Public sitting held on Tuesday 5 March 1996, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Bedjaoui presiding

Document Number
094-19960305-ORA-01-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
1996/2
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CR 96/2

Cour internationale International Court
of Justice
de Justice

LA HAYE THE HAGUE

ANNKB 1996

Audience publique

tenue le mardi 5 mars 1996, à 10 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Bedjaoui, Président

en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime

(Cameroun c. Nigeria)

Demande en indication de mesures conservatoires

COMPTE RENDU

YEAR 1996

Public sitting

beld on Tuesday 5 Marcb 1996, at 10 a.m., at the Peace Palace,

President Bedjaoui presiding

in the case concerning the Land and Maritime Boundary

(Cameroon v. Nigeria)

Request Eor the Indication of Provisional Measures

VERBAT:IM RECORD - 2 -

Présents M. Bedjaoui, Président
M. Schwebel, Vice-Président
MM. Oda
Guillaume

Shahabuddeen
Weeramantry
Ranjeva
Herczegh
Shi
~
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin : ~
Ferrari Bravo
Mme Higgins
Parr a -Ara.nguren, juges
M.
MM. Mbaye
Ajibola, juges ad hoc

M. Valencia-Ospina, Greffier

,,.----------~-----------------------------------

- 3 -

Present: President Bedjaoui
Vice-President Schwebel
Judges Oda
Guillaume
Shahabuddeen
Weeramantry
Ranjeva
Herczegh
.. Shi
~ Fleischhauer
Koroma
-. Vereshchetin
Ferrari Bravo
Higgins
Parra-Aranguren
Mbaye
Judges ad hoc
Ajibola

Registrar Valencia-Ospina

.' - 4 -

Le Gouvernement du Cameroun est resprésenté par :

s. Exc. M. Douala Moutome, garde des sceaux, ministre de la justice,

comme agent;

M. Joseph Owona, professeur, ministre de la santé,

M. Joseph Marie Bipoun Woum, ministre de la jel.IDesse et des sports,

comme conseillers spéciaux;
1 •

M. Maurice Kamto, professeur â l'Université de Yaoundé,

M. Peter Ntarmack, doyen, professeur de droit â la faculté de droit

et de science politique de l'Université de Yaoundé II, avocat,
membre de l'Inner Temple,

comme coagents;

M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et à

l'Institut d'études politiques de Paris, membre de la Commission du
droit international,

comme conseil et avocat, et coordinateur de l'équipe des
conseils;

M. Jean-Pierre Cet, professeur à l'Université de Paris 1
(Panthéon-Sorbonne), député européen, ancien ministre,

S. Exc. M. Paul Bamela Engo, avocat, représentant permanent du
Cameroun auprès des Nations Unies, ancien Vice-Président de

l'Assemblée générale des Nations Unies, ancien président de la
Sixième Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies,
ancien président de la Première Commission de la troisième

conférence des Nations Unies sur le droit de la mer,

comme conseils et avocats;

S. Exc. Mme Isabelle Bassong, ambassadeur du Cameroun auprès des
Etats membres du Benelux;

M. Ernest Bodo Abanda, directeur du cadastre, membre de la commission
nationale des frontières,

M. Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,

f-
M. Joseph Tjop, consultant à la société civile professionnelle
d'avocats Mignard, Teitgen, Grisoni (Paris), chargé d'enseignement
et de recherches à l'Université de Paris X-Nanterre,

comme conseillers; - 5 -

The Government of Cameroon is represented by

H. E. Mr. Douala Moutoume, Keeper of the Seals, Minis ter of Jus ti ce.,

as Agent;

Professer Joseph Owona, Minister of Health,

Mr. Joseph-Marie Bipoun Woum, Minister of Youth and Sport,

as Special Advisers;

-.
Professer Maurice Kamto, Professer at the University of Yaoundé,

Dean Peter Ntarmack, Faculty of Laws and Political Science,
University of Yaoundé II, Barrister at Law, Member of the Inner
Temple,

as Ca-Agents;

Professer Alain Pellet, Professer at the University of

Paris X-Nanterre and the lnstitute of Political Studies, Paris,
Member of the International Law Commission,

as Counsel and Advocate, co-ordinator of the Team of counsel;

Professer Jean-Pierre Cot, Professer at the university of Paris 1

(Panthéon-sorbonne), Member of the European Parliament, former
Minister,

H. E. Mr. Paul Bamela Engo, Barrister at Law, Permanent
Representative of Cameroon ta the United Nations, Former
Vice-President of the United Nations General Assembly, Former

Chairman of the Sixth Committee of the United Nations General
Assembly, Former Chairman of the First Committee of the Third
United Nations Conference on the Law of the Sea,

as Caunsel and Advocates;

H. E. Mrs. Isabelle Bassong, .Ambassador of Cameroon ta the Benelux
countries;

Mr. Ernest Bodo Abanda, Director of the Cadastral Survey, Member of

the National Boundary Commission,

Mr. Marc Sassen, Barrister and Legal Adviser, The Hague,

- ' Mr. Joseph Tjop, consultant at the Civil Law Firm of Mignard Teitgen
Grisoni (Paris), Senior Teaching and Research Assistant at the

University of Paris X-Nanterre,

as Advisers; --------------

- 6 -

M. Pierre Bedeau, allocataire d'enseignement et de recherches à

l'Université de Paris X-Nanterre, et moniteur,

M. Olivier Corten, assistant à la faculté de droit de l'Université

libre de Bruxelles,

comme assistants de recherches;

Mme Mireille Jung,

Mme Renée Bakker,
1 •
comme secrétaires; .

M. Thimotée Tabapsi Famndie, chargé d'affaires à l'ambassade du
cameroun, La Haye.

Le Gouvernement du Nigéria est représenté par :

S. Exc. le chef M. A. Agbamuche, SAN, honorable Attorney-General de
la Fédération du Nigéria et ministre de la justice,

comme agent;

Le chef Richard Akinjide, SAN, ancien Attorney-General du Nigéria,
ancien membre de la Commission du droit international,

comme coagen t;

M. lan Brownlie, CEE, QC, FBA, professeur de droit international

public à l'Université d'Oxford, titulaire de la chaire Chichele,
membre du barreau d'Angleterre,

Sir Arthur Watts, KCMG, QC, membre du barreau d'Angleterre,

M. James Crawford, professeur de droit international, titulaire de la

chaire Whewell à l'Université de Cambridge, membre du barreau
d'Australie,

comme conseils et avocats;

M. Timothy Daniel, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de

Londres,

M. Alan Perry, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de Londres,

Mme Caroline Smith, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de ' .
Londres,

comme Solicitors;

M. Oye Cukwurah, professeur de droit international et membre de la
commission nationale des frontières,,------------------------------------ ---- --

- 7 -

Mr. Pierre Bedeau, Teaching and Research Assistant at the University

of Paris X-Nanterre, and Monitor,

Mr. Olivier Corten, Assistant at the Law Faculty of the Free

University of Brussels,

as Research Assistants;

Mrs. Mireille Jung,

Mrs. Renée Bakker,
..
as secretaries;

Mr. Thimotée Tabapsi Famndie, Chargé d'Affaires at the Embassy of

Cameroon, The Hague.

The Government of Nigeria is represe.nted by :

Chief M. A. Agbamuche, SAN, Hon. Attorney-General of the Federation

of Nigeria and Minister of Justice,

as Agent;

Chief Richard Akinjide, SAN, Former Attorney-General of Nigeria,
Former Member of the International Law Commission,

as Co-Agent;

Professer Ian Brownlie, CBE, QC, FBA, Chichele Professer of Public
International Law, Oxford; Member of the English Bar,

Sir Arthur Watts, KCMG, QC, Member of the English Bar,

Professer James Crawford, Whewell Professer of International Law,
University of Cambridge; Member of the Australian Bar,

as Counsel and Advocates;

Mr. Timothy Daniel, D. J. Freeman of the City of London,

Mr. Alan Perry, D. J. Freeman of the City of London,

Ms Caroline Smith, D. J. Freeman of the City of London,

as Solicitors;
• r

Professer oye Cukwurah, Professer of International Law and Member of
the National Boundary Commission, - B -

M. I. A. Ayua, professeur de droit et directeur général de l'Institut
de hautes études juridiques du Nigéria,

M. A. H. Yadudu, conseiller spécial du chef de l'Etat pour les
questions juridiques, commandant en chef des forces armées du
'Nigéria,

M. M. Nwachukwu, chargé d'affaires, ambassade du Nigéria aux
Pays-Bas,

Mme Stella omiyi, directeur au département de droit international et
comparé du ministère fédéral de la justice,
. -

M. Epiphany Azinge, professeur de droit associé et assistant spécial
de l'Attorney-General,

M. M. M. Kida, avocat, ministère des affaires étrangères,

Général de brigade D. Zakari, directeur des opérations du Quartier

général de la défense au ministère de la défense,

comme conseillers.

'. - 9 -

Professer r. A. Ayua, Professer of Law and Director General, Nigerian
Institute of Advanced Legal Studies,

Dr. A. H. Yadudu, Special Adviser (Legal Mattersl ta Head of state,
commander in chief of Armed Forces of Nigeria,

Mrs. Stella Omiyi, Director, International and Comparative Law
Department of the Federal Ministry of Justice,

Dr. Epiphany Azinge, Associate Professer of Law and Special Assistant
tc the Attorney-General,
..

Mr. M. M. Kida, Barrister at Law, Ministry of Foreign Affaira,

Brigadier-General D. Zakari, Director of Operations, Defence

Headquarters, Ministry of Defence,

Mr. M. Nwachukwu, Chargé d~Affaires Em, bassy of Nigeria, The Hague,

as Advisers .

. ' - 10 -

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir je vous prie. L'audience est

ouverte. La Cour se réunit aujourd'hui pour entendre, conformément au

paragraphe 3 de l'article 74 de son Règlement, les observations des

Parties au sujet de la demande en indication de mesures conservatoires

présentée par la République du Cameroun en l'affaire de la Frontière

terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria.
1 .

Avant de résumer brièvement, comme il est d'usage, les principales

étapes de la procédure en l'affaire, je voudrais souhaiter la bienvenue

sur le siège à M. Gonzalo Parra-Aranguren, élu membre de la Cour à

compter du 28 février 1996 en remplacement de feu M. Andrés

Aguilar-Mawdsley.

M. Gonzalo Parra-Aranguren prend ses fonctions à la Cour après une

remarquable carrière dont je présenterai, hélas trop brièvement, les

traits essentiels. Il est tout à la fois un grand professeur, un éminent

magistrat et un «codificateur» réputé dans le domaine du droit

international privé, tant sur le plan national qu'international.

M. Parra-Aranguren a accompli de brillantes études à l'Université

centrale du Venezuela et à la Ludwig Maximileans Universitât de Munich,

couronnées par l'obtention de deux doctorats. Il a été, comme son

prédécesseur, Andrés Aguilar-Mawdsley, professeur titulaire à

l'Université centrale du Venezuela et à l'Université catholique

Andrés Bello de Caracas. Auteur d'une bonne dizaine d'ouvrages et d'une

centaine d'articles, il a, à deux reprises, enseigné à l'Académie de

droit international de La Haye, où il a donné en 1988 le prestigieux

«cours général» de droit international privé.

M. Parra-Aranguren prend place sur le siège de cette Cour après avoir

occupé des fonctions judiciaires importantes, qui l'ont conduit jusqu'à - 11 -

la Cour supréme de justice du Venezuela. Il a participé à de nombreux

arbitrages tant au Venezuela qu'à l'étranger.

M. Parra-Aranguren a aussi pris part à maintes entreprises de

codification du droit, tant dans son propre pays qu'au sein de la

conférence de La Haye sur le droit international privé, où il a été, sans

interruption, depuis 1976, le représentant écouté du Venezuela.
Il se
..
situe bien, à cet égard, dans la grandé tradition juridique du continent

latina-américain, dont Andrés Bello reste le symbole.

M. Parra-Aranguren a enseigné le droit; il a pris part à sa création;

il a eu l'occasion de veiller à son application. La cour internationale

de Justice bénéficiera désormais de la considérable expérience qu'il a

acquise dans ces trois domaines. Je suis certain qu'il apportera une

contribution particulièrement précieuse aux travaux de la Cour.

Je demande maintenant à M. Gonzalo Parra-Aranguren de bien vouloir

prendre l'engagement solennel que l'article 20 du Statut de la Cour exige

de tout juge nouvellement élu. Je prie l'assistance de bien vouloir se

lever. M. Parra-Aranguren, s'il vous plaît.

M. GONZALO PARRA-ARANGUREN :

«I solemnly declare that I will perform my duties and
exercise my powers as judge honourably, faithfully, impartially
and conscientiously.»

Le PRESIDENT Je vous remercie.

.' - 12

Veuillez vous asseoir. Je prends act.e de la déclaration solennelle

que vient de faire M. Gonzalo Parra-Aranguren, et le déclare dûment

installé en tant que membre de la Cour internationale de Justice.

*

* *

L'article 20 du Statut est également applicable aux juges ad hoc en

vertu du paragraphe 6 de l'article 31 du même Statut. En la présente

affaire, la Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité

des Parties, chacune d'elles a fait usage du droit que lui confère le

paragraphe 3 de 1 'article 31 du Statut de désigner un. juge ad hoc. La

République du Cameroun a désigné M, Kéba Mbaye et la République fédérale

du Nigéria M. Bola Ajibola. Il est heureux pour la Cour que le choix des

Parties se soit porté sur d'aussi éminentes personnalités. MM. Mbaye et

Ajibola n'ont plus à être présentés. Ils ont été l'un et l'autre des

distingués membres de cette Cour après avoir servi la justice au plus

haut niveau dans leurs pays respectifs M. Kéba Mbaye comme premier

président de la Cour suprême du Sénégal; et M. Bola Ajibola comme

Attorney-General et ministre de la justice du Nigéria. M. Mbaye a été

membre de.la cour de 1982 à 1991; il en a été le Vice-Président de 1987

à 1991. M. Ajibola a été membre de la Cour de 1991 à 1994; il a remplacé

·.
sur le siège feu le Président Elias. Conformément à l'article 8 du

Règlement de la Cour, les juges ad hoc doivent prononcer une déclaration
\.

«à l'occasion de toute affaire à laquelle ils participent», même s'ils

ont déjà fait, antérieurement, une telle déclaration, hors du cadre de

l'affaire considérée. J'invite donc maintenant chacun des juges ad hoc à - 13 -

prendre l'engagement prescrit par le Statut et je prie l'assistance de

bien vouloir se lever.

Monsieur Mbaye.

M. MBAYE :

«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et
exercerai mes attributions de juge en tout honneur _et

dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute
conscience.»

Le PRESIDENT Monsieur Ajibola.

M. AJIBOLA :

«I solemnly declare that I will pertorm my duties and
exercise my powers as judge honourably, taithtully, impartially
and conscientiously.»

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. Je prends

acte des déclarations solennelles faites par MM. Mbaye et Ajibola, et les

déclare en conséquence dûment installés comme juges ad hoc en l'affaire

de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria.

*

*
*

L'instance a été introduite le 29 mars 1994 par le dépôt au Greffe de

.· la Cour d'une requête du Gouvernement de la République du Cameroun contre

la République fédérale du Nigéria. Dans cette requête, le Gouvernement
• f

du Cameroun se réfère, pour fonder la compétence de la Cour, aux

déclarations faites par les deux Etats en application du paragraphe 2 de

l'article 36 du Statut. Le Gouvernement camerounais y indique que : - 14 -

«le différend porte essentiellement sur la question de la
souveraineté sur la presqu'île de Bakassi ... dont la République
fédérale du Nigéria conteste l'appartenance à la République du

Cameroun»;

que

«cette contestation a pris la forme, depuis la fin de
l'année 1993, d'une agression de la part de la République

fédérale du Nigéria dont les troupes occupent plusieurs
localités camerounaises situées dans la presqu'île de Bakassi»;

et qu'il

«en résulte de graves préjudices pour la République du cameroun
dont il est demandé respectueusement à la Cour de bien vouloir
ordonner la réparation».

Le Cameroun expose en outre, dans sa requête, que la

«délimitation (de la frontière maritime entre les deux Etats]
est demeurée partielle et [que] les deux Parties n'ont pas pu,

malgré de nombreuses tentatives, se mettre d'accord pour la
compléter»;

en conséquence, il prie la Cour,

afin d'éviter de nouveaux incidents entre les deux pays, ... de

bien vouloir déterminer le tracé de la frontière maritime entre
les deux Etats au-delà de celui qui avait été fixé en 1975».

J'invite à présent le Greffier à donner lecture de la décision

demandée à la Cour, telle qu'elle est formulée au paragraphe 20 de la

requête du Cameroun.

Le GREFFIER :

«Sur la base de 1 'exposé des fait's et des moyens juridiques
qui précèdent, la République du Cameroun, tout en se réservant

le droit de. compléter, d'amender ou de modifier la présente
requête pendant la suite de la procédure et de présenter à la
Cour une demande en indication de me~ures conservatoires si ·::;.·

celles-ci se révélaient nécessaires, prie la Cour de dire et
juger :
i .

a) que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi est
camerounaise, en vertu du droit international, et que cette

presqu'Île fait partie intégrante du territoire de la
République du Cameroun; - 15 -

b) que la République fédérale du Nigéria a violé et viole le
principe fondamental du respect des frontières héritées de

la colonisation (uti possidetis juris);

c) qu'en utilisant la force contre la République du Cameroun,

la République fédérale du Nigéria a violé et viole ses
obligations en vertu du droit international conventionnel
et ·coutumier;

d) que _la République fédérale du Nigéria, en occupant
militairement la presqu'île camerounaise de Bakassi, a

violé et viole les obligations qui lui incombent en vertu
du droit conventionnel et coutumier;

e) que vu ces violations des obligations juridiques susvisées,
la République fédérale du Nigéria a le devoir exprès de
mettre fin à sa présence militaire sur le territoire

camerounais, et d'évacuer sans délai et sans condition ses
troupes de la presqu'île camerounaise de Ba.kassi;

e') que la responsabilité de la République fédérale du Nigéria
est engagée par les faits internationalement illicites
exposés sub litterae a), b), c), d) ete) ci-dessus;

e") qu'en conséquence une réparation d'un montant à déterminer
par la cour est due par la Républiqu.e fédérale du Nigéria à

la République du cameroun pour les préjudices matériels et
moraux subis par celle-ci, la République du Cameroun se
réservant d'introduire devant la Cour une évaluation

précise des dommages provoqués par la République fédérale
du Nigéria.

f) Afin d'éviter la survenance de tout différend entre les
deux Etats relativement à leur frontière maritime, la
République du Cameroun prie la Cour de procéder au

prolongement du tracé de sa frontière maritime avec la
République fédérale du Nigéria jusqu'à la limite des zones
maritimes que le droit international place sous leur _

juridiction respective.»

*

* *

-.

Le PRESIDENT : Le 6 juin 1994, la République du Cameroun a déposé au

Greffe de la Cour une requête additionnelle «aux fins d'élargissement de

l'objet du différend» à un autre différend, décrit dans cette requête

comme - 16 -

«port[antl essentiellement sur la question de la souveraineté

sur une partie du territoire camerounais dans la zone du
lac Tchad ... dont la République fédérale du Nigéria conteste
l'appartenance à la République du Cameroun».

Le Gouvernement du Cameroun y indique que

«cette contestation a pris la forme d'une introduction massive

de ressortissants nigérians dans la zone litigieuse, suivie par
celle des forces de sécurité nigérianes, avant d'être formulée
officiellement par le Gouvernement de la République fédérale du

Nigéria, tout récemment, pour la première fois».

Dans sa requête additionnelle, le Cameroun demande également à la Cour de

«préciser définitivement» la frontière entre les deux Etats du lac Tchad

à la mer, et la prie de joindre les deux requêtes et «d'examiner

l'ensemble en une seule et même instance».

J'invite maintenant le Greffier à donner lecture de la décision

demandée à la Cour, telle qu'elle est formulée au paragraphe 17 de la

requête additionnelle du Cameroun.

Le GREFFIER :

«Sur la base de l'exposé des faits et des moyens juridiques

qui précèdent et sous toutes les réserves formulées au
paragraphe 20 de sa requête du 29 mars 1994, la République du
Cameroun prie la Cour de dire et juger

a) que La souveraineté sur la parcelle litigieuse dans la zone
du lac Tchad est camerounaise en vertu du droit

international, et que cette parcelle fait partie intégrante
du territoire de la République du Cameroun;

b) que la République fédérale du Nigéria a violé et viole le
principe fondamental du respect des frontières héritées de
la colonisation (uti possidetis juris) ainsi que ses

engagements juridiques récents relativement à la
démarcation des frontières dans le lac Tchad; -.

. c) que la République fédérale du Nigéria, en occupant avec
l'appui de ses forces de sécurité des parcelles du ' .
territoire camerounais dans la zone du lac Tchad, a violé

et viole ses obligations en vertu du droit conventionnel et
coutumier;

d) que, vu les obligations juridiques susv~sees, la République
fédérale du Nigéria a le devoir exprès d'évacuer sans délai '

- 17 -

et sans conditions ses troupes du territoire camerounais

dans la zone du lac Tchad;

e) que la responsabilité de la République fédérale du Nigéria

est engagée par les faits internationalement illicites
exposés aux sous-paragraphes a), b), c) et d) ci-dessus;

e') qu'en conséquence une réparation d'un montant à déterminer
par la Cour est due par la République fédérale du Nigéria à
la République du Cameroun pour les préjudices matériels et

moraux subis par celle-ci, la République du Cameroun se
réservant d'introduire devant la Cour une évaluation
précise des dommages provoqués par la République fédérale

du Nigéria.

t) Que vu les incursions répétées des populations et des
forces armées nigérianes en territoire camerounais tout le
long de la frontière entre les deux pays, les incidents

graves et répétés qui s'ensuivent, et l'attitude instable
et réversible de la République fédérale du Nigéria
relativement aux instruments juridiques définissant la

frontière entre les deux pays et au tracé exact de cette
frontière, la République du Cameroun prie respectueusement
la Cour de bien vouloir préciser définitivement la

frontière entre elle et la République fédérale du Nigéria
du lac Tchad à la mer.»

Le PRESIDENT : Lors d'une réunion que le Président de la Cour a tenue

avec les représentants des Parties le 14 juin 1994, l'agent de la

République du Cameroun a expliqlié que son gouvernement n'avait pas eu

l'intention de présenter une requête distincte, mais que la requête

additionnelle était davantage conçue comme un amendement à la requête

initiale; l'agent de la République fédérale du Nigéria, pour sa part, a

déclaré gue son gouvernement ne voyait pas d'objection à ce que la

requête additionnelle soit traitée comme un amendement à la requête

initiale, de sorte que la Cour puisse examiner l'ensemble en une seule et

même instance .
. 1

Par une ordonnance en date du 16 juin 1994, la Cour a indiqué qu'elle

ne voyait pas d'objection à ce qu'il soit ainsi procédé, et a fixé au

16 mars 1995 et au lB décembre 1995 les dates d'expiration des délais

pour le dépôt du mémoire de la République du Cameroun et du - 18 -

contre-mémoire de la République fédérale du Nigéria, respectivement.

Dans les délais ainsi fixés, le Cameroun a déposé son mémoire et le

Nigéria a soulevé certaines exceptions préliminaires à la compétence de

la Cour et à la recevabilité des demandes du Cameroun.

Ayant reçu les agents des Parties le 10 janvier 1996, le Président de

la Cour a constaté, par une ordonnance du même jour, qu'en vertu du

paragraphe 3 de l'article 79 du Règlement la procédure sur le fond était

suspendue, et a fixé au 15 mai 1996 la date d'expiration du délai dans

lequel le Cameroun pourrait présenter un exposé écrit contenant ses

observations et ses conclusions sur les exceptions préliminaires,

conformément à cette même disposition.

*

* *

Le 8 février 1996, le ministre des relations extérieures du Cameroun

a fait tenir à la Cour le texte d'un communiqué publié par le

Gouvernement camerounais à la suite d'un incident armé survenu le

3 février 1996 dans la presqu'île de Bakassi; selon ce communiqué, des

contacts étaient en cours entre les deux Parties «pour que prévale la

paix dans cette région, en attendant le verdict de la Cour internationale

de Justice».

Par une lettre datée du 10 février 1996 et reçue au Greffe le

'.
12 février [1996] par télécopie, l'agent du Cameroun, se référant aux

«graves incidents qui oppos[aient] les forces des deux Parties dans la

péninsule de Bakassi depuis le 3 février 1996», a communiqué à la Cour le

texte d'une demande en indication de mesures conservatoiresi dans sa - 19 -

lettre, l'agent du Cameroun soulignait «l'urgence et la gravité de la

situation» et demandait qu'une audience «Soit fixée à une date aussi

rapprochée que possible». Dans la demande en indication de mesures

conservatoires qui accompagnait cette lettre, le Gouvernement camerounais

expose notamment ce qui suit.

«Dans la journée du samedi 3 février 1996 à 12 heures les
forces nigérianes ont attaqué les troupes camerounaises dans la
péninsule de Bakassi, tout le long de la ligne du cessez-le-feu

de février 1994. A la suite de cette attaque qui a fait un
mort, un disparu et plusieurs blessés du côté camerounais et qui
a causé des dégâts matériels importants, la sous-préfecture

d'Idabato et les localités d'Uzama, de Kombo a Janea et
d'Idabato sont tombées aux mains des forces nigérianes.

Les affrontements militaires se poursuivent depuis lors par
intermittence. Au surplus les moyens utilisés par les troupes
nigérianes, constituées de forces terrestres et navales

importantes appuyées par l'artillerie lourde, dénotent
clairement l'intention de la Partie nigériane de poursuivre la

conquête de la péninsule de Bakassi.»

Conformément aux dispositions de l'article 73, paragraphe 2, du

Règlement, le Cameroun précise par ailleurs dans les termes suivants les

conséquences qui découleraient selon lui du rejet de sa demande :

«L'issue du conflit armé sur le terrain rendrait impossible

ou, en tout cas, compliquerait singulièrement l'exécution du
futur arrêt de la Cour; la destruction d'éléments de preuve lors
de la poursuite des hostilités risquerait de fausser le

déroulement de la procédure; et la poursuite des affrontements
armés aggraverait considérablement les dommages causés à la

République du Cameroun et dont celle-ci a demandé réparation
dans sa requête et dans son mémoire notamment en causant des
pertes irrémédiables en vies et en souffrances humaines et
d'importants dommages matériels.»

J'invite à présent le Greffier à donner lecture du paragraphe de la

demande dans lequel sont énoncées les mesures conservatoires que le

- 1 Gouvernement camerounais prie la Cour d'indiquer.

Le GREFFIER :

«En conséquence, et sans préjuger du fond du différend le

Gouvernement de la République du Cameroun prie la Cour de bien
vouloir indiquer les mesures conservatoires suivantes : - 20 -

1. les forces armées des Parties se retireront à l'emplacement
qu'elles occupaient avant l'attaque armée nigériane du
3 février 1996;

2. les Parties s'abstiendront de toute activité militaire le
long de la frontière jusqu'à l'intervention de l'arrêt de la

Cour;

3. les Parties s'abstiendront de tout acte ou action qui

pourrait entraver la réunion des éléments de preuve dans la
présente instance.»

Le PRESIDENT : Dès réception de la communication télécopiée de

l'agent du Cameroun, le Greffier en a adressé copie à l'agent du Nigéria;

la copie certifiée conforme de la demande en indication de mesures

conservatoires, visée à l'article 73, paragraphe 2, du Règlement, a été

transmise à ce dernier dès réception au Greffe de l'exemplaire original

de ladite demande.

Selon l'article 74 du Règlement de la cour, une demande en indication

de mesures conservatoires a priorité sur toutes autres affaires; si la

Cour ne siège pas au moment de la présentation de la demande, elle doit

être immédiatement convoquée pour statuer d'urgence sur cette demande.

Par ailleurs, la date de la procédure orale doit être fixée de manière à

donner aux parties la possibilité de s'y faire représenter. En

conséquence, par des communications en date du 16 février 1996, les

Parties ont été informées que la date d'ouverture de la procédure orale

prévue à l'article 74, paragraphe 3, du Règlement, au cours de laquelle

elles pourraient présenter leurs observations sur la demande en

indication de mesures conservatoires, avait été fixée au 5 mars 1996 à
\ .

10 heures.

Le 19 février 1996 est parvenue au Greffe une communication avec

annexes de l'agent du Nigéria, datée du 16 février 1996 et intitulée «Le

Gouvernement. du Cameroun oblige .les Nigérians à s'inscrire et à voter aux - 21 -

élections municipales». Dans cette communication, l'agent du Nigéria,

après avoir rappelé la position de son gouvernement quant à la procédure

engagée devant la Cour par le Gouvernement camerounais, se référait aux

élections municipales organisées par les autorités camerounaises le

21 janvier 1996, et déclarait notamment à ce sujet

«En tant qu'Etat souverain, la République du Cameroun a le
droit de tenir des élections sur son territoire. Cependant, ce
droit ne peut pas et ne doit pas s'étendre aux régions qui font

l'objet d'un différend entre la République du Cameroun et la
République fédérale du Nigéria. En violation flagrante de ce
principe primordial, le Cameroun a délimité des régions de la

péninsule de Bakassi pour les fins d'élections municipales. Ce
qui est pire encore, le Gouvernement du Cameroun a contraint les
Nigérians qui résident dans ces régions à s'inscrire et à voter

pour le RDPC, le parti au pouvoir dirigé par le président
Paul Biya. Les autorités policières locales ont imposé des
sanctions très sévères aux personnes qui ne se sont pas

conformées à ces directives.»

La communication de l'agent du Nigéria s'achevait ainsi

«Le Gouvernement du Nigéria invite par la présente la Cour
internationale de Justice à prendre acte de cette protestation

et à rappeler à l'ordre le Gouvernement du Cameroun.

[L]e Gouvernement du Cameroun devrait être mis en demeure
de cesser de harceler les citoyens nigérians dans la péninsule

de Bakassi jusqu'à ce que l'affaire en instance soit tranchée
définitivement par la Cour internationale de Justice.»

*

*
*

Je note la présence à l'audience des agents et conseils des

deux Parties. La République du Cameroun, Partie demanderesse au fond et

Etat ayant sollicité l'indication de mesures conservatoires, sera - 22 -

entendue en premier. Je donne donc la parole à S. Exc. Monsieur

le ministre de la justice, Maître Douala Moutome, agent du Cameroun.

*

*

M. MOUTOME : Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,

vous pardonnerez l'émotion qui est la mienne d'avoir à expliquer les

raisons de la demande camerounaise en indication de mesures

conservatoires devant votre Haute Juridiction que je découvre comme agent

de mon pays. sachant bien sûr par ailleurs l'intensité de vos activités

en ce moment, vous me permettrez, j'en suis persuadé, d'aller tout droit

à l'essentiel, et de vous présenter d'emblée les données fondamentales

qui sont à la base de notre demande en indication de mesures

conservatoires. J'insisterai notamment, tout au moins je tenterai de

vous faire comprendre que ma démarche s'articule sur les trois points

ci-après :

l'extrême gravité de la situation que mon pays croyait gelée, jusqu'à

la décision au fond de votre juridiction, et qui vient d'être remise en

cause par le Nigéria,

l'urgence à trouver une solution propre à préserver ce gui peut encore

l'être dans cette région,

la confiance, la très haute confiance, que la République du Cameroun a

toujours placée dans la Cour internationale de Justice.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous exprimer à vous-même,

et à Madame et Messieurs de la Cour, la profonde gratitude de mon pays

pour avoir accepté d'examiner dans un délai aussi raisonnable que - 23 -

possible, notre demande qui s'inscrit dans le cadre d'une procédure que

nous aurions pourtant bien voulu éviter. Cette procédure, et je me

permets de vous prendre à témoin, Monsieur le Président, a été envisagée

plusieurs fois, mais chaque fois réservée du fait de l'attitude

apparemment conciliante des représentants de la République fédérale du

Nigéria à chacune de nos rencontres autour de vous-même.

Je veux encore espérer, et je le pense sincèrement, que le devoir

qu'ont le Cameroun et le Nigéria de promouvoir et de préserver la paix

dans la région, restera la préoccupation de ces deux pays, que tout

contraint à une coexistence pacifique et complémentaire. La démarche

camerounaise est donc faite dans cet esprit et trouve dans cette exigence

sa véritable raison d'être.

En tout cas, la profonde conscience qu'a la République du Cameroun de

la nécessité de cette coexistence pacifique dans un esprit de bon

voisinage, l'a conduite à saisir votre Haute Juridiction d'une demande en

indication de mesures conservatoires, justement dans l'objectif de

préserver la paix et cette coexistence pacifique à la suite des

incompréhensibles incidents, - et le terme est volontairement modéré - du

3 février 1996, que la République du Nigéria a déclenchés en attaquant

par des forces terrestres et maritimes, les positions des forces armées

camerounaises sur la frontière séparant les deux Etats dans la péninsule

de Bakassi.

En réalité, cette nouvelle série d'agressions ne nous aurait pas

conduits à saisir votre Cour de cette demande, si elle ne révélait pas
••

enfin clairement les véritables intentions de la République fédérale du

Nigéria et n'avait entraîné des conséquences juridiques multiformes que

les conseils du Cameroun expliqueront mieux que moi. - 24 -

La République du Cameroun, en tout cas et en effet, est harcelée par

la République fédérale du Nigéria sur toute la frontière et

particulièrement à Bakassi, depuis de longues années, et nous avions

pensé que les nombreux rencontres, négociations et accords entre les

Parties, finiraient par faire taire ce que nous voulions considérer alors

comme de simples velléités d'hégémonie.

Mais aujourd'hui, la République du Cameroun doit constater que les

accords de Yaoundé I et II, Lagos, Kano et Maroua, pour ne citer que ces

quelques repères n'ont rien signifié pour le Nigéria et qu'il ne les a

signés que pour distraire l'attention de mon pays et du peuple

camerounais autant que celle de la communauté internationale.

Aussi, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, mon

gouvernement veut-il ici, souligner avec force, l'extrême gravité de la

situation ainsi créée, dont les conséquences, déjà perceptibles,

appellent une solution provisoire d'autant plus rapidement qu'elle

consacre la volonté maintenant dévoilée de la République fédérale du

Nigéria, de ne respecter aucun des règles et principes auxquels adhère la

communauté internationale en vue de préserver la paix entre les pays et

les peuples.

Il s'agit notamment et d'abord, du principe du non recours à la force

pour le règlement des différends dont les Nations Unies, en vertu de la

Charte, ont le devoir d'imposer le respect avec le concours de votre

Cour.

Il s'agit ensuite du respect du principe de l'intangibilité des
'i.

frontières des Etats issues des colonisations que l'OUA a érigé en

véritable impératif catégorique. - 25 -

Il s'agit aussi du principe en vertu duquel les Etats membres de

l'ONU et de l'OUA s'engagent à régler pacifiquement - je dis bien

«pacifiquement» - les différends qui les opposent.

Il s'agit tout aussi bien du respect des recommandations des

instances internationales, telles que l'Assemblée générale, le Conseil de

sécurité, l'Union européenne, le groupe des Non-Alignés, dont les deux

Etats ont été destinataires.

Je pense à cet égard aux initiatives prises par certains pays, sous

la forme, tant6t de simples communiqués adressés aux Parties, tant6t de

rencontres, notamment celle qui a eu lieu sous les auspices de la

République du Togo, avec le plein appui du cameroun, mais dont le Nigéria

n'a tenu aucun compte.

Arrêtons-nous un instant sur la tentative togolaise qui, si le

Nigéria s 'y était prêté de bonne foi, comme l'a fait mon pays, aura.i t pu

nous permettre de faire l'économie de la présente instance.

Comme vous le savez, Madame et Messieurs de la Cour, le président

Eyadema a pris l'initiative d'inviter les ministres des affaires

étrangères des deux Parties à se réunir autour de lui, peu après le début

des graves incidents de Bakassi.

Il en est résulté, le 17 février 1996, la signature à Kara, par les

ministres des affaires étrangères des deux Etats, d'un accord par lequel

ceux-ci, prenant note de ce que l'affaire était pendante devant votre

Haute Juridiction, s'engageaient à cesser immédiatement les hostilités .

.Le même jour - le même jour , Monsieur le Président, le Nigéria les
• il

déclenchait à nouveau à Bakassi. Le Cameroun n'avait dès lors gu.' une

seule ressource : maintenir la saisine de votre Haute Juridiction. Ce

sont ces considérations qui ont conduit le président Biya à décliner

l'offre du Togo en vue d'une nouvelle rencontre, le 29 février dernier - 26 -

à quoi bon, en effet, accepter cette offre si le Nigéria ne signe des

accords que pour endormir la méfiance du Cameroun et les violer

aussitôt ? Mais il convient ·d'ajouter qu'assez curieusement cet~e

rencontre était fixée ce jour même, le s·mars, où l'on devait comparaître

devant votre Cour.

Ceci ne veut pas dire, je voudrais vous en assurer Monsieur le

Président, que nous excluons désormais la possibilité d'autres

négociations dans le futur; mais nous ne sommes prêts à nous y prêter que

si elles sont solidement fondées sur les mesures que votre Cour, avec

l'autorité et le prestige qui sont les siens, indiquera.

Trop souvent dans le passé, et jusqu'à tout récemment, le Nigéria a,

en effet, manifesté le peu de cas qu'il faisait des traités et accords

internationaux auxquels il est partie ou auxquels il a succédé.

Je pense, ce disant, aux accords antérieurs à la création des Etats

issus de la décolonisation et, en particulier, dans notre affaire, au

traité angle-germanique de 1913, dont le Nigéria conteste curieusement la

valeur et la portée aujourd'hui.

Je pense aussi aux convent·ions internationales dûment ratifiées par

les deux Etats et dont l'objectif majeur est de promouvoir et de

préserver la paix internationale.

En décidant le 3 février 1996, de reprendre les hostilités armées

contre la République du Cameroun, la République fédérale du Nigéria

perpétue, une fois de plus, un acte aux conséquences inquiétantes, non

seulement pour mon pays et le peuple camerounais, mais aussi au regard de
'i'

la stabilité encore précaire des Etats africains, dont les frontières -

pourquoi le nier, Monsieur le Président ? - ont souvent été définies au

mépris de certaines considérations sociologiques, mais dont, justement

pour cette raison, la remise en cause serait d'une gravité particulière - 27 -

et serait le prétexte à tous les Etats en mal d'hégémonie et

d'impérialisme, pour s'agrandir au détriment de voisins plus faibles.

Je tiens, Monsieur le Président, à attirer l'attention de la Cour

sur l'extrême désordre que la nouvelle série d'agressions perpétrées par

le Nigéria génère aux plans humain, économique, politique et social. Ces

nouvelles attaques des forces armées nigérianes ont entrainé des victimes

tant civiles que militaires.

Il y a des morts, des blessés, des disparus, des prisonniers, des

déplacements de population, avec leurs conséquences multiples et

dramatiques.

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, vous vous

rendrez certainement compte en lisant les annexes reproduites dans le

dossier de plaidoiries que nous avons remis au Greffe, de la difficulté

dans laquelle mon Gouvernement se trouve pour quantifier, et catégoriser

ces nombreuses victimes, du fait justement de la panique que créée ce

genre d'événements, même au niveau des états-majors, au surplus perturbés

par l'annonce des négociations ayant abouti à des accords malheureusement

immédiatement dénoncés, pour ne pas dire violés.

Alors, combien y a-t-il de morts, de disparus, de prisonniers ?

Il est honnête de reconnaître que je ne saurais vous donner de

réponse définitive aujourd'hui, alors surtout que les chiffres, venant de

nombreuses sources, sont loin d'être concordants, et qu'il y a attaques

sur attaques, qu'il continue à y avoir attaque après attaque.

Mais, ce qu'il y a de certain au moins, et je le souligne avec force,
."

c'est que même le Nigéria a reconnu qu'il y a eu confrontation armée et

qu'il y a eu des victimes, y compris parmi ses propres troupes.

J'ai vu aujourd'hui la lettre, qui est parvenue à la Cour après ma

saisine, par laquelle il estime que les populations nigérianes auraient - 28 -

été violentées par les autorités camerounaises pour voter pour le RDPC,

pour dire que cela ajoute à la gravité de la situation. Je me réserve

d'émettre le moindre jugement sur une telle accusation dont la portée

sera discutée fortement en partie ici, tout à l'heure, mais au fond.

Ces seules observations justement justifient pleinement l'urgence à

indiquer les mesures conservatoires que mon pays a proposées afin, au

moins, de s'assurer que des secours et des recherches peuvent être menés

sans risque et éventuellement avec l'aide d'enquêteurs comme cela a été

plusieurs fois suggéré.

De la même façon, mon pays éprouve de grandes difficultés économiques

à gérer cette nouvelle situation car, comme vous le savez, Monsieur le

Président, Madame et Messieurs de la Cour, le cameroun se bat pour se

sortir d'une situation économique fort préoccupante depuis de bien

nombreuses années.

Il lui faut maintenant en outre consentir un effort de guerre se

chiffrant en milliards de francs, pour garantir ses frontières et prendre

en charge, pendant un moment, nous l'espérons, les conditions de

subsistance des populations déplacées, fuyant les lieux des combats.

Ici aussi, il est important de souligner l'urgence d'une solution

permettant une gestion sereine de cette double situation que je viens de

décrire.

Mais il y a un autre risque dont il faut prendre conscience afin

d'éviter des situations semblables à celles qu'ont connues ou connaissent

le Rwanda, le Burundi et bien d'autres pays celles des réactions
...

xénophobes, voire même racistes.

Il faut en effet savoir gue 3 millions de Nigérians vivent sans

problèmes chez nous, en bonne intelligence avec les 12 millions de

Camerounais que compte mon pays. '.·,

- 29 -

ce qui se passe actuellement à Bakassi, vous vous en doutez bien, est

de nature à créer, chez les Camerounais, un sentiment au demeurant

légitime, de frustration, qui pourrait les conduire à entreprendre de

chasser de leur territoire, par tous les moyens, les Nigérians qui y

vivent. Le Gouvernement camerounais en serait désolé, mais il n'est pas

sûr qu'il aurait alors les moyens de maintenir entièrement l'ordre, tant

l'amertume grandit tous les jours

on pourrait même envisager le pire dont j'hésite ici, pour des

raisons gue vous comprendrez aisément, à évoquer les formes qu'il

prendrait.

Il faut, en effet, bien comprendre ce dont il s'agit : pas de simples

incidents frontaliers, regrettables bien sûr, mais sans lendemain, mais,

bel et bien, d'une volonté délibérée du Nigéria d'annexer une partie de

notre territoire.pour ainsi réaliser deux objectifs évidents :

la mainmise sur la zone de Bakassi qui regorge de ressources

pétrolières et halieutiques,

- et la remise en cause, du tracé de la frontière, de toute la frontière

entre les deux pays .

Votre Haute Juridiction ne saurait admettre qu'en 1996, un grand pays

• comme le Nigéria, dont l'Afrique est en droit d'attendre un comportement

plus responsable, laisse ainsi le champ libre à la République d'Afrique

du Sud, seule désormais à même d'infléchir dans le sens du développement,

la tendance bien préoccupante qui prévaut sur notre continent, je dis

bien laisser le Nigéria ériger en principe de rapports avec ses voisins,

1 'intimidation, la force et la violence, au risque d'internationalisation

des conflits qui en résulteraient.

Les écologistes nous apprennent chaque jour aujourd'hui que les

forêts disparaissent malheureusement, ce qui signifie gue la jungle ne - 30 -

devrait plus avoir de loi. Dès lors qu'il n'y a plus de forêts, il n'y a

plus de jungle et là-bas la jungle doit disparaître.

Il y a donc maintenant urgence à ce que la Cour indique les mesures

conservatoires proposées par mon pays, qui les a voulu raisonnables et

qui, en les proposant, s'en est strictement tenu à la fonction qui est la

leur, préserver les droits des parties mais sans préjuger du fond du

li tige.

C'est le lieu de souligner fermement la confiance que mon pays a

toujours manifestée à l'endroit de la Cour internationale de Justice.

Aussi n'a-t-il pas hésité à la saisir de ce différend après s'être

rendu compte qu'aucune négociation bilatérale n'était effectivement plus

possible entre la République fédérale du Nigéria et la République du

Cameroun, et après avoir réalisé que les instances internationales, dans

leur souci de gérer les équilibres en termes de rapports de force,

perdent parfois de vue la fonction régulatrice du droit.

Vous n'avez certainement pas, Monsieur le Président, Madame et

Messieurs les Juges, manqué d'être frappés par la formulation de certains

communiqués (Nations Unies, Union européenne, pays non alignés,

Etats-Unis, etc.) qui figurent dans notre petit dossier de plaidoirie et -

qui tous, ou presque, reconnaissent un règlement du litige par la Cour

internationale de Justice.

Jeudi dernier encore, le président du Conseil de sécurité a adressé

aux présidents des deux pays une lettre les exhortant «à redoubler

d'efforts pour parvenir à un règlement pacifique par l'entremise de votre
...
Cour».

Le débat très actuel sur l'affirmation du droit ne peut se

circonscrire aux seuls individus. Il doit aussi concerner les Etats, me

semble-t-il, et les entités internationales, non seulement pour sa - 31 -

crédibilité mais aussi pour que jamais, comme la communauté

internationale s'y est engagée, on ne connaisse plus ni 1914-1918, ni

1939-1945, ni la guerre du Koweit, ni la guerre Iran-Iraq, et la liste

est loin d'être terminée.

Pour y parer, les Nations Unies ont créé votre juridiction, à

laquelle, peu après son indépendance, mon pays a, une première fois,

manifesté sa confiance.

Je sollicite respectueusement au nom de mon pays et du peuple

camerounais, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, que

le droit soit dit, qu'il soit indiqué que les mesures conservatoires que

nous avons demandées que, se plaçant sur un terrain plus technique, les

éminents conseils auxquels le cameroun a fait appel, vont maintenant vous

présenter, si vous voulez bien, Monsieur le Président, leur passer la

parole.

Dans un premier temps, Monsieur l'ambassadeur Paul Bamela Engo

exposera les faits qui sont à l'origine de notre demande dans une

perspective juridique. Le professeur Alain Pellet établira ensuite

qu'aucun problème de compétence ne se pose à ce stade. Le professeur

Jean-Pierre Cot lui succédera et justifiera les mesures dont le Cameroun

a demandé à la Cour l'indication. Monsieur le professeur Kamto, coagent

du Cameroun, évoquera ensuite la lettre étrange que vous a adressée

l'agent du Nigéria le 16 février dernier, avant que Monsieur le doyen

Ntarmack, autre coagent du Cameroun, conclue très brièvement.

Avant d'en terminer, je souhaite, Monsieur le Président, Madame et

Messieurs les Juges, dire une nouvelle fois la confiance anxieuse que mon

pays place dans votre haute juridiction. Je souhaite aussi adresser un

salut fraternel, parce que je reste confiant que la raison finira par

l'emporter, même si le droit se montre quelque peu parfois fragile, et - 32 -

que le Nigéria et le Cameroun règleront leurs problèmes. C'est pourquoi

je n'hésite pas à adresser un fraternel salut à la délégation nigériane

et plus particulièrement à M. l'agent de la République fédérale du

Nigéria. C'est un salut qui me vient du fond du cŒur, Monsieur l'agent.

Acceptez le comme tel, je vous tends la main, j'attends de recevoir la

vôtre. Je vous remercie de votre patience, Madame et Messieurs de la

Cour, et vous prie, Monsieur le Président, de bien vouloir donner la

parole à S. Exc. M. Paul Engo Bamela. Si j'ai été long, je le regrette.

LE PRESIDENT : Je vous remercie, Exc.ellence, pour votre exposé et

j'appelle à la barre l'ambassadeur Paul Bamela Engo.

H.E. Mr. Paul Bamela ENGO: Mr. President, Distinguished Judges,

The Agent of our nation, the Republic of Cameroon, bas just addressed

this Court, extending tc yeu the warm and sincere compliments that we

profoundly share as a team. I can do no more than add a mere footnote:

that I am personally gripped by a strong sense of privilege on this

occasion of my second appearance before this international tribunal.

Mr. President, my nation needs no special introduction here.

Following two applications made to the Court in 1994, we were later to

file a Memorial on 16 March 1995. That document, with the annexes •

attached, outlines the relevant phases of the birth of Cameroon - a

classic exhibition of a product of international action; a significant

part of a chapter of African history, symbolizing the carving out of

geographical delimitations, compelling therein peoples of diverse ethnie

combinations to share common survival interests; bullied by

circumstances to painfully create and share a sense of nation in a cruel

world. The ravages of global armed conflicts dictated fortunes, sorne - 33 -

mischievous, on the African continent. One consequence was the moulding

of new societal and political organizations for the inhabitants of our

dear Continent.

Unlike the spectacular history of the nations of the North-Ameiican

hemisphere and elsewhere, the peoples of our Continent did not

voluntarily design the evolution and consolidation of the notion of State

or even country characterized by boundary delimitation. Contrary ta the

African's concept of Kingdoms, defined in terms of an emphasis on peoples

and their cultures, irrespective of where they chose ta migrate or live,

the agents of external interests introduced inflexible systems, the

inflexible system of demarcating permanent territorial boundaries.

The traditions fundamentally catered for the establishment of

geographical demains within which the strategie, economie and security

interests of rivals in the European region could best be enhanced.

This, Mr. President, underlines a substantive relevance for an aspect

of African {and perhaps global) history throwing important light on the

establishment of universally recognized delimitation of what constitutes

"State" boundaries in our part of the world at !east. It spells two

factors. The first is the truth that the two fraternal States involved

• in the dispute before this Court were NOT carved out by the Africans who

respectively inhabited the countries or who constituted the

politico-juridical entities now called Nigeria and Cameroon. Europeans

involved were not preoccupied by any known obligation to respect and ta

conserve existing local values. The scramble for Africa, that is for

territories as far as we are concerned, hardly made room for addressing

the spread of Kingdoms; nor did they attach any relevance ta the

necessity for respecting the unity and habitation of those they

categorized as "natives" (in the most pejorative sense of that ward). - 34 -

The second truth is that ethnie groups were not only split by imposed

lines of demarcation, they also inflicted an inherent obligation to learn

differing European languages. The cultural consequences of this are not

unfamiliar to bath Nigeria and Cameroon. The Yorubas of Western Nigeria

are conditioned ta speak English while their ethnie family, also Yorubas,

in the vast area of Southern Benin are French-speaking. Cameroon with

more neighbours than almost every ether African nation presents a

catalogue cf the same consequence.

Realistically the Heads of State of the Organization of African Unity

addressed the item cf reformation, reconstitution or readjustments in

existing States boundaries on our continent. They recognized attendant

difficulties and potential dangers in adopting any basic principles for

such reorganization. But inspired by a more productive vision of

establishing lasting continental unity at bath regional and sub-regional

levels, the decision was wisely reached that no colonial lines- i.e.,

those lines adopted by colonial administrators - should be altered.

It is clear from these factors that any attempt ta alter the decision

of all Heads of State in the field of national boundaries bears a

conscious desire to convoke well known disruptive forces of conflict. It ~

is also very clear that in our age, sovereignty is protected as the

substance of life and survival itself. National safety grows more

critical with increasing developments in science and technology -

especially in the field of armaments. No State, big or small, is really

tao small or tao big new to defend itself. The concept of deterrence bas

attracted modifications during this conflict-ridden twentieth century.

Mr. President, Nigeria and cameroon are bath active members of the

Organization of African Unity. Each Republic, ours and theirs, raced to

membership of the United Nations Organization after obtaining political ~-----------------------~--
: 1 :'

- 35 -

freedom. The contribution of each to the workings of these Pan-African

and global organizations is new part of the important records of this

period in time. Bath have been admitted into the memberships of ether

international bodies also created for the promotion of global peace and

development.

Nigeria bas succeeded in providing an elected President of the

United Nations General Assembly as well as dynamic leadership in other

specialized bodies at the international level. The United Nations

Economie Commission for Africa (ECA) and ether such bodies are fora

without difficulty of recognition. It is to the far better informed

Members of this Court that the scope of Nigeria's contribution, through

he.r jurists and two elected Judges can be fully outlined.

Modesty precludes an elaboration of the extent of Cameroon's

endeavours and contributions tc the workings of the United Nations

system, the OAU and ether international bodies.

Now it would consequently be apprapriate to presume, prima facie,

that Nigeria does share our commitment ta the purposes and principles of

the United Nations and the OAU, as elaborated in their respective

Charters. It cannat thus be toa much to hope that the Government and

• people of Nigeria are with us, ar join us, in recognition of the norms

and imperatives outlined in various instruments of international law -

especially those relating ta international peace and security. Armed

conflict is despicable in the civilized.world contemplated by the

... United Nations Charter and ether legal instruments .

Cameroon's Agent, Maître Douala Moutome, has drawn attention to our

nation's concern for the increasing dimensions of the gravity engaged in

the already painful, enduring and dangerous situation between cameroon

and Nigeria in these difficult times. It is comparatively easier to - 36 -

examine the background issues because neither Party here can

mischievously pretend to be innocent of the facts and prevailing

conditions just described to this Court.

At the moment when we were compelled tc rescrt or to commence the

cause before this Court, the Nigerian authorities told the world that

there was ne intention on their side to undermine the territorial

integrity and political independence of Cameroon. The compliancy of

readily accepting the alleged attribution of the incursions to seme

military indiscipline appear ta have been taken by ethers, especially our

brothers here, as weakness. It was followed by sustained skirmishes

promoted by Nigerian administrative officials along and within

Cameroonian borders. sensationalism was excellent food for Nigeria's

media, which did not hesitate to glorify the humiliation of border

officials within the Cameroonian territory. False accusations regarding

Cameroon's forces, especially the police and the gendarmes, provided

headline material for increased commercialism.

By February 1994, Nigerian forces had begun insurgency as described

ta you earlier, into the sovereign territory of Cameroon in the Bakassi

Peninsula. Their troops bad effectively occupied the Archibong area.

Jabane coastlines had'been joined by the area of Diamond ta beost further

the growing resort ta illegal occupation. Nigeria's assurances that

there was "no intention of undermining Cameroonian territory" could no

longer be taken seriously.

The activities in the Peninsula over the ensuing two years have
'•.

clearly disclosed the bread underlying ambitions of the Nigerian

authorities. While falsely accusing Cameroon incursion the Nigerian

troops manoeuvred around provocatively and then systematically invaded

and occupied areas on bath sides of the Atabong Creek. By February 1996, - 37 -

Nigerian troops are there, physically present, in the Cameroonian areas

of Idaboto I and II and Guidi Guidi. On the shores of the Pekwabana

Creek, the areas of Kombo A Ianea, Kombo Miyangadu and Uzuma have

occupation of Nigeria troops illegally stationed there now. On the ether

side, portions of the Akwabana Island (Kombo Abedimo area) and the

Akwayafe (Inokoi area) have been occupied by Nigerian troops. All of

these are Cameroonian territory.

This movement of troops can no longer be explained off by Nigeria.

The scope of wealth, in terms of resources and national acquisition of

its locus, may be tao tempting. There could be no pretence of an

objective to protect Nigerian national territory. Nigeria knows this

history and geography of the disputed regions very well. Cameroon was a

trust territory and a territory that was known and examined by the

international community, including our brothers next door. She places

little or no value on any factor, including the justice of seeking peace,

the respect for obligations imposed by agreements or the recognised norms

of law; the sanctity of human life and the consequential misery of those

who must live to endure the pains of loss of property, loved ones and

happiness. If the pretext is the pursuit of justice and African unity,

the choice of sustained violence and occupation of disputed territory

negates any sympathy in that direction. If it is the determined thrust

of expansion of Nigerian territory, it must be known that Nigerian

.. authorities now find the OAU Declaration regarding State delimitation to

.· be inçonvenient to them. The possession of arms, the illusions of

invincibility tend ta lure arrogance and miscalculations in attempts to

achieve the unattainable within a time-frame. Aggression is part of the

weapon. - 38 -

It also may well be concluded that the commitment ta norms of

international law, the elaboration and practice of which Nigerians

dedicated themselves - I can bear witness ta this because I have been in

many of the areas where this was done - "these now suffer similar factors

of abandonment or indeed rejection. The use of force ta annex, obtain or

expand national territory is anachronistic in a modern world conditioned

by higher universally recognized values·.

Article 2, paragraph 3, of the United Nations Charter prescribes the

settlement of disputes "by peacetul means in such a manner that

international peace and security, and justice, are not endangered".

The General Assembly of the United Nations, once presided over by a

noble Nigerian, solemnly affirmed "the universal and unconditional

validity of the purposes and principles of the UN Charter". The second

paragraph called "upon all States ta adhere strictly to those purposes

and principles" .

The 1970 Declaration of Principles (Declaration on Principles of

International Law concerning Friendly Relations and Co-operation among

States in accordance with the Charter of the United Nations) clearly

speaks of the obligation of States parties to disputes to "seek early and 4IJ

just settlement ... " It underlines the cardinal principle of the

prohibition of the threat or use of force -the prohibition of the threat

or use of force in international relations between States, especially in

any manner "inconsistent with the purpose of the United Nations". The

threat or use of force outlined "constitutes a violation of international
·.

law and the Charter of the United Nations, and shall never [it is

underlined) be employed as a means of settling international disputes".

No room is made for exceptions regarding aggression and armed

conflict. Nigeria's incorrect accusations of Cameroon's initiation of - 39 -

aggression provided no justification for the use of· force. The

Declaration of Principles of International Law outlines the "duty ta

refrain from acts of reprisal involving the use of force". The evidence

of undisputed existence of armed conflict and persiste.nce of the threat

to it is enough to induce the concern of this Court tc abate the current

situation by favourably entertaining Cameroon's request.

Finally, Mr. President, we should observe that the Declaration of

Principles insists on the respect to pursue negotiations in good faith.

our experience, as recently explained by our Agent, is that Nigerian

authorities, who seem tc seek the umbrella of tinted negotiations, have

not pursued negotiations in good faith. In any case, provoking or

encouraging conditions of armed conflict is evidence of the lack of such

good faith. This Court of international law remains, at this stage, the

only source of hope for ensuring that parties refrain from the threat or

the pursuit of armed conflict; by ensuring that no prejudice attends the

final determination on the substance of the dispute brought here for

settlement. This is the paradigm of a situation where the provisional

measures asked for are not merely appropriate, but are absolutely

necessary.

I thank you Mr. President and distinguished Members of this Court.

May I new respectfully request that yeu give the floor to

Professer Alain Pellet.

The PRESIDENT: I thank you, Your Excellency, for your statement and

I give the floor to Professer Pellet.

M. PELLET : Merci Monsieur le Président. Monsieur le Président,

Madame et Messieurs de la cour, se présenter devant vous est toujours un

honneur- et je vous remercie bien vivement de me l'accorder à nouveau. - 40 -

Mais, il faut le reconnaître, ce n'est pas toujours un plaisir - au moins

lorsqu'il s'agit de vous demander de bien vouloir indiquer des mesures

conservatoires dans des circonstances particulièrement dramatiques comme

c'est le cas aujourd'hui, alors que les armes opposent deux pays que tout

devrait rapprocher et que, depuis plus d'un mois, elles ont fait de

nombreuses victimes, aussi bien parmi les militaires que dans la
·.

population civile.

Il est aussi toujours un peu désolant de devoir plaider la compétence

de votre Cour, dans des circonstances comme celles-ci où sont en cause à

la foi la paix et la sécurité internationales, la vie et la souffrance

des hommes. Telle est pourtant la tâche qui m'incombe aujourd'hui. La

République fédérale du Nigéria est présente, de l'autre côté de la barre,

et nous nous en réjouissons, mais tout donne à penser que ce n'est que

pour contester la compétence de votre Haute Juridiction, dans laquelle le

Cameroun, pour sa part, place tous ses espoirs, ainsi que Maître Moutome

l'a rappelé il y a quelques instants.

Monsieur le Président, le Nigéria a accepté la juridiction

obligatoire de la Cour par une déclaration faite au titre de

l'article 36, paragraphe 2, du Statut, le ~4 août ~965, sans autre

réserve que la seule condition de réciprocité - c'est tout à son honneur.

Le Cameroun en a fait de même le 3 mars ~994.

Ainsi, les deux Etats qui sont aujourd'hui présents devant vous ont,

si je puis dire, accepté de prendre le «risque du droit». Ils ont reconnu

«comme obligatoire de plein droit et sans condition spéciale, à l'égard

de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la

Cour sur tous les différends d'ordre juridique ... »

Je viens de dire, Monsieur ~e Président, que c'était l'honneur du

Nigéria d'avoir accepté la compétence de la Cour peu après son accession - 41 -

à l'indépendance, à une époque où une telle marque de confiance pour la

juridiction internationale n'était pa.s si fréquente. Mais je ne peux

m'empêcher de penser que cet honneur se trouve quelque peu terni par la

réaction du Nigéria dans notre affaire. Pour la première fois, l'un de

ses voisins, désespérant d'obtenir une solution négociée au grave

différend qui l'oppose à lui depuis tant d'années et qui, une nouvelle

fois, venait de s'envenimer, a décidé, à son tour, d'accepter ce même

risque du droit et, dans le même mouvement, de saisir votre Cour en vue

du règlement définitif de ce litige douloureux qui a donné lieu à

plusieurs conflits armés meurtriers, dont l'un se déroule toujours au

moment où je m'adresse à vous.

La réaction du Nigéria, Madame et Messieurs de la Cour, vous la

connaissez : après avoir semblé accepter votre juridiction - et je pense

en particulier à l'attitude conciliante de la délégation nigériane lors

de la première réunion qui a eu lieu entre les Parties autour de vous,

Monsieur le Président, le 14 juin 1994 {cf. l'ordonnance de la Cour du

16 juin 1994}, le Nigéria s'est ravisé et a déposé, le 17 décembre

dernier, pas moins de huit exceptions préliminaires dans le seul but,

tout à fait évident, d'empêcher- ce qu'il ne peut pas- ou, en tout cas,

de retarder, le règlement du différend.

Le Cameroun sait bien, Monsieur le Président, que la présente

instance n'est pas la circonstance appropriée pour réfuter les exceptions

préliminaires du Nigéria, aussi artificielles soient-elles. D'une

certaine manière le Cameroun le regrette car la tâche n'est pas, il faut

bien le dire, très difficile, et cela aurait permis de gagner un temps

précieux la situation est très tendue et, aussi longtemps que la Cour

ne se sera pas prononcée au fond, le moindre incident peut mettre le feu

aux poudres et dégénérer en un conflit majeur dont les incidents actuels, - 42 -

aussi dramatiques soient-ils, risquent de ne donner qu'une image très

atténuée.

Quoiqu'il en soit, conformément à la jurisprudence de la Cour, telle

que l'a synthétisée l'ambassadeur Shabtai Rosenne, «Proceedings for

interim measures possess a certain independant character which sets them

apart from the principal proceedings in the case.» (The Law and Practice

of the International Court, Nijhoff, Dordrecht, 1985, p. 424.)

Dès l'ordonnance qu'elle a rendue dans l'affaire du Prince Von Pless,

le 11 mai 1933, la Cour permanente a précisé qu'en indiquant les mesures

conservatoires qui lui étaient demandées, elle entendait «ne préjuger en ~-

rien la question de sa propre compétence pour statuer sur la requête

introductive d'instance du Gouvernement allemand du 18 mai 1932, non plus

que sur la recevabilité de celle-ci» (C.P.J.I. série A/B n° 54, p. 150) et

ceci montrait clairement qu'une demande en indication de mesures

conservatoires, d'une part, et des exceptions préliminaires, d'autre

part, constituent deux procédures incidentes, distinctes et séparées, qui

répondent à des logiques différentes et, dès lors, à des règles de

compétence distinctes.

La Cour actuelle s'en est constamment tenue à cette opinion et, dans ~~

toutes les affaires où la question s'est posée, elle a rappelé que les

«règles générales énoncées à l'article 36 du Statut» et qui gouvernent sa

compétence pour se prononcer sur le fond d'une affaire «différent

entièrement de la clause spéciale énoncée à l'article 41 ... » (arrêt du

22 juillet 1952, Anglo-Iranian Oil Co., C.I.J. Recueil 1952, p. 102-103).
..

Ainsi, dans l'affaire de l'Interhandel, elle a considéré que l'exception

préliminaire soulevée par les Etats-Unis devait être examinée selon la

procédure de l'article 62 du Règlement d'alors (c'est l'article 79

actuel) qui est relatif aux exceptions préliminaires, et pas sur le - 43 -

fondement de l'article 61 (qui est l'article 73 actuel) relatif aux

mesures conservatoires et la Cour a conclu «que la décision rendue à la

suite de cette procédure ne préjuge en rien la question de la compétence

de la Cour pour connaître du fond de l'affaire et laisse intact le droit

du défendeur de faire valoir ses moyens pour contester cette compétence»

(ordonnance du 24 Octobre ~957, C.I.J. Recueil 1957, p. 111).

on retrouve cette dernière formule ou des formules comparables dans

toutes les affaires où le problème s'est posé (Compétence en matière de

pêcheries (Royaume-Uni et RFA c. Islande), C.I.J. Recueil 1972, p. 16;

Essais nucléaires (Australie et Nouvelle-Zélande c. France) ,

C.I.J. Recueil 1974, p. 105 et 142; Plateau continental de la mer Egée,

C.I.J. Recueil 1976, p. 13; Personnel diplomatique et consulaire des

Etats-Unis à Téhéran, C.I.J. Recuei.l 1979, p. 20; Activités militaires ou

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, C.I.J. Recueil 1984, p.

180 et 186; Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, C.I.J. Recueil 1990,

p. 69; Incident de Lockerbie, C.I.J. Recueil 1992, p. 15 et 127 ou

Application de la convention sur le génocide, C.I.J. Recueil 1993, p. 23

et 349}.

Dans les premières ordonnances qu'elle avait été appelée à rendre

dans ces conditions, la Cour avait semblé considérer que sa compétence

pour se prononcer sur une demande en indication de mesures conservatoires

ne reposait pas sur la volonté des parties en litige mais était, en

·- quelque sorte, inhérente à sa qualité d'organe judiciaire (cf. l'arrêt du

22 juillet 1952, Anglo-Iranian Oil Co., C.I.J. Recueil 1952, p. 103; voir

aussi Herbert Briggs, «La compétence incidente de la CIJ en t.ant que

compétence obligatoire», RGDIP 1960, p. 228 au Georges Abi-Saab, Les

exceptions préliminaires dans la procédure de la Cour internationale,

Pédone, Paris, 1967, p. 87}. Cette position trouve quelques fondements - 44 -

dans les travaux préparatoires de l'article 41 du Statut de la Cour

permanente (voir H. Briggs, ibid.) et dans la fonction même de la Cour en

tant qu'organe judiciaire principal des Nations Unies. Et c'est tout

particulièrement vrai dans un cas comme-celui qui vous est soumis

aujourd'hui où la paix et la sécurité internationales sont gravement

menacées et dans la mesure où la-Cour peut, dans le domaine judiciaire

qui est le sien, contribuer â les rétablir, il faudrait, assurément, des

considérations bi en décisives pour qu. elle s 'en abstienne .

Ce raisonnement a cependant été contesté avec quelque virulence par

MM. Winiarski et Badawi Pacha, dans l'opinion dissidente commune qu'ils

ont jointe à l'ordonnance de la Cour du 5 juillet 1951 dans l'affaire de

l'Anglo-Iranian. Selon eux, «[l]e problème des mesures conservatoires

est lié pour la Cour à celui de sa compétence; elle ne peut les indiquer

que si elle admet, ne fût-ce que provisoirement, sa compétence pour

connaître du fond de l'affaire» (C.I.J. Recueil 1951, p. 96). Et

d'ajouter «En droit international, c'est le consentement des Parties

qui confère juridiction à la Cour ; la Cour n'a compétence que dans_ la

mesure où sa juridiction a été acceptée par les parties. La Cour ne

doit indiquer de mesures conservatoires que si sa compétence, au cas où

elle est contestée, lui paraît néanmoins raisonnablement probable. Cette

apprécia.tion dei t être le résultat d'un examen sommaire; elle ne peut

être que provisoire et ne peut préjuger la décision finale qui

interviendra après un examen approfondi auquel la Cour procédera en

statuant avec toutes les garanties que lui imposent les règles de sa

procédure,» (Ibid., p. 97.)

Au fond, on peut sans doute voir dans cette opinion, au départ

dissidente, l'expression de la position actuelle de la Cour qui, à partir

de 1972 a considéré que, «lorsqu'elle est saisie d'une demande en - 45 -

indication de mesures conservatoires», elle «n'a pas besoin, avant

d'indiquer ces mesures, de s'assurer de manière concluante de sa

compétence quant au fond de l'affaire, mais qu'elle ne doit cependant pas

appliquer l'article 41 du Statut lorsque son incompétence a.u fond est

manifeste» (ordonnance du 17 août 1972, Compétence en matiëre de

pêcheries, C.I.J. Recueil 1972, p. 15 et 33). C'est aussi dans ces

ordonnances de 1972 que, pour la première fois à rna connaissance, la Cour

utilise l'expression compétence «prima facie» (ibid., p. 16 et 34 l autour

de laquelle sa doctrine s'est aujourd'hui fermement amarrée. Ceci la

conduit à considérer que,

«en présence d'une demande en indication de mesures

conservatoires, point n'est besoin pour la Cour, avant de
décider d'indiquer ou non de telles mesures, de s'assurer de
manière définitive qu'elle a compétence quant au fond de

l'affaire, mais elle ne peut indiquer ces mesures que si les
dispositions invoquées par le demandeur ou figurant dans le
Statut semblent prima tacie constituer une base sur laquelle

la compétence de la Cour pourrait être fondée» (ordonnance du
B avril 1993, Application de la convention sur le génocide,
C.I.J. Recueil 1993, p. 11-12; voir aussi ordonnances du

15 décembre 1979, Personnel diplomatique et consulaire des
Etats-Unis à Téhéran, C.I.J. Recueil 1979, p. 13; du 10 mai

1984, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci, C.I.J. Recueil 1984, p. 179; du 2 mars 1990,
Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, C.I.J. Recueil 1990,

p. 68-69).

Ceci étant rappelé, Monsieur le Président, et au risque de me

répéter, le Cameroun tient à dire, très formellement, qu'il n'aurait rien

à redouter de l'application du test, plus exigeant, que la Cour applique

en matière d'exceptions préliminaires. Je serais presque tenté de dire
·-

qu'en réalité, le plaidoyer le plus éloquent en faveur de la compétence

de la Cour dans cette affaire, ce sont sans doute les exceptions

préliminaires elles-mêmes ! Il y en a huit, certes, mais la lecture

de leurs 143 pages, fort aérées, ne peut laisser le moindre doute, ni

prima ni secunda facie, sur leur caractère artificiel et, pour dire vrai, - 46 -

abusif. Nombre de points qui y sont abordés ont été tranchés, très

nettement, par votre Haute Juridiction, sur la base de raisonnements

indiscutables.

Je pense en particulier à la première exception préliminaire, selon

laquelle la requête camerounaise enfreindrait la condition de

réciprocité, qui fait partie du système de la clause facultative de

l'article 36 : cette même objection a été très fermement écartée par la

Cour dans l'affaire du Droit de passage en territoire indien (arrêt du

26 novembre 1957, C.I.J. Recueil 1975, p. 145-147), ce dont, d'ailleurs,

le Nigéria convient lui-même, sans apporter le moindre début

d'argumentation de nature à remettre en cause cette jurisprudence

(voir exceptions préliminaires, p. 53).

Je pense aussi aux deuxième et troisième exceptions qui contredisent

le principe, maintes fois réaffirmé par la Cour, selon lequel

l'existence, au demeurant fort douteuse dans notre affaire, d'autres

forums possibles de règlement du différend dont elle est elle-même

saisie, «ne constitue pas, en droit, un obstacle à l'exercice par la cour

de sa fonction judiciaire» (arrêt du 24 .mai 1980, Personnel diplomatique

et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, C.I.J. Recueil 1980, p. 23;

voir aussi : arrêts du 21 décembre 1962, Sud-Ouest africain,

C.I.J. Recueil 1962, p. 346; du 19 décembre 1978, P1ateau continental de

la .mer Egée, C.I.J. Recueil 1978, p. 12; ou du 26 novembre 1984,

Activités .militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci,

C.I.J. Recueil 1984, p. 440}, principe dont on peut d'ailleurs rappeler
·.

au passage qu'il vaut également en matière de mesures conservatoires, et

que la Chambre de la Cour que vous présidiez, Monsieur le Président, en a

fait application dans l'affaire du Différend frontalier entre le Burkina

Faso et le Mali (ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 10). - 47 -

Je pense enfin à cet égard aux quatrième et huitième exceptions

préliminaires, aux termes desquelles le Nigéria se pose en défenseur des

droits des tiers, sans égard ni pour les dispositions de l'article 59 du

Statut ni pour la jurisprudence constante de la Cour quant au statut

juridique des «tripoints» en matière de délimitation terrestre (voir

notamment : les arrêts du 22 décembre 1986 dans l'affaire du Différend

frontalier, C.I.J. Recueil 1986, p. 579-580, et du 3 février 1994, dans

l'affaire du Différend territorial, C.I.J. Recueil 1994, p. 34) ni en ce

qui concerne la préservation des droits des tiers dans le domaine de la

délimitation maritime (cf. en particulier les arrêts du 14 avril 1981,

Plateau continental {Tunisie/Jamahiriya arabe lybienne), requête de Malte

à fin d'intervention, C.I.J. Recueil 1981, p. 19-20; du 21 mars 1984,

Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête de

l'Italie à fin d'intervention, C.LJ. Recueil 1984, p. 26-27; ou du

3 juin 1985, Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte),

C.I.J. Recueil 1985, p. 25-28).

Quant aux cinquième, sixième, septième exceptions préliminaires

soulevées par le Nigéria, elles relèvent, je dir~is, de la «méthode Coué»

ou de l'autopersuasion, ou de !'«intoxication», puisque, dans leur

essence, elles consistent à affirmer qu'il n'y a pas de différend

susceptible de règlement judiciaire, ce qui serait assez plaisant si les

circonstances n'étaient aussi dramatiques, notamment en ce qui concerne

la sixième exception préliminaire relative à la responsabilité du Nigéria

.· pour ses incursions continuelles en territoire camerounais, dont,

malheureusement, les événements récents, qui sont à l'origine de la

demande du Cameroun, constituent un nouveau et désastreux exemple - il y

a bien là un différend. - 48 -

Pour surplus de droit, on peut ajouter que les exceptions ne• 3, 4, 7

et 8 ne sont, de toute manière, pas pertinentes à ce stade puisque, comme

l'agent du Cameroun et l'ambassadeur Paul Engo viennent de le rappeler,

les graves incidents armés qui ont justifié la demande en indication de

mesures conservatoires ne se sont produits que dans la péninsule de

Bakassi, même si la. situation demeure tendue tout au long de la

frontière; or, les exceptions dont je viens de parler, 3, 4, 7 et 8,

concernent exclusivement soit la délimitation maritime, soit la région du

lac Tchad.

Ceci étant, Monsieur le Président, le Cameroun sait bien qu'il n'est

pas de mise de s'~ttarder à ce stade sur les exceptions prélimina.ires,

même si, je le répète, il le regrette d'une certaine manière.

Conformément à la jurisprudence de la Cour que j'ai rappelée tout à

l'heure, il suffit, bien plutôt d'établir que

«les dispositions invoquées par le demandeur ou figurant dans le
Statut semblent prima facie constituer une base sur laquelle la

compétence de la Cour pourrait être fondée».

comme cela est indiqué dans la requête,

«La République du cameroun et la République fédérale du
Nigéria ont "toutes deux accepté la juridiction obligatoire de la

Cour, conformément à l'article 36 du Statut, sans aucune
réserve.»

C'est ce fait, ce fait j'allais dire «tout simple», qui fonde la

compétence de la Cour dans cette affaire - aussi bien sa compétence au

fond que sa compétence prima facie qui seule nous intéresse pour

l'instant.

Monsieur le Président, on peut difficilement imaginer compétence -.

mieux et plus simplement fondée :

premièrement, les deux Parties, par des déclarations concordantes, ont

reconnu comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, - 49 -

la juridiction de la Cour en vertu de l'article 36, paragraphe 2, du

Statut;

deuxièmement, elles l'ont fait sans autre condition ni réserve que

celle de la réciprocité;

troisièmement, le Nigéria qui, contre toute raison, semble contester

qu'il y ait litige en ce qui concerne le tracé de la frontière (c'est
.•
la cinquième exception préliminaire), précise â deux reprises de la

manière la plus expresse que : «This preliminary Objection is without

prejudice ta the title of Nigeria over the Bakassi Peninsula»

(Preliminary Objections, p. 88, par. 5.3 et p. 95, par. 5.22 2)); or,


même si la tension est vive tout au long de la frontière, les graves

incidents armés qui nous occupent aujourd'hui ne se sont, jusqu'à

présent au moins, produits que dans la péninsule;

quatrièmement, enfin, le Nigéria lui-même ne nie pas que le différend

soit d'ordre juridique.

Rarement, Monsieur le Président, compétence prima facie et, à vrai

dire, compétence «tout court», de la cour s'est trouvée mieux établie.

Et elle l'est assurément de manière beaucoup plus manifeste que dans

d'autres cas, dont vous avez eu à connaître, et où pourtant vous avez

admis de vous prononcer sur les mesures conservatoires dont l'indication

vous était demandée. Je pense, par exemple, à vos ordonnances du

22 juin 1973 dans les affaires des Essais nucléaires, qui posaient de

très difficiles problèmes d'interprétation de la réserve française

.· relative aux «différends concernant des activités se rapportant à la

défense nationale» et qui n'allaient certainement pas de soi en ce qui

concerne le maintien en vigueur de l'acte général d'arbitrage de 1928

(cf. C.I.J. Recueil 1973, p. 102 et 138); je pense aussi à l'affaire
\
Nicaragua c. Etats-Unis où la Cour était affrontée à un problème réel en - 50 -

ce qui concerne la validité de la déclaration du Nicaragua de 1929

(ordonnance du 10 mai 1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 179-180); ou même à

l'affaire de la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, entre la

Guinée-Bissau et le Sénégal, dans laqueile ce dernier pays avait assorti

sa déclaration obligatoire de réserves (ordonnance du 2 mars 1990,

C.I.J. Recueil 1990, p. 68-69), ce qui n'est le cas ici ni du Cameroun,

•.
ni du Nigéria.

La compétence de la Cour est si évidente, Monsieur le Président, que

le Nigéria lui-même ne la conteste pas sérieusement. Je ne parle pas du

caractère manifestement mal fondé et artificiel de ses exceptions


préliminaires mais plutôt de son attitude générale dans le cadre, ou à

l'égard, du présent différend.

Ses hésitations, je veux dire les hésitations du Nigéria, ne sont pas

nouvelles. J'ai fait allusion il y a quelques instants à l'attitude

conciliante, dont nous nous étions réjouis et que je me plais à rappeler,

de la délégation nigériane lors de la réunion du 14 juin 1994; mais il y

a bien d'autres signes de ces louvoiements, dont on ne sait s'il faut les

attribuer à des dissensions internes, à une mauvaise coordination ou à un

double jeu.

Ainsi, dans une note verbale du 14 avril 1994 que le Nigéria cite in

extenso dans ses exceptions préliminaires (p. 89, par. 5.7), l'ambassade

du Nigéria à Yaoundé proteste avec virulence contre l'affirmation par le

Cameroun de sa souveraineté, pourtant indiscutable, sur Bakassi et sur

Darak et il conclut ;
·.

«As regards the Bakassi Peninsula, the Cameroonian
Authorities are perfectly aware that the dispute over its
ownership is new before the International Court of Justice.

Until it is finally resolved therefore, it is absolutely
inappropriate to use it illustratively ... » (Exceptions
préliminaires, annexe D 0 79.) - 51 -

De manière plus directement liée aux graves incidents qui ont

commencé le 3 février 1996, il est extrêmement révélateur des véritables

convictions nigérianes de constate.r que le communiqué adopté le

17 février 1996, à Kara, grâce à la médiation du président de la

République togolaise, et signé par les ministres des affaires étrangères

du Cameroun et du Nigéria, comporte une phrase énigmatique, que je livre


à vos réflexions, Madame et Messieurs de la Cour : «They- il s'agit des

deux ministres - recognized that the dispute is pending at the

International Court of Justice» (ce communiqué figure sous la cote E du

dossier de plaidoiries); il n'est pas besoin d'être devin pour comprendre
••

qu'il y a là une astuce de rédaction, voulue par la partie nigériane : on

reconnaît un fait tout en essayant de ne pas se lier juridiquement ...

Mais ce n'est pas tout : dans la lettre qu'il a adressée, le

26 février 1996, au président du Conseil de sécurité (et qui est

reproduite sous la lettre F dans le dossier que vous avez entre les

mains) le ministre nigérian des affaires étrangères écrit à propos de ce

qu'il appelle «the true state of affairs prevailing in the Bakassi

Peninsula» :

«this matter is already before the International Court of
Justice»,

et plus loin:

«It would appear also that their tactics [il vise la

tactique des Camerounais] seem aimed at forcing a decision on
the Peninsula question in their favour, regardless of ongoing
peacefu1 negociations and processes at the International Court

of Justice.»

.· On ne peut, Monsieur le Président, souffler ainsi le chaud et le

froid; il n'est pas possible d'invoquer d'un côté la procédure judiciaire

en cours et, dans le même temps, de contester qu'elle puisse être menée à

son terme; «donner et retenir ne vaut», dit la sagesse popul~ire; le - 52 -

Nigéria ne peut pas, dans un mêmemouvement, invoquer solennellement

l'autorité de la Cour pour empêcher le Conseil de sécurité de se

prononcer et dénier la compétence de cette mêmecour, sauf à manquer

gravement au principe fondamental de la bonne foi. Une telle

déclaration, faite très solennellement par le Nigéria devant l'organe des

Nations Unies investi de la responsabilité principale en matière de

maintien de la paix et de la sécurité internationales, «doit être

considérée comme la preuve des vues officielles» nigérianes pour

reprendre une expression employée par la Cour dans l'affaire des

Minquiers et des Ecréhous (arrêt du 17 novembre 1953,

C.I.J. Recueil.1953, p. 71; voir aussi les arrêts du 12 avril 1960, Droit

de passage en territoire indien, C.I.J. Recueil 1960, p. 41-42, et du

18 novembre 1960, Sentence arbitrale rendue par le roi d'Espagne,

C.I.J. Recueil 1960, p. 205-209 et 213-214). Il n'y a là qu'une

illustration du principe, si remarquablement présenté par M. Alfaro dans

l'opinion individuelle qu'il a jointe à l'arrêt rendu par la Cour dans

l'affaire du Temple de Préah Vihéar :

«un Etat partie à un litige international est tenu par ses actes
ou son attitude antérieure lorsqu'ils sont en contradiction avec
ses prétentions dans ce litige» (C.I.J. Recueil 1962, p. 39).

Un élément supplémentaire s'ajoute à ces considérations. Je veux.

parler de l'étrange lettre que l'agent du Nigéria a adressée au Greffier

de la Cour le 16 février dernier et dont mon collègue et ami Maurice

Kamto parlera plus longuement dans quelques instants. vous vous

souviendrez, Monsieur le Président, que, dans cette lettre, le ministre ·.

de la justice nigérian, après avoir expliqué que

«{t]he Federal Republic of Nigeria as a law-abiding and

peace-loving nation bad no option in the circumstances than to
join issues with the Republic of Cameroon in the International
Court of Justice» - 53 -

-une formule qui, elle aussi, implique très nettement que le Nigéria

reconnait dorénavant la compétence de la Cour; et d'ajouter :

«It is highly regrettable that in spite of the above

scenario, the Republic of Cameroon has continued to demonstrate
reckless contempt for International Court of Justice ... »

L'agent nigérian poursuit :

«The Nigerian Government hereby invites the International

court of Justice to note this prote_st and call the Government of
Cameroon to order»;

et il conclut de la manière suivante

«Finally, the Government of Cameroon should be warned to

desist from further harassment of Nigerian citizens in the
Bakassi Peninsula until the final determination of the case
• pending at the International Court of Justice.»

Ceci, Monsieur le Président, ressemble singulièrement à une demande

en indication de mesures conservatoires ou, peut-être plus exactement, à

une demande reconventionnelle en mesures conservatoires! et l'on voit mal

dans quelle disposition du Statut de la Cour pourrait se trouver le

fondement de cette demande bizarre si ce n'est dans l'article 41. Cela

signifie nécessairement que le Nigéria reconnaît, au moins prima facie la

compétence de la Cour ne fût-ce qu'en vue d'indiquer les mesures

conservatoires du droit de chacun gui s'imposent évidemment et dont les

deux Parties ressentent le besoin. Cela lève, en tout cas, tout doute

qui pourrait subsister sur votre juridiction à ce stade. Au moins en vue

de l'indication de mesures conservatoires, il n'est pas exagéré de parler

de forum prorogatum : en vous demandant lui-même d'indiquer des mesures
·.

conservatoires, le Nigéria a montré qu'il ne contestait pas votre

compétence, en tout cas à cett_e fin et peu importe qu'il l'ait fait de

manière informelle, de facto pourrait on dire; votre jurisprudence montre

que vous n'êtes pas formalistes sur ce point (Droits des minorités en

Haute-Silésie, arrêt n° 12 du 26 avril 1928, C.P.J.I. série A no 15, - 54 -

p. 23, ou Détroit de corfou, arrêt du 25 ars 1948, C. I.J. Recueil

1947-1948, p. 28).

Tout cela, Monsieur le Président me enduit à une conclusion qui sera

aussi l'expression de l'un des espoirs d la République du Cameroun :

errare humanum est, sed perseverare diab,licum; en multipliant depuis

quelques semaines les déclarations par lesquelles elle en appelle à votre

0 0
Haute Jur~ ~ct~on, 1 a Rep ubl ~gue fe era 1l1 du N~ger~areconna~t A au fon d

qu'elle a fait fausse route en soulevant des exceptions préliminaires; il

serait à la fois log2que et honorable qu,, demai.n, à cette barre, elle le

répète formellement de façon à ce que 1'1ffaire qui vous est soumise


puisse suivre son cours normal sans ce ling et inutile détour par la

procédure incidente que le Nigéria a si 1rtificiellement engagée et qui

ne peut avoir pour conséquence que de rebarder indûment le règlement

définitif d'une affaire qui empoisonne l1s relations entre deux pays

voisins qui, chacun sur san territoire eü dans des frontières

définitivement reconnues, pourront consa,rer leurs efforts au

développement et au renforcement de leurs liens d'amitié et de bon

voisinage. J

En exprimant cet espoir, Madame et essieurs de la Cour, le Cameroun

ne fait que rejoindre les sou qu'onJ formulés t le secrétaire général

des Nations unies, l'Union européenne, et quantité de pays amis, dont

certaines déclarations, déjà évoquées pa Maître Moutome tout à l'heure,

figurent dans votre dossier. Le Camerou rejoint aussi les demandes

adressées jeudi dernier aux chefs d'Etat des deux Parties par le ·.

président du Conseil de sécurité des Nat ons Unies (doc. S/1996/150,

29 février 1996) . - 55 -

Merci beaucoup, Monsieur le Président. Puis-je vous demander de bien

vouloir appeler à cette barre M. le professeur Jean-Pierre Cot ? A moins

que le moment ne soit prévu pour une pause ?

Le PRESIDENT ; Je vous remercie, Monsieur le professeur, pour votre

exposé. L'audience est suspendue pendant quelques brèves minutes pour

une pause et reprendra à midi.

L'audience est suspendue de 11 h 50 à 12 heures .

Le PRESIDENT ; Veuillez vous asseoir, l'audience est reprise et


j'appelle à la barre S. Exc. M. Jean-Pierre COT.

M. COT ; Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour, c'est

avec émotion que je retrouve cette enceinte imposante et avec ce

sentiment d'humilité gui étreint tout conseil ayant l'honneur de se

présenter devant vous.

Je ne reviendrai pas sur les tristes circonstances qui nous

obligent à paraître prématurément à la barre. Mon vŒu le plus cher est

que les armes cèdent à la toge afin que la justice puisse reprendre

sereinement son cours et assurer le règlement pacifique du différend

entre les deux Parties. Cette considération est évidemment au cŒur du

débat d'aujourd'hui.

Comme vous le savez, nous vous demandons de bien vouloir indiquer
·.

les trois mesures conservatoires suivantes .

Je cite la lettre de notre agent en date du 10 février dernier ;

1. les forces armées des parties se retireront à l'emplacement qu'elles

occupaient avant l'attaque armée nigériane du 3 février 1996; - 56 -

2. les parties s'abstiendront de toute activité militaire le long de la

frontière jusqu'à l'intervention de l'arrêt de la Cour;

3. les parties s'abstiendront de tout acte ou action qui pourrait

entraver la réunion des éléments de preuve dans la présente instance.

Il m'appartient de vous montrer que ces mesures conservatoires du

droit de chacun, qu'exigent les circonstances, sont bien conformes à la

lettre et à 1 'esprit de 1' article. 41 de votre Statut comme de

l'article 73 de votre Règlement, ces textes étant évidemment éclairés par

votre jurisprudence.

Vous avez souvent rappelé


«le principe universellement admis ... d'après lequel les
parties en cause doivent s'abstenir de toute mesure susceptible
d'avoir une répercussion préjudiciable à l'exécution de la

décision à intervenir et, en général, ne laisser procéder à
aucun acte, de quelque nature qu'il soit susceptible d'aggraver
ou d'étendre le différend ... » (Compagnie d'électricité de Sofia

et de Bulgarie, mesures conservatoires, C.P.J.I. série A/B
n° 79, p. 199.)

Cette formule vous l'avez reprise, avec des expressions diverses, dans

votre jurisprudence récente.

C'est le"défaut du respect de ce principe qui nous conduit à vous

demander d'indiquer des mesures conservatoires. Je précise tout de

suite ; il ne s'agit pas à ce stade d'imputer la responsabilité de •

l'affrontement armé du 3 février et ses conséquences au Nigéria, même si

cette responsabilité nous paraît établie et les déclarations de notre

agent Maître Moutome et de l'ambassadeur Paul Engo ne laissent aucun


doute sur nos sentiments. Mais ce n'est pas l'objet de la présente phase

de la procédure, phase de procédure incidente, autonome et limitée. Vous

l'avez précisé dans votre ordonnance du 8 avril 1993 dans l'affaire

relative à l'Application de la convention sur le génocide 57 -

«Considérant que la Cour, dans le contexte de la présente
procédure concernant l'indication de mesu.res conservatoires,

.doit, conformément à l'article 41 du Statut, examiner si les
circonstances portées à son attention exigent l'indication de
mesures conservatoires, [et vous ajoutez] mais n'est pas

habilitée à conclure définitivement sur les faits ou leur
imputabilité et que sa décision doit laisser intact le droit de
chacune des Parties de contester les faits allégués contre

elle,ainsi que la responsabilité qui lui est imputée quant à ces
faits et de faire valoir ses moyens sur le fond.»
(C.I.J. Recueil 1993, p. 22, par. 44.)

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, vous n'êtes

donc pas habilités, à ce stade, à trancher sur cette question. Par

contre, il vous appartient de constater la dégradation objective de la

situation dans la péninsule de Bakassi et d'en tirer les conséquences

quant à l'indication de mesures conservatoires.

Monsieur le Président, conformément au texte de l'article 41 du

Statut et à votre jurisprudence, les mesures que nous vous prions

d'indiquer ont strictement pour objet, premièrement de protéger les

droits de chacune des Parties; deuxièment face à une menace imminente;

troisièmement pour écarter un risque sérieux de préjudice irréparable; et

quatrièmement en évitant de préjuger le fond du différend qui vous est

soumis.

Je me propose, avec votre autorisation, de reprendre ces quatre

points.

1. Les mesures que nous vous prions d'indiquer ont pour objet de

protéger les droits de chacune des Parties.

Vous êtes très attentifs à cette première condition et vous refusez

.. d'indiquer des mesures destinées à protéger des droits qui ne sont pas

soumis à votre jugement.

C'est ainsi que vous avec refusé la demande soumise par la

Guinée-Bissau dans votre ordonnance du 2 mars 1990 au motif : - 58 -

«que la requête prie donc la Cour de se prononcer sur
1 'existence et la validité de la sentence, mais gu '"elle ne la
prie pas de se prononcer sur les droits respectifs des Parties

dans la zone maritime en cause : qu'en conséquence les droits
allégués dont il est demandé qu'ils fassent l'objet de mesures
conservatoires ne sont pas l'objet de l'instance pendante devant

la cour sur le fond de l'affaire; et qu'aucune mesure de ce
genre ne saurait être incorporée dans l'arrêt de la cour sur le
fond.»

Vous vous en tenez donc strictement â la condition telle que la Cour

permanente l'interprétait déjà dans l'affaire relative à la Réforme

agraire polonaise :

«Considérant que, d'après ce texte, la condition
essentielle nécessaire pour que des mesures conservatoires
puissent, si les circonstances l'exigent, être sollicitées, est

que ces mesures tendent à sauvegarder les droits objets du •
différend dont la Cour est saisie.» (C.P.J.I. série A/B n° 58,
p. 177.)

Quels sont les droits objets du différend dont la Cour est saisie ?

Pour le Cameroun, ces droits découlent de la requête introductive

d'instance du 19 mars 1994 et de la requête additionnelle du 6 juin 1994.

S'agissant de Bakassi, puisque c'est l'affaire gui nous amène ici, le

Cameroun demande à la Cour de dire et juger, notamment

«a) gue la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi est
camerounaise, en vertu du droit international, et que cette
pres gu.' île fait partie intégrante du terri toi re de la
République du Cameroun;

c) qu'en utilisant la force contre la République du Cameroun,
la République fédérale du Nigéria a violé et viole ses
obligations en vertu du droit international conventionnel
et coutumier;
,

e) que la responsabilité de la République fédérale du Nigéria
est engagée par les faits internationalement illicites
exposés ci-dessus». - 59 -

Ces droits sont fondés, vous le savez, sur le traité du 11 mars 1913

confortés par les preuves de l'exercice effectif de la souveraineté du

cameroun sur la presqu'île de Bakassi.

Voilà donc les droits dont nous, Cameroun, demandons la protection.

Il est moins aisé de définir les droits correspondants dont le

Nigéria peut demander la protection, puisque nos adversaires n'ont pas

déposé de conclusions sur le fond, mais ont opposé des exceptions

préliminaires.

Ils nous éclaireront certainement sur ce chapitre. Mais on peut

supposer, d'après les déclarations et documents antérieurs, que la

République fédérale du Nigéria se considère comme chez elle jusqu'au Rio

del Rey, en se fondant sur des accords antérieurs, sur l'origine ethnique

des populations et sur l'exercice de sa souveraineté dans le secteur.

Or les mesures que nous vous demandons d'indiquer concernent

directement ces droits liés au différend frontalier :

la première vise à éviter l'aggravation du différend frontalier;

la seconde concerne les activités militaires «le long de la frontière»;

la troisième a trait aux éléments de preuve sur le terrain que les

Parties pourraient recueillir et utiliser à l'appui de leurs dires.

La situation est semblable à celle qui a amené la Chambre saisie dans

l'affaire du Différend frontalier à constater le 10 janvier 1986

«15. Considérant que, dans les mémoires déposés par les

deux Parties le 3 octobre 1985, chacune d'elles demande à la
Chambre de décider que la frontière en question suive le tracé
défini par elle dans ses conclusions : de sorte que les droits
en litige dans la présente instance sont les droits souverains

des Parties sur leur territoire de part et d'autre de la
frontière telle qu'elle sera définie par l'arrêt que la Chambre
est appelée à rendre;

16. Considérant que les actions armées qui sont à !•origine
des demandes en indication de mesures conservatoires dont la

Chambre est saisie ont eu lieu à l'intérieur ou à proximité de
la zone contestée telle qu'elle est définie par le compromis»; - 60 -

et la Chambre a, dans cette affaire, indiqué des mesures assez proches de

celles que demande aujourd'hui le Cameroun. Voici pour le premier point.

2. Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour, la seconde

condition a trait à l'urgence de la situation.

Vous me permettrez d'être bref sur ce point. Les faits regrettables

parlent d'eux mêmes; l'affrontement du 3 février a été brutal. Il s'est

poursuivi dans les jours suivants, prolongé par le bombardement

d'Isangele. A tel point que le gouverneur de la province du sud-ouest, a

même envisagé l'évacuation de Mundemba, pourtant situé à 25 km de la

péninsule de Bakassi. L'affrontement a repris le 17 février, au

lendemain de la médiation de Kara et malgré l'engagement pris par les

deux Parties au Togo.

Nous nous trouvons donc dans un cas où la Cour, organe judiciaire

principal des Nations Unies, est saisie :

«en vue du règlement pacifique d'un différend, conformément aux
articles 2, paragraphe 3, et 33 de la Charte des Nations Unies

et que par la suite surviennent des incidents qui, non seulement
sont susceptibles d'étendre ou d'aggraver le différend, mais
comportent un recours à la force inconciliable avec le principe
du règlement pacifique des différends internationaux, le pouvoir

et le devoir de la Chambre d'indiquer, le cas échéant, des
mesures conservatoires contribuant à assurer la bonne
administration de la justice ne sauraient faire de doute»

{ordonnance de la Chambre dans l'affaire du Différend frontalier •
du 10 janvier 1986).

Cette remarque de la Chambre de la Cour de 1986 vaut, je le précise,

indépendamment du mode de saisine de la Cour - et dès lors que votre

compétence prima facie est établie, comme l'a montré le professeur

Pellet.

Encore faut-il évoquer à ce propos un débat qui naguère - ou plus

exactement jadis- entoura l'hésitation de la cour permanente à «indiquer

des mesures conservatoires dans le seul dessein de prévenir des - 61 -

occurrences regrettables et des incidents fâcheux» (Statut juridique du

territoire du sud-est du Groënland, C.P.J.I. série A/B nQ 48, p. 284).

Sir Gerald Fitzmaurice faisait observer, très justement, en 1958, que

le vrai problème n'était pas là. Il notait dans son article du British

Year Book de 1958 :

~in the direct sense the Court is a 'right' rather than a

•peace' preserving institution, and the essential question is
therefore whether the avoidance of incidents, or of certain
types of incidents, is necessary in arder to preserve, or to

make sure of preserving the rights involved - or to avoid
prejudice to them. If certain action by one party, either in
itself, or because it is liable to lead to counter action by the

other, with similar effect, appears likely to prejudice the
eventual decision of the tribunal, e.g., by the destruction or
impair.ment of the res, or otherwise, a case for the indication

of interim measures exists.»

Cette observation de sir Gerald Fitzmaurice annonce par ailleurs la

réponse ultérieurement faite par votre jurisprudence à l'exception de

litispendance. Lorsque les circonstances l'exigent, il est du devoir de

la Cour d'indiquer les mesures provisoires de nature à éviter

l'aggravation du différend même si le Conseil de sécurité est saisi par

ailleurs, comme c'est le cas dans la présente instance.

Vous vous êtes clairement exprimé sur ce point dans l'affaire

relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et


contre celui-ci : même si la Charte

«départage nettement les fonctions de l'Assemblée générale et
du Conseil de sécurité en précisant que, à l'égard d'un

différend ou une situation quelconque, la première ne doit faire
aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à
moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande, ... aucune

disposi~io nemblable ne figure dans la Charte sur le Conseil de
sécurité et la cour. Le Conseil a des attributions politiques;
.· la cour exerce des fonctions purement judiciaires. Les deux

organes peuvent donc s'acquitter de leurs fonctions distinctes
mais complémentaires à propos des mêmes événements» (Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci

(Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 434-435); - 62 -

citation que vous avez vous-même reprise dans l'affaire relative à

l'Application de la convention sur le génocide le 8 avril 1992.

Dans notre affaire donc, rien ne fait obstacle à une éventuelle

action parallèle du Conseil de sécurité'et de la Cour. Les mesures que

nous vous demandons ne sont certainement pas en contradiction avec celles
!

que pourrait décider le Conseil de sécurité. Une hypothèse du type de

celle que vous avez eu à examiner dans l'affaire de Lockerbie n'est pas à

craindre ici.

Votre compétence n'est en aucune manière entravée par l'action d'une

autorité internationa.le.

D'ailleurs, Monsieur le Président, nous venons de prendre

connaissance de la lettre que le président du Conseil de sécurité,

Mme Albright, a adressée le 29 février aux présidents Abacha et Biya.

Cette lettre illustre la complémentarité des interventions du Conseil

et de la Cour, le Conseil intervenant politiquement pour soutenir le

règlement judiciaire du différend.

Nous notons avec satisfaction que le Conseil préconise la première

des mesures provisoires que nous vous prions d'indiquer : le retrait des

forces jusqu'aux positions qu'elles occupaient avant que la Cour


internationale ne soit saisie du différend, c'est-à-dire en fait, j'y

reviendrai, les positions occupées avant l'affrontement du 3 février

dernier.

Monsieur le Président, je m'excuse, nous n'avons pas eu le temps de

distribuer cette lettre qui vient de nous arriver et qui évidemment a été
·-

remise, je crois, ce matin au Greffier pour distribution ultérieure à nos

collègues qui l'ont reçue par ailleurs, certainement, puisque la lettre

est adressée aux deux Parties et à la Cour. '·
'.

- 63 -

La coïncidence des mesures proposées montre bien qu'il n'y a pas à

craindre la concurrence qui vous avait conduit à la prudence dans

l'affaire de Lockerbie.

Mais évidemment, le Conseil et la Cour interviennent dans des sphères

différentes avec des instruments différents.

La lettre du président du Conseil de sécurité n'a pas la même portée

juridique que l'ordonnance que nous prions la Cour de rendre.

Il s'agit à ce stade d'une recommandation qui n'a pas été adoptée

formellement par le Conseil, c'est-à-dire d'un acte politique.

Alors qu'une indication de mesures provisoires de votre part a une

portée juridique certaine, même si ses effets précis sont sujets à

discussion.

Le contenu des deux interventions est distinct par vocation. Nous,

nous demandons à la Cour d'agir dans le cadre d'une procédure incidente à

une procédure principale, et pour indiquer des mesures spécifiquement

juridiques, touchant notamment la protection des preuves par les Parties.

On ne voit pas à quel titre le Conseil de sécurité pourrait intervenir

dans ce domaine qui ne concerne que la Cour.

Inversement, le Conseil de sécurité se félicite de l'envoi d'une

mission d'enquête proposé par le Secrétaire général de l'Organisation,

procédure politique propre à l'Organisation des Nations Unies et

s'inscrivant dans le cadre de l'article 33 de la Charte à côté du

...
règlement judiciaire, mais sans se confondre avec lui. L'articulation

des procédures politiques et judiciaires est donc bienvenue dans notre

affaire, au service du maintien de la paix et du règlement pacifique du

différend qui vous est soumis.

On fera la même observation à propos de la médiation engagée sous

l'autorité du président Eyadema. Cette médiation a abouti à la - 64 -

signature, le 17 février du communiqué de Kara, par lequel les ministres

des affaires étrangères des deux Parties ont convenu d'arrêter toutes les

hostilités en reconnaissant que votre Cour était déjà saisie du litige

«The two Ministers assessed the prevailing situation in the
Bakassi Peninsula and agreed to stop all hostilities. They
recognized that the dispute is pending at the
International court of Justice, they agreed to meet again in the

first week of March 1996 to prepare for the Summit of Heads of
State of Nigeria and Cameroon under the auspices of
Pre si dent Eyadema .. »

La médiation, autre procédure de règlement pacifique des différends

citée dans l'article 33 de la Charte, est bien complémentaire des efforts

développés au sein du Conseil de sécurité comme de l'initiative que votre

Cour est appelée à prendre; enfin, et pour compléter la panoplie des

moyens de règlement pacifique cités par l'article 33, la négociation.

Dans l'affaire du Différend frontalier, la Chambre a abordé le problème

en ces termes

«24. Considérant que les Etats sont toujours libres de
négocier ou de régler certains aspects d'un différend soumis

à la Cour; que cette liberté n'est pas incompatible avec
l'exercice de la fonction propre de la Cour; et que le fait que
les deux Parties ont chargé un autre organe de définir les
modalités du retrait des troupes ne prive nullement la Chambre
des droits et devoirs qui sont les siens dans l'affaire portée

devant elle;

25. Considérant que la Chambre, tout en se félicitant du
fait que les Parties ont pu parvenir à un accord prévoyant un

cessez-le-feu et. ainsi mettre fin aux actions armées qui ont
donné lieu aux demandes en indication de mesures conservatoires,
ne s'en trouve pas moins confrontée au devoir que lui impose
l'article 41 du Statut de chercher par elle-même quelles mesures
conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre

provisoire.» {Ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil
1986, p. 10.)

·.
Car, en effet, les engagements peuvent être tenus ou non, et nous l'avons

bien vu au lendemain du 17 février dernier. Cet extrait de l'ordonnance

de 1986 est, mutatis mutandis, transposable à la présente espèce. Les

tentatives camerounaises de régler pacifiquement le différend par des -------------- - ----------,------.-,c------------.~

- 65 -

moyens complémentaires au recours judiciaire ne s'excluent pas. Elles se

conjuguent heureusement dans notre affaire.

3. Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour, en troisième

lieu, notre demande a pour objet d'écarter «un risque sérieux de

préjudice irréparable». Pour reprendre l'expression de la Chambre dans

1' a.ffaire du Différend frontalier.

Dans notre affaire, ce risque sérieux peut mettre en péril les droits

de chacun sur le fond, mais aussi l'administration de la pre.uve.

Dès 1927, on le sait, dans la première affaire dont fut saisie la

cour permanente de Justice internationale à propos de mesures
·-
provisoires, celle relative à la Dénonciation du traité sino-belge, le

Président Max Huber indiqua des mesures provisoires en soulignant que la

violation éventuelle de droits prétendus «ne saurait être réparée

moyennant le versement d'une simple indemnité ou par une autre prestation

matérielle» (C.P.J.I. série A n° 8, p. 6). Depuis, votre jurisprudence

s'est affinée et votre exigence s'est modifiée.

La formule générale qu'on retrouve dans votre jurisprudence est celle

que vous avez employée dans l'affaire de l'Anglo-Iranian -Oil Co.

«la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures
les droits que l'arrêt qu'elle aura ultérieurement à rendre
pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit au

défendeur» (C.I.J. Recueil 1951, p. 93).

Mais l'application de ce principe est variable, comme en témoignent les

affaires, fort différentes il est vrai, de la Mer Egée, du Personnel

diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran ou du Grand Belt.


Dans ce dernier cas ~ celui du Grand Belt -, votre ordonnance du

29 août 1991 précise que les mesures provisoires ne sont «justifiées que

s'il y a urgence, c'est-à-dire s'il est probable qu'une action

préjudiciable aux droits de l'une ou l'autre partie sera commise avant - 66 -

qu'un tel arrêt définitif ne soit. rendu» (C.I.J. Recueil 1991, p. 17).

Tels sont les mots que vous avez utilisés en 1~91.

Au demeurant, appliquant ce critère de probabilité au cas soumis,

vous avez considéré dans l'affaire du Grand Belt qu'il n'avait pas été

établi que les travaux de construction du pont porteraient atteinte

pendente lite au droit revendiqué.

Mais dans cette affaire, le défendeur - le Danemark - avait donné des

garanties précises, dont vous avez tenu compte, permettant â la Cour de

constater qu'il en était ainsi. Rien de tel dans notre présente affaire,

bien au contraire.


La tension régnante entre les Parties laisse au contraire penser que

la probabilité d'une atteinte au droit de chacun soit forte. Nous

craignons que les autorités militaires nigérianes ne profitent de

l'occupation des localités en cause pour créer sur le terrain une

situation qui rende l'application de votre arrêt très aléatoire si vous

nous adjugez nos conclusions sur le fond. Ces craintes sont fondées sur

les premiers rapports que nous recevons sur l'attitude des autorités

d'occupation.

Ainsi, d'après un rapport en date du 28 février que vous trouverez

dans le dossier de plaidoiries rapport établi par le ministre •

camerounais délégué à la défense -, les autorités nigérianes seraient

déjà en train de construire un commissariat de police à Idabato quelques

semaines à peine après avoir pris possession de la localité.

Nous craignons ainsi que les autorités nigérianes ne tranforment les
·-

localités de Bakassi en autant de villages Potemkine. Vous savez, ces

constructions que le premier ministre de Catherine II faisait ériger à la

hâte au passage de l'impératrice pour l'éblouir et la tromper sur l'état

de l'empire. - 67 -

Au demeurant, je constate que vous vous considérez comme tenus

d'indiquer des mesures exécutoires dès lors qu'il y a recours à la force

et que des vies humaines sont en danger, comme en témoignent vos

ordonnances sur l'Application de la convention sur le génocide et surtout

dans l'affaire du Différend frontalier.

Dans ce dernier cas, votre Chambre a déclaré :

«que les faits qui sont â l'origine des demandes des deux
parties en indication de mesures conservatoires exposent les

personnes et les biens se trouvant dans la zone litigieuse,
ainsi que les intérêts des deux Etats dans cette zone, à un
risque sérieux de préjudice irréparable; et qu'en conséquence

les circonstances exigent que la Chambre indique les mesures
conservatoires appropriées, conformément à l'article 41 du
• Statut» (C.I.J. Recueil 1986, p. 10).

Ce précédent me paraît applicable.

En tout état de cause, s'il est un chapitre où le préjudice nous

paraît plus que probable, c'est celui de l'administration de la preuve.

Nous avons indiqué dans notre mémoire divers éléments de preuve de

l'exercice pacifique de la souveraineté territoriale à Bak.assi :

administration générale, justice, police, santé, agriculture, pêche. La

Partie nigériane a reconnu à diverses reprises ces manifestations de

souveraineté. Et encore tout récemment, mon collègue, le professeur

Kamto, vous en parlera plus longuement dans un instant- en s'étonnant de

la tenue d'élections municipales au début de !•année, manifestation de

souveraineté.

Or, les preuves matérielles à l'appui de ces dires risquent d'être

compromises par l'occupation militaire nigériane .

.•
Le sous-préfet d'Idabato- nous pourrions peut-être projeter,

Monsieur Bodo, le petit schéma que vous trouverez d'ailleurs en annexe,

sous la lettre A, dans votre dossier. vous ne voyez rien, j'imagine,

Monsieur le Président. Donc, supprimons la projection. Vous trouverez - 68 -

en revanche dans l'annexe A un petit schéma qui vous permettra peut-être

de repérer les localités dont je parle. Ca va mieux, très bien - Donc,

Idabato est en bas de la carte, en l'espèce, le sous-préfet d'Idabato,

Idabato est une sous-préfecture, s'est enfui le 3 février, laissant

toutes les archives sur place. La gendarmerie d'Idabato n'a même pas pu

préserver la sécurité des communications. Et nous nous trouvons donc

dans une situation où nous craignons fort pour la préservation des

archives et la production des pièces nous permettant de confirmer nos

dires sur l'exercice de notre souveraineté. Là encore, excusez-moi, au

risque de lasser votre attention, je me permets d'invoquer le précédent

du Différend frontalier, votre Chambre avait alors noté :

«Considérant en outre que, d'après les indications fournies

par l'une des Parties, des actions armées sur le territoire en
litige pourraient entraîner la destruction d'éléments de preuve
pertinents aux fins de la décision à rendre par la Chambre ... »

(C.I.J. Recueil 1986, p. 9.)

Elle avait en conséquence indiqué à titre provisoire que :

«B. Les deux Gouvernements s'abstiennent de tout acte
qui risquerait d'entraver la réunion des éléments de preuve
nécessaires à la présente instance». (Ibid., p. 12.)

Nous suggérons respectueusement à la Cour de reprendre cette

formulation.

4. Enfin et pour terminer, Monsieur le Président, Madame, Messieurs

de la Cour, quatrième caractéristique de notre demande : les mesures que

nous vous prions d'indiquer évitent, je dirais évitent soigneusement, de

préjuger le fond du différend qui vous est soumis. Votre jurisprudence

est claire et constante sur ce point.

Depuis l'affaire de l'Usine de Chorzôw où la cour permanente a refusé

d'indiquer les mesures demandées par le Gouvernement allemand, au motif

que la demande tendait «à obtenir un jugement provisionnel» (C.P.J.I.

série A n° 12, p. 4) jusqu'à l'affaire du Différend frontalier, où votre - 69 -

Chambre a refusé d'indiquer comme ligne de retrait des forces armées la

ligne demandée par le Burkina Faso, en tenant compte de l'objection du

Mali qui faisait valoir «que la ligne en question correspondrait, pour

partie ou en totalité, à la frontière telle qu'elle résulterait des

conclusions du Burkina Faso ... » (C.I.J. Recueil 1986, p. 11).

Nous ne demandons pas,· Monsieur le Président, qu'on nous adjuge nos

conclusions sur le fond, ni directement ni indirectement à ce stade de la

procédure, ni sur le tracé de la ligne ou l'indication des positions de

retrait, ni sur la détermination des responsabilités et la réparation du

préjudice. Ces demandes, nous les présentons et nous les complèterons

éventuellement dans nos conclusions sur le principal. Mais nous

respectons l'autonomie de la procédure incidente qui se déroule

aujourd'hui.

Nous ne demandons donc pas à ce stade l'évacuation par les forces

armées nigérianes de la péninsule de Bakassi, mais leur repli sur les

positions antérieures au 3 février 1996.

Ces positions se trouvent sur la péninsule de Bakassi pour partie

- à partir de notre croquis, vous les retrouverez soulignées en noir :

Jabane, Diamond Point, Archibong; toutes localités que nous considérons

comme camerounaises et dont nous demanderons le retour au Cameroun à

l'issue de la procédure au fond, mais certainement pas à ce stade-ci de

l'indication de mesures conservatoires.

Pourquoi ce choix de la date du 3 février 1996 pour déterminer les

positions de repli ? Parce que la doctrine, comme votre jurisprudence,

fixent la date de référence du statu quo soit au moment où le contentieux

s'est noué, soit à la date de saisine de la Cour.

Nous avons choisi cette seconde date par souci de sécurité juridique.

Car il n'y a pas eu, à notre connaissance, d'activité militaire - 70 -

significative entre la saisine de la Cour et le 3 février 1996, date de

l'affrontement armé qui a motivé notre demande.

Quelles étaient exactement les positions des Parties à cette date

du 3 février dernier.

Monsieur le Président, je suis dans l'embarras pour vous l'indiquer

avec précision. Je vous ai cité certaines positions tenues par les

troupes nigérianes a.vant le 3 février ..

Pour le reste, les informations sont difficiles à recueillir en

raison de la nature inhospitalière des lieux - cette forêt. de mangroves

et du caractère fluctuant de la population, largement composée

d'installations temporaires de pêcheurs.

Nous avons indiqué sur notre croquis quelques points d'encrage

incontestables de l'administration camerounaise a.vant le 3 février : les

sous-préfectures d'Idabato et de Kombo Abedimo; les localités que nous

avons soulignées.

Mais, je crois qu'il est plus prudent ici, comme dans l'affaire du

Différend frontalier, de constater que le choix des positions militaires

de repli requiert une connaissance géographique et stratégique du conflit

que nous ne possédons pas, et dont vous ne pourriez disposer si je puis

dire humblement sans procéder à une expertise.

Il serait sans doute opportun de demander aux Pa.rties de déterminer

d'un commun accord ces positions, quitte à revenir devant vous en cas de

désaccord persistant. Mais nous nous en remettons à votre sagesse.

Un dernier mot sur la nature équilibrée des mesures que nous vous ·.

-prions d'indiquer. Nous vous demandons d'adresser vos indications aux

deux Parties en litige. -----------------

- 71 -

sans doute, la première de ces mesures - le retrait sur les positions

antérieures au 3 février - concerne-t-elle principalement sinon

exclusivement la République fédérale du Nigéria.

Mais votre jurisprudence ne s'arrête pas à de telles considérations,

-· comme en témoignent les ordonnances que vous avez rendues dans l'affaire

du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran et dans

celle relative aux Activités militaires au Nicaragua, où le caractère

manifeste de la responsabilité d'une des deux parties à l'instance était

pourtant établi.

Dans notre affaire, il serait contraire au droit comme à l'équité de

pénaliser le Cameroun en lui refusant l'indication de la première mesure

conservatoire simplement parce que celui-ci n'a pu faire valoir par la

force son bon droit.

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, le Cameroun

croit à la règle de droit, il croit à la supériorité du droit sur la

force, il croit à l'importance des procédures juridiques pour ramener la

paix sur le terrain et dans les esprits. C'est pourquoi nous vous prions

respectueusement, mais instamment, d'apporter aujourd'hui votre

contribution, que nous voulons croire décisive, au règlement pacifique du

différend qui nous oppose à la République fédérale du Nigéria, ceci en

indiquant les mesures provisoires minimales que nous sollicitons.

Monsieur le Président, je vous remercie pour votre attention, Madame

·• et Messieurs de la Cour, et je vous prie de donner la parole maintenant

au professeur Maurice Kamto.

Le PRESIDENT : Je remercie le professeur Jean-Pierre Cet pour son

exposé et j'appelle à la barre le professeur Maurice Kamto. - 72

M. KAMTO : Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,

1. Est-il besoin d'insister sur l'insigne honneur et le privilège

exceptionnel que peut avoir un jeune plaideur comme moi de prendre la

parole devant la plus haute juridiction ··mondiale ? Il me suffira de vous

dire 1' émotion qui rn'étreint d'avoir à para.î tre devant vous pour assumer ,_

une telle responsabilité au nom de mon pays, bien sûr, mais surtout parce

que je prends la parole à un moment particulièrement douloureux pour le

Cameroun, comme l'ont souligné à suffisance les précédents conseils de ce

pays.

2. Monsieur le Président, dans une correspondance datée du 16 février

1996, adressée à cette Cour, intitulée «Camerounian Government Forces

Nigérians in Bakassi (Dispute Territory) to Register and Vote in

Municipal Elections», la République fédérale du Nigéria prétend qu'en

dépit de la situation de litispendance dans le différend frontalier,

terrestre et maritime qui oppose le Cameroun à elle devant cette Cour

la République du Cameroun a :

«consistently embarking on actions that are not only provocative
ta the Federal Republic of Nigeria as a party to the dispute,
but also undermines and diminishes the essence, authority and

jurisdiction of the International Court of Justice in a dispute
tha.t is subjudice».

Les élections municipales camerounaises du 21 janvier 1996

constitueraient, aux yeux du Gouvernement nigérian, l'illustration la

plus récente de cette attitude.

3. D'après le Nigéria, le fait pour le Cameroun d'avoir organisé des :

élections dans les localités d'Isangele- ou encore dans des localités,

toutes situées dans le département du Ndian, que le Nigéria suivant leurs

appellations et leur habitude de débaptiser les localités camerounaises a

rebaptisé en leurs noms actuels Ibaniekira, Massaka, Mosoyo, Rio del Rey,

Kombo Abedimo, Bamuso, Obenika Adufabrio et Custom Fishing -,--·----···--·-·-

- 73 -

constituerait une violation d'un principe selon lequel un Etat ne peut

organiser des consultations électorales dans des zones disputées.

4. Le Nigéria, à travers ses allégations, sollicite maladroitement

- il faut le dire - la Cour en présentant de façon peu décente que le

.. Cameroun «has continued de demonstrate reckless contempt for

Internat-ional Court of Justice ... ».

s. Je dois dire, Monsieur le Président, que ces outrances de la

Partie adverse sont compréhensibles dans la mesure où ses allégations

n'ont aucun.e consistance juridique.

Premièrement, en effet, l'organisation par les autorités

camerounaises de consultations électorales dans la péninsule de Bakassi

en même temps que sur le reste du territoire national est une pratique

constante et normale depuis la réunification du Southern Cameroons et de

la République du Cameroun le 1er octobre 1961. Il faut rappeler que cette

réunification a fait suite au plébiscite organisé le 11 février 1961 dans

le Cameroun sous tutelle britannique par 1 'autorité administrante,. gui

était alors la Grande-Bretagne, en collaboration avec la commission des

plébiscites aux Nations Unies, sur la base de la résolution 1350 (XIII)

de l'Assemblée générale des Nations Unies du 13 mars 1959.

Je voudrais rappeler, Monsieur le Président, que la péninsule de

Bakassi faisait parti~ de la circonscription électorale de Kumba South

West dans le Southern Cameroons, comme le montre la carte des

circonscriptions électorales du plébiscite établie par les Nations Unies.

.· On pourra se rapporter à ce sujet au mémoire du Cameroun, notamment à la

carte Ml6-a. Le plébiscite avait été organisé dans cette circonscription

électorale sous la supervision de M. Makin et l'issue de ce

plébiscite - on la connaît - avait été favorable au rattachement du

Southern cameroons à la. République du Cameroun par 233 571 voix contre - 74 -

97 471 sur 350 077 inscrits et 332 666 votants. Le tableau donnant ces

chiffres figure également dans le mémoire du CameroW1 à l'annexe M.l6B.

Depuis lors, Bakassi fait partie intégrante de l'Etat du Cameroun

indépendant, et toutes les consultations électorales qui ont eu lieu dans

le pays y ont été également organisées. Il en a été ainsi des élections

législatives du 1er mars 1992 et de l'élection présidentielle du

11 octobre 1992, les dernières qui aien't eu lieu avant les élections

mUnicipales du 21 janvier 1996 qui ont provoqué la réaction injustifiée

du Nigéria. Monsieur le Président, ne pas organiser ces élections à

Bakassi eût été pour le moins anormal et tout à fait incompréhensible et ~

choquant aussi bien pour les populations de la zone que pour le reste de

la nation camerom1aise. En effet, les Camerom1ais auraient certainement

considéré cette exclusion injuste, comme W1e discrimination scandaleuse

dont le Gouvernement camerom1ais n'a pas envisagé un seul instant de

prendre la responsabilité. Car - et je le souligne - il a toujours

organisé des élections dans cette zone.

Deuxièmement, Monsieur le Président, le fait même que ces élections

aient pu se tenir normalement dans la zone est une preuve manifeste que

la péninsule de Bakassi est en territoire camerounais et qu'elle est
0

administrée sans conteste par les autorités camerounaises, les opérations

militaires ultérieures des forces armées nigérianes étant simplement des

actions illicites d'W1e puissance étrangère qui viennent troubler la

quiétude des populations de la zone et ébranler la souveraineté bien

établie du Cameroun. On ne doit pas perdre de vue que le Cameroun est

sur son territoire à Bakassi et que le seul fait qu'W1 Etat voisin, le

Nigéria, ait décidé de lui contester sa souveraineté sur cette zone

n'invalide point les titres juridiques qui lui confèrent cette

souveraineté. Par conséquent, jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée - 75 -

définitivement sur cette contestation au fond, les autorités

camerounaises sont seules juges de l'opportunité d'organiser des

manifestations politiques de quelque nature que ce soit - et les

élections en sont- sur le territoire du Cameroun ou de s'en abstenir au

regard des conditions de sécurité prévalant à un moment donné. Or ces

autorités ont estimé que les élections municipales du 21 janvier 1996

pouvaient se tenir à Bakassi comme dans le reste du département du Ndian,

et les ont organisées en même temps que dans le reste du pays.

Si les consultations électorales avaient été organisées dans les

localités de Bakassi sous occupation nigériane, il y aurait eu sans doute

un risque d'incident ou d'aggravation du différend et l'on aurait pu y

voir alors une volonté des autorités camerounaises de provoquer les

forces nigérianes. Or, il n'en a pas été ainsi, le Gouvernement

camerounais s'étant limité à organiser des élections paisibles dans

la partie du territoire de la péninsule non occupée par les troupes

nigérianes. Cela mérite d'être souligné. Ces élections s'y sont

déroulées sans heurts entre les forces armées des deux pays cantonnées

dans la zone, et nos adversaires ne disent pas le contraire. Ce n'est

que quelques semaines plus tard que le Gouvernement du Nigéria a lancé

ses troupes à l'assaut des positions camerounaises dans la péninsule.

Troisièmement, Monsieur le Président, l'organisation des élections

municipales au Cameroun avait été annoncée à plusieurs reprises par le

·.
Gouvernement camerounais au cours des deux dernières années, et la. date

en avait été rendue publique en décembre 1995 par le chef de l'Etat

camerounais. Certes, dans une note datée du 24 novembre 1995 et reçue à

l'ambassade du Cameroun à Lagos le 7 décembre 1995, le ministre des

affaires· étrangères du Nigéria a élevé des protestat~on contre l'annonce

par le Gouvernement camerounais de l'organisation des élections - 76 -

municipales, alors prévues en novembre 1995, dans les localités de

Kombo Abedimo et Idabato situées dans la péninsule de Bakassi.

Pour des raisons techniques, le Cameroun n'a pas pu produire cette

lettre avant le début des plaidoiries, mais je dois dire que nous tenons

à la disposition de la Cour ainsi que de la République fédérale du

Nigéria cette correspondance.

Je dois avouer, Monsieur le Président, que cette lettre de

protesta~io n été pour le Cameroun, une surprise. Mais à vrai dire,

elle ne lui a pas paru inquiétante, car il l'a considérée, si je peux

dire, comme un élément du «jeu judiciaire», le Nigéria tentant de se

ménager ex post facto les moyens de preuve de sa «souveraineté» sur

Bakassi qui lui font défaut. Ex post facto, car il proteste après le

dépôt de la requête camerounaise, alors qu'il ne l'avait jamais fait

auparavant.

En effet, comme je l'ai indiqué, le Cameroun a toujours organisé

les élections à Bakassi en même temps que sur le reste du territoire

national, et jamais par le passé le Nigéria n'avait élevé des

protestations à ce sujet; ce pays n'a jamais élevé des protestations

avant la «date critique», c'est-à-dire avant la date de la saisine de la 4lt

Cour par le Cameroun le 29 mars 1994 du différend qui l'oppose au

Nigéria. L'idée, visiblement, n'avait même pas effleuré ce pays.

Il est révélateur à cet égard que le Nigéria ait gardé un silence

sage et justifié à notre sens après la publication par le Cameroun d'un

arrêté n° 0057/A/MINAT/DAP du 09 janvier 1992 du ministre de

l'administration territoriale fixant la liste des bureaux de vote dans le

département du Ndian dont fait partie Bakassi. A cette date, le Nigéria

était conscient que la péninsule de Bakassi était un territoire

camerounais. - 77 -

Or l'arrêté précité créait des bureaux de vote dans les

arrondissements de Mundemba, Ekondo Titi, Bamuso, Isangele, Kombo Itindi

et Idabato dont trois sont situés dans la péninsule de Bakassi et dont la

plupart font aujourd'hui l'objet d'occupation par les forces nigérianes.

Le Gouvernement nigérian pouvait d'autant moins protester contre les

actes d'administration et de gestion politique de Bakassi que jusqu'en

1992, ses cartes officielles plaçaient très clairement Bakassi en

territoire camerounais.

J'insiste pour dire qu'aussi longtemps que le différend frontalier,

maritime et terrestre qui oppose le Cameroun à la République fédérale du

Nigéria n'avait pas été porté devant la Cour le Nigéria n'avait jamais

protesté contre l'organisation des élections à Bakassi : il n'a protesté

qu'après la date critique, et l'on comprend aisément pourquoi.

Force est cependant de constater, Monsieur le Président, que la

République fédérale du Nigéria recourt à des contrevérités pour étayer

ses protestations. En effet, elle prétend dans sa lettre du

24 novembre 1995 que les villes de Kombo Abedimo et d'Idabato dans

lesquelles le Gouvernement camerounais entendait organiser les élections

annoncées pour novembre 1995 «n'étaient pas touchées par le recensement

national du Cameroun en 1987». Cela est inexact. Comme pour corriger

par anticipation cette contrevérité du Nigéria, le Cameroun, qui veut

bien la regarder comme une simple erreur, a écrit à la page 493

(par. 4.443) de son mémoire ce qui suit :

.. «Lors du dernier recensement général de la population
camerounaise DEMO 87, les opérations de recensement avaient été
menées de façon systématique dans le département du Ndian,

comme d'ailleurs dans tout le reste du pays. Les résultats
de ce recensement affichaient une population totale de
87 435 habitants pour ce département, dont 17 558 pour Bamuso,

38 246 pour Ekondo Titi, 4517 pour Isangele, 3761 pour
Kombo-Itindi, 796 pour Kombo Abedimo, 3250 pour Idabato et
19 307 pour Mudemba.» --

- 78 -

Ceci est attesté par les documents des Nations Unies qui avaient

piloté ce recensement.

Je rappelle, Monsieur le Président, que depuis le 18 février 1994 les

localités camerounaises d'Archibong au nord de la péninsule de Bakassi,

Jabane et Diamond dans la péninsule sont occupées par les troupes

nigérianes, la conqu~te et l'occupation de uzama, Inokoi, Kombo Abedimo,

Kombo Miyangadu, Kombo a Janea, Guidi Guidi, Idabato I et Idabato II

étant le fruit des opérations militaires massives lancées le 3 février

1996, lesquelles opérations militaires justifient la demande en

indication de mesures conservatoires que la République du Cameroun s'est

vue contrainte de demander à cette Cour. C'est tout dire.

6. En tout état de cause, l'organisation des élections à Bakassi

n'entre en aucune façon dans la catégorie des actes que votre Cour

demande aux parties à un différend devant elle de s'abstenir de poser

dans la zone litigieuse, parce que de tels actes seraient susceptibles de

préjudicier de façon irrémédiable aux droits de l'une ou l'autre partie à

l'exécution de l'arrêt de la Cour (Réforme agraire polonaise et minorité

allemande, C.P.J.I. série A/B n° 58, p. 177; Anglo-Iranian Oil Co,

C.I.J. Recueil 1951, p. 93)

7. Et à supposer même que le cameroun ne fût pas fondé à organiser

des élections à Bakassi- ce qu'il réfute bien sûr absolument-, on voit

mal en quoi l'organisation de ces élections pourrait être considérée

«comme un risque de préjudice irréparable», selon la formule de la Cour ~.

permanente de Justice internationale dans l'affaire de la Dénonciation du ..

traité sino-belge (C.P.J.I. série A n° 8, p. 7), ou selon celle de la

Cour internationale de Justice dans l'affaire du Plateau continental de

la mer Egée (C.I.J. Recueil 1973, p. 105).1---··· ------ ·-·-·--- ·-- -----·

- 79 -.

8. Au contraire, ce sont les activités militaires du Nigéria dans la

péninsule qui correspondent en tout point au type d'actes qui, dans la

jurisprudence constante de la Cour, justifie l'indication des mesures

conservatoires ; ces activités nigérianes sont de nature à «provoquer des

incidents», comme le disait la Cour permanente dans l'affaire du
•.

Territoire du sud-est du Groënland (C.P.I.J. série A/B n° 48, p. 287), et

elles en ont provoqués effectivement; elles constituent «un risque

d'aggravation du différend», selon la formule de la Cour dans l'affaire

de la Compagnie d'électricité de Sofia; elles risquent «d'entraver la

réunion des éléments de preuves nécessaires à la présent.e instance»,

comme l'a dit une Chambre de la cour dans l'affaire du Différend

frontalier (Burkina Faso/République du Mali, ordonnance du 10 janvier

1986, p. 1). De plus, ces activités militaires sont de nature à causer

un préjudice irréparable à la partie camerounaise.

Je n'insiste pas outre mesure sur ce point, le professeur

Jean-Pierre Cet vient de l'établir.

9. Au demeurant, la Cour ne saurait, sans préjuger des questions

relatives au fond de l'affaire, ordonner des mesures concernant

l'administration du territoire- en l'occurrence l'organisation des

élections qui relèvent de la souveraineté territoriale du Cameroun.

C'est en ce sens qu'a statué la Chambre de la Cour dans l'affaire Burkina

Faso/République du Mali précitée. La Chambre déclare ;

·,
«Considérant que, en ce qui concerne l'administration du
territoire contesté, la Chambre n'estime pas, au stade des
mesures conservatoires, pouvoir modifier la situation antérieure

aux actions armées qui ont conduit au dépôt des demandes des
Parties; et qu'il convient en tout état de cause de ne pas

préjuger à cet égard de l'existence d'une ligne quelconque.»
(Ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 11.) - ao -

10. Le Nigéria prétend par ailleurs que les autorités camerounaises

auraient contraint des citoyens nigérians â s'inscrire sur les listes

électorales et à voter lors du scrutin du 21 janvier 1996. N'eût été,

Monsieur le Président, la gravité de la situation sur le terrain,

pareille allégation aurait prêté à sourire tant elle manque de sérieux et

surtout parce qu'il est contradictoire avec les prétentions nigérianes C'

sur la péninsule de Bakassi. Du moins, cette affirmation a-t-elle le

mérite de montrer que le Nigéria reconnaît au moins implicitement que

Bakassi est territoire camerounais, dans la mesure où personne ne peut

imaginer que les autorités camerounaises puissent aller organiser en

toute quiétude des élections en territoire nigérian. Dès lors, on voit

mal quel intérêt le Gouvernement camerounais aurait à faire participer

comme électeurs des étrangers aux consultations électorales

camerounaises. Non seulement la législation camerounaise ne l'autorise

pas, mais le faire reviendrait à conférer le statut de Camerounais à des

ressortissants d'un pays en état de guerre avec le Cameroun, et qui de

surcroît sont déjà en surnombre dans ·le pays.

11. Il faut être un pays particulièrement ouvert et généreux,

hospitalier et foncièrement pacifique comme le Cameroun pour accepter

d'accueillir sur son sol trois millions au moins de ressortissants d'un

seul et même pays. C'est bien là, Monsieur le Président, Madame et

Messieurs les Juges, le nombre de ressortissants nigérians résidant au

Cameroun. L'agent du Cameroun l'a indiqué tout à l'heure. Nos

adversaires ne peuvent le contester puisque ce chiffre a été avancé en ·.

1993 par le ministre nigérian des affaires étrangères en visite au

cameroun. Trois millions L'équivalent du quar~ de la population du

Cameroun qui s'élève à un peu plus de douze millions. Ailleurs, on

parlerait d'un dépassement intolérable du seuil de tolérance des 8l -

étrangers. Et pendant qu'à côté on expulse et pourchasse des frères

africains parce qu'ils sont étrangers, le Cameroun, lui, abrite sur son

sol l'équivalent de 25 pour cent de sa population constitué de

ressortissants d'un pays voisin qui ne iui témoigne en retour que de

l'hostilité. Et le Nigéria veut faire croire que le cameroun est assez

inconséquent et déraisonnable pour contraindre ces émigrés à passer pour

des camerounais qu'ils ne sont point et qu'ils n'ont pas envie de

devenir.

l2. Le Cameroun, comme tout Etat souverain soucieux de maintenir le

bon ordre et la paix sur son territoire, exhorte les ressortissants

étrangers qui y résident ou y séjournent à se soumettre à ses lois et

règlements, et veille à ce qu'il en soit ainsi. Sans plus. C'est le

devoir de tout Etat de le faire. On ne saurait le reprocher au Cameroun.

*

* *

Monsieur 1~ Président, Madame et Messieurs de la Cour,

l.3. Parti d'une dénonciation injustifiée d'actes traduisant

l'exercice normal de sa souveraineté territoriale par le Cameroun, le

Nigéria débouche, on pouvait sans douter, sur une demande pour le moins

curieuse : il demande à la Cour de «rappeler le Cameroun à l'ordre».

l4. Il est extrêmement mal aisé de déterminer la nature d'une telle
,.

demande, et donc de savoir ce gue nos adversaires espèrent obtenir à

travers elle. Même en concevant de façon extrêmement large les pouvoirs

de la Cour, il est clair qu'elle ne saurait accéder à une telle demande

dans la mesure où, en dehors de la police des audiences, le «rappel à

\ - 82 -

l'ordre» d'un justiciable n'entre nullement dans les pouvoirs

juridictionnels des tribunaux dans l'ordre international, pas plus que

dans l'ordre interne des Etats.

15. Sauf à imaginer que le Nigéria entend par cette curieuse

expression que la Cour doit enjoindre au Cameroun de cesser

l'organisation des élections dans la péninsule de Bakassi. Auquel cas

deux hypothèses peuvent être envisagées

si la demande vise les élections du 21 janvier 1996, elle est sans

objet, puisque ces élections ont déjà eu lieu et les autorités

municipales issues de ces consultations électorales déjà installées

dans leurs fonctions;

si cette demande vise le comportement futur du Cameroun, il faudrait

savoir si on doit considérer qu'il s'agit d'une demande en indication

des mesures conservatoires qui ne dit pas son nom, autrement dit d'une

demande reconventionnelle du Nigéria. Même dans ce cas, j'ai démontré

que le comportement du Cameroun à Bakassi ne pouvait justifier en

aucune façon de telles mesures.

*

* *

16. La singularité de la démarche du Nigéria à travers sa lettre

du 16 février 1996 adressée à la cour était de nature à compliquer .,

inutilement une procédure simple et à obscurcir une affaire dont les

termes sont on ne peut plus clairs. J'espère très modestement avoir

contribué à éclairer ce point de la présente instance, et c'est en toute

humilité, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, que je - 83 -

demande à la Cour d'écarter comme étant non fondée en droit l'objection

du Nigéria à l'organisation par le cameroun des élections municipales

du 21 janvier 1996 dans la péninsule de Bakassi ainsi que la curieuse

demande de «rappel du Cameroun à l'ordre» qui l'accompagne, et d'indiquer

les mesures conservatoires que le Cameroun prie très humblement la Cour

' de bien vouloir ordonner.

Je vous remercie d'avoir eu la patience et la bienveillance de

m'écouter jusqu'au bout. Je vous prie, Monsieur le Président, de bien

vouloir donner la parole maintenant au doyen Ntarmack qui conclura très

brièvement les plaidoiries du Cameroun.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, professeur Kamto, pour votre exposé

et je donne la parole au professeur Ntarmack.

Mr. NTARMACK: Mr. President, distinguished Judges, it is with

profound respect that I appear before you this afternoon ta conclude the

submissions made on behalf of the Republic of Cameroon by the Agent and

my learned colleagues in our application for the indication of interim

measures of protection. I will be brief, brief because the submissions

have been stated with such clarity and inequivocation that any attempt by

me to repeat the exercise will not add much to our cause.

The events that have pushed Cameroon to pray this Court for the

indication of interim measures of protection have been well recounted by

my colleagues. Nigerian expansionist tendencies, her.glut for

territorial acquisition by force are commonplace. Her incessant

incursions into Cameroonian territory with the consequences that flow

from it are horrendous. - 84 -

For sorne time new but more crucially since December 1993, the

Nigerian Army has constantly raided Cameroonian territory particularly

(but not exclusively) in the Bakassi Peninsula.

Faced with these acts of wanton incursions into her territory by

Nigerian armed forces, thus undermining her sovereignty and territorial

integrity, the Republic of cameroon in March 1994 brought her border .·

dispute with the Federal Republic of Nigeria ta this Court for a

definitive delimitation of the ·the land and maritime boundaries between

our two countries.

Mr. President, it would be recalled that there have been severa!

Agreements between these two countries ta solve their land and maritime

boundary problems but the Federal Republic of Nigeria bas reneged in each

case.

I wish ta state in sorne definite and unequivocal terms that the

voluntary invasion by Nigerian forces of Cameroonian territory since

December 1993 bas only one design - that of annexation. These invasions

have progressed since then with serious loss of life and destruction of

civilian property.

This bas been particularly so with the last and dramatic incidents in

the ·Bakassi Peninsula, an incursion which, as ali the ethers that

preceded it, was unprovoked by Cameroon. It surpassed all previous cnes

by its violence and the casualties, beth human and materiel. Moreover,

this invasion bears testimony to the clear intention of Nigeria to

irrevocably annex parts of Cameroonian territory.

The extrema gravity of the situation thus created is a clear

challenge tc the Court's authority; it bas forced Cameroon tc lodge this

request for, very moderate indeed, interim measures. - 85 -

In the light of this grave situation and for the reasons evinced,

Mr. President, I am praying the Court tc indicate the interim measures of

protection applied for by the Republic of Cameroon.

This concludes the first round of the pleadings of Cameroon. I thank

yeu very much, Mr. President .
...
(~
.··;;
~~ Le PRESIDENT ; Je remercie le professeur Peter Ntarmack pour son

exposé conclusif. Ainsi s'achève le premier tour de plaidoiries de

l'Etat défendeur, le Cameroun, dans cette affaire en demande d'indication

de mesures conservatoires. La Cour ouvrira demain matin à 10 heures une

nouvelle audience pour entendre en son premier tour de plaidoiries les

exposés qui seront présentés par le Nigéria en cette affaire. L'audience

est levée.

La séance est levée à 13 h 15.

-~
-
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....
~-

•.

Document Long Title

Public sitting held on Tuesday 5 March 1996, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Bedjaoui presiding

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