule of law") à une situation essentiellement identique à celle à

laquelle doit faire face l'Etat demandeur. De plus, dans l'affaire Ryan, l'Etat qui demandait

l'extradition étaitle Royaume-Uni. Il est évident que le Procureur généralirlandais considère

le principe en question comme essentiel. Il décrit le droit à un procès équitable comme "un

principe fondamental de droit" (§ 16) et affirme que la mise en oeuvre de 1'extra dition

"violerait les droits constitutionnels et fondamentaux" de la personne concernée (§ 18).

D - Autres droits de l'homme pertinents

5.83 Il est évident que 1'enlèvement d'un individu contre sa volonté, résultant de

l'utilisation de la force contre sa personne, constitue une violation des droits de l'homme,

entre autres le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas être soumis à un

traitement cruel, inhumain ou dégradant 88_

de ceux qui sont concernés par cette opération,et que mêmedans les cas où les conditions législativesexprimées ont

étésatisfaites, la loiem pas êtreappliquée d'une manière qui violerait ces droits constitutionnels. Le droit à un
procèséquitableimplique un droit la protection contre la créationde tout préjugéou de toute personne de son droit à

un procès impartial. La présomptiond'innocence n'est pas une règleprocédurale qui gouverne la charge de la preuve
à un procès. C'est un principe fondamental de droit.

La décision de poursuivre en justice veut simplement dire que l'on doit réglerla question de savoir si une personne
accuséeest coupable ou non coupable.

17. Selon le Procureur général,les documents publics ont, manifestement et inévitablement, pu créerun tel préjugéet

une telle hostilitéà l'encontre de Patrick Ryan qui, s'il étaitextradévers la Grande-Bretagne, il ne serait pas possible
pour un jury de résoudrele problème de sa culpabilitéou de son innocence sans êtrepartial. Ayant pris en considéra­
tion la nature extrêmeet l'ampleur des documents publiés, le Procureur Généralen a conclu que le préjudiceétaitir­

rémédiable.Aucune indication donnéepar le juge au jury pour que ce dernier ne tienne pas compte des documents
préjudiciables auxquels, ils ont étéexposél\ne pourrait êtreassez efficace pour écarterle préjugéqui a étécréé.

18. Ainsi donc, le Procureur généralpense qu'il serait impropre, et que ce serait abuser de la procédure, de prendre
l'initiative de l'extradition dans cette affaire. une telle initiative, puisque le Procureur généraldispose d'une

preuve objective dans cetŒ affaire, aurait pour conséquence d'exploiter la législationd'une manière qui violerait les
droits constitutionnels et fondamentauxla personne concernéepar cene opération.

Le due process of law est destinéà faire justice dans chaque cas individuel. Ce serait aller cont ublic queêp

d'abandonner ce principeu profit de vastes considérations politiques".
88 Voir convention internationale sur les droits civils et politiques, articles 7 et 9, paragraphe 1. La saisie de personnes

soupçonnéesde délitspardes agents d'un Etat sur le territoire d'un autre Etat, et sans consentement de ce dernier, est
qualifiée.d'"enlèvement" dans la 1ittératurejuridique : voir, par exemple, Restatement of the law Third, The Foreign
Re/arionsLaw of the united 5'tates,vol. 1, p. 331 (American Law lnstitute, 1987). 145

5.84 L'utilisation de sanctions en vertu de la résolution 748 du Con sei1 de Sécurité,

renforcée à certains moments par des menaces bilatérales de recours à la force contre la

Libye, constituent des circonstances analogues à celles d'un enlèvement. L'jntention est de

contraindre par la force institutionnelle du Conseil de sécurité les autorités 1ibyennes à
remettre les deux suspects. Tant en ce qui concerne les autorités libyennes que les deux

individus concernés, cette remise serait réaliséecontre leur volontéet sous la contrainte.

5.85 La remise réalisée dans de telles conditions, et en l'absence de toute justification

légale,constituerait un traitement cruel, inhumain et dégradant et serait incompatible avec les
normes en matière de droits de l'homme qui font partie du droit international général.Une

telle remise constituerait également une violation du droit à la sécuritéde la personne, qui est

également un droit reconnu par le droit international général.

5.86 L'enlèvement en tant que tel a étéreconnu comme une violation du droit international

par des responsabilités du Gouvernement américain. En 1980, l'Office of Legal Counsel

(Bureau du Conseil juridique) du ministère de la Justice a émis l'opinion que, si le

Gouvernement étranger sur le territoire duquel la saisie a eu lieu proteste, l'enlèvement viole

le droit international 89. En 1989, Abraham Sofaer, Conseiller juridique du Département

d'Etat a, lui aussi, émis l'opinion que les enlèvements du territoire d'un Etat étranger obtenus
par Ja force étaientcontraires au droit des nations 90.

5.87 L'illégalitéde l'enlèvement est confirmée par diverses autres sources américaines.

Ainsi, le Restatement C?fthe Law Third prévoitque :

"A state's law enforcement officers may exercice their functions in the terrîtory of another state only
with the consentof the other state, given by duly authorized oftofithat state 91_

89 Voir conception de l'extra-territorialitédu Federal Bureau of Investigation (Bureau fédérald'enquêtes),4B Op. Off.

Legal Counsel 543 (1980); citépar Glennon, American Journal of International ù1w, vol. 86 (1986), p. 746.
90 Hearing before the Subcomm, on Civil and Constitutional Rights of the House Comm., on thlOlèCong,ry,
I"Sess.1 (1989); citéparGlennon, op. cit., p. 747.

91 The Foreign Relations Law of the United States (American Law lnstitute), 1987 vol. 1, pp. 328-29 (paragraphe
432(2)). Notre traduction: "Les fonctionnaires chargésde l'application de la loi d'un Etat ne peuvent exercer leurs
fonctions suleterritoire d'un autre Etat qu'avec le consentement de l'autreparades fonctionnaires dû­

ment autorisés decet Etat'".146

5.88 Les Reporters'Notes ajoutées au paragraphe 432 font référenceà différents précédents

internationaux, entre autres la réaction de la Suisse dans 1'affaire Jacob de 1935 (enlèvement

par des agents allemands) et la réaction du Conseil de sécuritéau sujet de l'enlèvement

d'Eichmann d'Argentine par des agents israéliens 92_

5.89 Dans ce contexte, il n'est pas sans intérêt de faire référenceà la décision rendue par la

Cour suprême des Etats-Unis dans l'affaire Etats-Unis contre Alvarez Machain 93. Cette

décision comportait 1'application d'un précédent de la Cour suprême indiquant que

l'enlèvement illégal d'un défendeur ne fait pas obstacle à l'exercice de la juridiction et
donnant également une interprétation controversée du Traité d'extradition signé entre les

Etats-Unis et Mexico. Cette décision a étévivement critiquée par les spécialistes américains,

qui alléguaient qu'elle ignorait manifestement les principes pertinents du droit international

généralen matière d'enlèvements obtenus par la force. De telles critiques ont étéformulées

par le Professeur Louis Henkin, Président de l'American Society of International Law 94 et

par le Professeur Michael J. Glennon 95. JI ne fait aucun doute que ces critiques sont
justitïées. Cependant, il est signitïcatif que la Cour a évitéd'adopter la proposition selon

laquelle les enlèvements étaientpermis en droit internationaL Au contraire, la Cour admet que

l'enlèvement "peut êtreune violation des principes du droit international général" 96.

92 ibid., pp. 331-32.
93 60 U.S.L.W. 4523 (U.S 15juin 1982) (no 91-712).
94 ASIL Newsleller, janvier-février 1993.

95 American Journal of International Law, vol. 86pp.746-56.
96 60 U.S.L.W.at4527. 147

E - Dans ces circonstances, l'extradition est incompatible avec les principes des

droits fondamentaux de la personne humaine

5.90 Si l'on estime que la Cour de Montréal est ambiguë, alors selon les principes inclus

dans l'arti cie 31 de la convention de Vienne, "il sera tenu compte ... (c) de toute règle

pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties". Les exigences

relatives aux droits de l'homme pour un procès équitable constituent une règle pertinente à ce
sujet. Cette approche représente un moyen efficace de rechercher l'intention des parties.

Comme la souligné Sir Hersch Lauterpacht, "quand l'intention des parties n'est pas claire, on

doit supposer qu'elles ont envisagé un objectif en conformité avec le droit international" 97.

5.91 Comme la Cour européenne des droits de l'homme l'a souligné dans l'affaire Golder,

le droit d'accès à un tribunal est un aspect de la règle de droit 98 et l'on doit présumer que la

Cour faisait référenceà l'accès à un tribunal sur la base du standard du due process. Comme
le Procureur générald'Irlande 1'a observé : The due process of law is intended to do justice in

each individual case. It would be against the public interest to abandon that principle for the

sake of broader poJicy considerations" 99.

97 Citéau § 5.22.
98 Affaire Go/der, arrêtdu 21 février 1975, Coureur. D.H., sérieA, n° l8~ 35-36, et in lmemarional Law

Reports, vol. 57, pp. 217-18.
99 Voir~ 5.79, le dernier paragraphe de la déclaration. Notre traduction: "Le due pmce.1·sof law est destinéà faire justi­
ce dans chaque cas individuel. Ce serait aller contublic que d'abandonner ce principerofil de vastes

considérationspolitiques". 148

QUATRIEME PARTIE

LES EFFETS DES RESOLUTIONS DU CONSEIL DE SECURITE SUR

LES OBLIGATIONS DES PARTIES

6.1 La présente partie du mémoire est consacrée à l'incidence des résolutions 731 (1992),

748 (1992) et 883 (1993) du Conseil de sécuritésur le différend soumis à la Cour. Cette
analyse est subdivisée en quatre parties:

- Il est procédéd'abord à l'analyse de la portée des résolutions 731 (1992) et 748 (1992). Il
en ressort, en substance, que ces résolutions n'exigent pas de la Libye qu'elle livre ses

nationaux au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis (chapitre 1);

- Il est exposé ensuite que la Libye a pleinement satisfait aux exigences du Conseil de

sécuritéqui sont susceptibles d'affecter la procédure devant la Cour (chapitre Il);

- Il sera procédéen troisième lieu à l'analyse de l'incidence des résolutions 731 (1992) et
748 (1992) sur la procédure devant la Cour, au cas où l'interprétation susmentionnéedevait

êtrerejetée.Il sera exposéque, dans la mesure où elles exigeraient de la Libye qu'elle livre

ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, lesdites résolutions seraient contraires à
la Charte des NationsUnies. Elles seraient de ce fait, et dans cette mesure, inopposables à

la Libye, de sorte qu'elles n'affecteraient pas plus la procédure devant la Cour (chapitre
III);

- Enfin, il sera procédéàun bref commentaire de la résolution 883 (1993) (chapitre IV).

CHAPITRE 1 - ANALYSE DES RESOLUTIONS 731 (1992) ET 748 (1992) : LE

CONSEIL DE SECURITE N'EXIGE PAS QUE LA LIBYE LIVRE
SES NATIONAUXAUXETATS-UNISOU AUROYAUME-UNI

6.2 Il est procédéà l'analyse de la résolution 731 (section 1), puis de la résolution 748

(section 2), dont il ressort que le Conseil de sécuritén'exige pas de la Libye qu'elle livre ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. 149

L'interprétation desdites résolutions au regard de la Charte et du droit international

généralet conventionnel, renforce cette conclusion (section 3).

Section 1- La résolution731 (1992) du Conseil de sécurité

6.3 Dans sa résolution731 (1992)du 21 janvier 1992 1,

"Le Conseil de sécurité

Profondément troublé par la persistance, dans le monde entier, d'actes de terrorisme international sous
toutes ses formes, y compris ceux dans lesquels des Etats sont impliqués directement ou indirectement,
qui mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les relations

internationales et peuvent compromettre la sécuritédes Etats,

Gravemelll préoccupépar tous les agissements illicires dirigés contre 1'aviation civile internationale et
affirmant le droit. de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du
droit international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une

menace à la paix et à la sécuritéinternationales,

Réuffirmam sa résolution 286 (1970) du 9 septembre 1970, par laquelle il demandait aux Etats de
prendre toutes les mesures juridiques possibles pour empêcher toute ingérence dans les liaisons
aériennes internationales civiles,

Réaffirmant également sa résolution 635 (1989) du 14 juin 1989, par laquelle il condamnait tous les
agissements illicites dirigés contre la sécurité de 1'aviation civile et demandaità tous les Etats de
coopérer à la mise au point etàl'application de mesures visant à prévenir tous les actes de terrorisme, y
compris ceux qui sont commis au moyen d'explosifs,

Rappelant la déclaration faite le 30 décembre 1988 par le Président du Conseil de sécuritéau nom des
membres du Conseil condamnant fermement la destruction du vol PAN AM 103 et appelant tous les
Etats à apporter leur aide afin que 1es responsables de cet acte crimine! soient arrêtéset jugés,

Profondément préoccupé par ce qui résulte des enquêtes impliquant des fonctionnaires du
Gouvernement libyen et qui est mentionné dans les documents du Conseil de sécuritéqui font état des

demandes adressées aux auto rités 1ibyen nes par les Etats-Unis d'Amérique (S/23 309, S/23 308,
S/23317), la France (S/23306, S/23309) et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
(S/23309, S/23307) liées aux procédures judiciaires concernant les attentats perpétréscontre les vols de
la Pan Ame riean et de l'Union des transports aériens,

Déterminéà éliminer le terrorisme international,

1. Condamne la destruction du vol Pan American 103 et du vol 772 de l'Union des transports aériens
ainsi que la perte de centainese vies humaines qui en est résultée;

2. Déplore vivement le fait que le Gouvernement libyen n'ait pas répondu effectivement à ce jour aux
demandes ci-dessus de coopérer pleinement pour l'établissement des responsabilités dans les actes

terroristes susmentionnés contre les vols 103 de la Pan American et 772 de l'Union des transports
aériens;

3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponse complète et
effectiveà ces demandes afin de contribuer à l'élimination du terrorisme international;

V. annexe no82, où figure égalementle texte anglais de la résolution.150

4. Prie le Secrétaire généralde rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apponer
une réponsecomplète et effective à ces demandes;

5.Demande à tous les Etats d'encourager individuellement et collectivement le Gouvernement libyen à
répondrede façon complète et effective aux demandes susmentionnées;

6. Décidede rester saisi de la question."

6.4 Les demandes auxquelles renvoie la résolutions sont les suivantes :

Le document S/23307 du 31 décembre 1992 reprend en annexe le texte de la
déclarationfaite par le Lord Advocate of Scotland le 14 novembre 1991 concernant l'enquête

sur la destruction du vol Pan Am 103, ainsi que le texte de la déclaration du Ministre des

Affaires étrangèresdu Royaume-Uni au Parlement, de la mêmedate. Voici quelques extraits

de la déclaration du Lord Advocate of Scotland, que nous citerons dans sa version anglaise

originale

"lt is alleged that Megrahi is a senior officer of the Libyan Intelligence Services, holding positions with
Libyan Arab Airlines and as Director of the Center for Strategie Studies in Tripoli at the time of thesc
offences.

It is alleged that Fhimah was also an officer of the Libyan Intelligence Services, holding a position as
Station Officer with Libyan Arab Air!ines in Malta.

The fïrst charge in the petition is that between l January 1985 and 21 Decem ber 1988 [suit

1'énumérationdes divers endroits où 1es faits auraient étécommis]

Being members of the Libyan Intelligence Services, and in particular Megrahi being the He.ad of
Security of Libyan Arab Airlines and thereafter Director of the Center for Strategie Studies, Tripoli.
Libya and Fhimah being the Station Manager of Libyan Arab Airlines in Malta.

Did conspire together and with others to further the purposes of the Libyan Intelligence Services by
criminal means, namely the commission of acts of terrorism directed against nationals and the interests
of other countries and in particular the destruction of a civil passenger aircraft and murder of its
occupants. (..)

[suit une énumération chronologique des diverses activités des suspects, er l'énonciation des
accusations alternatives]

A demand is being made to Libya for the surrender of these men for triaL (..)

The terms of the United States indictment and the Scottish petition have been drawn up in full

consultation. (..)

This does not mark the end of the police investigation, although it plainly marks the most important
public development to date in this unique criminal inquiry. (..)

I remain committed to bring this matter to a proper conclusion in a Court of Law whether it is to be in
this country or in the United States.2

2 V. annexe n°8. La traduction figurant dans la version française du document S/23307 n"est pas entièrement

conforme au texte anglais d'origine: Les deux paragraphes de la citation anglaise ci-dessus précisantqu'il est 151

La déclaration du Ministre des Affaires étrangèresdu Royaume-Uni offre un résumé

de ce qui précède.

Le document S/23317 du 23 décembre 1991 contient l'acte de mise en accusation

délivréle 14 novembre 1991 par le United States District Court for the District of Columbia

au sujet de l'attentat sur le vol Pan Am 103 3.

Le document S/23308 du 31 décembre 1991 reprend le texte d'une déclaration des

Etats-Unis concernant la destruction du vol Pan Am 103, qui présente le texte d'une
déclarationconjointe des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Aux termes de cette déclaration,

"Les Gouvernements britannique et américain déclarent ce jour que le Gouvernement libyen doit:

livrer, afin qu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui sont accusés de ce crime et assumer la
responsabilité des agissements des agents libyens;

- divulguer tous les renseignements en sa possession sur ce crime, y compris les noms de tous les
responsables, et permettre le libre accès à tous les témoins, documents et autres preuves matérielles,
y compris tous les dispositifs d'horlogerie restants;

verser des indemnités appropriées.

Nous comptons que la Libye remplira ses obligations promptement et sans aucune réserve." 4

prétendu que les suspects seraient des membres des services de renseignements libyens ("ir is alleged"). Le texte

français ci-après omet cette précision:
"Megrahi est un officier supérieur des services de renseignements libyens, exerçant des fonctions aux Libyan Arab
Airlines et Directeur du Centrees érudes stratégiques àTripoli lors de ces crimes. Fhimah était aussi un officier du
renseignement libyen, Directeur d'agencees Libyan Arab Airlines à Malte.

Le premier chef d'accusation est qu'entre le !er janvier 1985 et le 21 décembre 1988, [suit l'énumérationdes divers
endroits oü les faits auraient étécommis].

Etant membres des services de renseignements libyens, Meghrahi, Directeur des services de sécuritédes Libyan Arab
Airlines puis Directeur du Centre d'études stratégiqàeTripoli (Libye) et Fhimah, Directeur d'agence des Libyan
Arab Airlines à Malte.

Ont comploté, entre eu~ <t avec d'autres, pour servir les fins des services de renseignement libyens par des voies
criminelles, à savoir la perpétration d'actes de terrorisme contre des nationaux et les intérêtsct·autres pays et, en
particulier, la destmction d'un avion civil et l'assassinat des passagers [suit une énumérationdes diverses activitésdes

suspects, et l'énonciation des accusations alternatives].

Une demande est actuellement adressée à la Libye de façon que les deux hommes soient livrésà la justice.
. .

Les termes de 1'acte d'accusation rendu public aux Etats·Unis ct de celui prononcé en Ecosse ont étérédigésen
étroiteconsultat.ion. (..)

L'enquête de police n'est pas terminée, mais il s'agit aujourd'hui de la phase publique la plus importante d·une
instruction criminelle, unique en son genre.

(..) Je continuerai à m'efforcer de faire en sorte que cette affaire aboutisse à la conclusion qui conviem devant un
tribunal, que ce soit dans ce pays ou aux Etats-Unis."

3 V. annexe n°7.
4 V. annexe n°46. En anglais: "The British and American Government today declare that the Govemment of Libya
must:152

Le document S/23309 du 31 décembre 1991 reprend le texte d'une déclaration des

Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni sur le terrorisme, en date du 27 novembre 1991:

"Les trois pays réaffirment leur condamnation totale du terrorisme sous toutes ses formes, et dénoncent
toute implication des Etats dans les menées terroristes. Les trois pays réaffirment leur volonté d'y
mettre un terme.

Ils considèrent que la responsabilité des Etats est engagée dès lors qu'ils participent directement à de

telles actions ou indirectement par l'accueil, l'entraînement, les facilités accordées, l'armement, le
soutien financier, ou les protections de toutes sortes, et qu'ils en sont responsables devant les autres
Etats etdevant les Nations Unies.

Dans ce contexte, et à la suite des enquêtes effectuées sur les attentats relatifs aux vols Pan Am 103 et

UTA 772, les trois pays ont adressé aux autorités libyennes des demandes spécifiques liées aux
procédures en cours. Ils exigent que la Libye accède à toutes ces demandes, et en outre qu'elle s'engage
de façon concrète et définitive à renoncer à toute forme d'action terroriste et à tout soutien apportà des
groupements terroristes. La Libye devra apporter sans délai par des actes concrets les preuves d'une
telle renonciation." 5

Enfin, le document S/23306 du Conseil, en date du 31 décembre 1991, reprend en

annexe le texte d'un communiqué de la Présidence de la République française et du Ministère

des Affaires étrangères concernant J'enquêtejudiciaire sur l'attaque du vol UTA DC-10 du 19

septembre 1989. Ce communiqué est ainsi rédigé:

"L'instruction judiciaire conduite sur l'attentat contre le OC JO d'UTA qui a fait 171 morts le 19
septembre 1989laisse peser de lourdes présomptions de culpabilité, dans ce crime odieux, sur plusieurs
ressortissants libyens.

C'est pourquoi (...) le Gouvernement français réitère sa demande aux autorités libyennes de coopérer

immédiatement, efficaceme.nt et par tous 1es moyens avec la justice française afin d'aider à établir les
responsabilités dans cet acte terroriste.

Pour cela, la France demande à la Libye:

- D'apporter toutes les preuves matérielles en sa possession ct de faciliter l'accès à tous les documents
utiles à la manifestation de la vérité;

- surrender for trial ali those charged with the crime; and accept responsibility for the actions of Libyan officiais;

- discloseali it knows of this crime, including the names of aLIthose responsible, and allow full accesto ail

witnesses, documents and other material evidence, including all the remaining timers."
5 V. annexe 47. En anglais: 'The thrce States reaff1rmthdr complete condemnation of terrorism in ail its forms and
denounce any complicity of States in terrorism acts. The three States reaffirm their commitment to put an eto

terrorism.

They consider that the responsibility of States begins whenever they take part directly in terrorist actions, or indirectly

through harbouring, training, providing facilities, arming or providing financial support, or any form of protection,
and that they are responsible for their actions before the individual States and the United Nations.

ln this connection, fo!lowing the investigation carried out into the bombings oArn 103 and UTA 772 the three

States have presented specifie demands to the Libyan authorities related to thejudicial procedures thal are under way.
They require thal Libya comply with ali thcse demands, and, in addition, that Libya commit itself concretely and
definitivelytoccase ail forms of terrorist aclion and ail assistance to terrorist groups. Libya must promptly, by

concrete actions, provets renunciation of terrorism." 153

- De faciliter les contacts et les rencontres nécessairyscompris pour recueillir des témoignages;

- D'autoriser les responsables officiels libyens à répondre à toute demande du juge d'instruction

chargé de 1'information judiciaire." 6

6.5 Il est exposé ci-après que la résolution 731 n'exige pas de la Libye qu'elle livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Elle vise un règlement du différend entre la
Libye, d'une part, et les Etats-Unis et le Royaume-Uni d'autre part, de commun accord entre

ces parties et conformément au droit international.

Cette conclusion s'impose au regard des termes mêmesde la résolution 731 (A). Elle

est entièrement confirmée par les travaux préparatoires de la résolution, tels qu'ils ressortent

des déclarations faites par des Membres du Conseil lors de l'adoption de la résolution (B).

A- Les termes mêmesde la résolution 731 excluent que le Conseil exige de la

Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni

6.6 De par ses termes mêmes, la résolution 731 n'oblige nullement la Libye à livrer ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Ceci résultede ce que la résolution ne formule

aucune obligation juridique à charge de la Libye (par. 1), mais surtout de la portée mêmede la

demande du Conseil (par. 2).

6 V. annexe n°64. En anglais: "The judicial inquiry conducted with regard 10 the attack on the UTA DC-10, which
resulted in 171deaths on 19 September 1989places beavy presu mptions of guilt for this odious crime on severa!
Libyan nationals.

Accordingly, ... the French Govemment reiterates its dcmand that the Libyan authorities c:ooperate immediately,

effectively and by all possible means with Frenchice in ordcr to help to establish responsibility l'orthis terrorist
act.

To that end, France calls upon Libya:

- To produccali the material evidence in its possession and to facilitatoali documents that might be useful

for establishing the truth.

- To faciLitate the necessary contacts and meetings,iafor the assembly of witnesses.

- To authorizc the rcsponsiblLibyan officiais to respond to any request made by the examining magistrale

rcsponsible for j udicial information."154

1- La qualification juridique de la demande: la résolution 731 ne formule

aucune obligation juridique à charge de la Libye

6.7 La résolution 731 n'énonce aucune obligation juridique à charge de la Libye. De fait,

dans le troisième paragraphe du dispositif, le Conseil

"Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponse complète et
effectiveàces demandes afin de contribuerà1'éliminationdu terrorisme international;"

Cette 'demande' tranche avec la 'décision' qu'adoptera le Conseil ultérieurement,

dans sa résolution 748 (cfr. infra).Son caractère non juridiquement obligatoire ressort encore
du quatrième paragraphe du dispositif, où le Conseil

" Prie le Secrétaire généralde rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apporter
une réponse complèteet effectiveàces demandes;"

6.8 De fait, la résolution 731 n'a pas étéadoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte.

Ceci est confirmé a posteriori par la résolution 748 7,dont le dernier paragraphe introductif se

lit:

"Agissant en vertu du Chapitre VIl de la Charte".

Le Conseil a, depuis le 2 août 1990, l'habitude d'introduire ainsi ses résolutions en

vertu du Chapitre VII de la Charte. L'on peut donc déduire de la seule absence de cette phrase

dans la résolution 731, qu'elle ne constitue pas une résolution en vertu du Chapitre VU.

La réso1ution 731, i1 est vrai, contient une référence au Chapitre VU de la Charte.

Dans le deuxième paragraphe introductif, le Conseil affirme

"le droit de tous les Etats (..) de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui
constituent une menace àla paix et la sécuritéinternationales."

Ceci n'est toutefois pas une 'constatation' d'une menace contre la paix, au sens de

l'article 39 de la Charte. Le Conseil n'a procédéà cette 'constatation' qu'ultérieurement, dans

le ?ème paragraphe introductif de la résolution 748, qui se lit:

7 V. annexe n'l24. 155

"Constatant, dans ce contexte, que le défaut de la part du Gouvernement de la Libye de démontrer, par
des actes concrets, sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement continu à répondre
de manière complète et effective aux requêtescontenues dans la résolution 731 (1992) constituent une

menace pour la paix et la sécuritéinternationales;"

Le deuxième paragraphe introductif de la résolution 731, précité,ne peut d'ailleurs

grammaticalement constituer une 'constatation' au sens de l'article 39 de la Charte. Ceci

résulte de l'absence de virgule entre les termes "actes de terrorisme international" et les
termes "qui constituent une menace pour la paix et la sécuritéinternationales" Le texte anglais

8 de la résolution présente la mêmecaractéristique: il n'y a pas de virgule entre les termes
"acts of international terrorism" et les termes "that constitue threats to international peace

and security".

En l'absence d'une virgule les termes 'qui' et 'that' sont des propositions relatives

déterminatives. Le texte adopté par le Conseil signifie alors que certains actes de terrorisme

international - qui sont indéterminéset indéterminables - constituent une menace contre la
paix et la sécuritéinternationales: le 2ème paragraphe introductif de la résolution 731 ne peut

prendre son sens qu'au regard d'une détermination ultérieure, en quelque sorte annoncée,
constatant qu'une catégorie particulière d'actes terroristes, ou un acte terroriste spécifique,

constituent une telle menace.

2 - Le contenu de la demande: le Conseil ne demande pas à la Libye de livrer

ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni

6.9 Il est montréci-après que le Conseil ne demande pas à la Libye de livrer les suspects
aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Par ses termes mêmes,la résolution 731 vise à permettre

un règlement du différend de commun accord entre les parties conformément au droit

internationaL Ceci signifie, en premier lieu, que la résolution 731 relève du Chapitre VI de la
Charte. En deuxième lieu, il en résulte que la résolution ne précise pas de 'termes de

règlement' au sens de l'article 37 de la Charte.

6.10 Le re:o.JJecu droit international et de la Charte des Nations Unies:

Le deuxième paragraphe introductif montre déjàque le Conseil ne demande pas à la
Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Le Conseil y affirme

8 V. annexe n°82.156

le droit de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies el aux principes du droit

international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme internationqui constituentune
menace à la paix et à la sécuritéinternationales;" (nos italiques)

L'objectif poursuivi par le Conseil doit donc êtreatteint conformément aux principes
du droit international. Ceci implique déjà une claire dissociation entre les exigences du

Conseil, d'une part, et les demandes anglo-américaines d'autre part. En effet, comme il est

amplement exposé ailleurs dans ce mémoire 9, ces demandes ne sont pas conformes aux

principes du droit international : d'une part, la demande anglo-américaine de livrer les
nationaux libyens est contraire au droit coutumier et conventionnel applicable, qui exclut

1'extradition obligatoire par un Etat de ses propres nationaux; d'autre part et surtout, la

livraison des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni serait contraire au jus cogens, dès

lors que le procès équitable ne peut y êtregaranti.

6.11 Le renvoi aux demandes anglo-américaines et françaises et leur refàrmulation par le

Conseil:

Le Conseil de sécurité se distancie encore des demandes anglo-américaines et

françaises en y renvoyant, plutôt que d'en reprendre les termes: Le Conseil,

"Profondément préoccupé par ce qui résu 1te des enquêtes impl iq uant des fonctionnaires du
Gouvernement lîbyen et qui est mentionné dans les documents du Conseil de sécuritéqui font état des
demandes adressées aux autorités libyennes par les Etats-Unis d'Amérique (S/23309, S/23308,

S/23317), la France (S/23306, S/23309) et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
(S/23309, S/23307) liéesaux procédures judiciaires concernant les attentats perpétréscontre les vols de
la Pan American et de1'Union des transports aériens,

Déplore vivement le fait que le Gouvernement libyen n'ait pas répondu effectivement à ce jour aux
demandes ci-dessus de coopérer pleinement pour l'éJablissement des responsabilités dans les actes
terroristessusmentionnés contre les vols 103 de la Pan American et 772 de 1'Union des transports

aériens;

3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une répon~ c·meplète et
effective à ces demandes afin de contribuer à l'élimination du terrorisme international;" (nos italiques)

Le renvoi auxdites demandes n'équivaut nullement à leur formulation expresse dans la

résolution. La résolution 748 le confirme, qui reprend expressément la demande franco-anglo­
américaine concernant la renonciation de la Libye au terrorisme, mais persiste à renvoyer aux

autres demandes, dont celle de livrer les suspects 10. En renvoyant auxdites demandes, le

Conseil ne se les approprie donc nullement. Le renvoi aux demandes adressées à la Libye par

9 cfrsupra,Chapitres 1et Il.

10 dr. infrpar. 6.23 157

les Etats-Unis et le Royaume-Uni n'est autre chose qu'un renvoi aux relations bilatérales

entre ces Etats, régies par le droit international, et dans lesquelles le Conseil n'intervient

qu'indirectement.

Ensuite, tout en renvoyant auxdites demandes, le deuxième paragraphe du dispositif de

la résolution les reformule, ou du moins précise quelle est, pour le Conseil, leur portée

véritable: Il s'agit de demandes :

"de coopérerpleinement pour l'établissement des responsabilités".

"Coopérer pleinement pour 1'êtab1isse ment des res pons ab ili tés" ne signifie

évidemment pas livrer ces suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Lorsque le troisième paragraphe du dispositif de la résolution renvoie ensuite à"ces
demandes" (cfr. ci-après), il se réfère bien sûr au paragraphe précédent. C'est donc aux

demandes reformulées ou 'resituées' par le Conseil que la Libye est appelée à apporter une

réponse.

6.12 L'exigence d'une réponse complète et effective afin de contribuer à l'élimination du

terrorisme international:

Ensuite, le Conseil

"3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponse complète et
effectiveà ces demandes afin de contribuer à l'élimination du terrorismeinternational;"(nous
soulignons)

La formule 'apporter une réponse' n'équivaut pas à dire que la Libye doit 'satisfaire'

auxdites demandes ('comply with' ).

Alors que le terme 'satisfaire' implique la soumission, il n'en va pas de mêmede

l'expression 'donner une réponse'. Il suffit de se référerau sens ordinaire de ces termes pour
s'en convaincre. Le Petit Robert donne comme signification première de 'satisfaire':

"faire pour quelqu'un ce qu'il demande, ce qu'il attend, ce qui lui convient".

La signification première du verbe 'répondre'est par contre:

"faire connaître en retour sa penséeà celui qui s'adresse à vous"158

En demandant une 'réponse' aux demandes anglo-américaines, le Conseil n'exige

donc nullement que la Libye s'en remette purement et simplement à la volontédu Royaume­

Uni et des Etats-Unis. Tout au contraire, le Conseil permet à la Libye de faire des contre­
propositions.

6.13 L'exigence du Conseil que la réponse libyenne soit 'complète et effective'

n'altère en rien cette constatation:

Le caractère 'complet et effectif' de la réponse signifie d'une part, qu'il doit être

répondu à chacune des demandes, et d'autre part, qu'il doit y êtrerépondu utilement: Les

réponses doivent êtreaptes à atteindre les objectifs poursuivis par le Conseil, qui sont
d'obtenir le jugement des suspects et l'élimination du terrorisme international.

Ceci ressort encore de ce qu'il est demandé à la Libye d'apporter une réponse
complète et effective "afïri de contribuer à l'élimination du terrorisme international". Le texte

anglais se lit plus clairement encore

"so as rocontribute to the elimination of international terrorism;"

Cette directive, cette indication de l'objectif à poursuivre n'a bien sûr d'effet utile qu'en

raison de la marge d'appréciation laisséeà la Libye.

6.14 Le rôle du Secrétairegénéral:

Enfin, l'analyse ci-dessus est encore confirmée par le rôle que le quatrième paragraphe

du dispositif de la résolution attribue au Secrétaire généraLLe Conseil

"4. Prie le Secrétaire généralde rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apporter
une réponse complète et effective à ces demandes;" (nos italiques)

En assumant cette tâche, le Secrétaire généraldes Nations Unies a lui-mêmeinterprété
la résolution 731 comme laissant une marge de manoeuvre par rapport aux demandes anglo­

américaines et françaises. Dans sa lettre du 23 janvier 1992 au Colonel Kadhafi, le Secrétaire

généraldit en effet 159

"(..) 1took the initiative for sending a special envoy (..) to discuss severa! points and preseming certain
ideas as weil as knowing your views and proposais regarding the manner of implementing the said

Resolution." 11

B - Cette analyse est confirmée par les travaux préparatoires de la résolution,

tels qu'ils ressortent des déclarations faites par des membres du Conseil

lors de son adoption

6.15 Quoique le projet de résolution 12 soit pratiquement identique au texte définitif,

diverses déclarations faites lors de l'adoption de la résolution démontrent qu'un avant-projet

avait étéamendélors des entrevues précédantla session officielle du Conseil.

Ces déclarations confirment entièrement l'analyse des termes de la résolution. Il en

ressort en effet que l'amendement visait à permettre un règlement du différend de commun

accord entre les parties conformément au droit international, et à faire intervenir le Secrétaire
général à cette fin. Par conséquent, l'amendement visait à dissocier la position du Conseil des

demandes angle-américaines.

6.16 La déclaration du représentant chinois l'éclaire parfaitement:

"Durant la série de consultations et de discussions qui ont eu lieu, nous avons notéque les membres non
alignés du Conseil ont dit leur préoccupation devant le fait que le Conseil de sécuritérisquait de faire

reposer sa décision sur les seules enquêtes unilatérales de certains pays, et en particulier que des
problèmes de juridiction et d'extradition se posaient. Les membres non alignés ont donc fait des
propositions constructives que la délégation chinoise appuie. Ces propositions ayant étéacceptées par
les auteurs du projet de résolution, et se fondant sur la position de principe constante du Gouvernement
chinais contre le terrorisme, la délégationchinoise a voté pour la résolution 731 (1192) qui vient d'être
adoptée." l3

Le représentant chinois a encore précisé:

11 Lettre du 23.01.1992, V. annexe n· 86 - nos italiques. Notre traduction: "J'ai pris l'initiative d'envoyer un envoyé
spécial.. pour discuter de divers poinvoustprésentercertaines idées,ainsi que pour connaître votre point de vue
quant àla manièredont il faut mettreoeuvre ladite résolution."

12 S/23422 du 20/0111992,V. annexe no81.
13 S/PV. 3033, p. 86, V. annexe n' 83. En voici le texte anglais: "During previous rounds of consultations and

discussions,we noticed that non-aligned members of the Council expressed their concem over the fact that the
Security Council might base its decision solely upon the unilateral investigations of certain countries and, in
particular, thal the issues of jurisdiction and extradition were involved. The non-aligned members therel'ore put

forward constructive proposais which the Chinese delegation supports. Considering that the proposais have been
accepted by the sponsors of the resolution, and proceeding from the Chinese Government's consistent principled
position against terrorism, the Chinese delegation votedvour of resolutions 731 (1992) adpted ear(ibid.p.

86).160

"La Chine estime qu'il est encore possible de régler le problàne par le biais de consultations. Je
rappelle aussi que la partie chinoise espère sincèrement que les pays directement en cause dans cette

affaire pourront résoudreles différendsqui les opposent par des consultations pacifiques et par la voie
diplomatique, afin de régler de manière rationnelle et juste le problème des attentats à la bombe. (..)
Nous sommes convaincus qu'aussi longtemps que toutes les parties en cause conserveront une attitude
posili ve, responsable et constructive, il sera possible d'arriver à une solution adéquate et raisonnable du
problème." f4

Le représentant du Maroc a déclaré:

"(..)nous sommes en présence de l'application d'un principe de droit international( ..) Il s'agit bien sûr
du principe d'extrader et de juger.

Dans ce cas, le Maroc ne peut en aucun cas estimer que l'adoption du projet de résolraionqui nous est
soumis aujourd'hui au Conseil puisse consacrer une exception quelconque à ce principe incontestable
du droit international. La Libye doit à tout moment pouvoir faire valoir sa position, ses droits et sa
bonne volonté.

La participation du Secrétaire Général(..)est le meilleur garant pour nous de l'acheminement vers une
coopération de toutes les parties pour l'établissement de la véritéet l'aboutissement des procédures
judiciaires engagées.

Sa sagacité et son expérienee (..) ne manqueront pas d'apporter une contribution constructive qui, tout
en respectant les règlesjuridiques internationales établies,nous permettra de réaliser les objectifs qui
sont aussi les nôtres, à savoir la sanction des coupables et la dissuasion à 1'accomplissement de tels
actes à l'avenir( ..)"15

Le représentant du Zimbabwe a indiqué:

"A notre avis, le projet de résolution vise deux objectifs principaux. Premièrement, il che-rche à faire
passer un message clair selon lequel le Conseil est décidé à attaquer fermement au terrorisme.
Deuxièmement, il vise à faire en sorte que les accusés soient traduits en justice. Le Zimbabwe estime

que cela doit se faire sur la base des normes juridiques étabfies et des instruments juridiques
internationaux existants appl.imbles aux actes de terrorisme. Mon gouvernement estime qu'à cet égard
le Conseil de sécuritédevrait s'inspirer de la Convention de Montréal de 1971 (...) L'extradition de
leurs propres ressortissants est inadmissible en vertu des lois de nombreux Etats. Voilà pourquoi les
instruments juridiques internationaux existants précisent que si l'Etat qui détient le coupable présumé

14 Ibid.,p. 86 - nos italiques, En anglais: "China IlbeLievesthal there exist possibltiesand opportunities at presentto

solve the problem through consultations. 1 wish to reiterate that the Chinese side sincerely and strongly hopes that
countries direetly involved in this isswill resolve their differences by peaceful con.n1.ltatirmand through diplomatie

channe!s and su find a reasunable and fair solutioto the bombing incidents (..) We are convinced thal, as long as ali
the parties concerned adopta positive, responsible and constructive attitude, an appropriated reasonable solution to

the cxisting problem will be found."(ibid.,p. 86-87)
15 S/PV. 3033, p. 58-60 - nos italiques. En anglais: "(..) we are touching on a principle of international law (..) Thal is

the principle of "extradite or prosecute". ln this instaMorocco cannol share the view that the adoption of the draft
resolution before us enshrines any exception to thar uncontested prindp/e of international law (..) [Libya] must be

alluwed to state its position, cnjoy its rights and demonstrate its goodwill.

The participation of the Sccretary-General (..) is our best guarantee that we are moving towards cooperation by al\

parties in establishing the truth and in implementing the legal proceedings already in train. His wisdom and
experience wil! (..) be a constructive contribution thawhite re.l"pectingestab/ished legal nonns,will ensable us to

achieve the goals we have set for ourselves, namely, the punishment of the guilty and deterrenΠof such acts in the
future( ..)" (ibid.). 161

ne procède pas à son extradition, 1.devra, sans aucune exception, sou mettre le cas à ses autorités
compétentes pour le faire instruire." 16
et encore:

"Le Zimbabwe se félicite du rôle explicite que le projet de résolution confère au Secrétaire généraldans
le règlement du différend dont le Conseil est saisi. Nous sommes persuadés que, s'agissant d'une

question aussi importante que celle dont nous sommes saisis, il est prudent et approprié que le Conseil
tire pleinement parti des bons offices du Secrétaire général.Nous espérons sincèrement que, lorsque
celui-ci fera rapport au Conseil sur le résultat de ses efforts, il sera possible de parvenir à des
17
arrangements satisfaisants pour wutes les parties intéressées."

L'Equateur a déclaré:

"La délégationéquatorienne a oeuvré de concert avec les autres pays non alignés pour que le projet de

résolution dont nous sommes saisis aujourd'hui ne puisse pas êtremal interprété, ni représenter un
précédentnégatif qui irait à 1'encontre des pouvoirs ordinaires des organes des Nations Unies (..) ou que
l'on n'aille pas à l'encontre des principes juridiques qui régissent l'autorité de l'Etat, particulièrement

en ce qui concerne l'extradition." 18

Le représentantdu Cap Vert a souligné:

"Nous estimons qu'en tout temps cette affaire doit êtretraitée en respectant dûment le principe du

règlement pacifique des différends et dans !es limites du droit international. A ce propos, nous espérons
que le Secrétairegénérajlouera un rôle central en contribuant à la recherche d'une solution négociée.

Tels sont les paramètres dans lesquels il convient de considérer notre vote en faveur du

projet de résolution."19

Le représentant de l'Inde souligne :

16 S/PV. 3033, p.71 -nos italiques. En anglais: "ln our view, the draft resolution .. seeks to aehieve two main objectives.
First, iteeks to send a clear message that the Council is determined to deal firmly with terrorism. Secondly, it seeks

tu cnsure that the accused are brought to tri1tis Zimbabwe's view that this has ro he achieved on the basis of the
established legalnorms and the existing international/egal instrwnenrs applicable to acrs of terrori.Hn. My

Government believes thar in this regard the Security Council should be guided by t!971 Montreal Convention (..)
The extradition of one's own nationals is impermissible in many countries. That is why the existing international legal

instruments make it clear thatf the State holding the alleged offendcr does not extradite it shall be obliged, without
any exception whatsoever, tu submit the case tu its competent authorities for the purpose of prosecution." (ibid.).

17 Ibid. nu~ italiques. En anglais: "Zimbabwe welcomes the clear ro1e wich the drafts resolution gives to the Secretary­
Gencral in reso/ving the dispwe before the Council. We believe that on a matter of great imponance such as the one

bdore us it is prudent and appropriate that the Council take full advantage of the good offices of the Secretary­
General. lt is our sim:ere hope that when he repons back to the Council on the outcome of his effons it will be

possible to arrive at arrangements satisfactory to ali panics concerned." (ibid.).
18 S!PY. 3033, p. 73 - nos italiques. En anglais: "My delegation worked with the other non-aligned countries to ensure

thal the draft resolution would not be misinterpretedor be a negative precedent which would run counter to the
regular powers of United Nations bodies (..) and to ensure rhat actions shall be subject to the clear legal princip!ei

within the competence t4Sttiles, in particu/ar with reg10dextradition."

19 S/PV. 3033, p. 77 - nos ita.liques. En anglais: "Wc arc of the view thal at all times this case should be handled with
due respect for the principe of the peaceful seulmof'the dispwes, and within the boundaries of international law. Tn

thi respect,we expect the Secretary-Geneml tu play a pivotai ro/e in helping to bring abow a negotiated .wlution.
Those are the parameters whithin which our affirmative vote on the draft resoluthas tu be seen." (ibid.).162

" [...] l'importance qui s'attache à reconnaître et à respectfasouveraineté nationale( ...). Les membres
non alignés du Conseil ont sérieusement tenté de dégager un consensus sur cette question. Ma

délégation estime que les efforts importants déployés par le groupe non aligné lors des consultations
tenues avec les auteurs de la résolution ont contribué dans une grande mesure à l'adoption par
consensus de la résolution.

Une autre préoccupation de ma délégationétait liée à la démarche proposée par la résolution, qui est de

faire appel au prestige dom jouit le Secrétaire généralet aux énormes ressources dont il dispose pour
défendre la cause de la paix." 20

Le représentant du Vénézuéla a observé que

"(...) nous sommes certains que l'objectif de cette résolution, qui est de régler la situation de façon
détenninéeet pacifique sera atteint. Dans ce contexte, nous estimons que la participation urgente et

active du Secrétaire général revê utne extraordinaire importance politique et institutionnelle." 21

Ces déclarations ont étéfaites par des Membres ayant votéen faveur de la résolution

amendée. Il en ressort clairement le rôle de la négociation, et la place du droit international

dans la solution du probLème.

6.17 Ceci signifie non seulement que le Conseil a agi dans le cadre de ses compétences en

matière de règlement des différends, mais encore, que le Conseil n'a pas adoptéde termes de

règlement au sens de l'article 37 de la Charte en faveur des demandes anglo-américaines. Tout

au contraire, le Conseil a dissociéses exigences desdites demandes.

La déclaration faîte par le Royaume-Uni lors de 1'adoption de la résolution 731 le

confirme à souhait. Le représentant du Royaume-Uni a souligné que

"Nous n'affirmons pas que ceg personnes sont coupables avant qu'elles soient jugées, mais nous disons
qu'il existe de graves éléments de preuve contre elles et qu'elles doivent y faire face devant un
22
tribunal."

20 S/PV.3033, p. 96-97 - nos italiques. En anglais"1would furthermore stress the importance of recogniling and
respecring national .mvereignry Non-aligned members of the Council engaged in a serious attempt at finding a

consensus onthis issue. My delegation believes that the important efforts of the non-aligned caucus, through consulta­
tions with the sponsors of the resolution, contributed measmabltothe consensus adoption of the resolution. A

furtherconcern of my delegation related tu what the resolution has now addressed by calling upon the enormous
prestige and resources of Secretary-Genera/ in the cause of peace."

21 S/PV. 3033, p. 102 - nos italiques. En anglais: "We are confident tthe purpose of this resolution - a peaceful
seulement of the dispute - can be achieved. Accurdingly, we deem the urgent and active participation of the
Secretary-Generaltobe of special politica\ and institutional importance." (ibid.).

22 SIPV. 3033, p. 103. En anglais: "We are not asserting the gui\t of these men before they are tried, but we do say that
thereis serious evidence againstthem which they must face in court." 163

Cette déclaration est en contradiction manifeste avec les termes de la déclaration conjointe

angle-américaine 23,où les Gouvernements américainet britannique déclarent que

".. le Gouvernement libyen doit

- ... assumer la responsabilitédes agissements des agents libyens;

- (...

- verser des indemnitésappropriées.

Nous comptons que la Libye remplira ses obligations promptement et sans aucune réserve."

La formulation inconditionnelle de ces demandes préjugeait bien sûr de la culpabilité

des suspects, comme d'ailleurs de la responsabilité de l'Etat libyen.

En rappelant, lors de l'adoption de la résolution 731, la présomption d'innocence des

suspects, le représentant britannique s'est donc lui-mêmedémarquédes demandes formulées

par son Gouvernement: L'exigence que la Libye assume la responsabilité des agissements des

agents libyens et verse des indemnités appropriées, péremptoire dans les demandes anglo­

américaines, étaitdevenue conditionnelle aux fins de la résolution 731.

6.18 En conclusion, la résolution 731 dissocie les exigences du Conseil des demandes

anglo-américaines, et n'exige pas de la Libye qu'elle extrade ses nationaux aux Etats-Unis ou

au Royaume-Uni.

L'analyse de la résolution748 confirme entièrement ce qui précède.

Section 2- La résolution748 (1992) du Conseil de sécurité

6.19 Dans la résolution 748 du 31 mars 1992,24

"Le Conseil de sécurité,

Réaffirmant sa résolution731 (1992) du 21 janvier 1992,

23 Déclaration commune des Etats-U nidu Royaume-Uni. tran srnise au Secrétaire généralpar lettre datée du
20.12.1991 du Représentant permanent des Etats-Unis auprès des Nations UDoc. A/46/827 et S/23308 du
31.12.1991,. annexe n°46.

24 V. annexe n' 124.164

Notant les rapports du Secrétaire général(S/23574; S/23672),

Gravement préoccupéde ce que le Gouvernement libyen n'ait pas encore donné une réponse complète

et effective aux demandes contenues dans sa résolution 731 (1992) du 21 janvier 1992,

Convaincu que l'élimination des actes de terrorisme international, y compris ceux dans lesquels des
Etats sont directement ou indirectement impliqués, est essentielle pour le maintien de la paix et de la

sécuritéinternationales,

Rappelant que, dans la déclaration publiée le 31 janvier \992 à 1'occasion de la réunion du Conseil de
sécurité au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement (S/23500), les membres du Conseil ont

prononcé leur profonde préoccupation à t'égard des actes de terrorisme international et estimé
nécessaire que la communauté internationale réagisse de manière effïcace contre de tels actes,

Réaffirmantque, conformément au principe énoncéà l'Article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations

Unies, chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de terrorisme sur le
territoire d'un autre Etat, d'y aider ou d'y participer, ou de tolère sur son territoire des activités
organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque ces actes impliquent une menace ou l'emploi de la
force,

Constatant, dans ce contexte, que le défaut de la part du Gouvernement libyen de démontrer, par des
actes concrets, sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement continu à répondre de
manière complète et effective aux requêtes contenues dans la résolution 731 (1992) constituent une

menace pour la paix et la sécuritéinternationales,

Déterminé à éliminer le terrorisme international,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte,
1. Décideque le Gouvernement libyen doit désormais appliquer sans le moindre délai

le paragraphe 3 de la résolution 731 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents
S/23306, S/23308 et S/23309;

2. Décideaussi que le Gouvernement libyen doit s'engager à cesser de manière définitive toute forme

d'action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu'il doit rapidement, par des actes
concrets, démontrer sa renonciation au terrorisme;

3. Décide aussi que tous les Etats adopteront le 15 avril 1992 les mesures énoncées ci-dessous qui
s'appliqueront jusqu'à ce que le Consei 1de sécuritédécide que le Gouvernement 1ibyen s'est conformé

aux dispositions des paragraphes 1 et 2 ci-dessus;

12. Invite le Secrétaire généralà continuer à jouer son rôle qui lui est assigné par le paragraphe 4 de la

résolution 73 1 (1992);

13. Décideque, tous les 120 jours ou plus tôt si la situation le rend nécessaire, le Consei 1de sécurité
devra revoir les mesures imposées par les paragraphes l et 2 en tenant compte, le cas échéant,de tous

rapports établis par le Secrétaire généraldans le cadre du rôle qui lui est assigné par le paragraphe 4 de
la résolution 731 (1992);

14. Décidede rester saisi de la question."

La résolution 748 ne renvoie donc plus aux documents S/23307 et S/23317 figurant

dans la résolution 731 (préambule, 6ème considérant), et qui reprennent les actes de mise en

accusation britannique et américain. 165

6.20 11est exposéci-après que la résolution 748 confirme entièrement, et mêmerenforce la

conclusion que le Conseil de sécuritén'exige pas de la Libye la livraison de ses nationaux aux
Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Tl résulte du texte de la résolution que les exigences du Conseil par rapport à la
demande de livraison des suspects restent inchangées (A). La ratio legis du recours au

Chapitre VII de la Charte l'explique parfaitement (B).

A- La portéedes exigences du Conseil

6.21 La résolution 748 ne modifie pas le rapport entre les exigences du Conseil et la

demande anglo-américaine de livraison des suspects. Le texte de la résolution le confirme de
manière entièrement concordante.

1 -Le premier paragraphe du dispositif: renvoi à la résolution 731

6.22 Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte, le Conseil, au premier paragraphe du

dispositif de la résolution 748,

"1. Décideque le Gouvernement 1ibyen doit désormais appliquer sans le moindre délaile paragraphe 3
de la résolution 731 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents S/23306, S/23308

et S/23309;" (nous soulignons)

Si ce faisant, le Conseil entend formuler une obligation juridique à charge de la Libye,
le caractère juridiquement obligatoire de la décision ne préjuge pas du contenu de

1'obligation.

De fait, le paragraphe précité renvoie, non directement aux demandes angle­

américaines et françaises, mais au paragraphe 3 de la résolution 731. Il signifie donc très

précisément que la Libye doit, sans le moindre délai, "donner une réponse complète et
effective" aux demandes anglo-américaines "atïn de contribuer à l'élimination du terrorisme

international". La résolution 748 n'oblige donc nullement la Libye à "satisfaire" aux

demandes angle-américaines. Elle signifie seulement que la Libye est dans l'obligation légale
d'y réagirutilement (voir supra, §§ 6.12-6.13).166

La résolution 748 impose à la Libye une obligation de négocier. Elle donne tout au

plus naissance à un pactum de contrahendo, dont les demandes anglo-américaines et les

objectifs poursuivis par le Conseil constituent le point de départ. La Libye est, en vertu de la

résolution 748, dans l'obligation de prendre en compte de bonne foi les demandes anglo­
américaines, et de s'efforcer de parvenir à une solution apte à atteindre les objectifs du

Conseil de sécurité,qui sous-tendent - ou sont supposés sous-tendre ... - les demandes anglo­

américaines: le jugement des suspects et l'élimination du terrorisme international (cfr. infra).

2- Le deuxième paragraphe du dispositif : le renvoi indirect aux demandes

anglo-américaines n'équivaut pas à leur appropriation par le Conseil

6.23 En renvoyant à la résolution 731, la résolution 748 renvoie indirectement aux

demandes anglo-américaines concernant la livraison des suspects. Il a déjàétéindiqué que ce

renvoi n'équivaut pas à la formulation expresse de ces demandes par le Conseil. Le deuxième
paragraphe du dispositif de la résolution 748 confirme cette distinction. Le Conseil y

"2. Décideaussi que le Gouvernement libyen doit s'engageràcesser de manière définitive toute forme
d'action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu'il doit rapidpar des actes

concrets, démontrer sa renonciation aurrorisme;"

Cette exigence est très précisémentcelle de la déclaration tripartite du 31 décembre

1991 concernant le terrorisme, où les Gouvernements américains, français et anglais, après

avoir rappeléleurs demandes relatives aux procédures judiciaires en cours, demandent

"En outre qu'elle [la Libye] s'engage de façon concrète et définitive à renàntoute forme d'action
terroriste et à tout soutien apporté à des groupements terroristes. La Libye devra apporter sans délai par
des actes concrets les preuves d'une telle renonciat25n."

Il est pour le moins marquant que la résolution reprend ainsi une des demandes anglo­

américaines, mais non celles relatives aux procédures judiciaires en cours.

Le deuxième paragraphe du dispositif confirme ainsi a contrario que le renvoi opéré
au premier paragraphe, implique une dissociation entre les exigences du Conseil et les

demandes auxquelles il est renvoyé.Il implique, plus particulièrement, un renvoi aux relations

bilatérales entre les Etats concernés, dans le cadre desquelles doit êtrerésolule différend.

25 S/23309, V. annexe n°47. En anglaisinaddition, thal Libya commit itself concretely and dtocease ali

forms of terrorist action ana~sista tnccrorist groups. Libya must promptly, by concrete actions, prove its
renunciation of terrorism." 167

3- Le troisième paragraphe du dispositif: l'impossibilité de préciser quand

les exigences du Conseil seront satisfaites

6.24 Au troisième paragraphe du dispositif, le Conseil

"Décide que tous les Etats membres adopteront le 15 avril 1992 les mesures énoncées ci-dessous 9!!.i
s'appliqueront jusqu'à cque le Conseil de sécuritédécide que le Gouvernement libyen s'est conformé

aux dispositions des paragraphes 1et 2ci-dessus6.

Les mesures coercitives s'appliqueront donc, le cas échéant,jusqu'à ce que le Conseil
décide que la Libye s'est conformée à ses exigences. Lors de l'adoption de la résolution 748,

le représentant de l'Inde a relevéà ce sujet le problème de la

"définition des circonstancesdans lesquelles les sanctions n'entreraientpas en vigueur ou seraient
levées. Les membres non alignés du Conseil, tout comme plusieurs autres délégations, ont examiné
avec les auteurs du projet de résolution la possibilité d'apporter une plus grande précision dans les

paragraphes pertinents. Les auteurs se sont montrés disposés à oeuvrer avec nous à cet égard. Nous
regrettons, toutefois, qu'il n'ait pas étépossible d'éliminer l'imprécision du projet de résolution sur
cette question spécifique." 27

La formule retenue s'explique donc par l'impossibilité de-préciser d'avance quand les
exigences du Conseil de sécurité, notamment celi es rel atives au x demandes angl o-

américaines, seraient satisfaites.

Ceci confirme entièrement que les exigences du Conseil ne coi."ncidentpas avec les

demandes angJo-américaines, et plus particulièrement, que le Conseil laisse le choix des
moyens pour parvenir à l'établissement des responsabilités.

De fait, les demandes formulées par les Etats-Unis et le Royaume-Uni dans leur

Déclaration commune 28 étaient parfaitement 'complètes et précises': leur mise en oeuvre

n'appelait aucune clarification. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont eu l'occasion de le
relever 29.

26 Nous soulignons.

27 S/PV. 3063, p.47, V. annexe 125. En anglais: ".. the definition of the circumstances under which the sanctions either
would not come into force at! or would be lifted. The non-aligned members of the Council, as indeed severa! other
delegations. cxplored with the cuspunsurs the injection of mure precision into the relevant paragraphs. The cospon­

sors showed readiness to work with us in this respect To our regret, however, it was not possible to remove the
vagueness from the draft resolution on this particul(ibid.).."
28 V. annexe n° 46.

29 V. le rapport du Secrétairegénlonformémentau paragraphe 4 de la résolution731. S/23672 du 3 mars 1992. p. 2,
par. 2(e), annexe 106.168

Si le Conseil avait exigé que la Libye satisfasse entièrement aux demandes anglo­

américaines, il aurait étéparfaitement possible de fixer d'avance les conditions auxquelles
l'embargo n'entrerait pas en vigueur ou serait levé.Si ceci n'a pas étépossible, c'est bien que

la portée du 1er paragraphe du dispositif de la résolution 748 diffère de celle des demandes

anglo-américaines, et plus particulièrement, ne formule.qu'une obligation de négocier.

4- Le rôle du Secrétaire général

6.25 Enfin, le treizième paragraphe du dispositif

"12.Invitele Secrétaire généà.continuer à jouer son rôle qui lui est assigné par le paragraphe 4 de la
résolution 731 (1992);"

Il a étéindiquélors de 1'analyse de la résolution 731 comment le Secrétaire générala
interprétéla tâche qui lui étaitconfiée.

6.26 En conclusion, pas plus dans la résolution 731 que la résolution 748, le Conseil de

sécuritén'exige de la Libye la livraison de ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

B- L'analyse qui précède est confirmée par la ratio legis du recours au
Chapitre VII de la Charte

6.27 La ratio legis du recours au Chapitre VII de la Charte confirme cette analyse. En effet,

comme il sera démontréci-après, le Conseil a tentéde justifier le recours au Chapitre VII de

la Charte en invoquant l'effet préventif que devrait avoir l'établissement des responsabilités
pour les attentats contre les vols Pan Am 103 et UTA 772 : l'établissement des responsabilités

dans ces attentats devrait dissuader les candidats terroristes. Ce raisonnement ressort déjàde

la résolution 731 (1992) qui, comme il a étémontré antérieurement, n'a pas étéadoptée en
vertu du Chapitre VII mais annonce déjàque le Conseil de sécuritéen fera éventuellement

application (par. l ci-après). Cette ratio legis est confirméepar l'analyse de la résolution 748

(1992) (par. 2 ci-après). Or, comme il sera montréensuite (par. 3), cet objectif justifiant, aux 169

yeux du Conseil, le recours au Chapitre VII de la Charte, ne suppose nullement que les

suspects soient livrésaux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

1 - La ratio legis du recours au Chapitre VII telle qu'elle ressort de la

résolution731

6.28 Le Conseil a tentéde justifier son recours au Chapitre VU de la Charte en invoquant
l'effet préventifque devrait avoir l'établissement des responsabilités pour les attentats sur les

vols Pan Am 103 et UTA 772. Ceci devrait dissuader les candidats terroristes.

La résolution 731 illustre déjàce raisonnement (1992) 30 puisque, comme la Libye l'a

déjà démontré, si elle n'a pas étéadoptée en vertu du Chapitre VII, elle en envisage
néanmoins 1'application. La résolution annonce donc la ratio legis de cette application du

Chapitre VIl Cette ratio legis ressort déjàdu texte mêmede la résolution. Les paragraphes

introductifs accentuent 1'objectif de prévention que poursuit le Conseil:

"Réaffïrmant sa résolution 286 (1970) du 9 septembre 1970, par laquelle il demandait aux Etats de
prendre toutes les mesures juridiques possibles pour empêcher[angl. prevent] toute ingérence dans les
liaisons aériennes internationales civiles,

Réaffirmant également sa résolution 635 (1989) du 14 juin 1989, par laquelle il condamnait tous les
agissements illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile et demandait à tous les Etats de
coopérer à la mise au pointàl'application de mesures visant à prévenir tous les acles de terrorisme, y
compris ceux quisont commis au moyen d'explosifs,

Dérenninéà éliminer le terrorisme international,

3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponse cornpiète et

effectivà ces demandes afin de contribuer à l'éliminationdu terrorisme international;" (nos italiques)

C'est donc dans une optique de prévention que devait s'inscrire l'action de la Libye.

Cet objectif de prévention a étémis en relief par de nombreux membres lors de 1'adoption de

la résolution731 (1992).

Le Royaume-Uni a souligné:

30 V.annexe no82.170

"Il est essentiel que le Conseil fasse passer un message sans équivoque aux autres terroristes éventuels.
31
L'action du Conseil pourrait avoir [should have] un effet dissuasif important."

L'Equateur a dit que

"Le Conseil de sécuritédoit envoyer un message clair d'avertissement afin de ne pas encourager, et
encore moins de tolérer, tous actes de terrorisme.32

Selon le représentant des Etats-Unis,

"En agissant ainsi, le Conseil a ainsi envoyé l'avertissement le :flus clair possible,à savoir que la
communauté internationale ne tolérera pas un tel comportement." 3

La Belgique a encore soutenu que

"L'approche préventive devrait nous inciter, en outre, à couper les terroristes potentiels de leurs bases
arrière."34

Le Vénézuéla a souligné

"que l'impunité internationale fait courir un risque gravàla paix età la sécuritéinternationales."3S

2 - La ratio legis du recours au Chapitre VII de la Charte dans la résolution

748

6.29 La résolution 748 36 ne modifie pas ce qui précède.Comme ila déjàétéindiqué, son

premier paragraphe du dispositif renvoie à la résolution 731, et par là à 1'objectif poursuivi par

cette résolution. La ratio legis du recours au Chapitre VII, annoncée dans la résolution 731,

reste ainsi inchangée. La déclaration du Représentant indien au Conseille confirme:

"Ma délégation comprend et appuie l'objectif principal des auteurs -envoyer un message clair à tous
ceux qui se livrent à des actes de terrorisme, soit directement sous forme d'appui matériel, politique ou
moral aux terroristes, pour montrer que la communauté internationale est prêteà combattre le terrorisme

et àl'éradiquer de notre monde." 37

31 S/PV. 3033. p. 105. En anglais: ".. it is vital that this Council send an unequivocal message to other would-be
terrorists. The Council's action should have an imponant deterrant effect." (ibid.). Les termes "should have" se

traduisent sans doute mieux par: "devrait avoir". Voir n~83.e
32 S/PV. 3033, p. 72. En anglais: "The Security Cou neil is cal led uponto send a clear warning to halt any

encouragement, even if simply through tolerance, of acts of terrorism.'" (ibid., p. 73).
33 S/PV. 3033, p. 80. En anglais: "The Council' s action thus sends the elearest possible signal that the international

community will not tolerate suchnduct." (ibid.).
34 S/PV. 3033, p. 82. En anglais: "in accordance with the preventive approach, we should also eut off potential terrori sts
from their command centres." (ibid., p. 83).

35 S!PV. 3033, p. 99. En anglais: "thal internationa.l impunity endangers international peace and security.'" (ibid., p. 100).
36 V. annexe n" 124.

37 S/PY. 3063, p. 58, V. annexe no 125. En anglais: "My delegation understands and supports the primary
Objective of the cosponsors - namely, to serve an unambiguous notice on ail those engaged in acts of terrorism 171

6.30 Les modifications apportées à la résolution 748 par rapport à la résolution 731, et

notamment le renvoi à l'article 2 (4) de la Charte, n'altèrent en rien cette conclusion. Le

Conseil,

"Réaffirmant que, conformément au principe énoncé à l'Article 2, paragraphe 4, de la Charte des
Nations Unies, chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de terrorisme
sur le territoire d'un autre Etat, d'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son territoire des activités
organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque ces actes impliquent une menace ou l'emploi de la

force,

Constatant, dans ce contexte, que le défaut de la part du Gouvernement libyen de démontrer, par des
actes concrets, sa renonciation auerrorisme et, en particulier, son manquement continu à répondre de

manière complète et effective aux requêtes contenues dans la résolution 731 (1992) constituent une
menace pour la paix et la sécuritéinternationales,

1. Décideque le Gouvernement libyen doit désormais appliquer sans le moindre délai le paragraphe 3

de la résolution 731 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents S/23306, S/23308 et
S/23309;

2. Décideaussi que le Gouvernement libyen doit s'engager à cesser de manière définitive toute forme
d'action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu'il doit rapidement, par des actes

concrets, démontrer sa renonciation auerrorisme;"

Les paragraphes introductifs précitésn'équivalent nullement à la constatation -voire à

la démonstration- que la Libye aurait violé l'article 2, paragraphe 4 de la Charte. Les termes

"dans ce contexte" au septième paragraphe introductif démontrent au contraire que l'article 2

(4) de la Charte n'entre en considération qu'indirectement.

De fait, il ressort du septième paragraphe introductif et deuxième paragraphe du

dispositif que l'article 2 (4) de la Charte n'entre en jeu que dans la mesure où la Libye est

appelée à.fournir la preuve de sa renonciation au terrorisme, dont le Conseil estime qu'il a été

pratiqué par la Libye. Selon le septième paragraphe introductif, la réponse libyenne aux

demandes anglo-américaines et françaises doit constituer 1'une de ces preuves: Le Conseil
constate

"... le défaut de la part du Gouvernement libyen de démontrer, par des actes concrets, sa renonciation au
terrorisme et,n particulier, son manquement continu à répondre de manière complète et effective aux

requêtescontenues dans la résolution 731 ..."(nous soulignons)

(...) of the determination of the international community to combat terrorism and cradicatc it from the millst."

(ibid., p. 59).172

6.31 Cette considération vient donc s'ajouter à l'objectif de prévention, mais ne le modifie

pas. Le fait que, dans l'esprit du Conseil, la réponse libyenne soit fournie comme preuve de

"sa renonciation au terrorisme", n'en détermine pas la teneur autrement que l'objectif de
prévention du Conseil. Bien au contraire, c'est parce que et dans la mesure où la réponse

libyenne aura un effet dissuasif, qu'elle constituera, de la part de la Libye, la preuve de "sa

renonciation au terrorisme".

3- Cette ratio legis explique que le Conseil n'exige pas que la Libye livre

ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni

6.32 Comme il a étémontré ci-dessus, c'est 1'effet dissuasif ou préventif de 1'action
répressivequi a motivéle recours au Chapitre VII de la Charte.

Selon les termes mêmes de la résolution 731 ( 1992) 3B, cet effet dissuasif suppose

concrètement "l'établissement des responsabilités" dans les attentats contre les vols Pan Am
103 et UTA 772 (cfr. supra). Sur ce point, le raisonnement du Conseil est d'une logique

parfaite : on ne peut dissuader les candidats-terroristes qu'en leur prouvant que les coupables

d'un attentat seront toujours punis par la justice.

L'objectif poursuivi par le Conseil appelle donc ni plus ni moins que l'organisation d'une

enquêteet d'un procès en toute objectivité : le recours au Chapitre VII manquerait son but si
les coupables- les vrais coupables- de l'attentat contre le vol Pan Am 103 étaient acquittés

par un juge partial.

6.33 Cette exigence d'une enquêteet d'un procès objectifs n'équivaut naturellement pas à

celle que les suspects soient livrés aux Etats-unis ou au Royaume-Uni : l'objectivité requise
peut en effet êtregarantie par d'autres moyens, comme le jugement par une instance tierce, ou

le jugement en Libye en présence d'observateurs internationaux.

Dans cette mesure, la ratio legis du recours au Chapitre VIl de la Charte confirme entièrement
l'analyse qui a étéfaite des résolutions 731 et 748 : celles-ci n'exigent pas de la Libye qu'elle

livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

38 V.annexe n82. l73

En réalité, le jugement des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni serait même
susceptible de contrecarrer l'objectif poursuivi par le Conseil. Il est amplement montré

ailleurs dans ce mémoire qu'aucun jugement équitable ne peut êtregaranti aux suspects s'ils

sont livrés aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Ceci signifie concrètement que les tribunaux
de ces Etats risquent, le cas échéant,de condamner des innocents. Dans ces circonstances, le

jugement des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni serait, en réalité, contraire à

1'objectif d' "établir les responsabilités" dans 1'attentat contre le vol Pan Am 103. Ceci nuirait
à l'objectif de prévention du Conseil de sécurité: si les suspects, bien qu'innocents, sont

condamnés par un tribunal américain ou britannique, ceci ne peut qu'encourager les auteurs

véritables de l'attentat à persévérerdans la voie qu'ils ont choisie ...

Section 3- L'interprétation des résolutions au regard de la Charte et du droit

international généralet conventionnel

6.34 L'interprétation des résolutions 731 et 748 au regard de la Charte des Nations Unies et

du droit international généralet conventionnel applicable, confirme encore l'analyse ci­

dessus.

Les résolutions du Conseil de sécuritédoivent toujours êtreinterprétéesà la lumière

du, et en conformité avec le droit international. D'ailleurs, dans le 2ème paragraphe

introductif de la résolution 731 39,le Conseil affirme

"le droit de tous les Etats. conformément la Charte des Nations Unies et aux principes du droit
international, de protéger leurs nationaux acte de~terrorisme international qui constituent une
menace à la paix àtla sécuritéinternationales;" (nos italiques)

Alors que le Conseil mêmecantonne de la sorte la portée de sa résolution, il est a

fortiori exclu que l'on interprète cette résolution, et la résolution 748 qui y renvoie, comme

dérogeant au droit international.

Encore, la résolution 748 rappelle en son cinquième paragraphe introductif la

déclaration du 31 Janvier 1992, faite à l'occasion de la réunion du Conseil au niveau des

Chefs d'Etat et de Gouvernement 40,dans laquelle les membres du Conseil ont prononcé leur

profonde préoccupation à l'égard des actes de terrorisme international et estimé nécessaire

que la communauté internationale réagisse de manière efficace contre de tels actes. La partie

39 V.annexe n'R2.
40 S/23500 du 31janvier 1992, p.annexen• 88.174

de la déclaration consacrée au terrorisme internationafigure au Chapitre consacré à la

sécuritécollective, qui débuteainsi:

"Commitment to collective security

"The members of the Council pledge their cotointernational faw and to the United Nations
Charter . Ali disputes between States should be peacefully resolved in accordance with the provisions

of the Charter." (nos italiques)

La déclaration concernant le terrorisme suit ainsi, dans le même chapitre, celle

réaffirmant le respect du droit international. En l'absence de toute indication contraire, on ne
voit donc pas comment la résolution 748, qui se réfère à cette déclaration, pourrait être

interprétéed'une manière qui aboutisse à déroger au droit internationaL

6.35 En conclusion, les résolutions 731 et 748 n'exigent pas que la Libye s'en remette
entièrement aux exigences des Etats-Unis et du Royaume-Uni, telles qu'avancées par ces

Etats dans leur déclaration commune du 27 novembre 1991 et à d'autres occasions. En

particulier,les résolutions ne peuvent êtrecomprises comme exigeant, sans alternative
possible, la livraison des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Les résolutions obligent la Libye à convenir avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni
d'un mécanisme permettant d'atteindre l'objectif du Conseil- celui de soumettre les suspects

à un procès dans des conditions permettant d'établir les responsabilités pour l'attentat sur le

vol Pan Am 103, et de dissuader les terroristes potentiels.

CHAPITRE II- LA LIBYE A PLEINEMENT SATISFAIT AUX EXIGENCES DU
CONSEIL DE SECURITE SUSCEPTIBLES D'AFFECTER LA

PRESENTE PROCEDURE - CONCLUSION QUANT A

L'INCIDENCE DES RESOLUTIONS 731 ET 748

6.36 La Libye a pleinement satisfait aux exigences du Conseil de sécurité susceptibles
d'affecter la présente procédure (section 1). Ceci permet de conclure que les résolutions 731

et 748 n'affectent en rien la procédure devant la Cour (section 2). 175

Section 1- La Libye a pleinement satisfait aux exigences du Conseil de sécurité
susceptibles d'affecter la présente procédure

6.37 Les exigences du Conseil ne sont pas toutes susceptibles d'affecter la présente

procédure. Ainsi par exemple, l'exigence de la résolution 748 que la Libye s'engage à cesser
de manière définitive toute forme d'action terroriste ne peut entrer en conflit avec la

convention de Montréal de 1971.

Les résolutions 731 et 748 sont susceptibles d'affecter la présente procédure, dans la
seule mesure où la réponse libyenne aux demandes anglo-américaines doit permettre d'établir

les responsabilités pour l'attentat sur le vol Pan Am 103, savoir: doit garantir l'objectivité de

l'enquêteet du procès des suspects.

La Libye a entiè-rementsatisfait à cette exigence. Il est exposéci-après que la Libye a,

dans toute la mesure du possible, entrepris des démarches concrètes pour l'établissement des

responsabilités pour 1'attentat sur le vol Pan Am 103 (A). En outre, la Libye a fait des

propositions et concessions successives, veillant à garantir tant l'objectivité de l'enquête(B)
que l'objectivité du jugement des suspects (C).

A- La Libye a entrepris des démarches concrètes afin que soient

établiesles responsabilités pour l'attentat

6.38 En un premier temps, la Libye a décidéd'exercer sa compétence en matière pénale à
1'égard des suspects, en collaboration avec les autorités judiciaires des Etats-Unis et du

Royaume-Uni. La Libye a alors immédiatement entaméla procédure:

- le 27 novembre 1991, le Juge libyen chargéde l'enquêtea priéle Président du Grand Jury
du District de Columbia et l'Attorney General d'Ecosse de lui permettre d'examiner les

dossiers de l'affaire ou de le rencontrer afin de se concerter sur leur collaboration41;

le 28 novembre 1991, le mêmejuge a ordonné que les passeports des deux suspects soient
retirés42;

41 V. annexes n"43 et 44.
42 V.;~nne n°50.176

le 8 décembre 1991, le Département des Affaires étrangères de Libye a adressé une

demande aux autorités maltaises afin de permettre au Juge chargé de l'enquêted'interroger
des témoins maltais et des membres du personnel de l'aéroport de Luqa à Malte 4\

le 8 janvier 1992, le représentant permanent de la Libye auprès des Nations Unies

demandait au Secrétaire généralqu'il intervienne auprès des Etats-Unis et du Royaume-uni
pour qu'ils permettent au Juge chargé de l'enquête de prendre connaissance du dossier;

Cette demande a étéréitérée plusieurs fois sans succès 44_

Ceci suffit à démontrer que, nonobstant le refus total de collaboration de la part des

Etats-Unis et du Royaume-Uni, les autorités libyennes ont adopté toutes les mesures concrètes
nécessaires pour procéder rapidement au jugement des suspects.

6.39 Face à l'obstruction persistante des Etats-Unis et du Royaume-Uni, la Libye a ensuite

fait diverses propositions et concessions aptes à sauvegarder l'objectivité de l'enquête et du
jugement des suspects, mais qui sont restées sans résultats concrets en raison de l'obstruction

persistante des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

B- La Libye a fait diverses propositions aptes à sauvegarder

l'objectivité de l'enquête

6.40 En ce qui concerne l'objectivité de l'enquête,la Libye a fait les propositions suivantes:

Par un communiqué du 2 décembre 1991, la Libye a annoncé que si l'enquêteétait menée

par un juge libyen, les magistrats américains et britanniques pourraient participer au stade

finalde l'enquêteafin de veiller à l'impartialité et au bon déroulement de la procédure. Les
organisations internationales, associations des droits de l'homme et les familles des

victimes pourraient envoyer des observateurs ou avocats pour assister à 1'enquête, et

seraient tenues informées de tous les développements.

43 V. annexe n°58.
44 V. Lettre adresséeau Secrétairegénéral(s.d.), transmisc par lettre datéedu 8.1.1992 - Doc. A/46/841 et S/23396 du
9.1.1992,V. annexe n" 73; Lettre du 14.1.1992, adressée au High Chmu;el/or du Royaume-Uni, V. annexe no 77;
Rapport présentépar le Secrétaire généralen application du paragraphe 4 de 1a résolution73 1 (1992) du Conseil de

sécurité- Doc.S/23574 du 11.2.1992, V. annexe 90; Lettre adressée au Président du Consei1 de s.d.),té(
transmise par lettre datéedu 17.3.1992 - Doc. AJ46/895 et S/23731 du 19.3.1992, V. annexe 113; 177

La Libye annonçait par ailleurs qu'elle acceptait qu'une commission internationale neutre

soit chargéede l'enquête 45.

L'invitation libyenne aux magistrats américains et britanniques a étéaccueillie avec
satisfaction par la Conférence.islamique 46;

Le 28 novembre, la Libye proposait la création d'un comité conjoint des Nations Unies et

de la Ligue arabe pour assister à l'enquête en tant qu'observateur 47_ La Ligue arabe a

accepté par sa décision 5156 du 5 décembre qu'un tel comité examine tous les documents

relatifs à l'affaire 48_ La Libye a encore réitéréson acceptation de cette proposition Je 10
janvier 1992 devant le Bureau de Coordination des Pays non-alignés 49;

Après l'adoption de la résolution 731, le Colonel Kadhafi a encore confirmé à l'envoyé

spécial du Secrétaire généralque les Etats-Unis et le Royaume-Uni pouvaient envoyer

leurs propres juges enquêteren Libye 50;

le 27 février 1992, la Libye a encore accepté de transmettre les suspects à l'Office du

P.N.U.D. à Tripoli pour qu'ils y soient interrogés 51;

le mêmejour, la Libye a proposé que le Secrétaire généraldes Nations Unies forme un

comité de juges impartiaux afin d'enquêter sur les faits et de déterminer si les accusations

contre les deux suspects étaient fondées -auquel cas les suspects pourraient êtrelivrés à
une tierce partie (cfr. infra) 52.

45 V. annexe no54.

46 Décision relative la crise entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la G.J.A.LS.P., adoptée au 6ème Sommet de la
Conférence islamique ii Dakkar, les 9- 12.12.1991, V. annexe n• 60.
47 V_ la déclaration du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération interna(s.d.)transmise par

lettredatée du 29.11.1991, adressée au Secrétaire généralpar le Représentant permanent de la Libye auprès des
Nations Unies -Doc. A/46/845 et S/23417 du 13.1.1992, V. annexe 51.

48 Décision n" 5156 du 5.12.1991 du Conseil de la Ligue arabe, adoptée à sa session extraordinaire concernant les
menaces américaineset britanniques contre la G.J.A.L.P.S., V. annexe 556; V. aussi la Résolution 5158 adletéepar

Conscil de1a Li gue des Etats arabes le 16.1.1992, transmisc par lettre datée du 17.1.1992. adressée au Président du
Consei1de sécuritépar le Représentantpermanent de 1a Libye auprès des Nat ions Unies - Doc. S/23436 du 17.1.1992,
V. annexe 78.

49 V. le sommaire de presse de la Représentation permanente de la Libye auprès des Nations Unies, en date du
13.J.1992,reprenant le texte de la déclaration de"taLibye à la réuniondu bureau de coordination du mouvement des

non-alignés,en date du JO.1.1992, V. annexe 76.
50 V. le rapport présentépar le Secrétairegénéralen application du paragraphe 4 de la résolution 731 (1992) du Conseil

de sécurité-Doc. S/23574 du 11.2.1992, V. annexe n" 90.
51 V. Lettre adressée au Secrétaire général par le Secrétaire du Comité populaire de li aison extéricure et de la

coopération internationale (:s.d.), transmise par lettre datée du 2.2.1992, adressée au Secrétaire généralpar Je
Représentant permanent de la Libye auprès des Nations Unies - Doc. SI 23672 du 3.3.1992, annexe li, V. an•exes
l05-106.

52 Ibid.178

C - La Libye a fait des propositions et concessions successives, aptes à
garantir l'objectivitédu procès des suspects

6.41 En ce qui concerne l'objectivité du procès des suspects, la Libye a fait les propositions
et concessions suivantes :

- La Libye a d'abord suggéréau Secrétaire généraldes Nations Unies d'inviter des juges des

Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France, ainsi que des représentants de la Ligue
Arabe, de l'Organisation d'Unité Africaine et de l'Organisation de la Conférence.

Islamique à assister comme observateurs au procès en Libye 53_

Le 27 février, le Colonel Kadhafi précisait à l'envoyé spécial du Secrétaire généraldes
Nations Unies que

* la Libye pourrait, moyennant une modification de sa législation interne prohibant

l'extradition de nationaux libyens, envisager l'extradition à un pays tiers tel que Malte
ou un Etat arabe, ou à la France;

* la Libye ne s'opposerait pas à ce que les suspects se livrent eux-mêmes;

* si les relations bilatérales entre la Libye et les Etats-Unis s'amélioraient, la remise à ce

dernier Etat pourrait également êtreenvisagée 54_ Une telle amélioration contribuerait en

effetà garantir le procès équitable des suspects.

- Par lettre du mêmejour au Secrétaire généraldes Nations Unies 55, la Libye proposait un

mécanisme précispour la mise en oeuvre de la résolution 731:

"[La Libye] fait la proposition suivante:

1. La Jamahiriya ne s'oppose pas au principe de l'audition des deux.suspects dans le bureau dà PNUD
Tripoli;

53 V. Rapport présentépar le Secrétairegénéralen application du paragraphe 4 de la résolution731 (1992) du Conseil de
sécurité-Doc. S/23574 du 11.2. 1992, V. annexe n• 90.

54 V. le nouveau rapport du Secrétairegénéralen application du paragraphe 4 de la résolution731 (1992), Doc. S/23672
du 3.3.1992, V. annexe n• 106.
55 V. lettre datéedu 27.2.1992, adresséeau Secrétairegénéralpar Je Secrétairedu Comitépopulaire de liaison extérieure
et de la coopérationinternationale - Doc.du 3.3.1992, annexe 1,V. annexe n• 104. 179

2. Le Secrétaire généralde l'Organisation des Nations Unies mettra en place une commission judiciaire
composée de juges réputéspour leur neutra! itéet leur impartialité pour établir les faits, s'assurer de la
réalitédes accusations portées contre les suspects et procéder à une enquêteapprofondie;

3. Si le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies est convaincu du bien-fondé des
accusations, la Libye ne s'opposera pas à ce que les suspects soient remis, sous sa responsabilité

personnelle, à une tierce partie, étantentendu que celle-ci ne saurait en aucun cas les extrader;

4. Le Secrétaire généraide l'Organisation des Nations-Unies s'engage à donner toutes les garanties

juridiques et judiciaires en vue d'un procès équitable et impartial qui soit conforme à la Déclaration
universelle des droits de l'homme et aux principes du droit international.

Ces propositions auront force obligatoire pour la Libye, si elles reçoivent l'agrément des autres
parties." 56

Le 13 avril, après l'adoption de la résolution 748, la Libye a demandé à Malte si elle était

disposée àjuger les suspects, ce à quoi la Libye et les suspects consentaient 57.

Malte a accepté cette proposition le mêmejour, sous réserve de l'accord de toutes les

parties au différend 58.

Ultérieurement, la Libye a encore réaffirméles conditions dans lesquelles une remise des

suspects serait envisageable 59.

Le Pouvoir législatif libyen a, de son côté, adopté une résolution acceptant l'enquêteet le

jugement par le Comité établi par la Ligue arabe, ou par l'entremise des Nations Unies

devant un tribunal impartial à déterminer de commun accord 60.

56 "... the Jamahiriyu proposes the following mechanism:

1. It hus no objection in principe to handing over the two suspects to be Office of the United Nations Development

Programme in Tripoli for questionning.
2. The Secretary-General of the United Nutions should undertakc to crcate a legal committee mude up of judges

whose probity und impartiality are wall anested in ordcr to inquire into the facts, uscertuin whether the charges made
againts the two suspects are weil fonded and conduct a comprehensive inquiry.
3. Should it bewme evident to the Secretary·General of the United Nutions th<Jtthe charge is weil founded. the Liby<J

will not oppose the hand-over of the two suspects, under his persona! supervisitoa third party, while stressing that
they should not ugain be hunded over.

4.She Secretary-General of the United Nations should endeavour to providc ail legal and judicial guurantccs for the
conduct ofu just and fair triul based on the 1ntemationul bill of Rights and the principies of internutionu1 1aw.

The proposuls containcd in this draftall be binding on Libya if they are acccpted by the other pany."
57 Lettre datée du 13.4.1992, udressée au vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères de Malte par le

Secrétairedu Comitépopuluire de liaison extérieure et de lu coopération internationale, V. annex° 131.
58 Lettre datée du 13.4.1992, adressée llUSecrétu.iredu Comité populuire de liaison extérieure et de la coopération

internationllle par le vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangèresde Malte, V. annexe n• 132.
59 Lettre du Il mai !992 du Secrétaire du Comité de liaison extérieure et de la coopération internationale, adressée au
Secrétaire général,tran~mi aseSecrétaire généralpar lettre datée du !4.5. 1992 du Représentant permanent de la

Libye auprès des Nutions Unies - Doc. S/23918 du !4.5. 1992, V. unnexe ° 141
60 V. Résolution des Congrès populaires de base, adoptée à leur 2ème session de 1992, transmise au Secrétaire général

parlettre datéedu 29.6.1992 · Doc. S/24209 du 30.6.1992, V. annexe n· 154.180

Par lettre du 8 décembre 1992 au Secrétaire généraldes Nations Unies, la Libye a encore

rappelé ses propositions de procéder au jugement devant un tribunal neutre, de façon à ce
1
que la véritépuisse êtreétablie,conformément à l'objectif de la résolution6 •

Section 2 - Conclusion quant à l'incidence des résolutions 731 et 748 sur la procédure
devant la Cour

6.42 Il résulte de ce qui précède que, nonobstant 1'obstruction des Etats- Unis et du
Royaume-Uni,

- la Libye a entrepris toutes les démarches possibles et fait des propositions et concessions
success1ves;

- celles-ci étaient toutes aptes à satisfaire 1'exigence du Conseil que soient établies les
responsabilités pour l'attentat sur le volPan Am 103.

La Libye a ainsi pleinement rempli son obligation de négociation telle que définiepar
le Conseil de sécurité.

6.43 Ilen résulteque les résolutions 731 et 748 ne font nullement obstacle au règlement du
présent différend, et n'en détermine nullement l'issue. Les résolutions ne peuvent êtreainsi

interprétées qu'elles s'opposeraient à 1'exercice par la Libye de ses droits en vertu de 1a

convention de Montréal,alors que

- d'une part, les Etats-Unis et le Royaume-Uni rejettent arbitrairement les propositions

libyennes visant à garantir le jugement des suspects hors de la Libye mais dans des
conditions garantissant le caractère équitabledu procès;

- et d'autre part, la Libye maintient sa proposition d'autoriser la présence d'observateurs lors

d'un éventueljugement en Libye.

61 V.annexe n·176. 181

CHAPITRE III- A TITRE SUBSIDIAIRE : DANS LA MESURE OU ELLES

EXIGERAIENT QUE LA LIBYE LIVRE SES NATIONAUX AUX

ETATS-UNIS OU AU ROYAUME-UNI, LES RESOLUTIONS 731
ET 748 SERAIENT CONTRAIRES A LA CHARTE DES

NATIONS UNIES, ET INOPPOSABLES A LA LIBYE

6.44 Comme il a déjàétéremarqué, ce n'est que si les résolutions devaient êtreinterprétées

comme obligeant la Libye à extrader ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, que la

Libye aurait manqué à cette obligation et que les résolutions seraient susceptibles d'affecter la
présente procédure.

Il est toutefois exposéci-après que pour autant qu'elles comprendraient une telle exigence,

- les résolutions seraient contraiàla Charte, et notamment à ses articles(1) (section 2

ci-après) et 2 (7) (section 3 ci-après);

- la Cour serait par ailleurs appelée à se prononcer sur deux autres motifs qui affecteraient la

validitédes résolutions, à savoir que

* le Conseil, en recourant au Chapitre VU de la Charte dans le seul but de s'arroger les
pouvoirs y conférés,'est rendu coupable de détournement de pouvoir en violation des

articles 1 (1), 24 et 39 de la Charte (section 4 ci-après);

* le raisonnement qui sous-tend les résolutions 731 et 748 est incohérent, ce qui empêche

qu'elles puissent êtreinvoquées devant la Cour (section 5 ci-après).

L'exigence que la Libye livre ses nationaux auxats-Unis ou au Royaume-Uni serait
dès lors inopposable la Libye, de sorte que les résolutions 731 et 748 n'affecteraient pas plus

la présente procédure.

Avant de procéder à cette démonstration, il convient de rappeler que la Cour a le

pouvoir de vérifier les effets juridiques des résolutions 731 et 748, et de préciser la portée de
ce contrôle (section 1 ci-après).182

Section 1- La Cour a le pouvoir de contrôler la régularité des résolutions731 et 748

au regard de la Charte des Nations Unies

6.45 La doctrine la plus autorisée a appelé de ses voeux le contrôle, par la Cour, de la

validitédes résolutions 731 et 748 dans la présenteaffaire.

Pour le Professeur Thomas Franck :

"The legality of actions by any UN organ must be judged by reference to the Charter as a "constitution"
of delegated powers. ln extreme cases, the Court may have to be the last-resort defender of the system's
legitimacy if the United Nations is to continue to enjoy the adherence of its members. This seems to be
tacitly acknowledged judicial commun ground." 62

Le Professeur Mark Weiler remarque:

"As was hinted at in severa! of the dissenting opinions to the Lockerbie order, it may in fact be

necessary for the Court to exercise such competence if the constitutional system of the UN Charter is to
recover from the blow it has suffered in this episode. For, if there is no way of ensuring that the
enormous powers of the Council are exerdsed in accordance with the Charter, it is unlikely that the
States not permanently represented on it will in the long run desire to cooperate with the
organisation." 63

Se référantau Professeur Alain Pellet, le Professeur Graefrath affirme:

"The Court is obligcd to rule on any matter propcrly brought before it (..) on the basis of international
law and by applying judicial methods. If necessary, this of course includes an interpretation of the
Charter and a review of the legality of a Security Council resolution. t cannat fmd any provision of the
Charter that would hinder the Court in exercising such jurisdiction. According to Article 92 of the
Charter the Court is 'the principal judicial organ of the United Nations'. What other organ could legally

decide whether an act of a UN organ is in accordance with the principles and purposes of the Charter?
(..)
Ttseems that the Court has the authority and competence to decide whcther a Security Coundl decision
is in conformity with the Charter when this question cornes up in the normal course of its judicial
function.

Professor Alain Pellet recently discussed this point before the International Law Commission. He
stressed that the Court should always satisfy itself that any given decision of the Security Council was 1
legally correct, and that Security Coun il decisions must at !east comply with the norms of lus cogens

62 Thomas M. Franck, "The "Powers of Appreciation": Who ls the Ultimate Guardian of UN Legality"J", A.J./L, vol.
86, p.522-523. Notre traduction:La légalitédes actions de tout organe de l'ONU doit êtrejugéepar référencà la

Charte en tant que "constitution" de pouvoirs délégués. ans des cas extrèmes, la Cour pourrait devoir s'affirmer
comme le défenseurde dernièreinstance de la légitimitédu système,faute de quoi les Nations Unies ne pourront pas

continuer de bénéfieieru soutien de leurs membres. Ceci est bon sensjuridique, et tacitement admis."'
63 Mark Weiler, "The Lockcrbie Case: A Premature End to the 'New World Order'?", R.A.D.l.C. 1 A.J.I.C.L1992, p.

324. Notre traduction: "Comme il a étésuggérédans diverses opinions dissidentes dans l'Ordonnance Lockerbie, il
peut êtrenécessaireen pratique que la Cour exerce une telle compétencesi le systèmeconstitutionnel de la Charte
doitse remettre du coup qui lui a étéportédans cet épisode.Car, s'il n'existe pas de moyen de garantir que les

énormespouvoirs du Conseil sont exercésconformément à la Charte, il est improbable que les Etats ne disposant pas
d'un siègepermanent au Conseil serontà long terme, disposésà collaborer avec l'Organisation." 183

and certainly should not be contrary to the Charter itself, which is defïnitely superior to any finding of
the Security Council." 64

et encore:

"The Security Council remains a political organ that takes political decisions. Even if the Council
decides legal disputes and exercises 'quasi-judicial functions' it neither applies judicial methods nor

reachcs judicial results. Its decisions therefore cannat replace rulings of the Court or makc them
superfluous. The Security Council should !cave to the Court what belongs to the Court. (..)
If a Security Council decision - for whatever reason - in practice adjudicates a dispute between States,
nothing can prevent the Court from deciding on the legality of such a Security Council decision if this

becomes necessary when the matter is brought before the ICJ. Otherwise it would be quitc casy for
States to limit the jurisdiction of the Court even though they had previously accepted it. States could
simply bring the case to the Security Council and obtain a political decision. Such a procedure would
severely affect the independence of the Court." 65

Un auteur américain, M. Geoffrey Watson, parvient à une conclusion analogue 66.

6.46 Il est exposéci-après que ce pouvoir de la Cour de déterminer les effets juridiques des

résolutions du Conseil de sécurité,puise son fondement dans le caractère judiciaire de la Cour

(A). Ce fondement permet de déterminer la portée du contrôle de la Cour (B). Il en résultera

que, dans la mesure où elles exigeraient que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, la Cour serait appeléeà vérifierla validitédesdites résolutions (C).

64 Graefrath, B., "Leave to the Court What Belongs to the Court. The Libyan Case." E.J.I.L., 1993, p. 200-201. Notre
traduction:La Cour est dans l'obligation de se prononcer sur toute affaire dont elle est régulièrementsaisie (..) sur

base du droit international eten appliquant des méthodes judil:iaircs. Si nécessaire, ceci inclut bien sûr une
interprétation de la Charte ct un contr6le de la légalitéd'une résolution du Conseil de sécurité.Je ne trouve aucune

dispositiondans la Charte qui empêcheraitla Cour d'exercer cette compétence. Conformément à l'article 92 de la
Charte, la Cour est '\'organe judiciaire principal des Nations Unies'. Quel autre organe pourrait décideren droit si un

acte d'un organe de l'ONU est conforme aux principes ct buts de la Ch?rte
..)

Il semble que la Cour ait l'autoritéet la compétencepour décidersi une décisiondu Conseil de sécuritéest conforme
à la Charte lorsque cette question est soulevée dans le cours normal de [l'exercice] de sa fonction judiciaire. Le

Professeur Alain Pellet a récemment discuté de ce point devant du droit internationalIl aaccentué que la Cour
devrait toujours se satisfaire de ce qu'une décision donnéedu Conseil de sécuritéest juridiquement correcte, et que

lesdécisionsdu Conseil de sécuritédoivent à tout le moins êtreconformes aux normes de ius cogens et ne pourraient
en aucun cas êtrecontraires à la Charte même,qui prime incontestablement toute constatation du Conseil de sécurité".
65 Ibid., p. 204. Notre traduction: "Le Conseil de sécuritéreste un organe politique qui prend des dédsions politiques.

Même si le Conseil décidede différendsjuridiques et exerce des "fonctions quasi-judici<ürcs", il n'applique pas des
méthodesjudkiaires. Pour cette raison, ses décisions ne peuvent pas remplacer des jugements de la Cour ou rendre

ceux-ci superflus. Le Conseil de sécuritédevrait laisser à la Cour cc qui appàla Cour.( ..)
Si une décisiondu Conseil de sécurité- pour quelle raison que ce soit - tranche en pratique un différendentre Etats,

rien ne peut empêcherla Cour de déciderde la légalitéd'une telle décision si ceci s'avère nécessaire dans 1'affaire
portéedevant la Cour. Autrement, il serait trop facile pour les Etats de limiter la compétencede la Cour. Alors même

qu"i\s !"auraient acceptée précédemment,les Etats pourraient tout simplement porter l'affaire devant le Conseil de
sécuritéet obtenir une décisionpolitique. Une telle procédureafrecterait sérieusement l'indépendance de la Cour."

66 "Constitutionalism, Judicial Review, and the World Court", Han1ard ILJ1993,p.l ss.184

A- Le fondement du pouvoir de la Cour de vérifier les effets juridiques des

résolutionsdu Conseil de sécurité

6.47 Le pouvoir de la Cour de contrôler la régularitédes résolutions du Conseil de sécurité

puise son fondement dans la fonction judiciaire mêmede la Cour. La Cour ne pourrait, sans se

départir de sa fonction judiciaire, prendre en compte des actes juridiques aux fins de dire le
droit, sans analyser la validitédesdits actes juridiques si celle-ci est contestée.

6.48 Dans son avis consultatif du 20 juillet 1962 sur Certaines dépensesdes Nations Unies,

la Cour a étéappelée à se prononcer sur la portée de la résolution de l'Assemblée générale
demandant l'avis consultatif, au regard du rejet d'un amendement français tendant à ce que la

Cour donnât un avis sur le point de savoir si les dépenses en question avaient été"décidées

confonnément aux dispositions de la Charte".

La Cour a jugésur ce point :

"La Cour ne juge pas nécessaire d'exposer dans quelle mesure les travaux de l'Assemblée générale
antérieurs à l'adoption d'une résolution doivent entrer en ligne de compte pour l'interprétation de cette
résolution, mais elle fait les observations sui vantes quant à l'argument fondé sur le rejet de
l'amendement français.

Le rejet de l'amendement français ne constitue pas une injonction pour la Cour d'avoir à écarter
1'examen de 1a question de savoir si certaines dépenses ont été"décidées conformément aux
dispositions de la Charte", si la Cour croit opportun de l'aborder. On ne doit pas supposer que
l'Assembléegénéraleait ainsi entendu lier ou gênerla Cour dans l'exercice de sesfonctions judiciaires
;la Cour doit avoir la pleine libertéd'examiner tous les élémentspertinents dontcHe dispose pour se
faire une opinion sur une question qui lui est poséeen vue d'un avis consulta67f."

6.49 Dans son avis consultatif du 21 juin 1971 sur les Conséquences Juridiques pour les

Etats de la présencecontinue de i 'Afrique du Sud en Namibie, la Cour a jugé

"Il est évident que la Cour n'a pas de pouvoirs de contrôle judiciaire ni d'appel en ce qui concerne les

décisions prises par les organes des Nations Unies dont il s'agit. Ce n'est pas sur la validité de la
résolution 2145 (XXI) de 1'Assemblée généraleou des résolutions connexes du Consei1 de sécuriténi
sur leur conformité avec la Charte que porte la demande d'avis consultatif. Cependant, dans l'exercice
de sa fonction judiciaire et puisque des objections ont formulées, la Cour examinera ces objections
dans son exposé des motifs, avant de se prononcer sur les conséquences juridiques découlant de ces
résolutions.68

et, après avoir procédéà cet examen, a conclu :

67 Recueil, 1962. p. 156-15nos italiques.

68 Recueil, 1971, p.45 · nos italiques. 185

"L'Afrique du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d'avoir crééet prolongé une situation qui, selon
la Cour, a étévalablement déclaréeillégale,est tenue d'y mettre fin." 69

Il ressort de ces extraits que, alors même que la Cour n'était pas saisie par

l'Assemblée généralede la question de la validitédes résolutions en cause, l'exercice de sa

fonction judiciaire exigeait qu'elle examina la validitécontestée des résolutions pertinentes.

Dans son opm10n individuelle jointe à l'avis du 21 juin 1971, le Juge Petren s'est

prononcé en ces termes:

''(..) il est exclu que la Cour puisse se prononcer sur les conséquences juridiques de la résolution 276

(1970) du Consei 1de sécuritésans examiner d'abord la validité des résolutions sur lesquelles elle est
elle-même fondée, et cela d'autant plus que la validité desdites résolutions a étécontestée par 1'Afrique
du Sud et mise en doute par d'autres Etats. Tant que la validité des résolutions sur lesquelles se fonde la

résolution 276 (1970) n'est pas établie, il est évidemment impossible que la Cour se prononce sur les
conséquences juridiques de la résolution 276 (1970), car il ne peut y avoir de telles conséquences
juridiques si les résolutions de base sont illégales, et se prononcer comme s'il y en avait serait

incompatible avec le rôle d·'untribunal. li me semble que la majorité aurait dû s'exprimer sur ce point
avec plus de précision et de fermeté, mais je constate qu'elle a estimé elle aussi que l'avis devait

comprendre un examen de la validitédes résolutions en question." 70

Le Juge Onyeama a fait valoir dans son opinion individuelle:

"La Cour a étécrééecomme organe judiciaire principal des Nations Unies et, à ce titre, elle statue sur
les ditférends entre Etats dont elle peut valablement connaître. Elle est autorisée par la Charte et par le
Statut à donner des avis consultatifs (..).

Dans l'exercice de ces fonctions, la Cour est pleinement indépendante des autres organes des Nations
Unies; elle n'est nullement tenue d'émettre un arrêtou un avis qui soit "politiquement acceptable"; ce

n'est pas là son rôle. Sa mission, pour reprendre les termes de 1\article 38 du Statut, est de se prononcer
"conformément au droit intemational".

Les pouvoirs de la Cour sont clairement définis par son Statut, et i1 n'entre pas dans ces pou vairs
d'exercer un contrôle sur les décisions d'autres organes des Nations Unies; mais lorsque, comme c'est
le cas en l'espèce, les décisions deces organes intéressent une affaire dont la Cour est dûment saisie, et
lorsqu 'il est impossible de rendre un arrêtou un avis bien fondé sans examiner la validité de ces

décisions, la Cour ne peut évitercet examen sans abdiquer son rôle d'organe judiciaire." 71

De même,le Juge Dillard fait valoir que, si les résolutions formulant la demande

d'avis consultatif ne semblaient pas inviter la Cour à examiner la validitéde la résolution 276
du Conseil ni de la résolution 2154 de l'Assemblée générale,

"On peut ditlïcilement demander à un tribunal de se prononcer sur des conséquences juridiques si les

résolutions dont découlent ces dernières renferment elles-mêmes des conclusions juridiques affectant

69 ibid, p54 -nos italiques.

70 Avis consultatidu 21juin 1971,Opinion individuelledu Juge PetrenRecueil, 1971,p. 131 - nositaliques.
71 Avis consultatidu 21 juin 1971, opinion individuelle du Juge OnyeamRecueil,1971, p.143-144 - nos italiques. 186

ces conséquences (...) quand ces organes jugent bon de demander un avis consultatif, ils doivent
s'attendre à ce que la Cour agisse strictement en conformité de sa fonction judiciaire. Celle-ci lui

interdit de faire sienne, sans autre examen, une conclusion juridique qui conditionne par elle-mêmela
nature ella portéedes conséquencesjuridiques qui en procèdent 72

Le Juge Fitzmaurice traduit la mêmepenséeen faisant valoir que

"sur le plan consultatif comme au contentieux la Cour doit toujours agir comme un tribunal (..) le fait,

pour un tribunal, de donner des réponses qui peuvent seulement avoir un sens et de la pertinence si une
situation juridique donnée est présumée exister, sans examiner si elle existe (en droit), reviendrait
simplement à se livrer à un intéressant jeu de société,ce qui n'est pas !e rôle d'un tribunal."

6.50 En conclusion, la Cour ne pourrait, sans se départir de sa fonction judiciaire, prendre
en compte des actes juridiques aux fins de dire le droit, sans analyser la validitédesdits actes

juridiques si celle-ci est contestée.

B- Conséquences de ce fondement quant au contrôle de la validité des

résolutionsdu Conseil de sécurité

6.51 Le fondement du pouvoir de contrôle de la Cour qui comme on l'a dit repose sur sa

fonction judiciaire, en détermineégalementla portée,et ceci sous trois angles.

1 - La Cour a non seulement la possibilité. ma1s encore le devoir de

contrôler la validitédes actes juridigues gu'elle prend en compte pour

dire le droit, lorsque celle-ci est contestée

6.52 Dans la mesure où e11ene peut se départir de son caractère judiciaire, la Cour a le

devoir de contrôler la validitédes actes jutidiques qu'elle prend en compte pour dire le droit.

Il en va en tout cas ainsi lorsque cette validitéest contestée.

Ceci est amplement soulignépar les opinions individuelles précitées.

Pour le Juge Petren:

72 Avis consul!atif21ujuin1971,opinion individuelle du Juge Dillard, 1971,p.151- nos ital.iques.

73 Avis consultatif21ujuin1971,opinion dissidente du Juge Fitzmaurice, 1971,p.302-303.

_____________________________________________________________ _____________
___________ 187

".. il est exclu que la Cour puisse se prononcer sur les conséquences juridiques de la résolution 276

(1970) du Conseil de sécuritésans examiner d'abord la validité des résolutions sur lesquelles elle est
elle-même fondée." 74

Selon le Juge Onyeama:

"la Cour ne peut évitercet examen sans abdiquer son rôle d'organe judiciaire." 75

De même,pour le Juge Dillard,

"[La fonction judiciaire de la Cour] .. lui interdit de faire sienne, sans autre examen, une conclusion
juridique qui conditionne par elle-même la nature et la portée des conséquences juridiques qui en
76
procèdent."

Pour le Juge Fitzmaurice,

''sur le plan consultatif comme au contentieux la Cour doit toujours agir comme un tribunal( ..)." 77

2- Le pouvoir de contrôle de la Cour prévaut également dans la procédure

contentieuse

6.53 Dans la mesure où elle se fonde sur la fonction judiciaire de la Cour, la jurisprudence

en matièreconsultative précitées'applique également,si ce n'est afortiori, au contentieux.

Le Juge Onyeama, aprèsavoir distinguéles deux fonctions de la Cour, conclut que

"lorsqu'il est impossible de rendre un arrêtou un avis bien fondé sans examiner la validité de ces
7
décisions, la Cour ne peut éviter cet examen sans abdiquer son rôle d'organe judiciaire." 8

De mêmele Juge Fitzmaurice déduit-il la nécessité d'analyser la validité de la

résolution2145 de l'Assembléegénérale,de ce que

"(..)sur le plan consultatif comme au contemieux la Cour doit toujours agir comme un tribunal." 79

74 Avisconsultatif du21 juin1971, opinion individuelle du Juge Petren, Receu1971, p.131.

75 Avisconsultatif du21 juin1971, opinion individuellc du Juge Onyeama,Recueil, 197l, p144.
76 Avisconsultatif du 21juin 1971, Opinion individuelle du Juge DillaRen1eil, 1971,p.151.

77 Avis consultatif d21 juin1971, Opinion dissidente du Juge FitzmauriceRecueil, 1971p. 302
78 Avis consultatif d21 juin1971, opinion individuelle du Juge Onyeama,Recueil, 1971, p.l43-144-nos italiques.

79 Avis consultatif d21 juin1971, opinion dissidente du Juge FitzmauricRecueil, 1971,p.302 - nos italiques.188

Si pour le Juge Bustamante, la fonction consultative impose à la Cour des limites en

matière de contrôle de légalité,il n'en va pas de mêmeau contentieux:

"(..) le cas est que la Cour n'a pas lieu de se prononcer sur ces sujets, non seu!emelll par le fait de la
nature de cet avis consultatif (opiner, pas juger) mais parce que les limîtes de la question poséeà l'avis
visent uniquement la définition de savoir si les dépenses du Moyen-Orient et du Congo sont, oui ou

non, des "dépensesde l'Organisation", sans inclure l'aspect de la légalitédesdites dépen80s."

3 -Au contentieux,_ le contrôle de la Cour est exercé à titre incident

6.54 Il résulte déjà de ce qui précèdeque le contrôle de la Cour ne suppose pas 1'existence

d'un contentieux de la légalitépermettant de saisir la Cour directement de la validité des actes

des organes politiques des Nations Unies.

Les avis consultatifs des 20 juillet 1962 et 21 juin t971 le démontrent, dans toute

mesure où la Cour a accepté de vérifier la validité des résolutions de l'Assemblée généraleet

du Conseil de sécurité,alors mêmeque la question ne lui avait pas étésoumise, voire lui avait

étésoustraite.

Dans son avis du 21 juin 1971, la Cour a elle-même souligné le caractère incident de

ce contrôle, en indiquant qu'il trouvait sa place dans les motifs de l'avis et non dans le

disposi tif.

"(..) la Cour examinera ces objections dans son exposé des motifs, avant de se prononcer sur les

conséquencesjuridiques découlant de ces résolutions.81

De même, lorsqu'au contentieux le problème de la validité d'un acte se pose à titre
incident, la Cour est appelée à examiner ce problème dans son exposé des motifs. Le résultat

de cet examen lie les parties au différend soumis à la Cour, dans la mesure où il fonde l'arrêt

de la Cour.

80 Avis consultatif du 20 juillet 1962, &~sniente du Juge Bustamante, Recueil, 1962, p. 307 - nos italiques.
81 Recueil, 1971, p. 45; dans le mêmesens: avis consultatif du 20 juillet 1962, opinion individuelle du Juge Murelli,

Recueil. 1962, p. 216-217; opinion dissidente du 1uge Bustamante, ibid, p. 288; avis consultatif du 21 juin 1971.
opiniun individuelle du JugeCastroRecueil, 1971, p. 182. 189

Dans le présent différend, la Cour est appelée à se prononcer sur les effets

juridiques des résolutions 731 et 748 du Conseil de sécurité - portée du

contrôle à exercer par la Cour

1 - Dans la présente espèce, la Cour est nécessairement appelée à se

prononcer sur les effets juridigues des résolutions 731 et 748

6.55 Il résulte de ce qui précède qu'en la présente espèce, la Cour est appelée à se

prononcer sur les effets juridiques des résolutions 731 et 748 du Conseil de sécurité,si les
défendeurs se fondent sur ces résolutions pour tenter d'écarter l'application de la convention

de Montréal.

De fait, à supposer que lesdites résolutions exigent de la Libye qu'elle livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, leur validité déterminerait entièrement l'issue
du différend porté devant la Cour. La Cour ne pourrait donc pas rendre un jugement fondé,

conformément au droit international, sans se prononcer sur cette validité.

6.56 Ensuite, le contrôle de la Cour n'est nullement limité par le fait que la présente atlaire
soit introduite sur base de la convention de Montréal. Dans la mesure où i1 répond à une

exception d'illégalité,le contrôle que la Cour est appelée à exercer permet de confronter les

résolutions 731 et 748 à toute norme dont peut dépendre leur validité.

2- La portée du contrôle de la Cour guant aux effets juridiques des
résolutions 731 et 748

6.57 La Cour peut contrôler le re,spect des dùpositions de la Charte qui conditionnent
L'exercicedes pouvoirs du Conseil de sécurité:

Dans l'affaire des Conditions d'admission d'un Etat aux Nations Unies, la Cour a
jugé:

"Le caractère politique d'un organe ne peut le soustraire à l'observation des dispositions
conventionnelles qui le régissent,lorsque celles-ci constituent àeson pouvoir ou des critères à
son jugement"82.

82 Receui1,1947-1948, p.64 italiques. 190

Dans le contexte particulier de l'admission d'Etats membres aux Nations Unies, la

Cour a ainsi exercéson contrôle quant au respect des dispositions de la Charte qui constituent

des limites aux pouvoirs de l'organe politique, ou des critères pour son jugement.

6.58 Le respect de ces limitations et critères détermine les effets juridiques des décisions du

Conseil de sécuritéà l'égard des Etats membres. Comme l'a récemment remarqué le Juge
Bedjaoui, ceci résultedirectement du droit international général:

"(..) le Conseil de sécurité,comme du reste tous les autres organes politiques des Nations Unies, devrait
se conformer dans ses actes aux dispositions de la Charte (..) Cet organe doit naturellement servir la

volontédes Etats, exprimée dans le traitéqui l'a investi d'un mandat qu'il doit se garder de dépasser.
Ceue obligation du Conseil dérivenon seulement de la Charte mais encore du droit international lui­
même,puisque, selon un principe généralde base, la violation des stipulations d'un traitéexpose à

sanction. La Cour l'a déclaré."83

Ce raisonnement doit nécessairement prévaloir dans une procédure devant la Cour, qui

est appelée à se prononcer sur base du droit international, et qui ne pourrait donc valider la
violation d'un traité.

6.59 La mêmeconclusion s'impose au regard de la Charte même.L'article 25 de la Charte

énonceque

"Les Etats membres conviennent d'accepter et d'app\iquer les décisions du Con sei1 de sécurité
conformémentà la présenteCharte." (nos italiques)

Les Etats membres ne s'engagent ainsi à appliquer les décisions du Conseil de
sécurité,que dans la mesure où elles ont étéadoptées conformément à la Charte. Comme l'a

jugé la Cour dans son avis consultatif du 21 juin 1971:

"(..) lorsque le Conseil de sécuritéadopte une décision aux termes de l'article 25 conformément la
Charte ,il incombe aux Etats membres de se conformeràcette décision(..)" 84

Comme le remarque le Président Jiménez de Aréchaga:

"ln the light of the above pronouncement it may not be sufficient for the Council to invoke Article 25
for its decision to be binding. The key words in the Court' s pronouncement are those which, on the

83 M. Bedjaoui "Du contrôle de légades actes du Conseil de sécurité",in Nouveaux itinérairesen droit- Hommage à
Françoi.R·igaux, Bruylant, Bruxelles, 1993, p. 92-93 - nos italiques.

84 Avis consultatdu 21 juin 1971, Recue1971,p. 54 nos italiques. 191

basis of the terms of Article 25, require.the decision itself to have been adopted "in accordance with the
Charter"." SS

Et le Présidentpoursuit en citant le Juge Bustamante :

"C'est seulement en raison de la soumission aux buts et garallties fixés par la Charte que les Etats
membres ont limitépartiellement la portéede ses (sic) pouvoirs souverains (art. 2). il va sans dire par
conséquentque la vraie raison de l'obeissance des Etats Membres aux autoritésde l'Organisation est la

conformité des mamdats de ses organes compétents au texte de la Charte. Ce principe de la
correspondance conditionnée entre le devoir d'accepter les décisions institutionnelles et la conformité
de ces décisionàla Charte a étéconsacrépar l'articl25..." 86

Hans Kelsen souJignait déjà:

"Tt seems, however, as if Article 25 does not mean that the Members are obliged to carry out ali
decisions of the Security Council since, according to its wording, they agree to accept and carry out the
decisions of the Security Council 'in accordance with the present Charter'. 1t notclear whether the

last mentioned words refer to 'the decisions of the Security Council'or to the phrase 'to accept and
carry out'. However, in both cases the meaning of Article25 is thal the Members are obliged to carry

out only those decisions which the Security Council has taken in accordance with the Charte87"

6.60 Face à un acte 'quasi-judiciaire' du Conseil de sécurité,le pouvoir de contrôle de la

Cour est renforcéet étendu:

Si, dans le contexte particulier de l'admission d'Etats membres aux Nations Unies, la

Cour a limité son contrôle au respect des dispositions de la Charte qui conditionnent les

pouvoirs des organes politiques des Nations Unies, il ne peut en aller de mêmelorsqu'un

organe politique assume une compétence "quasi-judiciaire". Dans ces circonstances, le

pouvoir de contrôle de la Cour se voit renforcé et étendu.

6.61 Ceci résu 1te notamment de 1'avis consultatif de 1a Cour du 21 juin 1971, où la Cour a

validél'acte 'quasi-judiciaire' de l'Assemblée généraleconcernant la terminaison du droit de

l'Afrique du Sud d'administrer la Namibie.

85 E. Jiménezde Aréchaga,''General Course in Public international Law, R.C.A.D.l., 1978-1, p. 122.
86 Avis du20 juillet 1962, opinion dissidente du Juge Bustamante, Recueil, 1962, p. 104.

87 Kdsen, li., The Law of lht• Uniled Nations- A f;riticalAnalysis of Fundemental Prohlems, Londres, 1950 p. 95. Notre
traduction:"Il semblerait toutefois que l'article 25 de la Charte ne signifie pas que les Membres soient obligés

d'appliquer toutes les décisionsdu Conseil de sécuritépuisque, aux termes de cet article, ils conviennent d'accepter et
d'appliquer les décisions du Conseil de sécuritérmément à la présente Charte". Il n'est pas clair si ces derniers
mots se réfèrentaux 'décisionx du Conseil de sécuriàéla phrase' d'accepter et d'appliquer. "Toutefois dans ces

deux cas, le sens de l'article 25ue les Membres soobligésd'appliquer les décisiquele Conseil de sécuritéa
prises conformément à la Charte."192

Après avoir notéque cet acte reposait sur une conclusion formulée par la Cour dans

son avis consultatif de 1950 sur le Statut international du Sud-Ouest africain, et confirmée

dans son arrêtdu 21 décembre 1962, la Cour a jugé:

"S'appuyant sur ces décisionsde la Cour, l'Assemblée généralea déclaréque, le mandat étant terminé,
"l'Afrique du Sud n'a aucun autre droit d'administrer le Territoire". Elle n'a pas ainsi tranchédes faits

mais décritune situation juridique. Il serait en effet inexact de supposer que, parce qu'elle possède en
principe le pouvoir de faire des recommandations,l'Assemblée généraleest empêchéed'adopter, dans
des cas déterminés relevant de sa com~éten dee ,ésolutions ayant le caractère de décisions ou
procédant d'une intention d'exécution." 8

Et la Cour a conclu:

"L'Afrique du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d'avoir crééet prolongé une situation qui, selon

la Cour, a étévalablement déclaréeillégale,est tenue d'y mettre fin." 89

La Cour ne s'est ainsi pas limitée à vérifiersi 1'Assemblée généraleavait respecté les

dispositions de la Charte qui "constituent des limites à son pouvoir ou des critères à son

jugement", mais a vérifiési la résolution de l'Assemblée généraleétaiten tout point conforme

à la solution à laquelle étaitparvenue la Cour en tant qu'organe judiciaire.

6.62 La mêmeconclusion s'impose à l'égarddu Conseil de sécurité.De fait, conformément
au Chapitre VI, le Conseil n'est pas a priori appeléà exercer des pouvoirs "quasi-judicaires".

Le Chapitre VI charge d'abord le Conseil d'assister les Etats dans leur choix entre les voies de

règlement pacifique. Comme LeProfesseur Graefrath l'a encore remarqué récemment:

"Normally the Security Council has a policing function. lt is only in the exceptional situation of article
37.2 that the Security Council may recommend appropriate terms of seulement. In principle under
Chapter VI ils power is limited to recommend appropriate procedures or measurcs of adjustment." 90

C'est ainsi que l'article 37 de la Charte subordonne la recommandation de termes de
règlement par le Conseil, à l'impossibilité pour les parties de réglerleur différend par d'autres

voies, et que l'article 36 (3) prévoitque

"En faisant les recommandations [quant aux procédures ou méthodes d'ajustement appropriées], le
Conseil de sécuritédoit aussi tenir compte du fait que, d'une manière générale, les différends d'ordre

juridique devraient êtresoumis par les parties à la Cour internationale de Justice conformément aux
dispositions du Statut de laur."

88 C.l.J., Rece1,1962, p50 -nos italiques.
89 Ibid, p. 54 · nos italiques.

90 Graefrath, B., "Leave To The Court What Belongs To The Court. The Libyan CaseE.l.J.L1993, p. 193. Notre
traduction:"normalement le Conseil de sécurité a une fonction de police. Ce n'est que dans l'hypothèse
exŒptionnelle de 1'article 37.2 que le Conseil peut recommander des termes de règlemcnt appropriés. Sous le

Chapitre VI, ses pouvoirs se limitent en principeecommandation de procédures appropriées ou de méthodes
d'ajustement." 193

6.63 La Libye n'entend nullement déduire de ce qui précèdeque la Cour devrait, dans des

cas où la Charte octroie expressément un pouvoir discrétionnaire au Conseil de sécurité,
substituer son appréciation propre à celle du Conseil sans restriction aucune.

Par contre, il appartient à la Cour de vérifier si, partant des données dont il disposait,
le Conseil a pu, en logique et en droit, parvenir à la conclusion qui est la sienne.

Il en résulte en particulier, que la motivation juridiquement et logiquement
contradictoire des résolutions 731 et 748, exclut que celles-ci puissent êtreinvoquées devant

la Cour comme déterminant l'issue du présent litige, et cela alors mêmeque cette motivation

n'entraînerait pas une violation de la Charte.

Section 2 - Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye livre ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748

du Conseil seraient contraires à l'article 1, paragraphe 1 de la Charte

6.64 Il est procédéd'abord à l'analyse de l'article 1 (1) de la Charte au regard des pouvoirs

du Conseil en vertu des Chapitres VI et VII de la Charte (A). IJ sera ensuite exposé que, dans

la mesure où elles exigeraient que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au
Royaume-Uni, les résolutions litigieuses violeraient lesdites dispositions (B).

A- La portéede l'article 1 (1) de la Charte

6.65 L'article 1er de la Charte énonceque

"Les buts des Nations Unies sont les suivants :

(l) maintenir la paix et la sécurité internationet à cette fin: prendre des mesures collectives
efficaces en vue de prévenir et d'écarter les meàala paix et de réprimer tout acte d'agression ou
autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la
justice internationale, l'ajustement ou le règlement des différends ou de situations, de caractère
intemational, susceptibles de mener à une rupture de la paix." (nos italiques)194

La signification de cette disposition ne peut êtredissociée des pouvoirs conférésau

Conseil par les Chapitres VI et VII de la Charte. Après avoir préciséle sens de l'expression
"conformément aux principes de la justice et du droit international" (par. a), il conviendra

donc de situer cette expression par rapport aux pouvoirs du Conseil en vertu du Chapitre VI

(par. b) et du Chapitre VII (par. c) de la Charte.

1- La signification de l'expression "conformément aux principes de la

justice et du droit international"

6.66 Le rapport du Comité I/1 à la Conférence de San Francisco contient, à cet égard, les

précisions suivantes :

"(a) le comitéa considéréque 1'expression "en tenant dûment compte" des principes de la justice et du
droitinternational", qui figureà titre d'amendements des quatre puissances invitantes, n'était pas
suffisamment accentuée.11a donc remplacél'expression "en tenant dûment compte" par l'expression
"conformément à".

(b) (..) est clair que dans un cas d'ajustement ou de rèflement de litiges ou de situations, la solution
doit êtreconfom1e àla justice et au droit internation9l."

Il en ressort que l'expression "conformément aux principes de la justice et du droit

international", retenue dans l'article 1 (1) de la Charte, implique non une vague prise en

compte, comme point de référence,desdits principes, mais le strict respect de ceux-ci.

Cette exigence prévaut tant pour l'ajustement des situations que pour le règlement des

différends.

6.67 Ensuite, l'expression "principes de la justice et du droit international" n'offre pas au

Conseil d_esécuritéle libre choix entre les principes de la justice, et les principes du droit
international. Ceci est déjàexclu, par le fait que l'expression vise les principes de la justice et

du droit international. Par ailleurs, si le Conseil pouvait écarter le droit international au profit

de ce qu'il considère comme équitable ou nécessaire, le renvoi au droit international serait

inutile, puisqu'aussi bien la référenceaux seuls principes de la justice n'empêcherait pas le

91 Doc 944 Ul/34 (1) du 13juin 1945, U.N.C.I.O., Documents, vol. 6, p. 472-473. En anglais: a) The Committee held
that "with due regatothe fundamemal principles of justice and international law", ainthe amendement of

the four sponsoring powers, was not sufficiently emphatic. "With due regard" consequently became "in conformity
with".
(b) (..) lt was clear in any case of adjustment or seulement of disputes or situations, that the solution should be made

in conformity with justice and international(ibid., p. 454). 195

Conseil de se baser sur le droit international lorsque cela lui semblerait conforme aux

principes de la justice.

Le Professeur Higgins a souligné le caractère indissociable de la justice et du droit

interna tional:

"So far as "justice" is concemed, there is no evidence in the travaux préparatoires that the framers of the
Charter saw any great distinction between law and justice: the terms were used almost synonymously,
even if somewhat redundantly; and our own views that justice and law may not always run entirely in
harness should not lead us to give great weight to this·supposed deliberate dichotomy in the Charter

context." 9

2- L'article 1 (1) par rapport au Chapitre VIde la Charte

6.68 Aux termes de l'article 1 (1), c'est "l'ajustement ou le règlement des différends ou de

situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix" qui doit
êtreréaliséconformément aux principes de la justice et du droit international. L'exigence se

situe ainsi dans le cadre du Chapitre VI de la Charte.

Dans ce contexte, la latitude offerte au Conseil peut sans doute varier selon la fonction

qu'il assume dans un cas concret. Si le Conseil se borne à exercer une fonction de médiation
ou de conciliation, il est assurément autorisé, sous réserve de l'application des règles non

dérogeables, à suggérer aux parties des solutions équitables, différentes de celles s'imposant

stricto iure. Ceci est parfaitement conforme au texte de l'article 1 (1), dans toute la mesure où

il n'est pas contrairè aux principes du droit international qu'un médiateur ou conciliateur tente
de réconcilier les parties sur base d'une solution équitable. Par contre, l'article 1 (1) implique

que, si 1'activité du Conseil équivaut à un règlement substantiel du différend ou d'un

ajustement substantiel de la situation, les termes de règlement ou d'ajustement doivent être

conformes au droit international. Il convient ainsi de distinguer, selon les indices de chaque
cas particulier, les cas où le Conseil fait des propositions en tant que conciliateur, de ceux où

il tranche un différend, fût-ce de façon non obligatoire. Cette dernière hypothèse se présentera

notamment, du moins généralement,lorsque le Conseil recommande des termes de règlement

en vertu de l'article 37 (2) de la Charte, selon lequel

"Si le"Conseil de sécuritéestime que la prolongation du différend, semble, en fait, menacer le maintien
de la paix et de la sécuritéinternationales, il décide s'il doit agir en application de l'article 36 ou

recommander tels termes de règlement qu'il juge appropriés."

92 R. Higgins"The PlaceofInternationLawin the Scttlementof Disputesby theSecuriCouncil", A.J.I1970,p.196

Le Professeur Higgins confirme que, mêmesi l'article 37 (2) prévoit que le Conseil

peut "recommander tels termes de règlement qu'il juge appropriés",

"1 do not believe that the lerm "appropriate" in Article 37 (2) was inserted in contradiction to
"international law" in Article 1. Rather, it was intended by the term to provide broad discretion within
the framework of principlcs of international law." 93

Le règlement d'un différend par le Conseil doit donc être conforme au droit

international, la 'justice' permettant la prise en compte de l'équitésub !egem, mais en aucun

cas contra legem.

6.69 Enfin, quelle que soit la latitude offerte au Conseil lorsque 1e droit international n'offre

pas de solution claire et précise, le respect des "principes du droit international" exige, à tout

le moins, le respect des engagements conventionnels. Ceci a étébien mis en évidence en 1947

par le représentant du Royaume-Uni au Conseil de sécurité,lorsque l'Egypte s'adressa au
Conseil pour obtenir le retrait des troupes britanniques dans la zone du Canal de Suez. La

présence de ces troupes avait étéconvenue dans un traité,en vigueur entre le Royaume-Uni et

l'Egypte. Le représentant égyptien fit valoir que la question ne devait pas êtrerésoluesur base

du traité:

"(..) J believe the Security Council is not limited to seulement of the legal aspect of a dispute before it.
The Council is not called upon to adjudicate on the legal rights of the parties. lts mission - 1shall say its
higher mission - is to preserve peace and security, to see toit that conditions prevail in which peaceful

and friendly relations may obtain among nations( ..)" 94

Le Royaume-Uni répondit

"lt is one of the fundamental purposes of the Charter,set forth in Article l, paragraph 1, to bring about,
by peaceful means, and in confonn.ity with the principlesf justice and international law, the seulement
of imernational disputes. The principe pacta sunt servanda is perhaps the most fundamental principle of
international law ... If the treaty is valid, the Security Council cannat, consistently with the purposes of
the Unüed Nations, take any other course than that of recognizing this fact and removing this matter

from the agenda." 95

De fait, le respect des obligations conventionnelles est un des buts mêmesdes Nations
Unies. Dans le troisième paragraphe de son préambule, la Charte prévoitcomme objectif de

"... créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligaüons nées des
traitéset autres sourcesu droit international".

La convention de Montréal fait évidemment partie des "traités" citésà cet alinéa...

93 "The Placeof International Law in the SeUlementof Disputes by the SecurityCouncA.l.l.L1970.p. 9 - italiques

d'origine.Notre traduction:e ne croipa~ quele terme "appropriés"dans l'article 37.2 ien contradiction avec
le 'droit internationàl1'article 1er.Le terme visait pàconférerune large marge discrétionnaidans le cadre
des principesdu droit international''

94 U.N.SecurityCouncilOff. Rec., 2ndyear, 1947, 179thmeeting, 1861
95 U.N.SecurityCouncilOff. Rec., 2ndyear, 1947, 176th meeting, 1772. 197

Enfin, il est évident que le Conseil ne pourrait en aucun cas recommander des termes

de règlement contraires au jus cogens.

3- L'incidence du recours au Chapitre VII de la Charte

6.70 Le fait que le Conseil agisse en vertu du Chapitre VII de la Charte, ne le libère

nullement de l'obligation de conformer ses activités visant au règlement ou à l'ajustement

(son activitéquand au fond), aux "principes de la justice et du droit international".

6.71 Il est vrai que, selon les termes de l'article 1 (1), la conformité aux principes de la
justice et du droit international n'est une exigence que pour l'ajustement ou le règlement de

ditlërends ou de situations, et ne s'applique pas aux "mesures collectives efficaces en vue de

préveniret d'écarter les menaces à la paix" viséesdans la première partie de l'article.

Toutefois, il convient d'apprécier l'exacte portée de cette distinction. La première

partie de l'articie porte trèsexactement sur les

"mesures collectives efficaces en vue de préveniret d'écarterles àela paix" (nos italiques)

Ces termes visent, non pas le Chapitre VII de la Charte dans son ensemble, mais les
seules mesures coercitives des articles 41 et 42 de la Charte. Ils ne portent pas sur les

recommandations viséesà l'article 39 de la Charte, qui prévoit:

"Le Conseil de sécuritéconstate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou
d'un acte d'agression et fait des recommandation ou décide quelles mesures seront prises
conformémentaux arlicles 41 et 42 pour maintenir ou rétablirla paix et la sécuritéinternationales." (nos

italiques)

6.72 Dans toute cette mesure, l'article 1 (1) n'implique nullement, bien au contraire, que le
Conseil puisse, agissant sous le Chapitre VII, adopter des termes de règlement ou

d'ajustement contraires aux principes de la justice et du droit international. 198

De fait, il ressort des travaux préparatoires de la Charte que les 'recommandations' de

l'article 39 (celles adressées aux Etats directement intéressés)sont celles que pourrait faire le
Conseil en vertu du Chapitre VI de la Charte. Le Rapport du Comité 3/III à la Conférence de

San Francisco préciseà cet égard:

"En utilisant dans la Section B le mot "recommandations" qui est déjà inscrit dans l'alinéa 5 de la
Section A, le Comité a entendu indiquer que l'action du Conseil, dans la mesure où elle se rapporte au
règlement pacifique du différend ou de la situation ayant donné naissance à la menace de guerre, la
rupture de la paix ou l'agression, devrait êtreconsidéréecomme régléepar les dispositions de la Section
A

Dans une telle hypothèse, le Conseil poursuivrait en réalitésimultanément deux actions distinctes, l'une
ayant pour objet le règlement du différend ou de la difficulté, l'autre les mesures coercitives ou
conservatoires, chacune d'elles régie par une section propre du chapitre VIII." 96

Tout comme la recommandation adoptée sous le Chapitre VI, celle adressée en vertu
de l'article 39 aux Etats directement intéressés,doit donc êtreconforme aux "principes de la

justice et du droit international". D'autre part, pas plus que le Chapitre VI, le Chapitre VII

n'autorise le Conseil à imposer des termes de règlement. Le rapport de la Commission Il à la

Conférence de San Francisco en donne un des nombreux exemples, en énonçant:

"[Le Conseil de sécurité],s'il estime que le diftërend constitue une menace pour la paix et la sécurité
intemationa.les, peut décider de reconunander d'autres procédures ou condition de règlement." 97

Le Professeur Arangio-Ruiz, Rapporteur spécial de la Commission du Droit

international, a récemment confirméle bien-fondé de cette analyse:

"As stipulated unambiguously in the Charter, the Security Council"s powers consisted of making
nonbinding recommandations, under Chapter VI, wich dealt with dispute seUlement, and also binding
decisions under Chapter VU, which dealt with measures of collective security. The main point was that,
according to the doctrinal view - which did not according to be seriously challenged either in the legal
literatureor in practice - the Security Council would not be empowered, when acting under Chapter

VII, to impose settlements under Chapter VI in such a manner as to transform its recommendatory
function under Chapter VI into binding seulements of disputes or situations." 98

96 Doc. 881 Tl/3/46 du JO juin 1946, U.N.C.I.O, Documenti, vol. 12. p. 522-523 : En anglais: "ln using the word

'recommendations' in Section B,as already found in paragraph 5, Section A, the Committee has intended to show
that the action of the Councilfar as it relates to the peaceful scttlement of a dispute orto situations giving risc to a
threat ofwar. a brcach of the peace, or agression, should be considercd as goverbydthe provisions contained in

Section A. Under such an hypothesis, the Council would in reality pUt·sucsimultaneously two db;tinct actions, one
having for its object the seulement of theispute or the difficulty, and the other, the enforcement or provisional
mcasures,each of which is governedhy an appropriate section in Chaptcr VIU(ibid.p. 507)

97 Doc. 1170 1170, Ill/13, 23 juin 1945, U.N.CI.O, vol. Il, p. 239. En anglais: "[the Security Council], if it considers
Lhatthe disputeconstinaes a threatto internalional peace and security, shaH decide whether recommend either
procedures or terms ofettlement."(ibid.p. 233)

98 A/CN.4/sr. 2277, p. 3, 30 juin 1992,citépar Graefrath, ocitp. 193).Notre traduction: "Comme il est stipulésans
ambiguïtédans la Chane, les pouvoirs du Conseil de sécuritéconsistaient en l'adoption de recommandations non­

obligatoires, sous le chapitre VI, qui concernait le règlement des différends, et des décisionsobligatoires sous le
chapitre VII, qui concernait les mesures de sécurité colle. e point essentiel étaitque, selon le point de vue de la
doctrine- qui ne semble pas avoir étésérieusementcontestédans la littératureou la pratique - le Conseil de sécurité

n'aurait pas le pouvoir, en agissant sous le chapitre VII, d'imposer des règlements sous le chapitre VI de àaçon
transformer sa fonction de recommandation sous le chapitre VI en des règlements obligatoires de différendsou de
situation." 199

et encore:

"Although the Security Council had the right to take measures to put an end to fighting, it was not

empowered to seule disputes orto impose a solution to a dispute." 99

6.73 Dans ce contexte, les mesures coercitives n'ont pas pour but l'exécution forcée de

termes de règlement ou d'ajustement, mais le rétablissement des conditions permettant
l'application du Chapitre VI de la Charte. C'est précisémentcette fonction du Chapitre VII,

qui fut invoquéepar le Comité Ill pour justifier l'inutilitéd'étendre la référenceaux principes

de la justice et du droit international, à la première partie de l'article 1 (1). Le Rapporteur

résumaainsi le point de vue du Comité:

"L'Organisation doit( ..) mettre promptement un terme à toutes menaces contre la paix. Après cela, elle
peut se mel/re au travail pour trouver un règlement équitable du lilige ou de la situation.

Lorsque l'Organisation a employé le pouvoir dont elle est dotée et la force mise à sa disposition pour
arrêterla guerre, elle peut trouver la latitude nécessaire l'application des principes de la justice et du
droit international, ou bien elle peut assister les deux parties rivales pour qu'elles trouvent une solut.ion
pacifique.

Le concept de justice et de droit international peuvent ainsi trouver une place plus appropriée dans la
dernière partie du paragraphe. Ce concept peut y trouver sa vraie portée d'action, une expression plus
précise et une application plus pratique. Il ne saurait êtrequestion de laisser cette notion perdre de son
importance ou de son poids ou de sa force, qui lui viennent de son caractère de norme essentielle et
dominante pour l'ensemble de la Charte." 100

Le représentant du Royaume-Uni à la Conférence de San Francisco, a fait la même

analyse du rôle du Conseil de sécuritédans le domaine du maintien de la paix. Citons le texte
original en anglais, où le représentant se réfèreà

"the illustration of the policeman or the gendarme who is concerned with dealing with a wrong that he

sees arising. He does not stop at the outset of what he does to inquire where exactly lies the precise
balanec of justice in their quarre!. He stops it, and then, in arder to muke adjustment and seulement,
justice cornes into its own"101

99 AfCN .4/SR.2267, p. 21, 29 mai 1992,citépar Graefrath, loc. cit. - Notre traduction: "Quoique le Conseil de sécurité
avaitle droit de prendre des mesures pour mettre fin aux conflits arméiln'avait pas le pouvoir de réglerdes

différendsou d'imposer une solutioàun différend."
100 Doc. 944 Ill/34(1) du 13juin 1945,U.N.C.l.O, Documents,vol. VI, p. 472. En anglais: "the Organisat.~hou (.)d
promptly stopany breach of the peace, or remove it. After that,i can proceed to find an ajustement or seulement of

that dispute or situation. When the Organisation has used the power given to iL and the force at its disposai to stop
war, then it can find the !attitude to apply the principles ofjustice and international law, or can assist the contendiog

partieso fnd a peaceful solution.
The concept ofjustice and international law cao thus find a more appropriate place in context with the last part of the

paragraph dealing with disputes and situations. There, it cao fiod a real scope to operate, a more precise expression
and a more practical field of application. wa.1no intention10lethis 1wtionlose any of {tsweightor strength,as
an over-rulingnormsof thewholeCharter." (ibid.453-454).

101 Doc. 1006 1/6du 15juin 1945, U.N.C.I.O, Documents,vol. VI, p. 14. La traduction française (ibid., p. 20) est fort
incomplète.notre traduction : "l'illustration du policier ou du gcndanne qui veut prendre en charge un problèmequ'il

voit naître. Il ne s'arrêtepas au débutde son activitépour détermineroù exactement se situe la balance exacte de la200

Il en a déduit qu'il n'était pas nécessaire d'étendre le champ d'application des

principes de la justice et du droit international à la première partie de 1'article 1 (1),dès lors
que leur application au Chapitre Vl offrait toutes les garanties requises 10 . Ceci s'explique

précisément, par la portée décrite ci-dessus des mesures coercitives du Chapitre VII de la

Charte.

Dans toute la mesure où les mesures coercitives constituent des 'mesures de police',

c'est-à-dire une coercition temporaire visant à remettre en route le règlement pacifique des

différends, il est en effet sans importance que la référenceaux principes de la justice et du

droit international ne vale pas pour la première phrase de l'article 1 (1) concernant les
mesures collectives. Celles-ci ont pour but même,le retour au Chapitre VI de la Charte, et

donc aux principes de la justice et du droit international.

6.74 Dans la mesure où le Conseil ferait usage des mesures coercitives afin de sanctionner
la violation d'une obligation internationale, ce procédése distinguerait sous deux aspects de la

conception initiale. D'une part, le Conseil substituerait à la recommandation de termes de

règlement ou d'ajustemént, une décision obligatoire constatant le fait illicite; d'autre part, les

mesures coercitives sanctionnant cette violation, ne viseraient pas le retour au Chapitre VI
comme les mesures de police, mais se substitueraient définitivement au règlement selon ledit

Chapitre.

La Cour a, dans son avis consultatif du 21 juin 1971, analysé une situation analogue.
L'on avait objecté à l'encontre de la résolution 2145 (XXI) de l'Assemblée généralequ'elle

contenait des prononcés que 1Assemblée n'avait pas compétence pour formuler, faute d'être

un organe judiciaire et de n'avoir pas renvoyé la question à un tel organe. La Cour a fait valoir

à cet égardque

"(refuser) le droit. d'agir à un organe politique de l'Organisatdes Nations Unies (..) parce qu'il
n'aurait pas compétence pour prendre ce qui est qualifié de décision judiciaire, ce serait non seulement
contradictoire mais encore cela reviendraàtun déni total des recours disponibles contre les violations
fondamentales d'un engagement international." 103

La Cour a ensuite constaté que la déclaration par l'Assemblée générale quant à la

terminaison du droit de 1'Afrique du Sud d'administrer le territoire, reposait sur une

justice dans leconfliliy met fin, et ensuafinde parvenir à un ajustement ou un règlement, la justice reprend

ses droits. .,
102 Ibid.
103 C.I.J.Recueil1971,p. 49. 201

conclusion formulée par la Cour dans son avis consultatif de 1950 sur le Statut international

du Sud-Ouest africain, et confirmée dans son arrêtdu 21 décembre 1962:

"S'appuyant sur ces décisionsde la Cour, l'Assemblée généralea déclaréque, le mandat étant terminé,
"\'Afrique du Sud n'a aucun autre droit d'administrer le Territoire". Ellen 'apas ainsi tranchédes faits
mais décritune situation juridique. 11serait en effet inexact de supposer que, parce qu'elle possède en
principe le pouvoir de faire des recommandationl'Assemblée généraleest empêchéed'adopter, dans

des cas déterminés relevant de sa compétence, des résolutions ayant le caractère de décisions ou
procédant d'une intention d'exécution." 104

Et la Cour a conclu:

"L'Afrique du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d'avoir crééet prolongé une situation qui, selon
la Cour, a étévalablement déclaréeillégale,est tenue d'y mettre fin." lOS

Cette jurisprudence vaudrait a fortiori, dans l'hypothèse où un organe politique des

Nations Unies ne sanctionnerait pas la violation d'une obligation internationale, mais
adopterait des termes de règlement en dehors de ce contexte.

6.75 Dans la mesure où ces considérations sont transposables à l'exercice par le Conseil de
ses pouvoirs en vertu du Chapitre VII, il convient d'apprécier le fondement et l'exacte portée

de ces pouvoirs: Le Conseil ne peut, en principe, qu'adopter des recommandations 'quant au

fond. Il peut néanmoins adopter également des décisions 'quant au fond', à condition toutefois

qu'elles soient strictement conformes au droit internationaL

Comme en témoigne 1'avis précité de la Cour, ceci suppose également que la

conclusion du Conseil soit baséesur une appréciation exacte des faits pertinents.

La validité, ou au moins l'invocabilité devant la Cour, d'une décision en vertu du

Chapitre Vll telle que celle obligeant la Libye à satisfaire aux demandes des Etats-Unis et du

Royaume-Uni, dépend donc (1) de l'appréciation exacte des élémentsfactuels pertinents, et

(2) de l'application rigoureuse du droit international.

104 Ibid., p. 50- nos italiques.
105 Ibid., p. 54- nos italiques.202

B- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait de la Libye qu'elle livre

ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutionslitigieuses
seraient contraire à l'article 1 (1)

6.76 Dans la mesure où elles exigeraient de la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats­

Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748 seraient contraires aux principes de la
justice et du droit international, violeraient de ce fait l'article 1 (l) de la Charte. Ceci résulte

notamment de ce qui suit:

1 -Le Conseil violerait les principes du droit international et de la justice

6.77 Tout d'abord, le principe selon lequel le Conseil de sécuritédoit dans son action

respecter les conventions applicables entre parties, s'oppose à ce que le Conseil écarte la
convention de Montréal.

Plus généralement, l'exigence que la Libye livre les suspects aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, serait contraire au principe du droit international, qu'il n'y a pas d'obligation

d'extrader ses propres nationaux sans accord.

6.78 Ensuite, il a étéexposé ci-dessus que, s'ils étaient jugés aux Etats-Unis ou au
Royaume-Uni, les suspects ne pourraient bénéficier d'un procès équitable.

Dans ces conditions, la non-remise est un droit fondamental des suspects, et une

obligation de jus cogens pour l'Etat requis. Or, il est incontestable que 1'article 1 (1) de la

Charte exige à tout le moins du Conseil de sécuritéqu'il respecte iejus cogens.

6.79 Qui plus est, dès lors qu'elle compromettrait gravement le caractère équitable du
procès des suspects, l'exigence que la Libye livre les suspects aux Etats-Unis ou au Royaume­

Uni serait radicalement contraire aux principes de la justice. Mêmeà supposer que le Conseil

puisse écarter le droit international au profit de la justice -quod non -, les résolutions
litigieuses resteraient donc contraires aux "principes de la justice et du droit international". 203

2- Le recours au Chapitre VII de la Charte ne·modifie aucunement cette
constatation

6.80 Le recours au Chapitre VII de la Charte n'altère en rien cette conclusion.

6.81 D'une part, la remise - si elle étaitexigée par le Conseil - ne constituerait nullement

l'objet d'une 'mesure de police' au sens préciséci-dessus. Loin de constituer une mesure

temporaire visant à écarter la menace contre la paix et à permettre le retour au Chapitre VI de
la Charte, la remise se substituerait de façon définitive à tout règlement basé sur Je Chapitre

VI. A supposer d'ailleurs que les résolutions litigieuses dussent s'analyser en termes de
'mesure de police', ceci excluerait ipsofacto qu'elles fassent obstacle au règlement du présent

différend ou en déterminent l'issue.

6.82 D'autre part, l'extradition ne se justifierait aucunement en tant que sanction de la

violation d'une obligation de la Libye. Perçue sous cet angle, l'exigence du Conseil serait
contraire aux principes du droit international et de la justice tout point de vue.

Dans la mesure où la Libye n'est pas dans l'obligation, selon le droit international, de
procéder à la remise demandée par les défendeurs, la décision obligeant la Libye à procéder à

celle-ci et les mesures coercitives y rattachées, ne pourrait se justifier en tant que sanction de
la violation d'une obligation préexistante en matière d'extradition.

Ensuite, 1'obligation de remettre les suspects ne pourrait aucunement se justifier en
tant que sanction d'une implication alléguéede la Libye dans l'attentat de Lockerbie. Cette

approche serait contraire aux principes de la justice et du droit international, en ce qu'elle

supposerait établies tant la culpabilité des suspects que la responsabilité de la Libye pour leurs
agissements :

- Ceci constituerait d'abord une violation de la présomption d'innocence des
suspects:

De fait, l'objectif principal des résolutions serait d'obtenir de la Libye l'extradition des
suspects aux fins de comparaître dans une procédure pénale. Dans ce contexte204

particulier, la présomption d'innocence des suspects est de droit - et qui plus est, de

droit internationall06.

Pour fonder ses exigences sur l'implication de la Libye dans l'attentat de Lockerbie, le

Conseil devrait écarter cette présomption d'innocence.

Ceci serait contraire, tant aux principes de la justice qu'au principes du droit

international. Il en est a fortiori,dès lors que le Conseil en déduirait l'obligation de la

Libye d'extrader les suspects: le Conseil se situerait lui-même dans le contexte du

droit pénal, qui consacre spécifiquement la présomption d'innocence.

Le représentant du Royaume-Uni s'est parfaitement rendu compte de ce problème, et a

déclarélors de l'adoption de la résolution 731 :

"Nous n'affirmons pas que ces personnes sont coupables avant qu'elles soient jugées, mais
nous disons qu'îl existe de graves élémentsde preuve contre elles et qu'elles doyvfaire

face devantun tribunal." 107

C'est là, précisément, une des raisons pour lesquelles le Conseil ne pourrait exiger de

la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni ....

- Ensuite, àsupposer mêmeque cette présomption puisse êtreécartée- quod non -, le

Conseil n'en aurait pas moins violé les règles du "due process of law" au détriment de

la Libye.

De fait, la responsabilité libyenne suppose non seulement que la culpabilité des

suspects soit établie, mais encore que leur comportement puisse être attribué à la

Libye. Cette attribution suppose que les suspects aient (l) étédes agents de l'Etat, et

(2) aient agi en cette qualité en commettant, par hypothèse, l'attentat sur le vol Pan

Am 103.

L'attribution à la Libye des agissements éventuels des suspects, suppose donc qu'il

soit démontréque les suspects étaient des agents des services secrets libyens agissant

106 V. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, an. 14 (2); convention européenne des droits de 1'homme,
art. 6 (2); projet d'articles de la Commission du Droit international sur les crimes contre la paix et la sécuritéde

l'humanité,an. 8;
107 S/PV. 3033, p. 103. En anglais: "We are not assening the guilt of these men before they are tried, but we do say that
there isrio uvdence against them which they must face in coun." Voir annexe n°83. 205

dans l'exercice de leurs fonctions. Or, ceci n'est nullement établi,comme en témoigne

notamment la déclarationdu Lord Advocate ofScotland distribuéeau Conseil l08:

"lt isalleged that Megrahi is a senior officer of the Libyan Intelligence Services, holding
positions with libyan Arab Airlines and as Director of the Center for Strategie Studies in
Tripoli at the timef these offences.

"lt is alleged that Fbimah was also an officer of the Libyan Intelligence Services, holding a

position as Station Officer with Libyan Arab Air\ines in Malta.

The first charge in the petition is that betweJanuary 1985 and 21 December 1988 (..)

Being members of the Libyan Intelligence Services, and in particular Magrahi being the Head
of Security of Libyan Arab Airlines and thereafter Director of the Center for Strategie Studies,
Tripoli, Libya and Fhimah being the Station Manager of Libyan Arab Airlines in Malta.

Did conspire together and with others to further the purposes of the Libyan Intelligence
Services by criminal means, namely the commission of acts of terrorism directed against
nationals and the interests of other countries and in parti cular the destruction of a civil
passenger aircraft and murder of its occupants.

This does not mark the end of the police investigationsalthough it plainly marks the most

important public development to date in this unique criminal inquiry. (..)"(nos italiques)

Les suspects ne sont donc pas officiellement des agents de la Libye qui auraient pu

commettre l'attentat dans l'exercièe de leurs fonctions. S'ils sont soupçonnés d'être
des agents des services secrets ayant commis l'attentat pour promouvoir les intérêts

politiques de l'Etat libyen, tout ceci reste à prouver. La déclaration mêmeen témoigne,

qui préciseque l'enquête n'est pas terminée.

Par ailleurs, il n'a étédistribué aux Membres du Conseil aucune preuve ni début de

preuve de la culpabilitédes suspects, ni de ce que leurs agissements éventuelsauraient

étéattr]buables à la Libye : les documents qui ont étédistribués au Conseil 109
contiennent seulement une énumérationd'allégations. Celles-ci n'ont étéétayéespar

aucune preuve matérielle. A fortiori, aucun débatcontradictoire n'a-t-il pu êtremené

au sujet de ces preuves.

Dans toute cette mesure, le Conseil n'aurait pu admettre la responsabilité libyenne

pour l'attentat de Lockerbie: d'une part, ceci constituerait une violation des règles du

108 V. la déclarationfaile par le Procureur générald'Ecosse le 14.11.1991, transmise au Secrétairegénéralpar lettre datée
du 20.12.1991 du Représentantpermanent du Royaume-Uni auprès des Nations Unies - Doc. A/46/826 et S/23307 du

31.12.1991, annexe I Annexe n"8.
109 Notamment la déclarationdu 14/11/1991 du i..(JrdAdvocate of Scot/and (S/23307 du 31.12. !992, V. annexe n° 8) et
l'acte de mise en accusation du 14.11.1991 du District Courrjor the District of Columbia (S/23317 du 23.12.1991, V.

annexe n° 7 ).206

"due process of law" au détriment de la Libye d~'autre part, cette conclusion ne

pourrait êtrebaséesur des faits avérés,comme l'exige la jurisprudence de la Cour (cfr.
supra).

6.83 En conclusion, les résolutions 731 et 748 sont contraires à l'article1 (1), en

combinaison avec les Chapitres VI et VII de la Charte et ne peuvent êtreinvoquéesdevant la

Cour pour faire obstacle au règlementdu présentdifférendou pour en déterminerl'issue.

Section 3- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye livre ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748

seraient contraire à l'article 2, paragraphe 7 de la Charte

6.84 Il est exposéci-après que, dans la mesure où elles exigeraient que la Libye livre ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748 interviendraient

dans une affaire relevant de la compétence nationale de la Libye, au sens de l'article 2 (7) de

la Charte (A). Il est démontréensuite que le recours au Chapitre VII de la Charte ne modifie
en rien cette constatation, de sorte que ladite exigence du Conseil resterait une violation de

l'article 2 (7) de la Charte (B).

A- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748
s'opposeraient à la règle de non-intervention dans une affaire relevant de la

compétence nationale de la Libye, au sens de l'article 2 (7) de la Charte

6.85 Après avoir préciséla portéedu principe de non-intervention de l'article 2 (7) de la

Charte (par. 1), il est exposéque l'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux
Etats-Unis ou au Royaume-Uni entrerait en opposition avec ce principe. 207

1 - La portéedu principe de non-intervention de l'article 2 (7)

6.86 L'article 2 (7) énonceque

"Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui
relèvent essentiellement de lu compétence nationale d'un Etat, ni n'oblige les Membres à soumettre des
affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce
principe ne porte en rien atteinte à 1'application des mesures de coercition prévues au Chapitre V11."

6.87 Insérédans le chapitre premier de la Charte, l'article 2 (7) vise à exclure que les autres

dispositions de la Charte, dont l'article 24 et le chapitre VII, ne soient interprétéescomme

autorisant une intervention dans les affaires nationales des Etats membres.

Dans les termes de Sir Humphrey Waldock,

"The purpose and effect of Article 2 (7) is really to protect signatories of the Charter from being
afterwards told that by subscribing to the provisions of the Charter they had authorized the United
11
Nations to intervene in matters essentially within their own domestic jurisdiction." 0

Dans l'affaire de 1'/ranian Oil Company, Sir Eric Beckett a déclaré au nom du

Royaume-Uni:

"Article 2 (7) contains merely a negative provision withholding from the United Nations, and of course
its organs, a power that, if it were not for the insertion of Article 2 (7), the Charter might be .said to
confer on the organs of the United Nations. The language used is "nothing contained in the present
Charter shall authorize ..." - "authorize" - in other words, Article 2 (7) is simply a reservation that you
are not to read into the orther clauses of the Charter the grant of an authoriti to the United Nations to

intervene in matters essential!y within the domestic jurisdiction of aState." Il

6.88 Lorsqu'il est invoqué devant le Conseil de sécurité,l'article 2 (7) est susceptible de
remplir diverses fonctions.

Il 0 "The Plea of DomesticJurisdiction before International TribunatB.Y.B.f.L.1954, p. 123. Notre traductio"Le but

et l'effet de l'artic(7)est véritablementde protégerles signataires de la Charte, pour qu'il ne leur soit pas dit par
la suite qu'en souscrivant à une disposition de la Charte, ils ont autoriséle5 Nations Unàeintervenir dans des

matièresrelevant essentiellement de leur compétencenationale."
Ill Argument by Sir Eric Beckett,16.1V.52, Pleadings, Arguments and Documems, p.567 - nos italiques. Notre
traduction: "L'artkle 2(7)contient seulement une disposition négativeprivant les Nations Unies, et bien sûr ses

organes, d'un pouvoir dont, en l'nbsence de l'artic(7),on pourrait considérerqu'il est conférépar la Charte aux
organes des Nations Unies. Le langage utiliséest "aucune disposition de la présenteCharte n'autorise"- "n'autorise"

- en d'autres mots, J'article 2 (7) est tout simplement une réserve, selon laquelle on ne peut pas lire d'autres
dispositionsde la Charte comme octroyant une compétenceaux Nations Unies pour intervenir dans des affaires

relevant essentiellement decompétencenationale d'un Etat."208

D'une part, l'article 2 (7) permet de soulever une exception préliminaire

d'incompétence, afin d'obtenir que le Conseil se déclare immédiatement et globalement sans

compétence à l'égard de l'objet de la saisine. Une telle exception ne peut, semble-t-il, être
soulevée que si l'affaire soumise au Conseil relève, primafacie et sous tous ses aspects, de la

compétence nationale de l'Etat concerné. Il n'est donc pas contestable que, lorsque surgit une

menace pour la paix, l'article 2 (7) ne peut empêcherle Conseil de traiter de l'affaire..

6.89 D'autre part, le principe de non-intervention consacré par l'article 2, paragraphe 7

constitue, pour les organes politiques des Nations Unies, le pendant de 1'exception de

compétence nationale telle qu'elle est invoquée comme défense au fond devant la Cour
internationale de Justice. L'article 2 (7) de la Charte a ainsi pour fonction d'exclure que les

pouvoirs des Organes politiques des Nations Unies soient interprétéscomme des pouvoirs

'législatifs', autorisant ces Organes à imposer, directement ou indirectement, de nouvelles

obligations aux Etats membres.

C'est exactement l'analyse faite par Sir Eric Beckett, au nom du Royaume-Uni, dans

1'affaire de l'Iranian Oil Company. Après avoir indiqué que la compétence nationale des Etats

était ipso facto protégéedevant la Cour, du fait que celle-ci a pour seule tâche d'appliquer le
droit international, Sir Eric Beckett précise la portée de l'article 2 (7) pour les Organes

politiques des Nations Unies en ces termes :

".. in relation to a matter which is wiitidomestic jurisdiction, a State's action is not limited by any
rules of international law. The State is acting within the lîmits of the discretionary power left untouched
by internationalobligations. There is not, however, any such automatic protection for the domestic

jurisdiction of States against the activities of the General Assembly or Security Counci!. For, apart from
article2 (7),these bodies might not only discuss matters which are within domestic jurisdiction but
might also make recommendations or even take decisions in respect of such matters. For these bodies
are not, like the Court, limited to requiring a State to perform its legal obligations, but may attempt to
place upon States obliugalions which are not imposed by international law. Againsl such activites

Article 2 (7) is. of course, a necessary protectionn .." 112

Le Juge Fitzmaurice fait la mêmeanalyse de l'article 2 (7) de la Charte:

112 Argument by Sir Eric Beckett, l6.1V.S2Pleading, Arguments and Documents, p. 570 - nos italiques. Notre
traduction: ".. dans une matièrequi relève de sa compl!:tencenationale, l'action d'un Etat n'est limitéepar aucune
règlede droit international. L'Etat agit dans les limites de son pouvoir discrétionnairenon affectépar des obligations

internationales. Il n'y a pas, bien sûr, de telle protection automatique pour la compétencenationale des Etats contre
les activités dessemblée généraleet du Conseil de sécurité.Car en l'absence de l'article 2 (7), ces organes
pourraient non seulement discuter d'affaires relevant depétence nationale, mais pourraient aussi faire des

recommandations ou prendre des décisionsdans deelles matièreCar ces organes ne sont pas. comme la Cour,
!.imitàsdemander d'un Etat qu'il remplisse ses obligations juridiques, mais pourraient essayer d'imposer aux Etats
des obligationsi ne sont pas imposéespar Jedroit international. Contre de telles activitésl'article 2 (7) est, bien sûr,

une protection nécessaire..."'. 209

"What is a matter of domestic jurisdiction within the meaning of Article 2, paragraph 7 of the Charter?
(..) what becomes a matter of international obligation by virtue of a treaty, ceases to be within domestic

jurisdiction only for the actual parties to the trcaty, in a case arising between them, and to the extent that
it is dealt with in the treaty.
(..) Matters which are not the subject of international obligations remain matter.\· of domestic
juridiction.113

L'article 2 (7) consacre donc la survivance, sous l'empire de la Charte des Nations

Unies, du caractère consensuel du droit international.

6.90 L'article 2 (7) de la Charte protège ainsi les droits conventionnels des Etats membres

au mêmetitre que leurs droits 'souverains': un droit souverain qui est confirmé par le droit

international conventionnel n'échappe pas au domaine réservé.

De fait, rien ne justifierait la distinction entre les droits conventionnels et ces droits
'souverains'. Les droits 'souverains' sont conférés,ou à tout le moins reconnus par le droit

international, au mêmetitre que les droits conventionnels. Par ailleurs, porter atteinte à un

droit conférépar traité, c'est toujours imposer une obligation àl'Etat contre son gré.L'atteinte

au droit conventionnel se réduit donc toujours à l'atteinte à un droit incontestablement

'souverain', qui est celuLde-la liberté de contracter des engagements.

2- L'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis

ou au Royaume-Uni constituerait une intervention dans une affaire

relevant de la compétence nationale libyenne

6.91 lA livraison des suspects constitue une 'affaire' au sens de l'article 2 (7) de la Charte:

Il ressort de l'analyse de l'article 2 (7) ci-dessus, que l'extradition requise doit être

considérée comme une 'affaire' au sens dudit article. Sans doute, le fait pour le Conseil de

s'êtresaisi de la question du terrorisme international, a-t-il permis au Conseil de se déclarer

compétent 'at large'. Toutefois, ceci n'épuise nullement la portée de l'article 2 (7) et n'affecte

113 Sir Gerald Fitzmaurice, The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1986, p.l 03-1OS- nos italiques.
Notre traduction: "Qu'est-ce qu'une affaire relevant de la compétencenationale au sens de l'article 2 (7) de la Charte?

(..) Cc qui devient l'objet d'une obligation internationale en vertu d'un traité cesse d'appartenir à la compétence
nationale seulement pour les parties à ce traité,dans une affaire néeentre eux, et dans la mesure où la matière est
régléedansle traité.(..) Les affaires qui ne font pas l'objet d'obligations internationales demeurent des affaires de la

compétencenationale."210

en rien la question de savoir si l'extradition requise est une 'affaire' relevant essentiellement

de la compétence nationale, dans laquelle l'article 2 (7) interdit au Conseil d'intervenir.

6.92 La livraison des susp.ectsaux Etats-Unis ou au Royaume-Uni relève de la compétence
nationale de la Libye:

Ensuite, la livraison des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni relève de la
compétence nationale de la Libye, au sens de 1'article 2 (7) de la Charte.
1' •

Comme il a étédémontréci-dessus 114, la coutume internationale n'oblige nullement
les Etats à procéder à 1'extradition en l'absence d'un traité à cet effet. Il en va a fortiori ainsi

lorsque la demande d'extradition vise un ressortissant de l'Etat requis. La liberté de l'Etat en
la matière est la conséquence directe de l'exclusivité de la compétence territoriale de l'Etat,

doublée, à l'égardde ses ressortissants, de la compétence personnelle.

Il n'existe aucune convention bilatérale entre les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, et la

Libye qui modifierait ces conclusions.

6.93 La convention de Montréal fait une application généraledu principe 'aut dedere aut
judicare'. Elle laisse donc à l'Etat requis l'entière libertéde décision sur la question de savoir

s'il entend procéder à l'extradition, ou au contraire au jugement devant ses propres tribunaux.

Le fait que, reconnu par la convention de Montréal, le droit de refuser l'extradition

devienne ainsi un droit conventionnel, ne réduiten rien l'applicabilité de l'article 2 (7). Il a été

exposé ci-dessus que la distinction entre droits souverains et droits conventionnels est sans
pertinence quant à l'application de l'article 2 (7).

6.94 Il en va en tout cas ainsi, lorsqu'un droit est reconnu, plutôt que conféré par une

convention. Si ce droit devient ainsi un droit conventionnel, il n'en poursuit pas moins son
existence en tant que droit souverain.

Cette conclusion s'impose notamment au regard de l'arrêtdu 26 novembre 1984 dans
1'Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci

114 Cfr_supra,par. 4.32. 211

(Compétence et recevabilité), dans lequel la Cour refusa de rejeter les demandes

nicaraguayennes fondées sur des principes de droit international généralet coutumier, au
motif que ces principes seraient repris dans des conventions multilatérales couvertes par la

réserve des Etats-Unis à l'acceptation de la compétence obligatoire de la Cour. La Cour fit
valoir à cet égard :

"Le fait que les principes susmentionnés, et reconnus comme tels, sont codifiésou incorporés
dans des conventions multilatérales ne veut pas dire qu'ils cessent d'exister et de s'appliquer
en tant que principes de droit coutumier, mêmeà l'égardde pays qui sont parties auxdites
conventions."1l5

De même, si la convention de Montréal reconnaît le droit souverain des Etats de

refuser l'extradition, tout en soumettant l'exercice de ce droit à certaines conditions, ceci
n'empêcheque ledit droit souverain poursuit son existence, sous cette forme restreinte, entre

les Etats parties à la convention.

Cette conclusion s'impose afortiori, s'agissant de l'extradition par la Libye de ses
propres ressortissants. L'alternative 'aut dedere aut judicare' a précisément pour but de

permettre à un Etat de refuser l'extradition de ses propres ressortissants. Ce serait donc aller à
1'encontre de la ratio legis même de la règle 'aut dedere aut judicare ', que de prétendre

qu'elle a pour conséquence de soustraire 1'extradition de ressortissants d'un Etat à sa
compétence nationale.

De ce fait, à supposer mêmeque l'article 2 (7) protège les droits souverains et non les

droits conventionnels, la validité des résolutions 731 et 748 devrait toujours êtredéterminée
en fonction de l'atteinte portée à ce droit souverain qui poursuit son existence
indépendamment de sa reconnaissance dans la convention de Montréal. Le fait que la Libye

ait introduit la présente affairesur base de la convention de Montréal, n'exclut nullement que
la Libye puisse soulever à l'encontre des résolutions 731 et 748- elles mêmes avancéespar les

défendeurs pour faire obstacle à l'application de cette convention-, une exception d'illégalité
référantà ce droit souverain susnommé. Comme il a déjàétéindiqué, par nature, l'exception

d'illégalité permet de confronter les résolutions litigieuses à toute norme quelconque dont
peut dépendre leur validité.

6.95 C'est à tort que l'on prétendrait à l'encontre de ce qui précède, que le Conseil a
affirmé, dans sa résolution 731, "le droit de tous les Etats de protéger leurs ressortissants

contre les actes de terrorisme international qui constituent une menace contre la paix et la
sécuritéinterna6onales".

115 Recueil, 1984, p. 424.212

Le droit de tout Etat de protéger ses ressortissants appelle, de la part des autres Etats,
dont 1'Etat requis en matière d'extradition, une simple obligation d'abstention. Ceci,

exactement au même titre que le droit de refuser l'ex tradition crée, à charge des Etats

requérants, une obi igation de respecter ce droit. Le droit de tout Etat de protéger ses
ressortissants, ne peut nullement donner naissance à une obligation d'extradition, qui est une

obligation de faire.

Affirmer que l'existence d'un tel droit, et de l'obligation d'abstention qui en est le

corollaire suffirait à écarter 1'interdiction de 1'article 2 (7), priverait cet article de toute

signification quelconque. De fait, à tout droit souverain ressortissant de la compétence
nationale, correspond une obligation des autres Etats de respecter ce droit. Dans la droite ligne

du raisonnement précité,le domaine de la compétence nationale serait donc inexistant.

6.96 Il résulte de ce qui précèdeque la livraison par la Libye de ses nationaux aux Etats­
Unis ou au Royaume-Uni, constitue une affaire relevant essentiellement de ta compétence

nationale libyenne.

6.97 Les résolutions 731 e~ 748 constitueraient une 'ifllervefllion' au sens de l'article 2 (7)

de la Charte:

Enfin, l'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, constituerait une 'intervention' dans la compétence nationale libyenne, au sens
de l'article 2 (7).

Il en serait déjàainsi de la résolution 731, dans toute la mesure où elle annonce qu'il

pourrait êtrerecouru au Chapitre VITde la Charte au cas où la Libye ne se conformerait pas

aux exigences du Conseil. Il en irait en tout cas ainsi de la résolution 748 196, où le Conseil,

"Agissant en vertu du Chapitre VH de la Charte,

1. Décideque le Gouvernement libyen doit désormais appliquer sans le moindre délaile paragraphe 3
de la résolution1 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents S/23306, S/23308 et
S/23309;

3. Décide aussi que tous les Etats adopteront le 15 avril 1992 les mesures énoncéesci-dessous qui

s'appliqueront jusqu'à ce que le Conseil de sécuritédécideque le Gouvernement libyen s'est conformé
aux dispositions des paragraphes 1et 2 ci-dessus;"

116 V.annexe n'124. 213

La décision du premier paragraphe du dispositif, et les sanctions y attachées,

constituent assurément une 'intervention' au sens de l'article 2 (7) de la Charte.

6.98 En conclusion, en exigeant de la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou

au Royaume-Uni, le Conseil interviendrait dans une affaire relevant essentiellement de la
compétence nationale de la Libye, au sens de l'article 2 (7) de la Charte.

B · L'exception de l'article 2, paragraphe 7, in fine ne justifierait pas cette

intervention

6.99 Il est exposé ci-après que l'exception de 1'article 2 (7) in fine n'a pas pour effet

d'écarter entièrement le principe de non-intervention énoncépar l'article 2 (7) lorsque le
Conseil agit en vertu du Chapitre VII de la Charte, et qu'elle ne justifierait pas que le Conseil

exige que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni (par.l). Il sera

exposé ensuite que, quand bien mêmel'article 2 (7) in fine aurait une portée plus générale,
l'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni

violerait néanmoins le principe de proportionnalité, et de ce fait l'article 2 (7) de la Charte

(par.2).

1- L'exception de 1'article 2 (7) in fine n'a pas pour effet d'écarter

entièrement le principe de non-intervention lorsque Je Conseil agit en
vertu du Chapitre VII de la Charte. Cette exception ne justifierait pas gue

le Conseil exige gue la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au
Royaume-Uni

6.100 Selon l'article 2 (7),infine, le principe énoncédans cet article

"ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII." (nos
italiques)

Cette disposition n'a pas pour effet d'écarter entièrement le principe de non­

intervention lorsque le Conseil agit en vertu du Chapitre VIL214

Selon le texte (amendé) soumis par les Puissances invitantes à la Conférence de San

Francisco, la dernière phrase de l'article 2 (7) aurait dû se lire comme suit: .-

"Mais ce principe est posé sans préjudice de l'applîcation du chapitre VIII, section B." (i.e. l'actuel
Chapitre VIl de la Charte) 117. _

Un amendement fut soumis par la délégationaustralienne, et il fut finalement décidé

de restreindre l'exception à l'application des mesures de coercition du Chapitre VII.

Par cet amendement, les auteurs de la Charte ont voulu exclure que le Conseil adopte

des recommandations en vertu de l'article 39, c'est-à-dire des recommandations adressées aux

Etats ou à l'Etat directement concernés 118_

Le délégué australien fit valoir plus particulièrement les co"nsidérationssuivantes :

"9. En substance, le projet de nouveau paragraphe a pour conséquence d'exclure du champ d'opération

du Chapitre VIII, Section A, - à savoir, la procédure de règlement pacifique d'un différend, toute
question relevant de la juridiction interne. Du point de vue de l'Organisation, la chose importante qui se
trouve ainsi exclue du pouvoir du Conseil de sécurité,d'après le paragraphe 4 du Chapitre Vlll, Section
A [1'actuel chapitre VI], c'est de recommander des conditions de règlemem appropriées. Cette

exclusion est tout à fait juste. Par détïnition, un Etat est lîbre dans le domaine de sa juridiction interne,
d'adopter la politique qu'il juge la meilleure. Mais l'exception qui figure à la fin du projet de nouveau
paragraphe remet en question, aux termes du Chapitre VIII, Section 8 [l'actuel chapitre VU], la chose
même que la règle générale du début exclut aux termes du Chapitre VIII, Section A - à savoir, le
pouvoir qu'a le Conseil de faire des recommandations aux parties (..). Par conséquent, dès qu'il y a

menace pour la paix, le Conseil de sécuritépeut intervenir el prendre connaissance de toute 1'affaire.

10. Une telle disposition équivaut presque à une invitation à employer ou à menacer d'employer la force
dans tout différend surgissant du fait d'une question de juridiction interne, dans l'espoir d'amener le

Conseil de sécurité à extorquer des concessions à l'Etat qui est menacé. D'une façon générale,
l'exception supprime la règle, chaque fois que l'agresseur menace d'employer la force. La liberté
d'action que le droit international a toujours reconnue dans des questions de juridiction interne se trouve
alors, en réalité,assujeuie à la juridiction pleine et entière du Consei 1de sécurité.

l L La délégation australienne est opposée à l'insertion, dans la Charte, de toute disposition entraînant
cette conséquence." 119

117 V. Doc. 969 111/39du 14.6.1945, p. 441. En anglais: "but this principle shaH not prejudice the application of Chapter
VIII, Section B." (ibid., p. 436).
118 cfr. Memorandum de la délégationaustralienne concernant Je projet de paragraphe 8 du Chapitre Il (Principes),

UNCIO Doc 969, 1/1139, UNCIO, Vol. 6, p. 436-440; supplément au rapport du Rapporteur, Comité Ill à la
Comission 1(UNClO Doc 1070, 1/1/34 (1) (d), p. 3.
119 ù.Jc.cit.p. 443 En anglais: "What the general part of the proposed new paragraph does is, in substance, to exclude

matters of domestic jurisdiction from the operation of Chapt er VIII, Section A (i.e. l'actuel Chapitre V1) - the
procedure of peaceful settlement. From the point of view of the Organization, the important thing that is thereby
excluded is the Security Council's power, under paragraph 4 of Chaptcr VIII, Section A, to recommend appropriate

terms of settlement. Thal is an entirely proper exclusion. By definition, a state is free, within the limited sphere of
domestic jurisdiction, to adopt whatever policy it thinks best. But the exception at the end of the proposed new
paragraph brings back, under Chapter VIII, Section B (i.e. l'actuel Chapitre Vli) the very thing that the generalmle at

the beginning excludes under Chapter VIII, Section A- the power of the Security Council to makc recommendations
to the parties. (..) As soon as a threat to peace is made, the Security Council can intervene and lake cognizance of the
whole matter.

10. Such a provision is alrnost an invitation to use or threaten force, in any dispute arising out of a matter of domestic
jurisdiction, in the hope of inducing the Security Council to extort concessions from the State that is threatcncd.
Broadly, the exception cancel:; out the mle, whenever an agressor threatens to use force. The freedom of action which 215

,' '1 ~-

_:{ '.----
Tant le texte dé'l'article 2 (7) que les travaux préparatoires de la Charte démontrent

ainsi que l'existénce d'une menace contre la paix n'autorise pas le Conseil à faire des
recommandations visant à extorquer des concessions à l'Etat dans les matières relevant de sa

compétence nationale. Le Conseil doit respecter le droit international à ce stade également, et

ille doit d'autant plus que dans le contexte du Chapitre VII, toute recommandation de termes

de règlement est peu propice à êtreanalysée comme une proposition de conciliation.

/'"') 6.1011 L'exception relative à "l'application des mesures coercitives" est alors susceptible de

remplir plusieurs fonctions.

f ,:1'"-D'une part, elle justifie l'application de 'mesures de police', au sens décrit

précédemment dans ce mémoire,_sans que l'Etat directement intéressépuisse se prévaloir de

sa compétence nationale. Ces mesures de police ne peuvent, par définition, affecter le
règlement au fond (voir supra: §§ 6.73 ss).

En outre, l'article 2 (7) in fine permet au Conseil de sécuritéd'enjoindre aux Etats

membres de mettre en oeuvre des mes ures coercitives (notamment des sanctions
économiques), sans que ceux-ci puissent s'y opposer au motif qu'une telle injonction

constituerait une intervention dans des affaires ressortissant essentiellement de leur

compétence nationale. Dans cette mesure, il concerne donc la compétence nationale des Etats

membres qui appliquent les sanctions de l'ONU -des Etats membres non directement
concernés dans un différend, une question ou situation, qui sont appelés à mettre en oeuvre les

sanctions décrétéespar les Nations Unies. Ce sont en effet ces Etats qui sont chargés de

l'application des mesures coercitives du Chapitre VIl, qui est visée par les termes de l'article

2 (7), infine.

En tout état de cause, la disposi tion se situe clairement au stade de 1'exécution.

L'exécution d'une mesure de police mise à part, les mesures de coercition ne peuvent qu'avoir

pour but de faire respecter une décision adoptée préalablement, et qui n'est pas couverte par
l'exception de l'article 2 (7), infine. Cette décision, adressée aux Etats ou à l'Etat directement

intéressés,doit donc êtreadoptéedans le respect du principe de l'article 2 (7).

international law has always recognized in matters of domestic jurisdiction becomes subject in effect to the full
jurisdiction of the Security Council.
Il. The Australian Delegation opposes the inclusion in the Charter of any provision which produces this result. (..)"

(ibid., p. 436). 216

Il est, de fait, exclu que l'article 2 (7), in fine, soit interprétécomme autorisant Je

Conseil à décréter des mesures de coercition afin d'obtenir d'un Etat 1'abandon de ses
prérogatives dans une affaire relevant essentiellement de sa compétence nationale. Cette

interprétation serait insensée, puisqu'on ne voit pas comment les auteurs de la Charte, tout en
voulant éviter que le Conseil ne fasse des recommandations portant atteinte à la compétence

nationale, auraient autoriséle Conseil à décréterdes sanctions dans ce mêmebut.

En conclusion, l'article 2 (7) in.fine, n'autorise pas le Conseil, hors les cas mentionnés

ci-dessus, à dérogerau principe dudit article, fût-ce par voie de décision ou en faisant pression
sur un Etat membre pour qu'i1 abandonne ses prérogatives en vertu de sa compétence

nationale.

6.102 De ce fait, l'article 2 (7) in fine ne pourrait justifier que le Conseil exige de la Libye
qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Comme il a déjàétéexposé,

cette exigence ne peut aucunement constituer une 'mesure de police' au sens décritci-dessus.

2- En tout état de cause, l'exigence gue la Libye livre ses nationaux aux
Etats-Unis ou au Royaume-Uni serait contraire au principe de

proportionnalité sous-tendant 1'exception de l'article 2 (7) in fine

6.103 Mêmeà supposer que l'article 2 (7) in fine n'ait pas la portée indiquée ci-dessus,
l'exigence que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni n'en serait pas

:. moins contraire l'article 2 (7) de la Charte.
1

En effet, l'article 2 (7) de la Charte obligerait en tout cas le Conseil à conformer ses
interventions au principe de proportionnalité.

En tant qu'exception au principe, la disposition de l'article 2 (7) in fine est

d'application restrictive. Les pouvoirs conférésau Conseil par l'article 2 (7) infine, devraient

donc, dans l'hypothèse ci-discutée, êtreexercés de façon à respecter au maximum la
compétence nationale protégéepar la règle de l'article.

L'applicabilité de ce principe de proportionnalité ressort clairement des travaux

préparatoires de la Charte. Dans le Rapport du Comité 111, il était précisé que, dans

l'application de l'article 2 (7), infine, 217

"le Conseil de Sécuriténe peut (..) prendre des mesures qui dépassent celles qui sont essentielles à la
coercition."20

Cette phrase, qui consacre la proportionnalité des mesures de police, s'applique a

fortiorià·l'imposition de termes de règlement qui, par pure hypothèse, serait autorisée pour le
maintien de la paix.

Ce qui précède impliquerait certainement l'interdiction de toute intervention du

Conseil dans la compétence nationale, qui ne serait pas la seule apte à mettre fin à la menace

contre la paix.

6.104 Or, en exigeant de la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etat U nis ou au Royaume­

Uni, le Conseil violerait ce principe de proportionnalité.

L'objectif du Conseil, qui sous-tend le recours au Chapitre VU de la Charte, est en

effet de parvenir à l'établissement des responsabilités pour les attentats sur les vols Pan Am

103 et UTA 772 afin de garantir l'effet préventifque doit avoir la législation répressive 121•

Or, refusant de livrer les suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, non seulement

parce qu'ils sont ses nationaux, mais encore en raison de ce qu'ils ne bénéficieraientpas dans

ces pays d'un procès équitable, la Libye a proposé plusieurs alternatives, dont celles de mettre

les suspects en détention dans un pays tiers ou sous l'autorité d'une organisation régionale ou
de soumettre l'affaire à la Cour 122_

Chacune de ces propositions était parfaitement apte à éliminer la menace contre la

paix constatée par le Conseil. D'une part, la détention par une instance neutre éviterait que les

suspects poursuivent leurs activités terroristes hypothétiques. D'autre part, le jugement des
suspects serait parfaitement apte à garantir l'effet préventif poursuivi par le ConseiL

Ces différentes approches seraient, par définition, parfaitement respectueuses de la

compétence nationale libyenne, puisqu'elles ont étéproposées par cet Etat. Quand bien même
la Liye n'en aurait pas fait la proposition, ces différentes approches auraient étéplus

120 U.N.C.LO. Doc. 1070, 111/34(1) (d), Documents, vol. VI, p. 492- nos italiques. En anglais:" .. the Security Council
should not, under this principle [of non-intervention], takc mcasurcs which exceed those essential for enforccment
action." (ibid., p. 488).

121 cfr. supra, par. 6.27ss.
122 cFr.supra, par. 6.38 à 6.41.218

respectueuses du principe de proportionnalité, que l'extradition aux Etats- Unis et au
Royaume-Uni imposée par le Conseil, dans toute la mesure aussi où elles sauvegardaient

l'intérêtessentiel de la Libye, à voir ses nationaux bénéficierd'un procès équitable.

Ces différentes mesures seraient parfaitement aptes à garantir l'effet préventif

poursuivi - sauf à considérer que la prévention du terrorisme international exige que soient
condamnés, le cas échéant,des innocents. Une telle approche risque d'encourager, plutôt que

d'effrayer, les candidats-terroristes.

6.105 Il a étésouligné que c'était l'absence d'un tribunal international pénal qui rendait
11
nécessaire et légitime l'action du Conseil 83. Le représentant britannique a soutenu que
l'instauration d'un tribunal pénal international était impraticable 1184. Cette analyse est

manifestement arbitraire. Elle 1'est d'autant plus que les principaux promoteurs des

résolutions litigieuses ont, peu de temps après, proposé eux-mêmes que soit crééun tel
tribunal pour les crimes internationaux commis en ex-Yougoslavie. En tout état de cause,

l'argument ne peut plus prévaloir à l'heure actuelle, alors qu'il est désormais acquis que, dans

le jugement du Con sei1 de sécurité, 1'instauration d'un tribunal pénal est entièrement
praticable.

6..1.06 La comparaison entre les demandes anglo-américaines, d'une part, et les demandes

françaises, d'autre part, confirme à souhait que l'exigence du Conseil que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni violerait le principe de la proportionnalité.

De fait, la France n'a adressé à la Libye aucune demande d'extradition ou de livraison.

Les demandes françaises sont, au contraire, parfaitement conformes à la convention de
Montréal. Or, au sixième paragraphe introductif de la résolution 731 185, 1e Conseil se dit

bien

Profondément préoccupé par ce qui résulte des enquêtes impliquant des fonctionnaires du
Gouvernement libyen et qui est mentionné dans les documents du Conseil de sécuritéqui font étatdes
demandes adresséesaux autoritéslibyennes par ... la France (S/23306, S/23309) ... liéesaux procédures

judiciaires concernant les attentats perpétréscontre ...] de l'Union des transports aériens,"

Les autorités judiciaires françaises soupçonnent donc bien des fonctionnaires libyens

d'avoir commis l'attentat sur le vol UTA 772. Ceci suppose bien sûr que certaines personnes
aient étéidentifiées. Or, le Conseil ne demande nullement que la Libye livre ces suspects à la

France.

123 VénézuélaS,/PV. 3033, p. 98-100 des textes français et anglais, V. annexe n· 83.

124 S/PV. 3033, p. 104du texte français et p.l 05 du texte anglais, V. annexe n"83.
125 V. annexe n' 82. 2.19

S'il n'est pas nécessaire que la Libye livre les suspects de l'attentat sur le vol UTA 772
à la France, on voit mal pourquoi il serait, par contre, indispensable que les suspects de

l'attentat sur le vol Pan Am 103 soient livrésaux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Ceci confirme encore que l'exigence que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis

ou au Roya ume-Uni serait disproporti annéepar rapport à 1'objectif poursuivi.

6.107 En refusant les propositions libyennes aptes à atteindre le but poursuivi, et en exigeant
de la Libye qu'eUe livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, le Conseil aurait

donc, en tout étatde cause, violéle principe de proportionnalité et l'article 2 (7) de la Charte.

Section 4- En tout étatde cause, le Conseil a recouru au Chapitre VII dans le seul
but de s'arroger les pouvoirs y conférés, et non en raison des

caractéristiques intrinsèques de la situation. Ceci constitue un
détournement de pouvoir contraire aux Buts des Nations Unies

6.108 Il a étéexposé ci-dessus que, dans la mesure où il exigerait que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, le Conseil aurait violéles articles 1 (1) et 2 (7)
de la Charte.

Il a étéexposé en particulier, que le fait que le Conseil aurait exercé les pouvoirs lui
conféréspar le Chapitre VII de la Charte, n'affecterait en rien cette conclusion.

A supposer même qu'il en soit autrement- et que les violations susmentionnées soient

donc en principe couvertes par le Chapitre VII de la Charte -, il serait néanmoins interdit au

Conseil de recourir au Chapitre VII, non pas en raison des caractéristiques intrinsèques de
l'affaire, mais dans le seul bute s'arroger les pouvoirs du Chapitre VII.

6.109 Il est exposéci-après (A) qu'un tel détournement de pouvoir constitue une violation de

l'article 24 de la Charte, des Principes et Buts des Nations Unies, de l'article 39 de la Charte,
ainsi que des articles 2 (7) et 1 (contournés par ce biais.220

Il sera exposé ensuite (B) que le Conseil s'est en l'occurrence rendu coupable d'un tel
détournement de pouvoir, de sorte que les résolutions 731 et 748 ne peuvent en aucun cas

affecter la présente procédure.

6.110 Cette conclusion s'impose, quelle que soit la portéedes exigences du Conseil: elle est
indépendante de la question le savoir si le Conseil exige ou non que la Libye livre. ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni - mêmesi elle serait renforcée si le Conseil

exigeait que la Libye livre ses nationaux auxdits pays.

Toutefois, ce n'est que dans la mesure où le détournement de pouvoir affecterait

l'issue du différend soumis à la Cour, que la Cour serait appelée à se prononcer sur ce point
La Cour ne devrait donc pas se prononcer sur la question, si elle admettait que les résolutions

731 et 748 n'exigent pas de la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, et n'interfèrent donc pas dans l'affaire soumise à 1aCour.

A- Le Conseil ne peut recourir au Chapitre VII de la Charte qu'en raison des

caractéristiques intrinsèques d'une affaire, et non dans le seul but de

s'arroger les pouvoirs y conférés- ce procédéconstituerait une violation des
articles 24, 1(1) et 39 de la Charte, et serait constitutif de détournement de

pouvoir

6.111 Le Conseil ne peut recourir au Chapitre VIl de la Charte qu'en raison des
caractéristiques intrinsèques d'une affaire, et non dans le seul but de s'arroger les pouvoirs y

conférés.

Ce dernier procédé constituerait une violation des Buts des Nations Unies, et

notamment des articles 24, 1 (1) et 39 de la Charte (par. 1). Plus spécifiquement, ce procédé

serait constitutif de détournementde pouvoir (par. 2). 221

1- En recourant au Chapitre VII dans le seul but de s'arroger les pouvoirs y

conférés.le Conseil violerait les Buts des Nations Unies, et notamment

les articles 24. 1 (J) et 39 de la Charte

6.112 ·;Les pouvoirs du Conseil de sécuritélui sont conféréspar la Charte aux seules fins du

maintien de la paix et de la sécuritéinternationales. Ceci résulte déjà de l'article 24 de la

Charte, qui prévoitque:

"l. Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de
sécuritéla responsabilité principale du maintien de la paix el de la sécuritéinternationales et

reconnaissent qu'en s'acquitant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil agit en leur
nom.

2. Dans l'accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécuritéagit conformément aux buts et

principes desNationsUnies." (nous soulignons)

Il ressort de cette disposition mêmeque les pouvoirs du Conseil de sécuritélui sont

conférésaux fins du maintien de la paix et de la sécuritéinternationales.

6.112 L'article 24 renvoie ensuite aux buts et principes des Nations Unies, que le Conseil
doit respecter dans l'exercice de ses pouvoirs. L'article 1er de la Charte prévoit:

"Les buts des Nations Unies sont les suivants :

(1) maintenir la paix et la sécuritéinternationales et à cette jïn : prendre des mesures collectives
efficaces en vue de préveniret d'écarterles menaces àla paix et de réprimer tout acŒ d'agression ou

autre rupture de la paix ... ;" (nous soulignons)

De par les dispositions expresses de la Charte, les pouvoirs du Conseil de sécuritése

trouvent ainsi, en tout premier lieu, limités par leur finalité: Les pouvoirs du Conseil lui sont

conférésaux fins du maintien de la paix et de la sécuritéinternationales.

6.113 Cette finalitéest encore préciséedans le Chapitre VII, dans lequel le Conseil a inscrit

son action dans la présente affaire. Le Chapitre VII octroie au Conseil des pouvoirs afin de

faire face à des menaces contre la paix, des ruptures de la paix et des actes d'agression.

L'article 39 de la Charte énonceque :

"Le Conseil de sécuritéconstate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou
d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises
conformémentaux articles 41 et42 pour maintenir ou rétablirla paix et la sécuritéinlemationales."222

Le Conseil procède ainsi de façon discrétionnaire à la constatation, notamment, d'une

menace contre la paix. Ceci n'autorise toutefois pas le Conseil à procéder à cette constatation

de façon arbitraire.

En outre, ceci n'empêchenullement que l'existence d'une telle menace conditionne le

recours par le Conseil au chapitre VII. C'est parce que~ mais seulement parce que et dans la

mesure où ~ il existe une menace contre la paix, que le Conseil est en droit d'agir en vertu_du

chapitre VII. Ceci exclut que le Conseil puisse prétendre qu'il existe une menace contre la
paix, dans le seul but de faire usage des pouvoirs conféréspar le chapitre VIL

Une situation doit donc êtrequalifiée comme menace contre la paix en raison de ses
qualités intrinsèques, et non pour permettre de 1'approcher avec les moyens prévus au

Chapitre VII. Comme l'a souligné le Juge Fitzmaurice dans l'affaire concernant les

Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en

Namibie (avis consultatif du 21 juin 1971):

"[1'article 24] ne limite pas les cas où le Conseil de sécuritépeut agir pour assurer le maintien de la paix
et de la sécurité,étant entendu que la menace invoquée ne doit êtreni une simple fiction ni un

prétexte.126

6.114 Dans la mesure où il aurait recours au Chapitre VU de la Charte dans 1eseul but de

s'anoger les pouvoirs y conférés,le Conseil violerait donc les buts des Nations Unies, et
notamment diverses dispositions expresses de la Charte: ses articles 24, 1 (1) et 39.

Ces dispositions constituent assurément pour le Conseil "des limites à son pouvoir ou
des critèresà son jugement".

Dans toute cette mesure, le recours au Chapitre VU de la Charte dans le seul but de

bénéficierdes pouvoirs y conférés,affecte la validitédes résolutions du Conseil, exactement
au mêmetitre que la violation des principes de la justice et du droit international, ou que la

violation de 1'article 2 (7) de la Charte.

126 Recueil, 19p.293,par112 223

2- Le recours au Chapitre VII de la Charte dans le seul but de s'arroger les

pouvoirs y conférés,est constitutif de détournement de pouvoir

6.115 l!,àviolation des dispositions expresses de la Charte précisant la finalité des pouvoirs

du Conseil de sécuritépeut, dans une acception large, êtrequalifiée de détournement de

pouvoir.

Dans une acception plus restreinte, le détournement de pouvoir résulte d'une action
qui, tout en ne violant pas de disposition légale, ne correspond pas au but dans lequel le

pouvoir a étéconféré 12.

Ainsi défini, le détournement de pouvoir se distinguerait de l'excès de pouvoir, qui

implique la violation d'une disposition légale 128_

6.116 Dans toute la mesure où Je procédéci-discuté est contraire aux termes exprès des

articles 1 (1), 24 et 39 de la Charte, la Libye estime qu'il n'est pas indispensable de recourir à

la notion restreinte de détournement de pouvoir dans la présenteespèce.

A supposer toutefois que les termes exprès de la Charte ne suffisent pas à invalider
ledit procédé,la notion de détournement de pouvoir mènerait au mêmerésultat

6.117 Selon la doctrine la plus autorisée, l'interdiction du détournement de pouvoir est un

principe généralde droit.

Pour le Professeur Fawcett :

"rules for the judidal control of the exercise of discretionary power are sufficiently widely established
for the following general principle of law to be recognized: Where a public administrator has a
legislative grant of a discretîonary power, an exercise of that power will be unlawful if it is deliberately
aimed at an abject not contemplated in the grant: in particular, if there are no facts which can be

reasonably said to justify its exercise, thal would be evidence of détournement de pouvoir." 129

127 Ljr.James Fawcett, "Détournement de pouvoir by International Organizations", B.Y.B.I.L., 1957, p. 311-312: cfr.
aussi E. Zoller, La bonnefoi en droit intemational public, Pedone, 1977, p. 197.

128 tfr. James Fawce!l, op. cil. p. 311-312.
129 1ames Fawcen, "Détournement de pouvoir by International Organizations", B.Y.B.l.L., 1957, p. 313. Notre traduction:
"Les règles poulecontrôle judiciaire de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sont établies assez largement pour

que l'on puisse reconnaître le principe généralde droit suivant: Lorsqu'un administrateur public s'est vu octroyer un224

De mêmeC.F. Amerasinghe, après avoir indiqué les origines françaises de la théorie

du détournement de pouvoir, note :

"Although sorne common-law systems, such as that of the. USA, do not apparently have a true
equivalent of this doctrine, there are many common law systems, including the Brilish, which do
recognize improper use as a common law ground for the control of administrative discretion. Thus, it

seems that it is too late to question the viability of the doctrine as a general principle of law applicable
especially in the field of international administrative law." 130

Ce dernier auteur offre ensuite une analyse détailléede l'interdiction de détournement
131
de pouvoir, telle qu'elle ressort de la jurisprudence administrative internationale .

Dans la mesure où il s'agit d'un principe généraldu droit administratif international, il

est permis de conclure qu'il s'agit également d'un principe généralde droit, et encore, d';un
principe généralde droit des organisations internationales. Rien ne permet d'affirmer que le

principe ainsi consacrése limiterait à 1'exercice de pouvoirs administratifs.

Dans toute cette mesure, il pourra êtrerecouru également aux principes dégagéspar la

jurisprudence administrative internationale, afin de dégager les principes directeurs de

l'interdiction de détournement de pouvoir.

6.118 Ces principes peuvent êtreainsi définis:

En premier lieu, il n'est pas nécessaire qu'un but irrégulier- tel que la poursuite d'un

intérêtpersonnel - soit démontré,pour que l'exercice du pouvoir soit invalidé. 11suffit de

constater 1'absence du but dans lequel 1epouvoir a étéconféré.

Comme le remarque le Professeur Zoller après avoir repris la définition précitéedu

Professeur Fawcett:

pouvoir discrétionnaire, 1'exercice de ce pouvoir est illégal s'il vise imention nellement à atteindre un but non
envisagé dans l'octroi du pouvoir: enrticulier, s'il n'existe pas de faits qui peuvent raisonnablement jus tifier

l'exercice du pouvoir, ceci constituerait une preuve de détournementir."
130 C.F. Amerasinghe, The Lnw of the International Civil Service voL 1, Clarendon Press, Oxford, 1988, p.271-272.
Notre traduction:Quoique certains systèmes de Common Law, comme celui des Etats-Unis, ne connaissent

apparemment pas d'équivalent véritable ùe cette théorie, beaucoup de systèmes de CLaw,nen ce compris le
système anglais, reconnaissent bien l'usage impropre comme un fondement de contrôle du pouvoir discrétionnaire

administratif. semble ainsi qu'il soit trop tard pour mettre en question la viabilité de cette théorie comme un
principe généralde droit, applicable en particulier en droit administratil'"
131 ibid.p.271ss. 225

".. dans la détennination de cette i \licéité,aucun élémentsubjectif n'entre en considération. Il s'agit de
rechercher l'adéquation, la compatibilité entre le but de la compétence exercée (résultat final) et le but

et l'objet du traitéconstitut132''

La jurisprudence administrative internationale n'exige pas plus qu'un but irrégulier

soit démontré l33.

Ceci entraîne que le détournement de pouvoir ne suppose pas davantage la mauvaise

foi. Il peut résulter d'une erreur en droit, ou d'une autre 'honest mistake' 134.

6.119 Il est exposé ci-après qu'en l'occurrence, le Conseil a recouru au chapitre VU de la

Charte, non en raison des caractéristiques intrinsèques de l'affaire, mais dans le seul but de

s'arroger les pouvoirs y conférés.

Cette conclusion, qui est développée ci-après, n'appelle aucune substitution d'une

appréciation propre des qualités intrinsèques de la situation, à celle du Conseil, mais ressort
des termes et de la structure mêmedes résolutions litigieuses.

B • Le Conseil a eu recours au Chapitre VII de la Charte dans le seul but de

s'arroger les pouvoirs y conférés.Il a ainsi violéles articles 1 (1), 24 et 39

de la Charte, et s'est rendu coupable de détournement de pouvoir

6.120 La qualification de 'menace contre la paix' annoncée dans la résolution 731 et retenue

dans la résolution 748, est assurément étonnante.

Comme l'a souligné le Juge Bedjaoui,

"(..) i1peut paraître déroutant à plus d'un que l'horrible attentat de Lockerbie est vu aujourd'hui comme

une menace pressante à la paix internationale alors qu'il s'est produit i1y a plus de trois ans?" 135

132 Zoller, E., op. cit., p. 197.
133 dr. C.F. Amerasinghe, ocit.p. 274-275, et la jurisprudence citéep. 287.
134 C.F. Amerasinghe, op. cit., p. 275; E. Zoller, op. cit., p. 196 ss.

135 Affaire relatiàedes questions d'interprétation et d'application de la Conventiol! de Montréal de 1971 résultant de
l'incident aériende Lockerbie, Ordonnances du 14 avril 1992, Recueil, 43(Libye c. Royaume-Uni) et p!53
(Libye c. Etats-Unis d'Amérique) - italiques d'origine.226

La doctrine s'est prononcée dans le mêmesens. Pour le Professeur Alfred Rubin, le

Conseil de sécurité

".. construes the Lîbyan refusai to hand over two accused Lîbyan oftldals for crimînal trial by Western
powers affected by an atrocity more than three years before as a 'threat to international peace'. lt is very
hard to see the relationship between the old atrocity and a current threat. The words used by the
Security Council seem unrelated to reality."136 , .

Le Professeur Mark Weller note qu'initialement, le Conseil de sécuritéavait réponduà

l'attentat de Lockerbie par une déclaration du Président du Conseil, qui trahissait le malaise

du Conseil quant à son rôle en la matière, et conclut :

"lt is true that the Security Council has, in general terms, voiced its concern about "terrorism".
However, it has clone so very hesitantly. Of course, the widening of Council jurisdiction to tackle

prospective cases of "terrorism" is to be encouraged, as these can indeed under certain circumstances be
considered "threats to international peace and security". But the use of thar label retroactive/y to deal
with a case which, when it occured sorne three years earlier was not considered a threat to
international peace and security is not likely to encourage this tender trend." l3 7

De même,pour le Professeur Graefrath,

"lt is not at ali convincing that a single act of terrorism could constitute a threat to the peace, in
particular if compared with other circumstances where the Security Council could not find that a threat
to international peace existed. (..)

Il is worth noting that no terrorist acts or actions are mentioned in Resolu lion 748 (1992). Alleged
omissions of the Lîbyan Govemment to fulfil requests of the United States, the United Kingdom and
France were the basis for the-Securit.y Council decision. However, Libya was under no obligation in
international law to hand over the alleged perpetrators of a terrorist act. Of course, ît cannot be excluded

thal a threat to international peace and security can be committed by omission. However, the omission
îtself would have ta constitute a threat to the peace. Causation would be very difficult to prove in this
context, and the Securîty Council has never attempted to classify an omission as threat to the peace.

1tremains absolutely unclear why or how the failure to renunciate terrorism by concrete acts (whatever

that may be) or the failure to surrender suspects, or the refusai of compensation daims which are not
established under any legal procedure, could constitutc a threat to the peace. Al! thcsc omissions cannat
be det1ned as acts of terrorism, and not even every act of terrorism would constitute a threat to the
peace.

The concept behind this ambiguous language is that the continuing existence of the Libyan Govemment
is a threat to the pe-ace. Nobody dared to say so and surely such a position would not have found the
support of a majority in the Securîty Council. The Securîty Council has no competence to decide
whether a government can constitute a threat to the peace. lt is only empowered to determine whether

136 Alrred P. Rubin, "Libya, Lockerbie and the Law", Diplamacy and Swtecraft. vol. 4, n· 1, 1993, p. t1. Notre
traduction: "analyse le refus Iibyen de remettre les deux fonctionnaires libyens accusésaux fins d'un procèspénal

dans les Etats occidentaux affectéspar une attrocitéqui a eu lieu trois ans plus tôt, comme une 'menace contre la
paix'. Il est trèsdift1ci!ede voir le lien entre l'ancienne attroci1a menace actuelle. Les termes utiliséspar Je
Conseilsemblentsans relationaucune avec la réalité."

137 Mark Weller, "The LockerbieCase: A Premature End lü the "New World Order'T', R.A.D.l.C.I A.J.l.C.L., 1992,p.
322-323 et note 72 - nos italiques. Notre traduction"Ilest vrai que le Conseil de sécuritéa, en termes généraux,
témoigné de sa préoccupationface au "terrorisme". Mais ill' a fait de façon trèshésitante.Bien sûr, l'extension de la

compétencedu Conseil pour appréhenderde futurs cas de terrorisme doit êtreencouragée,car ceux-ci peuvent en
effel, dans certaines circonstances,êtreconsidérécomme des "menaces contre la paix et la sécuritinternationales".

Mais l'utilisationde cette quaLiFicatde façon rétroactivepour s'occuperd'une affaire qui, quand elles'est produite
quelque trois annéesplus tôt, n'étaitpas considérécomme une menace contre la paix et la sécuritéinternationales,
n'estpas apteà encouragercette tendance." 227

certain conduct that can be attributed to a State constitutes a threat to or a breach of the peace. This
difference should not be blurred. The decision on the legitimacy of a Govemment is not within the

competence of the Security Council, but is ajudgment for the people. The United Nations îs still based,
as the Secretary-General felt obliged to stress, on the principle of sovereign equality of States." 138

6.121 De fait, il ressort des termes mêmes des résolutions que le Conseil a recouru au
Chapitre VIl de la Charte dans le seu1but de s'arroger les pouvoirs y conférés .
•l'

Ceci ressort du deuxième paragraphe introductif de la résolution 731 (par .l); de ce

que le raisonnement qui a motivé le recours du Conseil au Chapitre VU, est logiquement
incohérent (par. 2) et disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi (par. 3). Comme il a

déjàétésouligné, cette démonstration n'appelle donc aucune substitution d'une appréciation

propre des qualités intrinsèques de la situation, à celle du Conseil.

1 -Le deuxième paragraphe introductif de la résolution 731

6.122 Au deuxième paragraphe introductif de la résolution 731 139 (1992), le Conseil se dit

"Gravement préoccupépar tous les agissements illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et
affirmant le droit de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du
droit international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une

menace àla paix et à la sécuritéinternationales,"

138 Graefrath, 8., "Leavc To The Court What Belongs To The Court. The Libyan Case", E..I.I.L., 1993,p. 196. Notre
traduction: "Il n'est pas du tout convaincant qu'un acte de terrorisme pris isolément constitue une menace contre la

paix, en pmticulier s'il est comparé à d'autres circonstances où le Conseil n'a pas pu constater l'existence d'une
menace contre la paix internationale. (..)
JI mérite d'êtrementionné que la résolution 748 (1992) ne mentionne pas d'acte ou d'actes de terrorisme. Les

prétendues omissions du Gouvememem libyen de satisfaire aux demandes des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la
France ont fondéla décisiondu Conseil de sécurité.Or, la Libye n'étaitpas dans l'obligation, conformément au droit
international, de remettre les prétendus auteurs d'un acte terroriste. Bien sûr, il ne peut êtreexclu qu'une menace

contre la paix et la sécuritéinternationales puisse êtrecommise par omission. Toutefois, cette omission devrait c!lc­
mêmeconstituer une menace contre, la paix. Le lien de causalité serait très difficile à prouver dans ce contexte, et le

Conseil de sécuritén'a jamais essayéde classifier une omission comme menace contre 1a paix.
Il reste absolument incompréhensible pourquoi et comment le manquement de renoncer au terrorisme par des actes
concrets (gue!lc que soit la signification de cette exigence) ou le manquemem de rendre les suspects, ou le refus de

payer des dédommagements gui ne sont déterminéspar aucune procédure légale, pourraient constituer une menace
contre la paix. Aucune de,ces omissions ne peut êtrequalifiée d'acte de terrorisme, et même,tout acte de terrorisme
ne constituerait pas une menace contre la paix.

L'idée derrière ce langage ambigu est que l'existence continue du Gouvernement libyen est une menace contre la
paix. Personne n'a oséle dire, et il est certain qu'une telle position n'aurait pas obtenu le soutien de la majorité du

Conseil de sécurité.Le Conseil de sécuritén'est pas compétent pour décidersi un gouvernement peut constituer une
menace contre la paix. Il a seulement le pouvoir de détenniner si un certain comportement qui est attribuable à un Etat
constitue une menace contre la paix ou une rupture de la paix. Cette différence ne peut pas êtreobscurcie. Le

jugement de la légitimitéd'un gouvernement n'est pas de la compétence du Conseil de sécurité,mais est un jugement
qui appartient au peuple. Les Nations Unies sont toujours basées,comme le Secrétaire gérrérala cru devoir le

souligner, sur le principe de l'égalitésouveraine des Etats."
139 V. annexe n" 82.228

Il a déjàétéexposéque l'énonciation "actes de terrorisme international qui constituent
une menace à la paix et à la sécuritéinternationales" signifie que certains actes de terrorisme

international seulement - qui ne sont ni déterminésni déterminables - constituent une telle

menace.

6.123 Ceci résulte déjà de l'absence de virgule avant les termes 'that' et 'qui'. Il y est en

effet question d"'actes de terrorisme international qui constituent une menace à la paix", et
non des "actes de terrorisme international, qui constituent une menace à la paix". De même,le

texte anglais fait étatd"'acts of international terrorism that constitute threats to international

peace and security", et non pas de

"acts of international terrorism, that constitute threats ..."

En l'absence d'une virgule, les termes 'that' et 'qui' sont des propositions relatives

déterminatives, et non explicatives. Le texte adopté par le Conseil signifie que certains actes

de terrorisme international - qui sont indéterminéset indéterminables - constituent une telle
menace.

La résolution 731 applique cette distinction grammaticale de façon conséquente;

Ainsi, lorsqu'au 3ème paragraphe introductif de la résolution 731 (1992), le Conseil réaffirme
sa résolution 286 (1970) et en précise le contenu: 1'utilisation de la proposition relative

explicative (i.e. la virgule) était préférable,puisqu'il n'existe pas plusieurs résolutions 286

(1970), dont certaines auraient le contenu précisépar après. De fait, le Consei 1a rédigéle
paragraphe en bonne logique:

" Réaffirmant sa résolution 286 (1970) du 9 septembre 1970,par laquelle il demandait aux Etats de
prendre toutes les mesures juridiques possibles pour empêcher toute ingérence dans les liaisons
aériennesinternationales civiles,"

Il en va de mêmedu texte anglais:

"Reaffirming its resolution 286 (1970) of9 Septembcr 1970, in which it called ..."

Qui plus est, alors que la virgule faisait défautdans le troisième paragraphe introductif

du projet de résolution 14, et ceci tant dans le texte français, que dans le texte anglais du

projet, elle a étéajoutéedans le texte définitif.

140 S/23422 du 20 janvier 1992, V. an°81. n 229

6.124 Une analyse plus large des résolutions litigieuses confirme que le deuxième

paragraphe signifie que certains actes de terrorisme seulement, indéterminés et
indéterminables, constituent une menace pour la paix.

En présence d'une virgule, la mêmeénonciation constituerait une 'constatation' au
sens de l'article 39 de la Charte, Or, une telle interprétation est exclue :

*1 Si le Conseil avait voulu procéder à une 'constatation' au sens de l'article 39, il aurait
recouru à sa formule traditionnelle, qui figure par ailleurs dans la résolution 748, dont le

7ème paragraphe introductif se lit: "Constatant .. que le défautde la part du Gouvernement

de la Libye de démontrer, par des actes concrets, sa renonciation au terrorisme ..
constituent une menace pour la paix et la sécuritéinternationales;"

* La résolution 731 aurait alors étéune véritable résolution en vertu du Chapitre VII de la
Charte. L'absence de la mention traditionnelle "Agissant en vertu du Chapitre VII de la

Charte" inséréeultérieurement dans la résolution 748, démontre toutefois que la résolution
731 n'a pas étéadoptée en vertu du Chapitre VII.

6.125 Qui plus est, la constatation aurait étéque tous les actes de terrorisme international

constituent une menace pour la paix. Or, ceci est exclu plus clairement encore. Dans le

premier paragraphe introductif de la résolution 731, le Conseil se dit

"Profondémenttroublépar la persistance, dans le monde entier, d'actes de terrorisme international sous
toutes ses formes, y compris ceux dans lesquels des Etats sont impliquésdirectement ou indirectement,
qui mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les relations
internationales et peuvent compromettre la sécuritédes Etats,"

Si le Conseil avait visé, au deuxième paragraphe introductif, tous les actes de
terrorisme international sans distinction, il aurait repris la formule utilisée au premier

paragraphe introductif.

Par ailleurs, le Conseil s'abstient soigneusement, dans ce premier paragraphe

introductif, de qualifier tous les actes de terrorisme international de 'menace contre la paix'.
On ne voit pas pourquoi le Conseil aurait évitécette qualification au premier paragraphe

introductif, pour y recourir au paragraphe suivant.230

Dans toute cette mesure, la résolution 731, si elle ne précise pas quels actes de

terrorisme international constituent une menace pour la paix, exclut clairement qu'ils le soient
tous.

6.126 Surabondamment, l'on remarquera encore que le deuxième paragraphe introductif ne

vise pas, fût-ce implicitement, les seuls actes terroristes avec participation étatique.En effet,

ceci ressort encore, a contrario, du premier paragraphe introductif de la résolution 731, où le
Conseil se dit

"Profondément troublépar la persistance .. d'actes de terrorisme international sous toutes ses formes, y

compris ceux dans lesquels des Etats sont impliquésdirectement ou indirectement" (nos italiques)

Si le Conseil avait voulu limiter le deuxième paragraphe introductif à cette hypothèse,
il est évidentqu'il aurait repris cette formule.

Enfin, il est également exclu que la phrase susmentionnée vise implicitement les seuls
actes dont sont accusés les ressortissants libyens. Le deuxième, et plus généralement les

quatre premiers paragraphes introductifs, ont une portée générale.En cela, ils s'opposent aux

cinquième et sixième paragraphes introductifs, qui concernent spécifiquement les attentats
contre les vols Pan Am 103 et/ou UTA 772. Si le Conseil avait voulu viser, par la formule

retenue au deuxième paragraphe introductif, ces seuls attentats, il aurait non seulement adopté

une fonnule plus spécifique, mais encore inséréladite formule dans le deuxième volet de
1'introduction.

6.127 En conclusion, le deuxième paragraphe introductif de la résolution 731 signifie que

certains actes de terrorisme international seulement constituent une menace à la paix et à la

sécuritéinternationales, sans qu'il soit possible de préciserlesquels.

L'énonciation créé donc une catégorie au contenu a priori indéterminé et
indéterminable. La phrase ne peut prendre son sens qu'au regard d'une détermination

ultérieure, constatant qu'une catégorie particulière d'actes terroristes, ou un acte terroriste

spécifique, constituent une telle menace. Dans toute cette mesure, la phrase "actes de
terrorisme international qui constituent une menace à la paix et à la sécuritéinternationales"

ne constitue nullement une détermination au sens de l'article 39, mais seulement une variante

de l'article 39 même.~··

231

6.128 La question est alors de savoir quelle peut êtrela fonction d'une telle phrase, dans le

système des résolutions 731 (1992) et 748 (1992). La réponseen est fournie par le texte même

du 2ème paragraphe introductif de la résolution 731 (1992), qui se lit comme suit:

''Gravementpréoccupépar tous les agissements illicites dirigéscontre l'aviation civile internationale et
affinnant leroit de tous les Etats, conformémenàla Charte des Nations Unies et aux principes du
droit international, de protégerleurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une
menace à la paix et à la sécuritéinternationales," (nos italiques)

L'énonciation "actes .. qui constituent une menace", qui isolément est dépourvue de
sens et d'utilité,ne prend son sens qu'en relation avec le débutde la phrase: "affirmant le droit

de tous les Etats ... de protégerleurs nationaux".

L'on ne peut imaginer une preuve plus manifeste de ce que la qualification de menace

contre la paix n'a pas étéintroduite au regard des qualités întrinsèques des actes visés, mais

dans le seul but d'en déduire le "droit de tous les Etats de protéger leurs ressortissants", qui

devait fonder le droit des Etats-Unis et du Royaume-Uni d'obtenir l'extradition des
ressortissants libyens accusésde l'attentat de Lockerbie.

Cet objectif est d'autant plus évident, que l'on ne voit pas pourquoi "le droit de tous
les Etats de protéger leurs ressortissants" pourrait ne prévaloir que dans la seule hypothèse

d'"actes de terrorisme international qui constituent une menace contre la paix".

6.129 Ce qui précèdeimplique nécessairement, que le Conseil a recouru à la qualification de

"menace contre la paix",-non pas en raison des qualités intrinsèques de la situation visée,mais
dans le seul but de s'arroger les pouvoirs conféréspar le Chapitre VII de la Charte.

2- La motivation des résolutions litigieuses est logiguement et

juridiguemen t incohérente

6.130 Le raisonnement sous-tendant les résolutions 731 et 748 est logiquement et

juridiquement incohérent. Partant des appréciations et motivations invoquées par lui, le

Conseil n'a pas, en logique et en droit, pu déterminer l'existence d'une menace pour la paix
sur base des qualitésintrinsèques de la situation.232

6.131 Comme il a étéexposé, les Membres du Conseil ont justifié le recours au Chapitre VII

par la nécessité de mettre fin à l'impunité des terroristes protégéspar un Etat complice se

prévalant du droit international généralou conventionnel pour refuser l'extradition. Cette

impunité saborderait l'effet préventif que doit avoir la législation répressive, et contribuerait
ainsi à l'extension du terrorisme- d'où la menace contre la paix.

Sans doute la participation étatique complique-t-elle la répression du terrorisme,

lorsque 1'Etat complice protège les terroristes; et sans doute cette impuni téfavorise-t-elle le
terrorisme, dans la mesure où les "candidats-terroristes" se savent à l'abri des poursuites.

Toutefois, cette participation étatique sabordant le caractère préventif de la législation

répressive, ne peut elle-même constituer une menace contre la paix justifiant le recours au
Chapitre VIl de la Charte, que si les actes qu'elle favorise constituent eux-mêmes, à tout le

moins, une menace contre la paix. Logiquement, l'impossibilité d'empêcher un acte ne peut

constituer un danger que si, et seulement si, cet acte constitue lui-même, à tout le moins, un

danger analogue.

L'affirmation que la complicité étatique menace la paix, présuppose donc

nécessairement que le terrorisme international en général constitue une telle menace (on

pourrait mêmedire: une rupture de la paix). Or, cette condition indispensable est exclue par le
deuxième paragraphe introductif de la résolution 731.

Ayant exclu la qualification de menace contre la paix pour les actes terroristes
internationaux en général, le Conseil n'a pu, logiquement, décider que le terrorisme

international à complicité étatique constitue une menace contre la paix en raison de l'impunité

qu'il entraîne.

Cette incohérence est d'autant plus manifeste, que le Conseil n'a pas, en 1988 m

ultérieurement, qualifié1'attentat contre le vol Pan Am 103 comme une menace contre la paix.

Dans ces circonstances, on ne voit pas comment le refus de livrer les suspects pourrait, pour

des motifs liésà la prévention du terrorisme international ou pour tout autre motif, constituer
une telle menace. Le Professeur Weiler a à juste titre critiqué

"(..) the use of that label retroactively to deal with a case whîch, when it occurred sorne three years
earlier, was not considered a threat to international peace and secur14l (..)."

141 M. Weiler, "The Lockerbie Case: A Premature Endto the 'New World Order'?",op. cit.p. 322-323. Notre
traduction:(..) 1"utilisation de cettfication de façon rétroactive pour s'occuper d'une affaire qui, quand 233

Dans ces circonstances, il est exclu que le Conseil ait recouru au Chapitre VII en
raison des caractéristiques intrinsèques des données qu'il avait devant lui. Le Conseil a donc

recouru au Chapitre VII, dans le seul but de s'arroger les pouvoirs y conférés.Il a étéexposé

ci-dessus que cet objectif et ce procédé sontcontraires à la Charte.

6.132 Le but préventif alléguéconstitue le seul lien entre les intérêtsindividuels des Etats­

Unis et du Royaume-Uni, et l'intérêtde la Communauté internationale, qui doit guider
1'action du Conseil. Ce but préventif étant inexistant, les résolutions 731 et 748 servent, en

réalité,non pas l'intérêd te la Communauté internationale, mais Je seul intérêtprivédes Etats­

Unis et du Royaume-Uni.

3- L'exigence gue la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni trahirait d'autant plus le caractère fictif de la prétendue

ratioler:isdu recours au Chapitre VITde la Charte

6.133 Comme le souligne le Professeur Zoller, le détournement de pouvoir peut résulter

notamment de ce que l'organe concerné "impose des conditions qui ne sont pas nécessaires ou
appropriées pour achever le but en vue duquel le pouvoir a été accordé" 142.

La disproportion des moyens par rapport à l'objectif poursuivi, ou plus généralement

l'absence de lien suffisant entre le but et le moyen, constituent également une des variantes du
détournement de pouvoir, retenue par la jurisprudence administrative internationale 143.

6.134 De ce point de vue, l'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats­

Unis ou au Royaume-Uni, renforcerait encore ce qui précède.

D'une part, il a étéexposé que cette exigence n'est pas nécessaire, ni mêmeapte à
sauvegarder 1'effet préventif du jugement des suspects, qui pour le Conseil devrait contribuer

au maintien de la paix et de la sécuritéinternationales.

elle s'est mroduite quelque trois années plus tôt, n'était pas considérée comme une menace contre la paix et la
sécuritéinternationales (.

142 Zoller, E., op.cit., p. 197.
143 cfrC.F.Amerasinghe, up.cit., p. 292 ss.234

D'autre part et surtout, cette exigence entraînerait une différence de traitement des
attentats contre le volPan Am 103, d'une part, et le vol UTA 772 d'autre part, qui trahirait le

caractère fictif de la prétendueratiolegis du recours au Chapitre VII de la Charte.

De fait, le Conseil ne demande nullement que les suspects de l'attentat sur le vol UTA

772 soient livrésà la France. On voit mal, dans ces circonstances, pourquoi la livraison des
suspects de l'attentat sur le volPan Am 103 serait nécessaire pour parvenir aux objectifs de

répression et de prévention qui devraient justifier le recours au Chapitre VII de la Charte.

Section 5- La motivation des résolutions litigieuses est incohérente, ce qui exclut
qu'elles soient invoquées devant la Cour pour faire obstacle au

règlement du présentdifférend,ou en déterminer 1'issue

6.135 Il a étéexposéantérieurement que, face à une décision 'quasi-judiciaire' du Conseil, la
Cour ne doit pas se limiter à vérifierle respect des dispositions de la Charte, mais peut encore

vérifier si le raisonnement sous-tendant la décision du Conseil est juridiquement et

logiquement justifié.

6.136 Or, comme il a étéexposé ci-avant, les résolutions 731 et 748 sont juridiquement et
logiquement incohérentes, et elles le seraient d'autant plus si elles exigeaient que la Libye

livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni :

- d'une part, ayant exclu la qualification de menace contre la paix pour les actes terroristes
internationaux en général, le Consei1 n'a pu, logiquement, décider que le terrorisme

international à complicité étatique constitue une menace contre la paix en raison de

l'impunitéqu'il entraîne;

- d'autre part, le Conseil n'a pas pu décider que la livraison des suspects aux Etats-Unis ou

au Royaume- Uni était nécessaire au maintien de la paix et de la sécuritéinternationales,
alors qu'il n'a pas poséla mêmeexigence pour l'attentat sur le vol UTA 772. 235

Indépendamment du fait que ces constatations constituent la preuve du détournement

de pouvoir par le Conseil, l'inconsistance de la motivation des résolutions affecte la ratio

legis, le fondement juridique mêmedes résolutions litigieuses, et à ce titre affecte leur validité

ou du moins exclut qu'elles puissent faire obstacle à 1'application de la convention de
MontréaL

CHAPITRE IV- OBSERVATIONS SUR LA RESOLUTION 883 (1993) DU CONSEIL
DE SECURITE

6.137 Le 11 novembre 1993, le Conseil de sécuritéa adoptéla résolution 883 (1993) 1 • Eu

égardau bref laps de temps entre l'adoption de cette résolution et la date fixéepour le dépôt
du présent mémoire, la Libye n'a pas eu l'occasion de procéder à une analyse approfondie de

la résolution et des déclarations faites au Conseil lors de son adoption. Tout en se réservant le

droit de revenir ultérieurement sur la question, la Libye fait les observations suivantes.

Dans la résolution883 (1993), le Conseil,
.,

"Réa,blrmantses résolutions 731 (1992) du 21 janvier 1992 et 748 (1992) du 31 mars 1992,

Gravement préoccupéde ce qu'après plus de 20 mois, le Gouvernement libyen ne se soit toujours pas
pleinement conformé à ces résolutions,

Déterminé à éliminer le terrorisme international,

Convaincu que les responsables d'actes de terrorisme international doivent êtretraduits en justice,

Convaincu également que la suppression des actes de terrorisme international, y compris ceux dans
lesquels des Etats sont impliqués directement ou indirectement, est essentielle au maintien de la paix et
de la sécuritéinternationales,

Estimant, dans ce contexte, que le défaut persistant du Gouvernementlibyen de démontrer, par des
actes concrets, sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement continu à répondre de

manière complète er effective aux requêtes et décisions contenues dans les résolutions 731 (1992) et
748 (1992) cons tituent une menace pour la paix et la sécuritéinternationales,

Prenant note des lettres datées des 29 septembre et 1er octobre 1993 que le Secrétaire du Comité
populaire généralpour les relations extérieures et la coopération internationale de la Libye a adressées
au Secrétaire général(/265 23), ainsi que du discours qu'il a prononcé au cours du débat généralà la
quarante-huitième session de l'Assemblée généraledes Nations Unies (A/48/PV.20). dans lesquels la
Libye a affïrmé son intention d'encourager les suspects de l'attentat contre le vol Pan Am 103 de se
présenter pour jugement en Ecosse et sa volonté de coopérer avec les autorités françaises dans le cas de

1'attentat contre le vol UTA 772,

Exprimant sa reconnaissance au Secrétaire général pour les efforts qu'il a déployés au titre du
paragraphe 4 de la résolution 731 (1992),

144 V. annexe n°194.236

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte,

1. Demande une fois encore que le Gouvernement libyen se conforme sans plus de retard aux

résolutions 731 (1992) et 748 (1992);

2. Décide,atïn d'assurer le respect par le Gouvernement libyen des décisions du Conseil, de prendre les
mesures suivantes, qui entrerontn vigueur le 1er décembre 1993 à Oh01 (heure de New York), sauf si

le Secrétaire générala rendu compte au Conseil dans les termes prévus au paragraphe 16ci-dessous;

14.Invite le Secrétaire généraà poursuivre le rôle qui lui a étéconfié en vertu du paragraphe 4 de la
résolution731 (1992);

16. Se déclaredisposé à procéder à la révision des mesures établies ci-dessus et par la résolution 748
(1992) afin de les suspendre immédiatement si le Secrétaire généralrend compte au Conseil que 1e

Gouvernement libyen a assuré la comparution des suspects de l'attentat contre le vol Pan Am 103
devant un tribunal américain ou britannique compétent et a déféréaux demandes des autorités
judiciaires françaises s'agissant de l'attentat cont.re le vol UTA 772, en vue de leur levée immédiate
quand la Libye aura pleinement satisfait auxdemandes et décisions contenues dans les résolutions 731

(1992) et 78 (1992), et demande au Secrétaire généralde faire rapport au Conseil sur le respect par la
Libye des autres disposi lionses résolutions 731 (1992) et 748 (1992), dans les 90 jours qui suivent la
suspension et, en cas de non-respect,exprime sa détermination à mettre immédiatement un terme à la
suspension de ces mesures,

17. Décidede rester saisi de la question."

6.138 Si on compare le texte de la résolution 883 (1993) avec celui du projet de texte 145, on

peut éme"nrequatre remarques qui confirment l'argumentation de la Libye.

En premier lieu, le 4ème paragraphe introductif - qui ne figurait pas dans le projet -

explicite l'objectif du Conseil, tel qu'il a étéidentifié ci-dessus lors de 1'analyse des

résolutions 731 (J 992) et 748 (1992). Le Conseil se dit

"Convaincu que les responsables d'actes de terrorisme internationaldoivent êtretraduits en justice".

Cet objectif est formulé en termes très généraux : il n'est pas préciséque les suspects

doivent êtretraduits en justice devant certains tribunaux spécifiques.

En deuxième lieu, le 7ème paragraphe introductif - qui ne figurait pas non plus dans le

texte du projet- prend note de ce que

"... la Libye a affirmé son intention d'encourager les suspects de l'attentat contre le vol Pan Am 103
de se présenter pour jugement en Ecosse el sa volonté de coopérer avec les autorités françaises dans le
cas de l'attentat contre le vol UTA 772" (nos italiques).

145 V. annexe n°190. 237

Le Conseil prend ainsi note de ce que la Libye tente d'obtenir la comparution volontaire

des suspects devant les tribunaux écossais, ce qu'elle peut faire conformément à son droit
interne et au droit international.

En troisième lieu, la résolution 883 (1993), après avoir exprimé la reconnaissance du

Conseil pour les efforts déployés par le Secrétaire généralau titre du paragraphe 4 de la
résolution 731 (1992) 146,

"14.Invitele Secrétaire généralà poursuivre Je rôle qui lui a étéconfié en vertu du paragraphe 4 de la
résolution 731 (1992);

Le rôle du Secrétaire général,qui a étéidentifié antérieurement dans ce mémoire comme

celui de rechercher une solution négociée,reste donc inchangé.

En quatrième lieu, au 16ème paragraphe du dispositif de la résolution, le Conseil

"16. Se déclare disposà procéder à la révision des mesures ... afin de les suspendre immédiatement si
leSecrétaire généralrend compte au Conseil que le Gouvernement libyen a assuréla comparution des
·1
suspects de l'attentatcontre le vol Pan Am 103 devant un tribunal américain ou britannique
compétent ...".

Cette disposition tranche particulièrement avec le texte du projet. Selon le 11ème

paragraphe du dispositif du projet, correspondant au paragraphe 16 de la résolution, le

Conseil se serait déclarédisposé à lever les mesures coercitives,

"... if the Secretary-General reports to the Council that the Libyan government has surrendered for trial
in the appropriateS. or U.K. court thosc charged with the bombing ...".

Les deux textes ont bien sur une portée entièrement différente : le projet de résolution

faisait référence à la remise des suspects par la Libye aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Comme il a étépréciséantérieurement, la Libye ne peut pas procéder à cette remise en

vertu de son droit interne et elle ne peut pas y êtreobligée en vertu du droit international.
Le texte définitif de la résolution 883 (1993), par contre, ne vise aucunement l'hypothèse

spécifique de la remise : il concerne, beaucoup plus généralement, l'hypothèse où les

suspects comparaîtraient -éventuellement de leur propre volonté- devant les tribunaux

américains ou britanniques. Cette comparution volontaire n'est nullement prohibée par le

droit libyen, et n'est aucunement viséepar les règles applicables du droit international.

146 Résolution883 (1993), 8èmeparagraphe introductif.238

6.139. Ces quatre modifications apportéesau projet de résolutionsont intimement liées.

II est remarquable, en effet, que le Conseil ait dit seulement que les mesures

coercitives pourraient êtreimmédiatement livées si la Libye assurait la comparution des

suspects devant un tribunal américainou écossais. Cette formulation tranche avec l'adoption­
hypothétique - d'une décision obligeant la Libye à assurer la comparution des suspects, et

encore plus avec une décisionobligeant la Libye à livrer les suspects.

Cette distinction n'est pas purement formelle. En disant que les mesures sont levéessi

la Libye assure la comparution devant un tribunal américain ou écossais, le Conseil n'exclut
pas que les mesures puissent égalementêtrelevéesau cas où les suspects seraient traduits en

justice devant un autre tribunal. Dans la première hypothèse, les mesures devront êtrelevées,

dans la seconde, elles pourront l'être.

Sur ce plan, l'amendement du projet de résolutionpar l'insertion du 4ème paragraphe
introductif, rappellant l'objectif du Conseil en termes généraux,fait déjà le contrepoids du

paragraphe 16 du dispositif : si ce dernier se réfèreexplicitement aux tribunaux écossais et

américains, le 4ème paragraphe introductif est là pour rappeler que l'objectif véritable du
Conseil est, plus généralement,que les suspects soient traduits en justice.

Lorsqu'il se réfèreà la comparution des suspects devant les tribunaux américains ou
britanniques, le 16ème paragraphe du dispositif ne formule aucunement la seule et unique

solution envisageable : il formulerait, tout au plus, une solution privilégiéepar le Conseil.

Ceci est confirmé par le fait que le texte définitif de la résolution 883 (1993) ne

modifie pas le rôle conféréantérieurement au Secrétaire général,qui est de rechercher une
solution négociéeentre les parties.

Cette analyse est encore renforcée par 1elien existant entre l'amendement du 16ème
(anciennement llème) paragraphe du dispositif, et l'ajout du ?ème paragraphe introductif: le

dispositif a en e.ffet étéreformulé, de façon à ce qu'il se réfère à l'hypothèse d'une

comparution volontaire des suspects. Cette modification est manifestement liéeà l'insertion
du ?ème paragraphe introductif, qui se réfèreà l'intention de la Libye d'encourager les

suspects de se présenter pour jugement en Ecosse. La référenceaux tribunaux américains et
britanniques fait donc échoà la déclaration libyenne. Dans cette mesure, le 16èmeparagraphe

du dispositif ne se réfèrepas au jugement devant les tribunaux américains ou britanniquescomme la solution privilégiée,mais plutôt comme ce qui, eu égardaux déclarations libyennes,

apparaît êtreune solution probable.

Dans ces circonstances, la résolution 883 (1993) confirme l'interprétation des droits et

obligations de la Libye, qui a étéprésentéeci-dessus lors de l'analyse des résolutions 731

(1992) et 748 (1992): le Conseil de sécuritén'exige pas que la Libye livre les deux suspects

aux tribunaux des deux Etats défendeurs.

6.140 Ceci étant,dans la mesure où elle se réfèreaux tribunaux américains et britanniques,

la résolution883 (1993) traduit aussi la divergence entre les préférencespolitiques du Conseil

ou de certains de ses membres, et les exigences que pose le Conseil en droit. Eu égardà cette

divergence, le maintien des mesures coercitives contre la Libye risque de revenir à contraindre

- en fait - la Libye de forcer les suspects de se livrer 'volontairement' aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni. 11est inutile de dire qu'une telle pression serait constitutive de détournement
de pouvoir.

Ce risque d'ambigurté dans la pratique du Conseil a étéparfaitement traduit par le

représentantbrésilienlors de l'adoption de la résolution883 (1993). Le représentant brésilien

a déclaré:

"Tt is our considered view that efforttocombat and prevent acts of international terrorism must be

based on stmng and effective international cooperation on the basis of the relevant princip/es of
international law and the existing international conventions relating to the variuus aspects of the
problem of international terrorism. The basic imperative in the prevention of terrorist acts of an

international nature - as expressed, for example, in resolution 44/29 of the United Nations General
Assernbly - is that States must invariably fulfil their obligations under international law and take
effective and resolute measures to prevent such acts, in particular by ensuring the apprehension and
prosecution or extradition of the perpetrators of terrors.t act

(..) As provided in Article 24 (2) of the Charter, the Security Council is bound to discharge its
responsibilities in accordance with the purposes and the principles of the United Nations. That means

also that decisions taken by the Council, including decisions under Chapter VII, have to be construed in
the light ofthQ~~ e~urpos ehic,, inter alia, require respect for the princip/esof justice and
international law."141

Le représentant a également précisé,dans la droite ligne de l'analyse ci-dessus des

résolutions731 (1192) et 748 (1192) :

"We understand that the initiatives that Members States are called upon to take to encourage the

Libyan Government to respond effectively to Council resolutions, as expressed in operative paragraph
15, arc initiatives such as those that have been carried out by States so far, in the manner of good
offices, to facilitate talks and diplomatie contacts leading to a peaceful solution of this problem. (...)

147 S/PV. 3312, p. 48-49texteanglaisV. annexell195- nos italiques.240

It is indeed our hope thal the period between now and 1 December, when the new sanctions are to
come into effect, will be profltably utilized by the Stmes in.vulved - in.particular, by Libya - to achieve
an early negociated solution in full conformity wüh Securityre~wlutil Wene.so.rage the

Secretary-Genealto continue his effort tofacilitate such a 14lution".

En mettant ainsi l'accent sur la nécessité d'une solution négociée, le représentant

brésilienconfirme encore que la résolution 883 (1993) n'impose pas, sans solution alternative,

le jugement des suspects par les tribunaux américains ou britanniques.

Ceci confirme amplement que la résolution 883 ne modifie pas les exigences du
Conseil de sécuritételles qu'elles ont étéidentifiées lors de 1'analyse des résolutions 731

(1992) et 748 (1192).

Mais, en mêmetemps qu'il prononce cette remarquable plaidoirie pour la cause de la

Libye, le représentant du Brésilajoute:

"As was noted by sorne delegations in stamenents made in this CouncJanuary 1992, upon the

adoption of resolution 731 (1992), the exceptional circumstances on which this case is based make it
clear that the action laken by the Council seeks to adress a specifie po!itical situation and is clearly not
intended to establish any legal precedent- especially not a precedent that would question the validity of
time-honoured rules and principles of international law or the appropriateness of different domestic

legislationslh respect to the prevention and elimination of international terrorism." 149

Le représentant brésilien distingue ainsi le traitement politique. de l'affaire de son

traitement juridique. Ceci traduit bien le fait que, alors que le Conseil ne peut pas exiger de la
Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, et alors qu'il s'abstient

volontairement de formuler cette exigence, la position de certains membres du Conseil peut

mener, en fait, à imposer le maintien des mesures coercitives.

6.141 En conclusion, la résolution 883 (1993) du Conseil de sécuritéconfirme l'analyse qui

a étéfaite ci-dessus des droits et obligations de la Libye en vertu des résolutions 731 (1992) et

748 (1992). La comparution des deux suspects devant les tribunaux américains ou
britanniques devient peut-êtreune solution privilégiéeou simplement probable, mais elle reste

non obligatoire pour la Libye. S'il en étaitautrement, ou si les sanctions imposaient en fait la

compamtion forcéedes suspects devant les tribunaux américains ou britanniques, la résolution
883 (1993) serait contraire à la Charte des Nations Unies.

*
* *

148 Ibid., p. 50-51 danglais- nositaliques.
149 Ibid.nositaliques. 241

CONSIDÉRATIONS GENERALES

7.1 Avant de présenter les conclusions finales, la Libye considère nécessaire de présenter

les considérations généralessuivantes qui se trouvent à la base de sa requête.

7.2 La Libye a saisi la principale juridiction pour les conflits régis par le droit

international public, en vue de protéger ses droits comme membre d'une communauté d'Etats

égauxen droit.

La Libye a fait l'objet de demandes, soutenues par des mesures de contraintes, qui

pourraient impliquer la livraison de ressortissants libyens en contravention des règles
pertinentes du droit international généralrelatives à 1'extràdi tion, des dispositions d'une

convention internationale multilatérale majeure, des droits des deux accusés qui, comme tels,

bénéficient des standards généralement acceptés en matière de droü de l'homme, et des
dispositions de la loi libyenne, conformes à la convention de Montréal, qui ne permettent pas

1'extradition des nationaux.

7.3 Cette situation n'est pas compatible avec les principes élémentairesde l'étatde droit.
La culpabilité des accusés a étéconstamment présumée,et ni les Etats-Unis ni le Royaume­

Uni n'ont acceptéde fournir, en vue d'un examen impartial, les preuves alléguéesqui sont à la

base des poursuites.

7.4 Le traitement grossièrement inégal réservé à la Libye sous la pression des Etats-Unis

et du Royaume-Uni par le Conseil de sécurité résulte d'une démarche qui présume la

responsabilité d'un Etat basée sur de simples affirmations des Etats défendeurs. Il s'agit non
seulement d'un dénide justice, mais aussi d'une mesure manifestement discriminatoire. Ici on

condamne et on sanctionne sans preuve un Etat, alors qu'ailleurs on s'abstient de condamner

et de sanctionner bien que les preuves soient patentes.

7.5 Par la présente procédure, la Libye s'en remet à la Cour, principal organe judiciaire
des Nations Unies, qui apparaît aujourd'hui comme la seule instance apte à dire le droit et
d'assurer à la Libye son droit à l'égalité dans l'application des principes du droit

international.242

CONCLUSIONS
[pourle R.-U.]

8.1. Par ces motifs, et tout en se réservant le droit de compléter et modifier s'il y a lieu les
présentes conclusions en cours de procédure, la Libye prie la Cour de dire et juger :

a) que la convention de Montréal s'applique au présent litige;

b) que la Libye a pleinement satisfait à toutes ses obligations au regard de la convention de

Montréal et est fondée à exercer la compétence pénale prévue par cette convention;

c) que le Royaume-Uni a violé, et continue de violer, ses obligations juridiques envers la
Libye stipulées à l'art. 5 §§ 2-3, à l'art. 7, à l'art.§8 3 et à l'art. 11 de la convention de

Montréal;

d) que le Royaume-Uni est juridiquement tenu de respecter le droit de la Libye à ce que cette

convention ne soit pas écartéepar des moyens qui seraient au demeurant en contradiction
avec les principes de la Charte des Nations Unies et du droit international général de

caractère impératif qui prohibent l'utilisation de la force et la violation de la souveraineté,

de 1'intégrité territoriale, de 1'égalité souveraine des Etats et de leur indépendance
politique.

Document Long Title

Memorial of the Great Socialist People's Libyan Arab Jamahiriya

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